Sommaire

Présidence de Mme Pascale Gruny

Secrétaires :

M. Pierre Cuypers, Mme Victoire Jasmin.

1. Procès-verbal

2. Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 – Ouverture, modernisation et responsabilité du corps judiciaire. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi et d’un projet de loi organique dans les textes de la commission modifiés

Vote sur l’ensemble

Mme Maryse Carrère

M. François-Noël Buffet

M. Emmanuel Capus

M. Guy Benarroche

M. Thani Mohamed Soilihi

Mme Marie-Pierre de La Gontrie

Mme Cécile Cukierman

Mme Dominique Vérien

Mme Esther Benbassa

projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027

Adoption, par scrutin public solennel n° 300, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.

projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire

Adoption, par scrutin public solennel n° 301, du projet de loi organique dans le texte de la commission, modifié.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Suspension et reprise de la séance

3. Mises au point au sujet de votes

4. Enjeux de la France communale et avenir de la commune en France. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Débat interactif

M. Max Brisson ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Max Brisson ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée ; M. Max Brisson.

M. Franck Menonville ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Franck Menonville.

M. Ronan Dantec ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

M. Georges Patient ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

M. Patrick Kanner ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

Mme Michelle Gréaume ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Michelle Gréaume.

M. Jean-Michel Arnaud ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Jean-Michel Arnaud ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée ; M. Jean-Michel Arnaud.

Mme Guylène Pantel ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

M. Guillaume Chevrollier ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

Mme Frédérique Espagnac ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

M. Jean-François Longeot ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

Mme Elsa Schalck ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

M. Éric Kerrouche ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Éric Kerrouche.

M. Jean-Baptiste Blanc ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Jean-Baptiste Blanc.

M. Olivier Paccaud ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

M. Bruno Rojouan ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Bruno Rojouan.

Conclusion du débat

M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains

Suspension et reprise de la séance

5. Mise au point au sujet d’un vote

6. Restitution des restes humains appartenant aux collections publiques. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Texte élaboré par la commission

Vote sur l’ensemble

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure de la commission de la culture

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture

M. Jean-Pierre Decool

M. Thomas Dossus

M. Julien Bargeton

M. Lucien Stanzione

M. Pierre Ouzoulias

M. Pierre-Antoine Levi

M. Bernard Fialaire

M. Max Brisson

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture

7. Réforme de l’audiovisuel public. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Après l’article 10

Amendement n° 25 de M. Claude Kern. – Retrait.

Article 11

Amendement n° 73 de M. Julien Bargeton. – Rejet.

Amendement n° 56 de Mme Sylvie Robert. – Rejet.

Amendement n° 46 de M. David Assouline. – Rejet.

Amendement n° 47 de M. David Assouline. – Rejet.

Amendement n° 57 de Mme Sylvie Robert. – Rejet.

Amendement n° 98 de Mme Monique de Marco. – Rejet.

Adoption de l’article.

Après l’article 11

Amendement n° 50 de M. David Assouline. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Article 11 bis (nouveau)

Amendement n° 71 de M. David Assouline. – Rejet.

Adoption de l’article.

Après l’article 11 bis

Amendement n° 24 rectifié bis de Mme Catherine Morin-Desailly. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Article 12

Amendements identiques nos 21 de M. David Assouline, 74 de M. Julien Bargeton et 95 de Mme Monique de Marco. – Rejet des trois amendements.

Adoption de l’article.

Après l’article 12

Amendement n° 80 de M. Julien Bargeton, repris par la commission sous le n° 103. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Article 13

Amendements identiques nos 22 de M. David Assouline, 67 de M. Pierre-Jean Verzelen et 75 de M. Julien Bargeton. – Rejet des amendements nos 22 et 75, l’amendement n° 67 n’étant pas soutenu.

Adoption de l’article.

Article 13 bis (nouveau)

Amendements identiques nos 23 de M. David Assouline, 66 de M. Jérémy Bacchi et 77 rectifié de M. Bernard Fialaire. – Rejet des trois amendements.

Amendement n° 70 de M. Thomas Dossus. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 14

Amendement n° 79 de M. Julien Bargeton. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 14 bis (nouveau)

Amendement n° 96 de Mme Monique de Marco. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 15

Amendement n° 2 de M. Julien Bargeton. – Rejet.

Amendement n° 53 de M. David Assouline. – Adoption.

Amendement n° 54 de M. David Assouline. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Vote sur l’ensemble

M. Max Brisson

Mme Monique de Marco

M. David Assouline

M. Jérémy Bacchi

M. Julien Bargeton

M. Bernard Fialaire

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture

8. Modification de l’ordre du jour

9. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Pascale Gruny

vice-président

Secrétaires :

M. Pierre Cuypers,

Mme Victoire Jasmin.

Mme le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Article 12 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 – Ouverture, modernisation et responsabilité du corps judiciaire

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi et d’un projet de loi organique dans les textes de la commission modifiés

Mme le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutins publics solennels sur le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (projet n° 569, texte de la commission n° 661, rapport n° 660) et sur le projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire (projet n° 570, texte de la commission n° 662, rapport n° 660).

La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.

Mes chers collègues, je vous rappelle que ces scrutins s’effectueront depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. Vous pourrez vous rapprocher des huissiers pour toute difficulté.

Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.

Vote sur l’ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe INDEP. – Mme Valérie Létard et M. Martin Lévrier applaudissent également.)

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen de ces textes avec quelques perspectives réjouissantes, dont l’augmentation du budget de la justice et la réécriture du code de procédure pénale. Ces deux sujets majeurs répondent à une même problématique : la dégradation d’un service public essentiel dans un État de droit.

Je ferai miennes certaines des remarques formulées par mon collègue Jean-Yves Roux lors de la discussion générale. La liste des lieux communs sur la détérioration du service public de la justice est vite dressée : manque de matériel, locaux inadaptés, souffrance du personnel et incompréhension des justiciables. J’ajouterai la lenteur et la complexité des procédures.

Nos juridictions sont épuisées. Nous ne pourrons compter éternellement sur l’engagement, le courage et l’abnégation des magistrats et des agents qui les secondent au quotidien – je veux les remercier et leur faire part de notre reconnaissance.

Nous devons réagir. Tel est le cas depuis plusieurs exercices budgétaires. Je me souviens des qualificatifs employés à l’occasion de l’examen de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2021 : budget « exceptionnel » et « historique », moyens « inégalés » ! La programmation annoncée permettra de poursuivre ce mouvement ; c’est encourageant et nous ne pouvons que nous en réjouir.

Le rapport annexé analyse bien les causes de la crise et se fixe des objectifs justes. Je pense notamment à la clarification du rôle de la justice au sein de la société, au renforcement de la première instance, à l’augmentation drastique des effectifs et à l’ouverture de la justice sur la société civile.

La médiation en matière civile et plus largement les modes alternatifs de règlement des conflits intéressent notre groupe, tout particulièrement Nathalie Delattre qui a déposé le 13 septembre 2021 une proposition de loi visant à développer le recours à la médiation dans le cadre de la procédure civile. Je me réjouis donc que la nécessaire réorganisation des dispositions relatives aux modes alternatifs de règlement des conflits au sein du code de procédure civile soit mentionnée dans le rapport annexé.

Notre groupe se réjouit également que les dispositions de la proposition de loi visant à compléter les dispositions relatives aux modalités d’incarcération ou de libération à la suite d’une décision de cour d’assises, déposée par Jean-Claude Requier et adoptée par le Sénat en novembre dernier, entrent prochainement en vigueur grâce à l’adoption d’un amendement devenu article 2 bis du présent projet de loi ordinaire.

Souvenez-vous : il s’agissait d’un texte particulièrement technique sur le fond, mais particulièrement évocateur dans notre contexte législatif, car il corrigeait un oubli de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire dans sa réécriture du code de procédure pénale – un clin d’œil ironique aux travaux de simplification et de réécriture de ce même code, qui devraient commencer dans les prochains mois.

Ces dernières années, les lois sur la justice se sont succédé, avec un examen trop rapide et trop peu approfondi. Nous espérons que les présents textes ne seront pas suivis d’une cascade d’autres, porteurs d’ajustements successifs.

L’ordonnance prévue à l’article 2 pour réécrire et simplifier le code de procédure pénale devra être à la hauteur des attentes, même si nous savons qu’en simplifiant à droit constant elle ne sera que partiellement satisfaisante.

L’article 3 a suscité d’importants débats, notamment à propos de l’activation à distance de la caméra et du micro des appareils électroniques dans les affaires de terrorisme et de criminalité organisée. Conscient des inquiétudes, notre groupe entend également l’intérêt qu’un tel dispositif présente pour les enquêteurs compte tenu de la gravité des affaires visées. Certains membres du groupe RDSE sont donc plutôt favorables à son adoption.

Il n’en va pas de même en matière d’extension de la télécommunication, qui semble devenir systématique en matière d’interprétariat ou de consultation médicale. Nous ne souhaitons pas accompagner ce mouvement, ainsi que nous l’avions indiqué lors de l’examen avorté du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration : le recours à la visio doit rester consenti et exceptionnel.

L’expérimentation d’un tribunal des activités économiques est une bonne piste. Les ajustements adoptés par la commission des lois vont dans la bonne direction, en ne dénaturant pas la justice commerciale.

Nous soutenons la création, à l’article 11, du métier d’attaché de justice : c’est une bonne initiative.

Nous sommes également favorables à la déjudiciarisation de la procédure de saisie des rémunérations prévue à l’article 17. C’est un sujet difficile, souvent marqué par des a priori. L’assouplissement prévu, qui maintient le contrôle du juge de l’exécution, constitue un bon équilibre. Cela permettra de simplifier la procédure et d’en accélérer le cours, sans remettre en cause les droits du débiteur.

Nous sommes globalement favorables au projet de loi organique, bien que notre groupe ait souhaité relayer certaines préoccupations de la magistrature.

Nous saluons également les apports de la commission, par exemple sur l’accès des docteurs en droit au corps judiciaire. Notre pays ne peut pas s’offrir le luxe de délaisser toute une catégorie de juristes aguerris et hautement diplômés.

Ma conclusion ne vous surprendra pas : conformément au principe de liberté qui le régit, notre groupe se partagera entre le vote pour et l’abstention. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François-Noël Buffet. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la justice est notre bien commun. Au sein de l’État, le ministère de la justice est probablement celui qui contribue le plus à notre vivre-ensemble.

Il s’agit d’une administration importante, mise en œuvre par des hommes et des femmes dans des lieux de justice où les conflits se règlent de manière pacifique. Ces conflits peuvent être de nature civile ou pénale, mais n’oublions pas qu’il se traite trois fois plus d’affaires civiles que d’affaires pénales : la télévision reflète mal l’activité de nos tribunaux… (M. le garde des sceaux le confirme.)

Depuis de nombreuses années, ce grand ministère, qui assure une fonction majeure de l’État, est en difficulté. Combien de fois n’avons-nous pas entendu, dans nos circonscriptions, « j’attends un jugement depuis trop longtemps », « la peine prononcée par le tribunal n’a pas été exécutée », « j’ai des difficultés à joindre le juge », « mon avocat tarde à me transmettre les pièces », « avec l’appel, je n’obtiendrai une décision que dans dix-huit mois » ?

Combien de fois les juges ne nous ont-ils pas dit qu’ils avaient trop de travail, trop de textes législatifs à appliquer, qu’ils étaient dans l’incapacité de faire, faute de moyens matériels et humains suffisants ? Il en est de même pour les greffiers.

La commission des lois s’intéresse à ce sujet depuis longtemps. En 2017, elle a publié un rapport d’information qui établissait des constats : il était déjà évident que nous manquions des magistrats ; l’équipe autour des magistrats devait être renforcée ; les greffiers rencontraient d’importantes difficultés ; certains lieux de justice devaient manifestement être améliorés ; la numérisation de ce grand ministère avait été, en quelque sorte, abandonnée, d’où d’incroyables difficultés, alors que d’autres ministères avançaient à grands pas.

En 2018, nous avions fondé beaucoup d’espoirs dans le texte qui est devenu la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, mais nous n’avons pas obtenu tout ce que nous souhaitions.

La commission a poursuivi ses travaux, que ce soit sur les procédures collectives, les tribunaux de commerce – les futurs tribunaux des activités économiques –, les conseils de prud’hommes et bien d’autres sujets encore.

En septembre 2021, nous avons organisé, avec le président du Sénat, une Agora de la justice, pour entendre les magistrats – ceux que l’on n’entend jamais. Les constats de 2017 ont été confirmés, la situation s’étant même aggravée sur différents points.

Et puis, il y a eu cette tribune inédite, signée par sept mille magistrats à la suite du suicide de l’un de leurs collègues et affirmant que l’on ne pouvait plus continuer ainsi.

Les États généraux de la justice, présidés par Jean-Marc Sauvé, ont débouché en 2022 sur un important rapport, qui ne se retrouve pas complètement dans les deux textes qui nous sont présentés. N’y voyez aucune critique : compte tenu de l’ampleur de la tâche, on ne pouvait probablement pas tout faire en un seul soir. D’ailleurs, je me méfie des grands soirs ; je préfère les avancées concrètes.

Monsieur le garde des sceaux, vous nous avez présenté deux textes importants.

L’article 1er du projet de loi d’orientation et de programmation, qui regroupe le rapport annexé et les perspectives budgétaires, ne pose pas de difficulté. Le rapport présente votre politique générale en matière de justice. Le budget prévu pour 2023-2027, dans la lignée des deux précédents budgets, constitue un progrès utile – il serait injuste d’affirmer le contraire. Il s’agira d’un outil de contrôle parlementaire extrêmement important.

L’article 2 a posé plus de difficultés. Il s’agissait d’autoriser la révision à droit constant du code de procédure pénale par voie d’ordonnance. À chaque fois qu’il entend « ordonnance » ou « habilitation », le Sénat se crispe, surtout en matière pénale ! Comme le travail est colossal et que la notion de droit constant est délicate, les rapporteures de la commission des lois ont souhaité encadrer la procédure prévue à cet article. Nous espérons que l’Assemblée nationale conservera cette modification afin de garantir le contrôle parlementaire une fois l’ordonnance rédigée.

Le rapport annexé nous annonce par ailleurs une simplification de la procédure pénale. (M. le garde des sceaux le confirme.) Ce travail de fond devra démarrer en même temps que la recodification que je viens d’évoquer et les parlementaires devront suivre les travaux du comité scientifique.

L’article 3, qui comporte des mesures éclectiques, a été amélioré grâce au groupe Les Républicains, notamment en ce qui concerne les techniques spéciales d’enquête. Celles-ci seront limitées aux infractions pour lesquelles la peine encourue est supérieure à dix ans – et non à cinq ans comme dans la rédaction initiale.

En ce qui concerne les tribunaux des activités économiques, la question du seuil de la contribution financière a été posée par certains de nos collègues, dont Serge Babary : la commission mixte paritaire devra être mise à profit pour avancer.

Les principes du projet de loi organique sont conformes à ce que nous souhaitons : ouverture de la magistrature, déconcentration du fonctionnement de la justice, évaluation et responsabilité des magistrats. Nous devons continuer à avancer sur ces sujets.

En ce qui concerne la formation, la commission a adopté un certain nombre d’avancées, qui mériteront d’être précisées d’ici à la commission mixte paritaire.

Déjà citée dans le rapport d’information de 2017 de la commission des lois, l’évaluation des magistrats, notamment celle à 360 degrés, est un outil essentiel d’adaptation pour eux.

Enfin, il conviendra d’examiner précisément l’amendement de notre groupe sur la charte de déontologie des magistrats : c’est une bonne chose qu’il conviendra de continuer à travailler d’ici à la commission mixte paritaire.

Nous devons donner aux tribunaux et aux cours les moyens de réaliser leur travail quotidien, sans oublier la pénitentiaire et la police – nous parlons bien d’une chaîne.

Mme le président. Il faut conclure.

M. François-Noël Buffet. Ce qui compte, c’est l’efficacité du dispositif : une procédure civile efficace et une peine pénale prononcée et exécutée rapidement. Nous n’en sommes qu’au début, il faudra poursuivre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

Mme le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après des décennies de disette et même de paupérisation, la justice de notre pays commence à retrouver des couleurs, avec un budget qui va passer de 8 milliards d’euros à près de 11 milliards. C’est une très bonne nouvelle pour les professionnels concernés, mais aussi pour l’ensemble de nos concitoyens.

La programmation que nous nous apprêtons à voter inscrit dans la durée une tendance que vous avez amorcée, monsieur le garde des sceaux. Le groupe Les Indépendants salue votre détermination et votre constance. Grâce à vous, le budget de la justice augmente fortement.

Trop longtemps, les gouvernements successifs ont négligé l’institution judiciaire. Sa mission est pourtant essentielle à notre État de droit et à notre démocratie qui ont besoin, pour fonctionner correctement, d’une justice efficace. Le manque de moyens, notamment humains, a « embolisé » bon nombre de nos juridictions, allongeant dramatiquement les délais de jugement.

Le projet de loi ordinaire prévoit près de 10 000 recrutements, dont 1 500 magistrats : c’est un progrès certain qui devra être poursuivi – nous y veillerons. En effet, la France comptait encore, en 2022, un nombre de juges par habitant inférieur de moitié à la moyenne des pays du Conseil de l’Europe : il est urgent d’y remédier.

Le manque de personnel dont souffrent nos juridictions ne concerne pas, hélas, que les magistrats : c’est l’ensemble de l’équipe qui doit être renforcé.

Le projet de loi prévoit ainsi que 1 800 greffiers et 600 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) supplémentaires rejoindront les juridictions dans les prochaines années. De surcroît, des attachés de justice allégeront la tâche des magistrats, leur permettant de dégager un temps précieux.

Le manque d’investissement se fait également sentir en matière de places de prison. Un taux d’occupation de 120 % n’est pas acceptable. Non seulement nous avons besoin d’exécuter l’ensemble des peines qui sont prononcées, mais nous devons le faire dans le respect de la dignité humaine et de nos engagements.

L’augmentation du budget permettra la construction de milliers de places supplémentaires. Monsieur le garde des sceaux, vous savez que les Angevins attendent avec impatience la création d’un nouveau centre pénitentiaire, compte tenu de l’indignité de notre actuelle maison d’arrêt ! (M. le garde des sceaux le confirme. – M. Marc-Philippe Daubresse sexclame.)

M. Bruno Retailleau. Les Vendéens aussi !

Mme Dominique Estrosi Sassone. Comme tout le monde ! (Sourires.)

M. Emmanuel Capus. La réflexion sur les alternatives à la détention – plus favorables à la réinsertion – va être relancée. Focalisés sur l’enfermement, n’oublions pas que nos concitoyens attendent aussi des résultats en matière de lutte contre la récidive.

Le texte prévoit également d’améliorer l’efficacité de nos services grâce au déploiement de nouvelles techniques d’enquête. Nous avons su encadrer ces mesures particulièrement intrusives : leur impact sur les libertés individuelles sera le plus limité possible. Lors de nos débats en séance, nous avons ainsi renforcé les conditions pour procéder de nuit à des perquisitions, à des visites domiciliaires et à des saisies de pièces à conviction.

Toujours en matière pénale, nous avons amélioré les droits du témoin assisté, notamment dans le cadre de l’expertise.

Toutes ces dispositions étaient nécessaires pour permettre à nos forces de l’ordre de mieux lutter contre une criminalité en constante évolution, tout en préservant nos libertés.

Ces mesures viennent compléter un code de procédure pénale déjà obèse. L’inflation normative est un véritable cancer qui touche toutes nos réglementations. Fréquemment dénoncée, elle ne cesse pourtant de croître d’année en année et nous en sommes en grande partie responsables.

Le code de procédure pénale est l’un des symboles de cette inflation normative. La solution proposée par la commission et retenue par le Sénat est pertinente, car il faut clarifier et simplifier tout à la fois. Nous devrons veiller à ce que ce travail titanesque aboutisse.

La justice pénale n’est, hélas, pas la seule à être en souffrance. Il n’est pas rare que le délai de jugement en matière civile soit supérieur à douze mois ; c’est même plus que fréquent et cela concerne la majorité des contentieux, ainsi que l’a rappelé François-Noël Buffet.

Nous nous réjouissons qu’une expérimentation issue des travaux du Sénat voie prochainement le jour. Le tribunal des activités économiques a le mérite de la lisibilité et de la cohérence. Il libérera du temps de magistrat, en confiant aux juges consulaires des contentieux qu’ils sont d’ores et déjà en mesure de traiter.

Afin d’alléger des greffes surchargés, nous avons également voté le transfert aux commissaires de justice des procédures de saisie sur rémunération. Cette procédure rejoint donc les autres saisies réalisées, sous le contrôle du juge de l’exécution, par nos 3 700 commissaires de justice.

Des délais de paiement seront bien évidemment possibles si la situation du débiteur l’exige, mais les créanciers devraient bénéficier d’une exécution plus rapide.

L’autre texte que nous avons examiné vise à ouvrir le corps judiciaire et à simplifier son fonctionnement. En clarifiant les voies d’accès aux professions judiciaires, nous en améliorons l’attractivité – c’est nécessaire ! Le projet de loi organique renforce également la responsabilité des magistrats et étend la protection dont ils bénéficient à leur famille. Bien entendu, nous y sommes favorables.

Championne des prélèvements obligatoires, la France ne dispose pas pour autant des meilleurs services publics. Pour assainir nos finances publiques et améliorer la qualité du service offert à nos concitoyens, nous devons concentrer nos moyens sur les missions régaliennes de l’État, notamment la justice, car c’est d’elles que dépend le bon fonctionnement de notre démocratie et de notre société.

Le groupe Les Indépendants votera ces deux projets de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nos échanges de la semaine dernière ont été respectueux et de qualité. (M. le garde des sceaux le confirme.) Nous avions des interrogations sur la vision du Gouvernement sur la justice pour les prochaines années, et nous les avons exposées.

Le constat est partagé : magistrats épuisés, greffiers en sous-effectif permanent, délais trop importants ou incompréhensibles, avec pour corollaire des détentions provisoires bien trop longues. L’urgence est bien là et le ministère agit.

Le budget est en hausse et nous soutiendrons cette ambition nouvelle lors de l’examen du prochain projet de loi de finances. Mais nous nous interrogeons sur sa répartition et sur son affectation. Nous regrettons l’absence de volonté pour organiser différemment les choses et tout particulièrement la trajectoire annoncée – et amplifiée par le Sénat – du « tout carcéral ».

Pour les rapporteures, « la solution passe par la construction de places et il faut aller vite. Nous sommes donc favorables à ce que les peines soient exécutées dans de bonnes conditions, grâce à un nombre suffisant de places. » Cela concerne donc toutes les peines, pour des durées de plus en plus longues.

Et le garde des sceaux d’ajouter : « Le seul levier dont nous disposons aujourd’hui, selon moi, pour faire cesser la surpopulation carcérale, consiste à construire de nouveaux établissements pénitentiaires. »

Nous sommes en désaccord profond avec cette manière de gérer la surpopulation carcérale. Construire des prisons ne peut pas être l’unique solution au problème de la surpopulation et des conditions de détention indignes, pour lesquelles notre pays est si souvent et si lourdement condamné par la Cour européenne des droits de l’homme.

Je rappelle que la France a été condamnée tant en raison d’une surpopulation carcérale structurelle que pour l’absence de recours effectif permettant à un détenu de faire cesser des conditions de détention qu’un tribunal jugerait indignes.

Les États généraux de la justice avaient proposé qu’un seuil de « suroccupation majeure » soit fixé pour chaque établissement, au-delà duquel seraient envisagées des mesures de régulation. Mais cette régulation est la grande absente de ce texte. Le garde des sceaux a indiqué que des solutions étaient déjà mises en œuvre au cas par cas, mais nous regrettons l’absence d’expérimentation officielle permettant une évaluation plus objective.

Certes, M. le garde des sceaux a évoqué les leviers, autres que l’incarcération, qui permettraient de limiter le nombre d’entrées en prison. C’est ce que nous n’avons de cesse de proposer ! Bâtissons ensemble ces politiques alternatives à la prison, plutôt que de continuer à bâtir des prisons et à les remplir.

Je le redis : une société avec moins de détenus n’est pas moins-disante ou moins sécurisante, bien au contraire. J’attends que votre ministère le dise et le traduise dans ce projet d’orientation. L’activité des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), les travaux d’intérêt général auxquels le garde des sceaux est si attaché et les expérimentations montrent que le coût et l’efficacité de ces alternatives plaident en leur faveur.

Voir dans la prison la seule punition possible, considérer la détention provisoire comme une option usuelle et non plus comme une exception et développer les comparutions immédiates conduit à remplir toujours plus les prisons. La société n’en est pas plus sûre ; les détenus et les condamnés ne sont ni mieux punis ni mieux réinsérés.

Le recrutement de personnel pénitentiaire contractuel nous inquiète tout autant : moins bien formés, ces agents constituent une réponse dégradée aux problèmes. La fonction publique s’ubérise, conséquence inéluctable d’années de politiques au rabais.

De tels sucres rapides sont parfois nécessaires. Nous saluons la volonté de faire sortir de la précarité les assistants de magistrats, mais n’oublions pas qu’il s’agit aussi des conséquences d’une politique de recrutement défaillante de magistrats depuis de nombreuses années.

Les recrutements prévus sont positifs, tout comme la création d’une équipe autour du magistrat. Tant mieux si les solutions proposées permettent de gérer la pénurie, mais les mesures structurelles qui les accompagnent sont insuffisantes.

L’ouverture de l’accès à la magistrature est l’un des aspects essentiels d’une politique de justice efficace et au service des citoyens. Nous saluons la diversification des voies de recrutement, grâce notamment à l’adoption d’un amendement de notre groupe qui facilite l’accès au concours professionnel pour les docteurs en droit.

En revanche, nous regrettons l’adoption d’un amendement qui semble vouloir remettre en cause la liberté syndicale des magistrats.

La visioconférence ne peut pas être la règle. Comment un médecin pourrait-il évaluer les conditions d’une garde à vue par visio ? Comment un interprétariat à distance pourrait-il ne pas gêner le bon déroulé des auditions ? Pourquoi étendre à ce point les possibilités de perquisition de nuit ? Comment ne pas voir que les vidéo-audiences éloignent le justiciable et le citoyen des lieux de justice ?

Nous avons aussi exprimé nos inquiétudes sur l’activation à distance des micros et des caméras des portables et autres appareils connectés.

Ces textes sont l’occasion d’une nouvelle course à l’échalote technologique, sans évaluation des bénéfices. Les caméras individuelles dans les prisons en constituent un autre exemple. Sans garantie de continuité d’enregistrement ou d’accès à ces vidéos pour l’ensemble des parties, il s’agit plus d’un effet d’annonce que d’une réelle amélioration.

Notre groupe salue donc l’effort budgétaire, mais celui-ci n’est pas salvateur en soi. La justice n’en est pas réparée pour autant : recrutements non pérennes, maintien d’une politique du « tout carcéral » avec la poursuite de la construction de prisons, amoindrissement des prérogatives du juge des libertés et de la détention, etc.

Ces dernières années, des missions de plus en plus nombreuses ont été confiées à ce juge spécialisé et indépendant. Pourtant, ce projet de loi le dessaisit de son cœur de métier : cela n’est ni tolérable ni cohérent.

Ces deux projets de loi comportent des mesures positives, même si elles ne vont pas assez loin. Le garde des sceaux n’a pas pu transformer l’essai ni marquer ses textes d’une vision globale autre qu’une politique immobilière carcérale. Il s’agit pourtant d’une loi d’orientation : elle aurait dû le permettre, en développant par exemple les compétences des Spip.

Il n’est pas trop tard, monsieur le garde des sceaux. Les lignes rouges franchies dans ce texte sont trop importantes. La captation à distance de sons et d’images à partir d’objets connectés tels que les téléphones et les ordinateurs est une atteinte bien trop grave aux libertés. La suspicion sur la qualité du travail des magistrats syndicalisés est tout aussi inacceptable.

L’examen du texte à l’Assemblée nationale peut permettre de réelles avancées contre cette dérive de surveillance et de contrôle. Nous regrettons d’autant plus la possibilité bien trop large laissée à l’utilisation de certains outils que nous vous avions alerté sur le sujet. L’interpellation par la police antiterroriste de militants, à la suite d’actions menées dans une usine Lafarge de mon département des Bouches-du-Rhône, a bien montré le risque de dérive.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre le projet de loi d’orientation et de programmation, mais pas contre le projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, jeudi dernier, nous avons achevé l’examen en discussion commune des deux projets de loi sur la justice. Nous avons pu confronter nos points de vue et nos propositions dans un climat apaisé, ce dont je me réjouis.

Je note qu’un consensus s’est dégagé sur l’augmentation des moyens, qui a été saluée sur toutes les travées de cette assemblée. Grâce à cet effort budgétaire, les crédits consacrés à la justice dans notre pays augmenteront jusqu’à près de 11 milliards d’euros en 2027. Nous ne le répéterons jamais assez : c’est une mesure historique.

Nous avons également habilité le Gouvernement à réformer le code de procédure pénale par ordonnance, après qu’il a rassuré la représentation nationale en apportant les garanties nécessaires : ce travail de codification sera d’abord effectué par un comité scientifique, mais suivi étroitement par un comité parlementaire représentatif des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat. En outre, vous vous êtes engagé, monsieur le garde des sceaux, à ce que le nouveau code de procédure pénale n’entre pas en vigueur avant la ratification de l’ordonnance par le Parlement et je vous en remercie.

Par ailleurs, dans neuf à douze juridictions et pendant quatre ans, seront expérimentés les tribunaux des activités économiques, conformément à ce qui figurait – j’en suis très honoré – dans la proposition de loi que François Bonhomme et moi-même avions déposée en novembre 2021. Une contribution pour la justice économique sera mise en place dans ces nouveaux tribunaux afin d’inciter à recourir au règlement à l’amiable des conflits.

Je me félicite également de l’adoption d’amendements déposés par mon groupe, qui tendent à associer toujours plus le Parlement à l’évaluation des expérimentations relatives aux tribunaux des activités économiques et à la contribution pour la justice économique.

Bien évidemment, nous avons avec la majorité sénatoriale quelques points de divergence sur le rôle que joueront les magistrats professionnels, sur le traitement du contentieux des baux commerciaux ou encore sur celui des procédures amiables et collectives des professions réglementées. Certes, la proposition de loi que nous avions présentée en 2021 incluait les professions réglementées du droit, mais les auditions et consultations menées depuis lors ont pu susciter des évolutions sur la question.

Les débats en commission et en séance auront – je l’espère – permis de rassurer certains acteurs du monde agricole, qui avaient fait part de leurs craintes à plusieurs d’entre nous.

Par ailleurs, sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Sueur, dont je tiens à saluer la persévérance et la pugnacité, le Sénat a codifié la récente jurisprudence de la Cour de cassation, qui se reconnaît une compétence universelle en matière de double incrimination pour les crimes contre l’humanité.

Notre groupe, quant à lui, se réjouit d’avoir pu faire adopter quinze amendements sur les cinquante-neuf qui ont connu une issue favorable, notamment celui qui, en droit pénitentiaire, vise à mettre en place une procédure d’alternative aux poursuites disciplinaires.

Concernant le projet de loi organique, nous sommes satisfaits que le Sénat ait approuvé notre proposition visant à préciser les attributions que les magistrats exerçant à titre temporaire dans les fonctions de substitut pourraient se voir confier.

Par ailleurs, nous accueillons favorablement le remplacement du recueil des obligations déontologiques par une charte de déontologie des magistrats.

En dépit de toutes ces belles et nombreuses avancées, certaines dispositions demeurent clivantes, et cela même si les garanties qui les entourent ont été renforcées. Je pense aux perquisitions de nuit, au recours aux moyens de télécommunication pour l’exercice des droits à un interprète et à un examen médical dans le cadre de la garde à vue ou encore à l’activation à distance des appareils connectés. Je le rappelle, ces techniques seront subordonnées à l’autorisation d’un juge et certaines d’entre elles ont d’ores et déjà cours.

Permettez-moi également de regretter le rejet de trois amendements que mon groupe avait déposés et qui avaient pour objet le maintien de la procédure de comparution immédiate lorsque le prévenu n’est pas placé en détention provisoire, le remplacement de la référence aux conditions d’aptitude pour être assesseur de pôle social par une vérification que l’extrait du bulletin n° 2 du casier judiciaire ne comporte pas de mention incompatible avec l’exercice des fonctions et le rétablissement de l’assignation comme seule voie de saisine du juge de l’exécution en cas de contestation de la saisie des rémunérations.

Pour conclure, il me semble que la trajectoire budgétaire favorable, les créations de postes annoncées et l’attitude constructive de nos deux rapporteures – je salue la qualité de leur travail, elles ont permis de sécuriser certaines mesures – sont autant d’éléments qui justifient que nous voterons en faveur des deux textes modifiés.

Enfin, au nom du groupe RDPI, je forme le vœu que la navette parlementaire permette d’avancer sur les points qui continuent malgré tout de nous diviser. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, François-Noël Buffet a parfaitement décrit la situation : la justice est au bord du gouffre et il faut agir. Le constat est partagé sur toutes les travées. C’est également celui qu’a fait le Président de la République, en octobre 2021, lorsqu’il a décidé de lancer les États généraux de la justice, en déclarant qu’il fallait renouer le pacte civique entre la Nation et la justice et garantir l’efficacité du service public.

On prête à Clemenceau la fameuse citation : « Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission. ». Dans le monde d’aujourd’hui, on ne crée pas une commission, mais une conférence citoyenne, un grand débat ou bien des États généraux…

De fait, les deux projets de loi qui sont soumis à notre vote – cela a déjà été dit – n’ont qu’un rapport partiel avec les États généraux de la justice. Si vous me permettez de rappeler la formule du procureur Molins – je sais que vous l’appréciez particulièrement, monsieur le garde des sceaux… –, ils n’ont de lien avec les États généraux de la justice que « l’ordre chronologique ».

Commençons par saluer les aspects positifs de ces textes. Les hausses budgétaires sont très importantes, année après année, et l’article 1er du projet de loi d’orientation et de programmation laisse entendre qu’elles se poursuivront. Quelque 10 000 emplois seront créés, certes non ventilés – nous en avons débattu –, mais il était très important d’en prévoir autant.

Parmi les autres points positifs, on peut citer la réduction des délais de jugement, la volonté de transformation numérique, l’instauration d’une équipe autour du magistrat, la revalorisation de certaines professions, notamment celle de gardien pénitentiaire, les investissements immobiliers, la diversification des voies d’accès à la magistrature et l’extension du champ des infractions recevables à l’indemnisation des victimes.

Tout cela est fort positif, mais la réforme systémique à laquelle appelaient les États généraux de la justice n’a pas eu lieu. Il n’y a ni clarification du rôle de la justice, ni renforcement de la première instance, ni révision des décrets dits Magendie – les non-praticiens voudront bien excuser cette précision, mais elle est importante.

En outre, l’absence de certaines mesures nous semble très problématique. Ainsi, on ne trouve rien sur la régulation carcérale, le Gouvernement se contentant de dire qu’il faut construire de nouvelles prisons et qu’il y aura ainsi suffisamment de places pour tous les détenus.

Or – on le sait, car c’est documenté – plus l’on construit de prisons, plus il y a de détention ; et contrairement aux idées reçues, la justice française est de plus en plus sévère et prononce des peines de plus en plus lourdes. Donc, si nous ne mettons pas en place un mécanisme de régulation carcérale, nous ne pourrons jamais mettre un terme à la situation d’indignité évidente dans les prisons françaises. Mais il n’y a rien sur le sujet dans ces textes.

Il n’y a rien non plus sur les violences intrafamiliales. La démarche est pour le moins curieuse : le garde des sceaux a confié à deux parlementaires, dont notre collègue Dominique Vérien, une mission sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales. Le travail a duré plusieurs mois et a abouti à un grand nombre de propositions, qui auraient bien évidemment trouvé leur place dans le présent projet de loi ordinaire. Or nous n’avons pas pu les introduire, car nous nous serions vu opposer le fameux article 45 de la Constitution. Par conséquent, aucune modalité concernant les violences intrafamiliales ne figure dans le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, à l’exception de deux lignes dans un rapport annexé.

Laissez-moi m’arrêter un instant sur cette pratique du rapport annexé. J’y vois une nouvelle manière de parler sans s’engager. Il s’agit d’une sorte de littérature qui pourrait s’apparenter à une feuille de route du Gouvernement – prenons-le comme tel –, mais qui n’a aucune valeur normative. Or c’est là que l’on retrouve quelques lignes sur les violences intrafamiliales.

Quant à la procédure, nous avons travaillé – nous pouvons le dire – dans de très mauvaises conditions. Le texte a été adopté le 3 mai en conseil des ministres, puis examiné en commission le 31 mai, alors qu’il s’agit de deux projets de loi, l’un comprenant vingt-sept articles, l’autre douze, assez techniques – c’est peu dire et n’y voyez pas d’injure. Il me semble que ce n’est pas là ce qu’on appelle « travailler dans de bonnes conditions » et j’ai cru comprendre que les circonstances seraient les mêmes à l’Assemblée nationale.

Pour ce qui est de la réécriture du code de procédure pénale par ordonnance, nous y avons beaucoup réfléchi et, comme d’autres groupes dans cet hémicycle, nous y étions peu favorables. Toutefois, l’encadrement qui est finalement prévu dans le texte nous semble très positif, et cela alors même que l’article 3 du projet de loi complexifie curieusement le code de procédure pénale – j’y reviendrai. Nous sommes donc a priori favorables à la réécriture du code de procédure pénale par ordonnance.

Certaines mesures restent peu abouties, dont la réforme de la justice économique avec l’instauration d’un tribunal des activités économiques ou l’accès à la profession d’avocat, sujet sur lequel vous avez dû être saisi à plusieurs reprises, monsieur le garde des sceaux.

Si un certain nombre de points positifs pouvaient nous inciter à voter en faveur de ces textes, des modifications importantes intervenues en séance nous ont conduits à revoir notre position.

Tout d’abord, en ce qui concerne l’instauration de la possibilité d’activation à distance des appareils connectés, qu’il s’agisse d’appareils téléphoniques, d’ordinateurs, de télévisions ou de systèmes comme Alexa ou Siri, nous avions demandé que les journalistes soient exonérés de cette mesure. En effet, la liberté d’informer est une liberté constitutionnelle, mais notre demande a été refusée.

Ensuite, M. Retailleau a demandé l’instauration d’une charte déontologique des magistrats et M. Bonnecarrère a présenté un amendement visant à rappeler la nécessité de leur impartialité. Dans le même temps, une saisine a été adressée par le garde des sceaux au Conseil supérieur de la magistrature, demandant que soient précisées les modalités d’exercice du droit de grève et de la liberté d’expression des magistrats, y compris sur les réseaux sociaux et dans les audiences solennelles. Manifestement, il s’agissait d’envisager un système de suspicion et de limitation des droits d’expression des magistrats, y compris dans le cadre syndical.

Enfin, et je salue l’intervention de notre collègue Jean-Pierre Sueur, nous avons tout de même obtenu – seul sujet de satisfaction – la rédaction a minima de la modification de la règle concernant la nécessité de la double incrimination en cas de crime de guerre, de crime contre l’humanité ou de génocide.

Vous l’aurez compris, monsieur le garde des sceaux, nous avions a priori une vision positive de ces textes, nonobstant leurs manques. Nous attendons beaucoup de la navette parlementaire et nous ne nous interdisons pas de modifier notre vote dans la suite des débats, si nous obtenons des garanties sur les sujets que j’ai évoqués, à savoir la régulation carcérale, la protection du droit d’expression des magistrats et la protection des journalistes dans le cadre des interceptions à distance.

Par conséquent, nous nous abstenons pour l’instant, mais nous pourrions reconsidérer notre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous devons prendre position sur deux projets de loi primordiaux pour la justice française. La semaine dernière, en séance, les débats ont été riches et parfois clivants ; ils nous conduisent à porter aujourd’hui un regard nuancé sur ces deux projets de loi.

Commençons par les aspects que nous considérons comme positifs.

En ce qui concerne le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, le groupe CRCE ne peut que soutenir les objectifs affichés du texte, à savoir ceux d’une justice plus rapide, plus claire, en somme d’une justice moderne. Le recrutement prévu de 1 500 magistrats et 1 500 greffiers d’ici à 2027 est une réponse apportée par le Gouvernement aux importantes lacunes d’effectifs.

En ce qui concerne le projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, nous soutenons bien évidemment l’ouverture du corps judiciaire sur l’extérieur, la modernisation de l’institution judiciaire, tant dans sa structuration que dans son fonctionnement, et la protection des magistrats dans le cadre de leur exercice professionnel.

Aussi, nous nous réjouissons de l’adoption de quatre de nos amendements au projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, qu’ils visent l’allongement du délai pour contester une mise en examen et une mise sous statut de témoin assisté, l’extension de la compétence des pôles cold cases du tribunal judiciaire de Nanterre ou encore une meilleure prise en compte de l’expérience professionnelle acquise dans un État membre de l’Union européenne pour accéder à la profession d’avocat. Nous considérons donc, comme d’autres dans cet hémicycle, que nous avons apporté notre pierre à l’édifice.

Toutefois, des réserves demeurent.

Dans la mesure où le projet de loi prévoit la géolocalisation en temps réel et l’activation de micros et de caméras pour capter le son et l’image dans le cadre des affaires de terrorisme, de délinquance et de crime organisé, nous considérons qu’il accentue une surenchère sécuritaire qui est déjà mal reçue par nos concitoyens – vous le savez, monsieur le garde des sceaux, et nous en avons débattu. Un recours à de tels usages est disproportionné et nous souhaitons que la procédure pénale respecte les droits de la défense.

Nous voulons rappeler que, au stade de l’enquête, le mis en cause demeure présumé innocent et il convient également de souligner que le principe de loyauté de la preuve régit l’enquête et s’impose à tout agent de police. Le groupe CRCE dénonce une disposition qui n’est nullement conforme à un tel impératif et qui envoie un signal particulièrement inquiétant à tous les justiciables.

Une telle intrusion dans la vie privée n’est pas suffisamment entourée de garanties, et cela même si le recours à la géolocalisation est prévu uniquement dans le cadre d’infractions punies d’au moins dix ans d’emprisonnement.

Nous nous inquiétons de ce que nous pourrions qualifier d’« effet cliquet ». Une fois rendues acceptables pour le terrorisme, ces pratiques de surveillance seront-elles étendues progressivement à des infractions de droit commun ? C’est un risque que nous ne voulons pas négliger et nous regrettons que, par ce type de disposition, le Gouvernement cherche à mettre en place une surveillance généralisée.

Bien que nous ayons porté la proposition de loi de Mme Éliane Assassi visant à mettre fin à la surpopulation carcérale par le biais d’amendements, nous n’avons pas été entendus.

Mes chers collègues, ne faisons pas l’autruche, la sonnette d’alarme a été tirée et la surpopulation carcérale atteint un niveau record : plus de 73 000 détenus pour à peine plus de 60 000 places. Nous considérons que la construction de nouvelles places de prison n’est pas une réponse suffisante. Après l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 30 janvier 2020, une énième condamnation de la France pour conditions indignes de détention semble inévitable.

Encore une fois, le statu quo l’emporte sur l’humanité. Or on ne peut pas accepter le discours selon lequel aucune solution ne peut être envisagée ni rendue possible sauf à favoriser le populisme dans notre pays.

Est-il vraiment nécessaire de rappeler que le respect des droits fondamentaux de tous ne doit jamais être une option et que l’emprisonnement demeure un facteur de récidive ?

Il est plus que temps d’enclencher une réflexion sérieuse sur notre système carcéral. Un mécanisme de régulation carcérale, aussi contraignant soit-il, doit s’inscrire dans une réflexion globale sur la nécessité d’engager une politique carcérale réductionniste en France. Comme le souligne la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté dans son dernier rapport d’activité, l’inertie doit cesser. La lutte contre la surpopulation carcérale doit devenir une politique publique dotée de moyens propres et durables.

Enfin, concernant le projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, nous considérons que l’amendement adopté à son article 1er est préoccupant pour la liberté syndicale de la magistrature. Le groupe CRCE considère que conditionner la liberté syndicale, corollaire de la liberté d’expression et de la liberté d’opinion, au principe d’impartialité revient ni plus ni moins à la neutraliser.

D’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, vous ne partagez pas cette volonté, puisque vous n’avez pas été favorable à cet amendement.

Nous sommes certains que cette disposition fera l’objet d’une censure pour inconstitutionnalité, si elle est maintenue à l’issue de l’examen du texte à l’Assemblée nationale.

Les événements survenus au sein du tribunal judiciaire de Mamoudzou ne sauraient suffire à provoquer une réaction législative et encore moins un bâillonnement de nos magistrats. Nous soutenons les magistrats lorsqu’ils font valoir que l’appartenance syndicale ne saurait servir de fondement à la mise en cause de leur impartialité et nous nous opposons à ce qu’une telle atteinte soit inscrite dans la loi.

Le groupe CRCE considère également que l’ajout d’une charte de déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire, telle qu’elle a été défendue dans l’hémicycle, n’est pas la bienvenue. Le recueil des obligations déontologiques des magistrats est suffisant. Ne les accablons pas d’obligations superflues et vides de sens.

Pour toutes ces raisons, le groupe CRCE s’abstiendra sur les deux textes. Cette abstention est empreinte de vigilance et nous suivrons avec attention les évolutions introduites à l’Assemblée nationale et l’issue des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, disons-le franchement, ces deux textes ne constituent pas le grand soir de la justice. Si on peut saluer une volonté sincère, y compris en matière budgétaire, de réparer une justice qui en a bien besoin, on peut sans doute regretter que ces textes ne soient pas plus ambitieux au regard des conclusions des États généraux de la justice. Mais chaque pas est une avancée !

En ce qui concerne la magistrature, la massification du recrutement est une impérieuse nécessité. Il est primordial que nous puissions enfin avoir un nombre de magistrats et de greffiers à la hauteur des standards européens. Il y va de la qualité de notre justice, ainsi que des conditions de travail du personnel judiciaire.

En ce sens, la commission des lois a fait le choix de porter à 1 800 le nombre des nouveaux greffiers au lieu des 1 500 initialement prévus. Il s’agit là de respecter le ratio entre les magistrats et les greffiers.

En outre, toujours en matière de recrutement, dans la continuité des travaux de Laurence Harribey et Marie Mercier, nous avons souhaité poursuivre l’augmentation du nombre de postes dans les Spip.

En effet, la prévention de la récidive doit rester au cœur de la politique pénale. La punition ne peut se concevoir sans l’idée qu’un jour le condamné réintégrera le corps social. Réinsérer, c’est protéger la société.

Le projet de loi organique prévoit également d’ouvrir et de diversifier le recrutement des magistrats. C’est une nécessité si l’on veut apporter du sang neuf à l’institution et éviter l’uniformisation des parcours et des profils.

Cette logique doit se poursuivre jusque dans la formation dispensée à l’École nationale de la magistrature (ENM) qui ne doit pas craindre de se confronter au monde réel, notamment aux enjeux des entreprises ou des collectivités territoriales et des élus locaux, comme le préconisait notre collègue Françoise Gatel dans un amendement. Nous n’avons pas adopté cet amendement, mais nous savons que la directrice de l’ENM est sensible à cette ouverture sur le monde non judiciaire. Des progrès ont déjà été faits en ce sens, faisons-lui confiance !

Enfin, la responsabilité des magistrats est un sujet important de ce projet de loi organique. Le texte élargit la capacité de saisine du Conseil supérieur de la magistrature et notre commission a choisi de redéfinir la faute disciplinaire pour plus de clarté. C’était une nécessité tant l’indépendance et l’impartialité sont les deux biens les plus précieux de la magistrature.

À ce sujet, si le groupe Union Centriste a défendu un amendement visant à rappeler le principe d’impartialité dans la loi, il considère bien évidemment qu’il n’est pas question d’empêcher un syndicat de s’exprimer sur des questions d’intérêt public, ni même de confondre la fonction individuelle du magistrat avec son expression collective.

Cependant, nous tenons à inscrire dans le texte une exigence constitutionnelle : les principes d’indépendance et d’impartialité sont indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles. Par ailleurs, l’exigence d’impartialité est aussi une exigence conventionnelle. L’exercice de la liberté d’expression syndicale n’est limité que pour autant que ces exigences constitutionnelle et conventionnelle d’impartialité seraient mises en cause.

Reprendre dans la loi un principe rappelé par le Conseil constitutionnel est une mesure qui devrait plutôt rassurer. L’impartialité n’est pas un gros mot.

Sur le projet de loi ordinaire, concernant le rapport annexé, je sais que certains – et certaines… – nourrissent une certaine déception de ce que les mesures préconisées dans le rapport Plan rouge VIF n’y aient pas été intégrées, en dehors de celles qui portent sur les pôles spécialisés. Le choix a été difficile, vous vous en doutez, mais nous ne souhaitions pas inclure un rapport dans le rapport…

Cela dit, j’ai bien entendu la volonté du garde des sceaux et de la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances de mettre en œuvre rapidement un grand nombre de nos propositions. Je n’ai pas de raison de douter de cet engagement.

Sur la question des ordonnances prévues à l’article 2 pour clarifier ou simplifier le code de procédure pénale, le groupe Union Centriste se réjouit du compromis trouvé par la commission. Il ne s’agit pas d’un dessaisissement du Parlement, qui conserve la mission de simplifier le code une fois que le Gouvernement aura terminé la clarification à droit constant. Cela nous paraît la meilleure solution pour fournir aux acteurs de la chaîne pénale le code de procédure pénale lisible et efficace qu’ils appellent de leurs vœux depuis longtemps.

Sur l’article 3, je pense que nous sommes arrivés à une position d’équilibre, en particulier grâce à l’amendement de Bruno Retailleau qui vise à limiter la géolocalisation par l’activation d’un appareil électronique à distance aux infractions punies d’au moins dix ans d’emprisonnement.

Monsieur le garde des sceaux, vous m’avez expliqué que dans une telle limite, ce contrôle ne pourrait s’appliquer aux proxénètes. Je vous proposerai volontiers d’alourdir les peines pour proxénétisme, car cinq ans d’emprisonnement, ce n’est pas cher payé pour de l’esclavage !

Mme Monique Lubin. Très bien !

Mme Dominique Vérien. Nous avons également exclu du champ de la captation d’images et de sons, comme le préconisait le Conseil d’État, les personnes travaillant ou habitant dans les lieux protégés, comme les cabinets médicaux, les cabinets d’avocats ou les entreprises de presse. Cet élargissement protège donc les journalistes, pour peu qu’ils appartiennent à une société de presse.

Enfin, l’expérimentation relative aux tribunaux des activités économiques est évidemment une mesure positive, puisqu’elle était réclamée de longue date par le Sénat.

Quant à la contribution économique, j’ai pris bonne note, monsieur le garde des sceaux, de ce que vous aviez entendu nos inquiétudes et que vous nous proposeriez des solutions afin de préserver les petites entreprises et de ne pas rendre cette justice inaccessible.

Bien qu’il reste encore quelques allers-retours à prévoir, le groupe Union Centriste votera ces textes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe. (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme l’écrivait Albert Camus dans Les Justes, « on commence par vouloir la justice et on finit par organiser une police ». C’est un peu mon sentiment à la suite de l’examen des deux projets de loi qui sont aujourd’hui soumis à notre vote.

Je suis très inquiète – et je ne suis pas la seule ! – de la tournure que prennent certaines mesures, notamment la possibilité d’activer à distance tout appareil électronique prévue à l’article 3 du projet de loi ordinaire.

Cette disposition, bien qu’elle ait été amendée par le Sénat, pourrait ouvrir la voie à une surveillance intrusive et généralisée remettant en question le droit fondamental au respect de la vie privée. Les garanties envisagées seront-elles suffisantes ?

Privilégier la sécurité au détriment de la liberté individuelle, c’est nous orienter vers une société que personne ne souhaite.

Imaginez-vous un seul instant ces instruments législatifs entre les mains d’un gouvernement extrémiste ? Nous aurons alors signé de nos propres mains l’arrêt de mort de notre État de droit. Il est impératif de veiller à ce que notre système judiciaire ne permette pas de dériver vers un État policier.

Je regrette que le texte ne mette pas davantage l’accent sur l’administration pénitentiaire, la mal-aimée des missions incombant à la justice – certains d’entre nous l’ont déjà dit.

Il est vrai que vous avez augmenté considérablement le budget du ministère, mais, si c’est pour construire toujours plus de prisons, votre démarche est vaine. Vous le savez autant que moi, sinon mieux : la création de nouvelles places de prison ne fera pas baisser le taux de surpopulation carcérale. La logique du « tout carcéral » n’a jamais fait ses preuves. Il est donc temps de mener une réflexion sérieuse autour des peines alternatives et de la réinsertion.

Je pense également aux détenus vulnérables et qui ne reçoivent pas de soins : ils n’ont absolument pas leur place en cellule et devraient plutôt être admis en service psychiatrique.

Monsieur le garde des sceaux, il y a encore tant à faire pour réformer la justice. Je vous le concède : tout ne se fait pas du jour au lendemain. Il n’est pas possible de rattraper trente années d’immobilisme politique en matière judiciaire comme cela.

Je ne suis pas de mauvaise foi, et je ne peux nier les efforts qui sont entrepris pour redresser notre système judiciaire. Il faut poursuivre cette dynamique en matière budgétaire, mais il est encore possible de réformer d’une façon plus complète, plus équitable, plus transparente et plus respectueuse des droits et des libertés. (Applaudissements sur des travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027

Mme le président. Il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023–2027 dans le texte de la commission, modifié.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 300 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 244
Pour l’adoption 231
Contre 13

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire

Mme le président. Il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire dans le texte de la commission, modifié.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 301 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 240
Pour l’adoption 239
Contre 1

Le Sénat a adopté.

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, au grand soir, je préfère les petits matins qui ouvrent sur le jour. (Ah ! et applaudissements sur des travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)

Sortir la justice de l’ornière dans laquelle elle se trouve depuis trente ans : le Président de la République s’y était engagé, la Première ministre et son prédécesseur en avaient fait l’une de leurs priorités et, personnellement, c’est une ambition que j’ai portée dès mon arrivée à la Chancellerie.

Cet après-midi, c’est vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui envoyez un signal fort à toutes les juridictions et à tous les établissements pénitentiaires de ce pays – et je vous en remercie.

Je veux saluer le travail de Mmes Vérien et Canayer, les rapporteures, ainsi que l’engagement du président de la commission des lois, François-Noël Buffet. (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Je me félicite des compromis que nous avons trouvés. Même s’il reste quelques divergences, je le dis ici : elles ne sont pas insurmontables.

Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous dire que, selon moi, les débats font honneur à la démocratie parlementaire.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Et c’est dans cet esprit de compromis et de dialogue républicain que, dès demain, je défendrai ce texte à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, RDSE, INDEP, UC et Les Républicains.)

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Très bien !

Mme le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quatorze heures quarante, est reprise à quatorze heures quarante-cinq.)

Mme le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027
 

3

Mises au point au sujet de votes

Mme le président. La parole est à M. Alain Houpert.

M. Alain Houpert. Lors du scrutin public n° 299 sur l’ensemble de la proposition de loi relative à la reconnaissance biométrique dans l’espace public, je souhaitais voter contre.

Mme le président. La parole est à M. Vincent Éblé.

M. Vincent Éblé. Lors du scrutin public n° 300 sur l’ensemble du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 auquel il vient d’être procédé, je souhaitais m’abstenir.

Mme le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Lors du scrutin public n° 301 sur l’ensemble du projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, j’ai été considéré comme n’ayant pas pris part au vote, alors que je souhaitais m’abstenir.

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.

Mme Laurence Muller-Bronn. Lors du scrutin n° 300, mon vote n’a pas été pris en compte, alors que je souhaitais voter pour.

Mme le président. Acte vous est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin concerné.

4

Enjeux de la France communale et avenir de la commune en France

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les enjeux de la France communale et l’avenir de la commune en France.

Dans le débat, la parole est à M. Philippe Bas, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, vous vous souvenez certainement de la définition que Jules Barni, député et philosophe, avait donnée de la commune au début de la IIIe République,…

M. Philippe Bas. … tant cette définition a été fréquemment reprise par le président du Sénat, Gérard Larcher : la commune, c’est la « petite République dans la grande ».

L’est-elle encore aujourd’hui, et pourra-t-elle le rester face à une recentralisation, qui n’est pas seulement rampante, puisqu’elle est, en réalité, de plus en plus assumée par l’État central ? C’est toute la question que soulève ce débat.

Les acquis fondamentaux de la décentralisation de Gaston Defferre sont aujourd’hui fortement rognés.

Qu’il s’agisse des normes qui se sont multipliées, de l’autonomie financière de nos collectivités et, donc, de l’argent des communes ou encore des structures au sein desquelles celles-ci vivent et agissent, nous observons partout un recul généralisé, qui ne cesse de préoccuper les citoyens qui ont accepté ce magnifique engagement au service des autres qu’est la mission municipale.

S’agissant des normes, laissons de côté la multiplication des normes en matière environnementale ou d’accessibilité pour nous concentrer sur ce qui fait l’actualité : les normes d’urbanisme.

Les contraintes extrêmement sévères que l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) impose au monde rural empêchent les maires d’accompagner la mise en place du nouvel espace de développement qui s’ouvre pour leurs communes grâce au formidable essor du télétravail qui a résulté de l’expérience difficile du confinement vécue par les habitants du monde urbain.

M. Laurent Burgoa. Tout à fait !

M. Philippe Bas. Cette inquiétude est majeure. Notre assemblée s’en est du reste saisie, puisqu’elle a voté un texte qui a suscité tant de méfiance de la part du Gouvernement que son inscription à l’Assemblée nationale le 19 juin prochain ne nous laisse pas augurer tous les résultats que nous en attendons. Mais prenons les étapes dans l’ordre : il s’agira d’une première étape, qui n’est pas suffisante.

Il y a ensuite la question de l’argent. L’autonomie fiscale des communes n’existe pratiquement plus. Le démantèlement de la fiscalité locale, par plusieurs gouvernements successifs d’ailleurs, fait que le lien démocratique par essence qu’est le lien fiscal, qui relie l’effort consenti par nos concitoyens aux projets qu’ils demandent aux municipalités de réaliser et qui les rend conscients de leurs responsabilités de citoyen, est aujourd’hui distendu.

Quant aux dotations, j’aborderai bien sûr la question des dotations globales qui, après avoir été diminuées sous le mandat de François Hollande, n’ont cessé de s’éroder ensuite dans la mesure où elles n’ont jamais été indexées sur la hausse des prix ou sur la hausse des coûts.

J’ose le dire, les coûts pour les communes ne cessent d’augmenter : elles subissent une très forte érosion de leurs finances, une baisse que nous pouvons évaluer à environ 20 % au cours des dix dernières années, bien au-delà de l’inflation. C’est grave !

Bien sûr, on nous expliquera combien il est magnifique que les subventions aux projets, comme la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), ou les dotations de solidarité ne cessent d’augmenter, ce qui est effectivement le cas.

Mais, voyez-vous, mes chers collègues, quand le pouvoir financier échappe à la commune pour revenir à l’État – les dotations sont affectées, je le rappelle –, c’est aussi un recul de la décentralisation.

Je préfère de beaucoup que la commune ait une capacité d’investissement indépendante plutôt qu’elle doive sans arrêt aller au guichet de l’État pour obtenir des financements,…

M. Philippe Bas. … même si je ne crache pas sur les subventions : nos communes en ont besoin, faute de moyens pour financer elles-mêmes leurs projets ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)

Enfin, et sans revenir sur cette erreur historique qu’a été la suppression de la réserve parlementaire (Applaudissements sur les mêmes travées.), qui était si utile pour les petits projets de nos communes, je veux vous dire que, si les choses s’arrêtaient là, elles seraient déjà très graves. Or elles le sont encore plus, car les communes interviennent maintenant au sein de structures qui, dans bien des cas, les empêchent d’exercer pleinement les responsabilités pour lesquelles les maires et les conseils municipaux ont été choisis démocratiquement par nos concitoyens.

Les communautés de communes XXL ne sont pas seulement des périmètres décidés par voie d’autorité par l’État : elles sont vraiment la manifestation première d’un socialisme étatique (Sourires sur les travées du groupe SER.) qui n’a cessé de se propager dans la gestion des collectivités territoriales.

Au-delà de la taille de ces intercommunalités, il se trouve que certaines sont aussi très fortement intégrées, y compris dans le monde rural.

Passe encore que l’on ait de grands périmètres, à condition qu’en leur sein on mette en œuvre une stratégie, qu’on fixe de grandes orientations en matière de développement économique et touristique.

En revanche, si c’est pour s’occuper des détails, comme l’adduction d’eau et la gestion de l’assainissement, on marche sur la tête ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

Ce dessaisissement des maires a une conséquence immédiate : les citoyens ne les regardent plus comme des représentants ayant la capacité de régler leurs problèmes, mais comme des personnalités qui n’exercent plus réellement le pouvoir, ce qui est extrêmement grave pour la vie de nos communes et, au-delà, pour la vie démocratique.

Parce que la vie communale, ce sont les travaux pratiques de la démocratie, c’est la vie démocratique tout court qui est mise en péril par cette situation.

S’ajoute à cela le manque de respect croissant dont un certain nombre de nos concitoyens, que je ne devrais même pas qualifier comme tels, font preuve à l’égard de leur maire par leur agressivité ou leurs menaces. Le maire devient l’exutoire de toutes les frustrations de notre société, parce que, encore aujourd’hui, il est le premier visage de l’autorité.

Défendons nos maires, comme nous ne cessons de le faire depuis le rapport grandeur nature que nous avons élaboré dès 2019, après la mort du maire de Signes, à partir d’un échantillon de plus de quatre mille témoignages de maires.

Il faut aujourd’hui que nous nous ressaisissions collectivement et que nous revalorisions cette fonction municipale qui est essentielle à notre vie démocratique.

Le statut de l’élu doit être adapté à une fonction municipale qui, par sa complexité croissante, fait que la personne qui l’exerce aujourd’hui doit consentir des sacrifices professionnels, alors qu’elle avait été conçue comme compatible avec l’exercice d’une vie normale. C’est de moins en moins le cas : tirons-en les conséquences.

Mes chers collègues, j’y mets beaucoup d’enthousiasme, et je vous prie de m’en excuser, mais je crois que nous abordons là un enjeu fondamental qui n’est pas correctement pris en compte. Il est grand temps, je le répète, que la France se ressaisisse pour faire vivre la démocratie municipale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC, RDSE et INDEP. – M. Sebastien Pla applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier le Sénat de se saisir de ce sujet. Je suis intimement convaincue que la commune demeure un échelon vital, tant pour la démocratie locale que pour la mise en œuvre de l’action publique.

Malgré les nombreuses difficultés traversées par les maires et leurs communes, il faut rappeler cette réalité incontournable : l’échelon communal fait l’objet d’un attachement fort de nos concitoyens et reste l’échelon de proximité par excellence.

Je ne peux que reprendre à mon compte le mot de Tocqueville : « Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir. »

Je ne cite pas Tocqueville par coquetterie. Ses mots sont profondément vrais : il y a un lien évident entre l’institution municipale et la construction de la République, car c’est dans la commune que les Français ont appris la citoyenneté et la liberté politique, qui sont au fondement de notre pacte démocratique.

C’est d’ailleurs sans doute un facteur d’explication du double malaise actuel, celui des maires et celui des citoyens. Nos collègues élus se sentent dépossédés de leur capacité à influer sur le destin de la commune et de ses administrés. Nos concitoyens perçoivent, même confusément, ce sentiment de dépossession et ne sont plus sûrs de voir l’utilité de voter et de s’investir dans la vie communale.

Or, dans un contexte politique marqué par de nombreuses crises, il est important que nous puissions nous appuyer sur des communes solides. Les maires demeurent les acteurs publics les mieux identifiés au niveau local. Les Français les connaissent, leur font confiance et savent pouvoir compter sur eux.

La commune demeure aussi, au sein de l’architecture institutionnelle et pour les citoyens, l’échelon de proximité. Elle incarne un service public de proximité répondant à une forte demande sociale. Elle bénéficie de la clause de compétence générale lui permettant de régler par délibération toutes les affaires relevant de son niveau, sous réserve qu’elles ne soient pas attribuées à l’État ou à un autre échelon.

Cela explique que les attentes à l’égard des communes soient fortes, alors que les élus s’estiment bien souvent insuffisamment armés pour y répondre, du fait de diverses évolutions, notamment le renforcement de l’intercommunalité et l’augmentation de la technicité de certaines compétences.

C’est le hiatus entre ces attentes fortes et les moyens réels des communes que nous avons à résoudre ensemble pour apaiser le malaise de nos collègues élus.

Les communes ont besoin qu’on leur fasse confiance et qu’on les soutienne. C’est pourquoi, et je pèse mes mots, nous devons faire confiance à nos communes et à nos maires, et c’est ce que nous faisons !

Pour toutes les raisons que je viens d’exposer, les communes ont beaucoup à apporter à l’action publique et à notre vie démocratique : proximité, subsidiarité, efficacité, initiative, projet, autant de mots que l’époque a sans doute galvaudés, mais qui témoignent bien du fait que la commune est l’échelon du faire et du bien faire.

Il faut que nous capitalisions là-dessus, parce que c’est ce que nos concitoyens attendent : proximité et efficacité. Il faut donc laisser les collectivités prendre l’initiative, faire des choix, organiser la vie et les services publics locaux pour répondre au mieux aux besoins quotidiens du pays.

De son côté, l’État doit consolider le rôle de la commune et du maire.

En matière institutionnelle, je citerai deux exemples concrets qui sont au cœur de l’action du Gouvernement et que je me dois de vous rappeler.

Le premier a trait au développement d’un véritable pouvoir réglementaire local.

Pour que le maire dispose dans certains domaines d’un véritable levier juridique, la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, a consacré le pouvoir réglementaire dont disposent les collectivités territoriales, au premier rang desquelles les communes, pour l’exercice de leurs compétences. Le législateur doit maintenant s’en saisir pour que ce pouvoir soit mis en œuvre plus souvent.

Le second concerne l’encouragement d’une décentralisation différenciée.

Les règles d’exercice des compétences locales et les architectures institutionnelles doivent pouvoir être différentes en fonction des territoires. Nous devons adapter notre organisation au terrain, et pas l’inverse.

Je crois également que, face à la complexité croissante des politiques publiques dont les communes sont chargées, l’État a un rôle primordial à jouer d’accompagnateur et de facilitateur.

Les efforts que nous faisons, et que nous amplifierons dans les mois à venir, sont significatifs : je pense au renforcement du réseau préfectoral, à l’accompagnement financier renforcé par le fonds vert, à la création d’un guichet unique de l’ingénierie avec le renforcement des capacités de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et à un travail que nous avons largement entamé, mais qui mérite d’être poursuivi ensemble, celui de la simplification des normes.

Je veux particulièrement insister sur le soutien que nous devons aux maires, lorsqu’ils sont victimes de menaces ou de violences – j’en ai déjà parlé plusieurs fois dans cet hémicycle. Le 17 mai dernier, j’ai d’ailleurs indiqué que le ministre de l’intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, et moi-même serions intraitables envers les auteurs de ces violences et que la peur devait changer de camp.

Le déploiement du « pack sécurité » constitue une première réponse qui sera amplifiée en lien avec les initiatives prises par les parlementaires et les associations d’élus, que je salue.

Toutefois, les voies et moyens du soutien apporté aux communes et aux maires ne sont pas figés. Nous sommes particulièrement disposés à les conforter en lien avec le Parlement et les élus locaux, car nous pensons qu’il s’agit en réalité d’une question de démocratie locale.

Nous menons d’ailleurs avec l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité une démarche transversale sur les conditions d’exercice des mandats locaux, qui aura vocation à identifier des pistes pour renforcer ce soutien.

Nous devons aussi tracer ensemble les grandes lignes de l’avenir de la commune pour le consolider. Nous devons soutenir les maires et pérenniser le modèle communal, tel qu’il nous a été légué par deux siècles de République.

Mais le débat que vous avez ouvert nous offre aussi l’occasion de nous interroger sur les évolutions et les changements à opérer afin de garantir l’avenir de la commune.

Cet exercice sera nécessairement riche. Toutefois, trois sujets qui me semblent contribuer à cette réflexion peuvent déjà être évoqués.

Tout d’abord, comment favoriser encore davantage la coopération et la solidarité entre les communes, tout en respectant la liberté de chacune ? De quels moyens disposons-nous ? La coopération intercommunale a permis la mise en commun de projets, de compétences et de moyens au service d’une vision partagée du territoire. Elle a ancré la coopération dans la décentralisation. Nous avons créé de nouveaux outils pour renforcer ce mouvement ces dernières années. Ce champ est à explorer, parce que les communes en sortiront fortifiées.

Ensuite, je souhaite offrir aux communes plus de visibilité sur leurs ressources de fonctionnement comme d’investissement ; nous y travaillons avec les associations d’élus. Cela me semble indispensable pour permettre à l’action publique locale de se développer et pour apporter des réponses durables aux besoins des Français.

Enfin, nous devons ensemble responsabiliser nos concitoyens. Le modèle de l’électeur consommateur qui vote et qui attend ensuite tout de l’élu sans plus rien lui apporter, ni encouragement ni soutien, n’est plus viable.

Nous devons trouver ensemble le moyen de mobiliser les Français pour qu’ils soutiennent leurs élus, qu’ils fassent corps avec eux et qu’ils les accompagnent dans l’exercice de leur charge.

Débat interactif

Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Madame la ministre, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi Maptam, et la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, ont rigidifié l’action locale.

La France communale a été particulièrement exposée à leurs effets : dilution de la voix des communes dans de grands ensembles ne correspondant pas toujours aux réalités territoriales, uniformisation des politiques, éloignement de la réalité des territoires, normes de plus en plus nombreuses et injonctions démultipliées.

Depuis lors, le Sénat n’a eu de cesse de corriger ces déséquilibres et de tirer le signal d’alarme. Ainsi, depuis 2022 et l’adoption de la loi 3DS, l’exercice d’une compétence peut être territorialisé.

Cette possibilité nouvelle permet d’articuler durablement l’action des communes et de leurs intercommunalités, en prenant en compte la réalité des bassins de vie à un niveau infracommunautaire. Cet apport est décisif pour revenir à un exercice souple et simple des compétences dans les territoires.

Or, dans les faits, communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) peinent à s’approprier ce mécanisme. Ils n’en ont pas connaissance et méconnaissent la marche à suivre pour créer un pôle de proximité ou un pôle de compétences. Enfin, les services de la préfecture tâtonnent pour conseiller les maires et les élus communautaires.

Aussi, quel bilan tirez-vous de ces mois d’expérience d’exercice territorialisé des compétences intercommunales ? Comment envisagez-vous de mieux faire connaître ce mécanisme pour que les élus s’en emparent ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Brisson, vous évoquez deux grands sujets.

Le premier est celui de la simplification des normes, que je ne peux qu’appeler de mes vœux. Christophe Béchu et le président Larcher ont signé une charte de simplification qui liste un certain nombre de sujets sur lesquels la direction générale des collectivités locales (DGCL) travaille. Mon ministère est évidemment à votre disposition pour accélérer ces travaux ou échanger sur leur état d’avancement.

Le second sujet a trait au bilan que nous tirons des liens entre les EPCI et les communes et aux moyens de favoriser l’appropriation des notions de pôles de proximité et de pôle de compétences par les collectivités.

Vous avez tout à fait raison : aujourd’hui, nous ne disposons pas de bilan. Ce bilan, je le dresse au fur et à mesure de mes visites de terrain – soixante-six ces neuf derniers mois – et je constate que des intercommunalités fonctionnent très bien, mais que c’est plus difficile pour d’autres, en particulier pour un grand nombre d’intercommunalités XXL, pour reprendre l’expression du sénateur Bas.

Je crois qu’il est important de rappeler le rôle central du préfet de département. Là où les intercommunalités ne fonctionnent pas aussi bien qu’elles le devraient – diverses raisons peuvent l’expliquer –, les préfets sont le point d’entrée – à défaut, je le suis également – pour faire en sorte que les communes et les intercommunalités se saisissent des possibilités offertes par la loi pour avancer et travailler ensemble. La mutualisation et le faire ensemble sont, vous le savez, des sujets qui me sont chers.

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.

M. Max Brisson. Madame la ministre, tous les EPCI XXL n’ont pas été imposés ; je pourrais vous citer un exemple.

En tout cas, dans ces structures, il est nécessaire de territorialiser l’action publique. Les maires ont besoin de cette proximité et d’avoir le sentiment de continuer d’exercer des compétences. Dans ces grands EPCI, les maires peuvent avoir le sentiment de ne plus compter, ce qui engendre découragement, résignation et absentéisme.

Pour lutter contre cela, il est nécessaire que le Gouvernement et les préfets soient à la manœuvre et essaient de faire partager ce besoin de territorialisation, qui est tout simplement un besoin de proximité. Sans cette proximité, il y aura découragement et crise des vocations et de la démocratie communale. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Un certain nombre de circulaires ont d’ores et déjà été diffusées aux préfets pour qu’ils jouent ce rôle et fassent connaître aux maires les possibilités qui leur sont offertes en fonction des transferts de compétences qui ont été réalisés.

Je vous propose de renforcer l’information des préfets sur le rôle qu’ils doivent jouer en la matière.

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson.

M. Max Brisson. J’invite Mme la ministre à se rendre au Pays basque. Elle y verra une intercommunalité XXL et des pôles de proximité. Elle constatera qu’il est nécessaire de renforcer ces derniers afin de permettre aux cent cinquante-huit maires de cette intercommunalité de continuer d’avoir à l’esprit qu’ils comptent pour la République. (M. Philippe Bas applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Madame la ministre, à titre liminaire, je souhaite rappeler le dévouement inlassable des élus locaux, qui sont au service de nos concitoyens et qui assurent le bon fonctionnement de nos territoires. Symbolisant l’écoute et la proximité, ils œuvrent dans l’intérêt général et agissent pour la République avec courage et désintéressement.

La dotation particulière relative aux conditions d’exercice des mandats locaux (DPEL) a été créée pour assurer aux petites communes rurales les moyens nécessaires à la mise en œuvre de la loi du 3 février 1992 relative aux conditions d’exercice des mandats locaux. Elle est destinée à compenser plus particulièrement les dépenses obligatoires entraînées par les autorisations d’absence et les frais de formation dont bénéficient les élus locaux, ainsi que la revalorisation des indemnités des maires et des adjoints.

La DPEL est attribuée aux communes remplissant deux conditions cumulatives : une population de moins de 1 000 habitants et un potentiel financier par habitant inférieur au potentiel financier par habitant moyen des communes de moins de 1 000 habitants, majoré de 25 %.

Or, dans de nombreuses petites communes rurales, la moindre variation du potentiel financier peut avoir de lourdes incidences et, entre autres, les priver de cette dotation.

Ce critère apparaît parfaitement inadapté aux petites communes. Il faut le rappeler : dans notre République, la démocratie a un coût. Il paraît donc primordial que toutes les petites communes, notamment celles de 500 habitants ou moins, puissent disposer de cette DPEL.

Aussi, madame la ministre, quelles mesures envisagez-vous de prendre afin qu’aucune commune de moins de 500 habitants ne soit exclue du champ des bénéficiaires de la DPEL ? Il s’agit de remédier à une véritable iniquité.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Menonville, je ne peux que souscrire à vos propos, lorsque vous évoquez le courage et le désintéressement des élus locaux, qui œuvrent tout simplement pour notre République. Nous devons leur adresser un grand merci et je pense que tous les sénateurs sont solidaires de vos propos.

Aux deux critères que vous avez très clairement rappelés, vous souhaitez en ajouter un afin de garantir cette dotation particulière « élu local » à toutes les communes de moins de 500 habitants, et ce quel que soit leur niveau de richesse.

À vrai dire, cette proposition avait été émise lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023. À l’époque, nous considérions – nous le considérons toujours, mais nous pourrons poursuivre ce débat – que garantir la DPEL aux communes de moins de 500 habitants, quel que soit leur potentiel financier, serait source d’iniquité.

En outre, pourquoi un seuil à 500 habitants et pas à 600 ou à 1 000, puisque l’un des deux critères actuels est cette limite de 1 000 habitants ?

Je veux rappeler quelques chiffres. Le prélèvement sur recettes prévu par la loi de finances initiale pour 2023 au titre de la DPEL s’élève à 108 millions d’euros, soit une augmentation de 7,5 millions par rapport à 2022. En outre, les montants des DPEL ont été mis en ligne dès le 31 mars, en même temps que ceux de la dotation globale de fonctionnement (DGF).

Nous pourrons rouvrir ce débat si vous le souhaitez, mais l’iniquité pourrait aussi venir d’un changement des règles. La définition d’un seuil implique nécessairement que certaines communes se sentent exclues.

Mme le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour la réplique.

M. Franck Menonville. Le véritable problème est celui de la forte variabilité du potentiel financier d’une petite commune dès lors que la démographie évolue.

Mme le président. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Madame la ministre, je voudrais tout d’abord souligner plusieurs points d’accord avec Philippe Bas, en particulier en ce qui concerne la recentralisation larvée – elle est même parfois assumée. Celle-ci nous apparaît comme un véritable contresens historique, une rupture avec quasiment soixante ans de décentralisation, certes lente, mais qui allait toujours dans la même direction.

Toutefois, la réponse à ce constat ne réside pas dans la nostalgie de ces « petites Républiques communales », qui ont été citées, dont le périmètre a été dessiné voilà plus de deux siècles, faut-il le rappeler, sur le critère de la marche à pied…

Aujourd’hui, le bloc communal doit assumer des fonctions plus nombreuses, des interactions bien plus fortes entre les territoires et sa part dans la responsabilité collective en matière environnementale et de cohésion sociale. Il doit inventer de nouvelles formes démocratiques et participatives. La démocratie municipale doit d’ailleurs puiser les moyens de la reconquête citoyenne dans ces expérimentations.

Ma question porte sur l’application des normes. Les normes : le mal, le cancer pour reprendre une expression précédemment utilisée.

Mais souvent, nous payons aussi le prix de l’absence de normes qui engendre des retards en France par rapport à d’autres pays occidentaux. Ainsi, nos normes ont été adoptées trop tardivement en matière d’accessibilité pour les personnes handicapées ou de disparition des zones humides – nous constatons aujourd’hui la fragilité de nos sols face à la sécheresse et cela vient aussi de l’absence de normes.

Madame la ministre, j’aimerais avoir votre avis sur l’application de ces normes. Je vous propose la mise en place de commissions départementales réunissant les élus locaux, l’État et les associations représentatives par domaine. Une norme ne peut pas tout prévoir et une telle commission pourrait décider par consensus d’appliquer ou non telle ou telle norme, lorsqu’une situation n’est pas prévue.

Quel est votre avis sur cette proposition précise ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Dantec, vous évoquez le rôle de la commune, cette « petite République » communale à laquelle nous sommes tous attachés.

Je rencontre nombre d’élus locaux et de maires qui tous se plaignent d’un excès de normes et de la complexité de celles-ci. Étonnamment, cela ne semble pas être votre cas.

En réalité, cette situation est étroitement liée à notre République et à la façon dont les lois se sont empilées. Aussi, peut-être devrait-on, un jour, pour un sujet donné, repartir d’une page blanche, mais je reconnais que cela serait extrêmement difficile.

Vous évoquez le manque de normes et le caractère trop tardif de l’adoption de certaines d’entre elles, en citant deux enjeux : l’enjeu démocratique et l’enjeu environnemental.

Pour ces deux enjeux, je vois non pas un retard – il peut en exister, bien sûr, ici ou là –, mais plutôt des axes d’amélioration. Aujourd’hui, l’enjeu démocratique et l’enjeu environnemental sont réellement pris en compte par nos élus locaux, en particulier nos maires – si tel n’était peut-être pas le cas voilà dix ans, cela l’est désormais.

La création d’une commission départementale – une de plus, ai-je envie de dire – destinée à veiller à l’application de ces normes et à en accélérer la mise en œuvre ajouterait de la complexité. (M. Ronan Dantec le conteste.) Si je ne vous ai pas bien compris, monsieur le sénateur, je vous invite à me le dire.

Mme le président. Madame la ministre, ce sera pour une autre occasion, parce que le temps de parole de M. Dantec est épuisé.

La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Madame la ministre, la loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République ouvrait la possibilité de créer des intercommunalités et répondait à une logique de mutualisation des moyens entre communes. Celles-ci étaient surtout libres de se regrouper. J’ai soutenu cette évolution et dès 1994, en tant que maire, j’ai engagé les travaux pour créer la première communauté de communes de Guyane.

Aujourd’hui, il n’est plus question de liberté. Depuis 2010, les communes doivent obligatoirement adhérer à un EPCI et, en 2015, la loi NOTRe a rationalisé la carte des EPCI par redécoupages et fusions sous le contrôle de l’État.

D’un mouvement volontaire où les communes bâtissaient ensemble un projet et choisissaient les compétences concédées à leur EPCI, nous sommes passés à une contrainte et au transfert obligatoire de certaines attributions.

Nombre de maires vivent difficilement ce qu’ils considèrent comme une dépossession de leurs prérogatives, d’autant plus qu’ils restent, aux yeux de leurs administrés, les premiers responsables du bon fonctionnement des services publics, qu’ils en aient ou non la compétence.

Or, au regard des compétences exercées, le rôle du maire et de son conseil municipal est presque devenu secondaire derrière celui du président de l’intercommunalité.

Aussi ne faudrait-il pas rééquilibrer les pouvoirs au sein des EPCI, en créant un conseil des maires dont le rôle serait de contrôler l’action de l’exécutif communautaire ?

Ne faudrait-il pas également modifier le mode d’élection du conseil communautaire qui fait la part trop belle à la ville principale, à telle enseigne que de nombreux maires considèrent les EPCI comme la succursale de celle-ci ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Patient, vous avez raison, le maire est, aux yeux de nos concitoyens, le premier responsable des services publics, que la commune en ait ou pas la compétence !

Je tiens à rappeler l’organisation des EPCI et les outils qui sont à leur disposition pour mieux associer les maires, même si cela ne fonctionne pas toujours ainsi – vous avez raison de le souligner.

Il existe tout d’abord une conférence des maires. Outil de gouvernance complémentaire au conseil communautaire, elle doit obligatoirement être créée dans tous les EPCI. Est-elle créée ou utilisée ? Les maires s’en saisissent-ils ? Le président de l’EPCI la fait-il fonctionner correctement ? Je suis d’accord avec vous, ces questions se posent, mais il est bon de rappeler que cet outil existe.

Il existe ensuite un pacte de gouvernance entre les communes et l’EPCI. Fruit d’un débat organisé en début de mandature et d’une délibération du conseil communautaire, il définit les relations entre l’EPCI et les communes qui en sont membres. Un certain nombre de choses peut être décidé grâce à ce pacte.

Enfin, la présence au conseil communautaire des maires des communes de moins de 1 000 habitants est garantie.

Au-delà de ces outils juridiques, je reste convaincue que des mesures complémentaires permettant d’associer pleinement les maires aux décisions des EPCI peuvent être mises en œuvre au niveau local.

Les outils sont donc là. Pour autant, cela fonctionne-t-il très bien ? Pas partout. Je le répète, beaucoup d’intercommunalités fonctionnent très bien, mais des axes d’amélioration existent.

Lorsqu’un maire a le sentiment d’être dessaisi de ses compétences et de ne pas exister au sein de l’EPCI, son interlocuteur privilégié est évidemment le préfet. Je suis également présente en dernier recours et je rencontre, chaque semaine, nombre d’élus locaux et de maires.

Mme le président. La parole est à M. Patrick Kanner.

M. Patrick Kanner. Madame la ministre, je souhaite vous parler des budgets des communes, parce qu’aucune politique ne peut être menée sans les moyens correspondants.

Or la situation se dégrade du fait des choix opérés par votre gouvernement. Ainsi, dans mon département, M. Lucien Serpillon, maire de Saint-Remy-du-Nord, commune de l’Avesnois comptant 1 100 habitants, et son équipe municipale ont renoncé à leurs indemnités des mois de mars à décembre pour assurer l’équilibre budgétaire à la fin de l’année.

Si la situation financière de nos communes va de mal en pis, c’est notamment en raison de la baisse constante des aides de l’État et de l’absence de correspondance entre les moyens de ce dernier et les demandes des collectivités locales.

Si je reprends l’exemple de Saint-Remy-du-Nord, la DGF y a été divisée par deux ! D’autres décisions que vous avez prises ont ébranlé un peu plus les équilibres précaires que les communes parvenaient à trouver de justesse. Je pense notamment à la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui est un nouveau coup porté à l’autonomie fiscale de nos communes.

Comment imaginer une autonomie financière pour les collectivités locales, un principe pourtant défini à l’article 72-2 de la Constitution, sans un minimum d’autonomie fiscale ?

Dans le même temps, l’inflation grignote les moyens des communes, notamment l’augmentation des coûts de l’énergie. À l’Assemblée nationale, vous n’avez pas voulu soutenir la proposition de loi de mon collègue député Philippe Brun visant à la nationalisation du groupe Électricité de France, dont l’adoption aurait pourtant permis de préserver les collectivités locales de cette inflation des coûts de l’énergie.

Madame la ministre, vous ne voulez ni rétablir la CVAE, ni augmenter la DGF, ni nationaliser EDF ; vous refusez toutes les solutions qui auraient le mérite de soulager les communes. Ma question est donc simple : comment lutter contre cette évolution mortifère qui consiste à passer d’une décentralisation providence à une décentralisation pénitence ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Kanner, vous évoquez trois sujets : la baisse de la DGF de la commune que vous citez en exemple, la suppression de la CVAE et la nationalisation d’EDF.

Pour ce qui relève du premier sujet, seulement 6 % des 35 000 communes en France ont vu leur DGF baisser en 2023. J’ai pour habitude de voir le verre à moitié plein plutôt que le verre à moitié vide : la DGF de 94 % des communes françaises est stable ou progresse en 2023. Et cela est possible grâce à l’augmentation de l’enveloppe totale de 320 millions d’euros que nous avons proposée – on peut toujours dire qu’il aurait fallu davantage, mais le fait est là.

La décision de ce maire de ne pas toucher ses indemnités pour équilibrer son budget l’honore. Nous devons probablement travailler afin que cela ne soit pas nécessaire en 2024.

Vous dites que nous ne voulons pas augmenter la DGF. Je rappelle que, pour la première fois depuis longtemps, elle a progressé en 2023 et que, dans le cadre de l’élaboration du prochain projet de loi de finances, Christophe Béchu et moi-même sommes à l’œuvre pour qu’elle augmente en 2024 – je peux vous dire que les réunions se multiplient à ce sujet.

Cette hausse ne sera certainement pas à la hauteur de l’inflation, parce que nous considérons que nous devons en compenser une partie, mais pas la totalité. En effet, que penseriez-vous d’un gouvernement qui rendrait cette inflation, qui est liée à la guerre aux portes de l’Europe dont le pays fait les frais, totalement indolore pour les collectivités ?

À propos de la suppression de la CVAE, tout le monde a compris dans cet hémicycle qu’elle poursuit un objectif majeur : la réindustrialisation et la compétitivité de la France. Oui, cette suppression a des effets de bord, puisque la CVAE était un levier fiscal pour l’intercommunalité.

Toutefois, elle a été compensée par une part de TVA. De ce fait, les intercommunalités, qui ont effectivement fait les frais de cette suppression, perçoivent une compensation d’un montant bien plus élevé que celui de leur ancienne CVAE.

Enfin, je ne dirai rien sur la nationalisation d’EDF, car le débat a eu lieu.

Mme le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. Madame la ministre, ces dix dernières années ont été marquées par une succession de réformes et de mesures qui ont des effets sur les communes au quotidien : loi NOTRe, loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite Engagement et proximité, ou encore loi 3DS, pour ne citer que ces trois exemples.

À cela s’ajoute une réduction des moyens financiers qui influe sur la gestion communale, les services rendus aux populations et l’autonomie des collectivités : réduction des dotations, réforme de la DGF, suppression de la taxe d’habitation et de la CVAE…

Finalement, en un peu plus de dix ans, des milliards ont été ponctionnés sur les budgets communaux. La hausse des prix et la crise de l’énergie aggravent tout cela, certaines communes n’étant même plus capables de voter un budget à l’équilibre.

Presque chaque année également, de nouvelles normes sont imposées, sans concertation ni discussion préalable avec celles et ceux qui sont chargés de les appliquer : je parle ici des maires.

Pourtant, grâce aux maires et aux élus locaux qui sont au plus près des populations, le couple commune-services publics est le cœur battant de la République.

Faut-il rappeler comment les maires et leur administration étaient en première ligne durant le covid afin de protéger leur population ?

Faut-il rappeler que, dans bien des territoires, la mairie est le seul service public qui reste, la seule porte encore ouverte pour accueillir, aider et conseiller nos concitoyens ?

Tantôt des héros, tantôt mis devant le fait accompli de décisions venues d’en haut, les maires et les élus locaux ont parfois le sentiment d’être, eux aussi, les variables d’ajustement des choix et des orientations du Gouvernement.

Ce manque de considération aggrave le mal-être des maires et ne permet pas à nos territoires de se développer.

Madame la ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour conforter l’action des maires et garantir l’autonomie et les libertés communales ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Gréaume, je ne partage pas votre propos selon lequel des milliards d’euros ont été ponctionnés sur les budgets communaux ces dernières années et je voudrais citer quelques chiffres.

Depuis 2017, la DGF a été stabilisée. Elle progresse en 2023 et nous travaillons à son augmentation pour 2024.

Ensuite, en matière d’investissement, la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) a doublé depuis dix ans. En 2022, la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) et la DETR représentaient 2,2 milliards d’euros. En 2023, 2 milliards d’euros supplémentaires ont été prévus, soit 4,2 milliards d’euros d’investissement dans nos communes.

M. Jean-Raymond Hugonet. Vous parlez d’investissement, mais le problème, c’est d’abord le fonctionnement !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. On peut considérer que cela n’est pas suffisant ou que nous pourrions faire différemment. Mais ce gouvernement œuvre en faveur de la transition écologique et a décidé de consacrer 2 milliards d’euros supplémentaires aux investissements cette année.

Vous avez tout à fait raison, le couple commune-services publics est le cœur battant de la République.

À ce sujet, j’ai le sentiment que l’accompagnement financier a été conforté – encore une fois, il est toujours possible de faire mieux et je suis toujours à l’écoute – grâce au fonds vert, aux 2 milliards d’euros supplémentaires d’investissement et à l’augmentation de la DGF pour la première fois depuis treize ans.

Le réseau préfectoral est renforcé par la réouverture de six sous-préfectures. Les maisons France Services sont aujourd’hui à moins de trente minutes pour tous nos concitoyens et très souvent à moins de vingt minutes.

La mise en place de l’ANCT progresse ; l’agence est le guichet unique de l’ingénierie. Jeudi prochain, la Première ministre annoncera le plan France Ruralités, qui permettra notamment, en lien avec les départements et les pôles d’équilibre territorial et rural (PETR), d’approfondir cet effort pour continuer d’aller au chevet de nos communes rurales. Ce plan permettra d’approfondir l’accompagnement de nos villages, en complément de ce que je qualifierais d’accompagnement financier renforcé.

Mme le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour la réplique.

Mme Michelle Gréaume. Madame la ministre, ce que les élus nous disent, c’est que la DGF, qui représente des milliards d’euros, est essentielle au fonctionnement des communes. Je veux bien entendre que des aides pour l’investissement existent, mais, aujourd’hui, les communes sont étranglées et il est urgent de faire quelque chose.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. Madame la ministre, il a été rappelé tout à l’heure que la commune est la petite République dans la grande. J’ai aussi tendance à dire que les maires sont à portée de connexion : en effet, comme nous le constatons très régulièrement dans le cadre de la mission d’information sur l’avenir de la commune et du maire en France, ils sont en prise avec le réel, le quotidien de nos concitoyens.

Mais, madame la ministre, vous avez également tenu des propos auxquels nous sommes tous sensibles au Sénat : vous avez déclaré que vous étiez la ministre du « faire ». Or pour faire, il faut dans nos communes des moyens d’ingénierie pour porter les initiatives locales.

Vous avez rappelé à l’instant que l’ANCT est capable d’apporter des solutions en la matière. En réalité, dans nos territoires, on constate surtout que l’ANCT est capable de lancer des appels à projets. Il s’agit donc plutôt d’un collier de perles d’appels à projets que tous les maires doivent porter autour du cou, alors qu’ils attendent plutôt du concret, de l’ingénierie de proximité, pour disposer d’un accompagnement, au coup par coup ou dans le cadre d’un projet territorial, qui leur permette de faire émerger leur projet.

Ma question est donc la suivante, madame la ministre : qu’attendez-vous pour agir et que le Gouvernement propose-t-il pour accompagner les maires, notamment dans les territoires ruraux, et pour leur offrir l’ingénierie dont ils ont besoin pour que leurs projets aboutissent, soient opérationnels, au service de leurs concitoyens ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Arnaud, je pensais que vous alliez m’interroger sur vos territoires de montagne, sujet dont nous n’avions pas débattu ensemble depuis longtemps. (Sourires.)

En matière d’ingénierie, je voudrais rappeler que l’ANCT est chargée, avec les commissariats de massif, de l’ensemble des indemnisations offertes aux acteurs des stations de montagne, notamment aux entreprises, affectés par la pandémie de covid-19. Ces agents – l’ANCT et les commissaires de massif – apportent de l’ingénierie sur le territoire ; ils gèrent les dispositifs du plan Avenir Montagnes, qui a permis le déploiement de 31 millions d’euros d’ingénierie. Cela a permis d’accompagner en ingénierie 62 territoires grâce au recrutement de chefs de projets. L’ingénierie dans les territoires de montagne est donc une réalité.

Au sein du plan France Ruralités, qui sera détaillé jeudi prochain, on trouvera encore et toujours de l’ingénierie pour nos territoires ruraux, ainsi que nos territoires de montagne. Nous allons travailler sur l’accessibilité, la mobilité et la lutte contre les logements vacants, mais aussi sur les transitions écologiques et la rémunération des aménités rurales, ainsi, bien entendu, que sur ce sujet qui nous tient tous à cœur qu’est la cohésion sociale et territoriale dans nos territoires de montagne comme dans nos campagnes.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.

M. Jean-Michel Arnaud. Madame la ministre, vous avez répondu légèrement à côté de ma question,…

M. Mathieu Darnaud. Et même complètement à côté de la plaque !

M. Jean-Michel Arnaud. … mais je veux d’abord répondre à votre réponse, en vous remerciant du travail que vous avez engagé sur la montagne. Vous avez ainsi confié au député Joël Giraud, ancien secrétaire d’État chargé de la ruralité, une mission sur la montagne ; j’en suis heureux.

Ma question portait néanmoins plutôt sur les moyens accordés, de manière générale, aux collectivités locales pour permettre l’aboutissement de leurs projets. J’ai voulu vous envoyer une nouvelle fois un signe fort, en vous disant ceci : essayez de limiter les appels à projets, faites plutôt en sorte de reconstituer des moyens dans les territoires, notamment des services d’État de proximité capables d’accompagner au quotidien les projets locaux, au-delà des sous-préfets qui ont pu essaimer ici ou là, dans certains départements, et de les faire aboutir.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Votre question ne portait certes pas intégralement sur le besoin d’ingénierie dans les territoires, mais j’avais compris que c’était l’une de ses composantes.

Une autre est celle que vous avez reprise à l’instant : vous voulez que cette ingénierie ne soit pas offerte sous la forme d’appels à projets. Je ne citerai en réponse que le fonds vert, au travers duquel de l’ingénierie est mise à disposition des maires sans appel à projets. Cette offre n’est aujourd’hui pas entièrement utilisée ; les maires peuvent y avoir recours avant de solliciter le fonds vert pour de l’investissement.

Vous pouvez donc constater ceci : certes, il y en a encore, mais Christophe Béchu et moi-même défendons véritablement la mise à disposition croissante de l’ingénierie sans passer par des appels à projets.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.

M. Jean-Michel Arnaud. Madame la ministre, je vous remercie pour votre réponse ; toutefois, sauf erreur de ma part – il se peut que j’aie mal révisé mes fiches –, il me semble que le fonds vert offre seulement des crédits complémentaires, adossés aux financements de la DSIL et de la DETR, avec simplement une « greenisation », si vous me permettez ce néologisme, des critères d’éligibilité.

De surcroît, le fonds vert est à la main des préfectures de région, ce qui n’est pas idéal en matière de proximité, si l’on veut accompagner avec une finesse presque chirurgicale les initiatives locales.

Cela étant dit, je loue votre travail et votre engagement : vous essayez d’offrir un accompagnement régulier en matière d’ingénierie plutôt que de tout soumettre à des appels à projets. Je vérifierai les résultats « sur champ », si vous me permettez l’expression, car j’espère que vos engagements seront suivis d’effet dans les territoires.

Mme le président. La parole est à Mme Guylène Pantel.

Mme Guylène Pantel. Madame la ministre, loin de moi l’idée d’opposer les villes et les campagnes, mais force est de constater qu’un urbain vaut environ deux fois plus qu’un rural pour ce qui est du versement de la dotation forfaitaire des communes.

On sait que cet écart résulte du coefficient logarithmique introduit dans le calcul de la DGF en 2005. La population prise en compte, dite « population DGF », est pondérée par un coefficient qui croît selon une progression logarithmique, de sorte que, en schématisant, un résident d’une commune de 200 000 habitants pèse environ deux fois plus que celui d’une commune de 500 habitants.

On me dira que les communes rurales reçoivent d’autres aides, mais les grandes villes disposent de bien d’autres leviers encore.

La raison de cet écart, on la trouve dans un rapport remis par le Gouvernement au Parlement en application de l’article 257 de la loi de finances pour 2019 : il s’agit de compenser les charges de centralité des communes les plus peuplées. Certes, on peut imaginer que le coût et l’importance des services publics sont en général plus élevés en milieu urbain, bien que la progression de l’intercommunalité ait libéré les grandes communes d’une partie de leurs charges de centralité. A contrario, la sous-densité a également un coût très important, du fait par exemple de l’entretien des réseaux de voirie ou du maintien d’équipements communaux essentiels.

Dans le même temps, les petites communes doivent mobiliser des moyens pour la survie des services publics de proximité, répondre aux nouveaux enjeux de mobilité, préserver les petits commerces et, de plus en plus, prévenir des risques naturels.

Lors de l’examen de la loi de finances pour 2021, le Sénat avait essayé de modifier ce coefficient logarithmique. Hélas, l’Assemblée nationale n’a pas conservé cette proposition qui, sans être parfaite, était perfectible.

Aussi, madame la ministre, quelles sont vos intentions pour réduire l’écart de pondération entre les communes les moins peuplées et les plus peuplées, et d’aboutir ainsi à plus d’équité ?

Cette question est fondamentale, car l’avenir des communes dépend des moyens octroyés aux maires, en particulier ruraux, qui doivent se battre au quotidien pour financer leurs projets essentiels à l’attractivité de leur village et à la qualité de vie de ses habitants.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Pantel, je ne pense pas qu’il faille aujourd’hui faire porter le débat sur le coefficient logarithmique qui figure dans le calcul de la DGF. Mme la directrice générale des collectivités locales, qui est à mon côté ici aujourd’hui, travaille, à ma demande, à une amélioration de la lisibilité de la DGF : ce n’est pas quelque chose qui peut se faire en six mois ou en un an ; c’est un travail qui va prendre du temps, mais qui est entamé.

Vous m’interrogez plutôt sur le déséquilibre inéquitable que vous percevez entre les territoires ruraux et les territoires plus urbains.

Depuis juillet 2022, je m’intéresse à la DGF ; avec la DGCL, j’essaie de comprendre ces déséquilibres, de voir où ils sont et de calculer comment engager un rééquilibrage. Il s’avère qu’il n’y a pas de déséquilibre, par rapport au nombre d’habitants, entre la DGF des communes rurales et celle des territoires urbains, ou plus denses. La différence se situe à l’échelle intercommunale : une intercommunalité rurale bénéficie d’une DGF qui, par habitant, est effectivement plus faible que celle d’agglomérations beaucoup plus denses.

Nous avons donc engagé une réflexion qui devrait aboutir, dès 2024, à améliorer ce à quoi je crois beaucoup, à savoir notre équité territoriale.

Mme le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Madame la ministre, dans la France communale que nous défendons, la relation entre le maire et le préfet est souvent mise en avant. Aujourd’hui, si nous voulons préserver l’avenir de nos communes, il convient aussi de conforter la relation entre le maire et son secrétariat.

En effet, suivant un constat à présent bien connu dans cette assemblée, le métier de secrétaire de mairie fait partie des professions les plus en tension. Les chiffres sont sans appel : deux mille, voilà le nombre de postes à pourvoir actuellement. De nombreux départs à la retraite sont également à prévoir, un quart des agents ayant plus de 58 ans.

Les causes de cette crise des vocations sont nombreuses : charge de travail, isolement professionnel, poids des normes, dématérialisation croissante, faible rémunération et absence de reconnaissance d’un statut particulier.

Pourtant, le secrétariat de mairie constitue un maillon essentiel de l’ingénierie communale, puisque la plupart des démarches administratives transitent par lui, que ce soit l’état civil, l’instruction des autorisations d’urbanisme, la gestion des équipements municipaux et des opérations funéraires, les ressources humaines, la gestion du budget communal, ou encore les demandes de nombreuses subventions dont la complexité est bien connue : DETR, DSIL, fonds vert, fonds Chaleur, appels à projets, etc.

Le secrétariat de mairie est le bras armé de la politique municipale, il assure la continuité de la relation du maire avec la population de sa commune.

Afin de renforcer nos communes face aux multiples défis qui les attendent, il est aujourd’hui nécessaire de rendre à ce métier sa pleine attractivité. C’est le sens des propositions qui sont faites par le Sénat, par la voix de plusieurs de mes collègues dont je souhaite saluer ici le travail.

Nous examinerons d’ailleurs ce mercredi la proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie, telle qu’amendée sur l’initiative des trois rapporteurs de la mission d’information constituée sur le sujet. Améliorer l’accompagnement des secrétaires de mairie, leurs perspectives de carrière, leur formation et la reconnaissance de leur travail, voilà ce qu’attendent nos maires, en particulier dans les communes rurales, qui ont besoin d’un vrai soutien administratif et d’ingénierie.

Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Guillaume Chevrollier. Aussi, madame la ministre, quelles dispositions complémentaires des propositions sénatoriales le Gouvernement compte-t-il prendre ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Chevrollier, vous avez une ambition qui nous tient tous à cœur, celle de rendre à ce métier de secrétaire de mairie sa pleine attractivité.

Vous me demandez ce que nous faisons : je ne vous renverrai pas à la proposition de loi d’initiative sénatoriale que vous examinerez demain, en présence de mon collègue Stanislas Guerini. Ce texte pose plusieurs principes : les secrétaires de mairie pourront, ou devront, appartenir à la catégorie B de la fonction publique ; un accélérateur de carrière leur sera offert ; enfin sera posée la question du nom de cette profession, qui nuit parfois à son attractivité. De ce que j’ai pu en voir, cette proposition de loi est de grande qualité ; elle sera en tout cas prise en considération par M. Guerini.

Je veux maintenant prendre un instant pour vous dire ce que nous faisons en la matière. Nous agissons pour que les fonctions de secrétaire de mairie soient exercées à un niveau d’emploi correspondant davantage aux responsabilités exercées, à savoir a minima celui de la catégorie B, alors qu’aujourd’hui ces fonctions peuvent être exercées par des personnes appartenant à divers cadres d’emplois, dont la catégorie C. Je veux vous dire que la revalorisation du métier de secrétaire de mairie figure parmi les mesures du plan France Ruralités que nous annoncerons jeudi prochain.

Enfin, je veux rappeler que votre proposition de loi, soutenue par le Gouvernement, prévoit d’ouvrir de nouvelles voies de promotion interne, vers la catégorie B, pour les fonctionnaires de catégorie C exerçant d’ores et déjà les fonctions de secrétaire de mairie.

Un autre sujet sur lequel nous travaillons d’ores et déjà nous semble également important : celui de l’opérationnalité. Sous quelle forme et à quelle échéance pourra-t-on recruter de nouvelles promotions de secrétaires de mairie ? Voilà un sujet auquel nous nous sommes déjà attelés, pour faire en sorte que la pénurie que beaucoup de maires subissent aujourd’hui soit compensée par de jeunes secrétaires de mairie qui poseront leur candidature grâce à l’attractivité que nous aurons su créer, de manière que, dès la fin de l’année, on puisse avoir de nouvelles secrétaires de mairie, nouvellement formées et disposant du nouveau statut auquel nous travaillons ensemble. Il faut qu’elles soient opérationnelles le plus tôt possible !

Mme le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Frédérique Espagnac. Madame la ministre, le débat sur l’avenir de la commune en France qui nous réunit aujourd’hui est de ceux que nous devons aborder avec à la fois passion et gravité.

Passion, car nous sommes les témoins de l’engagement des femmes et des hommes qui œuvrent dans chaque commune ; je pense en particulier aux 546 communes des Pyrénées-Atlantiques, dont j’ai à cœur d’accompagner les élus.

Gravité, car c’est un héritage de notre histoire qui est réellement en jeu aujourd’hui. C’est en 1789, le 14 décembre de cette année symbolique, qu’ont été créées les communes. Chacune des générations qui se sont succédé depuis lors a eu l’envie et l’ambition de faire, et bien faire, pour les habitants et le territoire.

Or aujourd’hui, pour la première fois, nous faisons face à tant de défis pour la commune et ses élus : défis posés par la complexification croissante de la mission de maire, comme ceux qui exercent leurs fonctions depuis plusieurs mandats m’en offrent un témoignage quotidien ; défis posés par un sentiment croissant d’impuissance des élus – la commune est la seule collectivité à avoir la compétence générale, mais le sentiment de limitation dans l’action est réel, à cause notamment du fonctionnement et de la taille des intercommunalités – ; défi, enfin, de la crise civique, qui provoque une remise en cause de l’autorité, y compris au niveau communal.

Tout cela peut engendrer une crise des vocations, notamment aux prochaines élections municipales, tant pour les élus que pour les employés communaux. Or il n’est pas de commune vivante sans élus ni employés, comme cela a été rappelé par ma collègue. Or, sans commune vivante, il n’y a pas de proximité ni d’efficacité pour le citoyen.

Face à ces défis, je préconise, à l’instar de plusieurs des orateurs précédents, de rétablir les moyens octroyés aux communes, afin qu’elles puissent agir. Il faut en finir avec l’enfer technocratique et faire simple ; madame la ministre, je sais que vous vous y employez actuellement.

Il faut aussi faire en sorte que les services de l’État aillent toujours plus vers les élus, pour mieux les accompagner et trouver des solutions, et non pas les freiner.

Il faut également améliorer le statut de l’élu local et encore plus celui des secrétaires de mairie, ces petites mains de la République, si précieuses, dont je rappelle que 70 % partiront à la retraite d’ici à 2027.

Il faut surtout mettre en œuvre, enfin, la subsidiarité : ne doit être délégué que ce qui peut mieux être réalisé à un autre échelon.

Mme le président. Votre temps de parole est écoulé, ma chère collègue !

Mme Frédérique Espagnac. C’est pourquoi je souhaite savoir quelles mesures vous entendez mettre en œuvre pour redonner des moyens d’action…

Mme le président. Veuillez conclure, madame Espagnac !

Mme Frédérique Espagnac. … et quelles mesures vous comptez prendre pour que les élus locaux, hussards de la République, soient mieux accompagnés et mieux protégés.

Mme le président. Si chacun dépasse son temps de parole, il ne faudra pas s’étonner que la séance se prolonge jusqu’à vingt et une heures, mes chers collègues !

Mme Frédérique Espagnac. C’est là que nous perdons du temps !

Mme le président. Non, madame Espagnac ; surtout, c’est moi qui préside la séance !

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Espagnac, vous rappelez le rôle et l’histoire de nos communes, auxquelles nous sommes tous attachés. Vous m’interrogez sur plusieurs axes ; à vrai dire, je ne peux que souscrire à ce que vous appelez de vos vœux : d’abord, des moyens, en fonctionnement comme en investissement. Comme je l’ai déjà longuement exposé, il me semble qu’il n’y a jamais eu autant d’argent disponible pour les investissements, avec 4 milliards d’euros injectés. La DGF, elle, n’a augmenté que de 320 millions d’euros, mais nous sommes très fiers qu’elle ait augmenté pour la première fois depuis treize ans.

Ensuite, vous formulez le souhait que l’on fasse plus simple. C’est une évidence, comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire ; nous allons donc travailler avec l’AMF sur les conditions d’exercice des mandats locaux, notamment de maire, afin de déterminer comment on peut segmenter les choses pour s’attaquer à cette simplification, que le Sénat appelle de ses vœux – rappelons de nouveau qu’une charte a été signée sur ce sujet par Christophe Béchu et le président Larcher.

En conclusion, je veux dire que cette reconnaissance est absolument nécessaire : nous devons tous travailler pour que cette confiance, dont les maires ont tant besoin, soit une évidence. Il faut donc bien des moyens, en fonctionnement comme en investissement, de l’ingénierie, de la simplification et de la reconnaissance : le Gouvernement et moi-même nous y employons.

Mme le président. La parole est à M. Jean-François Longeot.

M. Jean-François Longeot. Madame la ministre, je souhaiterais vous interroger sur votre vision de l’avenir des communes dans notre pays. Celles-ci constituent le socle de notre organisation territoriale et jouent un rôle essentiel dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Elles sont profondément ancrées dans l’imaginaire français, avec l’idée bien établie de « l’église au milieu du village ».

On assiste pourtant, depuis les années 2000, à une tentative de ringardisation de la commune. Le triptyque commune-département-État était autrefois parfaitement établi ; on a tenté de faire croire à la désuétude de ce modèle, lui préférant sa version contemporaine : intercommunalités-régions-Europe.

Pour avoir eu l’honneur d’être maire durant près de vingt ans, je crois pouvoir dire que la commune reste indéniablement un point de repère essentiel pour nos compatriotes.

Au-delà de l’attachement souvent fusionnel que l’on éprouve pour sa commune, cette dernière est également, notamment en milieu rural, le point d’entrée de toutes les doléances et incompréhensions de nos concitoyens. La structure communale est de loin la plus agile, comme nous avons pu le constater durant l’épidémie de covid-19.

Malgré cette reconnaissance du rôle essentiel de la commune, il nous faut cependant être lucides : celle-ci fait aujourd’hui face à des défis majeurs.

Tout d’abord, la décentralisation et la répartition des compétences entre l’État et les collectivités locales restent des enjeux importants. Comment peut-on affirmer vouloir renforcer la décentralisation tout en supprimant les principaux leviers d’autonomie fiscale des collectivités ? La souveraineté fiscale de celles-ci n’a cessé d’être attaquée ces dernières années.

L’État a procédé, à partir de 2015, à une réforme des intercommunalités conduisant au regroupement de ces dernières, qui ne sont plus que 1 254 sur le territoire national. Si, comme je le pressens, la volonté de l’État est bien de substituer les intercommunalités aux communes, n’a-t-on pas trop agrandi la taille de ces intercommunalités, éloignant ainsi le citoyen de la décision publique ?

Madame la ministre, l’objectif de rationalisation qu’a fixé l’État pour l’échelle locale est-il suffisamment clair ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le président Longeot, vous souhaitez que l’on trouve le juste équilibre entre la mutualisation, nécessaire pour avoir plus de moyens, et la persistance de leviers importants à l’échelon communal, que nous appelons tous de nos vœux, car il s’agit, comme cela a été rappelé, de l’échelon le mieux identifié par nos concitoyens.

L’émiettement communal est toutefois encore important : plus de 18 000 communes comptent moins de 500 habitants, parmi lesquelles près de 9 000 en ont moins de 200. L’intercommunalité constitue une bonne option, mais les communautés de communes doivent pleinement associer les maires à leur fonctionnement. J’ai rappelé tout à l’heure les quatre axes dont ceux-ci peuvent se saisir pour essayer d’agir au sein de l’intercommunalité.

Le Gouvernement mise sur la stabilité. Je souhaite vous rassurer : il n’y aura ni transferts massifs de compétences ni modification des répartitions de compétences entre EPCI et communes. En tout cas, de tels changements devront partir du terrain, telle est notre marque de fabrique.

Les communes nouvelles et les communes-communautés constituent de bons outils pour lutter contre l’émiettement communal, du moins quand l’initiative vient des maires et des communes. Il y a aujourd’hui 35 000 communes, et nous n’agirons pas pour accélérer leur regroupement ou pour « rationaliser », comme vous l’avez suggéré.

Aujourd’hui, certaines intercommunalités fonctionnent très bien ; d’autres, moins bien. Nous travaillons avec les préfets pour déterminer comment faire en sorte que les maires soient beaucoup plus impliqués qu’aujourd’hui dans les projets d’intercommunalité.

Pour ce qui est des communes nouvelles, je travaille sur ce sujet, avec la sénatrice Gatel et la DGCL, pour accompagner les projets émanant des territoires concernés. Un texte issu du Sénat sera présenté, me semble-t-il. Nous le regarderons avec attention, pour faire en sorte que ces communes nouvelles, qu’on suit très significativement pendant les trois premières années de leur existence, puissent aussi être accompagnées dans la durée quand les maires le demandent.

Mme le président. La parole est à Mme Elsa Schalck.

Mme Elsa Schalck. Madame la ministre, notre pays est riche de ses 35 000 communes auxquelles, nous le savons, les Français sont particulièrement attachés de par leur histoire, mais aussi en raison de la proximité qu’elles incarnent.

Je salue ce débat sur les enjeux de la France communale et l’avenir de la commune, car je suis profondément convaincue que la seule source d’efficacité des politiques publiques se trouve justement dans cette proximité si précieuse.

En première ligne au quotidien, les maires permettent à nos communes de vivre et de se développer. Les témoignages de ces élus locaux quant à l’évolution de l’exercice de leur mandat doivent être entendus : complexification des procédures, multiplication des interlocuteurs, lenteurs des réponses administratives, ou encore impossibilité d’anticiper le montant des aides publiques, sans oublier la perte d’autonomie fiscale ou l’oubli du principe de libre administration des collectivités locales, qui est malheureusement devenu une coquille vide.

Cette complexification et cette recentralisation asphyxient l’exercice du mandat local. Pire, elles démotivent ! Désormais, un sentiment prédomine souvent, celui de la solitude et de l’impuissance des maires et des élus locaux !

Madame la ministre, comment se fait-il que, dans notre pays, la volonté de simplification se transforme en complexification, et que la multiplication des agences d’État censée aider les communes se transforme in fine en un patchwork totalement incompréhensible ? Comment se fait-il que, là où la dématérialisation pourrait conduire à gagner du temps, elle se transforme en un éloignement progressif de l’humain, qui doit pourtant rester au cœur de toute action ?

Les exemples sont nombreux : la réorganisation des finances publiques, avec un éloignement des services, mais également l’accès aux différentes dotations de l’État, avec des appels à projets qui foisonnent et une complexification, flagrante notamment dans le fonds vert !

Madame la ministre, quand allez-vous entendre la voix des maires qui réclament davantage de simplification et de lisibilité ?

Comptez-vous regrouper les différentes dotations – DETR, DSIL, fonds vert – plutôt que de poursuivre une politique en silo, qui génère de l’incompréhension chez les élus locaux, voire une perte de confiance des collectivités envers l’État ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Schalck, à vrai dire, j’ai déjà répondu à la totalité des points que vous soulevez ; c’est l’inconvénient d’intervenir après mes réponses à nombre d’orateurs.

J’ai l’impression que vous considérez que notre gouvernement n’est pas à l’écoute des communes : je ne partage évidemment pas ce point de vue. J’ai expliqué en détail à quel point la DGF avait augmenté, j’ai rappelé les 2 milliards d’euros supplémentaires que nous offrons cette année pour l’investissement, j’ai exposé combien les maires s’emparaient du fonds vert. Oui, celui-ci peut être amélioré et simplifié, même si l’on y trouve déjà de l’ingénierie et de l’investissement. Oui, sa première page, avec ses quatorze critères,…

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. … est extrêmement simple, même si les documents à fournir ensuite sont un peu plus compliqués : nous travaillons à leur simplification.

Quoi qu’il en soit, je crois que nous tous ici devons, en vertu de tous les propos qui ont été tenus, nous tenir aux côtés des maires et leur redonner espoir.

M. Mathieu Darnaud. Alors ça…

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. En tout cas, nous avons des préfets et des sous-préfets qui agissent vraiment, qui sont au service des élus locaux, et vous avez un gouvernement qui soutient totalement ces élus.

Je ne peux donc que vous encourager à demander aux maires de votre département, s’ils sont en difficulté, de s’adresser soit aux services déconcentrés de l’État, soit à mon ministère, afin que nous puissions faire en sorte que le verre soit perçu comme à moitié plein et non à moitié vide.

Des axes de progrès, il y en a forcément, et nous y travaillerons ensemble !

M. Mathieu Darnaud. Il vaut mieux entendre ça que d’être sourd !

Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. Éric Kerrouche. Madame la ministre, répondre à la crise démocratique, c’est aussi répondre à la crise de représentation. En ce sens, le statut de l’élu est une exigence démocratique : tout citoyen doit pouvoir être candidat à une élection politique, quelles que soient ses origines sociales et son activité professionnelle. Les assemblées élues ne peuvent être le miroir parfait de la société ; néanmoins, il convient de corriger les déséquilibres les plus flagrants.

Dans cet esprit, dès 1976, le rapport Guichard indiquait que la démocratie aurait peu à gagner en ne rémunérant pas, ou en rémunérant mal, les fonctions électives.

Par la suite, dans la lignée du rapport Debarge de 1982, la mise en place d’un vrai statut de l’élu, qui deviendrait salarié de la collectivité, a constitué en 2000 l’un des axes majeurs du rapport Mauroy en matière de démocratie locale. L’ancien Premier ministre y écrivait que de ce statut dépendaient « la richesse et la vitalité de notre démocratie ».

La multiplication des ajouts visant à revaloriser le régime indemnitaire des élus depuis quarante ans a parfois laissé penser qu’ils étaient dans une situation plus favorable que leurs concitoyens, notamment financièrement. La difficulté à assumer et à afficher le coût de la démocratie entretient des zones de flou et d’incompréhension. Il faut donc mettre en place de nouvelles règles qui empêchent les titulaires de ces mandats de rester au pouvoir de manière indéfinie, mais il faut aussi, en même temps, créer un véritable statut de l’élu local pour revivifier notre démocratie.

Madame la ministre, ma question est donc très simple : le Gouvernement est-il prêt à examiner les modalités de mise en place d’un véritable statut unifié de l’élu, condition de la démocratisation des fonctions électives en France ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Kerrouche, ma réponse sera courte : oui !

En effet, comme je l’ai dit tout à l’heure, nous avons entamé, avec l’AMF, des travaux sur les conditions d’exercice des mandats d’élu local, notamment celui de maire. J’ai lu, sinon la totalité de vos écrits, du moins une partie d’entre eux, et je sais à quel point c’est un sujet qui vous tient à cœur et sur lequel vous avez de vraies compétences, que je salue. Nous vous contacterons donc, probablement au début du mois de juillet, pour vous dire où nous en sommes sur ce sujet qui nous est aussi cher qu’à vous : le statut de l’élu local.

Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour la réplique.

M. Éric Kerrouche. Madame la ministre, je vous remercie d’abord d’avoir de saines lectures ! (Sourires.)

Ensuite, je veux vous dire que des mesures sont nécessaires, cette fois-ci en grand. Nous avons traité de certains aspects du statut de l’élu, mais ils sont éparpillés au sein du code général des collectivités territoriales. Il conviendrait peut-être, comme on a pu le faire dans d’autres domaines, de les rassembler sous un seul titre, pour faire comprendre une nouvelle fois que le statut de l’élu n’est pas accessoire : c’est une condition de la démocratie locale. Ainsi, on offrirait une reconnaissance à tous les élus de notre pays.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Jean-Baptiste Blanc. Madame la ministre, s’agissant de l’évolution des finances locales, le rapport public annuel publié par la Cour des comptes en 2023 est sans appel. Celui-ci souligne notamment que les dépenses des communes n’ont cessé de croître, en dépit de la place prépondérante prise par les EPCI. Ainsi, 54 % du total des dépenses de fonctionnement relevait du bloc communal en 2021. Dans le même sens, le bloc communal assume 61 % du total des dépenses d’investissement.

Parallèlement, les réformes fiscales menées à l’échelon local ces dernières années ont, dans leur ensemble, distendu le lien entre les collectivités et leurs habitants ainsi que leurs entreprises. La suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, par exemple, a des effets néfastes tant pour les communes que pour les propriétaires, avec l’augmentation inévitable de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Ces réformes, dont la complexité nuit aux élus, s’accompagnent, du reste, de nombreuses insuffisances quant à l’autonomie des communes.

En témoigne le combat fermement mené par mon collègue Mathieu Darnaud pour le maintien de la gestion de l’eau par les communes, gestion qu’elles n’ont pas toujours réellement cédée aux intercommunalités alors que la loi NOTRe les y obligeait.

En témoigne également l’objectif de « zéro artificialisation nette », puisque les ressources communales ne sont pas adaptées à la réalisation d’un tel objectif. Comme l’a souligné le Conseil des prélèvements obligatoires dans un rapport remis à notre commission des finances, la mise en œuvre du ZAN va avoir un effet direct sur les rentes et la fiscalité foncières et nécessite par conséquent un changement de paradigme pour la fiscalité locale. Or, près de deux ans après la loi Climat et résilience, le Gouvernement n’a toujours pas proposé de modèle de financement pour les contraintes liées au ZAN qui sont imposées aux collectivités locales.

La France communale, c’est la France des communes qui auront très prochainement droit – du moins nous l’espérons tous – à un hectare hors ZAN ; c’est aussi la France des communes qui auront droit à un financement et à une fiscalité du ZAN.

Alors, madame la ministre, quels moyens entendez-vous mettre en œuvre pour permettre cette nécessaire refondation de la fiscalité locale sous le prisme du ZAN ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Jean-Baptiste Blanc, votre question en comporte en réalité trois, lesquelles forment néanmoins un ensemble cohérent.

La première porte sur le fait que le lien entre les maires et leurs habitants se serait distendu, sous l’effet de la suppression de la taxe d’habitation à l’échelon communal et de la CVAE à l’échelon intercommunal. Comme je l’ai expliqué précédemment, j’ai personnellement souscrit à cette politique publique portée par le Gouvernement, auquel je n’appartenais pas à l’époque de sa mise en place. Oui, elle a des effets : l’amélioration du pouvoir d’achat et la lutte contre les iniquités de la taxe d’habitation – son montant pouvait être faible, voire très faible, selon les lieux de résidence.

Cependant, même si la décision était bonne, elle a aussi eu pour effet de distendre le lien entre le maire et ses habitants ; je partage avec vous ce constat. Pour autant, après avoir bien compris les raisons de la suppression de la taxe d’habitation, je vois mieux ses effets, qui sont très positifs, à l’instar de ceux qui résultent la suppression de la CVAE.

Votre deuxième question porte sur le maintien des compétences gestion de l’eau et assainissement à l’échelon communal. Vous avez suivi les débats sur le texte examiné la semaine dernière à l’Assemblée nationale – j’ai moi-même siégé au banc du Gouvernement à l’Assemblée nationale et au Sénat – dans le cadre de la « niche » du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot).

Nous devons peut-être le retravailler ensemble. D’ailleurs, nous étions prêts à déposer certains amendements. Aussi nous pourrions regarder, en lien avec vos amis à l’Assemblée nationale et en fonction de nos amendements, comment avancer sur cette question sans, bien sûr, toucher au transfert, à la mutualisation des compétences à l’échelon intercommunal. Nous y sommes extrêmement attachés, mais nous pouvons, je pense, trouver un chemin commun. (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.)

Votre troisième question porte sur le nouveau modèle de financement, au centre duquel vous placez la fiscalité foncière, liée à l’objectif de « zéro artificialisation nette » à l’horizon 2050. Sur ce sujet, le 21 juin prochain, le ministre Christophe Béchu sera au banc du Gouvernement à l’Assemblée nationale. Aussi, je nous invite à attendre la discussion de cette proposition de loi par les députés afin de voir de quelle façon le texte, qui a été voté quasiment à l’unanimité au Sénat, évoluera et sera amendé. Le Gouvernement est prêt à faire de très gros efforts, vous le savez.

Mme le président. Merci de conclure, madame la ministre.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir posé cette question ; je suis à votre disposition.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour la réplique.

M. Jean-Baptiste Blanc. Nous escomptons tous un atterrissage sur le ZAN, surtout sur les questions du financement et de la fiscalité, et ce dès le prochain projet de loi de finances.

L’attente des élus est très forte sur ce sujet-là.

Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud.

M. Olivier Paccaud. Madame la ministre, si l’on recense dans notre pays 34 955 communes, la moitié d’entre elles comptent moins de 500 âmes. Ces petites communes, innombrables poussières de France, rejetées dans le sillon de la comète métropolitaine, reléguées dans le « désert français », recèlent une part de notre essence nationale.

Or depuis plusieurs décennies, notre pays voudrait les considérer comme un legs archaïque, un surplus de crème à gommer de notre fameux millefeuille administratif, un luxe, désormais trop coûteux. Argument fallacieux ! De l’aveu de vos services, huit petites communes sur dix avaient, en 2021, une situation financière saine. Qu’à cela ne tienne, les gouvernements successifs ont souhaité délester la France de son trop-plein de communes, comme on élaguerait les branchages superflus d’un vieux chêne.

On les a donc incitées à fusionner ! Or toutes les communes ne sont pas faites pour se fondre les unes dans les autres, du fait de l’éloignement géographique, des disparités sociales et économiques, de la fierté identitaire. Du reste, en dépit des incitations financières, rares furent les fusions.

La solution de remplacement qui est souvent avancée reste le renforcement des intercommunalités. Or un pays ne s’administre bien que de près, et la commune, même dépeuplée ou enclavée, demeure l’échelon incontournable et le chemin le plus court vers la démocratie. Elle en est la fibre élémentaire, l’alvéole où la République prend son souffle. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si la participation électorale est toujours plus forte dans les petites communes.

Leurs courageux élus sont bien souvent contraints de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Naviguant entre des normes toujours plus touffues et chronophages et s’accommodant de moyens réduits, ils s’efforcent de maintenir un lien humain à l’heure de la désincarnation. C’est un véritable sacerdoce municipal, presque bénévole, souvent ingrat.

Madame la ministre, que veut le Gouvernement ? Veut-il une France à 10 000 communes ? Veut-il laisser dépérir ses plus petits villages pour qu’ils fusionnent, de guerre lasse ? Souhaite-t-il, au contraire, les aider, afin que la démocratie et le service public continuent de s’écouler jusqu’aux derniers rameaux de France ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Paccaud, ces petites communes de moins de 500 habitants sont des lieux de vie, de liens sociaux, de solidarité, et de don de soi.

Eh bien, pour répondre clairement à votre question : oui, le Gouvernement veut les aider !

M. François Bonhomme. On est rassurés…

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Je vais vous donner quelques éléments sur les mesures d’accompagnement spécifiques que nous mettons en œuvre pour les petites communes.

Tout d’abord, je pense à la double revalorisation du montant du plafond des indemnités des élus des petites communes, depuis la loi de 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.

Ensuite, nous travaillons à rendre les prestations d’ingénierie plus facilement mobilisable par les petites communes.

Enfin, le Gouvernement, par la voix de la Première ministre, fera des annonces jeudi prochain, que je ne veux pas dévoiler.

L’émiettement communal français est une réalité. Aussi, le Gouvernement souhaite relancer, sur la base du volontariat et lorsque cela est possible, le mouvement de rapprochement entre les communes, pour constituer des communes nouvelles. Personne ne m’a donné de consignes quand je suis arrivée ; j’ai simplement rencontré Mme Françoise Gatel… (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. C’est déjà énorme ! (Sourires.)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. … et nous avons travaillé ensemble. Nous en sommes d’ailleurs à notre quatrième réunion de travail sur la façon d’accompagner encore plus les communes nouvelles, selon le bon vouloir des communes – cela fait deux fois que j’insiste sur ce point.

Il n’y a aucune volonté gouvernementale de réduire le nombre des communes autrement que par l’accompagnement de celles d’entre elles qui souhaitent constituer une commune nouvelle.

Mme le président. La parole est à M. Bruno Rojouan. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Rojouan. Étant le seizième intervenant, je sais que beaucoup a déjà été dit par mes collègues, évidemment.

Je souhaite, moi aussi, attirer votre attention sur les enjeux liés aux communes rurales.

Nous assistons à un regain d’intérêt de nos concitoyens pour ces territoires. Certains font le choix de s’y installer pour profiter d’une meilleure qualité de vie.

La petite commune n’est pas un modèle dépassé. Elle a encore de l’avenir dans notre République, en permettant, tout d’abord, son développement et en facilitant l’aménagement local. Les maires attendent plus d’aide pour conduire leurs projets et moins de complexités, engendrées par tous les schémas exigés, dont ils espéreraient même la suppression ! Le ZAN, par exemple, est une source d’inquiétude supplémentaire.

Ensuite, en ce qui concerne le maintien des services publics, on constate que les bureaux de poste, les écoles et divers guichets continuent de fermer. L’implantation des maisons France Services ne suffira pas pour résoudre tous les problèmes, d’autant plus qu’elles représentent un reste à charge financier important pour les collectivités.

Enfin, le Sénat le rappelle souvent : il faut redonner de l’autonomie financière aux communes. À la suite de la suppression du levier fiscal, que vous avez décidée, peu de collectivités arrivent à dégager suffisamment de budget pour investir.

Cette forme de tutelle déguisée est très dure à vivre pour les élus locaux, qui perdent leurs pouvoirs au bénéfice d’un grand mouvement de recentralisation qui ne dit pas son nom.

Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer l’état de vos réflexions sur ces sujets primordiaux pour les communes de France ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Antoine Levi applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Rojouan, la petite commune n’est pas du tout un modèle dépassé. Sans répéter ce que j’ai dit à M. le sénateur Paccaud précédemment ni revenir sur tout ce que le Gouvernement fait aujourd’hui, je rappellerai que France Ruralités sera là pour accompagner non seulement en ingénierie, mais également dans la mise en place de politiques publiques relatives à la lutte contre les logements vacants, à l’habitat, aux mobilités. Ainsi, pour un certain nombre de politiques publiques, nous allons essayer d’accompagner les habitants et les communes.

Nous allons également essayer de rendre ces communes attractives, au travers d’un nouveau projet de loi portant sur les zones de revitalisation rurale (ZRR), que nous présenterons au mois d’octobre prochain. Il s’agira de classer, selon différents critères, les communes – quelque 14 000 ou 15 000, en suivant à peu près le même ordre de grandeur qu’aujourd’hui – pour les rendre encore et toujours plus attractives pour des médecins, pour des commerces, pour des artisans.

Le ZAN, vous avez raison, est une source de complexités pour les petites communes. C’est par l’ingénierie apportée par France Ruralités que l’on pourra accompagner les maires dans leurs projets de territoire à l’échelon communal – une, deux ou trois communes – ou à l’échelle d’un bassin de vie. Il n’y aura aucune obligation à porter un tel projet de territoire à l’échelle intercommunale.

Je pense que France Ruralités permettra de favoriser, par le biais de l’ingénierie et des financements de politiques publiques, le mieux-vivre dans nos communes rurales, auxquelles nous sommes, tout autant que vous, attachés.

Mme le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, pour la réplique.

M. Bruno Rojouan. Madame la ministre, au-delà de toutes les modalités techniques que vous décrivez, je suis persuadé qu’aujourd’hui la République, avec ses valeurs et ses repères, est particulièrement représentée par les communes de France.

Les maires, aujourd’hui, tiennent la République française. (Bravo ! et applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

Conclusion du débat

Mme le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains. Madame la ministre, au fond, ce débat sur l’avenir de la commune aurait pu s’intituler « L’avenir de la démocratie locale ».

Nous en avons posé les termes avec solennité et inquiétude, car chaque jour apporte son lot de mauvaises nouvelles, qu’il s’agisse du nombre grandissant de démissions de maires, d’adjoints et d’élus locaux, ou qu’il s’agisse des alertes des élus, venus des quatre coins de France, sur le fait qu’il est toujours plus complexe de faire naître un projet et de le financer. Ces mêmes élus nous disent qu’ils ne se représenteront tout simplement plus en 2026 ! Voilà l’état de la démocratie locale dans notre pays ! Vouloir nier cette réalité, c’est courir le plus grand des dangers.

Face à cela, nous ne restons pas les bras croisés. Nous avons ici, au Sénat, toujours voulu œuvrer. C’est le sens de la mission d’information sur l’avenir de la commune et du maire en France, à l’issue de laquelle nous remettrons dans quelques jours des propositions très concrètes. Mais l’ensemble de mes collègues ont d’ores et déjà avancé des propositions. Parfois, nous ne comprenons pas pourquoi l’État ne s’en saisit pas.

Pourquoi l’État n’arriverait-il pas à faire ce que les collectivités territoriales font ?

Pourquoi n’arriverions-nous pas à introduire plus de simplicité ?

Mme Françoise Gatel. C’est juste !

M. Mathieu Darnaud. Cette question a été abordée au sujet des politiques élaborées en silo, de la fin de la politique d’appels à projets, dans laquelle se perdent les élus et qui autorise toujours moins d’agilité.

Madame la ministre, chaque jour je me pose cette question : pourquoi le travail du législateur, pourquoi ce que nous votons ici, parfois à la demande même des ministres qui vous ont précédée, n’est jamais mis en application ?

M. Laurent Burgoa. Très bien !

M. Mathieu Darnaud. Vous-même avez cité le dispositif de la commune-communauté : il n’y en a pas une ! Vous avez également cité le pouvoir réglementaire : lorsque j’étais rapporteur du projet de loi 3DS, nous avions fait, je m’en souviens, nombre de propositions, notamment en matière d’urbanisme, pour ériger ce principe, qui permettrait justement de donner plus de liberté et plus d’agilité aux maires.

Jamais le Gouvernement n’a souhaité donner suite à nos propositions. Non, jamais ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Eh bien, je le dis, c’est une forme de désespérance !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Ce n’est pas vrai !

M. Mathieu Darnaud. C’est la réalité, madame ! Vous le savez, vous n’étiez pas ministre à l’époque.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. À l’époque, non…

M. Mathieu Darnaud. Nous l’avons constaté. Je ne dresse pas un constat d’échec ; nous sommes parties prenantes pour avancer, mais sur des bases qui sont réelles et non sur des promesses, telles que France Ruralités, la révision du statut de l’élu, etc. Depuis 2018, le Sénat a fait des propositions très claires en la matière qu’il suffirait de reprendre sur l’ensemble des sujets qui sont au cœur des préoccupations des élus locaux. Madame la ministre, voilà des choses toutes simples.

Les maires attendent un peu plus de simplicité. Je vous le dis et nous vous en conjurons. Je crois que l’heure est venue de se pencher sur ce problème.

Comment expliquer à un maire les modalités d’instruction et de notification, par le préfet de département – c’est ce que nous avons permis –, avec l’autorisation du préfet de région, d’un dossier de DETR ou de DSIL ? Et maintenant le fonds vert… Comment ne pas perdre les élus en chemin ? Ils le disent à l’envi, et leur cri vient du cœur : « Simplifiez-nous la tâche ! » (M. Mathieu Darnaud martèle le pupitre.)

Ils sont confrontés à un État qui refuse de voir l’évidence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

Madame la ministre, je le dis clairement : oui, nous serons à vos côtés, si vous voulez avancer de façon pragmatique. Nous restons ouverts, avec Françoise Gatel, sur la question des communes nouvelles.

Mais, à un moment donné il faut savoir redonner de la confiance et de la liberté, termes que vous avez rappelés à l’envi…

Précisément, nous avons regardé le débat à l’Assemblée nationale sur l’eau et l’assainissement.

Pardon, mais il faut feindre que tout change pour que rien ne change… Vous nous dites en gros que vous allez nous aider et proposer des solutions, mais halte-là ! on ne touche pas au transfert de compétences. Eh bien, soit il s’agit d’une fin de non-recevoir, et nous n’y travaillons plus, soit nous débattons du fond pour avancer. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Donner des gages de confiance, c’est avancer collectivement et non pas les uns d’un côté, les autres en face !

M. Mathieu Darnaud. Je crois qu’aujourd’hui le temps est venu de repenser ce travail de fond, de se pencher sur les propositions que nous avons faites depuis plus de dix ans – depuis qu’un certain ministre nous avait invités à travailler sur les irritants de la loi NOTRe.

Nous l’avons fait de façon objective, avec cet esprit et cette volonté chevillée au corps d’aider les maires qui ont envie de faire avancer leur commune, de faire vivre la démocratie locale, car c’est bien de cela qu’il est question.

Nous avons eu assez de paroles, place aux actes ! (Bravo ! et applaudissements appuyés sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les enjeux de la France communale et l’avenir de la commune en France.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures vingt.)

Mme le président. La séance est reprise.

5

Mise au point au sujet d’un vote

Mme le président. La parole est à Mme Anne Ventalon.

Mme Anne Ventalon. Lors du scrutin public n° 300, sur l’ensemble du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, mon collègue Ronan Le Gleut souhaitait votait pour.

Mme le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques
Article 1er

Restitution des restes humains appartenant aux collections publiques

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques (proposition n° 551, texte de la commission n° 716, rapport n° 715).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat.

Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.

Texte élaboré par la commission

Mme le président. Je donne lecture du texte élaboré par la commission.

proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques
Article 2 (nouveau)

Article 1er

Le chapitre V du titre Ier du livre Ier du code du patrimoine est ainsi modifié :

1° Lintitulé est ainsi rédigé : « Sortie des collections publiques dun bien culturel » ;

2° Est ajoutée une section 1 intitulée : « Déclassement », qui comprend larticle L. 115-1 ;

3° Est ajoutée une section 2 ainsi rédigée :

« Section 2

« Restes humains appartenant aux collections publiques

« Art. L. 115-2. – Par dérogation au principe dinaliénabilité des biens des personnes publiques relevant du domaine public inscrit à larticle L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, il peut être décidé de la sortie du domaine public dun reste humain, quil sagisse dun corps complet ou dun élément de corps humain, relevant de larticle L. 2112-1 du même code, dans les conditions prévues aux articles L. 115-3 à L. 115-5 du présent code.

« La sortie du domaine public est réalisée exclusivement pour permettre sa restitution à un État à des fins funéraires.

« Par dérogation à larticle L. 451-7, le présent article est également applicable aux restes humains intégrés aux collections des musées de France par dons et legs.

« Art. L. 115-3. – Pour lapplication de larticle L. 115-2, la sortie du domaine public dun reste humain identifié et issu dun territoire dun État étranger ne peut être prononcée que si les conditions suivantes sont remplies :

« 1° La demande de restitution a été formulée par un État, le cas échéant, agissant au nom dun groupe humain demeurant présent sur son territoire et dont la culture et les traditions restent actives ;

« 2° Lancienneté du reste humain à compter de la date présumée de la mort est au plus de cinq cents ans au moment du dépôt de la demande de restitution ;

« 3° Les conditions de sa collecte portent atteinte au principe de dignité de la personne humaine ou, du point de vue du groupe humain dorigine, sa conservation dans les collections contrevient au respect de sa culture et de ses traditions.

« Art. L. 115-4. – En cas de doute sur lidentification du reste humain faisant lobjet de la demande de restitution, un travail de vérification scientifique de son origine, conduit par un comité conjoint et paritaire formé en concertation avec lÉtat demandeur, permet de préciser son identification ou, à défaut, de le relier de manière probante avec le groupe humain dont il est présumé issu.

« Des analyses scientifiques, y compris des caractéristiques génétiques constitutionnelles, peuvent être réalisées lorsquaucun autre moyen ne permet détablir lidentification.

« Le comité rédige un rapport, détaillant les travaux conduits et fixant la liste des restes humains dont lorigine a pu être établie, qui est remis au Gouvernement et à lÉtat demandeur.

« Art. L. 115-5. – La sortie du domaine public est prononcée par décret en Conseil dÉtat, pris sur le rapport du ministre chargé de la culture, le cas échéant conjointement avec le ministre de tutelle de létablissement public national auquel le reste humain est affecté. Ce rapport est établi sur la base du rapport du comité conjoint et paritaire mentionné à larticle L. 115-4 lorsquun tel comité est mis en place.

« Dans le cas où le propriétaire est une collectivité territoriale, la sortie du domaine public ne peut être prononcée que sous réserve de lapprobation préalable de la restitution par son organe délibérant.

« Art. L. 115-6. – Chaque année, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport présentant :

« 1° Les demandes de restitution de restes humains adressées par des États étrangers ;

« 2° Les décisions de sortie du domaine public prises au cours de lannée écoulée en application de la présente section, assorties des rapports et des avis correspondants mentionnés aux articles L. 115-4 et L. 115-5 ;

« 3° Les restitutions de restes humains intervenues au cours de la période en application de la présente section.

« Art. L. 115-7. – Un décret en Conseil dÉtat précise les modalités dapplication de la présente section, y compris les conditions dans lesquelles est réalisée lidentification des restes humains en application de la présente section et les modalités et les délais de restitution des restes humains à lÉtat demandeur suite à leur sortie du domaine public. »

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 2 (nouveau)

Dans un délai dun an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport identifiant les solutions possibles pour mettre en place une procédure pérenne de restitution des restes humains originaires du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie conservés dans les collections publiques.

Article 2 (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Vote sur l’ensemble

Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, à la rapporteure de la commission, puis au Gouvernement, pendant sept minutes, et, enfin, à un représentant par groupe pendant cinq minutes.

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce n’est pas sans une certaine émotion que je m’exprime devant vous en cette fin d’après-midi tant le sujet de cette proposition de loi me tient à cœur.

La restitution des restes humains a toujours figuré parmi les grands combats de mon mandat de sénatrice depuis l’affaire des têtes maories conservées au muséum de Rouen, laquelle m’avait conduite à déposer en 2008 une proposition de loi pour en permettre la restitution.

Il s’est toujours agi à mes yeux d’une question de dignité de la personne humaine, de justice, de respect des cultures et de mémoire.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Reconnaissons que les collections de restes humains ne sont pas tout à fait des collections comme les autres.

Qualifiées de sensibles, elles nécessitent un soin et une vigilance redoublés par rapport aux autres pièces conservées dans les collections publiques. Comme le dispose le code civil, « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ».

Un certain nombre de restes humains n’ont pas leur place dans nos collections tant les conditions de leur collecte entrent en contradiction avec les valeurs qui sont désormais les nôtres. Pensons aux trophées de guerre ou à certains commerces barbares, comme celui des têtes maories. Pour satisfaire la forte demande européenne au XVIIIe siècle, les têtes des esclaves étaient tatouées avant d’être tranchées.

Pensons aussi aux restes humains prélevés en toute illégalité à l’étranger à des fins de recherche et de documentation scientifiques. Les récits d’expéditions qui nous sont parvenus fourmillent tristement d’exemples de ces exhumations clandestines.

Ce n’est pas parce que ces actions sont irréparables qu’il convient de les passer sous silence ou d’agir comme si nos collections étaient irréprochables. Il faut considérer ces restes humains comme des témoins silencieux. Engager un dialogue autour d’eux avec leur État d’origine est un travail indispensable pour rendre possible une meilleure compréhension mutuelle et bâtir des relations plus solides et apaisées. J’ajoute que, bien souvent, la présence de ces restes humains dans les collections est incompatible avec les croyances funéraires du peuple dont ils sont issus.

J’en profite pour saluer Mme Gillian Bird, ambassadrice d’Australie en France, qui est présente en tribune, dont le pays demande le retour des restes humains d’origine aborigène que nous conservons. (Applaudissements.)

Comme tous les biens appartenant aux collections publiques, les restes humains sont inaliénables. Ils ne peuvent pas être restitués sans avoir été préalablement sortis des collections, ce qui implique l’autorisation du législateur. D’où le nombre très faible de demandes de restitution auxquelles la France a accédé jusqu’ici : cinq en tout, et encore seulement deux ont été réalisées par voie parlementaire, qui est pourtant la seule juridiquement licite. Souvenons-nous de la restitution en 2020 des crânes algériens par le biais d’une convention de dépôt !

C’est la raison pour laquelle la commission de la culture plaide, depuis déjà plusieurs années, pour l’adoption d’une dérogation de portée générale au principe d’inaliénabilité des collections permettant de simplifier la procédure de traitement des demandes de restitution.

Nous sommes en effet convaincus que notre pays a besoin d’affirmer une position claire et de se doter d’un cadre pérenne pour répondre, en toute transparence et selon des critères objectifs, aux demandes de restitution.

Nous ne pouvons pas ignorer l’existence d’une attente sur le plan international qui provient, au-delà des seuls pays demandeurs, d’organisations internationales comme l’Unesco ou le Conseil international des musées – International Council of Museums (Icom) –, qui appellent à la mise en place de pratiques plus éthiques. Ce texte a donc du sens sur les plans éthique comme diplomatique.

Le Sénat avait déjà voté en 2020 une proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques, dont l’article 2 met en place une telle dérogation. L’opposition du Gouvernement à son article 1er a malheureusement empêché la poursuite de la navette parlementaire.

La commission se réjouit donc de cette nouvelle initiative, émanant d’une partie de ses membres, qui pourrait enfin permettre de lever les obstacles juridiques qui pèsent sur les restitutions de restes humains.

Je veux dire combien ce texte est une œuvre collective, madame la ministre, ce qui n’a rien d’étonnant au regard du rôle moteur que le Sénat a toujours joué en matière de restitution de restes humains.

J’aimerais rendre hommage au travail de nos anciens collègues, Nicolas About et Philippe Richert, qui se sont mobilisés dès le début des années 2000 pour nous sensibiliser à cet enjeu et faire en sorte que notre pays y apporte une réponse appropriée, notamment dans le cas de la restitution de la « Vénus hottentote ».

J’aimerais aussi remercier mes collègues Max Brisson et Pierre Ouzoulias, coauteurs de cette proposition de loi, avec lesquels j’ai poursuivi ces dernières années le travail de notre commission en matière de restitution de biens culturels.

Je voudrais également saluer les travaux du groupe de travail sur la problématique des restes humains dans les collections publiques, animé par Michel Van Praët et Claire Chastanier, qui découle de la loi du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections et qui a contribué à faire avancer la réflexion sur les conditions auxquelles le retour des restes humains serait possible.

Je voudrais, enfin, vous remercier, madame la ministre, du soutien que vous nous avez apporté, ainsi que vos équipes, dans la préparation de cette nouvelle proposition de loi.

La commission a jugé le texte équilibré pour répondre de manière satisfaisante aux différents enjeux. Le cadre législatif mis en place fixe des critères suffisamment précis et objectifs pour justifier qu’il puisse être dérogé au principe d’inaliénabilité sans prendre le risque d’une remise en cause de ce principe.

Le caractère scientifique et partenarial de l’instruction des demandes permet à la fois de se prémunir contre des restitutions qui seraient le fait du prince tout en facilitant la mise en place de coopérations scientifiques et culturelles bilatérales.

La commission espère que l’examen de ce texte pourra, cette fois-ci, aller jusqu’à son terme tant il répond à un réel besoin. Nous attendons du Gouvernement qu’il octroie aux établissements publics des moyens nouveaux pour leur permettre d’approfondir le travail de recherche sur leurs collections.

C’est une condition indispensable pour que les dispositions de ce texte aient un effet réel. Aujourd’hui, l’identité, l’origine et la trajectoire de la plupart des restes humains conservés dans nos collections sont inconnues, ce qui empêche évidemment des pays tiers de formuler des demandes de restitution.

Pour finir, la commission est consciente que ce texte n’apporte de solution pérenne qu’aux États étrangers, laissant de côté le sujet des restitutions de restes humains d’origine française. La commission est convaincue qu’il existe pourtant une problématique ultramarine nécessitant un traitement particulier compte tenu des liens étroits entre ces territoires et notre passé colonial. Toutefois, la procédure mise en place au travers de la présente proposition de loi, conçue dans une logique interétatique, ne paraît pas transposable en l’état aux territoires d’outre-mer, qui s’inscrivent dans une logique nationale.

C’est la raison pour laquelle la commission a chargé le Gouvernement de remettre au Parlement, d’ici à un an, un rapport identifiant des voies de restitution pérennes susceptibles d’être mises en place pour répondre aux demandes légitimes de retour des restes humains d’origine ultramarine.

Pour reprendre une métaphore déjà filée par notre collègue Pierre Ouzoulias, l’odyssée législative n’est donc pas tout à fait terminée. Je remercie particulièrement le président de la commission, Laurent Lafon, d’avoir soutenu et accompagné ce travail tout au long d’un processus qui, finalement, ne fait que commencer. (Applaudissements.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, madame l’ambassadrice – merci d’être avec nous –, la semaine passée, cette proposition de loi a été examinée en commission. Le débat a été passionnant ; je me réjouis de pouvoir le poursuivre dans l’hémicycle tout comme je me réjouis de cette avancée. Ce texte est le très bel aboutissement de l’engagement et du travail, de longue haleine, déterminé et méthodique, que mène la sénatrice Catherine Morin-Desailly depuis des années pour rendre possible la restitution de restes humains de provenance douteuse conservés dans nos collections.

Jusqu’à présent, seules deux lois d’exception ont permis d’aller au bout d’une démarche de restitution, concernant l’Afrique du Sud, en 2002, et la Nouvelle-Zélande, en 2010. Madame Morin-Desailly, c’est grâce à votre engagement et à votre combativité que ces restitutions ont pu avoir lieu. Le Sénat, sous votre impulsion, a été – on peut l’affirmer – en avance sur son temps et a ouvert la voie. Ces deux lois d’espèce ont permis des débats riches dans nos assemblées et ont contribué à faire mieux connaître ce sujet dans l’opinion publique. Grâce à vous tous, le débat est désormais arrivé réellement à maturité.

Il est désormais temps de ne pas s’en tenir à des lois d’espèce, qui ne visent que des cas singuliers et qui nécessitent de revenir devant le Parlement à chaque fois, et de faire en sorte que notre droit offre un cadre clair aux restitutions de restes humains patrimonialisés, fondé – bien sûr – sur les expertises historiques et scientifiques, et sur la qualité du dialogue bilatéral.

Je vous l’indiquais la semaine dernière lors de son examen en commission : cette proposition de loi n’est pas technique, elle a véritablement une dimension éthique et philosophique. Elle renvoie à notre rapport à la mort, au deuil, aux rites funéraires, à l’Histoire, à la connaissance des autres cultures et de nous-mêmes, et à la fraternité. C’est une proposition de loi qui donne tout sens à la valeur universelle de dignité humaine.

« Restes humains » : cette formule sonne étrangement à nos oreilles. On aurait pu dire « vestiges osseux », mais, dans « restes humains », il y a le mot « humain ». Quant aux « restes », ils évoquent l’importance des traces laissées et transmises.

Ces restes humains ont pu entrer dans nos collections publiques dans des conditions suspectes, violentes et illégitimes. Considérés comme des trophées ou des objets de curiosité, ils étaient censés éclairer de prétendues différences entre les « races ». Ils ont pu faire l’objet de trafics ou de chasses à l’homme à partir du XVIIIe siècle pour alimenter les théories d’adeptes de craniologie et de phrénologie, les discours scientifiques fallacieux qui ont servi de justification aux théories racistes. Dans le cas de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, ce commerce ignoble a été interdit en 1831, mais on sait qu’il s’est poursuivi illégalement bien au-delà de cette date.

Dès mon arrivée au ministère de la culture, il y a un an, j’ai voulu engager un dialogue avec le Parlement, notamment avec le Sénat, pour travailler ensemble sur trois lois-cadres relatives aux restitutions.

La première d’entre elles, relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites à la suite de spoliations entre 1933 et 1945, a fait l’objet d’un vote unanime au Sénat le 23 mai dernier.

Pour la deuxième loi-cadre, relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques, nous avons souhaité laisser l’initiative au Sénat. Je salue ici la qualité, la précision et la rigueur de votre travail collectif, comme vous le disiez, madame Morin-Desailly, un travail que vous avez mené avec Max Brisson et avec Pierre Ouzoulias : le rapport de décembre 2020 de la mission d’information fera date.

La troisième loi-cadre, relative aux biens culturels africains, nécessite encore plusieurs mois de travail et de concertations à partir, notamment, des propositions formulées par Jean-Luc Martinez dans son récent rapport.

Pour en revenir aux restes humains, vous l’avez dit, ils ne peuvent pour l’instant être restitués en raison du principe de l’inaliénabilité des collections publiques. Comme je l’ai précisé en commission, il est important de rappeler que cette inaliénabilité est un principe protecteur que nous ne souhaitons pas remettre en cause. En effet, ce principe nous permet de protéger les œuvres et le patrimoine de la Nation qui se sont transmis de siècle en siècle.

En revanche, force est de constater que certains restes humains sont entrés dans nos collections dans des conditions particulièrement violentes et illégitimes. Dans ce cas, il est de notre devoir d’interroger la légitimité de leur présence dans les collections publiques.

C’est tout l’enjeu du travail de recherche de provenance, qui se doit d’être rigoureux, méthodique et scientifique, et dont nous soutenons le développement. Il doit être mené par les professionnels de nos musées, qui seront de mieux en mieux formés à ces enjeux, en lien avec nos partenaires étrangers. À partir de ces recherches, grâce à votre proposition de loi, un processus de restitution pourra être engagé dans le dialogue et la sérénité.

J’aimerais partager de nouveau avec vous les deux exemples que j’avais eu l’occasion de présenter en commission, la semaine dernière.

Le premier exemple est celui du squelette du fils d’un chef amérindien de la communauté Liempichun, qui a fait l’objet d’une demande de restitution soutenue par l’Argentine, avec laquelle nous échangeons depuis plusieurs années. Sa sépulture semble avoir été pillée par l’équipage du comte Henry de La Vaulx, qui, entre 1896 et 1897, a parcouru la Patagonie avec l’intention, notamment, de rapporter des spécimens naturalisés, mais aussi des dépouilles humaines. Il a écrit un journal dont la lecture est assez saisissante, dans lequel il reconnaît qu’il s’agit d’un sacrilège : il se définit lui-même comme un « fossoyeur ». Il affirme : « J’ai pour moi une excuse, que diable ! car je rapporterai en France un beau spécimen de la race indienne. Qu’importe après tout que ce Tehuelche dorme en Patagonie dans un trou ou au Muséum sous une vitrine. » Vous pourrez trouver sur internet de nombreux autres extraits, mais celui-ci est déjà assez frappant…

Parmi les vestiges osseux conservés dans les vingt-neuf caisses du fond La Vaulx, voilà au moins un cas dont il nous importe désormais que des experts français et argentins questionnent la légitimité de la présence dans les collections du Muséum national d’histoire naturelle.

Le second exemple est celui des restes humains d’aborigènes d’Australie qui sont conservés depuis plus d’un siècle dans plusieurs musées français, notamment au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris, et au conservatoire d’anatomie de la faculté de Montpellier.

En 2014, au terme d’un long et fructueux dialogue entre la France et l’Australie, il a été décidé de mandater des experts chargés de recenser d’éventuels restes humains aborigènes figurant dans les collections des musées français en vue de leur rapatriement.

Le 16 mai dernier, un comité conjoint franco-australien a pu se constituer pour trouver un accord à partir des recherches d’identification et d’authentification de restes humains qui avaient été conduites depuis 2014. Voilà à quel point le temps de la recherche peut être long, mais c’est un temps très précieux.

Une fois adoptée, votre proposition de loi facilitera la restitution prochaine de ces restes humains, le processus ici décrit correspondant en tout point à ce que vous préconisez.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, votre proposition de loi, chère Catherine Morin-Desailly, est salutaire. Je vous remercie de l’avoir élaborée à la suite de nombreux échanges avec les équipes, que je tiens à remercier, du ministère de la culture, avec des professionnels du droit, avec des musées et avec des instances internationales. Vous avez également analysé les dossiers en cours d’instruction avec l’Algérie, avec l’Australie, avec Madagascar ou encore avec l’Argentine. Par vos propositions, vous réaffirmez la nécessité du dialogue bilatéral, du respect des personnes et des communautés, et de la recherche scientifique. J’y souscris pleinement et je m’engage à tout faire pour faciliter les recherches de provenance et les travaux d’identification.

Le Gouvernement soutient cette proposition de loi, un texte de justice, de dignité et d’humanité. (Applaudissements.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, certains restes humains ont intégré par le passé de manière suspecte, voire illégitime, nos collections publiques. Parfois collectés en tant que trophées de guerre ou de conquête, ils témoignent d’un temps révolu et de pratiques anciennes qu’il ne nous appartient pas de juger.

Notre rôle, en revanche, est de réparer par la loi les éventuelles injustices. Nous nous sommes récemment félicités de l’adoption du projet de loi facilitant les restitutions des biens spoliés aux familles juives pendant la Seconde Guerre mondiale. Son examen a été l’occasion d’échanges et de témoignages d’une grande émotion en ces murs.

De la même manière, notre groupe se félicite de l’adoption à l’unanimité de ce texte en commission, la semaine dernière. Il s’agit d’une loi de dignité, essentielle, qui nécessitait un espace parlementaire dédié. En effet, les restes humains sont loin d’être des biens culturels comme les autres et renvoient à des événements historiques et à des situations très spécifiques. Il était important de rendre hommage aux familles et aux États concernés par certains abus en leur consacrant une loi.

J’en profite pour saluer l’engagement de longue date de Catherine Morin-Desailly, accompagnée de Max Brisson et de Pierre Ouzoulias. Les auteurs de la proposition de loi permettent une grande avancée et participent à la politique mémorielle de la France.

L’accueil unanime dont cette loi a bénéficié est tout à leur honneur. Il récompense un travail de longue haleine, parfois rendu difficile par des vents contraires…

Cela a été indiqué lors du vote, madame la ministre : il s’agit d’un texte à dimension presque philosophique. Il touche à notre rapport à la mort et à notre manière de rendre hommage aux défunts. Cette proposition de loi permettra de simplifier et d’accélérer les procédures. En effet, comme cela a été rappelé, la nécessité de recueillir l’autorisation du Parlement avant toute restitution ralentit considérablement le processus. Cela risque de décourager les initiatives, ajoutant de la difficulté à une situation déjà éminemment complexe.

Par ailleurs, le principe d’inaliénabilité protège nos collections. Des garde-fous sont nécessaires pour empêcher toute restitution irréfléchie et précipitée de restes humains intégrés aux collections publiques ; ce texte fort sécurise les procédures afin d’éviter toute dérive. L’un des amendements de notre rapporteure, adopté en commission, tend à encadrer encore davantage l’instruction des demandes.

Comme nous l’avions souligné lors de l’examen de la loi du 21 février 2022 relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, les auteurs de ce texte nous invitent également à repenser le rôle des expositions et l’organisation muséale. Nos collections publiques sortiront amoindries des départs de restes humains rendus aux États demandeurs. Ces demandes pourraient s’accélérer dans les années à venir ; il deviendra alors essentiel de trouver de nouvelles manières de faire vivre ces œuvres au sein de nos musées et dans nos territoires. Il s’agira, par exemple, de conserver des espaces dédiés au sein des salles d’exposition en s’appuyant sur des photographies, sur des animations ou sur des œuvres numériques. Des réflexions passionnantes attendent les équipes muséales.

Pour conclure, le groupe Les Indépendants – République et Territoires salue le vote favorable de ce texte et s’y associe. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Pierre Ouzoulias, Julien Bargeton, Max Brisson et Lucien Stanzione applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je commence évidemment par saluer la constance de notre rapporteure Catherine Morin-Desailly et par féliciter les coauteurs du texte, Max Brisson et Pierre Ouzoulias, pour leur travail.

Ce texte est une loi de justice, de progrès et de dignité. Ses auteurs posent les bonnes questions. Les restes humains ont une place particulière dans nos collections publiques ; de ce fait, il faut s’interroger : le corps humain est-il un bien culturel ? L’inaliénabilité de nos collections doit-elle être un obstacle au respect de la dignité due à chaque être humain, même après la mort ?

La présence de ces restes humains dans nos musées est souvent la conséquence de périodes sombres de notre histoire, de la colonisation, de l’esclavage, des guerres et du mépris des corps des hommes et des femmes qui va avec.

Tout le monde a en tête la terrible histoire de Saartjie Baartman, dite, d’après les quolibets de l’époque, la « Vénus hottentote ». Née dans l’actuelle Afrique du Sud à la fin du XVIIIe siècle, repérée par des colons anglais en raison de sa morphologie particulière, elle a été exposée dans des cabarets anglais et français, soumise à des spectacles grotesques, humiliée, violée et asservie jusqu’à la fin de ses jours et même au-delà.

En effet, de 1817 à 1974, son squelette a été exposé successivement au jardin des plantes, au Trocadéro et au musée de l’Homme. L’Afrique du Sud, dès la fin de l’apartheid, a demandé solennellement le retour de sa dépouille. Ce n’est qu’en 2002 que la France a enfin accédé à sa demande et que Saartjie Baartman a pu enfin être inhumée dignement sur la terre de ses ancêtres, 200 ans après y avoir été arrachée.

Cette affaire terrible a fait bouger les lignes et le regard que nous portons sur notre histoire. Désormais, nous connaissons un vaste mouvement, compréhensible, de demandes de restitutions de biens culturels liés à ce passé, un mouvement comme je l’ai dit compréhensible, mais qui comporte des risques d’inflation législative non désirée. En effet, chaque sortie de ces collections doit être prévue au travers d’une loi.

Nous partageons donc le besoin d’un cadre clair et transparent pour les restitutions. Ce texte constitue en la matière une étape salutaire, le respect de la dignité des personnes étant au cœur de la démarche.

Ce n’est pas la première fois que le Sénat témoigne de sa prise de conscience sur le sujet. Ainsi, la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques, déposée par nos collègues auteurs du texte que nous examinons aujourd’hui, visait déjà à s’y attaquer. Elle tendait à mettre en place un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens ainsi qu’une procédure pour agir en nullité de vente, de donation ou de legs de corps humains.

La navette de ce précédent texte a été interrompue puisque le Gouvernement a annoncé vouloir se saisir de la question – vous le précisiez, madame la ministre – des restitutions de biens avec un projet de loi dédié.

Les auteurs de la présente proposition de loi ont pour ambition de traiter le sujet des restes humains sans avoir besoin de texte législatif ultérieur au cas par cas. Pour ce faire, il est prévu la possibilité de sortie de corps humains des collections publiques après décret pris en Conseil d’État et un rapport du ministère de la culture et du ministère de tutelle de l’établissement où le corps reposait. La restitution ne pourra avoir lieu qu’auprès d’un État, qui en aura fait la demande pour un corps datant de moins de 500 ans et uniquement dans un but funéraire. Il est également prévu un comité scientifique chargé de lever les doutes en cas de problème sur l’identification des corps ainsi qu’un rapport annuel au Parlement sur les restitutions.

Avec ce texte, il nous est donc proposé une solution humaine, efficace, transparente et respectueuse à la fois des États demandeurs et des principes de nos collections. Nous soutenons ce texte de justice et de dignité. (Applaudissements au banc des commissions. – MM. Pierre Ouzoulias, Julien Bargeton et Lucien Stanzione applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. Julien Bargeton. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, cette proposition de loi que nous adopterons aujourd’hui est très solennelle et émouvante. Elle prend place dans un contexte particulier, celui des lois relatives à des restitutions.

Le Gouvernement a commencé par présenter une série de textes précis sur un tel sujet. À présent, nous nous engageons dans une phase consacrée à des lois-cadres. La première était la loi-cadre relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites de 1933 à 1945. La deuxième est celle que vous nous présentez actuellement, relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques. La dernière portera le débat sur certaines œuvres provenant des anciennes colonies.

Cette nouvelle phase permet de rompre en trois temps avec le fait que le Parlement soit amené chaque fois à se prononcer sur le caractère inaliénable ou non de chaque œuvre. Je pense que la démarche ainsi entamée est la bonne.

Ce texte est particulièrement émouvant parce qu’il nous rappelle des heures sombres de l’Histoire, notamment la façon dont nous avons traité les restes humains et les conditions dans lesquelles ils ont été introduits sur notre territoire. Il a été souligné une forme de racisme : on peut le dire.

Le cas de la « Vénus hottentote » a été cité. Je me souviens d’ailleurs de cette scène absolument saisissante du film d’Abdellatif Kechiche, Vénus noire, dans laquelle Saartjie Baartman est examinée par Georges Cuvier. Évidemment, la caméra de Kechiche, dans son naturalisme et dans son réalisme crus, n’épargne rien de la violence de cette scène. Il est vrai que cette histoire a changé le rapport que nous avons à la restitution des restes humains. C’est ce que l’ethnologue Gould a qualifié de « mal-mesure de l’homme », qui a marqué certaines périodes de notre histoire. C’est l’occasion d’évoquer ce passé, comme vous l’indiquiez également, madame la ministre.

C’est aussi pour nous l’occasion de nous souvenir que le code civil dispose que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort », que, depuis 3,3 millions d’années et le paléolithique inférieur, homo sapiens prend soin de ses défunts. C’est donc quelque chose qui est vraiment au cœur de notre commune humanité et même de la définition de ce qu’est l’humanité : au cours de l’évolution, l’espèce humaine a pris soin de ses restes, les enterrant avec des rites funéraires très différents d’une région à l’autre, ce qui fait la beauté et la grandeur des tombes que l’on étudie.

Ce texte est le bienvenu : il est clair, il est transparent et il est extrêmement précis. Il est scientifique et raisonné au travers de l’idée de solliciter l’avis d’un comité scientifique, lorsqu’il y a un doute, pour pouvoir vraiment se prononcer sur la qualification des restes humains. Madame la rapporteure, je ne peux donc que vous féliciter pour ce travail que vous avez mené de façon très rigoureuse, en lien avec le ministère de la culture. C’est pourquoi notre groupe votera ce texte. (Applaudissements au banc des commissions. – MM. Pierre Ouzoulias, Max Brisson et Lucien Stanzione applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. Lucien Stanzione, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

M. Lucien Stanzione. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le temps est venu de répondre à une réalité dérangeante en reconnaissant l’histoire tragique liée à nos musées et collections publiques. Ainsi, cette proposition de loi représente une avancée significative dans le traitement des demandes de restitution de restes humains en offrant un cadre clair et transparent tout en favorisant le dialogue scientifique et culturel avec les pays demandeurs.

Trophées de guerre, vols, pillages et profanations de sépulture : certaines pièces de nos musées ont été collectées dans des circonstances inacceptables et incompatibles avec le principe de respect dû à la dignité de chaque individu. Tel un écho du passé, ces vestiges silencieux nous rappellent l’histoire tourmentée de l’humanité.

Leur présence entre nos mains nous oblige à réfléchir profondément à la signification de la dignité humaine, à la compassion et au respect que nous devons à ces individus du passé. Il est temps de rétablir l’équilibre, de réparer les blessures de l’Histoire et d’honorer la mémoire de ceux qui ont été privés de leur droit fondamental à la dignité, même après leur mort.

Cette proposition de loi, fruit d’une initiative sénatoriale transpartisane, est un premier pas crucial. En visant à autoriser le déclassement des restes humains de moins de 500 ans présents dans les collections publiques, elle représente une lueur d’espoir pour les peuples et pour les nations qui cherchent à récupérer ces témoignages du passé.

La mise en place d’un dispositif-cadre dans le code du patrimoine offre ainsi une vision globale et cohérente de la restitution des restes humains. Nous ne serons plus confrontés à des décisions fragmentées et ad hoc, et nous pourrons gérer efficacement les futurs cas de déclassement et de restitution tout en préservant la dignité de chaque individu concerné.

Pourtant, allons plus loin. Pour mener à bien cette mission de justice, nous devons faire preuve de rigueur et d’impartialité. C’est pourquoi la proposition de loi tend à la création d’un comité scientifique composé de représentants des deux États concernés ainsi que des institutions détenant les restes en question. Ensemble, ils évalueront de manière précise les demandes de déclassement et de restitution en tenant compte des aspects humains, éthiques et scientifiques. Cette approche collaborative et pluridisciplinaire garantira que chaque décision soit éclairée et respectueuse des individus dont les restes sont en jeu.

Je salue les ajouts de la commission qui renforcent la validité scientifique des demandes de restitution. En effet, un amendement a été adopté pour empêcher la sortie des pièces avant la remise du rapport du comité mixte.

Néanmoins, nous estimons que des mesures complémentaires sont nécessaires. La commission demande donc au Gouvernement de fournir des ressources pour approfondir les recherches sur les collections. La documentation sur les restes humains est primordiale pour les restitutions et pour le respect de la dignité humaine.

Ce texte constitue une première étape pour les restitutions, mais n’aborde pas les restes d’origine française. Un amendement vise de ce fait à prévoir un délai d’un an pour trouver une solution pérenne pour les restes ultramarins conservés dans les collections publiques.

Chers collègues, en adoptant cette proposition de loi, nous comblerons une lacune juridique majeure, réparant les brèches de notre histoire. Tout comme nous avons fait face à notre passé en adoptant la loi relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, spoliés entre 1933 et 1945, nous prouvons aujourd’hui notre engagement dans l’établissement d’une justice historique.

Toutefois, nous ne devons pas nous arrêter là. Une loi-cadre sur la restitution des biens mal acquis détenus dans les collections françaises doit suivre, témoignant de notre volonté inébranlable de faire face à notre histoire avec courage, honnêteté et responsabilité.

En défendant cette proposition de loi et les amendements qui l’accompagnent, nous affirmons haut et fort notre volonté de promouvoir la justice dans la gestion des biens historiques et culturels. Ainsi, je vous appelle à soutenir pleinement cette proposition de loi et à voter en sa faveur. Nous avons l’occasion de rendre hommage à ceux qui ont été oubliés, d’accorder une voix à ceux qui ont été réduits au silence et d’écrire un nouveau chapitre de notre histoire où la compassion et la justice prévalent. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et au banc des commissions. – MM. Pierre Ouzoulias, Julien Bargeton et Thomas Dossus applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, madame l’ambassadrice, mes chers collègues, la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain a introduit dans le code civil un nouvel article 16-1 ainsi rédigé : « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial. »

Il a été complété par la loi du 19 décembre 2008 : l’article 16-1-1 dispose que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées […] doivent être traités avec respect, dignité et décence ». Nous devons à notre collègue le questeur Jean-Pierre Sueur cet ajout important. Sa proposition de loi déposée en 2005 fut une contribution majeure à la législation funéraire et à la définition du statut juridique de la dépouille mortelle.

En une dizaine d’années, la loi a considérablement évolué sous l’influence de réflexions éthiques qui sont devenues prépondérantes. Le corps humain post mortem est devenu un objet de droit particulier : il ne peut être possédé et doit être traité avec dignité.

Les collections publiques renferment des milliers de restes humains collectés en France métropolitaine, dans les territoires de ses anciennes colonies ou dans les pays étrangers. Leur traitement ne pouvait continuer à ignorer les évolutions éthiques et législatives qui ont conduit à la modification de notre code civil.

Ces vestiges humains ont été intégrés aux collections publiques à la suite de processus historiques, politiques et muséographiques extrêmement complexes. Permettez-moi de présenter deux exemples.

Le crâne de René Descartes, actuellement conservé au musée de l’Homme, fut acheté lors d’une vente par le chimiste suédois Berzelius, qui le remit à Cuvier en 1821. Les os ont été déposés dans une chapelle de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. On doit sans doute cette disjonction du « chef » du philosophe à l’indélicatesse du capitaine des gardes chargé de la première exhumation du corps avant 1767. Est-il justifié que le squelette de Descartes repose pour l’heure dans deux lieux différents ?

J’aimerais ensuite évoquer le destin d’un autre pensionnaire du musée de l’Homme, celui de l’assassin du général Kléber en 1800, au Caire, Soleyman el-Halabi. Empalé, il mourut dans d’atroces souffrances. Son squelette fut montré pendant de nombreuses années. Cette exposition prolongeait en quelque sorte son supplice public. Reconnaissons que cette monstration avait quelque chose de monstrueux.

Il m’est agréable de souligner que c’est au Sénat, en la personne de notre collègue Catherine Morin-Desailly, que s’imposa l’idée que nous ne pouvions plus traiter les restes humains du passé avec l’indignité que nous refusons désormais aux morts du présent. Son action en faveur de la restitution des têtes maories a été exemplaire et décisive. Une méthode a été alors mise en œuvre et elle inspire aujourd’hui la présente proposition de loi.

Permettez-moi de résumer les trois principes sur lesquels elle repose : la demande doit être instruite d’État à État ; elle doit être fondée sur un travail scientifique transparent et collégial ; et les vestiges restitués sont destinés à recevoir un traitement funéraire.

Ces principes avaient été énoncés, en 2010, par le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé dans un avis consacré aux problèmes éthiques posés par l’utilisation des cadavres à des fins de conservation ou d’exposition muséale. Il est regrettable que les institutions muséales aient tant tardé à s’en inspirer.

Gérer les collections publiques ne peut se faire sans réflexion éthique. En 2005, MM. Collinet et Metzger ont rendu au ministre de la culture et de la communication de l’époque, Renaud Donnedieu de Vabres, un rapport dans lequel ils préconisaient la création d’un comité d’éthique consultatif et indépendant rattaché directement au ministre.

Après la suppression de la Commission scientifique nationale des collections, une instance de ce type pourrait sans doute assurer une réflexion pérenne sur la gestion des restes humains par les services patrimoniaux.

Dans le même rapport, il était recommandé de mettre en œuvre un plan ambitieux de récolement des collections. Près de vingt ans plus tard, il manque toujours un inventaire précis de tous les restes humains conservés dans les collections publiques. La Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art a compétence pour s’assurer de la mise en œuvre de l’obligation du récolement décennal prévu par l’article L. 451-2 du code du patrimoine. En élargissant quelque peu ses missions, il serait peut-être judicieux de lui confier une mission de contrôle et de coordination de l’inventaire des restes humains conservés dans les collections publiques.

La loi votée, il restera, madame la ministre, un grand chantier afin que votre ministère mette en œuvre tous ces principes. (Applaudissements.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre-Antoine Levi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, lorsqu’on explique à l’extérieur ce que l’on fait dans cet hémicycle, il est des sujets qui interpellent plus que d’autres.

Je ne sais, mes chers collègues, si vous avez fait l’expérience d’expliquer que vous alliez légiférer sur la restitution de restes humains… Auprès d’un auditoire profane, le succès, je peux vous l’assurer, est garanti. (Sourires.)

Il s’agit pourtant là d’un sujet concret qui n’a rien d’anecdotique, puisque nos collections publiques, qu’elles appartiennent à l’État ou aux collectivités locales, regorgeraient de restes humains : des squelettes, des têtes, des membres accumulés au fil de l’Histoire pour de multiples raisons.

C’est aussi un sujet à résonance géopolitique, puisque certains de ces restes humains sont d’origine étrangère et sont réclamés par des pays tiers ou des peuples. C’est le cas par exemple, en ce moment, pour l’Australie concernant des restes humains aborigènes.

Cette réalité géopolitique vient à son tour soulever un problème et un enjeu juridique. En effet, les restes humains conservés dans les collections publiques sont protégés par le principe d’inaliénabilité du domaine public.

C’est exactement la même problématique que celle de la restitution des biens juifs spoliés sous le nazisme, sujet sur lequel nous avons légiféré voilà peu de temps.

Toutefois, la situation des restes humains semble encore plus délicate juridiquement, dans la mesure où la procédure de déclassement n’est pas appropriée pour les faire sortir du domaine public aux fins de restitution.

Car l’article R. 115-1 du code du patrimoine interdit le déclassement du domaine public des biens qui n’ont pas perdu leur intérêt public. Ainsi, nous nous retrouvons toujours face à la nécessité de recourir à la loi pour effectuer de telles restitutions, ce qui, in fine, soulève une question de nature mémorielle et philosophique.

Car déterminer les conditions de restitution de restes humains appartenant à des collections publiques interroge notre rapport à la mort, à la mémoire, et même à l’humanité.

Le groupe Union Centriste, que j’ai l’honneur de représenter aujourd’hui, a été moteur pour bousculer les lignes sur cette question et faire avancer notre pays.

Ainsi, les deux premières lois de restitution de restes humains votées en France l’ont été sur l’initiative de membres de ce groupe. Nicolas About fut à l’origine la loi du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman – la fameuse « Vénus hottentote » – à l’Afrique du Sud. En 2010, Catherine Morin-Desailly parvint à faire adopter la loi visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections.

Ces lois d’espèce ont eu une importance historique. Toutefois, face à l’afflux de demandes, on ne peut pas s’en tenir aux lois d’espèce.

Il fallait donc établir une procédure générale permettant de restituer les restes humains sans mobiliser à chaque fois le Parlement. C’est bien ce que clame notre commission de la culture depuis des années. Avec le présent texte, elle sera enfin entendue. Je ne peux que saluer sa détermination, d’autant que la proposition de loi que nous allons voter a bénéficié de l’ensemble des réflexions et travaux menés sur le sujet depuis plus de dix ans.

Je pense aux travaux de la Commission scientifique nationale des collections menés à la suite de la loi de restitution des têtes maories, relayée par un groupe de travail pluridisciplinaire mis en place par le ministère de la culture et le ministère de l’enseignement supérieur.

Ces derniers ont permis de définir les critères de restitution que nous nous apprêtons à faire entrer dans la loi et qui devront être constatés par un décret en Conseil d’État du Premier ministre.

Le champ du texte est restreint aux seuls restes humains identifiés d’origine étrangère. La restitution ne pourra être accordée qu’à des fins funéraires. La procédure est claire et les critères sont précis. C’est ce qu’il fallait faire !

Le texte ouvre enfin sur une dernière question qu’il faudra trancher, à savoir la restitution des restes humains ultramarins.

Fidèle à son implication dans ce combat, le groupe Union Centriste veillera à ce qu’un dispositif ad hoc puisse voir le jour.

En attendant, nous voterons bien sûr ce texte des deux mains, en remerciant et félicitant Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias de l’avoir porté sur les fonts baptismaux. (Applaudissements.)

Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, madame l’ambassadrice, mes chers collègues, permettez-moi de rappeler l’avis 111, énoncé en 2010, du Comité consultatif national d’éthique : « La conservation des vestiges humains ne saurait constituer un but en soi, a fortiori lorsqu’elle blesse l’identité des peuples dont ils sont issus. »

Le code civil nous rappelle que les restes humains des collections publiques ne peuvent pas être traités comme des biens ordinaires. Pierre Ouzoulias vient de le rappeler, « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort » et « les restes humains doivent être traités avec respect, dignité et décence ».

Le code du patrimoine les considère comme des biens publics inaliénables et imprescriptibles. Les principes d’inaliénabilité et d’intérêt public compliquent ainsi la procédure de déclassement. À ce jour, seule l’intervention du législateur permet de sortir de l’impasse. Ces dispositions restrictives font obstacle aux demandes de restitution, alors même qu’un large consensus se dégage autour de la nécessité de les rendre possibles.

En 2022, le Sénat a pourtant adopté l’article 2 d’une proposition de loi définissant un cadre général de sortie. Nous pouvons regretter, madame la ministre, qu’elle soit encore dans les tiroirs du Gouvernement et de l’Assemblée nationale.

Le Sénat n’a pas été le seul à évoluer sur ce sujet. Dès 1986, le code de déontologie du Conseil international des musées, reconnu par l’Unesco, a qualifié ces restes humains comme faisant partie des collections sensibles. Par ce faire, il les a exclus des collections classiques.

En 2007, l’ONU a adopté une résolution inscrivant un droit au rapatriement des restes humains.

En 2010, lors des débats sur la restitution des têtes momifiées maories, le législateur avait mené une réflexion sur les voies possibles pour permettre les restitutions sans élaborer des lois spécifiques.

En 2018, un rapport d’enquête a été remis à deux ministères. Il dressait l’inventaire de 150 000 restes humains conservés dans 249 musées de France et 23 universités.

En décembre 2020, la commission de la culture appelait de ses vœux l’adoption d’une disposition législative générale pour faciliter la restitution de restes humains à des pays tiers.

Ces nombreux travaux soulignent la nécessité de cette proposition de loi. À cet égard, je salue la persévérance de Catherine Morin-Desailly. En adoptant ce texte, nous fixons un cadre juridique général attendu depuis longtemps.

Ce texte est en cohérence avec la récente adoption d’un projet de loi-cadre relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945.

Il s’inscrit en phase avec notre tradition de restitution. En effet, la France a toujours restitué les restes humains demandés.

En s’appuyant sur les progrès de la médecine et des connaissances sur l’évolution de l’humanité, cette proposition de loi prépare les prochaines demandes de restitutions. Je pense au groupe de travail sur l’Australie, madame l’ambassadrice. En cela, elle participe à l’amélioration constante de nos relations diplomatiques.

Surtout, si un bien culturel n’est pas un bien ordinaire, les restes humains ne sont pas des biens culturels ordinaires.

Au moment où notre société débat de la notion de fin de vie, nous pouvons prolonger notre réflexion au-delà du trépas et considérer les restes humains avec toute la singularité et le respect qu’ils inspirent.

Cette proposition de loi nous y invite ; c’est la raison pour laquelle nous la soutenons. (Applaudissements.)

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains.

M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la ministre, madame l’ambassadrice, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai eu l’honneur de rédiger avec Catherine Morin-Desailly et Pierre Ouzoulias a été adoptée à l’unanimité par notre commission ; elle marque l’aboutissement des travaux conduits par le Sénat sur la question particulière des restes humains.

Au-delà, et sur l’ensemble du sujet des restitutions, comme l’a souligné Catherine Morin-Desailly, qui porte depuis longtemps, avec constance et expertise, cette question au Sénat, notre pays a besoin d’affirmer une position claire et de se doter d’un cadre partagé pour répondre aux demandes de restitution en toute transparence.

Car le sujet est complexe et sensible. La sortie de ces biens met en jeu le principe d’inaliénabilité de nos collections et la vocation universaliste de nos musées.

Pour ce qui est en jeu aujourd’hui, les enjeux sont plus simples. Les restes humains ne sont pas des biens ordinaires. Leur restitution se justifie en vertu de principes qui sont non pas d’ordre patrimonial, mais liés au respect de la dignité des personnes et à la considération des cultures et des croyances d’autres peuples.

La France a d’ailleurs déjà accepté le retour de restes humains sur la terre de leurs ancêtres par la voie législative, sur l’initiative du Sénat. À cet égard, je veux de nouveau saluer le travail de Catherine Morin-Desailly.

Cependant, depuis lors, d’autres voies ont, hélas, été empruntées, au mépris du rôle du Parlement. Ce fut ainsi le cas de la remise de crânes à l’Algérie en juillet 2020, en dehors de tout cadre légal. Certes, une telle restitution correspondait à une forte attente, mais on ne peut laisser prospérer des décisions fondées sur le seul « fait du prince ».

Aussi avons-nous voulu, lors de notre mission d’information de 2020, et pour l’ensemble des restitutions, fixer un cadre permettant de vérifier si la sortie du domaine public est bien justifiée et d’échapper à un traitement législatif au cas par cas.

À la suite de ces travaux, notre proposition de loi est restée lettre morte, madame la ministre, en raison du peu d’intérêt que lui a porté votre prédécesseur, qui rejetait l’idée même d’un conseil national de réflexion.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la ligne était coupée entre le travail de fond du Sénat et une approche libérée de tout éclairage scientifique, qui était alors le choix de l’exécutif.

Nous tenions en effet à ce qu’une instance constituée de spécialistes intervienne, afin de porter une analyse objective, hors de toute passion, sur l’origine de l’œuvre, son itinéraire, les conditions de son entrée dans les collections publiques. Force est de constater que nous avons été éconduits. Les temps ont changé. Fort heureusement pour le texte que nous vous proposons, un comité scientifique, accepté par le Gouvernement, sera bien chargé d’identifier les restes humains en cas de litige.

Les critères de « restituabilité » que nous proposons font d’ailleurs consensus.

Il s’agit d’abord d’une demande portée par un État étranger concernant des restes humains datés de moins de 500 ans, appartenant à un groupe vivant dont la culture et les traditions restent actives, et dont les conditions de collecte portent atteinte au principe de la dignité humaine ou dont la présence dans des collections est incompatible avec la culture et les traditions de ce groupe vivant.

Par ailleurs, la restitution ne pourra avoir lieu qu’à des fins funéraires.

Enfin, le texte prévoit un procédé permettant au Parlement de suivre chaque année l’évolution des travaux effectués et à venir, au moyen d’un rapport annuel du Gouvernement.

Après l’adoption à l’unanimité du projet de loi-cadre facilitant la restitution de biens culturels spoliés aux familles juives durant la période nazie, nous franchissons donc aujourd’hui une nouvelle étape. Le triptyque que vous nous aviez annoncé avance au Sénat et dans le consensus. Nous vous en remercions, madame la ministre.

Vous avez ainsi annoncé un troisième texte, afin d’étudier le cas des biens culturels étrangers acquis, notamment, lors de la colonisation de l’Afrique. Nous avons, lors de notre mission, fixé des pistes concrètes et exigeantes. Le Sénat est prêt à travailler avec vous sur ce sujet plus large, mais aussi plus polémique, afin de fixer un véritable continuum juridique en matière de restitutions, dans le respect de l’ensemble des cultures.

Notre ligne sera la même : éclairer l’exécutif par une analyse scientifique indépendante portant sur l’œuvre, ses origines et son parcours, afin d’éviter polémiques, réécriture historique et fait du prince.

Mais, ce soir, il s’agit d’approuver un texte que nous avons élaboré au Sénat et que vous soutenez.

Madame la ministre, en vous remerciant de votre écoute et en vous redisant notre disponibilité et nos convictions pour la mise sur pied du troisième volet de ce triptyque, le groupe Les Républicains votera bien sûr cette proposition de loi. (Applaudissements.)

Mme le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)

Mme le président. Je constate que le texte a été adopté à l’unanimité.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Je veux bien sûr saluer ce texte, que je qualifie de texte de progrès, au sens où Cicéron l’entendait, à savoir une vraie marche en avant.

C’est un progrès dans une relation lucide avec l’Histoire ; c’est un progrès dans le respect que nous devons à toute personne, même après la mort ; c’est un progrès, enfin, dans la dimension éthique de nos collections muséographiques.

Si ce texte apparaît aujourd’hui comme une évidence – le vote à l’unanimité en est le reflet –, ce serait réduire sa portée de penser que tel a toujours été le cas. En effet, il a fallu un chemin assez long pour arriver à ce vote unanime.

À mon tour, je veux saluer le travail constant, rappelé par les uns et les autres, mené par les sénatrices et sénateurs qui se sont penchés sur ce sujet. Je tiens en particulier à remercier les trois auteurs de la proposition de loi, Catherine Morin-Desailly, Pierre Ouzoulias et Max Brisson, qui ont su aller au terme de ce processus, avec l’aide de vos services, madame la ministre.

Je souhaite également saluer personnellement, sur ce sujet, la ténacité, la persévérance et la qualité du travail de Catherine Morin-Desailly. (Applaudissements.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques
 

7

Article 10 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle
Article additionnel après l'article 10 - Amendement n° 25

Réforme de l’audiovisuel public

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme le président. L’ordre du jour appelle la suite de la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle (proposition n° 545, texte de la commission n° 694, rapport n° 693).

Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à un amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 10.

Chapitre II (suite)

Préservation de notre souveraineté audiovisuelle

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle
Article 11

Après l’article 10

Mme le président. L’amendement n° 25, présenté par MM. Kern et Savin, est ainsi libellé :

Après l’article 10

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 222-16-2 du code de la consommation, il est inséré un article L. 222-16-… ainsi rédigé :

« Art. L. 222-16- Les dispositions de l’article L. 222-16-1 ne s’appliquent pas aux retransmissions, en direct ou en différé, par des services de communications électroniques, d’événements sportifs ou compétitions sportives se déroulant hors du territoire français, ainsi que les extraits ou résumés de ces événements ou compétitions, dès lors que :

« 1° La législation du pays dans lequel se déroule l’événement sportif ou la compétition sportive concerné autorise la publicité relative à la fourniture des services mentionnés à l’article L. 222-16-1 ;

« 2° L’éditeur du service de communications électroniques qui retransmet l’événement sportif ou la compétition sportive concerné ne fait preuve d’aucune complaisance à l’égard des publicités relatives à la fourniture de services mentionnés à l’article L. 222-16-1, et n’a pas les possibilités techniques ou contractuelles de prévenir l’apparition de ces publicités. »

La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Cet amendement, que je vous présente avec mon collègue Michel Savin, vise à lever une insécurité juridique dans laquelle se trouvent les chaînes de télévision diffusant du sport en France.

Les autorités françaises leur ordonnent en effet, sous peine de sanctions, de cesser la diffusion de toute publicité pour des marques de services financiers à risques.

Certains organisateurs ou participants, lors d’événements sportifs ou compétitions sportives se déroulant à l’étranger, assurent la publicité de services ou sont parrainés par des services ou entreprises dont l’activité est encadrée en France, et dont la publicité ou les actions de parrainage sont interdites sur le territoire français – cependant qu’elles ne le sont pas dans le pays où se déroule l’épreuve.

Les diffuseurs en France de ces événements ou compétitions sportives sont donc confrontés à l’apparition des logos et marques de ces services. Pour illustrer mon propos, je prendrai l’exemple de l’équipe de l’Atalanta Bergame Calcio, un logo apparaissant dans le coin haut gauche du maillot.

Ces publicités ne s’adressent pas au public français, mais les chaînes françaises ne peuvent pas intervenir techniquement ou contractuellement pour en empêcher l’apparition durant la diffusion.

Le présent amendement vise donc à aménager, comme dans les cas de la publicité pour l’alcool ou le tabac, les règles de publicité relatives aux services financiers. Il y a urgence, car les téléspectateurs français pourraient se voir privés, dès septembre, de matchs européens de Rennes, Lens, Paris ou Marseille, au motif que ces équipes seraient opposées, au niveau européen, à des équipes parrainées par des marques dont les publicités sont jugées illicites en France.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Cet amendement met en évidence un problème de coordination entre les réglementations européenne et nationales, puisqu’un sponsor sur un maillot peut être autorisé dans un pays, mais pas dans un autre, ce qui pose la question de la validité des droits de diffusion de la compétition régulièrement acquis dans le pays qui n’autorise pas le sponsor considéré.

Nonobstant mon admiration sans bornes pour Gian Piero Gasperini, l’entraîneur de l’Atalanta Bergame, la commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement s’agissant d’un sponsor proposant des placements spéculatifs de nature à exposer les épargnants à un risque financier.

Mme le président. Quel est donc l’avis – très attendu (Sourires.) – du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, la difficulté que vous soulevez est réelle. Je comprends que certains diffuseurs sportifs souhaitent se voir exonérés de leurs responsabilités lorsqu’ils ne font que retransmettre des images en provenance d’autres États, où ces publicités sont licites.

Toutefois, il existe un risque que, une fois cette dérogation admise par la loi, des annonceurs malintentionnés ne profitent de la retransmission en France pour contourner une réglementation qui protège le consommateur français.

Nous avons connu cette situation, voilà quelques années, avec la publicité pour l’alcool. Les alcooliers profitaient de la retransmission en France pour contourner la loi Évin et adresser leurs publicités aux consommateurs français. Plutôt que de déroger à la loi Évin, c’est, à l’époque, la régulation du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), aujourd’hui Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), qui a permis de prendre le relais.

Le CSA avait élaboré avec les diffuseurs un code de bonne conduite, qui a permis de régler la question en distinguant les responsabilités des uns et des autres – les différentes compétitions et les moyens à la charge des chaînes –, pour prévenir l’apparition de ces publicités.

Selon, moi, cette voie d’une régulation souple est préférable. Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

Mme le président. Quel est maintenant l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Même avis.

Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.

M. Thomas Dossus. Je souhaite réitérer une remarque formulée en commission sur la mansuétude avec laquelle l’article 45 de la Constitution a été appliqué pour ce qui concerne cet amendement ayant trait à la régulation de la publicité.

En effet, mon propre amendement n° 69 a été déclaré irrecevable au titre de l’article 45, alors qu’il portait sur l’autorégulation de la publicité.

Mme le président. La parole est à M. Claude Kern, pour explication de vote.

M. Claude Kern. Je comprends tout à fait votre position, madame la ministre. Toutefois, rappelez-vous, pour ce qui concernait l’alcool, il était possible de mettre en place un système de floutage et même de changer le nom d’une marque. Au cours de l’Euro 2016, une marque de bière est devenue Probably.

Sans doute serait-il souhaitable, madame la ministre, que le Gouvernement, à un moment donné, prenne une décision claire et explique les dispositions qu’il envisage de prendre pour lever cette insécurité juridique. Sinon, en septembre, lors du championnat européen, les spectateurs français risquent d’être privés de matchs où évolue leur propre équipe.

Au demeurant, je retire cet amendement.

Mme le président. L’amendement n° 25 est retiré.

Article additionnel après l'article 10 - Amendement n° 25
Dossier législatif : proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle
Article additionnel après l'article 11 - Amendement n° 50

Article 11

Le II de l’article 20-7 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi modifié :

1° À la première phrase du premier alinéa, les mots : « à compter du 1er janvier 2022 », les mots : « de tout ou partie » et les mots : « dans des conditions précisées par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique » sont supprimés ;

2° Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :

« Les services et programmes d’intérêt général s’entendent comme les services et programmes édités par un des organismes mentionnés au titre III de la présente loi et par la chaîne TV5 Monde pour l’exercice de leurs missions de service public, et les services de communication audiovisuelle et les programmes des groupes titulaires d’une ou plusieurs autorisations d’usage de la ressource radioélectrique pour la diffusion hertzienne terrestre d’un service de télévision à caractère national à accès libre en application de l’article 30-1 de la présente loi. » ;

3° Le dernier alinéa est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :

« Le nombre d’actions nécessaires que doit accomplir l’utilisateur pour accéder aux services et programmes d’intérêt général ne doit pas être supérieur de plus d’une action au nombre d’actions nécessaires pour accéder aux services et programmes les mieux exposés sur l’interface utilisateur.

« L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique détermine l’ordre d’affichage des services et des programmes d’intérêt général en tenant compte en particulier de la numérotation logique, des audiences des services diffusés par voie hertzienne terrestre et de la nécessité de favoriser l’accès à une offre de programmes francophones, culturels et éducatifs de qualité.

« La présentation retenue doit en outre garantir l’identification de l’éditeur du service ou du programme mis en avant. »

Mme le président. L’amendement n° 73, présenté par M. Bargeton, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Il s’agit d’un sujet un peu technique, et j’essaierai d’être le plus clair possible.

Les évolutions technologiques et la profusion de services remettent désormais en cause la visibilité des services de télévision et de radio. La présence d’un service audiovisuel ou d’une application sur l’interface d’un téléviseur, la mise en avant d’une application sur un magasin d’applications, ou encore l’intégration d’un bouton sur une télécommande relèvent généralement d’accords internationaux entre les géants de l’internet et de l’audiovisuel, d’une part, et les opérateurs des interfaces utilisateur, c’est-à-dire les distributeurs ou fabricants d’équipements audiovisuels, d’autre part.

Il était donc nécessaire de réguler ces pratiques, ce qui a été fait par transposition de la directive sur les services de médias audiovisuels, avec l’ajout d’un article 20-7 à la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Les dispositions introduites par cet article et son décret d’application sont en cours de mise en œuvre par l’Arcom. Elles devraient produire leurs effets dès la fin de l’année 2023, l’Arcom ayant publié le 14 mars 2023 la liste des interfaces éligibles au dispositif et soumis à consultation publique son projet de délibération fixant les modalités pratiques de mise en avant des services d’intérêt général.

Les modifications apportées par l’article 11 ont pour conséquence de retirer au dispositif actuel la souplesse permise par l’article 20-7 et absolument nécessaire à son adaptation face aux évolutions très rapides du marché.

Ainsi, cet article aboutirait à figer des éléments qui pourraient être qualifiés de services d’intérêt général. Ce faisant, les dispositions envisagées empêcheraient, par exemple, des radios privées ou associatives, des chaînes de télévision hertziennes locales, des chaînes de télévision diffusées par d’autres réseaux ou des services à la demande qui ne seraient pas adossés à une chaîne de télévision nationale hertzienne d’être qualifiés de services d’intérêt général, indépendamment de leur apport au pluralisme des courants de pensée et d’opinion ou à la diversité culturelle.

Afin de garantir l’efficacité et la pérennité du dispositif prévu à l’article 20-7, il est proposé de supprimer l’article 11.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Non, malgré les allégations de notre collègue Julien Bargeton, la commission ne souhaite pas supprimer cet article. Elle est donc défavorable à cet amendement.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Le Gouvernement est favorable à cet amendement.

Nous partageons l’objectif de donner une meilleure visibilité aux services d’intérêt général. L’Arcom, qui travaille sur cette question, vient de lancer une consultation publique sur l’identification des services qui pourraient être qualifiés d’intérêt général. Je ne reprendrai pas l’argumentaire très précis et pédagogique de M. le sénateur Julien Bargeton.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 73.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 56, présenté par Mme S. Robert, MM. Assouline, Kanner, Antiste, Chantrel, Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Après les mots :

TV5 Monde

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

et les services à vocation régionale ou locale dont le capital est majoritairement détenu par l’État, une collectivité territoriale ou une personne de droit public, pour l’exercice de leurs missions de service public.

La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Les services et programmes d’intérêt général, les SIG, ne concernent pas uniquement les niveaux national et international. Ils peuvent également exister à l’échelle locale. C’est pourquoi il paraît pertinent d’élargir la définition des SIG aux télévisions régionales ou locales.

Cependant, plusieurs conditions doivent être posées.

Il s’agit, premièrement, d’une condition capitalistique. Ces SIG régionaux ou locaux doivent être majoritairement détenus par l’État, les collectivités territoriales ou une personne de droit public. En somme, les capitaux doivent être majoritairement publics.

Je tiens à le souligner, de plus en plus de collectivités territoriales investissent dans leurs médias locaux. Cette tendance suit celle de l’audience croissante de ces médias, les téléspectateurs appréciant ces informations de proximité, ainsi que le traitement journalistique qui en est fait. Preuve en est, les médias locaux, presse régionale comprise, sont ceux auxquels les Français font le plus confiance, selon une étude de 2021.

Il s’agit ensuite d’une condition liée aux missions des SIG régionaux ou locaux. Ces derniers doivent remplir une mission de service public, notamment en matière d’information.

Sur ce point, il convient de rappeler que les télévisions locales signent des conventions avec l’Arcom pour émettre sur le réseau hertzien, qui comprennent des obligations de production d’informations locales sur la zone de diffusion. En d’autres termes, un encadrement très précis existe.

Afin de dynamiser et de soutenir encore plus l’information locale, il est donc proposé d’intégrer les SIG régionaux ou locaux à la définition globale des SIG.

Mme le président. L’amendement n° 46, présenté par M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Chantrel, Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Après les mots :

service public

supprimer la fin de cet alinéa.

La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. J’ai déjà pointé un certain nombre de dispositions ne servant pas franchement le renforcement de l’audiovisuel public, alors que le texte se présente comme tel. Parmi les « petits cadeaux » faits aux groupes privés, on peut citer la disposition prévue à cet article.

Vous ne cessez de nous dire qu’il faut une visibilité tout à fait particulière du service public, par exemple en supprimant la publicité.

Puis, tout à coup, alors que le service public bénéficie justement de cette particularité d’être un service d’intérêt général et de bénéficier d’une exposition particulière, mais aussi d’obligations liées à ce statut, vous décrétez que toutes les chaînes d’actualité, donc toutes les chaînes d’actualité privées, doivent bénéficier de cette même exposition, puisqu’elles sont conventionnées et respectent plus ou moins – plutôt moins, d’ailleurs – une directive européenne ayant accordé aux chaînes privées ce type de label.

Ce n’est pas possible : vous ne pouvez pas à la fois nous dire que vous renforcez le service public et le banaliser à ce point. Selon vous, il serait autant d’intérêt général que toutes les chaînes privées, ce qui justifierait que vous lui retiriez un avantage concurrentiel alors que les parlementaires sont là pour servir l’intérêt général ! Ne sommes-nous pas, quelque part, le service public ?

Or, aux termes de la proposition que vous avez introduite de façon incroyable, toutes les chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT) bénéficieront du même avantage concurrentiel que celui dont bénéficiait le service public. Ce faisant, vous affaiblissez ce dernier et vous répondez à la demande du privé, comme dans beaucoup d’autres domaines d’ailleurs.

C’est à la fois anormal et incroyable. Je trouve assez audacieux de votre part de présenter cette proposition de loi comme un texte visant à défendre le service public. Je ne pensais pas que vous iriez jusque-là ! Vous franchissez ce cap, mais on ne vous suit pas. Cet amendement vise donc à rétablir le fait que le label « services et programmes d’intérêt général » est réservé au seul service public.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Sur l’amendement n° 56, je ferai les mêmes remarques que sur les deux précédents amendements : l’intérêt du service public est d’inclure l’ensemble des chaînes de la TNT parmi les SIG. J’émets donc un avis défavorable.

Quant à l’amendement n° 46, il aurait pour conséquence de contredire le droit européen, qui permet aux autorités nationales d’élargir la définition des SIG au-delà des seuls médias publics.

Cet élargissement à l’ensemble des chaînes de la TNT est défendu par France Télévisions afin de pouvoir peser véritablement face aux fabricants de téléviseurs connectés – c’est une évidence. Il n’y a, en effet, aucune chance que ces industriels acceptent de créer un bouton TNT réservé aux seules chaînes publiques, comme nous l’a indiqué la présidente de France Télévisions. Je suis donc également défavorable à cet amendement.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Permettez-moi de vous donner lecture de l’article 20-7 de la loi du 30 septembre 1986 pour lever la confusion qui semble s’être invitée : « Après consultation publique, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut y inclure, de manière proportionnée et au regard de leur contribution au caractère pluraliste des courants et pensée et d’opinion et à la diversité culturelle, d’autres services de communication audiovisuelle. » Il est donc possible d’inclure dans les SIG d’autres services que les services publics. La directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) autorise aussi cet élargissement. L’Arcom est précisément en train de mener la consultation prévue à cet effet.

Je demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Je suis encore plus choqué ! (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Êtes-vous en train de nous dire que la loi actuelle n’est pas la loi ? Aujourd’hui, les autres chaînes de la TNT ne bénéficient pas de ce label. Vous me répondez que la directive SMA permettra cet élargissement. Je ne dis pas que ce que propose M. Hugonet va à l’encontre de la loi ou que c’est anticonstitutionnel : je dis que sa proposition de loi vise à modifier la loi actuelle, laquelle réserve le label SIG aux services publics. La loi de 1986 permet déjà d’aller dans ce sens, dites-vous. Oui, mais il est aussi possible d’aller dans un autre sens !

Je vous donne un exemple. Vous venez de citer la loi de 1986 qui ouvre la labélisation aux chaînes assurant, en interne, le pluralisme des opinions, des idées, etc. Mais j’ai cru vous entendre déclarer, madame la ministre, que ce n’était pas complètement le cas de certaines chaînes de la TNT… Allez-vous tout de même leur accorder ce label, notamment à CNews ? Ça, c’est du concret ! N’avez-vous pas reconnu que cette chaîne posait problème par rapport au pluralisme interne ?

Or cette proposition de loi, dont M. Hugonet est rapporteur, tend à prévoir que toutes les chaînes de la TNT doivent en bénéficier : la boucle est bouclée !

Si l’on doit ouvrir le label à d’autres services, comme les programmes régionaux ou locaux, ainsi que le propose Sylvie Robert, cela nécessite d’en débattre avant. Un tel élargissement ne saurait être décidé à la va-vite, au détour d’un texte voté à la veille de l’été, car il s’agit d’une disposition importante.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 56.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 46.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 47, présenté par M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Chantrel, Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Pour les éditeurs de services diffusant plus de 20 % de leur temps de diffusion à des œuvres audiovisuelles, la part du chiffre d’affaires consacrée à des dépenses contribuant au développement de la production d’œuvres audiovisuelles européennes ou d’expression originale française dans des œuvres relevant des genres énumérés au second alinéa du 3° de l’article 27 de la loi du 30 septembre 1986 susvisée ne doit pas être inférieure à 12,5 %.

La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. L’article 11 vise à donner une définition des services d’intérêt général pour lesquels une visibilité appropriée devra être assurée sur les interfaces utilisateur comme les téléviseurs connectés.

Le présent amendement, de repli, a pour objet de préciser, pour les chaînes gratuites et privées de la TNT, les critères ouvrant droit à cette qualification, et par conséquent à leur mise en avant sur les supports connectés.

Il est en effet essentiel de tenir compte, pour les services de la TNT qui sont assujettis à des obligations de financement de la création audiovisuelle, du niveau d’engagement dans la création, plus précisément dans la création la plus ambitieuse, à savoir la création patrimoniale – fiction, animation, documentaire de création, spectacle vivant.

Un lien doit être créé entre la qualité de service d’intérêt général et l’exigence éditoriale en matière de création patrimoniale.

C’est pourquoi il est proposé de réserver, pour les services privés de la TNT gratuite qui sont soumis à des obligations d’investissement, la qualité de service d’intérêt général aux diffuseurs qui se sont engagés à investir l’intégralité de leurs obligations dans le financement de la création patrimoniale ou qui ont fait le choix d’investir au moins 12,5 % de leur chiffre d’affaires dans les œuvres patrimoniales.

Puisque vous voulez ouvrir aux autres chaînes le label SIG, elles doivent connaître les mêmes obligations de service public.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Comme cela a déjà été précisé au sujet du précédent amendement, l’objectif de l’élargissement du périmètre des SIG à l’ensemble des chaînes de la TNT est de peser par rapport aux distributeurs et aux fabricants de télévisions connectés.

Il n’apparaît donc pas opportun de créer des contraintes supplémentaires qui réduiraient la possibilité d’atteindre cet objectif. La commission a émis un avis défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Avis défavorable. L’Arcom a démarré hier la consultation publique relative au périmètre des services d’intérêt général. Nous pourrons en reparler bientôt, monsieur le sénateur Assouline.

Mme le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Il y a aussi un problème de méthode. Hier, madame la ministre, vous étiez défavorable à nos amendements, étant contre la holding. C’était d’ailleurs assez frustrant. Mais aujourd’hui vous changez de pied : vous donnez des avis comme si vous construisiez cette loi. Dont acte, mais cela me semble relativement incohérent…

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 47.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 57, présenté par Mme S. Robert, MM. Assouline, Kanner, Antiste, Chantrel, Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 7

Après le mot :

terrestre

insérer les mots :

sur leur bassin de réception hertzienne

La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Il s’agit d’un amendement de précision, qui tend à compléter le précédent.

En ce qui concerne les SIG régionaux ou locaux, il paraît logique de préciser que cette audience est mesurée à l’échelle du bassin de diffusion ou de réception hertzienne. Sans cet ajout, les SIG locaux seraient mécaniquement relégués, ce qui ne correspond ni à la demande de proximité exprimée par nos concitoyens ni à la plus-value apportée par ces télévisions.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Il n’apparaît pas utile de préciser outre mesure les critères qui seront utilisés par l’Arcom pour déterminer l’ordre d’affichage des services et programmes d’intérêt général, d’autant plus que le critère de la numérotation logique est appelé à être privilégié. Avis défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Même avis défavorable que M. le rapporteur.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 57.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 98, présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« La qualification de service d’intérêt général est retirée à tout service audiovisuel privé dont l’un des programmes a fait l’objet d’une mise en demeure ou d’une sanction de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. »

La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. L’article 11 vise à préciser le régime des services d’intérêt général qui entrera en application à partir de 2024. On peut considérer que le SIG est à l’audiovisuel ce que le label d’information politique et générale (IPG) est à la presse. Il s’agit de distinguer des contenus de produits qui, en raison de leur objet d’intérêt général, font l’objet d’une mise en avant particulière.

L’article 11 vise à étendre les SIG au-delà des programmes de l’audiovisuel public. Pour autant, la qualification de SIG implique, à mon sens, une certaine exemplarité dès lors qu’elle confère une visibilité particulière.

Il serait difficilement compréhensible qu’une société dont les programmes portent atteinte, par exemple, aux droits de la personne relatifs à la vie privée, à son image ou à son honneur, et à sa réputation, puisse bénéficier d’une telle mise en avant.

C’est la raison pour laquelle cet amendement vise à retirer immédiatement la qualification de SIG aux sociétés privées ayant fait l’objet d’une mise en demeure ou de sanctions de la part de l’Arcom.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Il n’apparaît pas souhaitable de conditionner la qualification de SIG à l’absence de mise en demeure ou de sanction par l’Arcom, d’autant plus qu’aucune précision n’est donnée quant à la gravité des faits qui pourraient entraîner cette « double peine ».

On peut, par ailleurs, rappeler que même France Télévisions fait l’objet de mises en demeure de la part du régulateur. Par une décision du 11 avril 2018, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, estimant que le contenu d’un reportage traduisait un défaut de mesure dans l’évocation d’une procédure judiciaire criminelle en cours, avait ainsi mis en demeure la société France Télévisions de respecter à l’avenir son cahier des charges.

Cet amendement aurait donc pour conséquence de créer une nouvelle asymétrie entre les chaînes publiques et privées. La commission a émis un avis défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Je précise, une fois de plus, que je ne suis globalement pas favorable à cette proposition de loi. Mais, puisqu’il s’agit d’amendements d’appel permettant d’avoir un débat de fond sur des enjeux importants, je prends la peine d’y répondre.

La manière dont est rédigé votre amendement, madame de Marco, pose quand même question puisque vous ne ciblez que le service audiovisuel privé alors que le service public peut aussi faire l’objet de mises en demeure ou de sanctions. C’est par ailleurs dès la première mise en demeure ou sanction de l’Arcom que vous voulez retirer la qualification de service d’intérêt général. Une telle disposition me semble assez disproportionnée. La loi prévoit en effet une gradation dans les interventions de l’Arcom.

Pour toutes ces raisons, j’émets également un avis défavorable.

Mme le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour explication de vote.

Mme Monique de Marco. Je comprends les réserves de Mme la ministre. Cet amendement va un peu loin, mais c’est néanmoins une piste qui mériterait d’être d’explorée. On ne peut pas attribuer des SIG à vie, et il faut bien trouver un moyen de restreindre cette qualification si certains services contreviennent aux obligations qui en découlent.

Certes, cet amendement est un peu « raide », mais il permet d’ouvrir le débat sur l’article 11 et les SIG. Je veux bien qu’il soit éventuellement sous-amendé pour l’adoucir.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 98.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 11.

(Larticle 11 est adopté.)

Après l’article 11

Article 11
Dossier législatif : proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle
Article 11 bis (nouveau)

Mme le président. L’amendement n° 50, présenté par M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Chantrel, Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 11

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le douzième alinéa de l’article 28 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« …°La part minimale d’investissement consacrée à l’information ; ».

La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Avant toute chose, puisqu’une prise de parole sur l’article n’est pas ici possible, je voudrais faire savoir que mon amendement n° 51 portant également article additionnel après l’article 11 a été déclaré irrecevable au titre de l’article 45 de la Constitution. Une telle décision est totalement injustifiée.

M. Roger Karoutchi. J’en étais sûr…

M. David Assouline. Puisqu’il ne m’est pas possible d’en parler à ce moment du débat, je trouverai le moyen de l’évoquer ultérieurement dans l’hémicycle.

M. Laurent Burgoa. On n’en doute pas ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. David Assouline. L’amendement n° 50 vise à reprendre une proposition adoptée à l’unanimité de ses membres par la commission d’enquête sur la concentration des médias en France.

Compte tenu de l’importance de l’information et du travail des rédactions, notamment dans l’audiovisuel, qui demeure, en dépit de la montée en puissance du numérique, un vecteur extrêmement puissant de diffusion, il avait semblé essentiel que figure aussi parmi les différentes obligations légales pour l’audiovisuel public un engagement concernant l’information.

La loi de 1986, à son article 28, fait déjà obligation de faire figurer dans les conventions certains engagements chiffrés de programmation. Il en est ainsi de la proportion substantielle d’œuvres musicales françaises ou interprétées en langues régionales, de la part des ressources consacrées à l’acquisition de droits de diffusion de films d’expression originale française, des proportions de programmes accessibles aux personnes sourdes ou malentendantes, etc.

En revanche, il n’existe aucune obligation légale sur la proportion d’investissements dans l’information. Or l’information est pour le service public quelque chose de fondamental. Dans le monde actuel, cet enjeu ne doit pas être affaibli et là doit être la tâche première du service public.

Mme le président. Veuillez conclure, cher collègue…

M. David Assouline. Je propose donc qu’il y ait une part minimale d’investissement consacrée à l’information.

Mme le président. Il faut conclure, cher collègue !

M. David Assouline. Je n’ai dépassé mon temps de parole que de cinq secondes, madame la présidente !

Mme le président. Monsieur Assouline, vous disposez de deux minutes pour présenter un amendement. Deux minutes, ce n’est pas deux minutes dix ni deux minutes trente. Quand la présidence de séance dit stop, c’est stop, d’autant que, lorsque vous présidiez les débats, vous étiez vous-même strict sur le respect des temps de parole ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. Très bien !

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. L’avis de la commission devrait adoucir les mœurs, puisqu’il sera favorable. (Sourires.)

La proposition consistant à obliger les chaînes d’information à investir à un niveau minimal dans l’information a été faite par le président Laurent Lafon lors des travaux de la commission d’enquête sur la concentration dans les médias. Elle a été une des rares à faire l’unanimité et à retenir l’attention de l’Arcom.

L’information constitue un point fort des chaînes par rapport aux plateformes.

M. Max Brisson. C’est vrai !

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Il apparaît donc légitime de renforcer cet avantage comparatif dans les conventions négociées avec le régulateur.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Je comprends ce débat, mais il soulève deux difficultés.

D’une part, on imagine difficilement contraindre une chaîne musicale, par exemple, à investir dans des programmes d’information. Il faudrait donc se limiter aux seuls éditeurs qui diffusent effectivement de l’information, mais à quel degré ?

D’autre part, comment mettre en œuvre cette mesure ? Quelles dépenses doivent-elles être comptées comme des dépenses d’information ? Ce n’est pas si évident.

J’émets donc un avis de sagesse sur ce sujet complexe.

Mme le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Les minima seront bien sûr définis en fonction du média. Effectivement, une chaîne musicale n’aura pas les mêmes contraintes qu’une autre chaîne. C’est une réflexion qu’il faudra bien évidemment construire.

Madame la présidente, quand je présidais les débats, je coupais l’orateur à deux minutes et dix secondes lorsque la chute ne venait pas. Vous m’avez interrompu brutalement à deux minutes et trois secondes alors que je finissais ma phrase. À chacun sa conception… Vous avez parfaitement le droit de couper le micro à deux minutes pile, mais alors faites-le pour tout le monde ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme le président. C’est bien ce que je fais !

M. David Assouline. Non, ce n’est pas ce que vous faites. (Les protestations redoublent sur les mêmes travées.) Le concert qui vous accompagne et vous soutient ne m’impressionne pas du tout. Vous avez rempli votre rôle, je ne le remets pas en question. Il me reste encore cinquante-trois secondes de temps de parole, je pourrais continuer, mais je m’arrête là.

M. François Bonhomme. Encore faut-il avoir des choses à dire…

Mme le président. Chacun sait comment je préside, monsieur Assouline, je ne privilégie personne : ni à droite ni à gauche ! Je ne reviendrai pas là-dessus.

Je mets aux voix l’amendement n° 50.

(Lamendement est adopté.)

Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 11.

Article additionnel après l'article 11 - Amendement n° 50
Dossier législatif : proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle
Article additionnel après l'article 11 bis - Amendement n° 24 rectifié bis

Article 11 bis (nouveau)

I. – Le dernier alinéa de l’article 30-1-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi modifié :

1° Le mot : « trois » est remplacé par le mot : « cinq » ;

2° Le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « sept ».

II. – L’avant-dernier alinéa de l’article 25 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi rédigé :

« Elle peut également, en vue d’assurer la gestion optimale des fréquences radioélectriques ou de favoriser la modernisation de la diffusion des services de télévision par voie hertzienne terrestre, modifier les autorisations et les assignations délivrées en application des articles 30-1 et 30-2. Elle peut organiser le regroupement des éditeurs de services sur une ou plusieurs ressources radioélectriques. »

Mme le président. L’amendement n° 71, présenté par M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Chantrel, Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Cet article 11 bis a été introduit lors de l’examen du texte en commission, sur proposition de notre collègue Catherine Morin-Desailly.

Il ne nous semble pas opportun de prévoir un allongement des délais d’autorisation en vue de l’arrivée des services en ultra haute définition (UHD) lors des renouvellements d’autorisation des chaînes TNT payantes en 2025.

Je m’interroge sur le bien-fondé de ce dispositif. En tout état de cause, je ne suis pour l’instant pas convaincu. C’est la raison pour laquelle je présente cet amendement de suppression.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. La loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique a prévu les conditions de l’expérimentation de l’UHD en permettant à l’Arcom de réorganiser les multiplex afin, par exemple, de permettre la création d’une chaîne UHD consacrée aux jeux Olympiques de 2024.

Cette disposition ne prenait pas en compte la probabilité de l’arrêt des chaînes payantes de la TNT en 2025. Or il est d’intérêt public d’innover afin d’assurer l’avenir de la TNT. L’UHD est appelée à jouer un rôle essentiel pour ce faire.

J’émets donc un avis défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. J’ai indiqué hier que nous étions favorables à l’ultra haute définition. C’est une étape nouvelle dans la modernisation de la TNT. Je rejoins donc l’avis de M. le rapporteur.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 71.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 11 bis.

(Larticle 11 bis est adopté.)

Après l’article 11 bis

Article 11 bis (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle
Article 12

Mme le président. L’amendement n° 24 rectifié bis, présenté par Mme Morin-Desailly, MM. Lafon et Henno, Mme Guidez, M. Levi, Mme Gatel, MM. J.M. Arnaud, Duffourg et Chauvet, Mme Saint-Pé, MM. Hingray et Capo-Canellas, Mmes Herzog, Billon et Devésa, MM. Détraigne et Longeot et Mme de La Provôté, est ainsi libellé :

Après l’article 11 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa du I de l’article 34-2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les dispositions du présent alinéa ne sont pas applicables lorsque ces services sont distribués par contournement. »

La parole est à M. Pierre-Antoine Levi.

M. Pierre-Antoine Levi. Cet article vise à exclure les services distribués par contournement, qu’ils proviennent de distributeurs over the top (OTT) ou d’opérateurs de réseaux de communication électronique.

L’obligation de must carry applicable aujourd’hui à ce mode de distribution n’apporte pas de couverture supplémentaire du territoire. Les services distribués par contournement le sont grâce au fait que le distributeur emprunte les réseaux existants, qu’ils soient ou non les siens, pour commercialiser ses offres de service.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Cette disposition avait été examinée en commission dans le cadre d’un amendement de Catherine Morin-Desailly de portée plus large, qui n’avait pu être adopté.

Cette nouvelle rédaction devrait permettre à France Télévisions de mieux maîtriser la reprise de son signal par les plateformes. Avis favorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. La notion de distribution par contournement, particulièrement complexe, n’est définie nulle part. On ne peut pas exclure par principe que certains de nos compatriotes ne soient pas dépendants des distributeurs OTT pour recevoir l’offre groupée des chaînes de la TNT, en particulier des programmes de service public. Cet amendement les en priverait. À ce stade, j’en demande le retrait.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 24 rectifié bis.

(Lamendement est adopté.)

Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 11 bis.

Article additionnel après l'article 11 bis - Amendement n° 24 rectifié bis
Dossier législatif : proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle
Discussion d'article après l'article 12 - Amendement n° 80

Article 12

L’article 42-3 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi modifié :

1° La seconde phrase du premier alinéa est ainsi modifiée :

a) Le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « deux » ;

b) (nouveau) Sont ajoutés les mots : « ou si l’Autorité estime que cette modification de contrôle ne porte pas atteinte à l’impératif fondamental de pluralisme et à l’intérêt du public et qu’elle n’a pas un objectif manifestement spéculatif » ;

2° (nouveau) À la première phrase du quatrième alinéa, après le mot : « agrément », sont insérés les mots : « à une modification, substantielle ou non, de l’autorisation, ne remettant pas en cause l’orientation générale du service, lorsqu’elle est justifiée par un motif d’intérêt général et ».

Mme le président. Je suis saisie de trois amendements identiques.

L’amendement n° 21 est présenté par M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Chantrel, Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 74 est présenté par M. Bargeton.

L’amendement n° 95 est présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. David Assouline, pour présenter l’amendement n° 21.

M. David Assouline. Je l’ai dit en commission, c’est l’un des articles qui m’ont le plus déçu dans cette proposition de loi.

Le Sénat, dans l’histoire des débats sur l’audiovisuel public, s’est parfois distingué en votant des avancées, y compris grâce à des consensus transpartisans.

C’est ainsi que nous avions discuté de la pratique des reventes spéculatives de fréquence consistant à obtenir une fréquence avec un projet, à la faire fructifier, à la revendre beaucoup plus cher et à réaliser une plus-value importante. Pour éviter ces reventes spéculatives, nous avions décidé de passer à cinq ans le délai de revente fixé à l’époque à deux ans et demi. J’avais proposé un amendement, soutenu par Catherine Morin-Desailly. Nous avions mené ce combat ensemble et nous avons réussi.

Or, maintenant, vous souhaitez réduire à deux ans la période minimale durant laquelle un titulaire d’autorisation d’émettre en TNT ne peut revendre le service pour lequel l’autorisation lui a été attribuée par l’Arcom. Vous revenez donc sur une mesure unanimement considérée comme une avancée du Sénat.

Encore une fois, je ne comprends pas. Tout cela n’a rien à voir avec la défense du service public et de la holding, qui est pourtant l’objectif affiché de cette loi. Voilà encore un cadeau manifeste en faveur du privé. Les facultés sont multiples – je ne les développerai pas ici – puisqu’il n’y a plus aucune règle pour encadrer et réduire les possibilités de reventes spéculatives. Recevoir une chaîne de la TNT, c’est un privilège qui implique des devoirs : ce n’est pas pour faire du pognon !

Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour présenter l’amendement n° 74.

M. Julien Bargeton. Les fréquences audiovisuelles appartiennent au domaine public de l’État. Les éditeurs de services n’en sont pas propriétaires et ne peuvent les céder. Contrairement au secteur des télécoms, l’usage de ces fréquences de diffusion est accordé à titre gratuit. Il s’agit là d’un élément de principe important.

Dès lors, il n’est pas concevable que les opérateurs qui sont titulaires de telles fréquences puissent en tirer profit en cas de vente d’une chaîne de télévision.

C’est la raison pour laquelle le législateur a souhaité lutter contre la spéculation liée à la « revente de fréquences » en prohibant, notamment, la cession d’une chaîne de télévision dans les cinq premières années de son autorisation par l’Arcom.

Je n’évoquerai pas l’affaire ayant défrayé la chronique et impliquant une personnalité assez célèbre, qui avait valu cet encadrement voulu notamment par le Sénat.

En atténuant substantiellement la portée d’une telle prohibition, l’assouplissement prévu à l’article 12 de la proposition de loi remet en cause cet objectif d’intérêt général. (Mme Sylvie Robert et M. David Assouline acquiescent.) Je le dis avec d’autant plus de gravité que les autorisations de nombreuses chaînes arrivent à échéance en 2025 et que l’Arcom devra en délivrer de nouvelles à cette date.

M. David Assouline. Bien sûr !

M. Julien Bargeton. C’est donc non seulement tout à fait contestable sur le fond, mais aussi particulièrement peu opportun au regard de la période qui s’ouvre.

C’est pourquoi je vous invite collectivement à supprimer cet article 12.

Mme le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour présenter l’amendement n° 95.

Mme Monique de Marco. J’irai dans le même sens que mes collègues. Cet article 12 m’amène à m’interroger : que fait-il dans cette proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle ?

À mon sens, il n’a qu’un seul objectif : adapter la loi à des situations particulières et permettre d’accélérer, par exemple, le calendrier de vente de M6, voire sa fusion avec TF1. Ce genre de disposition affaiblit la valeur de la loi et la confiance des citoyens dans le législateur.

Bien sûr, nous nous y opposons et nous souhaitons supprimer cet article 12.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. L’adoption de ces amendements de suppression aurait pour conséquence de « vitrifier » le secteur des médias privés jusqu’en 2032 en rendant impossible toute évolution du contrôle du capital des chaînes.

Une telle disposition aurait aussi pour effet d’interdire à de nouveaux investisseurs de long terme de pouvoir concourir au développement des médias français au moment où ces derniers doivent engager des investissements considérables pour relever les défis du numérique.

La commission a donc émis un avis défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Depuis les premières opérations de revente des chaînes de la TNT en 2011, le Gouvernement et le Parlement, significativement la Haute Assemblée, n’ont eu de cesse de lutter contre ce type d’opérations.

L’Arcom doit délivrer quatorze nouvelles autorisations de TNT en 2025. Indiquer aux nouveaux opérateurs qu’ils pourront revendre presque immédiatement leurs chaînes après leur autorisation serait quand même un très mauvais signal pour la TNT.

Je suis donc favorable à ces trois amendements de suppression.

Mme le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Pour ajouter aux arguments et entrer dans le concret de ce qui pourrait se produire, je veux indiquer que le patron de Canal+, interrogé lors d’une audition, m’a répondu qu’au moment du renouvellement il pourrait se séparer de chaînes de la TNT. Et s’il le faisait juste après avoir obtenu l’autorisation, puisqu’il ne serait plus tenu d’attendre cinq ans ?

Est-ce que vous imaginez la spéculation à laquelle cela pourrait donner lieu ? Est-ce que vous imaginez ce que cela impliquerait concrètement ? Je n’accuse évidemment pas le rapporteur d’avoir eu ce cas en tête – il ne s’agit d’ailleurs pas d’un cas d’école.

En tout état de cause, il n’y a pas de « vitrification » jusqu’en 2032 – j’ignore pourquoi vous avez mentionné cette date, monsieur le rapporteur. Vous souhaitez ramener le délai, qui est aujourd’hui de cinq ans, à seulement deux ans, c’est-à-dire quasiment à rien.

J’estime au contraire qu’une autorisation engage son titulaire, et qu’un délai de cinq ans est nécessaire pour la faire fructifier.

Alors qu’ils ont soutenu, à l’époque, cette exigence de base qui n’est ni de droite ni de gauche, mes collègues des groupes Les Républicains et Union Centriste s’apprêtent à défaire – peut-être est-ce par manque de mémoire ? – ce que cette assemblée a fait, sans qu’aucun changement de situation le justifie. Au contraire, le monde des médias est aujourd’hui beaucoup plus sauvage qu’avant.

Mme le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Permettez-moi, mes chers collègues, de rappeler quelques éléments de contexte pour resituer ce débat. Celui-ci, du reste, illustre bien nos divergences quant aux asymétries de concurrence qu’emporte notre législation et à l’affaiblissement des acteurs qui peut en résulter.

M. le sénateur Bargeton soulignait l’origine de la disposition que cet article modifie : si celle-ci se justifiait lors de son instauration pour remédier au phénomène de spéculation qui était observé – je l’ai évoqué avec Catherine Morin-Desailly –, depuis lors, le contexte a changé.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Si ! La situation financière des chaînes est telle qu’elles ne sont plus dans une perspective d’eldorado financier. Malheureusement, les acteurs qui investissent aujourd’hui ne peuvent plus espérer dégager une plus-value importante dans quelques mois ou quelques années.

Il y a quelques mois, lorsque M6 a essayé de vendre de manière quelque peu précipitée pour contourner cette règle, ce sont non pas des spéculateurs, mais des groupes de médias qui se sont portés acquéreurs.

Si d’autres chaînes sont en situation d’être cédées, l’exemple de M6 est significatif, car la règle s’applique, non pas au groupe, mais chaîne par chaîne : si nous ne modifions pas celle-ci, M6 ne pourra pas être vendue avant 2032. Pourquoi maintenir un propriétaire dans l’obligation de détenir une chaîne jusqu’à cette date, alors que l’on sait qu’il souhaite vendre ? Quelle est la justification économique d’une telle disposition ?

Le président de l’Arcom, Roch-Olivier Maistre, auditionné par M. le rapporteur, nous a pour sa part demandé d’aller plus loin, en supprimant complètement la règle et en réformant le système de taxation des plus-values.

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 21, 74 et 95.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 12.

(Larticle 12 est adopté.)

Article 12
Dossier législatif : proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle
Discussion d'article après l'article 12 - Amendement n° 103

Après l’article 12

Mme le président. L’amendement n° 80, présenté par M. Bargeton, est ainsi libellé :

Après l’article 12

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 95 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, il est inséré un article 95-… ainsi rédigé :

« Art. 95-. I. – Les services de communication audiovisuelle, les services de média audiovisuels à la demande et les services de partage de plateforme de contenus vidéo et/ou audio qui font appel à la publicité pour se financer ainsi que les annonceurs et agences média qui négocient et achètent des espaces publicitaires doivent, lorsqu’ils utilisent, de manière directe ou indirecte, des données d’audiences comparées entre services, recourir à des mesures d’audience réalisées par un ou des tiers qui, cumulativement :

« - ne fournissent eux-mêmes aucun service de communication audiovisuelle, de média audiovisuel à la demande ou de partage de plateformes de contenus vidéo et/ou audio ;

« - ne sont pas eux-mêmes des acheteurs réguliers et significatifs de publicité, pour leur compte ou le compte de tiers ;

« - assurent une concertation large des différents utilisateurs des mesures d’audience pour les élaborer ou les faire évoluer ;

« - assurent une transparence sur les méthodes employées et les soumettent régulièrement à des audits d’experts indépendants dont les conclusions principales sont rendues publiques.

« L’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique vérifie que les tiers qui réalisent les mesures d’audience respectent les principes du présent article. Les conditions et modalités de ce contrôle sont définies par décret. »

La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. La mesure des audiences, qui est au centre des décisions du secteur audiovisuel, s’est complexifiée du fait de la numérisation de l’offre et de la consommation des contenus médiatiques. Cette mesure est notamment rendue difficile par l’accès aux données des plateformes.

Un récent rapport de l’inspection générale des finances (IGF) et de l’inspection générale des affaires culturelles (Igac), intitulé La Concentration dans le secteur des médias à lère numérique : de la réglementation à la régulation, relève d’ailleurs que « la prise en compte incomplète de l’audience sur les plateformes numériques constitue une limite méthodologique ». Les auteurs notent que le recours croissant aux réseaux sociaux rend nécessaire de mesurer l’audience numérique de ces médias et jugent que l’accès aux données est insuffisant.

Plusieurs plateformes refusent en effet purement et simplement de communiquer leurs données d’audience et ne rendent pas publique leur méthodologie de mesure.

Du fait de leur hégémonie, ces acteurs sont tentés par l’automesure, par laquelle ils imposent leurs données d’audience, réalisées selon leurs propres règles, sans contrôle externe, ce qui rend impossible toute vérification et toute analyse comparative de performance.

Je propose donc que les méthodes de mesure de l’audience des plateformes numériques puissent être contrôlées et comparées. La production de ces méthodologies doit à mon sens être confiée à des tiers indépendants, de façon à garantir la qualité et la fiabilité des données.

En d’autres termes, il s’agit d’étendre la mesure de l’audience scientifique utilisée pour les chaînes de télévision et de radio aux plateformes numériques.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Les audiences revendiquées par les plateformes font rarement l’objet de publications, et leurs méthodes de calcul demeurent inconnues, ce qui constitue une nouvelle asymétrie avec les éditeurs de services traditionnels, lesquels recourent à un prestataire indépendant utilisant des modes de calcul éprouvés.

Le présent amendement vise à rétablir l’équité entre les acteurs en rendant possible la comparaison des audiences des différents médias. Une telle disposition paraît nécessaire pour établir une juste correspondance entre l’audience et les recettes publicitaires afférentes.

L’avis est donc favorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Monsieur le sénateur Bargeton, vous soulevez un point très important, qui fait d’ailleurs l’objet d’un article dédié dans le projet de règlement européen sur la liberté des médias, le European Media Freedom Act.

Cet article apportera davantage de garanties que celles que vous proposez en ce qui concerne la méthode de mesure de l’audience. Il s’appliquera en outre à l’ensemble des professionnels européens, alors que la disposition que vous proposez a une dimension strictement nationale. Or les plateformes que vous visez sont très souvent établies en dehors de notre territoire.

Ce débat est primordial, mais je vous propose de retirer cet amendement, car l’adoption d’une telle disposition paraît prématurée au regard du débat qui se tiendra à l’échelon européen. À défaut, l’avis serait défavorable.

Mme le président. Monsieur Bargeton, l’amendement n° 80 est-il maintenu ?

M. Julien Bargeton. Cet amendement était le seul, parmi ceux que j’ai déposés, à avoir reçu un avis favorable de la commission, et voilà que le Gouvernement, que je soutiens, me demande de le retirer… (Sourires.) Nous sommes peu de chose, mais un moment de ridicule est vite passé ! (Nouveaux sourires.)

M. Roger Karoutchi. Maintenez-le !

M. Max Brisson. On va le voter !

M. Julien Bargeton. Au regard de vos explications, et pour ne pas vous embarrasser, madame la ministre, je retire mon amendement. (Oh ! sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Gérard Longuet. La commission le reprend !

M. Julien Bargeton. J’espère que la disposition que je proposais sera reprise dans le règlement européen que vous évoquez, madame la ministre. Nihil obstat ! La petite ouverture que j’avais s’est vite refermée… (Sourires.)

Mme le président. On a parfois raison trop tôt, mon cher collègue !

M. Julien Bargeton. C’est avoir tort ! (Nouveaux sourires.)

Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Vous parlez d’or, madame la présidente. Pour ne pas laisser notre collègue Bargeton dans l’embarras, je reprends cet amendement au nom de la commission. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Discussion d'article après l'article 12 - Amendement n° 80
Dossier législatif : proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle
Article 13

Mme le président. Je suis donc saisie d’un amendement n° 103, présenté par M. Hugonet, au nom de la commission, et ainsi libellé :

Après l’article 12

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 95 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, il est inséré un article 95-… ainsi rédigé :

« Art. 95–…. – Les services de communication audiovisuelle, les services de média audiovisuels à la demande et les services de partage de plateforme de contenus vidéo et/ou audio qui font appel à la publicité pour se financer ainsi que les annonceurs et agences média qui négocient et achètent des espaces publicitaires doivent, lorsqu’ils utilisent, de manière directe ou indirecte, des données d’audiences comparées entre services, recourir à des mesures d’audience réalisées par un ou des tiers qui, cumulativement :

« 1°Ne fournissent eux-mêmes aucun service de communication audiovisuelle, de média audiovisuel à la demande ou de partage de plateformes de contenus vidéo et/ou audio ;

« 2°Ne sont pas eux-mêmes des acheteurs réguliers et significatifs de publicité, pour leur compte ou le compte de tiers ;

« 3°Assurent une concertation large des différents utilisateurs des mesures d’audience pour les élaborer ou les faire évoluer ;

« 4°Assurent une transparence sur les méthodes employées et les soumettent régulièrement à des audits d’experts indépendants dont les conclusions principales sont rendues publiques.

« L’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique vérifie que les tiers qui réalisent les mesures d’audience respectent les principes du présent article. Les conditions et modalités de ce contrôle sont définies par décret. »

Je le mets aux voix.

(Lamendement est adopté.)

Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 12.

Discussion d'article après l'article 12 - Amendement n° 103
Dossier législatif : proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle
Article 13 bis (nouveau)

Article 13

Le 5° de l’article 71-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est abrogé.

Mme le président. Je suis saisie de trois amendements identiques.

L’amendement n° 22 est présenté par M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Chantrel, Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 67 est présenté par M. Verzelen.

L’amendement n° 75 est présenté par M. Bargeton.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Sylvie Robert, pour présenter l’amendement n° 22.

Mme Sylvie Robert. Cet article important procède à un assouplissement des règles d’interdiction de concentration verticale entre les activités de diffuseur et de producteur. Il supprime en effet l’un des points de la réglementation d’ordre infralégislatif actuellement en vigueur afin de permettre aux éditeurs-diffuseurs de détenir des parts dans les productions qu’ils cofinancent.

Aujourd’hui, des intérêts opposés sont en présence : ceux des producteurs indépendants, qui peuvent survivre grâce à l’exploitation de leurs droits de production, et ceux des diffuseurs, qui ont investi dans la production sans détenir in fine de droits sur leur part de production.

La solution proposée dans le texte pourrait permettre aux chaînes publiques de récupérer quelques moyens, ce dont elles ont grand besoin. Toutefois, celles-ci ne demandent pas une telle modification de la législation, et encore moins de la réglementation.

Il s’agit donc, encore une fois, d’une disposition visant à satisfaire d’abord les intérêts des diffuseurs privés. Si ces derniers deviennent également diffuseurs, la concentration des médias et des industries culturelles s’en trouvera encore accentuée, et ce au détriment des producteurs indépendants.

Mme le président. L’amendement n° 67 n’est pas soutenu.

La parole est à M. Julien Bargeton, pour présenter l’amendement n° 75.

M. Julien Bargeton. Il est défendu.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Comme vous l’aurez sans doute noté, mes chers collègues, la commission a peu d’appétence pour les amendements de suppression. (Sourires.)

La disposition que porte cet article est demandée à la fois par les chaînes privées – TF1, M6, Altice, Canal+ –, et par les chaînes publiques de France Télévisions. Elle constitue en effet un préalable pour permettre aux différentes chaînes de faire évoluer leur modèle économique et de mieux résister aux plateformes, dont le modèle est fondé sur de droits « monde », ce qui leur permet de maîtriser leur catalogue.

Une meilleure valorisation des investissements de France Télévisions dans la production constitue pour ce groupe le seul palliatif à l’absence de publicité. Alors que la BBC retire près d’1 milliard de livres sterling de ses investissements dans la production, la réglementation en vigueur en France limite ces revenus à une dizaine de millions d’euros pour France Télévisions.

L’avis est donc défavorable sur ces deux amendements identiques.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Nous venons à peine de réformer les obligations de financement relatives à la production. La question a été débattue au Parlement, l’Arcom s’est prononcée, et plusieurs mois de consultation et de concertation avec les acteurs ont permis de rééquilibrer les règles du jeu, en particulier entre producteurs et diffuseurs.

L’accès des diffuseurs aux parts de coproduction a été assoupli, un accord interprofessionnel n’est plus nécessaire pour que les éditeurs mutualisent leurs contributions à la production, et surtout, un diffuseur peut désormais acquérir des droits sur tous les supports linéaires et non linéaires, dès lors qu’il finance majoritairement une œuvre.

L’adoption de cet article contraindrait le Gouvernement à rouvrir les discussions après seulement un exercice d’application de la réforme. Elle remettrait en cause les équilibres trouvés par la négociation, qui se sont traduits par des accords professionnels entre la plupart des éditeurs et des producteurs.

Je suis donc favorable à ces amendements de suppression.

Mme le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Ce débat s’inscrit dans une histoire.

En leur temps, les décrets Tasca ont permis le développement d’une production très diverse. Ce foisonnement, cette concurrence ont favorisé l’expression d’une créativité importante, que l’internalisation des grands diffuseurs, y compris du service public – à l’époque représenté par la Société française de production (SFP) – avait pour effet de contraindre.

L’instauration de cette réglementation a été vécue de manière positive, même si elle emportait certains effets pervers que le Sénat a tout de suite pris à bras-le-corps. À la faveur de forums, de colloques et d’amendements à des textes de loi, nous avons fait en sorte d’atténuer ces effets pervers, sans tuer la diversité de l’offre. Nous avons de surcroît toujours encouragé la négociation entre éditeurs, producteurs et diffuseurs.

Comme Mme la ministre vient de le rappeler, les mutations dues à la révolution technologique ont été progressivement prises en compte. Mais à peine un chantier est-il achevé que vous souhaitez aller plus loin, mes chers collègues, car les éditeurs privés en demandent toujours plus.

Comment pouvez-vous justifier cet article par une demande de France Télévisions ? Le groupe, que nous avons interrogé, ne demande rien d’autre que le rééquilibrage qu’il a déjà réclamé par le passé.

En revanche, les grandes chaînes privées ne seront jamais rassasiées. Cet article est un cavalier législatif visant à répondre aux attentes et aux pressions des grands groupes privés.

Telles sont les raisons pour lesquelles je demande sa suppression.

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 22 et 75.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 13.

(Larticle 13 est adopté.)

Article 13
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Article 14

Article 13 bis (nouveau)

L’article 73 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi modifié :

1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation au premier alinéa, le nombre maximal d’interruptions publicitaires peut être porté à trois pour la diffusion par un service de télévision d’une œuvre cinématographique ou audiovisuelle qui comporte au moins quatre tranches programmées de trente minutes. » ;

2° Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :

« Le présent article ne fait pas obstacle à l’insertion de messages d’information sur les programmes dans des conditions fixées par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. »

Mme le président. Je suis saisie de trois amendements identiques.

L’amendement n° 23 est présenté par M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Chantrel, Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 66 est présenté par M. Bacchi, Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 77 rectifié est présenté par MM. Fialaire, Artano et Bilhac, Mme N. Delattre, MM. Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier et Roux.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. David Assouline, pour présenter l’amendement n° 23.

M. David Assouline. Encore un cadeau au privé ! Et celui-là n’est pas mal !

Nous avons déjà voté le plafonnement, pour le service public, des recettes publicitaires et de parrainage. Pour ceux qui se demandent où iront ces recettes, voici la réponse : les chaînes privées pourront désormais interrompre la diffusion des œuvres de fiction après vingt heures pour une troisième coupure publicitaire. Il nous faudra bientôt, comme aux États-Unis, supporter une publicité pour McDonald’s ou d’autres toutes les dix minutes pendant la diffusion d’un film.

Bien que le nombre de coupures publicitaires autorisées ait augmenté depuis la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, nous avons su préserver un cadre, non pas pour les programmes dits de divertissement, mais pour les créations, dont les auteurs n’ont jamais imaginé qu’elles seraient coupées.

Ces coupures, qui sont de nature à changer la perception même de l’œuvre, vont à l’encontre de la culture, mais elles rapportent de l’argent. C’est pourquoi, à la veille de l’été et en catimini, vous cassez notre modèle, mes chers collègues.

C’est un cadeau de plus que vous faites aux chaînes privées, qui vous l’ont demandé. La publicité étant interdite sur France Télévisions, cette troisième coupure publicitaire des fictions ne concernera que M6, TF1 et toutes les grandes chaînes privées. Autant dire qu’à la fin, ces dernières vous seront vraiment redevables.

Mme le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour présenter l’amendement n° 66.

M. Jérémy Bacchi. L’instauration d’une troisième interruption publicitaire satisfera l’appétit des chaînes privées, qui disposeront d’une part encore un peu plus importante du gâteau publicitaire, au détriment des téléspectateurs et de l’offre culturelle.

D’un côté, on affaiblit l’audiovisuel public en plafonnant ses ressources, et, de l’autre, on augmente la part de recettes publicitaires des chaînes privées.

Au sein d’un texte qui entend renforcer l’audiovisuel public face à la concurrence privée, une telle proposition est pour le moins curieuse.

Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour présenter l’amendement n° 77 rectifié.

M. Bernard Fialaire. Je regrette également cette disposition, car les coupures publicitaires dénaturent les œuvres cinématographiques et entraînent une perte de public, celui-ci se tournant vers la télévision à la demande et les plateformes de streaming.

L’augmentation du nombre de coupures publicitaires contribuerait encore davantage au délaissement de la télévision en direct au profit des contenus délinéarisés, qu’ils soient légaux ou illégaux.

Le rapport de force entre les chaînes privées de notre audiovisuel et ces nouveaux acteurs ne peut être rééquilibré par une augmentation du temps de publicité à l’antenne. J’estime que cette tentative ne ferait, au contraire, qu’accroître le problème.

Telles sont les raisons pour lesquelles je suis opposé à cette troisième coupure.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. La limitation à deux du nombre de coupures publicitaires a pour conséquence de réduire à la portion congrue la diffusion de fictions sur les chaînes privées en clair, puisque leur coût d’acquisition ne peut faire l’objet d’une valorisation convenable.

L’instauration de cette troisième coupure publicitaire aurait par ailleurs pour effet de mieux répartir le nombre des annonces publicitaires, et donc, d’améliorer le confort du téléspectateur. (M. David Assouline sesclaffe.)

J’ajoute que cette disposition figurait déjà dans le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, dit projet de loi Riester, qui avait été validé par la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale.

M. Max Brisson. Il y avait tout dans ce projet de loi !

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. L’avis est défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. S’il est exact que cette disposition figurait dans le projet de loi dit Riester, j’estime qu’une troisième coupure publicitaire ne permet pas de regarder une œuvre dans les conditions les plus agréables.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire hier, je suis pour ma part plutôt favorable à un statu quo en matière de ressources publicitaires.

Sur ces trois amendements identiques, je m’en remets donc à la sagesse du Sénat.

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 23, 66 et 77 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. L’amendement n° 70, présenté par M. Dossus, Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le premier alinéa de l’article 73 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi modifié :

1° À la première phrase, les mots : « de deux interruptions publicitaires » sont remplacés par les mots : « d’une interruption publicitaire » ;

2° La seconde phrase est supprimée.

La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Si j’ai bien compris l’intention du rapporteur, celui-ci souhaite améliorer le confort des spectateurs. Je m’inscris dans la même démarche, puisque je propose de revenir à une seule coupure publicitaire, ce qui sera encore plus confortable.

Je rejoins l’argumentaire de David Assouline : hier, nous avons plafonné les ressources de l’audiovisuel public, et aujourd’hui, nous redonnons ce surplus de recettes publicitaires au privé.

Au lendemain de son décès, certains saluent Silvio Berlusconi comme un grand homme politique, mais il est surtout celui qui a introduit la coupure publicitaire dans les films sur La Cinq. En tant qu’élu lyonnais, je tiens à rappeler que Bertrand Tavernier, qui présentait pour sa part cette pratique comme un « saucissonnage » intolérable de la création, avait renvoyé sa médaille de chevalier des arts et des lettres pour cette raison.

Mes chers collègues, je vous propose de revenir à une seule coupure publicitaire afin de soutenir la création et, comme le souhaite M. le rapporteur, d’améliorer le confort du téléspectateur.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. L’adoption de cet amendement aurait pour conséquence de fragiliser grandement le modèle économique des chaînes privées, alors même que le coût des programmes est de plus en plus difficile à rentabiliser.

Contrairement aux plateformes, financées par les abonnements, et à l’audiovisuel public, qui peut s’appuyer sur une dotation publique importante, la publicité est la seule ressource dont disposent les chaînes privées. Il est donc essentiel de permettre à ces dernières d’exploiter au mieux cette ressource.

L’avis est défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. L’instauration d’une seconde coupure publicitaire date de 2009. Celle-ci ne faisant l’objet d’aucune contestation, je ne vois pas de raison de revenir sur cette possibilité.

De plus, l’adoption de votre amendement instaurerait un encadrement encore plus strict que celui qui prévalait avant 2009, monsieur Dossus, puisqu’à l’époque, le Conseil supérieur de l’audiovisuel pouvait déroger au principe de la coupure unique pour des films de très longue durée.

L’avis est défavorable.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 70.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 13 bis.

(Larticle 13 bis est adopté.)

Article 13 bis (nouveau)
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Article 14 bis (nouveau)

Article 14

L’article 96-2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi rétabli :

« Art. 96-2. – I. – À l’issue d’un délai de six mois après la promulgation de la loi n° … du … relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, les équipements terminaux au sens du 10° de l’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques permettant la réception des services de communication audiovisuelle par voie hertzienne terrestre ainsi que l’accès à des services de communication au public en ligne, mis sur le marché à des fins de vente ou de location, assurent la réception des services interactifs fournis par les éditeurs de services de communication audiovisuelle diffusés par voie hertzienne terrestre.

« II. – La réception des services interactifs fournis par les éditeurs de services de communication audiovisuelle est activée sur ces équipements avant leur mise sur le marché, dans des conditions définies par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. Elle ne peut être désactivée sans l’intervention explicite de l’utilisateur, sauf en cas de raison technique impérative et après avis de l’autorité. Dans ce cas, la désactivation ne peut être que temporaire.

« III. – Les services interactifs mentionnés au I ne peuvent être modifiés ou supprimés sans l’accord explicite de leurs éditeurs. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique prend les mesures appropriées et proportionnées, de nature à assurer le respect de ce principe. Elle définit les exceptions qui peuvent lui être apportées de manière temporaire et le délai au terme duquel ces exceptions prennent fin en tenant compte des contraintes techniques de diffusion et de distribution justifiées par les distributeurs des services ainsi que de la protection de l’intérêt légitime des éditeurs de services et de celui des utilisateurs. »

Mme le président. L’amendement n° 79, présenté par M. Bargeton, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. La technologie HbbTV – Hybrid Broadcast Broadband TV, en bon français –, offre des perspectives particulièrement intéressantes car elle combine les avantages de la diffusion hertzienne traditionnelle et ceux de l’interactivité permise par l’internet ouvert, ouvrant ainsi une passerelle directe entre les deux univers.

Alors qu’aucune barrière technologique ni juridique ne s’oppose au lancement de services, et que la très grande majorité des téléviseurs sont compatibles depuis plusieurs années avec cette technologie du fait de son utilisation chez bon nombre de nos voisins européens, l’offre de services interactifs HbbTV demeure très limitée.

L’article 14 impose la reprise généralisée, par l’ensemble des distributeurs, des services HbbTV fournis par les éditeurs, ce qui pourrait emporter des conséquences sur l’ensemble du marché de la distribution de services audiovisuels.

Par ailleurs, les dispositions de l’article 20-5 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication permettent déjà à l’Arcom d’encadrer la reprise par les distributeurs de l’ensemble des composantes du flux hertzien émis par les éditeurs.

Pour l’ensemble de ces raisons, l’article 14 ne me paraît pas nécessaire. J’en propose donc la suppression.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Les éditeurs de services ont aujourd’hui beaucoup de mal à obtenir des distributeurs la reprise de leur signal enrichi, comme le prévoit la norme HbbTV, preuve que le droit en vigueur est insuffisant pour corriger cette asymétrie.

L’avis est donc défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Si le Gouvernement est attaché au développement de solutions interactives sur la télévision numérique terrestre (TNT), l’obligation prévue à l’article 14 me semble aller trop loin, tant au regard des contraintes juridiques que des réalités économiques.

De telles obligations sont en effet difficilement conciliables avec le droit communautaire en matière de libre circulation des marchandises.

Il me semble par ailleurs prématuré d’imposer de telles obligations au vu de l’offre encore limitée de services interactifs actuellement disponible sur la TNT.

Il n’existe aujourd’hui aucune barrière technique au déploiement de ces services, la très grande majorité des téléviseurs vendus en France étant compatibles avec cette technologie.

L’avis est donc favorable.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 79.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 14.

(Larticle 14 est adopté.)

Article 14
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Article 15

Article 14 bis (nouveau)

Après le I de l’article 19 de la loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, il est inséré un I bis ainsi rédigé :

« I bis. – Au terme d’une durée de douze mois à compter de la diffusion de programmes de télévision en ultra haute définition par voie hertzienne terrestre auprès d’au moins 20 % de la population française, les téléviseurs de plus de 110 centimètres de diagonale d’écran mis sur le marché à compter de cette date à des fins de vente ou de location au sens de l’article L. 43 du code des postes et des communications électroniques et destinés aux particuliers permettant la réception de services de télévision numérique terrestre doivent permettre la réception de l’ensemble des programmes gratuits de télévision numérique terrestre en ultra haute définition.

« Au terme d’une durée de dix-huit mois à compter de la diffusion de programmes de télévision en ultra haute définition par voie hertzienne terrestre auprès d’au moins 20 % de la population française, les téléviseurs et les adaptateurs individuels mis sur le marché à compter de cette date à des fins de vente ou de location au sens du même article L. 43 et destinés aux particuliers permettant la réception de services de télévision numérique terrestre doivent permettre la réception de l’ensemble des programmes gratuits de télévision numérique terrestre en ultra haute définition.

« Lorsque la diffusion de programmes de télévision en ultra haute définition par voie hertzienne terrestre atteint un niveau de couverture correspondant à 20 % de la population française, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique rend publique cette information.

« Seuls les terminaux permettant la réception des services en ultra haute définition, selon les caractéristiques techniques précisées par application de l’article 12 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, peuvent se voir accorder le label “Prêt pour la TNT en ultra haute définition”. »

Mme le président. L’amendement n° 96, présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Belin, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 2

Remplacer le mot :

douze

par le mot :

trente-six

II. – Alinéa 3

Remplacer le mot :

dix-huit

par le mot :

quarante-deux

La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Mes chers collègues, je tenterai de vous convaincre d’adopter cet amendement, que j’estime de bon sens.

Dans son baromètre du numérique 2022, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) souligne l’impact environnemental du renouvellement trop fréquent des téléviseurs.

Selon l’autorité, les écrans de télévision seraient parmi les premiers responsables de l’empreinte carbone du secteur numérique en France.

L’Arcep évoque même une obsolescence « culturelle » ou « marketing » qui contraindrait les consommateurs, du fait d’une logique d’accompagnement de l’offre plutôt que de la demande, à changer de téléviseur, y compris lorsque celui qu’ils possèdent est toujours fonctionnel.

Par ailleurs, en septembre 2022, dans une étude intitulée Les Réseaux sociaux : enjeux et opportunités pour la puissance publique, le Conseil d’État alertait sur les impacts environnementaux de notre consommation numérique et demandait que celle-ci soit intégrée dans notre modèle de régulation.

Cet amendement a donc pour objet de concilier le déploiement de la TNT en UHD et l’impératif de sobriété. Il tend également à rallonger le calendrier de ce déploiement afin de ne pas hâter le renouvellement de téléviseurs toujours fonctionnels.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Il est essentiel de préserver l’attractivité de la TNT face aux autres formes de diffusion telles que la fibre.

La TNT est moins énergivore, ma chère collègue, et elle ménage l’anonymat des utilisateurs, ce qui n’est pas rien. Il n’y a donc pas de raison probante de retarder la généralisation de l’UHD.

L’avis est défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Il importe d’assurer la compatibilité des téléviseurs avec les normes de diffusion et d’encodage des futurs services ultra-haute définition de la TNT.

Ces normes, qui sont plus efficaces en matière d’utilisation des fréquences et moins consommatrices d’énergie, vont en effet se généraliser à l’ensemble de la TNT, comme c’est le cas dans de nombreux pays, notamment l’Allemagne.

L’avis est défavorable.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 96.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 14 bis.

(Larticle 14 bis est adopté.)

Article 14 bis (nouveau)
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 15

L’article 19 de la loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur est ainsi modifié :

1° Après le IV, il est inséré un IV bis ainsi rédigé :

« IV bis. – Dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la loi n° … du … relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, les équipements de radio vendus par les industriels aux distributeurs d’équipement électronique grand public sur le territoire national permettent la réception des services de radio numérique terrestre.

« Dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la promulgation de la loi n° … du … relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, les récepteurs de radio vendus aux consommateurs sur le territoire national permettent la réception des services de la radio numérique terrestre. » ;

2° Le premier alinéa du V est ainsi rédigé :

« V. – Les véhicules automobiles neufs à moteur conçus et construits pour le transport de personnes et ayant au moins quatre roues et mis sur le marché à des fins de vente ou de location sont équipés de terminaux de réception de services de radio permettant la réception de services de radio par voie hertzienne terrestre en mode analogique en modulation de fréquences et en mode numérique autorisés par application des articles 26, 29 et 29-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. »

Mme le président. L’amendement n° 2, présenté par M. Bargeton, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Au premier alinéa du V de l’article 19 de la loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, après les mots : « terminaux de réception de services de radio de première monte », sont ajoutés les mots : « et les équipements terminaux de première monte permettant la réception de contenus audio ou audiovisuels ».

La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Le Digital Audio Broadcasting, ou DAB+, est une norme de diffusion qui doit permettre de pérenniser la souveraineté du réseau hertzien terrestre de radio tout en enrichissant l’offre proposée actuellement en FM aux auditeurs. Elle est également plus sobre en matière d’utilisation des fréquences comme de consommation énergétique. C’est un objectif que nous partageons tous.

Il importe donc d’assurer la promotion et l’intégration de cette norme dans les équipements, au côté de la FM, afin de renforcer ses audiences.

Les dispositions en vigueur, prévues à l’article 19 de la loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, imposent d’ores et déjà l’intégration de la réception en DAB+, en complément de la FM, dans les postes de radio hors entrée de gamme et dans les autoradios équipant les véhicules neufs.

Toute velléité d’étendre l’obligation d’intégration de la réception DAB+ aux équipements d’entrée de gamme et aux équipements pour lesquels la fonctionnalité radio est accessoire serait non conforme avec le cadre européen. Par le présent amendement, je propose donc de supprimer le IV bis introduit au 1° du présent article.

En revanche, en cohérence avec l’esprit qui doit présider à l’extension du DAB+, je souhaite étendre l’obligation d’interopérabilité des récepteurs de services de radios automobiles aux véhicules neufs, dès lors que ces derniers disposent d’un équipement multimédia permettant uniquement l’accès à des services et contenus par internet.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer le 1° du présent article, qui prévoit de généraliser la compatibilité des récepteurs radio avec le DAB+. Cela aurait pour conséquence de ralentir le déploiement de cette norme, qui a vocation à se substituer à la FM.

La généralisation de cette norme sur les récepteurs vendus aurait pour effet mécanique de ramener le prix de ce type de matériel à un niveau comparable avec le prix des récepteurs FM, selon le principe bien connu des coûts décroissants. Cette disposition n’est donc en rien incompatible avec le droit européen, contrairement à ce que soutiennent ceux qui ne souhaitent pas voir le DAB+ se développer et se substituer à la FM.

L’article 15 est indispensable pour assurer l’avenir de la radio face à la radio IP, ou radio internet.

J’ajoute que la présidente de Radio France, Sibyle Veil, est une ardente avocate du DAB+, car elle a bien compris que cette norme est l’avenir.

L’avis est défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Avis favorable, car je soutiens le déploiement du DAB+.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 53, présenté par M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Chantrel, Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3

Remplacer le mot :

dix-huit

par le mot :

vingt-deux

II. – Alinéa 4

Remplacer le mot :

vingt-quatre

par le mot :

trente

La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Nous sommes tous favorables au développement du DAB+ – je suis d’ailleurs de ceux qui ont beaucoup milité en faveur de celui-ci quand il ne cessait d’être retardé.

La France, qui, comme toujours, a trop tardé, veut désormais franchir les étapes un peu trop vite.

Aujourd’hui, 3 % des foyers sont équipés d’un récepteur compatible avec le DAB+. Les acteurs du secteur estiment que cette proportion sera de 7 % dans deux ans.

Il faut donc, à mon avis, allonger le délai imparti au déploiement du DAB+. Si je ne remets pas en cause la pertinence d’un tel délai, qui est à mon avis l’un des moyens d’encourager le déploiement du DAB+, j’estime que celui-ci est trop court.

Si vous me le permettez, madame la présidente, je défendrai également l’amendement suivant, car les deux vont de pair.

Mme le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 54, présenté par M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Chantrel, Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… – Dans un délai de six mois après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement présente un rapport au Parlement sur les possibilités d’aide à l’équipement des foyers et d’aide à l’investissement et au coût de double diffusion des éditeurs de radios et plus particulièrement de celles indépendantes et à faibles ressources publicitaires afin de permettre, sur l’ensemble du territoire, la réception effective des services de radio numérique terrestre, sur l’ensemble du territoire, dans les délais fixés au premier alinéa du IV bis et au premier alinéa du V de l’article 19 de la loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur.

Veuillez poursuivre, mon cher collègue.

M. David Assouline. Au-delà de la date couperet, un autre moyen de développer le DAB+ est d’allouer des aides financières aux éditeurs et aux foyers qui souhaitent s’équiper, car cela coûte très cher.

Ne pouvant présenter un amendement financier, j’ai déposé le présent amendement, bien que je ne sois pas très favorable aux demandes de rapport.

Nous pourrions, sur la base du rapport qui serait établi par le Gouvernement, soumettre cette aide financière au débat, lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, par exemple.

Cette aide bénéficierait tant aux foyers qu’aux éditeurs. Ces derniers subissent un double coût, car ils sont obligés de continuer à diffuser sur les anciennes fréquences, tant qu’elles existent, avant de basculer sur le DAB+, ce qui est particulièrement difficile pour les radios indépendantes et les petites radios.

Nous avions prévu, pour le passage à la TNT, des dispositifs d’aides de ce type, et cela avait fonctionné, malgré les difficultés. Je propose de faire la même chose pour le DAB+.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 53 et 54 ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Le déploiement du DAB+ nécessitera du temps et une forte implication des pouvoirs publics.

Il doit se faire rapidement afin de limiter dans le temps la double diffusion FM-DAB+.

Les fabricants de récepteurs que nous avons auditionnés estiment qu’un délai de vingt-quatre mois pour changer les références et épuiser les stocks est suffisant.

Pour autant, le délai fixé aux professionnels importe moins que le principe même d’une date limite, qui obligera les différents acteurs à s’adapter.

C’est pourquoi il n’y a pas d’inconvénient à porter de vingt-quatre à trente mois le délai pour généraliser la vente de récepteurs compatibles avec le DAB+.

L’avis est par conséquent favorable sur l’amendement n° 53.

Il est par ailleurs absolument indispensable que le Gouvernement mette en place une politique publique d’accompagnement du déploiement, puis du basculement vers le DAB+.

Cette politique publique doit non seulement accompagner l’équipement des foyers et l’appropriation de ces nouveaux services par les usagers, mais aussi aider les éditeurs de programmes radio à assumer le coût de la double diffusion, qui constitue un obstacle important sur la route du DAB+.

L’avis de la commission est donc également favorable sur l’amendement n° 54.

Si vous me le permettez, madame la présidente, puisque nous arrivons au terme de l’examen des amendements, je souhaite remercier mon collègue David Assouline d’avoir défendu ses positions avec sa vigueur habituelle.

Les visions, parfois radicalement différentes, qui ont été exprimées ont permis que nous ayons un débat équilibré, conformément à nos habitudes. Tel est le sens du débat démocratique. Merci donc à David Assouline !

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Le Gouvernement souhaite accompagner au mieux le déploiement du DAB+.

Les analyses juridiques dont je dispose à ce stade indiquent toutefois que l’amendement n° 53 n’est pas totalement compatible avec le cadre européen fixé par la directive du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen. C’est assez technique et complexe à expliquer.

Vous y avez toutefois travaillé plus longtemps que moi, monsieur Assouline. Je m’en remets donc à la sagesse du Sénat sur ces deux amendements.

Mme le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Vous avez raison, madame la ministre, mais la disposition qui peut être contestée au regard de la réglementation européenne est non pas celle que je propose, mais celle qui figure dans la proposition de loi et que M. Hugonet a voulu soumettre au débat.

Oui, une discussion juridique aura lieu au niveau européen, car la réglementation que vous évoquez donne lieu à différentes interprétations, dont certaines remettent fortement en cause ce que M. le rapporteur et M. Lafon proposent.

Mon amendement vise justement à tempérer le dispositif prévu par le texte, car la disposition que je propose est davantage compatible avec la réglementation européenne.

Je ne sais pas si c’est ce que vous vouliez dire, madame la ministre, mais – j’y insiste – c’est, non pas mon amendement, mais bien le texte de la proposition de loi qui pose problème !

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 53.

(Lamendement est adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 54.

(Lamendement est adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 15, modifié.

(Larticle 15 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article 15
Dossier législatif : proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Je souhaite remercier le président Laurent Lafon d’avoir pris l’initiative de déposer cette proposition de loi, qui a suscité beaucoup de débats et de nombreux amendements de David Assouline.

Je veux aussi remercier Jean-Raymond Hugonet pour son travail de précision, conduit avec un flegme digne d’un animateur de la BBC. (Sourires.)

Voilà six ans que nous attendions une grande loi sur l’audiovisuel, madame la ministre. Cette proposition de loi devait permettre au Gouvernement de sortir de la torpeur et de l’inaction, qui, depuis le départ de Franck Riester du ministère, caractérisent l’action gouvernementale en matière d’audiovisuel public.

Quelle déception ! Le départ de Franck Riester n’annonçait-il pas, en fait, la paralysie de l’action gouvernementale en matière audiovisuelle ? Il n’y aura pas de réforme de l’audiovisuel. Nous nous en doutions ; nous en sommes désormais assurés.

Nous en resterons donc à la loi de 1986. Tout bouge dans le monde audiovisuel, sauf le cadre juridique. Le conservatisme est la règle.

Finalement, madame la ministre, les critiques que vous avez formulées tout au long de cette soirée et de la précédente auraient pu être adressées à votre collègue qui est aujourd’hui chargé des relations avec le Parlement.

Nos débats ont également montré que le conservatisme avait un visage, celui de tous les corporatismes et de la protection de tous les espaces de pouvoir jalousement conservés ; que la mutualisation progressait à la vitesse de la tortue ; que les missions du service public restaient confuses et embrouillées ; que la coopération entre les médias avançait au rythme du petit train de l’interlude d’autrefois. Qu’importe, il ne faut rien bouger ! Voilà ce que la gauche, devenue la gardienne du temple, a défendu pendant toute la soirée !

Merci donc à Laurent Lafon d’avoir fait tomber les masques, et de proposer un accélérateur des indispensables mutations et de la rénovation du service public de l’audiovisuel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour explication de vote.

Mme Monique de Marco. Je regrette pour ma part que nos débats n’aient pas permis de vous convaincre, mes chers collègues, des risques que ce texte fera peser sur l’audiovisuel public, sur ses capacités d’informer et sur l’exception culturelle française.

Je constate également que, près d’un an après la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, aucune piste ne se dégage réellement pour satisfaire la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel.

Je reste sincèrement convaincue que le modèle de taxe affectée est le meilleur moyen de garantir l’indépendance budgétaire de l’audiovisuel public sur le long terme. Il est nécessaire que celui-ci puisse remplir sereinement ses missions sans se retrouver chaque année au milieu du gué, compte tenu des débats concernant son financement.

La Commission européenne l’a exprimé très clairement : l’audiovisuel public ne doit pas devenir un outil de propagande politique.

Autour de nous, les choses avancent. L’Australie, le Canada et, maintenant, la Californie ont pris des mesures, par exemple pour taxer les recettes publicitaires immenses des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Dans quelques années, le règlement européen sur la liberté des médias entrera en vigueur en France et en Europe.

Plutôt que de ranimer le fantôme de l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), nous avons collectivement la possibilité d’anticiper et de regarder le monde qui vient, mes chers collègues.

M. Loïc Hervé. C’est excessif !

Mme le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Je souhaite à mon tour remercier le président Lafon d’avoir engagé ce débat – je pense, en effet, que nous en resterons au débat – et M. le rapporteur de l’avoir, d’une certaine manière, « instruit ».

L’enjeu est devant nous. Bien entendu qu’il faut réformer la loi de 1986 ! S’il convient de ne pas toucher à son principe, à savoir la liberté de communication assise sur la volonté d’indépendance et de pluralisme des médias, les outils qui ont été inventés à l’époque correspondaient au paysage audiovisuel tel qu’il était alors.

Toutes les démocraties ont régulé la liberté de communication. De fait, il faut de la régulation, comme toujours, pour éviter que la sauvagerie ne s’installe et que les plus gros ne dévorent les plus petits.

À l’évidence, cette grande loi nécessite plus qu’un travail technocratique d’ajustement. Celle-ci est en effet percluse de rustines, car depuis maintenant des dizaines d’années, nous l’amendons à mesure que le monde change. En nous contentant de boucher les trous, nous ébranlons toutefois la cohérence de ce texte.

Oui, il faut réformer la loi de 1986, et associer la société. Il faut des états généraux des médias pour refonder ce texte en intégrant tous les acteurs – créateurs, éditeurs, producteurs, parlementaires, citoyens – dans cette volonté de construire un nouvel écosystème.

Je ne le verrai pas en tant que parlementaire. J’en ai pourtant rêvé ! Voilà quinze ans que je demande une grande loi aux gouvernements de droite comme de gauche. J’ai été déçu. Il n’y a eu, à chaque fois, que de petites lois ! Celle-là est toute petite – de toute façon, je ne pense pas qu’elle pourra franchir le cap de cet hémicycle.

Pour terminer, je veux dire que c’est probablement ma dernière intervention, dans cet hémicycle, sur un texte de loi relatif à l’audiovisuel.

Depuis dix-neuf ans, je me bats pour la liberté et l’indépendance des médias, pour la place du service public. Ma principale fierté est d’avoir, lors de la révision constitutionnelle engagée par Nicolas Sarkozy en 2008, contribué à inscrire, à l’article 34 de la Constitution, la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias.

Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. David Assouline. J’espère que, dans cet hémicycle, l’on continuera à porter haut le service public et cette exigence de liberté des médias.

Mme le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour explication de vote.

M. Jérémy Bacchi. Je remercie à mon tour le président Lafon d’avoir engagé et instruit ce débat. Il nous aura permis de discuter, pendant deux jours – et même plus –, du service public.

Le service public audiovisuel est essentiel pour garantir l’accès de tous les citoyens à une information pluraliste et de qualité, ainsi qu’à des programmes culturels diversifiés.

Alors que l’audiovisuel public se porte plutôt bien, on décide de le déstabiliser.

La proposition de création d’une holding, qui est au cœur de cette proposition de loi, vise à rationaliser le service public. Mon groupe y voit plutôt un risque de fragilisation de celui-ci.

Ni dans le texte ni dans le débat, vous n’avez convaincu mon groupe de la pertinence d’une telle holding et n’avez su rassurer nos inquiétudes relatives aux conséquences que cette nouvelle gouvernance de l’audiovisuel public emportera pour les salariés du secteur comme pour son offre de contenus.

Vous persistez en outre à refuser, pour financer l’audiovisuel public, l’instauration d’une contribution dont tous les Français seraient redevables. Il s’agirait pourtant de la mesure fiscale la plus à même de garantir la plus grande indépendance de l’audiovisuel public.

Au lieu de cela, vous vous êtes fait les porte-voix des chaînes privées, en demandant une troisième interruption publicitaire pour les films diffusés par ces dernières, tandis que les recettes publicitaires des chaînes publiques seraient plafonnées.

Sans compensation financière garantie, de telles mesures fragiliseraient grandement les moyens de l’audiovisuel public, alors même que celui-ci a pour obligation de verser, chaque année, 500 millions d’euros d’investissements dans la création.

L’audiovisuel public a besoin non pas d’une holding, mais de moyens forts et pérennes !

Pour l’ensemble de ces raisons, comme pour d’autres que j’ai eu l’occasion de défendre hier soir et ce soir dans cet hémicycle, mon groupe votera contre cette proposition de loi.

Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour explication de vote.

M. Julien Bargeton. Je vous remercie également pour cet intéressant débat, monsieur Lafon.

Cette proposition de loi comportait deux volets : la création d’une holding – je ne suis pas sûr que nos débats aient montré en quoi celle-ci répondait aux enjeux qualitatifs qui ont été posés au début de la discussion –, et divers dispositifs remettant en cause des équilibres ici ou là.

Ces derniers, notamment les dispositifs concernant les productions indépendantes, peuvent être discutés.

Mes chers collègues, je ne suis pas certain que cet ensemble ait permis de dessiner la façon dont serait portée l’ambition que vous prétendez avoir. Dont acte !

Nous pensons que des objectifs qui peuvent être partagés, traduisant une ambition similaire, sont tout à fait atteignables sur la base de socles communs, de contrats d’objectifs et de moyens renforcés, d’un approfondissement et, peut-être, de contraintes renforcées afin d’accélérer.

En tout état de cause, l’enjeu principal, qui porte sur les contenus audiovisuels – que produit la télévision publique ? – peut être abordé avec plus de pragmatisme, de souplesse et d’efficacité.

Le texte s’arrête là. Vous vous retournez vers le Gouvernement, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, mais si je voulais être taquin, je pourrais me retourner vers vous : libre à vous de convaincre vos partenaires de l’Assemblée nationale, où nos groupes ont leurs équivalents, d’inscrire cette proposition de loi, qui ne manquera pas d’être adoptée par le Sénat dans un instant, dans le cadre d’une niche parlementaire ! Ce ne sera peut-être pas immédiat, car ils disposent d’un peu moins de temps réservé que vous.

M. Max Brisson. Il pourrait y avoir des surprises !

M. Julien Bargeton. Vous permettrez ainsi que le débat ait lieu à l’Assemblée nationale, si c’est ce que vous souhaitez. Nous savons qu’en réalité, ce texte visait à ouvrir le débat, et qu’il est probable qu’il ne prospère pas au-delà.

Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour explication de vote.

M. Bernard Fialaire. Je ne nourris pas non plus de grandes illusions quant à l’avenir et au parcours de cette proposition de loi.

J’entends que tout le monde attend une grande loi, mais nous avons tellement de mal à en faire passer des petites, mes chers collègues, que je ne suis pas certain que la grande loi attendue serait davantage soutenue… On s’aperçoit que, dès que l’on essaie de bouger un peu les choses, les conservatismes s’expriment et des blocages apparaissent.

Pour ma part, je n’étais pas opposé à la holding. J’ignore si c’est l’outil absolu, mais, au moins, il donnait un peu de cohérence, de rationalité. Je ne pense pas qu’il soit atroce de recourir à la raison et qu’il faille toujours y renoncer.

Instaurer un peu de mutualisation, donner un peu plus de force et, surtout, de cohérence et secouer un peu certaines inerties pour pouvoir faire travailler ensemble, avec plus d’efficacité, les différents pans de l’audiovisuel me paraissait aller dans le bon sens.

Tout n’est pas parfait à nos yeux. Nous ne nous satisfaisons pas, entre autres, de la troisième coupure publicitaire.

En tout état de cause, je souhaiterais tout de même, madame la ministre, que nous soyons très vite rassurés quant au financement de l’audiovisuel public.

Nous avons bien compris les raisons qui ont présidé à la suppression de la contribution à l’audiovisuel public.

Il nous a été annoncé un financement clair, étayant, rassurant. L’audiovisuel public a désormais besoin d’une réponse très rapide de la part du Gouvernement.

Mme le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Madame la ministre, si j’étais taquin, je dirais que la majorité présidentielle a voulu la holding et que la majorité sénatoriale l’a faite ! (Sourires.)

En effet, alors que, depuis 2017, les responsables de la majorité présidentielle ont prôné l’instauration de cette holding à de nombreuses reprises, nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation inédite, où une majorité se dégage, à la fois au Sénat et à l’Assemblée nationale, dont la commission des affaires culturelles et de l’éducation, même si vous semblez l’ignorer, mes chers collègues, a adopté la semaine dernière à une large majorité un rapport préconisant la création de la holding et où, dans le même temps, le Gouvernement, qui a pourtant déclaré maintes fois souhaiter cette réforme, semble changer de position au moment où il faut passer des déclarations aux actes.

Quelle sera la suite réservée à ce texte ? J’entends ceux qui, de manière péremptoire, affirment qu’il n’ira pas plus loin que le Sénat.

C’est prendre bien peu en considération le travail et l’expression forte de nos collègues députés, qui, eux, ont une vision claire de ce qu’il faut faire.

C’est aussi prendre bien peu en considération la complexité du paysage politique actuel, qui impose des accords.

La vérité, madame la ministre, est que le changement de position du Gouvernement sur la holding, son incapacité à engager la réforme de l’audiovisuel depuis 2017 et, désormais, le débat au sein même du Gouvernement sur le financement de l’audiovisuel public, entre la budgétisation, voulue par Bercy, et le financement par une fraction de TVA, que vous souhaitez, je crois, plonge l’audiovisuel dans une période de flou et d’incertitude.

Le Sénat, au travers de ce texte, a exprimé une vision et posé un cadre.

Mes chers collègues, je suis prêt à prendre le pari que, dans quelques semaines, ou peut-être quelques mois, le Gouvernement se tournera vers le Sénat, comme il l’a déjà fait sur d’autres sujets, pour trouver une solution au problème qu’il a lui-même créé.

Quoi qu’il en soit, je vous remercie, mes chers collègues ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Max Brisson. Très bien !

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle
 

8

Modification de l’ordre du jour

Mme le président. Mes chers collègues, en accord avec les groupes politiques, les commissions et le Gouvernement, nous pourrions, concernant l’ordre du jour du jeudi 15 juin, prévoir de commencer l’espace réservé au groupe Union Centriste dès la fin de celui réservé au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui pourrait se terminer avant seize heures.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

9

Ordre du jour

Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 14 juin 2023 :

À quinze heures :

Question d’actualité au Gouvernement.

À seize heures trente et le soir :

De seize heures trente à vingt heures trente :

(Ordre du jour réservé au groupe RDPI)

Proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie, présentée par M. François Patriat et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée ; texte de la commission n° 690, 2022-2023) ;

Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à protéger les logements contre l’occupation illicite (texte de la commission n° 692, 2022-2023).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER