M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens cette fois en tant que cheffe de file de mon groupe sur ce texte. Je suis toujours ravie lorsque nous parlons de la culture dans cet hémicycle, ce qui arrive souvent en ce moment, ainsi que de l’outre-mer.
La présente proposition de loi a l’immense mérite d’allier les deux sujets, puisqu’elle concerne le cinéma en outre-mer. Cependant, j’aurais préféré que ce débat ait lieu à une autre occasion, car ce texte représente une dernière chance de sauvegarder l’exploitation cinématographique dans les territoires ultramarins. Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai développé en tant que rapporteure, mais la situation est périlleuse dans un contexte de reprise post-covid.
Au fond, quel est l’objet de cette proposition de loi ? Préserver l’exploitation cinématographique ultramarine, me répondrez-vous. Mais quelle finalité légitimerait une intervention du législateur dans la relation entre le distributeur et l’exploitant ? Tout simplement celle de garantir l’accessibilité des populations ultramarines au cinéma et, partant, à l’un des piliers de la culture et de l’art français.
Certains pensent que le législateur aime se mêler de tout. À titre personnel, je crois surtout qu’il intervient par nécessité et qu’il conduit l’État à assumer le rôle essentiel qui est le sien aujourd’hui, celui de régulateur. On le voit dans le domaine numérique, sur lequel nous sommes en train de travailler. Il en va de même pour l’exploitation cinématographique en outre-mer : nous devons intervenir par nécessité.
En effet, sans cette proposition de loi, il est une certitude : la plupart des exploitants ultramarins – peut-être même tous – ne survivront pas à un relèvement du taux de location autour de 50 %, à moins d’augmenter le prix du billet à un niveau tel que le public ne sera pas au rendez-vous. Or sans exploitants, pas de salles de cinéma, pas de diffusion, pas de public et pas de culture.
Pouvons-nous prendre ce risque et adopter le parti du laissez-faire en tant que garants de l’intérêt général, qui n’est, en l’espèce, ni celui des distributeurs ni celui des exploitants, mais bien celui des populations ultramarines, qui ont le droit, comme les métropolitains, d’accéder au septième art et de voir les films qu’ils désirent ? Ma réponse, qui est également celle de la commission de la culture, est claire et sans ambiguïté : nous ne le pouvons pas et nous ne le devons pas.
Comme le soulignait l’inspection générale des affaires culturelles (Igac) dans un rapport de 2013 sur l’extension aux départements d’outre-mer des dispositifs de soutien au cinéma du Centre national du cinéma et de l’image animée, l’offre cinématographique est « limitée et contrainte dans son développement », alors même que la sortie au cinéma semble être « une tradition culturelle forte […] qui a entraîné l’implantation de nombreux points de projection fixes ou itinérants au cours des années 1950 et 1960 ».
Aujourd’hui, ce passé cinématographique est particulièrement mis à mal ; alors que, en métropole, la densité d’équipement moyenne est d’un écran pour 11 340 habitants, elle n’est que d’un écran pour 27 300 habitants en outre-mer, des disparités très fortes entre territoires ultramarins pouvant être par ailleurs observées.
À cette situation s’ajoutent les surcoûts structurels liés aux territoires d’outre-mer que nous avons déjà évoqués : insularité, étroitesse des marchés, normes antisismiques et anticycloniques, coût élevé de la vie.
En outre-mer, rendre accessible la culture est donc d’abord un enjeu matériel, très concret, qui concerne l’ensemble des champs artistiques. Je suis, comme vous le savez, très attachée aux bibliothèques et aux livres. Je signale que le prix du livre est nécessairement plus élevé qu’en métropole du fait du coût de transport.
En ce sens, un débat en séance publique sur l’accessibilité culturelle en outre-mer, « comarrainé » par la commission de la culture et par la délégation sénatoriale aux outre-mer, serait pertinent afin d’établir un état des lieux, de lever les freins existants et de réfléchir à la création de véritables dispositifs de compensation, qui favoriseraient la diffusion de la culture dans les territoires ultramarins.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, au travers du plafonnement du taux de location qui est proposé dans cette proposition de loi – une mesure a priori technique –, nous tendons vers l’idéal politique inscrit au treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte […] à la culture. » Si nous, législateurs, ne menons pas cette bataille, qui le fera ?
Néanmoins, j’entends les appels à la vigilance quant aux répercussions de ce texte sur la diversité culturelle, singulièrement sur la diffusion des films indépendants. J’y suis sensible.
Comme en métropole, le public ultramarin doit avoir un large choix entre les blockbusters ou les films populaires et les films d’auteur. Il est hors de question de renoncer à cette diversité, et nous devrons peut-être évaluer l’impact de la proposition de loi en la matière.
J’ajouterai que la prise en considération de la diversité culturelle doit être réciproque. Je m’explique : si les films d’auteur d’origine métropolitaine ont vocation à être diffusés en outre-mer, les films ultramarins ont tout autant vocation à être diffusés en métropole. (M. le ministre approuve.) Le CNC doit d’urgence trouver des solutions pour assurer une meilleure visibilité en métropole du cinéma ultramarin, lequel a une très longue histoire.
Pour conclure, je veux remercier une fois encore notre collègue Catherine Conconne, l’auteure de cette proposition de loi qui œuvre pour la justice, l’égalité et la promotion des droits culturels. Comme je l’ai dit en introduction, ce texte est une nécessité ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST, RDPI et UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Monsieur le président, on me signale que M. Riester se trouve dans les murs du Sénat. Je sollicite donc une courte suspension de séance pour lui laisser le temps de venir me remplacer.
M. le président. Monsieur le ministre, quand on doit relayer un collègue, on vient en avance, pour ne pas faire attendre le Sénat. Néanmoins, je ne veux pas vous faire manquer votre avion pour La Haye…
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinq, est reprise à onze heures dix.)
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a quelques semaines encore, la France accueillait l’un des plus grands festivals du monde consacré au cinéma : le festival de Cannes. Deux semaines durant lesquelles les réalisateurs, les amoureux du cinéma et tant d’autres personnes se rencontrent, travaillent et découvrent de nouvelles œuvres, pour donner du sens à ce que représente la culture au quotidien.
Aimé Césaire le rappelait : « La culture, c’est tout ce que l’homme a inventé pour rendre le monde vivable et la mort affrontable. » On ne peut que souscrire à ces propos partagés par mon regretté ami et camarade Jack Ralite, ce poète en politique, qui ne cessait de rappeler que « la culture est un droit et un bonheur ».
Il est donc de notre devoir de nous assurer de la transmission de la culture et de son accessibilité, afin d’en faire un droit essentiel pour toutes et tous.
Le champ de la culture est vaste, et le cinéma est un art populaire, comme d’autres. Or les salles obscures ont été fortement touchées par la crise sanitaire et l’évolution des plateformes numériques – le nombre d’entrées enregistrées n’a pas retrouvé son niveau d’avant la crise de la covid-19, aussi bien dans l’Hexagone qu’en outre-mer.
C’est dans ce contexte que les distributeurs de films souhaitent augmenter le taux de location que les exploitants leur reversent sur les entrées en salle. Cela a été dit, ce taux est actuellement de 50 % dans l’Hexagone et de 35 % dans les outre-mer. Les distributeurs les plus importants souhaitent donc un alignement des taux de location en outre-mer sur ceux de l’Hexagone. Les négociations entre les deux acteurs ont commencé depuis quelques mois.
Il est utile de rappeler que l’offre culturelle en outre-mer fait face à de nombreuses contraintes. M. le ministre l’a dit, les coûts d’exploitation et d’investissement sont plus élevés qu’en France métropolitaine pour tenir compte des normes sismiques et cycloniques, ainsi que de l’éloignement ou d’exigences de sécurité propres. Pour compenser ces fortes dépenses, le coût moyen du billet de cinéma est plus élevé et la fiscalité moindre.
Cette proposition de loi de notre collègue Catherine Conconne, que je salue, apparaît comme la conclusion d’un échec dans les négociations entre les exploitants et les distributeurs. La situation est préoccupante, car elle touche à un principe important, et même fondamental : la diffusion de la culture.
D’un côté, les distributeurs justifient cette hausse pour éviter un appauvrissement de l’offre de films. De l’autre, les exploitants voient cette augmentation comme une menace existentielle. Ce sont les populations ultramarines qui subiront cet échec, dans un contexte de crise sociale et – rappelons-le – de crise de l’énergie : les prix augmentent partout, et les conséquences sont terribles au quotidien.
Il est regrettable que la seule issue possible pour la reprise des discussions soit de nature législative. Comme cela a été rappelé par Mme la rapporteure, nous espérons que ce texte permettra d’apaiser le climat et sera perçu comme un moyen et non une fin en soi, pour que les deux acteurs qui jouent un rôle essentiel dans l’accès au cinéma trouvent une solution convenant à tous.
Mon groupe et moi-même resterons vigilants sur ce sujet. Des rencontres continueront d’avoir lieu entre mes collègues de la commission de la culture et les parties prenantes.
Notre rôle est d’agir avec responsabilité face à une situation qui risque d’avoir de lourdes conséquences sur la diffusion cinématographique en outre-mer. C’est le sens de cette proposition de loi qui, nous l’espérons, sera le levier permettant d’apaiser les relations et de faire de l’intérêt général notre boussole collective.
Pour toutes ces raisons, le groupe CRCE votera en faveur de cette proposition de loi. (Mme Catherine Conconne et M. Thani Mohamed Soilihi applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi.
M. Pierre-Antoine Levi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi visant à assurer la pérennité des établissements de spectacles cinématographiques et l’accès au cinéma dans les outre-mer.
Le cinéma, activité culturelle populaire dans les outre-mer, est structuré autour de différents acteurs, principalement privés.
Les établissements font face à des défis spécifiques, notamment des coûts d’exploitation et d’investissement plus élevés en raison des normes sismiques et cycloniques, de l’éloignement ou d’exigences de sécurité propres.
Pour comprendre le contexte, il est important de définir ce qu’est le taux de location. Il s’agit du pourcentage du prix du billet qui est reversé par l’exploitant de la salle de cinéma au distributeur du film. En d’autres termes, c’est une part du revenu généré par chaque billet vendu qui revient au distributeur.
Historiquement, ce taux est de 35 % dans les outre-mer, où il est appliqué de façon forfaitaire. Cependant, les distributeurs les plus importants souhaitent un alignement des taux de location sur ceux de l’Hexagone, qui sont en moyenne proches du plafond de 50 % fixé par le code du cinéma et de l’image animée.
Cette augmentation du taux de location serait insoutenable pour les exploitants ultramarins et pourrait aboutir à la fragilisation extrême du secteur, ainsi qu’à la fermeture d’établissements, privant certains territoires de salle de cinéma.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à plafonner à 35 % les taux de location reversés par les exploitants d’établissements cinématographiques ultramarins aux distributeurs de films. Cette mesure permettrait d’assurer la pérennité de leurs établissements et l’accès au cinéma pour les habitants d’outre-mer.
Il est crucial de noter que cette proposition de loi est soutenue par les exploitants de cinéma d’outre-mer, qui ont alerté les parlementaires ultramarins des contraintes économiques pesant sur ces territoires.
Cependant, douze organisations professionnelles de distributeurs et de producteurs se sont opposées à cette proposition, en prétextant que la restriction des possibilités de rentabilité de la distribution ne pouvait être la réponse aux difficultés rencontrées par l’exploitation en outre-mer.
Ces organisations soutiennent que le plafonnement du taux de location à 35 % aurait des effets contre-productifs pour les territoires d’outre-mer eux-mêmes, ainsi que pour le public : cela pourrait peser sur la diversité de l’offre dans les Drom, les départements et régions d’outre-mer, sur l’accès du public aux œuvres et, in fine, sur le maintien de l’emploi. De plus, elles soulignent que le taux de location relève de la négociation et n’est pas imposé unilatéralement par le distributeur.
Pour autant, il est important de noter que la situation en outre-mer est complexe.
Les coûts d’investissement par fauteuil sont significativement plus élevés qu’en métropole, atteignant entre 9 500 et 11 000 euros, comparés à 4 500 euros dans l’Hexagone. De plus, l’éloignement géographique augmente les coûts d’acheminement du matériel. Les normes parasismiques et anticycloniques, les charges en électricité dues à la climatisation permanente, l’usure plus rapide du matériel du fait de l’humidité et la part importante consacrée à la sécurité sont autant de facteurs qui alourdissent les coûts d’exploitation.
Nous pensons qu’il est essentiel de préserver l’accès à la culture dans les outre-mer et de soutenir les établissements qui font face à des défis spécifiques. Nous devons veiller à ce que les taux de location soient équitables et permettent aux exploitants de continuer à offrir leurs services à la population.
Il est également crucial de prendre en compte les conséquences de la crise de la covid-19, qui a forcé les exploitants de la France entière à fermer pendant plusieurs mois, entraînant une perte importante de recettes. Cette situation a exacerbé les tensions autour du taux de location, mettant en péril la survie des salles de cinéma en outre-mer.
Nous devons également considérer le risque que cette situation fait peser sur le consommateur final. Si le taux de location n’est pas plafonné à 35 %, les clients pourraient se retrouver à payer la note, avec des places dont le prix pourrait dépasser les 14 euros. Cela risquerait de réduire encore plus le nombre de spectateurs dans les salles, aggravant la crise du secteur.
En conclusion, le groupe Union Centriste soutient cette proposition de loi et la votera, convaincu de la nécessité de soutenir le secteur du cinéma dans les outre-mer.
Nous pensons qu’il est essentiel de maintenir un taux de location équitable qui tienne compte des défis spécifiques auxquels sont confrontés les exploitants de cinéma en outre-mer. Nous devons veiller à ce que le cinéma reste accessible à tous les citoyens, indépendamment de leur lieu de résidence. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lettre de notre Constitution prévoit que : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte […] à la culture. » Ce principe, plus que jamais nécessaire à notre temps, est énoncé au treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.
Tout le monde ne peut aller à l’opéra ou au Louvre. Il est des arts dont beaucoup ne connaissent que la reproduction : un enregistrement, une photographie, une retransmission ; il en est d’autres dont on peut plus aisément faire une expérience inaltérée.
Voir un film à Cannes ou à Cayenne, c’est la même expérience. L’œuvre est la même, et cette expression culturelle authentique est accessible. Cette accessibilité mérite d’être soutenue. La diffusion de la culture doit être assurée, tant en France métropolitaine qu’en outre-mer.
La proposition de loi que nous examinons fixe le plafond du taux de location à 35 % dans certains territoires d’outre-mer, contre 50 % actuellement.
La situation des établissements de cinéma ultramarins diffère de celle des établissements de métropole à plusieurs égards.
Tout d’abord, ces établissements reposent sur un équilibre économique particulier, caractérisé par des marchés plus restreints et des coûts d’exploitation et d’investissement plus élevés, dus notamment à la mise en conformité face aux risques naturels. Pour ces raisons, leur rentabilité est plus faible qu’en métropole, malgré une taxation avantageuse et un prix du billet plus élevé.
Une autre différence notable concerne le taux de location, qui est l’objet de la présente proposition de loi. Il désigne la part du prix du billet reversée au distributeur du film, que celui-ci négocie avec l’exploitant de l’établissement de cinéma. Actuellement, le droit fixe cette part entre 25 % et 50 % de la base film.
Historiquement, le taux de location est de 35 % en outre-mer, contre 47 % environ en métropole. Cette différence entraîne néanmoins un écart de recettes relativement faible pour le distributeur. En effet, du fait de la fiscalité réduite applicable en outre-mer, associée à un ticket plus coûteux en moyenne, pour une place de cinéma, le distributeur perçoit 2,70 euros en outre-mer, contre 2,78 euros en métropole.
Lors de récentes négociations, cependant, les distributeurs ont émis le souhait d’aligner le taux de location ultramarin sur celui de la métropole, tout en reprenant la charge de la distribution locale, jusque-là assurée par un intermédiaire spécialisé.
Les exploitants ultramarins redoutent qu’une telle hausse oblige nombre d’entre eux à mettre la clé sous la porte, du fait de leurs contraintes financières particulières et des conséquences encore perceptibles de la crise sanitaire sur la fréquentation des cinémas.
De leur côté, les distributeurs mentionnent les difficultés liées à la pandémie et estiment que la fixation d’un plafond à 35 % grèverait leurs chances de rentabilité. Ils deviendraient dès lors plus frileux, ce qui pourrait in fine entraîner un appauvrissement de l’offre en outre-mer, donc une baisse de l’accessibilité des œuvres cinématographiques.
On peut douter de cet argument : cette situation serait davantage le résultat d’un rapport de force déséquilibré qu’une conséquence inévitable, les enjeux financiers étant en réalité limités pour de nombreux distributeurs…
Je crois que l’exception culturelle française prend aujourd’hui tout son sens dans la défense d’un égal accès à la culture sur l’ensemble de notre territoire. L’égalité n’est pas l’uniformité, et les politiques publiques doivent prendre en compte les différences.
Au sein de notre commission, nous partageons l’espoir que cette discussion donnera un souffle nouveau aux négociations entre les différents acteurs.
C’est pourquoi le groupe RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi traite d’une question spécifique aux territoires d’outre-mer visés à l’article 73 de la Constitution, soit la Guadeloupe, la Réunion, la Martinique, la Guyane et Mayotte. Elle concerne vingt et un établissements actifs en 2022, dont certains comportent plusieurs salles.
Sur ces territoires plus encore qu’ailleurs, les salles de cinéma sont un vecteur essentiel de divertissement populaire, d’ouverture au monde et de socialisation. La crise sanitaire a pu faire craindre, avec l’effondrement des entrées, une mise en danger de l’exploitation des films en outre-mer, d’autant qu’une partie du public a découvert l’usage des plateformes durant la crise.
En outre-mer comme en métropole, le public a cependant regagné les salles, confirmant la solidité du secteur, ce dont nous nous réjouissons.
Je citerai les récents travaux de la mission d’information sur la situation de la filière cinématographique en France, dont j’ai eu l’honneur d’être l’un des rapporteurs, avec mes collègues Sonia de La Provôté et Jérémy Bacchi. Notre rapport, intitulé Le Cinéma contre-attaque : entre résilience et exception culturelle, un art majeur qui a de l’avenir, analyse le succès du cinéma français et de la fréquentation de nos salles.
Nous avons identifié trois atouts majeurs : la richesse et la diversité de l’offre de films, un succès populaire jamais démenti et une structuration de la filière dans laquelle les financements publics comptent pour un quart. C’est une véritable exception culturelle française !
Dans ce paysage, la diffusion des films en outre-mer comporte plusieurs particularités. Le niveau des charges d’exploitation y est plus élevé. Le respect des normes anticycloniques et parasismiques, l’usure des matériaux provoquée par un climat humide et les contraintes liées à l’éloignement des salles entraînent des coûts spécifiques. La sécurité est également un poste important pour les exploitants de salles : elle représente en moyenne 10 % du chiffre d’affaires des salles ultramarines, contre environ 1 % en métropole.
En raison de ces contraintes financières, les territoires outre-mer bénéficient d’avantages fiscaux : une TVA plus faible qu’en métropole, ainsi qu’une taxe allégée sur les prix des entrées aux séances (TSA).
Par ailleurs, et cela fait l’objet de cette proposition de loi, les salles bénéficient d’un taux de location plus avantageux qu’en métropole.
Cela a été dit, le taux de location des films, dû au distributeur par l’exploitant de la salle, représente historiquement 25 % du chiffre d’affaires de ce dernier. Ce pourcentage fluctue au contraire en métropole, où il est aujourd’hui de 47 % en moyenne.
Cette différence, fruit d’un consensus datant d’une cinquantaine d’années, est remise en cause par les distributeurs. Ils souhaitent un alignement du taux sur celui qui est pratiqué en métropole, faisant valoir leurs difficultés financières à la suite de la crise sanitaire et une différence de traitement qui leur paraît aujourd’hui injustifiée. Ils invoquent également les coûts suscités par le récent passage à une distribution directe.
Notre rapporteure Sylvie Robert, dont je tiens à souligner la qualité du travail, rejetant tout a priori, relativise cependant la portée de cette différence de traitement, la position des distributeurs semblant être surtout une question de principe.
Les exploitants de films, quant à eux, estiment qu’ils ne pourraient pas faire face à une augmentation du taux de location, car elle remettrait en cause leur viabilité. Il faut souligner que, malgré les aides, le prix du billet en outre-mer reste sensiblement plus élevé qu’en métropole. Augmenter le taux de location conduirait à augmenter encore ce prix, ce qui risque de devenir dissuasif pour les familles dans un contexte déjà inflationniste.
Les auteurs de la présente proposition de loi sont intervenus pour éviter les conséquences d’un alignement des taux sur la diffusion et la diversité des films en outre-mer. Je pense que les intérêts ultramarins imposent en effet pour le moment un plafonnement du taux de location à 35 %, afin d’éviter la mise en danger de l’équilibre économique du secteur. Il s’agit d’ailleurs de la recommandation figurant dans un rapport de l’inspection des finances en 2018.
Je tiens à souligner également que notre intervention législative se justifie par l’absence de conciliation des acteurs en présence, car, je le rappelle, les négociations menées sur l’initiative du CNC n’ont pas abouti. À l’image de Mme la rapporteure, nous souhaitons une reprise de ces négociations commerciales dans un climat apaisé, qui est dans l’intérêt de tous et surtout du public ultramarin.
Dans cette attente, notre groupe apportera son soutien au texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Catherine Conconne et M. Thani Mohamed Soilihi applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire a fait du mal aux exploitants de salles de cinéma partout en France. La fréquentation a beaucoup baissé et n’a globalement toujours pas retrouvé son niveau d’avant la crise, même si la fréquentation pendant le mois d’avril 2023 a été excellente.
Les outre-mer comme l’Hexagone font face à ces difficultés, mais, pour les territoires ultramarins, d’autres problématiques s’ajoutent.
Je ne reviendrai pas sur l’explication du mécanisme de la répartition du prix d’un billet de cinéma dans ces territoires, car ce point est très technique et, surtout, il a été parfaitement développé par Mme la rapporteure. Il ressort ainsi de ce mécanisme que la base film du billet est in fine plus élevée dans les outre-mer que dans l’Hexagone. Pourtant, l’équilibre économique des établissements de cinéma ultramarins et, plus largement, l’accès à cette activité culturelle sont menacés.
Il en est de même pour le prix du billet de cinéma, qui est en moyenne plus élevé dans les outre-mer. Cela pose la question de l’accès à cette activité, populaire et familiale, dans des régions où le pouvoir d’achat de nos concitoyens est déjà mis à mal par des prix plus élevés dans tous les secteurs de la vie quotidienne.
Les exploitants de salle, s’ils bénéficient certes d’avantages fiscaux, doivent composer avec des marchés très étroits, ainsi que des coûts d’exploitation et d’investissement plus importants, afin de respecter les normes sismiques ou cycloniques.
Malgré une base film plus importante, la rentabilité économique des établissements reste donc difficile à atteindre, et certains sont déjà en danger.
À cette situation précaire s’ajoute aujourd’hui une nouvelle contrainte : la menace de l’augmentation du taux de location reversé par les exploitants d’établissements aux distributeurs de films. Ce taux est actuellement plafonné à 50 % pour toute la France, sans distinction entre l’Hexagone et les outre-mer, mais il se situe, en pratique, autour de 35 % dans les territoires ultramarins. Une augmentation du taux pourrait conduire à la fermeture de certains établissements.
Dans ces régions, qui n’ont déjà pour la plupart que peu d’établissements – on n’en compte que trois en Martinique et un seul à Mayotte, par exemple –, assurer la pérennité de ces derniers est essentiel. C’est justement l’objet de cette proposition de loi qui vise à plafonner à 35 % le taux de location dans les Drom.
On peut regretter que les négociations entre distributeurs et exploitants se soient révélées infructueuses et que nous devions légiférer sur ce sujet, mais, comme l’a souligné Mme la rapporteure en commission, cette proposition de loi n’est qu’un exemple supplémentaire de la nécessité d’adapter le droit aux spécificités ultramarines, qui sont nombreuses. J’ajouterai qu’il serait aussi bien souvent pertinent de tenir compte des spécificités entre les outre-mer.
Nous partageons l’objectif de cette proposition de loi qui vise à aider les exploitants de salles et à garantir l’accès des Ultramarins au cinéma. Nous espérons toutefois vivement qu’elle ne mènera pas à un appauvrissement de l’offre cinématographique dans les Drom, en conduisant certains distributeurs à déserter leurs salles de cinéma au motif que le plafonnement du taux de location ne leur permettrait pas de couvrir leurs frais. Ce serait préjudiciable aux Ultramarins et contraire à l’objectif de cette proposition de loi.
Nous espérons donc que l’adoption de ce texte, que nous soutenons, relancera les négociations entre les distributeurs et les exploitants, de façon raisonnable et raisonnée. Notre groupe votera ce texte. (Mme Catherine Conconne et M. Thani Mohamed Soilihi applaudissent.)