Sommaire

Présidence de M. Roger Karoutchi

Secrétaires :

Mme Esther Benbassa, M. Daniel Gremillet.

1. Procès-verbal

2. Questions d’actualité au Gouvernement

examen à l’assemblée nationale d’une proposition de loi abrogeant la réforme des retraites

M. Guillaume Gontard ; Mme Élisabeth Borne, Première ministre ; M. Guillaume Gontard.

suicide de lindsay dans le pas-de-calais et harcèlement scolaire

Mme Colette Mélot ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels.

situation dans le haut-karabagh

M. Bruno Retailleau ; Mme Élisabeth Borne, Première ministre ; M. Bruno Retailleau.

plan de lutte contre les fraudes sociales

Mme Nathalie Goulet ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; Mme Nathalie Goulet.

parcoursup

M. Pierre Ouzoulias ; Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche ; M. Pierre Ouzoulias.

fraude sociale

M. Bernard Buis ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; M. Bernard Buis.

tribune du journal le monde visant le professeur raoult

M. Bernard Jomier ; M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention ; M. Bernard Jomier.

recours à l’alphabet inclusif durant un examen universitaire

M. Bernard Fialaire ; Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

lutte contre le trafic de stupéfiants dans les villes moyennes

M. Jean-François Husson ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Jean-François Husson.

pacte enseignant

Mme Florence Blatrix Contat ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels ; Mme Florence Blatrix Contat.

écriture inclusive à l’université de lyon

M. Étienne Blanc ; Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche ; M. Étienne Blanc.

interdiction programmée des chaudières à gaz

M. Michel Canévet ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique ; M. Michel Canévet.

scolarisation des enfants porteurs de handicap à prise en charge complexe

Mme Kristina Pluchet ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées ; Mme Kristina Pluchet.

diffusion de la coupe du monde féminine de football

M. Jean-Jacques Lozach ; M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.

fermeture de centres hospitalo-universitaires

Mme Florence Lassarade ; M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention ; Mme Florence Lassarade.

délais d’obtention des passeports et cartes nationales d’identité

Mme Lana Tetuanui ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Lana Tetuanui.

Suspension et reprise de la séance

3. Mise au point au sujet d’un vote

4. Candidatures à une commission mixte paritaire

5. Débat sur le bilan de l’application des lois

Mme Pascale Gruny, président de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement

Débat interactif

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Christian Cambon.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement ; Mme Catherine Deroche.

Mme Marta de Cidrac, vice-présidente de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement.

Mme Catherine Di Folco, vice-président de la commission des lois ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Yves Roux ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement.

M. André Reichardt ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement.

M. Alain Marc ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement.

M. Guy Benarroche ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement.

M. Bernard Buis ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement.

M. Hussein Bourgi ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement.

Mme Éliane Assassi ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement.

Mme Amel Gacquerre ; M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement.

6. Débat sur la gestion des déchets dans les outre-mer. – Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Mme Gisèle Jourda, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Mme Viviane Malet, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Mme Micheline Jacques

M. Jean-Louis Lagourgue

M. Jacques Fernique

M. Georges Patient

Mme Gisèle Jourda

M. Gérard Lahellec

Mme Lana Tetuanui

M. Stéphane Artano

Mme Marta de Cidrac

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Conclusion du débat

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Suspension et reprise de la séance

7. Accès aux services publics. – Adoption d’une proposition de résolution

Discussion générale :

M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de résolution

M. Daniel Chasseing

M. Paul Toussaint Parigi

M. Didier Rambaud

M. Patrice Joly

Mme Michelle Gréaume

M. Jean-Marie Mizzon

Mme Maryse Carrère

M. Antoine Lefèvre

Mme Martine Filleul

Mme Denise Saint-Pé

Mme Martine Berthet

M. Guillaume Chevrollier

M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques

Clôture de la discussion générale.

Texte de la proposition de résolution

Vote sur l’ensemble

Adoption de la proposition de résolution.

8. Ordre du jour

Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

compte rendu intégral

Présidence de M. Roger Karoutchi

vice-président

Secrétaires :

Mme Esther Benbassa,

M. Daniel Gremillet.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.

examen à l’assemblée nationale d’une proposition de loi abrogeant la réforme des retraites

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. Guillaume Gontard. Madame la Première ministre, j’avais prévu de vous interpeller avec véhémence pour dénoncer les manœuvres auxquelles se livrent votre gouvernement et vos alliés pour empêcher un vote en séance plénière de l’Assemblée nationale, quand bien même serait-il symbolique, sur le report de l’âge légal de la retraite.

Cependant, au regard des événements consternants survenus ce matin à l’Assemblée nationale, c’est avec une profonde gravité que je m’adresse à vous. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Madame la Première ministre, les droits des oppositions politiques sont le fondement même de la démocratie. C’est à l’aune de ces droits que l’on juge de la qualité d’une démocratie. Notre pays, à tous les échelons, national ou locaux, fait déjà pâle figure, avec une hypertrophie des pouvoirs exécutifs et des assemblées réduites à leur seule fonction tribunitienne.

M. Marc-Philippe Daubresse. Vous avez passé votre temps à faire de l’obstruction… Pyromane !

M. Guillaume Gontard. Pour tous nos partenaires européens, régimes parlementaires rompus à la négociation et à une certaine culture du compromis, notre régime politique est une incongruité, pour ne pas dire une aberration.

Dernière manifestation en date d’une culture politique très différente, le président du Gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, remet son mandat en jeu après avoir perdu une élection municipale.

Rien de tel chez nous, où le Gouvernement avance en écrasant toute contestation devant lui.

Ce matin, c’est bien plus que la bataille des retraites qui s’est jouée à l’Assemblée nationale. En torpillant une initiative parlementaire de l’opposition, en bafouant le droit d’amendement,…

M. Marc-Philippe Daubresse. Vous passez votre temps à faire de l’obstruction !

M. Guillaume Gontard. … en transformant le corset de l’article 40 de la Constitution en véritable étau, vous créez un précédent délétère qui menace de réduire à néant le droit d’expression déjà famélique des parlementaires.

Madame la Première ministre, vous qui êtes une démocrate – vous l’avez clamé ici même en juillet 2022 –, comment pouvez-vous tolérer la dérive autoritaire dans laquelle le Président de la République vous enferme ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Gontard, je suis souvent surprise d’entendre ceux qui se disent défenseurs du Parlement être les premiers à en refuser les règles. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Monsieur le président Gontard, revenons-en aux faits. L’examen de la réforme des retraites a eu lieu, avec 175 heures de débat parlementaire. Elle a été votée par deux fois par le Sénat, et le Conseil constitutionnel s’est prononcé très clairement sur la conformité de l’essentiel du texte à notre Constitution et sur le rejet de deux demandes de référendum d’initiative partagée qui visaient à l’abroger.

La proposition de loi dont vous parlez, et qui fait actuellement l’objet d’un examen par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, aggraverait considérablement les charges publiques et réduirait les recettes. Cela contrevient de façon évidente à l’article 40 de la Constitution, et vous le savez, monsieur Gontard.

Personne n’est dupe de la manœuvre qui se joue. Comme vous en appelez au respect du Parlement et au débat, je vous renvoie à ces principes. Ce matin, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a voté pour supprimer l’article de la proposition de loi qui visait à abroger la réforme des retraites. C’est un vote clair et démocratique, mais, immédiatement après, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) a répondu par l’obstruction, avec le dépôt de 3 000 sous-amendements, pour empêcher un vote final en commission. (Eh oui ! sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Rémi Cardon et Mme Michelle Gréaume protestent.)

M. Marc-Philippe Daubresse. Pompiers pyromanes !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. La réalité, c’est que lorsque le résultat d’un vote déplaît à la Nupes, elle n’a qu’une réponse : l’obstruction.

De mon côté, je crois en notre Constitution et je respecte le travail du Parlement. Aussi, je souhaite que l’examen de la proposition de loi puisse aller à son terme dans de bonnes conditions et que le contrôle de la recevabilité des amendements puisse s’exercer normalement, dans la sérénité. En somme, je ne souhaite qu’une chose : le respect de nos règles et du débat parlementaire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.

M. Guillaume Gontard. Madame la Première ministre, l’obstruction, c’est vous : tordre les règles, ce n’est pas appliquer les règles ! (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.) Vous auriez pu entrer dans l’Histoire en ouvrant une page nouvelle de notre république parlementaire, mais vous y entrerez, hélas ! comme une fossoyeuse de la démocratie française. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE. – Protestations sur des travées des groupes UC, RDPI, INDEP et Les Républicains.)

suicide de lindsay dans le pas-de-calais et harcèlement scolaire

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Colette Mélot. « Je ne serai pas là demain ! » Ce sont les derniers mots de Lindsay, 13 ans, adressés par message à l’une de ses camarades de classe. Le 12 mai dernier, Lindsay a décidé de mettre fin à ses jours, parce que la vie lui était devenue insupportable. Treize ans, c’est normalement l’âge de l’insouciance et de la joie de vivre. Mais, pour elle, c’était l’enfer, parce qu’un groupe d’élèves la harcelait au collège et sur les réseaux sociaux avec une violence inouïe.

Lindsay vient ainsi compléter une liste déjà beaucoup trop longue : chaque année, près d’un million d’élèves sont victimes de harcèlement scolaire et une vingtaine d’entre eux commettent l’irréparable. Madame la ministre, il faut que cela cesse !

Avec ma collègue Sabine Van Heghe, qui vit ce drame dans son département, j’ai remis un rapport sur le sujet à M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale. Ce rapport comprend trente-cinq préconisations autour de trois priorités : prévenir, détecter les cas et les traiter systématiquement et sans délai.

Madame la ministre, ce type de situation se traite dans l’urgence. Dès qu’un cas de harcèlement apparaît, tous les acteurs concernés doivent immédiatement agir, sans minimiser les faits. Le cyberharcèlement fait son œuvre très rapidement en démultipliant les conséquences graves, l’enfant n’ayant plus de répit, même dans la sphère privée.

Le programme de lutte contre le harcèlement à l’école (pHARe) a le mérite d’exister, mais il est malheureusement encore loin d’être appliqué dans tous les établissements.

Malgré tous les efforts déployés, force est de constater que tout n’est pas mis en œuvre pour sauver les enfants victimes de harcèlement. Dans le cas de Lindsay, la situation était parfaitement connue dans l’établissement.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Colette Mélot. Mais quelle aide cette jeune fille a-t-elle reçue ? A-t-on vraiment tiré les leçons des drames précédents ?

Madame la ministre, quelles mesures concrètes comptez-vous mettre en œuvre immédiatement ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – Mmes Sabine Van Heghe et Cathy Apourceau-Poly, ainsi que M. Xavier Iacovelli, applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de linsertion et du ministre de léducation nationale et de la jeunesse, chargée de lenseignement et de la formation professionnels. Mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Colette Mélot, permettez-moi tout d’abord d’adresser mon entier soutien et toutes mes pensées à la famille de Lindsay. Nous avons fait, vous le savez, de la lutte contre le harcèlement une priorité, et je sais, madame la sénatrice, que nous partageons ce combat et que vous êtes impliquée sur ce sujet depuis longtemps.

Nous concentrons tous nos efforts pour lutter contre ce fléau : délictualisation du harcèlement ; généralisation du plan pHARe dans toutes les écoles primaires, les collèges et les lycées dès la rentrée 2023 ; formation de très grande ampleur pour tous les personnels à la prévention, à la détection et à la prise en charge du harcèlement ; diffusion large des numéros verts 3018 et 3020.

Le ministre de l’éducation nationale a par ailleurs annoncé très récemment une procédure spécifique – le décret sera publié en juillet –, pour déplacer l’élève harceleur, comme l’avait proposé Mme la sénatrice Marie Mercier.

Et pourtant, malheureusement, nous sommes de nouveau face à un drame depuis le suicide de Lindsay. À l’automne dernier, sa mère avait interpellé la direction de l’établissement, parce que la jeune fille était victime de violences et de moqueries de la part d’une autre élève de son collège. Cette dernière avait fait l’objet d’une exclusion de trois jours, puis, en raison d’une récidive, elle avait été exclue définitivement du collège à la fin du mois de février.

Ensuite, il semblait que la situation s’était apaisée, mais le cyberharcèlement que vous évoquez a continué, à l’abri des regards et du contrôle des adultes et des personnels enseignants. C’est un point fondamental sur lequel nous devons continuer à travailler, comme vous l’avez souligné dans votre rapport sur le harcèlement. En effet, ce n’est que trois jours avant ce geste fatal que l’équipe du collège a de nouveau été alertée sur la situation de Lindsay, mais cela n’a pas suffi. Aujourd’hui, des poursuites pénales sont engagées, et quatre adolescents, ainsi qu’un adulte, ont été mis en examen.

Du côté de l’éducation nationale, le ministre a missionné l’inspection générale pour mener une enquête administrative. Sachez, madame la sénatrice, que l’éducation nationale et ses personnels mettent tout en œuvre pour éviter ces drames. Restons tous solidaires et mobilisés contre ce fléau. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Guylène Pantel applaudit également.)

situation dans le haut-karabagh

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Madame la Première ministre, c’est à vous que je veux m’adresser, et, à travers vous, au Président de la République, pour soutenir dans cet hémicycle une cause juste, celle d’un petit peuple oublié qui a été victime d’un génocide voilà plus d’un siècle. Ce peuple est de nouveau aux prises avec une tentative d’épuration ethnique, culturelle et religieuse.

Comme vous le savez, depuis près de six mois, l’Azerbaïdjan bloque le corridor de Latchine, qui relie le Haut-Karabagh à l’Arménie, transformant ainsi ce petit territoire en prison à ciel ouvert.

Le 22 février, la Cour internationale de justice a sommé l’Azerbaïdjan de lever ce blocus qui met en danger la vie de 120 000 Arméniens, dont 30 000 enfants. C’est dans ce contexte que l’Arménie, défaite par la guerre des 44 jours, le sabre sous la gorge, sa souveraineté désormais mise en jeu, son intégrité territoriale menacée, pourrait envisager d’abandonner le Haut-Karabagh.

Dans ces conditions, madame la Première ministre, je voudrais vous poser deux questions, auxquelles, dans un geste transpartisan, j’associe mon collègue Gilbert-Luc Devinaz, qui préside le groupe d’amitié France-Arménie.

La France a toujours fait du principe d’autodétermination des peuples un principe cardinal de toute sa politique étrangère, notamment s’agissant du Haut-Karabagh. Est toujours le cas ?

L’épuration ethnique n’a jamais été aussi imminente. Qu’allez-vous faire pour l’empêcher ? (Applaudissements prolongés.)

M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le sénateur Bruno Retailleau, la France, avec ses partenaires, est pleinement engagée en faveur d’un règlement durable du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Nous suivons la situation avec la plus grande attention, et je sais votre mobilisation sur ce sujet.

La ministre de l’Europe et des affaires étrangères s’est rendue dans la région à la fin du mois d’avril pour appeler les parties à reprendre les discussions, qui étaient alors bloquées. Aujourd’hui, sous l’égide de l’Union européenne, les négociations de paix reprennent. C’est un signal encourageant, et nous saluons à cet égard le rôle actif des États-Unis, avec lesquels nous nous coordonnons étroitement.

Monsieur le président Retailleau, notre pays est engagé au plus haut niveau pour la paix dans la région. Demain, en marge du sommet de la Communauté politique européenne de Chisinau, le Président de la République sera aux côtés du chancelier Scholz et de Charles Michel pour une réunion avec le premier ministre arménien et le président azerbaïdjanais.

Il existe aujourd’hui une voie pour la paix. Elle passe par la reconnaissance mutuelle de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des deux pays, ainsi que par la délimitation de la frontière commune. Nous saluons à cet égard les déclarations du premier ministre arménien Nikol Pachinian.

Dans ce conflit, la France n’oublie pas les enjeux humanitaires et les conséquences du blocage persistant du corridor de Latchine. Aussi, nous n’avons eu de cesse de rappeler la nécessité de mettre en œuvre la décision de la Cour internationale de justice du 22 février.

Plus particulièrement, monsieur Retailleau, vous avez raison d’évoquer les droits et garanties des populations du Haut-Karabagh, qui doivent pouvoir vivre en paix et en sécurité. Vous pouvez compter sur le plein engagement de la France pour continuer à chercher des solutions durables pour la paix dans la région. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour la réplique.

M. Bruno Retailleau. Madame la Première ministre, je sais l’engagement de la France et je reconnais la mobilisation du Président de la République, mais, aujourd’hui, nous devons faire plus, car nous sommes à la veille d’une tragédie. Nous le devons aux Arméniens, ce peuple frère, avec lequel nous partageons tant de notre Histoire, des liens d’affection comme de civilisation : les mélodies de Charles Aznavour ; les compositions de Michel Legrand ; les films d’Henri Verneuil, dont le prénom de naissance était Achod ; l’héroïsme de Manouchian, qui, bientôt, sans doute, entrera par la grande porte au Panthéon.

M. le président. Il faut conclure !

M. Bruno Retailleau. C’est la raison pour laquelle, je le répète, nous devons faire beaucoup plus. Nous avons des devoirs qui nous obligent, madame la Première ministre. (Applaudissements.)

M. le président. Il y a des questions plus importantes que d’autres, et peut-être plus difficiles.

plan de lutte contre les fraudes sociales

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste.

Mme Nathalie Goulet. C’est une question difficile, en effet.

Monsieur le ministre chargé des comptes publics, vous avez présenté hier votre plan de lutte contre la fraude sociale. Je souhaite d’abord vous remercier de reconnaître qu’il s’agit d’une fraude aux finances publiques, qu’il convient de traiter comme telle. Je fais ce rappel d’autant plus volontiers que j’ai été traitée dans cet hémicycle de menteuse (Exclamations amusées sur les travées des groupes UC et Les Républicains.) et de suppôt du Rassemblement national par un ministre de votre majorité lorsque j’avais osé évoquer ce sujet voilà quelques années.

Quatre ans plus tard, les graves dysfonctionnements demeurent, et les fraudes sont évaluées entre 6 milliards et 8 milliards d’euros, fourchette basse.

La Cour des comptes relève le taux important de fraude documentaire et demande la sécurisation de l’immatriculation des bénéficiaires, faute de quoi vous construirez sur du sable.

Vous présentez des mesures ponctuelles utiles, mais vous abandonnez la voie de la biométrie, votée deux fois ici, au Sénat, pour un système de fusion entre la carte nationale d’identité (CNI) et la carte Vitale. Il y aurait, entend-on, des voix discordantes au sein du Gouvernement au sujet de cet outil, dont la mise en chantier prendra des années.

Pouvez-vous nous indiquer le calendrier de mise en place de cette mesure et justifier ainsi votre choix, compte tenu du temps qu’il faut aujourd’hui en France pour avoir une CNI ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Nathalie Goulet, la lutte contre la fraude sociale, comme la lutte contre la fraude fiscale, est fondamentale. Quand on parle de lutter contre la fraude sociale, on parle tout simplement de garder le contrôle sur notre modèle social, en retrouvant la maîtrise de ce que l’on donne et de la qualité de bénéficiaire.

Madame la sénatrice, je voudrais commencer ma réponse en vous remerciant, vous qui travaillez depuis de nombreuses années sur ce sujet. Vous avez ainsi rédigé un rapport très important en 2019 avec ma collègue Carole Grandjean, qui était députée à l’époque. Vous avez également participé au groupe de travail que j’ai mis en place pour l’élaboration de ce plan, dont plusieurs mesures viennent directement de propositions que vous aviez faites. Je n’en citerai qu’une : à partir du 1er juillet prochain, nous ne verserons plus d’allocations sociales sur des comptes bancaires étrangers. C’est vous qui aviez fait cette proposition et nous l’avons reprise.

Vous m’interrogez sur la carte Vitale biométrique. En effet, c’est une proposition qui a été faite à plusieurs reprises ici même. Nous avons confié à l’inspection générale des affaires sociales (Igas) et à l’inspection générale des finances (IGF) une mission sur le sujet. Le rapport, qui a été remis voilà quelques jours, est à votre disposition. Que dit ce rapport ? D’abord, une telle mesure coûterait très cher, à savoir 250 millions d’euros par an. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Ensuite, il y a de vrais freins juridiques, tant et si bien que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) s’y oppose. (Mêmes mouvements.) Enfin, il y a des obstacles pratiques : les syndicats de médecins disent eux-mêmes dans le rapport qu’ils s’y opposent. Par ailleurs, si vous êtes cloué au lit, ce sera compliqué d’envoyer un proche chercher vos médicaments à la pharmacie, car il faudra donner vos empreintes. (Ce nest pas le sujet ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

La mission Igas-IGF recommande une autre voie de sécurisation de la carte Vitale en faisant migrer celle-ci sur la carte nationale d’identité. C’est cette voie que nous avons décidé de suivre. Cela permettra de lutter davantage contre la fraude à l’identité pour l’accès aux soins dans notre pays, par exemple à travers du tourisme médical illégal.

M. Michel Savin. Très bien !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Gérald Darmanin, François Braun et moi-même venons de lancer une mission de préfiguration pour déterminer le calendrier et les modalités de cette réforme.

M. Jean-François Husson. Il serait temps !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. L’objectif, c’est d’aller vite sans qu’il y ait de rupture dans l’accès aux soins et aux droits pour les Français.

Nous savons qu’il y a des difficultés aujourd’hui pour renouveler ses titres d’identité et une telle bascule ne peut s’envisager tant que nous ne sommes pas revenus à la normale, même si la Première ministre a annoncé des moyens très importants pour mettre fin à cette situation.

M. le président. Il faut conclure !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. La mission de préfiguration sera lancée d’ici à l’été et des propositions nous seront remises. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Pierre Louault applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, il y a des mesures urgentes à prendre. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il n’y a absolument pas de lien, par exemple, entre le titre de séjour en France et les droits sociaux. Ainsi, une personne dont le titre de séjour est expiré voit sa carte Vitale continuer à fonctionner.

Dans son rapport du 24 mai dernier, la Cour des comptes indique qu’on recense 58 millions de cartes actives, soit un excédent de 2,6 millions, ce qui est tout de même un peu étonnant. Par ailleurs, l’administration a refusé de lui fournir le nombre de cartes Vitale actives par année de naissance, ce qui permettrait de contrôler l’exactitude de ces cartes.

Il y a également 44 000 numéros d’inscription au répertoire (NIR) frauduleux, et l’Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (Agdref) a été remplacée par Administration numérique des étrangers en France, qui ne fonctionne toujours pas, selon la Cour des comptes.

Vous le voyez, il y a un certain nombre de dysfonctionnements majeurs à régler, faute de quoi votre plan ne servira à rien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains.)

parcoursup

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)

M. Pierre Ouzoulias. Comme tous les ans, presque 900 000 candidats ont soumis, non sans angoisse, leurs vœux à la procédure Parcoursup. Comme tous les ans depuis 2018, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les modalités, les critères et, finalement, l’intelligibilité des conditions d’examen des dossiers par certains établissements.

Il est admis, par exemple, que certaines filières réalisent une première sélection des dossiers par le seul usage d’un algorithme. En outre, comme l’a révélé la Cour des comptes, 20 % des commissions d’évaluation intègrent dans leurs critères celui du lycée d’origine. Certaines d’entre elles pourraient même pondérer les notes du contrôle continu par le rang de classement de celui-ci, ce qui pénalise les élèves issus des établissements des communes populaires.

Notre groupe s’était opposé à cette sélection imposée par le manque de places et le sous-investissement chronique dans l’université. Nous estimions, à l’inverse, que la France avait l’impérieux devoir de former plus d’ingénieurs, plus de techniciens supérieurs et plus de diplômés de l’université pour affronter les défis climatiques, technologiques et sociaux.

Dans l’immédiat, considérons avec la Commission européenne, le Conseil constitutionnel, la Cour des comptes, la Défenseure des droits, le comité d’éthique de Parcoursup et la commission de la culture du Sénat qu’il est impératif de présenter explicitement aux candidats les procédures d’examen de leurs dossiers.

Certains établissements ont usé et abusé d’une dérogation législative discutable pour s’affranchir de l’obligation faite à tous les agents publics de rendre compte de leur administration. Comment pouvons-nous reprocher aux Gafam et à TikTok de nous cacher leurs algorithmes et accepter l’opacité de ceux de Parcoursup ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER, INDEP et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Sylvie Retailleau, ministre de lenseignement supérieur et de la recherche. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Ouzoulias, je partage avec vous cette ardente obligation de la transparence, en particulier quand il s’agit de l’avenir de nos jeunes, non pas parce que nos enseignants profiteraient de l’opacité pour pouvoir faire de la sélection discriminante, mais parce que la transparence est un levier pour accompagner l’orientation de nos jeunes et rendre les résultats de Parcoursup plus prévisibles, donc moins stressants pour les étudiants, les élèves et leurs familles.

Depuis cinq ans, l’amélioration continue de Parcoursup accompagne cette meilleure compréhension des critères d’analyse de nos formations. Là où il n’y avait rien, nous avons expliqué les attendus et rendu obligatoire l’affichage des critères. Pour cette session 2023, nous avons été à l’écoute, puisque nous avons refondu complètement la manière dont sont présentés ces critères pour apporter une information plus précise et plus transparente aux candidats.

Toutes les formations de Parcoursup, y compris les classes préparatoires, devront aussi produire en fin d’année un rapport sur les critères utilisés et ce rapport sera rendu public sur la plateforme.

Approfondir la transparence, c’est une évidence pour nous, mais il s’agit aussi de préserver le secret des délibérations collégiales des enseignants. Il s’agit non pas d’un réflexe corporatiste ou d’une volonté de sauvegarde de l’opacité, mais de la conviction que la délibération des enseignants est la garantie d’un regard humain. D’ailleurs, le caractère humain a été reconnu par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2020. Derrière Parcoursup, il y a des commissions d’examen, des enseignants qui travaillent, et je profite de cette occasion pour insister sur la qualité de leur travail à tous les niveaux.

Pour conclure, comme demain s’ouvre la période de résultat des vœux, je voudrais dire aux étudiants et à leurs familles que nous pensons à eux,… (Marques dimpatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sylvie Retailleau, ministre. … et que tout est fait pour les accompagner. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, j’entends ce discours depuis 2018. Maintenant, il faudrait que les choses changent. L’université étant un service public, votre ministère doit se donner les moyens d’examiner, établissement par établissement, les conditions dans lesquelles est réalisée cette sélection. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER, GEST et Les Républicains.)

fraude sociale

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Bernard Buis. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

Monsieur le ministre, lundi dernier, vous avez annoncé un vaste plan de lutte contre la fraude sociale, une fraude multiforme évaluée à 11 milliards d’euros, qui concerne aussi bien les cotisations sociales éludées que la fraude aux prestations de santé ou aux allocations sociales.

La fusion de la carte Vitale avec la nouvelle carte nationale d’identité, mesure phare de votre nouveau plan, soulève plusieurs interrogations, tant sur sa mise en œuvre technique que sur la protection des données.

Déjà adoptée par plusieurs pays européens, dont la Suède, le Portugal ou la Belgique, cette carte d’identité électronique hybride permettrait pourtant de renforcer les contrôles afin de résorber les fraudes aux prestations sociales.

Vous avancez également que, dans 70 % des cas, la fraude aux prestations de santé est commise sur l’initiative d’un professionnel, par le biais de surfacturations ou de facturations d’actes fictifs. L’an dernier, l’assurance maladie aurait ainsi détecté 300 millions d’euros de fraudes. Vous chiffrez également les arrêts maladie dits « de complaisance » à 30 millions d’euros entre 2017 et 2022.

Monsieur le ministre, quels sont les moyens que vous comptez déployer pour détecter ces prestations abusives et lutter contre celles-ci ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Bernard Buis, vous avez raison, la lutte contre la fraude sociale nécessite des moyens. C’est la raison pour laquelle j’ai annoncé, au cours des cinq prochaines années, un renforcement des effectifs de contrôle de l’ordre de 20 % et un investissement massif dans les systèmes d’information (SI), à hauteur de 1 milliard d’euros, pour moderniser les SI des caisses de sécurité sociale. Et il y a du chemin à faire !

Sur une recommandation qui m’avait été faite, je me suis rendu en Belgique pour rencontrer les représentants de la Banque Carrefour de la sécurité sociale, et j’ai pu constater que leur système de données était beaucoup plus performant.

J’étais hier à la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), où l’on m’a présenté un dossier tout à fait édifiant. Dans le département du Val-de-Marne, 437 dossiers de non-conformité ont été identifiés. Il s’agissait de personnes venant de Roumanie qui avaient fait de fausses déclarations de résidence et de fausses déclarations de salariat en France, pour un préjudice de 8 millions d’euros. Sur un seul département ! Avec le numérique, nous devons renforcer nos outils de détection et de sanction, d’où l’investissement que j’ai annoncé.

Monsieur le sénateur, vous avez évoqué la fraude aux prescriptions de santé. C’est une réalité dans notre pays. Il ne faut pas stigmatiser, évidemment. La quasi-totalité des professionnels de santé font les choses dans les règles en donnant de leur temps pour leurs patients, mais il y a quand même des fraudes.

L’an dernier, nous avons déconventionné cinq centres de santé, notamment en dentaire et en ophtalmologie, qui surfacturaient à l’assurance maladie un certain nombre d’actes qui, en réalité, n’avaient pas été réalisés auprès de patients.

À cet égard, j’ai annoncé, dans le plan, un dispositif qui permettra que les patients qui sortent d’un centre de santé reçoivent désormais automatiquement par SMS la liste des actes facturés par ce centre à l’assurance maladie. S’ils se rendent compte que des actes n’ont pas été réalisés, ils pourront le signaler via un bouton, ce qui permettra à l’assurance maladie d’orienter ses contrôles vers les centres de santé ou les professionnels pour lesquels il y a le plus de suspicions de fraude.

Voilà une mesure parmi d’autres. Vous avez raison : comme vous, je considère qu’il faut lutter implacablement contre ces fraudes. C’est ce que je fais, avec mes collègues du Gouvernement, singulièrement François Braun et Jean-Christophe Combe, sur les prestations sociales et l’assurance maladie. Je sais pouvoir compter sur votre soutien ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour la réplique.

M. Bernard Buis. Merci, monsieur le ministre, pour les moyens annoncés, qui, je l’espère – nous l’espérons tous –, permettront de lutter contre cette fraude sociale qui gangrène notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

tribune du journal le monde visant le professeur raoult

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Bernard Jomier. Monsieur le président, avant de poser ma question, je veux saluer Mme la Première ministre pour ses propos concernant Pétain et le Rassemblement national. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)

Certes, la politique ne se résume pas à des positions morales, mais celle-ci, eu égard à votre fonction et, en particulier, à votre histoire personnelle, madame la Première ministre, mérite le respect. (Marques dagacement sur des travées du groupe Les Républicains.)

Ma question sera simple. Un protocole thérapeutique portant sur 30 000 personnes a été mis en œuvre jusqu’au 31 décembre 2021 dans notre pays en violation flagrante de la loi protégeant les personnes soumises à une recherche médicale. C’est un fait inédit, grave, sans précédent.

Monsieur le ministre de la santé, pourquoi une telle inertie des pouvoirs publics face à ce scandale ? Pourquoi a-t-il fallu tant de temps pour que se déclenche enfin une action comme celle que l’on l’a vue ce matin ? Pourquoi n’avez-vous pas pris les mesures pour mettre fin à ce scandale ? Que comptez-vous faire maintenant ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et de la prévention.

M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Bernard Jomier, vous évoquez une étude qui a été présentée en preprint, c’est-à-dire qui n’est pas encore acceptée par des revues scientifiques – heureusement, devrais-je dire. Elle porte sur 30 000 patients qui, pour dire les choses, ont été traités à l’institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection de Marseille, en dehors de tout cadre d’expérimentation clinique et de tout cadre d’utilisation des médicaments, puisque les médicaments utilisés l’ont été hors autorisation de mise sur le marché (AMM) – de surcroît, ces médicaments avaient déjà fait la preuve de leur inefficacité dans le traitement de la covid-19.

L’inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) nous ont rendu, en septembre 2022, à ma collègue Sylvie Retailleau et à moi-même, les conclusions d’une enquête sur cette situation. Devant la constatation aussi bien de pratiques managériales que de méthodes de suivi des études cliniques inappropriées, voire déviantes, nous avons immédiatement saisi le procureur de la République de Marseille, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale – nous l’avons fait à deux reprises.

Nous avons, à la suite de cela, convoqué l’ensemble des administrateurs de l’IHU, en leur imposant la mise en place d’un plan de redressement sur la base des conclusions de l’enquête.

Comme vous, je déplore le nouvel épisode inadmissible de cette affaire, sachant que la justice suit son cours, comme vous avez pu le constater comme moi dès ce matin.

Devant cette proposition de publication, qui, pour moi, s’apparente à de la provocation, nous serons amenés à prendre, ma collègue Sylvie Retailleau, pour l’enseignement supérieur et la recherche, et moi-même, toutes les mesures nécessaires envers l’ensemble des signataires de cet article – le service juridique est en train de les étudier. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour la réplique.

M. Bernard Jomier. Monsieur le ministre, je pense que vous avez vous-même conscience de la faiblesse de votre réponse.

Il y a deux ans, les alertes étaient déjà nombreuses : rapports de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), de l’Igas, etc. Bien avant, en 2015, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) quittait le conseil d’administration de l’IHU Méditerranée Infection.

Qu’a fait l’université d’Aix-Marseille pour mettre fin à ces dérives ? Rien.

Qu’avez-vous fait, messieurs les ministres ?

Monsieur Véran, alors que vous étiez ministre de la santé, vous n’avez pas répondu à la question écrite que j’avais posée concernant les dérives de l’IHU.

Mme Frédérique Vidal, qui était alors ministre de la recherche, n’a pas non plus répondu à mes questions.

Si l’ensemble des institutions de notre pays et les ministres se sont tus et ont fait preuve de faiblesse, c’est peut-être parce que le chef de l’État est allé couvrir de sa chaleureuse immunité le patron de l’IHU… C’est un dysfonctionnement grave de nos institutions. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

recours à l’alphabet inclusif durant un examen universitaire

M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Bernard Fialaire. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Une fois n’est pas coutume, je voudrais, dans cet hémicycle, parler d’amour.

« L’amour en général passe par l’amour de la langue, qui n’est ni nationaliste ni conservateur, mais qui exige des preuves. Et des épreuves. On ne fait pas n’importe quoi avec la langue. » (Sourires sur certaines travées.) Ces mots de Jacques Derrida sont repris par le ministre de l’éducation nationale Pap Ndiaye dans son rapport au Parlement sur la langue française.

Pourtant, le 10 mai 2023, à l’université Lyon-II, l’énoncé d’un examen de licence en droit était rédigé dans un langage inclusif excessif par son intégrisme – « touz », avec un « z », à la place de « tous » ; « als » pour « ils » ou « elles » ; mais aussi « professionnæls », « appelæ », « reconnux », « ouvertx » – et assez incompréhensible.

Pourtant, la langue de la République est le français, essentiel à notre lien social.

Pour Michelet, l’identité de la France, c’est même sa langue. D’ailleurs, à l’article 2 de la Constitution, il est écrit : « La langue de la République est le français. »

Tous les citoyens ont ainsi le droit démocratique garanti par la loi de recevoir une information et de s’exprimer dans leur langue.

M. Bernard Fialaire. La loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, dite loi Toubon, affirme un « droit au français pour que l’ensemble de la société puisse se comprendre et échanger », dans l’enseignement et la recherche. C’est « la langue de l’enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et des mémoires ».

« Il s’agit de redonner à ce cadre légal toute sa dimension politique et d’agir pour maintenir son efficacité » : ces mots figurent dans le rapport au Parlement.

La circulaire du 6 mai 2021 adressée aux personnels de l’éducation nationale énonce les mêmes principes pour les actes administratifs et les pratiques d’enseignement.

Madame la ministre, à l’université, dans le respect absolu de la liberté académique à laquelle nous veillons tous, que pouvez-vous faire pour que la liberté de penser, d’innover, de créer se fasse avec le vocabulaire du dictionnaire officiel de l’Académie française, qui n’est pas figé ?

M. le président. Merci, cher collègue !

M. Bernard Fialaire. De fait, il s’enrichit chaque année de nouveaux mots inscrits au Journal officiel. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP, UC et Les Républicains. – M. Mickaël Vallet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Sylvie Retailleau, ministre de lenseignement supérieur et de la recherche. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Fialaire, je vous remercie beaucoup de votre question. Permettez-moi d’abord de compléter vos propos pour rappeler, en plus de ceux que vous avez énoncés, deux éléments importants sur le cadre normatif dans lequel nous nous plaçons.

Le premier est la circulaire de 2017 du Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe, sur les règles de féminisation qui s’appliquent aux actes de nature juridique et aux textes administratifs. Ce texte évoque clairement « un souci de clarté et d’intelligibilité immédiate de ces documents », autant d’impératifs auxquels nous sommes également attachés.

En l’espèce, cette circulaire ne s’applique pas aux sujets d’examen, car, dans l’enseignement supérieur – vous l’avez dit –, les enseignants-chercheurs sont entièrement libres des sujets de leur cours, mais aussi de leurs sujets d’examen et de leur formulation.

Ni l’université ni le ministère – vous l’avez dit s’agissant de la liberté académique – n’exercent un contrôle direct (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) sur les sujets et le contenu pédagogique des enseignements, sauf en cas de propos diffamatoires, injurieux ou discriminatoires.

M. Arnaud Bazin. Il faut des sanctions !

Mme Sylvie Retailleau, ministre. Dans le cas de l’épreuve de droit de la famille de Lyon-II, sur lequel vous m’interrogez, en effet, les étudiants avaient le choix entre deux sujets, portant tous deux sur des thèmes traités dans le cadre des enseignements dispensés. Mais, si l’un des deux sujets proposés a été rédigé dans une forme d’écriture dite « inclusive » – je n’en dirai pas plus que ce que vous avez décrit –, l’autre était rédigé de manière parfaitement classique.

Cela étant, si votre question est de savoir si j’encourage l’usage de l’écriture dite « inclusive » dans les sujets d’examen, de contrôle ou tout autre document, dans une forme utilisant des points médians ou des mots tels que ceux que vous avez prononcés, ma réponse est clairement « non », comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Encore heureux !

Mme Sylvie Retailleau, ministre. Il se trouve que je suis, comme vous et, je crois, beaucoup d’entre nous ici, attachée à notre belle langue. Il se trouve que je suis aussi très attentive aux questions de représentation. J’estime que notre langue est suffisamment riche pour que l’on puisse s’exprimer sans véhiculer de stéréotypes de genre, raison pour laquelle nous développons des guides pour aider… (Mêmes mouvements.)

M. le président. Merci, madame la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre. … à ne pas tomber dans la caricature lors des examens.

M. François Bonhomme. Quel charabia !

M. le président. J’invite chacun à respecter son temps de parole, qui, je le rappelle, est de deux minutes.

lutte contre le trafic de stupéfiants dans les villes moyennes

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Madame la ministre Dominique Faure, 2022 a été une année record en matière de saisie de drogue. Mais, force est de le reconnaître, 2022 marque aussi une montée inexorable de la violence liée au trafic de drogue.

C’est aujourd’hui un phénomène qui gangrène nos territoires, des grandes villes en passant par les villes petites et moyennes, mais aussi les territoires ruraux, qui subissent aujourd’hui une spirale de règlements de comptes avec utilisation d’armes à feu et, bien sûr, fusillades : Le Creusot, Carpentras, mais aussi, Orléans, Chambéry, Valence – un mort – et, dans mon département de Meurthe-et-Moselle, Villerupt – cinq blessés, dont trois graves.

Madame la ministre, comment l’État répond-il aux appels à l’aide des populations et des élus locaux face à ces populations, qui sont d’ailleurs souvent sous l’emprise d’une forme de terreur ? Quels moyens de surveillance, de force, de protection et de sécurité déployez-vous ? Dans une zone police comme celle de Villerupt, quel plan d’action concret comptez-vous mettre en œuvre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur, je vous demande de bien vouloir excuser M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, en déplacement en Nouvelle-Calédonie.

Nous partageons votre constat. Les villes que vous avez citées, dont Villerupt, dans votre département, ont été le cadre d’une fusillade. Je me suis moi-même exprimée sur ce sujet au Sénat voilà quinze jours.

Le ministère de l’intérieur s’est mis en mesure de se mobiliser immédiatement lors de tout acte de violence lié à des trafics de stupéfiants, que ce soit dans les quartiers des grandes villes ou dans les villes de taille moyenne.

Un effort significatif a été fait sur les renforts policiers, avec d’importantes ouvertures de postes lors du mouvement général 2023. Ainsi, onze postes supplémentaires ont été ouverts pour la circonscription de sécurité publique (CSP) de Longwy, dont dépend la commune de Villerupt, et quarante-quatre postes supplémentaires ont été ouverts dans le département de Meurthe-et-Moselle.

Ces efforts s’inscrivent dans une dynamique plus globale, avec notamment une augmentation de 8 500 postes pour la police nationale et la gendarmerie nationale sur cinq ans, grâce à la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi).

Par ailleurs, une concertation permanente avec les élus locaux a été mise en place – je vous en avais parlé. Elle a eu lieu le 26 mai. Le préfet a reçu des élus de Meurthe-et-Moselle afin d’échanger sur les différents axes d’amélioration possibles pour la sécurité du territoire. Plusieurs propositions ont été mises sur la table : elles vont faire l’objet de nouveaux échanges avec les élus lors d’une réunion place Beauvau le 5 juin.

Je rappelle que l’ensemble des préfets sont à la disposition des élus pour adapter les dispositifs de sécurité aux enjeux, notamment pour garantir la mise en œuvre des instances locales de sécurité, pour mettre en œuvre les financements de la vidéoprotection, par exemple. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.

M. Jean-François Husson. Madame la ministre, j’ai finalement assisté à la réunion du 26 mai. J’ai bien entendu ce que vous venez de dire, mais voilà plus d’une décennie que les gouvernements successifs nous donnent les mêmes éléments sans que les effectifs de police soient jamais à la hauteur !

Aujourd’hui, à Villerupt-Longwy, on compte 78 personnels là où il en faudrait 95. Le ministre nous annonce en effet des arrivées, mais ces arrivées, je le dis, vont être compensées par autant de départs… Ce n’est pas sérieux.

Ce que nous demandons aujourd’hui, c’est que la gravité de la situation soit prise en compte. Faut-il attendre des événements encore plus graves pour que l’État sache se mobiliser aux côtés des collectivités territoriales ? Nous comptons sur l’État ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

pacte enseignant

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Florence Blatrix Contat. Aujourd’hui, partout en France, les enseignants manifestent le refus du pacte que votre gouvernement propose, car le compte n’y est pas, loin de là, et loin notamment de la promesse d’Emmanuel Macron d’augmenter de 10 % tous les enseignants en septembre prochain.

L’éducation nationale vit une véritable crise des vocations. Le nombre d’inscrits aux concours en 2023 est en nette baisse par rapport à 2021, et les démissions ainsi que les ruptures conventionnelles ont été multipliées par cinq.

La dégradation des conditions de travail et celle du pouvoir d’achat en sont les principales causes.

Cette revalorisation aurait donc dû concerner la partie socle, c’est-à-dire inconditionnelle. En réalité, elle est loin de rattraper les baisses de pouvoir d’achat de 15 % à 25 % de ces vingt dernières années ni de rivaliser avec nos voisins européens.

Alors qu’un enseignant commençait sa carrière à 2,2 Smic dans les années 1990, il est aujourd’hui à 1,2 Smic… La rémunération des enseignants est inférieure de 15 % à celle de leurs collègues de l’OCDE – et je ne parle pas de nos voisins allemands.

C’est donc l’enveloppe socle qu’il faut avoir le courage d’augmenter fortement, hausse qu’il faut traduire par un relèvement des points d’indice, et non par des primes.

Quant à la part d’augmentation en échange de missions supplémentaires, elle n’est en aucun cas une revalorisation salariale ! C’est une provocation, alors même que les enseignants français travaillent davantage que leurs homologues européens, avec davantage d’élèves. Elle contribuera à dégrader encore les conditions d’enseignement. C’est le retour du « travailler plus pour gagner plus ».

Allez-vous, madame la ministre, entendre les enseignants et assurer à tous les personnels une augmentation salariale sans contrepartie qui rattrape les pertes de pouvoir d’achat et qui traduise la considération de la Nation ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de linsertion et du ministre de léducation nationale et de la jeunesse, chargée de lenseignement et de la formation professionnels. Mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Blatrix Contat, je vous rappelle que le pacte enseignant est l’un des deux volets que le Gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre pour revaloriser le métier d’enseignant ainsi que sa rémunération, afin de rendre celui-ci plus attractif.

Nous sommes face à un enjeu crucial de mise à niveau des rémunérations et de recrutement des professeurs pour les prochaines années.

Pour ce qui concerne la revalorisation inconditionnelle, qui, par définition, bénéficiera à tous les enseignants, ainsi que M. le Président de la République s’y était engagé, à compter de la rentrée prochaine, tous les nouveaux professeurs titulaires débuteront à plus de 2 000 euros net par mois.

Par ailleurs, l’ensemble des professeurs connaîtront une augmentation mensuelle de leur rémunération nette allant de 95 euros jusqu’à plus de 200 euros. Ce sont ainsi 850 000 professeurs et personnels de l’éducation et d’orientation qui vont bénéficier de cette hausse. Cette revalorisation de tous représente deux tiers de l’enveloppe globale et inédite de 3 milliards d’euros inscrite au budget du ministère.

À cette augmentation inconditionnelle s’ajoutera, uniquement pour les professeurs volontaires – j’insiste sur ce point –, une rémunération supplémentaire en contrepartie de missions complémentaires. Chaque mission sera indemnisée à hauteur de 1 250 euros brut par an, un professeur pouvant choisir plusieurs missions. Ainsi, un professeur qui choisira, par exemple, trois missions sera rémunéré, en plus de son traitement de base, à hauteur de 3 750 euros brut par an.

Dans le cas des lycées professionnels, pour lesquels j’ai engagé une réforme d’ampleur, la rémunération des professeurs volontaires pour ce pacte prendra la forme d’un forfait annuel de 7 500 euros brut.

L’objectif est clair : il ne s’agit nullement d’imposer à tous un quelconque « travailler plus pour gagner plus ». Il s’agit bien, pour toutes les missions complémentaires, de rendre le service public de l’éducation plus efficace pour nos élèves et de valoriser l’engagement des enseignants. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour la réplique.

Mme Florence Blatrix Contat. Madame la ministre, vous n’avez pas pris la mesure de la situation.

Nos enseignants méritent une juste revalorisation salariale.

Votre réforme n’est pas à la hauteur des enjeux. Elle va, au contraire, désorganiser notre système scolaire et dégrader les conditions de travail. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

écriture inclusive à l’université de lyon

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Étienne Blanc. Madame la Première ministre, le 11 mai, le tribunal administratif de Grenoble a rendu une décision par laquelle il annule le règlement du service des langues de l’université Grenoble-Alpes pour avoir été écrit en écriture inclusive, utilisant à la fois le point médian et le langage de genre.

Le tribunal explique clairement que ce règlement est illisible, qu’il n’est, en tout état de cause, pas écrit en français et qu’il n’est pas conforme à la Constitution.

Quelques jours plus tard, dans une interview au journal Le Figaro, Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui est tout de même chargée de former nos élites, déclare que l’on peut finalement, au titre des libertés académiques, accepter l’écriture inclusive.

Madame la Première ministre, qui faut-il croire ? Le Président de la République, qui, à Villers-Cotterêts, temple de l’écriture et de la langue française, a affirmé que celle-ci était un véritable trésor qu’il fallait protéger, ou vos ministres, qui expliquent à l’envi que l’on peut finalement accepter l’écriture inclusive, qui détruit la langue française ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)

M. Jérôme Bascher. C’est une honte !

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sylvie Retailleau, ministre de lenseignement supérieur et de la recherche. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Blanc, je veux d’abord vous remercier de me donner l’occasion de préciser de nouveau les choses.

Non, je ne suis pas pour l’utilisation de l’écriture inclusive, comme je l’ai dit tout à l’heure.

Des exemples de points médians, des exemples proches du non-respect de la langue française ont été évoqués. Mais inclure l’ensemble de ses interlocuteurs en utilisant l’expression « chers toutes et tous », c’est très différent de l’écriture inclusive ! Je vous remercie de me donner l’occasion de le réexpliquer.

Monsieur le sénateur, je vous sais très attaché aux libertés académiques, dont nous venons de parler en évoquant le sujet de l’université de Lyon-II.

En effet, le tribunal administratif de Grenoble a jugé que le règlement tombait sous le coup de la circulaire.

Je sais que vous connaissez cette question pour avoir travaillé avec le sénateur André Gattolin sur les ingérences étrangères.

Cependant, on ne peut pas être pour la liberté académique, l’autonomie des universités et fustiger continûment le ministère pour qu’il intervienne à tout bout de champ pour régir le contenu de ce que proposent les enseignants et les enseignants-chercheurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Non, mais franchement !

Mme Sylvie Retailleau, ministre. La liberté académique est importante, ce qui ne nous empêche pas de donner effectivement des consignes claires, en nous appuyant sur les circulaires qui existent, pour que la langue française soit respectée comme il se doit et pour que les sujets des examens et l’enseignement soient rédigés dans une langue intelligible et claire, ce qui, je vous rejoins sur ce point, est important pour l’enseignement de tous nos étudiants.

M. Mickaël Vallet. Et les cours en anglais ?

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour la réplique.

M. Étienne Blanc. Le moins que l’on puisse dire, madame la ministre, c’est que votre réponse est quelque peu ambiguë ! En tout cas, elle n’est pas claire.

D’abord, vous ne répondez pas sur le jugement du tribunal de Grenoble sur l’inintelligibilité ni, surtout, sur le problème constitutionnel.

Vous ne répondez pas non plus à l’Académie française,…

Mme Laurence Cohen. Ah, l’Académie française…

M. Étienne Blanc. … qui, au sujet de l’écriture inclusive, parle d’un « péril mortifère »,…

M. Max Brisson. Très bien !

M. Étienne Blanc. … d’une « aberration ».

« J’ai compris que tout le malheur des hommes venait de ce qu’ils ne tenaient pas un langage clair », disait Camus.

Mme Laurence Rossignol. Elle est usée, cette citation !

M. Étienne Blanc. Pour ma part, j’invite aujourd’hui le Gouvernement à tenir un langage clair ! L’écriture inclusive, c’est oui ou c’est non.

M. Jérôme Bascher. C’est non !

M. Étienne Blanc. Si c’est non, décidez enfin que tout texte écrit en écriture inclusive, de quelque nature qu’il soit, est nul de plein droit. Vous tiendrez alors un langage clair ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)

interdiction programmée des chaudières à gaz

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Michel Canévet. La Première ministre a présenté, voilà dix jours, les pistes du Gouvernement concernant la transition écologique, et elle a annoncé qu’un plan d’action serait proposé à la fin du mois de juin.

Bien entendu, nous sommes tous attachés à la transition écologique, en particulier pour aller vers une énergie de plus en plus décarbonée. Toutefois, il nous semble important de tenir compte à la fois des réalités économiques, des réalités territoriales et des réalités sociales.

Ainsi, nous sommes particulièrement inquiets concernant le projet d’interdiction d’installation de chaudières à gaz – il transparaît dans des propos qui ont été tenus que cela pourrait advenir. Aujourd’hui, plus d’un logement sur quatre a le gaz comme source d’énergie ! Il est important d’en tenir compte.

Je souhaite connaître les intentions réelles du Gouvernement à cet égard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Olivier Rietmann applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition énergétique.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Canévet, le Président de la République nous a fixé un objectif clair en matière de transition énergétique : être le premier pays industriel à sortir des énergies fossiles. C’est une condition pour atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050.

Vous le savez, ce défi est immense, et nous ne pouvons le relever que grâce à la mobilisation de chacun d’entre nous.

C’est pourquoi le Gouvernement travaille, sous l’égide de la Première ministre, à des feuilles de route, secteur par secteur, pour décarboner, notamment, bien sûr, dans le secteur du bâtiment et du logement.

Dans le bâtiment, le chauffage au gaz représente 47 % des émissions de CO2.

On le sait, réduire les énergies fossiles dans les logements, c’est réduire la facture. C’est réduire notre dépendance à des énergies importées, donc augmenter notre souveraineté, et c’est agir contre le dérèglement climatique.

Ce mouvement n’est pas nouveau, puisque les dispositifs MaPrimeRénov’ permettent déjà aujourd’hui d’accompagner les Français qui souhaitent changer de chaudière pour une chaudière non fossile.

Nous avons également pris une mesure importante, qui vise à ne pas permettre l’installation de chauffage au gaz dans les bâtiments neufs.

Nous allons continuer à travailler. C’est tout l’objet de la concertation que je vais lancer avec mes collègues Christophe Béchu et Olivier Klein, pour faire en sorte de trouver, par anticipation et en nous projetant dans la durée, les meilleures solutions permettant à la fois de construire les filières alternatives au chauffage au gaz – vous savez que nos positions sur les pompes à chaleur, par exemple, ne sont pas négligeables – et d’accompagner les Français, où qu’ils soient sur le territoire et quel que soit leur type de logement, dans l’évolution de leur mode de chauffage et, au final, pour tenir notre trajectoire de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Je sais que vous y êtes particulièrement attaché.

Nous lancerons cette concertation prochainement. Vous pouvez compter sur nous pour le faire de manière pragmatique et pédagogique, pour ne pas perdre de vue l’ambition climatique que nous portons. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Vincent Segouin. C’est un scandale !

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour la réplique.

M. Michel Canévet. Je comprends et partage votre ambition d’économie décarbonée, madame la ministre, mais je dois rendre le Gouvernement attentif au fait que nous ne pouvons nous contenter d’une seule source d’énergie : il faut qu’un mix énergétique permette d’assurer la réelle souveraineté de notre pays. (M. Jean-François Husson le confirme.)

Nous nous sommes aperçus, cet hiver, que se reposer sur la seule électricité pour tous les usages pouvait nous conduire à quelques déconvenues. Il importe que nous prenions cela en compte dès à présent, dans les territoires ruraux en particulier.

On sait bien que certains foyers ont des moyens très limités et que la production de gaz renouvelable peut apporter à la fois des solutions économiques pour notre pays, mais aussi des solutions intelligentes pour l’énergie dans nos territoires. Soyons-y attentifs ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Olivier Rietmann et Vincent Segouin ainsi que Mme Toine Bourrat applaudissent également.)

scolarisation des enfants porteurs de handicap à prise en charge complexe

M. le président. La parole est à Mme Kristina Pluchet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Hervé Maurey applaudit également.)

Mme Kristina Pluchet. L’actualité de mon département, l’Eure, me conduit à évoquer aujourd’hui l’exclusion des enfants porteurs de handicap à prise en charge complexe, en l’occurrence certains cas d’autisme, auxquels la République ne garantit pas un droit décent à l’éducation. D’ailleurs, le 17 avril, la France a été condamnée par le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe.

Pourtant, de nombreux budgets ont été mis sur la table depuis des années. Le virage de l’inclusion a été engagé. C’est tant mieux, mais je crains, madame la ministre, que l’on ne soit passé d’un extrême à l’autre.

Inclure, quand la prise en charge et compliquée, ce n’est pas laisser ces enfants à domicile pendant plusieurs années, avec un saupoudrage d’intervenants ponctuels à temps très partiel, générant la rupture professionnelle d’un parent et sa précarité économique.

Inclure, ce n’est pas hypertrophier les moyens alloués à la comitologie et à la concertation, aux dépens de la création effective de places en structures d’éducation adaptée.

Inclure, c’est comprendre que le milieu dit « protégé » a toute sa place parmi les propositions comme lieu d’expertise, au bénéfice des enfants dont la prise en charge est la plus complexe.

Madame la ministre, qu’avez-vous prévu de faire pour résorber le problème de l’embouteillage dans les instituts médico-éducatifs pour la rentrée prochaine ?

Quelles solutions dignes allez-vous proposer à ces parents désespérés, qui en viennent même à entamer une grève de la faim ? Quelles voies de financement comptez-vous mettre en œuvre pour sortir des éternels effets d’annonce et flécher enfin les budgets vers la création de places supplémentaires ?

Madame la ministre, ces enfants ne sont pas des enfants de la République à temps partiel. Ils ont droit, comme les autres, à une éducation à temps complet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des personnes handicapées.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de lautonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Pluchet, je vous remercie de votre question, qui va me permettre de faire un point sur ce sujet.

En effet, j’ai rencontré aujourd’hui le maire de Poses, commune de votre département de l’Eure, dont les préoccupations en tant que père sont très légitimes ; il soulève aussi un sujet plus global qui touche des familles se trouvant, comme lui, dans une impasse.

Aujourd’hui, l’école inclusive concerne 430 000 enfants, qui sont donc intégrés dans l’école de la République. Quant aux 1 140 instituts médico-éducatifs (IME) se trouvant sur notre territoire national, ils représentent 71 000 places, qui n’ont jamais été supprimées et dont le nombre n’a jamais diminué, et ils continuent à se développer.

M. Bruno Belin. Il n’y en a pas assez !

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée. Sur ces 71 000 places en IME, 10 000 sont occupées par des adultes handicapés relevant de l’amendement « Creton », ce qui est anormal. Notre première mission doit être de travailler efficacement et concrètement, avec chaque département, pour offrir des solutions différentes à ces adultes (M. André Gattolin manifeste son scepticisme.) afin de permettre aux IME d’accueillir davantage d’enfants porteurs de handicap, car leur place est dans ces établissements.

M. Bruno Belin. C’est le travail de l’État !

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée. Par ailleurs, il y a dans notre pays des territoires, que nous avons identifiés, qui manquent de solutions. À ces départements, qui sont au nombre d’une vingtaine environ, nous proposerons prioritairement de nouvelles places ou de nouvelles solutions.

Enfin, vous l’avez dit, certains handicaps particuliers et complexes nécessitent de porter des solutions nouvelles. À l’occasion de la Conférence nationale du handicap (CNH), le Président de la République s’est engagé à ouvrir 50 000 nouvelles places et solutions dans la France entière. C’est dans ce contexte que nous déploierons, sur les cinq prochaines années, un effort budgétaire majeur de 2 millions d’euros supplémentaires. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Kristina Pluchet, pour la réplique.

Mme Kristina Pluchet. Comme vous le dites, madame la ministre, il manque des places. Alors, place aux mesures concrètes ! Augmentons les capacités d’accueil en faisant preuve de souplesse, soit structure par structure, soit en favorisant des projets innovants.

Ces enfants, qui sont tellement vulnérables, méritent une attention toute particulière de la Nation ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Hervé Maurey applaudit également.)

diffusion de la coupe du monde féminine de football

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Jacques Lozach. Ma question s’adresse à Mme la ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.

La Coupe du monde féminine de football se déroulera du 20 juillet au 20 août prochains. Or, à ce jour, aucun accord n’a été trouvé avec les diffuseurs éventuels pour sa retransmission télévisuelle en France. L’appel d’offres concerné n’a toujours pas abouti.

Cette réalité devient préoccupante, et cette appréciation est confirmée par le président de la Fifa (Fédération internationale de football association), organisatrice de l’événement : « Si les offres continuent à ne pas être équitables, nous serons contraints de ne pas diffuser la Coupe du monde féminine dans les cinq grands pays européens. »

Je précise que les revenus résultant de cette diffusion sont redistribués intégralement pour le développement du sport féminin, que les chaînes françaises s’étaient engagées à favoriser davantage.

L’enjeu de la Coupe du monde 2023 est capital. La non-retransmission de matchs de notre équipe nationale, l’une des meilleures – elle fait partie du top 5 mondial –, serait d’autant plus incompréhensible que la dernière édition fut organisée en France, en 2019, et avait remporté un succès dépassant toutes les prévisions. Ainsi, le score d’audience du match de quarts de finale avait-il été le plus élevé de toute l’année 2019 pour TF1. Et quatre ans plus tard, cette équipe serait laissée à l’abandon par tous les diffuseurs potentiels ?

Avec la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, le Parlement a voté la possibilité de créer une société commerciale destinée à gérer plus efficacement les droits audiovisuels du sport professionnel. Pour l’heure, seul le football est concerné. Il serait paradoxal que, parallèlement à cette démarche, la dimension féminine de cette activité soit exclue des bénéfices financiers escomptés lors d’un grand événement sportif international (Gesi).

Il y va symboliquement de la promotion, de l’affirmation et du financement du sport féminin. L’enjeu est la lutte contre toutes les formes de discriminations faisant obstacle à l’émancipation de la femme par le sport.

Pouvez-vous nous indiquer s’il y a lieu, à ce stade, de rester optimiste quant à ces retransmissions ? En un mot, la France sera-t-elle privée de Coupe du monde féminine ?

Enfin, le décret de décembre 2004 listant les vingt et un événements d’importance majeure doit-il être élargi à l’ensemble des matchs des équipes de France de football et de rugby masculines et féminines ? Si oui, dans quels délais ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE. – Mme Monique de Marco applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.

M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur, vous l’avez dit, en 2019, nous étions 12 millions de téléspectateurs pour encourager l’équipe de France féminine de football face au Brésil, ce qui a créé beaucoup de vocations. Il est nécessaire de montrer ces images de sportives de haute compétition pour donner envie à notre jeunesse, filles ou garçons, de faire du sport.

Dans cinquante jours débutera la Coupe du monde féminine de football, qui se déroulera en Australie et en Nouvelle-Zélande, et nous voulons que les Françaises et les Français puissent voir notre pays – nous l’espérons ! – en finale de cette compétition, le 20 août prochain.

Sur l’initiative de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne et de l’Angleterre – autant de pays européens passionnés de football, comme chacun le sait –, la ministre des sports, Amélie Oudéa-Castéra, qui assiste actuellement au J-100 de la Coupe du monde de rugby et dont je vous prie de bien vouloir excuser l’absence, a rédigé avec ses homologues européens un communiqué commun à destination de la Fifa et des annonceurs pour dire sa volonté qu’un accord soit trouvé en vue de la diffusion de la Coupe du monde féminine de football dans l’ensemble des pays européens passionnés par ce sport. Elle a indiqué ce matin qu’une solution sera trouvée à cette fin.

Par ailleurs, monsieur le sénateur, je veux insister avec vous sur la nécessité de diffuser le sport féminin, lequel ne représente aujourd’hui que 5 % du sport que l’on peut voir à la télévision. Or c’est un sport de qualité, d’excellence, qui fait rêver. (M. François Patriat applaudit.)

fermeture de centres hospitalo-universitaires

M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Florence Lassarade. Monsieur le ministre de la santé, les fermetures temporaires des services des urgences et de maternité se multiplient en raison des difficultés de recrutement médical. Ainsi, en l’espace d’un mois, le service des urgences du centre hospitalier de Sainte-Foy-la-Grande a été fermé à quatre reprises, ce qui correspond à une durée de dix-sept jours au total. Celui du centre hospitalier d’Arcachon et la maternité de Langon ne sont pas plus épargnés.

Ces fermetures temporaires ne se limitent pas au département de la Gironde et touchent l’ensemble du territoire. Ces arrêts sont beaucoup plus prégnants dans les territoires ruraux. En cause, le manque de médecins, accru par la mise en œuvre de la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite loi Rist, qui plafonne la rémunération des médecins intérimaires. Or on constate déjà 14 000 décès supplémentaires par an dans les zones rurales par rapport aux villes.

Par ailleurs, de 2012 à 2019, on observe une augmentation de 7 % de la mortalité infantile. Ainsi, en l’espace d’une décennie, la France est passée du deuxième au vingt-cinquième rang européen. Cette dégradation alarmante de notre système de santé est inacceptable !

Le Gouvernement culpabilise les médecins en laissant penser qu’ils sont responsables de la situation. Ce matin, j’ai appris que la chef de service d’une de ces structures, en poste depuis plus de trente ans, venait de faire une tentative de suicide. Ce que vivent les médecins est inhumain ! Ils ne sont pas là pour pallier les insuffisances du système. C’est votre responsabilité !

Nous connaissons des difficultés de recrutement et de fidélisation des praticiens hospitaliers en raison d’un manque d’attractivité.

Le constat est sans appel : aujourd’hui, 30 % des postes de praticien hospitalier sont vacants. C’est du jamais vu ! Monsieur le ministre, il faut rendre la médecine hospitalière plus attractive.

Nous avons le devoir collectif de renverser cette situation. Quelles solutions pérennes proposez-vous pour pallier les difficultés de recrutement médical et éviter la multiplication des fermetures temporaires des services des urgences et de maternité ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et de la prévention.

M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention. Mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Lassarade, les difficultés de notre système de santé sont acutisées dans les services connaissant la plus forte pénibilité, du fait en particulier des gardes de nuit : les services des urgences et les maternités. Ces dernières doivent en outre – difficulté supplémentaire – cumuler trois spécialités pour pouvoir fonctionner : gynécologie-obstétrique, anesthésie-réanimation et pédiatrie.

Ces difficultés, connues, ne sont pas nouvelles, et je ne peux pas vous laisser dire que la lutte, légitime, contre les dérives de l’intérim médical, qui était en train d’assécher complètement nos hôpitaux, est responsable de la situation actuelle. Nous avons, au contraire, résolu ces problèmes au cours des mois d’avril et de mai, et nous avons désormais une visibilité sur la situation médicale de notre pays : comme je m’y étais engagé, nous trouvons des solutions, certes alternatives, sur l’ensemble des territoires afin de lever les difficultés dans les parcours de soins.

Je vous rejoins lorsque vous dites que ces difficultés sont non pas nouvelles, mais anciennes, et qu’elles sont dues en particulier au manque de personnel médical. Je rappelle cependant que le précédent gouvernement a levé la barrière du numerus clausus, mesure grâce à laquelle, quoi qu’on en dise, 15 % de médecins supplémentaires sortiront diplômés de nos facultés dans quelques années.

La solution que nous proposons repose globalement sur trois principes.

Le premier est un principe d’éthique, qui permet de reconstruire notre système et de lutter contre les dérives de l’intérim et autres dérives financières.

Le deuxième est un principe d’équipe, à reconstruire à l’échelle de chaque service.

Le troisième est un principe de territoire : la responsabilité territoriale, mise en place au sein des hôpitaux contre les dérives de l’intérim, a fonctionné et fonctionne encore en apportant la meilleure réponse à nos concitoyens.

Je conclurai mon propos sur un sujet que je connais bien, l’aide médicale urgente (AMU), c’est-à-dire les urgences vitales : celle-ci demeure garantie sur l’ensemble du territoire national.

M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour la réplique.

Mme Florence Lassarade. Monsieur le ministre, vous ne répondez pas à ma question.

Le Président de la République promet aux Français le désengorgement des urgences d’ici à la fin de 2024. Mais tant que les personnels soignants ne seront pas rémunérés à hauteur de leur engagement et de leurs responsabilités, le désengorgement des urgences restera une belle promesse ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

délais d’obtention des passeports et cartes nationales d’identité

M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Lana Tetuanui. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.

Depuis quelques mois, je suis continuellement interpellée par nos compatriotes polynésiens sur les délais d’obtention d’un passeport.

Dans un territoire comme le mien, et pour tous ceux qui sont situés hors de la zone européenne, détenir un passeport à jour est une condition essentielle pour se déplacer. Or l’obtenir relève aujourd’hui du parcours du combattant !

Nous connaissons les difficultés rencontrées à l’échelon national. Mais pour nos citoyens ultramarins, qui vivent si loin du centre dédié à l’élaboration des passeports, je veux poser la question suivante : quelles mesures conviendrait-il d’adopter pour que les délais d’obtention et d’acheminement des passeports dans les outre-mer soient plus raisonnables ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe UC. – Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Éric Jeansannetas applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Lana Tetuanui, je vous prie de bien vouloir excuser M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer, qui est actuellement en déplacement dans les territoires ultramarins.

Vous le savez, les délais de délivrance des passeports et des cartes d’identité se sont énormément allongés du fait de l’augmentation du nombre des demandes, qui sont passées de 9 millions en 2021 à 12 millions en 2022, puis à 15 millions actuellement.

Nous avons consacré des moyens très importants au raccourcissement de ces délais, moyens que nous avons encore renforcés, à la demande, il y a exactement un mois, de la Première ministre.

Pourtant, en Polynésie, les délais sont particulièrement satisfaisants ! (Exclamations amusées sur diverses travées. – Vous êtes sûre ? sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Lana Tetuanui sexclame.)

M. François Bonhomme. Alors qu’est-ce que c’est ailleurs !…

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Oui, j’en suis sûre : ils sont de trente jours dans votre territoire, madame la sénatrice, contre cinquante jours en moyenne dans le pays – en baisse donc, puisqu’ils étaient de soixante-dix jours voilà deux mois.

En Polynésie, il existe dix-huit dispositifs de recueil et un dix-neuvième est en cours d’installation.

Que vous trouviez que les délais – même d’un mois – soient trop longs, je peux le comprendre, et nous portons d’ailleurs l’objectif de les réduire très significativement d’ici à l’été. Cependant, je vous demande d’entendre que les délais sont très courts en Polynésie grâce au travail remarquable des collectivités locales et du haut-commissaire.

M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui, pour la réplique, qui va certainement exprimer son ravissement. (Sourires.)

Mme Lana Tetuanui. Je vous remercie, madame la ministre. Ayant décidé d’être gentille, je vous pardonne votre méconnaissance totale de ce qui se passe dans nos collectivités ultramarines. (Bravo ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Mickaël Vallet. Elle est gentille…

Mme Lana Tetuanui. Si je m’exprime aujourd’hui, c’est parce qu’il y a un problème. Si tout allait bien, je me tairais, mais ce n’est pas le cas ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Je vous interpelle à l’approche des grandes vacances scolaires, car nombre de nos compatriotes ultramarins veulent rentrer dans nos collectivités. Parmi eux, il y a nos étudiants, dont la rentrée universitaire aura lieu en septembre ici – il ne faut plus dire en métropole, mais dans l’Hexagone, d’après l’Assemblée nationale… (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Lorsque la sénatrice que je suis appelle les services de l’État, en l’occurrence ceux du haut-commissaire de la République en Polynésie française, ils me répondent qu’il y a trop de monde, que l’on n’y peut rien et qu’il faut attendre. C’est aberrant d’entendre cela en 2023 !… (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. Ce sera votre conclusion, ma chère collègue ! (Rires.)

Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mercredi 7 juin, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à Mme Amel Gacquerre.

Mme Amel Gacquerre. Lors du scrutin n° 292 de la séance du 30 mai 2023 portant sur l’ensemble du projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces, Mme Doineau a été considérée comme ne prenant pas part au vote, alors qu’elle souhaitait voter pour.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

4

Candidatures à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à favoriser l’accompagnement des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

5

Débat sur le bilan de l’application des lois

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le bilan de l’application des lois (rapport d’information n° 636).

La parole est à Mme Pascale Gruny, président de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances. (Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit.)

Mme Pascale Gruny, président de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « chaque disposition législative qui demeure inappliquée est une marque d’irrespect envers la représentation nationale et de négligence vis-à-vis de nos concitoyens ». (M. le président de la commission des affaires étrangères approuve.)

Ce sont là les mots non pas du Sénat, mais de la Première ministre, dans une circulaire du 27 décembre 2022 relative à l’application des lois. Les mots sont forts et rappellent l’importance de notre débat d’aujourd’hui. Mais qu’en est-il des actes ?

Le bilan que je vous présente analyse la mise en application des lois adoptées lors de la session parlementaire 2021–2022, c’est-à-dire entre le 1er octobre 2021 et le 30 septembre 2022.

Durant cette période, soixante-quatre lois ont été adoptées ; dix-huit étaient d’application directe et quarante-six lois nécessitaient un total de 649 mesures d’application.

Par rapport à la session 2020–2021, le taux global d’application des lois s’améliore, pour s’établir à 65 %, contre 57 % l’année dernière. Par ailleurs, le délai moyen de prise des textes d’application diminue, passant de six mois et neuf jours l’année dernière à cinq mois et vingt jours, et respectant ainsi la limite de six mois que s’est fixée le Gouvernement par une circulaire de février 2008, objectif réaffirmé dans la circulaire de décembre 2022.

Enfin, le taux de remise de rapports du Gouvernement au Parlement progresse : il est de 36 %, contre 21 % l’année dernière.

Mais le diable se niche dans les détails et ces améliorations générales cachent des réalités très disparates.

Certes, le taux global d’application progresse, mais il reste très variable selon les lois et selon l’origine du texte. Une loi emblématique de la session, comme la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, n’avait ainsi un taux d’application que de 52 % au 31 mars 2023, plus d’un an après sa promulgation.

Surtout, les lois d’origine parlementaire ont un bien plus faible taux d’application que les autres. Ce taux s’établit à 56 %, contre 65 % toutes lois confondues. Cet écart de près de dix points est d’autant plus frappant que les lois d’initiative parlementaire contiennent en général un nombre bien plus limité de mesures réglementaires. La loi d’origine sénatoriale visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, dite loi Reen 1, du 15 novembre 2021, n’affichait au 31 mars 2023 qu’un taux d’application de 33 %. Elle ne nécessitait pourtant que six mesures d’application.

Je souhaiterais ici attirer tout particulièrement l’attention sur l’application des mesures issues d’amendements sénatoriaux. Le Sénat, soucieux de ne pas alimenter une inflation législative déjà chronique, est un pourvoyeur raisonné de nouvelles mesures réglementaires d’application par voie d’amendement par rapport au Gouvernement ou à l’Assemblée nationale.

Mais, alors que le taux global de prise de textes d’application s’établit à 65 %, il chute à 57 % pour les mesures issues d’un amendement sénatorial, contre une moyenne de 67 % pour celles qui sont issues d’un amendement du Gouvernement et de 70 % pour celles qui sont issues d’un amendement de l’Assemblée nationale.

Ce dernier chiffre peut en partie s’expliquer par l’existence d’amendements présentés par des députés, mais en réalité suggérés par le Gouvernement.

Cependant, une nouvelle fois, c’est bien la question du respect effectif de la volonté du législateur lorsque celui-ci siège au Palais du Luxembourg qui se trouve posée.

S’agissant de la remise des rapports du Gouvernement au Parlement, si le taux global de rendu s’améliore, aucun des vingt et un rapports demandés au détour d’un amendement d’origine sénatoriale n’a été transmis. Là encore, cette déficience est d’autant plus dommageable que, suivant une doctrine constante, les commissions font pourtant preuve de parcimonie dans leurs demandes de rapport. La réserve du Sénat continue, comme l’année dernière, à ne pas être récompensée.

Je terminerai cette présentation générale en abordant la question de l’application des lois adoptées après engagement de la procédure accélérée. (Mme la présidente de la commission des affaires économiques sexclame.)

Le Gouvernement recourt toujours massivement à cette procédure puisqu’elle s’est appliquée à quarante-cinq des soixante-quatre lois adoptées durant la session 2021–2022.

Pourtant – et c’est un paradoxe –, le délai moyen de prise des textes d’application n’en est pas pour autant plus rapide. Ce délai moyen s’établit à six mois et huit jours, contre un délai moyen, toutes lois confondues, de cinq mois et vingt jours.

Même si l’écart n’est pas exorbitant, le constat s’impose donc d’une célérité imposée au Parlement, à laquelle le Gouvernement, quant à lui, ne s’astreint pas pleinement, jusqu’à dépasser le délai de six mois prévu depuis 2008 et réaffirmé en 2022.

S’agissant de la procédure accélérée, je note au passage que la secrétaire générale du Gouvernement, lors de son audition au Sénat de juillet 2022, assurait que « le Gouvernement avait bien entendu les messages les plus récents sur le souhait, notamment du président du Sénat, que cette procédure ne soit pas systématiquement sollicitée ». Elle indiquait qu’une « procédure intermédiaire pourrait être imaginée, une procédure certes accélérée, mais tout en respectant les délais de quatre à six semaines prévus à l’article 42 de la Constitution », précisant qu’il s’agit « d’une piste qui devra être regardée ». Où en est-on aujourd’hui de cette réflexion ? Que proposez-vous, monsieur le ministre ?

Avant d’en venir à des questions de fond sur l’application de certaines lois, j’aimerais aborder des questions de méthodologie.

Comme vous le savez, les méthodes retenues par vos services ne sont pas exactement les mêmes que celles qui le sont par le Sénat. Outre la prise en compte propre au Sénat des mesures différées, nous recensons les arrêtés et les décrets prévus pour l’application des lois ; vous ne retenez, quant à vous, que les mesures appelant un décret d’application.

Cette année, l’écart est particulièrement important : 68 % pour notre taux hors mesures différées et 74 % pour le vôtre. L’explication en est que le taux de parution des arrêtés – que les services du Gouvernement, je le rappelle, n’incluent pas dans leur bilan – est particulièrement faible, à 42 %, contre 72 % pour les décrets.

Cette année encore, nous regrettons cette absence de suivi des arrêtés par le secrétariat général du Gouvernement. Pour l’application d’une loi, peu importe que la disposition adoptée renvoie à un décret ou à un arrêté : la non-adoption de l’un ou de l’autre a pour effet, dans les deux cas, d’empêcher la volonté du législateur de se traduire pleinement dans le droit.

L’année dernière, Mme Landais avait envisagé que le secrétariat général du Gouvernement soit « au moins le relais d’une demande de suivi un peu plus précis des arrêtés et sur des schémas plus harmonisés, avec éventuellement des clauses de revoyure ». Alors que le Gouvernement a tenu, par une circulaire actualisée, à rappeler avec force à ses services l’importance du suivi de l’application des lois, où en est-on, là aussi, de ce projet ?

Monsieur le ministre, je souhaite, pour terminer, vous poser quelques questions précises, en ma qualité de membre de la commission des affaires sociales ainsi que de la commission d’enquête sur la pénurie de médicaments.

La première concerne l’application de l’article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. Cet article a inscrit dans le code de la sécurité sociale la possibilité de prise en compte de critères d’implantation des lieux de production sur le sol français pour la fixation du prix des médicaments et des dispositifs médicaux. Au cours de la navette, le Gouvernement avait fait valoir qu’un décret précisant les conditions d’application de cette disposition serait de nature à retarder sa mise en œuvre. Toutefois, faute de décret, celle-ci a été soumise à l’élaboration d’une doctrine propre par le Gouvernement et le comité économique des produits de santé (CEPS), une élaboration qui a pris beaucoup de retard et a conduit à la définition d’un champ d’application plus restreint que ce que le législateur avait voulu.

Ma deuxième question porte, elle aussi, sur les mesures de nature à lutter contre ce phénomène de pénurie de médicaments. L’article 61 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 a introduit dans le code de la santé publique la notion de « préparations hospitalières spéciales ». Mais le décret en Conseil d’État indispensable à son application n’a toujours pas été pris, alors que ces préparations constituent un moyen fort utile de lutte contre les pénuries de médicaments indispensables, comme ce fut le cas au plus fort de la pandémie.

Enfin, j’appelle par avance votre attention sur l’article 37 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. Cet article prévoit d’ajouter une quatrième année au troisième cycle en médecine générale, afin notamment que les internes puissent réaliser un stage de « pratique ambulatoire », en priorité dans les déserts médicaux – un sujet qui suscite de très grandes attentes dans l’ensemble de nos territoires. Ce faisant, il remplace une précédente disposition qui n’avait pas trouvé à s’appliquer, faute de mesure d’application. Vous comprendrez donc que je ne souhaite pas que l’Histoire se répète. J’attends donc vos réponses ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. le président de la commission des finances et M. Guy Benarroche applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de saluer la qualité du travail présenté par Mme le président Gruny et les contributions des commissions permanentes, sur la base de nombreux échanges avec le secrétariat général du Gouvernement, dont je souhaite souligner l’engagement permanent pour piloter l’application des lois.

La Première ministre a rappelé dans la circulaire du 27 décembre 2022 les principes et les modalités de cet exercice, en soulignant qu’il s’agissait d’une triple exigence de démocratie, de sécurité juridique et de responsabilité politique.

L’adoption d’une nouvelle circulaire, près de quinze ans après la précédente, témoigne de la volonté du Gouvernement d’assurer une application des lois qui soit tout à la fois rapide et conforme à l’intention du législateur.

Au 31 mars 2023, hors mesures différées, le taux d’application des lois publiées entre octobre 2021 et le 30 septembre 2022 était de 74 %, soit une augmentation de quatorze points par rapport à l’année dernière. Cet effort ne s’est pas relâché, car, en tenant compte des derniers textes adoptés depuis la fin du mois de mars, ce taux atteint désormais 78 %. J’ajoute que, pour l’ensemble des lois adoptées au cours de la XVe législature, le taux d’application est de 92 %.

Comme vous l’avez indiqué, madame le président, ce taux n’inclut pas les arrêtés, qui relèvent d’une compétence ministérielle et qui sont en vérité trop nombreux pour faire l’objet d’un suivi centralisé. Le secrétariat général du Gouvernement appelle toutefois régulièrement l’attention des ministères sur ce point, et je prends l’engagement d’évoquer cette question lors du prochain comité interministériel de l’application des lois.

En outre, près des deux tiers des décrets d’application ont été pris dans le délai de six mois suivant la promulgation de la loi, conformément à l’objectif rappelé par la circulaire de la Première ministre.

On ne saurait toutefois se satisfaire totalement de ce résultat. Comme vous l’avez souligné dans votre rapport, l’application de certaines lois, y compris anciennes, reste en deçà des attentes. Les ministères concernés travaillent continuellement à améliorer leur taux d’application. La progression de la mise en œuvre de la loi d’août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets en témoigne : de 12 % au 31 mars 2022, le taux d’application de la loi s’élève désormais à 78 %.

Vous pointez par ailleurs, à juste titre, l’écart de neuf points entre le taux d’application des lois d’origine gouvernementale et celui des lois d’initiative parlementaire. Il faut toutefois y voir non pas le signe d’une mauvaise volonté de la part du Gouvernement, mais principalement la conséquence d’une moindre anticipation des textes d’application des lois d’origine parlementaire.

Lors du dernier comité interministériel sur l’application des lois, j’ai demandé aux directeurs de cabinet de l’ensemble des ministres de réduire cet écart, car cela est tout à fait essentiel au respect de l’initiative parlementaire.

S’agissant de la remise des rapports, les taux de transmission au Parlement ont progressé. Ainsi, 71 % des rapports d’application des lois ont été remis à ce jour. Il est certainement possible de progresser encore sur ce point. Pour ce qui concerne les autres rapports ponctuels demandés, le taux de remise est de 43 %.

Madame le président, je partage votre mécontentement sur l’absence de remise des rapports demandés par le Sénat, et m’engage à écrire dès demain matin aux ministres concernés.

Enfin, s’agissant du recours aux ordonnances, auquel le Sénat prête la plus grande attention, celui-ci s’est considérablement réduit sur la période récente. Ainsi, alors que 353 ordonnances avaient été prises au cours de la XVe législature, seulement vingt-trois ont été publiées depuis le début de cette législature et trente-quatre habilitations ont été demandées par le Gouvernement.

Enfin, je souhaiterais vous apporter des précisions sur certains points.

Concernant la procédure accélérée, son engagement sur les projets de loi est une tendance de long terme, qui vise surtout à permettre la convocation d’une commission mixte paritaire (CMP) dès la fin de la première lecture. Dans la pratique, son impact sur les délais prévus à l’article 45 de la Constitution est modéré et le Gouvernement s’efforce de le limiter au mieux.

S’agissant des dispositions relatives aux médicaments, le décret sur les préparations hospitalières spéciales est en cours de concertation, en vue d’une publication au second semestre 2023. Quant au comité économique des produits de santé, il prend bien en compte la localisation de la production dans la fixation du prix, en vue de sécuriser l’approvisionnement, selon l’amélioration du service médical rendu.

Voilà les éléments dont je souhaitais vous faire part en introduction de ce débat.

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif. Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum, y compris l’éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente.

Je vais tout d’abord donner la parole aux représentants des commissions.

La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au regard de l’actualité, je consacrerai mon propos au secteur de l’énergie.

La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets atteint, vingt mois après sa promulgation, un taux d’application de 58 %, qui apparaît assez modeste au regard des ambitions affichées par le Gouvernement.

De nombreuses dispositions sont encore manquantes dans les domaines du logement – je pense à la définition des classes de logements –, de l’agriculture – l’expérimentation du menu végétarien –, de la forêt – l’adaptation de la gestion forestière et la prévention du risque incendie – ou de l’énergie – l’utilisation de matériaux biosourcés.

Alors que la nécessité d’accélérer la décarbonation de l’économie est une priorité partagée sur l’ensemble de nos travées, d’où provient ce retard ? Heureusement, monsieur le ministre, que nous avons légiféré dans l’urgence…

Les débats en matière de politique énergétique révèlent l’absence de vision à long terme et la nécessité d’une véritable programmation. C’est la raison pour laquelle la loi Énergie-climat, modifiée par la loi Climat et résilience, a prévu qu’une loi quinquennale détermine les objectifs et les priorités d’action de la politique énergétique nationale. C’est un point majeur du compromis obtenu entre l’Assemblée nationale et le Sénat ! Cette loi devait être prise avant le 1er juillet prochain et prévaloir sur tous les documents programmatiques réglementaires, dont la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone. C’est une obligation légale, inscrite dans le code de l’énergie !

Certes, la Première ministre a annoncé une loi sur le sujet. Toutefois, celle-ci sera présentée après la présentation de la PPE et de la stratégie nationale bas-carbone, ce qui est contraire aux objectifs et à la volonté du législateur.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous apporter des précisions sur la loi énergétique ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente Primas, comme je l’ai évoqué dans mon propos liminaire, je vous confirme que le ministère chargé de la mise en œuvre de la loi Énergie-climat est pleinement mobilisé sur cet objectif.

À la suite des échanges que nous avons eus ensemble, je rappelle que la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables et le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes ont été adoptés en priorité pour se caler avec la trajectoire énergétique actuelle. Pour autant, nous avons la volonté de conserver une vision globale. Je vous confirme donc aujourd’hui qu’un projet de loi de programmation Énergie-climat sera bien présenté à l’automne, comme l’a indiqué la Première ministre le 26 avril dernier lors de la présentation de la feuille de route du Gouvernement.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Tout à fait !

M. Franck Riester, ministre délégué. Cette loi doit remettre notre pays sur la bonne trajectoire énergétique en s’appuyant sur les textes précédemment votés.

Un grand chantier de concertation a été lancé le 23 mai par la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, avec les parlementaires, les élus locaux, les professionnels des secteurs concernés, les partenaires sociaux et la société civile, et doit aboutir à la fin du mois de juillet prochain. Il est structuré en groupes de travail pilotés par des élus et rassemblant les différentes parties prenantes autour de plusieurs thèmes de travail : sur les objectifs de la programmation, sur les moyens de les atteindre, et sur la déclinaison territoriale et opérationnelle de cette stratégie.

L’ambition du Gouvernement est de proposer une loi de programmation qui soit robuste, concrète et la plus consensuelle possible au vu de l’importance du sujet, ce qui implique d’associer les différents acteurs à son élaboration.

La mise en œuvre des choix énergétiques exige en effet de la stabilité, et donc du consensus sur les orientations retenues.

La programmation pluriannuelle de l’énergie et la stratégie nationale bas-carbone seront adoptées par décret dans l’année suivant l’adoption de la loi de programmation, afin que ces deux documents soient bien définis sur la base des objectifs fixés par le Parlement.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, le bilan de l’application des lois pour notre commission est plutôt positif, car l’essentiel des lois dont nous suivons l’application est désormais totalement applicable.

Toutefois, si l’ensemble des décrets prévus par la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales ont bien été pris, la mise en œuvre de l’un d’entre eux pose problème. Il s’agit du décret n° 2022-787 du 6 mai 2022 relatif aux modalités de fonctionnement de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement.

Plus de vingt mois après la promulgation de la loi, et malgré la publication de ce décret, cette commission, qui doit être composée d’un collège de parlementaires et d’un collège de personnalités qualifiées, n’a toujours pas été mise en place.

C’est un sujet que la commission suit attentivement, car il est tout de même question d’une modeste enveloppe de 13 milliards d’euros… Les corapporteurs ont d’ailleurs écrit à la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, il y a deux mois, pour connaître les perspectives de la mise en place de cette commission et les circonstances qui la bloquent encore. Aucune réponse ne nous est parvenue à ce jour. Mais vous allez certainement m’apporter des précisions !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président Cambon, vous m’interrogez sur le retard pris pour la mise en place de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement. Celui-ci s’explique, vous le savez, par un problème de gouvernance concernant la présidence de ladite commission.

La loi du 4 août 2021 a en effet placé cette commission auprès de la Cour des comptes afin qu’elle bénéficie de l’indépendance et de l’expertise de cette dernière en matière d’évaluation des politiques publiques. Elle n’a toutefois pas prévu la présidence de la commission par son Premier président, comme il est pourtant d’usage pour les autres institutions adossées à la juridiction financière – je pense par exemple au Conseil des prélèvements obligatoires.

Si un décret a bien été pris le 6 mai 2022 sur les modalités de fonctionnement de la commission, la question de sa présidence a fait l’objet de nouvelles discussions lors de l’examen de la loi de finances pour 2023, le Gouvernement ayant proposé de préciser ce point au travers d’un amendement adopté par le Sénat.

Cette disposition n’ayant toutefois pas été conservée par l’Assemblée nationale, elle ne figure plus dans le texte promulgué.

Après cette nouvelle période de discussion au Parlement et après concertation avec la Cour des comptes, les travaux ont pu reprendre au printemps sur la base de la gouvernance initialement prévue. Les huit personnalités qualifiées ont été identifiées et seront prochainement désignées par un décret de la Première ministre.

Par ailleurs, deux députés et deux sénateurs devront être désignés pour composer le collège des parlementaires.

Je peux également vous indiquer que la Cour des comptes a déjà lancé les travaux de préfiguration pour permettre une mise en place de cette instance dès l’ensemble des nominations effectuées.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères, pour la réplique.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le ministre, je vous remercie de ce rappel. Je souhaite que cette commission soit mise en place très rapidement. Comme je l’ai indiqué, elle permettra un véritable contrôle parlementaire. Même si la délégation de sénateurs et de députés qui doit participer à cette commission est modeste, elle est tout de même essentielle.

Il s’agit d’une commission d’évaluation de crédits qui s’élèvent à 13 milliards d’euros chaque année. Je compte sur la diligence du Gouvernement pour que les différentes consultations entre la Cour des comptes, l’Assemblée nationale et le Sénat puissent permettre la mise en route du dispositif, au bénéfice d’un meilleur contrôle parlementaire.

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de ma communication sur l’application des lois, j’ai indiqué que les neuf lois examinées par la commission des affaires sociales appelaient un total de 191 mesures réglementaires d’application.

Au 31 mars 2023, 116 mesures avaient été prises, soit un taux de 61 %. Mais je focaliserai mon propos sur le retard d’application dont souffre la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants – nous avons entendu la semaine dernière la secrétaire d’État Charlotte Caubel sur ce sujet. En effet, seulement 37 % des mesures réglementaires attendues ont été prises.

Nous entendons les raisons avancées : l’ampleur des mesures à prendre, l’entrée en vigueur de la loi en toute fin de législature et les délais de consultation des différentes instances. La secrétaire d’État a également pointé les défaillances de l’étude d’impact de cette loi. Certes, au Sénat, nous ne réfuterons pas que les études d’impact des projets de loi peuvent être elliptiques…

Toutefois, ces raisons ne justifient pas certaines situations absurdes. Je pense à un décret encadrant l’hébergement hôtelier des enfants protégés pendant le délai transitoire avant une interdiction complète, décret qui intervient alors que cette période transitoire est déjà écoulée aux deux tiers !

En commission, nous avons noté que le taux d’application de la loi devrait être porté à 75 % d’ici à l’été, car neuf des quinze mesures encore attendues sont bien avancées. Pouvez-vous nous dire ce qu’il en est des six dispositions restantes, pour lesquelles il n’est donc pas prévu de décret à court terme ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente Deroche, concernant l’application de la loi du 7 février 2022 relative à la protection de l’enfance que vous évoquez, la secrétaire d’État chargée de l’enfance, Mme Charlotte Caubel, s’est engagée devant votre commission la semaine dernière – vous l’avez dit – à publier 75 % des décrets d’application au mois de juin.

Le délai de publication des textes s’explique notamment par le champ décentralisé de cette politique, qui implique un temps de concertation technique avec les services départementaux et les acteurs associatifs, et un temps de concertation politique avec l’Assemblée des départements de France.

Par ailleurs, ces textes nécessitent la consultation obligatoire de plusieurs instances, comme le Conseil national d’évaluation des normes et le Conseil national de la protection de l’enfance.

L’ordonnance dont le délai d’habilitation a expiré portait sur l’extension et l’adaptation de certaines dispositions de la loi en outre-mer. Après réexamen par les services, cette habilitation n’a finalement pas été mise en œuvre. Cette situation ne soulève toutefois pas de difficultés de fond, car il n’y a pas de problématique particulièrement signalée en matière de mineurs non accompagnés (MNA) dans les territoires concernés.

Au-delà de ces cas d’espèce, je ne peux toutefois que regretter avec vous que des demandes d’habilitation ne soient pas utilisées dans le délai imparti.

Enfin, je peux vous indiquer que le sujet du rapport demandé sur l’inscription à l’assurance maladie de certains actes effectués par les infirmières puéricultrices dans les services de la protection maternelle et infantile (PMI) fera l’objet de discussions lors des Assises de la pédiatrie pour identifier les suites à donner à cette question.

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales, pour la réplique.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le ministre, nous avons une jurisprudence très claire sur les rapports : nous n’en demandons pas, car ils ne sont jamais rendus, à quelques exceptions près ! Nous simplifions ainsi la tâche du Gouvernement.

Nous avons créé une mission d’information et de suivi de l’application des lois sur la protection de l’enfance, confiée à Bernard Bonne. Nous avons déjà organisé une audition avec Mme la secrétaire d’État, ce qui était une bonne chose, mais nous suivrons ce dossier de près.

M. le président. La parole est à Mme la vice-présidente de la commission de l’aménagement du territoire.

Mme Marta de Cidrac, vice-présidente de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me revient d’intervenir cet après-midi au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

Dans le bilan d’application des lois que nous avons dressé au début du mois de mai, nous avons déploré le taux d’application trop faible de certains textes. C’est notamment le cas de la loi Reen du 15 novembre 2021, issue des travaux menés pour notre commission par Patrick Chaize, Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte.

À la fin du mois de mars, près de dix-huit mois après la promulgation du texte, seulement deux mesures sur les six prévues avaient été prises par le Gouvernement. Deux décrets doivent notamment préciser les modalités de mise en œuvre de l’écoconditionnalité de l’avantage fiscal accordé aux centres de données en matière d’électricité.

Alors que la France fait face à une crise énergétique et à une crise de l’eau sans précédent, qui vont s’aggraver dans les années à venir en raison du réchauffement climatique, aucun secteur ne peut être exonéré des efforts à mener pour la préservation de nos ressources énergétiques et naturelles. Nous appelons donc à la publication rapide de ces décrets, qui inciteront les centres de données à rationaliser leur consommation d’énergie et d’eau.

J’en viens à mon second point, qui concerne l’application encore incomplète de la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM), qui a pourtant été publiée il y a plus de trois ans. Pour ne donner qu’un exemple, le cadre réglementaire de l’ouverture à la concurrence des réseaux de transport public urbain par autobus de la RATP demeure inachevé. L’un des décrets prévus aux termes de l’article 158 de la loi, relatif à la portabilité de certains droits des salariés en cas de changement d’employeur, est encore attendu.

Alors que nous approchons à grands pas de l’échéance de l’ouverture à la concurrence, fixée au 1er janvier 2025, la finalisation du cadre réglementaire doit constituer une priorité, tant pour le bon déroulement du processus que pour donner de la visibilité aux salariés quant aux conditions qui s’appliqueront en cas de changement d’employeur.

Comme vous pouvez le constater, monsieur le ministre, nous sommes toujours dans l’attente, mais peut-être nous rassurerez-vous par votre réponse.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, l’article 158 de la loi d’orientation des mobilités est venu préciser le cadre social applicable à l’ouverture à la concurrence du réseau de bus de la RATP, afin de protéger les salariés transférés et de garantir la continuité du service public.

Le cadre social de l’ouverture à la concurrence du réseau de bus de la RATP repose sur quatre décrets, dont un reste à prendre, ainsi que sur deux arrêtés d’application desdits décrets.

Le décret relatif à la portabilité du régime spécial de la retraite de la RATP a fait l’objet de premières réunions techniques en fin d’année 2022 entre la RATP, la caisse de retraite des personnels de la RATP et les services ministériels.

Compte tenu de la réforme des retraites, les travaux reprendront après la publication des décrets mettant en œuvre la réforme pour les régimes spéciaux.

Par ailleurs, je tiens à vous informer que la mise en application de la LOM est effective à hauteur de 95 %.

En ce qui concerne la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, il s’agit de fixer par décret les modalités de mise en œuvre de l’écoconditionnalité de l’avantage fiscal attribué aux centres de données en matière d’électricité, plus spécifiquement, comme vous l’évoquiez, les indicateurs chiffrés que doivent respecter les centres de données en termes de consommation.

Les travaux interministériels sont en cours et une première version de décret a été élaborée. Toutefois, une analyse de la base légale est actuellement menée pour éviter un risque de contentieux sur les indicateurs techniques envisagés au regard de la doctrine fiscale. L’élaboration des mesures d’application pourra se poursuivre une fois ce sujet clarifié.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, la commission des finances constate un taux de mise en application équivalent à celui de la session précédente, donc sans progrès ni détérioration, avec toutefois un point positif : davantage de mesures ont été publiées dans un délai de six mois.

Néanmoins, certaines dispositions ne sont pas mises en œuvre. Je voudrais donc vous interroger, monsieur le ministre, sur les trois points suivants.

Premièrement, l’article 9 de la loi de finances rectificative du 16 août 2022 prévoyait d’appliquer certaines mesures aux aéronefs et aérodromes concernant les tarifs d’accise sur l’électricité, les recettes provenant de la taxe sur le transport aérien ou encore la taxe sur les nuisances sonores aériennes. Ces mesures appelaient cinq arrêtés d’application. Pourquoi ces derniers n’ont-ils pas été pris, alors même que le Parlement avait été invité à adopter ce texte en session extraordinaire ? Ces arrêtés seront-ils publiés et quand ?

Deuxièmement, l’article 16 de la loi de finances initiale pour 2020 a introduit un nouvel article 1418 au sein du code général des impôts relatif aux obligations déclaratives des propriétaires de locaux d’habitation pour l’établissement de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et de la taxe annuelle sur les logements vacants, selon des modalités fixées par décret.

Avant même la parution du décret, l’administration fiscale a lancé l’ouverture de la procédure de déclaration en ligne le 23 janvier 2023, celle-ci devant être accomplie avant le 30 juin. Pouvez-vous nous confirmer que le décret d’application a finalement été pris courant avril ? N’est-il pas étrange de publier ce décret après avoir mis en place la procédure ?

Troisièmement, les articles 130, 131 et 134 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, la loi Pacte, prévoyaient l’adoption de textes réglementaires devant tirer les conséquences de la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP). Dans la mesure où cette privatisation semble avoir été repoussée à une date indéterminée, ne serait-il pas pertinent d’abroger ces mesures, qui n’ont plus vocation à s’appliquer ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président Raynal, la loi de finances rectificative pour 2022 comprend en effet plusieurs dispositions relatives aux aéronefs et aérodromes appelant des mesures d’application.

En ce qui concerne le tarif réduit de l’accise sur l’électricité fournie aux aéronefs lors de leur stationnement dans les aérodromes, une demande de dérogation au titre de la directive 2003/96/CE a été adressée en avril 2022 à la Commission européenne. Cette dernière a demandé des compléments d’information, qui lui ont été adressés au cours de l’été, et la demande est en cours de traitement.

Pour ce qui est des règles de gestion des aérodromes, un arrêté a été pris le 27 décembre 2022 sur les déclarations de coût des exploitants. En ce qui concerne le solde de taxe sur les nuisances sonores aériennes à rembourser, les arrêtés sont en cours de rédaction.

Enfin, pour l’exonération de tarifs de l’aviation civile de la taxe sur les transports aériens de passagers pour les vols au départ de l’aéroport de Bâle-Mulhouse, un projet d’arrêté a été soumis à consultation le 24 mai dernier. Il sera très prochainement publié pour une entrée en vigueur du nouveau tarif le 1er juillet prochain.

En ce qui concerne l’article 16 de la loi de finances initiale pour 2020 portant suppression progressive de la taxe d’habitation sur les résidences principales, l’administration a ouvert dès le 23 janvier 2023 la procédure de déclaration en ligne, soit avant la publication du décret appelé par l’article 1418 du code général des impôts compte tenu du niveau de précision de la loi et dans un souci de célérité. Il s’agit en effet d’une mesure très attendue.

La publication du décret le 30 avril 2023, soit avant la date limite de l’obligation déclarative fixée au 30 juin 2023, est sans incidence sur la légalité du service de déclaration en ligne.

Enfin, concernant les dispositions de la loi Pacte, les conditions de marché ne sont plus réunies pour envisager la privatisation du groupe ADP. Compte tenu des incertitudes qui entourent la reprise du trafic aérien, il est aujourd’hui impossible d’établir un calendrier prévisionnel pour une éventuelle cession, laquelle est certes reportée, mais non abandonnée. Dans ces conditions, l’abrogation des mesures de la loi Pacte, dont l’entrée en vigueur est conditionnée à cette privatisation, n’est pas requise.

M. le président. La parole est à Mme le vice-président de la commission des lois.

Mme Catherine Di Folco, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le ministre, je souhaite évoquer deux exemples précis qui illustrent, pour ce qui concerne les textes examinés par la commission des lois, les difficultés d’application qui peuvent apparaître malgré la prise effective de mesures par le pouvoir réglementaire.

Le premier concerne l’article 229 de la loi 3DS, qui prévoit les conditions dans lesquelles les chambres régionales des comptes participent à l’évaluation des politiques publiques territoriales.

Le décret du 8 décembre 2022 pris pour son application prévoit que « la chambre régionale des comptes peut, de sa propre initiative, procéder à l’évaluation d’une politique publique relevant des collectivités territoriales et organismes soumis à sa compétence de contrôle des comptes et de la gestion ». Or cette capacité d’autosaisine me semble excéder très largement l’intention du législateur.

L’analyse des travaux parlementaires montre ainsi qu’il s’agissait de créer non pas une faculté d’autosaisine pour les chambres régionales des comptes, mais une compétence nouvelle d’évaluation des politiques publiques territoriales relevant de la saisine exclusive des collectivités territoriales.

En la matière, le pouvoir réglementaire a donc outrepassé l’intention du législateur. Le ministre de la cohésion des territoires a opposé une fin de non-recevoir à la question écrite de Françoise Gatel, rapporteur de ce texte, tendant à ce que le décret soit modifié pour respecter le souhait du législateur. Restez-vous également dans le déni, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement ?

Le second exemple est relatif à l’article 3 de la loi relative aux « lanceurs d’alerte », pour lequel le pouvoir réglementaire n’a cette fois pas été au rendez-vous de l’ambition fixée par le législateur.

Cet article prévoit un système de réception et de traitement unique au sein des groupes de sociétés. Loin de traduire cette volonté de simplification, le décret du 3 octobre 2022 instaure un système « perdant-perdant », le lanceur d’alerte devant lui-même, de manière assez inexplicable, retirer son signalement pour le redéposer auprès de la filiale la plus appropriée pour le traiter.

La Commission européenne avait pourtant ouvert la porte à une véritable procédure commune, afin d’alléger les charges administratives pesant sur les entreprises et de simplifier le système. Le Parlement l’avait entendue ; malheureusement, le Gouvernement a préféré faire la sourde oreille. Comment expliquer pareille situation ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, selon l’article 229 de la loi 3DS, les chambres régionales des comptes contribuent à l’évaluation des politiques publiques locales.

Le décret pris pour l’application de cette disposition prévoit que la chambre régionale des comptes peut, de sa propre initiative, procéder à l’évaluation d’une politique publique relevant des collectivités territoriales et organismes soumis à sa compétence de contrôle des comptes et de la gestion.

La rédaction de la loi 3DS est une reprise à l’identique de l’article du code des juridictions financières relatif à la Cour des comptes, selon lequel cette dernière contribue à l’évaluation des politiques publiques.

Sur le fondement de cette disposition législative de principe, la Cour peut réaliser sur sa propre initiative une évaluation de politique publique. Par conséquent, l’article de la loi 3DS permet aux chambres régionales des comptes, dans les conditions prévues par voie réglementaire, de procéder de la même façon à l’évaluation d’une politique publique au sein de son ressort territorial. Le Gouvernement considère ainsi que le décret pris est conforme aux termes de la loi.

En ce qui concerne l’article 3 de la loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, le décret du 3 octobre 2022 pris pour son application distingue les phases de réception et de traitement des signalements.

Si, dans un groupe de sociétés, le principe est celui d’un traitement au niveau de l’entité concernée par la violation, la réception des signalements peut en revanche être mutualisée et se faire au sein de n’importe laquelle des entités, notamment la société mère, ou encore être gérée en externe par un tiers.

Le décret épuise l’ensemble des opportunités offertes par la directive 2019/1937, dite lanceurs d’alerte, qui ne permet pas de prévoir une externalisation ou une mutualisation spécifique des procédures de traitement des signalements dans les groupes de société.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le ministre, je souhaite revenir une nouvelle fois sur le recours aux ordonnances pour transposer les directives européennes ou prendre des mesures d’application des règlements.

Vous le savez, le règlement du Sénat a chargé la commission des affaires européennes d’une mission de veille, afin d’identifier les surtranspositions et de s’assurer que le Gouvernement les justifie, tant elles peuvent nuire à la compétitivité de l’économie française.

Or, lorsque le Gouvernement choisit de recourir aux ordonnances pour transposer les règles européennes en droit national, il révèle rarement au Parlement ses intentions précises, en particulier si le texte européen comporte des options facultatives ou si l’habilitation demandée va au-delà des exigences de mise en conformité avec les textes européens.

Un exemple récent permet de mesurer l’ampleur de la difficulté. Je veux parler de la transposition de la directive dite CSRD sur les déclarations de performance extrafinancière des entreprises. Le Gouvernement a en effet sollicité une habilitation dans le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture, dit Dadue.

Or la directive n’avait pas encore été adoptée et le délai d’habilitation sollicité était donc très long. En outre, l’élaboration du projet d’ordonnance n’avait même pas été lancée, ce qui ne permettait pas au Parlement de se prononcer en ayant connaissance des orientations du Gouvernement, qui n’étaient pas encore définies. Au surplus, le périmètre de l’habilitation était particulièrement large et excédait sans conteste celui de la directive.

Comme vous le savez, le Sénat a rejeté cette demande d’habilitation dans un premier temps, avant d’accepter finalement en commission mixte paritaire une version fortement resserrée du champ d’habilitation, au vu de la directive adoptée dans l’intervalle.

Monsieur le ministre, le Gouvernement peut-il nous assurer que pareille mésaventure ne se reproduira pas et qu’il intégrera dorénavant les mesures de transposition dans le projet de loi lui-même ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, en termes de vecteur, le recours aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution représente 2,7 % des mesures de transposition des textes européens. Le Gouvernement veille à y recourir pour des mesures essentiellement techniques ; la ligne retenue est de privilégier un texte dédié, projet de loi ou proposition de loi, pour les directives les plus sensibles politiquement.

Le recours aux habilitations est encadré par le secrétariat général du Gouvernement et le secrétariat général des affaires européennes dans le cadre des réunions relatives aux travaux de transposition et de préparation des projets de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne.

J’ajoute que la nouvelle méthode voulue par la Première ministre prévoit un recours très modéré aux habilitations.

Il est par ailleurs régulièrement demandé aux services d’être en mesure de présenter aux rapporteurs les projets d’ordonnance envisagés lors de l’examen des demandes d’habilitation, afin d’éclairer au mieux leur décision sur cette demande. C’est ce qui a été fait pour le dernier projet de loi Dadue, notamment par la Chancellerie.

Je précise enfin que les efforts conjugués en faveur de l’adaptation rapide du droit national aux textes européens permettent à la France de présenter actuellement un déficit de transposition particulièrement faible de seulement 0,3 %.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission de la culture.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le ministre, aux yeux de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication – vous me permettrez dès à présent d’ajouter le sport à cet intitulé –, le bilan de l’application des lois au 31 mars 2023 est contrasté.

Si l’applicabilité de certains textes s’avère satisfaisante – je pense notamment à la loi de programmation de la recherche –, les mesures réglementaires attendues pour d’autres textes peinent à voir le jour.

Il en va ainsi, monsieur le ministre, des décrets prévus par la loi créant la fonction de directrice ou de directeur d’école. Le ministre de l’éducation a récemment pris soin de préciser que leur publication avait été « retardée afin d’articuler leurs dispositions avec les nouvelles missions proposées aux professeurs des écoles dès la rentrée prochaine. »

Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, que l’horizon de publication de ces mesures demeure bel et bien compatible avec la prochaine rentrée scolaire ?

Il en va de même pour les mesures réglementaires prévues par la loi pour une école de la confiance. Je souhaiterais m’assurer en particulier de l’intention du Gouvernement de publier le décret prévu à l’article 30 du texte prévoyant notamment l’élaboration de conventions de coopération entre établissements médico-sociaux et établissements scolaires pour la scolarisation des élèves en situation de handicap.

La prise en charge du handicap à l’école est un sujet sur lequel la commission a beaucoup travaillé ces derniers mois. Cette mesure pourrait contribuer à faire avancer les choses significativement.

Pour ce qui concerne la loi visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne, l’absence de publication de la seule mesure réglementaire du texte rend malheureusement celui-ci inopérant. Alors que s’annonce l’examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, je souhaiterais savoir si la mise en œuvre de cette loi est encore d’actualité ou définitivement abandonnée.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président Lafon, concernant la loi du 21 décembre 2021 créant la fonction de directrice ou de directeur d’école, deux des six mesures attendues ont d’ores et déjà été appliquées.

Les textes restant à prendre sont en cours de finalisation. Ils ont été examinés au Comité social d’administration du ministère de l’éducation nationale du 16 mai dernier et débattus en Conseil supérieur de l’éducation lors de sa séance du 17 mai. Le Conseil d’État devrait en être saisi dès cette semaine.

La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance présente, quant à elle, un taux d’application de 90 %, avec dix-huit mesures appliquées sur un total de vingt mesures actives. La publication des décrets d’application manquants relatifs au handicap interviendra à la suite du Conseil national du handicap, avant la fin de l’année 2023.

Concernant la loi du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne, l’étude de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique, publiée fin février 2023, a permis de mieux appréhender les enjeux liés à cette exploitation et les besoins de régulation. Sur la base de ces résultats, le décret sera pris très rapidement.

M. le président. Dans le débat, la parole est désormais aux représentants des groupes, selon les mêmes règles que pour les représentants des commissions.

La parole est à M. Jean-Yves Roux.

M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous anime aujourd’hui est un incontournable de la vie parlementaire et de l’évaluation du Sénat. Mais il prend cette année une tout autre saveur : celle de la valeur de la loi – projet et proposition de loi –, de la valeur du cheminement parlementaire et réglementaire, de la valeur de la démocratie représentative et de ses élus.

Mes chers collègues, vous me permettrez de saluer le travail réalisé par la présidente Pascale Gruny, qui dit beaucoup sur l’état de l’institution parlementaire et insiste clairement sur des leviers d’action qui nous concernent également. Trop de lois en procédure accélérée, trop vite, des lois pantagruéliques mal digérées, des communications empressées : les travers sont connus.

Je salue en parallèle l’intention qui préside à la circulaire du 27 décembre 2022, aux termes de laquelle « veiller à une rapide et complète application des lois répond à une exigence de démocratie, de sécurité juridique et de responsabilité politique ».

Toutefois, mes chers collègues, comme l’énonçait si justement Pierre Mendès France : « La conception d’une démocratie purement formelle et périodique, si je puis dire, ne correspond pas forcément à une réalité vivante. » C’est bien à celle-ci que je suis attaché. Les conditions d’application de la loi font beaucoup pour notre vitalité démocratique.

Tout d’abord, nous devons en prendre conscience, ce n’est pas seulement le temps nécessaire pour la publication des décrets qui pose problème. Nos concitoyens comme nos collectivités ont besoin de ces informations conjuguées et connues pour anticiper leurs actions.

Pascale Gruny a insisté sur la loi Climat et résilience ou la loi 3DS : certains de leurs articles, en suspens, sont des freins pour l’action locale. C’est ce qu’il se passe pour l’application du ZAN, le zéro artificialisation nette.

Autre point intéressant également nos collègues députés, celui de l’encadrement plus strict des réseaux d’influence au moment de la rédaction de ces textes. Leur consultation peut être utile, mais dans des conditions plus réglementées, limitées dans le temps, en toute transparence et sans préjudice pour la durée et la qualité de rédaction des textes réglementaires.

Mon dernier point s’adresse tant à nos collègues sénateurs qu’au Gouvernement. Nous pouvons anticiper, dès le début de la discussion parlementaire, les difficultés soulevées dans le cadre des textes réglementaires. La méthode porte un nom : l’expérimentation, qui peut s’insérer dans plusieurs cadres. Je pense aux expérimentations normatives locales, trop diluées dans les processus d’évaluation parlementaire. La méthode répond pourtant à un bel objectif, celui de renouveler notre démocratie et de s’éloigner du populisme, en trouvant des solutions acceptables.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous évoquez les difficultés rencontrées par les destinataires de nouvelles normes pour leur application, prenant l’exemple des dispositions relatives au ZAN.

Si je partage votre souci de stabilité et de lisibilité du droit, permettez-moi de souligner que, sur ce sujet, la Première ministre a pris des engagements devant le Congrès des maires et que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, a réagi dès l’été dernier face aux difficultés remontées par les collectivités territoriales en suspendant les textes d’application, afin de revoir le cadre juridique applicable. Ce travail se poursuit, aux niveaux législatif et réglementaire, sur la base de la proposition de loi sénatoriale, qui sera examinée par l’Assemblée nationale le 21 juin prochain.

Vous avez également évoqué le rôle des réseaux d’influence lors de la rédaction des textes d’application. S’il est essentiel de prévenir tout conflit d’intérêts, et a fortiori de sanctionner toute dérive en la matière, les administrations ont des échanges réguliers avec les parties prenantes, qu’elles soient chargées de réglementer, de contrôler et, le cas échéant, de sanctionner. On reprocherait à bon droit aux administrations d’être déconnectées de la réalité quotidienne et du terrain en l’absence de telles relations de travail.

Par ailleurs, préalablement à leur adoption, les mesures réglementaires sont soumises de manière presque systématique à l’avis d’organismes consultatifs.

Quant au recours à l’expérimentation avant une éventuelle généralisation, je souscris à vos propos sur l’intérêt d’une telle démarche, dans laquelle le Gouvernement s’est résolument engagé. Je citerai notamment, à titre d’exemple, le droit de dérogation du préfet expérimenté en 2018 et 2019 sur la base du décret du 29 décembre 2017, puis généralisé en 2020 et qui a fait l’objet d’un bilan positif par l’inspection générale de l’administration en 2022.

On peut également mentionner le dispositif France Expérimentation, piloté par la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), qui permet de lever des blocages juridiques entravant la réalisation de projets innovants, grâce à la mise en place de dérogations, à titre expérimental.

Enfin, j’ajouterai que la Première ministre a insisté, le 17 mai 2023, auprès des cadres dirigeants de l’État, sur la pertinence d’expérimenter, « de prendre son risque » et a invité chacun « à se saisir de toutes ses capacités de dérogation et d’adaptation ».

M. le président. Si je vois bien la passion qui anime ce débat, je demande toutefois que chacun respecte son temps de parole de deux minutes. (Sourires.)

La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Monsieur le ministre, je souhaite intervenir au sujet de la loi du 16 août 2022 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, dont j’ai été le rapporteur.

Cette loi illustre, selon nous, des dysfonctionnements dont nous souhaiterions qu’ils ne se reproduisent plus à l’avenir.

J’avais critiqué à l’époque la méthode employée : le texte était visiblement une « fausse » proposition de loi, rédigée par les directions centrales des ministères concernés, déposée par les députés du groupe majoritaire, puis discutée au Parlement, sans étude d’impact ni avis du Conseil d’État.

Elle concernait un domaine qui n’était pas sans conséquence pour nos libertés publiques, puisqu’il s’agissait ni plus ni moins que de retirer en une heure des contenus en ligne à caractère terroriste. Des dispositions similaires avaient été censurées dans la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia.

Le Gouvernement souhaitait aller vite dans cette affaire. La proposition de loi visait à adapter la législation française au règlement européen du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne.

Compte tenu de ces enjeux, le Sénat avait accepté de jouer le jeu en adoptant ce texte en urgence pendant la séance extraordinaire de juillet. Je vous rappelle le calendrier : 6 juillet, examen par la commission ; 12 juillet, examen en séance publique ; 19 juillet, examen par la commission mixte paritaire ; 26 juillet, examen en séance publique pour l’adoption des conclusions de la commission mixte paritaire. La loi avait été promulguée le 16 août, après une décision de conformité du Conseil constitutionnel.

Que s’est-il passé depuis ? Rien ! Faute de décret d’application, cette loi n’est pas applicable. Dans l’attente de ce décret, aucune injonction de retrait nationale n’a pu être émise par l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), tandis qu’aucune injonction de retrait transfrontalière venue d’une autorité européenne ne peut être traitée.

Finalement, seule la nomination d’un suppléant de la personnalité qualifiée nommée au sein de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) est intervenue, soit un bilan bien maigre, monsieur le ministre, vous en conviendrez.

Quand ce décret sera-t-il publié ? Pourrions-nous, à l’avenir, éviter de tels dysfonctionnements ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous évoquez l’application de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, telle que modifiée par la loi du 16 août 2022 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, à laquelle vous aviez pris une part importante en tant que rapporteur.

L’article 6-1-1 de la loi de 2004 ainsi modifiée prévoit un décret pour préciser les modalités d’échange d’informations dans le cadre des injonctions de retrait de contenus à caractère terroriste entre, d’une part, l’autorité administrative et l’Arcom et, d’autre part, entre ces autorités et les autres autorités compétentes étrangères désignées pour la mise en œuvre du règlement UE 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021.

Le projet de décret a été présenté en section de l’intérieur du Conseil d’État le 16 mai 2023. Il est désormais en cours de signature. Sa publication est prévue avant l’échéance du 7 juin 2023, date à laquelle la France devra remettre un rapport de mise en œuvre du règlement européen précité.

M. le président. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons tous ici, une fois la loi votée, le rôle du législateur n’est pas terminé.

Comme chaque année, à cette période, nous examinons le bilan de l’application des lois. Cet exercice traditionnel s’inscrit dans notre mission de contrôle de l’action du Gouvernement. En effet, la bonne exécution des lois requiert une attention constante de notre part.

J’aborderai trois problématiques spécifiques.

La première se rapporte au recours trop fréquent à la procédure accélérée. Si celle-ci est inscrite dans la Constitution, son utilisation répétée, voire excessive, porte atteinte au principe de la double lecture et oblige le Parlement à débattre dans des délais très restreints.

Or la commission des lois a constaté que, parmi les vingt lois promulguées qu’elle avait examinées au fond, dix-sept avaient été adoptées après engagement de la procédure accélérée. Monsieur le ministre, le recours à la procédure accélérée doit demeurer une exception !

La deuxième problématique concerne le respect des délais de publication des rapports au Parlement. Cela a été dit, le taux de publication global n’est que de 36 %. Ce chiffre n’est pas satisfaisant.

Enfin, la troisième problématique porte sur l’inflation législative. Nous déplorons le fait que ce phénomène perdure. Si, pour la commission des lois, le coefficient multiplicateur des dispositions législatives est similaire à celui de l’année dernière, nous constatons en revanche que le nombre d’articles comptabilisés lors du dépôt est en augmentation de 31 %.

Monsieur le ministre, quelles mesures envisagez-vous de prendre, afin de remédier à ces situations, qui peuvent porter atteinte à la crédibilité de l’action publique ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, concernant le recours à la procédure accélérée, comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, son engagement est essentiellement motivé par la faculté de convoquer une commission mixte paritaire dès la fin de la première lecture. Les conséquences restent modérées sur les délais d’examen fixés par l’article 45 de la Constitution, que le Gouvernement s’est efforcé de maîtriser depuis le début de la XVIe législature, avec un délai de trente-six jours entre le dépôt des projets de loi et leur examen par l’assemblée saisie.

Au cours de la session 2021-2022, 71 % des rapports d’application des lois et 43 % des autres rapports ponctuels ont été remis. Sur l’ensemble de la XVe législature, le taux de remise est de 52 %.

Les ministères s’efforcent de répondre au mieux à ces demandes. Je sais que le Sénat, à l’instar du Gouvernement, ne souhaite pas multiplier les rapports, afin de ne pas saturer les services, qui sont aussi chargés de concevoir et d’appliquer les politiques publiques.

Concernant enfin l’inflation législative, je partage votre préoccupation. Le Gouvernement s’est efforcé, depuis le début de la législature, de limiter le nombre d’articles des projets de loi présentés au Parlement, avec pour consigne, lors des travaux interministériels de préparation, de se concentrer sur des articles politiquement significatifs et d’éviter tout empiétement sur le domaine réglementaire.

Si l’on s’en tient au sujet de l’application des lois, je me permets de souligner que, selon une estimation du secrétariat général du Gouvernement, au cours de la XVe législature, le nombre de renvois à des décrets d’application entre le projet de loi déposé et la loi promulguée a plus que doublé.

On peut prendre comme exemple la loi 3DS, dont le texte initial comprenait trente-huit renvois à des décrets d’application, contre quatre-vingt-seize dans la loi promulguée, ce qui a modifié sensiblement l’ampleur du travail réglementaire.

Il s’agit donc d’une responsabilité partagée entre le Gouvernement et le Parlement, qui appelle collectivement à une forme de sobriété normative. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Monsieur le ministre, en cette fin de débat, il est difficile d’être original. Je vous poserai deux questions.

Premièrement, le nombre de passages en procédure accélérée est toujours aussi élevé. Je comprends bien vos raisons, vous en avez expliqué quelques-unes. Il n’en demeure pas moins que la procédure accélérée n’est plus une procédure extraordinaire. Il s’agit même de la procédure ordinaire. A contrario, la procédure normale devient, elle, exceptionnelle.

Force est d’ailleurs de constater que ce ne sont pas les lois votées en procédure accélérée qui sont appliquées le plus rapidement, ce qui ne paraît pas très logique. L’urgence à examiner un texte n’est pas en corrélation avec l’urgence qu’il y aurait à le promulguer. Ainsi, les lois examinées en procédure accélérée sont appliquées en moyenne beaucoup plus tardivement que les lois examinées selon la procédure normale.

Étant donné que pour beaucoup de ces textes le recours à la procédure accélérée ne répond pas à une situation d’urgence, pouvez-vous nous dire pourquoi le Gouvernement l’utilise avec aussi peu de discernement ? S’agit-il de restreindre le temps du débat au Sénat ?

Deuxièmement, vous savez que le Sénat s’autocensure sur les rapports et en demande très peu. Les rapporteurs nous opposent toujours des avis défavorables, en argumentant que la position de la Haute Assemblée sur les demandes de rapport est bien connue de tous. Malgré tout, j’ai pris connaissance de vos chiffres, qui ne corroborent pas ceux du Sénat. Malgré l’augmentation du nombre de rapports rendus par le Gouvernement l’an dernier, seulement 36 % des rapports demandés par le Sénat ont été reçus et rendus publics.

Est-ce parce que vous n’avez pas le temps de les réaliser, que vous n’avez pas assez de personnel, que l’administration ne répond pas à vos demandes, ou est-ce parce que vous ne voulez pas les rendre publics, bien qu’ils aient été rédigés ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Benarroche, certaines de vos observations rejoignent celles qui ont été évoquées à l’instant par le sénateur Marc.

Concernant le recours à la procédure accélérée et ses conséquences sur les délais d’examen fixés par l’article 45 de la Constitution, je précise que trente-six jours séparent en moyenne, sur la période 2021-2023, le dépôt d’un projet de loi de son examen par la première assemblée saisie ; cinquante-huit jours séparent ensuite la transmission du texte par la première assemblée et son examen par la seconde assemblée ; et dix-sept jours séparent la fin de la première lecture et la réunion de la commission mixte paritaire.

Je précise encore que ces données sont tirées à la baisse par la quinzaine de projets de loi liés à l’épidémie de covid-19, dont le Parlement s’était saisi avec une très grande diligence.

Comme je l’ai souligné à l’instant, le recours à la procédure accélérée permet de convoquer une CMP après la première lecture, ce qui est fort utile.

Concernant la remise des rapports, outre les éléments déjà apportés, permettez-moi de souligner que l’absence de transmission pour les vingt et une demandes de rapports formulées par le Sénat est regrettable, mais tout à fait fortuite. Je me rapprocherai bien évidemment des ministres concernés pour que les rapports demandés puissent rapidement être rendus.

Le Gouvernement n’a nullement la volonté de dissimuler les rapports ; nous sommes simplement parfois confrontés à des délais de concertation, de relecture et de validation.

Quoi qu’il en soit, la non-publication de vingt et un rapports est problématique. Je ne manquerai pas de le faire savoir dès demain à mes collègues du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le ministre, dans une circulaire datée du 27 décembre 2022, la Première ministre, Élisabeth Borne, a réaffirmé la dimension capitale que représente l’application des lois dans notre pays, ainsi que les grands principes émanant de cet impératif démocratique.

C’est la première fois depuis 2008 qu’une telle impulsion est donnée par le Gouvernement, afin d’assurer que les textes votés par le Parlement aient des effets concrets pour nos concitoyens dans les meilleurs délais, et ce de manière conforme à l’intention du législateur.

À cette occasion, la Première ministre a notamment demandé à renforcer le réseau des correspondants ministériels pour l’application des lois.

Ce réseau, qui gagnerait à être davantage connu, est un maillon bienvenu afin de faire en sorte que la période qui sépare la publication d’une loi de l’intervention des mesures réglementaires d’application soit la plus brève possible.

Cette exigence de célérité et d’efficacité répond à une triple exigence de démocratie, de sécurité juridique et de responsabilité politique.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser comment fonctionne ce réseau et quels sont les résultats attendus de cette initiative ? (M. François Patriat applaudit.)

M. François Patriat. Excellent, très bonne question !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Buis, comme je l’ai en effet indiqué dans mon intervention liminaire, la Première ministre a souhaité donner une nouvelle impulsion au processus d’application des lois, en rappelant ses grands principes ainsi que ses modalités de mise en œuvre, en lien notamment avec les assemblées parlementaires.

À cette occasion, la Première ministre a souhaité réaffirmer la position centrale des correspondants ministériels de l’application des lois, créés en 2011. Vous avez eu raison de le rappeler, monsieur le sénateur.

Ce rôle essentiel a été mis en exergue à plusieurs reprises depuis l’année dernière. Les correspondants ont ainsi été étroitement associés au groupe de travail sur l’application des lois, conduit par le secrétariat général du Gouvernement, qui a abouti à une refonte des méthodes de travail, des guides de procédures afférents et des outils de suivi en septembre 2022 dans un premier temps, ainsi qu’à l’élaboration de la circulaire de décembre 2022 dans un second temps.

Les correspondants se sont vus confortés comme les interlocuteurs uniques du secrétariat général du Gouvernement en matière d’application des lois, de suivi des ordonnances et des rapports.

Enfin, dans l’optique de fluidifier les échanges, la plateforme Osmose, développée par la direction interministérielle du numérique (Dinum), a été déployée en février 2023 au sein du réseau. Ainsi, le secrétariat général du Gouvernement met à disposition de ses correspondants davantage d’outils : données détaillées ; annuaire des correspondants ; éléments de calendrier afin d’anticiper au mieux les différents exercices ; plateforme de discussion.

Ces différentes actions visent à conforter le rôle des correspondants ministériels comme « tour de contrôle » de l’application des lois dans chaque ministère, afin d’assurer un suivi centralisé de l’ensemble des textes pris et de pouvoir en répondre, avec le souci d’un processus d’application toujours plus rapide et cohérent, conformément aux demandes réitérées depuis de nombreuses années par François Patriat.

M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi.

M. Hussein Bourgi. Monsieur le ministre, le débat annuel sur l’application des lois me donne l’occasion de formuler trois observations.

La première concerne le recours trop fréquent à la procédure accélérée. Cela a déjà été rappelé, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour quarante-cinq textes sur soixante-quatre. La procédure accélérée suppose un caractère d’urgence. Or vingt et une de ces lois attendent toujours leurs décrets d’application. Elles sont donc en souffrance : où est passée l’urgence qui motivait le recours à une telle procédure ?

Deuxième observation, monsieur le ministre, depuis mon arrivée au Sénat, on m’a inculqué la règle suivante : la Haute Assemblée est particulièrement parcimonieuse, pour ne pas dire chiche, en matière de demandes de rapport. Or nous attendons désespérément deux tiers des rapports commandés pour éclairer nos travaux et mieux légiférer dans les prochains mois. Comment comptez-vous remédier à cette difficulté ?

Ma troisième observation concerne la loi 3DS. Vous le savez, une cinquantaine de décrets et d’arrêtés ne sont à ce jour toujours pas publiés. Ils concernent pourtant des sujets loin d’être mineurs.

Je pense, par exemple, au décret qui concerne le classement en calamité naturelle exceptionnelle dans les territoires ultramarins. Avec les changements climatiques, il est malheureusement à craindre que ce genre de phénomène ne se produise fréquemment.

Le deuxième décret toujours en attente de promulgation est celui relatif à la dénomination des voies et des lieux-dits par les conseils municipaux. C’est tout sauf anecdotique : lorsqu’une voie ou un lieu-dit ne sont pas clairement dénommés, le courrier ne peut être réceptionné dans des délais normaux.

Le troisième exemple concerne le décret d’application sur le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et les centres de gestion. Je prends ici ma casquette de délégué du Centre national de la fonction publique territoriale d’Occitanie : nous attendons toujours ces décrets pour pouvoir accompagner le mieux possible les collectivités, les municipalités, les départements et les régions.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous évoquez un certain nombre de sujets qui ont déjà été abordés.

Le recours à la procédure accélérée, devenu ordinaire depuis un certain nombre d’années, présente une utilité en termes de volume de textes examinés par le Parlement dans son ensemble. Il a également un intérêt en termes de normes en ce qu’il permet d’aller plus vite sur certains textes et donc de répondre plus rapidement aux besoins des administrés. Enfin, le recours à cette procédure permet de convoquer une CMP à l’issue de la première lecture.

Je me suis déjà exprimé sur la question des rapports.

Par ailleurs, en ce qui concerne la loi 3DS, je rappelle que nous avions un taux d’application de 61 % au 31 mars et de 71 % au 31 mai. Certes, il nous reste du travail. Je vous répondrai très précisément par écrit, car je ne dispose pas pour l’heure de tous les éléments sur les décrets d’application que vous avez évoqués.

En ce qui concerne plus largement la problématique de ralentissement de la sortie des décrets d’application de la loi 3DS, de nombreuses concertations sont conduites, notamment entre les collectivités territoriales et la direction générale des collectivités locales (DGCL), très occupée à ces publications. Plusieurs consultations obligatoires sur les mesures réglementaires à prendre sont également prévues. Par ailleurs, comme je l’ai souligné voilà quelques instants, nous sommes également confrontés à une forte inflation des mesures d’application entre le texte originel du Gouvernement et le texte final. Pour mémoire, il y en avait trente-huit initialement contre quatre-vingt-seize au moment de la promulgation du texte.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, quatorze des vingt-neuf mesures de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, dite loi Sécurité globale, ont été rendues applicables. Cela signifie que moins de la moitié des dispositions ont cours, les autres demeurant lettre morte, simples palabres.

Nous avons eu l’occasion de le rappeler depuis, comment ne pas se réjouir que l’ex-article 24, devenu article 52, contesté dans une tribune publiée dans Le Monde par trois prix Nobel de la paix, ainsi que par un nombre extrêmement large de manifestants, de parlementaires et de militants politiques et associatifs, soit censuré avec quatre autres mesures par le Conseil constitutionnel, marquant un camouflet pour ces dispositions que nous considérons comme contraires à la liberté d’informer et floues dans leur application ?

Nous sommes donc face à l’exemple typique d’un projet de loi qui clive la société dans toutes ses composantes. Pourtant, ce texte ne produira que peu d’effets en droit, d’une part, pour des raisons inhérentes à son inconstitutionnalité et, d’autre part, en raison de la volonté du Gouvernement de ne pas l’appliquer. Se pose alors une question simple : pourquoi agir contre les intérêts du plus grand nombre et négliger les principes constitutionnels ?

Outre le fait qu’une seule habilitation à légiférer par ordonnance sur quatre ait été utilisée par le Gouvernement, le texte continue de produire des effets plus de deux années après sa promulgation. Un arrêté du 8 janvier 2023, pris à bas bruit, introduit la connaissance des « principes de la République » aux socles de la formation obligatoire pour exercer dans la sécurité privée. Prévues à l’article 23, ces dispositions auront pour conséquence de substituer trois heures de formation initiale au nom de l’apprentissage des valeurs de la République, au détriment d’enseignements fondamentaux sur les libertés publiques ou les remontées d’informations.

Face à la gravité de telles dispositions, je crains que le Gouvernement n’ait volontairement temporisé et joué la montre pour éviter de prendre ces mesures réglementaires en pleine ébullition en réaction à ce projet de loi contesté. Je vous le disais, il est des cas où nous préférerions que le droit que vous produisez ne soit pas appliqué !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame Assassi, j’évoquerai quelques points concernant l’application de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés du 25 mai 2021 et de la loi confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021.

Ces deux lois atteignent un taux d’application respectivement de 94 % et de 100 %. Les deux mesures restant à prendre pour la loi Sécurité globale concernent, d’une part, les conditions dans lesquelles le port d’armes hors service par un fonctionnaire de la police nationale ou un militaire de la gendarmerie nationale ne peut lui être opposé lors de l’accès à un établissement recevant du public, le texte étant en cours d’échanges interservices, et, d’autre part, les missions et la composition des groupes locaux de traitement de la délinquance qu’un procureur de la République ou son représentant peut créer et présider lors d’un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, le décret étant en cours de finalisation.

Par ailleurs, deux ordonnances importantes ont été prises en application de la loi du 25 mai 2021.

La première ordonnance du 30 mars 2022 est relative aux modalités d’organisation, de fonctionnement et d’exercice des missions du Conseil national des activités privées de sécurité, créé en 2011. Dans le contexte de préparation de la Coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, cette ordonnance permet au Gouvernement de disposer d’un organe de régulation réactif et en ordre de marche, afin de contribuer à la sécurité de ces rencontres sportives dans le cadre du continuum de sécurité.

La seconde ordonnance du 16 mai 2023 est relative à la formation aux activités privées de sécurité. Son objectif est de poursuivre la moralisation du secteur de la formation aux activités privées de sécurité et d’en améliorer la qualité. L’ordonnance a été élaborée sur la base de larges concertations menées en 2022. Ses principales mesures sont la création d’un agrément de dirigeant d’organisme de formation et d’une carte professionnelle de formateur, ainsi que l’encadrement des conditions de sous-traitance et l’encadrement des conditions d’organisation des examens pour en garantir la fiabilité.

Deux ordonnances importantes ont en outre été prises en application de la loi de 2021, mais je les ai déjà évoquées.

M. le président. La parole est à Mme Amel Gacquerre.

Mme Amel Gacquerre. Monsieur le ministre, la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim, promulguée en 2018, prévoit plusieurs mesures très ambitieuses pour améliorer la qualité des repas servis par la restauration collective.

L’article 24, par exemple, fixe un objectif de 50 % de produits durables et de qualité dans l’offre alimentaire proposée par les institutions publiques.

Cette priorité donnée aux produits de nos terroirs, notamment aux produits dont la qualité est reconnue, à l’image de nos appellations d’origine protégée (AOP), de nos indications géographiques protégées (IGP) ou du Label rouge, constitue un signal fort envoyé aux agriculteurs et producteurs.

En effet, cet objectif constitue un levier important pour soutenir la structuration de nos filières agricoles, notamment celle de l’agroécologie, et pour le développement de la production locale.

Trois ans plus tard, en 2021, la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, a été plus loin : elle a rehaussé cet objectif ambitieux en le fixant à 60 % de produits durables et de qualité pour les produits animaux, au plus tard au 1er janvier 2024. Pourtant, monsieur le ministre, au 1er janvier 2022, le compte n’y est pas.

En effet, selon les chiffres de l’Observatoire national de la restauration collective bio et durable, un tiers des cantines scolaires n’atteignent pas, par exemple, l’objectif intermédiaire de 20 % de produits durables lors de l’année 2021.

Monsieur le ministre, il est de la responsabilité du Gouvernement de tout mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs. Ils sont primordiaux pour la santé de nos concitoyens et pour soutenir nos agriculteurs. Qu’est-il fait aujourd’hui afin d’atteindre ces objectifs fixés par la loi Égalim et par la loi Climat et résilience ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, le Gouvernement est pleinement engagé pour la mise en œuvre des objectifs fixés par le Parlement en la matière.

Des mesures d’accompagnement ont été prises, avec la mise en place en juin 2022 d’un groupe de travail économique du Conseil national de la restauration collective, à la demande des parties prenantes. Nous avons également créé la plateforme « Ma cantine » dédiée aux gestionnaires de cantines afin de les accompagner dans la mise en œuvre de la loi.

Par ailleurs, nous avons dégagé des marges de manœuvre en actionnant le levier de la commande publique, d’une part, grâce aux adaptations prévues dans la loi Climat et résilience et, d’autre part, au travers de mesures financières, avec une enveloppe de 50 millions d’euros de soutien aux cantines des petites communes pour financer l’achat d’équipements nécessaires à la cuisine et à la transformation de produits frais et pour former les personnels.

Nous avons dégagé une autre enveloppe de 85 millions d’euros pour les projets alimentaires territoriaux étroitement liés à la restauration collective et souvent en lien avec les agriculteurs, que vous évoquiez à l’instant.

Enfin, nous avons mis en place une politique de tarification sociale pour accompagner les collectivités locales, 100 000 enfants ayant bénéficié de repas à 1 euro.

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan de l’application des lois.

6

Débat sur la gestion des déchets dans les outre-mer

Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer, sur la gestion des déchets dans les outre-mer.

Je vous rappelle que dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à Mme Gisèle Jourda, au nom de la délégation auteur de la demande.

Mme Gisèle Jourda, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si je devais résumer avec ma collègue Viviane Malet le principal enseignement de nos travaux sur les déchets dans les outre-mer, je retiendrai assurément le mot « urgence ».

Il est urgent d’agir pour répondre à la double urgence sanitaire et environnementale. Dans la plupart de nos territoires ultramarins, la cote d’alerte est dépassée.

Ce mot n’est pas galvaudé. J’avoue que ce que nous avons appris et vu, de nos yeux vu, au cours de notre mission m’a plusieurs fois choquée et bouleversée.

À Mayotte, tout particulièrement, nous avons constaté l’existence de décharges sauvages à ciel ouvert, au cœur de bidonvilles, au milieu desquelles des enfants jouent. Des tas de déchets y brûlent continuellement. Lors de pluies violentes, une grande partie de ces déchets finissent dans le lagon et la mangrove.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, où pourtant la collecte et le tri sont exemplaires, des décharges littorales brûlent à ciel ouvert. À chaque tempête, une partie des déchets finit à la mer.

L’urgence environnementale est criante et cette pollution ne vient pas de l’autre bout du monde. Notre responsabilité est entière, alors même que les outre-mer concentrent 80 % de la biodiversité française.

Notre mission a aussi mis en évidence l’urgence sanitaire à laquelle doivent faire face ces territoires. Une telle situation favorise le développement de maladies de maladies telles que la dengue, l’hépatite A, la typhoïde et la leptospirose.

La collecte déficiente dans des zones géographiques difficiles d’accès ainsi que dans les quartiers informels, le fléau des dépôts sauvages et le poison lent des anciennes décharges illégales sont autant de dangers pour des territoires fragilisés.

Cet état d’urgence, madame la ministre, est la conséquence directe du retard majeur des outre-mer. Quelques indicateurs rendent compte de ce décalage complet.

Le taux d’enfouissement suffit à offrir un aperçu du rattrapage nécessaire : à l’échelle nationale, 15 % des déchets ménagers sont enfouis, 85 % étant valorisés. En outre-mer, le rapport est inversé. À l’exception de la Martinique qui a enfoui, en 2020, 40 % de ses déchets ménagers et de Saint-Barthélemy, tous les autres territoires affichent des taux d’enfouissement de 60 % à 80 %, voire pratiquement à 100 % à Mayotte, en Guyane ou à Saint-Martin.

Face à cette urgence, que faut-il faire ?

En premier lieu, il faut souligner la forte prise de conscience sur tous les territoires. Les initiatives fourmillent pour inverser la tendance et trouver des solutions innovantes et adaptées.

En second lieu, cette situation ne résulte pas d’un désengagement des autorités responsables. Au contraire, les collectivités territoriales et leurs groupements, ainsi que l’État, sont mobilisés et fournissent des efforts financiers importants.

Pourtant, ceux-ci ne suffisent pas à rattraper un retard structurel. Un nouvel élan est nécessaire ; plus qu’un élan, c’est un plan Marshall qu’il faut, voire un plan Marshall « XXL » pour Mayotte et la Guyane.

Ma collègue Viviane Malet déclinera dans un instant ce plan Marshall qui s’articule autour de vingt-six recommandations concrètes et précises.

Je conclurai en évoquant l’aspect européen. Les spécificités des régions ultrapériphériques ne sont pas assez prises en compte. Les discussions en cours sur la révision du règlement européen relatif au transfert des déchets en témoignent. Dans le droit fil de notre rapport, nous avons déposé une proposition de résolution qui sera examinée par la commission des affaires européennes. Nous aurons à cœur, avec ma collègue Marta de Cidrac, d’en débattre bientôt pour continuer de tracer le sillon de ce rapport, qui se veut un levier pour agir fort et pour agir vite !

M. le président. La parole est à Mme Viviane Malet, au nom de la délégation auteur de la demande.

Mme Viviane Malet, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos vingt-six recommandations découlent directement du diagnostic qui vient de vous être présenté par ma collègue Gisèle Jourda.

Une nouvelle stratégie doit être bâtie, notamment pour préserver la santé et l’exceptionnelle biodiversité de nos outre-mer, qui ne peuvent devenir des territoires dépotoirs.

Les outre-mer doivent donc, et d’urgence, relever deux défis : à court terme, gérer l’urgence en retrouvant des moyens d’action et consolider les bases d’une gestion des déchets maîtrisée ; à long terme, s’engager résolument sur la voie de l’économie circulaire, qui est un chemin plus long, mais plus durable.

Cette stratégie passe d’abord par l’adoption de plans de rattrapage exceptionnels « cousus main » pour chaque territoire.

Ces plans devront être l’un des volets prioritaires des futurs contrats-cadres.

Ces plans, ainsi que des adaptations ciblées de la réglementation, en particulier en matière de gouvernance et d’actions des éco-organismes, permettront de prendre le virage d’une économie circulaire réaliste et adaptée aux contraintes de ces territoires.

Le temps qui nous est accordé ne permet pas de présenter toutes nos recommandations. Je me concentrerai sur les principales.

La première concerne les financements. Nous estimons que des financements supplémentaires exceptionnels de l’État à hauteur de 250 millions d’euros sur cinq ans sont indispensables pour réaliser les équipements prioritaires et structurants, en sus des aides actuelles. Des déchetteries itinérantes, des centres de tri, voire des centres de stockage manquent presque partout.

La deuxième proposition forte est l’exonération de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pendant cinq, sept ou dix ans selon les territoires. Depuis plusieurs années, nous bricolons des rabais ponctuels et partiels, sans visibilité.

Il faut une exonération claire, prévisible, qui redonnera immédiatement des marges de manœuvre aux budgets de fonctionnement des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et des syndicats mixtes.

Le troisième axe fort est une contractualisation entre tous les acteurs, avec des engagements sur les objectifs et les calendriers. Cette contractualisation inclura une mise en commun de l’ingénierie autour de « plateformes de projets ».

Quatrième priorité, il convient de responsabiliser les éco-organismes. Malgré les progrès de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (Agec), ceux-ci ne rattrapent que très lentement leur retard accumulé depuis vingt ans. Malheureusement, sans contrainte, nous n’avancerons pas au rythme exigé. À défaut de progrès spectaculaires à court terme, il nous faut expérimenter en outre-mer un mécanisme incitatif de pénalités financières qui pèseraient sur les éco-organismes n’atteignant pas leurs objectifs territorialisés.

Cinquième proposition importante, toujours en lien avec l’accent mis sur les éco-organismes, nous proposons d’abaisser à 1 tonne, au lieu de 100, le seuil à partir duquel le coût de nettoiement d’un dépôt sauvage est pris en charge par les éco-organismes. Il faut envoyer un signal fort : le rattrapage doit être rapide et net, et non pas étalé sur vingt ans.

Notre sixième proposition porte sur la gouvernance. Outre qu’il convient d’aller vers un opérateur unique sur chaque territoire chargé du traitement des déchets, il manque encore une véritable instance de pilotage. Dans ce but, nous proposons que la commission consultative d’élaboration et de suivi (CCES) du plan régional de prévention et de gestion des déchets devienne, dans chaque région, une véritable instance de coordination et de pilotage.

Septièmement, nous proposons de développer des dispositifs de gratification directe du tri pour encourager la collecte sélective dans les zones défavorisées ou isolées. Des projets locaux innovants ont déjà montré leur pertinence. Il faut aller plus loin, en particulier à Mayotte.

Enfin, nous plaidons pour le développement de la valorisation énergétique des déchets dans les outre-mer, avec un cadre pérenne et favorable au prix de rachat de l’électricité ainsi produite.

Malgré tous les progrès possibles en matière de recyclage, de réemploi et de prévention des déchets, il ne nous paraît pas réaliste d’imaginer une gestion des déchets outre-mer sans un véritable essor de la valorisation énergétique.

Je terminerai en remerciant la présidente du groupe d’études sénatorial sur l’économie circulaire, Marta de Cidrac, ainsi que ses collègues, qui ont suivi et enrichi nos travaux. Ce travail de concert permettra de donner à ces recommandations les suites législatives qu’elles appellent. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jacques Fernique applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Micheline Jacques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Micheline Jacques. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, la gestion, le traitement, la valorisation des déchets font partie des nombreux défis que les outre-mer ont à relever. À cet égard, le constat dressé par nos collègues Gisèle Jourda et Viviane Malet dans le rapport qu’elles nous ont présenté est à la fois précis, éclairant et alarmant.

Décrivant une scène glaçante à Mayotte, nos collègues nous fournissent une photographie des conséquences du retard de la gestion des déchets sur la population et l’environnement, qui ne peut nous laisser ni insensibles ni inactifs, même si l’image est paroxystique.

Au-delà du constat, nos collègues nous orientent vers des pistes destinées à corriger les politiques publiques de gestion des déchets, dont l’inadaptation semble être, à bien des égards, la source des situations sur lesquelles elles nous alertent.

Au fil des pages, le caractère multidimensionnel de l’enjeu de la gestion des déchets apparaît nettement, de même que la nécessité d’aborder l’indispensable rattrapage avec des solutions pragmatiques et un regard lucide. À ces conditions, il est possible de résoudre l’épineuse question du traitement des déchets en s’appuyant sur les leviers de développement qu’elle renferme.

Saint-Barthélemy a très tôt défini une politique de gestion et de traitement de ses déchets garantissant son autonomie. Cette organisation – que l’on doit d’ailleurs à Michel Magras – reposait sur l’idée que la propreté de l’île, conséquence visible de l’élimination et de la gestion des déchets, devait se situer au cœur de la politique économique de celle-ci, compte tenu de sa dimension fortement touristique tout autant que de sa politique environnementale. C’est ainsi que cet enjeu est devenu une priorité de politique publique et, partant, financière.

Saint-Barthélemy a donc fait le choix, dès 2002, du traitement par incinération couplé à une valorisation énergétique permettant d’alimenter l’usine de dessalement, dès lors totalement autonome.

La gouvernance simplifiée et l’étroitesse du territoire ont certes favorisé le succès de cette politique. Celui-ci, toutefois, n’aurait pu être total sans l’adhésion de la population, qui est primordiale.

L’économie de Saint-Barthélemy en fait un territoire importateur et producteur de déchets. Pour rester attractifs, le traitement et la gestion des déchets doivent continuer de constituer une dépense prioritaire pour la collectivité.

C’est forte de cette expérience que je souscris d’emblée à l’ensemble des préconisations de nos collègues.

Parler du traitement des déchets outre-mer est une nouvelle occasion d’éprouver le cadre normatif et son adaptation à ces territoires. En effet, comment réussir une politique publique lorsque les normes qui s’appliquent à un territoire constituent un frein ?

Dans un contexte où le déficit d’ingénierie est régulièrement pointé, la complexité des objectifs est le premier obstacle au bon développement d’une politique efficiente de gestion de déchets. Le panorama qui nous est présenté vient, s’il en était besoin, renforcer la conviction qu’il est nécessaire d’orienter davantage les formations en fonction des besoins. J’ai eu l’occasion, en ma qualité de rapporteur pour avis de la mission outre-mer, de préconiser la création d’au moins une école d’ingénieurs par bassin océanique.

Notre République, qui a raison d’être exigeante, ne cesse de durcir les objectifs et les contraintes qui pèsent sur la gestion de nos déchets, mais de manière souvent irréaliste au regard des situations ultramarines.

L’exemple des cahiers des charges des éco-organismes, inadaptés aux outre-mer, est éloquent. Nos collègues relèvent que seul le cahier des charges de la filière « emballages ménagers » de ces organismes contient des dispositions propres aux outre-mer. Or dans la construction de filières responsabilité élargie du producteur (REP), ceux-ci sont des acteurs et des partenaires centraux.

Le rapport soulève également la complexité des données, qui fait obstacle à une bonne planification. Cette impossibilité de collecter des données, également pointée par la Cour des comptes, vient s’ajouter à une fragilité générale en la matière dans les outre-mer. Une bonne politique de rattrapage pourrait être soutenue par la planification, mais elle est difficile à mettre en œuvre en l’absence de données.

Autre outil, la fiscalité applicable aux déchets devrait être un facteur d’encouragement. Mais la TGAP, par exemple, vient au contraire grever les budgets de fonctionnement des personnes chargées du traitement des déchets alors que les besoins en investissements sont colossaux. Une meilleure mobilisation des fonds structurels européens est donc essentielle.

Toujours pour ce qui concerne la TGAP, les réfactions dont bénéficient les outre-mer sont un facteur d’incertitude. On ne sait à quel horizon elles seront supprimées. Pourtant, la visibilité favorise les investissements. L’affectation de cette taxe au budget de l’État la rend par ailleurs de moins en moins compréhensible dans le contexte ultramarin.

Les pistes d’amélioration suggérées par nos collègues méritent donc d’être explorées lors de la prochaine session budgétaire – si cela n’a pas été fait dans le cadre du comité interministériel pour l’outre-mer (Ciom).

Les besoins de financement sont indéniablement très élevés, que ce soit pour les équipements structurants ou le fonctionnement. En effet, outre-mer, le coût de gestion du service public des déchets est en moyenne 1,7 fois plus important qu’en métropole, pour une ressource fiscale moindre.

En matière fiscale, les éléments mis en évidence par nos collègues constituent en outre une invitation supplémentaire à l’échange de bonnes pratiques entre territoires ultramarins. Les solutions innovantes et incitatives mises en œuvre par Wallis-et-Futuna ou la Nouvelle-Calédonie peuvent utilement nourrir la réflexion sur la fiscalité de l’ensemble des territoires.

La gestion des déchets outre-mer est aussi marquée par une culture moins développée des réflexes de tri, de même que de la responsabilisation du consommateur. Les points de collecte volontaire y sont moins nombreux, et le porte-à-porte reste prédominant.

Comme je l’indiquais à l’instant, une politique de gestion des déchets ne peut se concevoir sans l’adhésion des populations et leur implication. C’est pourquoi, comme le suggèrent nos collègues, il y a lieu d’aborder la question de la gratification sans tabou. Le retard pris dans la structuration des politiques s’est répercuté sur le développement de la culture du tri. Celle-ci doit être plus fortement encouragée outre-mer – ce qui n’empêche pas de renforcer l’effectivité des sanctions, cela va sans dire.

Au moment où le poids de l’empreinte carbone est au cœur de toutes les politiques publiques, on ne saurait s’en affranchir dans la réflexion sur les déchets outre-mer, d’autant que les territoires concernés sont marqués, dans ce domaine, par une forte dépendance aux exportations.

Dans cette optique, la valorisation et la prévention offrent des solutions pour réduire le coût écologique de la gestion des déchets, envisagé cette fois dans le cadre des échanges. Le tribut payé localement par l’environnement est déjà bien lourd du fait de l’enfouissement.

Habiliter les collectivités à définir les matières dont elles autorisent l’entrée est, là encore, une préconisation particulièrement pertinente. En même temps, priorité doit être donnée au développement de filières de valorisation, en particulier énergétique.

Le rapport sur le logement social relevait déjà des difficultés résultant de l’absence de gestion locale de l’amiante, qui pourrait peut-être faire l’objet de réemploi.

L’encouragement au réemploi, dans une optique de développement d’économies circulaires, est un autre outil de gestion de déchets, qui doit être encouragé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.

M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « Ensemble pour une île plus propre » : c’est le slogan de l’association PropRéunion, qui œuvre depuis 2017, grâce à ses bénévoles, à nettoyer La Réunion des dépôts d’ordures sauvages. Je souhaite ainsi commencer par saluer toutes les initiatives locales et bénévoles qui contribuent à la préservation de nos territoires.

Certains d’entre nous ont peut-être déjà entendu quelqu’un revenir d’un voyage dans l’un de nos territoires ultramarins et dire : « C’était magnifique ! Mais qu’est-ce que c’était sale… » Et pour cause : dans certains de ces territoires, les paysages de cartes postales sont malheureusement parfois entachés d’ordures. Bien sûr, c’est aussi le cas de certains territoires hexagonaux, mais, comme souvent dans les outre-mer, les problématiques sont exacerbées par l’insularité, le climat, la densité de population et la taille des territoires.

Malheureusement, la problématique des déchets dans les outre-mer ne se limite pas aux dépôts sauvages ; c’est souvent toute la chaîne de gestion qui est en difficulté, de la collecte au traitement, même si la situation demeure très inégale selon les territoires.

La situation est ainsi beaucoup plus alarmante à Mayotte et en Guyane qu’elle ne peut l’être à Saint-Barthélemy ou à La Réunion. À titre d’exemple, Mayotte et la Guyane enfouissent presque 100 % de leurs déchets, contre 15 % au niveau national.

Pourtant, les conséquences d’une mauvaise gestion des déchets sont nombreuses.

Il y a d’abord les risques sanitaires, avec une prolifération de certaines maladies comme la dengue, la typhoïde ou la leptospirose. Cela pose ensuite des risques économiques aux régions axées sur le tourisme, où la dégradation des paysages à cause des déchets risquerait de détourner les touristes. Cela génère des risques environnementaux enfin, dans des territoires qui, à eux seuls, n’abritent pas moins de 80 % de la biodiversité française et de nombreuses espèces endémiques. Les nombreuses décharges illégales, actuelles ou anciennes, dans lesquelles des batteries sont abandonnées, polluent les sols et les nappes phréatiques.

Comme le souligne le rapport de la délégation sénatoriale, ces situations résultent de causes diverses, qui se cumulent parfois, souvent sur un même territoire. Il y a les problèmes de gouvernance, avec une multiplicité d’acteurs qui ne parviennent pas à se coordonner ; des financements insuffisants pour permettre une remise à niveau rapide ; des éco-organismes pour le moins discrets dans le cadre des filières REP ; ou encore la difficulté, voire l’impossibilité, d’exporter certains déchets.

C’est ainsi que l’île de La Réunion et sa voisine mahoraise subissent depuis 2020 d’importantes difficultés dans l’exportation de leurs déchets dangereux. Les stocks se sont tellement accumulés qu’il a été demandé aux producteurs de conserver ces déchets, dont les collectes ont été interrompues. Nous avons ainsi dû stocker l’équivalent de plus d’une année de déchets dangereux, dont des batteries, des piles et des boues chargées d’hydrocarbures. En cause : la saturation post-covid du transport maritime conjuguée à la frilosité de certaines compagnies pour transporter des déchets dangereux, en raison d’une réglementation complexe.

Si la situation, du moins pour ce qui est du surstockage, a pu être rétablie en octobre dernier à coups de négociations et de procédures exceptionnelles, elle pose évidemment la question de la dépendance de nos deux régions de l’océan Indien aux liaisons maritimes vers l’Europe, située à plus de 9 000 kilomètres.

Les eurodéputés ont arrêté en janvier dernier leur position sur un durcissement de la réglementation relative à l’exportation des déchets hors de l’Union européenne, qu’ils soient dangereux ou non.

Madame la ministre, pouvez-vous nous garantir que la France usera de toute son influence lors des négociations à venir afin que les nouveaux textes tiennent compte des contraintes propres aux outre-mer ? Comment comptez-vous soutenir les initiatives locales qui fleurissent pour le recyclage des déchets en matière de crédits, mais surtout de gouvernance ? En parallèle, comment comptez-vous appuyer le développement de la coopération régionale entre outre-mer français d’une part, et entre les outre-mer et d’autres États d’une même zone géographique d’autre part ?

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite remercier la délégation sénatoriale aux outre-mer, Gisèle Jourda et Viviane Malet pour leur considérable travail, qui m’a convaincu que cette problématique est moins une particularité exotique qu’une mise à l’épreuve, dans des conditions complexes, de nos politiques publiques. Il s’agit d’un révélateur des carences et dérives de ces dernières, mais aussi de certaines innovations prometteuses, qui interpellent notre responsabilité politique et qui peuvent nous amener à des adaptations et à des avancées dont le bénéfice pourrait profiter autant aux outre-mer qu’à nos territoires de métropole.

Dans les outre-mer, les difficultés et les obstacles jouent sans doute un rôle plus important qu’ailleurs. Les coûts y sont structurellement plus élevés. Néanmoins, l’équation est la même que partout ailleurs : chaque partie impliquée – producteurs, consommateurs, pouvoirs publics – doit assumer pleinement ses responsabilités.

Les producteurs ont la responsabilité des impacts et de la fin de vie de leurs produits. Cependant, le système de REP est extrêmement peu contraignant et les éco-organismes ne sont pas tenus à des objectifs spécifiques par territoire. Cette situation est encore plus handicapante dans les outre-mer.

Les consommateurs ont également la responsabilité d’adopter des comportements vertueux, rendus d’autant plus indispensables par les difficultés de collecte, la part des apports volontaires et les contraintes liées à l’insularité et à l’exposition accrue aux risques naturels.

Enfin, les acteurs publics – collectivités, État, Europe, législateurs – ont la responsabilité de mettre en place des normes, des règles, des cahiers des charges, des moyens d’investissement et de fonctionnement durables, des contrôles, des sanctions et un accompagnement à la hauteur des enjeux, des contraintes spécifiques et des trajectoires fixées.

La dengue, le paludisme, le saturnisme, l’hépatite A sont des maladies qui prolifèrent dans de nombreuses régions d’outre-mer en raison de la présence de déchets dans des décharges ou des dépôts sauvages comme, par exemple, des épaves de véhicules abandonnées dans la nature.

Les outre-mer abritent 80 % de la biodiversité française. Lorsqu’une mangrove, un lagon, une forêt ou un cours d’eau se transforment en dépotoir, cela engendre un désastre écologique, sanitaire, social – et touristique !

La France est ambitieuse pour un traité international sur la pollution plastique, mais cette ambition doit se concrétiser également dans nos territoires d’outre-mer durement atteints.

Parmi les recommandations du rapport de la délégation aux outre-mer, je retiens deux idées principales.

Tout d’abord, la nécessité d’élever les exigences de notre système de REP. Les éco-organismes, en tant que mandataires des metteurs sur le marché, doivent être soumis à des objectifs territoriaux. Pourquoi feraient-ils des efforts en Guadeloupe ou en Guyane, si cela leur coûte plus cher qu’en métropole et s’ils ne risquent aucune sanction en cas de résultats insatisfaisants dans ces territoires, où la collecte et le recyclage sont bien plus coûteux qu’à Strasbourg ou à Lyon ?

Il est donc nécessaire d’autoriser les outre-mer à intervenir dans les cahiers des charges et à adopter leurs propres normes pour la mise sur le marché, la consigne et le réemploi. Afin de leur donner un levier d’action déterminant, il sera nécessaire de réduire de 100 tonnes à 1 tonne le seuil à partir duquel le coût de nettoyage d’un dépôt sauvage est pris en charge par les éco-organismes.

La seconde idée-force de cette série de recommandations consiste à fournir aux outre-mer les moyens de faire face aux coûts nettement plus élevés liés à leurs déchets.

Il est important de préciser qu’il ne s’agit pas de mauvaise gestion publique, mais de spécificités qui font que, dans les outre-mer, ce sont largement les contribuables et l’ensemble de la population qui supportent le coût du traitement des déchets provenant des activités économiques. Comme le souligne l’association Amorce, il n’est pas aussi facile de mettre en place un centre de tri outre-mer qu’en région parisienne.

Il est évident que des plans de rattrapage exceptionnels sont nécessaires. L’État doit mettre sur la table des moyens financiers, en particulier en faveur des territoires de Mayotte et de la Guyane. Il faudrait au minimum 250 millions d’euros sur cinq ans, qui permettraient aux collectivités de mettre en place les infrastructures prioritaires et les équipements structurants.

Donner les moyens, c’est aussi remédier aux effets négatifs de la TGAP, dont les paramètres, fixés pour la métropole, visent notamment à éviter qu’il soit moins coûteux d’enfouir les déchets plutôt que de les recycler. Ce bon principe devient contre-productif outre-mer, où l’enfouissement prédomine à tel point que la TGAP agit comme un frein plutôt que comme une incitation à agir, asséchant ainsi les ressources nécessaires au financement du rattrapage indispensable. La recommandation n° 12, qui prévoit d’instaurer une exonération adaptée de la TGAP pour les différents territoires d’outre-mer, est donc primordiale.

De même, il est essentiel d’accorder une aide au fret pour lever les obstacles à la mutualisation et à la massification des flux de déchets à traiter entre territoires voisins.

Enfin, la recommandation n° 23, largement développée dans le projet de résolution européenne de nos collègues, vise opportunément à rendre les dispositifs et les aides européennes plus adaptés aux outre-mer.

En conclusion, si tout ce débat, toutes ces attentes, ce rapport de la délégation, cette résolution européenne à venir ne servaient à rien, ne se traduisaient pas dans les faits, ce serait une immense déception. Je parlais à l’instant de responsabilité des acteurs publics. Madame la ministre, celle de votre gouvernement est particulièrement attendue ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en matière d’urgence, tout est question de perception et de référentiel. Or il semblerait que la gestion des déchets outre-mer passe sous les radars de l’État. Pourtant, c’est une urgence qui existe depuis de nombreuses années et qui semble être appelée à durer encore longtemps.

L’excellent rapport de nos collègues Gisèle Jourda et Viviane Malet dresse un tableau édifiant. Peut-être permettra-t-il de réveiller les consciences ? Je tiens à les remercier et à les féliciter pour leur travail précis et exhaustif.

Comme le rappelle ce rapport, la gestion des déchets est tout autant un enjeu de santé publique que de protection de l’environnement ou de développement économique, de la même importance que l’assainissement ou l’adduction en eau potable.

L’urgence n’est donc pas seulement dans le respect d’une réglementation européenne ou dans l’application d’une loi. L’urgence se situe bien dans la protection de la santé des habitants de nos territoires « et de la préservation du cadre de vie, avant même d’évoquer l’économie circulaire », comme le précise le rapport.

Or les défaillances apparaissent à tous les niveaux du parcours d’un déchet, de sa production à son élimination. Nous en sommes encore à éviter qu’une majorité des déchets finissent dans la nature. C’est pourquoi les investissements doivent avant tout aller vers les équipements de base comme les centres d’enfouissement des déchets, les incinérateurs, les déchetteries ou les outils de collecte.

Les taux de collecte sont insuffisants. Dans mon territoire, par exemple, la Guyane, certaines communes, complètement isolées, ne sont accessibles qu’en pirogue ou en avion. La collecte et l’acheminement des déchets vers un centre de tri ou de traitement y restent une gageure.

Si la collecte est problématique, le tri, le traitement et la valorisation le sont tout autant. Avec deux déchetteries et deux installations de stockage de déchets non dangereux, la Guyane affiche un taux de valorisation, extrêmement faible, de 18 %. La grande majorité de ce qui est collecté finit enfouie. Et c’est le cas pour tous les outre-mer, avec un taux moyen de 67 %, contre 15 % au niveau national.

La collecte est la mère des batailles. Plus nous collectons, plus nous protégeons la population, et mieux nous pouvons gérer, trier et valoriser avec des filières aval rentables. Mais qui pour financer cette collecte ?

Le rapport cite le cas extrême de la commune de Camopi, en Guyane, qui ne touche aucune taxe d’enlèvement des ordures ménagères (Teom). C’est le cas, particulier, de certaines communes de Guyane, dont le foncier appartient intégralement à l’État, ce qui le rend non imposable ! Mais en moyenne, outre-mer, la Teom ne couvre que 80 % du coût du service public – et parfois 15 % seulement dans certaines communes.

Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de Guyane et de Mayotte sont les plus en difficulté, avec des taux de couverture de respectivement 25 % et 50 %. C’est intenable !

C’est pourquoi il faut faire appel à la solidarité nationale et mettre en place une taxe, à l’image de ce qui existe pour l’électricité avec la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), également appelée contribution au service public de l’électricité.

Cette taxe aidera à financer le service public des déchets dans les régions d’outre-mer, qui sont les régions les plus défavorisées, mais aussi celles dans lesquelles les coûts de ce service sont les plus élevés.

Comment, en Guyane et à Mayotte, par exemple, où le PIB par habitant représente respectivement 42 % et 26 % de la moyenne nationale, la population peut-elle financer un système qui coûte 1,7 fois plus que dans l’Hexagone ? Il y a là une terrible injustice.

Par ailleurs, je ne peux que souscrire à la recommandation des rapporteurs concernant une exonération de la TGAP. Cette taxe, transposition séduisante sur le papier du principe pollueur-payeur, souffre dans les outre-mer d’un défaut majeur : il n’y a pas d’alternative au stockage, faute de rentabilité. La trajectoire à la hausse du coût de la tonne fait gonfler le montant de la taxe sans possibilité pour les collectivités de faire supporter son coût par les particuliers ou de réorienter les déchets vers d’autres filières.

Au final, cette taxe se révèle contre-productive, car, en aggravant les coûts de fonctionnement, elle oblitère sérieusement les capacités d’investissement des collectivités, et donc de transition. Ainsi, il est nécessaire de suspendre l’application de la TGAP en outre-mer tant que n’existeront pas des alternatives au seul enfouissement. Il serait même bon d’envisager de flécher le produit de cette taxe vers le soutien au développement des filières alternatives dans les régions où leur rentabilité n’est pas possible.

Par ailleurs, la TGAP génère des comportements d’évitement chez certains professionnels, qui se débarrassent de leurs déchets dans des dépôts sauvages. C’est un mal qui touche tout le territoire national, qui abîme les paysages et multiplie le nombre de sites pollués. Mais c’est une double peine pour les collectivités qui, en plus de payer la TGAP, doivent assumer les coûts d’enlèvement et de nettoyage. Il faut abaisser le seuil de 100 tonnes à partir duquel ce sont les filières REP qui prennent en charge ces coûts, comme le proposent les rapporteures.

Enfin, on peut s’interroger sur la pertinence du dogme de la valorisation par le recyclage comme unique solution. Le coût en sera-t-il supportable pour nos économies étroites ? Est-il envisageable de mutualiser ces coûts en regroupant la gestion d’une filière entre plusieurs territoires ultramarins ? Mais surtout, pourquoi exclure d’emblée la valorisation énergétique des déchets ?

Pour conclure, j’aimerais que le Gouvernement nous précise s’il entend profiter du prochain Ciom pour avancer sur ces sujets.

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.

Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je profite de ce deuxième temps d’intervention pour mettre l’accent sur l’urgence sanitaire liée à la gestion des déchets.

L’insécurité sanitaire, ce n’est pas qu’un sentiment. Quelques données objectives permettent de mieux appréhender et évaluer ce risque, qui n’est pas propre aux outre-mer, mais qui y est exacerbé du fait du climat, de la densité de population et de la pauvreté. Je tiens à insister sur les risques sanitaires associés à ces pollutions diffuses, souvent à proximité immédiate des populations.

La commission d’enquête sur les pollutions industrielles et minières des sols, dont j’avais été rapporteure en 2020, avait mis en lumière les risques majeurs de pollutions souvent invisibles et dont la mémoire se perd rapidement. La crise des déchets fait peser, à court et à long terme, des risques importants sur des populations déjà en situation de précarité.

Nos auditions et nos déplacements ont mis en évidence, sur des territoires de la République, une dure réalité qui ne peut être occultée ou édulcorée.

Le cas paroxystique de Mayotte doit devenir une cause nationale : les décharges sauvages, au milieu desquelles des enfants jouent, à ciel ouvert au cœur de bidonvilles ; des batteries de voiture y servent de pierre de gué pour franchir des ruisseaux ; des femmes lavent leur linge dans des bassins alimentés par cette eau ; des tas de déchets y brûlent continuellement…

En Guyane, la situation est assez similaire, à la seule différence que l’espace disponible permet de diluer cette sensation de débordement.

Quelles sont les conséquences de cette pollution ?

Lors de son audition, la direction générale de la santé a souligné que l’abandon des déchets sur l’espace public ou privé, notamment les batteries, les produits électroménagers ou les véhicules hors d’usage, favorise la prolifération d’espèces nuisibles et de rongeurs, qui sont vecteurs de maladies transmissibles aux populations, comme la dengue, le paludisme ou la leptospirose. À La Réunion, des regroupements de cas de plombémie et de saturnisme infantile ont été observés autour de zones de précarité dans lesquelles des batteries avaient été abandonnées ; des pollutions diffuses restent à craindre pour l’avenir.

La tendance à une hausse quasi exponentielle est très inquiétante, pour ne pas dire alarmante. Les déchets abandonnés sont autant de gîtes larvaires propices à la prolifération des moustiques, ce qui favorise des épidémies régulières de dengue, mais aussi de Zika ou de chikungunya, qui touchent régulièrement une grande partie de la population dans les Antilles, en Guyane, dans l’océan Indien et dans le Pacifique. Elles entraînent des arrêts de travail, de nombreuses hospitalisations et des décès.

Les rongeurs, les rats en particulier, favorisent la transmission de la leptospirose, une maladie bactérienne grave pouvant conduire à l’insuffisance rénale, voire à la mort dans 5 % à 20 % des cas. En Guyane, une centaine de cas sont comptabilisés chaque année. Ce taux est soixante-dix fois supérieur à celui de la France hexagonale. D’autres maladies encore peuvent être favorisées par une mauvaise gestion des déchets, comme la typhoïde ou l’hépatite A.

Je reprends l’exemple de Mayotte, qui cumule tristement les maladies vectorielles, les maladies zoonotiques et les maladies hydriques comme la typhoïde. Il y a eu 23 cas de paludisme sur les huit premiers mois de 2022, 3 suspicions de dengue et 152 cas de leptospirose sur les huit premiers mois de 2022. À ce jour, 100 cas de typhoïde ont déjà été documentés en 2022.

Il est naturellement impossible d’isoler précisément les facteurs concourant à la transmission de ces maladies ou d’imputer celles-ci aux seuls déchets. Mais il est certain que les déchets créent à tout le moins des conditions plus favorables de contamination.

Et que dire de la qualité de l’air ? Pour sûr, elle est également affectée, notamment par l’incinération des déchets verts, fréquente sous les climats tropicaux. Plus graves, les incendies des décharges dégagent des fumées toxiques. De tels incendies sont réguliers, par exemple dans la décharge de Céron, en Martinique, en 2021. Et je ne parle pas des déchets radioactifs en Polynésie française – notre collègue Lana Tetuanui le fera mieux que moi.

Bien que la question des algues sargasses soit en dehors du champ de ce rapport, il faut aussi citer les émanations de gaz toxique à proximité des zones habitées en raison de leur décomposition. Les conséquences à long terme sont encore mal connues.

Enfin, les déchets industriels et miniers existent aussi outre-mer. En Guyane française, les activités d’orpaillage illégales sont à l’origine d’une double pollution mercurielle liée aux expositions professionnelles et à la contamination des poissons carnivores et piscivores. La Nouvelle-Calédonie est l’autre territoire marqué par une activité minière conséquente. Plusieurs initiatives ont été lancées pour évaluer l’impact sanitaire de ces déchets sur les populations locales.

La priorité est de poser les bases réelles d’une politique des déchets, madame la ministre. Des infrastructures essentielles manquent, comme des déchetteries, des centres de tri, voire tout simplement de camions de collecte, des centres de stockage ou des comités de valorisation énergétique. Il faut aller à l’essentiel dans les territoires les plus atteints, comme Mayotte et la Guyane. Sans ces bases, le virage vers l’économie circulaire ne pourra être pris.

Madame la ministre, vous connaissez ma mobilisation sur ce sujet. Notre territoire audois a été impacté par ces pollutions minières historiques. Nos enfants ont été exposés. Nous ne pouvons abandonner nos territoires ultramarins. Des mesures doivent être prises en urgence, et celles-ci doivent être à la hauteur des enjeux !

M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec.

M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat actuel témoigne de l’importance de chaque politique publique au quotidien, et particulièrement de celle de la gestion des déchets, notamment en outre-mer.

Les conclusions du rapport d’information de la délégation sénatoriale aux outre-mer, présenté en fin d’année dernière, sont alarmantes. Il est urgent d’agir : des territoires et des populations en dépendent. Je remercie d’ailleurs toutes les personnes qui ont contribué à enrichir la réflexion, afin que nous puissions débattre aujourd’hui.

Les outre-mer souffrent d’un retard majeur concernant la politique de gestion des déchets. La sonnette d’alarme est tirée dans ces territoires eu égard à l’urgence sanitaire et environnementale que ce problème représente.

Les chiffres évoquent cette réalité. Le taux d’enfouissement moyen des déchets ménagers est de 67 % dans les outre-mer, contre 15 % sur le territoire métropolitain. Le coût de gestion moyen des déchets ménagers est 1,7 fois plus élevé que dans l’Hexagone et la quantité moyenne d’emballages ménagers collectés par habitant et par an est de 14 kilogrammes dans les territoires d’outre-mer, contre plus de 51 kilogrammes pour la France entière.

Les outre-mer souffrent d’un retard en matière d’équipements pour assurer pleinement les missions de service public auprès de leurs habitants. Le nombre de déchetteries par personne est deux à neuf fois plus faible dans les territoires d’outre-mer qu’en métropole. Dans un contexte de crise sociale à Mayotte comme en Guyane, ces « non-actions » concernant la santé et l’environnement ne permettent pas au climat de s’apaiser ; elles sont, au contraire, une nouvelle source de profond mécontentement.

Les plans de rattrapage exceptionnels pour la Guyane et Mayotte évoqués dans le rapport nous semblent pertinents, je dirais même indispensables, pour rattraper ce retard.

Il n’y a ni recyclage ni filières dédiées permettant l’instauration d’une économie circulaire réaliste et adaptée aux réalités locales. D’importants gisements de déchets, dont ceux des quartiers informels, des dépôts sauvages et des décharges illégales échappent à la collecte. Ainsi, 41 % des habitants de Mamoudzou, chef-lieu de Mayotte, ne bénéficient pas de ce service.

L’urgence sanitaire et environnementale est déclarée ; il est donc urgent d’agir. Ces dépôts ont des conséquences sur ces territoires fragilisés, nombre de populations n’ayant pas accès à l’eau potable. Certaines maladies sont favorisées par cette non-politique, surtout à Mayotte et en Guyane – je pense notamment à la dengue, à l’hépatite A ou à la typhoïde, comme d’autres de nos collègues l’ont souligné avant moi.

Évidemment, les coûts environnementaux de cette situation sont énormes : les sols, pollués, ne permettent plus à la faune et à la flore des outre-mer de s’épanouir dans un milieu sain et propice, alors même que les outre-mer abritent 80 % de la biodiversité française.

Madame la ministre, vous l’aurez compris, les financements sont insuffisants, à tout le moins pas à la hauteur de ce qu’exige la situation. Les propositions formulées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023 étaient encore trop faibles face aux enjeux que je viens d’essayer de rappeler. Les taxes ne peuvent être la solution à tous les maux : il faut du concret pour accompagner les élus, la santé des habitants en dépend.

La prévention et la pédagogie autour de ces sujets sont inexistantes. Il faut donner à ces territoires les moyens d’agir, humainement et financièrement, pour montrer l’importance au quotidien des petites actions, pour un meilleur cadre de vie.

Tout le monde doit prendre ses responsabilités. Une réelle gouvernance sur le sujet semble indispensable, des moyens à la hauteur des besoins sont nécessaires et des pénalités pour celles et ceux qui ne respectent pas les règles – je pense surtout aux éco-organismes – sont primordiales.

Dans un contexte de réchauffement climatique et de crise environnementale, nos priorités sont claires. Nos actions doivent répondre aux enjeux du développement durable non seulement pour nous-mêmes, mais surtout pour les générations futures.

Les outre-mer accusent un retard majeur en matière de gestion des déchets. La cote d’alerte est souvent dépassée dans certains territoires. Il y a donc un effort particulier à accomplir pour que l’égalité républicaine devienne une réalité là où nous en avons le plus besoin. (M. Joël Bigot applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme Lana Tetuanui. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après plus de six mois de travaux, le constat général dressé par la délégation sénatoriale aux outre-mer est, hélas ! alarmant, plus particulièrement dans deux départements qu’il convient de placer en situation d’urgence sanitaire et environnementale.

D’une manière générale, les outre-mer accusent des lacunes et des retards majeurs en matière de gestion des déchets dont plus de 67 % sont enfouis et seulement 15 % valorisés. Ces indicateurs sont différents selon les territoires, mais ces ratios doivent nous pousser à nous interroger, surtout par comparaison avec les données de l’Hexagone, où seulement 15 % des déchets sont enfouis.

Certaines collectivités ultramarines sont certes bien plus avancées du fait de la dynamique des politiques environnementales adoptées localement, qui impliquent le déploiement d’importants moyens en matière de sensibilisation au tri ainsi que des investissements structurants dans la filière de gestion des déchets.

Ultramarins, nous connaissons parfaitement nos défis liés à l’insularité, à l’absence de foncier, à l’éloignement, au coût du transport et à la nécessité de préserver notre biodiversité, qui représente la richesse de nos îles et sur laquelle reposent nos principales activités économiques de développement.

Toutefois, ces défis nécessitent chaque jour de nouveaux moyens budgétaires, car la vague de déchets ne cesse d’augmenter. Les ambitions, les incitations à la valorisation de nos déchets restent à déployer. L’économie circulaire doit s’y développer, plus encore qu’ailleurs, pour la préservation de notre environnement.

Une véritable politique de changement de nos comportements est à insuffler dans nos îles. Il nous faut produire autrement, car le danger sanitaire et environnemental est omniprésent dans les outre-mer et s’incarne dans les nombreuses décharges illégales et les dépôts sauvages qui échappent à la collecte.

Le rapport de nos deux collègues sénatrices, Mmes Gisèle Jourda et Viviane Malet, que le groupe Union Centriste tient à saluer pour cet énorme travail, nous met face à une réalité inquiétante en matière de collecte et de traitement des déchets dans les territoires ultramarins, ce qui contribue aux crises sanitaires et environnementales que ces derniers connaissent.

Le nombre de cas de leptospirose transmise par les rats en outre-mer, soixante-dix fois supérieur au taux national en Guyane et à Mayotte, montre l’urgence de mener un rattrapage massif. Des politiques volontaristes et durables doivent être mises en œuvre dans ces territoires. Les enjeux de santé publique associés à cette question sont considérables.

Outre cet aspect sanitaire, le flux croissant des déchets défigure les paysages et détruit la biodiversité. Que dire en outre de l’état de nos océans, véritables poubelles de la pollution plastique ? Alors que se tient à Paris le sommet des Nations unies sur la pollution plastique, il est urgent de travailler tous ensemble pour générer une économie moins polluante.

Nous devons d’autant moins négliger la préservation de notre environnement que nos outre-mer constituent 80 % de la biodiversité française.

Sans reprendre les constats dressés par mes collègues sur la gestion des déchets dans les différents territoires, je souscris entièrement aux préconisations du rapport sénatorial et à la proposition de résolution européenne déposée par mes deux collègues.

Un appel à la solidarité nationale pour le financement d’investissements structurants et durables est nécessaire pour faire face à cette situation d’urgence. Il convient également de mobiliser les aides européennes, d’adapter la politique européenne en matière de gestion des déchets aux spécificités des régions ultrapériphériques (RUP) et des pays et territoires d’outre-mer (PTOM) et de simplifier les procédures européennes, notamment en matière d’export des déchets. Il faut, en outre, permettre et encourager la conclusion d’accords régionaux dans la zone relevant de chaque territoire d’outre-mer.

Permettez-moi, en dernier lieu, de parler de ma collectivité. La charge de la collecte et du traitement des ordures ménagères et des déchets végétaux y revient aux communes depuis 2004. Un éminent sénateur, dont je ne citerai pas le nom, avait déposé un amendement à cette époque. Or les communes ne sont et ne seront pas en mesure, faute de moyens financiers et d’ingénierie, de respecter le délai imparti pour assumer complètement cette charge au 31 décembre 2024.

Les demandes récurrentes d’évaluation des charges liées à la mise en œuvre de ces nouvelles compétences environnementales n’ont pas abouti à ce jour. L’appui de l’État à la réalisation d’une étude globale en la matière est primordial et fortement attendu.

Pour conclure, plaidons pour une économie moins polluante à l’échelle internationale et espérons que toutes nos décharges à ciel ouvert seront définitivement condamnées dans l’ensemble des outre-mer pour la préservation de notre biodiversité et de notre santé publique, avec l’aide de l’État et de l’Europe. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et RDSE. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Stéphane Artano. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me félicite que le Sénat organise ce débat sur la gestion des déchets en outre-mer. Il fait suite au rapport de nos collègues Gisèle Jourda et Viviane Malet, que je tiens sincèrement à saluer pour leur engagement dans ce dossier, que j’ai pu mesurer lors de leur déplacement à Saint-Pierre-et-Miquelon.

La gestion des déchets, tout comme celle de l’eau et de l’assainissement, est un marqueur fort pour nos concitoyens de la réussite ou de l’échec de nos politiques publiques. Ce dossier nous oblige tous, collectivement.

Il serait évidemment aisé, voire caricatural, de s’en tenir au constat rappelé par les précédents orateurs. Comme cela a été dit, selon les territoires, la situation connaît des stades d’avancement différents.

C’est de Saint-Pierre-et-Miquelon que je vous parlerai ce soir, car l’enjeu de notre débat est aussi, avant tout, d’ouvrir des perspectives de progrès.

Les deux communes gèrent la collecte et le traitement des déchets ménagers, mais également de tous les autres déchets compte tenu de la faible implantation des éco-organismes sur mon territoire et de l’absence d’opérateurs privés susceptibles de traiter les déchets des entreprises de tous les secteurs, y compris ceux des bâtiments et travaux publics (BTP).

Cette situation n’est pas nouvelle, mais elle n’est pas durablement tenable, d’autant qu’une grande partie des déchets non valorisés est brûlée à ciel ouvert, comme l’a souligné Gisèle Jourda.

Nos rapporteures ont mesuré le désarroi des maires des communes de Saint-Pierre et de Miquelon-Langlade. C’est comme si les sites des décharges étaient arrivés au bout de leur capacité à tout absorber.

En revanche, la collecte des déchets ménagers est parfaitement assumée. Elle obtient même des résultats remarquables en matière de prévention et de tri. Ainsi, l’archipel a franchi le pas dès 2018 pour ce qui est du tri des biodéchets des particuliers, alors que l’obligation nationale entrera en vigueur en 2024. Il est important de le saluer.

Il existe des substituts à la situation actuelle, mais leur mise en place suppose l’engagement de tous les acteurs.

Je salue l’approche pragmatique du ministre Jean-François Carenco, qui a pu mesurer l’ampleur des défis lors de sa visite, début mai. Je souhaite mettre en évidence quelques pistes qui méritent, me semble-t-il, d’être creusées.

En premier lieu, il existe un plan national de résorption des décharges littorales présentant des risques de relargage de déchets en mer. Si certaines communes ultramarines ont été retenues dans ce cadre, ce dont je me félicite, j’avoue ne pas comprendre pourquoi les décharges de Saint-Pierre-et-Miquelon n’ont pas été intégrées à ce dispositif.

En effet, c’est justement parce que la décharge de Saint-Pierre déborde sur le domaine public maritime avec des rejets en mer par forte tempête, comme l’a rappelé Gisèle Jourda, que le maire de cette commune se retrouve sous le coup d’une enquête judiciaire après un signalement de l’Office français de la biodiversité (OFB).

Au-delà des obstacles juridiques éventuels à lever dans ce dossier, je demande à l’État de faire établir un diagnostic des décharges littorales de l’archipel par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) pour qu’un accompagnement des mairies puisse être mis en place au titre du plan national.

En deuxième lieu, nos décharges ayant dû, par la force des choses, tout accepter, elles se retrouvent saturées de véhicules hors d’usage, d’accumulateurs ou encore de pneus. Je me fais ici le relais des mairies et de la volonté affichée par le ministre délégué : nous souhaitons qu’une opération d’enlèvement de ce stock historique puisse être coordonnée avec le soutien de l’État. Il est urgent d’accompagner nos élus dans cette opération.

En troisième lieu, comme cela a été dit précédemment, l’intervention des éco-organismes doit être plus active. Depuis leur création, force est de constater que les filières REP ont beaucoup délaissé les outre-mer, où la loi s’applique aussi !

Loin de stigmatiser qui que ce soit, le Gouvernement a réuni les éco-organismes pour les mettre face à leurs responsabilités et leur a demandé une feuille de route territorialisée. Madame la ministre, vous aurez peut-être des éléments à nous communiquer.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, un consensus existe sur la nécessité de mettre en place progressivement une plateforme inter-REP, avec un représentant local dédié à ces opérations.

Le déplacement des éco-organismes sur place en septembre prochain et la structuration de nouvelles filières REP permettront d’accélérer les réponses.

Il faudra sans doute mettre en place un cahier des charges propre à Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi que des mécanismes de pénalités en cas de non-atteinte de leurs objectifs par les éco-organismes.

Il est nécessaire que l’État accompagne la mairie de Saint-Pierre, sous une forme encore à déterminer, pour qu’elle se dote d’un incinérateur de petite capacité, afin que cesse le brûlage à ciel ouvert tout en mutualisant le flux des deux îles, la mairie ne pouvant porter seule cette ambition.

Je tiens à rappeler que, en 2014, emmenée par Karine Claireaux, la commune de Saint-Pierre a obtenu le label « Zéro déchet, Zéro gaspillage ». Entre 2015 et 2020, la quantité de déchets ménagers non valorisables mis en décharge a été divisée par cinq. Saint-Pierre-et-Miquelon est sans doute l’un des territoires ultramarins où les efforts de prévention, de communication et de réduction des déchets ont été les plus importants au cœur de la stratégie de gestion des déchets.

Le maire actuel, Yannick Cambray, poursuit ce travail avec ses équipes et s’investit pour tendre vers une gestion conforme de nos déchets ménagers en lien avec la municipalité de Miquelon-Langlade, qui dispose de capacités réduites.

Les autres acteurs, je le dis solennellement, devront également prendre leurs responsabilités à l’égard de leurs propres déchets. Cela nécessitera sans doute un accompagnement.

Madame la ministre, comme les élus de l’archipel, j’en appelle à l’accompagnement et au suivi étroit par l’État de la mise en œuvre d’une gestion des déchets vertueuse, assumée par tous les acteurs responsables au regard de la loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marta de Cidrac. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans une France riche de la diversité de ses territoires, nos outre-mer ont toujours eu une place à part. Leurs spécificités, souvent entendues, mais parfois incomprises, donnent à ces espaces une singularité à nulle autre pareille.

Cette situation particulière a de fortes conséquences sur les politiques à conduire dans de nombreux domaines. Éloignement géographique, différences climatiques, spécificités insulaires : nos outre-mer demandent aux décideurs publics et au législateur que nous sommes un effort permanent de contextualisation, de différenciation et d’attention aux problématiques qui leur sont propres.

Ce débat est une excellente occasion d’en prendre conscience, au moment où s’ouvre à Paris la deuxième phase de négociations internationales contre la pollution plastique, mais surtout au travers du prisme environnemental du traitement des déchets.

À ce titre, je remercie la délégation aux outre-mer du Sénat de l’avoir inscrit à notre ordre du jour. Je salue également nos collègues Gisèle Jourda et Viviane Malet pour leur rapport d’information sur la gestion des déchets dans les outre-mer.

Faisons un bref rappel géographique. À des milliers de kilomètres de la métropole, au milieu d’immenses océans, il s’agit de territoires souvent de faible superficie, mais qui confèrent à notre pays, par leur implantation dans tous les océans, le deuxième domaine maritime mondial. Avec un pareil atout, une responsabilité mondiale en matière de préservation de l’environnement et de la biodiversité nous incombe.

Par ailleurs, ne l’oublions pas, il s’agit aussi de l’Union européenne. À travers leur statut de régions ultrapériphériques, les outre-mer français permettent à l’Union européenne d’être présente en dehors du continent européen et dans tous les océans.

Il s’agit, là encore, d’un atout pour l’Union européenne, mais qui demande en retour une prise en compte de la spécificité ultramarine française.

Ce cadre français et européen est essentiel pour comprendre la politique de traitement des déchets ultramarins, un domaine où les atouts de l’outre-mer s’accompagnent de responsabilités et de contraintes spécifiques.

Dans le cadre de l’évaluation de la loi Agec, j’ai rencontré les différentes parties prenantes du traitement des déchets ultramarins, qu’il s’agisse d’élus locaux ou de professionnels du secteur. Tous m’ont fait part de problématiques ultramarines bien spécifiques, parfois très différentes de celles de l’Hexagone.

Deuxième espace maritime mondial, la France concentre à elle seule dans ses eaux 10 % des récifs coralliens, 20 % des atolls de la planète et près de 10 % de la diversité mondiale des espèces marines.

Notre responsabilité à l’échelle mondiale est donc de laisser à nos enfants des espaces maritimes non pollués et vierges de déchets susceptibles de mettre en péril des écosystèmes déjà fragilisés. En effet, à l’exception de la Guyane, nos outre-mer sont des écosystèmes insulaires. Ils sont donc plus sensibles à la pollution et se régénèrent beaucoup moins rapidement que les autres.

Les risques encourus ne sont pas seulement sanitaires, ils sont aussi sociaux et économiques. Lorsque des terres arables deviennent impropres à la culture ou que la qualité de l’eau se dégrade, ce sont des ressources qui disparaissent ou qui demandent à être importées.

Nous pouvons citer un exemple concret de pollution dont s’alarment les acteurs locaux, déjà rappelé à maintes reprises à l’occasion de différents échanges. Il s’agit de l’accumulation de déchets issus de l’industrie automobile. Vous serez frappés de voir, chers collègues, les nombreuses carcasses de voitures qui parsèment nos îles, faute d’installations à même de traiter ces déchets.

Dans l’Hexagone et plus encore dans nos outre-mer, un mauvais traitement des déchets emporte de grandes conséquences. Il faudra être capable de l’anticiper face aux défis de demain. Qu’en sera-t-il de l’augmentation du nombre de véhicules électriques en outre-mer et du traitement de leurs batteries, alors même que le traitement de véhicules thermiques fait défaut ? Quid des modes de consommation de nos concitoyens, qui évoluent vers le « toujours plus », via la fast fashion, par exemple, ou les objets technologiques à fort potentiel polluant ? Tout cela se fait au risque de voir nos territoires ultramarins saturés de déchets polluants, faute d’exutoire et de traitement performants.

Au niveau local, des pistes d’amélioration claires ont été identifiées par mes collègues de la délégation aux outre-mer. Je soulignerai que les solutions nationales ne sont pas les seules à être attendues. De nombreux acteurs locaux se sentent entravés par la réglementation européenne qui s’impose à eux en tant que régions ultrapériphériques.

En effet, le règlement européen relatif aux transferts de déchets, dit RTD, pose de réelles difficultés dans nos départements et territoires d’outre-mer, qui ne peuvent exporter leurs déchets dangereux vers les ports de pays tiers géographiquement proches. Selon le RTD, ces exportations devraient se faire exclusivement vers l’Union européenne ; mais cette solution ne paraît ni raisonnable ni viable d’un point de vue environnemental et économique.

Certains ports de pays tiers disposeraient pourtant d’infrastructures à même de traiter ces déchets ou, à défaut, de leur permettre simplement de transiter, ce que le RTD ne facilite pas non plus.

En principe, ce règlement met en œuvre, dans le droit de l’Union européenne, les dispositions de la convention de Bâle et de la décision de l’OCDE en matière de transferts de déchets dangereux. Dans les faits, il est bien plus strict que le droit international.

Je sais, madame la ministre, que ce règlement est en cours d’examen et de révision à Bruxelles. Nos territoires ultramarins comptent sur votre voix afin que leurs spécificités soient prises en compte dans le futur texte. Il y a de cela quelques mois, j’interrogeais le ministre des outre-mer, qui reconnaissait l’importance des enjeux en la matière.

La France est le seul pays de l’Union européenne à compter autant de RUP aussi éloignées du continent européen. C’est un atout national et communautaire à valoriser, non à pénaliser.

Le droit européen devra assurément évoluer vers une plus grande souplesse si nous ne voulons pas préparer aujourd’hui les bombes à retardement écologiques de demain.

Au niveau national, les travaux de notre délégation sénatoriale ont identifié des axes de progression clairs : simplifier la gouvernance, améliorer le financement de la gestion des déchets, inciter les filières REP à une obligation de résultat, aller chercher de nouveaux gisements de déchets et développer l’économie circulaire.

Ces dispositions sont déjà à l’œuvre dans l’Hexagone et figurent dans la loi Agec. Déployons-les plus amplement dans les outre-mer, afin que nous arrivions à des résultats efficients. Leur application doit aller de pair avec une négociation sur la question des RUP qui respecte nos concitoyens ultramarins, ainsi qu’avec la définition d’une véritable stratégie maritime qui protège les écosystèmes de nos territoires ultramarins. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée. (Mmes Gisèle Jourda et Viviane Malet applaudissent.)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le président, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier la délégation aux outre-mer d’avoir organisé ce débat, qui permet de faire un point sur les avancées réalisées en matière de gestion des déchets dans les outre-mer.

Je souhaite remercier les sénatrices Gisèle Jourda et Viviane Malet pour leur rapport qui, je le souhaite, inspirera les actions du Gouvernement dans ce domaine.

Je tiens à excuser l’absence du ministre délégué chargé des outre-mer, Jean-François Carenco, qui se trouve actuellement en Nouvelle-Calédonie avec le ministre de l’intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin. Il a fait de la gestion des déchets l’une de ses priorités et il aurait aimé se trouver parmi nous aujourd’hui.

Vous l’avez dit et écrit : la situation des déchets en outre-mer n’est pas satisfaisante et le constat est alarmant. Il s’agit aujourd’hui d’ouvrir, comme vous l’avez souligné, monsieur Artano, des perspectives concrètes de progrès.

Comme plusieurs d’entre vous l’ont rappelé, 67 % des déchets ménagers sont enfouis outre-mer, contre 15 % à l’échelle nationale. La gestion des déchets ménagers coûte en moyenne 1,7 fois plus cher dans les outre-mer que dans l’Hexagone. Les déchets d’emballage, par exemple, y sont trois à quatre fois moins collectés dans le bac jaune.

Votre rapport de décembre dernier a dressé un état des lieux exhaustif des difficultés rencontrées. Elles sont multiples : des coûts plus élevés, l’absence de marché, des exportations compliquées. Par ailleurs, le nombre de déchetteries est insuffisant et les éco-organismes des filières REP restent trop peu mobilisés sur ces territoires.

Cette gestion a des conséquences sanitaires, environnementales, sociales et économiques néfastes pour nos compatriotes ultramarins et pour la biodiversité. En effet, les dépôts sauvages polluent les cours d’eau et les nappes phréatiques et favorisent la prolifération de rongeurs ou de moustiques transmettant la dengue et le paludisme.

La loi Agec de 2020 et la loi Climat et résilience de 2021 ont fixé des objectifs ambitieux qu’il convient de mettre en œuvre dans tous les territoires. Les retards pris dans les outre-mer nécessitent de redoubler d’efforts et d’apporter une réponse à nos compatriotes ultramarins, qui ont pu se sentir abandonnés.

Le Gouvernement est non seulement pleinement conscient de cette réalité, mais surtout entièrement mobilisé. Il prépare ainsi un plan d’action concret et territorialisé, assorti d’une feuille de route interministérielle de progrès pour la gestion des déchets outre-mer.

Ce projet de feuille de route repart des recommandations de votre excellent rapport de décembre dernier et tient compte également des retours d’expérience des préfets et de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) concernant les territoires d’outre-mer.

Vous l’évoquiez dans votre rapport, le premier axe d’amélioration est la gouvernance. Un important travail de rationalisation doit être effectué par les collectivités. Celles-ci sont en effet compétentes en matière de planification et d’organisation de la gestion des déchets. L’État se tient à leurs côtés, comme nous le faisons actuellement en Martinique avec le Syndicat martiniquais de traitement et de valorisation des déchets (SMTVD).

À ce jour, La Réunion, Saint-Martin, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon doivent encore adopter leurs plans régionaux de prévention et de gestion des déchets (PRPGD).

Le prochain Ciom, que nombre d’entre vous ont mentionné, programmé le 12 juin à quinze heures, sera l’occasion d’aller plus loin et de reprendre directement certaines mesures de votre rapport, pour mieux organiser encore cette gestion. J’en citerai au moins deux : l’autorité unique et la gratification du geste de tri. Vous travaillerez toutefois le 12 juin sur bien d’autres mesures.

En matière de financement, l’État est au rendez-vous. Il l’est via les contrats de convergence et de transformation (CCT), dont la nouvelle génération est en cours de négociation. Pour rappel, sur la période 2019-2022, le ministère des outre-mer a contractualisé avec l’Ademe un montant total de 41 millions d’euros pour accompagner les collectivités.

Malheureusement, ces montants, comme souvent en outre-mer, ne sont pas assez consommés. Rien ne sert de voter des budgets mirobolants s’ils ne sont pas dépensés. Le Gouvernement travaille, dans le cadre du Ciom, à mettre à la disposition des collectivités territoriales davantage d’expertise en ingénierie pour que les crédits proposés par le Gouvernement et votés par le Parlement parviennent réellement à financer des projets.

En complément, le Fonds exceptionnel d’investissement (FEI) peut apporter une aide ponctuelle pour certains projets ciblés. Depuis 2010, le ministère des outre-mer a financé des projets de gestion et de valorisation des déchets à hauteur de 31,2 millions d’euros, soit environ 2,6 millions d’euros par an. Pour 2023, mon collègue Jean-François Carenco a décidé de doubler cette enveloppe et de la concentrer sur la Guyane, qui a fait de ce sujet sa priorité.

Le fonds vert est également un outil dont les collectivités ultramarines doivent se saisir. La collecte de biodéchets a déjà représenté 10 % des dossiers déposés lors du premier appel à projets. Ainsi, 870 000 euros seront alloués à la Martinique pour des travaux de mise en œuvre du captage de biogaz. Des études seront également financées pour la mise en œuvre du tri à la source des biodéchets à Marie-Galante et pour l’élimination des déchets métalliques du lagon à La Réunion.

Enfin, les fonds européens sont des atouts précieux pour les collectivités. Pour la période 2014-2020, 155 millions d’euros ont ainsi été engagés en faveur de la gestion des déchets en outre-mer.

J’ajoute que la commissaire européenne à la cohésion et aux réformes, Elisa Ferreira, que je connais bien, évoque régulièrement – et avec tristesse – le problème de la sous-consommation des crédits européens. De manière générale, les collectivités régionales doivent mieux se saisir de ces opportunités de financement et la consommation des fonds doit être améliorée.

Un autre constat que le Gouvernement partage, c’est que les éco-organismes des filières REP ne sont pas au rendez-vous en outre-mer. Ce n’est pas normal que les ultramarins ne puissent bénéficier d’un service de collecte performant pour les déchets relevant desdites filières. La loi Agec a justement prévu de remobiliser ces éco-organismes pour rattraper d’ici à trois ans les retards en matière de collecte et traitement des déchets en outre-mer.

M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Je souhaitais, monsieur le président, aborder un dernier point évoqué dans le rapport d’information de la délégation aux outre-mer : le transfert de déchets, que ce soit des outre-mer vers l’Hexagone ou entre les outre-mer.

Les autorités françaises sont pleinement mobilisées, dans le cadre de la révision en cours du règlement européen sur le sujet, pour que les conditions de transit vers l’Union européenne soient facilitées.

Lors de la récente Conférence de coopération régionale Antilles-Guyane, la problématique des déchets a fait l’objet de débats spécifiques. Une réflexion est en cours pour mutualiser, optimiser et mieux coopérer.

Je tiens encore une fois à remercier la délégation sénatoriale pour la qualité de ses travaux et la richesse de ses propositions. Les membres du Gouvernement, en particulier Jean-François Carenco et Bérangère Couillard, comptent sur le prochain Comité interministériel des outre-mer pour améliorer encore la gestion des déchets dans ces territoires. Notre ambition commune est que ces déchets ne soient plus des encombrants à enfouir, mais bien des ressources à exploiter, en outre-mer comme dans l’Hexagone.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à vous remercier, madame la ministre, pour votre participation à ce débat – nous comprenons parfaitement l’absence de M. le ministre délégué chargé des outre-mer. C’est un sujet fondamental, mais complexe en raison des réalités de chacun de nos territoires.

Vous l’aurez compris, notre délégation attend des réponses claires. Vous avez apporté de premiers éléments : nos vingt-six recommandations sont sur la table et il revient au Gouvernement ainsi qu’aux autres acteurs concernés de se saisir de notre rapport. Soyez assurée que notre délégation effectuera un suivi précis et exigeant de cette question au cours des prochains mois, sans esprit partisan, comme à son habitude.

Ce débat intervient à un moment clef, puisque le prochain Ciom se tiendra le 12 juin. Il nous semble – cela nous paraît même incontournable et prioritaire – qu’il devra inclure un volet consacré aux déchets.

Vos propos ainsi que certaines déclarations récentes du Gouvernement sont de premiers signaux positifs. Il faut désormais les concrétiser par des actes.

Pour ce qui concerne notamment l’action des éco-organismes, notre délégation a noté avec intérêt que vos collègues Bérengère Couillard et Jean-François Carenco avaient réuni conjointement le 6 avril dernier les éco-organismes pour leur demander de « se mettre à niveau avant la fin de l’été ». Dans le communiqué conjoint, les deux ministres s’appuyaient d’ailleurs sur le rapport de notre délégation.

Espérons que cette déclaration sera un électrochoc. À défaut, je vous invite à engager les mécanismes de pénalités financières et à abaisser les seuils de responsabilité, conformément aux recommandations de nos rapporteures.

Agir vite et fort, pour reprendre les mots de Gisèle Jourda, est impératif, car le sujet des déchets est symptomatique des défis à relever pour nos outre-mer.

Enjeu environnemental et sanitaire, la gestion des déchets revêt aussi un enjeu économique – Marta de Cidrac en a parlé. Le développement touristique, et donc la création de richesses, ne peut réussir si les plages sont polluées, les routes bordées d’épaves et le paysage abîmé.

Les déchets peuvent aussi être une opportunité pour rapatrier de la valeur ajoutée sur les territoires, en développant des filières locales de recyclage.

Mais surtout, pour les outre-mer, les déchets sont l’autre service public de base au cœur du quotidien de chacun, au même titre que l’eau potable, l’assainissement ou l’électricité, sans lequel il ne peut y avoir de développement harmonieux et digne.

La crise de confiance qui s’est exprimée lors des dernières échéances électorales dans les outre-mer est notamment la conséquence des difficultés à fournir à nos concitoyens ces services publics essentiels du quotidien.

Le récent rapport d’information de la délégation sénatoriale sur l’évolution institutionnelle des outre-mer souligne d’ailleurs que la pertinence d’éventuelles évolutions de ce type doit être évaluée à l’aune de leur capacité à déployer des politiques publiques plus efficaces. La défiance et la crise démocratique ne seront surmontées que lorsque ces services publics fondamentaux auront des résultats tangibles.

Un autre aspect transversal réside dans l’ingénierie – vous en avez parlé, madame la ministre –, c’est-à-dire la capacité à transformer une idée en réalité. C’est le point faible des outre-mer pour toutes les politiques publiques. Là encore, notre rapport fait plusieurs propositions tout aussi essentielles que celles relatives à l’effort financier, qui n’est pas la seule donnée de l’équation.

Enfin, j’achèverai mon propos, en évoquant l’enjeu de la différenciation et de la territorialisation. Notre délégation porte cette exigence sur tous les sujets ultramarins ; celui des déchets n’y échappe pas.

Viviane Malet l’a évoqué, notamment en mettant en avant la nécessité de développer la valorisation énergétique. Plus globalement, il faut sans doute réinterroger pour nos petits territoires insulaires ou isolés la hiérarchie des modes de traitement. Est-il, par exemple, toujours pertinent d’expédier à l’autre bout du monde des déchets plastiques pour les recycler ? Ne vaudrait-il pas mieux les valoriser localement pour produire de l’électricité ? La valorisation matière doit être envisagée de manière pragmatique et réaliste.

C’est au niveau de chaque territoire que la stratégie la plus fine, sans idée préconçue, doit être définie et contractualisée. Madame la ministre, vous avez évoqué une feuille de route territorialisée ; il s’agit de l’un des aspects de la méthode de Jean-François Carenco.

Le Gouvernement n’est pas le seul responsable des questions liées à la gestion des déchets. Les collectivités et de nombreux autres acteurs, par exemple les éco-organismes, doivent aussi s’investir. La mise en place d’une contractualisation par territoire est très importante pour que chacun prenne ses responsabilités.

Les choses sont toujours plus claires quand tout le monde signe en bas de la page ! J’appelle donc de mes vœux l’enclenchement d’un tel cercle vertueux – je pense que chacun ici me rejoindra sur ce point. La gestion des déchets est une responsabilité collective qui doit être partagée et la contractualisation, dont je suis partisan, permet justement de responsabiliser l’ensemble des acteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la gestion des déchets dans les outre-mer.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à dix-neuf heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

7

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, proposant au Gouvernement de renforcer l'accès aux services publics
Discussion générale (suite)

Accès aux services publics

Adoption d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, l’examen de la proposition de résolution proposant au Gouvernement de renforcer l’accès aux services publics, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Jean Claude Requier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 451).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, proposant au Gouvernement de renforcer l'accès aux services publics
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans notre quotidien, l’essor des plateformes téléphoniques a ses bons et ses mauvais côtés.

Quand tout va bien, appeler un service public plutôt que patienter dans une interminable file d’attente est un gain de temps, surtout si l’on est géographiquement éloigné dudit service.

Cependant, lequel d’entre nous n’a jamais connu « tapez 1, tapez 2 ou tapez 3 » avec au bout du compte, ou plutôt au bout de la ligne, un bip, c’est-à-dire personne !

Cette réalité a été documentée par une récente enquête du magazine 60 millions de consommateurs, réalisée en collaboration avec la Défenseure des droits. Elle révèle les obstacles que rencontrent les usagers pour joindre les services publics par téléphone. Les tests conduits par les enquêteurs ont montré que 40 % des appels n’aboutissaient pas et que, quand ils aboutissent, la durée d’attente en ligne atteint en moyenne neuf minutes.

Faisant face à un manque de conseillers, l’assurance maladie est le service le plus critiqué. Pour la caisse d’allocations familiales, près de la moitié des appels restent sans réponse. Quand le conseiller est enfin joignable, il redirige l’usager, dans certains cas, vers internet…

Là encore, dans un monde parfait, la dématérialisation des démarches pourrait être la meilleure des solutions. Elle suppose toutefois deux conditions : un minimum de compétences informatiques et un bon réseau. Malheureusement, près de 14 millions de nos concitoyens sont frappés d’illectronisme comme l’avait souligné notre ancien collègue du Gers Raymond Vall dans le rapport de la mission d’information « Lutte contre l’illectronisme et inclusion numérique ».

Dans ces conditions, la dématérialisation des services publics peut engendrer de véritables souffrances sociales, en particulier chez les plus modestes, les personnes âgées ou les personnes souffrant d’un handicap physique. Non seulement ces personnes accèdent difficilement à leurs droits, mais plus globalement elles se sentent exclues du monde moderne. C’est une fracture de plus.

Bien entendu, je n’ignore rien des différentes politiques qui ont été mises en œuvre au cours de ces dernières années pour favoriser l’inclusion numérique. Mais il faudra faire davantage pour réduire le fossé entre les connectés et les non-connectés. Notre proposition de résolution appelle notamment au développement d’une stratégie numérique inclusive tout au long du parcours scolaire et de façon précoce.

L’accès aux services publics dématérialisés, c’est aussi bien entendu une question de réseau. Sur ce volet, nous sommes bien placés, dans les territoires ruraux, pour constater les difficultés persistantes de son déploiement dans certaines zones.

Pourtant, mes chers collègues, c’est parce que les moyens pour se déplacer et communiquer sont bien souvent distants en milieu rural que la téléphonie mobile et, avec elle, internet y sont plus utiles qu’ailleurs. L’ancien sénateur de la Lozère Alain Bertrand l’avait très justement relevé dans son rapport sur l’hyperruralité.

Garantir l’accès au numérique est un devoir que nous rappelle aussi le projet de déclaration européenne publié le 26 janvier 2022 sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique, qui précise : « Toute personne devrait avoir accès à des technologies qui visent à unir et non à diviser. La transformation numérique devrait contribuer à l’équité sociale et économique dans l’Union. »

Certes, l’État et les opérateurs s’efforcent de mieux prendre en compte la couverture des territoires ruraux à travers différents plans d’action. Monsieur le ministre, votre collègue chargé de la transition numérique et des télécommunications a indiqué en avril dernier devant la commission des affaires économiques du Sénat qu’il fallait trouver un accord entre l’État, les opérateurs et les collectivités pour relever les défis restants du grand chantier de la fibre et répartir l’effort financier de manière équitable et juste. Nous en sommes bien d’accord !

Cela est d’autant plus vrai, comme l’a rappelé en décembre dernier notre collègue Éric Gold lors des questions d’actualité au Gouvernement, qu’il y a le défi quantitatif du déploiement du réseau, mais aussi celui de sa qualité. Le réseau en cuivre, progressivement abandonné, pose problème, car il est mal entretenu, y compris dans les territoires qui n’ont toujours pas la fibre et où les délais de dépannage sont longs.

En attendant, au rythme actuel, les normes de débit devraient être inférieures à celles fixées par l’Union européenne à l’horizon de 2025.

Aussi, la numérisation des services publics « à marche forcée », comme l’a qualifiée le Secours populaire en 2021, a un revers, et non des moindres : certains usagers renoncent à leurs droits. Je citerai l’exemple avancé par l’Assemblée des départements de France qui a identifié cet hiver la sous-consommation du chèque carburant comme la conséquence de la fracture numérique. Face à tout cela, il est fondamental que le contact humain reste possible.

Là aussi, ces difficultés pourraient être relativisées si, dans le même temps, l’État ne s’était pas déchargé du maintien des services publics de proximité.

La dégradation continue des comptes publics depuis la fin des années 1970, combinée à une démographie défavorable dans certaines communes, a en effet conduit à des réformes rationalisant à l’excès le maillage territorial des services publics. Comme vous le savez, mes chers collègues, ces réformes ont touché aussi bien les administrations de sécurité sociale que les trésoreries ou La Poste. Tout le territoire a été concerné, y compris l’outre-mer pourtant déjà mal loti.

Bien que, dans son rapport intitulé Laccès aux services publics dans les territoires ruraux, la Cour des comptes considère qu’il n’y a pas eu d’abandon généralisé des territoires ruraux par les grands réseaux nationaux de services publics, elle relève toutefois que le niveau d’implantation varie selon les réseaux considérés.

C’est vrai, les schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public ont permis d’améliorer la situation ou de la stabiliser.

Et bien sûr, grâce à la mobilisation des collectivités locales, très impliquées dans le développement d’une offre de services publics mutualisés, le pire a été évité. Je pense au réseau des maisons France Services qui permet de maintenir un accompagnement adapté aux besoins locaux.

J’ajoute toutefois que moins d’un quart des maisons France Services sont accessibles par transports en commun et que leur implantation et leur fonctionnement reposent sur la bonne volonté et les moyens financiers des collectivités locales.

Mon groupe souhaiterait, je le répète, un partenariat plus équitable entre l’État et les collectivités locales, car les services publics demeurent une composante essentielle de l’aménagement et de l’attractivité des territoires. Dans nombre de communes, les commerces ferment et seul un service public reste ouvert.

Mes chers collègues, le principe d’égalité des droits est au cœur du pacte républicain. Il n’est pas besoin de démontrer combien nos concitoyens y sont sensibles.

La disparition programmée du timbre rouge illustre bien ce sentiment. Alors que les Français se rendent de moins en moins dans les bureaux de poste pour y déposer un courrier, ils supportent mal la réorganisation de ce réseau. Ce paradoxe s’explique simplement : La Poste bénéficie de l’image très populaire du facteur. Dans nos villages, il est souvent connu de tous et il représente le principal ambassadeur du lien social, ainsi que le gardien de la présence publique de proximité, si nécessaire à la cohésion sociale.

L’exemple du facteur démontre, s’il en était besoin, la nécessité de maintenir les services publics sur le territoire, en particulier dans le monde rural. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI. – M. Jean-Marie Mizzon applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accès aux services publics est un combat que mène la République depuis sa naissance et la création des départements : chaque citoyen devait pouvoir rejoindre la préfecture et retourner chez lui en moins d’une journée de cheval. Ce combat ne sera jamais définitivement achevé ; au contraire, il doit sans cesse être mené à mesure que les services publics se spécialisent afin qu’ils restent accessibles à tous nos concitoyens.

La proposition de résolution de Jean-Claude Requier, homme de grande expérience – il a été maire et conseiller départemental, il est sénateur du Lot depuis 2011 –, va dans le bon sens, celui que souhaitent nos concitoyens. L’accès numérique est certes le défi de notre siècle ; il ne se substitue pas pour autant totalement à l’échange avec un être humain, qu’il soit physique ou téléphonique.

Nous avons besoin d’autres services au public. Dans tous les territoires, qu’ils soient urbains, périurbains, ruraux ou ruraux profonds, se posent les mêmes questions : la mobilité ferroviaire et routière, l’accès aux services de la caisse d’allocations familiales ou de l’assurance maladie, le maintien des écoles, les services liés à l’enfance, comme l’éducation inclusive – insuffisance du nombre des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) –, l’accès à la culture ou au sport, la téléphonie mobile, la formation, la sécurité, etc.

Nos concitoyens souhaitent pouvoir accéder à ces services, sans parler des services de santé, avec plus de soignants qu’il faut valoriser – médecins, infirmiers, pharmaciens, etc. –, que ce soit à domicile – services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) –, ou en établissement – établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). J’ajoute qu’il faut maintenir les établissements hospitaliers, en se concentrant notamment sur les services mobiles d’urgence et de réanimation (Smur).

Les agents de France Services apportent un soutien très efficace pour aider les usagers, partout où ces structures existent – il faut les développer. Cet investissement national est un renfort indispensable à l’ensemble des actions mises en œuvre par les élus locaux pour maintenir la population dans les communes rurales.

L’accès aux services publics doit être facile pour nos concitoyens et il faut s’appuyer pour cela sur tous les modes possibles d’organisation afin de correspondre aux différents besoins. Nos concitoyens seront alors reconnus par la République, ce qui contribuera à la confiance et à l’adhésion au pacte républicain.

L’accès aisé aux services publics constitue également la condition essentielle de l’attractivité des territoires et la stimulation d’un cercle vertueux qui amènera entreprises et populations à venir s’installer.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, n’oublions pas le message des « gilets jaunes », qui étaient majoritairement issus de territoires victimes de diverses désertifications, dont celle des services publics. Travaillons à une répartition, qui soit aussi favorable aux territoires ruraux, des activités économiques et sociales qui doivent pouvoir trouver aussi aisément que possible dans les services publics des partenaires pour leur réussite. C’est aussi le sens de cette proposition de résolution et j’y souscris.

La création des espaces France Services ou la désignation de sous-préfets à la relance sont des mesures qui s’inscrivent dans cette vision.

Nous devons également réfléchir à la création de sous-préfets développeurs, à la coordination des soutiens nationaux, régionaux et intercommunaux pour le financement d’ateliers relais pour les très petites entreprises, à l’avenir des zones de revitalisation rurale, les fameuses ZRR, qui, contrairement à ce qui est dit, sont peu coûteuses et efficaces – monsieur le ministre, il faut maintenir ce dispositif –, mais aussi à un aménagement spécifique de l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) pour les communes rurales qui ont peu construit.

Nous devons aussi développer des services au public polyvalents et polymorphes afin de correspondre aux habitudes et spécificités locales. Aux côtés des services publics classiques et des buralistes, historiquement les premiers préposés détachés de l’administration, les restaurants ruraux ou les épiceries multiservices sont des exemples qui peuvent devenir des lieux ressources.

Pour conclure, je veux remercier Jean-Claude Requier et le groupe RDSE d’avoir déposé cette proposition de résolution. Continuons d’être imaginatifs et ambitieux pour que l’ensemble des publics français puissent accéder aux services qu’ils méritent.

Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi.

M. Paul Toussaint Parigi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd’hui a le mérite de rappeler et de sanctifier le rôle essentiel que jouent les services publics.

Elle rappelle qu’ils sont une condition indispensable de l’accès de tous aux droits fondamentaux : droit à la santé, au logement, à l’éducation, à la justice, ou encore à l’hébergement d’urgence.

Elle rappelle aussi qu’ils sont l’expression concrète des principes que l’esprit républicain a progressivement forgés, affinés et inscrits dans la loi pour étayer et garantir les droits et libertés.

Elle rappelle également qu’ils sont le terreau de l’économie, le maillage des solidarités et les ferments de notre citoyenneté ; ils sont tenus de garantir l’égalité des usagers, d’assurer une continuité d’action et de s’adapter aux besoins de ceux-ci.

Elle rappelle enfin que, face à ces impératifs, nous avons tous le devoir vigilant d’analyser avec lucidité leurs forces, leurs faiblesses et, en conséquence, leur impérieuse amélioration.

Encore trop souvent, les villes – petites et moyennes agglomérations comme métropoles – dominent les représentations de ces services et les choix qui sont faits.

Au cours des dernières années, les vagues de réformes de l’action publique se sont traduites par la fermeture de nombreux services de proximité. Ce courant a laissé des pans entiers de notre territoire éloignés des grandes infrastructures numériques et de transports ; on a donné à leurs habitants le sentiment d’être marginalisés, abandonnés.

Élu d’un territoire majoritairement rural, je sais combien l’égalité d’accès à ces services publics est encore loin d’être acquise ; bien des fois, elle est même en décroissance.

Je sais aussi combien les réponses apportées ne tiennent pas compte des spécificités locales.

En Corse, les communes rurales concentrent la moitié de la population régionale. L’éloignement des pôles urbains se conjugue au relief montagneux de l’île, qui rend les temps de transports plus élevés qu’en métropole, ainsi qu’aux effets encore très prégnants de la fracture numérique qui divise notre territoire, avec de nombreuses zones blanches.

Oui, l’administration dématérialisée s’est trop souvent, hélas, accompagnée de la fermeture de guichets de proximité et ainsi de la suppression de tout contact humain. Même si elle a offert des avancées que l’on ne peut nier, elle a également été synonyme d’exclusion. Elle exclut ceux à qui elle apparaît comme un obstacle parfois insurmontable – les personnes âgées, les personnes handicapées ou celles en situation de précarité sociale –, alors que bien souvent c’est pour ces mêmes populations que l’accès aux droits sociaux garantis par les services publics revêt un caractère vital.

Notre vision du progrès n’est conciliable ni avec l’éloignement des usagers de leurs droits ni avec le renforcement les fractures territoriales. L’épisode de 2018 nous l’a rappelé haut et fort.

Si le rapport du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) et la mise en place de l’agenda rural ont replacé sur le devant de la scène les problématiques du monde rural, et si celui-ci, pour l’avoir réclamé à cor et à cri, commence à être mieux pris en considération, il y a encore loin de la coupe aux lèvres !

Les territoires ruraux, qui recouvrent des réalités très différentes, continuent de souffrir de réponses mal adaptées à leurs spécificités, alors qu’un accès égalitaire reste un rouage essentiel du pacte républicain.

L’augmentation du nombre des maisons France Services doit se conjuguer à une montée en gamme de leur qualité, mais il faut aussi davantage associer à leur développement les élus locaux, qui connaissent parfaitement les besoins de leur territoire.

C’est de justice territoriale qu’il est question ici. Pour éviter les exclusions, il nous faut construire un capital collectif accessible à tous.

Nous pensons qu’il repose sur une couverture numérique pleine et entière et sur la recherche d’un meilleur équilibre entre un accompagnement plus attentif des personnes à l’accès dématérialisé, d’une part, et la mise en place de réels services de proximité, de l’autre.

Améliorer leur fonctionnement et simplifier les procédures sont des nécessités d’autant plus impérieuses que ces services ne sont pas de simples acteurs économiques ou sociaux. Ils sont les garants de la cohésion sociale et les symboles de l’action publique.

Je voudrais donc remercier notre collègue Jean-Claude Requier pour cette proposition de résolution, en espérant que le plan France Ruralités, dévoilé récemment, permette de tenir ce pari de taille. Les attentes sont fortes et le moment est crucial. Il ne faudrait pas que de nouvelles coupes budgétaires viennent contrarier l’espoir de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Denise Saint-Pé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d’abord remercier Jean-Claude Requier de son initiative.

Si vous souhaitez accéder à l’hôpital public, tapez 1. Si vous souhaitez effectuer un dépôt de plainte auprès d’un fonctionnaire de police, tapez 2. Si vous souhaitez obtenir un rendez-vous pour demander un nouveau passeport ou une nouvelle carte nationale d’identité, tapez 3. Mais, si vous souhaitez être mis en relation avec un conseiller, tapez dièse. Ne quittez pas, vous allez être mis en relation avec l’État : votre temps d’attente est estimé à… 35 heures !

Trêve de plaisanterie mes chers collègues : nous pourrions en rire, mais une telle introduction, bien qu’exagérée, reflète le premier contact aride qu’ont parfois nos concitoyens avec les multiples plateformes d’accueil téléphonique de nos services publics.

Or l’accès de nos compatriotes aux services publics est essentiel. Il l’est si l’on veut restaurer la confiance de nos concitoyens dans l’action publique. Il l’est aussi, car, aux yeux de beaucoup de Français, un service public de qualité requiert un accès facile, des solutions efficaces et des délais de traitement rapides.

Le principe d’égalité d’accès au service public signifie que tous les usagers doivent être traités de manière équivalente.

Je crois à ce propos que le réseau des maisons France Services, dont il faut saluer les résultats, est une étape importante permettant d’atteindre ces objectifs et de retrouver une certaine proximité, là où les Françaises et les Français les plus éloignés des services publics se sentaient délaissés.

Ce réseau, qui compte désormais plus de 2 500 structures labellisées réparties sur l’ensemble du territoire, est un bel outil au service d’une proximité retrouvée, mais il ne peut à lui seul résoudre la problématique qui nous réunit aujourd’hui.

Force est de constater que l’accès aux services publics rencontre encore certains obstacles qui compliquent la vie de tout le monde. Parmi ces freins, on peut notamment citer l’accès limité au numérique et la complexité bureaucratique si particulière à notre pays.

En ce qui concerne l’accès au numérique, il est essentiel de garantir un accueil équitable pour tous. La création des conseillers numériques et la pérennisation de leur financement sont une avancée majeure. Je salue, monsieur le ministre, votre engagement particulier sur ce sujet.

Mais les services publics ne doivent pas être limités à un nombre restreint de personnes : ils doivent être ouverts à l’ensemble de la population. Il est donc nécessaire de mettre en place des mesures visant à réduire la fracture numérique et à fournir à tous les citoyens les outils et les ressources nécessaires pour accéder aux services publics en ligne.

Par ailleurs, la bureaucratie représente aujourd’hui un problème structurel majeur. Au fil des décennies, elle a prospéré sans limites, devenant un obstacle au bon fonctionnement des services publics.

Les procédures administratives se sont considérablement alourdies. Leur simplification, nécessaire et attendue, reste lettre morte.

Jérôme Fourquet déclarait récemment, dans une interview à LExpress : « Il faut qu’il y ait au moins 15 cases à remplir, sinon l’administration fait un malaise ! » Cette caricature très juste nous invite à nous remettre en question. Il est essentiel de revoir en profondeur cette bureaucratie excessive et de simplifier les procédures administratives.

De plus, il convient de souligner que l’inflation législative constitue un frein majeur à la simplification que nous appelons, toutes et tous, de nos vœux lorsque nous prenons la parole à cette tribune, du point de vue des élus locaux comme de nos concitoyens.

Il est donc nécessaire d’entreprendre une réflexion approfondie sur cette inflation législative et d’adopter des mesures permettant de simplifier le cadre législatif et réglementaire, de manière à faciliter le quotidien des usagers et des élus.

En somme, si nous ne nous attaquons pas aux obstacles liés à l’accès au numérique, à la bureaucratie excessive et à l’inflation législative, nous continuerons d’aller dans le mur. Il faudra donc entreprendre des efforts de simplification, de modernisation et d’adaptation aux besoins des citoyens, afin de rendre les services publics plus accessibles, plus efficaces et plus proches des attentes des Français.

Bien évidemment, le groupe RDPI salue cette proposition de résolution et la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Denise Saint-Pé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Joly.

M. Patrice Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est très loin, le temps où le maillage des services publics dans notre pays était le moteur d’un développement équilibré du territoire, faisant de la ruralité française un modèle unique en Europe. Cette époque a été broyée par une succession d’objectifs d’économies qui, sous couvert de modernisation de l’État, ont favorisé un processus de concentration des services dans les pôles intermédiaires ou les grandes villes. Avec le souci de rationalisation de l’offre et de réduction des coûts, la perte de proximité est devenue la norme.

L’exemple de la SNCF, qui s’est concentrée sur le seul développement de la mobilité de métropole à métropole, en délaissant les autres lignes, qualifiées de « secondaires », illustre parfaitement ce processus : on n’entretient plus une ligne ; le temps de parcours augmente ; les gens prennent leur voiture ; enfin, on ferme la ligne faute de rentabilité.

L’État n’a cessé de suivre cette logique de fermeture d’une multitude de services publics, que ce soit du côté des écoles, des hôpitaux, des maternités, des gares, des trésoreries, des tribunaux, des gendarmeries, et j’en passe.

J’en veux pour preuve le cas de la Nièvre, département que je connais très bien : la grande Faucheuse statistique fait son œuvre tous les jours sur notre territoire et apporte son lot d’annonces de fermetures de services.

Ici, des fermetures de classe : 16 postes en moins à la rentrée de 2023 dans nos villages. Là, des voies de chemin de fer mal entretenues, la multiplication des retards de trains, des gares et des guichets que l’on ferme. Là encore, la fermeture de maternités à Clamecy, Cosne et Autun, la suspension des services d’urgences à Clamecy et à Decize, le transfert du centre 15 de Nevers à Dijon. Toujours là, la fermeture de 11 trésoreries.

Et si le sentiment d’abandon qui alimente la colère de nos concitoyens provenait en grande partie de la disparition de nombreux services publics de proximité, ou de leur suppression annoncée à très court terme ?

Face à la multiplication des déserts dans notre pays, quelle réponse peut-on apporter à tous ces territoires de faible densité, habités par des publics souvent fragiles, précaires ou âgés, qui restent en retrait des zones les mieux équipées en services ? Comment continuer à fermer les yeux, à laisser à l’écart de la société des individus peu connectés, victimes de l’illectronisme, vivant dans des territoires où la distance se calcule en temps de parcours et où la mobilité est rendue plus difficile ? Comment, enfin, ne pas comprendre ce sentiment d’abandon réellement ressenti dès lors que la dimension sociale du service public disparaît ?

Élus, habitants et commerçants se rendent compte de la mort des directions départementales des services de l’État et de leur maillage local. Ils se rendent compte qu’on les dessaisit de la richesse que sont nos services publics.

Les habitants de nos villages ruraux sont attachés au lieu où ils résident, mais ils ont aussi un attachement affectif aux gens qui y vivent, à une identité. La défense des services publics est, dans un tel contexte, le symbole d’une lutte pour le maintien d’une vie locale face à un déclin qui semble inéluctable et qui, in fine, induit lorsque ces services disparaissent un triple choc, psychologique, économique et démographique.

C’est pourquoi il est plus que jamais nécessaire de s’interroger sur ce que coûte l’absence de ces services publics et sur ce qu’ils peuvent apporter en termes de cohésion sociale, d’accès aux droits, d’emploi, de lutte contre le réchauffement climatique, mais également de développement économique.

De plus, nos territoires sont désormais recherchés. Oui, mes chers collègues, les différents recensements de population montrent que nos territoires ruraux sont redevenus attractifs.

Cela suppose aussi de s’interroger de nouveau sur le financement de nos services publics. L’affaiblissement de l’impôt sur les plus riches a, à la fois, rendu injuste le sens de la contribution et appauvri l’État, donc les services publics. Or l’impôt est accepté de tous lorsqu’il finance les services publics, qui sont le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Parce qu’ils permettent à chacune et à chacun, quels que soient ses moyens, d’accéder aux services et aux réseaux indispensables à la vie humaine, il est impératif de les financer à la hauteur des besoins.

C’est cette ambition d’un service public offrant des garanties collectives qui doit être au cœur de la construction d’alternatives de progrès. L’innovation et l’appel aux bonnes volontés sont souvent insuffisants pour connecter ces individus et ces territoires.

On l’observe aisément aujourd’hui avec le réseau des maisons France Services, qui constitue certes une avancée, mais qui ne compense que partiellement ce manque, avec des différences constatées dans l’éventail des services accessibles et dans la densité de leur maillage territorial selon les départements. L’articulation de ces espaces avec nos collectivités locales reste aussi à renforcer, car, je vous le rappelle, nos mairies sont le premier point d’entrée dans nos institutions publiques et la première voie d’accès aux services publics.

Pour conclure, j’ai la profonde conviction que la présence des services publics doit être conçue comme un investissement d’avenir, un pari sur les générations à venir et un enjeu fort pour le devenir des territoires ruraux.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que tous les membres de mon groupe voteront en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE. – M. Daniel Chasseing et Mme Denise Saint-Pé applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qui pourrait s’opposer au renforcement de l’accès aux services publics ? Pourtant, à consulter les différents votes survenus dans notre hémicycle comme à l’Assemblée nationale lors de l’examen des derniers projets de loi de finances, la réponse ne va pas nécessairement de soi. D’où quelques interrogations sur les raisons réelles qui ont conduit au dépôt de cette proposition de résolution !

Cependant, l’enjeu est réel, notamment en matière de cohésion sociale, d’accès aux droits et d’égalité entre nos concitoyens et entre les différents territoires. Cette proposition de résolution le rappelle d’ailleurs bien.

C’est la particularité de notre République, depuis la naissance de notre Constitution, d’avoir développé des services publics forts, utiles à l’intérêt général et auxquels l’accès est garanti à chaque citoyen, en tout point du territoire national.

Mais aujourd’hui, les temps sont durs. Les enseignants désertent un champ de ruines, les hôpitaux ferment des lits à tour de bras, les collectivités sont bien en peine à mettre en œuvre des politiques publiques pourtant nécessaires. Finalement, tous les services publics semblent concernés.

Les gouvernements successifs ont veillé à saper un modèle que beaucoup nous enviaient, pour céder au privé l’école, l’hôpital, les transports, jusqu’à notre énergie, notre eau et peut-être bientôt notre air, qui sait ?

Oui, il y a nécessité à renforcer les services publics et à améliorer leur accessibilité. On peut le faire par des recrutements en nombre, en renforçant l’attractivité des métiers de la fonction publique, par une meilleure rémunération et par la formation : 500 000 emplois sont nécessaires pour tenir nos objectifs sociaux, sanitaires, éducatifs, écologiques et économiques. Il y a tant à faire !

Alors, cette résolution aborde le problème, certes, mais elle n’apporte pas de solution véritable, d’une part parce qu’elle ne présume pas des efforts qui seront inscrits dans le budget pour 2024 – cela ne relève bien entendu pas d’une résolution –, d’autre part parce qu’elle s’intéresse principalement à la question du numérique, à son déploiement et à son utilisation.

Il me semble d’ailleurs que, en matière de déploiement, de réseaux la proposition de loi de notre collègue Patrick Chaize, adoptée par notre assemblée, favorise déjà l’accès au très haut débit. Alors, pourquoi déposer une telle proposition de résolution ?

Il faut évidemment qu’internet soit accessible à toutes celles et à tous ceux qui le souhaitent, tant techniquement qu’en matière de compétences. Il le faut, parce qu’internet peut faciliter les communications ; c’est d’ailleurs son rôle premier. Il ne doit pas, en revanche, servir de prétexte à la dégradation de nos services publics : il est inadmissible qu’un enseignant soit face à des milliers d’élèves isolés derrière un ordinateur, qu’un médecin ausculte sans pouvoir intervenir, qu’un formulaire doive être rempli sans accompagnement, ou que les collectivités se sentent laissées à l’abandon.

Déjà 84 % des démarches administratives prioritaires seraient accessibles en ligne. Cela est pratique pour certains et beaucoup moins pour d’autres ; le vrai problème est que ces mêmes démarches sont de plus en plus difficiles d’accès physiquement. L’illectronisme et la précarité numérique concernent un quart de nos concitoyens. Pensons à eux aussi, je dirais même : pensons à eux d’abord, puisque ce sont souvent les plus précaires qui sont le plus confrontés au numérique pour leurs démarches, ce qui les décourage parfois. Notre devoir est aussi de lutter contre le non-recours aux droits.

En raison de toutes ces insuffisances, malgré des intentions positives, nous nous abstiendrons sur cette proposition de résolution, qui n’apporte rien de plus que la proposition de loi de Patrick Chaize.

Si nous voulons de véritables services publics, ce n’est pas avec un clic droit que cela se fera, mais dans les lignes budgétaires du projet de loi de finances !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par la présente proposition de résolution, nos collègues du groupe du RDSE réclament au Gouvernement un renforcement de l’accès aux services publics. À quatre mois des élections sénatoriales, c’est bienvenu !

Ils ont bien raison de souligner, dans le texte de cette proposition, que le numérique n’est souvent qu’un cautère sur une jambe de bois, notamment dans les territoires ruraux. Prétendre remplacer les services publics par des formulaires en ligne, c’est tout simplement ne pas tout comprendre aux besoins de nos concitoyens.

Quand on parle de services publics, dans nos campagnes en particulier, ce n’est pas à sa déclaration d’impôt en ligne que l’on pense, mais en premier lieu à la santé. Rendez-vous compte, monsieur le ministre : une étude récente de l’Association des maires ruraux de France montre que, alors que l’espérance de vie des ruraux et des urbains était identique en 1990, l’écart au détriment des ruraux est désormais de deux ans pour les hommes et de près d’un an pour les femmes. Ce résultat est grandement imputable à la dégradation de l’accès aux services de soin en zone rurale. C’est dire si le phénomène est allé loin !

Or, quand on parle de dégradation de l’accès aux services de soins, il est autant question de l’hôpital, dont les structures sont supprimées ou débordées, que de la médecine de ville, qui ne prend plus de nouveaux patients, ou ne les accepte qu’après des temps d’attente qui se chiffrent en mois pour un rendez-vous avec un spécialiste. Voilà la réalité actuelle de l’accès au service public le plus essentiel qui soit dans les territoires !

Face à ce phénomène, les solutions sont connues, mais elles ne sont pas mises en œuvre. Hier, dans un autre débat, ma collègue Daphné Ract-Madoux interrogeait le Gouvernement sur la revalorisation du statut des professions paramédicales pour répondre à la pénurie de médecins.

En effet, lorsqu’il n’y a plus de médecin, ce sont les infirmiers, les aides-soignants, les sages-femmes et les pharmaciens qui interviennent. Ce faisant, ils mettent en jeu leur responsabilité. Quand allons-nous les protéger en leur donnant un vrai statut ? Quand allons-nous véritablement faire de la délégation d’actes ?

Ces questions sont essentielles pour répondre à l’urgence de la situation. Néanmoins, à plus long terme et de manière structurelle, la solution est ailleurs. Elle aussi est bien connue : il faut en finir avec l’exercice pseudo-libéral de la médecine !

Les médecins ne sont certes pas des fonctionnaires, mais ils sont rémunérés par les tarifs de la sécurité sociale et bénéficient de la liberté d’installation comme une profession libérale. Des rapports du Sénat réclament ce changement de longue date, notamment celui de notre collègue Hervé Maurey, Déserts médicaux : agir vraiment, rédigé il y a déjà dix ans !

Toutes les professions médicales ou paramédicales sont soumises à des impératifs d’installation territoriale ; il n’y a que les médecins qui peuvent continuer de s’installer où ils le souhaitent. Cela ne peut plus durer, d’autant que les nouvelles générations de médecins, en particulier les femmes, sont beaucoup plus ouvertes à cette idée que les anciennes générations. Alors, à quand le changement ?

Monsieur le ministre, c’est quand il n’y aura plus d’écriteaux « Le cabinet n’accepte pas de nouveaux patients » que l’on pourra vraiment parler de restauration de l’accès de tous aux services publics ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP. – M. Bruno Belin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – M. Joël Bigot applaudit également.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer l’initiative de notre président, Jean-Claude Requier, auteur de cette proposition de résolution qui pointe du doigt un sujet certes bien connu depuis de nombreuses années, mais, hélas ! toujours aussi actuel.

Parler de crise du service public, c’est faire renaître une vieille marotte du discours sur l’administration française. Nous pourrions croire qu’il s’agit d’un phénomène né de l’émergence de ce que certains qualifient de néolibéralisme, qui a pu conduire à une forme de porosité de la frontière entre les sphères du public et du privé. Il y a là du vrai : il semble que le modèle de l’État providence ne soit plus, depuis longtemps, privilégié par nos institutions. Les politiques publiques favorisent désormais les interventions d’acteurs privés et tendent à restreindre l’État à ses seules missions régaliennes.

J’ai aussi le sentiment que le service public est né en crise et qu’il a toujours subi des vagues d’attaques et de remises en cause. Aussi, le Sénat en tant que représentant des collectivités territoriales, doit tout mettre en œuvre pour défendre cette pierre angulaire de la solidarité sociale et de la cohésion territoriale.

Le service public est le moyen d’assurer l’égalité dans notre pays : l’égalité de l’accès aux soins, aux transports, à l’école, aux services des impôts, à la sécurité ; d’ailleurs, sur ce dernier thème, nous traiterons dans quelques jours des moyens budgétaires de la justice. Ceux-ci devraient continuer d’augmenter et d’être significatifs dans les années à venir ; cette tendance doit s’élargir aux autres administrations.

Ce n’est pas la première fois que notre groupe s’inquiète de l’état des services publics dans notre pays, comme Jean-Claude Requier l’a rappelé tout à l’heure. Je pense aux travaux de Raymond Vall sur l’illectronisme et à ceux d’Alain Bertrand sur l’hyperruralité : ils soulignaient, l’un comme l’autre, à quel point nos territoires subissaient une forme de précarité administrative que le numérique était bien incapable de combler.

Voici deux ans, nous avons consacré dans la loi le principe de différenciation territoriale. Je crois qu’il faut qu’il soit associé aux services publics.

Le cas de la ruralité l’illustre parfaitement : derrière ce mot, nous trouvons des territoires aux caractéristiques souvent très différentes. La ruralité rassemble, comme les zones urbaines, des populations hétérogènes qui ont des modes de vie très différents.

Cette diversité est source de difficulté pour l’implantation des services administratifs, parce qu’il est nécessaire d’adapter les politiques publiques aux besoins de chaque territoire, au plus près de leurs habitants. Certes, il existe un socle commun de services indispensables, mais il est nécessaire d’adapter les dispositifs nationaux aux populations des zones rurales.

Cela doit passer par un accompagnement des projets locaux. Le groupe RDSE est à l’origine de l’initiative parlementaire qui a permis la mise en place de l’Agence nationale de la cohésion des territoires. Le bilan de son action est peut-être encore mince, mais cette insuffisance ne tient qu’à l’étendue des défis auxquels l’agence est confrontée.

Nous saluons également, dans un autre registre, la mise en place du réseau France Services, créé en 2019, et l’établissement de maisons de services au public, même s’il reste à parfaire le maillage territorial et à renforcer les services qui y sont apportés. Nous identifions des progrès à accomplir. De ce point de vue, le manque de moyens se fait largement sentir. Nous appelons donc de nos vœux la pérennisation des moyens déjà offerts, voire un accompagnement supplémentaire des collectivités qui ont relevé le défi de créer des espaces France Services.

Oui, la question des moyens est fondamentale. Nous pourrons établir tous les plans et schémas possibles – je pense aux schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public, ou encore aux schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires –, mais toute programmation sera vaine si elle ne s’accompagne pas de son pendant budgétaire.

Les réponses apportées à ces problématiques ne se trouveront pas dans le réflexe, hélas trop courant, de la dématérialisation. Certes, celle-ci permet d’éviter des files d’attente aux guichets ou des déplacements chronophages et, de ce point de vue, il faut y voir une facilité incontestable pour de très nombreux citoyens. Mais encore faut-il que l’administré soit à même de recourir à cet outil !

Je crois qu’il est possible de trouver d’autres solutions : le numérique n’a pas le monopole de la simplification. Au contraire, s’il simplifie parfois, il peut aussi priver certains usagers de toute autonomie.

J’entends donc la nécessité de poursuivre le développement de ces services numériques, mais il faut aussi les adapter pour nos concitoyens qui souffrent de ne pas savoir s’en servir. Surtout, il est impératif que la numérisation se fasse en parallèle, et non en lieu et place, du développement des guichets physiques, pour qu’il n’y ait pas de génération sacrifiée.

Toutes ces remarques vont dans le sens de la proposition de résolution dont nous débattons. Notre groupe votera donc unanimement en faveur de son adoption. (Exclamations sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s’il y a bien une prérogative à laquelle les Français n’ont cessé d’exprimer leur attachement, c’est celle de l’accès à leurs services publics.

Le service public est constitutif de notre identité française, comme en témoigne la multitude de secteurs auxquels il apporte son concours. Le haut niveau d’intervention qui est attendu de l’État doit s’accompagner d’un haut niveau d’efficience et de performance.

C’est pour ces raisons que le désengagement progressif de l’État dans certains territoires semble particulièrement déconcertant à nos concitoyens.

Le sentiment d’abandon gagne du terrain, le lien de confiance entre administrés et administration s’étiole. Il est plus particulièrement éprouvé dans les territoires ruraux qui, rappelons-le, rassemblent encore 88 % de nos communes et plus d’un Français sur trois.

Dans une logique de renforcement de la performance publique de l’État, illustrée en matière financière par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), les services publics ont opéré un vaste mouvement de transformation, parfois au détriment de leur accessibilité au grand public : fermetures de bureaux de poste, de trésoreries, de guichets Pôle emploi ou de la sécurité sociale ; déclassement des petites lignes ferroviaires du réseau d’intérêt local ; fermeture de lits d’hôpitaux… Et quasi systématiquement, la compensation apportée a été insuffisante pour assurer leur bonne performance.

Par ailleurs, la hausse de fréquentation de certains services n’a pas toujours été accompagnée d’une hausse adéquate des moyens. Par exemple, le guichet de paiement des amendes de Seine-Saint-Denis, bien qu’il couvre une population de plus de 1,6 million d’habitants, ne propose que neuf heures d’ouverture hebdomadaires au public. Voilà une belle illustration d’un dysfonctionnement sérieux d’un service public pourtant indispensable à la vie quotidienne de milliers d’individus.

Si elle témoigne d’un investissement déterminant de l’État dans le numérique, la dématérialisation des procédures administratives est, hélas ! intervenue à marche forcée pour nombre de nos concitoyens.

Mme Denise Saint-Pé. C’est vrai !

M. Antoine Lefèvre. Je rappelle que plus de 14 millions de Français éprouvent encore des difficultés à comprendre et utiliser des plateformes digitales des services publics.

Dans mon département de l’Aisne, l’État a mis sur pied en mars 2021 un vaste plan quadriennal de lutte contre l’illettrisme et l’illectronisme, qui se décompose en quatre axes et vingt actions consacrées à l’amélioration de l’offre de formation à destination des personnes en difficulté. De telles démarches doivent être encouragées et approfondies partout dans le pays.

Les zones blanches téléphoniques demeurent une autre préoccupation majeure des territoires concernés, autant que l’absence de très haut débit. Il est indispensable que l’État affermisse son rôle de contrainte auprès des opérateurs.

Parmi les solutions déjà engagées pour résorber le problème, le recrutement de conseillers numériques ou le fléchage de 250 millions d’euros dans le cadre du plan France Relance constituent des éléments encourageants, mais qui demeurent bien insuffisants compte tenu de l’ampleur de la fracture numérique.

Afin d’approfondir ces solutions, une réflexion élargie devra peut-être porter, à terme, sur le rôle des territoires pour notre République et sur le niveau de confiance que le Gouvernement sera disposé à accorder à ceux-ci.

En somme, il semble inacceptable, à long terme, de gérer des services régissant la vie quotidienne de nos concitoyens selon une vision purement comptable et financière. Aussi, le maintien d’un interlocuteur physique en dernier recours est l’une des préconisations mises en valeur par la proposition de résolution. Il doit rester la règle et non l’exception.

De plus, l’accent doit être mis sur l’attractivité des métiers de la fonction publique, en relation avec l’usager. Un tel objectif passera nécessairement par une revalorisation des carrières et des grilles indiciaires.

Dans les territoires, la constitution de pôles centralisés, mutualisés et faciles d’accès doit se poursuivre. Les progrès permis par le déploiement des 2 378 maisons France Services – selon un comptage de janvier 2022 – doivent être salués. Toutefois, l’accessibilité de ces dernières peut être améliorée, moins de 25 % d’entre elles étant, à l’heure actuelle, accessibles en transports en commun.

En outre, les acteurs locaux ont un rôle à jouer, sinon en substitution, du moins en complémentarité avec les administrations publiques. À cet égard, les missions locales ont prouvé leur valeur ajoutée pour renforcer l’action de Pôle emploi dans les politiques d’insertion et d’accompagnement des publics les plus éloignés de l’emploi.

Au bout du compte, le véritable enjeu de l’accès aux services publics est celui de l’accès à la démocratie. Pour fonctionner, la démocratie doit être intelligible pour les citoyens. Les services publics doivent donc agir au service de cette intelligibilité.

Notre groupe salue l’ambition et la portée de la proposition de résolution de nos collègues du groupe RDSE et il la votera. J’en profite pour rappeler avec force la constance du Sénat, qui, depuis une dizaine d’années, rend régulièrement des travaux et ne cesse de tirer la sonnette d’alarme sur la désaffectation des services publics dans les territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE. – Mme Denise Saint-Pé applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Martine Filleul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les services publics jouent le rôle fondamental de servir l’intérêt général, en soustrayant certaines activités à la logique du marché et à la recherche du profit. Il nous appartient de protéger cet héritage, dont le délitement progressif érode la base de notre contrat social.

La dématérialisation de l’administration à 100 % provoque un sentiment d’abandon et cristallise les tensions.

Ces tensions, on les observe tout d’abord chez les Français : 13 millions de personnes sont en situation d’illectronisme, véritable illettrisme du XXIe siècle. Contrairement aux idées reçues, toutes les classes sociales et toutes les générations sont touchées, bien que l’illectronisme soit davantage répandu parmi nos concitoyens les plus précaires, pour lesquels l’accès à l’information et à leurs droits est plus que primordial.

De surcroît, même ceux qui utilisent aisément les outils numériques sont confrontés à la complexité des procédures, au jargon employé, aux erreurs de dossiers, qui sont autant d’obstacles à la jouissance des droits.

Mes chers collègues, souvenez-vous : autrefois, on remplissait comme on pouvait un formulaire Cerfa et, une fois au guichet, on le complétait avec un agent du service public. Dorénavant, ce même formulaire Cerfa a été dématérialisé et il n’est plus possible de s’entretenir avec un agent. Par souci d’économies, l’usager est devenu un agent du service public.

Ces tensions, on les observe ensuite chez les élus locaux : cette dématérialisation à marche forcée des services publics a été encore plus douloureusement vécue dans le monde rural.

Je le constate chaque semaine lorsque je rencontre les maires de mon département, dont les secrétaires de mairie sont sursollicités par les administrés pour les assister dans leurs démarches, à tel point que la collectivité est souvent obligée de soutenir complémentairement des associations. Une nouvelle fois, l’État se décharge sur les communes !

Alors oui, le dispositif des conseillers numériques représente une première étape dans le processus de montée en compétence numérique des citoyens et mérite par conséquent d’être fortement renforcé. Quant à celui des maisons France Services, il offre un service très inégal selon les endroits : si certaines apportent toute satisfaction, d’autres sont de réelles coquilles vides.

Mais, contrairement aux déclarations du Gouvernement, de nombreux Français ne se voient proposer aucune alternative physique ou téléphonique – la Défenseure des droits l’a rappelé très récemment.

Il est urgent et plus que nécessaire de mettre en œuvre une véritable politique publique d’inclusion numérique, qui soit cohérente, complète et digne de ce nom. Celle-ci doit s’attaquer au problème par toutes les cibles et par tous les angles. Pour cela, elle doit être financée à la hauteur de l’enjeu.

Pour traiter ce mal à la source, l’école est le premier des leviers, par un apprentissage plus approfondi des outils numériques. De plus, le développement de l’« aller vers » est incontournable.

Ainsi, la question de l’accès aux services publics est bien celle de l’accès aux droits, qui est rendu plus difficile pour certains, au point de virer, pour les naufragés du numérique, à la détresse humaine et sociale.

Renforcer tous les modes d’accès aux services publics est un impératif auquel nous souscrivons. Le groupe socialiste votera donc cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’y aura pas de République sans services publics sur nos territoires ! Ce slogan pourrait résumer l’ambition des auteurs de cette proposition de résolution, et nous ne pouvons qu’y souscrire.

Il faut immédiatement ajouter que le numérique ne pourra pas totalement se substituer aux services publics traditionnels. C’est une question essentielle, à laquelle les auteurs de cette proposition de résolution ont consacré, à juste titre, l’essentiel de leurs développements.

Les limites du numérique sont connues.

La première de ces limites est la persistance de l’illectronisme, fléau à l’origine de multiples fractures : une fracture générationnelle, puisque les seniors sont souvent moins à l’aise avec l’informatique que les jeunes ; une fracture sociale, car les classes populaires sont plus facilement perdues par le numérique que les classes aisées ; enfin, une fracture territoriale entre urbains et ruraux.

En effet, loin d’aider les territoires ruraux, la dématérialisation des services publics ne fait que les enclaver un peu plus, d’autant qu’ils se heurtent à un problème d’accès matériel au numérique. C’est tout le problème du déploiement de la fibre et de la couverture des zones blanches.

Hélas ! la fibre est trop fréquemment déployée à la hussarde. C’est pour faire cesser ces pratiques que le Sénat a voté la proposition de loi visant à assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, dont nous espérons qu’elle sera féconde. L’examen de cette proposition de résolution est une bonne occasion, monsieur le ministre, de vous interroger de nouveau sur vos intentions vis-à-vis de ce texte.

La seconde grande limite du numérique pour renforcer l’accès de tous aux services publics tient au fait que tous les services publics ne sont pas numérisables.

Il en va ainsi de l’école. Au sein du premier degré de l’enseignement public, les effectifs scolarisés ont certes amorcé une décrue au cours des dernières années, mais cela ne doit pas impliquer de supprimer des postes à due proportion !

En effet, de telles suppressions de postes n’ont pas les mêmes conséquences selon qu’elles interviennent en zone rurale, où les classes restantes seront surchargées, ou en zone urbaine, où la redistribution des effectifs dans des classes ou des établissements de proximité est plus aisée.

C’est pourquoi une véritable approche prospective territoriale doit être adoptée, en évaluant les situations au cas par cas, afin de prendre en compte l’urbanisation à venir des territoires et non les effectifs à l’instant t.

De plus, des effectifs moins élevés dans les classes permettront des enseignements de meilleure qualité. Notre classement Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) devrait s’en trouver amélioré.

Mais l’école est loin d’être le seul service public non numérisable à régresser ; il en va de même pour le service postal. Compte tenu de la récente et très importante réévaluation de la mission d’aménagement du territoire confiée à La Poste – qui a porté son montant net à 325 millions d’euros –, il apparaît paradoxal que des décisions soient prises, dans les départements, de fermer des bureaux ou d’en diminuer les horaires d’ouverture, sans concertation à l’échelle des bassins de vie, alors que cela remet en cause l’aménagement du territoire en zone rurale.

Pour toutes ces raisons, je ne peux que remercier les membres du groupe RDSE d’avoir déposé cette proposition de résolution ; le groupe Union Centriste la votera évidemment. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Martine Berthet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution – tout comme le débat d’hier sur la France rurale face à la disparition des services au public – pointe toute l’importance des services publics dans l’attractivité et le dynamisme de nos territoires, en matière de droits sociaux, d’emploi, de santé, d’éducation, de mobilité, d’économie, d’état civil ou de justice, autant de domaines essentiels à la vie quotidienne de nos concitoyens.

Si des politiques publiques palliatives ont été mises en œuvre au fil du temps, la notion même d’accessibilité aux services publics, qu’elle soit physique – par les transports – ou intellectuelle – face à l’illectronisme –, a été trop souvent oubliée.

Parmi les mesures récentes, le déploiement des 2 600 maisons France Services est notable et apporte un premier niveau de satisfaction. Mais au moment où le Gouvernement entend lancer le nouveau dispositif France Ruralité, beaucoup reste à faire, monsieur le ministre. Si chacun dispose effectivement d’une maison France Services à trente minutes de chez lui, comme nous l’a affirmé hier votre collègue Dominique Faure, cela reste loin : cela coûte du carburant, qui est cher, à ceux qui ont une voiture ; quant aux autres, comment peuvent-ils s’y rendre ?

L’engagement de l’État vis-à-vis des collectivités territoriales est indispensable pour apporter de la visibilité à ces dernières et pérenniser le dispositif. Sa participation au coût de fonctionnement des maisons France Service, pour être à la hauteur des besoins, doit être portée à 50 000 euros.

Par ailleurs, il est nécessaire que les opérateurs jouent pleinement leur rôle du second niveau en étant réactifs aux questions des agents d’accueil des espaces France Services. On observe trop souvent des inégalités de réponse des opérateurs selon les départements et d’un opérateur à un autre. Ils doivent respecter les critères : les maisons France Services ont été auditées pour être labellisées, contrairement aux opérateurs. Ils se doivent aussi d’assurer la formation continue des agents France Service, de façon régulière et pertinente.

Je remarque que, malgré les engagements pris par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), les fiches de poste de ces agents n’ont toujours pas été réalisées.

Pour terminer sur les maisons France Services, leur déploiement doit s’adapter aux contextes locaux. Je pense aux territoires de montagne et touristiques, qui sont pénalisés par une lecture stricte des critères concernant l’ouverture et le nombre de personnels d’accueil en période creuse. Ainsi, les espaces saisonniers de mon département de la Savoie n’ont pas tous pu être labellisés.

Le maillage de ces espaces doit aussi s’effectuer en milieu urbain, car ce sont à présent les villes qui souffrent de la fermeture des accueils des opérateurs.

Il est nécessaire d’articuler les acteurs et les démarches selon les différentes échelles territoriales : le lien avec les communes doit être assuré pour une bonne information et une bonne orientation des administrés et des schémas de service au niveau territorial, comme les schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public (SDAASP), ont montré toute leur utilité pour le dialogue entre les collectivités, les opérateurs, France Services, l’État et le département. L’animation départementale des maisons France Services est importante, car les conditions de fonctionnement, d’encadrement et d’implication sont très différentes des unes aux autres.

Le 4 mai dernier, en réponse à ma question écrite du 29 septembre 2022 concernant la prolongation des SDAASP, vous m’avez indiqué, monsieur le ministre, qu’une mission relative aux modalités d’accès aux services publics était en cours. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Je ne peux achever mon intervention sans aborder la question du numérique.

Tout d’abord, une simplification des portails des opérateurs nationaux, des formulaires et du vocabulaire est plus que souhaitée, comme l’ont notamment appelé de leurs vœux le Défenseur des droits et la Cour des comptes.

De plus, les politiques d’inclusion numérique à destination des différents publics doivent être amplifiées et un chef de file de l’inclusion numérique doit être désigné afin de garantir la coordination et l’égalité territoriales.

Enfin, le déploiement du très haut débit, qui paraît être, en 2023, indispensable à la vie dans nos territoires, ne va pas assez vite. Il s’agit pourtant d’une condition sine qua non pour accéder à l’ensemble des services dématérialisés, y compris la télémédecine et le télétravail.

Pour conclure, le déploiement du numérique pour un meilleur accès aux services publics ne doit pas occulter l’intérêt des locaux physiques de proximité. Les réseaux thématiques de proximité, dont l’accueil social de proximité, doivent être conservés, de même que l’accès aux opérateurs, car il est nécessaire que l’ensemble de nos concitoyens disposent d’un interlocuteur identifié et opérationnel. C’est tout l’objet de cette proposition de résolution.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de résolution incitant le Gouvernement à renforcer l’accès aux services publics, notamment l’accès à la santé, si préoccupant dans nos territoires ruraux.

Ce texte insiste sur la nécessité de renforcer tous les modes d’accès aux services publics et de prévoir, dans le même temps, un partenariat plus équitable entre l’État et les collectivités locales. Il fait état du besoin de proximité que nos concitoyens vivant dans des territoires ruraux expriment très largement en matière d’accès aux services publics.

En effet, ces dernières années, les communes rurales ont été particulièrement affectées par le regroupement et la disparition des services publics, qui se sont accompagnés d’une dématérialisation croissante des démarches administratives. Or ce phénomène pose, en creux, la question de l’égalité d’accès des citoyens à leurs droits.

À l’heure actuelle, 13 millions de Français sont touchés par l’illectronisme. La population concernée étant souvent âgée et précaire, la numérisation croissante des services publics peut avoir pour elle des effets délétères, et lui faire ressentir, au bout du compte, une forme d’abandon de la part de l’État. Si plusieurs dispositifs ont été déployés pour y remédier, des angles morts non négligeables demeurent.

Dans ce contexte, nous pouvons définir trois axes d’action pour améliorer l’accès aux services publics dans nos territoires, en prenant en considération le paramètre numérique.

Tout d’abord, pour rendre accessibles les services publics dématérialisés, notre infrastructure technique doit être renforcée partout sur le territoire. Or des différences substantielles de débit des connexions internet subsistent entre les zones urbaines et les zones rurales.

Faute d’un déploiement complet de la fibre, la connexion internet de certains territoires repose toujours largement sur le réseau en cuivre, qui est voué à disparaître en 2030. La diminution des budgets d’entretien, la sensibilité du réseau et sa vulnérabilité en cas de coupure d’électricité suscitent de nombreuses inquiétudes, notamment sur les capacités de communication avec les services publics de secours. Des réponses adaptées doivent être apportées.

Ensuite, si nous voulons garantir l’accès de tous aux services publics, il faut renforcer les dispositifs d’assistance et d’accompagnement numérique des populations en situation d’illectronisme. En effet, alors que les démarches administratives numériques ne nécessitent plus – ou de moins en moins – l’intermédiaire d’un agent expérimenté, certains usagers se retrouvent livrés à eux-mêmes et finissent par renoncer à leurs droits.

Des conseillers numériques ont été déployés, mais leurs contrats sont temporaires, avec une part dégressive de financement par l’État. Malgré l’annonce de mesures de pérennisation, les modalités de financement et de professionnalisation de ces emplois restent floues.

Les personnes concernées par l’illectronisme sont très souvent isolées, précaires ou âgées. Elles n’ont pas toujours les moyens de s’équiper en matériel informatique ou la capacité de se déplacer pour suivre des ateliers de formation. Ces populations se concentrent très souvent dans les zones de revitalisation rurale.

Il convient donc de cibler ces publics plus vulnérables et de mieux former les acteurs des services publics qui peuvent les accompagner dans leurs démarches. Il est également essentiel de garantir d’autres moyens d’accès aux services publics. Un accès par voie exclusivement numérique est inenvisageable à l’heure actuelle. Monsieur le ministre, nos concitoyens demandent des relations humaines ; cela me semble justifié.

Enfin, je rappelais au début de cette intervention que l’État a fourni quelques efforts pour accompagner la numérisation des services publics, notamment la création des structures labellisées France Services et des schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public. Toutefois, ces dispositifs manquent de lisibilité et de clarté : ils se superposent à l’action des maires, de l’Agence nationale de la cohésion des territoires ou des préfets.

Il nous faut donc gagner en cohérence, en structurant les différentes échelles d’action. Des collectivités concourent à la réalisation de services publics qui ne dépendent pas toujours d’elles, mais qui mobilisent pourtant leurs moyens propres. Le financement actuel de ces coûts par l’État laisse des restes à charge importants. Si le Gouvernement a annoncé le déblocage de fonds supplémentaires, il serait souhaitable de mettre en place un système de financement pérenne et équitable.

De plus, le maillage territorial des maisons France Services gagnerait à être affiné et complété, par exemple par des services itinérants, afin de rendre plus facile l’accès au dernier kilomètre pour les personnes qui ne se déplacent que difficilement. Monsieur le ministre, la question de la mobilité demeure un enjeu majeur, notamment dans nos territoires ruraux.

Ainsi, cette proposition de résolution pourra servir de base à une réflexion autour d’une stratégie claire et de long terme afin de rétablir la proximité et l’accessibilité des services publics partout et pour tous, en lien avec nos communes et nos élus.

C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains votera pour son adoption. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE. – M. Daniel Chasseing et Mme Denise Saint-Pé applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, oui, le principe d’égalité des droits est au cœur du pacte républicain ; oui, l’accès aux services publics, partout et pour tous, est le fondement de notre cohésion sociale.

La dématérialisation des démarches administratives est souvent utile, mais elle doit, c’est vrai, s’appuyer sur une couverture numérique de qualité dans tous nos territoires et sur un accompagnement de ceux qui en sont le plus éloignés. C’est pourquoi nous agissons de manière résolue afin que la numérisation de nos usages ne rime jamais avec une déshumanisation de nos services publics : comme vous l’avez dit, nous avons déployé en moins de trois ans, 2 600 espaces France Services et des milliers de conseillers numériques.

Comme vous le voyez, monsieur le président Requier, le Gouvernement partage le constat que vous dressez. C’est tout l’objet de nos actions pour renforcer l’accès à nos services publics et la qualité de ces derniers. C’est précisément pour cela que la Première ministre a réuni l’ensemble du Gouvernement le 9 mai 2023 à l’occasion du septième comité interministériel de la transformation publique pour mobiliser l’ensemble de l’action gouvernementale.

À l’occasion de l’examen de cette proposition de résolution, dont je vous remercie, je voudrais revenir sur trois de mes priorités pour rendre nos services publics plus accessibles, plus attractifs et plus qualitatifs : assurer les fondamentaux de nos services publics ; mettre en place un accompagnement privilégié pour ceux de nos concitoyens qui en ont le plus besoin ; prendre soin de nos agents publics et leur porter une attention particulière.

La première priorité, c’est d’assurer les fondamentaux de nos services publics. Les Français ont des attentes simples vis-à-vis de nos services publics – qui ont été très bien décrites par les orateurs précédents. J’en dénombre trois.

La première attente concerne les délais : il s’agit du principal sujet sur lequel nous sommes quotidiennement sollicités.

La deuxième attente, c’est tout simplement de pouvoir parler à quelqu’un lorsque l’on est éloigné du numérique ou qu’une démarche administrative nous résiste – soit parce que l’on n’y arrive pas, soit parce que cela ne fonctionne pas en ligne, soit parce que l’on ne parvient pas à joindre quelqu’un au téléphone.

La troisième attente, tout aussi légitime, c’est de ne pas être renvoyé d’une administration à une autre. Une information que l’on a donnée une fois doit être réputée avoir été donnée définitivement à l’ensemble des administrations auxquelles on a affaire.

Pour répondre à ces attentes, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai deux convictions de méthode.

D’une part, il ne faut jamais opposer numérique et physique. Il faut porter notre attention sur tous les canaux d’accès à nos services publics. J’y reviendrai.

D’autre part, il s’agit non pas de simplifier pour simplifier, mais de simplifier en partant de la vie de nos concitoyens, c’est-à-dire en privilégiant les moments de vie où ceux-ci ont besoin d’avoir accès à nos services publics. Je crois profondément à cette méthode.

C’est fort de ces convictions que le comité interministériel de la transformation publique a pris des décisions importantes.

Ainsi, nous devons améliorer tous les canaux d’accès à nos services publics, à commencer par le téléphone. Vous avez tous souligné à quel point il était insupportable de devoir attendre, de n’avoir personne en ligne, d’avoir à taper sur des touches – « tapez 1 », « tapez 2 »… – pour contacter tel ou tel service. Nous l’avons tous vécu. Sur la qualité de l’accueil téléphonique, il nous faut donc une mobilisation accrue.

C’est pourquoi nous avons déployé un nouveau plan visant à renforcer la qualité de l’accueil téléphonique, avec des objectifs très clairs. Nous devons atteindre un taux de décroché supérieur à neuf fois sur dix dans l’année à venir. Nous allons établir un outil de mesure de la satisfaction des usagers qui ont contacté une administration par téléphone ou qui ont essayé de faire. Nous allons également développer la possibilité de prendre rendez-vous ou d’être rappelé par une administration quand on en formule la demande. Tout cela est très concret.

Nous sommes également mobilisés pour renforcer la qualité du numérique que nous devons apporter. Je ne verserai pas dans la facilité, en ne parlant du numérique que de façon négative. Au contraire, il faut faire du bon numérique. Un certain nombre de démarches doivent être numérisées, ce qui correspond aux attentes de nos concitoyens, puisque, aujourd’hui déjà, plus de neuf fois sur dix, les interactions de nos concitoyens se font via le numérique.

Faire du bon numérique, c’est d’abord faire du numérique accessible à tous. Vous l’avez rappelé, pour les 250 démarches essentielles qui sont utilisées par plus de 200 000 Français chaque année, le taux de numérisation est désormais acceptable – plus de 94 %. Pour autant, en matière d’accès au numérique des personnes en situation de handicap, pour ne prendre que cet exemple très concret, nous sommes en retard. Un bon numérique doit être accessible à ces publics. Dès lors, nous renforcerons le premier niveau d’accessibilité.

Faire du numérique, c’est aussi tenir la promesse du « dites-le nous une fois », par le partage des informations entre les administrations.

Par ailleurs, comme je l’ai annoncé, nous devons simplifier le quotidien des Français dans les principales étapes de leur vie. Nous avons à cette fin choisi de travailler par « moments de vie » en nous fixant des objectifs cruciaux : résoudre ce qui dysfonctionne dans ces moments particuliers, appliquer le droit à l’erreur tout comme le « dites-le nous une fois ». En d’autres termes, il s’agit d’améliorer l’ensemble du parcours des usagers.

Nous avons défini cinq moments de vie prioritaires.

Premièrement, le fait de devenir étudiant, car il s’agit d’un moment particulier et souvent complexe, notamment en matière d’accès au logement.

Deuxièmement, le renouvellement des titres d’identité. Je n’ai pas le temps d’aborder ici ce sujet en détail, mais les objectifs sont très clairs : il s’agit de diviser par deux les délais. Cette problématique a d’ailleurs été évoquée cet après-midi même, et à très juste titre, lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement.

Troisièmement, le fait de partir à l’étranger. Il s’agira d’expérimenter la dématérialisation du renouvellement des titres d’identité pour les Français établis hors de France, mesure qu’ils appellent de leurs vœux.

Quatrièmement, la rénovation de son logement. On connaît la complexité de l’accès aux aides pour cette politique publique. Il conviendra notamment de mobiliser le réseau France Services sur cette procédure particulière.

Cinquièmement, le fait de perdre un proche. Il s’agit d’un moment d’une grande brutalité vécu par 8 % à 10 % de nos concitoyens chaque année. Il nous faut donc être plus proactifs, notamment dans le versement de la pension de réversion ou dans l’accompagnement volontaire des veuves et des veufs dans leurs démarches.

Voilà pour ces moments fondamentaux, qui concernent l’ensemble de nos concitoyens.

La deuxième priorité, c’est d’accorder une attention accrue à ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire à ceux qui sont soit intrinsèquement éloignés du numérique – par exemple, les personnes âgées ou les jeunes qui, paradoxalement, sont très à l’aise sur leur téléphone portable, mais le sont beaucoup moins quand il s’agit d’effectuer une démarche en ligne –, soit frappés d’illectronisme, afin de réduire cette fracture que vous avez à juste titre rappelée, mesdames, messieurs les sénateurs.

Dans ce but, nous devons avoir un service public accessible de façon physique. Il faut des voix et des visages. Notre investissement dans le réseau France Services est l’un des volets de la réponse que nous devons apporter.

Aujourd’hui, le réseau France Services fonctionne : il représente 2 600 espaces situés à moins de trente minutes pour 98 % de nos concitoyens, voire à moins de vingt minutes pour 92 % d’entre eux. Il fonctionne aussi grâce à la qualité du service qui y est rendu. Je rappelle souvent que, huit fois sur dix, nos concitoyens voient leurs démarches administratives traitées. Sur ce point, les retours sont bons.

Faut-il pour autant s’arrêter là ? Absolument pas ! Au contraire, il nous faut poursuivre l’investissement dans le réseau France Services et partir pour cela des territoires.

Comme je l’ai annoncé, nous finançons l’ouverture de 150 espaces France Services supplémentaires dès l’année 2023 et nous avons sanctuarisé ce budget. Nous allons renforcer le financement apporté à chacun des espaces France Services dans un esprit et une démarche de partenariat avec les collectivités territoriales. Je rappelle que celles-ci prennent une part très importante dans le financement des espaces France Services. Grâce à un amendement du sénateur Bernard Delcros, pour chaque espace France Services, le ticket de financement a été porté de 30 000 à 35 000 euros, ce qui représente 12,5 millions d’euros supplémentaires. Nous allons poursuivre sur cette trajectoire en mobilisant les opérateurs.

Nous devons aussi renforcer la formation. J’ai ainsi annoncé le doublement du temps de formation des agents du réseau France Services, là encore en mobilisant les opérateurs.

Nous devons enfin élargir le bouquet de services apportés à nos concitoyens. Je pense aux expérimentations menées avec les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), avec la Banque de France, avec MaPrimeRénov’ pour intégrer cette politique publique essentielle dans le réseau France Services et monter en puissance.

Enfin, la troisième priorité, qui a été moins évoquée, concerne l’attention que nous devons porter aux agents des services publics. Pour que cet objectif soit atteint, il nous faut relever le défi de l’attractivité de la fonction publique, dont il est souvent question dans nos échanges.

Je rends hommage à celles et à ceux qui rendent le service public et j’ai une pensée particulière pour les quatre agents publics qui, ces derniers jours encore, ont donné leur vie en faisant leur métier, à savoir rendre le service au public. Nous leur devons beaucoup. Nous devons mieux les protéger, leur permettre d’avoir des parcours de carrière plus diversifiés et des rémunérations plus attractives. C’est tout l’objet du dialogue social intense qui est actuellement mené.

Nous devons également améliorer leurs conditions de travail. Le premier employeur du pays doit penser les questions de transformations du rapport au travail et s’engager sur des promesses portant sur l’amélioration de l’organisation des services, le temps de travail, la transformation des espaces de travail, la santé au travail ou encore l’égalité entre les femmes et les hommes, thématiques qui nous ont rassemblés voilà quelques jours, ici même.

Si nos services publics fonctionnent et si le défi de l’amélioration de nos services publics peut être relevé, c’est grâce aux hommes et aux femmes qui rendent le service au quotidien. C’est avec eux que nous réussirons.

Monsieur le président Requier, je vous remercie d’avoir présenté avec l’ensemble des membres de votre groupe cette proposition de résolution, à laquelle je suis favorable et dont je partage l’ambition. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur ma détermination pour agir à vos côtés afin de renforcer l’accès à nos services publics. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et Les Républicains.)

M. le président. Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution proposant au gouvernement de renforcer l’accès aux services publics

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu la communication de la Commission européenne du 26 janvier 2022 établissant une déclaration européenne sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique,

Vu le rapport sur l’hyper-ruralité remis au Gouvernement en juillet 2014 par M. Alain Bertrand, sénateur,

Vu le rapport du Sénat n° 711 (2019-2020) du 17 septembre 2020 de M. Raymond Vall, fait au nom de la mission d’information sur la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique,

Vu le rapport du Sénat n° 778 (2021-2022) du 13 juillet 2022 de M. Bernard Delcros, fait au nom de la commission des finances, sur le financement des maisons « Frances services »,

Vu le rapport du Conseil économique, social et environnemental du 29 janvier 2020 intitulé : « L’accès aux services publics dans les Outre-mer »,

Vu le rapport du Défenseur des droits publié en 2019 intitulé : « Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics »,

Vu le rapport de la Cour des comptes sur « L’accès aux services publics dans les territoires ruraux », publié le 19 mars 2019,

Vu le rapport de la mission « Agenda rural » intitulé : « Ruralités : une ambition à partager » du 26 juillet 2019,

Considérant que le principe d’égalité des droits est au cœur du pacte républicain ;

Considérant que l’égal accès aux services publics est un enjeu fondamental de la cohésion sociale ;

Considérant que les services publics demeurent une composante essentielle de l’aménagement et de l’attractivité des territoires ;

Considérant que les maisons « France services » ont vocation à compléter et non à remplacer l’offre existante de services publics ;

Considérant que l’usager doit être au cœur des politiques des services publics avant l’internaute ;

Considérant que près de quatorze millions de nos concitoyens ne maîtrisent pas le monde du numérique et peuvent se trouver ainsi privés de leurs droits sociaux ;

Considérant que les plateformes téléphoniques ne suffisent pas à répondre aux attentes des usagers dans des délais raisonnables ;

Considérant que la dématérialisation des services publics peut être une réponse aux problématiques d’enclavement, sous réserve d’une couverture numérique de qualité dans tous les espaces en particulier ruraux ;

Estime que l’accès aux services publics doit être garanti par l’État et ses administrations pour tous les citoyens, quels que soient leur lieu de résidence et leur niveau de compétence informatique ;

Appelle à ce que les contraintes sur les opérateurs soient renforcées pour qu’ils remplissent leurs obligations de déploiement des infrastructures numériques de très haut débit pour tous ;

Estime nécessaire d’encadrer le développement des procédures dématérialisées en imposant le maintien d’une méthode alternative et la possibilité de disposer d’un interlocuteur physique ;

Souhaite que les usagers bénéficient d’un accès téléphonique effectif aux services publics dans les meilleurs délais ;

Appelle au développement d’une stratégie numérique inclusive tout au long du parcours scolaire ;

Souhaite la clarification des compétences et du pilotage des politiques d’accessibilité au niveau local, en particulier la rationalisation des schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public (SDAASP) ;

Appelle à un partage plus équitable du coût financier des maisons « France services » afin de ne pas faire peser sur les collectivités territoriales l’essentiel de l’effort budgétaire pour leur implantation et leur fonctionnement.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, proposant au Gouvernement de renforcer l'accès aux services publics
Explications de vote sur l'ensemble (suite)

Vote sur l’ensemble

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, proposant au Gouvernement de renforcer l'accès aux services publics
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

(La proposition de résolution est adoptée.) – (M. André Guiol applaudit.)

Explications de vote sur l'ensemble (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, proposant au Gouvernement de renforcer l'accès aux services publics
 

8

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 1er juin 2023 :

À dix heures trente :

Examen d’une proposition de création d’une commission spéciale en vue de l’examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (texte n° 593, 2022-2023) ;

Sous réserve de la décision de sa création, désignation des trente-sept membres de la commission spéciale sur le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (texte n° 593, 2022-2023) ;

Vingt-cinq questions orales.

À quatorze heures trente :

Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux (texte de la commission n° 644 rectifié, 2022-2023) ;

Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, visant à interdire l’importation de produits issus du travail forcé de la population ouïghoure en République populaire de Chine présentée, par Mme Mélanie Vogel, M. Guillaume Gontard et plusieurs de leurs collègues (texte n° 242, 2022-2023).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures trente-cinq.)

nomination de membres dune commission mixte paritaire

La liste des candidats désignés par la commission des affaires économiques pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à favoriser laccompagnement des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse a été publiée conformément à larticle 8 quater du règlement.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :

Titulaires : Mmes Chantal Deseyne, Annie Delmont-Koropoulis, Annick Petrus, Jocelyne Guidez, Michelle Meunier, Annie Le Houerou et M. Martin Lévrier ;

Suppléants : Mmes Pascale Gruny, Corinne Imbert, MM. Alain Milon, Alain Duffourg, Mmes Émilienne Poumirol, Véronique Guillotin et Laurence Cohen.

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER