M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, plusieurs amendements portant sur le rapport annexé à l’article 1er recueillent l’accord de la commission des lois. Pour autant, ma collègue Agnès Canayer et moi-même avons souhaité émettre des avis défavorables, et ce pour plusieurs raisons.

Ces avis ne signifient pas nécessairement que nous soyons en désaccord sur le fond. Je pense en particulier aux amendements de Mélanie Vogel ou de Laurence Rossignol ayant trait aux violences intrafamiliales, sujet qui, comme vous le savez, mes chers collègues, me tient à cœur. D’ailleurs, certains de leurs amendements visent à insérer dans le rapport annexé des recommandations qu’Émilie Chandler et moi-même avons formulées dans notre rapport.

Reste que ce rapport annexé n’a aucune valeur normative. Par conséquent, y insérer un catalogue de mesures de faible portée ou sans lien manifeste avec le texte ne ferait que rendre plus confus un document qui, je vous demande pardon, monsieur le garde des sceaux, ne brille déjà pas par sa clarté.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ah ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Qui plus est, intégrer des recommandations issues de ce rapport parlementaire dans le rapport annexé n’a pas beaucoup de sens.

J’espère surtout que le travail que ma collègue députée et moi avons fourni sera suivi d’effets – aujourd’hui, nous en avons, semble-t-il, quelques manifestations et des décrets sont en cours de rédaction. En effet, nombre de mesures relèvent volontairement, non de la loi, mais du domaine réglementaire, afin qu’elles puissent être mises en place plus rapidement – les femmes le méritent.

En conséquence, la commission n’a déposé aucun amendement lors de ses travaux préalables. De la même façon, elle n’a émis aucun avis favorable, sauf sur un amendement du Gouvernement qui lui semblait formuler un engagement qu’il lui appartiendra de suivre, et n’a déposé qu’un seul amendement lors de l’examen de ce texte en séance publique, amendement tendant à préciser la méthode de simplification de la procédure pénale. Une telle disposition est bien liée au texte, en ce qu’elle vise à préciser une orientation majeure de la politique du Gouvernement dans les cinq prochaines années.

C’est pourquoi la commission des lois émettra des avis défavorables sur la plupart des amendements portant sur le rapport annexé, y compris lorsqu’ils recueillaient notre accord sur le fond. En effet, certains des sujets abordés dans ces amendements doivent faire l’objet d’une réelle discussion dans le cadre de l’examen d’un véhicule dédié, ayant une portée normative : ils méritent mieux que des déclarations d’intention.

M. le président. L’amendement n° 206, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 61

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

En ce qui concerne les avocats, la limitation à trois tentatives pour les candidats à l’examen du centre régional de formation professionnelle des avocats ne sera plus effective, afin de rendre l’accès à l’avocature autant accessible que celle à la magistrature.

La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Je commencerai par un point de méthode. Il me semble assez rare de connaître l’avis de la commission sur des amendements avant même que ceux-ci n’aient été présentés.

Qui plus est, dans la mesure où nous savons que cet avis est défavorable, en les défendant, leurs auteurs ne feront qu’alimenter inutilement les discussions. Or nombre des sujets abordés auraient mérité d’être débattus.

J’espère en tout cas que la commission ne se contentera pas d’un laconique « Défavorable ! », quand bien même le sort de ces amendements est déjà scellé. (Sourires au banc des commissions.)

L’amendement n° 206 vise à mettre fin à la limitation à trois essais pour l’accès à la profession d’avocat. En effet, nous considérons que cette restriction n’est pas cohérente avec d’autres concours d’accès à des professions juridiques, notamment l’École nationale de la magistrature (ENM), qui, elle, ne fixe pas de limites quant au nombre de tentatives autorisées.

Nous soutenons donc qu’il est essentiel de garantir l’égalité des chances et l’accessibilité à la profession d’avocat. Par ailleurs, les candidats doivent pouvoir passer l’examen du centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) autant de fois qu’ils le souhaitent, sans que soit imposée de limitation.

Il s’agit de favoriser une approche plus équitable, ouverte à tous, et de donner aux candidats la possibilité de s’améliorer, de se former et de persévérer dans leur parcours professionnel.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement peut difficilement être adopté sans qu’ait été consultée la profession ni que soient connus les enjeux et l’impact véritable de ces dispositions.

Par ailleurs, ma chère collègue, vous comparez deux modalités très différentes : si l’accès à la profession d’avocat se fait par voie d’examen, l’accès à celle de magistrat se fait par concours.

Enfin, trois tentatives, ce n’est déjà pas si mal…

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je fais miennes les explications de Mme la rapporteure.

Premièrement, l’accès à l’ENM se fait par concours, contrairement au CRFPA.

Deuxièmement, le Barreau a son mot à dire : il y va de la qualité du recrutement, c’est-à-dire de la qualité des futurs avocats.

Troisièmement, une telle limitation à trois tentatives ne relève pas d’une disposition législative. Elle est prévue par un décret du 27 novembre 1991, qui dispose que « nul ne peut se présenter plus de trois fois à cet examen ».

Par conséquent, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 206.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 161, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 176

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

La mise en place d’un guichet en présentiel dans des proportions et répartitions géographiques adéquates, ainsi que d’un numéro de téléphone dirigeant la communication vers un agent devra aussi être mis à disposition des justiciables.

La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Madame la rapporteure, j’entends bien ce que vous avez dit à propos du rapport annexé. Il n’en reste pas moins que de tels documents font désormais partie de l’arsenal – il n’est qu’à citer la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, dite Lopmi. Par conséquent, le droit d’amendement s’applique.

À partir du moment où l’on peut déposer des amendements sur les rapports annexés, bien plus, à partir du moment où certains d’entre eux peuvent être considérés comme acceptables, je ne comprends pas pourquoi on devrait les refuser a priori. Ce raisonnement m’échappe. Si le rapport annexé fait partie du projet de loi, on doit pouvoir l’amender et examiner les amendements déposés à cette fin, et non considérer d’emblée que ce document n’a pas de valeur.

Ainsi, un certain nombre d’amendements visent à apporter des améliorations au rapport annexé. De quoi s’agit-il, d’ailleurs ? Un rapport annexé est destiné à traduire une vision politique, laquelle donne une cohérence aux mesures législatives ou réglementaires qui sont prises. Par conséquent, en modifiant le rapport annexé, on peut changer la façon dont seront prises un certain nombre de mesures, y compris d’ordre réglementaire. En tout cas, c’est à cela que cela devrait servir, puisque des rapports annexés figurent dans les textes – sauf à discuter de leur existence.

L’amendement n° 161 a trait à la numérisation. Bien entendu, et c’est une certitude absolue, les retours de terrain le montrent – j’étais à Grasse la semaine dernière –, l’outil numérique a des avantages dans la chaîne pénale. En revanche, la vision selon laquelle une solution numérique globale serait un outil magique permettant de résoudre les difficultés des citoyens se heurte à une réalité très concrète : en France, un certain nombre de citoyens sont victimes d’illectronisme. Ils ne peuvent utiliser facilement l’outil qui est mis à leur disposition et sont incapables d’accéder à cette technologie.

Comme le lien humain doit rester au cœur du service public, nous demandons, pour resserrer les liens de confiance et les échanges avec les citoyens, que soit bien indiqué qu’il doit demeurer possible, en parallèle du déploiement de l’application, de nouer contact avec l’administration par un simple appel téléphonique…

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Guy Benarroche. … ou en accédant à un guichet unique physique. Le rapport annexé doit justement servir à cela.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Le rapport annexé est en quelque sorte la feuille de route du Gouvernement, comme l’a dit ma collègue. Il servira de fondement à notre contrôle, qui sera vigilant. Il convient donc qu’y figurent des actions sur lesquelles le Gouvernement s’est engagé. C’est la raison pour laquelle nous ne sommes favorables qu’aux amendements sur lesquels nous avons un engagement du Gouvernement.

L’illectronisme est une réalité qui touche de nombreuses populations, dans des secteurs très divers.

S’il est important qu’il y ait une transition numérique au sein du ministère de la justice, encore faut-il qu’elle soit efficace et qu’elle s’apparente à une véritable révolution. À mon sens, il ne faut pas multiplier les objectifs. Qui plus est, les justiciables pourront s’appuyer sur les « points justice », qui sont en train d’être développés,…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Oui !

Mme Agnès Canayer, rapporteur. … comme sur les maisons de la justice et du droit, dans les maisons France Services, où des agents sont physiquement présents pour les accompagner dans leurs démarches.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Absolument !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, je sais que cette question vous tient à cœur. Nous avons déjà eu l’occasion d’en discuter longuement.

Il va de soi que le numérique est absolument indispensable pour faire entrer la justice dans l’ère moderne, pour la simplifier et la rendre plus rapide. En même temps, on ne peut pas oublier tous ceux qui n’ont pas accès au numérique. On dit souvent que tout le monde a un portable, un ordinateur, or ce n’est pas vrai. Certains de nos compatriotes n’ont pas accès au numérique.

Il existe 2 080 points justice – la mise en place de ces structures est l’une de mes fiertés. J’ai d’ailleurs demandé aux futurs magistrats, auditeurs de l’ENM, de se rendre dans ces lieux, afin d’y rencontrer les plus défavorisés de nos compatriotes. On compte en outre 148 maisons de la justice et du droit, ainsi que 264 services d’accueil unique du justiciable en juridiction. On parle bien là de présentiel.

J’ajoute que 96,9 % de nos compatriotes se trouvent à moins de trente minutes d’un point justice. En outre, et cela vous donnera un ordre d’idée, 900 000 à 990 000 personnes ont été reçues au sein du réseau de l’accès au droit : en d’autres termes, près d’un million de consultations en présentiel ont été assurées dans les différents lieux d’accueil offerts à nos concitoyens les plus démunis.

Enfin, il existe un numéro d’accès au droit, le 3039, qui reçoit environ 500 appels par jour.

Par conséquent, cet amendement est déjà satisfait. C’est pourquoi le Gouvernement en demande le retrait ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il s’agit tout autant d’une explication de vote que d’une demande de clarification concernant nos travaux.

Mme la rapporteure a indiqué que le rapport annexé est la « feuille de route du Gouvernement », en tout cas du garde des sceaux – c’est dire sa valeur ! C’est une absolue réalité.

Cette feuille de route doit recevoir l’approbation du Parlement. Est-ce à dire que les amendements que nous allons examiner ne pourront être adoptés que si le Gouvernement y est favorable, puisqu’il s’agit de sa feuille de route ? Vous-même, en tant que rapporteure, vous avez souhaité insérer un amendement.

À quoi sert donc tout ce que nous sommes en train de faire ?

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 161.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 144, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéas 199 et 200

Rédiger ainsi ces alinéas :

S’agissant du patrimoine pénitentiaire, il s’agira de construire un projet de rénovation et d’entretien du parc existant en tenant compte des exigences d’amélioration des conditions de vie des personnes détenues, tout en engageant la rénovation énergétique.

Une réflexion sur l’architecture du parc carcéral sera menée, en faveur d’un développement des prisons ouvertes, tournée vers la prévention de la récidive par le biais de l’insertion.

La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. L’extension du parc carcéral et la sécurité des établissements de surveillance figurent toujours au premier rang des priorités budgétaires – je vous fais grâce des chiffres – ; or l’on sait que le coût de la prison est astronomique : construction, entretien, coût journalier des cellules et des détenus. Pour la seule année 2022, près d’un milliard d’euros d’investissements immobiliers sont prévus, somme qui vient s’ajouter à la dette immobilière qui, échelonnée sur près de trente ans, s’élève à ce jour à près de 5 milliards d’euros.

Ce budget colossal n’a pourtant pas pour effet l’amélioration ou la rénovation des établissements insalubres et vétustes : les dépenses d’entretien du parc, pourtant limitées et insuffisantes, sont énormes. La vétusté des locaux carcéraux a valu à la France de multiples condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Je rappelle par exemple que, pour le seul établissement pénitentiaire de Nouméa, le coût des travaux de rénovation est estimé à 7 millions d’euros.

Cette politique de construction de prisons, menée et amplifiée depuis plusieurs dizaines d’années, n’a pas d’effet sur le taux de surpopulation carcérale. Ces nouvelles constructions en auront-elles d’ailleurs un ? On peut admettre qu’elles amélioreront au moins les conditions de détention, ce qui est déjà une bonne chose. Pour autant, feront-elles baisser considérablement le nombre de personnes détenues ? Ce n’est pas certain, puisque ces constructions s’accompagnent à la fois d’une répression accrue, c’est-à-dire de peines dont la durée augmente, et d’une inflation pénale – il n’y a qu’à voir ce qui a été mis en place ces dernières années par le biais de projets ou de propositions de loi.

La prison étant l’école de la délinquance, nous le savons, une réponse politique guidée par le tout carcéral ne permettra pas d’apporter des réponses justes et efficaces aux défis de notre société.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

D’une part, la construction de places de prison, qui est un enjeu fort, se heurte à un nombre important d’obstacles – vous en avez cité certains, mon cher collègue –, lesquels sont accentués par certaines difficultés conjoncturelles. Certaines réformes, comme l’objectif « zéro artificialisation nette », que défend avec force notre assemblée, contraindront également le développement des prisons. Enfin, la rénovation énergétique des prisons, qui est d’ores et déjà prévue, est un autre enjeu.

D’autre part, la prévention de la récidive est déjà engagée, notamment par le biais des structures d’accompagnement vers la sortie (SAS), lesquelles autorisent un régime de semi-liberté. Le modèle de prisons ouvertes nous semble au contraire excessif.

Enfin, l’adoption de cet amendement reviendrait à supprimer du rapport annexé le programme de construction de 15 000 places de prison, auquel nous sommes très attachés.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, je connais votre engagement sur ces questions, au sujet desquelles nous nous sommes déjà souvent entretenus.

Je partage l’analyse de Mme la rapporteure. Nous mettons en place de nombreuses SAS. À ce propos, je trouve que jamais un acronyme n’a été mieux choisi, les SAS – les structures d’accompagnement vers la sortie – étant des établissements pénitentiaires hybrides : ce sont des prisons, mais aussi des endroits tournés vers l’extérieur. L’intitulé même de ce dispositif en dit long !

Ces établissements sont souvent situés au cœur des villes afin de permettre aux détenus de se réinsérer et d’avoir par exemple accès à un futur employeur. C’est pour moi très important. D’ailleurs, vous savez que j’ai développé le contrat d’emploi pénitentiaire.

Pour le reste, nous tenons bien sûr à l’objectif de création de 15 000 places de prison. Sans être le seul, c’est l’un des leviers permettant, d’une part, de mettre un terme aux conditions indignes de détention, d’autre part, d’assurer de bien meilleures conditions de travail au personnel pénitentiaire, ce qu’il ne faut jamais oublier.

Comme je l’ai indiqué précédemment, 130 millions d’euros ont été consacrés à la rénovation des établissements pénitentiaires : c’est le double du montant qui y a été consacré sous François Hollande. Nous en avons déjà rénové beaucoup.

Lorsque j’étais avocat, j’ai connu l’époque où les détenus ne pouvaient prendre qu’une douche par semaine, et encore quand c’était possible. Aujourd’hui, des douches individuelles ont été installées dans chaque cellule. Les conditions de détention se sont donc nettement améliorées.

En plus des SAS que nous construisons, nous expérimentons trois prisons entièrement tournées vers le travail. Là encore, l’acronyme a été bien choisi : InSERRE, pour Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l’emploi.

En 2024, la moitié des cinquante nouveaux établissements pénitentiaires prévus auront été construits. Je dois en inaugurer dix d’ici à la fin de l’année.

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

M. Guy Benarroche. Vous l’avez souligné, la construction de prisons est un levier.

Dans la mesure où le rapport annexé fixe une trajectoire, il nous semble qu’il aurait été bienvenu qu’y figurent aussi un certain nombre d’autres leviers, notamment le développement des prisons en milieu ouvert. En effet, pour répondre à Mme la rapporteure, il existe ailleurs d’autres modèles carcéraux ; en France, on trouve la prison ouverte de Casabianda, en Corse, qui permet des incarcérations graduées selon le type de délinquance, le maintien des liens familiaux et la diversification des activités. Pour l’instant, aucune étude ne prouve qu’une incarcération en milieu ouvert soit moins efficace. En revanche, ce qui est sûr, c’est que cela coûte moins cher !

Il faut regarder ces questions de plus près et non pas se contenter de dire que les incarcérations en milieu ouvert ne marchent pas – on ne peut plus dire cela aujourd’hui. Je suis favorable à ce qu’une étude soit menée en ce sens et il me paraissait intéressant que cela figure dans les trajectoires du ministère de la justice.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 144.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 148, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 200

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Pour résorber la surpopulation carcérale, il est mis en place, à titre expérimental sur une durée de trois ans, un mécanisme de régulation carcérale sur l’ensemble du territoire, ayant pour objet de définir un taux de surpopulation carcérale dont le dépassement entraînerait la réunion des différents acteurs de la chaîne pénale. Ces derniers pourraient alors envisager des mesures de régulation lorsque les services de l’administration pénitentiaire ne sont plus en mesure de fonctionner sans affecter durablement la prise en charge des personnes détenues.

La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Cet amendement vise à expérimenter à l’échelon national un mécanisme de régulation carcérale, qui a été défendu par Jean-Pierre Sueur lors de la discussion générale et sur lequel je ne reviens pas.

Cette proposition fait écho aux expérimentations locales mises en place dans les maisons d’arrêt de Varces, de Grenoble et aux Baumettes à Marseille. Ces expérimentations, qui reposent sur le volontariat de professionnels de la justice, doivent recevoir un soutien à l’échelle nationale. Elles permettent des pratiques collectives de régulation carcérale.

Nous aurions souhaité que cette expérimentation nationale figure dans le rapport annexé, car elle nous semble être un véritable outil de lutte contre la surpopulation carcérale, au même titre que d’autres dispositifs. Il faut utiliser tous les leviers.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement a pour objet l’expérimentation d’un mécanisme de régulation carcérale, afin de faire face à la surpopulation carcérale. Nous ne pensons pas que ce soit la bonne solution.

La solution passe par la construction de places et il faut aller vite. Nous sommes donc favorables à ce que les peines soient exécutées dans de bonnes conditions, grâce à un nombre suffisant de places.

C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Notre pays compte grosso modo un peu plus de 60 000 places de prison pour 73 000 détenus.

Si vous ne voulez plus de surpopulation carcérale, monsieur le sénateur, il faut donc libérer 13 000 détenus. Je le dis clairement : je ne le ferai pas, et ce pour tout un tas de raisons.

Tout d’abord, cela ferait le bonheur du sénateur Ravier (M. Thani Mohamed Soilihi sourit.), mais pas que le sien.

Je veux assumer une réponse pénale ferme. Je veux également rappeler – je vous remercie de me donner l’occasion de le faire – que le garde des sceaux ne peut pas fixer lui-même les peines, et que c’est très bien ainsi.

Ensuite, je précise que c’est en toute indépendance que la justice est plus sévère aujourd’hui qu’elle ne l’était autrefois, en dépit de ce que certains racontent.

En réalité, monsieur le sénateur Benarroche, je ne comprends pas bien le sens de votre mécanisme de régulation carcérale. Je l’ai du reste dit tout à l’heure au sénateur Sueur, que je sais très attaché à la question des libertés individuelles.

En vérité, les acteurs judiciaires et la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) se réunissent déjà de manière régulière. Ils l’ont fait récemment à Bordeaux, mais aussi partout ailleurs.

La DAP joue son rôle en alertant sur l’existence d’un certain nombre de difficultés, celle notamment d’une surpopulation qui est évidemment anormale et préjudiciable à ce à quoi nous aspirons tous ici, c’est-à-dire des conditions de détention dignes. Tout le monde se souvient d’ailleurs que j’ai soutenu l’initiative du président François-Noël Buffet – je l’ai déjà dit ici.

Il est évident que nous souhaiterions tous faire disparaître la surpopulation carcérale. Cependant, permettez-moi de vous rappeler que, quand Nicole Belloubet a fait en sorte de libérer un certain nombre de détenus en fin de peine, à l’exclusion de certains condamnés pour des faits précis – vous vous souvenez tous de cette décision –, celle-ci a fait l’objet de vives critiques, alors même qu’il était question d’un véritable enjeu de santé publique.

Naturellement, j’ai soutenu la démarche de la garde des sceaux, à une époque où je n’étais pas moi-même membre du gouvernement.

Aujourd’hui, que proposez-vous, monsieur le sénateur ? De mettre dehors un certain nombre de détenus ? Bien, mais comment allez-vous faire ?

Vous avez utilisé une très jolie expression en parlant de « seuil de criticité ». C’est aussi un bel affichage qui s’apparente presque à un excès sémantique : que préconisez-vous que les acteurs de la chaîne pénale fassent une fois qu’ils se seront réunis ? Sans compter que, je le répète, ils se réunissent déjà.

Surtout, ne pensez pas que les magistrats de ce pays n’évoquent pas ces sujets : de toute évidence, ils en parlent ! De même que la DAP leur expose immanquablement la réalité : les matelas au sol et toutes les choses de cette nature.

Je signale en outre que les travaux d’intérêt général (TIG) sont une façon de penser la peine autrement que par la seule systématisation de la prison. Le TIG est parfaitement utile chaque fois que c’est possible – j’y insiste, car cette précaution n’est pas inutile : « Chaque fois que c’est possible. » Voilà la raison pour laquelle nous l’encourageons.

Le seul levier dont nous disposons aujourd’hui, selon moi, pour faire cesser la surpopulation carcérale consiste à construire de nouveaux établissements pénitentiaires. Par un mécanisme ou un syllogisme assez singulier, certains affirment que plus nous en construirons, plus ils seront remplis… Dans ce cas, autant ne rien faire et laisser les choses en l’état !

Un dernier mot, madame la rapporteure, sur l’artificialisation des sols : je tiens à vous dire que nous disposons de tous les terrains dont nous avons besoin. (Mme Françoise Gatel sexclame.) N’ayez aucune inquiétude : il aura fallu beaucoup de temps, mais nous avons les terrains sur lesquels nous construirons de nouvelles prisons.

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

M. Guy Benarroche. On le voit bien, de cette discussion émergent deux visions très différentes : d’un côté, la vision exposée par Mme la rapporteure, qui insiste sur la nécessité d’une application plus systématique de peines de plus en plus lourdes, et qui ne s’intéresse qu’au milieu carcéral et à la construction de nouvelles prisons ; de l’autre, la vision du garde des sceaux qui n’est pas du tout la même – je l’ai bien compris –, puisqu’il promeut les TIG : je rappelle à cet égard que les débats autour de cette mesure ont soulevé de sérieuses difficultés ici même il y a encore peu de temps.

À partir du moment où il s’agit d’un rapport du ministère de la justice annexé au projet de loi et que vous proposez un certain nombre d’ouvertures, notamment l’exécution de mesures en milieu ouvert, les TIG et quelques autres solutions alternatives, il aurait été à la fois bienvenu et nécessaire, ne serait-ce que pour faire face à l’opportunisme, si je puis dire, de l’extrême droite, qui pourrait se saisir de ce prétexte, et à cette politique du « tout carcéral » et de l’enfermement, qui n’est pas la vôtre, monsieur le garde des sceaux, mais qui est celle d’une majorité des membres de cette assemblée, de faire figurer d’autres leviers d’action – c’est de cela que je parle – dans le rapport annexé.