M. François Bonhomme. Et sur les autres aussi ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. … que nous travaillons ensemble depuis plusieurs mois, et je vous recevrai volontiers pour l’aborder.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Dumont, pour la réplique.

Mme Françoise Dumont. Madame la ministre, j’entends votre réponse, qui se veut rassurante.

Toutefois, en vous parlant du texte à l’étude à la commission Environnement du Parlement européen, je tenais à vous alerter : s’il entre en application, ce règlement aura des conséquences très graves pour nos massifs forestiers et, bien sûr, sur la mission de nos soldats du feu. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

mise en œuvre du diagnostic de performance énergétique

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Henno. Ma question, qui s’adresse à M. le ministre chargé de la ville et du logement – j’espère ne pas contrarier Mme la ministre chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ! (Sourires.) –, porte sur le fameux diagnostic de performance énergétique (DPE). Je n’aime pas trop les sigles, mais il faut bien se faire à ce DPE…

J’associe à ma question mon collègue des Hautes-Alpes, Jean-Michel Arnaud, qui suit ce sujet de très près.

Monsieur le ministre, le DPE partait sans doute d’une bonne intention ; mais, depuis Bernard de Clairvaux, nous savons que l’enfer est pavé de bonnes intentions. (Nouveaux sourires.)

Peut-être allez-vous nous convaincre. Néanmoins, nous voyons de nombreux inconvénients à la mise en œuvre précipitée du DPE.

Les délais de réalisation des travaux, très contraints, vont entraîner un renchérissement des coûts. Entre les petites surfaces et les grands logements, ce dispositif crée un « deux poids, deux mesures ». Uniforme, jacobin, vertical et descendant – autant de défauts auxquels nous sommes malheureusement habitués –, il ne tient pas compte des variations climatiques : c’est un homme du Nord qui vous le dit. Enfin, il sera lourd de conséquences sur le parc de logements : combien d’entre eux vont disparaître de l’offre de location au moment même où se profile une crise du logement sans précédent ?

Vous l’avez compris : pour nous, le DPE porte en germe de nouvelles fractures sociales et territoriales. Ma question est donc la suivante : comment voyez-vous la mise en œuvre du DPE, son calendrier et ses conséquences sur la crise du logement qui se profile ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la ville et du logement.

M. Olivier Klein, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Olivier Henno, oui, le DPE est utile. Il a d’ailleurs été réformé pour être plus en phase avec la réalité des logements.

La crise du logement est réelle ; mais nous ne saurions en déduire que l’on peut laisser nos concitoyens vivre dans des passoires thermiques.

Le calendrier est connu. Au 1er janvier 2025, les passoires thermiques les plus énergivores, à partir de la classe G, seront concernées. En 2028 viendra le tour des logements classés F, et ainsi de suite.

Les propriétaires bailleurs, comme les propriétaires occupants, connaissent ces évolutions depuis de nombreuses années et sont accompagnés à ce titre. D’ailleurs, les propriétaires bailleurs continuent de percevoir leurs loyers.

Nous nous accorderons tous sur ce point : on ne peut pas laisser des personnes, notamment des enfants, vivre dans des passoires thermiques où il fait très chaud l’été, très froid l’hiver, et où les fenêtres se couvrent de moisissures. C’est le sens de cette mesure.

Le Gouvernement agit, que ce soit avec France Rénov’, par la mise en place, dès cette année, des accompagnateurs Rénov’, ou au travers de MaPrimeRénov’, qui se développe, et notamment de MaPrimeRénov’ Sérénité, qui doit accompagner les plus fragiles. Il agit également en doublant le déficit foncier : ainsi, les propriétaires bailleurs seront encore mieux accompagnés dans leurs travaux.

Toutes ces mesures mises bout à bout doivent permettre de tenir le calendrier, dans l’intérêt de ceux qui vivent dans les passoires thermiques, à commencer par nos concitoyens les plus fragiles.

Je ne nie pas qu’un certain nombre de particularités méritent d’être examinées, notamment dans les territoires de montagne. C’est aussi pour cela qu’il faut travailler à la rénovation thermique de l’habitat collectif. Évidemment, le propriétaire d’un appartement classé G dans un immeuble où rien n’a été fait se trouve dans l’impossibilité d’agir. Nous avons le devoir de mieux accompagner les travaux de rénovation dans l’habitat collectif.

M. Philippe Pemezec. Nous mourrons de toutes vos normes !

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour la réplique.

M. Olivier Henno. Monsieur le ministre, nous sommes perplexes face à cette nouvelle forme du « je norme, donc je suis »… (Sourires sur les travées du groupe UC.)

J’ai bien peur que le DPE ne connaisse le même sort que les portiques, la taxe carbone, les zones à faibles émissions (ZFE) et, demain, le « zéro artificialisation nette » (ZAN) : enthousiasme initial, perplexité lors de la mise en œuvre et abandon en rase campagne face au mur de la réalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 24 mai, à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

3

Décès d’un ancien sénateur

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jean Dérian, qui fut sénateur des Côtes-d’Armor de 1997 à 1998.

4

Mises au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub.

Mme Nadia Sollogoub. Notre collègue Bernard Delcros souhaite rectifier plusieurs de ses votes portant sur la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France. Lors des scrutins publics nos 284, 285, 287 et 288, il a été enregistré comme votant pour, alors qu’il souhaitait voter contre.

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Lors du scrutin public n° 284 sur l’article 8 de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, notre collègue Julien Bargeton souhaitait voter contre, et je voulais m’abstenir.

M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Lors des scrutins publics nos 284, 285, 286, 287 et 288 sur la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, notre collègue Stéphane Artano désirait voter pour.

M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne.

Mme Samantha Cazebonne. Lors du scrutin public n° 284 sur l’article 8, je souhaitais voter contre.

M. le président. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.

5

Candidatures à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

6

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à la reconnaissance du génocide ukrainien de 1932-1933
Discussion générale (suite)

Génocide ukrainien de 1932-1933

Adoption d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution relative à la reconnaissance du génocide ukrainien de 1932-1933, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mme Joëlle Garriaud-Maylam et plusieurs de ses collègues (proposition n° 200).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, auteur de la proposition de résolution.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à la reconnaissance du génocide ukrainien de 1932-1933
Discussion générale (fin)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer la présence annoncée dans les tribunes de M. Vadym Omelchenko, ambassadeur d’Ukraine en France, et de son conseiller politique Oleksander Shuitsy. (M. Claude Malhuret applaudit.) Leur présence nous honore.

Je tiens à les remercier tous deux de leur engagement exceptionnel au service de leur pays et des relations franco-ukrainiennes. Ils sont à l’image du peuple ukrainien, que je salue, si vaillant et qui nous donne chaque jour une leçon de courage et de détermination dans la défense de ses valeurs et des nôtres, valeurs de démocratie et de souveraineté.

Je tiens aussi à rendre hommage au travail de notre ambassadeur à Kiev, Étienne de Poncins, de ses équipes et de tous les Français – élus, enseignants ou membres d’ONG humanitaires – qui ont choisi de rester en Ukraine, malgré le danger, pour aider ce pays qui nous est si cher.

Nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre – enfin ! – d’une proposition de résolution sur l’Holodomor, déposée au Sénat le 9 décembre dernier et cosignée par nombre de nos collègues, au premier rang desquels Nadia Sollogoub, présidente du groupe d’amitié France-Ukraine, dont je salue l’engagement sans faille auprès de ce pays martyrisé.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Il a fallu beaucoup de temps, hélas, pour parvenir à l’examen de cette proposition de résolution par notre assemblée.

Nous espérions que la France serait le premier pays à adopter une telle résolution condamnant le génocide perpétré contre le peuple ukrainien en 1932 et 1933. Mais plusieurs autres résolutions, déposées au Sénat après la nôtre, ont été examinées avant, et l’Assemblée nationale a adopté une résolution reconnaissant l’Holodomor comme génocide, pourtant déposée deux mois après la nôtre.

Je regrette donc l’inscription tardive de notre proposition de résolution à l’ordre du jour de la Haute Assemblée, mais l’essentiel est d’avancer et de voter cette résolution très attendue par nos amis ukrainiens.

Elle a été saluée par le président du parlement ukrainien, notre estimé collègue Ruslan Stefanchuk, qui nous a fait l’honneur de s’adresser à nous le 1er février dernier, depuis cette tribune de l’hémicycle. Il avait alors insisté sur l’importance de notre vote.

Je me félicite donc que le Sénat débatte aujourd’hui de cette proposition de résolution et j’espère que nous l’adopterons, suivant en cela le Parlement européen, l’Assemblée nationale, le 28 mars dernier, et de très nombreux autres parlements européens – notamment tchèque, irlandais, belge, allemand, polonais et islandais.

Notre vote est essentiel, car l’histoire éclaire aussi le présent, et des parallèles évidents peuvent être tracés entre la situation ukrainienne actuelle et celle d’il y a quatre-vingt-dix ans.

L’Holodomor, « extermination par la faim », est la famine organisée par le pouvoir stalinien avec méthode et cynisme en 1932 et 1933, en représailles aux tentatives de libération du peuple ukrainien, qui réclamait, dès 1917, la création d’un État démocratique et indépendant face à la dictature du prolétariat de la Russie bolchevique.

C’est le peuple ukrainien, sa culture, sa langue et tout simplement son essence que l’on a cherché à détruire. Chaque vie humaine perdue devait signer la victoire du totalitarisme soviétique sur un peuple trop épris de liberté et d’indépendance aux yeux du Kremlin.

Les millions de morts – 9 millions selon certains historiens –, hommes, femmes et enfants, tous immolés au nom d’une idéologie mortifère, témoignent chacun de l’horreur qu’un pouvoir sanguinaire peut déchaîner, pensant agir en toute impunité.

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », disait Albert Camus. Alors, disons-le, il y a eu génocide : la famine systématiquement organisée dans les campagnes, avec l’interdiction faite aux paysans de se réfugier dans les villes un peu mieux approvisionnées, mais aussi les exécutions systématiques de résistants et la déportation de centaines de milliers d’enfants en Russie pour les priver de leur identité et de leur langue sont clairement constitutives d’un génocide.

Le juriste international Raphaël Lemkin, qui a défini le génocide en amont du procès de Nuremberg, puis en a précisé les critères dès 1948, avait qualifié l’Holodomor d’« exemple classique de génocide soviétique ». Sans surprise, la Russie rejette la qualification de génocide.

Bien sûr, cette reconnaissance de génocide ne mettra pas un terme aux malheurs de l’Ukraine, intolérablement agressée par la Russie de Poutine, mais elle contribuera à atténuer les souffrances des Ukrainiens en leur manifestant notre indéfectible soutien. Elle montrera également à la Russie et au monde que nous ne sommes ni naïfs ni ignorants des faits historiques. Enfin, elle freinera la tentation russe de rééditer l’inacceptable.

C’est tout le sens des propos du président Zelensky lors de la commémoration du 90e anniversaire de ce génocide. Le 26 novembre 2022, il a dressé un glaçant parallèle entre hier et aujourd’hui et déclaré : « Autrefois, ils voulaient nous détruire par la faim, aujourd’hui ils veulent nous détruire par l’obscurité et le froid. » Il a également incité les nations à témoigner leur soutien et leur solidarité avec l’Ukraine en reconnaissant enfin l’Holodomor comme un génocide.

L’impunité est intolérable. Je me réjouis du soutien de la France, réitéré par le Président de la République dimanche soir, à la création d’un tribunal ad hoc chargé de poursuivre les responsables des crimes d’agression contre l’Ukraine, ainsi que l’assemblée parlementaire de l’Otan l’avait réclamé dans une résolution de mai 2022.

Les auteurs de ces crimes ignobles, que nous pouvons qualifier de « terroristes », devront répondre de leurs actes, tout comme nous assignons aujourd’hui devant l’histoire ceux qui ont perpétré l’Holodomor.

Mes chers collègues, la dénonciation des atteintes aux droits humains, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité a toujours été, au sein de cet hémicycle, une exigence qui nous rassemble, bien au-delà des partis et des différences.

C’est pourquoi j’en appelle à votre sens de la responsabilité pour soutenir unanimement cette résolution. Reconnaître l’Holodomor comme un génocide, c’est nous opposer fermement aux forces du déni, de l’indifférence et de l’injustice ; c’est affirmer notre solidarité avec le peuple ukrainien ; c’est lui offrir la reconnaissance qu’il mérite pour sa résilience face aux nombreuses tragédies qu’il a traversées au cours de son histoire, et encore actuellement.

Les drapeaux rouges ne flottent plus sur les ruines des villes martyres de l’Est ukrainien, mais ce sont bien de nouveau des décideurs terrés dans les alcôves du Kremlin qui organisent l’agression de tout un peuple.

Chaque jour, nous recevons les témoignages accablants de viols et d’actes de torture et de cruauté commis par les troupes russes et les mercenaires sanguinaires de Wagner. Destinés à briser la résistance du peuple d’Ukraine, ces actes nous rappellent les méthodes barbares des autorités soviétiques il y a quatre-vingt-dix ans.

Aujourd’hui, comme hier, à l’heure d’établir les responsabilités, nous devons faire résolument face à la vérité et qualifier les faits aussi précisément que possible.

Oui, l’Holodomor est un génocide. Il en présente toutes les caractéristiques détaillées à l’article II de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948.

Le 17 avril dernier, la proposition de résolution déposée par André Gattolin condamnant les déportations d’enfants ukrainiens – près de 740 000 selon les autorités russes –, dont j’eus l’honneur d’être rapporteure, est devenue résolution du Sénat après avoir été adoptée à l’unanimité par la commission des affaires étrangères.

J’espère que la main du Sénat ne tremblera pas non plus aujourd’hui. C’est pourquoi je vous exhorte, mes chers collègues, à voter solennellement et avec une même unanimité cette résolution.

Joignons nos voix à celles de nos collègues parlementaires de toute l’Union européenne et de l’Ukraine. Rappelons avec force que nous n’accepterons jamais l’intolérable et que, hier comme aujourd’hui, ceux qui pensent pouvoir porter atteinte à l’humanité trouveront toujours sur leur chemin les représentants de la France, patrie des droits de l’Homme, nation des Lumières et indéfectible soutien de la liberté et des valeurs démocratiques partout dans le monde.

Je conclurai en évoquant une affiche ukrainienne de 1918. On y voit une jeune paysanne ukrainienne protégeant son bébé et les champs derrière elle d’un vautour, avec ces mots : « Je ne veux pas de ce qui ne m’appartient pas, mais je ne vous laisserai jamais me voler ce qui est à moi. »

Mes chers collègues, au nom de notre histoire et des valeurs qui sont les nôtres, par respect pour le peuple ukrainien qui nous donne chaque jour l’exemple du courage et de la détermination et refuse de se laisser anéantir par plus gros et apparemment plus fort que lui, malgré les millions de morts de l’Holodomor et la perte tragique de nombre de ses enfants aujourd’hui, notre devoir moral est de voter cette résolution, pour l’Ukraine et pour nos valeurs. Il y va de notre honneur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDPI, RDSE et SER.)

M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la résolution de notre collègue Garriaud-Maylam vise à reconnaître comme génocide l’Holodomor, véritable extermination par la famine conduite par Staline, qui fit plus de 4 millions de morts ukrainiens, soit 15 % de la population, entre l’été 1932 et l’été 1933. Nous en débattons alors même que la guerre fait rage en Ukraine.

On employa la terreur : collectivisation forcée, réquisition des récoltes, russification, enfants déplacés – déjà ! –, exécutions. Ces actes de barbarie frappèrent la population ukrainienne sans distinction, depuis les paysans jusqu’aux intellectuels.

Selon les historiens, le régime stalinien eut recours à ces méthodes dès 1929, afin d’accaparer les richesses agricoles des terres noires ukrainiennes, en grande partie pour financer l’industrialisation rapide du pays. En anéantissant toute velléité d’indépendance de l’Ukraine, grenier à blé de l’Union soviétique, il affermissait son contrôle sur cette république soviétique.

La famine fut la conséquence de l’extrême violence politique visant à briser les paysans résistant à la collectivisation, au travers de la confiscation des semences ou du blocus des villages affamés. La population en vint au cannibalisme, alors même que le régime continuait d’exporter des tonnes de céréales ukrainiennes.

Nul doute que ces crimes additionnés constituent un génocide au sens du droit international. Le président de l’Assemblée générale des Nations unies rappelait récemment qu’un génocide est un processus graduel, « les discours de haine, la déshumanisation des autres et les violations récurrentes de leurs droits sont des précurseurs d’atrocités de masse. […] Le germe du génocide prolifère lorsque l’État de droit s’effondre. »

Staline a organisé l’extermination de la population ukrainienne, entretenant méthodiquement la terreur, comme l’ont fait aussi d’autres États génocidaires, contre les Arméniens entre 1915 et 1923, contre les Juifs lors de la Shoah, contre les Tutsis au Rwanda en 1994, au Cambodge ou encore dans l’ex-Yougoslavie.

Quatre-vingt-dix ans après les faits, dix ans après le début du conflit dans le Donbass et l’annexion de la Crimée, cette page sombre de l’histoire ukrainienne résonne avec une actualité glaçante. Ce pays indépendant est devenu le terrain d’une guerre totale depuis son invasion par l’armée russe, le 24 février 2022.

Toute guerre se joue aussi sur le terrain de l’information, ou de la désinformation. En qualifiant les dirigeants ukrainiens de « nazis », le régime russe actuel cherche à réviser l’histoire.

Certes, ces enjeux mémoriels n’assureront pas la victoire de l’État ukrainien, mais les batailles se mènent aussi sur ce terrain symbolique.

Est-ce un hasard si le site internet de l’Assemblée nationale a été visé par une cyberattaque revendiquée par des hackers russes, le 27 mars dernier, veille des débats sur la reconnaissance de l’Holodomor comme génocide ? Et que dire de celle qui a été subie par le site internet du Sénat la semaine dernière ?

Voilà une motivation supplémentaire pour conduire les batailles sur le terrain mémoriel et exercer pleinement notre devoir de mémoire.

Nous pourrons ainsi contribuer, avec nos alliés, à ce qu’aucune forme de révisionnisme ne vienne effacer de l’histoire européenne ces crimes commis par le régime stalinien.

Un marqueur démocratique fort, pour tout État-nation, est de reconnaître les crimes du passé, afin qu’ils ne se répètent pas.

Comme le rappelait notre collègue André Guiol à cette tribune, le 4 mai dernier, à propos de la résolution sur la déportation par le pouvoir russe actuel de milliers d’enfants ukrainiens, voter cette proposition de résolution, « c’est répondre aux tentatives d’effacement de la mémoire collective, car dans la guerre informationnelle qui se joue, il est impératif de qualifier avec justesse les crimes commis, hier et aujourd’hui ».

Suivons l’exemple du Parlement européen, du Bundestag, de la Chambre des représentants de Belgique et de nos collègues députés, et votons cette résolution visant à qualifier de « génocide » les crimes barbares de l’Holodomor ukrainien et à les inscrire dans l’histoire.

Il y va aussi de notre devoir d’humanité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. Olivier Paccaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est un abîme infernal, une question diabolique que l’humanité aurait préféré ne jamais se poser : jusqu’où l’homme peut-il perdre l’âme ?

Certes, l’histoire de l’humanité a été sanglante et guerrière. Mais si la chronique des millénaires relate avant tout une danse macabre d’escapades militaires, le XXe siècle fut le théâtre d’une sorte d’apothéose du mal, avec ses massacres de masse, ses crimes contre l’humanité, ses génocides – le martyr arménien, la Shoah, la folie des Khmers rouges, le Rwanda, sans oublier l’Holodomor.

Évidemment, avant 1900, la cruauté et l’inhumanité ont pu aussi régner. Aucune terre n’a été épargnée. Et certainement pas notre sol de France, où la Saint-Barthélemy vit la Seine se transformer en un fleuve de sang, où la terreur révolutionnaire et les colonnes infernales de Turreau plongèrent la Vendée dans un bain de feu. Mais la spécificité maléfique des génocides du XXe siècle, c’est leur organisation, leur planification, l’horlogerie du crime jusque dans la mise en scène de sa négation.

Nous sommes réunis aujourd’hui pour lever un voile, et même un marbre obscène, qui recouvre cette page terrifiante du passé de l’Ukraine.

Alors que certains hier, et d’autres aujourd’hui, refusent de reconnaître la réalité et l’intentionnalité de ces atrocités, il est de notre devoir de rétablir cette vérité glaçante : en 1932 et 1933, des millions d’Ukrainiens, avant tout paysans, ont été condamnés à la mort par la faim.

Si l’oubli est une seconde mort, le déni est un second crime. Oui, Staline et ses sicaires savaient que la famine avait passé son nœud coulant sur les campagnes d’Ukraine.

Oui, Staline et ses diables voulaient éradiquer, faire disparaître, ces paysans : ils ont pris des décisions à cette fin.

Le « petit père des peuples » a eu beau nier, parler de « fables » pour rejeter les accusations, ciseler une contre-propagande grossière avec des tournées-mascarades de personnalités occidentales, comme Édouard Herriot, découvrant une Ukraine où tout allait bien, la guillotine sèche s’est abattue sur des millions d’Ukrainiens. On ne connaîtra jamais leur nombre exact.

La guillotine sèche, c’est l’arme du bourreau qui ne veut pas voir ses mains souillées du sang de ses victimes, du bourreau ignoble et tartuffe qui ose croire que son péché sera invisible : pas de sang, pas de crime.

Si, à la différence de la Shoah, l’Holodomor n’a pas sa conférence de Wannsee, il repose sur quelques décisions politiques du gouvernement de l’URSS dénuées de toute ambiguïté.

Tout d’abord, la tristement célèbre « loi des épis » du 7 août 1932, qui punit de déportation ou de mort « tout vol ou dilapidation de la propriété socialiste », ne serait-ce que la simple appropriation de quelques épis dans un champ. C’est ainsi que 125 000 malheureux affamés ont été condamnés, dont 5 400 à la peine capitale.

Ensuite, les circulaires des 27 décembre 1932 et 22 janvier 1933, assignant de fait les paysans ukrainiens à résidence et les empêchant de fuir la famine.

Pendant ce temps, cyniquement, l’URSS de Staline exportait des millions de tonnes de céréales, notamment ukrainiennes, pour financer son industrialisation à marche forcée.

Les négationnistes, parmi lesquels de prétendus historiens très souvent idéologiquement marqués, arguent d’une famine bien réelle qui frappait alors nombre de territoires soviétiques, n’épargnant presque que les dignitaires du Kremlin et les responsables communistes ayant échappé aux premières purges. Mais une famine, même largement répandue, ne saurait ni excuser ni masquer la volonté délibérée d’extermination, de « dékoulakisation » ukrainienne.

Désormais, plus personne ne doit ignorer le témoignage du journaliste gallois Gareth Jones, porté à l’écran en 2019 dans le bouleversant film d’Agnieszka Holland, LOmbre de Staline, ni les photographies de l’ingénieur Alexander Wienerberger.

Mes chers collègues, l’Holodomor, comme la Shoah et tous les autres génocides, apparaît comme le mal absolu et le refus même de la civilisation. Souvenons-nous du cinquième commandement du Décalogue : « Tu ne tueras point », mais aussi du huitième : « Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain. »

« Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les flambeaux », a écrit Victor Hugo. À nous, aujourd’hui, dans cet hémicycle, comme d’autres parlementaires européens l’ont fait, de servir non pas le devoir, mais l’impératif de mémoire et de vérité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDSE, RDPI et SER.)