M. le président. Monsieur Courtial, l’amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
M. Édouard Courtial. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié ter, présenté par Mme Joseph, M. Laménie, Mme Gruny, M. Anglars, Mme Borchio Fontimp, MM. Pellevat, Bascher et Klinger, Mme Belrhiti, MM. Darnaud et Belin, Mmes Berthet et Dumont, M. Meurant, Mme Ventalon, MM. Cadec, Charon et Moga, Mme Lassarade, M. Folliot, Mme Muller-Bronn, MM. Cambon, Lefèvre et Genet, Mme Di Folco, M. Détraigne, Mme Micouleau, MM. C. Vial, Calvet et Levi, Mmes Imbert et Eustache-Brinio, MM. Chatillon et Mandelli et Mme Bellurot, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« …° Des communes, à raison d’une par département frontalier, où aucun casino n’est autorisé à la date de la demande d’une commune classée commune touristique, membre d’une intercommunalité à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants. »
La parole est à Mme Else Joseph.
Mme Else Joseph. L’implantation de casinos peut contribuer au développement de nos territoires, dans le respect de notre législation et selon des critères objectifs adaptés au caractère exceptionnel de cette activité.
Cet amendement vise à étendre l’autorisation d’ouvrir un casino aux territoires qui en sont encore privés. Il tend à prévoir l’ouverture d’un casino dans chaque département frontalier qui en serait dépourvu, mais dans une ville classée commune touristique et membre d’une intercommunalité à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants.
S’il était adopté, cet amendement permettrait un rééquilibrage salutaire de l’implantation des casinos en inscrivant dans la législation spécifique le souci de l’aménagement du territoire, qui reste absent des dispositifs actuels.
Selon mon collègue Marc Laménie et moi-même, qui représentons les Ardennes, cette mesure présente un intérêt pour tous nos territoires frontaliers. Son adoption permettrait d’éviter des fuites fiscales importantes vers la Belgique ou le Luxembourg et de récupérer cette assiette. L’administration centrale aurait d’ailleurs réalisé un rapport sur ce sujet.
Un avis défavorable serait incompréhensible, d’autant que le Gouvernement s’était engagé en ce sens lors de la signature du pacte Ardennes, le 15 mars 2019.
En outre, l’adoption de cet amendement ne susciterait pas de dépenses publiques, bien au contraire. L’implantation d’un casino constituerait un atout touristique certain et serait d’un intérêt stratégique, notamment pour tous les départements frontaliers du nord-est, en incitant à la consommation en France, en Belgique et non pas au Luxembourg.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Bonhomme, rapporteur. Je comprends parfaitement l’intention de notre collègue, qui pose trois conditions cumulatives : les communes éligibles doivent être situées dans un département frontalier, être classées communes, non pas historiques, mais touristiques – cette notion est prévue par le législateur – et appartenir à une intercommunalité de plus de 100 000 habitants.
Il faut toutefois veiller à ne pas bouleverser l’implantation actuelle des casinos en France et attendre en 2024 la fin de l’expérimentation prévue dans la loi de 2017 relative au statut de Paris. Il sera alors sans doute possible de remettre à plat la question des zones transfrontalières et de mettre en œuvre une implantation plus équilibrée des casinos sur notre territoire.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sonia Backès, secrétaire d’État. Cet amendement vise à répondre à la situation particulière des départements frontaliers, dont les habitants, en l’absence d’offre de jeux en France, vont jouer dans les casinos étrangers.
Il tend à limiter le nombre de casinos qui pourraient être ouverts en fixant trois conditions : chaque département frontalier ne pourrait compter qu’un seul casino, ce dernier ne pourrait être ouvert que dans une commune classée, laquelle devrait être membre d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants.
En ce qui concerne cet amendement, le Gouvernement s’en remettra donc à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je me suis exprimée durant la discussion générale et, je l’ai dit, notre groupe est momentanément assez hostile à l’extension du droit d’ouvrir un casino, en attendant une étude plus poussée sur le sujet.
Je voterai évidemment contre cet amendement, qui tend à permettre l’ouverture d’un casino à la frontière luxembourgeoise, au moment même où l’on travaille par ailleurs sur la fraude fiscale… On a déjà tellement de problèmes de blanchiment, on ne va pas en plus installer une lessiveuse à la frontière ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Else Joseph, pour explication de vote.
Mme Else Joseph. Je remercie le Gouvernement de s’en remettre à la sagesse de notre assemblée sur cet amendement et j’encourage évidemment mes collègues à le voter.
Je rappelle que, à la suite de la demande formulée par le ministre de l’intérieur en 2019, une réflexion est en cours sur une possible évolution des critères relatifs à l’implantation des casinos. Ce travail, me dit-on, a abouti. Il permettrait de donner une base législative à ces demandes d’ouverture de casinos. La ville de Sedan et celle de Saumur seraient citées dans ce rapport.
Cette proposition de loi est l’occasion de revenir sur la carte des casinos en France, qui résulte de textes assez anciens, lesquels privilégiaient à l’époque des communes touristiques et thermales.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je soutiendrai naturellement cet amendement, qu’a très bien présenté ma collègue des Ardennes, Else Joseph. Je remercie d’ailleurs tous ses cosignataires.
Je respecte l’intervention de notre collègue Nathalie Goulet, mais je rappelle que, si le Luxembourg n’est pas très loin des Ardennes, notre frontière la plus proche est avec la Belgique.
Historiquement, les casinos ont été implantés dans des stations thermales. Or les Ardennes en comptent de nombreuses. Soutenue par notre collègue député Jean-Luc Warsmann, l’implantation de casinos était prévue dans des secteurs frontaliers dans le cadre du pacte Ardennes signé il y a quelques années par des représentants des collectivités territoriales et le Gouvernement.
La Belgique est à deux pas. Nous aimons beaucoup nos amis belges, mais il serait dommage que des fuites d’argent aient lieu des Ardennes vers la Belgique ! La ville de Sedan a des arguments forts. Un casino concourt réellement à l’attractivité, donc à l’aménagement du territoire.
Je soutiendrai cet amendement et je salue ceux de nos collègues qui feront de même. Je remercie également Mme la secrétaire d’État de s’en remettre à la sagesse de notre assemblée sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié ter.
(L’amendement est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je tiens simplement à dire à Catherine Deroche et aux auteurs de la proposition de loi que notre opposition est liée non pas à la proposition de loi initiale, mais à son extension.
Les amendements qui ont été déposés en séance et les discussions qui ont eu lieu montrent qu’un véritable débat est nécessaire. Des négociations avec les opérateurs sont déjà en cours au sein du ministère de l’intérieur. Je pense qu’il est extrêmement important de les poursuivre.
J’espère que nous pourrons continuer de débattre tranquillement de ce texte au cours de la navette parlementaire, comme l’a suggéré Mme la secrétaire d’État, en nous appuyant sur les études d’impact. Des évolutions sont probablement nécessaires.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous nous abstiendrons favorablement sur ce texte. (Sourires.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à réduire les inégalités territoriales pour les ouvertures de casinos.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Ferme France
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des affaires économiques, de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, présentée par MM. Laurent Duplomb, Pierre Louault, Serge Mérillou et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 349, texte de la commission n° 590, rapport n° 589).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Laurent Duplomb, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Laurent Duplomb, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après six ans d’un travail scrupuleux et objectif, dans la pure tradition du Sénat, je peux l’affirmer : oui, la France agricole décline !
Si nous continuons ainsi, je pense que nous pourrions, dans un avenir proche, perdre non seulement notre souveraineté alimentaire, mais aussi notre sécurité alimentaire. D’ailleurs, la pandémie de la covid-19 et la guerre en Ukraine nous ont fait toucher du doigt cette réalité, pourtant improbable il y a encore peu de temps.
La proposition de loi que j’ai rédigée avec mes collègues Pierre Louault et Serge Mérillou – je les en remercie – a pour objectif d’enrayer ce déclin et de mettre fin à cette naïveté coupable, bien française, qui consiste à empêcher de plus en plus la production chez nous, tout en fermant les yeux sur l’ouverture de plus en plus grande de nos portes aux importations.
Nous ne pouvons plus continuer à nier les évidences : à force d’interdire, à force de stigmatiser, à force de ne pas regarder la réalité en face, notre pays achète de plus en plus ! Et la France devient, de fait, de plus en plus dépendante des autres : 71 % des fruits sont importés, comme 85 % du coulis de tomate et 56 % de la viande de mouton.
La débâcle de notre agriculture s’explique par les mêmes raisons que celles qui ont conduit à ruiner notre industrie ou le secteur de l’électricité. Les mêmes causes produisent les mêmes effets !
Le choix de l’État, conditionné par une minorité qui terrorise la majorité, nous mène vers une stratégie malthusienne fondée sur le « tout montée en gamme ». Mais au moment où la pression sur le pouvoir d’achat est maximale, cette stratégie se révèle une erreur fatale, car elle oblige à déclasser plus de 40 % du lait bio, tandis que les produits d’entrée et de moyenne gamme sont importés !
Notre pays doit se repositionner rapidement comme une grande puissance agricole en donnant la priorité à la souveraineté alimentaire, ce qui implique d’augmenter la production, de répondre aux besoins du marché de masse et de s’opposer frontalement à la logique décroissante du projet Farm to Fork, qui planifie la dépendance et la famine.
Notre proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France peut y contribuer au travers de ses 26 articles.
Je remercie les 174 sénateurs qui ont cosigné cette proposition de loi et je leur dis, de cette tribune : n’ayez pas peur ! N’ayez pas peur, car, vous qui êtes élus de toutes les campagnes de France, vous la constatez, cette lente agonie qui s’accélère.
N’ayez pas peur de redonner de l’espoir à nos paysans, car vous les connaissez mieux que quiconque et vous mesurez leur désarroi face à toutes les injonctions contradictoires auxquelles ils sont soumis.
N’ayez pas peur, enfin, de ces messages de chantage et d’intimidation sous couvert d’écologisme, car la majorité d’entre nous pensent qu’il vaut mieux produire en France, plutôt que d’importer de l’autre bout du monde.
Mes chers collègues, comme l’a dit Clemenceau, « Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire ; quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire. » Aussi, soyons fiers de notre agriculture et votons cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Louault, auteur de la proposition de loi.
M. Pierre Louault, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, nous faisons face à une réalité : l’agriculture française est de moins en moins compétitive, et les jeunes ne veulent plus devenir agriculteurs. Dans un certain nombre de branches professionnelles, on travaille 70 heures par semaine pour gagner la moitié du Smic. Il est urgent de prévoir un certain nombre de moyens, afin que l’agriculture française redevienne compétitive.
Nous avons laissé notre industrie s’effondrer, tout comme notre production nucléaire. Les conséquences pour notre souveraineté sont graves. Allons-nous à présent regarder notre agriculture disparaître ? Allons-nous assister sans réagir, jour après jour, à la dégradation de notre souveraineté industrielle et alimentaire ?
C’est pour éviter cela que nous avons décidé de proposer cette loi d’urgence agricole, qui a été enrichie par les travaux de notre rapporteur Sophie Primas lors de son examen en commission.
Les mesures qui y figurent sont fortes, mais alors qu’un fruit et un légume sur deux consommés en France sont importés, comme la moitié des poulets, et que les éleveurs laitiers doivent travailler 70 heures par semaine pour gagner la moitié d’un Smic, nous avons besoin de mesures fortes.
Ces mesures sont fortes, mais elles n’en sont pas moins empreintes de bon sens ! Réduction des normes, baisse des charges, sécurisation de l’accès à l’eau, levée des freins à l’innovation : voilà ce dont nos agriculteurs ont besoin.
Ces mesures ne sont pas non plus anti-écologiques, comme on peut parfois l’entendre dire dans cet hémicycle : est-ce une régression que de permettre l’épandage de pesticides très ponctuellement sur des zones ultra-ciblées plutôt que d’arroser tout un champ ?
Je conclurai en évoquant une disposition du texte qui me tient à cœur, la création d’un livret Agri. Cette idée n’est pas nouvelle au Sénat et, comme bien souvent, elle fait son chemin.
Ce livret permettra aux agriculteurs d’obtenir des prêts, à l’heure où les taux d’intérêt remontent, et donc d’investir pour leur adaptation et leur résilience face au changement climatique. Quant aux Français, ils pourront placer leur argent disponible sur un nouveau livret réglementé et ainsi témoigner de leur attachement à leur agriculture.
Le Gouvernement annonce un plan de relance pour l’industrie prévoyant une réduction de moitié des délais administratifs. Cette mesure doit être étendue à l’ensemble du secteur agricole, qui n’en peut plus, lui non plus, de la surréglementation. Le moral des agriculteurs est au plus bas. Les jeunes ne veulent plus exercer ce métier. Or on ne forme pas un agriculteur en quelques mois.
Cette proposition de loi va permettre d’accompagner les agriculteurs dans ce changement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, auteur de la proposition de loi.
M. Serge Mérillou, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, répondre à l’urgence, répondre à la crise, donner aux agriculteurs français les moyens de nous nourrir : tel est l’objectif premier de cette proposition de loi, un texte qui fait parler, un texte critiqué. Et pour cause, il traite de sujets majeurs, et pas seulement de l’agriculture.
Ce texte porte également sur notre relation à l’alimentation, à notre souveraineté alimentaire. Il nous conduit à nous interroger sur nos différents modèles agricoles, sur leur adaptation au changement climatique ou encore sur notre modèle de société, notamment sur la relation entre urbains et ruraux. Il est difficile, voire impossible, de trouver un consensus quand on aborde ces questions.
Le texte que nous examinons aujourd’hui est d’ailleurs un texte de compromis, qui s’appuie sur les constats sans appel que, avec mes collègues Laurent Duplomb et Pierre Louault, j’ai dressés dans le rapport que nous avons publié en septembre dernier.
Pour reprendre une célèbre expression, la ferme France brûle. Notre modèle agricole décline, notre marché est submergé par des importations de denrées qui ne sont pas conformes à nos exigences environnementales, sanitaires et sociales. Notre agriculture recule, nos agriculteurs ne parviennent plus à écouler leur production, à gagner leur vie tout simplement.
Ce texte, j’en conviens, est loin d’être parfait. J’ai d’ailleurs toujours fait part à mes collègues de mes réticences quant au volet relatif aux pesticides, notamment l’article 13. Ce texte vise cependant à stopper l’hémorragie, à contenir l’incendie, à trouver des solutions concrètes pour sortir la ferme France de la crise dans laquelle elle s’est engouffrée il y a plus de vingt ans.
La détresse des agriculteurs, leurs difficultés, je les connais, car j’y ai consacré une grande partie de ma vie professionnelle.
Mon département, la Dordogne, est un territoire rural et le rapport de la commission, tout comme cette proposition de loi, y ont été bien reçus. Les agriculteurs et nos concitoyens, notamment les plus modestes, comptent sur nous.
Ils n’achètent pas tous bio, ou alors moins qu’auparavant. Ce n’est pas une question de dogmatisme, c’est tout simplement qu’ils n’en ont pas les moyens. Difficile de consommer 100 % bio ou sous signe officiel de qualité quand on n’a qu’un Smic pour trois enfants… Alors, on se contente de produits importés, moins chers, mais de bien moindre qualité.
Être de gauche, c’est combattre les inégalités. Or la première d’entre elles, c’est le contenu de l’assiette. J’en suis convaincu, donner à nos agriculteurs les moyens de nourrir tous les Français, avec nos normes de qualité supérieure à celles de nos voisins, est un moyen concret de lutter contre ces inégalités et d’aller vers cette agriculture durable et relocalisée que j’appelle sincèrement de mes vœux. Poursuivre la stratégie actuelle d’importations massives, c’est contribuer à l’érosion progressive de notre souveraineté alimentaire.
Enfin, parce qu’il ne se limite pas aux questions de pesticides, ce texte parle de compétitivité, ainsi que d’innovation et d’adaptation au changement climatique. Nous souhaitons donner aux exploitations les moyens d’investir dans cette adaptation au changement et dans l’évolution des pratiques.
Je me réjouis donc qu’un diagnostic carbone figure dans cette proposition de loi. Il s’agit d’une première pierre pour le développement de ce dispositif, outil essentiel dans la transition des exploitations agricoles et point de départ utile pour la démarche de labellisation bas-carbone.
Ce texte est issu d’une initiative transpartisane. Il a le mérite de mettre les questions d’agriculture, notamment de souveraineté alimentaire, au cœur de nos débats, à l’aube de la grande loi agricole annoncée par le Gouvernement. (M. Pierre Louault, Mmes Nadia Sollogoub et Sophie Primas applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la compétitivité agricole est, pour les auteurs de cette proposition de loi, un sujet majeur.
C’est d’abord un impératif pour protéger notre modèle agricole français si singulier et si éloigné des modèles industriels décriés, pour lui permettre de perdurer en faisant émerger des générations de jeunes agriculteurs motivés, grâce à la double perspective d’une juste reconnaissance de leur importance et d’une juste rémunération.
La compétitivité, c’est aussi le corollaire de l’investissement, donc de la modernisation continue de notre agriculture : hier, de sa mécanisation, pour sortir les agriculteurs de la pénibilité, aujourd’hui, pour permettre l’adaptation aux conséquences du changement climatique et aux attentes sanitaires, environnementales et alimentaires de la société.
Enfin, la compétitivité est une obligation ardente si nous, Français, souhaitons rester durablement maîtres de notre alimentation, en quantité et en qualité.
Je tiens à le dire une fois encore : la compétitivité n’est pas l’ennemie d’une agriculture durable – pas plus que la durabilité ne peut s’opposer à la compétitivité.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
Mme Sophie Primas, rapporteur. Le temps de ces oppositions doit cesser, et je sais, monsieur le ministre, que, sur ce point, nous nous rejoignons.
Pourquoi présenter aujourd’hui un texte sur la compétitivité ?
Depuis les États généraux de l’alimentation et les lois pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dites Égalim, la politique du Gouvernement en la matière repose sur deux piliers.
D’une part, une exigence environnementale sans équivalent dans aucun autre pays européen, se traduisant par une explosion en chaîne des normes, donc des charges pesant sur les agriculteurs. D’autre part, un encouragement à la montée en gamme pour accroître les revenus, qui se traduit en réalité par une fuite en avant, comme l’a parfaitement décrit le rapport sur la compétitivité de la ferme France.
Cependant, à l’heure où les Français font face à une grave crise du pouvoir d’achat et à une forte inflation, encourager uniquement à toujours plus de montée en gamme, avec toujours plus de normes et de charges liées, c’est pousser les Français les plus modestes à acheter des produits étrangers, qui pour certains ne sont produits ni dans les normes françaises, ni même dans les normes européennes.
Nous observons aujourd’hui ce que nous avons toujours redouté au Sénat : une alimentation à deux vitesses. Il y a en effet une alimentation française, normée, labellisée, mais réservée à la part la plus aisée de la population, et une alimentation d’entrée de gamme, d’importation, pour ceux qui ont des fins de mois difficiles.
En définitive, mes chers collègues, à force de ne plus jamais parler de compétitivité, on ne s’occupe ni de la fin de mois des Français, ni de la fin du monde, ni de la faim dans le monde !
Mme Françoise Gatel. Très bien !
Mme Sophie Primas, rapporteur. Aujourd’hui, cette proposition de loi transpartisane, faisant suite au rapport sur la compétitivité de la ferme France, entend définir les caractéristiques essentielles de l’agriculture de demain : compétitive, durable, sobre en intrants et attractive pour les jeunes arrivants.
Stockage et partage de l’eau, incitation à l’innovation, baisse des charges, lutte contre les surtranspositions, formation continue des agriculteurs, adaptation au changement climatique… Ses 26 articles, enrichis en commission, abordent des sujets fondamentaux pour l’avenir de notre agriculture.
L’enjeu de ce texte, c’est la place de notre agriculture en Europe et dans le monde, sa résilience et son rôle face au changement climatique, sa capacité à renouveler ses exploitants.
Mes chers collègues, je vous présente aujourd’hui un texte cosigné par plus de la moitié de cet hémicycle, amélioré en commission et qui, je l’espère, saura susciter un débat sans caricature ni opposition stérile entre deux types d’agriculture supposés irréconciliables.
Les auditions ont d’ailleurs souligné à quel point le monde agricole, dans sa très grande majorité, ses filières comme ses organisations représentatives, souhaitait voir assumée la thématique de la compétitivité. Ce thème, nous le déclinons en trois axes.
Le premier axe porte sur la lutte contre les distorsions de concurrence, véritable fléau pour la compétitivité de notre agriculture. Les surtranspositions sont vécues douloureusement par nos agriculteurs quand ils doivent se plier à des exigences toujours plus grandes qui n’existent pas ailleurs, notamment chez nos principaux concurrents européens.
La commission a ainsi enrichi les prérogatives du haut-commissaire à la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires instauré par ce texte pour faire office de guichet unique des problématiques des filières. Il pourra être saisi et rendre des avis publics au sujet des normes et des surtranspositions. Loin de se substituer à vous, monsieur le ministre, il sera votre meilleur allié !
À propos de surtranspositions, je souhaiterais m’attarder sur le très commenté article 13, relatif à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Changeons-nous les missions de l’Anses ? À l’issue du passage en commission, la réponse est non. Remettons-nous en cause le travail ou l’impartialité de l’Anses ? Non plus.
Nous donnons simplement au ministre de l’agriculture ce qu’il semble réclamer depuis quelque temps, c’est-à-dire la possibilité de faire réaliser, sur des cas particuliers, une balance bénéfices-risques de la décision, et de suspendre temporairement une décision d’interdiction de l’Anses lorsque celle-ci n’est pas synchronisée avec les autres États membres, lorsqu’il n’existe pas de solution de substitution ou lorsqu’il y a des risques avérés pour la pérennité des productions agricoles ou d’outils agroalimentaires, qui mettraient en péril notre souveraineté alimentaire.
C’est pour vous, monsieur le ministre, le meilleur moyen de pousser la recherche fondamentale et appliquée sur les productions en péril tout en incitant l’Union européenne à prendre des décisions communes à tous les agriculteurs européens, afin d’assurer l’équité concurrentielle et la sécurité sanitaire en Europe. À cet égard, je pense que la commission a trouvé un juste équilibre.
Le deuxième grand axe de la proposition de loi de nos collègues est de modérer les charges de nos agriculteurs, pour que leur revenu ne soit plus la variable d’ajustement de la compétitivité : déduction pour épargne de précaution, pérennisation du dispositif « travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi » (TO-DE), exclusion des entreprises à production saisonnière du bonus-malus sont autant de sujets importants que nous aborderons dans la discussion, puisque la commission les a rendus budgétairement abordables.
Enfin, le troisième et dernier grand axe de cette proposition de loi consiste à encourager le renouvellement des pratiques et l’innovation, afin d’accompagner l’agriculture dans sa nécessaire adaptation.
Deux dispositifs encouragent et accompagnent l’investissement : un crédit d’impôt d’une durée de trois ans vise à soutenir les investissements dans les secteurs les plus intensifs en main-d’œuvre ; la création d’un livret Agri aura la double vertu de resserrer les liens entre les Français et leur agriculture et d’orienter l’épargne vers les investissements agricoles, y compris l’acquisition du foncier pour les jeunes agriculteurs.
Par ailleurs, trois dispositions concernant l’usage de l’eau ont été adoptées et améliorées par la commission. Nous aurons sans doute l’occasion d’aborder cette problématique d’actualité, qui concerne un facteur majeur de compétitivité.
Enfin, je souhaite évoquer l’autorisation de l’usage de drones pour la pulvérisation aérienne de précision.
Il ne s’agit évidemment pas d’autoriser la pulvérisation tous azimuts par des avions ou des hélicoptères : c’est une mesure nécessaire si l’on veut encourager et accompagner l’innovation, accomplir de réels progrès dans la baisse des intrants et susciter des vocations parmi les plus jeunes. L’article 8 ressort donc de son passage en commission sous la forme d’une expérimentation limitée aux terrains agricoles en pente et à l’agriculture de précision. Nous sommes loin des caricatures qui ont été faites !
Je le répète, c’est par la recherche, l’investissement et l’accès à l’innovation de tous les agriculteurs que nous assurerons la résilience de notre agriculture et l’attractivité de ses métiers.
Je n’ai pu être exhaustive, tant les 26 articles ouvrent des champs diversifiés. Je suis certaine que notre discussion en séance sera riche, si elle sait éviter les effets de manche.
Pour conclure, je tiens à redire avec force que notre agriculture n’attira pas les jeunes arrivants si elle demeure enserrée dans un carcan de normes toujours plus nombreuses et complexes les unes que les autres ; si l’on étouffe la production et l’innovation par l’application irraisonnée d’un principe de précaution devenu principe d’inaction ; si l’on continue à pointer du doigt une profession qui pourtant change, évolue, innove, et dont les pratiques, répétons-le, sont déjà parmi les plus vertueuses du monde ; enfin, et c’est peut-être le plus important, si l’on ne permet pas une juste rémunération des agriculteurs.
Les agriculteurs ont une noble mission : nourrir nos concitoyens et une partie de la planète, afin d’assurer les grands équilibres géopolitiques, en étant totalement acteurs, mais aussi bénéficiaires, de la lutte contre le changement climatique. Il est nécessaire et vital pour la Nation de les soutenir, de considérer toutes leurs missions et de les rémunérer dignement.
Monsieur le ministre, soyez assuré que ces thématiques continueront d’être portées par le Sénat à l’occasion des prochaines échéances agricoles. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)