Sommaire
Présidence de M. Vincent Delahaye
Secrétaires :
Mme Françoise Férat, M. Joël Guerriau.
2. Convocation du Parlement en session extraordinaire
3. Communication relative à une commission mixte paritaire
4. Industrie verte. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Demande de priorité de l’ensemble du titre II. – Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. – La priorité est ordonnée.
M. Laurent Somon, rapporteur de la commission des affaires économiques
Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis de la commission des finances
M. Jean-Yves Roux, rapporteur pour avis de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Intitulé du titre II (priorité)
Amendement n° 126 rectifié de Mme Nathalie Delattre. – Rejet.
Amendement n° 39 rectifié de Mme Vanina Paoli-Gagin. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 42 rectifié de Mme Vanina Paoli-Gagin. – Retrait.
Amendement n° 184 rectifié bis de Mme Nadège Havet. – Retrait.
Amendement n° 195 de M. Jacques Fernique. – Rejet.
Amendement n° 328 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 176 rectifié bis de M. Pierre-Antoine Levi. – Retrait.
Amendement n° 255 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 344 rectifié de M. Gilbert-Luc Devinaz. – Rejet.
Amendement n° 190 rectifié de Mme Nadège Havet. – Rejet.
Amendement n° 140 rectifié de Mme Nathalie Delattre. – Non soutenu.
Amendement n° 157 de Mme Nicole Bonnefoy. – Rejet.
Amendement n° 226 de M. Jacques Fernique. – Rejet.
Amendement n° 227 de M. Jacques Fernique. – Rejet.
Amendement n° 103 de M. Jacques Fernique. – Rejet.
Amendement n° 204 de M. Fabien Genet. – Adoption.
Amendement n° 327 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 128 rectifié de Mme Nathalie Delattre. – Retrait.
PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre
Amendement n° 153 rectifié de Mme Nicole Bonnefoy. – Rejet.
Amendement n° 55 rectifié de M. Stéphane Sautarel. – Retrait.
Amendement n° 53 rectifié de Mme Vanina Paoli-Gagin. – Retrait.
Amendement n° 110 rectifié ter de M. Michel Canévet. – Rejet.
Amendement n° 205 de M. Fabien Genet. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 271 rectifié bis de M. Fabien Gay. – Rejet.
Amendements identiques nos 273 rectifié de M. Fabien Gay et 393 rectifié de M. Rémi Cardon. – Rejet.
Amendement n° 272 rectifié de M. Fabien Gay. – Rejet.
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° 4 de M. Daniel Salmon. – Rejet.
Amendement n° 269 rectifié de M. Fabien Gay. – Rejet.
Amendement n° 59 de M. Daniel Salmon. – Rejet.
Amendement n° 144 de M. Franck Montaugé. – Rejet.
Amendement n° 161 de M. Franck Montaugé. – Rejet.
Amendement n° 265 de M. Fabien Gay. – Retrait.
Amendement n° 266 rectifié de M. Fabien Gay. – Retrait.
Amendement n° 35 rectifié de Mme Vanina Paoli-Gagin. – Retrait.
Amendement n° 62 de M. Guillaume Gontard. – Rejet.
Amendement n° 93 rectifié bis de M. Hervé Marseille
Amendements identiques nos 93 rectifié bis de M. Hervé Marseille et 131 rectifié bis de Mme Nathalie Delattre. – Adoption des deux amendements, rendant sans objet les amendements identiques nos 188 rectifié de M. Franck Menonville et 267 de M. Fabien Gay.
Amendement n° 369 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 2 rectifié ter de Mme Agnès Canayer. – Rectification.
Amendement n° 2 rectifié quater de Mme Agnès Canayer. – Adoption.
Amendement n° 94 de Mme Agnès Canayer. – Devenu sans objet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 20 rectifié bis de M. Hervé Marseille. – Rejet.
Amendement n° 149 de M. Franck Montaugé. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 304 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article 1er ter (nouveau) – Adoption.
Amendement n° 268 de M. Fabien Gay. – Rejet.
Amendement n° 139 rectifié de Mme Nathalie Goulet. – Non soutenu.
Amendement n° 197 rectifié ter de M. Hervé Marseille. – Rejet.
Amendement n° 138 rectifié de Mme Nathalie Goulet. – Non soutenu.
Renvoi de la suite de la discussion.
5. Communication relative à une commission mixte paritaire
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
6. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 29 et 30 juin 2023
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères
M. Claude Raynal, président de la commission des finances
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
compte rendu intégral
Présidence de M. Vincent Delahaye
vice-président
Secrétaires :
Mme Françoise Férat,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 15 juin 2023 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Convocation du Parlement en session extraordinaire
M. le président. Monsieur le président du Sénat a reçu de Mme la Première ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 19 juin 2023 portant convocation du Parlement en session extraordinaire à compter du lundi 3 juillet 2023.
Par ailleurs, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement confirme l’ordre du jour établi de façon prévisionnelle par la conférence des présidents qui s’est réunie mercredi 14 juin dernier.
3
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
4
Industrie verte
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l’industrie verte (projet n° 607, texte de la commission n° 737, rapport n° 736, avis nos 727, 725 et 731).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Demande de priorité
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. En application de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat et en accord avec les autres commissions concernées, la commission des affaires économiques demande l’examen en priorité, au début de la discussion des articles, de l’ensemble du titre II, c’est-à-dire de l’amendement portant sur l’intitulé du titre II, des articles 12 à 14, ainsi que des amendements portant article additionnel qui s’y rapportent.
M. le président. Je suis saisi d’une demande de priorité de la commission sur l’ensemble du titre II du projet de loi, soit les articles 12 à 14, ainsi que sur les amendements portant article additionnel qui s’y rapportent, afin qu’ils soient examinés au tout début de la discussion des articles.
Selon l’article 44, alinéa 6, de notre règlement, la priorité est de droit quand elle est demandée par la commission saisie au fond, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Favorable, monsieur le président.
M. le président. La priorité est ordonnée.
Discussion générale
Dans la discussion générale, la parole est M. le ministre. (M. François Patriat applaudit.)
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sortons d’une ère de désindustrialisation,…
M. Fabien Gay. Pas encore !
M. Bruno Le Maire, ministre. … une ère de quarante années durant laquelle la France s’est trahie elle-même. Elle a trahi sa culture ouvrière, elle a trahi son génie industriel, elle a trahi son attachement au progrès, à l’innovation technologique et à la production manufacturière.
Les chiffres sont sans appel : en quarante ans, six cents entreprises fermées, 2,5 millions d’emplois industriels détruits, des territoires laissés à l’abandon, une part de l’industrie dans la richesse nationale tombée de plus de 20 % à un peu plus de 10 % tandis qu’elle restait stable chez nos principaux partenaires européens – l’Allemagne et l’Italie.
Avec le Président de la République, nous voulons maintenant ouvrir une nouvelle ère de réindustrialisation nationale et européenne : c’est l’objet des décisions que nous avons prises depuis plus de six ans ; c’est l’objet de ce projet de loi sur l’industrie verte.
Nous disposons maintenant d’une base nationale pour engager cette réindustrialisation. En effet, cette majorité a eu le courage de réformer la fiscalité du capital (Marques d’ironie sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.), ce que personne n’avait fait avant nous : il n’y a pas d’industrie sans capital et taxer toujours plus le capital, c’est taxer l’industrie et renoncer à toute ambition industrielle !
Nous avons mis en place des dispositifs pour améliorer la formation et la qualification ; nous avons fait de l’apprentissage la voie royale d’accès à l’emploi – nous avons désormais près d’un million d’apprentis chaque année.
Et nous avons, avec la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, simplifié l’ouverture des sites industriels.
Résultat : les chiffres sont, là aussi, sans appel. La France est devenue la nation la plus attractive en Europe pour les investissements étrangers, comme en témoignent toutes les annonces faites lors du récent sommet Choose France. Nous avons rouvert trois cents usines et nous avons créé, pour la première fois depuis quarante ans, 90 000 emplois industriels.
Nous disposons aussi d’une base européenne, résultat d’une longue confrontation avec une idéologie européenne dépassée qui refusait systématiquement, contrairement à ce qui se fait en Chine ou aux États-Unis, qu’un État soutienne, par des subventions ou des crédits d’impôt, le développement d’une industrie à ses débuts.
Avec le Président de la République, nous avons obtenu cette révolution idéologique consistant à laisser les États membres apporter des soutiens financiers au développement de leur industrie sous forme de subventions ou de crédits d’impôt.
Nous avons obtenu cette autre révolution consistant – Dieu sait que cela devrait être de bon sens – à protéger nos technologies et nos savoir-faire contre des investissements de prédation et à protéger nos qualifications.
Nous avons, enfin, les circonstances. Après la crise de la covid, chacun a compris qu’il fallait réorganiser les chaînes de valeur, arrêter d’être trop dépendants des autres nations pour les approvisionnements essentiels et faire revenir sur notre sol les approvisionnements critiques et les chaînes de valeur stratégiques.
Parmi ces circonstances, il en est une des plus difficiles : l’accélération du changement climatique, qui montre qu’il n’y a désormais pas d’autre issue que de prendre le problème à bras-le-corps et d’y apporter des réponses massives, rapides et efficaces.
À partir de là, maintenant que nous avons cette base nationale et cette base européenne et que nous faisons face aux circonstances que je viens de décrire, nous avons devant nous des choix politiques qui sont simples et qui doivent être tranchés.
Il y a trois choix possibles.
Le premier choix, c’est le statu quo : on continue comme avant, la croissance pour la croissance, l’ouverture de sites pour l’ouverture de sites, et peu importe le climat ! Ce statu quo serait criminel pour la planète, criminel pour les générations futures et, de toute façon, inacceptable pour nos compatriotes. La croissance pour la croissance au détriment du climat est une impasse.
Le deuxième choix, c’est la décroissance. Je sais qu’elle a la faveur de certains en France. Je tiens à dire à quel point elle conduira à la relégation de la nation française, à notre affaiblissement collectif et à l’appauvrissement de chacune et de chacun de nos compatriotes. Surtout, elle donnera les résultats inverses de ceux qui sont recherchés : nos compatriotes ne vont pas arrêter d’acheter des voitures, des vélos, des batteries ou des pompes à chaleur, mais, au lieu d’acheter des produits fabriqués sur notre territoire avec nos technologies et nos emplois, ils achèteront les mêmes produits importés, réalisés dans des conditions environnementales moins satisfaisantes.
Avec la décroissance, nous sommes perdants sur tous les tableaux : celui de l’emploi, celui de la richesse et celui du climat.
Le troisième choix, celui que nous vous proposons avec le Président de la République, avec la Première ministre, avec Roland Lescure, c’est la croissance verte, une croissance qui permet de réduire les émissions de CO2 et de lutter contre le réchauffement climatique – c’est le cœur de ce projet de loi relatif à l’industrie verte.
Qu’entend-on par industrie verte ? Deux choses distinctes, mais complémentaires.
L’industrie verte, c’est d’abord la décarbonation de l’industrie existante : on ne construira pas l’industrie de l’avenir sur les ruines de l’industrie du passé. Tous ceux qui nous ont vendu ces sornettes pendant des années et des décennies comme quoi il fallait faire table rase des vieilles industries pour construire dessus des industries nouvelles se trompaient totalement sur le lent processus qui permet d’améliorer les technologies, de profiter des savoir-faire passés pour construire ceux de l’avenir.
L’industrie existante, c’est 18 % des émissions actuelles de CO2 en France. Avec ce projet de loi, nous voulons accélérer la décarbonation des grands sites industriels français.
L’industrie verte, c’est aussi la production des nouvelles technologies vertes qui vont nous permettre d’accélérer la décarbonation de l’industrie française et celle de toute l’économie. C’est ce que j’appelle les Big Five : les pompes à chaleur, les éoliennes, les panneaux photovoltaïques, les batteries électriques et l’hydrogène vert. Ces cinq technologies clés feront la différence entre les nations qui réussissent au XXIe siècle et celles qui importent et qui sont dominées.
Nous voulons que la France exporte, qu’elle soit indépendante et puissante industriellement. Nous voulons investir sur la production de ces cinq technologies vertes.
De ce point de vue, contrairement à ce que j’ai entendu dire parfois, l’industrie verte n’est pas une contradiction dans les termes : c’est une évidence et même une tautologie. Si nous voulons une industrie, elle doit être verte et, pour que nous soyons verts, nous avons besoin de notre industrie.
Alors, comment faire pour avancer dans la direction de la croissance verte que nous vous proposons et qui nous paraît la seule option raisonnable pour la nation française ? Soyons très pragmatiques, très simples. Je crois que c’est l’intérêt de ce projet de loi et je me réjouis que son examen commence au Sénat, dont la sagesse est bien connue – je suis sûr que le texte en sortira encore meilleur. (Sourires ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.)
D’abord, ce qui compte le plus pour un industriel qui veut investir en France, ce qui est le plus difficile à trouver, ce qui pose le plus de problèmes, c’est le foncier. Il est extraordinairement difficile en France, pour un industriel qui veut investir, d’avoir accès à du foncier présentant les caractéristiques voulues.
C’est pourquoi nous vous proposons deux mesures radicales dans ce projet de loi.
La première mesure, c’est de mettre à disposition de l’industrie cinquante sites intégralement dépollués représentant 2 000 hectares – la Banque des territoires y consacrera 1 milliard d’euros d’ici à 2027. Nous pourrons dire à un industriel qui vient en France : « Un site est disponible pour vous, il est prêt à l’emploi. »
La seconde mesure consiste à rehausser la créance environnementale au rang des créances privilégiées pour récupérer 25 % des sommes nécessaires pour dépolluer les sites. C’est un geste politique fort que de faire remonter ces créances environnementales au rang des créances privilégiées.
Je me réjouis aussi que nous ayons trouvé un accord sur l’objectif du « zéro artificialisation nette » (ZAN) (Marques d’étonnement sur les travées du groupe Les Républicains.),…
M. Laurent Burgoa. Ça, on verra…
M. Bruno Le Maire, ministre. … qui a fait couler beaucoup d’encre et ouvert beaucoup de débats parfaitement légitimes. La proposition est de compter à part les projets industriels majeurs, ainsi que tous ceux qui contribuent aux chaînes de valeur du développement durable.
Une fois que vous avez votre site et que vous voulez construire votre usine, le deuxième obstacle auquel vous vous heurtez en France, c’est la lenteur des procédures : nous mettons trop de temps à accorder les autorisations.
Nous voulons, avec ce projet de loi, diviser par deux les délais d’ouverture ou d’agrandissement d’une usine en France : ils passeraient de dix-sept mois en pratique à neuf mois. Pour cela, nous allons opérer une révolution administrative : au lieu d’avoir des autorisations et procédures successives, nous proposons de créer une procédure parallèle (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.) permettant d’examiner en même temps les différentes autorisations administratives. Cela se fera sans affecter les exigences environnementales ni la consultation publique, dont la durée passera d’un mois à trois mois.
Au-delà de cette révolution administrative, et toujours avec l’objectif d’accélérer les procédures, nous proposons de définir la notion de projet d’intérêt national majeur. Ces projets, qui concerneront quelques investissements identifiés par décret du Premier ministre, reposeront sur une procédure d’exception.
L’État prendra la main, de manière à accélérer les procédures, sur ce qui concerne le raccordement électrique, le permis de construire ou encore la modification du plan local d’urbanisme (PLU). Cette procédure est indispensable pour attirer en France de plus importants investissements.
Roland Lescure et moi-même avons longuement discuté de ce sujet lors de notre audition devant votre commission des affaires économiques et il nous est apparu qu’il était indispensable que les élus rendent un avis à ce sujet, en particulier les maires et les responsables des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). On ne construit pas une usine contre un territoire ou contre ses représentants. Nous vous proposons donc de recueillir l’avis des élus concernés pour ces projets d’intérêt national majeur.
Troisième étape de la construction d’une usine, pas la moindre : l’accès à des financements. Pour des usines de batteries électriques, d’hydrogène vert ou d’électrolyse, les besoins de financement se chiffrent non pas en millions ni même en centaines de millions d’euros, mais en milliards d’euros, comme vous l’avez vu avec l’agrandissement de STMicroelectronics à Grenoble ou avec les projets ACC à Douvrin et ProLogium à Dunkerque.
Nous avons besoin de financements dans un moment – je crois l’avoir dit clairement hier – où il faut redresser les comptes publics et où, par conséquent, les financements publics sont rares. Nous allons donc mobiliser l’épargne des Français.
Nous vous proposons de mettre en place un plan d’épargne avenir climat (Peac) disponible pour tous les mineurs, bloqué jusqu’à leur majorité, avec un taux de rémunération supérieur au livret A et un régime fiscal très incitatif et tout à fait exceptionnel – zéro charge, zéro impôt. Nous attendons 1 milliard d’euros de collecte de ce plan d’épargne avenir climat.
Toujours pour mobiliser l’épargne des Français, nous souhaitons aussi que, dans les plans d’épargne retraite et les contrats d’assurance vie, au moins une unité de compte soit obligatoirement consacrée aux investissements verts.
Au total, nous voulons mobiliser 5 milliards d’euros d’épargne privée pour le financement de l’industrie verte.
Enfin, toujours sur le financement, nous voulons être – je le disais en introduction – le premier pays en Europe à mettre en place un crédit d’impôt pour la production industrielle verte.
M. Fabien Gay. On en manquait…
M. Bruno Le Maire, ministre. Aujourd’hui, quand nous ouvrons des usines comme ACC, ProLogium ou d’autres, nous apportons des subventions – c’est ce qu’a aussi fait l’Allemagne récemment avec Intel.
Si nous voulons attirer d’autres investisseurs qui ont besoin de rentabiliser leur investissement sur le long terme et d’avoir de la visibilité, il faut aussi accorder des crédits d’impôt.
Je le répète, nous vous proposons, avec ce projet de loi, d’être la première nation en Europe à mettre en place ces crédits d’impôt pour la production industrielle verte.
L’intégralité de ce crédit d’impôt, je le précise, sera financée par la réduction de niches fiscales sur les énergies fossiles, conformément à la stratégie que j’ai définie hier de bascule de la fiscalité brune vers la fiscalité verte. Ce crédit d’impôt sera présenté dans le projet de loi de finances pour 2024.
Après le foncier, la construction de l’usine dans des délais rapides et le financement, ce projet de loi – c’est son quatrième volet – vise à protéger l’investissement ainsi réalisé et à s’assurer de l’absence de menaces par d’autres nations qui bénéficieraient d’avantages exorbitants.
Nous allons donc mettre en place un label d’excellence environnementale européenne, dit triple E, qui doit valoriser les entreprises les plus vertueuses et leur donner un accès privilégié à la commande publique, qui représente 150 milliards d’euros par an. Personne ne peut comprendre que, dans les appels d’offres pour la commande publique, ce soit systématiquement le produit ou le projet le moins cher qui soit valorisé et non pas celui qui est le plus vertueux d’un point de vue environnemental. Nous vous proposons que ce critère de vertu environnementale fasse partie des critères aussi décisifs que les critères économiques et financiers. Je pense que, à tout point de vue, nous en sortirons gagnants.
Je précise également que nous serons la première nation en Europe à réserver le bonus sur les véhicules électriques à ceux qui sont produits dans les conditions environnementales les plus satisfaisantes, c’est-à-dire à des véhicules produits en Europe.
Je dois dire qu’il est compliqué, dans un temps de responsabilité budgétaire où l’argent public est rare, de voir que, sur 1,2 milliard d’euros de subventions accordées pour l’achat d’un véhicule électrique, plus de 40 % partent dans des usines situées hors d’Europe. En effet, aujourd’hui, les bonus sont attribués sur le seul critère que le véhicule est électrique, alors qu’il devrait être attribué sur critère environnemental, en tenant compte des conditions de production. C’est une vraie rupture que nous vous proposons, en réservant ce bonus aux véhicules produits en Europe.
Enfin, nous voulons renforcer la formation et la qualification. Nous défendrons plusieurs mesures sur ce sujet comme l’augmentation de 22 % du nombre de places dans les écoles des mines-télécom à l’horizon 2027 et la création de cent écoles de production, toujours à l’horizon 2027.
Je ne serai pas plus long. À Roland Lescure comme à moi, il nous tarde d’entrer dans le débat sur ce projet de loi qui marque, me semble-t-il, un véritable tournant dans l’histoire économique de notre nation. Nous avons engagé la réindustrialisation : nous vous proposons de l’accélérer et de la verdir. Je suis certain que nous parviendrons à trouver un accord sur ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne veux pas être très long, puisque le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a dit l’essentiel.
Je voudrais quand même vous relater quelques événements qui se sont produits non pas ces dernières années, mais ces dernières semaines, en fait depuis un mois.
Vingt-huit nouveaux investissements ont été annoncés au sommet Choose France, qui représentent 13 milliards d’euros et 8 000 emplois.
J’ai signé la première feuille de route de décarbonation avec le groupe Lhoist, un groupe belge installé en France, qui s’engage à décarboner totalement d’ici à 2050 ses quatre sites – ils font partie des cinquante sites français les plus émetteurs de carbone – et à diviser leurs émissions par deux d’ici à 2030.
Nous avons annoncé l’alliance solaire, qui va permettre de reconstruire une filière de production de panneaux photovoltaïques en France.
Nous avons inauguré l’usine ACC à Douvrin dans le Pas-de-Calais, première gigafactory de batteries électriques.
Nous avons établi une liste de vingt-cinq médicaments essentiels et de huit projets de relocalisation qui vont nous permettre de produire de nouveau ces médicaments en France : 160 millions d’euros d’investissements à la clé.
S’est tenu la semaine dernière le salon VivaTech, qui est désormais le premier salon numérique au monde devant le fameux Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas. Ce salon a une composante industrielle extrêmement importante – c’est un aspect qui, vous le savez, m’est cher.
Se tient cette semaine au Bourget le salon de l’aéronautique et de l’espace. Des commandes historiques, exceptionnelles, y ont été passées et on y voit clairement que cette industrie s’engage, avec le soutien de l’État, sur la voie de la décarbonation pour fabriquer un avion propre et investir dans des start-up qui vont développer les avions du futur.
Tout cela en moins d’un mois !
En outre, l’Insee a publié il y a moins de deux semaines des chiffres qui montrent que plus de 100 000 emplois ont été créés dans l’industrie ces six dernières années – c’est absolument exceptionnel.
Bruno Le Maire l’a dit, ces résultats du mois qui vient de s’écouler sont avant tout le résultat d’années de travail. Ce sont singulièrement les cinq dernières années qui nous ont permis de retrouver la compétitivité pour le site France.
Plus important encore, je pense que ces résultats sont avant tout la conséquence d’un changement de mentalité. L’industrie redevient à la mode en France, parce qu’elle est l’une des solutions de notre décarbonation. Nous avons fait une recherche dans les archives de l’Assemblée nationale et du Sénat : depuis plus de quarante-cinq ans, aucun projet de loi n’avait le mot « industrie » dans son intitulé ! Nous vous proposons aujourd’hui un projet de loi relatif à l’industrie verte – c’est donc une première depuis quarante-cinq ans.
On assiste aujourd’hui à un retour en force de l’apprentissage et à un retour en force des usines. Vous le savez, on ouvre aujourd’hui des usines dans tous vos territoires : dans la Somme, à Nesle ; dans le Doubs, à Allenjoie ; en Saône-et-Loire, à Autun ; en Seine-Maritime, au Havre ; dans la Drôme, à Pierrelatte ; dans l’Aube, à Sainte-Savine ; dans l’Eure, à Louviers ; dans le Pas-de-Calais, à Auxi-le-Château ; en Ardèche, à Ardoix ; en Gironde, à Saint-Loubès. Partout en France, on rouvre des usines et nous pouvons en être extrêmement fiers.
Pour chaque emploi industriel qui est créé, trois ou quatre autres, indirects, le sont dans les services, en particulier dans les services publics – un élément cher au sénateur Fabien Gay. Derrière une usine se cache souvent une école, une poste, etc. Bref, nous avons tous intérêt à ce que cette fierté industrielle retrouvée perdure.
Avec ce projet de loi, nous vous proposons finalement d’accélérer ce que nous faisons depuis cinq ans. Comme vous le savez, quand on entre dans un virage, la meilleure manière d’en sortir avec une courbe parfaite, c’est d’accélérer !
Notre devoir collectif à toutes et à tous, c’est de construire cette France de 2030 qui donnera à chacun les moyens de faire ce qu’il fait de mieux : inventer, financer, créer, penser, façonner, fabriquer, etc.
Que signifie concrètement accélérer ?
Cela veut dire que nous avons besoin d’hommes et de femmes qui soient techniciens, agents de maintenance, ouvriers, ingénieurs, entrepreneurs, investisseurs internationaux, etc. Nous avons aussi besoin de formations adaptées et d’une Europe forte.
Cela veut aussi dire – c’est là l’essentiel de ce projet de loi – que nous avons besoin de foncier, de financements et de simplicité pour l’implantation de projets dans nos territoires.
Nous devons poursuivre le changement de mentalité. C’est exactement ce que nous vous proposons dans le cadre de ce projet de loi, qui est le maillon indispensable d’une stratégie de réindustrialisation globale.
Au fond, ce texte est un élément essentiel d’un dispositif bien plus large qui prend place dans un environnement de compétition internationale accrue. Nous devons rendre davantage de foncier et d’argent disponibles pour les investisseurs afin de financer la réindustrialisation et la transition écologique, tout en mettant en place – c’est important – des règles environnementales et sociales extrêmement rigoureuses.
Ce projet de loi, qui est, je le répète, un élément d’une stratégie d’ensemble, doit nous donner les moyens de réussir, d’atteindre nos ambitions. Bruno Le Maire vous ayant présenté les articles de ce projet de loi, je vais vous en donner quelques illustrations.
L’usine ACC dont je parlais tout à l’heure a été inaugurée deux ans jour pour jour après le dépôt du permis. C’est une exception qui a mobilisé les services de l’État, ainsi que les élus locaux et nationaux, et cette exception doit devenir la règle.
Dans les projets d’intérêt national comme celui du grand port maritime de Dunkerque, nous devons aller plus vite, nous devons raccourcir les délais de manière à gagner encore du temps – c’est l’objet de l’article 3 du projet de loi.
Nous devons répliquer l’exemple du site d’Hambach, où les panneaux photovoltaïques de l’entreprise Holosolis vont être très bientôt fabriqués. Nous avons pu aller vite, parce que le terrain était déjà prêt : un investisseur s’était retiré d’un projet précédent ; du coup, toutes les études avaient déjà été faites, par exemple l’étude faune-flore dite quatre saisons. Nous devons faire en sorte que cet exemple devienne la règle.
Dernier point important : nous devons simplifier la sortie du statut de déchet. Comme souvent, la France a surtransposé une directive européenne et, aujourd’hui, pour fabriquer un tableau de bord d’automobile en plastique à partir d’une bouteille recyclée, il faut un an de procédure pour que ladite bouteille n’ait plus le statut de déchet. Nous vous proposons de passer dans ce qu’on appelle le « statut implicite », qui permettra de simplifier et d’accélérer l’utilisation de nos déchets. L’industrie a vocation à être un exemple d’économie circulaire.
Pour terminer, je veux vous dire que nous saurons que nous avons réussi si, dans cinq ans, nous avons effectivement dégagé 5 milliards d’euros de financement annuel supplémentaire pour l’industrie verte ; si, dans cinq ans, cinquante sites clés en main supplémentaires ont été effectivement mis à disposition, mais aussi occupés par des industriels ; si, dans cinq ans, nous avons effectivement relocalisé en France la production de vingt-cinq de nos médicaments essentiels ; si, dans cinq ans, nous produisons effectivement l’ensemble de la chaîne de valeur du véhicule électrique sur notre territoire ; si, dans cinq ans, notre commande publique est davantage tournée vers un achat qui soit responsable, mais aussi – il faut le dire – français ou européen ; si, dans cinq ans, les émissions de CO2 ont baissé significativement dans l’industrie – nous visons une réduction de 50 % d’ici à 2030 – ; si, dans cinq ans, nous avons créé plus d’emplois – Bruno Le Maire a rappelé que nous avions créé 100 000 emplois en cinq ans, nous devons viser beaucoup plus pour les cinq ans qui viennent.
Nous aurons vraiment réussi, si la colère diminue et si l’espoir renaît.
M. Christian Redon-Sarrazy. Ce n’est pas gagné…
M. Roland Lescure, ministre délégué. Vous savez que chaque usine permet de faire renaître l’espoir dans nos territoires. Travaillons ensemble, mesdames, messieurs les sénateurs, pour que l’espoir renaisse en France dans tous nos territoires et que la colère diminue enfin ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Laurent Somon, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l’industrie verte, dont nous commençons aujourd’hui l’examen, se donne pour objectif de réindustrialiser la France et de nous donner les moyens de devenir leaders dans les technologies clés de la transition écologique.
En accélérant les implantations industrielles, en renforçant la prise en compte des enjeux environnementaux dans la commande publique, en améliorant le financement de la transition écologique, vous nous promettez, messieurs les ministres, 40 000 créations d’emplois et 23 milliards d’euros d’investissements supplémentaires à l’horizon 2030.
Qui pourrait s’opposer à un tel programme ? Soyez-en assurés, messieurs les ministres, nous aurions voulu applaudir des deux mains depuis le temps que nous alertons sur les effets délétères de la désindustrialisation, sur cette chimère de l’industrie sans usine et de la tertiarisation à tout-va qui a appauvri nos compatriotes, déstructuré nos territoires, atrophié notre recherche et développement et, plus grave encore, qui a mis en péril notre souveraineté et amoindri nos capacités d’adaptation face aux grands défis de demain, au premier chef celui de la transition écologique.
Nous sommes d’accord sur les objectifs. Oui, il faut adapter notre industrie à la transition écologique pour nous donner les moyens de tenir nos engagements en matière climatique et de biodiversité. Oui, il faut profiter du puissant catalyseur économique que sont les changements d’usage massifs qui s’annoncent dans les secteurs des énergies renouvelables, de l’hydrogène et des batteries.
Nous aurions donc voulu applaudir votre texte, mais force est de constater qu’après avoir suscité l’enthousiasme il a provoqué la déception. Le texte est consensuel, mais bien en deçà des objectifs affichés ; il contient des mesures techniques qui sont sans commune mesure avec le redressement industriel qu’il nous faut opérer.
Quel est l’objet du projet de loi ? Qu’est-ce que l’industrie verte ? Vous avez tenté d’y répondre, messieurs les ministres,…
M. François Patriat. Et très bien répondu !
M. Laurent Somon, rapporteur. … mais nous sommes nombreux à nous interroger, car votre texte est flou. Vous déclarez vouloir décarboner l’industrie et soutenir les technologies des secteurs du développement durable. Mais, en réalité, au-delà des emblématiques mâts d’éoliennes et des giga-usines de batteries, l’industrie la plus verte n’est-elle pas surtout l’industrie qui produit en France, conformément à nos normes environnementales, qui sont parmi les plus élevées au monde ? N’est-ce pas l’industrie de nos petites et moyennes entreprises (PME) et très petites entreprises (TPE), de nos start-up, de nos usines textiles qui innovent, qui regagnent des parts de marché ?
Les grands défis de demain, nous les affronterons aussi avec, hélas, notre industrie de défense, ou avec notre industrie pharmaceutique, que vous avez citée, pour vaincre les nouvelles menaces épidémiologiques. Si la crise sanitaire a eu un mérite, c’est bien celui d’avoir mis au grand jour la fragilité de nos chaînes d’approvisionnement, y compris dans des secteurs stratégiques. Que prévoit votre texte sur ces sujets ?
Le plus gênant dans ce texte n’est pas le flou de son objet ou le caractère disparate des mesures proposées ; c’est son incomplétude. Celle-ci se mesure au nombre d’amendements que nous avons dû déclarer irrecevables, faute de lien avec celui-ci, alors même qu’ils auraient pu profondément enrichir la démarche. Je sais que c’est frustrant et je tiens à vous dire, mes chers collègues, que je partage votre déception.
Je déplore également, monsieur le ministre Le Maire, que vous ayez renvoyé au prochain projet de loi de finances la discussion sur toutes les mesures fiscales et financières envisagées en la matière,…
M. Laurent Somon, rapporteur. … ce qui nous empêche d’avoir une réflexion d’ensemble et rend notre débat très partiel. Qu’est-ce qu’une politique industrielle sans mesures financières et fiscales ? Pas grand-chose, sinon une forme de marketing politique ! Parmi les 40 000 créations de postes promises que j’évoquais tout à l’heure, combien sont supposées découler directement de ce texte ? Nul ne le sait.
Les mesures que l’on nous propose vont dans le bon sens, mais elles ne vont pas assez loin, comme en témoignent les dispositions dont la commission des affaires économiques a eu à traiter au fond. Elles visent à améliorer l’attractivité de la France en remédiant à deux faiblesses bien identifiées, que vous avez évoquées : la limitation des disponibilités foncières et la longueur des procédures administratives d’installation.
La question du foncier est fondamentale. En France, deux tiers des intercommunalités déclarent avoir déjà refusé des projets d’implantation économique par manque de foncier. Pour réindustrialiser la France, 16 000 à 20 000 hectares seront nécessaires. Environ la moitié pourrait provenir du recyclage de friches, l’autre moitié requerrait une artificialisation nouvelle. C’est un enjeu majeur !
La commission des affaires économiques a donc complété les dispositions des articles 5 et 6 visant à faciliter la mobilisation du foncier pour des usages industriels : elle a prévu l’identification des friches au sein des schémas de cohérence territoriale (Scot), en complément du pilotage existant aux échelons régional et communal. Elle a permis aux communes de récupérer plus facilement des terrains abandonnés pour y réimplanter de l’industrie.
Messieurs les ministres, il y a beaucoup à faire pour redonner la main aux communes sur leur foncier. Les fourches caudines de l’article 40 de la Constitution nous contraignent, mais j’aimerais que vous preniez l’initiative sur des thèmes comme le régime des biens sans maître, ou encore celui des biens en état d’abandon manifeste.
Afin de permettre un pilotage des implantations industrielles sur le foncier disponible, la commission a aussi limité, sauf exception, les obligations de dépollution après un usage industriel à ce qui est nécessaire pour un nouvel usage industriel. Elle a également permis au tiers demandeur d’intervenir plus tôt, pour anticiper la réhabilitation des friches.
En revanche, la commission s’est opposée à la restriction du champ des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), qui sont soumises à l’obligation de constituer des garanties financières pour financer la remise en état des sites après cessation d’activité : les collectivités se trouvent souvent bien démunies face à ces friches dont les coûts de dépollution peuvent être faramineux. La simplification et la recherche de la compétitivité ne doivent pas se faire au détriment des collectivités locales. Nous attendons un engagement fort de l’État pour accompagner celles-ci, y compris financièrement. Là encore, il manque à ce texte un volet financier pour le rendre crédible !
La commission a aussi introduit une mesure phare, que vous soutenez, je crois, monsieur le ministre Le Maire, quoique l’on n’en trouve nulle trace dans votre projet de loi : l’exclusion de ces projets du périmètre du ZAN. Vous en avez parlé ; c’est bien de le dire, nous venons de l’entendre, mais ce sera mieux de le faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
L’industrie ne représente que 4 % des surfaces artificialisées ; même en comptant sur une accélération de son développement dans les prochaines années, c’est tout au plus 7 % de l’enveloppe d’artificialisation disponible, à l’échelle nationale, pour la décennie 2021-2031 qui sera consacrée à l’industrie. Compte tenu des enjeux en matière d’emploi, de pouvoir d’achat et de souveraineté, prendre le risque de passer à côté de projets industriels par manque de foncier dans les territoires, alors qu’ils représentent si peu d’hectares en valeur absolue, serait une folie. Or deux tiers des EPCI ont refusé des implantations économiques faute de foncier !
Le nouvel article 9 bis exclut donc du décompte du ZAN toute artificialisation induite par des implantations industrielles concourant à la transition écologique et à la souveraineté nationale, quelle que soit leur taille. Il s’agit d’une mesure cardinale pour renforcer notre attractivité, car le foncier est la première ressource que recherchent les industriels pour s’implanter, vous l’avez dit monsieur le ministre.
Il ne s’agit pas ici d’opposer l’industrie à l’écologie ! Nous parlons ici de faciliter l’implantation d’industries qui contribuent à la transition écologique. On favoriserait ainsi l’arrivée en France d’industries qui constitueront les fondations d’une économie sobre en carbone, respectueuse de la biodiversité et de notre environnement, démarche que je désigne par le néologisme « économologie ».
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. C’est difficile à dire ! (Sourires.)
M. Laurent Somon, rapporteur. En ce qui concerne le second vecteur d’accélération mobilisé dans ce projet de loi, à savoir l’accélération des procédures administratives, nous avons travaillé dans deux directions : d’une part, permettre à l’ensemble de la chaîne de valeur de bénéficier de ces mesures d’accélération, en élargissant le champ des bénéficiaires de la procédure de déclaration de projet aux activités de recherche et développement et aux sous-traitants ; d’autre part, mieux associer les collectivités territoriales à la nouvelle procédure accélérée créée à l’article 9.
L’acceptation locale est essentielle au succès du déploiement d’implantations industrielles dans les territoires. À trop vouloir accélérer sans concerter, à trop vouloir passer en force, l’État ne fera que générer la méfiance et soulever les oppositions.
Il ne s’est passé que deux ans entre l’annonce de l’implantation à Douvrin de la gigafactory d’ACC, en 2021, que vous avez mentionnée, monsieur le ministre Lescure, et son ouverture, il y a quelques jours. Cela s’est fait sans cette nouvelle procédure,…
M. Laurent Somon, rapporteur. … mais l’État et les collectivités ont travaillé en parfaite symbiose, ce qui est gage de fluidité et d’accélération. C’est ce que nous devons rechercher, plutôt que de court-circuiter les collectivités locales !
Alors, messieurs les ministres, donnez des moyens aux services déconcentrés de l’État pour mieux accompagner les porteurs de projets dans les territoires, pour mieux outiller les collectivités, pour coconstruire avec elles ces projets stratégiques et en assurer le pilotage, avec toutes les parties prenantes ! C’est ainsi que nous gagnerons, ensemble, la bataille de la réindustrialisation.
Cela étant dit, la commission partage l’objectif de permettre l’installation rapide de très grands projets stratégiques. Dans un esprit de responsabilité, elle a donc conservé la nouvelle procédure créée à l’article 9, mais elle l’a profondément réformée, pour redonner l’initiative aux collectivités. Nous avons ainsi dû forcer l’État à dialoguer avec les collectivités, puisque vous ne le prévoyiez pas.
Évidemment, nous avons prévu qu’aucune évolution des documents d’urbanisme ne pourrait intervenir sans l’accord des collectivités concernées.
M. Laurent Burgoa. Très bien !
M. Laurent Somon, rapporteur. C’est une évidence qu’il convenait de rappeler, tout comme la nécessité d’assurer une vraie consultation du public.
Je voudrais pour finir saluer le travail de mes collègues rapporteurs pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, de la commission des lois et de la commission des finances, auxquelles la commission des affaires économiques a délégué l’examen de certains articles.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur !
M. Laurent Somon, rapporteur. Ce texte n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Il présente néanmoins d’intéressantes avancées, que nous avons choisi d’accompagner, de renforcer et d’améliorer, dans la limite, étroite, de nos prérogatives.
J’espère, comme vous, messieurs les ministres, que notre débat sera constructif, car nous avons tous le même objectif. (Applaudissements sur les travées du groupe Le Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, au nom de laquelle je m’exprime aujourd’hui, partage les objectifs du Gouvernement, mais relève l’écart entre l’intention affichée et les dispositions du présent texte.
Celui-ci, messieurs les ministres, est un patchwork de mesures très techniques et parfois cosmétiques qui devraient, à notre sens, avoir peu d’effet sur les émissions de gaz à effet de serre et ne contribuer qu’à la marge à la réindustrialisation de la France.
À l’inverse, certains leviers restés à l’écart de ce texte, et qui semblent plutôt relever du pouvoir réglementaire, pourraient avoir un impact bien plus grand au regard de cet objectif ; je pense par exemple à l’encadrement des délais contentieux en matière d’implantations industrielles.
Afin d’améliorer ce texte imparfait, notre commission a donc adopté 34 amendements dans un triple objectif : garantir l’intégrité environnementale du projet de loi, corriger des dispositifs qui n’atteignent pas leur cible, enfin, assurer la sécurité juridique d’un texte imprécis.
Je commencerai par le premier volet, à savoir les modifications visant à garantir l’intégrité environnementale du projet de loi.
La réindustrialisation ne doit pas se faire au détriment du principe pollueur-payeur. La commission a ainsi rétabli l’obligation de garanties financières pour assurer la réhabilitation des friches industrielles, que le Gouvernement proposait de supprimer à l’article 6.
Notre commission a également souhaité préserver le principe et la qualité de la participation du public, gage de l’acceptabilité des projets d’industrie verte. Nous avons ainsi aménagé, par plusieurs amendements, la modernisation de la procédure de consultation proposée par le Gouvernement aux articles 2 et 3, pour assurer un meilleur équilibre entre démocratie environnementale et réindustrialisation.
La compensation des atteintes à la biodiversité, prévue à l’article 7, a été modernisée et sécurisée : notre commission a souhaité mieux distinguer les notions de « restauration » et de « renaturation », d’une part, de « compensation », d’autre part.
Notre commission a rétabli, à l’article 2 bis, l’accélération des procédures d’instruction des projets d’énergies renouvelables dans les zones d’accélération de la production d’énergies renouvelables introduites par la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dite loi ENR, accélération sur laquelle le Gouvernement proposait de revenir.
Enfin, nous avons complété le volet du texte consacré à l’économie circulaire, en prévoyant à l’article 4 A la création de projets territoriaux d’industrie circulaire.
Le deuxième volet de notre approche comprend les modifications visant à corriger des dispositifs qui n’atteignent pas leur cible.
À l’article 13, afin de garantir que les organisations assujetties respecteront leur obligation d’établir un bilan d’émissions de gaz à effet de serre (Beges), notre commission a relevé les sanctions administratives applicables et a supprimé l’exclusion facultative des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession en cas d’irrespect, proposée par le Gouvernement.
Par cohérence, la possibilité de mobiliser des critères qualitatifs, notamment environnementaux, pour attribuer les marchés publics a été étendue aux contrats de concession.
Enfin, notre commission a conforté la consécration juridique de la sortie implicite du statut de déchet, prévue à l’article 4, en proposant une rédaction plus robuste.
Le troisième volet comprend les modifications tendant à renforcer la sécurité juridique d’un texte parfois imprécis.
À l’article 4, nous avons ainsi relevé les sanctions afférentes aux transferts transfrontaliers de déchets et corrigé une non-conformité de la rédaction au droit de l’Union européenne.
Nous avons aussi étendu aux plus petites collectivités la possibilité de mutualiser entre plusieurs acheteurs publics un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (Spaser), à l’article 13.
Enfin, pour sécuriser le recours aux procédures de participation mutualisées, nous avons prévu que soit défini par décret le « territoire délimité et homogène » figurant à l’article 3.
En résumé, pour les articles qui concernent la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, ce projet de loi relatif à l’industrie verte est loin de constituer une révolution, même s’il apporte des améliorations mesurées et corrige des imperfections. Il témoigne au moins de la volonté du Gouvernement, que notre commission partage, de renforcer l’attractivité de la France pour assurer une réindustrialisation que nous souhaitons la plus verte possible. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il me revient de parler exclusivement du titre III, relatif au financement de l’industrie verte.
Au préalable, je voudrais exprimer notre regret quant à l’absence de définition de cette notion : l’industrie verte, est-ce seulement les pompes à chaleur, les panneaux solaires, les pales d’éoliennes, l’hydrogène vert ou encore les batteries électriques ? N’est-ce pas également transformer nos chaînes de production ou améliorer le bâti des usines, de manière à décarboner réellement notre économie ?
Nous avons en tout cas le sentiment que le texte s’éloigne par moments d’une définition restreinte de l’industrie verte, sans pour autant évoquer explicitement la décarbonation de l’industrie dans son ensemble. En effet, le titre III traduit plutôt deux autres objectifs, sans lien direct avec les enjeux environnementaux : attirer l’épargne privée vers les entreprises non cotées et maintenir la compétitivité de la place de Paris.
Seuls les articles 15 et 16 concernent directement le financement de l’industrie verte.
L’article 15, qui prolonge l’article 72 de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Pacte, instaure une obligation de référencement, dans les contrats d’assurance vie, d’unités de compte constituées de fonds labellisés, et ce pour chaque label qui pourrait être reconnu par l’État au titre du financement de la transition écologique.
À noter, messieurs les ministres, qu’une obligation de référencement n’est qu’une proposition et ne signifie pas qu’il y aura nécessairement souscription par l’épargnant.
L’article 16, quant à lui, crée ce fameux nouveau produit d’épargne réservé aux mineurs, le plan d’épargne avenir climat, dont les fonds devront être alloués au financement de l’économie productive et de la transition écologique.
La commission des finances a largement précisé le fonctionnement de ce produit, complètement absent du texte déposé par le Gouvernement. Ce fonctionnement s’apparentera à celui du plan d’épargne retraite (PER), avec une gestion pilotée à horizon obligatoire.
J’étais un peu étonnée, monsieur le ministre Le Maire, de vous entendre vous engager sur le niveau de rémunération de ce produit. En effet, dès lors que ces fonds ne sont pas garantis, il est difficile d’être certain qu’à la fin l’épargnant aura plus – surtout en valeur réelle, si l’on tient compte de l’inflation – que ce qu’il a déposé sur un tel plan d’épargne pour une durée de dix-huit, vingt, ou même vingt-cinq ans s’il avait souscrit à zéro mois pour aller jusqu’aux vingt-cinq ans.
Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. Je vous ai aussi entendu, monsieur le ministre, vous féliciter de la défiscalisation de ce produit, mais celle-ci est absente du présent projet de loi. Pardonnez-moi, mais, quand on présente un nouvel outil, il est tout de même utile, pour sa parfaite compréhension par tout le monde, de pouvoir calculer son coût. C’est ce qu’a fait la commission des finances. Je comprends que vous ne partagiez pas ce point de vue, mais il nous a semblé important d’avoir un dispositif complet.
J’en viens au problème de l’abondement du Peac. Dans la version initiale du texte, dès lors que la souscription est faite l’année de naissance de l’enfant, cet abondement est ouvert à tous. Il nous semble pourtant que ce plan d’épargne est un produit risqué, qui engage les fonds déposés sur une longue période, il ne s’agit donc pas d’un produit destiné au grand public, ou à tous les Français : il faut avoir le courage de le dire ! Dès lors, dans un contexte de raréfaction de la ressource publique, cet abondement ouvert à tous pourrait constituer un effet d’aubaine ; c’est la raison pour laquelle la commission des finances l’a supprimé.
J’irai plus vite sur les fonds européens d’investissement de long terme (Eltif), qui font l’objet des articles 18 et 19. De fait, ce sujet est assez éloigné du financement direct de l’industrie verte.
En réalité, le titre III traite surtout de la question du financement des entreprises. L’article 17 crée ainsi une obligation de proposer à l’épargnant titulaire d’un contrat d’assurance vie ou d’un PER une part minimale d’investissement dans des entreprises non cotées. Là encore, il s’agit d’une simple obligation de proposition, qui ne se traduira pas nécessairement par une souscription.
Les fonds du plan d’épargne avenir climat iront aussi vers les petites entreprises, ce qui soulève un certain nombre de difficultés.
Ainsi, le financement d’activités non cotées par des dispositifs qui peuvent être fermés à tout moment après une certaine durée de détention soulève des problèmes de liquidité. Recourir à la seule valeur estimative n’est pas protecteur des épargnants.
Plus généralement, ces différentes dispositions accroissent la prise de risque des épargnants. La commission des finances, dans la continuité des travaux d’Albéric de Montgolfier et de Jean-François Husson sur ces sujets, a donc adopté plusieurs dispositions visant à renforcer le devoir de conseil tout au long du contrat.
Enfin, messieurs les ministres, je vous appelle surtout à ne pas faire de greenwashing.
Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. Aujourd’hui, pardonnez-moi, mais nous avons un certain nombre de critiques à adresser au label investissement socialement responsable (ISR) et, dans une moindre mesure, au label Greenfin. J’attends beaucoup de votre futur label triple E, parce que, si nous perdons la confiance des épargnants, ce texte ne servira strictement à rien.
Pour le dire autrement, si la commission des finances convient, avec le Gouvernement, de la nécessité de recourir à l’épargne privée pour pallier l’absence d’argent public pour le financement de la transition écologique et le soutien au tissu industriel, elle est en revanche très circonspecte sur l’efficacité des dispositifs proposés. Le Gouvernement escompte 5 milliards d’euros de collecte, ce qui est très loin des enjeux financiers de la transition environnementale. En 2021, les investissements climatiques ont représenté en France, toutes origines confondues, 84 milliards d’euros. Décarboner les quatre secteurs de l’industrie lourde à l’origine de près de 10 % des émissions nationales de gaz à effet de serre nécessite de mobiliser 14 milliards d’euros chaque année ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Marta de Cidrac applaudit également.)
M. Jean-Yves Roux, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi qui nous réunit aujourd’hui exprime une ambition que la commission des lois partage pleinement, à savoir la meilleure prise en compte des enjeux climatiques au sein de la commande publique.
Il y a deux ans déjà, lors de l’examen de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, nous avions soutenu et même renforcé la démarche de verdissement de la commande publique qui figurait dans ce texte.
Quel contraste, cependant, avec le présent projet de loi !
Alors que celui-ci nous est décrit comme un moyen de « privilégier une commande publique responsable », force est de constater que, si les mesures proposées ne sont pas inutiles, leur modestie pose néanmoins question, tant le décalage est grand par rapport à la présentation qui en a été faite.
J’en veux pour preuve la mesure phare de l’article 13, qui ne consiste qu’à déplacer vers la partie législative du code de la commande publique des dispositions de sa partie réglementaire, afin de rappeler aux acheteurs publics qu’ils ont la faculté de prendre en compte des critères environnementaux lors de l’appréciation de l’offre économiquement la plus avantageuse.
S’agissant de l’article 12, dont l’examen a été délégué au fond à la commission des lois, il nous y est proposé d’instaurer, par voie d’ordonnance, un nouveau motif d’exclusion des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession, dont pourraient être frappées les entreprises qui ne satisferaient pas à leurs obligations de transparence résultant de la transposition de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). Pour mémoire, cette directive européenne impose aux grandes entreprises de publier en matière de durabilité des informations extrafinancières incluant notamment des données environnementales.
Depuis plusieurs années désormais, il est régulièrement proposé au législateur d’insérer dans le code de la commande publique de nouveaux motifs d’exclusion de la commande publique. Ce fut par exemple le cas lors de l’examen de la loi Climat et résilience.
L’objet d’une telle approche, qui peut se comprendre, est d’inciter les entreprises à respecter des obligations de nature économique, sociale, éthique, ou encore environnementale, en utilisant la commande publique comme outil incitatif.
Toutefois, cette multiplication des motifs d’exclusion des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession soulève un enjeu d’effectivité et d’application du droit au regard de leur très faible utilisation par les acheteurs publics. Même le représentant de l’Union des groupements d’achats publics (Ugap), la principale centrale d’achats publics, m’a indiqué, lors de son audition, que l’on ne mettait jamais en œuvre ces dispositifs d’exclusion des contrats publics, qui ont pourtant fleuri dans le code de la commande publique en l’espace de quelques années.
C’est pourquoi, lors de votre audition par les quatre rapporteurs, monsieur le ministre Le Maire, je vous ai interrogé sur les instructions que vous envisagiez de donner afin de rendre enfin applicables ces pans entiers du droit de la commande publique, en sensibilisant davantage les acheteurs publics sur les facultés d’exclusion que leur offre le code de la commande publique.
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour donner suite à l’engagement que vous avez alors pris devant nous de mettre en œuvre des actions de communication afin d’inciter les acheteurs publics à avoir davantage recours aux motifs d’exclusion des contrats publics que le Gouvernement soumet fréquemment à nos votes.
Nonobstant ces réserves et du fait de notre choix délibéré de faire confiance à cet engagement du Gouvernement, la commission des lois a adopté une position constructive sur l’article 12.
Sans pour autant nous illusionner sur la portée réelle de cet article, nous l’avons en effet approuvé, en considérant qu’il participera à renforcer l’effet de signal qu’il a pour les entreprises.
Néanmoins, conformément à la position constante du Sénat, consistant à limiter le recours aux ordonnances aux cas les plus justifiés, la commission des lois a adopté deux amendements à cet article, visant à mieux encadrer le périmètre de l’habilitation à légiférer par ordonnance demandée par le Gouvernement et à en réduire le délai à trois mois. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a de cela pratiquement quatre ans, le 18 juillet 2019, lors de l’examen de la loi relative à l’énergie et au climat, le Sénat osait déjà parler du bilan carbone. Il l’avait fait contre l’avis du Gouvernement, qui considérait que c’était trop ambitieux et que cela pourrait pénaliser notre économie. Que de chemin parcouru !
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. C’est sûr !
M. Daniel Gremillet. Le débat d’aujourd’hui porte sur l’industrie verte. Une fois de plus, il est traité en urgence, de manière décousue et au travers des multiples points que nous devons traiter pour exprimer notre ambition partagée de réindustrialisation de notre pays.
Par ailleurs, la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre du ZAN au cœur des territoires n’a pas encore été votée par l’Assemblée nationale. La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) n’est pas non plus encore à l’ordre du jour, alors que, pour produire et réindustrialiser, il faut de l’énergie ; elle sera peut-être examinée au second semestre de cette année.
Nous devons donc examiner le présent texte en urgence, ce qui conduit à une situation absolument incroyable. En effet, messieurs les ministres, résumer l’industrie verte aux énergies renouvelables, cela revient à s’en tenir à une ambition tout de même trop légère par rapport aux capacités industrielles de notre pays. Quelle est la vraie ambition de la France en matière de réindustrialisation ? Quels sont ses objectifs en matière de décarbonation de l’ensemble de notre économie ?
J’insiste de nouveau sur ce point : si nous nous donnons pour ambition de reconquérir notre autonomie industrielle dans les territoires, il faudra aller plus vite. Là encore, le Sénat a été au rendez-vous, en proposant une fourniture d’énergie décarbonée en quantité suffisante pour satisfaire les besoins de l’industrie.
Un autre sujet a été mis sur la table à l’occasion de l’examen de la proposition de loi relative au ZAN. Nous avons évalué entre 20 000 et 30 000 hectares la quantité de foncier nécessaire pour réindustrialiser la France ; or, sur l’autre plateau de la balance, on constate qu’il y a 150 000 hectares de friches dans les territoires. Le problème est, là encore, l’urgence avec laquelle vous voulez que nous transposions dans ce texte cette ambition d’industrie verte, monsieur le ministre Lescure : c’est le problème du temps ! Vous vous êtes satisfait, à juste titre d’ailleurs – étant originaire de cette région, je connais bien le dossier auquel vous avez fait allusion –, de la disponibilité de certaines surfaces ; il n’en reste pas moins qu’il faudra des moyens considérables et beaucoup de temps pour dépolluer les 150 000 hectares de friches industrielles disponibles.
On constate donc un décalage entre la nécessaire ambition de réindustrialisation de la France, que nous partageons, et la gestion financière de l’accompagnement des collectivités vis-à-vis de ces friches parfois orphelines. C’est un vrai sujet d’accessibilité territoriale : il faut que l’ensemble de nos collectivités soient en mesure d’accueillir, à un moment donné, de nouvelles entreprises dans le cadre de la réindustrialisation de la France.
Je voudrais également évoquer l’article 4 de ce texte. Monsieur le ministre, je suis d’accord avec vous quand vous déclarez que le sujet absolument essentiel, aujourd’hui, est ce qui donne à un produit la qualification de « déchet ». La bataille est devenue européenne, voire mondiale, autour de la détention des déchets, parce que derrière cette notion se trouve de l’innovation, de la création de valeur. Nous aurons assurément des débats assez passionnés sur cette question, mais il faut placer le curseur là où il faut, parce que l’enjeu est éminemment stratégique, notamment au vu de la rareté de certains matériaux.
Désormais, en matière industrielle, je ne parlerais plus de déchets, mais de coproduits. Il faut, comme nous l’avons fait lors de l’examen de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, déterminer comment sortir de la qualification de « déchet » pour favoriser l’innovation.
En conclusion, je veux faire remarquer que l’intitulé de ce projet de loi, « relatif à l’industrie verte », est quelque peu trompeur. En effet, comme je l’ai expliqué, cette notion ne se limite pas aux énergies renouvelables, mais doit englober l’ensemble des activités industrielles de notre pays, en accord avec l’ambition de la France d’accéder à une industrie décarbonée et d’accompagner celle-ci, parce que c’est l’enjeu économique de demain. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis 2020, nos défaillances en matière industrielle, qui ne datent pas d’hier, sautent aux yeux. Notre pays est fortement désindustrialisé – les ministres l’ont rappelé – et, en tant qu’élue de l’Aube, je mesure ce que cela signifie.
Ce triste constat se traduit par des conséquences sur l’emploi, sur les niveaux de rémunération, sur la balance commerciale et même sur notre trajectoire pour atteindre l’objectif de Lisbonne.
Mais une dynamique a heureusement été réenclenchée. L’espoir existe et, messieurs les ministres, vous ouvrez des usines là où vos prédécesseurs en fermaient…
Ce projet de loi tendant à accélérer nos efforts en faveur d’une industrie décarbonée est une traduction de cet espoir.
En juin dernier, la mission d’information sénatoriale, dont le thème était « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française », et qui avait été créée sur l’initiative du groupe Les Indépendants – République et Territoires, avait formulé de nombreuses propositions dans le rapport qu’elle a remis. J’en reprends d’ailleurs quelques-unes dans mes amendements.
Les constats que nous avons dressés ont été jugés pertinents.
Le premier constat est que la désindustrialisation n’est pas une fatalité. La France forme des personnes qui font autorité dans le secteur de l’innovation et de la recherche. La formation, dimension absente de ce projet de loi, constitue le terreau de la recomposition de notre industrie et de sa décarbonation, objectif prioritaire de ce texte.
Le second constat est qu’il faut absolument libérer les énergies et faire sauter les verrous que nous avons nous-mêmes créés. Il importe donc de lutter contre la bureaucratie, avec autant de vigueur que nous devons en déployer pour parvenir à la décarbonation.
L’administration est au service des citoyens, et non l’inverse. Nos procédures ne doivent pas prendre le caractère d’un parcours du combattant administratif. Cela vaut particulièrement pour les implantations d’installations industrielles. Il importe de réduire les délais.
À cet égard, le projet de loi comporte des avancées notables, notamment sur les procédures relatives aux autorisations environnementales, à la cessation d’activité ou à la réhabilitation des sites.
Encore faut-il, toutefois, que, en aval, les homologations de produits ou les autorisations de mise sur le marché (AMM) puissent être obtenues en un temps raccourci, de manière fluide et à des coûts soutenables pour nos entreprises, notamment pour nos entreprises innovantes. Les procédures fast track instaurées par l’Inflation Reduction Act (IRA) américain, combinées à la garantie d’un prix bas de l’énergie sur le long terme, constituent un véritable aspirateur pour nos start-up innovantes. Nous devons en avoir conscience.
Je salue les travaux pour parvenir à un équilibre qui ont été réalisés par les commissions saisies au fond et pour avis. Nous verrons ce qui ressort de nos prochains échanges. Je sais que chacun tient à ce que la transformation écologique de la France soit une réussite.
Réindustrialiser notre pays constitue le meilleur vecteur pour décarboner des pans entiers de nos productions, grâce à la mise en œuvre de technologies bénéfiques au développement durable.
J’alerte toutefois sur deux points.
Tout d’abord, il ne faut pas oublier que les solutions se trouvent dans nos territoires : leurs capacités d’innovation et de création sont impressionnantes. Nos territoires abritent nos TPE et nos PME. Raisonner en termes « giga », c’est bien, mais si l’on veut décarboner, il convient aussi d’adopter une approche « micro ».
Ma seconde préoccupation, qui est très largement partagée, concerne l’articulation entre la réindustrialisation et la mise en œuvre du ZAN : je trouve intéressant, à cet égard, l’amendement du Gouvernement tendant à proposer une nouvelle rédaction de l’article 9 bis. Nous devrons suivre avec attention la discussion qui s’ouvrira demain à l’Assemblée nationale sur la proposition de loi sénatoriale visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de zéro artificialisation nette. Il importe de faire preuve de logique et de pragmatisme sur ce sujet.
Enfin, réindustrialiser suppose aussi de libérer les énergies fiscales et l’investissement. Le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz est clair : la transition écologique implique la mobilisation de financements massifs. Toutefois, ses auteurs n’ont pas trouvé d’autre solution que l’impôt. Or, dans un pays où la part des prélèvements obligatoires par rapport au PIB est une des plus élevées dans le monde et où les émissions de gaz à effet de serre par rapport au PIB sont parmi les plus faibles, cette piste n’a guère de sens. En suivant cette voie, on risque de passer à côté de l’enjeu majeur pour notre pays : accélérer sa transition écologique grâce à la réindustrialisation de son économie. J’y insiste, la meilleure façon de décarboner l’économie, c’est de produire en France !
Le projet de loi ouvre un autre chemin pour financer cette transition : la mobilisation des capitaux privés. Dès février 2021, j’ai proposé un dispositif de mobilisation de cette épargne pour financer les projets industriels dans nos territoires.
Épargne privée, assurance vie, plan d’épargne retraite, capital-risque, capital investissement, etc. : les leviers sont nombreux qui peuvent contribuer à l’effort de financement. Cette approche non coercitive présente deux avantages : d’une part, elle permet de ne pas imposer davantage les Français ; d’autre part, elle stimule l’innovation dans la transition en contribuant à « dérisquer » les investissements les plus essentiels.
Là est la clé : si nous voulons développer de nouvelles solutions industrielles et technologiques pour répondre aux défis soulevés par le dérèglement climatique, il est nécessaire d’encourager le déploiement d’investissements dont l’horizon et le niveau de rentabilité attendu ne s’inscrivent pas dans une logique court-termiste. C’est le meilleur rôle que l’État puisse jouer, notamment par le biais de la commande publique. Il y va de notre intérêt collectif, car le coût de l’inaction est tout simplement inabordable. Il est grand temps, en ce XXIe siècle, d’entrer dans l’âge du faire. C’est pourquoi nous soutiendrons ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, alors que ce texte devait, selon les propres termes de l’exposé des motifs, s’inscrire dans « une nouvelle étape de réindustrialisation du pays, afin de faire de la France la championne de l’industrie verte en Europe », il est clairement loin de l’objectif affiché ! Des sujets cruciaux, comme la formation, la recherche, l’emploi ou certaines mesures financières et fiscales, sont renvoyés à la prochaine loi de finances. Le périmètre du texte est donc particulièrement restreint, et l’application de l’article 45 de la Constitution – un corset ! – nous empêche d’avoir une vision d’ensemble des problèmes.
Tandis que certains n’ont eu de cesse de pousser à une mondialisation ultralibérale de l’économie, les écologistes appellent, depuis de nombreuses années, à rétablir notre souveraineté industrielle et à engager une relocalisation de notre industrie, en particulier pour les productions stratégiques essentielles pour l’environnement, la santé, notre sécurité et notre indépendance.
Si nous voulons atteindre nos objectifs environnementaux et climatiques, une transition vers des modes de production plus durables est indispensable.
Toutefois, on ne peut sérieusement qualifier de « verte » une réindustrialisation qui viserait à répondre à une demande de consommation insoutenable dans son ampleur pour notre planète, et dont la visée environnementale se limiterait à la seule décarbonation.
N’oublions pas que l’industrie a de nombreux effets sur l’environnement et la santé humaine : pollution de l’air, des sols, de l’eau, consommation de ressources, artificialisation des sols, etc. Il est impossible de vouloir réindustrialiser sans prendre en compte l’ensemble de ces impacts.
Ce texte, dans son ensemble, n’est clairement pas à la hauteur des enjeux. Il ne contient pas de réelles mesures permettant de parvenir à une réindustrialisation décarbonée et résiliente, qui s’inscrirait dans une logique de sobriété et qui occasionnerait la création d’emplois verts dans les territoires.
La décarbonation, qui est tant mise en avant, est de plus quasi absente du texte. Les voies et les moyens pour l’atteindre ne sont pas définis ou sont renvoyés au domaine réglementaire.
Ce texte repose également sur une vision très mondialisée et archaïque de l’activité économique : celle-ci est pensée dans une logique de compétitivité internationale plus que sous l’angle de la satisfaction de nos besoins essentiels. Notre tissu industriel, qui doit pourtant être au cœur de la dynamique, est ignoré. À côté des projets de gigafactories, nous devons accompagner dans leurs transformations nos PME et nos TPE, car celles-ci sont ancrées dans des écosystèmes locaux.
Réindustrialiser, c’est d’abord préserver, adapter et régénérer ces tissus industriels territoriaux.
Je pense par exemple à Photowatt, entreprise victime du dumping chinois : en refusant de l’inclure dans un projet global et de lui donner un avenir par le biais d’investissements qui lui permettraient de réaliser un saut technologique, l’État l’abandonne.
Si ce texte est donc insuffisant par rapport aux ambitions affichées, en revanche, le Gouvernement ne lésine pas sur les mesures régressives concernant les règles environnementales et sur l’affaiblissement du processus de consultation démocratique, sous couvert bien sûr d’accélération des procédures…
Il aurait fallu commencer par définir ce qu’est une industrie « verte ». S’agit-il seulement de certaines activités industrielles indispensables à la transition énergétique ou bien d’une nouvelle manière de penser l’industrie, cette dernière étant conçue comme économe en ressources et respectueuse de son environnement ? L’absence d’une telle définition met à mal l’ensemble du dispositif.
L’économie circulaire, malgré les effets d’affichage, reste largement absente.
Nous saluons tout de même une avancée intervenue en commission, grâce à l’adoption de notre amendement visant à créer des projets territoriaux d’industrie circulaire, à l’image des projets alimentaires territoriaux (PAT).
La commande publique doit, quant à elle, être plus exemplaire en matière de responsabilité environnementale. Nous ferons des propositions pour renforcer l’ambition du texte en ce sens.
Fort heureusement, le drame de la réindustrialisation à marche forcée contre les collectivités est évité. La tentative de recentralisation, contraire au principe de libre administration des collectivités, a avorté, car la commission a modifié l’article 9. Celui-ci visait, dans sa rédaction initiale, à donner aux préfets la mainmise sur la mise en compatibilité des documents d’urbanisme. Une telle disposition entrait en contradiction avec la volonté de planification territoriale à l’échelle régionale !
La redynamisation des territoires industriels dépend en grande partie de l’implication des citoyens. Le dialogue est indispensable. S’il est bâclé, les tensions dans les territoires augmenteront, de même que les risques de contentieux.
En ce qui concerne l’artificialisation, nous déplorons fortement l’instauration de dérogations aux objectifs ZAN, et ce alors même que la navette parlementaire sur la proposition de loi sénatoriale visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de zéro artificialisation nette au cœur des territoires n’est pas terminée. Une telle démarche n’est pas acceptable.
Les enjeux relatifs à l’autonomie alimentaire, à la biodiversité et à la capacité de stockage du carbone sont tout aussi primordiaux que ceux qui ont trait à l’emploi, au pouvoir d’achat et à la souveraineté.
Pour conclure, c’est à regret que nous constatons que nos lignes rouges demeurent. Ce projet de loi est, pour l’instant, clairement plus orienté vers l’industrie que du côté « vert »…
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Heureusement !
M. Daniel Salmon. Il oublie les fondamentaux de la transition écologique.
C’est pourquoi nous nous y opposerons. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Bernard Buis. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous devons rattraper quarante années de désindustrialisation et d’appauvrissement de régions entières, dont la richesse et l’organisation de la vie en société s’articulaient autour de l’industrie – cet idéal de production qui alimente le progrès technique et le développement de toute l’économie nationale.
Le Gouvernement a pris, dès 2017, le sujet à bras-le-corps, en investissant massivement dans l’innovation et en menant une politique de l’offre ambitieuse, qui a indubitablement attiré les investisseurs puisque, depuis quatre ans, la France est le pays européen qui reçoit le plus d’investissements étrangers.
Depuis six ans, le nombre des ouvertures d’usine dépasse celui des fermetures, et l’industrie crée plus d’emplois qu’elle n’en détruit. La réindustrialisation est en marche, c’est une réalité.
Il ne s’agit pas pour moi, mes chers collègues, de délivrer un satisfecit naïf au Gouvernement, car les défis restent nombreux. Nous ne sommes qu’au début de l’aventure : relâcher maintenant l’effort aboutirait à ruiner tout ce que nos entreprises ont pu accomplir avec le soutien des collectivités locales et de l’État. Toutefois, lorsqu’une situation s’améliore, nous avons le droit de le signaler ouvertement.
Cependant, la réindustrialisation ne peut se faire selon la seule logique du rendement et de la satisfaction de la consommation de masse aveugle. Elle doit tenir compte des enjeux propres à notre époque : la lutte contre le réchauffement climatique et l’adaptation à ses conséquences.
C’est pourquoi le texte que nous allons examiner est une composante fondamentale d’une politique industrielle ambitieuse, orientée vers l’objectif de décarbonation et visant à faire de la France un pays leader en matière de transition énergétique. Notre pays bénéficiait déjà d’une énergie fortement décarbonée. Celle-ci le sera encore plus demain.
Certains d’entre vous, mes chers collègues, ont fustigé ce texte : il serait d’une trop grande technicité, la montagne accoucherait d’une souris, etc. Mais la politique industrielle ne se réduit pas à un simple projet de loi !
Ce texte comporte des mesures visant à faciliter l’implantation d’industries, à financer l’industrie verte et à favoriser les entreprises vertueuses.
Plus largement, d’autres mesures figureront dans le projet de loi de finances pour 2024 : c’est notamment le cas du crédit d’impôt pour les investissements dans les industries vertes.
À cela s’ajouteront des mesures réglementaires, telles que l’introduction d’un label d’excellence environnementale européenne pour soutenir les entreprises les plus vertueuses, ou encore le conditionnement du bonus écologique à l’empreinte environnementale des véhicules électriques.
Par ailleurs, des investissements substantiels ont été déployés depuis 2017, dans le cadre notamment des plans France Relance et France 2030. Des sommes considérables ont ainsi été mobilisées pour répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés – plus de 12 milliards d’euros rien que pour France 2030 !
En commission, mes chers collègues, nombre d’entre vous ont remarqué que le texte comportait beaucoup de mesures visant à accélérer les procédures d’implantation industrielle. Ces dispositions sont indispensables à notre réindustrialisation. À cet égard, l’accès au foncier est une condition nécessaire, bien qu’insuffisante.
Pour pouvoir répondre à l’Inflation Reduction Act, il est essentiel, dans un contexte de concurrence mondiale féroce, que nous puissions offrir des délais raisonnables pour les implantations d’industrie, sans renoncer à notre ambition en matière de réglementation environnementale. Ces délais varient presque du simple au double entre la France et ses voisins européens. Cette situation n’est pas satisfaisante.
En favorisant la mise en œuvre de procédures plus efficaces, dans des conditions attractives, ce projet de loi nous permettra d’accélérer les décisions d’investissement et de renforcer notre base industrielle.
Il convient de ne pas répéter les erreurs du passé, notamment celles qui ont été commises vis-à-vis du secteur des panneaux photovoltaïques. Notre pays doit construire un cadre permettant aux entreprises françaises de devenir les champions des secteurs d’avenir.
Mon groupe défendra plusieurs amendements, dont deux, plus particulièrement, sur l’article 9.
D’une part, nous souhaitons que l’accord de la commune ou, le cas échéant, de l’EPCI concerné par l’implantation du projet industriel d’intérêt national majeur soit recueilli préalablement à l’engagement de la procédure de mise en compatibilité des documents d’urbanisme. Ce dispositif nous apparaît plus opérationnel : il permettra d’éviter des déconvenues de dernière minute et que d’éventuels porteurs de projet ne soient découragés.
D’autre part, nous souhaitons supprimer le dispositif de qualification de projet d’intérêt national majeur sur l’initiative des régions, introduit par la commission. Ce dispositif semble complexifier la procédure d’un point de vue opérationnel. Surtout, d’un point de vue intellectuel, l’adoption de cette mesure reviendrait à considérer que les régions peuvent déterminer l’intérêt national. Or il s’agit de la prérogative du Parlement et de l’État ; les régions n’ont pas reçu de mandat sur ce point.
À l’article 11, qui a pour objet de favoriser la mixité fonctionnelle des zones d’activité économique en facilitant les implantations, notamment industrielles, nous présenterons un amendement visant à améliorer le cadre de déploiement des grandes opérations d’urbanisme.
Ce projet de loi incarne une ambition, celle de refaire de la France un leader européen de l’industrie, en bâtissant un appareil industriel performant dans les technologies vertes et les secteurs d’avenir. Voter ce texte, c’est voter pour le renouveau de l’industrie française, pour la création de filières industrielles, avec leurs emplois directs et indirects associés. Ce mouvement ira de pair avec la transition écologique. C’est pourquoi le groupe RDPI soutient ce texte et le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme il l’a fait avec la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables et avec le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, le Gouvernement nous soumet, une nouvelle fois, un texte très technique, procédural, dont le contenu est très réducteur au regard des enjeux de société qui le sous-tendent.
Loin des débats stériles sur la décroissance ou le productivisme, nous devrions d’abord, en nous fondant sur les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) et de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), nous interroger ici, sur l’initiative du Gouvernement et en lien avec nos concitoyens, sur les caractéristiques de l’économie dont nous avons besoin.
L’économie qui se dessine sera non plus une économie des choses, mais une économie des usages et des expériences. Nous allons passer d’une économie de la possession à une économie de l’accès, d’un monde manufacturier à un monde de services, ou « serviciel ».
Cette économie sera, à n’en point douter, plus industrielle encore que celle d’aujourd’hui : en réalité, elle sera « hyperindustrielle », et son empreinte écologique devra être sensiblement moins importante.
Il s’agira d’une économie qui donne toute sa place aux territoires français, dans la diversité de leurs potentiels et de leurs initiatives, parce que les territoires seront déterminants dans la réussite nationale.
Ce changement, qui relève plus d’une bifurcation que d’une transition, ne pourra pas advenir s’il procède uniquement de la dynamique des green tech. Des politiques de grande ampleur, des investissements massifs et une planification seront nécessaires. Il faudra aussi mettre en place certains dispositifs financiers, comme le suggère Jean Pisani-Ferry, et instaurer une fiscalité climatique spécifique.
Dans ce contexte, je reprends à mon compte les propos du professeur Pierre Veltz, qui appelle, « dans une perspective positive, à construire le récit d’une économie désirable ».
Ce grand récit positif, nécessaire pour entraîner la Nation, c’est au Gouvernement qu’il appartient de commencer à l’écrire, avec le Parlement, le peuple français et les territoires. Il revient au Président de la République de le porter.
Or ce dernier semble distiller par bribes, au cours de ses déplacements et de ses rencontres, une vision : la sienne ! Pis encore, on a même l’impression que, en fait, il n’en a pas vraiment et qu’il compte sur le marché pour surmonter les contraintes et cheminer sans boussole.
Que devons-nous produire ? Quels secteurs, quelles activités et quels types d’emplois doit-on développer ? Telles sont les questions que nous devrions nous poser pour faire les bons choix de politiques publiques.
J’espère, messieurs les ministres, que vous nous préciserez le contenu de l’action publique que vous entendez mener. Peut-être cela constituera-t-il l’esquisse du grand récit mobilisateur dont notre nation a besoin !
La réindustrialisation verte consiste avant tout à faire face aux contraintes écologiques et sociales. Il est nécessaire d’investir massivement dans l’éducation, la formation et l’enseignement supérieur, de même que dans la recherche et l’innovation, en procédant notamment à une réforme radicale du crédit d’impôt recherche. Il convient de faire de la protection de l’environnement un vecteur de la transition de notre industrie et de l’amélioration du bien-être de nos concitoyens.
Or nous ne voyons rien de tel dans ce projet de loi.
Mon groupe fera des propositions pour définir ce que devrait être le périmètre de ce projet de loi au regard des enjeux de transformation de l’économie que je viens d’évoquer. Commençons par définir exactement ce qu’est l’industrie verte !
Nous chercherons ensuite à donner à ce texte la dimension territoriale qui doit être la sienne : je pense notamment à l’articulation avec le programme Territoires d’industrie ou à la prise en compte des activités de sous-traitance dans les « grands sites industriels ».
Nous proposerons de préserver les prérogatives des présidents de conseil régional, des maires et des présidents d’EPCI en matière de planification stratégique et d’évolution des documents d’urbanisme.
Enfin, nous demanderons au Gouvernement de clarifier sa position sur la prise en compte du ZAN dans le cadre de la loi Climat et résilience et des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet).
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous estimons que la pertinence et la réussite des politiques publiques nécessaires à la réorientation de notre modèle de développement sont conditionnées à plusieurs points fondamentaux.
La question majeure est de savoir de quelle économie nous avons besoin pour demain et de quelles politiques publiques nous devons nous doter pour l’établir. Il convient de veiller à ce que le plus grand nombre possible de nos concitoyens participent à cette réflexion.
La position finale du groupe SER dépendra de la réponse à ces questions. Pour l’heure, nous considérons que ce texte, utile à certains égards, est avant tout technique – ce n’est pas la première fois ! C’est dommage, voilà encore une occasion manquée – mais il n’est jamais trop tard. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, décarboner notre industrie et créer les conditions de notre souveraineté technologique constituent des objectifs dont la réalisation revêt un caractère d’urgence. Le réchauffement climatique ne cesse de nous le rappeler au gré des phénomènes climatiques extrêmes qui se multiplient et qui, depuis quelques années, sont devenus la norme.
L’enjeu est colossal. La question industrielle est au croisement de tous les défis – sociaux, environnementaux, technologiques – et les crises mondiales qui se succèdent nous l’ont démontré.
Ainsi, en pleine crise sanitaire, la France, le pays de Sanofi, a dû faire face à d’importantes pénuries de médicaments, qui d’ailleurs perdurent.
De même, en pleine crise géopolitique, à cause de la guerre déclarée à l’Ukraine par la Russie, la France et toute l’Europe subissent une pénurie de composants électroniques, qui sévissait déjà avant la crise sanitaire.
Ce constat doit nous pousser à nous interroger en profondeur sur nos modèles économiques. Ceux-ci ont atteint leurs limites et ne permettent pas de relever les défis immenses auxquels nos sociétés sont confrontées. Il est illusoire de penser que la souveraineté européenne pourrait être garantie par le seul jeu des lois du marché, dans un monde où les libertés d’entreprendre et d’investir régneraient en maître sur l’économie, sans contreparties ni maîtrise publique.
La Chine et les États-Unis, dont nous dépendons technologiquement, n’ont jamais retenu ce mode de fonctionnement. L’IRA, adopté cet hiver par les États-Unis, en constitue l’illustration la plus récente : plus de 400 milliards de dollars seront injectés dans l’économie pour doper la production locale, construire américain et, surtout, acheter américain.
Le levier utilisé par les États-Unis n’est donc ni la liberté d’entreprendre ni même celle d’investir. C’est bien le soutien à la consommation des ménages qui est au cœur de ce plan, ainsi que l’octroi d’aides publiques sous réserve de l’achat de produits issus du territoire. À court terme, les États-Unis débloquent des aides d’État ; à long terme, ils s’assurent une souveraineté technologique, industrielle, et énergétique.
La réponse européenne a été timide. Si la proposition de règlement européen Net-Zero Industry Act (NZIA) est adoptée, quelques aides d’État seront bien autorisées, mais la perspective reste centrée sur le court terme : l’objectif est d’attirer les investisseurs, mais sans réellement poser les bases de leur installation pérenne.
Le projet de loi que nous examinons s’inspire de ce règlement. Il ne fait, en réalité, que reprendre les recettes habituelles – un nouveau crédit d’impôt est sur les rails – qui n’ont guéri aucun des maux de l’industrie française : les cadeaux fiscaux octroyés sans contrepartie n’empêcheront pas les délocalisations.
Le Gouvernement n’a dressé aucun bilan de cette politique qu’il continue à mener, dans la continuité de ses prédécesseurs. Pour expliquer le retard industriel français, il a trouvé les parfaits coupables : les délais administratifs et les objectifs environnementaux de la France seraient les seuls responsables !
Alors que le Président de la République appelle à une « pause réglementaire européenne », le groupe CRCE souhaite que l’on pose les bonnes questions.
Combien de milliards d’euros d’exonérations fiscales aux entreprises ont-ils été accordés ? Pour combien de créations nettes d’emploi ? Quel est le réel bilan du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ?
Comment ce texte permettra-t-il de conserver la production en France, d’empêcher les délocalisations et la diminution des activités dites « moins rentables », comme la recherche et le développement ? Le Gouvernement annonce la création de 90 000 emplois industriels, mais, pour l’instant, messieurs les ministres, votre bilan se réduit plutôt à la vente des fleurons de notre industrie, comme celle de Technip, de la branche énergie d’Alstom à General Electric ou encore celle de Nokia.
Les objectifs de la réindustrialisation doivent être clairs. La question est simple : quelles usines, quelles filières et quels emplois veut-on pour la France ?
L’enjeu qui est soulevé par ce texte concerne non pas l’industrie verte, mais l’industrie de l’énergie verte. Dès lors, qu’adviendra-t-il de notre industrie en général, et de sa décarbonation ?
Pourquoi ne pas commencer par renforcer les industries qui existent ? Je ne comprends ainsi pas pourquoi EDF préfère acheter des panneaux photovoltaïques en Chine alors que sa filiale Photowatt en fabrique aussi !
Un autre aspect essentiel est complètement absent de ce texte : il s’agit de la formation, qui a été mise à mal par vos réformes austéritaires. Je pense en particulier à la « casse » des centres de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa).
Or, sans formation, notre pays ne développera aucun des savoir-faire techniques et technologiques qui conditionnent toute reprise industrielle.
Quant aux travailleurs et aux travailleuses, que ce gouvernement a malmenés en leur imposant une réforme des retraites injuste et largement impopulaire, ils doivent être protégés et leurs droits doivent être renforcés, quelle que soit la place occupée dans la chaîne de production, des donneurs d’ordres aux sous-traitants. Là encore, ce texte ne comporte aucun engagement en la matière.
Nous déposerons des amendements pour enrichir celui-ci, et leur sort conditionnera notre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Esther Benbassa et Michelle Meunier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous examinons ce projet de loi dans un contexte mondial d’urgence : défis de production et de souveraineté, urgence climatique, etc.
Nous devons réussir à réindustrialiser de manière décarbonée la France. Les États-Unis ont adopté l’Inflation Reduction Act et investissent près de 370 milliards de dollars pour soutenir leur économie. Pendant ce temps, l’État chinois contrôle à lui seul les trois quarts de la production mondiale de batteries aux ions de lithium utilisées dans les voitures électriques. Ces faits sont alarmants.
Le poids de l’industrie dans l’économie française a été divisé par deux depuis 1970. Il se stabilise depuis six ans autour de 12 % du PIB, alors que ce taux atteint 23 % en Allemagne. Durant les cinq dernières années, l’industrie française a créé 90 000 emplois salariés et l’on dénombre 80 créations nettes d’usines en France en 2022.
Ces prémices d’un renouveau industriel doivent être encouragées et être conciliées avec de véritables stratégies de développement durable.
Le projet de loi que nous examinons est d’abord un texte technique, qui vise à renouveler le cadre juridique de manière opportune.
La « parallélisation » des procédures administratives et de consultation prévue à l’article 2 devrait ramener le délai réel d’implantation d’une usine de dix-sept à neuf mois.
Par ailleurs, l’inscription du principe de sortie du statut de déchet constitue un nouveau pas franchi dans le développement de l’économie circulaire.
Enfin, le nouveau plan d’épargne avenir climat permettra de mobiliser l’épargne des particuliers pour financer les industries vertes, même si ses modalités restent à préciser.
La commission des affaires économiques a apporté des modifications qui étaient nécessaires. Concernant le foncier, elle a veillé à l’articulation entre ce texte et la proposition de loi sénatoriale ZAN, à laquelle nous sommes attachés, afin que soient exclues des surfaces comptabilisées dans les comptes fonciers les surfaces des nouveaux projets.
Ce point est essentiel pour ne pas freiner le développement des industries vertes, précieuses pour réussir notre transition climatique.
Je salue ainsi notre rapporteur, qui a su relever le défi consistant à concilier le ZAN et l’industrie verte.
L’article 9 prévoit une procédure dérogatoire au droit commun permettant au préfet de modifier unilatéralement les documents d’urbanisme sans consulter les élus sur les grands projets d’intérêt national. Notre rapporteur a remis les élus au cœur de la procédure en instaurant une obligation d’avis conforme. Ce faisant, il préserve le rôle déterminant des élus locaux, qui sont le maillon idoine pour articuler les décisions nationales et leur application de proximité.
Au Sénat, le 31 mai dernier, vous affirmiez, monsieur le ministre Le Maire, que ce projet de loi était « décisif pour accélérer la réindustrialisation de notre pays et réussir la transition écologique ». Pourtant, au vu des travaux du Sénat, si ce projet de loi va dans le bon, ses contours sont flous et il manque d’une vision globale de la réindustrialisation.
En effet, il se restreint aux industries du Big Five, qui ont été citées. Se focaliser sur ces technologies, qui sont certes importantes, c’est faire l’impasse sur les nombreuses autres industries stratégiques qui contribuent elles aussi à la décarbonation de notre économie et aux défis de production.
Je pense aux filières de recyclage et de réemploi et aux matières premières biosourcées, qui sont incontournables dans un monde où les ressources en matières premières sont finies.
Messieurs les ministres, pourquoi ne pas avoir proposé une loi globale sur l’industrie plutôt qu’un texte technique, sectoriel et parcellaire ? À trop cloisonner, on crée des incompatibilités, voire des contradictions comme celles, qui ont été évoquées, entre la loi ZAN et la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, contradictions qui sont préjudiciables aux actions et à la bonne compréhension locale de ces dispositions sur le terrain.
En matière d’industrie, une vision globale, ambitieuse et consolidée s’impose sur l’ensemble des secteurs, mais aussi dans la durée. Or rien n’est dit sur l’innovation et la recherche ; rien n’est dit sur la formation et le défi du recrutement ; rien non plus concernant l’avenir de nos PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI), pourtant essentielles au Big Five dans la mondialisation compétitive.
Les membres du groupe Union Centriste proposeront plusieurs amendements : le président Marseille souhaite mieux associer les collectivités territoriales, notamment dans la configuration des Sraddet ; Michel Canévet reviendra pour sa part sur les obligations pour l’État de promouvoir la formation des ingénieurs et des techniciens.
Nous estimons que ce texte constitue tout de même une première avancée. Le groupe Union Centriste votera donc en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « en même temps » : pour une fois, nous sommes d’accord avec la formule. Réindustrialiser, oui, mais pas n’importe comment !
Les objectifs du texte que nous examinons aujourd’hui sont clairement annoncés dans l’exposé des motifs : « Produire en France, c’est produire de façon propre, grâce à notre mix énergétique décarboné. » Il y est également indiqué ceci : « Chaque relocalisation contribue à réduire l’impact de nos activités à l’échelle mondiale. L’atteinte de nos objectifs économiques et climatiques passe par une nouvelle étape d’accélération des implantations industrielles […] pour attirer les industries vertes. Cette ambition s’accompagne également d’une volonté portée par le Gouvernement de former tous les talents indispensables au développement industriel en France. »
Parmi vos objectifs, le groupe RDSE souhaiterait vous voir éclaircir trois paramètres, car, si les intentions sont bonnes, la méthode est un peu floue.
Tout d’abord, vous souhaitez réduire nos impacts à l’échelle mondiale. Le constat est partagé : la désindustrialisation a eu pour conséquences économiques et sociales, en France, la perte de millions d’emplois, mais aussi d’un savoir-faire et d’une expertise. Pour autant, nous ne pouvons pas reconquérir les marchés n’importe comment.
L’état des lieux du réchauffement climatique et les rapports consternants du Giec sur la disparition de milliers d’espèces animales et végétales nous obligent à faire preuve de raison et d’anticipation. Nous avons la responsabilité de faire face à ces défis.
Au-delà du drame humain, le contexte de la guerre en Ukraine, mais aussi les deux années de la crise covid nous rappellent que la France se trouve dans une situation de dépendance. La nécessité d’œuvrer de manière transversale au triptyque du développement durable – le social, l’environnement et l’économie – n’est donc plus à prouver.
Il serait opportun de réaliser une analyse post-covid. Prenons l’exemple des masques : des usines en France se sont transformées pour en fabriquer et constituer une nouvelle filière, car la Chine exportait moins. Quelques mois plus tard, nombre de commandes se sont reportées vers les pays qui produisent à moindre coût – et sont loin de répondre aux préoccupations environnementales –, ce qui a mis les usines françaises en difficulté.
Idem pour les agriculteurs : de nombreux Français ont découvert le marché local et la vente directe pendant les confinements et les ont oubliés quelques mois plus tard. Ils ont repris leurs habitudes en faisant leurs courses en grande surface, retenant le prix comme seul critère d’achat.
Quelles solutions sont-elles prévues pour pérenniser les activités et les rendre compétitives dans un marché mondial concurrentiel ?
Par ailleurs, comment connaître l’impact carbone lorsque les évaluations et les labels ne sont pas identiques ? À l’heure où les groupes ont compris l’intérêt d’une image verte, comment lutter contre le greenwashing ? Il est primordial de faire évoluer les marchés publics et de les affiner.
Enfin, allez-vous prévoir, avec l’Union européenne, des taxes fortes à l’arrivée en France quand les produits étrangers ont un bilan carbone négatif ? Même lorsqu’ils affichent – ce qui est rare – des procédés de fabrication respectueux de l’environnement, les milliers de kilomètres parcourus par ces produits les pénalisent à cet égard.
De telles taxes feraient augmenter les coûts et instilleraient de la loyauté dans la concurrence, car on ne peut pas imposer toujours plus de critères de qualité et de normes environnementales aux entreprises françaises tout en faisant entrer en France et en Europe des produits qui n’y satisfont pas.
Côté fiscal, la France enregistre un déficit commercial sur les biens de 160 milliards d’euros et accumule chaque année près de 150 milliards d’euros de taxes, impôts et cotisations supplémentaires par rapport à ses voisins de la zone euro – sans parler des normes. Difficile, dans ces conditions, d’être compétitif !
Nous considérons qu’un éclairage doit également être apporté sur la formation des talents. Là encore, comment allez-vous procéder ? Quelles nouvelles filières comptez-vous créer ? Selon quel phasage ? Quelles évolutions prévoyez-vous pour la voie professionnelle, qui doit être une partie intégrante de votre projet ?
Je vous avoue ma surprise de voir l’un des amendements que j’ai déposés être considéré comme un cavalier législatif. C’est bien de construire des entreprises, mais sans expertise humaine, l’intérêt est moindre…
Nous nous interrogeons enfin sur la méthode. Il est beaucoup question de simplification, de démocratie participative et de procédures publiques innovantes. À l’issue de la mission d’information que j’ai présidée sur la démocratie représentative, participative et paritaire, qui a débouché sur le rapport d’information de notre collègue Philippe Bonnecarrère Décider en 2017 : le temps d’une démocratie « coopérative », ce dernier et moi-même avons proposé de créer une procédure continue de consultation du public qui couvre toutes les phases du projet d’infrastructure, sous l’égide d’un garant désigné par la Commission nationale du débat public (CNDP).
Cette recommandation est adaptable aux projets d’implantation d’industrie verte, car les réunions publiques que vous citez ne relèvent en rien de la coconstruction. En général, les projets sont déjà ficelés lorsqu’ils sont présentés aux habitants, lesquels le savent bien.
Messieurs les ministres, vous l’avez compris, de nombreuses questions demeurent à la lecture de ce texte. J’espère que le débat que nous allons avoir nous aidera à y voir plus clair. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Rietmann. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Rietmann. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, lorsque Laurent Somon a présenté son excellent rapport la semaine dernière devant les membres de la commission des affaires économiques, j’ai été frappé par l’une de ses remarques, qui illustre à mon sens les limites du projet de loi que nous examinons aujourd’hui.
Il pointait le paradoxe de ce texte. En effet, d’un côté, le Gouvernement dit vouloir accélérer les implantations industrielles et affirme, à cet égard, se préoccuper de la mobilisation du foncier industriel. D’un autre côté, ce projet de loi ne comporte pas un mot sur l’objectif ZAN, qui, de l’avis d’une large majorité des acteurs locaux, constitue pourtant le principal obstacle à la disponibilité du foncier en France.
Cette anomalie me laisse perplexe, d’autant plus qu’elle ne fait pas figure d’exception dans ce texte selon moi inachevé. Une fois de plus, l’exécutif raisonne par petits bouts, sans chercher de cohérence globale.
Évidemment, comme nous tous, je soutiens l’accélération des procédures administratives et les mesures facilitant les implantations industrielles vertes. Toutefois, pourquoi réserver ces objectifs majeurs à un seul type d’activité ? Pourquoi réserver la simplification des normes et des procédures à certaines entreprises ?
Je pense à l’immense majorité des entreprises dans nos territoires : les PME, et ses petits patrons, qui n’ont ni les moyens de gérer la complexité ni la chance de bénéficier d’un accompagnement personnalisé.
Faute d’une vision systémique de la simplification administrative, pourtant prônée par les auteurs de ce projet de loi, nous manquons, une fois de plus, notre cible.
Il ne faut pas seulement simplifier la construction des usines, mais englober toute la chaîne de valeur dans une démarche de simplification. Sinon, les PME sous-traitantes des gigafactories que les ministres ne manqueront pas d’inaugurer (Sourires au banc des commissions.) seront toujours engluées dans la complexité !
Au nom de la délégation aux entreprises du Sénat, j’ai présenté la semaine dernière un rapport d’information sur la simplification des normes et des règles applicables aux entreprises. Mes collègues rapporteurs Gilbert-Luc Devinaz et Jean-Pierre Moga et moi-même martelons sans relâche cet effrayant diagnostic : le fardeau normatif coûte 60 milliards d’euros par an, soit 3 % de notre PIB, dont 28 milliards d’euros rien que pour nos ETI.
Nous devons réagir vite et collectivement. Dans le respect des prescriptions environnementales et des équilibres sociaux, notre effort de simplification doit impérativement être pensé de façon systémique, constante, déterminée et, surtout, pour toutes nos entreprises ! Or le périmètre de ce texte, qui regorge de mesures très techniques et très ciblées est, au contraire, beaucoup trop restreint.
C’est pourquoi les amendements que je défendrai visent à étendre le processus accéléré d’implantation à toutes les PME qui participent, de façon directe ou indirecte, aux chaînes de valeur des secteurs concernés par le projet de loi.
Messieurs les ministres, je compte sur votre bon sens pour émettre sur eux un avis favorable.
Seule une acception large permettra de transformer l’ensemble de nos chaînes de production. Seule une démarche systémique aura un véritable impact sur la décarbonation de notre économie. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme Angèle Préville. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « ce changement confronte notre espèce, et la nature, à leurs dernières extrémités ; parce qu’il nous approche du bord de nos modes de vie, de nos ressources ; parce qu’il nous pousse tout au bout des contradictions de nos économies centrées sur la consommation », écrivait la semaine dernière Jérôme Fenoglio, le directeur du journal Le Monde.
Si la sobriété fut à l’honneur l’hiver dernier, non seulement par peur d’un black-out, mais aussi en raison du coût, devenu insoutenable pour bon nombre de Français, de l’énergie, il nous appartient désormais de promouvoir une forme de sobriété heureuse. Car c’est fait, nous avons, pour reprendre le titre d’un livre paru l’an dernier, « mangé la terre » : à force de produire toujours plus et mal en utilisant toujours plus de matière, d’eau et d’énergie, le grand écosystème est à son point de bascule – c’est grave !
Nous devons parvenir à définir clairement ce que vous entendez par l’oxymore « industrie verte ». En effet, tout progrès doit maintenant être envisagé dans les limites planétaires. Il s’agit d’une nécessité absolue, qui engage notre responsabilité envers ceux qui viendront après nous. Le vert ne peut pas être un effet d’aubaine ; il nous oblige !
Oui, il est indispensable de produire en France le fameux Big Five. Il eût même fallu le faire il y a quinze ou vingt ans. Toutefois, le champ de ce texte est trop restreint. Nous avons urgemment besoin d’une loi de programmation pluriannuelle de l’industrie, voire de l’écologie, à revoir tous les cinq ans, pour nous adapter efficacement à ce qui vient.
De plus, quel sera le coût réel de notre production en matière de dégradation de la santé et d’effondrement de la biodiversité ? Évoquer une industrie verte doit être l’occasion de prévoir la satisfaction de nos besoins essentiels et de remettre à l’honneur – pourquoi pas – la manufacture et l’artisanat, qui sont les seules véritables expressions de l’industrie, au sens de l’inventivité humaine.
Autrement, l’industrie verte ne sera qu’un avatar sémantique de plus. Nous devons, comme l’écrit le romancier Jean Rouaud, « sortir de la centrifugeuse infernale du consumérisme ».
Combien d’années faudra-t-il pour que soit pris à bras-le-corps le problème de la fast fashion ? Nous sommes dans un égarement total : des vêtements en plastique, fabriqués à des milliers de kilomètres, sont portés une ou deux fois, puis exportés en tant que vêtements et deviennent instantanément, en arrivant en Afrique, des déchets. Nous avons une énorme responsabilité.
Comment expliquer que le chapitre dédié à l’économie circulaire soit si pauvre ? C’est dommage ! Quelle occasion manquée, alors qu’il y a tant à faire sur le sujet ! Pour trouver une voie alternative entre la Chine et les États-Unis et nous émanciper de la polarisation exacerbée qui gagne la planète, nous devons accroître la coopération européenne et nous appuyer sur le tissu démocratique solide de notre continent.
L’examen du texte en commission a permis d’obtenir des avancées.
À l’article 2, nous avons ajouté à la consultation numérique la consultation par voie postale, qui est absolument indispensable, sachant qu’un Français sur trois est concerné par l’illectronisme.
À l’article 4, nous avons allongé le délai dont dispose le ministre pour sanctionner un transfert illicite de déchets, ainsi que le plafond de l’amende, pour la rendre suffisamment dissuasive. S’agissant d’un sujet particulièrement préoccupant, cela nous paraît être la moindre des choses.
En ce qui concerne l’article 7, la compensation environnementale, qui consiste à créer des sites naturels de restauration et de renaturation, doit conduire non pas à organiser la pollution, mais à réduire cette dernière jusqu’à la faire disparaître.
S’agissant du volet dédié à la commande publique, nous proposerons des amendements pour en faire un véritable levier de progrès.
Vous l’aurez compris, messieurs les ministres, nous attendons davantage, bien davantage, car les défis sont colossaux. Réindustrialisons, mais faisons-le bien : l’argent public doit être mieux utilisé, et, surtout, les collectivités territoriales, qui sont parfaitement légitimes, doivent garder la main !
Nous serons vigilants sur l’article 9, dont la rédaction initiale était inacceptable et pourrait constituer une ligne rouge. Ce serait folie que d’ignorer l’expertise et les synergies territoriales. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. le rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire applaudit également.)
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, annoncée avec fracas par le Président de la République, la relance de la réindustrialisation de notre pays devait être amorcée par le projet de loi que nous examinons aujourd’hui.
Mais cette révolution aura-t-elle bien lieu ? Attendu comme la pierre angulaire d’une nouvelle dynamique industrielle, ce projet de loi répond à des objectifs louables, que tous, sur ces travées, nous partageons.
La réindustrialisation de notre pays et la décarbonation de notre industrie doivent permettre à la France de devenir un champion international des technologies décarbonées, tout en réduisant drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre.
À l’échelle planétaire, la concurrence fait rage ; nous devons être à la hauteur du défi. Le protectionnisme économique chinois et les milliards de l’Inflation Reduction Act sont autant de symboles de ce contexte international concurrentiel, d’une densité inédite.
Les enjeux sont clairement identifiés et les besoins connus. Nous ne pouvons que saluer les mesures de simplification salutaires qui sont introduites par ce texte. Elles feront chuter le délai réel d’implantation des usines sur notre territoire.
En effet, cependant que l’Allemagne met entre quatre et douze mois pour implanter une usine, ce projet de loi doit nous permettre de réduire ce délai de dix-sept à neuf mois. Il s’agirait d’un bond en avant non négligeable, qui devra toutefois se matérialiser dans nos territoires.
Le développement de l’économie circulaire est également au cœur de ce texte et nous ne pouvons que partager la volonté d’inscrire dans la loi le principe de sortie du statut de déchet implicite.
De même, le déploiement du dispositif « sites industriels clés en main » va dans le bon sens en vue de faciliter l’implantation d’unités industrielles, à l’exemple des gigafactories dans le Dunkerquois, cher à Valérie Létard.
Pourtant, un fossé regrettable existe entre l’ambition affichée par le Gouvernement et le contenu de ce texte. Nous restons au milieu du gué quant à l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de nos industries. Texte technique, ce projet de loi relatif à l’industrie verte a tout du fourre-tout et ne constitue en rien la révolution attendue.
Aux côtés de nos rapporteurs Laurent Somon, Fabien Genet, Jean-Yves Roux et Christine Lavarde, que je remercie profondément de leur engagement, nous avons œuvré pour enrichir ce texte, le sécuriser et en faire un véritable atout pour notre industrie, plutôt qu’un simple signal pour les investisseurs étrangers.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et le Sénat ont pris toute leur part pour ajuster ce texte. La protection du principe pollueur-payeur, la préservation du rôle primordial de la participation du public au sein de la procédure d’autorisation environnementale ou la création de projets territoriaux d’industrie circulaire sont autant de garanties apportées par le Sénat en matière environnementale.
L’extension du champ de l’article 13 aux contrats de concession améliorera l’efficacité de ce texte en couvrant les deux grands types de contrats de la commande publique. De plus, l’ouverture de la mutualisation des Spaser aux plus petites collectivités permettra aux élus de s’appuyer sur un outil juridique innovant afin de verdir, à leur échelle, la commande publique.
En effet, le verdissement de la commande publique ne doit pas être l’apanage des grosses collectivités. Il s’agit d’un enjeu majeur pour l’ensemble des acteurs publics.
Texte nécessaire, ce projet de loi ne répond donc que partiellement aux attentes majeures qu’il avait suscitées. Pourtant, en responsabilité, le Sénat l’a enrichi et ajusté de manière significative afin de permettre à notre industrie de franchir une nouvelle étape sur le chemin de la compétitivité.
À ce titre, mes collègues du groupe Union Centriste et moi-même voterons en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Baptiste Blanc. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l’industrie verte, déposé en première lecture au Sénat, vise à réindustrialiser la France tout en favorisant la transition écologique.
Si son objectif est assurément ambitieux et honorable, les moyens d’y parvenir posent question, singulièrement pour ce qui concerne le foncier économique disponible – nous l’avons déjà dit, mais cela vaut la peine de le répéter.
En effet, le foncier est la première aménité que recherchent les industriels. Si nous ne le leur fournissons pas, toutes les autres mesures que nous prendrons pour encourager les implantations d’usine en France seront vaines. Je rappelle que, selon une enquête menée l’an dernier, deux tiers des intercommunalités ont refusé des projets d’implantation économique ou subi des déménagements d’entreprise par manque de foncier économique.
L’urgence, pour atteindre les objectifs de ce projet de loi, est de desserrer la contrainte sur le foncier, c’est-à-dire d’exclure de l’objectif du zéro artificialisation nette les implantations industrielles liées à la transition écologique. De surcroît, l’exclusion du ZAN ne devrait pas, à mon sens, se limiter aux industries de l’éolien, des pompes à chaleur, des batteries électriques, de l’hydrogène vert et du photovoltaïque ; elle devrait inclure l’ensemble des projets industriels qui favorisent la transition écologique.
Monsieur le ministre Le Maire, vous avez exprimé, lors de votre audition au Sénat le 31 mai dernier, votre souhait, à titre personnel, d’exempter les grands projets industriels de l’objectif du ZAN, en affirmant laisser « à la sagesse des parlementaires le soin de savoir si on exempte du ZAN uniquement les projets portant sur l’industrie verte répondant à la définition des actes européens […] ou si nous élargissons à d’autres projets industriels dont nous estimons qu’ils favorisent aussi la transition écologique ».
Dans sa sagesse, la commission des affaires économiques et son rapporteur Laurent Somon – dont je salue le travail – ont tranché : le nouvel article 9 bis exclut l’ensemble des installations industrielles « concourant à la transition écologique ou à la souveraineté nationale » du décompte du ZAN – qu’il s’agisse du décompte à l’échelon local, régional ou national.
Néanmoins, force est de constater la grande incohérence dont fait preuve le Gouvernement sur ce sujet. Lors de l’examen au Sénat en mars dernier de la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de zéro artificialisation nette au cœur des territoires, votre collègue Christophe Béchu a déclaré que l’enveloppe des projets d’intérêt national ne devrait pas être soustraite à l’enveloppe globale des droits à artificialiser.
Or une autre vision semble s’exprimer à l’Assemblée nationale, où la commission des affaires économiques a adopté la semaine dernière un amendement à notre proposition de loi visant à mutualiser entre régions l’artificialisation des grands projets industriels, au lieu de l’exclure totalement du décompte.
Pis encore, le texte issu de la commission prévoit que ce seront non pas tous les projets industriels d’intérêt national qui seront exclus du décompte régional du ZAN, mais seulement ceux d’entre eux qui seront désignés par décret – soit de nouvelles fourches caudines…
Selon cette rédaction, la conférence du ZAN n’aurait le droit de se prononcer que sur une exemption du ZAN des quelques projets d’intérêt national majeur décidés uniquement par le Gouvernement. Ce n’est pas ce que nous souhaitons dans cet hémicycle.
C’est pourquoi, en tant que rapporteur de la commission spéciale sur la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs du zéro artificialisation nette au cœur des territoires, dont vous avez salué le travail – ce dont je vous remercie –, je soutiens les modifications qui ont été introduites à l’article 9 sur le mode de désignation des projets d’intérêt national majeur pour permettre aux collectivités de prendre l’initiative.
Ces modifications sont cohérentes avec le texte voté par le Sénat, qui prévoyait que les collectivités locales, sous la houlette des régions, puissent se prononcer sur les grands projets industriels. C’est le seul moyen pour que celles-ci aient leur mot à dire sur les projets qui profiteront de l’exemption de ZAN, qui les concerne tout de même au premier chef !
La commission n’a donc fait que donner aux collectivités les garanties que le ministre Béchu s’était engagé, dans cet hémicycle, à leur donner sur les projets industriels.
Pour conclure, j’insisterai sur un point : lever la contrainte du ZAN vise certes à favoriser la reprise économique, à créer de l’emploi, etc., mais aussi à nous préparer à donner une réponse à la hauteur de l’enjeu au défi environnemental. C’est non pas la décroissance qui sauvera l’environnement, mais la maîtrise des technologies vertes – le tout par les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur le président, je ne prolongerai pas inutilement cette discussion générale. Après avoir écouté attentivement, avec le ministre Roland Lescure, l’ensemble des interventions, je résumerai ces dernières de la sorte : « Allez plus loin, mesdames et messieurs du Gouvernement ! »
Je propose donc que nous entrions d’emblée dans le vif du sujet pour déterminer comment nous pouvons, sur la base des propositions des sénatrices et des sénateurs, aller plus loin ensemble sur ce texte relatif à l’industrie verte.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif à l’industrie verte
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle qu’a été ordonné précédemment l’examen en priorité, au début de la discussion des articles, de l’ensemble du titre II, c’est-à-dire de l’amendement portant sur l’intitulé du titre II, des articles 12 à 14, ainsi que des amendements portant article additionnel qui s’y rapportent.
TITRE II (priorité)
ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX DE LA COMMANDE PUBLIQUE
M. le président. L’amendement n° 126 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Fialaire, Guiol, Requier, Bilhac, Cabanel et Gold et Mme Guillotin, est ainsi libellé :
Compléter cet intitulé par les mots :
et des procédures de mise en concurrence
La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Cet amendement de Nathalie Delattre est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?
M. Jean-Yves Roux, rapporteur pour avis. Les procédures de mise en concurrence sont sémantiquement incluses dans la notion de commande publique.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 126 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 12 (priorité)
Le I de l’article 12 de la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après les mots : « présente loi », sont insérés les mots : « pour les mesures mentionnées aux 1°, 2° et 3° du présent I, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la loi n° … du … relative à l’industrie verte pour celles mentionnées au 3° bis du présent I et dans un délai de quatre mois à compter de la promulgation de ladite loi pour celles mentionnées au 4° du présent I » ;
2° Après le 3°, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :
« 3° bis D’introduire dans le code de la commande publique un dispositif d’exclusion à l’appréciation de l’acheteur des procédures de passation des marchés publics, dont les marchés de défense et de sécurité, et des contrats de concession pour les opérateurs économiques qui ne satisfont pas aux obligations de publication d’informations résultant des mesures de transposition mentionnées au 1° du présent I ; »
3° (Supprimé)
M. le président. L’amendement n° 39 rectifié, présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. Capus et Guerriau, Mme Mélot et MM. A. Marc, Lagourgue, Grand, Chasseing, Malhuret, Decool et Menonville, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ce dispositif s’applique aux soumissionnaires ainsi qu’à leurs fournisseurs intervenant dans la réalisation du marché ;
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Cet amendement vise à étendre le champ d’application du dispositif aux fournisseurs qui interviennent dans la réalisation des marchés, pour encourager les soumissionnaires à sélectionner des fournisseurs qui aient également satisfait aux obligations mentionnées à l’article 12.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?
M. Jean-Yves Roux, rapporteur pour avis. Ma chère collègue, comme en commission la semaine dernière, l’avis est défavorable, pour deux raisons principales.
D’une part, l’adoption de cet amendement créerait une distorsion par rapport aux autres motifs d’exclusion des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession, dans la mesure où ceux-ci ne s’appliquent pas, en l’état, aux fournisseurs.
D’autre part, les auditions ont démontré que les acheteurs publics avaient déjà beaucoup de difficulté à s’approprier la faculté que leur ouvre le code de la commande publique d’exclure des candidats. Les contrôles sont succincts et la plupart des acheteurs publics n’ont pas les ressources suffisantes pour procéder à des vérifications en profondeur.
Le contrôle des fournisseurs risquerait donc, au mieux, de ne pas être fait, au pire, de constituer une charge administrative très lourde pour les acheteurs publics.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 39 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 12.
(L’article 12 est adopté.)
Après l’article 12 (priorité)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L’amendement n° 167 rectifié bis est présenté par Mme Gosselin, MM. Anglars, Burgoa, Piednoir et Brisson, Mmes Belrhiti, Dumont et Di Folco, MM. Mandelli, Cambon, Tabarot, Belin et Savary, Mmes Garriaud-Maylam, Del Fabro et Bellurot et MM. Perrin, Rietmann, Lefèvre, Bouloux, Charon, Bouchet, Mouiller, Bacci, Gremillet et Rapin.
L’amendement n° 182 rectifié ter est présenté par Mme Havet, M. Buis, Mme Schillinger, M. Rohfritsch, Mmes Duranton et Phinera-Horth et M. Mohamed Soilihi.
L’amendement n° 373 rectifié bis est présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Fialaire, Guiol, Requier, Bilhac, Cabanel et Gold et Mme Guillotin.
L’amendement n° 388 rectifié est présenté par M. Cardon.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 2112-4 du code de la commande publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret en Conseil d’État précise les conditions et les modalités d’application du présent article. »
La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour présenter l’amendement n° 167 rectifié bis.
Mme Béatrice Gosselin. L’article L. 2112-4 du code de la commande publique a introduit la préférence européenne dans les achats afin, notamment, de prendre en compte les considérations environnementales ou sociales ou d’assurer la sécurité des informations et des approvisionnements.
Cette disposition, qui pourrait constituer un puissant levier au service de la réindustrialisation verte et de la souveraineté économique de l’Europe, est très peu utilisée par les acheteurs, à qui n’ont jamais été clairement précisés les cas dans lesquels ils pourraient concrètement y recourir.
Seul cas connu, la direction générale de l’offre de soins (DGOS) en a recommandé l’usage pour l’achat d’équipements de protection individuels en décembre 2021.
Cet amendement vise donc à ce que les services de l’État puissent préciser aux acheteurs les conditions d’application de cet article, et notamment indiquer si ces dispositions peuvent s’appliquer à d’autres secteurs, par exemple en matière de production d’énergie renouvelable comme les éoliennes et les panneaux photovoltaïques.
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour présenter l’amendement n° 182 rectifié ter.
Mme Nadège Havet. Comme l’a dit Mme Gosselin, cet amendement vise à ce que le périmètre d’application de l’article L. 2112-4 du code de la commande publique soit précisé.
M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour présenter l’amendement n° 373 rectifié bis.
M. Éric Gold. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Rémi Cardon, pour présenter l’amendement n° 388 rectifié.
M. Rémi Cardon. Cet amendement est identique aux trois précédents et vise à appuyer, pour lui donner du sens, la notion de « souveraineté économique » – cela ne doit pas être simplement le titre d’un ministre…
C’est la raison pour laquelle il faut clarifier les choses sur la commande publique pour que la souveraineté économique européenne soit indirectement bénéfique pour la souveraineté économique de la France.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?
M. Jean-Yves Roux, rapporteur pour avis. Les auteurs de ces amendements identiques pointent une problématique récurrente au sein du droit de la commande publique, à savoir l’inapplication de nombreuses dispositions du code de la commande publique, lesquelles relèvent davantage d’une volonté d’affichage que d’un souci réel d’opérationnalité et d’appropriation par les acheteurs publics.
À ce titre, tant en commission la semaine dernière que lors de la discussion générale voilà quelques instants, j’ai exprimé mes doutes sur l’absence d’effectivité des motifs d’exclusion des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession.
L’objet de ces amendements identiques me paraît donc intéressant. Il nous lie cependant à l’avis du Gouvernement, puisqu’il renvoie directement à un décret qui pourrait théoriquement être vidé de sa substance. M. le ministre peut-il nous préciser, le cas échéant, s’il compte se saisir de ce décret pour enfin inciter les acheteurs publics à utiliser cette faculté offerte par le code de la commande publique ?
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Je confirme que le Gouvernement compte bien utiliser cette opportunité. Je l’ai d’ailleurs précisé au cours de la discussion générale.
C’est la raison pour laquelle je demande le retrait de ces amendements identiques ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est maintenant l’avis de la commission des lois ?
M. Jean-Yves Roux, rapporteur pour avis. La commission des lois suit l’avis du Gouvernement.
M. le président. Madame Gosselin, l’amendement n° 167 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Béatrice Gosselin. Non, après les explications de M. le ministre, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 167 rectifié bis est retiré.
Madame Havet, l’amendement n° 182 rectifié ter est-il maintenu ?
Mme Nadège Havet. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 182 rectifié ter est retiré.
Monsieur Gold, l’amendement n° 373 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Éric Gold. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 373 rectifié bis est retiré.
Monsieur Cardon, l’amendement n° 388 rectifié est-il maintenu ?
M. Rémi Cardon. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 331 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 2° de l’article L. 2113-11 du code de la commande publique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Outre les cas mentionnés aux 1° et 2° du présent article, les entités adjudicatrices peuvent décider de ne pas allotir un marché lorsque la dévolution en lots séparés risque de conduire à une procédure infructueuse. »
La parole est à M. Bruno Le Maire, ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Cet amendement vise à prévoir une procédure d’exception au principe d’obligation d’allotissement des marchés dans les appels d’offres pour un certain nombre d’opérateurs publics, en particulier Réseau de transport d’électricité (RTE).
En effet, pour un certain nombre de marchés, par exemple les lignes à haute tension, du fait de la rareté de l’offre, il est plus pratique pour RTE d’émettre un seul lot plutôt que de faire de l’allotissement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?
M. Jean-Yves Roux, rapporteur pour avis. Cet amendement et les amendements nos 330 rectifié et 329 rectifié ont tous trois pour objectif commun de déroger à certains grands principes de la commande publique pour les entités adjudicatrices, c’est-à-dire les acheteurs qui exercent une activité d’opérateur de réseau dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux.
L’adoption de l’amendement n° 331 rectifié reviendrait sur le principe d’allotissement lorsque la dévolution en lots séparés par l’entité adjudicatrice risquerait de conduire à une procédure infructueuse.
L’adoption de l’amendement n° 330 rectifié permettrait à ces mêmes autorités adjudicatrices de déroger à la durée de droit commun des accords-cadres.
Enfin, l’adoption de l’amendement n° 329 rectifié permettrait aux autorités adjudicatrices de procéder à des appels d’offres lors desquels la présentation de variantes serait autorisée, ce qui va totalement à l’encontre de l’article L. 2151-1 du code de la commande publique.
Je rappelle que les règles spécifiques aux marchés de réseau ont une raison d’être que le Sénat a toujours défendue, à savoir garantir l’accès des petites et moyennes entreprises aux marchés publics. Les dérogations que souhaite instaurer le Gouvernement auront mécaniquement pour conséquence de favoriser les plus grandes entreprises, qui sont mieux à même de présenter des variantes ou des offres globales lorsque le marché n’est pas alloti.
Nous sommes donc face à deux objectifs qui ont chacun leur légitimité. Par conséquent, sur l’amendement n° 331 rectifié, comme sur les amendements nos 330 rectifié et 329 rectifié, la commission des lois s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
MM. Julien Bargeton et Alain Richard. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.
M. Franck Montaugé. Cette explication de vote pourrait s’apparenter à un rappel au règlement.
L’amendement n° 331 rectifié, comme les amendements nos 330 rectifié et 329 rectifié, sont intéressants. Toutefois, il est regrettable que nous ne disposions pas d’une étude d’impact et que nous n’ayons pu organiser les auditions qui nous auraient éclairés.
Pour ma part, j’ai du mal à mesurer l’ampleur et l’importance des mesures proposées à l’amendement n° 331 rectifié comme aux deux suivants, alors qu’elles paraissent intéressantes en première analyse.
Il est regrettable de travailler dans de telles conditions. Il aurait fallu que ces dispositions figurent dans le texte initial pour que nous puissions les examiner attentivement.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Je regrette que l’on n’ait pas apporté toutes les précisions au moment voulu – en cela, je partage ce que vient de dire M. le sénateur Montaugé.
Reste que l’enjeu est absolument majeur. S’il n’y a pas de possibilité de dérogation ni sur la durée ni sur le principe d’allotissement, il y a fort à parier que certaines grandes entreprises soumettront leurs projets ailleurs qu’en France. Je pense notamment à la durée maximale de huit ans des accords-cadres : dans la mesure où d’autres pays, par exemple l’Allemagne, peuvent proposer des durées beaucoup plus longues, les fournisseurs de câbles préféreront se tourner vers lesdits pays plutôt que vers la France et nous perdrons le marché.
C’est pour cela que le Gouvernement a prévu des exceptions. Je regrette moi aussi que nous n’ayons pu avoir ce débat lors de la présentation du texte en commission.
Pour le dire simplement, les amendements nos 331 rectifié, 330 rectifié et 329 rectifié sont essentiels pour garantir le raccordement des industries vertes dans des délais rapides.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 12.
L’amendement n° 330 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La seconde phrase du 1° de l’article L. 2125-1 du code de la commande publique est complétée par les mots : « ou par un risque important de restriction de concurrence ou de procédure infructueuse dans le cadre de la procédure de passation d’un accord-cadre engagée par une entité adjudicatrice ».
La parole est à M. le ministre.
M. le président. Je rappelle que la commission des lois s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée sur cet amendement.
Je mets aux voix l’amendement n° 330 rectifié.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 12.
L’amendement n° 329 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - L’article L. 2151-1 du code de la commande publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au premier alinéa, pour les marchés répondant à un besoin dont la valeur estimée est égale ou supérieure à un seuil fixé par voie réglementaire, les entités adjudicatrices peuvent autoriser les opérateurs économiques à présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus. »
II. – Au deuxième alinéa de l’article L. 2152-7 du code de la commande publique, après les mots : « lot par lot », sont insérés les mots : « sauf lorsque les entités adjudicatrices ont autorisé les opérateurs économiques à présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus en application du deuxième alinéa de l’article L. 2151-1 ».
La parole est à M. le ministre.
M. le président. Je rappelle que la commission des lois s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée sur cet amendement.
Je mets aux voix l’amendement n° 329 rectifié.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 12.
L’amendement n° 42 rectifié, présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. Capus, Guerriau et A. Marc, Mme Mélot et MM. Lagourgue, Grand, Chasseing, Wattebled, Malhuret, Decool et Menonville, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 2172-5 du code de la commande publique est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les montants applicables, définis par voie réglementaire, pour les travaux, fournitures ou services qui intègrent des procédés industriels sont au moins trois fois supérieurs à ceux applicables travaux, fournitures ou services qui n’en intègrent pas. »
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Cet amendement tend à reprendre l’une des recommandations du rapport de la mission sénatoriale d’information intitulé Transformer l’essai de l’innovation : un impératif pour réindustrialiser la France.
Il s’agit ainsi de multiplier par trois le plafond du régime de l’achat innovant pour toute commande publique, qui est aujourd’hui fixé à 100 000 euros et qui ne correspond pas du tout aux montants envisageables dans le domaine industriel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?
M. Jean-Yves Roux, rapporteur pour avis. La commission des lois a déjà rejeté un amendement à l’objet identique la semaine dernière, dans la mesure où celui-ci pose plusieurs difficultés.
Tout d’abord, son insertion au sein du code de la commande publique n’est pas opportune, puisqu’il est question de compléter un article relatif aux constructions temporaires, ce qui n’a rien à voir avec l’objet de l’amendement. Qui plus est, le chevauchement de deux dispositifs qui ne sont pas liés instaure une ambiguïté quant aux finalités et à l’application de cet article du code de la commande publique.
En outre, la rédaction de cet amendement semble beaucoup trop large, puisque la notion de « procédé industriel » n’est définie nulle part dans le code de la commande publique. Notre collègue souhaite notamment viser les marchés de « fournitures […] qui intègrent des procédés industriels », ce qui, à l’exception peut-être de l’achat de denrées alimentaires, comprend quasiment la totalité des marchés de fournitures !
C’est pourquoi la commission des lois émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. L’idée est bonne, mais le risque juridique est trop élevé.
Le Gouvernement a déjà porté le plafond de 40 000 euros à 100 000 euros, mais j’ai peur qu’en poussant le bouchon un peu plus loin, même si je comprends parfaitement la logique qui prévaut, on ne fragilise ce qui a été obtenu par le relèvement du seuil qui a déjà été opéré.
Je le répète, je partage l’objectif et les orientations de cet amendement et je comprends parfaitement la volonté qui le sous-tend, mais je persiste à croire que le risque juridique serait trop élevé. Les textes européens sont à cet égard explicites : le seuil maximal s’élève à 140 000 euros. En adoptant cet amendement, nous les enfreindrions ouvertement.
Par conséquent, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. Madame Paoli-Gagin, l’amendement n° 42 rectifié est-il maintenu ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. Non, j’entends les arguments techniques qui ont été exposés et je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 42 rectifié est retiré.
Article 13 (priorité)
I. – Le code de la commande publique est ainsi modifié :
1° L’article L. 2111-3 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Les acheteurs soumis au présent code dont le montant total annuel des achats est supérieur à un montant fixé par voie réglementaire adoptent un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables. » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les éléments mentionnés au deuxième alinéa du présent article peuvent être mis en commun par plusieurs acheteurs, y compris par des acheteurs dont le montant total annuel d’achats est inférieur au montant fixé par voie réglementaire en application du premier alinéa, au sein d’un schéma élaboré conjointement. Dans ce cas, les indicateurs mentionnés au troisième alinéa sont établis pour chaque acheteur public. » ;
1° bis (nouveau) La seconde phrase de l’article L. 2141-7-1 est supprimée ;
2° (Supprimé)
3° La première phrase de l’article L. 2152-7 est remplacée par deux phrases ainsi rédigées : « Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base du critère du prix ou du coût. L’offre économiquement la plus avantageuse peut également être déterminée sur le fondement d’une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. » ;
3° bis (nouveau) La seconde phrase de l’article L. 3123-7-1 est supprimée ;
4° (Supprimé)
5° (nouveau) Après la première phrase du premier alinéa de l’article L. 3124-5, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Au nombre de ces critères, peuvent figurer notamment des critères environnementaux, sociaux, relatifs à l’innovation. »
II. – L’article 35 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets est ainsi modifié :
1° Le 6° du II est ainsi rédigé :
« 6° Les deux premières phrases de l’article L. 2152-7 sont ainsi rédigées : “Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base d’un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution. Au moins un de ces critères prend en compte les caractéristiques environnementales de l’offre.” » ;
1° bis (nouveau) Au début du 4° du III, les mots : « Après la première phrase du premier alinéa de l’article L. 3124-5, est insérée une phrase » sont remplacés par les mots : « La deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 3124-5 est » ;
2° Au premier alinéa du IV, les mots : « une date fixée par décret » sont remplacés par les mots : « des dates fixées par décret en fonction de l’objet du marché ».
III. – Les articles L. 2141-7-2 et L. 3123-7-2 du code de la commande publique sont applicables aux marchés publics et aux contrats de concession pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d’appel à la concurrence a été envoyé à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi.
Le présent III est applicable sur l’ensemble du territoire de la République.
IV (nouveau). – Au III de l’article L. 229-25 du code de l’environnement, le montant : « 10 000 » est remplacé par le montant : « 50 000 » et le montant : « 20 000 » est remplacé par le montant : « 100 000 ».
M. le président. L’amendement n° 184 rectifié bis, présenté par Mme Havet, M. Buis, Mme Schillinger, M. Rohfritsch, Mmes Duranton et Phinera-Horth et M. Mohamed Soilihi, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Au deuxième alinéa, après le mot : « achat », sont insérés les mots : « de biens et de services » ;
La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Afin d’atteindre les objectifs des accords de Paris, des études de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) précisent que l’« hypothèse du rallongement de la durée de vie des produits de ces équipements [numériques] s’inscrit dans une logique de mise en place de politiques visant à promouvoir l’économie de la fonctionnalité ».
Cet amendement vise à intégrer les services dans l’article consacré aux schémas de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables et, ainsi, à souligner l’importance de développer l’économie de la fonctionnalité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. Cet amendement me semble satisfait. Le Spaser, qui définit la stratégie d’achat durable des plus grands acheteurs publics, peut d’ores et déjà faire la promotion de l’économie de la fonctionnalité.
En effet, depuis la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite Agec, le Spaser doit contribuer à la promotion de l’économie circulaire. Or l’économie de la fonctionnalité est l’une des composantes de l’économie circulaire.
Par conséquent, la commission de l’aménagement du territoire émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadège Havet. Je le retire, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 184 rectifié bis est retiré.
Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 52 rectifié est présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. Capus, Grand, Lagourgue, A. Marc et Chasseing, Mme Mélot et MM. Wattebled, Guerriau, Malhuret, Decool et Menonville.
L’amendement n° 109 rectifié ter est présenté par M. Canévet, Mme N. Goulet, MM. Bonnecarrère, Folliot, Duffourg, Bonneau et Kern, Mmes Billon et Doineau, M. Détraigne, Mmes Férat, Gacquerre, de La Provôté, Jacquemet et Havet et MM. Moga, Le Nay, Cigolotti, Delcros, Maurey et J.M. Arnaud.
L’amendement n° 158 est présenté par Mmes Préville et Briquet, MM. Montaugé, Marie, Kanner et J. Bigot, Mme Bonnefoy, M. Devinaz, Mme M. Filleul, MM. Gillé, Houllegatte, Jacquin et Lurel, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, M. Mérillou, Mme Monier, MM. Redon-Sarrazy, Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) La deuxième phrase du deuxième alinéa est complétée par les mots : « et des mobilités partagées et actives » ;
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour présenter l’amendement n° 52 rectifié.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Portés par les technologies du numérique, mais aussi par des usages multimodaux, les services de la mobilité agissent au service de la transformation des pratiques de mobilité et de la promotion de nouveaux comportements vertueux.
Alors que le champ d’application des schémas de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables est élargi et clarifié, cet amendement vise à intégrer aux objectifs de politique d’achat des prérogatives en termes de transition des mobilités.
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour présenter l’amendement n° 109 rectifié ter.
Mme Nadège Havet. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour présenter l’amendement n° 158.
Mme Angèle Préville. S’il est important de concevoir des véhicules sobres en énergie et d’adapter nos infrastructures, il est tout aussi essentiel d’engager de nouvelles pratiques de mobilités bas-carbone et de repenser nos modèles économiques.
Les mobilités actives et partagées constituent un vecteur de la décarbonation des transports. Nous disposons là d’un levier majeur pour répondre aux défis de la transition écologique et d’une plus grande accessibilité aux solutions de mobilité durable.
Afin d’accompagner les acteurs publics dans cette démarche, les mobilités partagées, douces et actives peuvent agir en faveur de la transformation des pratiques de mobilité et de la promotion de nouveaux comportements plus vertueux.
C’est pourquoi cet amendement vise à compléter les dispositions relatives au schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables dans le but d’inscrire la politique d’achat dans une démarche de transition vers les mobilités partagées et actives.
M. le président. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. Si je peux comprendre les intentions des auteurs de ces amendements, il ne me semble pas que le Spaser, qui est un document portant une stratégie d’achats publics responsables, soit le support privilégié pour faire la promotion des mobilités, qui plus est des mobilités partagées et actives.
Par conséquent, la commission de l’aménagement du territoire émet un avis défavorable sur ces amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 52 rectifié, 109 rectifié ter et 158.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 195, présenté par MM. Fernique, Salmon, Breuiller, Benarroche, Dantec, Dossus, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Rédiger ainsi cet alinéa :
1° bis À la première phrase de l’article L. 2141-7-1, les mots : « peut exclure » sont remplacés par le mot : « exclut » ;
La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. En 2017, notre pays a été pionnier en adoptant la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Je rappelle qu’il s’agit de mesures de vigilance propres à identifier les risques d’atteintes graves envers les droits humains, les libertés fondamentales, la santé, la sécurité des personnes, ainsi que l’environnement résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle, comme les activités des sous-traitants ou fournisseurs.
Nous pouvons encore être pionniers en matière de commande publique en intégrant, par l’adoption de cet amendement, l’exclusion des marchés publics des entreprises qui auraient manqué à leur obligation d’établir un plan de vigilance.
M. le président. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. L’exclusion facultative des candidats n’ayant pas respecté leur obligation d’établir un plan de vigilance a été introduite par la loi Climat et résilience de 2021, sur l’initiative de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.
Transformer ce motif d’exclusion facultatif en motif d’exclusion obligatoire ne me semble pas pertinent. Je rappelle que les motifs d’exclusion de plein droit s’appliquent pour des infractions particulièrement graves, par exemple au titre du code pénal – participation à une organisation criminelle, corruption, infraction terroriste ou infraction liée aux activités terroristes…
En tout état de cause, il me semble préférable de laisser au dispositif voté dans la loi Climat et résilience le temps de faire ses preuves.
Par conséquent, la commission de l’aménagement du territoire émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Puisque nous entamons l’examen des articles de ce texte, je poserai d’emblée deux questions.
La première : quels types d’amendements seront déclarés recevables ?
En effet, alors que nous abordons déjà des problématiques importantes – commande publique, mobilités douces… –, tous les amendements reçoivent un avis défavorable : c’est plus complexe qu’on ne le croit, ce serait une contrainte supplémentaire pour les entreprises qui les empêcherait de répondre à la commande publique, etc.
Comme près de 250 amendements ont trait à ces questions, autant nous dire d’emblée ce qui est recevable pour les entreprises et ce qui ne l’est pas.
Ma seconde question n’est pas sans lien. Dans la mesure où le plan de vigilance concerne les atteintes graves aux droits de l’homme, je souhaite savoir ce qui est pire en la matière, après les entreprises terroristes. Si l’on ne se met pas d’accord sur ces questions, je ne vois pas sur quoi on le sera.
Je remercie M. le rapporteur pour avis d’avoir rappelé que c’était le Sénat qui avait introduit l’exclusion facultative des entreprises ayant manqué à leur devoir de vigilance. Pour autant, depuis que nous avons voté cette disposition, combien ont été exclues ? En effet, des entreprises qui manquent à leur devoir de vigilance, il en existe un certain nombre, par exemple celles qui ont des filiales en Afrique. Obtenir une réponse à cette question nous permettrait de connaître le pourcentage d’entreprises concernées.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 154 rectifié est présenté par Mmes Préville et Briquet, MM. Montaugé, Marie, Kanner et J. Bigot, Mme Bonnefoy, M. Devinaz, Mme M. Filleul, MM. Gillé, Houllegatte, Jacquin et Lurel, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, M. Mérillou, Mme Monier, MM. Redon-Sarrazy, Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 196 rectifié est présenté par MM. Fernique, Salmon, Breuiller, Benarroche, Dantec, Dossus, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 8
Rétablir ainsi le 2° dans la rédaction suivante :
2° Après l’article L. 2141-7-1, il est inséré un article L. 2141-7-… ainsi rédigé :
« Art. L. 2141-7-…. – L’acheteur exclut de la procédure de passation d’un marché les personnes soumises à l’article L. 229-25 du code de l’environnement qui ne satisfont pas à leur obligation d’établir un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre pour l’année qui précède l’année de publication de l’avis d’appel à la concurrence ou d’engagement de la consultation. » ;
II. – Après l’alinéa 10
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après l’article L. 3123-7-1, il est inséré un article L. 3123-7-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 3123-7-2. – L’autorité concédante exclut de la procédure de passation d’un contrat de concession les personnes soumises à l’article L. 229-25 du code de l’environnement qui ne satisfont pas à leur obligation d’établir un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre, pour l’année qui précède l’année de publication de l’avis d’appel à la concurrence ou d’engagement de la consultation. » ;
La parole est à Mme Angèle Préville, pour présenter l’amendement n° 154 rectifié.
Mme Angèle Préville. Le projet de loi initial permettait à l’acheteur public d’exclure de la procédure de passation d’un marché les entreprises ne respectant pas leur obligation d’établir un bilan d’émissions de gaz à effet de serre (Beges).
La commission de l’aménagement du territoire a supprimé cette possibilité au profit du renforcement des sanctions en cas d’absence d’établissement du Beges. À nos yeux, l’un n’empêche pas l’autre. Aussi proposons-nous de rétablir cette exclusion qui, rappelons-le, est une obligation légale pour les 5 000 acteurs privés et publics concernés.
Le Beges permet d’élaborer un diagnostic précis des émissions de gaz à effet de serre. Il prend en compte les émissions directes liées à l’activité de l’entreprise et les émissions indirectes liées à la production d’énergie. Il permet aux entreprises et établissements concernés d’identifier les grands postes d’émission et les leviers de réduction de leurs émissions de CO2 dans le cadre d’un plan de transition.
Dans la perspective de l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050, il est essentiel que les entreprises s’emparent enfin de cet outil. En effet, et vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, seuls 53 % des entreprises respectent leurs obligations sur ce point – et encore s’agit-il des chiffres les plus optimistes.
Pour une meilleure efficacité et pour respecter l’égalité de traitement entre les candidats, nous demandons le rétablissement de la mesure prévue dans le projet de loi initial en proposant que cette règle soit obligatoire et non une simple faculté, tout en maintenant le renforcement des sanctions pour les entreprises contrevenantes proposé par la commission de l’aménagement du territoire.
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour présenter l’amendement n° 196 rectifié.
M. Jacques Fernique. Aujourd’hui, la majorité des entreprises de plus de 500 personnes qui sont tenues d’établir un bilan d’émissions de gaz à effet de serre ne respectent pas cette obligation. Par conséquent, utiliser le levier de la commande publique pour la faire appliquer serait une bonne idée.
M. le président. L’amendement n° 328, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 8
Rétablir le 2° dans la rédaction suivante :
2° Après l’article L. 2141-7-1, il est inséré un article L. 2141-7-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 2141-7-2. – L’acheteur peut exclure de la procédure de passation d’un marché les personnes soumises à l’article L. 229-25 du code de l’environnement qui ne satisfont pas à leur obligation d’établir un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre pour l’année qui précède l’année de publication de l’avis d’appel à la concurrence ou d’engagement de la consultation. » ;
II. – Après l’alinéa 10
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après l’article L. 3123-7-1, il est inséré un article L. 3123-7-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 3123-7-2. – L’autorité concédante peut exclure de la procédure de passation d’un contrat de concession les personnes soumises à l’article L. 229-25 du code de l’environnement qui ne satisfont pas à leur obligation d’établir un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre, pour l’année qui précède l’année de publication de l’avis d’appel à la concurrence ou d’engagement de la consultation. » ;
La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Le bilan d’émissions de gaz à effet de serre est une obligation à mes yeux extrêmement importante. Il est réservé aux entreprises de plus de 500 salariés, soit des entreprises ayant les moyens de réaliser un tel bilan. C’est un élément de transparence essentiel pour le grand public.
Une fois ce constat établi, plusieurs options existent.
La première option consiste à conditionner la faculté d’une entreprise à soumissionner à un appel d’offres à l’obligation de réaliser un Beges. Je signale d’emblée aux auteurs de ces amendements identiques qu’une telle mesure risque d’avantager automatiquement des entreprises étrangères qui ne sont pas soumises à une telle obligation. Par conséquent, les entreprises qui n’auront pas encore rempli leur bilan d’émissions de gaz à effet de serre seront exclues mécaniquement, par la force de la loi, ce qui ouvrira probablement la voie à des entreprises étrangères concurrentes.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement émettra un avis défavorable sur ces amendements identiques.
La seconde option, qui a été retenue par la commission de l’aménagement du territoire, consiste à ne pas lier le bilan d’émissions de gaz à effet de serre à la soumission à un appel d’offres, mais à renforcer les sanctions à l’encontre des entreprises n’ayant pas rempli leur Beges.
La troisième option, qui fait l’objet de l’amendement déposé par le Gouvernement, vise à laisser aux entités soumettant les appels d’offres – collectivités locales ou autres établissements publics – la liberté de choisir si elles retiennent ou non une entreprise qui n’aurait pas rempli ses obligations au titre du bilan d’émissions de gaz à effet de serre. C’est à la fois très respectueux des libertés des collectivités locales et très responsabilisant. Par ailleurs, c’est un levier suffisant qui constitue pour les entreprises une incitation forte à remplir leurs devoirs au titre du bilan d’émissions de gaz à effet de serre. C’est la position qui me paraît la plus appropriée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. Nous sommes d’accord sur le constat : dix ans après son entrée en vigueur, 65 % des presque 5 000 organisations assujetties n’ont pas respecté leur obligation de réaliser un bilan d’émissions de gaz à effet de serre. Cette méconnaissance de la loi est particulièrement dommageable, d’un point de vue tant environnemental qu’industriel.
Néanmoins, et je partage en cela une partie du constat que vient de dresser M. le ministre, dans le cadre des auditions menées par la commission de l’aménagement du territoire, il est apparu que ces leviers d’exclusion des procédures de passation des marchés publics et de contrats de concession, qu’ils soient de plein droit ou facultatifs, étaient très peu efficaces.
Concrètement, les acheteurs publics se contentent souvent d’une déclaration sur l’honneur pour effectuer les vérifications et appliquer les motifs d’exclusion des procédures de la commande publique. Les services ministériels m’ont d’ailleurs affirmé ne pas être en mesure de faire un état de lieux de l’application de ces motifs d’exclusion.
La vocation première du code de la commande publique n’est pas de faire respecter d’autres obligations, raison pour laquelle la commission de l’aménagement du territoire a proposé un autre dispositif pour parvenir au résultat que nous souhaitons tous, à savoir relever le niveau maximal de sanctions financières en cas de non-réalisation d’un Beges.
C’est la piste que la commission de l’aménagement du territoire a privilégiée et c’est la raison pour laquelle elle émet un avis défavorable sur les amendements identiques nos 154 rectifié et 196 rectifié, ainsi que sur l’amendement n° 328.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Avis défavorable sur les amendements identiques nos 154 rectifié et 196 rectifié.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 154 rectifié et 196 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 176 rectifié bis, présenté par MM. Levi, Bonhomme, Decool, Burgoa, Tabarot, Laugier, Folliot, Bonneau et Kern, Mmes Gacquerre et Vermeillet, MM. Pellevat, Sautarel et Henno, Mme Gosselin, MM. Détraigne, Mizzon et J.M. Arnaud, Mme F. Gerbaud, MM. Belin, S. Demilly, Canévet et Le Nay, Mme Gatel, MM. Cigolotti et Duffourg, Mmes Morin-Desailly et de La Provôté et M. P. Martin, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 8
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
…° Après l’article L. 2151-1, il est inséré un article L. 2151-… ainsi rédigé :
« Art. L. 2151-…. – Pour les marchés passés selon une procédure formalisée, les acheteurs peuvent autoriser la présentation de variantes environnementales. Ces variantes sont autorisées sauf mention contraire dans l’avis de marché ou dans l’invitation à confirmer l’intérêt.
« Pour les marchés passés selon une procédure adaptée, les variantes environnementales sont autorisées.
« Les opérateurs économiques sont libres de présenter une variante. » ;
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Les dispositions du I entrent en vigueur à compter de la date fixée aux deux premiers alinéas du IV de l’article 35 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
La parole est à M. Pierre-Antoine Levi.
M. Pierre-Antoine Levi. Renforcer et mobiliser davantage le droit de la commande publique en faveur de l’achat durable est à la fois une nécessité et une réponse au devoir d’exemplarité des personnes publiques en la matière.
Parmi les différents outils dont dispose la commande publique, les variantes environnementales, solutions alternatives et vertueuses à l’initiative des entreprises, constituent aujourd’hui un levier trop peu utilisé par les acheteurs.
C’est pourquoi cet amendement vise à faciliter la présentation de variantes environnementales au sein des marchés publics, afin de permettre aux entreprises de mieux valoriser leur savoir-faire écologique.
Ces dispositions entreront en vigueur à partir de la date à laquelle les acheteurs seront tenus d’intégrer un critère prenant en compte les caractéristiques environnementales des offres, conformément à l’article 35 de la loi Climat et résilience.
Ce changement de paradigme dans l’utilisation des variantes s’inscrit parfaitement en cohérence avec l’Agenda 2030, qui fait de la promotion des pratiques durables dans le cadre des marchés publics un enjeu majeur, tout comme avec le plan national pour des achats durables 2022-2025.
M. le président. L’amendement n° 255, présenté par Mme Cukierman, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 8
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
2° bis Après l’article L. 2151-1, il est inséré un article L. 2151-… ainsi rédigé :
« Art. L. 2151-….- Pour les marchés passés selon une procédure formalisée, les acheteurs peuvent autoriser la présentation de variantes. Les variantes sont autorisées sauf mention contraire dans l’avis de marché ou dans l’invitation à confirmer l’intérêt.
« Pour les marchés passés selon une procédure adaptée, les variantes sont autorisées.
« Les opérateurs économiques sont libres de présenter une variante. »
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… . – Le 2° bis du I entre en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard un an à compter de la publication de la présente loi.
Ces dispositions s’appliquent aux marchés pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence est envoyé à la publication à compter de leur entrée en vigueur.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Cet amendement s’inscrit dans la même veine. Moi aussi, je demeure convaincue que la commande publique a un effet levier dans de nombreux domaines, y compris celui de la réindustrialisation de notre pays.
Après discussion, entre autres, avec la Fédération nationale des travaux publics, il apparaît que la notion de variantes est aujourd’hui bien trop peu souvent utilisée alors qu’elle permettrait, si elle était facilitée, de mieux valoriser le savoir-faire écologique des entreprises.
M. le président. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. Sur la possibilité pour les acheteurs d’autoriser la présentation de variantes environnementales, la commission de l’aménagement du territoire sollicite l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Même si l’on comprend la logique, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements, dont les objets sont contraires au droit européen.
M. Fabien Gay. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas entendu cet argument !
M. le président. Quel est maintenant l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. Avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Si le droit européen nous empêche de réindustrialiser notre pays, comment allons-nous faire ?
Aujourd’hui, notamment quand il est question d’enjeux énergétiques, un certain nombre de pays savent se faire entendre et imposer des systèmes qui leur permettent de rester au sein de l’Union européenne tout en protégeant leur population.
L’argument selon lequel le dispositif proposé n’est pas conforme au droit européen est léger. À un moment donné, il faudra bien, non pas s’affranchir des règles européennes, mais défendre des positions fortes devant la Commission européenne. On ne peut systématiquement s’en tenir à cet état de fait, qui contraint in fine notre pays à l’immobilisme au prétexte que rien ne se fera tant que le droit européen n’aura pas bougé.
Je maintiens mon amendement.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour explication de vote.
M. Pierre-Antoine Levi. J’entends les arguments de Cécile Cukierman. Toutefois, à la suite des explications du ministre, de l’avis du rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et compte tenu du sort funeste qui attend mon amendement, je préfère le retirer.
M. le président. L’amendement n° 176 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 255.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de dix-neuf amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 344 rectifié, présenté par MM. Devinaz et Bourgi, Mmes Harribey et Monier et MM. Pla et Tissot, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Rédiger ainsi cet alinéa :
3° À la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 2152-7, après le mot : « alinéa », sont insérés les mots : « , dont la priorisation d’un ou de plusieurs critères environnementaux, » ;
La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Cet amendement vise à valoriser le critère environnemental dans la commande publique.
Dans son avis du 11 mai 2023, le Conseil d’État a rappelé que la définition de l’offre économiquement la plus avantageuse demeure du domaine réglementaire et que la loi Climat et résilience prévoit d’introduire les critères environnementaux dans les marchés publics au plus tard en 2026. Il s’agit d’énumérer ces critères pour permettre leur prise en compte sans attendre cette échéance.
En favorisant un investissement écologique et responsable, les collectivités font le choix d’une commande publique vertueuse. La diffusion de ces bonnes pratiques doit servir de fer de lance pour lancer un nouveau dogme, celui d’un verdissement progressif de la commande publique.
M. le président. L’amendement n° 190 rectifié, présenté par Mme Havet, M. Buis, Mme Schillinger, M. Rohfritsch, Mmes Duranton et Phinera-Horth et M. Mohamed Soilihi, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Rédiger ainsi cet alinéa :
3° À la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 2152-7, après le mot : « alinéa », sont insérés les mots : « , dont la prise en compte d’un ou de plusieurs critères environnementaux, » ;
La parole est à Mme Nadège Havet.
M. le président. L’amendement n° 140 rectifié n’est pas soutenu.
L’amendement n° 157, présenté par Mmes Bonnefoy, Préville et Briquet, MM. Montaugé, Marie, J. Bigot et Devinaz, Mme M. Filleul, MM. Gillé, Houllegatte, Jacquin, Cozic et Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly, Lurel et Raynal, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, M. Mérillou, Mme Monier, MM. Redon-Sarrazy, Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 9, seconde phrase
Remplacer les mots :
peut également être
par les mots :
est également
II. – Alinéa 12
Remplacer les mots :
peuvent figurer
par le mot :
figurent
La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Cet amendement vise à rendre la prise en compte par les acheteurs publics de critères environnementaux et sociaux beaucoup plus ambitieuse.
Nous ne pouvons plus nous contenter de faire des critères environnementaux une variable d’ajustement au service au mieux d’une action isolée, au pire du greenwashing. Alors que nous n’avons jamais été aussi proches d’un point de non-retour, les acheteurs publics peuvent encore se passer de la prise en compte des conséquences climatiques et environnementales de leur commande !
L’offre économiquement la plus avantageuse sert à discriminer les autres offres au profit de la meilleure. Elle est aujourd’hui définie par la voie réglementaire. Ce projet de loi souhaite accélérer la prise en compte des critères environnementaux dans le choix des offres déjà planifiées pour 2026 par la loi Climat et résilience.
Aussi, je propose d’inclure systématiquement au moins un critère environnemental ou social. La meilleure offre est celle dont le coût pour la planète est le plus faible. C’est devenu une évidence, mes chers collègues. Ne passons pas à côté de cette ambition pour nos industries vertueuses et pour notre planète.
M. le président. L’amendement n° 226, présenté par MM. Fernique, Salmon, Breuiller, Benarroche, Dantec, Dossus, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 9, seconde phrase
Remplacer les mots :
peut également être
par les mots :
est également
La parole est à M. Jacques Fernique.
M. le président. Les quatre amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 222 rectifié est présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Fialaire, Guiol, Requier, Bilhac, Cabanel et Gold et Mme Guillotin.
L’amendement n° 303 rectifié bis est présenté par MM. Longeot, Moga, Levi et S. Demilly, Mme Garriaud-Maylam, M. Détraigne, Mme Vermeillet, M. Bacci, Mmes Létard, Dindar et Canayer, MM. Capo-Canellas, Poadja, Le Nay, Cigolotti et Kern, Mme Muller-Bronn, M. L. Hervé, Mme Billon, MM. Duffourg, J.M. Arnaud, P. Martin et Belin et Mme Perrot.
L’amendement n° 389 est présenté par M. Cardon.
L’amendement n° 395 rectifié bis est présenté par Mme Berthet, MM. Anglars, Brisson, Burgoa, Bouchet et Cuypers, Mme Imbert, MM. D. Laurent, Perrin, Rietmann, Sido, Tabarot et E. Blanc, Mme Bellurot et M. Grosperrin.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 9, seconde phrase
Remplacer le mot :
peut
par le mot :
doit
La parole est à M. Henri Cabanel, pour présenter l’amendement n° 222 rectifié.
M. Henri Cabanel. À l’échelle européenne, trois directives de 2014 permettent aux pouvoirs adjudicateurs et aux entités qui attribuent des marchés dans le cadre de procédures de passation de marchés publics de se fonder, outre le prix ou le coût, sur des critères supplémentaires pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse. Il peut s’agir, par exemple, de la qualité de l’offre, y compris de ses caractéristiques sociales, environnementales et innovantes.
La proposition de règlement pour une industrie « zéro net » établie par la Commission européenne prévoit que les pouvoirs adjudicateurs et les entités compétentes évaluent, lors de l’attribution d’un marché public, la contribution des offres à la durabilité et à la résilience en fonction d’une série de critères.
En France, selon l’article R. 2152-7 du code de la commande publique, modifié par le décret du 2 mai 2022, le marché doit être attribué à l’offre économiquement la plus avantageuse, après une analyse reposant sur un seul critère, tel que le prix, ou sur une pluralité de critères non discriminatoires, comprenant la qualité, les délais d’exécution et l’organisation.
À l’usage, il est apparu que les acheteurs ont peu recours aux critères qualitatifs pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse, alors que ceux-ci sont de puissants vecteurs pour favoriser le contenu local. Cet amendement vise donc à renforcer l’importance du rapport qualité-prix dans la détermination de l’offre économiquement la plus avantageuse pour un marché public.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour présenter l’amendement n° 303 rectifié bis.
M. Jean-François Longeot. Défendu !
M. le président. La parole est à M. Rémi Cardon, pour présenter l’amendement n° 389.
M. Rémi Cardon. Cet amendement vise simplement à remplacer « peut » par « doit », notamment dans la partie où il est précisé que l’offre économiquement la plus avantageuse peut également être déterminée sur la base de critères non seulement économiques, mais aussi qualitatifs, environnementaux et sociaux.
Il me semble important que les mots aient un sens : cela doit être clair et net. Cet amendement tend donc à renforcer l’importance du rapport qualité-prix par la prise en compte de la qualité ainsi que de critères environnementaux et sociaux.
J’en profite pour poser une question au ministre, au vu du texte et des débats en cours : l’industrie doit-elle être verte ou peut-elle être verte ?
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, pour présenter l’amendement n° 395 rectifié bis.
Mme Martine Berthet. Cet amendement, qui vise à favoriser la production en France et en Europe, est défendu.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 302 rectifié bis est présenté par MM. Longeot, Moga, Levi, S. Demilly et Folliot, Mme Garriaud-Maylam, M. Détraigne, Mme Vermeillet, M. Bacci, Mmes Létard, Dindar et Canayer, MM. Capo-Canellas et Poadja, Mme Saint-Pé, MM. Le Nay, Cigolotti et Kern, Mme Muller-Bronn, M. L. Hervé, Mme Billon, MM. Duffourg, J.M. Arnaud, P. Martin et Belin et Mme Perrot.
L’amendement n° 338 rectifié bis est présenté par MM. Chasseing et Verzelen, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Decool, Wattebled et Capus, Mme Paoli-Gagin et M. Fialaire.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 9
Compléter cet alinéa par les mots :
ainsi que la contribution de l’offre à la résilience, compte tenu de la proportion de produits provenant d’une seule source d’approvisionnement, notamment d’un pays tiers à l’Union européenne
La parole est à M. Jean-François Longeot, pour présenter l’amendement n° 302 rectifié bis.
M. Jean-François Longeot. Défendu !
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour présenter l’amendement n° 338 rectifié bis.
M. Daniel Chasseing. Cet amendement a pour objet d’ajouter à la définition de l’offre économiquement la plus avantageuse un critère de contribution de l’offre à la résilience, sur la base de la proportion de produits provenant d’une seule source d’approvisionnement. Il est conforme aux exigences du futur règlement européen.
M. le président. Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 40 rectifié est présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. Capus, Guerriau et A. Marc, Mme Mélot et MM. Lagourgue, Grand, Chasseing, Malhuret, Decool et Menonville.
L’amendement n° 155 est présenté par Mmes Préville, Bonnefoy et Briquet, MM. Montaugé, Marie, Kanner, J. Bigot et Devinaz, Mme M. Filleul, MM. Gillé, Houllegatte, Jacquin et Lurel, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, M. Mérillou, Mme Monier, MM. Redon-Sarrazy, Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 245 est présenté par Mme Varaillas, MM. Gay, Lahellec et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 9
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Parmi les offres présentant des solutions aux performances techniques équivalentes, l’offre présentant les performances environnementales les plus élevées est privilégiée par l’acheteur.
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour présenter l’amendement n° 40 rectifié.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour présenter l’amendement n° 155.
Mme Angèle Préville. L’article 13 introduit des dispositions qui permettent aux acheteurs publics de mieux prendre en compte les critères environnementaux.
Les auteurs de cet amendement proposent d’aller un peu plus loin en permettant à l’acheteur public de se tourner vers l’option écologique la mieux-disante, dès lors que les caractéristiques techniques des différentes offres présentent des performances finales équivalentes. L’objectif est bien d’inciter davantage de collectivités territoriales à s’interroger sur leur stratégie d’achat et à mieux intégrer les enjeux environnementaux.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour présenter l’amendement n° 245.
Mme Marie-Claude Varaillas. Il est défendu.
M. le président. Les quatre amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 127 rectifié est présenté par Mme Delattre, MM. Artano, Fialaire, Guiol, Requier, Bilhac, Cabanel et Gold et Mme Guillotin.
L’amendement n° 189 rectifié est présenté par MM. Menonville, Médevielle et Verzelen, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Decool et Chasseing, Mme Paoli-Gagin et MM. Capus et Wattebled.
L’amendement n° 215 rectifié est présenté par MM. Duplomb, J.M. Boyer et Klinger, Mmes Micouleau et Belrhiti, MM. Mandelli et Pointereau, Mme Joseph, MM. Grosperrin, Mouiller et Burgoa, Mme Berthet, M. Cambon, Mme Imbert, M. Segouin, Mme Bellurot, MM. B. Fournier et Houpert, Mme Dumont, MM. Lefèvre, Savary et de Nicolaÿ, Mmes Lassarade et Gosselin, MM. E. Blanc, Brisson et D. Laurent, Mme Lherbier et MM. Piednoir et Charon.
L’amendement n° 263 est présenté par M. Cuypers.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 9
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
Les produits ayant obtenu le label écologique de l’Union européenne en application du règlement (CE) n° 66/2010 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 établissant le label écologique de l’UE sont présumés satisfaire aux critères comprenant des aspects environnementaux. Ces critères sont hiérarchisés ou pondérés par rapport aux autres critères.
La parole est à M. Henri Cabanel, pour présenter l’amendement n° 127 rectifié.
M. Henri Cabanel. Il est défendu.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour présenter l’amendement n° 189 rectifié.
M. Daniel Chasseing. Cet amendement de Franck Menonville vise à prévoir que les produits ayant un label écologique de l’Union européenne sont présumés satisfaire aux critères comprenant les aspects environnementaux. Il a également pour objet de prévoir que ces critères soient hiérarchisés, pondérés par rapport aux autres critères.
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour présenter l’amendement n° 215 rectifié.
M. Laurent Duplomb. Défendu !
M. le président. L’amendement n° 263 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 227, présenté par MM. Fernique, Salmon, Breuiller, Benarroche, Dantec, Dossus, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Remplacer les mots :
peuvent figurer
par le mot :
figurent
La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Cet amendement concerne les conditions d’attribution d’un contrat de concession pour un soumissionnaire. Le Gouvernement propose que les critères environnementaux et sociaux puissent figurer en sus du critère économique. Ce serait une possibilité, mais en aucun cas une obligation.
Notre groupe propose de sortir de cet entre-deux en rendant obligatoire pour les acheteurs la prise en compte des critères environnementaux et sociaux dans les paramètres de la commande publique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. Les amendements nos 344 rectifié et 190 rectifié tendent à écraser la rédaction retenue par la commission. Nous avons pourtant explicité le fait que les acheteurs publics pouvaient déjà tenir compte de critères qualitatifs pour l’attribution d’un marché public en attendant l’entrée en vigueur de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, qui rendra obligatoire la prise en compte des critères environnementaux dans la commande publique.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
Cette même loi prévoit déjà qu’au moins un critère d’attribution des marchés publics ou des contrats de concession prenne en compte des caractéristiques environnementales, au plus tard en 2026. Or les amendements nos 157, 226, 222 rectifié, 389, 395 rectifié bis, 303 rectifié bis et 227 ont pour objet d’anticiper son entrée en vigueur tout en imposant la prise en compte de plusieurs critères qualitatifs dans l’attribution du marché ou du contrat de concession. Je ne souhaite pas revenir sur l’équilibre de cette loi. Comme de nombreux acteurs l’ont souligné lors des auditions, ce sera déjà un beau défi que de respecter les échéances de ce texte.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces sept amendements.
Le droit européen et le code de la commande publique prévoient que les marchés publics soient attribués selon des critères objectifs, précis et liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution. La contribution de l’offre à la résilience évoquée par les amendements identiques nos 302 rectifié bis et 338 rectifié bis constitue un critère pour le moins imprécis, qui pourrait être source d’insécurité juridique.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements.
Les amendements identiques nos 40 rectifié, 155 et 245 sont contraires au droit de l’Union européenne. C’est à l’acheteur de déterminer, au cas par cas, les critères et leur poids dans l’évaluation globale des offres. Les acheteurs ont l’obligation d’utiliser en tout état de cause non seulement un critère portant sur la qualité de l’offre, mais aussi un critère d’attribution portant sur le prix ou le coût. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur ces trois amendements.
Enfin, il revient aux acheteurs publics d’arrêter librement les critères environnementaux qui permettront d’attribuer les marchés publics. Prévoir que des labels sont présumés satisfaire ces critères, comme le font les amendements nos 127 rectifié, 189 rectifié et 215 rectifié, est contraire à cette approche. Cela reviendrait à contraindre le choix des acteurs publics, ce qui n’est conforme ni à l’esprit ni à la lettre du droit de la commande publique, non plus qu’aux directives européennes qui l’encadrent.
La commission émet un avis défavorable sur ces trois amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Je ne m’abriterai pas, cette fois, derrière le droit européen, même s’il a son importance. Au fond, tous ces amendements se résument à une seule question, essentielle : devons-nous obliger à un achat public vert ou seulement favoriser celui-ci ? Cela renvoie à la manière dont nous développons l’industrie verte et le verdissement de notre économie.
Si nous obligeons à un achat vert, nous renonçons à développer une industrie verte nationale. En effet, en 2023, si vous forcez une collectivité territoriale qui veut s’équiper en panneaux solaires à choisir un produit vert, comme le proposent les auteurs d’un certain nombre d’amendements, celle-ci n’achètera que des panneaux chinois. Je sais que certains y seraient favorables – nous avons eu le même débat au sein du Gouvernement.
Quand je dis qu’il faut réserver les primes aux véhicules électriques produits en Europe, certains m’appellent à donner aussi ces primes aux véhicules chinois, pour équiper au plus vite la France de véhicules électriques, peu importe que ceux-ci soient chinois ou français ; or pour moi, cela importe. Je préfère que ces véhicules soient français ou européens.
Il faut donc bien mesurer la portée de ces amendements. Si nous obligeons les achats publics à être verts dans certaines filières, nous obligerons les acheteurs publics à acheter chinois – je dis cela avec tout le respect que j’ai pour notre partenaire chinois. Pour certains produits, notamment les panneaux photovoltaïques, l’offre actuelle est exclusivement chinoise.
Je préfère donc que nous favorisions les produits verts tout en laissant la possibilité à l’acheteur d’attendre un peu qu’une offre française soit disponible, tout en retenant pour le moment une offre française, même si celle-ci n’est pas aussi vertueuse du point de vue climatique.
Je souhaite que chacun mesure bien l’importance de ce vote.
Je demande donc le retrait des amendements nos 344 rectifié et 190 rectifié, déjà satisfaits par l’alinéa 9 de l’article 13. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements nos 157, 226, 222 rectifié, 389, 395 rectifié bis et 303 rectifié bis. Je comprends la logique qui sous-tend ces amendements, mais je veux vraiment que chacun mesure les conséquences qu’aurait leur adoption. Si nous introduisons une obligation de respecter des critères environnementaux dans l’attribution des marchés publics avant 2026, délai prévu par la loi Climat et résilience, nous pénaliserons certaines filières françaises, qui ne sont pas prêtes.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements nos 302 rectifié bis et 338 rectifié bis, car on ne peut imposer de critères sur la résilience et les pays d’origine que sur certains produits sensibles.
Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur les amendements nos 40 rectifié, 155, et 245 : il est bon d’introduire un critère environnemental, mais il n’est pas possible de neutraliser complètement le critère de prix. Sinon, nous favoriserons l’émergence de monopoles et des entreprises arriveront et proposeront des produits verts à des prix prohibitifs. Obliger l’acheteur public à privilégier l’offre la plus écologique sans tenir compte du prix est non seulement contraire au droit européen, mais aussi dangereux pour les acheteurs.
Je demande le retrait des amendements nos 127 rectifié, 189 rectifié et 215 rectifié. Le label écologique européen peut faire partie des critères déterminés par l’acheteur, mais il ne peut être imposé de manière transversale. Comme vous le savez, chaque marché est soumis à des critères liés à son objet.
Enfin, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 227, qui soulève aussi la question de l’obligation de respecter un critère environnemental dans un contrat de concession.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je comprends les arguments de M. le ministre, qui a montré que l’instauration immédiate de critères environnementaux ne favoriserait pas l’émergence de filières françaises.
Je pense que nous sommes piégés par l’absence de critères de proximité. Cette dernière est pourtant un élément écologique important en ce qu’elle réduit les retombées environnementales liées au transport. Tant que le gouvernement français ne fait pas preuve de détermination pour créer un rapport de force en Europe en faveur de l’introduction d’un critère de proximité, nous aurons le plus grand mal à faire émerger des filières françaises. La commande publique joue un rôle déterminant.
Je me souviens de discussions lorsque je siégeais au Parlement européen : mes collègues prônaient le principe de subsidiarité et la proximité dans les discours, mais, quand il s’agissait de passer à l’action sur les marchés, ce principe n’était plus valable ! Il est important d’établir une certaine solidarité entre l’action publique, l’impôt public, payé localement, et le soutien à certaines filières industrielles.
Pendant des années, on nous a promis que cela ferait baisser les prix ; las, cela a contribué à la désindustrialisation de notre pays ! Dans le rapport de force européen, il est essentiel que nous puissions introduire le critère de proximité dans les marchés publics.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Je ne partage pas tout à fait votre lecture, monsieur le ministre. L’amendement de M. Fernique vise à rendre obligatoire la prise en compte des critères environnementaux parmi les critères de choix de l’offre la plus avantageuse.
Il ne s’agit donc pas d’introduire un critère environnemental exclusif, mais de souligner que ce critère doit absolument être pris en compte. C’est une incitation forte.
Vous nous dites que l’industrie française n’est pas prête. Il est donc d’autant plus nécessaire de l’inciter fortement. Si nous ne le faisons pas, elle ne sera peut-être jamais prête. Il est crucial que ces critères soient imposés partout et je suis convaincu que nous pouvons progresser rapidement dans ce sens.
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour explication de vote.
M. Philippe Folliot. Je crois que les propos que vous venez de tenir sont empreints de sagesse, monsieur le ministre. À la fin des années 2000, le premier plan de production photovoltaïque dans notre pays a été mis en œuvre exclusivement avec des panneaux importés, principalement de Chine, ou au mieux d’Allemagne, car il n’y avait aucune filière industrielle nationale structurée. (M. le ministre le confirme.)
C’est un enjeu important, qu’il faut considérer dans une vision globale : quel est le coût écologique d’un objet qui vient de l’autre bout du monde, même s’il permet de produire de l’électricité propre ? Il est essentiel de profiter de notre volonté d’établir une industrie verte, à la fois aux échelons national et européen, pour que cet appel d’air et ces opportunités de marché favorisent le développement de nos filières, nationales et européennes. C’est donc bien un enjeu majeur.
Marie-Noëlle Lienemann a raison : nous devrons également nous poser la question d’une taxe carbone à l’entrée de l’Europe, afin que tous les produits provenant de l’autre bout du monde contribuent au financement de cette politique majeure et indispensable qu’est la stratégie de décarbonation de notre économie.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.
Mme Angèle Préville. Nous ne pourrons échapper à la véritable question, que nous n’avons pas encore envisagée, à savoir l’ensemble du cycle de vie d’un objet, d’un produit manufacturé.
En effet, il y a la fabrication, le transport, et cela croise des points qui ont déjà été évoqués. Le coût environnemental d’un panneau photovoltaïque fabriqué en Chine n’est pas le même que celui d’un panneau fabriqué en France. Il est temps de dépasser cette vision fragmentée et de prendre en compte non seulement l’objet lui-même, mais aussi tout ce qui précède sa fabrication, son transport, et tout ce qui se passe avant son utilisation. Dans mon amendement, j’inclus tous ces aspects, c’est-à-dire la performance environnementale, que je considère également dans le contexte de tout ce qui précède la fabrication.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Sur la prise en compte du cycle de vie et de la performance environnementale, je suis tout à fait d’accord avec vous, madame la sénatrice. C’est d’ailleurs ce que nous proposerons de faire avec les bonus pour les véhicules électriques, car un véhicule électrique produit en France, en Allemagne ou en Europe n’a pas le même impact environnemental ni le même cycle de vie qu’un véhicule électrique produit en Chine.
Notre seul point de divergence, monsieur le sénateur Salmon, c’est que nous proposons, à l’article 13, de mettre au même niveau le critère écologique et le critère de prix pour l’acheteur. Ainsi, si vous adoptez cet article, l’acheteur pourra prendre sa décision en fonction non seulement du prix, mais aussi de la qualité écologique de l’entreprise et du produit. Mais nous n’allons pas, comme vous, jusqu’à proposer de substituer au critère de prix le seul critère écologique, car cela pourrait avoir des conséquences financières importantes pour le contribuable.
J’ai un point d’accord avec Mme Lienemann, mais je suis plus réservé sur un autre point. Je comprends bien que le critère de proximité puisse être plus favorable à l’environnement. Mais nous sommes dans un marché unique européen. Dès lors, fixer des critères de proximité, pour dire le fond de ma pensée, serait très risqué pour de nombreuses PME françaises. Une entreprise des Vosges qui fabriquerait, par exemple, des objets en bois et les exporterait vers la Pologne ou la République tchèque, où des entreprises locales fabriquent les mêmes types d’objets, se verrait fermer ses marchés. Cela pourrait poser un problème majeur, y compris pour les marchés publics, lorsqu’il s’agit de produits tels que le bois ou d’autres produits similaires. De plus, cela constituerait une atteinte directe au marché unique européen que d’imposer de privilégier un produit de proximité.
En revanche, le point sur lequel je vous rejoins, et sur lequel nous avons un véritable débat à l’échelle européenne, c’est justement le contenu européen. Mais je pense qu’il vaut mieux porter cette question au niveau politique, au Conseil et au Parlement, plutôt que le Parlement français n’adopte une loi ouvertement contraire à la législation européenne.
Je suis favorable à ce que, demain, l’Union européenne privilégie, dans les marchés publics, les produits à contenu européen. C’est un combat, pour être franc, que nous n’avons pas encore gagné. Nous avons remporté un certain nombre de batailles au cours des six dernières années avec le Président de la République, par exemple sur l’idée d’avoir des aides d’État, des subventions, des crédits d’impôt pour l’industrie, qui paraissait totalement hors de portée. Nous avons gagné le combat sur la dette en commun, aussi : un certain nombre de tabous sont tombés sous l’impulsion de la France.
Le prochain combat, pour moi, c’est le contenu européen. La Chine privilégie systématiquement ses produits à contenu chinois. Aux États-Unis, l’Inflation Reduction Act repose tout entier sur un principe : le contenu américain. Et nous, en Europe, nous n’accepterions pas de privilégier les produits ayant un contenu européen plus important ? Ce serait une erreur.
Mais je vous propose, madame Lienemann, de livrer ce combat au Conseil, au Parlement européen et dans les instances européennes, plutôt que d’adopter ici un texte qui serait contraire au droit en vigueur.
M. Jean-François Longeot. Je retire l’amendement n° 303 rectifié bis, monsieur le président !
M. Rémi Cardon. Je retire l’amendement n° 389, monsieur le président !
Mme Martine Berthet. Je retire l’amendement n° 395 rectifié bis, monsieur le président !
M. le président. Les amendements nos 303 rectifié bis, 389, 395 rectifié bis sont retirés.
Je mets aux voix l’amendement n° 222 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 302 rectifié bis et 338 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Je retire l’amendement n° 40 rectifié, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 40 rectifié est retiré.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 155 et 245.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 127 rectifié, 189 rectifié et 215 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 103, présenté par MM. Fernique, Salmon, Breuiller, Benarroche, Dantec, Dossus, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
Les critères environnementaux pris en considération par l’acheteur englobent l’ensemble de la chaîne de production et le cycle de vie du produit. Sont notamment évalués, le bilan carbone, l’écoconception du produit, son réemploi, sa réutilisation, et à défaut, sa recyclabilité.
La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Je ne crois pas que la prise en considération par l’acheteur du bilan carbone, de l’écoconception du produit, du réemploi, de la réutilisation et, à défaut, de la possibilité de recycler le produit favorise mécaniquement les produits chinois. Cet amendement vise donc à verdir sérieusement notre industrie.
M. le président. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. Il s’agit de prendre en compte des critères environnementaux pour l’attribution d’un contrat de concession, qui engloberaient l’ensemble de la chaîne de production et le cycle de vie du produit.
Les critères environnementaux permettant d’attribuer un contrat de concession sont librement arrêtés par les acheteurs publics. Nul besoin de préciser que les critères pris en considération par l’acheteur englobent l’ensemble de la chaîne de production et le cycle de vie du produit.
De surcroît, ces critères environnementaux, qui pourront être intégrés, devront avoir un lien avec l’objet du contrat de concession, comme l’exige le droit européen. Il n’est donc pas certain que des critères environnementaux englobant l’ensemble de la chaîne de production et le cycle de vie du produit répondent systématiquement à cette condition. C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Comme le rapporteur vient de l’indiquer, chaque critère doit être défini en fonction de l’objet du marché. Je rappelle que l’article 13 donne la faculté d’intégrer un critère lié au cycle de vie dans les marchés publics. Nous souhaitons éviter une obligation, qui risquerait paradoxalement de fragiliser à la fois les donneurs de marché et les entreprises françaises.
M. le président. L’amendement n° 204, présenté par M. Genet, est ainsi libellé :
Alinéas 18 et 19
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Fabien Genet.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Il est défavorable, puisque le Gouvernement était déjà défavorable à l’amendement qui suscite cette coordination !
M. le président. L’amendement n° 327, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 20
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué. En commission, M. le rapporteur a proposé de supprimer des critères l’obligation de publier un Beges au profit d’un quintuplement des amendes pour non-atteinte des obligations. Nous partageons l’objectif de faire respecter le Beges, mais nous préférons l’intégrer de manière facultative dans les marchés publics.
Par ailleurs, porter les amendes à 50 000 euros nous semble excessif. Nous aurions pu envisager 15 000 euros ou 20 000 euros… Nous proposons donc de supprimer le quintuplement de l’amende, tout en restant ouverts à une solution moins ambitieuse, mais tout aussi efficace.
M. le président. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. Je suis quelque peu déçu des propos de M. le ministre. Je pensais avoir bien écouté tous les arguments donnés par M. Le Maire sur l’importance du Beges aux yeux du Gouvernement.
Pour atteindre l’objectif affiché à l’article 13, il nous a semblé plus efficace de relever le niveau maximal de ces sanctions financières. Pour mémoire, elles s’établissent, dans le code de l’environnement, à 10 000 euros et 20 000 euros en cas de récidive. C’est trop faible pour être dissuasif.
Il faut également prendre en compte le coût d’établissement d’un Beges, souvent inférieur à ces niveaux de sanction. Au vu du nombre d’entreprises qui ne respectent pas cette obligation, il nous semble utile de conserver le niveau de sanction prévu par la commission.
Pour ces raisons, je suis au regret d’émettre un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 13, modifié.
(L’article 13 est adopté.)
Après l’article 13 (priorité)
M. le président. L’amendement n° 128 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, M. Artano, Mme Pantel, MM. Fialaire, Guiol, Requier, Bilhac, Cabanel et Gold et Mme Guillotin, est ainsi libellé :
Après l’article 13
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 2112-3 du code de la commande publique est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elles peuvent ainsi être issues du réemploi et de la réutilisation. » ;
2° Au second alinéa, les mots : « jusqu’à l’élimination », sont remplacés par les mots : « jusqu’au réemploi ».
La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Compte tenu du poids économique de la commande publique, les donneurs d’ordre publics ont un rôle à jouer dans la transformation des usages et des marchés fournisseurs.
Afin de faire de la commande publique un levier de développement de l’économie circulaire, cet amendement vise à intégrer expressément les notions de réemploi et de réutilisation dans les dispositions du code de la commande publique relatives aux conditions d’exécution des marchés publics de travaux ou de fournitures.
Cet amendement a été préparé avec le collectif Réemploi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. Je comprends l’intention de notre collègue, mais, au travers de son amendement, il prévoit que les conditions d’exécution du marché public « peuvent » être issues du réemploi et de la réutilisation. Dans la mesure où je perçois mal la portée juridique de cette disposition, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Henri Cabanel. Je retire cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 128 rectifié est retiré.
Je suis saisi de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les quatre premiers sont identiques.
L’amendement n° 73 rectifié bis est présenté par MM. Anglars, Mandelli, J.B. Blanc, Duplomb, Cardoux, Gremillet, de Nicolaÿ et Belin, Mme Imbert, MM. Tabarot, Calvet, Burgoa, Chevrollier et Bouchet, Mmes F. Gerbaud, Belrhiti et Borchio Fontimp, M. B. Fournier, Mme Garriaud-Maylam, M. Klinger, Mme Micouleau, MM. J.M. Boyer, Brisson, Bascher, Sol, Perrin, Rietmann et D. Laurent, Mmes Gosselin et Dumont, MM. Segouin et Laménie et Mme Joseph.
L’amendement n° 129 rectifié est présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Fialaire, Guiol, Requier, Bilhac, Cabanel et Gold et Mme Guillotin.
L’amendement n° 210 rectifié quater est présenté par Mme Saint-Pé, MM. J.M. Arnaud, Canévet, Capo-Canellas, S. Demilly, Détraigne et Duffourg, Mme Férat, MM. Folliot, Henno, Le Nay, Longeot et Louault, Mmes Vermeillet, Billon et de La Provôté et M. Kern.
L’amendement n° 390 est présenté par M. Cardon.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 13
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 2172-6 du code de la commande publique, il est inséré un article L. 2172-… ainsi rédigé :
« Art. L. 2172-…. – I. – Lorsqu’un marché soumis aux exigences du présent code s’inscrit dans le cadre d’une opération ou d’un aménagement visés aux articles L. 312-1 et L. 312-3 du code de l’urbanisme, ou a pour objet la réalisation d’un ouvrage de bâtiment, ou la réalisation d’une infrastructure de réseau relevant du titre Ier du Livre Ier de la Deuxième partie du code des transports, l’acheteur s’assure que les produits et matériaux utilisés pour la construction de cet ouvrage, pour une proportion déterminée par décret en Conseil d’État, ont été acquis auprès des fournisseurs et sous-traitant de premier et second rangs :
« 1° En prenant en compte une logique de production locale et de circuits courts ;
« 2° Ou bénéficient de signes dont l’utilisation est subordonnée au respect de règles destinées à favoriser la qualité des produits ou la préservation de l’environnement ;
« 3° Ou bénéficient de l’écolabel ;
« 4° Ou satisfont, au sens de l’article 43 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE, de manière équivalente, aux exigences définies par ces signes, mentions, écolabel ou certification.
« II. – Le décret mentionné au premier alinéa du I précise les modalités d’application du présent article, notamment :
« 1° La signification de la production locale et des circuits courts au sens du 1° du I ;
« 2° La liste des signes et mentions à prendre en compte au titre du 3° du I ;
« 3° Les modalités de justification de l’équivalence prévue au 4° du I, notamment les conditions dans lesquelles celle-ci fait l’objet, pour les produits mentionnés, d’une certification par un organisme indépendant. »
La parole est à M. Jean-Claude Anglars, pour présenter l’amendement n° 73 rectifié bis.
M. Jean-Claude Anglars. Nous avons bien entendu la distinction opérée par M. Le Maire entre inciter la commande publique, voire favoriser l’achat vert, ou l’y contraindre.
Toutefois, la question essentielle est celle de la logique financière actuelle qui ne favorise pas le développement d’une commande publique plus verte, faute de contraintes raisonnées.
Cet amendement tend, d’une part, à imposer une proportion minimale d’achats qualitatifs et responsables lorsque la commande publique porte sur la fourniture d’un bâtiment, d’autre part, à encourager cette même commande publique à se tourner vers les matériaux bénéficiant d’une indication géographique représentative du patrimoine français.
Dans le droit fil des objectifs du Gouvernement, l’adoption de cet amendement permettrait aux collectivités et à l’État de sortir d’une logique exclusivement financière qui les conduit bien souvent à se fournir en Asie ou dans d’autres parties du monde, alors que ces matériaux sont disponibles sur nos territoires ou en Europe.
Avec l’augmentation des coûts, l’allongement des délais et les pénuries, les Français comprennent de moins en moins que l’on s’approvisionne ailleurs, d’autant que cela a un coût environnemental certain.
En effet, de telles décisions ne prennent pas en compte les externalités environnementales liées au transport sur des milliers de kilomètres, ce qui est difficilement conciliable avec les engagements de la France en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et les efforts à entreprendre pour y parvenir.
Ces décisions sont prises au détriment des entreprises qui produisent des matériaux en France et, plus globalement, des secteurs économiques qui nous permettent de préserver un savoir-faire, notre patrimoine et notre souveraineté économique.
Il existe déjà des dispositifs juridiques imposant une proportion minimale d’achats responsables et qualitatifs dans d’autres secteurs. Je pense à la restauration collective, avec la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous du 30 octobre 2018, dite loi Égalim.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour présenter l’amendement n° 129 rectifié.
M. Henri Cabanel. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé, pour présenter l’amendement n° 210 rectifié quater.
Mme Denise Saint-Pé. Il est défendu.
M. le président. La parole est à M. Rémi Cardon, pour présenter l’amendement n° 390.
M. Rémi Cardon. Il est également défendu.
M. le président. L’amendement n° 153 rectifié, présenté par Mmes Bonnefoy, Préville et Briquet, MM. Montaugé, Marie, Kanner, J. Bigot et Devinaz, Mme M. Filleul, MM. Gillé, Houllegatte, Jacquin et Lurel, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, M. Mérillou, Mme Monier, MM. Redon-Sarrazy, Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 13
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 2172-6 du code de la commande publique, il est inséré un article L. 2172-… ainsi rédigé :
« Art. L. 2172-…. – Lorsqu’un marché soumis aux exigences du présent code s’inscrit dans le cadre d’une opération ou d’un aménagement visés aux articles L. 312-1 et L. 312-3 du code de l’urbanisme, ou a pour objet la réalisation d’un ouvrage de bâtiment, ou la réalisation d’une infrastructure de réseau relevant du titre Ier du Livre Ier de la deuxième partie du code des transports, l’acheteur s’assure auprès du ou des fournisseurs et sous-traitant de premier et second rangs, qu’une part des produits et matériaux utilisés pour la construction de cet ouvrage, remplissent l’une des conditions suivantes :
« a) Les produits et matériaux ont été acquis en prenant en compte une logique de circuits courts ;
« b) Les produits et matériaux bénéficiant d’un label, d’une certification ou d’un signe remplissant les conditions mentionnées à l’article 43 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE, de manière équivalente, aux exigences définies par ces signes, mentions, écolabel ou certification.
« Les modalités d’application du présent article sont précisées par décret.
« Le présent article entre en vigueur le 1er juillet 2024. »
La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Dans le prolongement de mon précédent amendement pour une commande publique toujours plus ambitieuse, cet amendement vise à protéger notre industrie nationale et européenne de produits et matériaux de construction.
Le développement des circuits courts est crucial dans la réduction des émissions liées aux transports, participe de la valorisation de nos entreprises et de nos industries et contribue à notre souveraineté.
Les circuits courts doivent donc être à la fois intégrés à la commande publique et combinés avec les labels privés dont le cadre a été posé par la directive européenne sur les marchés publics de 2014 et qui valorisent les entreprises s’inscrivant dans des démarches volontaristes en faveur de l’environnement.
Tant d’un point de vue environnemental qu’au regard de l’indépendance de notre filière nationale de la construction, protéger l’approvisionnement local en matériaux est primordial pour éviter l’importation depuis des pays lointains avec un bilan carbone catastrophique.
(Mme Nathalie Delattre remplace M. Vincent Delahaye au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre
vice-présidente
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. En ce qui concerne les amendements identiques nos 73 rectifié bis, 129 rectifié, 210 rectifié quater et 390, j’entends les remarques de bon sens qui ont été formulées. Toutefois, ainsi que M. le ministre l’a rappelé précédemment, le droit européen interdit la prise en compte de considérations géographiques dans la commande publique. Préciser, comme le font les auteurs de ces amendements, que l’acheteur public doit veiller à ce qu’une part des matériaux utilisés pour la construction d’un ouvrage soit issue d’une production locale est contraire au principe européen de non-discrimination.
Pour ces raisons, j’émettrai un avis défavorable sur ces amendements.
L’amendement n° 153 rectifié, quant à lui, ne fait pas référence à la production locale, mais aux seuls circuits courts, caractérisés par un faible nombre d’intermédiaires. N’imposant pas la prise en compte de considérations géographiques dans la commande publique, il ne nous semble pas contraire au droit de l’Union européenne.
Toutefois, comme les autres amendements, son adoption conduirait à rendre obligatoire la prise en compte de critères qualitatifs dès le 1er juillet 2024, quand la loi Climat et résilience ne prévoit la prise en compte obligatoire des critères environnementaux qu’en 2026. Il ne nous semble pas pertinent d’accélérer ce calendrier. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Si nous ne souhaitons pas que les PME et ETI françaises soient empêchées d’accéder à la commande publique à l’étranger, n’imposons pas de telles contraintes à leurs homologues allemandes ou belges. Nous devons veiller à ne pas obérer notre capacité à exporter en adoptant de telles mesures qui semblent pourtant frappées au coin du bon sens.
Nous partageons votre souci de proximité et souhaitons avancer sur les critères environnementaux. S’agissant des fournisseurs asiatiques, que vous avez mentionnés, Bruno Le Maire a rappelé voilà quelques instants que nous aimerions pousser à la mise en place de mesures de préférence européenne à l’échelle européenne. Nous préférons le faire à cet échelon, même si cela n’est pas facile, plutôt que de risquer de braquer certains de nos partenaires avec une loi française.
Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable aux amendements identiques.
Pour ce qui concerne l’amendement n° 153 rectifié, je précise que la phrase qui prévoit que « les produits et matériaux ont été acquis en prenant en compte une logique de circuits courts » est contraire au droit européen, car elle induit implicitement une logique de proximité. Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. J’entends vos arguments, monsieur le ministre, mais nous avons déjà introduit des proportions minimales d’achats responsables et qualitatifs dans la loi Égalim : la restauration collective doit désormais utiliser des produits biologiques et de proximité. Pourquoi cela ne fonctionnerait-il pas ici aussi ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’ai bien entendu l’argument de M. Le Maire : comme cela n’est pas prévu par la loi européenne, le Parlement doit attendre bien gentiment que le Gouvernement essaye de créer un rapport de force permettant la prise en compte du critère de proximité.
Le rôle du Parlement est aussi d’alerter les pouvoirs publics et d’envoyer un message à nos amis européens. Pendant des années, dire qu’il fallait un Small Business Act européen ou qu’il fallait privilégier les achats européens était considéré comme un crime de lèse-majesté. C’est désormais à la mode : la crise de la mondialisation libérale a bien prouvé qu’il faut des règles et que le grand déménagement du monde ne sert à rien.
Je connais bien le discours selon lequel l’important, c’est d’acheter européen. Mais, au vu de l’état de la désindustrialisation française, si nous ne prenons pas de mesures plus favorables au Made in France et à l’achat français par les pouvoirs publics, nous favoriserons l’industrie allemande et toutes les entreprises délocalisées en Europe de l’Est. N’oublions pas que le gros de la délocalisation française a eu lieu non pas en direction de la Chine, mais vers les pays de l’Est et un peu vers le Maghreb.
Nous avons besoin d’un rééquilibrage intraeuropéen et de plus de cohérence et de souveraineté européennes ; autrement, nous resterons des nains industriels. Nous réussirons peut-être à sauver la face sur un ou deux secteurs, mais globalement notre tissu industriel ne reprendra aucune vigueur.
Je doute que la petite entreprise artisanale des Vosges, à laquelle j’attache beaucoup d’importance, réponde à de nombreux appels d’offres polonais… Elle peut avoir un réseau de distribution, mais je ne pense pas qu’elle soit en mesure de répondre à un appel d’offres public. Quoi qu’il en soit, cela n’est pas de nature à solidifier cet artisanat.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué. Nous partageons le même objectif, celui de renforcer l’industrie française en général et l’industrie verte en particulier. Nous souhaitons avoir des géants plutôt que des nains, et cela commence à porter ses fruits : on ouvre des gigafactories dans le secteur des batteries, sur lequel la France acquiert progressivement un avantage compétitif.
Toutefois, prenons garde de ne pas nous tirer une balle dans le pied. Avec vos critères, une entreprise allemande proche de la frontière qui répondrait à un appel d’offres de la ville de Strasbourg serait avantagée par rapport à une entreprise de Bretagne ou d’Occitanie… (Mme Marie-Noëlle Lienemann le conteste.) Le plus efficace, c’est d’intégrer l’ensemble du bilan environnemental des achats.
Monsieur le rapporteur pour avis, ma langue a légèrement fourché : il est vrai que l’amendement n° 153 rectifié ne tient pas formellement compte de la proximité. Mon avis reste cependant défavorable, pour les mêmes raisons que celles de la commission.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 73 rectifié bis, 129 rectifié, 210 rectifié quater et 390.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 55 rectifié, présenté par MM. Sautarel, Burgoa et Cambon, Mmes Belrhiti et Dumont, M. Reichardt, Mmes Goy-Chavent, Bellurot et Ventalon, MM. Tabarot et E. Blanc, Mme Gruny, MM. Brisson, Lefèvre, Meurant, Klinger, Mouiller, Gueret, Charon, Belin, Laménie, Mandelli, Darnaud et Bascher, Mme F. Gerbaud, MM. Bouchet et de Nicolaÿ, Mmes Joseph et Gosselin et MM. B. Fournier, Piednoir et Rapin, est ainsi libellé :
Après l’article 13
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 2521-5 du code de la commande publique, il est ajouté un article L. 2521-… ainsi rédigé :
« Art. L. 2521-…. – I. – Sans contrevenir aux règles générales applicables aux marchés publics, les marchés publics conclus par un pouvoir adjudicateur mentionné à l’article L. 2514-2 du code de la commande publique sont attribués au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l’offre la plus avantageuse en termes de critères environnementaux ou sociaux.
« Seront valorisées les offres ayant une empreinte carbone et environnementale la plus limitée, en prenant en compte l’ensemble du cycle de vie de la production, préservant le patrimoine commun de la nation et respectant les principes définis à l’article L. 110-1 du code de l’environnement.
« II. – Les modalités d’application du présent article sont prévues par voie réglementaire. »
La parole est à M. Stéphane Sautarel.
M. Stéphane Sautarel. Cet amendement vise à favoriser les filières françaises de l’industrie verte, notamment de production d’énergies renouvelables, en intégrant de nouveaux critères dans la commande publique.
La production d’énergies renouvelables repose sur des processus industriels de fabrication technique et des équipements à fort impact carbone et environnemental.
Les entreprises françaises et européennes qui produisent sur notre sol ces composants nécessaires à la création des dispositifs de production d’énergie doivent être les premières bénéficiaires de la commande publique. Afin de garantir une souveraineté énergétique française et européenne durable et propre, il est urgent de donner la priorité aux solutions françaises et européennes par rapport à l’importation.
C’est pourquoi cet amendement tend à intégrer de nouveaux critères dans la commande publique afin de favoriser les filières françaises de l’industrie verte en cohérence avec l’article L. 2514-2 du code de la commande publique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. J’entends les arguments de M. Sautarel, mais les dispositions de cet amendement me semblent contraires au droit de l’Union européenne.
Selon les directives, les acheteurs ont l’obligation d’utiliser et un critère portant sur la qualité de l’offre et un critère relatif au prix ou au coût. Il n’est pas possible de prévoir la seule prise en compte des critères environnementaux ou sociaux, y compris pour des marchés ayant trait à l’achat d’énergie ou de combustibles destinés à la production d’énergie.
Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Ainsi rédigé, votre amendement tend à supprimer le critère de prix. Dès lors, on pourrait choisir n’importe quel tarif pour un marché public à condition que l’offre soit mieux-disante du point de vue environnemental ou social. Je me méfie de cette disposition.
Si je partage l’objectif visé par M. Sautarel, les dispositions de cet amendement vont trop loin pour la bonne tenue de nos finances publiques, notamment locales.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour explication de vote.
M. Stéphane Sautarel. Compte tenu des arguments qui me sont opposés, je vais retirer mon amendement.
Je tiens cependant à souligner que le code de la commande publique permet de valoriser les offres ayant une empreinte carbone et environnementale plus limitée, dans le respect de la réglementation européenne. (M. le ministre délégué le confirme.) Certes, mon amendement est mal rédigé et ne devrait pas aboutir à écarter complètement le critère du prix, raison pour laquelle je le retire, mais tâchons à l’avenir de mieux prendre en compte l’empreinte carbone globale dans nos marchés publics.
Mme la présidente. L’amendement n° 55 rectifié est retiré.
Je suis saisie de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 53 rectifié est présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. Capus, A. Marc, Chasseing et Guerriau, Mme Mélot et MM. Grand, Wattebled, Lagourgue, Malhuret, Decool et Menonville, est ainsi libellé :
Après l’article 13
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le I de l’article L. 224-7 du code de l’environnement est ainsi rédigé :
« I. – Les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices définis aux articles L. 1211-1 et L. 1212-1 du code de la commande publique, qui gèrent directement ou indirectement des véhicules automobiles, acquièrent ou utilisent, lors du renouvellement annuel de leur parc, dans des proportions minimales définies par décret :
« 1° soit des véhicules à faibles émissions et à très faibles émissions, dans des proportions minimales fixées, selon la catégorie de véhicules et les périodes considérées, aux articles L. 224-8 à L. 224-8-2 ;
« 2° soit des véhicules à faibles émissions et à très faibles émissions dont la motorisation thermique a fait l’objet d’une transformation en motorisation électrique à batterie, à pile à combustible ou à hydrogène. »
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Le rétrofit constitue un maillon important du verdissement de l’industrie automobile. Il permet à des entreprises situées en France d’utiliser des véhicules thermiques présents dans notre pays pour les convertir en véhicules électriques ou à pile à combustible.
Les appels d’offres réalisés dans le cadre de marchés publics pour le remplacement de véhicules lourds sont pensés et structurés pour l’acquisition de véhicules neufs. Les territoires doivent aussi envisager le rétrofit comme une solution dans le cadre du renouvellement des flottes de véhicules.
Il convient donc d’intégrer cette technologie dans les obligations instaurées par la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, dite LOM, pour le renouvellement des flottes d’entreprise, afin d’accélérer le verdissement du parc automobile.
Nous proposons donc d’accélérer le développement du rétrofit en France en soutenant l’industrialisation des chaînes de production, ce qui servira la réindustrialisation, la décarbonation et l’économie circulaire.
Mme la présidente. L’amendement n° 110 rectifié ter, présenté par M. Canévet, Mme N. Goulet, MM. Bonnecarrère, Folliot et Duffourg, Mme Saint-Pé, MM. Bonneau et Kern, Mmes Billon et Doineau, M. Détraigne, Mmes Férat, Gacquerre, de La Provôté, Jacquemet et Havet et MM. Le Nay, Cigolotti, Delcros et J.M. Arnaud, est ainsi libellé :
Après l’article 13
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le I de l’article L. 224-7 du code de l’environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices définis par les articles L. 1211-1 et L. 1212-1 du code de la commande publique, qui gèrent directement ou indirectement des véhicules automobiles, acquièrent ou utilisent, lors du renouvellement annuel de leur parc, des véhicules à faibles émissions et à très faibles émissions, dont la motorisation thermique a fait l’objet d’une transformation en motorisation électrique à batterie ou à pile à combustible, dans des proportions minimales définies par décret. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Ainsi que vient de l’exposer ma collègue, le rétrofit permet de donner une seconde vie plus vertueuse à des véhicules polluants.
Mme la présidente. Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 71 rectifié est présenté par M. Chevrollier, Mme Belrhiti, MM. Belin, E. Blanc, Brisson, Burgoa et Charon, Mmes Demas et Di Folco, M. B. Fournier, Mmes Garriaud-Maylam, F. Gerbaud et Gosselin, M. Gremillet, Mme Imbert, M. Laménie, Mme Lassarade, MM. Mandelli, de Nicolaÿ, Piednoir, Pointereau, Sol et Tabarot, Mme Ventalon et MM. C. Vial et J.P. Vogel.
L’amendement n° 156 rectifié est présenté par Mmes Préville et Briquet, MM. Montaugé, Marie, Kanner et J. Bigot, Mme Bonnefoy, M. Devinaz, Mme M. Filleul, MM. Gillé, Houllegatte, Jacquin et Lurel, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, M. Mérillou, Mme Monier, MM. Redon-Sarrazy, Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 192 rectifié est présenté par MM. Fernique, Salmon, Breuiller, Benarroche, Dantec, Dossus, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 13
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le I de l’article L. 224-7 du code de l’environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices définis par les articles L. 1211-1 et L. 1212-1 du code de la commande publique, qui gèrent directement ou indirectement des véhicules automobiles, acquièrent ou utilisent, lors du renouvellement annuel de leur parc, des véhicules à faibles émissions et à très faibles émissions, dont la motorisation thermique a fait l’objet d’une transformation en motorisation électrique à batterie ou à pile à combustible, au bioGNV ou à l’hydrogène, dans des proportions minimales définies par décret. »
La parole est à M. Cédric Vial, pour présenter l’amendement n° 71 rectifié.
M. Cédric Vial. Cet amendement de M. Chevrollier a pour objectif de contribuer au verdissement de notre industrie en accélérant le développement du rétrofit électrique à batterie, à pile à combustible ou au bioGNV. Concrètement, il s’agit d’adapter les obligations instaurées par la loi d’orientation des mobilités de 2019 en matière de renouvellement des flottes de véhicules d’entreprise.
Les avantages écologiques, économiques et techniques du rétrofit ne sont plus à prouver. Il contribue notamment à l’amélioration de la qualité de l’air et permet d’anticiper la fin de vie du parc de véhicules thermiques en 2035.
Par ailleurs, les véhicules utilitaires légers et les poids lourds utilisés dans l’industrie et dans le secteur du bâtiment roulent encore massivement au diesel et seront donc les plus concernés par la mise en place des zones à faibles émissions (ZFE). Dans ce contexte, le rétrofit constitue une vraie solution, facilement disponible, car cette technologie est pleinement maîtrisée par les constructeurs européens.
Enfin, les appels d’offres des marchés publics ayant pour objet le remplacement de véhicules lourds sont conçus pour l’acquisition de véhicules neufs. Or il est indispensable que nos territoires puissent prendre en compte le rétrofit pour renouveler leurs flottes de véhicules, celui-ci abaissant le coût d’entrée vers des mobilités moins carbonées.
Mme la présidente. La parole est à Mme Angèle Préville, pour présenter l’amendement n° 156 rectifié.
Mme Angèle Préville. Le rétrofit permet de donner une seconde vie plus vertueuse à des véhicules polluants sans les mettre au rebut. On imagine facilement le problème que poserait la mise au rebut de tous nos véhicules thermiques dans un temps très court !
Le rétrofit abaisse le coût d’entrée vers une mobilité plus durable et permet de proposer des véhicules durables, enjeu crucial dans le cadre de la mise en place des zones à faibles émissions.
Les appels d’offres des marchés publics ayant pour objet le remplacement de véhicules lourds sont pensés et structurés pour l’acquisition de véhicules neufs. Il est donc indispensable que nous adaptions les modalités d’application de la loi d’orientation des mobilités concernant le renouvellement des flottes d’entreprise dans l’objectif d’accélérer le verdissement du parc automobile, en intégrant cette technologie.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique, pour présenter l’amendement n° 192 rectifié.
M. Jacques Fernique. On parle beaucoup du rétrofit, mais on n’en a pas encore vu grand-chose… Il s’agit d’en accélérer enfin le déploiement via le levier des appels d’offres des marchés publics.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. Les acheteurs ont déjà l’obligation d’acquérir, lors du renouvellement annuel de leur parc, des véhicules à faibles et très faibles émissions, dans des proportions minimales définies par décret.
Faut-il en plus de ces dispositions prévoir un objectif spécifique d’acquisition de véhicules « rétrofités » pour les acheteurs publics ? Au regard des arguments évoqués, c’est une piste intéressante pour développer ce marché très spécifique.
Toutefois, au-delà du concept, sur le terrain, dans les concessions, à Digoin en Saône-et-Loire ou ailleurs, on voit peu de véhicules rétrofités. Monsieur le ministre, je souhaiterais en savoir plus sur la maturité de ce marché et disposer de quelques chiffres sur le développement du rétrofit en France.
La commission a émis un avis favorable sur les amendements identiques nos 71 rectifié, 156 rectifié et 192 rectifié qui proposent un critère cumulatif aux critères existants de renouvellement des flottes avec des véhicules à faibles ou très faibles émissions et qui ouvrent plus largement le champ des technologies du rétrofit.
La commission a en revanche émis un avis défavorable sur l’amendement n° 110 rectifié ter, qui se limite au seul rétrofit électrique, ainsi que sur l’amendement n° 53 rectifié. En outre, ce dernier amendement tend à faire du rétrofit un critère alternatif aux critères existants, ce qui risquerait d’affaiblir l’obligation de renouvellement des flottes.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. J’adore le rétrofit, superbe manière d’accélérer la transition écologique de notre parc de véhicules tout en sauvegardant le pouvoir d’achat de nos concitoyens.
Cette technique permet aussi de préserver le parc existant. Or l’on sait combien les Françaises et les Français sont attachés à leurs Clio, à leurs C5 ou à leurs 207, par exemple, alors qu’ils risquent d’être interdits de circulation en centre-ville dans les ZFE.
La France aussi adore de plus en plus le rétrofit. Des entreprises, qui sont en cours de développement, font du beau rétrofit. J’ai ainsi récemment visité l’entreprise GCK, à Aix-en-Provence, qui rétrofite des véhicules traditionnels vers de l’hybride rechargeable, ce qui coûte 7 000 euros. Je pense aussi à Refactory, entreprise chère à Mme la présidente Primas, à Flins, où Renault organise une activité de rétrofit. Voyez aussi Rev Mobilities à Paris ou encore le Méhari Club Cassis à Cassis. Les offres ne manquent pas et nous devons nous efforcer de favoriser leur développement.
C’est déjà le cas dans les marchés publics : les dispositions que vous évoquez permettent déjà aux acheteurs d’intégrer dans le cahier des charges de leur appel d’offres des véhicules rétrofités. Toutefois, en instaurant une obligation, on risque d’aboutir à des marchés dépassés et saucissonnés. Laissons les acheteurs choisir entre des véhicules électriques, des véhicules rétrofités en électrique ou en hydrogène, etc.
Je demande donc aux auteurs de ces amendements de bien vouloir les retirer. Profitons de ce débat pour inciter les acheteurs à utiliser le rétrofit dans leurs critères. C’est moins cher que l’électrique ; il est donc probable qu’un certain nombre d’entre eux le feront spontanément. Laissons l’industrie se développer : elle était balbutiante, hier ; aujourd’hui, elle accélère. Ne la fragilisons pas en forçant le cours des choses.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, pour explication de vote.
M. Didier Mandelli. Dans le cadre de la LOM, nous avions mis l’accent sur le rétrofit pour lancer la filière. Elle est désormais mature pour un grand nombre de véhicules.
Il me semble que les dispositions de l’amendement de M. Chevrollier, dont je suis cosignataire, pourraient même être étendues, car le rétrofit fonctionne pour tous les véhicules thermiques, y compris les tracteurs agricoles et les poids lourds. Les collectivités achètent des automobiles, mais également d’autres véhicules terrestres qui fonctionnent encore avec une énergie dont nous souhaitons la disparition.
Je suggère donc au rapporteur pour avis d’ajouter les mots « ou tout type de véhicule » dans l’amendement n° 71 rectifié.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Nous sommes peu nombreux à avoir vu des véhicules rétrofités. J’ai eu la chance de monter dans un bus rétrofité : cela fonctionne tout à fait correctement.
Ces véhicules permettent un gain environnemental énorme, car la construction d’un véhicule consomme beaucoup d’énergie grise. Si l’on peut le réutiliser grâce au rétrofit, c’est tout bénéfice et pour l’environnement et pour la ville qui va l’acheter. Un bus électrique neuf coûte 600 000 euros au bas mot, contre 150 000 à 200 000 euros pour un bus rétrofité.
Bien évidemment, ses performances seront moindres, notamment en matière d’autonomie, mais sur certaines lignes il rendra de bons et loyaux services.
Il s’agit non pas d’obliger, mais d’inciter fortement à l’acquisition de bus rétrofités. Les entreprises qui se lancent dans le rétrofit ont besoin de lisibilité. Avec des incitations fortes, elles auront l’assurance d’avoir un marché et pourront donc se lancer dans des investissements.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Je retire l’amendement n° 53 rectifié.
Mme la présidente. L’amendement n° 53 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 110 rectifié ter.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 71 rectifié, 156 rectifié et 192 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 13.
Je suis saisie de quatre amendements identiques.
L’amendement n° 163 est présenté par Mmes Préville et Briquet, MM. Montaugé, Marie, Kanner et J. Bigot, Mme Bonnefoy, M. Devinaz, Mme M. Filleul, MM. Gillé, Houllegatte, Jacquin et Lurel, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, M. Mérillou, Mme Monier, MM. Redon-Sarrazy, Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 168 rectifié est présenté par Mme Gosselin, MM. Anglars, Burgoa, Piednoir et Brisson, Mmes Belrhiti, Dumont et Di Folco, MM. Mandelli, Cambon, Tabarot, Belin et Savary, Mmes Garriaud-Maylam, Del Fabro et Bellurot et MM. Perrin, Rietmann, Lefèvre, Bouloux, Charon, Bouchet, Mouiller, Bacci, Gremillet et Rapin.
L’amendement n° 209 rectifié bis est présenté par Mme Havet, M. Buis, Mme Schillinger, M. Rohfritsch, Mmes Duranton et Phinera-Horth et M. Mohamed Soilihi.
L’amendement n° 262 rectifié est présenté par Mmes Cukierman et Varaillas, MM. Gay, Lahellec et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 13
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 36 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets est complété par une phrase ainsi rédigée : « Un décret en Conseil d’État définit la méthode d’élaboration de ces outils. »
La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour présenter l’amendement n° 163.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Cet amendement vise à renforcer l’application de l’article 36 de la loi Climat et résilience, qui prévoit que l’État met à la disposition des acheteurs de la commande publique des outils opérationnels de définition et d’analyse du coût global du cycle de vie des biens.
Pour cela, l’État doit doter l’ensemble des parties prenantes des informations nécessaires à la connaissance d’un produit dans son cycle de vie, de sa production à son recyclage.
Le coût total d’un produit doit être rendu transparent pour tous les acteurs afin de promouvoir une véritable industrie verte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour présenter l’amendement n° 168 rectifié.
Mme Béatrice Gosselin. Il est défendu.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet, pour présenter l’amendement n° 209 rectifié bis.
Mme Nadège Havet. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 262 rectifié.
Mme Cécile Cukierman. Cet amendement concerne justement le cycle de vie des biens pour les principaux segments d’achat, depuis le coût de la conception jusqu’au retraitement ou à l’élimination. Celui-ci doit être mieux appréhendé pour les acheteurs, du point de vue économique autant qu’écologique.
Notre démarche répond à deux impératifs : premièrement, une meilleure rationalisation des dépenses, financières ou en termes de ressources naturelles ; deuxièmement, la possibilité d’un meilleur usage et le développement du réemploi.
En procédant de la sorte, nous parviendrons à réduire significativement nos émissions de gaz à effet de serre en limitant les commandes superflues. À cette fin, toutefois, nous avons besoin d’être mieux armés juridiquement. Certaines dispositions existent déjà, en particulier depuis l’adoption de la loi Climat et résilience, et doivent être mises en œuvre au 1er janvier 2025.
Or, à l’heure actuelle, nous manquons encore de visibilité. Cet amendement vise ainsi à confier à un décret en Conseil d’État le soin de définir la méthode d’élaboration de ces outils. Il résulte d’une requête émanant de nombreuses collectivités et associations, notamment France urbaine, en lien avec l’Institut national de l’économie circulaire (Inec).
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. La commission est très sensible à la mise à disposition d’outils opérationnels de définition et d’analyse du cycle de vie des biens, applicables aux principaux segments d’achat dès 2025.
Cette disposition, introduite dans la loi Climat et résilience, doit faciliter l’application de critères environnementaux dans la commande publique dès 2026, notamment pour les collectivités territoriales. Néanmoins, il n’apparaît pas nécessaire de modifier cet apport intéressant en prévoyant qu’un décret en Conseil d’État définisse la méthode d’élaboration de ces outils.
Pour autant, nous sommes impatients d’entendre le ministre préciser sous quel délai l’État entend communiquer les modalités de cette initiative.
La commission émet un avis défavorable sur ces amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Ce sujet est très important. Nous avons intégré dans la loi Climat et résilience – j’étais alors moi-même sur les bancs de l’Assemblée nationale – des mesures du coût du cycle de vie dans les achats publics – et c’est très bien !
Toutefois, ces amendements risquent de nous exposer à ce que je qualifierais de syndrome de la taille unique : nous attendrions d’un décret qu’il définisse des critères de mesure du cycle de vie, alors que celui-ci dépend profondément des produits concernés. Le cycle de vie d’un tee-shirt ne s’évalue pas de la même manière que celui d’un produit alimentaire servi dans une cantine française ou que celui d’un véhicule, qu’il soit ou non rétrofité.
Ainsi, élaborer un décret qui s’appliquerait directement et de manière un peu figée à des centaines de secteurs et à environ 100 000 acheteurs publics en France, des petits, des moyens et des grands, parmi lesquels certains sont capables d’évaluer eux-mêmes le cycle de vie d’un produit, alors que d’autres ont besoin d’outils pour ce faire, serait insuffisamment flexible.
À la suite de l’adoption de la loi Climat et résilience, nous avons entamé des travaux par secteurs – textile, automobile, alimentaire, photovoltaïque, etc. – et nous travaillons avec les groupements d’acheteurs pour leur fournir des outils d’aide à la décision. Ceux-ci seront mis à disposition gratuitement et permettront aux acheteurs de se forger une opinion pour intégrer le critère de cycle de vie à leur choix.
Je suis conscient que, vu de loin, cela peut sembler plus compliqué qu’un décret définissant tout ; je suis néanmoins convaincu que cette approche est bien mieux adaptée à la réalité des achats publics sur le terrain.
Par conséquent, je suggère de retirer ces amendements et de laisser ce travail se poursuivre. Nous sommes toujours disponibles pour venir devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et informer le Parlement au fil de l’avancement de ces travaux d’ici à 2025.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le ministre, je vous écoute et je prends conscience qu’en 2022 le slogan « en même temps » a été changé en « oui, mais non ». Vous semblez partager beaucoup des principes que nous défendons, mais, dès que nous abordons les propositions concrètes, celles-ci se révèlent soudainement impossibles.
Pour autant, ne faites pas dire aux amendements ce qu’ils ne disent pas : ils ne visent pas à imposer qu’un décret en Conseil d’État arrête la durée de vie d’une liste de produits ; ils tendent à exiger un décret en Conseil d’État pour définir la méthode et les outils qui permettront d’analyser le cycle de vie de chaque produit.
Je conçois que l’on nous oppose une lourdeur, que nous ne demandons pas, mais, sur ce sujet, la jurisprudence issue de plusieurs lois antérieures nous incite à faire preuve de prudence – je n’irais pas jusqu’à parler de défiance.
Un tel décret permettrait certainement de garantir une certaine transparence, voire, si vous le souhaitez, de construire ensemble une grille permettant à tous de comprendre la direction adoptée en la matière.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 163, 168 rectifié, 209 rectifié bis et 262 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Article 14 (priorité)
I. – Le code de la commande publique est ainsi modifié :
1° La deuxième ligne du tableau constituant le second alinéa des articles L. 1451-1, L. 1461-1, L. 1471-1 et L. 1481-1 est remplacée par trois lignes ainsi rédigées :
« |
L. 1 à L. 3 |
||
L. 3-1 |
Résultant de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets |
||
L. 4 à L. 6 |
» ; |
2° Après le 4° de l’article L. 2621-1, il est inséré un 4° bis ainsi rédigé :
« 4° bis À l’article L. 2141-7-2, après le mot : “environnement”, sont insérés les mots : “ou aux dispositions équivalentes applicables localement” ; »
3° Le tableau constituant le second alinéa des articles L. 2651-1, L. 2661-1, L. 2671-1 et L. 2681-1 est ainsi modifié :
a) La huitième ligne est remplacée par deux lignes ainsi rédigées :
« |
L. 2111-1 |
||
L. 2111-2 |
Résultant de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets |
» ; |
b) La neuvième ligne est remplacée par trois lignes ainsi rédigées :
« |
L. 2112-1 |
||
L. 2112-2 et L. 2112-2-1 |
Résultant de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets |
||
L. 2112-3 à L. 2113-13 |
» ; |
c) La vingt-huitième ligne est remplacée par quatre lignes ainsi rédigées :
« |
L. 2141-7 |
||
L. 2141-7-1 |
Résultant de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets |
||
L. 2141-7-2 |
Résultant de la loi n° … du … relative à l’industrie verte |
||
L. 2141-8 à L. 2141-10 |
» ; |
d) La soixante-dix-septième ligne est remplacée par deux lignes ainsi rédigées :
« |
L. 2311-1 à L. 2312-1-1 |
Résultant de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets |
|
L. 2312-2 à L. 2313-6 |
» ; |
e) La quatre-vingt-onzième ligne est remplacée par trois lignes ainsi rédigées :
« |
L. 2351-1 |
||
L. 2352-1 et L. 2352-2 |
Résultant de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets |
||
L. 2353-1 et L. 2353-2 |
» ; |
4° Après le premier alinéa des articles L. 2651-2, L. 2661-2, L. 2671-2, il est inséré un 1° A ainsi rédigé :
« 1° A Au second alinéa de l’article L. 2112-2, après le mot : “emploi”, sont insérés les mots : “, dans le respect des dispositions applicables localement,” ; »
5° Après le 8° de l’article L. 2651-2, il est inséré un 8° bis ainsi rédigé :
« 8° bis À l’article L. 2141-7-2, après le mot : “environnement”, sont insérés les mots : “ou aux dispositions équivalentes applicables localement” ; »
6° Après le 9° des articles L. 2661-2 et L. 2671-2, sont insérés des 9° bis et 9° ter ainsi rédigés :
« 9° bis À l’article L. 2141-7-1, les deux références à l’article L. 225-102-4 du code de commerce sont remplacées par la référence aux dispositions ayant le même objet applicables localement ;
« 9° ter À l’article L. 2141-7-2, après le mot : “environnement”, sont insérés les mots : “ou aux dispositions équivalentes applicables localement” ; »
7° Après le 1° des articles L. 2651-4, L. 2661-4, L. 2671-4, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :
« 1° bis Au second alinéa de l’article L. 2312-1-1, après le mot : “emploi”, sont insérés les mots : “, dans le respect des dispositions applicables localement,” ; »
8° Après le 3° de l’article L. 3321-1, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :
« 3° bis À l’article L. 3123-7-2, après le mot : “environnement”, sont insérés les mots : “ou aux dispositions équivalentes applicables localement” ; »
9° La dixième ligne du tableau constituant le second alinéa des articles L. 3351-1, L. 3361-1 et L. 3371-1 est remplacée par trois lignes ainsi rédigées :
« |
L. 3114-1 |
||
L. 3114-2 et L. 3114-2-1 |
Résultant de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets |
||
L. 3114-3 à L. 3114-7 |
» ; |
10° La dixième ligne du tableau constituant le second alinéa de l’article L. 3381-1 est remplacée par trois lignes ainsi rédigées :
« |
L. 3114-1 |
||
L. 3114-2 et L. 3114-2-1 |
Résultant de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets |
||
L. 3114-3 à L. 3114-10 |
» ; |
11° Le tableau constituant le second alinéa des articles L. 3351-1, L. 3361-1, L. 3371-1 et L. 3381-1 est ainsi modifié :
a) La huitième ligne est remplacée par trois lignes ainsi rédigées :
« |
L. 3111-1 |
||
L. 3111-2 |
Résultant de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets |
||
L. 3112-1 à L. 3113-2 |
» ; |
b) La vingt et unième ligne est remplacée par quatre lignes ainsi rédigées :
« |
L. 3123-7 |
||
L. 3123-7-1 |
Résultant de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets |
||
L. 3123-7-2 |
Résultant de la loi n° … du … relative à l’industrie verte |
||
L. 3123-8 à L. 3123-10 |
» ; |
c) La vingt-troisième ligne est remplacée par trois lignes ainsi rédigées :
« |
L. 3123-14 à L. 3124-4 |
||
L. 3124-5 |
Résultant de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets |
||
L. 3124-6 à L. 3126-2 |
» ; |
d) La vingt-septième ligne est remplacée par trois lignes ainsi rédigées :
« |
L. 3131-1 à L. 3131-4 |
||
L. 3131-5 |
Résultant de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets |
||
L. 3132-1 à L. 3132-6 |
» ; |
12° Après le 3° des articles L. 3351-2, L. 3361-2, L. 3371-2, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :
« 3° bis À l’article L. 3114-2 et aux I et III de l’article L. 3114-2-1, après le mot : “emploi”, sont insérés les mots : “, dans le respect des dispositions applicables localement,” ; »
13° Après le 7° de l’article L. 3351-2, il est inséré un 7° bis ainsi rédigé :
« 7° bis À l’article L. 3123-7-2, après le mot : “environnement”, sont insérés les mots : “ou aux dispositions équivalentes applicables localement” ; »
14° Après le 8° des articles L. 3361-2 et L. 3371-2, sont insérés des 8° bis et 8° ter ainsi rédigés :
« 8° bis À la première phrase de l’article L. 3123-7-1, la référence à l’article L. 225-102-4 du code de commerce est remplacée par la référence aux dispositions ayant le même objet applicables localement ;
« 8° ter À l’article L. 3123-7-2, après le mot : “environnement”, sont insérés les mots : “ou aux dispositions équivalentes applicables localement” ; ».
II. – Les dispositions du code de la commande publique rendues applicables par la présente loi dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises entrent en vigueur à la même date que sur le reste du territoire de la République.
Le 7° du I entre en vigueur dans les conditions mentionnées au IV de l’article 35 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
Le 12° du II du présent article entre en vigueur dans les conditions mentionnées au V de l’article 35 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 précitée.
Mme la présidente. L’amendement n° 205, présenté par M. Genet, est ainsi libellé :
Alinéa 50
Remplacer la référence :
II
par la référence :
I
La parole est à M. Fabien Genet.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 14, modifié.
(L’article 14 est adopté.)
Après l’article 14 (priorité)
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 271 rectifié bis, présenté par M. Gay, Mmes Varaillas, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
A. – Après l’article 14
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article L. 229-25 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi modifié :
a) Au 1°, les mots : « cinq cents » sont remplacés par le mot : « cinquante » ;
b) Après le 3°, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Ce bilan porte sur les émissions directes et indirectes de la personne morale selon des modalités précisées par voie réglementaire.
« Pour les personnes morales de droit privé employant moins de cinq cents personnes, ce bilan porte uniquement sur les émissions directes de la personne morale selon des modalités précisées par voie réglementaire. » ;
c) Après le cinquième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les personnes morales de droit privé mentionnées aux 1° et 2° du présent I, à défaut d’accord relatif au plan de transition, tel que prévu au 9° de l’article L. 2242-17 du code du travail, ce plan est adopté après avis conforme du comité social et économique prévu aux articles L. 2311-1 et suivants du code du travail. » ;
d) Le sixième alinéa est ainsi rédigé :
« Ce bilan d’émissions de gaz à effet de serre et le plan de transition sont rendus publics. Ils font l’objet d’un affichage dans les locaux recevant du public des personnes mentionnées aux 1° à 3° du présent article, ainsi que sur les messages publicitaires qu’elles diffusent, selon des modalités précisées par voie réglementaire. Ils sont mis à jour tous les deux ans et permettent de retracer les émissions annuelles de la personne morale publique ou privée. » ;
2° Après le II, il est inséré un II bis ainsi rédigé :
« II bis. – Les personnes mentionnées au 1° du I dont le bilan des émissions de gaz à effet de serre ne fait pas apparaître d’évolution positive, sur une période déterminée et au terme de la dernière année précédant celle pendant laquelle est présentée une demande d’aides publiques, qu’il s’agisse de subvention, de crédit d’impôt ou de prêt bonifié, ne peuvent bénéficier de ces aides. Les modalités d’application, notamment concernant les aides publiques concernées et les critères d’éligibilité, ainsi que les dérogations, sont précisées par décret en Conseil d’État. » ;
II. – Après le 8° de l’article L. 2242-17 du code du travail, il est inséré un 9° ainsi rédigé :
« 9° Les mesures du plan de transition pour réduire les émissions de gaz à effet de serre prévu à l’article L. 229-25 du code de l’environnement. »
B. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Titre …
Conditionnalité des aides
La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Nous considérons que toutes les aides publiques doivent être conditionnées au respect des critères sociaux et environnementaux. C’est une priorité à l’heure où presque 200 milliards d’euros d’aides publiques sont versés aux entreprises sans aucune contrepartie.
Nous le savons, l’argent magique n’existe pas : il faut réformer notre système de protection sociale, raboter les retraites, les soins, l’éducation, la formation.
En revanche, lorsqu’il est question de défendre l’attractivité de la France aux yeux des investisseurs étrangers, des aides publiques massives, des politiques fiscales et sociales avantageuses pour le capital et des facilitations d’installation au détriment des règles environnementales et d’urbanisme sont mises en place, le tout sans évaluation ni contrôle.
Pourtant, ces aides ne constituent ni un droit ni un dû pour le patronat. Comme toutes les autres dépenses publiques, elles doivent être soumises à contrôle. Faute de contrepartie, les entreprises ne seront pas incitées à opérer une transformation écologique.
Nous proposons plutôt d’exiger la publication d’un bilan d’émissions de gaz à effet de serre non seulement des entreprises de plus de 500 salariés, mais aussi de celles de plus de 50.
De plus, nous proposons d’inclure dans ce bilan les émissions indirectes des scopes 2 et 3, soit celles qui sont issues de la consommation d’énergie ou de l’utilisation des produits énergétiques.
Enfin, nous entendons conditionner les aides publiques au respect de ces obligations.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 273 rectifié est présenté par M. Gay, Mmes Varaillas, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 393 rectifié est présenté par M. Cardon.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Après l’article 14
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 229-25 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Le 1° est ainsi modifié :
a) Les mots : « cinq cents » sont remplacés par le mot : « cinquante » ;
b) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Toutefois, les entreprises employant entre 51 et 250 salariés peuvent établir un bilan simplifié de leurs émissions de gaz à effet de serre tel que prévu au 1° du I de l’article 244 de la loi du 29 décembre 2020 de finances pour 2021. » ;
2° Au cinquième alinéa, après les mots : « effet de serre », sont insérés les mots : « dont le contenu est adapté par voie réglementaire pour les entreprises tenues d’établir un bilan simplifié ».
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Titre …
Mesures visant à renforcer l’obligation d’élaborer le bilan des émissions de gaz à effet de serre et son contrôle social.
La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour présenter l’amendement n° 273 rectifié.
Mme Marie-Claude Varaillas. Cet amendement de repli vise à élargir l’obligation d’établir un Beges intégrant le scope 3 aux entreprises de 250 salariés et plus, ainsi qu’à généraliser l’obligation d’un bilan simplifié aux entreprises de 50 salariés au moins.
Actuellement, le bilan carbone requis se limite aux émissions de scope 1, c’est-à-dire aux émissions directes liées à la production du produit, sans exigence de réduction alignée sur les objectifs de l’accord de Paris. C’est insuffisant.
Comme le souligne l’Ademe, la décarbonation de nos activités à tous les niveaux de la société est devenue un mot d’ordre incontournable au vu des urgences environnementales. Elle nécessite la mise en place d’un bilan et d’un plan de transition.
Or les acteurs concernés par l’obligation d’établir un Beges ne se plient pas à cet exercice : le taux de conformité global, évalué par l’Ademe, n’était que de 31 % ; il atteignait 36 % pour les entreprises en 2018. Plus de la moitié des organisations – 57 % cette même année – obligées de publier leur bilan ne l’ont jamais fait.
Il est temps de donner un nouvel élan à ce processus et de systématiser cette obligation.
Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Cardon, pour présenter l’amendement n° 393 rectifié.
M. Rémi Cardon. Là où il y a une volonté, il y a un chemin vers l’industrie verte. C’est pourquoi il est temps d’élargir l’obligation d’établir un Beges. Nous préconisons donc de la rendre effective pour les entreprises de 250 salariés et plus, et de généraliser le bilan simplifié pour les entreprises comptant au moins 50 salariés.
Il convient de rappeler que la publication du bilan a été rendue obligatoire par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite loi Grenelle II. Toutefois, cette mesure est encore peu prisée par les entreprises, puisque seulement 43 % d’entre elles ont publié un tel bilan à la fin de l’année 2021, selon une étude menée par le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa) pour le compte de l’Ademe.
Il semble donc évident que nous devons accélérer le pas. Tel est justement l’objectif de ce texte : favoriser la transition et instaurer une plus grande transparence sur les efforts accomplis par chacun. C’est la raison pour laquelle j’attends un avis favorable sur ces amendements.
Mme la présidente. L’amendement n° 272 rectifié, présenté par M. Gay, Mmes Varaillas, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
A. – Après l’article 14
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après le cinquième alinéa de l’article L. 229-25 du code de l’environnement, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les personnes morales de droit privé mentionnées aux 1° et 2° du présent I, à défaut d’accord relatif au plan de transition, tel que prévu au 9° de l’article L. 2242-17 du code du travail, ce plan est adopté après avis conforme du comité social et économique prévu aux articles L. 2311-1 et suivants du même code. »
II. – Après le 8° de l’article L. 2242-17 du code du travail, il est inséré un 9° ainsi rédigé :
« 9° Les mesures du plan de transition pour réduire les émissions de gaz à effet de serre prévu à l’article L. 229-25 du code de l’environnement. »
B. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Titre …
Mesures visant à renforcer l’obligation d’élaborer le bilan des émissions de gaz à effet de serre et son contrôle social.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Comme le soulignent de nombreuses organisations syndicales, les travailleurs sont au cœur des transformations à venir et en première ligne de leurs répercussions ; ils doivent donc en être comptés parmi les acteurs.
En outre, en l’absence d’un contrôle social, nous courrons le risque de devoir aider systématiquement les entreprises les moins vertueuses, au fil des crises environnementales.
En conséquence, il est primordial de garantir que les entreprises mettent en œuvre leurs obligations en matière de Beges et adoptent un plan de transition à la hauteur des objectifs fixés. Il y va de la pérennité des activités économiques, et donc des emplois et des compétences.
Dans la pratique, le dialogue social est le levier le plus efficace pour construire et suivre une trajectoire de décarbonation adaptée aux réalités de l’entreprise concernée.
Le plan de transition articulé au Beges hiérarchise et cadence dans le temps les chantiers de transformation à mener afin d’anticiper les risques et de se saisir des opportunités économiques de la transition écologique.
Pour renforcer son acceptabilité sociale, il doit être négocié avec les représentants des salariés, en s’appuyant sur les dispositifs d’accompagnement et de financement existants – Ademe, directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), etc. ainsi que sur l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la transition écologique et le dialogue social. En cas d’échec de la négociation, le plan unilatéral de l’employeur sera soumis à un avis conforme.
Nous considérons que, par la négociation sociale, les organisations syndicales doivent être parties prenantes de la transition écologique et garantes de sa réussite au sein des entreprises.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. Le sénateur Cardon indique que, là où il y a une volonté, il y a un chemin ; reconnaissons que, sur le chemin du Beges, la volonté des entreprises fait pour le moment défaut.
Il ne nous semble donc pas raisonnable de créer une obligation de réalisation d’un Beges, même simplifié, pour les structures de plus de 50 salariés, comme le prévoient les dispositions de l’amendement nos 271 rectifié bis et des amendements identiques nos 273 rectifié et 393 rectifié, cette obligation étant déjà peu respectée par les entreprises qui y sont actuellement assujetties.
Par ailleurs, concernant les amendements nos 271 rectifié bis et 272 rectifié, je ne suis pas favorable à soumettre le plan de transition adossé au Beges à la négociation et à prévoir, en cas d’échec de celle-ci, que ce plan soit soumis à l’avis conforme du comité social et économique.
Enfin, l’amendement n° 271 rectifié bis tend à inclure dans le Beges des émissions indirectes, dites de scopes 2 et 3 ; or cette proposition est satisfaite depuis le 1er janvier 2023. Cette extension bienvenue permettra de prendre en compte les émissions externalisées par une structure.
L’avis de la commission est en conséquence défavorable sur ces quatre amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Je partage l’avis du rapporteur, dont les motifs sont fondamentalement cohérents.
On exprime souvent, sur ces travées, la volonté de ne pas surtransposer nos directives européennes, au risque d’obérer la compétitivité de nos PME.
Or ce que vous proposez, en accélérant les échéances prévues par l’Europe ou en élargissant des obligations qui s’appliquent aujourd’hui uniquement aux entreprises de plus de 500 employés, va précisément dans ce sens.
Bien évidemment, nous soutenons la généralisation des Beges. Comme l’a indiqué le rapporteur, environ 50 % – peut-être un peu moins – des entreprises de plus de 500 employés s’engagent dans cette démarche. C’est sur cet objectif que nous concentrons nos efforts, dans le cadre de ce projet de loi. Nous ne souhaitons pas, dès lors, imposer une obligation disproportionnée aux entreprises de moins de 50 employés.
Pour autant, dans le cadre de l’appui public de Bpifrance et de l’Ademe, nous avons choisi de conditionner les aides à l’élaboration d’un Beges simplifié. Cela ne relève pas du domaine législatif, mais il est bon que la représentation nationale en soit informée. Il s’agit d’argent public, et nous y veillerons.
Quant aux instances sociales, madame la sénatrice Lienemann, l’obligation d’informer les organisations syndicales existe, même si je comprends que cela puisse ne pas vous sembler suffisant : elle est inscrite dans la directive concernant la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, dite CSRD – pour Corporate Sustainability Reporting Directive –, qui impose aux organisations syndicales d’être informées sur les critères de durabilité d’ici à 2025. Leur avis pourrait ainsi être communiqué au conseil d’administration, ce qui permettrait d’associer davantage les employés à ces réflexions, sans pour autant que nous imposions un avis conforme.
Par conséquent, l’avis est défavorable sur ces amendements, même si ceux-ci s’inscrivent dans la direction que nous souhaitons prendre, en veillant toutefois à ne pas introduire trop de contraintes.
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Je souhaite réagir aux propos du ministre qui a, en somme, opposé la compétitivité et l’établissement de ce bilan pour des entreprises de taille plus modeste.
L’arrivée du deuxième système d’échange de quotas d’émission ETS 2, pour Emissions Trading System, concernant les émissions non couvertes par l’ETS 1, limité aux grandes entreprises, va également concerner les petites.
Par conséquent, la prise en considération anticipée de ces émissions pourrait emporter des conséquences positives sur le bilan économique de ces entreprises, l’introduction de cette nouvelle taxation englobant finalement beaucoup plus d’émissions de gaz à effet de serre que ce qui était prévu jusqu’à présent.
En matière de compétitivité, notamment des petites entreprises, il pourrait ainsi être bénéfique de procéder rapidement à des bilans précis des émissions de gaz à effet de serre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il ne me semble pas que la négociation sociale sur les émissions de gaz à effet de serre relève de la surtransposition européenne.
Certes, la directive impose un devoir de transparence, donc d’information, mais, dans de nombreux pays de l’Union européenne, notamment en Allemagne, un principe de codécision est appliqué au sein de nombreuses entreprises, rendant inenvisageable de traiter de tels sujets sans une négociation avec les salariés.
J’entends souvent le Gouvernement affirmer – surtout après l’épisode de la réforme des retraites – qu’il porte une grande attention à la négociation sociale, laquelle devra, dit-il, piloter l’avenir de notre pays dans le champ social.
Or cette matière offre, au sein des entreprises, un beau sujet de négociation, susceptible de faire avancer tout le monde, sans pour autant créer de conflit insurmontable. Nous pourrions donc avancer vers plus de démocratie sociale, mais vous refusez cette option.
Je ne parviens pas à comprendre cette position : il s’agit d’une occasion manquée de donner du souffle à la démocratie sociale et de favoriser une large acceptation des transitions écologique et énergétique qui vont s’imposer dans les entreprises et qui ne passeront pas toujours comme une lettre à la poste.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, il me semble vraiment que vous manquez une occasion en n’inscrivant pas dans ce texte que ces questions doivent faire l’objet d’une négociation sociale.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 271 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 273 rectifié et 393 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous revenons au cours normal de la discussion du texte de la commission.
Avant le titre Ier
Mme la présidente. L’amendement n° 4, présenté par MM. Salmon, Fernique, Breuiller, Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Gontard, Labbé et Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel, est ainsi libellé :
I.- Avant le titre Ier
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les installations industrielles de fabrication ou d’assemblage des produits ou équipements qui participent directement aux chaînes de valeur des activités dans les secteurs des technologies favorables au développement durable mentionnées dans la loi n° … du … relative à l’industrie verte, sont définies conformément au règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088 en excluant les nouvelles activités relatives au gaz fossile et au nucléaire incluses dans le règlement délégué 2022/1214 de la Commission du 9 mars 2022.
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Titre préliminaire
Définition des industries vertes
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Comme je l’ai souligné en discussion générale, la définition de l’industrie verte est une question cruciale, mais elle reste largement absente de ce texte.
Certains articles mentionnent des filières spécifiques comme l’hydrogène ou les énergies renouvelables, d’autres laissent au domaine réglementaire le soin de définir les activités dans le secteur des technologies propices au développement durable. L’unique critère parfois mentionné est l’impact carbone, mais les conséquences sur la biodiversité et la santé, tout aussi essentielles, ne sont pas prises en compte.
Dans un contexte de raréfaction des ressources et de multiplication des effets sur la santé humaine et sur la biodiversité, il nous semble nécessaire que ce texte propose une définition, qui ne saurait se limiter à la décarbonation. Comme le souligne également le Conseil national de la transition écologique dans son avis, ce serait en effet un peu court.
Cet amendement vise à définir les installations industrielles dites vertes qui pourront bénéficier des dispositifs mis en place selon les critères du règlement européen sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables, dit Taxonomie. Il tend cependant à exclure les nouvelles activités relatives au gaz fossile et au nucléaire mentionnées dans l’acte délégué complémentaire adopté par la suite, auquel – vous vous en doutez ! – nous ne souscrivons pas.
Le règlement européen Taxonomie met en place une classification des activités en utilisant des critères scientifiques, afin d’aider les investisseurs à identifier les activités durables. Il s’appuie sur six objectifs environnementaux – atténuation et adaptation climatiques, biodiversité, pollution, eau et économie circulaire – et concerne les entreprises de plus de 500 salariés.
En commission, notre rapporteur n’a pas jugé pertinent de se référer à un règlement européen, car celui-ci serait susceptible d’évoluer et pourrait ne pas nécessairement répondre aux souhaits exprimés au niveau national.
Nous estimons au contraire que nous proposons une garantie en nous appuyant sur le règlement actuel concernant la taxonomie, qui nous semble apporter les protections nécessaires et s’appuyer sur des critères efficaces.
Rappelons toutefois que le cadre européen s’impose à tous : autant s’y référer dès maintenant. Avec l’arrivée du Net-Zero Industry Act, nous devrons nous adapter : anticipons !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Laurent Somon, rapporteur. En effet, mon cher collègue, la définition de l’industrie verte que vous proposez s’appuie exclusivement sur la taxonomie européenne, ce qui nous lierait complètement les mains.
Les textes européens évoluent souvent sur des périodes très longues, comme nous le constatons actuellement avec celui que vous venez de citer. De plus, ils peuvent ne pas nécessairement répondre à nos aspirations nationales, ainsi que je l’ai déjà souligné en commission.
Votre proposition consiste pourtant à nous y cantonner, en allant encore plus loin, puisque vous souhaitez en exclure le nucléaire, alors même que nous avons beaucoup bataillé à Bruxelles pour l’inclure.
Dans un contexte où les technologies évoluent rapidement, il nous semble plus pertinent de conserver de la latitude et d’ajuster la liste des industries vertes par voie réglementaire, en fonction des différents aspects abordés par ce texte. Cela nous conférera une plus grande agilité : avis défavorable.
Pour autant, je tiens à préciser au Gouvernement que nous demeurerons vigilants quant au contenu du décret.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Ce débat est très important, car il touche au cœur de notre philosophie en matière de stratégie de réindustrialisation.
Souhaitons-nous uniquement privilégier sur notre territoire des industries dites vertes selon une taxonomie européenne plutôt restreinte, puisque seulement 5 % à 10 % des industries seraient concernées, tout en excluant le nucléaire, ce qui serait regrettable ?
Au contraire, aspirons-nous aussi à relocaliser en France des industries traditionnelles, certes en procédant à leur décarbonation, mais en leur simplifiant la vie ?
Vous nous proposez une procédure à deux couloirs parallèles qui, loin de simplifier et d’accélérer les procédures d’installation, risquerait de les complexifier : elle reposerait en effet sur un train de mesures pour les industries vertes et sur un autre pour les industries qui ne le seraient pas.
Nous avons une vision un peu différente de l’objet de ce projet de loi, lequel vise à simplifier l’installation de toutes les industries, en favorisant leur relocalisation, et à accompagner leur décarbonation. C’est précisément l’objet du label triple E – pour Excellence environnementale européenne –, lequel intégrera bien les enjeux de taxonomie dans sa définition. Décarboner, c’est réindustrialiser chez nous, dans tous les secteurs.
Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, j’entends bien la nécessité d’avoir une vision large de l’industrie.
Cependant, vous venez d’indiquer qu’il y aurait deux couloirs distincts : l’industrie verte et l’industrie qui ne le serait pas. Or ce projet de loi concerne spécifiquement l’industrie verte !
Nous souhaitons bien définir ce que nous entendons par industrie verte, car, ainsi que cela a été souligné sur différentes travées, cette définition fait cruellement défaut dans ce projet de loi.
Il nous revient de déterminer en quoi une industrie peut être verte. Prenons l’exemple du secteur textile : si nous relocalisons en France des activités de fast fashion, nous aurons toujours affaire à une industrie non verte. En revanche, nous pourrions très bien réindustrialiser en France dans ce secteur, mais en favorisant le textile durable.
Il me semble donc essentiel de bien définir ce que nous entendons par industrie verte. Il est certes louable de vouloir relocaliser, mais si cela signifie continuer de produire des articles non durables, menant à une consommation insoutenable, cela ne correspond en aucun cas à une industrie verte.
C’est la raison pour laquelle nous avons proposé cet amendement en nous appuyant sur une taxonomie existante, afin d’éviter de devoir inventer la définition à partir de rien. J’attends donc véritablement que nous nous entendions sur ce qu’est une industrie verte.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 4.
(L’amendement n’est pas adopté.)
TITRE Ier
MESURES DESTINÉES À ACCÉLÉRER LES IMPLANTATIONS INDUSTRIELLES ET À RÉHABILITER LES FRICHES
Chapitre Ier
Planification industrielle
Avant l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 269 rectifié, présenté par M. Gay, Mmes Varaillas, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les installations industrielles de fabrication ou d’assemblage des produits ou équipements qui participent directement aux chaînes de valeur des activités dans les secteurs des technologies favorables au développement durable mentionnées dans la présente loi sont définies conformément au règlement Taxinomie européenne 2020/852 du 18 juin 2020 établissant un cadre visant à favoriser les investissements durables communs à l’Union européenne.
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Laurent Somon, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que celles qui ont été développées précédemment, si ce n’est que cet amendement ne tend pas à exclure le nucléaire.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 269 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er
I. – L’article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° À la première phrase du deuxième alinéa, après le mot : « marchandises, », sont insérés les mots : « de développement logistique et industriel, notamment en matière de localisation préférentielle, » ;
2° Le troisième alinéa est supprimé.
II. – Les objectifs de développement industriel prévus à l’article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant du I du présent article, sont fixés pour la première fois dans le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires au plus tard lors de la procédure de modification prévue au 1° du IV de l’article 194 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
III (nouveau). – À la dernière phrase du 1° du IV de l’article 194 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, le mot : « trente » est remplacé par le mot : « quarante-deux ».
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, sur l’article.
Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai souhaité prendre la parole avant l’examen des articles, pour souligner les difficultés posées par ce projet de loi.
Ainsi que cela a été mentionné à plusieurs reprises, celui-ci ne contient ni définition ni cadre précisant ce qui relève ou non de l’industrie verte. Selon le texte, il s’agit d’activités favorables au développement durable dans des secteurs qui seront définis ultérieurement par le Conseil d’État.
Tout cela est trop vague et crée une confusion d’autant plus grande que le texte est focalisé, non pas sur l’empreinte écologique des émissions de CO2, mais sur leur réduction.
La biodiversité, les écosystèmes, l’eau et les ressources naturelles sont traités comme des sujets annexes, malgré le large consensus qui, du Mouvement des entreprises de France (Medef) à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), s’est dégagé au terme des consultations menées en amont de ce projet de loi. J’ai déposé un amendement visant à remédier à cette difficulté – j’aurai l’occasion d’y revenir.
Autre source de confusion, le plan d’épargne avenir climat (Peac) cible les jeunes de moins de 18 ans, mais ne leur offre aucune garantie ni gage de transparence concernant les activités financées par leur épargne. Nous savons en effet que des fonds éthiques, dont certains sont labellisés par l’État, financent aussi l’industrie pétrolière.
Quant au label Greenfin, il exclut le nucléaire, qui est pourtant une énergie décarbonée.
Je précise néanmoins que le Sénat a adopté deux dispositions majeures qui concernent les maires – j’avais moi-même déposé des amendements en ce sens. La première est l’exclusion des projets d’industrie verte du décompte du zéro artificialisation nette (ZAN) ; la seconde, le recueil de l’avis préalable des élus locaux concernant les implantations industrielles.
Cette dernière disposition est indispensable, car ce sont les maires qui fixent les orientations de développement de leur commune.
Mme la présidente. L’amendement n° 59, présenté par MM. Salmon, Gontard, Fernique, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Labbé et Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
industriel
insérer les mots :
favorable au développement durable et à la transition écologique, en donnant la priorité au tissu industriel existant et ses adaptations possibles
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Cet amendement vise à mettre l’intitulé du projet de loi en adéquation avec son contenu – c’est la moindre des choses !
Si l’instauration d’une planification industrielle à l’échelon régional va dans le bon sens, il est nécessaire que celle-ci soit orientée vers la décarbonation et la relocalisation des activités industrielles, par la consolidation des tissus industriels locaux concourant au développement durable.
Les gigafactories ne tomberont pas du ciel par l’effet de la seule volonté du Gouvernement : celles-ci s’inscriront dans un écosystème local.
Dans un contexte de raréfaction des ressources et d’accentuation des répercussions sur la santé humaine et sur la biodiversité qu’emportent les projets industriels, il est nécessaire que ce projet de loi définisse un cadre propice à une politique de réindustrialisation à la hauteur des enjeux sociaux, climatiques et de création d’emplois qui s’imposent à nous.
Si cela va sans dire, j’estime que cela ira encore mieux en l’inscrivant dans la loi et dans le code général des collectivités territoriales – c’est même impératif !
Pourquoi se priver de donner la priorité au tissu industriel existant et à ses adaptations possibles ? Il me semble que tel est l’enjeu premier de toute politique publique en faveur de la réindustrialisation de notre pays.
Cet amendement vise ainsi à inscrire ces objectifs essentiels, en complément des objectifs de lutte contre le changement climatique, de développement de l’exploitation des énergies renouvelables et de récupération, de pollution de l’air, de protection et de restauration de la biodiversité, de prévention et de gestion des déchets fixés par le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet).
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Laurent Somon, rapporteur. Je comprends la logique qui préside à votre amendement, mon cher collègue, mais le Sraddet inclut déjà des objectifs relatifs à la lutte contre le changement climatique, au développement de l’exploitation des énergies renouvelables, à la pollution, à la biodiversité, etc.
Le rôle du Sraddet est justement d’articuler et de concilier l’ensemble de ces éléments afin de déployer un aménagement du territoire régional respectueux de ces différents impératifs.
Pour cela, la planification industrielle arrêtée par le Sraddet doit bien évidemment concerner toutes les industries, y compris celles qui ne sont pas vertes. Les installations existantes en font partie, tout comme les industries qui doivent être accueillies dans le cadre d’une réindustrialisation.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Cet amendement est satisfait, car, comme le rapporteur l’a indiqué, il est d’ores et déjà possible d’inclure de nombreux éléments, notamment ceux que vous visez, monsieur le sénateur, dans le Sraddet.
S’il était décidé, demain, de décarboner l’usine ArcelorMittal à Dunkerque, cet objectif pourrait être inscrit dans le Sraddet. Il s’agit pourtant d’une industrie on ne peut plus traditionnelle, puisque nous produisons de l’acier depuis cent cinquante ans. Il reste que, si celle-ci s’appuyait demain sur l’hydrogène ou sur une technologie permettant la capture de carbone, les vastes installations que de tels projets nécessiteraient seraient inscrites dans le Sraddet. Je crains toutefois que, s’agissant d’acier, cette industrie demeure assez polluante pendant quelques années encore…
Quoi qu’il en soit, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 144, présenté par M. Montaugé, Mmes Préville et Briquet, MM. Marie et Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Tissot et J. Bigot, Mme Bonnefoy, MM. Gillé, Houllegatte et Lurel, Mme Monier, M. Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Le même deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « En matière de développement industriel, les objectifs fixés encouragent les activités ayant un impact favorable sur l’environnement ou qui concourent à l’atteinte de la neutralité climatique en 2050, et sont précisés par décret pris en Conseil d’État. » ;
La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. L’article 1er aurait dû constituer un socle permettant de lancer la planification industrielle sur les territoires tout en favorisant l’engagement par les régions de concertations avec l’ensemble des collectivités.
Or cet article se borne à ajouter la planification industrielle, sans plus de précision, à la liste déjà longue des objectifs devant figurer dans le Sraddet.
Le groupe SER regrette le manque d’ambition et de précision de ce projet de loi Industrie verte au regard des objectifs affichés.
Telle qu’elle est prévue, la planification n’est pas mise en perspective au regard des ambitions affichées à l’échelon européen, et elle ne s’inscrit pas non plus dans les trajectoires que le pays s’est fixées, qu’il s’agisse de neutralité carbone, de planification écologique, d’économie circulaire, de sobriété foncière ou encore de biodiversité.
Peut-être plus grave encore, aucune référence n’est faite à l’économie qui se met en place sous nos yeux et qui fera le monde de demain en même temps qu’elle déterminera le niveau de compétitivité économique, sociale et environnementale de notre pays.
Cet article est non seulement dénué de vision stratégique, mais il n’oriente nullement les régions au regard des concertations qu’elles devront mener ni des arbitrages qu’elles devront rendre.
J’estime que les objectifs de développement industriel doivent être mieux identifiés. Je propose donc qu’un décret fixe un cadre cohérent avec la proposition de règlement européen Net-Zero Industry Act, qui ne date que de mars 2023, tout en prenant en compte les enjeux d’aménagement et de cohésion du territoire.
Ce décret pourrait également prendre en compte les retours d’expérience de programmes tels que Territoires d’industrie, qui a montré son efficacité en matière de reconquête industrielle et qui est perçu très positivement par les élus locaux et les chefs d’entreprise industrielle. Ces derniers considèrent en effet ce programment comme un cadre essentiel d’échanges et de soutien aux projets territoriaux.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Laurent Somon, rapporteur. Le Sraddet est un document de planification relatif à l’aménagement du territoire qui inclut déjà des objectifs de lutte contre le changement climatique.
Son rôle est justement d’articuler et de concilier différents objectifs en vue d’un aménagement du territoire régional respectueux des impératifs que vous visez, mon cher collègue.
Votre amendement étant satisfait, l’avis est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.
M. Franck Montaugé. Permettez-moi d’insister sur ce sujet que, comme des collègues issus d’autres groupes, j’ai déjà évoqué lors de la discussion générale.
Monsieur le ministre, il serait bon que vous demandiez l’inscription à l’ordre du jour du Sénat d’un débat sur l’économie de demain, car il importe que le Parlement puisse se saisir de ce sujet.
Je ne dis pas qu’il faut que l’État administre et décide de tout en matière économique – de fait, les arbitrages se font autant du haut vers le bas que l’inverse.
Cependant, je ne voudrais pas que nous revivions l’émergence du numérique, quand l’Europe s’est contentée de réglementer ce qui avait été inventé aux États-Unis, l’essentiel de la richesse créée par cette nouvelle économie bénéficiant, non pas seulement au continent européen, mais aussi aux Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).
En tant que parlementaires, nous ne pouvons pas ne pas nous saisir de l’émergence de cette économie nouvelle. Or le projet de loi qui nous est soumis ne nous permet pas de débattre sur le fond de ces questions qui sont pourtant fondamentales pour des raisons à la fois sociales, économiques et environnementales.
Mme la présidente. L’amendement n° 161, présenté par MM. Montaugé et Devinaz, Mmes Préville et Briquet, MM. Marie et Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Tissot et J. Bigot, Mme Bonnefoy, MM. Gillé, Houllegatte et Lurel, Mme Monier, M. Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Le même deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les objectifs de développement industriel intègrent des mesures en faveur des petites et moyennes entreprises ainsi que des entreprises de taille intermédiaire implantées sur le territoire national et contribuant directement ou indirectement à la chaîne de valeur des secteurs logistiques et industriels mentionnés par la loi n° … du … relative à l’industrie verte. » ;
La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Cet amendement vise à soutenir et à accompagner les ETI, PME et TPE qui sont implantées partout sur le territoire et qui, étant sous-traitantes des sites industriels et logistiques objets du présent projet de loi, sont à ce titre parties prenantes des chaînes de valeur de l’industrie verte.
Dans ce cadre, la nouvelle phase de développement du programme national Territoires d’industrie, fort bien pilotée par la direction générale des entreprises (DGE), pourra utilement contribuer à l’accélération et à la simplification des processus visés par le présent texte.
La performance globale des chaînes de valeur ou des parties de chaînes de valeur situées sur le territoire français s’en trouvera ainsi confortée, dans l’intérêt général national.
Consolider l’écosystème des TPE, PME et ETI qui fournissent les grands groupes dont l’activité est stratégique pour l’économie française est en effet une nécessité pour la réussite de la réindustrialisation verte.
Les dispositions de cet amendement, au fond, posent la question du périmètre de ce projet de loi et de la prise en compte des acteurs économiques au titre de leur lien avec les grands sites industriels.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Laurent Somon, rapporteur. Mon cher collègue, vous proposez d’inclure dans le Sraddet des mesures spécifiques pour les PME et les ETI.
Comme je l’ai déjà souligné, le Sraddet est un document de planification qui concerne l’aménagement du territoire. L’article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales, qui ne fait que mentionner les catégories d’objectifs que doit fixer le Sraddet, n’a pas vocation à orienter la politique menée par les régions sur le fond.
Pour autant, les régions peuvent prévoir des mesures spécifiques en faveur des petites entreprises dans le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII).
Je rappelle enfin que nous avons introduit, à l’article 8 du présent projet de loi, des mesures visant à prendre en compte les TPE, PME et ETI en incluant toute la chaîne de valeur.
Les mentionner ici ne ferait que complexifier et contraindre la nouvelle mission de planification industrielle confiée aux régions.
Pour toutes ces raisons, la commission est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. En dépit des compliments – mérités – adressés au programme Territoires d’industrie comme à la direction générale des entreprises, l’avis est également défavorable, monsieur le sénateur.
En effet, comme l’a souligné le rapporteur, votre amendement est déjà satisfait par le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation, qui est le document idoine pour fixer la stratégie régionale en matière de développement économique, notamment des PME et des ETI.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis quelque peu étonné de la manière dont les amendements très précis et détaillés de mon collègue Franck Montaugé sont balayés. (M. le ministre délégué le conteste.)
En effet, alors qu’il importe que les objectifs relatifs à l’industrie verte figurent dans le Sraddet, vous ne semblez pas vouloir aller au-delà des quelques phrases générales que M. le rapporteur a bien voulu rappeler, monsieur le ministre.
Par l’amendement n° 161, il nous est proposé d’encourager l’élaboration d’une stratégie fine pour les petites et moyennes entreprises. Je pense en particulier aux entreprises qui œuvrent dans le secteur du service logistique.
J’entends parler d’environnement et d’industrie verte, mais, dans ma région et mon département, je constate que d’immenses entrepôts de logistique mangent peu à peu le territoire agricole et le territoire tout court. Tout se passe comme si rien n’avait changé depuis dix ou vingt ans et qu’il était naturel d’installer des infrastructures aussi lourdes à proximité des croisements d’autoroutes.
Une véritable réflexion doit être menée en la matière, afin de desservir les entreprises, en particulier sur le dernier kilomètre, d’une manière qui soit moins préjudiciable pour l’environnement. On ne peut continuer à gérer la logistique ainsi – les logisticiens eux-mêmes en sont convaincus.
Je regrette donc vivement que l’on réponde à cette préoccupation aussi juste qu’humaniste, comme toujours, exprimée par Franck Montaugé, par un simple : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »
Mme la présidente. L’amendement n° 265, présenté par M. Gay, Mmes Varaillas, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Le même deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « En matière de localisation préférentielle des constructions logistiques et industrielles, la priorité est accordée aux surfaces artificielles et bâties, aux sites industriels, aux friches industrielles et aux sites vierges non utilisables pour l’agriculture et la sylviculture. »
La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 265 est retiré.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 266 rectifié, présenté par M. Gay, Mmes Varaillas, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
2° Le troisième alinéa est ainsi rédigé :
« Le schéma définit les conditions dans lesquelles les sites industriels existants sont préservés, regroupés et développés autour des axes de transport structurants. »
La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Je le retire également, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 266 rectifié est retiré.
L’amendement n° 35 rectifié, présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. Guerriau et A. Marc, Mme Mélot et MM. Lagourgue, Grand, Chasseing, Wattebled, Malhuret, Decool et Menonville, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
2° Le troisième alinéa est ainsi rédigé :
« En matière de développement logistique et industriel, les objectifs portent notamment sur la localisation des constructions. Le schéma tient compte des flux de marchandises, notamment à destination des centres-villes, de la localisation des principales infrastructures routières, ferroviaires, portuaires et aéroportuaires, des réseaux et des équipements, du développement du commerce de proximité et du commerce en ligne, de l’insertion paysagère de ces constructions et de l’utilisation économe des sols naturels, agricoles et forestiers. »
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. En l’état actuel du droit, les schémas régionaux de développement économique, d’innovation et d’internationalisation n’intègrent ni l’occupation des sols ni l’implantation des sites industriels. Or le développement des dynamiques industrielles, avec les flux logistiques qu’elles impliquent, gagnerait à être élaboré au niveau régional.
Cela permettrait, d’une part, d’opérer la péréquation des surfaces, dans l’objectif du ZAN, à une échelle plus pertinente, d’autre part, d’intégrer une dimension foncière et logistique dans le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation, en lien avec le développement des transports et l’exercice de la compétence économique.
Cet amendement vise donc à renforcer le volet industriel et logistique du Sraddet, en complément de la modification apportée par l’article 1er du présent projet de loi. Il s’agit de renforcer la cohérence des schémas régionaux afin de faciliter la mise en œuvre de stratégies territoriales cohérentes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Laurent Somon, rapporteur. Je répondrai d’abord à M. Sueur que, selon moi, la qualité des arguments développés doit être mesurée à l’aune, non pas du temps de parole utilisé, mais des fondements réglementaires sur lesquels ces arguments sont étayés.
J’en viens à l’amendement n° 35 rectifié, dont nous avons déjà évoqué l’objet en commission. Celui-ci vise à introduire des précisions relatives aux éléments dont les régions doivent tenir compte pour fixer les objectifs de développement logistique et industriel, précisions qui sont de nature réglementaire.
Le Conseil d’État a souhaité que les précisions relevant de la logistique figurant actuellement à l’article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales soient supprimées. Il n’est donc pas opportun de les réintroduire pour l’industrie.
Il importe de respecter l’habilitation qui avait été donnée au Gouvernement lors de la création des Sraddet, qui limitait les dispositions relevant du domaine législatif aux seuls éléments essentiels des documents sectoriels auxquels le Sraddet s’est substitué, en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de définir, pour chacun des objectifs du schéma, ce qu’il recouvre, ce dont il doit tenir compte et la manière dont il est déterminé.
Pour ces raisons, la commission est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Comme le rapporteur l’a souligné, le Conseil d’État a précisé dans son avis que le Sraddet devait se borner à définir une vision stratégique de l’aménagement du territoire à l’échelon régional, celui-ci intégrant notamment les enjeux environnementaux, monsieur le sénateur Sueur, à l’exclusion des dispositions de nature réglementaire.
Je consultais à l’instant les dispositions, nombreuses et précises, qui figurent dans les décrets : de fait, leur inclusion dans le Sraddet nuirait à la lisibilité de ce document pour nos concitoyens et partant, à sa pertinence politique.
Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
Mme la présidente. Madame Paoli-Gagin, l’amendement n° 35 rectifié est-il maintenu ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 35 rectifié est retiré.
L’amendement n° 62, présenté par MM. Gontard, Salmon, Fernique, Breuiller, Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Labbé et Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Après le c) du 3° de l’article L. 4251-2 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …) Les stratégies et dispositifs d’accueil, de consolidation et d’adaptation des tissus industriels locaux ; ».
La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Cet amendement vise à garantir une planification industrielle territoriale à l’échelle régionale qui prenne en compte les stratégies et dispositifs d’accueil, de consolidation et d’adaptation des tissus industriels locaux.
La réindustrialisation ne se fera pas sans prendre en compte les petites et moyennes industries implantées dans les territoires, leur structuration et leur consolidation.
C’est pourquoi nous proposons d’inscrire ces politiques publiques parmi les objectifs et les règles générales du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires.
Au travers de cet amendement, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires souhaite donc optimiser l’intégration de cet enjeu stratégique au sein de la planification régionale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Laurent Somon, rapporteur. Mon cher collègue, je vous rejoins quant à la nécessité, pour les régions, de dialoguer avec les collectivités locales pour la fixation des objectifs de développement industriel, afin de substituer à une logique purement descendante une logique de coconstruction.
Mais le rapport de prise en compte, mentionné à l’article L. 4251-2 du code général des collectivités territoriales, que vous souhaitez modifier, est un lien juridique.
Le Sraddet peut prendre en compte des documents de rang supérieur – stratégies nationales, plans nationaux, etc. – ou égal au Sraddet, mais pas de rang inférieur.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Si j’ai bien compris, monsieur le rapporteur, vous êtes en accord avec ma proposition sur le fond, votre avis défavorable découlant d’une difficulté rédactionnelle.
J’aurais souhaité connaître l’avis de M. le ministre, car j’estime qu’il s’agit d’un point fondamental. Si l’industrialisation – ou la réindustrialisation – ne s’appuie pas sur la planification et sur une réflexion à l’échelon des territoires, nous allons au-devant de graves erreurs.
Il serait réellement dommage que les projets de développement de gigafactories, produisant par exemple des panneaux photovoltaïques ou des batteries, qui s’inscrivent dans le cadre de l’industrie verte, ne s’appuient pas sur le tissu industriel existant.
Dans mon département, l’Isère, où l’on produit du silicium, l’entreprise Photowatt, détenue à 100 % par EDF, fabrique encore des panneaux photovoltaïques. Si je me félicite qu’un projet de gigafactory soit en cours de déploiement dans mon territoire, je regrette qu’il ne tienne pas compte du savoir-faire local.
Cet amendement visait précisément à encourager la réflexion sur le tissu industriel existant et la prise en compte des fermetures d’usines. En Savoie, par exemple, le site Ferropem a été fermé, alors que nous aurons grandement besoin de silicium pour la filière photovoltaïque.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je souhaite abonder dans le sens de notre collègue Gontard.
Monsieur le ministre, si le Sraddet n’est pas le support adéquat, dans quel cadre la mutation du tissu industriel existant et des entreprises, qu’elles soient grandes ou petites, qui sont des maillons indispensables de la chaîne de sous-traitance, sera-t-elle prise en compte ? À défaut, nous ne pourrons mener à bien la réindustrialisation et la mutation écologique qui s’imposent à nous.
Il nous faut parvenir, en partant du bas et en prenant en compte les grandes espérances et les projets nationaux qui arrivent par le haut, à assurer la mutation de l’existant afin de constituer des écosystèmes complémentaires.
On ne connaît pas toujours à l’avance les technologies qui seront les plus prometteuses. Différentes céramiques, indispensables en aéronautique, ont par exemple été découvertes grâce aux recherches croisées menées avec des entreprises produisant des caquelons, des casseroles et d’autres objets de même nature.
Il faut donc veiller à ne pas être monomaniaque en matière de développement industriel et à ne pas privilégier les très grandes entreprises au détriment des ETI et des PME, car nous avons besoin de toute une palette d’entreprises de tailles différentes.
Cela appelle une mission nouvelle de planification, qui, à défaut de figurer dans le Sraddet, doit être confiée à l’État et aux régions.
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 93 rectifié bis, présenté par MM. Marseille et Kern, Mmes N. Goulet, Gatel et Billon, MM. Bonnecarrère, Levi, Folliot, Henno et Laugier, Mmes Vérien et Devésa, MM. Canévet et Lafon, Mme Jacquemet, M. Détraigne, Mmes Perrot, Férat, Doineau et Gacquerre et MM. Moga, Duffourg et L. Hervé, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Au 2° du I de l’article L. 4251-5 du code général des collectivités territoriales, les mots : « et à l’infrastructure numérique » sont remplacés par les mots : « , à l’infrastructure numérique et au développement industriel ».
La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. En l’état du droit positif, les départements sont associés à l’élaboration du Sraddet uniquement en matière de voirie et d’infrastructures numériques.
Le rôle clef des départements dans le développement industriel, notamment dans celui des industries que le présent projet de loi qualifie de « vertes », n’est pourtant plus à prouver.
L’association des conseils départementaux à l’élaboration du projet de Sraddet sur les aspects industriels semble, à ce titre, prendre tout son sens. Celle-ci permettra à l’ensemble des collectivités territoriales d’agir de concert afin de favoriser et de faciliter le développement industriel de leurs territoires.
Cet amendement vise donc à étendre le périmètre de la consultation existante au développement industriel, de manière à ce que, lors de l’élaboration du Sraddet, les départements soient consultés sur ce sujet au même titre que sur les aspects relatifs à la voirie et aux infrastructures numériques.
Mme la présidente. Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 131 rectifié est présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Roux, Fialaire, Guiol, Requier, Bilhac, Cabanel et Gold et Mme Guillotin.
L’amendement n° 188 rectifié est présenté par MM. Menonville, Médevielle et Verzelen, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Decool et Chasseing, Mme Paoli-Gagin et MM. Capus et Wattebled.
L’amendement n° 267 est présenté par M. Gay, Mmes Varaillas, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 3
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le 2° du I de l’article L. 4251-5 du code général des collectivités territoriales est complété par les mots : « , ainsi que sur les projets industriels ».
La parole est à M. Henri Cabanel, pour présenter l’amendement n° 131 rectifié.
M. Henri Cabanel. Cet amendement a été élaboré en lien avec l’Assemblée des départements de France.
Aujourd’hui, les départements sont associés à l’élaboration du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires uniquement sur les aspects relatifs à la voirie et aux infrastructures numériques.
L’article 1er du projet de loi élargit le champ du Sraddet à l’objectif de développement des activités industrielles.
En raison des nouveaux enjeux socio-économiques qu’emporte le développement de l’industrie verte sur leur territoire, les départements demandent à être également consultés par la région sur les objectifs de développement industriel nécessitant une modification du Sraddet.
Il paraît en effet nécessaire que les départements puissent donner leur avis sur ces nouveaux projets qui auront des incidences sur l’aménagement du territoire, mais aussi sur les politiques de l’emploi et de l’insertion.
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour présenter l’amendement n° 188 rectifié.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour présenter l’amendement n° 267.
Mme Marie-Claude Varaillas. L’emploi et la formation sont les grands absents de ce projet de loi. La transition écologique et la réindustrialisation verte d’un territoire supposent pourtant de doter celui-ci d’un écosystème de formation capable de répondre aux besoins de demain.
Comme le souligne l’Assemblée des départements de France, les départements ne sont associés à l’élaboration du Sraddet que pour ce qui concerne les aspects relatifs à la voirie et aux infrastructures numériques.
En raison des nouveaux enjeux socio-économiques qu’emporte le développement de l’industrie verte sur leur territoire, comme mon collègue Henri Cabanel l’a indiqué, les départements demandent à être consultés par la région sur les objectifs de développement industriel conduisant à la modification du Sraddet.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Laurent Somon, rapporteur. Il paraît tout à fait légitime, comme cela est proposé par les auteurs de l’amendement n° 93 rectifié bis, que les départements puissent donner un avis sur les objectifs de développement industriel fixés dans le Sraddet, notamment en raison des adaptations en matière de voirie et d’infrastructures numériques qui peuvent en découler.
En visant les « projets industriels » sans plus de précision, les auteurs des amendements identiques nos 131 rectifié, 188 rectifié et 267 laissent penser que les départements pourraient avoir à se prononcer sur chaque projet industriel. Cette compétence ne relevant pas des départements, une telle évolution ne me paraît pas souhaitable. Du reste, les projets industriels ne figurent pas dans le Sraddet, qui est un document de planification.
La rédaction plus large que l’amendement n° 93 rectifié bis vise à introduire, qui évoque le « développement industriel », me paraît donc préférable.
Je précise en outre que consulter les départements sur les sujets industriels ne signifie pas leur donner un droit de veto. Il n’est nullement question d’exiger un avis conforme.
La commission est donc favorable à l’amendement n° 93 rectifié bis et demande le retrait des amendements identiques nos 131 rectifié, 188 rectifié et 267 ; à défaut, elle y sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Pour les raisons fort bien développées par le rapporteur, le Gouvernement est défavorable à l’ensemble de ces amendements.
J’estime en effet que, malgré sa rédaction plus nuancée, l’amendement n° 93 rectifié bis met tout de même un coin dans les responsabilités respectives de la région et du département, précisées, pour le meilleur et pour le pire, par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je ne reviens pas sur les propos du rapporteur. Si le fait qu’un projet industriel ne soit pas accepté dans un département pose tout de même une difficulté, j’estime en effet que la rédaction proposée par le président Marseille au travers de l’amendement n° 93 rectifié bis permet d’y apporter une réponse adéquate.
En revanche, monsieur le ministre, dans un pays aussi fracturé que le nôtre, où l’acceptabilité sociale des grands projets industriels, de la gestion de la ressource en eau ou des questions de souveraineté alimentaire pose autant de difficultés, la question n’est pas tant de mettre un coin dans la répartition des responsabilités des différentes collectivités que d’accorder tout le monde.
Il me semble donc que nous avons besoin de toutes les collectivités territoriales, quel que soit leur niveau de responsabilité et d’exercice d’une compétence. Toutes ont en effet à cœur d’aménager le territoire au service des femmes et des hommes qui y vivent et y travaillent dans le cadre, non pas d’une opposition, mais d’un partenariat avec l’État.
Il s’agit non d’accorder un droit de veto aux départements, comme le rappelait le rapporteur, mais d’associer ces derniers au relèvement du défi de la réindustrialisation de notre pays.
Celle-ci peut en effet nécessiter une réflexion sur l’insertion et sur la réorganisation des cartes de formation. De même, l’ouverture d’une usine de 500 salariés emporte des conséquences sur les services de la petite enfance, car il convient d’organiser la garde des enfants des salariés. Tout cela relève des compétences des départements.
Pour toutes ces raisons, non seulement les départements ne doivent pas être tenus à l’écart, mais ils seront des acteurs de la réussite de la réindustrialisation du pays.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, après avoir entendu les arguments de M. le rapporteur, je souhaite modifier mon amendement, afin de le rendre identique à l’amendement n° 93 rectifié bis.
Mme la présidente. Il s’agit donc de l’amendement n° 131 rectifié bis, dont le libellé est strictement identique à celui de l’amendement n° 93 rectifié bis.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 93 rectifié bis et 131 rectifié bis.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, les amendements identiques nos 188 rectifié et 267 n’ont plus d’objet.
L’amendement n° 369, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué. Avec cet amendement, nous voulons nous assurer que la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires des sénateurs Valérie Létard et Jean-Baptiste Blanc, dont l’examen commencera demain à l’Assemblée nationale, ne soit pas modifiée, en quelque sorte à distance, par des amendements visant le présent projet de loi.
Cette proposition de loi, qui a été discutée et votée dans cet hémicycle, fera l’objet d’une commission mixte paritaire, au sein de laquelle je ne doute pas que les arguments du Sénat seront pris en compte.
Toutefois, pour laisser le débat se dérouler à l’Assemblée nationale, le Gouvernement propose de supprimer le report d’un an prévu pour ce qui concerne l’évolution des documents de planification régionale intégrant la trajectoire de sobriété foncière.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Laurent Somon, rapporteur. Il nous semble important de reporter l’échéance de modification des Sraddet en vue d’y introduire les objectifs de réduction de l’artificialisation des sols, afin que cette modification puisse coïncider avec celle qui vise à y insérer les nouveaux objectifs de développement industriel prévus par le projet de loi relatif à l’industrie verte.
Comme vous le reconnaissez vous-même dans l’étude d’impact, monsieur le ministre, la concomitance de ces deux modifications a du sens, car il n’est plus temps d’intégrer la planification industrielle dans le cadre d’une entrée en vigueur des Sraddet modifiés en février dernier, compte tenu des délais obligatoires de consultation.
Vous affirmez que nous devons attendre le terme de l’examen de la proposition de loi dite zéro artificialisation nette à l’Assemblée nationale, mais nous avons voté ce texte au Sénat…
Aussi, afin de se conformer à ce vote, la commission émet-elle un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le ministre, vos propos comportent une contradiction. Or savoir dépasser les contradictions est une force, tant pour un individu que pour un collectif.
L’objectif louable que semble s’assigner le Gouvernement ne me pose aucun problème. À cet égard, nous avons auditionné à plusieurs reprises votre collègue Christophe Béchu, qui a des exigences en matière de ZAN.
Voilà peu de temps, nous vous avons également auditionné, avec votre collègue Bruno Le Maire, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à l’industrie verte, et nous vous avons interrogé sur l’exclusion du calcul du ZAN – en un pschitt ! – de 15 000 hectares pour favoriser le développement de l’industrie verte.
Si notre rôle de parlementaire n’est certainement pas de résoudre les contradictions du Gouvernement, le législateur peut y contribuer à l’issue de l’examen, en partie concomitant, de ces deux textes. Ce serait une très bonne chose.
Si nous pouvions préserver ce qui a été débattu et voté ici même, à la quasi-unanimité, un certain jeudi soir, alors que l’ambiance n’était pas du tout similaire à celle de l’Assemblée nationale, ce serait important pour l’avenir de la vie politique de notre pays.
En tout cas, l’adoption d’un tel amendement remettrait en cause le difficile équilibre trouvé au Sénat. Il appartiendrait alors aux éventuelles deux commissions mixtes paritaires de mettre de nouveau en adéquation ces deux textes, afin qu’ils aient les mêmes objectifs : préserver nos ressources naturelles tout en réindustrialisant notre pays.
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Je voudrais apporter quelques précisions sur cet amendement, que je ne voterai pas, comme y invite la commission.
Tout d’abord, monsieur le ministre, il s’agit non pas de la proposition de loi du rapporteur Jean-Baptiste Blanc et de la présidente Valérie Létard, mais de la proposition de loi du Sénat. Elle est issue d’un groupe de travail transpartisan, qui a œuvré pendant plusieurs semaines, et elle a été votée ici même à une très large majorité.
Ensuite, si vous me permettez l’expression, un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Cet alinéa que votre amendement vise à supprimer est une assurance vie prise par le Sénat sur le déroulement des débats relatifs à la proposition de loi ZAN à l’Assemblée nationale.
En effet, nous avons adopté un report d’un an pour les Sraddet, mais la commission de l’Assemblée nationale a réduit ce délai à six mois. Or nous tenons à ce report d’un an, car travailler sur ces documents demande un petit peu de jus de cervelle, si je puis dire.
Il s’agit donc non pas d’exprimer une défiance à l’égard du Gouvernement ou de l’Assemblée nationale, mais uniquement de prendre une assurance vie pour nos territoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour explication de vote.
M. Christian Redon-Sarrazy. Nous nous étions en effet accordés sur ce délai supplémentaire.
J’ai eu des échanges avec un certain nombre d’acteurs qui, dans les territoires, ont déjà mené, ou sont en train de le faire, des négociations sur les Sraddet et les documents de planification. Or si nous leur annonçons aujourd’hui que ce délai, qui leur est indispensable pour intégrer les dispositions prévues par les divers projets et propositions de loi, passera à la trappe, nous finirons, me semble-t-il, sinon de les écœurer, à tout le moins certainement de les inquiéter.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 2 rectifié ter, présenté par Mme Canayer, MM. P. Martin et Chauvet, Mme Gatel, MM. Mandelli, Tabarot, Brisson, Levi, Mouiller et Sol, Mme Demas, MM. Calvet, Burgoa, Pellevat, Chatillon, B. Fournier et Perrin, Mmes Imbert et M. Mercier, MM. Laménie et Belin, Mmes Dumont, Billon et Garriaud-Maylam, M. Lefèvre, Mmes Bellurot et Belrhiti, M. Rietmann, Mmes F. Gerbaud, Perrot, Gosselin et Di Folco et MM. Piednoir, Charon et Allizard, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Dans chaque région concernée par la réalisation d’un projet d’intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique, un préfet coordonnateur chargé de la mise en œuvre des objectifs de développement industriel mentionnés à l’article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales est désigné par décret.
La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Le présent amendement vise à désigner un préfet coordonnateur en charge de la mise en œuvre des objectifs de développement industriel prévus par le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires pour pallier les défaillances actuelles de coordination territoriale et, ainsi, accélérer les implantations industrielles.
Aujourd’hui, les porteurs de projets rencontrent de nombreuses difficultés sur le terrain pour ouvrir les différentes portes des diverses administrations, voire agences, de l’État.
Dans un rapport d’information de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, nous avions déjà souligné les difficultés liées à la difficile coordination ou au manque d’unité de la présence de l’État dans les territoires pour accompagner les projets des collectivités. Le sujet est le même pour les projets industriels.
Aussi, nous gagnerions en efficacité et en clarté si, au sein des services de l’État, un préfet était chargé de la coordination et de l’aide à l’implantation de ces projets industriels.
Mme la présidente. L’amendement n° 94, présenté par Mme Canayer, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - Dans chaque région concernée par la réalisation d’un projet d’intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique, le coordonnateur chargé de la mise en œuvre des objectifs de développement industriel mentionnés à l’article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales est désigné est le représentant de l’État dans la région.
La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Il s’agit d’un amendement de repli, qui vise à désigner le préfet de région en tant que coordonnateur.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Laurent Somon, rapporteur. Ces deux amendements tendent à mettre en place un coordonnateur chargé de la mise en œuvre des objectifs de développement industriel fixés par le Sraddet dans les régions concernées par la réalisation d’un projet d’intérêt national majeur. L’amendement n° 2 rectifié ter vise en outre à préciser que ce coordonnateur sera un préfet.
Je suis bien sûr tout à fait favorable à cette mesure : c’est en réunissant l’ensemble des parties prenantes – État, collectivités locales, porteurs de projet, aménageurs, etc. – que l’on accélérera véritablement les projets.
La région Hauts-de-France peut être un laboratoire. Ainsi, s’agissant du canal Seine-Nord Europe, nous avons pu constater que la bonne coordination du président de région et du préfet de région avait permis des avancées notables, notamment dans la réalisation des travaux.
Nous l’avons encore constaté, tout récemment, à Douvrin ; l’ouverture du site au bout de deux ans montre que cette symbiose entre préfet et président de région peut avoir des effets tout à fait favorables.
Par conséquent, il est souhaitable de généraliser ce fonctionnement en mode projet. Le préfet semble le mieux placé pour assurer cette mission, mais il pourrait aussi s’agir, si l’État le souhaite, en fonction de la nature et de l’ampleur des projets, d’un préfet dédié.
La commission émet donc un avis favorable sur ces deux amendements, avec toutefois une préférence pour l’amendement n° 2 rectifié ter.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. J’avoue être quelque peu surpris par ces amendements qui visent, en tout cas en apparence, à décharger la région de sa responsabilité dans la mise en œuvre du Sraddet pour la confier à l’État. C’est tout de même paradoxal s’agissant d’un amendement défendu par des sénateurs.
Monsieur le rapporteur, vous l’avez souligné, cette collaboration exemplaire existe déjà au sein de la région Hauts-de-France – je m’y rends très souvent ces temps-ci, à l’occasion de bonnes nouvelles, mais aussi malheureusement parfois de moins bonnes. Elle n’est en aucun cas empêchée par la loi actuelle.
Au sein des préfectures, il existe déjà des sous-préfets France 2030 destinés à aider les installations industrielles et à accélérer l’action de l’État sur le terrain, en étroite collaboration avec les services de la région.
À l’instar des rôles respectifs des départements et des régions que nous avons précédemment débattus, il me semble préférable de conserver des responsabilités bien définies, tout en s’assurant, en revanche – c’est à la fois notre rôle et celui des exécutifs locaux –, que les différents acteurs travaillent ensemble.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces amendements.
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour explication de vote.
Mme Agnès Canayer. Le sujet n’est pas de retirer aux régions la compétence de mise en œuvre du Sraddet.
Au contraire, nous voulons que l’État soit présent pour faciliter la mise en œuvre des projets, mais aussi aider à la coordination et à l’ouverture des portes.
Aujourd’hui, les porteurs de projets sont souvent face à un État qui est divers : ils sont confrontés à de multiples services, que ce soit la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), l’Ademe ou l’ensemble des autres agences, et ils ont du mal à ouvrir les portes les unes après les autres.
Ils perdent en efficacité et en rapidité, ils perdent du temps et parfois renoncent à leur projet face à ce manque d’unicité de la présence de l’État en faveur de l’accompagnement et de l’attribution des différentes autorisations de mise en œuvre des projets.
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Il existe peut-être un problème de rédaction s’agissant de l’amendement n° 2 rectifié ter.
Je comprends la réticence de M. le ministre, puisqu’il y est question de la mise en œuvre des objectifs de développement industriel. Or, d’après les propos tenus par Mme Canayer et M. le rapporteur, il semble s’agir de la mise en œuvre des projets.
Aussi, peut-être pourrions-nous modifier le texte de l’amendement n° 2 rectifié ter, qui a la préférence de notre rapporteur, de la manière suivante : « Dans chaque région concernée par la réalisation d’un projet d’intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique, un préfet coordinateur chargé de la mise en œuvre de ce projet industriel est désigné par le préfet ».
Cette rédaction lèverait l’ambiguïté que M. le ministre a soulignée.
Mme la présidente. Madame Canayer, acceptez-vous de rectifier votre amendement dans le sens suggéré par Mme la présidente de la commission ?
Mme Agnès Canayer. Tout à fait, madame la présidente.
Mme la présidente. Je suis donc saisie de l’amendement n° 2 rectifié quater, présenté par Mme Canayer, MM. P. Martin et Chauvet, Mme Gatel, MM. Mandelli, Tabarot, Brisson, Levi, Mouiller et Sol, Mme Demas, MM. Calvet, Burgoa, Pellevat, Chatillon, B. Fournier et Perrin, Mmes Imbert et M. Mercier, MM. Laménie et Belin, Mmes Dumont, Billon et Garriaud-Maylam, M. Lefèvre, Mmes Bellurot et Belrhiti, M. Rietmann, Mmes F. Gerbaud, Perrot, Gosselin et Di Folco et MM. Piednoir, Charon et Allizard, et ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Dans chaque région concernée par la réalisation d’un projet d’intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique, un préfet coordonnateur chargé de la mise en œuvre des projets de développement industriel mentionnés à l’article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales est désigné par décret.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Cette rédaction lève un peu mes réserves. Toutefois, il me semble que cet amendement est satisfait. En effet, pour des projets industriels particuliers soutenus par France 2030, les préfets France 2030 sont précisément chargés de coordonner le travail des services de l’État et de s’assurer de la bonne collaboration avec les régions.
L’avis du Gouvernement reste donc défavorable, même si c’est de façon plus modérée.
Mme la présidente. En conséquence, l’amendement n° 94 n’a plus d’objet.
Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 20 rectifié bis, présenté par MM. Marseille et Kern, Mmes N. Goulet et Billon, MM. Bonnecarrère, Levi, Folliot, Henno et Laugier, Mmes Vérien et Devésa, MM. Canévet et Lafon, Mme Jacquemet, M. Détraigne, Mmes Perrot, Férat et Doineau, M. Moga, Mmes Gacquerre et Gatel et MM. Duffourg et L. Hervé, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 2122-2 du code général de la propriété des personnes publiques est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La durée de l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public est prorogée jusqu’à la fin de l’amortissement total des investissements de l’occupant, dans le cas où les investissements concernés s’inscrivent dans le cadre de la transition écologique et ont été programmés durant la période de l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public. »
La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. L’industrie du recyclage privilégiant le transport fluvial et maritime pour acheminer ses matières recyclées s’implante en priorité dans les zones portuaires. Une telle utilisation des voies fluviales contribue à la décarbonation du secteur du transport.
Le Gouvernement souhaite rendre la France plus attractive pour les industries vertes, et le secteur du recyclage en fait pleinement partie.
L’industrie du recyclage se modernise et investit pour s’adapter aux nouveaux gisements de déchets à recycler et pour améliorer ses technologies. Ces investissements sont lourds, de l’ordre de plusieurs millions à plusieurs dizaines de millions d’euros pour chaque installation. Ainsi, le secteur du recyclage a investi 547 millions d’euros en 2021.
Or, à l’heure actuelle, les terrains des zones portuaires sont affectés aux entreprises pour des durées limitées, par le biais d’autorisations d’occupation temporaire du domaine public.
Si ces autorisations peuvent aller jusqu’à soixante-dix ans, les durées constatées excèdent rarement vingt ans. Elles peuvent constituer un frein réel à l’investissement dans le cadre du développement des activités, puisque les zones portuaires lancent systématiquement une procédure de mise en concurrence dès que la période définie dans l’autorisation arrive à son terme.
Afin que les entreprises de recyclage puissent continuer à se développer pour répondre aux défis de l’économie circulaire et de la transition écologique, il est nécessaire de sécuriser leurs investissements dans les zones portuaires.
Cet amendement vise à prolonger la durée de l’autorisation et à l’aligner sur celle de l’amortissement, en cas de nouvel investissement durant la période définie par l’autorisation.
Par ailleurs, cette disposition, si elle était adoptée, éviterait une remise en état du site pour les besoins d’un nouvel occupant, notamment en déconstruisant les bâtiments existants. D’un point de vue écologique, cette démarche serait en effet contraire à l’utilisation efficiente des ressources.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Laurent Somon, rapporteur. Par cet amendement, mon cher collègue, vous proposez de proroger la durée de l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public jusqu’à la fin de l’amortissement des investissements effectués dans le cadre de la transition écologique.
Lorsqu’une autorisation d’occupation ou d’utilisation du domaine public est accordée en vue d’une exploitation économique, sa durée est fixée « de manière à ne pas restreindre ou limiter la libre concurrence au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’amortissement des investissements projetés et une rémunération équitable et suffisante des capitaux investis », selon l’article L. 2122-2 du code général de la propriété des personnes publiques.
En outre, aux termes de l’alinéa 4 de cet article, la procédure de sélection permettant la mise en concurrence n’est pas applicable lorsqu’il s’agit d’une simple prolongation d’une autorisation existante. Dans le cas d’une exploitation économique, il est simplement précisé que cette prolongation ne peut excéder la durée nécessaire pour assurer l’amortissement des investissements consentis.
Votre amendement me semble donc satisfait, sauf à vouloir lier les mains de l’administration en ne lui laissant aucun droit de regard sur le bien-fondé de la prorogation, ce qui ne me paraît pas souhaitable.
La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Nous sommes évidemment favorables à la filière du recyclage, mais nous devons nous en tenir aux règles de mise en concurrence, comme M. le rapporteur l’a rappelé.
Aucune raison ne justifie de prolonger quasi automatiquement l’autorisation d’occupation temporaire, alors que les durées d’autorisation peuvent d’ores et déjà aller jusqu’à cinquante ans, ce qui offre tout de même une certaine visibilité.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 20 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 149, présenté par M. Montaugé, Mmes Préville et Briquet, MM. Marie et Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Tissot et J. Bigot, Mme Bonnefoy, MM. Gillé, Houllegatte et Lurel, Mme Monier, M. Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Pour accélérer la transition écologique et la décarbonation de l’industrie, l’État élabore une stratégie nationale « industrie verte » pour la période 2023-2030.
Cette stratégie détermine les filières stratégiques qui doivent être implantées ou développées prioritairement sur le territoire national. Elle favorise la recherche et l’expérimentation de nouveaux produits et procédés contribuant à la transition écologique. Elle identifie les besoins nationaux en matériaux et produits.
Elle tient compte des objectifs et trajectoires nationaux en matière de réduction de l’artificialisation des sols et de décarbonation. Elle définit les engagements attendus de l’ensemble des acteurs concernés notamment en termes de réduction des impacts environnementaux.
Elle est élaborée en associant l’ensemble des niveaux de collectivités, ainsi que des représentants des acteurs publics et privés pertinents, et s’appuie sur les travaux menés par le Conseil national de l’industrie et des comités stratégiques de filières. Le Conseil national de la transition écologique et le Haut Conseil pour le climat sont également consultés.
La stratégie nationale « industrie verte » fait l’objet d’un débat annuel devant le Parlement.
La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Le projet de loi inscrit la planification industrielle dans les Sraddet. Mais avec quels outils ? Qu’entend-on par industrie verte ?
Quelles sont les filières industrielles à développer prioritairement pour être dans la course du monde économique, social et environnemental souhaitable de demain ? Dispose-t-on d’une analyse des besoins nationaux en matériaux et en produits ?
Comment ce projet de loi s’articule-t-il avec les objectifs de maîtrise de la consommation foncière, de planification écologique et d’économie des ressources ? L’identification des priorités en matière de sécurisation de la chaîne d’approvisionnement n’est-elle pas un préalable à toute politique de réindustrialisation ciblée ?
À cet égard, les travaux de la commission des affaires économiques du Sénat, qui ont fait l’objet d’un rapport d’information intitulé Cinq Plans pour reconstruire la souveraineté économique, ont mis en évidence un manque d’anticipation et d’analyse de l’approvisionnement de l’économie française, qui est dépendante à près de 40 % d’intrants importés, contre 29 % voilà vingt ans.
Le Conseil national de la transition écologique (CNTE) recommande, quant à lui, que les travaux de planification industrielle s’inscrivent dans une stratégie globale, définie aux échelons national, régional et intercommunal, de manière coordonnée avec les collectivités concernées et les représentants des acteurs économiques.
Il rappelle que la notion d’industrie verte ne peut se limiter à la décarbonation et qu’elle recouvre au minimum les industries et les activités contribuant à la neutralité carbone, sans porter atteinte à la biodiversité, aux ressources en eau et à la santé humaine.
Notre amendement vise à poser les bases d’une stratégie nationale concertée Industrie verte, afin de disposer d’un socle partagé et d’une trajectoire commune permettant ainsi de mieux appréhender les enjeux de planification industrielle à l’aune des défis économiques, sociaux et environnementaux que nous devons relever et qui feront la France de demain.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Laurent Somon, rapporteur. Comme vous, nous regrettons le manque de définition de l’industrie verte et d’objectifs par filière industrielle.
L’amendement vise à l’élaboration d’une stratégie nationale Industrie verte à l’horizon de 2030. Tous les acteurs publics et privés pertinents y seraient associés, notamment les collectivités, et elle s’appuierait sur les travaux menés par le Conseil national de l’industrie, le Conseil national de la transition écologique et le Haut Conseil pour le climat.
Le Gouvernement pense avoir déjà élaboré cette stratégie nationale dans le cadre de ce projet de loi, mais cela n’a pas été réalisé en toute transparence ni en se fixant un cap de long terme.
Contrairement à ce qui avait été annoncé, tout le monde n’a pas été associé à la préparation de ce projet de loi et, plus largement, au programme gouvernemental Industrie verte. Il est donc souhaitable de donner une cohérence aux actions de l’État, des collectivités et de l’ensemble des acteurs en matière d’industrie verte.
La commission partage cet objectif d’élaboration d’une stratégie nationale Industrie verte. Aussi émet-elle un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Je ne suis pas opposé à l’élaboration d’une stratégie nationale Industrie verte pour la période 2023-2030, mais, à mon sens, celle-ci existe déjà. Il s’agit de la planification écologique que nous sommes en train de finaliser après un an de travail et qui nous permettra de décarboner l’ensemble des secteurs industriels de la France.
Cette planification découle du plan France 2030, présenté voilà bientôt deux ans par le Président de la République à l’Élysée, dont vous avez pu débattre à l’occasion de l’examen des différents projets de loi de finances et qui vise à définir ce que doit être la France de 2030. Nous sommes d’ores et déjà dans une logique de mise en œuvre.
Monsieur le rapporteur, comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, ce projet de loi est l’un des maillons de la chaîne permettant de déployer cette stratégie globale et cohérente de décarbonation et de réindustrialisation de la France, ainsi que de mise aux normes de 2030, si je puis dire, de l’industrie française.
Cette stratégie est déjà déclinée dans les projets de décarbonation des cinquante sites les plus émetteurs de CO2 dont j’ai la charge, dans le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes et dans la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables que vous avez votée, ou encore dans la programmation pluriannuelle de l’énergie.
Un certain nombre de maillons de cette grande chaîne ont d’ores et déjà été discutés au Sénat et à l’Assemblée nationale ou le seront prochainement. Aussi, je suggère de nous limiter à ces nombreux échanges, d’autant que, à l’issue du processus de planification écologique qui devrait s’achever d’ici à quelques semaines, vous pourrez auditionner les ministres concernés.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.
M. Franck Montaugé. Monsieur le ministre, je vous ai écouté attentivement. Vous avez précisé que le travail réalisé, dont on a du mal à percevoir les contours et les orientations – nos points de vue ne sont évidemment pas les mêmes –, a pour horizon 2030.
Toutefois, envisager l’économie du monde de demain ne se limite pas à 2030. Il faut penser l’avenir bien au-delà. Une stratégie nationale industrielle, que je ne qualifierais même pas de verte, est nécessaire et nous voulons en débattre.
Encore une fois, nous allons être coincés entre les États-Unis et la Chine, avec pour seule réponse la norme et la régulation de concepts venus d’ailleurs.
C’est la question qui nous est posée en tant que Français et qui est posée à la Nation. Nous appelons de nos vœux cette projection, sur laquelle nous souhaiterions échanger et travailler avec vous. C’est la question de fond qui se joue actuellement – il est peut-être même déjà trop tard, bien que, pour ma part, je ne pense jamais que tel soit le cas.
Je le répète, ce texte est restrictif au regard de cet enjeu politique fondamental. (Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Marie-Claude Varaillas applaudissent.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er.
Article 1er bis (nouveau)
L’article L. 324-1 du code de l’urbanisme est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
a) La première phrase est complétée par les mots : « , y compris par le biais d’opérations de renaturation, au sens de l’article L. 101-2-1. » ;
b) La seconde phrase est complétée par les mots : « , ainsi qu’au développement industriel » ;
c) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Elles passent notamment par l’acquisition et de la réhabilitation de friches. » ;
2° Au troisième alinéa, après le mot : « économiques », sont insérés les mots : « , notamment industrielles ».
Mme la présidente. L’amendement n° 304, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite expliquer, de manière exhaustive, les raisons pour lesquelles nous proposons de supprimer l’article 1er bis, que vous avez adopté en commission et qui modifie les missions statutaires dévolues aux établissements publics fonciers locaux (EPFL), afin qu’ils participent au développement industriel des territoires et à la renaturation en ciblant leur action sur les friches.
Il n’est pas nécessaire d’inscrire dans la loi que les établissements publics fonciers peuvent participer au développement industriel des territoires et à la renaturation.
L’article L. 324-1 du code de l’urbanisme, qui définit les missions statutaires des EPFL, prévoit déjà que ces derniers peuvent contribuer au développement de toutes les activités économiques, ce qui comprend les activités industrielles, et mobiliser du foncier pour favoriser la limitation de l’étalement urbain et de l’artificialisation des sols.
Les objectifs fixés aux collectivités en matière de sobriété foncière portent sur une réduction de l’artificialisation nette des sols, c’est-à-dire sur le solde entre artificialisation et renaturation. L’intention est donc déjà satisfaite.
De même, les EPFL sont historiquement les opérateurs du recyclage des friches, sans qu’il soit utile de le préciser.
Enfin, et surtout, ces ajustements des missions statutaires sont apportés uniquement aux établissements publics fonciers (EPF) locaux et non aux EPF d’État, qui couvrent pourtant l’essentiel du territoire national et dont les missions sont définies de façon cohérente avec celles des EPF locaux.
L’article 1er bis ainsi voté introduit une forme d’incohérence entre les missions des EPF locaux et celles des EPF d’État.
C’est pourquoi le Gouvernement propose de supprimer l’article 1er bis.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Laurent Somon, rapporteur. Monsieur le ministre, vous souhaitez supprimer la précision introduite en commission, selon laquelle les EPFL pourraient acquérir du foncier à des fins d’implantations industrielles, ce qu’ils nous ont déclaré avoir plus de difficultés à réaliser, au motif qu’ils peuvent déjà le faire et que cela pourrait créer des a contrario avec les autres activités économiques.
En suivant votre logique, nous devrions supprimer l’article 8 du projet de loi, qui procède exactement de la même manière, puisqu’il vient préciser dans la loi ce que cette dernière prévoit déjà de faire, pour donner plus de visibilité à certains secteurs et sécuriser les porteurs de projet et les collectivités en matière de déclaration de projet.
Pour nous aussi, il s’agit de faire savoir aux EPFL qu’ils sont légitimes à intervenir en faveur de l’industrie, afin de leur donner davantage de latitude pour jouer un rôle dans ce domaine.
Contrairement à vos propos tenus à l’instant, nous ne l’avons pas précisé pour les EPF d’État, car ils sont dotés d’une meilleure ingénierie et ont une meilleure connaissance de ce qu’ils peuvent faire, ou non. Si cette dissymétrie est gênante, pourquoi n’avez-vous pas introduit la même précision pour les EPF d’État, plutôt que de supprimer la nôtre ?
L’avis de la commission sur cet amendement est donc défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er bis.
(L’article 1er bis est adopté.)
Article 1er ter (nouveau)
Après la quatrième phrase du 3° de l’article L. 141-2 du code de l’énergie, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Il précise les cibles indicatives de production nationale des principaux composants et matériels nécessaires au déploiement des énergies renouvelables en tenant compte des objectifs de puissance installée. » – (Adopté.)
Chapitre II
Moderniser la consultation du public
Avant l’article 2
Mme la présidente. L’amendement n° 268, présenté par M. Gay, Mmes Varaillas, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Avant l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le III de l’article L. 110-1 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « six » ;
2° Il est ajouté un 6° ainsi rédigé :
« 6° Le déploiement d’une organisation déconcentrée de l’État dotée de moyens adaptés à l’atteinte effective des objectifs précités et à la mise en œuvre effective de la planification territoriale des implantations industrielles. »
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Pour accélérer la réalisation de projets industriels, il nous semble nécessaire de renforcer les moyens des services instructeurs, notamment en matière environnementale, et de garantir aux services déconcentrés de l’État la capacité d’assurer l’ensemble de leurs missions, en particulier le contrôle et l’évaluation des projets couverts par le présent texte.
On le souligne souvent, en France, les délais d’implantation des sites industriels sont plus longs qu’ailleurs en Europe, que les projets considérés soient verts ou non, d’ailleurs. C’est peut-être précisément parce que les services de l’État sont surchargés de travail.
Contraints par l’article 40 de la Constitution, que nous connaissons bien, nous avons dû nous contenter de proposer cette rédaction. Il s’agit d’inscrire, dans les principes généraux du code de l’environnement, l’engagement de doter les administrations déconcentrées de l’État de moyens humains leur permettant de répondre à ces enjeux.
Je garde en mémoire les travaux de la commission d’enquête constituée au Sénat après l’incendie de l’usine Lubrizol. Dans ce cadre, des agents des Dreal nous avaient expliqué que le développement de l’éolien, par exemple, leur imposait de nombreuses études supplémentaires.
Si l’on veut réellement accélérer l’industrialisation de notre pays, il faut accorder davantage de moyens aux services déconcentrés de l’État.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. Ma chère collègue, je comprends tout à fait les arguments que vous venez de développer. Quand on analyse les conditions dans lesquelles les procédures se déroulent et les autorisations sont parfois attribuées, on peut effectivement dresser ce constat : la capacité des services de l’État à répondre en temps et en heure aux demandes qui leur sont adressées est un enjeu important.
Par cet amendement, vous proposez d’ajouter aux engagements pris en faveur du développement durable « le déploiement d’une organisation déconcentrée de l’État dotée de moyens adaptés à […] la mise en œuvre effective de la planification territoriale des implantations industrielles ».
J’y insiste, nous approuvons votre but : renforcer l’État déconcentré au service de notre développement industriel. De même, nous connaissons la contrainte de l’article 40, qui a conduit à cette rédaction.
Toutefois, cet objectif n’est pas du même ordre que les engagements associés par le présent texte au développement durable, qu’il s’agisse de préserver la biodiversité ou d’assurer l’épanouissement de tous les êtres humains.
Selon nous, il est nécessaire de distinguer les engagements généraux guidant l’action publique de leur mise en œuvre concrète. D’ailleurs, il s’agit sans doute avant tout d’un amendement d’appel,…
Mme Céline Brulin. En effet !
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. … et M. le ministre va pouvoir vous répondre à son tour.
Pour notre part, nous émettons un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Sur la forme, inscrire dans la loi la nécessaire efficacité de l’État me semble, à tout le moins, un peu déplacé.
Bien sûr, je comprends l’objectif : assurer la mise en œuvre de ce texte grâce aux moyens adéquats. Bruno Le Maire, Christophe Béchu et moi-même nous sommes penchés sur cette question, dont vous aurez évidemment l’occasion de débattre lors de l’examen du projet de loi de finances.
Nous devons, collectivement, parvenir à renforcer les moyens des Dreal, afin que les délais de traitement des dossiers puissent être respectés. C’est un enjeu essentiel, en particulier pour la mise en œuvre du présent texte.
Cela étant, je demande à mon tour le retrait de cet amendement qui est un peu incantatoire, voire blessant pour les services de l’État… (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
Mme Céline Brulin. Nous leur rendons service !
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. L’incantation, nous y sommes parfois poussés pour formuler, en quelque sorte, un rappel de bonne conduite.
Ma chère collègue, je ne voterai pas votre amendement : je vous prie de m’en excuser.
Monsieur le ministre, j’entends votre réponse. On a invoqué la contrainte de l’article 40. Pour ma part, je ne pense pas que nous soyons dépourvus de moyens ; le problème, c’est que ces derniers ont été éparpillés entre diverses agences.
J’en suis profondément convaincue : si l’État se remusclait dans les territoires, si l’on mettait un terme à cet éparpillement, qui conduit parfois à une multiplicité d’avis, non seulement l’on dépenserait moins d’argent, mais l’on gagnerait en cohérence et en efficacité. (Marques d’approbation sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Très bien !
Mme Marta de Cidrac. C’est vrai !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 268.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 2
I. – Le livre Ier du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° L’article L. 123-1-A est complété par un 4° ainsi rédigé :
« 4° De la consultation du public mentionnée à l’article L. 181-10-1, lorsqu’elle est applicable. » ;
2° Après le même article L. 123-1-A, il est inséré un article L. 123-1-B ainsi rédigé :
« Art. L. 123-1-B. – Le juge administratif des référés fait droit à toute demande de suspension d’une décision prise sans que la participation du public mentionnée à l’article L. 123-1-A ait eu lieu, alors qu’elle était requise. » ;
3° Le 1° du I de l’article L. 123-2 est ainsi modifié :
a) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« – des projets auxquels s’applique, au titre de la première autorisation mentionnée au III de l’article L. 122-1-1, la consultation du public prévue à l’article L. 181-10-1 ; »
b) La seconde phrase du quatrième alinéa est complétée par les mots : « ou de la procédure prévue à l’article L. 181-10-1 » ;
4° À la fin de la seconde phrase de l’article L. 123-7, les mots : « ou à la procédure de participation du public par voie électronique prévue à l’article L. 123-19 » sont remplacés par les mots : « , à la procédure de participation du public par voie électronique prévue à l’article L. 123-19 ou à la consultation du public prévue à l’article L. 181-10-1, selon le cas » ;
5° Le deuxième alinéa de l’article L. 123-16 est supprimé ;
6° Le 1° du I de l’article L. 123-19 est complété par les mots : « s’ils ne relèvent pas de la consultation du public prévue à l’article L. 181-10-1 » ;
7° L’article L. 181-9 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa et les 1° à 3° sont remplacés par un alinéa et des 1° et 2° ainsi rédigés :
« L’instruction de la demande d’autorisation environnementale, après qu’elle a été jugée complète et régulière par l’autorité administrative, se déroule en deux phases :
« 1° Une phase d’examen et de consultation ;
« 2° Une phase de décision. » ;
b) Au cinquième alinéa, après le mot : « examen », sont insérés les mots : « et de consultation » ;
c) Le dernier alinéa est supprimé ;
8° Le I de l’article L. 181-10 est ainsi rédigé :
« I. – La consultation du public est réalisée selon les modalités fixées à l’article L. 181-10-1. Toutefois, dans le cas prévu au troisième alinéa du III de l’article L. 122-1-1, elle est réalisée selon les modalités prévues à l’article L. 123-19.
« Lorsque l’instruction de l’autorisation d’urbanisme relative au même projet nécessite la mise en œuvre de l’une des modalités de participation du public mentionnées aux 1° à 3° de l’article L. 123-1-A et que celle-ci n’a pas encore été réalisée, la consultation prévue à l’article L. 181-10-1 en tient lieu.
« Lorsqu’il doit être procédé par ailleurs à une enquête publique préalablement à une autre décision qu’une autorisation d’urbanisme, nécessaire à la réalisation du projet, et que cette enquête n’a pas encore été réalisée, la consultation du public est organisée conformément au chapitre III du titre II du présent livre par une enquête publique unique, sauf dérogation demandée par le pétitionnaire et accordée, lorsqu’elle est de nature à favoriser la bonne réalisation du projet, par l’autorité administrative compétente pour délivrer l’autorisation environnementale.
« Par dérogation à l’article L. 123-6, cette enquête publique unique est ouverte et organisée par cette autorité administrative. Sa durée n’est pas inférieure à un mois. Le dossier d’enquête comprend l’ensemble des éléments requis pour la délivrance de l’autorisation environnementale. » ;
9° Après le même article L. 181-10, il est inséré un article L. 181-10-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 181-10-1. – I. – Dès réception du dossier, l’autorité administrative saisit le président du tribunal administratif compétent en vue de la désignation, dans les conditions prévues aux articles L. 123-4 et L. 123-5, d’un commissaire enquêteur ou d’une commission d’enquête chargé de la consultation du public et respectivement d’un suppléant ou de plusieurs suppléants en mesure de se substituer sans délai au commissaire enquêteur ou aux membres de la commission d’enquête en cas d’empêchement.
« Dès que le dossier de demande est jugé complet et régulier et que le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête est désigné, l’autorité administrative organise une consultation du public selon les modalités prévues aux II à V du présent article, sauf si la demande a déjà fait l’objet d’un rejet dans les conditions prévues au quatrième alinéa de l’article L. 181-9.
« II. – La consultation mentionnée au second alinéa du I a pour objet d’assurer l’information et la participation du public ainsi que la prise en compte des intérêts des tiers lors de l’élaboration de la décision. Les observations et propositions parvenues pendant le délai de la consultation sont prises en considération par le maître d’ouvrage et par l’autorité compétente pour prendre la décision.
« Le public est avisé de l’ouverture de la consultation selon les mêmes modalités que celles prévues au II de l’article L. 123-19. La durée de la consultation est de trois mois ou, lorsque l’avis de l’autorité environnementale est requis, d’un mois de plus que le délai imparti à celle-ci pour rendre son avis.
« Le dossier de la consultation est constitué et mis à la disposition du public dans les conditions prévues au même II. L’étude d’impact, quand elle est requise, est mise à disposition du public au plus tard au moment de l’ouverture de la consultation. Les avis recueillis par l’administration sur la demande, ou l’indication d’une absence d’avis résultant de l’expiration des délais impartis, sont mis à la disposition du public sans délai au fur et à mesure de leur émission.
« III. – La consultation est conduite par le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête de manière à permettre au public de disposer d’une information complète sur le projet et de participer effectivement au processus de décision.
« À cet effet :
« 1° Dans les quinze jours suivant le début de la consultation, le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête organise une réunion publique d’ouverture avec la participation du pétitionnaire ;
« 2° Le public peut faire parvenir ses observations et propositions, pendant la durée de la consultation, par courrier électronique, par voie postale, ainsi que par toute autre modalité précisée dans l’avis d’ouverture de la consultation ;
« 3° Les observations et propositions transmises par voie électronique sont accessibles sur un site internet désigné dans des conditions fixées par voie réglementaire ;
« 4° Les réponses éventuelles du pétitionnaire aux avis mis en ligne et aux observations et propositions du public sont transmises et publiées dans les mêmes conditions, y compris lorsque ces réponses ont été formulées lors d’une réunion publique ;
« 5° Dans les quinze derniers jours de la consultation du public, le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête organise une réunion publique de clôture avec la participation du pétitionnaire. Il ou elle recueille les observations des parties prenantes jusqu’à la clôture de la consultation.
« Les réponses apportées par le pétitionnaire au plus tard lors de la réunion de clôture de la consultation sont réputées faire partie du dossier de demande, de même que les éventuelles modifications consécutives du projet, sous réserve qu’elles n’en modifient pas l’économie générale.
« IV. – Le commissaire enquêteur ou, à défaut, son suppléant ou la commission d’enquête, rend son rapport et ses conclusions motivées à l’autorité administrative, après échange avec le pétitionnaire et dans le délai de trois semaines après la clôture de la consultation du public.
« Le rapport fait état des principaux éléments relatifs au projet recueillis lors de la consultation du public et comporte une synthèse des observations et propositions du public et des réponses du pétitionnaire.
« Le rapport et les conclusions motivées sont rendus publics.
« La réception de ce rapport et de ces conclusions motivées, ou l’expiration du délai de trois semaines, met fin à la phase d’examen et de consultation et ouvre la phase de décision.
« Dans tous les cas, le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l’expiration d’un délai permettant la prise en considération des observations et propositions formulées pendant la consultation et des réponses du pétitionnaire.
« V. – Le pétitionnaire assume les frais afférents à la consultation du public, notamment ceux relatifs aux différentes mesures de publicité de la consultation et l’indemnisation du commissaire enquêteur ou de son suppléant ou de la commission d’enquête, dans les conditions prévues au chapitre III du titre II du présent livre. » ;
9° bis (nouveau) Au premier alinéa de l’article L. 181-17, le mot : « cinquième » est remplacé par le mot : « quatrième » ;
10° Le I de l’article L. 181-31 est ainsi rédigé :
« I. – Par dérogation au chapitre III du titre II du présent livre, les diverses modalités de consultation du public prévues à l’article L. 181-10 pour les projets relevant des articles L. 217-2 et L. 217-3 ou de l’article L. 517-1 sont régies par le présent article.
« Les procédures de consultation du public mentionnées par l’article L. 181-10 sont dirigées par le représentant de l’État dans le département à l’initiative du ministre de la défense.
« À la demande du ministre, le représentant de l’État dans le département retire du dossier mis en consultation les éléments soumis à des règles de protection du secret de la défense nationale ou ceux dont la divulgation serait de nature à nuire aux intérêts de la défense nationale.
« Le rapport de consultation du public ainsi que les avis recueillis sont transmis par le représentant de l’État dans le département au ministre de la défense. »
II. – Le présent article s’applique aux demandes d’autorisation environnementale déposées à compter d’une date fixée par décret, et au plus tard un an après la publication de la présente loi.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 64 est présenté par MM. Fernique, Salmon, Breuiller, Benarroche, Dantec, Dossus, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel.
L’amendement n° 112 est présenté par Mme Préville.
L’amendement n° 240 est présenté par Mme Varaillas, MM. Gay, Lahellec et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques Fernique, pour présenter l’amendement n° 64.
M. Jacques Fernique. Mes chers collègues, je vous indique d’ores et déjà que les élus du groupe GEST demanderont un scrutin public sur ces amendements de suppression. À nos yeux, il s’agit en effet d’un point déterminant ; notre position sur ce texte en dépendra.
L’article 2 franchit avec fracas l’une de nos lignes rouges : à notre sens, la participation du public ne doit pas constituer une variable d’ajustement. On ne saurait la rogner, la raboter, voire la sacrifier au nom de l’accélération et de la simplification de la mise en œuvre des projets industriels.
Je le rappelle, cet article remplace l’enquête publique par un dispositif de participation spécifique pour tous les projets soumis à autorisation environnementale, qu’il s’agisse d’industries vertes ou non. Dès le début de la procédure, la consultation du public et les diverses consultations administratives doivent être menées de manière simultanée. En parallèle, la durée de consultation du public est certes allongée d’un à trois mois, mais la durée totale de la procédure d’autorisation environnementale est raccourcie de neuf à six mois.
Sous couvert d’alléger et de raccourcir les procédures, cette mesure complexifie le droit et met à mal l’effectivité de la participation du public pour évaluer les impacts d’un projet. Il semble en effet impératif de prévoir au moins un mois de consultation du public après production des avis administratifs, notamment de l’autorité environnementale.
Certes, quelques améliorations ont été apportées : à l’origine, cet article donnait au garant le rôle de commissaire enquêteur, alors même que ses fonctions répondent à d’autres impératifs ; de même, dans sa version initiale, le dispositif ne permettait pas de créer une commission d’enquête pour les projets les plus complexes. Selon nous, ces améliorations ne suffisent pas.
En effet, l’article 2 supprime l’avis clair du commissaire enquêteur et la possibilité pour le maître d’ouvrage d’y répondre, contrairement à ce que prévoit l’enquête publique.
Je précise que les dispositions de cet amendement ont été travaillées avec France Nature Environnement (FNE), sur la base de l’avis du Conseil national de protection de la nature (CNPN).
Mme la présidente. La parole est à Mme Angèle Préville, pour présenter l’amendement n° 112.
Mme Angèle Préville. Je propose moi aussi de supprimer l’article 2.
En droit international, européen et français, la démocratie environnementale consacre les procédures de consultation du public sur les projets industriels affectant l’environnement. Ces procédures doivent garantir une participation effective du public à la prise de décision publique. Or, tel qu’il est rédigé, l’article 2 complexifie le droit de participation du public pour les projets soumis à autorisation environnementale, donc présentant des impacts majeurs pour l’environnement.
Certes, quelques améliorations ont été apportées en commission, mais elles demeurent insuffisantes. La consultation du public doit être aussi transparente et ouverte que possible : les populations n’y adhéreront que si elles sont étroitement associées.
À la suite de M. Fernique, j’ajoute que, en votant l’article 2, nous franchirions une ligne rouge : la suppression de l’avis du commissaire enquêteur et, avec lui, de la possibilité pour le maître d’ouvrage d’y répondre est pour le moins problématique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour présenter l’amendement n° 240.
Mme Marie-Claude Varaillas. Nous demandons nous aussi la suppression de l’article 2, pour des raisons très proches de celles que nous avons invoquées lors de l’examen du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables et du projet de loi relatif à l’énergie nucléaire.
En toile de fond, on voit se dessiner une remise en cause générale des normes, comme si leur existence était finalement superflue, comme si l’on pouvait, demain, réduire les délais d’instruction tout en traitant un nombre croissant de projets.
Monsieur le ministre, je réitère mes critiques, au risque de vous paraître une nouvelle fois désagréable. Selon nous, le problème vient non pas tant des procédures, bien qu’elles soient parfois un peu lourdes et complexes, que du manque récurrent d’effectifs dans nos administrations d’État. Je pense en particulier aux directions départementales des territoires (DDT) et aux Dreal, qui viennent d’être citées, mais ce constat vaut pour la quasi-totalité de nos services publics.
Vous irez peut-être plus vite, mais ce sera nécessairement au détriment de la concertation censée accompagner l’instruction et de la qualité de nos aménagements, donc aux dépens de nos territoires.
Nous le disons avec force, si les délocalisations se sont multipliées par le passé et si la réindustrialisation tarde à venir, ce n’est pas à cause des collectivités territoriales ou du code de l’urbanisme, contrairement à ce que laisse à penser votre projet de loi, notamment cet article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. En parallélisant les phases d’examen et de consultation, l’article 2 accélère la procédure d’instruction des autorisations environnementales. Il cherche ainsi à renforcer l’attractivité industrielle de notre pays.
La nouvelle procédure de consultation permet également de répondre aux demandes de participation de nos concitoyens. Organisée plus tôt qu’aujourd’hui, cette étape aurait lieu en même temps que la phase d’instruction par les services.
Nous avons souvent entendu cette demande : faire en sorte que le public ne soit pas consulté sur un ensemble final de mesures qui n’est plus susceptible d’évoluer.
Un certain nombre de réunions publiques seraient obligatoires et la participation par voie électronique serait possible. Je remercie d’ailleurs les auteurs de ces amendements d’avoir relevé les améliorations apportées par la commission.
Pour l’ensemble des raisons que je viens d’exposer, la commission émet un avis défavorable sur ces trois amendements de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Je ne suis d’accord que sur un point avec les auteurs de ces amendements : cet article est un élément essentiel du présent texte. À l’évidence, nous devons en discuter, afin de clarifier nos désaccords. Avant tout, chacun doit bien comprendre l’étendue de ces dispositions.
Madame Varaillas, je vous rassure : vous n’êtes en rien désagréable ! Je salue d’ailleurs le débat démocratique et apaisé auquel le présent texte donne lieu dans cet hémicycle. C’est l’usage au Sénat, mais pas toujours dans d’autres chambres, que je ne citerai pas… (Sourires.)
Notre objectif est clair : faire mieux, plus et plus vite. En la matière, il existe bien sûr des exceptions, qui doivent devenir la règle. Toutefois, en moyenne, pour l’ouverture d’une usine, la procédure d’autorisation s’étale sur dix-sept mois en France, contre sept à huit mois en Allemagne.
Le Gouvernement entend porter ce délai de dix-sept à neuf mois garantis, sans fragiliser en quoi que ce soit les procédures actuelles.
Mesdames, monsieur les sénateurs, j’ai entendu que nous supprimions le rôle du commissaire enquêteur. Non, en aucun cas ! J’ai entendu que nous affaiblissions l’enquête publique. Bien au contraire, elle est renforcée : elle durera trois mois au lieu d’un et, au cours du dernier mois, tous les avis seront connus. Nous préservons donc la disposition actuelle.
En parallèle, nous modernisons la procédure. M. le rapporteur pour avis l’a rappelé, nous rénovons les consultations par voie électronique, qui existent déjà, mais sous une forme assez archaïque. Nous introduisons un débat public systématique au début et à la fin de la procédure. Nous allons sans doute – je le dis sans préjuger le vote du Sénat – accepter que les consultations soient également menées par voie postale. Un amendement, que nous examinerons dans la suite du débat, a été déposé à cette fin.
Bref, on ne supprime rien. On renforce et on améliore, afin d’être plus rapide.
Aujourd’hui, les investisseurs internationaux viennent en France : en soi, c’est déjà un succès, car auparavant ils n’avaient pas tendance à choisir notre pays. Et que nous disent-ils ? Qu’ils ont besoin de foncier et de rapidité. Ce sont, aujourd’hui, les véritables facteurs de différenciation. On l’a vu pour ACC (Automotive Cells Company). On l’a vu pour Holosolis. Il faut que de telles exceptions deviennent la règle. C’est l’enjeu majeur de cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique, pour explication de vote.
M. Jacques Fernique. Monsieur le ministre, il s’agit en effet d’un débat important.
Une opinion a du sens quand elle est émise en connaissance de cause. Or si ces étapes sont parallélisées – je reprends le terme figurant dans le présent texte –, on aboutit à la confusion, qui plus est en l’absence d’un avis clair et étayé du commissaire enquêteur.
L’ordonnance de 2016, la loi pour un État au service d’une société de confiance (Essoc) de 2018, puis la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (Asap) de 2020 ont fortement allégé les procédures de participation du public, mais ces réformes successives n’ont pas été vraiment évaluées.
De grâce, finissons-en avec cette rengaine !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 64, 112 et 240.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 309 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 278 |
Pour l’adoption | 28 |
Contre | 250 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 139 rectifié n’est pas soutenu.
L’amendement n° 197 rectifié ter, présenté par MM. Marseille, Bonnecarrère, Folliot et Laugier, Mme Devésa, M. Levi, Mmes Vérien et Billon, M. Détraigne, Mme Saint-Pé, M. Moga, Mme Jacquemet, MM. Cigolotti et Canévet, Mmes Guidez et Gatel, MM. Janssens et Longeot, Mme Létard, M. Lafon, Mme Perrot, M. Kern, Mme Vermeillet, MM. Henno et Cazabonne, Mme Férat, MM. Duffourg et S. Demilly, Mme Herzog et MM. L. Hervé, Le Nay et Capo-Canellas, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 24
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Si, pendant la phase d’examen et de consultation, le demandeur envisage des modifications substantielles de son projet de demande d’autorisation, liées aux observations recueillies, il peut solliciter une prorogation de la durée de la phase d’examen et de consultation. » ;
La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Avec cet amendement, nous poursuivons le débat relatif aux délais.
Dans son avis sur le présent texte, le Conseil d’État estime que les dispositions de cet article sont de nature à assurer une participation effective du public. À son sens, elles ne soulèvent pas de difficultés au regard de l’article 7 de la Charte de l’environnement et de l’article 6 de la directive 2011/92/UE, dès lors qu’elles s’attachent à concilier une association précoce du public au processus de décision et la possibilité, pour le public, d’être éclairé par les avis remis avant de produire ses propres observations, en allongeant le délai de consultation à trois mois.
Néanmoins, le caractère raisonnable du délai de trois mois fixé pour le déroulement simultané des phases d’examen et de consultation paraît peu opérant si l’on se place du point de vue du pétitionnaire. En effet, les observations et propositions parvenues pendant la phase de consultation devront être prises en considération par le maître d’ouvrage, qui pourra ainsi être tenu d’adapter son projet.
Les réponses et propositions de modifications qui devront être apportées par le pétitionnaire auront toute leur importance, car elles seront réputées faire partie du dossier de demande.
Or la prise en compte au fil de l’eau des observations du public et avis des autorités par le pétitionnaire pour apporter des réponses et précisions ou modifier son projet paraît difficile à envisager dans un délai fixe de trois mois : dans certains cas, on risque de dépasser le délai raisonnable.
Une grave difficulté surgirait donc si les avis rendus au cours des phases fusionnées d’examen et de consultation devaient impliquer une modification importante.
Le demandeur pourrait se trouver dans l’incapacité de procéder aux importantes modifications requises, faute de temps. Il s’exposerait ainsi, à l’expiration du délai de trois mois, à un rapport défavorable du commissaire enquêteur et à un refus d’autorisation, ce qui n’irait pas dans le sens recherché, à savoir l’accélération.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. Mon cher collègue, nous comprenons tout à fait les arguments que vous venez de développer. Nous avons nous-mêmes réfléchi à cette question.
Il ne nous semble pas souhaitable d’ouvrir une possibilité de prorogation. La phase accélérée d’instruction créée par cet article est adaptée à des projets déjà arrivés à maturité, appelant de simples ajustements.
Si les modifications à apporter sont d’une ampleur telle qu’elles ne permettent pas de tenir le délai de trois mois et trois semaines, mieux vaudrait sans doute, pour l’exploitant, recommencer la procédure, qui est très courte. Le service instructeur et le public consulté pourraient ainsi se prononcer sur le dossier final.
Je le répète, nous nous plaçons dans l’hypothèse où les modifications apportées, réellement substantielles, sont susceptibles de modifier l’économie générale du projet.
De plus, la rédaction proposée semble quelque peu imprécise : non seulement la durée de la prolongation n’est pas assortie d’une limite, mais la notion de modification substantielle n’est pas définie.
Pour toutes ces raisons, je vous prie de bien vouloir retirer cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Monsieur le sénateur, je comprends moi aussi votre intention : simplifier la vie d’un porteur de projet qui, lors du déroulement normal de la procédure, découvrirait d’importantes modifications à apporter.
Toutefois, notre volonté d’accélérer vaut pour tout le monde. Les services de l’État, on l’a rappelé, vont accomplir d’importants efforts pour accélérer les procédures d’installation. Comme l’a relevé M. le rapporteur pour avis, en cas d’aménagements mineurs n’affectant pas de manière significative l’équilibre économique du dossier, les porteurs de projet doivent eux aussi réagir vite.
C’est en s’assurant que tout le monde va vite que l’on parviendra réellement à accélérer. Si les changements à apporter sont de trop grande ampleur, la nouvelle procédure, plus rapide, permettra de constituer un nouveau dossier, qui sera examiné dans les meilleurs délais.
À mon tour, je sollicite donc le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Henno, l’amendement n° 197 rectifié ter est-il maintenu ?
M. Olivier Henno. Oui, je le maintiens, madame la présidente.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 197 rectifié ter.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 63 est présenté par MM. Fernique, Salmon, Breuiller, Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Gontard, Labbé et Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel.
L’amendement n° 78 rectifié bis est présenté par Mme Préville, M. Montaugé, Mme Briquet, MM. Marie et J. Bigot, Mme Bonnefoy, M. Devinaz, Mme M. Filleul, MM. Gillé, Houllegatte et Jacquin, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Lurel et Mérillou, Mme Monier, MM. Redon-Sarrazy, Stanzione, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 11
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jacques Fernique, pour présenter l’amendement n° 63.
M. Jacques Fernique. Puisque l’article 2 n’a pas été supprimé, admettons au moins que son alinéa 11 va trop loin !
Le référé-suspension automatique permet aujourd’hui d’obtenir une suspension de la décision pendant l’instruction par le juge. Cette mesure, qui bénéficie à tous les acteurs, permet de prévenir des atteintes illégales à l’environnement : la simplification ne doit pas être menée au détriment des garanties contentieuses.
Or, si cet alinéa entrait en vigueur, le juge ne pourrait plus suspendre un projet contesté soumis à un référé-suspension. C’est là une porte ouverte aux atteintes illégales à l’environnement. Ainsi, un projet industriel pourrait être lancé, puis déclaré illégal quelques mois plus tard, mais le mal serait fait : les travaux auraient été effectivement engagés.
La suspension automatique a précisément ce rôle : empêcher l’ouverture de travaux sérieusement susceptibles d’être illégaux.
Mme la présidente. La parole est à Mme Angèle Préville, pour présenter l’amendement n° 78 rectifié bis.
Mme Angèle Préville. L’alinéa 11 de l’article 2 supprime, pour toutes les enquêtes publiques, la possibilité dont dispose le juge de suspendre une décision prise sans enquête publique ou participation du public.
Les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain estiment qu’il s’agit d’une grave régression. Ils sont favorables au maintien du référé-suspension automatique, d’autant que, en vertu de l’article L. 123-16 du code de l’environnement, il peut être décidé « après des conclusions défavorables du commissaire enquêteur ». On en déduit que le projet en question pose difficulté.
L’enjeu est simple : si le référé-suspension automatique venait à être supprimé, des chantiers pourraient être lancés pendant la phase de contentieux. Or, on le sait, cette dernière peut durer des mois, voire des années, et il est très difficile d’interrompre un projet déjà engagé.
Il faut conserver ces dispositions du code de l’environnement, qui apportent de la sécurité aux différents acteurs concernés.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. Le présent texte renforce sensiblement la procédure de consultation du public.
Au moins deux réunions publiques doivent être organisées en présence du pétitionnaire, qui répondra aux interrogations formulées. Le commissaire enquêteur, quant à lui, joue un rôle différent ; il assure la bonne tenue des échanges entre le pétitionnaire et le public. Ses conclusions n’emportent donc plus les mêmes conséquences juridiques.
Le référé-suspension automatique est quant à lui de nature à allonger les délais d’installation. Cela étant, les citoyens peuvent toujours demander au juge des référés de suspendre la décision d’autorisation environnementale. De même, dans sa décision, le juge administratif peut toujours prendre en compte les conclusions motivées du commissaire enquêteur.
Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur les amendements identiques nos 63 et 78 rectifié bis.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, votre volonté de préserver le référé-suspension est satisfaite par le présent texte.
Si ces dispositions vous ont été mal présentées, je vous prie de nous excuser. J’y insiste, l’alinéa 5 de cet article précise bien que le juge administratif des référés fait droit à toute demande de suspension d’une décision prise, sans que la participation du public mentionnée à l’article L. 123-1-1 ait eu lieu, alors qu’elle était requise.
Nous nous contentons de transférer la mention du référé-suspension d’un article du code de l’environnement vers un autre, justement pour bien inclure la nouvelle procédure de consultation. Nous ne l’affaiblissons en aucun cas ; a fortiori, nous ne le supprimons pas. Nous assurons une simple mise en cohérence avec les dispositions du présent texte.
En conséquence, je sollicite le retrait de ces deux amendements identiques. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 63 et 78 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 138 rectifié n’est pas soutenu.
Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 57 rectifié est présenté par MM. Sautarel, Burgoa et Cambon, Mme Belrhiti, M. Panunzi, Mme Dumont, M. Reichardt, Mmes Goy-Chavent, Bellurot et Ventalon, MM. Tabarot et E. Blanc, Mme Gruny, MM. Brisson, Lefèvre, Meurant, Klinger, Mouiller, Gueret, Charon, Belin, Laménie, Anglars, Mandelli, Darnaud, Bascher, C. Vial, Bouchet et de Nicolaÿ, Mme Gosselin et MM. B. Fournier, Piednoir et Rapin.
L’amendement n° 122 rectifié est présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Roux, Fialaire, Guiol, Requier, Bilhac, Cabanel et Gold et Mme Guillotin.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 16
Compléter cet alinéa par les mots :
du public, qui sont groupées et menées concomitamment
II. – Alinéa 18
Compléter cet alinéa par les mots :
du public, groupées et menées concomitamment
La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour présenter l’amendement n° 57 rectifié.
M. Stéphane Sautarel. Cet amendement vise à clarifier la rédaction de l’article en énonçant, aux alinéas 16 et 18, la concomitance des phases d’examen et de consultation.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, pour présenter l’amendement n° 122 rectifié.
M. Henri Cabanel. L’article 2 du projet de loi modifie l’article L. 181-9 du code de l’environnement, afin que les phases d’examen et de consultation du public soient parallélisées et qu’elles démarrent simultanément.
Il s’agit de mener une consultation de meilleure qualité, en recueillant plus tôt l’avis du public, et d’assurer une instruction plus rapide. La lenteur des procédures est en effet une difficulté récurrente pour la mise en œuvre de projets industriels.
En juxtaposant les termes « examen » et « consultation », la rédaction actuelle permet déjà de comprendre que ces phases seront regroupées. Toutefois, l’on gagnerait encore en clarté en précisant qu’elles sont simultanées et concomitantes. On lèverait ainsi toute ambiguïté.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission de l’aménagement du territoire ?
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. Mes chers collègues, vous cherchez légitimement à clarifier l’organisation parallèle des phases d’examen et de consultation du public. Toutefois, la rédaction actuelle ne laisse pas de place à l’ambiguïté quant à l’organisation simultanée des deux phases.
En vertu de l’alinéa 15, la phase d’examen commence dès que le dossier est jugé complet et régulier. L’autorité administrative organise alors une consultation du public. Quant à l’alinéa 42, il précise que l’expiration d’un délai de trois semaines après la clôture de la consultation du public met fin à la phase d’examen et de consultation, en ouvrant la phase de décision.
De même, l’ajout des termes « du public » après « la consultation » ne semble pas pertinent, les collectivités territoriales et les associations étant elles aussi entendues pendant cette phase.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Une fois encore, je suis surpris que des amendements sénatoriaux tendent à mettre en cause la consultation des collectivités territoriales : si nous avons opté pour une formulation générale, c’est parce qu’il est prévu de les entendre également.
Une telle précision serait donc excessive : voilà pourquoi je suggère le retrait de ces deux amendements identiques. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. Stéphane Sautarel. Je retire mon amendement, madame la présidente !
M. Henri Cabanel. Je retire également le mien !
Mme la présidente. Les amendements identiques nos 57 rectifié et 122 rectifié sont retirés.
Mes chers collègues, nous avons examiné sur ce texte 93 amendements au cours de l’après-midi ; il en reste 235.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
5
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 29 et 30 juin 2023
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 29 et 30 juin 2023, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.
Dans le débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est pour moi un plaisir de vous retrouver afin de vous présenter, comme de coutume avant chaque Conseil européen, les principaux sujets qui y seront traités.
Premièrement, la guerre en Ukraine restera bien sûr au cœur de l’agenda.
Deuxièmement, les chefs d’État et de gouvernement échangeront sur la réponse européenne à l’Inflation Reduction Act (IRA), ainsi que sur la définition d’une stratégie européenne de sécurité économique.
Troisièmement, les questions de défense seront abordées au travers de deux axes : d’une part, le renforcement des capacités de production de notre industrie de défense européenne, d’autre part, la préparation du sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) à Vilnius.
Quatrièmement, le Conseil européen devrait revenir sur la question des migrations après le terrible naufrage au large de la Grèce et les récentes avancées enregistrées sur le pacte sur la migration et l’asile.
Cinquièmement, comme à l’habitude, un certain nombre de thématiques internationales seront traitées. Pour être précise, j’indiquerai que trois le seront : notre relation avec la Chine, la préparation du sommet avec la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (Celac) du 17 et du 18 juillet prochain, ainsi que notre relation avec la Turquie.
Comme vous le savez, sur l’ensemble de ces sujets, la situation évolue tous les jours, et les positions que je vous exposerai ce soir sont encore susceptibles d’être ajustées, notamment dans le cadre des concertations conduites entre Européens.
Premièrement, comme je le soulignais, l’Ukraine restera l’une des principales priorités de ce Conseil européen. Il nous faut absolument continuer d’aider ce pays à mener une contre-offensive efficace. C’est indispensable, car se jouera dans les prochaines semaines et dans les prochains mois la possibilité de la paix – une paix choisie, donc durable.
Un nouveau seuil a été franchi avec la destruction partielle du barrage de Kakhovka. Il s’agit bien entendu d’un acte grave, d’un acte inexcusable et odieux, qui aura des conséquences durables sur la vie de milliers d’Ukrainiens déjà meurtris par la guerre et qui ont dû être évacués. De plus, cet acte met en danger l’environnement et l’avenir des récoltes. Il menace aussi de façon irresponsable la sécurité de la centrale nucléaire civile de Zaporijia.
Évidemment, la Russie cherche à semer le doute sur l’origine de ce sabotage, mais nous ne devons pas perdre de vue un fait simple : c’est elle, et elle seule, qui porte la responsabilité de cette situation. C’est elle qui a engagé cette guerre, c’est elle qui bombarde, c’est elle qui tue, c’est elle qui détruit les infrastructures civiles, au service d’un projet aussi impérialiste qu’illégal.
Face à cette situation, les chefs d’État et de gouvernement rappelleront donc leur engagement à soutenir l’Ukraine aussi longtemps que nécessaire, y compris en assurant un soutien financier de long terme. Ils évoqueront également le soutien à la formule de paix en dix points du président ukrainien. Les dirigeants européens auront aussi un échange sur les garanties de sécurité qui doivent être octroyées à l’Ukraine en vue du sommet de l’Otan de Vilnius du 11 et du 12 juillet prochain.
Comme vous le savez, le Président de la République s’est dit favorable à donner des garanties tangibles et crédibles à l’Ukraine pour au moins deux raisons. La première est que l’Ukraine protège l’Europe : elle représente un gage de sécurité pour cette dernière. La seconde est que ce pays est doté d’un armement si important qu’il est dans notre intérêt qu’elle obtienne à nos côtés des gages crédibles en matière de sécurité, dans un cadre multilatéral.
De plus, les chefs d’État et de gouvernement reviendront sur les actions engagées par l’Union européenne (UE) et par les États membres en matière de lutte contre l’impunité des crimes internationaux commis en Ukraine et en matière de recours aux actifs russes gelés et immobilisés.
Enfin, le Conseil européen réaffirmera la perspective européenne de l’Ukraine et de la Moldavie. Il saluera les progrès réalisés vers l’adhésion à l’UE sur la base de l’évaluation orale que rendra la Commission cette semaine, à l’occasion du conseil Affaires générales informel de Stockholm auquel je participerai demain et après-demain.
Le Président de la République a été très clair à l’occasion de son discours à Bratislava : la question pour nous n’est pas de savoir si nous devons élargir l’UE – nous y avons répondu il y a un an – ni quand nous devons le faire – pour nous, le plus vite possible –, mais bien comment.
Permettez-moi d’en profiter pour saluer le déplacement des sénatrices Marta de Cidrac et Gisèle Jourda, ainsi que du sénateur André Reichardt, en Moldavie. Nous en avions parlé lors de ma dernière audition, me semble-t-il.
La manifestation du soutien de la France à l’intégration européenne exprimée par ce déplacement est essentielle. Nicolae Popescu a d’ailleurs eu l’occasion de répéter la semaine dernière au bureau de la commission des affaires européennes combien le soutien de la France était apprécié à Chisinau.
Deuxièmement, une large partie du Conseil européen sera consacrée aux questions économiques, dans leurs dimensions multiples.
Un point sera fait sur la mise en œuvre des décisions prises par le Conseil européen en février et en mars dernier concernant la réduction des dépendances stratégiques, le renforcement de la politique industrielle européenne et notre réponse à l’Inflation Reduction Act.
Les chefs d’État et de gouvernement débattront surtout de la stratégie de sécurité économique européenne. Lors de son discours à La Haye, à l’institut Nexus, le Président de la République a esquissé les contours de cette nouvelle doctrine, dont l’objectif est d’assurer pleinement notre souveraineté. Elle repose sur cinq piliers complémentaires.
Le premier pilier est la compétitivité. Nous devons continuer d’innover, de réformer et de renforcer nos systèmes éducatifs et de formation. Nous devons aussi approfondir le marché unique pour favoriser l’émergence d’acteurs économiques européens plus forts.
Le deuxième pilier concerne la politique industrielle. Je serai contente d’entendre que la France a joué un rôle clé pour faire progresser la politique industrielle européenne : ce concept n’est désormais plus un tabou. L’Europe doit continuer en ce sens pour asseoir son leadership industriel.
Les trois piliers suivants, allant du plus défensif au plus ouvert, dessinent quant à eux une géométrie de la sécurité économique européenne.
Le troisième pilier est le volet le plus défensif. Il vise la protection des intérêts stratégiques de l’Europe. Il s’agit de protéger nos entreprises contre les actions hostiles et les distorsions de concurrence, de réduire les dépendances stratégiques de l’UE, de protéger notre propriété intellectuelle et de mobiliser nos instruments de défense commerciale.
Le quatrième pilier est la réciprocité. Il s’agit d’intégrer dans chaque négociation commerciale des critères de durabilité sociale et environnementale. La systématisation des mesures miroir est un autre outil essentiel pour que les producteurs européens soient soumis aux mêmes règles de production que les entreprises qui produisent à l’extérieur de l’Union européenne.
Le cinquième et dernier pilier est la coopération. Il s’agit de renforcer le multilatéralisme et de faire en sorte que les politiques européennes de solidarité internationale soient en cohérence avec les intérêts légitimes de l’Union européenne.
Comme vous le savez, une communication relative à ce sujet a été présentée aujourd’hui par la Commission. Elle tend à rejoindre plusieurs de ces priorités : c’est un pas dans la bonne direction. Le Conseil européen donnera des orientations pour sa mise en œuvre, qui devra s’appuyer sur des analyses concrètes de nos dépendances et de nos besoins. Nous veillerons également au respect des compétences nationales pour les aspects les plus sensibles.
Troisièmement, ces enjeux de sécurité économique ont un lien direct avec l’Europe de la défense, qui sera également à l’agenda du Conseil européen.
En effet, si nous voulons continuer à soutenir l’Ukraine dans la durée, il faut passer dès maintenant à une économie de guerre européenne. Il faut donc renforcer les capacités de production de l’industrie de défense de l’Union européenne et mettre en œuvre rapidement les propositions de la Commission dans ce domaine. La France prend toute sa part, puisque nous allons atteindre un total de 413 milliards d’euros de dépenses avec la loi de programmation militaire (LPM) en cours d’examen par le Sénat.
Le Conseil européen devra aussi permettre de dessiner les grandes lignes de l’avenir de la coopération entre l’Union européenne et l’Otan, dans l’esprit de la troisième déclaration conjointe sur la coopération du 10 janvier 2023. Comme vous le savez, cette déclaration souligne l’apport pour la sécurité transatlantique d’une défense européenne renforcée.
Quatrièmement, le Conseil européen sera l’occasion d’un nouveau point sur les questions migratoires.
Après le terrible naufrage qui a eu lieu au large de la Grèce, nous sommes complètement déterminés à poursuivre, avec responsabilité et solidarité, le travail engagé avec nos partenaires européens sur les questions migratoires. Cette tragédie doit nous rappeler l’importance de la coopération entre Européens et avec les pays tiers en matière de sauvetage en mer et de lutte contre les réseaux de passeurs.
En ce qui concerne la réforme de notre système européen d’asile et de migration, nous venons de franchir une étape très importante : le Conseil a trouvé un accord sur les principaux textes du pacte sur la migration et l’asile : ils contiennent chacun une mesure phare de notre futur cadre européen commun en matière de solidarité et de responsabilité.
Je pense que c’est un résultat dont nous pouvons collectivement être fiers. Nous sommes bien plus proches désormais d’une réponse européenne sur cette question, alors que les réponses exclusivement nationales se sont évidemment soldées par des échecs.
Néanmoins, ces succès internes ne doivent pas nous faire oublier le nécessaire travail que nous devons mener sur les aspects externes. Il faut à présent intensifier le renforcement de nos partenariats avec les pays tiers et avec les pays d’origine, afin de traiter les causes profondes des migrations et de prévenir les départs.
Cinquièmement, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil européen évoquera nos relations avec la Chine, avec l’Amérique latine et avec la Turquie.
En ce qui concerne la Chine, le Conseil européen sera l’occasion d’une discussion stratégique, qui s’inscrira dans la continuité de la discussion entre ministres des affaires étrangères tenue lors du Gymnich du 12 mai dernier.
Il me semble que l’on peut en retenir une certaine convergence de vues entre États membres, au moins sur la pertinence du triptyque européen : « partenaire, concurrent commercial et rival systémique ». L’on peut aussi en retenir le besoin d’actualiser notre stratégie, afin de tenir compte de la montée en puissance de la dimension de rivalité systémique.
En ce qui concerne notre partenariat économique et commercial, nous cherchons non pas un découplage avec la Chine, mais une réduction des risques. Pour cela, nous devons poursuivre la mise en œuvre de l’agenda agréé lors du Conseil européen de Versailles et renforcer les instruments européens de lutte contre les pratiques commerciales déloyales et abusives, comme je l’évoquais tout à l’heure dans le cadre de notre doctrine de sécurité économique.
En parallèle, nous devons bien sûr maintenir le dialogue avec Pékin sur les enjeux globaux. La participation du Premier ministre chinois, Li Qiang, au sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial, ces jours-ci, en est d’ailleurs l’illustration.
Enfin, dans le contexte de la guerre en Ukraine, il est crucial d’appeler la Chine à s’engager dans la recherche d’une solution.
Pour ce qui concerne la préparation du prochain sommet avec la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes, nous souhaitons rappeler que les questions des droits de l’Homme, de la démocratie et de l’État de droit restent fondamentales. Ces thématiques sont centrales dans la relation avec de nombreux pays latino-américains, et il conviendra d’aborder ouvertement ces sujets.
La situation à Haïti sera également mise en avant par la France et d’autres partenaires, européens comme latino-américains : nous devons agir collectivement et rapidement pour le rétablissement de la sécurité et d’un cadre démocratique.
Par ailleurs, les perspectives de coopération ouvertes par le Global Gateway devraient constituer des livrables importants du sommet avec un agenda d’investissement dans la région qui est en cours d’élaboration. Je pense que nous ne pourrons pas réduire notre partenariat économique aux accords commerciaux. Cet agenda d’investissements sera donc extrêmement important.
La victoire de Recep Tayyip Erdogan et de son parti aux dernières élections présidentielle et législatives a ouvert une nouvelle phase en Turquie. Je tiens d’ailleurs à saluer le sénateur Leconte pour sa participation à la mission d’observation électorale dans ce pays, au titre de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Maintenant que le scrutin est derrière nous, il sera utile que nous ayons une discussion plus approfondie à vingt-sept.
La Turquie est évidemment un acteur important de notre voisinage : il est par conséquent essentiel de poursuivre le dialogue et de maintenir la coopération avec elle sur les sujets d’intérêt partagé dans le contexte international et régional dégradé que nous connaissons.
Au-delà de ces élections, il faut aussi rappeler que tout réengagement de l’Union européenne à l’égard d’Ankara doit être subordonné à la capacité des autorités turques à remplir les conditions fixées par le Conseil européen en mars et en juin 2021, ainsi qu’à prendre des mesures concrètes sur les questions de politique étrangère les plus urgentes, s’agissant notamment de l’adhésion rapide de la Suède à l’Otan et du contournement des sanctions adoptées en réaction à l’agression russe contre l’Ukraine.
Il est essentiel que nous restions unis et que nous soyons parfaitement clairs quant à nos attentes à l’égard de la Turquie.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà, en quelques mots, les enjeux de ce Conseil européen. Je ne doute pas que vos questions me fourniront l’occasion de revenir plus en détail sur l’un ou l’autre de ces points.
Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères.
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la semaine dernière, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le projet de loi de programmation militaire pour la période 2024-2030. Cette LPM doit être inscrite dans le cadre global de la réaction déterminée et unie des pays européens face au retour de la guerre sur notre continent.
Dans un contexte inédit de « réveil géopolitique de l’Europe », la programmation des dépenses militaires de la France est un aspect essentiel de notre crédibilité comme acteur stratégique sur le continent. Le projet de LPM que nous avons examiné tend à rappeler que la France constitue « un acteur clé » de la défense de l’Europe et qu’elle doit y assumer des « responsabilités particulières ».
D’un point de vue capacitaire, la constitution d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne réactive, robuste et souveraine est un objectif que nous portons de longue date. Il faut espérer que les menaces grandissantes qui pèsent sur notre sécurité commune provoquent une prise de conscience collective et rapide.
Seule une volonté politique partagée et clairement affirmée nous permettra de mener à bien nos grands projets capacitaires à développer à l’échelle européenne. Je pense en particulier au projet de système de combat aérien du futur (Scaf), que nous élaborons actuellement avec l’Allemagne et l’Espagne. Ces travaux de développement menés en commun pour élaborer les technologies militaires qui équiperont nos armées demain sont essentiels.
De plus, madame la secrétaire d’État, nous devons nous organiser dès à présent pour répondre dans l’urgence au défi humanitaire, diplomatique, opérationnel, mais aussi logistique, que représente notre soutien collectif à l’effort de guerre ukrainien. L’Union européenne et ses membres ont démontré depuis le 24 février 2022 leur capacité à soutenir l’Ukraine dans la durée et sans que l’unité européenne soit remise en cause, ce qui est extrêmement important.
Cette unité fait notre force, et j’insiste sur l’importance de ne pas céder à la tentation d’une division artificielle, dont nos compétiteurs et nos adversaires seraient évidemment les premiers bénéficiaires.
À cet égard, madame la secrétaire d’État, peut-être nous donnerez-vous des détails sur l’acte de soutien à la production de munitions (Asap pour Act in Support of Ammunition Production), présenté le 3 mai dernier par le commissaire français Thierry Breton. Pouvez-vous nous indiquer quelle est la position française sur ce projet, qui vise un financement de 500 millions d’euros d’ici au mois de juin 2025 en faveur de l’accélération de la cadence de production de munitions en Europe ?
Si nous souhaitons aider l’Ukraine, nous ne désirons pas, en revanche, que la Commission européenne centralise les informations des entreprises de la BITD pour les utiliser à sa guise. Nous faisons face ici à des sujets qui touchent au cœur de la souveraineté nationale.
Par ailleurs, le commissaire Thierry Breton a insisté sur sa volonté d’une adoption rapide de ce programme de financement d’urgence. Alors que le Parlement européen a voté en faveur de ce plan le 1er juin dernier, nous vous demandons, madame la secrétaire d’État, que le Gouvernement défende clairement nos positions sur ce point.
Notre commission soutient le renforcement de la défense européenne, mais selon des modalités pragmatiques qui n’empiètent pas sur notre souveraineté dans ce domaine éminemment sensible. En matière de défense, efficacité opérationnelle est synonyme de subsidiarité.
Enfin, j’évoquerai brièvement un sujet qui concerne notre politique de commerce extérieur.
En août 2019, le Président de la République a fait état de son opposition à la ratification du traité de libre-échange entre l’Union européenne et Mercosur au regard du risque de concurrence déloyale qu’il pourrait faire peser sur certains de nos producteurs.
À la fin de l’année 2021, le Président a réaffirmé son opposition au traité dans son état actuel au motif qu’il est incompatible avec notre agenda climatique et de biodiversité. La semaine dernière, l’Assemblée nationale a adopté une résolution invitant le Gouvernement à réitérer son opposition à l’adoption du traité et à son application partielle.
Pourtant, le voyage récent de la présidente Ursula von der Leyen en Amérique du Sud aussi bien que les perspectives dessinées pour la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne au semestre prochain ont renforcé l’attention portée à ce traité et à l’hypothèse de sa ratification par l’Union européenne.
Dans ce contexte, madame la secrétaire d’État, ma question est la suivante : quelle position la France défendra-t-elle au Conseil européen sur ce dossier ? Quelles sont vos priorités pour mettre en œuvre une politique commerciale européenne qui assure la défense de nos producteurs en cohérence avec nos objectifs climatiques ?
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention se concentrera sur deux sujets d’intérêt majeur pour la commission des finances : les perspectives de révision du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 et la réforme de la gouvernance économique européenne.
En ce qui concerne mon premier sujet, la Commission européenne présente aujourd’hui même ses propositions. En effet, cette révision du cadre financier pluriannuel paraît incontournable.
D’une part, la hausse des taux d’intérêt, qui découle de l’inflation, remet en cause les hypothèses de remboursement des intérêts du plan de relance Next Generation EU et risque, par conséquent, d’affecter des programmes budgétaires déjà approuvés.
D’autre part, la guerre en Ukraine a fait émerger de nouvelles dépenses en matière de sécurité alimentaire et énergétique, de prise en charge des réfugiés ou encore de défense.
De plus, une révision ambitieuse du CFP impliquerait de nouveaux besoins de financement. En ce sens, la Commission a annoncé qu’elle joindrait à cette réforme un second panier de nouvelles ressources propres. Parmi ces dernières, la Commission européenne pourrait notamment présenter un nouveau cadre pour la fiscalité des entreprises.
En tout état de cause, les retards pris dans la mise en œuvre des nouvelles ressources propres du premier panier, en particulier le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, m’incitent à rester prudent face à ces annonces.
Dans ce contexte, madame la secrétaire d’État, pourriez-vous nous préciser la position du Gouvernement sur une éventuelle révision du cadre financier pluriannuel ? Au sujet de son financement, l’adoption de nouvelles ressources propres à moyen terme vous paraît-elle réaliste ?
En ce qui concerne mon second sujet, la réunion du Conseil européen devrait être l’occasion d’un échange de vues sur la réforme de la gouvernance économique européenne. Elle intervient alors que la Commission européenne a présenté, le 26 avril dernier, ses initiatives de réforme de la gouvernance budgétaire.
Les règles actuelles du pacte de stabilité et de croissance (PSC) connaissent des critiques qui sont anciennes. Elles n’ont pas permis de prévenir des trajectoires fortement divergentes en matière d’endettement public entre les États membres. De plus, elles ont pu constituer un frein à la mise en œuvre de politiques publiques de soutien à la croissance économique et n’ont pas contribué à accentuer l’investissement public.
Les propositions formulées par la Commission européenne viennent achever un débat ouvert par la suspension du pacte de stabilité et de croissance opérée lors de la crise sanitaire.
Sans revenir sur la règle de limitation des déficits et de l’endettement à respectivement 3 % et 60 % du PIB, la Commission européenne propose notamment de maintenir le cadre commun de surveillance en rendant plus automatique la mise en œuvre des sanctions. Elle propose également que les États s’engagent sur des trajectoires pluriannuelles de moyen terme en décrivant leurs cibles budgétaires et les réformes et investissements envisagés. Elle suggère de tenir compte des investissements prévus pour la transition écologique, pour le numérique et pour la défense. Enfin, elle invite à différencier les objectifs prévus pour chacun des États en fonction de la situation de leurs finances publiques.
Certaines de ces propositions me semblent aller dans le sens d’une amélioration souhaitable du cadre existant.
En premier lieu, l’individualisation des trajectoires des États devrait permettre une meilleure appropriation nationale des règles budgétaires.
En second lieu, je ne puis qu’approuver la prise en compte des investissements dans le suivi des trajectoires nationales. Si la Commission européenne n’a pas retenu une différenciation de la dette selon sa nature, sa proposition vise à préserver l’investissement des efforts de redressement des comptes publics à venir et à accroître les dépenses favorables à la transition écologique.
Ces dépenses d’avenir sont indispensables, alors que la réalisation de nos objectifs de transition impliquera un effort d’investissement de deux points de PIB par an en 2030, comme l’ont récemment rappelé dans leur rapport Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz.
Par conséquent, madame la secrétaire d’État, pourriez-vous nous éclairer sur le calendrier de mise en œuvre de cette gouvernance budgétaire rénovée ?
Par ailleurs, de quelle manière le Gouvernement souhaite-t-il se saisir de ce cadre favorable à l’investissement pour accélérer nos efforts en matière de transition écologique ?
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons ce soir très en amont de la prochaine réunion du Conseil européen, alors même que son ordre du jour n’est pas encore publié sur la page internet qui est lui consacrée. Cela nourrit nos interrogations sur la méthode suivie dans les travaux de notre assemblée en matière européenne.
Grâce à la secrétaire générale du Conseil, que la commission des affaires européennes a auditionnée récemment, nous avons toutefois pu obtenir quelques indications : le prochain Conseil européen devrait principalement parler d’Ukraine, de défense, d’économie, de relations extérieures et d’enjeux migratoires.
À n’en pas douter, la priorité du Conseil européen sera de faire le point sur la contre-offensive ukrainienne. Ce qui est en jeu, c’est la sécurité du continent. À ce titre, le soutien de l’Union européenne ne saurait faillir. La solidarité non plus, et l’on peut à cet égard s’inquiéter de la divergence franco-allemande qui se creuse ostensiblement en matière de défense, notamment en ce qui concerne le bouclier antiaérien.
Le Conseil européen, en mars dernier, a pointé du doigt l’urgence d’un approvisionnement suffisant de l’Ukraine en munitions à ce stade du conflit. C’est pourquoi la Commission européenne, le mois dernier, a proposé un texte destiné à accélérer la production de munitions dans l’Union, mais aussi à assurer leur disponibilité, en surveillant les stocks et leur localisation.
Autant nous soutenons l’urgence d’une relocalisation de la production de munitions sur le sol européen – nous l’avons déjà appelée de nos vœux en amont du Conseil européen de mars –, autant nous sommes inquiets du caractère très intrusif des pouvoirs que la Commission européenne entend se donner à cet effet, dans un domaine éminemment régalien, sur lequel l’information est très sensible et échappe d’ailleurs largement aux parlementaires que nous sommes.
Madame la secrétaire d’État, à la veille de la réunion du Comité des représentants permanents (Coreper) qui devrait examiner ce texte déjà adopté en urgence au Parlement européen, nous tenons à appeler les autorités françaises à la plus grande vigilance sur ce dossier stratégique.
J’ai proposé au président de la commission des affaires étrangères, Christian Cambon, de formaliser ensemble cet appel par un courrier officiel à la Première ministre, auquel je souhaite associer les rapporteurs de la commission des affaires européennes qui nous ont alertés sur le sujet, nos collègues Gisèle Jourda et Dominique de Legge.
Concernant l’Ukraine, le Conseil européen de la fin juin sera informé du rapport que la Commission publiera demain et qui évaluera les progrès des réformes attendues en matière de justice et de lutte contre la corruption et le blanchiment, en Ukraine comme en Moldavie. À cet égard, l’interdiction du parti de l’oligarque prorusse Ilan Shor, décidée hier par le Conseil constitutionnel de Moldavie, constitue une avancée indéniable.
Toutefois, la route est longue vers l’élargissement, même si l’Ukraine réclame d’ouvrir sans délai les négociations pour son adhésion et que la Géorgie entend bien, avant la fin de l’année, se voir reconnaître à son tour le statut de pays candidat.
Nous ne devons pas oublier que, parmi les critères à considérer avant tout élargissement, l’un concerne l’Union européenne elle-même. Il s’agit de sa capacité d’absorption : dans quelle mesure l’Union européenne est-elle capable de se maintenir comme union de paix si elle intègre des États qui sont en guerre, qui abritent des conflits gelés, comme en Transnistrie, ou qui n’ont pas résolu leurs contentieux de voisinage – je pense au Kosovo et à la Serbie ?
En outre, comment l’Union européenne est-elle capable d’assurer la viabilité de ses politiques – politique agricole commune (PAC) ou politique de cohésion, par exemple –, au vu de l’impact budgétaire de l’entrée de nouveaux membres ?
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire si ces questions fondamentales seront abordées au Conseil européen ?
Même si je doute qu’il aille aussi loin, le Conseil européen ne pourra pas, lors de sa prochaine réunion, ignorer les questions immédiates que soulève déjà la révision à mi-parcours des perspectives financières de l’Union, à l’heure où s’imposent tant de priorités – Claude Raynal en a parlé.
Madame la secrétaire d’État, nous sommes particulièrement inquiets pour nos agriculteurs : déjà soumis à des exigences environnementales croissantes, dont l’impact n’est pas sérieusement évalué, ils se trouvent menacés de subir la concurrence déloyale du Mercosur, avec lequel la Commission européenne et la prochaine présidence espagnole du Conseil semblent pressées de conclure un accord.
Doivent-ils aussi craindre que le budget de la politique agricole commune ne fasse les frais des priorités que la Commission européenne a fait valoir aujourd’hui même, à savoir le soutien à l’Ukraine, la riposte aux subventions que les États-Unis et la Chine consacrent à leur économie pour en assurer la compétitivité, ou encore l’appui financier aux pays de départ pour réguler les flux migratoires ?
De fait, la pression migratoire redouble en Méditerranée centrale et trop de bateaux surchargés font naufrage sous nos yeux. Les avancées enregistrées au Conseil sur le pacte sur la migration et l’asile permettent d’espérer en finir avec l’impuissance. Madame la secrétaire d’État, que peut-on attendre du prochain Conseil européen à ce sujet qui figure expressément à son ordre du jour ?
Moins d’un an nous sépare des élections européennes : il n’est plus temps de tergiverser pour donner à l’Union européenne les moyens de ne pas subir l’avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le compte à rebours est lancé : dans moins d’un an, nous serons appelés aux urnes pour les élections du Parlement européen.
Bien des bilans seront dressés dans les douze prochains mois. Les institutions européennes voudront mener à bien nombre de propositions engagées qui reflètent les promesses, mais aussi les évolutions dues aux récentes crises. Le mandat 2019-2024 est un tournant pour notre Union européenne et pour nous tous.
Néanmoins, à l’heure des premiers bilans, je crois plutôt que nous devrions continuer inlassablement d’avancer. Nous entrons dans une période de débat où la question principale est de savoir quelle Union européenne nous voulons inventer pour demain.
Le 9 mai dernier, le chancelier allemand Olaf Scholz a déclaré qu’il souhaitait une union ouverte et renforcée.
Sur certains sujets, nous sommes plutôt alignés, par exemple sur l’extension du vote à la majorité qualifiée à plusieurs domaines – encore faut-il savoir lesquels… La fiscalité est une piste, mais ce n’est pas la seule. Les affaires étrangères en sont une autre. Le groupe Les Indépendants est attaché au débat sur ce sujet. L’unanimité est un frein parfois trop important pour que l’Union européenne avance correctement dans l’intérêt des citoyens européens.
D’autres points développés par le chancelier font partie des nombreux désaccords des derniers mois. Il n’y a rien d’insurmontable, certes, mais nos visions divergent sur certains dossiers. Cela enrichit le débat, mais apporte aussi de nombreuses frustrations et parfois des incompréhensions. Quelques-uns des sujets que je vais aborder en sont des exemples types.
Avant cela, j’aimerais formuler une remarque de forme sur le débat préalable que nous avons ce soir. Au-delà de l’heure tardive, un sujet que j’ai déjà évoqué il y a quelques mois, j’y ajouterai : « Mieux vaut tard que jamais ». Nous avons en effet reçu l’ordre du jour du Conseil européen il y a seulement quelques heures…
Le rôle des élus nationaux, particulièrement des parlementaires, dans le système européen est important. Cela ne concerne pas uniquement la subsidiarité. Nous sommes au fait de ce qui se passe sur nos territoires, de ce que vivent les Européens. Notre parole est l’amplification de la leur. Les orientations et questions dont nous nous faisons ce soir le relais sont les leurs – ne l’oublions pas !
Pour revenir sur les sujets européens, celui de l’énergie fait bien sûr partie des priorités. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous rassurer quant aux réserves en gaz pour l’hiver prochain ? La France pourra-t-elle atteindre au 1er novembre prochain ses objectifs en matière de stockage ? Le tout premier appel d’offres pour des achats groupés de gaz a été lancé début mai. Quels sont les premiers retours et quand est prévu le prochain ?
Le marché intérieur de l’électricité est l’un des dossiers les plus urgents de cette fin d’année. Qu’attendez-vous du prochain Conseil européen concernant la proposition d’évolution du système et l’objectif de son adoption avant la fin de l’année ?
Depuis mars dernier et les dernières conclusions du Conseil européen, notre position n’a pas changé concernant la guerre d’agression contre l’Ukraine. Je souhaite la réitérer : les responsables des crimes de guerre devront être jugés et les crimes documentés ; je pense notamment aux déportations d’enfants ukrainiens, car ce sujet reste central.
Alors que l’Ukraine a lancé sa contre-offensive, pouvez-vous déjà nous indiquer où en est le prochain paquet de sanctions à l’encontre de la Russie et quelles sont ses grandes lignes ? Est-ce que le paquet est prêt à être présenté lors du Conseil dans dix jours ?
Dans les dernières conclusions du Conseil européen, il a également été question des migrations.
Mercredi dernier, la Méditerranée a encore été le théâtre d’un drame humain : des dizaines de personnes sont mortes noyées en espérant rejoindre le sol européen. Ces victimes viennent malheureusement allonger une liste déjà bien trop longue de plusieurs dizaines de milliers de personnes mortes dans les mêmes conditions depuis une décennie. La mer Méditerranée ne peut être un cimetière à ciel ouvert.
Ce drame survient seulement quelques jours après qu’il y a eu accord en Conseil de l’Union européenne des ministres de l’intérieur sur deux principaux axes du pacte européen sur la migration et l’asile.
Ce pacte est complexe à faire aboutir, et nous savons que l’objectif est une adoption avant juin prochain. Le principal mécanisme est celui qui est dit de solidarité. Comment la France envisage-t-elle sa mise en pratique entre les deux options proposées : la relocalisation des réfugiés et la compensation financière ? Comment le sujet sera-t-il abordé lors du Conseil européen ?
M. André Reichardt. Très bien !
Mme Colette Mélot. Enfin, parce que c’est un sujet qui me préoccupe particulièrement et qu’il y a urgence, je souhaite ce soir aborder une nouvelle fois la question du cyberharcèlement. Le développement fulgurant de l’intelligence artificielle est un risque supplémentaire, notamment dans la création de contenus.
L’Union européenne l’a bien compris, et je salue le travail mené par le commissaire Thierry Breton concernant un pacte sur l’intelligence artificielle. Il est important de trouver un cadre efficace. Je sais le processus européen long et complexe, et 2025 semble bien loin. Je vous encourage, madame la secrétaire d’État, ainsi que vos collègues, à faire en sorte qu’une solution efficace soit rapidement trouvée en Conseil de l’Union européenne, mais aussi au Parlement européen.
Avant cela, il y aura bien sûr l’entrée en application du règlement européen sur les services numériques (DSA) en août prochain et en février 2024. Sommes-nous prêts ?
Le cyberharcèlement tue. Les risques pour nos enfants sont énormes. Je souhaite que nous soyons intraitables collectivement sur la bonne mise en place de ces normes, ainsi que sur leur efficacité, quitte à être très réactifs si nous observons des dysfonctionnements et des besoins de révision des règles. Nous serons nombreux au Sénat à y être très attentifs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. Jacques Fernique. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les nouvelles frappes russes hier soir me conduisent, pour commencer, à renouveler au nom du groupe écologiste notre soutien sans faille à l’Ukraine et à sa population.
Nous saluons donc la volonté du Gouvernement de persister à soutenir l’Ukraine par tous les moyens qui sont nécessaires. Nous continuons à porter le projet d’une défense européenne, pour que l’Europe soit autonome stratégiquement et militairement.
Pour le reste, qu’en est-il aujourd’hui de notre projet européen, de notre cohésion sur les grands objectifs et de nos valeurs communes ? Ils sont – c’est leur lot – ballottés, malmenés, voire carrément reniés. Ce Conseil européen serait utile s’il contribuait à redonner vigueur à ces impératifs qui fondent notre unité.
Dans nombre d’États européens, les surenchères sécuritaires prospèrent, les entraves au Pacte vert se dressent, le lobbying en faveur de la finance et du libre marché gagne du terrain, les concessions à l’extrême droite, voire les coalitions avec elle, se multiplient. À un an des élections européennes, nous attendons des responsables européens la clarté et la détermination nécessaires pour donner envie d’Europe en plus et en mieux.
Au large de Kalamata, à proximité du Péloponnèse, c’est dès l’après-midi que Frontex a pu prendre la mesure du drame qui se nouait, mais c’est à 23 heures cette nuit-là que l’embarcation abandonnée à son sort a sombré avec près de 750 personnes… Ce bilan est l’un des plus lourds des dernières années ; ces dizaines et peut-être centaines de morts viennent s’ajouter aux 1 300 autres recensés depuis le début de 2023.
Bien sûr, la culpabilité première revient aux trafiquants d’êtres humains, profiteurs de celles et ceux qui fuient la misère, la guerre et, de plus en plus, un dérèglement climatique invivable. Bien sûr, cette culpabilité est première, mais elle ne décharge pas pour autant les politiques européennes de leur lourde part de responsabilité.
Il faut, hélas, le dire clairement : ces morts sont un peu à mettre au bilan de Frontex. En se reniant depuis tant d’années face aux discours anti-migrants, en intensifiant les politiques migratoires très restrictives, en externalisant le contrôle de ses frontières, en sous-traitant à des pays où les droits humains sont bafoués, l’Europe a fait de la Méditerranée la voie migratoire la plus meurtrière au monde.
Si ce Conseil européen entend vraiment lutter contre cette mortalité effroyable au seuil de l’Europe, son urgence doit être d’organiser la coopération pour les sauvetages – vous venez d’en dire un mot, madame la secrétaire d’État. Or l’accord du 15 juin entre les États membres sur le pacte sur la migration et l’asile n’ouvre aucune perspective de création d’une force européenne de secours en mer. Ce nouveau drame y oblige ; c’est un impératif minimum.
En ce qui concerne le volet énergie, on constate encore de l’incohérence. En septembre dernier, le Gouvernement annonçait vouloir rattraper son retard dans les énergies renouvelables. Dans les faits, Paris a totalement bloqué les choses jusqu’à ce que ses demandes sur le nucléaire soient satisfaites dans ce texte clé du Pacte vert qu’est la proposition de directive relative aux énergies renouvelables.
Il a donc fallu que la Commission européenne finisse par acter « la reconnaissance du nucléaire dans l’atteinte de nos objectifs de décarbonation ». Il y a quelques semaines, on dénonçait les manœuvres de blocage de nos voisins allemands sur les voitures thermiques. Aujourd’hui, on les imite !
Ce lobbying déstabilise les investissements dans la décarbonation et en encourage d’autres : ainsi, hier, en Conseil des ministres européens de l’énergie, la France a soutenu la prorogation des subventions aux centrales à charbon existantes jusqu’en 2028 – encore un recul !
Ce retard sur nos objectifs de décarbonation coûtera cher, tout comme le démantèlement annoncé de Fret SNCF, pour lequel le gouvernement français semble capituler avant même d’avoir mené la bataille, alors que notre cause avait des raisons solides, partagées en Europe. Plutôt que de tenir, vous consentez à en finir avec Fret SNCF.
Comment la mise à la découpe de cette entreprise pourrait-elle ne pas briser le rebond ferroviaire nécessaire et ramener des camions sur les routes ? À quoi en Europe veut-on donner la priorité ? Au climat ou à la libre concurrence ?
Cette question vaut également pour l’accord UE-Mercosur, tel qu’il a été conclu en 2019, que l’Assemblée nationale vient de rejeter dans une résolution. Cet accord serait une usine à dérégler le climat, à accroître la déforestation, à contaminer l’environnement, à détruire l’agriculture paysanne et à coloniser les terres des peuples autochtones.
Le respect de l’accord de Paris et celui de nos normes sanitaires et environnementales pour tout produit agroalimentaire importé, voilà la ligne à tenir, sans pour autant couper les ponts avec l’Amérique latine. L’Union européenne peut aider à protéger l’Amazonie, en respectant ses engagements en matière de financement de l’action climatique et par ses aides en faveur des forêts des pays du Mercosur.
Cela passe aussi par une directive ambitieuse sur le devoir de vigilance. Les eurodéputés ont voté un texte prometteur prévoyant un mécanisme de responsabilité civile et un accès renforcé des victimes à la justice européenne, qui a nettement élargi le champ des entreprises concernées et qui inclut le secteur financier et la chaîne de valeur aval des entreprises.
Maintenant que les négociations en trilogue vont débuter, ce n’est pas le moment d’affaiblir le texte. Les eurodéputés se sont montrés ambitieux ; au gouvernement français de suivre cette ligne.
Cette nécessité de peser en faveur de nos grands objectifs communs est aussi en cause avec la loi européenne sur la restauration de la nature, dont le vote a été repoussé par une alliance entre l’extrême droite, la droite conservatrice, les libéraux et une partie du groupe Renew. C’est le sort du Green Deal qui se joue. Nous n’avons pas le luxe de nous permettre une pause ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Patrice Joly applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, douze ans : depuis douze ans, je prends la parole à l’occasion de chaque débat préalable au Conseil européen, ainsi qu’à l’occasion de tous les autres débats qui ont trait à l’Europe dans cet hémicycle.
M. André Reichardt. Oh !
M. André Gattolin. Ne vous méprenez pas : pour moi, c’est tout sauf un pensum ou une sinécure ! Et si je m’attelle ce soir à cet exercice pour la dernière fois, parce que j’ai fait le choix de vous quitter bientôt, c’est plus que jamais avec plaisir et passion, sans amertume aucune.
Je suis né Européen sans le savoir, et c’est grâce au voir et au savoir que je le suis devenu. J’ai beaucoup parcouru l’Europe avant de devenir sénateur ; j’ai continué de le faire en l’étant, je le ferai davantage encore en ne l’étant plus.
Ce continent, qui porte le beau nom d’une princesse d’Asie enlevée par Zeus, est si beau et si complexe, si riche et si fragile aussi, qu’il mérite que nous consacrions ce qui nous reste de futur personnel à tenter de préserver le sien. Mais, s’ils ont souvent la même fragilité, un être humain et un continent ne s’inscrivent évidemment pas dans la même temporalité.
Dans la part de temporalité commune qui peut exister entre une personne et son territoire, c’est-à-dire entre notre histoire personnelle et l’Histoire tout court, chacun peut mesurer sa chance au regard des événements heureux qui lui ont été donnés de vivre, mais aussi au regard d’événements terribles auxquels il a eu le bonheur d’échapper.
Nous sommes tous ici, dans cet hémicycle, issus de plusieurs générations qui ont eu la chance de ne pas connaître la barbarie nazie, ses cortèges de morts, de déportés et d’exactions sans nom. Cette longue paix, nous la devons bien évidemment à l’Europe, à sa patiente construction dans un cadre démocratique, en dépit des crises et soubresauts qui l’ont traversée et qui continuent de le faire.
Lorsque nous en disposons depuis longtemps, la paix comme la liberté passent pour acquises au point de faire figure de non-événement.
C’est une erreur, pis, une cécité, de ne pas voir que, chaque matin, lorsqu’elles se réveillent, tant de personnes dans tant d’autres parties du monde s’interrogent sur ce que la journée aura peut-être de fatal pour elles ou pour leurs proches. À l’heure du retour de la guerre dans l’est de notre continent, c’est une chose que nous omettons de raconter et d’expliquer à nos enfants, car, parfois, nous n’en avons nous-mêmes plus guère conscience.
Toutefois, l’événement européen de portée véritablement historique vécu par les générations ici représentées restera certainement la chute du mur de Berlin, la fin du rideau de fer et l’effondrement de l’URSS. Ce fut la promesse d’une aube nouvelle pour l’Europe, mais si soudaine, si bouleversante et si enthousiasmante pour les peuples du continent que nous avons omis à l’époque de mesurer pleinement les défis que cette Europe élargie poserait à plus long terme.
Parce que le régime soviétique, tel un cyclope éborgné, s’était écroulé de lui-même, nous avons voulu croire à la fin de toute velléité impériale de la part de la Russie. Triste aveuglement qui n’est pas étranger à l’horrible tragédie qui secoue aujourd’hui l’Ukraine.
Quand j’ai choisi il y a douze ans de devenir sénateur, plutôt que de tenter de devenir eurodéputé, j’avais la conviction profonde que c’était au plus proche de nos concitoyens qu’il fallait parler d’Europe, afin de la rendre audible autant que sa complexité le permet.
En effet, il ne suffit pas d’être un Européen convaincu ; il convient surtout d’être un Européen convaincant, capable d’expliquer les enjeux réels qui se posent à nous dans un monde de plus en plus délicat à appréhender.
Au cours de ces douze dernières années, notre Europe a connu bien des crises, au point de se demander si leur succession, désormais incessante, n’est pas devenue, bien plus que le présumé moteur franco-allemand, le cœur du réacteur de son processus d’approfondissement et sans doute, demain, de son processus d’élargissement.
Ébranlée, bousculée, parfois au point de pouvoir être renversée, l’Union européenne, malgré sa plasticité de boxeur plus apte à encaisser les coups qu’à en donner, a cependant bien plus évolué durant la décennie écoulée qu’on ne le dit. Bien sûr, ce cheminement vers davantage d’intégration politique ne s’est fait, pour l’essentiel, qu’en réaction aux nombreuses crises que nous avons traversées.
Il serait illusoire de croire qu’il puisse en être autrement : les États membres n’acceptent de se départir d’une part de leur souveraineté nationale que, lorsqu’en ultime instance, ils finissent par admettre leur incapacité à affronter seuls un défi qui les dépasse.
Que cela nous plaise ou non, il ne saurait en être autrement, et le « Grand Soir constituant », rêvé par nombre d’européistes convaincus, n’a plus l’heur de convaincre et de faire espérer. Il en est ainsi, et il faut cesser de voir dans le réel l’ennemi de la politique. Le réel n’est que la matière à partir de laquelle se construisent patiemment les édifices.
À ce titre, la liste des sujets traités lors des Conseils européens depuis plus d’une décennie illustre bien l’évolution, certes lente, mais profonde, qui a affecté l’Union européenne au cours de la période et qui préfigure peut-être son devenir.
Au début des années 2010, presque tout ce qui était débattu en Conseil renvoyait à la crise financière de 2008, à ses conséquences directes et indirectes, à la crise de l’euro et à la déflagration violente suscitée dans les pays du sud de l’Europe. Les réponses proposées renvoyaient encore et toujours au renforcement du marché unique, véritable Graal des chevaliers de la Table ronde du Conseil… On était prêt à sacrifier la Grèce sur l’autel d’une orthodoxie qui n’avait rien de religieux, mais tout de financier.
La politique extérieure de l’Union européenne, hors la multiplication effrénée d’accords de libre-échange, se limitait à quelques timides politiques de voisinage, dont, au passage, il serait bon un jour de tirer un bilan honnête et sans fard.
Toutefois, même durant cette période quelque peu atavique, l’Europe nous a parfois réservé de très belles surprises.
Je me rappelle ainsi mon tout premier déplacement pour la commission des affaires européennes : c’était en Croatie en novembre 2011, quelque temps avant l’entrée officielle de ce pays dans l’Union européenne. Vingt ans auparavant, j’étais à Zagreb, à quelques kilomètres du front, sous les pluies de tirs perdus qui tombaient sur la capitale. Au risque de passer pour un fou en France, je militais déjà activement en faveur d’un avenir européen pour ce pays.
À la fin de ce séjour, notre délégation sénatoriale fut reçue par le Président de la République, Ivo Josipovic. Surprise : nous avions sympathisé vingt ans auparavant en pleine guerre, il était alors universitaire et musicologue, et nous nous étions ensuite perdus de vue au fil des ans.
Le 1er juillet 2013, la Croatie devint le vingt-huitième membre de l’Union européenne. Nous ignorions à l’époque que ce serait, à ce jour, le dernier pays à rejoindre l’Europe.
Nous ignorions aussi que, quelques années plus tard, un État membre de l’Union européenne prendrait la décision impensable de la quitter.
L’avenir de l’Europe est souvent imprévisible, et nous sommes, particulièrement aujourd’hui, payés pour le savoir. Mais ce que je veux retenir ici, c’est que, au prix d’immenses efforts, la Croatie vient en ce début d’année de rejoindre la zone euro et l’espace Schengen. C’est un signe d’espoir : il peut y avoir une vie européenne après la guerre.
Cependant, dans la situation actuelle, avec la guerre qui fait rage en Ukraine, la question majeure que devront se poser les chefs d’État et de gouvernement qui se réuniront dans quelques jours à Bruxelles est grave, extrêmement grave.
Il s’agit ni plus ni moins que de savoir s’il peut subsister une Europe après la guerre horrible conduite par la Russie, si l’Ukraine venait à perdre celle-ci. La réponse est vraisemblablement non ! Et le poids de notre responsabilité en la matière sera immense si nous renonçons à aller plus avant dans notre soutien à Kyiv.
Pour conclure sur une touche différente, je tiens à saluer très chaleureusement les trois présidents de la commission des affaires européennes qui se sont succédé depuis 2011, Simon Sutour, Jean Bizet et naturellement Jean-François Rapin, avec lesquels j’ai eu, durant ces douze années, le grand bonheur de travailler. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons débattre ce soir de l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil européen.
Cependant, le contexte économique, social et sociétal que vivent les Européens nous oblige à évoquer également d’autres questions essentielles pour lesquelles la vigilance de chacun doit être de rigueur.
Depuis le début de 2021, l’inflation a vivement augmenté dans les principales économies de la zone euro. Les prix des produits alimentaires ont progressé de 15 % par rapport à 2020 et expliquent à eux seuls près de la moitié de l’inflation, pénalisant les ménages les plus modestes, qui consacrent une part importante de leur budget à l’alimentation.
Une inflation élevée réduit le pouvoir d’achat des citoyens et rend de nombreuses entreprises moins compétitives ; surtout, elle a un impact disproportionné sur les personnes à faible revenu.
Dans un tel contexte, les conséquences de la hausse de 0,25 point de son taux d’intérêt par la Banque centrale européenne, annoncée le 4 mai dernier, doivent être questionnées.
Tout d’abord, parce que cette hausse prive les plus modestes de l’accès au crédit et vient s’ajouter à la réduction du pouvoir d’achat des Européennes et des Européens.
Ensuite, parce que, aujourd’hui, l’inflation est tirée par les superprofits, la cupidité, l’avidité. Elle est liée au maintien des marges des entreprises. La Banque centrale européenne a également émis des craintes contre cette spirale des prix « qui pourrait appauvrir tout le monde ». La question d’un contrôle temporaire des prix se pose donc pour prévenir les spirales inflationnistes de ces prix abusifs.
Enfin, parce que la hausse des taux d’intérêt va dégrader directement la rentabilité des opérations de rénovation énergétique des logements et des bâtiments ; elle va plus globalement détériorer la rentabilité des investissements de la transition écologique que nous devons financer.
S’il faut saluer l’assouplissement des règles budgétaires proposé par la Commission européenne, l’angle mort de cette réforme demeure la question des recettes pour financer les transitions. Qui va payer pour augmenter les dépenses vitales en vue d’atténuer les émissions de CO2, réduire par là même notre dépendance aux énergies fossiles, largement importées, et nous adapter au changement climatique en cours ?
Ainsi, le récent rapport de France Stratégie sur les incidences économiques de l’action pour le climat a estimé à 66 milliards d’euros par an à l’horizon 2030, soit plus de 2 points de PIB, le nécessaire coût de la transition écologique en France.
Ce n’est malheureusement pas simplement avec une taxe sur les cryptomonnaies, un impôt sur les plastiques, ou encore la taxe sur les transactions financières actuellement bloquée au Conseil que l’on va financer la défense européenne, la transition écologique et l’industrie dont nous avons aujourd’hui terriblement besoin.
Nous avons besoin d’un plan pérenne et de réponses concrètes de la Commission européenne sur ce point. Nous avons besoin d’une capacité budgétaire européenne. Nous avons besoin de justice fiscale, de taxation sur le capital et d’un prélèvement pour le marché unique, parce que, si l’on aime l’Europe, on la finance !
Le 8 juin dernier, un projet d’initiative citoyenne européenne appelant à créer un impôt européen sur les grandes fortunes a été déposé auprès de la Commission européenne par l’eurodéputée Aurore Lalucq et le président du parti socialiste de Belgique Paul Magnette. Ils sont soutenus notamment par Thomas Piketty et l’ancien commissaire européen hongrois Laszlo Andor, ainsi que par plusieurs ONG, comme Oxfam, et par des millionnaires eux-mêmes. Tous plaident pour la création d’un impôt européen sur les grandes fortunes.
Partout dans le monde, les plus riches parmi les plus riches sont beaucoup moins taxés que les autres en proportion de leurs revenus, parce qu’ils bénéficient d’une fiscalité avantageuse sur le capital ou qu’ils ont la capacité de défiscaliser leurs revenus. L’Institut des politiques publiques a montré, dans sa note en date du 6 juin dernier, que, à partir d’un certain seuil de richesse, le taux d’imposition régresse, car les profits que les ultra-riches tirent de leurs sociétés échappent au calcul de l’impôt sur le revenu.
Il est temps de rétablir une fiscalité plus juste et équitable. L’économiste américain Joseph Stiglitz, lauréat du prix Nobel, avait même proposé de mettre en place un taux d’imposition mondial spécial de 70 % sur les revenus les plus élevés, ainsi qu’un impôt sur la fortune de 2 % à 3 %.
Avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je ne puis que relayer avec force ces propositions alors que nous plaidons, depuis plusieurs mois maintenant, pour la mise en place d’un impôt sur les superprofits.
Une coopération entre les États est urgente pour lutter, par le biais de la fiscalité, contre la spéculation et pour une juste répartition de la richesse produite. Je forme le vœu que nous parvenions à un accord politique au Conseil européen à l’automne prochain.
Enfin, alors que le prochain sommet des chefs d’État ou de gouvernement de l’Union européenne et de la Communauté d’États latino-américains et caraïbes se tiendra à Bruxelles le 17 et le 18 juillet prochain, je souhaite vous faire part, madame la secrétaire d’État, de nos grandes inquiétudes concernant l’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’Union européenne.
Aujourd’hui, de nombreuses organisations telles que l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), ou encore l’Agence française de développement (AFD) concluent que nous pourrons nourrir les 10 milliards d’habitants que comptera le monde en 2050.
En revanche, pour ce faire, quelques conditions doivent impérativement être respectées : mettre un terme à l’accaparement des terres et les partager ; assurer le renouvellement des générations en garantissant un revenu digne à tous les paysans, partout dans le monde ; enfin, établir un commerce équitable non seulement entre les espaces ruraux et les métropoles, mais aussi entre les pays et entre les continents.
Or, madame la secrétaire d’État, cet accord est archaïque tant sur le fond que sur la forme. On ne peut pas promouvoir une agriculture durable en faisant de la lutte contre le changement climatique une priorité et, dans le même temps, faire venir sa viande de l’autre bout de la planète en favorisant un modèle agricole intensif, responsable à 80 % de la destruction de la forêt amazonienne.
Il s’agit non pas de militer uniquement à des fins protectionnistes, mais d’agir au nom d’une souveraineté solidaire, afin que la France affirme ses valeurs universelles tout en défendant ses propres intérêts, lesquels rejoignent en toute logique ceux de l’humanité.
En effet, cet accord est un désastre pour les éleveurs et agriculteurs des deux côtés de l’Atlantique. Les importations de bœuf en provenance du Mercosur pourraient augmenter de 50 %. Ce sont 99 000 tonnes équivalent carcasse de bœuf sud-américain, potentiellement élevé aux antibiotiques, que nous importerions sans imposer de droits de douane, alors même que nous avons, à raison, banni les antibiotiques de croissance en Europe à compter du 1er janvier 2006.
Comment assurer notre souveraineté alimentaire face à un accord qui menace le bien-vivre de celles et ceux qui nous nourrissent ? C’est en remettant en cause ce traité que nous pourrons, dans les conditions que j’ai exposées, nourrir les 10 milliards d’habitants attendus d’ici à 2050. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nombre de questions sont à l’ordre du jour de ce Conseil européen, comme vous l’avez relevé, madame la secrétaire d’État. Je me limiterai à trois séries de remarques.
Dans la première, je pointerai les contradictions entre, d’une part, les grandes déclarations qui sont faites sur une nouvelle politique industrielle, sur la sécurité économique du continent ou encore sur la reconquête de souveraineté, d’autre part, beaucoup de décisions qui ont été prises au fil des dernières semaines.
Je veux vous redire, madame la secrétaire d’État, que nous ne décolérons pas contre l’accord qui a été conclu entre la Commission européenne et notre pays sur le démantèlement de la filiale fret de la SNCF. Nous le considérons comme une aberration sociale et écologique.
De même, le projet de réforme du marché européen de l’électricité, désormais mis dans la boucle du trilogue Commission européenne-Conseil européen-Parlement européen, nous paraît sans rapport avec les ambitions affichées initialement. Sur ce volet majeur de la transition écologique, on persiste dans une logique de marché qui pèsera négativement sur les investissements de long terme et, en France particulièrement, sur les choix nationaux de mix énergétique souverain, avec le risque de factures de nouveau alourdies pour les ménages, les PME et les collectivités locales.
C’est dans dix jours, au moment même du Conseil européen, que surviendra la suppression, sans aucune contrepartie, des tarifs réglementés du gaz, qui nous garantissent pourtant de la sécurité. Ainsi, nous sauterons dans le vide sans filet !
Enfin, alors que la crise sociale – crise de pouvoir d’achat, crise de l’emploi – touche toute l’Europe, aucun point de l’ordre du jour du Conseil européen ne porte sur les questions sociales ; ce n’est pas la première fois. Je veux néanmoins saluer l’accord trouvé au Conseil le 12 juin dernier sur les travailleurs des plateformes, accord qui dresse enfin une liste de critères de présomption de salariat, mais la mise en œuvre de cet accord s’annonce encore très longue.
En revanche, c’est aussi le moment choisi par le président Macron pour faire d’Elon Musk la nouvelle grande vedette de nos plateaux de télévision, notamment hier soir sur France 2. Voilà le patron que les grands patrons français s’arrachent ! Tout cela nous paraît assez aberrant alors que l’on parle d’affirmer notre souveraineté économique.
La deuxième série de remarques que je veux faire à cette tribune porte sur notre conception de la compétition économique et de la reconquête de la souveraineté.
Les conceptions qui sont mises en avant nous semblent davantage motivées, en vérité, par une logique de guerre économique. La façon dont les relations entre l’Union européenne et la Chine sont mises à l’ordre du jour de ce Conseil européen en témoigne à nos yeux.
Il y a quatre ans seulement, le Parlement européen, le Conseil européen et la Commission européenne publiaient une communication conjointe sur leur vision stratégique vis-à-vis de la Chine, alors considérée comme un « partenaire de coopération », un « partenaire de négociation », un « concurrent économique » et un « rival systémique ».
À l’écoute de votre intervention d’aujourd’hui, madame la secrétaire d’État, la Chine ne semble plus être traitée qu’en « rivale systémique ». Mais ce qui nous inquiète le plus, c’est que, derrière ce discours, il semble que nous refusions de nous attaquer aux causes réelles de nos handicaps industriels, qui ne se résument pas à la concurrence de la Chine, mais découlent de décisions qui ont été prises, ou plutôt qui ne l’ont pas été, sur le continent européen, pour assurer notre développement industriel.
Nous voulons rattraper notre retard avec le Green Deal Industrial Plan. Très bien ! Il est question, nous dit-on, de relocaliser la production de technologies vertes suffisamment matures, essentielles à la décarbonation, pour lesquelles l’Europe est aujourd’hui bien trop dépendante.
Toutefois, si la Chine produit aujourd’hui 75 % des panneaux photovoltaïques et des batteries, presque 60 % des éoliennes et 40 % des électrolyseurs et des pompes à chaleur, il faut tout de même examiner ce qui a failli dans nos propres décisions industrielles pour que l’on en arrive à cette situation, si nous voulons l’inverser.
Je serais curieux de savoir, madame la secrétaire d’État, ce que vous pensez de ce passage du rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, un document que l’on semble d’ailleurs avoir enterré très rapidement :
« Dans la course qu’elle a engagée pour construire avant les autres un nouveau modèle de croissance verte, c’est-à-dire pour définir les standards de demain et établir une position forte dans les industries du futur, l’Europe prend le risque d’additionner les handicaps. Elle cumule en effet retards industriels, coût de l’énergie élevé, exposition aux fuites de carbone et volonté de ne pas s’écarter de la discipline budgétaire. Si certaines contraintes, sur les prix de l’énergie notamment, lui sont imposées par le contexte international, certaines disciplines, en particulier en matière budgétaire, résultent de ses propres décisions. »
Allons-nous tirer des leçons de ces constats pour être moins belliqueux, mais plus offensifs en matière de reconquête industrielle, en poussant les feux d’un fonds souverain européen et d’un renforcement du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, ou en utilisant la création monétaire ?
Enfin, ma troisième série de remarques portera sur la question de la guerre et sur le sommet de Vilnius.
Vous avez été très peu loquace sur ce sommet, madame la secrétaire d’État. Pour ma part, je vais vous adresser une question assez directe, qui se pose maintenant dans le débat public et à laquelle le Parlement devrait avoir une réponse : la France donnera-t-elle, à Bruxelles dans dix jours et à Vilnius dans quelques semaines, son feu vert à l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan ?
Cette question, visiblement, a été évoquée explicitement au cours du conseil de défense qui s’est réuni le 12 juin. Le Parement a le droit d’être informé si la France est en train de changer de position sur cette question, qui est non pas mineure, mais essentielle. En effet, si nous faisions entrer maintenant l’Ukraine dans l’Otan, si nous donnions ce feu vert, alors, nous le savons tous, la frontière orientale de l’Union européenne se verrait transformée en ligne de front de l’Otan, de l’Arctique à la Méditerranée.
Je ne crois pas que ce soit ainsi que nous mettrons fin à la guerre ou que nous obtiendrons le retrait des troupes russes des territoires occupés illégalement. Nous pensons pour notre part que ce serait la voie, non pas d’une victoire rapide, mais d’une guerre longue, terriblement destructrice, coûteuse et dangereuse.
La solution de rechange à la guerre devrait plutôt être la mobilisation de toutes les forces de l’Union européenne et de toutes les coalitions mondiales possibles pour des solutions politiques de paix et de sécurité. Le surarmement, la militarisation et « l’otanisation » de l’Europe ne préparent pas à prendre ce chemin-là.
J’espère, madame la secrétaire d’État, qu’à Vilnius la raison demeurera assez forte pour que la France ne donne pas son feu vert à cette adhésion, qui ne réglera pas les problèmes, mais risquerait de les aggraver encore. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voilà réunis pour le débat préalable au Conseil européen du 29 et du 30 juin prochain. À la fin de ce mois, la Suède cédera la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne à l’Espagne. Stockholm avait fixé quatre priorités pour ce semestre de présidence suédoise : la sécurité, la compétitivité, la transition écologique et énergétique et les valeurs de l’Union européenne.
La sécurité du continent renvoie évidemment à la guerre russo-ukrainienne. Oui, nous y sommes : la contre-offensive ukrainienne a débuté, comme l’a confirmé le Président de la République. L’escalade des tensions et la situation précaire à l’Est viennent mettre à l’épreuve la stabilité et la sécurité de la région européenne dans son ensemble.
Le soutien apporté à l’Ukraine dans sa lutte pour la préservation de son intégrité territoriale doit se poursuivre. Le combat que mène ce pays force le respect. Le groupe Union Centriste, comme d’autres, se tient évidemment derrière le peuple ukrainien et apporte son plein soutien à nos amis qui se battent pour les valeurs de l’Union européenne.
L’année 2023 nous invite aussi à célébrer les trente ans du marché unique, qui appelle à une meilleure compétitivité de nos entreprises européennes.
Si notre union économique et monétaire permet à l’Europe de demeurer une puissance commerciale mondiale, ses bénéfices n’ont pas été uniformes pour tous les États membres. Nous le savons, certains secteurs ont, dans chacun des pays européens, gagné en compétitivité du fait de leurs avantages absolus ou comparatifs – l’industrie en Allemagne, le luxe en France ou encore l’agriculture en Espagne – tandis que d’autres secteurs ont pâti du marché unique.
À la suite des crises successives que nous avons traversées, l’objectif d’une souveraineté économique européenne semble faire consensus. Médicaments, batteries électriques, avions propres : nombre de pistes se dessinent. Il faut s’en saisir, mais les Européens doivent aussi faire preuve de cohérence.
À titre d’illustration, l’aéronautique est, depuis longtemps, un domaine fécond pour la coopération européenne. En témoignent les contrats signés ces derniers jours dans le cadre du salon du Bourget. Pourtant, l’année dernière, le Gouvernement allemand annonçait l’achat de 35 avions de combats américains F-16, au détriment du Rafale français. C’est d’autant plus dommageable que nos deux pays coopèrent sur le programme Scaf, le système de combat aérien du futur.
La compétitivité européenne ne dépend donc pas uniquement de la qualité des investissements réalisés ou de l’étendue de nos innovations ; elle repose également sur leur bonne adéquation avec notre politique commerciale. Il y va de la prospérité de nos filières d’avenir, à l’instar de l’agriculture en France.
Alors que les moyens financiers de la politique agricole commune ont été revus à la hausse, le Pacte vert européen prévoit une baisse de la production agricole. Dans le même temps, nous investissons dans un modèle agricole plus respectueux de l’environnement, mais la Commission européenne continue de négocier des traités de libre-échange défavorables à nos producteurs, avec l’Amérique du Sud ou la Nouvelle-Zélande. La logique est donc dure à suivre, particulièrement pour les exploitants agricoles de notre pays !
C’est surtout dans le domaine de la transition énergétique que les États membres s’opposent actuellement. En ce qui concerne la réforme du marché de l’électricité, un point de désaccord majeur subsiste. Les Vingt-Sept se déchirent sur les modalités des contrats pour la différence, à prix garanti par l’État.
Dans ce mécanisme, le producteur d’électricité doit reverser les revenus engrangés si les cours du marché de gros sont supérieurs au prix garanti, mais perçoit une compensation dans le cas contraire. La Commission européenne proposait que tout soutien public à de nouveaux investissements dans la production d’électricité décarbonée se fasse impérativement via ce type de contrat. Si la France s’en réjouit, d’autres États, tels que l’Allemagne ou le Luxembourg, y sont hostiles.
Madame la secrétaire d’État, que pouvez-vous nous dire sur l’état d’avancée de ces discussions importantes pour nos territoires ? Je pense à certaines TPE ou encore à des structures qui gèrent des remontées mécaniques dans les stations de sports d’hiver de mon département.
A contrario, s’il y a une problématique sur laquelle un consensus a su émerger sous la présidence française du Conseil de l’Union européenne, c’est celle de la régulation numérique. Les règlements dits Digital Markets Act (DMA) et Digital Services Act (DSA) vont dans le bon sens.
Le DMA vise à prévenir les abus de position dominante des géants du numérique que sont en particulier les Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – et à offrir un plus grand choix aux consommateurs européens. Tel est par exemple l’objet de la plateforme de marketing digital Utiq, récemment lancée par des opérateurs français, allemand et espagnol, afin de concurrencer les géants américains.
Le DSA vise pour sa part à lutter contre les contenus et produits illégaux en ligne. Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, que le Sénat examinera prochainement, viendra adapter notre droit national à la nouvelle réglementation européenne.
Oui, l’espace numérique est un espace public comme un autre, mais il s’agit d’un espace où la souveraineté est diffuse et dans lequel ni la censure ni l’anarchie n’ont leur place. Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission spéciale constituée sur ce texte, vous en dira plus dans quelques minutes.
La France doit également être un moteur de la défense des valeurs fondamentales qui nous unissent. C’était la quatrième priorité définie par la Suède pour sa présidence du Conseil de l’Union européenne. Nous devons rester conscients de l’équilibre instable sur lequel repose la démocratie, surtout lorsqu’elle est confrontée à une importante montée des extrémismes à l’échelle de notre continent.
En ce sens, la Communauté politique européenne (CPE), dont le Président de la République a pris l’initiative lors de son discours de la Sorbonne, incarne l’union dans la diversité. Madame la secrétaire d’État, après le sommet de la CPE tenu en Moldavie il y a quelques semaines, pourriez-vous nous indiquer la feuille de route à venir pour cette communauté ?
Avant de conclure mon propos, je souhaite évoquer brièvement deux sujets.
Je veux en premier lieu appeler votre attention, madame la secrétaire d’État, sur les problématiques de gestion de la coopération transfrontalière, notamment entre la France et l’Italie, et sur l’absence persistante d’accords bilatéraux, en particulier sur les questions de coopération hospitalière, entre nos deux pays.
Le traité du Quirinal prévoit de renforcer la coopération transfrontalière. J’apprécierais que nous avancions sur ce dossier. Contrairement à ce qui m’a été dit récemment à l’hôpital de Briançon, les patients venant d’Italie doivent, encore aujourd’hui, avancer les frais de santé, ce qui ne me paraît pas une bonne façon de consolider la coopération transfrontalière.
Je veux en second lieu dire un mot de l’immigration, notamment à la frontière entre la France et l’Italie. J’ai rendu visite cette semaine à la police aux frontières, qui est en grande difficulté du fait d’un manque de moyens et de coopération avec l’Italie, mais surtout parce qu’elle doit gérer à cette frontière une problématique migratoire qui devrait être appréhendée à l’extérieur des frontières européennes.
Je souhaite conclure mon propos sur une note plus positive, en saluant la panthéonisation à venir des résistants Missak et Mélinée Manouchian. Ce couple, rescapé du génocide arménien, s’est illustré par sa lutte armée contre l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ils incarnent l’héritage de nos aïeux et nous invitent, par les valeurs qu’ils ont portées, à poursuivre cette quête de préservation de la paix et de la liberté, pour les Européens d’aujourd’hui et de demain.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’origine, l’Union européenne était une entente entre des nations respectueuses de leur souveraineté. Malheureusement, elle est devenue une fédération qui impose une véritable dictature idéologique, y compris pour ce qui concerne les affaires strictement intérieures des États.
Il est ainsi scandaleux que, au sein de l’Union européenne, quelques pingouins veuillent empêcher la Hongrie de présider le Conseil européen, alors que c’est son tour ! Tout cela vise à forcer la main des Hongrois sur des sujets d’ordre strictement intérieur. (M. Thomas Dossus s’exclame.) De même, un chantage financier éhonté est pratiqué à l’encontre de la Pologne pour l’obliger à modifier son système judiciaire, lequel pourtant ne relève que de la Pologne et ne concerne que la Pologne !
Dans un autre domaine, la guerre en Ukraine, dans laquelle nous sommes quasiment des cobelligérants, nous coûte horriblement cher. L’explosion du prix du gaz et des matières premières, ajoutée aux aides militaires et aux subventions colossales versées à l’Ukraine, est à l’origine d’une inflation galopante et d’un endettement sans précédent. Cela pénalise lourdement les familles françaises et ruine notre pays.
Je n’ai aucune hostilité contre l’Ukraine ni contre la Russie. En revanche, je tiens à dire que les vrais responsables de cette guerre sont les États-Unis, l’Otan et l’Union européenne. (MM. Jean-Michel Arnaud et Thomas Dossus protestent.)
M. Jean-Yves Leconte. Ce sont les agresseurs ?
M. Jean Louis Masson. C’est l’impérialisme américain, conjugué à l’expansionnisme de l’Union européenne. Celle-ci n’a de cesse de s’étendre vers l’est, au détriment de la zone d’influence de la Russie.
Quant à l’Otan, il aurait fallu immédiatement la dissoudre lorsque l’URSS et le pacte de Varsovie ont explosé.
On veut nous faire croire que la Russie serait une menace pour la France, mais c’est un gigantesque mensonge ! Si la France et l’Union européenne avaient laissé la Russie tranquille, sans chercher à l’encercler, nous n’aurions eu ni cette guerre ni les difficultés économiques que nous connaissons actuellement.
M. François Bonhomme. Il fallait y penser…
M. Jean Louis Masson. N’oublions pas que le coût pour la France de notre engagement dans cette guerre est égal à huit fois le montant des économies qui ont prétendument motivé la récente réforme des retraites.
Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, je ne suis pas du tout d’accord avec la politique suivie actuellement par le Gouvernement, et encore moins d’accord avec l’Union européenne.
Ce que je souhaite, c’est que l’on puisse un jour rétablir une véritable souveraineté des États, mais c’est aussi que l’on respecte tous les États, y compris la Russie, qui, elle aussi, a le droit d’exister, de se défendre et de ne pas être encerclée. Les États-Unis n’ont pas voulu que les Russes installent des fusées à Cuba ; pourquoi voudrions-nous que l’Otan s’étende à l’Ukraine et termine d’encercler la Russie ?
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean Louis Masson. C’est pourquoi je crois que la Russie a tout à fait raison de ne pas se laisser faire.
M. Jean-Yves Leconte. Ici, on n’est pas à la Douma !
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, une nouvelle fois, l’Ukraine sera au premier rang des préoccupations du prochain Conseil européen.
Rien, hélas, ne permet à ce stade d’entrevoir une sortie rapide du conflit. Il est en effet difficile de savoir si la contre-offensive menée par Kiev depuis un peu plus de dix jours triomphera. L’armée russe oppose pour le moment une résistance relativement solide – peut-être avait-elle été sous-estimée au regard des erreurs commises jusqu’alors par ses chefs.
Dans ces conditions, on ne peut que continuer à soutenir les actions déployées par l’Union européenne depuis le début de l’agression russe. L’Europe doit en effet poursuivre sa mobilisation dans plusieurs directions.
J’évoquerai tout d’abord le soutien aux forces armées ukrainiennes. L’Union européenne a déjà fait beaucoup, mais le passage d’une posture défensive à une stratégie offensive va mettre à rude épreuve les matériels livrés. Les stocks des armées européennes se réduisent. Le ministre allemand de la défense l’a rappelé la semaine dernière : « Nous n’allons pas pouvoir remplacer chaque char qui cesse de fonctionner. »
Je rappellerai toutefois que les conclusions du dernier Conseil européen invitent les États membres à redoubler leurs efforts pour répondre aux besoins les plus urgents de Kiev en matière militaire. C’est impératif. Comme chacun sait, ce sont aussi les intérêts des pays européens en matière de sécurité et de défense qui sont en jeu au travers de la guerre en Ukraine.
Face à cette situation, le RDSE est bien entendu favorable à la poursuite de l’aide aux forces ukrainiennes. La livraison en urgence de munitions sol-sol et de munitions d’artillerie, permise dans le cadre du fonds de la Facilité européenne pour la paix, démontre la cohésion de la très grande majorité des États membres en faveur de cette politique de soutien.
Quelles sont les prochaines étapes, madame la secrétaire d’État, pour que l’approvisionnement européen en équipements militaires tienne sur le moyen et long terme ?
Quoi qu’il en soit, il est certain qu’il serait difficile pour l’Europe de faire face à un autre conflit de cette intensité à ses portes. Aussi, bien que le groupe RDSE ait un temps exprimé l’idée qu’il fallait d’abord approfondir le projet européen avant de l’élargir, il apparaît aujourd’hui que le contexte géopolitique nous commande de changer de paradigme.
La Communauté politique européenne, voulue par le Président de la République, est donc une bonne chose, mais elle ne suffira pas à contrer l’impérialisme russe. L’intégration de l’Ukraine à l’Union européenne est bien entendu conditionnée au retour de la paix.
S’agissant de son voisin moldave, en tant que présidente du groupe d’amitié France-Moldavie du Sénat, je suis sensible à son sort. Le principe consistant à maintenir des États tampons aux frontières de l’Europe me semble périmé, du fait des violations par Moscou de l’intégrité de certains de ces territoires. Aider les pays de l’Est à intégrer un ensemble démocratique doit faire partie de la boussole stratégique de l’Union européenne, au bénéfice de leur sécurité, mais aussi de la nôtre.
Je vous saurais donc gré, madame la secrétaire d’État, de nous indiquer quelles perspectives d’élargissement la France envisage de défendre, et dans quelles conditions elle le ferait.
Au prochain Conseil européen, il sera également question de politique économique. Même si l’Union européenne relève la tête, les conséquences du conflit ukrainien sur les prix se font encore sentir.
Lors du Conseil européen de mars dernier, il a été rappelé quelques-uns des grands axes sur lesquels l’Union européenne doit se concentrer pour renforcer sa compétitivité et sa résilience : elle doit réduire ses dépendances stratégiques, en investissant dans les compétences de demain et en adaptant sa base économique, industrielle et technologique pour les transitions écologique et numérique, mais aussi approfondir le marché unique, par la suppression de certains de ses obstacles.
Mon groupe partage ces préoccupations très générales, mais nous souhaitons aussi rappeler quelques principes et exprimer plusieurs interrogations.
Un débat commence à se nouer autour du Pacte de stabilité, entre les partisans d’un plafonnement strict des dépenses et ceux d’un relèvement du budget de l’Union européenne. Avec la flambée des taux d’intérêt, la question de la dette devient de plus en plus prégnante, alors que nous devons affronter un défi de taille, celui de la décarbonation de l’économie, qui nécessite des investissements colossaux. Ne pourrait-on pas imaginer la création d’une dette environnementale, pour chacun des États membres, qui serait soustraite de l’application de critères de type Maastricht ?
Enfin, on peut entendre la nécessité pour l’Europe de lever les obstacles internes au marché unique si, dans le même temps, les politiques sociales convergent davantage.
Un pas vient d’être franchi avec l’accord des Vingt-Sept sur les travailleurs des plateformes, qui instaure une règle de présomption de salariat. C’est une avancée sociale qui s’ajoute à celle qui est relative aux travailleurs détachés.
Il reste de nombreux domaines dans lesquels les règles d’uniformisation mériteraient d’être amplifiées. Je pense en particulier aux règles fiscales, sur lesquelles l’Union européenne manque d’élan du fait de la règle de l’unanimité. Je rappellerai qu’il a fallu en passer par un accord international pour que l’Union européenne accepte un impôt minimum commun sur les multinationales.
Mes chers collègues, sur tous ces points, il s’agit en somme de rappeler que l’Europe doit tout autant renforcer sa résilience économique, pour peser à l’extérieur, qu’encourager à l’intérieur de ses frontières l’esprit de solidarité qui est au fondement du projet européen.
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tous les experts s’accordent pour dire que nous sommes entrés dans une ère multicrises : covid-19, guerre en Ukraine, événements climatiques, crises économiques, la liste continuera sans nul doute de s’allonger.
Face à ce constat, l’Union européenne, habituellement si prompte à se reposer sur les capacités d’autorégulation du marché, s’est décidée depuis quelques années à changer de doctrine. Elle cherche à adapter ses règles pour mieux faire face à ces bouleversements.
Si cette mue, encore inimaginable il y a trois ans, doit nous réjouir, reconnaissons que l’Union se cantonne encore à de la gestion post-crise, plutôt que de créer de véritables outils d’anticipation. Certes, le communiqué publié aujourd’hui par la Commission européenne témoigne d’une volonté de mieux gérer en amont les risques, mais nous sommes encore loin d’avoir atteint cet objectif.
Les divergences d’intérêts des Vingt-Sept et le manque de ressources propres ne nous aident pas à atteindre l’ambition de rapidité et d’efficacité que l’Union européenne affiche. C’est notamment le cas en matière de sécurité et de souveraineté économique, sujet à l’ordre du jour du prochain Conseil européen.
Je ne nie pas que de belles avancées aient été obtenues en la matière, qu’il s’agisse de plan RePowerEU, du Chips Act, du plan industriel du Pacte vert, de l’instrument anti-subvention ou encore de l’accélération des projets importants d’intérêt européen commun (Piiec).
Toutefois, les mesures les plus emblématiques ont une portée limitée. Cela les rend insuffisantes face à la force de frappe de pays comme la Chine, qui a lancé son plan Made in China 2025 dès 2015, ou les États-Unis, dont l’Inflation Reduction Act a été promulgué plus récemment : ce plan, doté d’un montant de 400 milliards de dollars, vise à faire enfin entrer le pays dans une ère écologique, mais en favorisant les entreprises américaines à grands coups de subventions publiques et de crédits d’impôt.
Je ne cherche pas à être défaitiste en disant cela. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, a lui-même reconnu l’insuffisance des mesures européennes. Il a ainsi déclaré : « Ce que nous avons fait n’est pas suffisant au niveau européen. Il faut avec beaucoup plus de force et avec des instruments financiers beaucoup plus puissants défendre notre industrie européenne. »
Face aux risques commerciaux, aux menaces de délocalisation d’entreprises du vieux continent vers les États-Unis et à la perte de notre avance technologique en matière d’écologie, l’Europe s’est réveillée, mais bien tard. Qui plus est, les Vingt-Sept se déchirent sur la méthode, en particulier quant à la possibilité d’accorder des subventions publiques aux entreprises.
Les pays scandinaves sont hostiles, par tradition libérale, à ouvrir la manne des subventions. D’autres pays ont décidé de tirer parti de l’assouplissement temporaire des règles d’attribution, mais ils insistent pour que les dérogations soient limitées dans le temps. Enfin, les pays de l’Est sont inquiets de ne pas pouvoir suivre les pays qui disposeraient de plus de moyens qu’eux pour subventionner les entreprises ; ils redoutent qu’une course aux aides ne se mette en place en Europe.
Pour surmonter ces divergences, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a proposé la création d’un fonds de souveraineté européen, dont les contours ont été précisés aujourd’hui. Il a été rebaptisé plateforme Technologies stratégiques pour l’Europe (Step) : il a pour objectifs de prévoir des financements communautaires pour aider les pays européens qui n’ont pas les moyens de subventionner massivement leurs industries et d’éviter une « fragmentation du marché unique ».
Cependant, la question du financement se pose. Si l’on en croit les annonces d’aujourd’hui, il apparaît que le fonds sera alimenté par les crédits non encore utilisés de NextGenerationEU. Le problème est que, si ces sommes ne sont pas encore décaissées, elles sont bel et bien déjà engagées vers d’autres projets. De plus, certains chercheurs soulignent que le fonds ne pourra être exploité à son plein potentiel que lorsque le marché unique des capitaux aura été définitivement achevé, car l’afflux d’investissements privés ne pourra se produire efficacement que s’il existe de vastes réserves de capitaux privés attendant d’être investis, ce qui manque actuellement dans l’Union européenne.
On peut donc s’interroger sur la pertinence d’un tel fonds. Une autre voie se dessine : l’instauration d’une préférence européenne. Déjà évoquée par le Président de la République, avec sa suggestion d’un Buy European Act, une telle mesure aurait l’avantage de limiter la concurrence des pays tiers et d’inciter à produire sur le territoire européen.
Il serait alors possible, par exemple, de mieux contrôler les investissements réalisés dans des pays tiers, de réformer les conditions d’accès aux marchés publics en favorisant les entreprises implantées dans l’Union européenne ou encore de réviser les droits de douane pour les importations en provenance de pays n’appartenant pas à l’Union européenne. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières constitue d’ailleurs un premier pas dans le sens d’une préférence communautaire, de même que le règlement relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur. Il semblerait donc logique de continuer dans cette voie tout en allant plus loin.
J’admets que l’équilibre est difficile à trouver, entre préservation des intérêts des vingt-sept États membres et nécessité de ne pas créer de conflit commercial avec des pays tiers. La préférence européenne me semble toutefois une piste intéressante à explorer dans la mesure où un fonds de souveraineté pourrait devenir un simple échelon supplémentaire des Piiec et perdre ainsi toute valeur ajoutée.
Madame la secrétaire d’État, quelle sera la position de la France quant aux diverses pistes proposées pour défendre l’économie européenne et notre souveraineté ? La balance vous semble-t-elle pencher davantage vers l’une des solutions proposées ? Si oui, vers laquelle ?
Pour conclure, j’ajouterai qu’il ne faut pas perdre de vue l’objectif qui devrait nous guider : réagir rapidement et efficacement face à des risques économiques. N’oublions pas que le plan chinois a sept ans et que l’IRA existe depuis bientôt un an. Nous devons faire en sorte de disposer de nouveaux outils pour défendre nos industries européennes dans les meilleurs délais. À ce stade, la Commission européenne semble chercher non pas à construire une réelle stratégie, mais seulement à ouvrir une réflexion sur la thématique de la sécurité économique. Nous comptons donc sur le Gouvernement pour plaider en faveur d’une accélération du processus.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes nombreux à avoir évoqué la dernière tragédie en Méditerranée. Nous avons exprimé notre compassion, notre indignation, comme à chaque fois après de tels événements – celui-ci était malheureusement d’une ampleur exceptionnelle –, et puis après, chacun fait comme avant… J’ai été frappé de constater que de nombreuses victimes avaient de la famille en Europe.
Le pacte européen sur la migration et l’asile, s’il avait été en vigueur, aurait-il changé quelque chose et permis d’empêcher une telle tragédie ? L’honnêteté oblige à dire que non. Aucune voie légale n’aurait permis à ces gens d’espérer pouvoir rejoindre leur famille en Europe.
Il n’existe aucune solidarité. Il n’y a aucune affirmation réelle d’une volonté de maintenir un régime d’asile plein et entier, c’est-à-dire qui respecte nos engagements de protéger les personnes, même lorsqu’elles sont sur notre territoire. Un autre drame récent montre combien certains demandeurs d’asile ont besoin que l’on traite leurs traumatismes et que l’on évite d’en créer d’autres avec l’enfermement qui est prévu dans le pacte sur la migration et l’asile.
Ce pacte ne prévoit rien non plus pour permettre aux pays européens riverains de la Méditerranée de respecter le droit de la mer tout en s’appuyant en retour sur la solidarité européenne. Nous devons affirmer le principe selon lequel l’Union européenne doit faire preuve d’une solidarité sans faille à l’égard de l’Espagne, de l’Italie, de la Grèce, de Chypre et de Malte, en échange d’un respect plein et entier du droit de la mer et de leur engagement à accueillir les bateaux de naufragés et de sauvetage en mer.
Bien entendu, cela passe par une réforme du règlement de Dublin d’une autre ampleur que ce qui est prévu : les personnes sauvées en mer devraient non pas dépendre du pays d’arrivée, mais bénéficier, dès le début, d’une solidarité européenne complète, même si elle n’engage que quelques pays.
D’autres sujets montrent l’importance d’avancer vers une reconnaissance mutuelle des instructions de demande d’asile dans les pays européens. Une demande d’asile acceptée dans un pays devrait l’être partout, et un refus opposé par un pays devrait empêcher le dépôt d’une autre demande. Ce mécanisme pourrait entrer en vigueur dans le cadre d’une procédure de coopération renforcée, sur la base d’une convergence des critères et des modalités d’instruction des demandes d’asile. Il me semble absolument impératif d’avancer dans la voie de la reconnaissance mutuelle et de faire évoluer les principes fixés dans le règlement de Dublin.
Il devient possible de mettre en place des voies légales d’entrée, grâce aux évolutions sur les e-visas, à la mise en place du système européen d’autorisation et d’information concernant les voyages (Etias), ou encore à l’entrée en vigueur du système d’entrée/de sortie (EES) de l’Union européenne. Le Canada permet aux ressortissants de certaines nationalités de rentrer sur son territoire avec une autorisation de voyage dès lors qu’ils ont eu auparavant un visa. Une telle évolution est possible en Europe, afin de permettre à toute personne, quelle que soit sa nationalité, dès lors qu’elle a déjà obtenu un visa, de continuer à voyager dans l’Union européenne, pour de courts séjours, mais avec une autorisation de voyage. Il est indispensable de trouver des voies légales pour que des personnes puissent non pas s’installer, mais venir en Europe. Les dispositifs récents que j’ai évoqués y contribueront.
Il est tout aussi nécessaire que l’Europe se dote de tous les outils pour lutter contre les passeurs criminels, les trafics de toutes natures – de stupéfiants, d’êtres humains – et la criminalité organisée. Il conviendrait à cet égard que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) évolue. Pour cela, le droit européen en matière de conservation et d’accès aux données de connexion doit être modifié. De ce point de vue, la législation européenne et la jurisprudence de la CJUE ne sont pas satisfaisantes. Si nous voulons vraiment lutter contre une criminalité grave qui commence à menacer un certain nombre d’États européens, il est indispensable de modifier notre droit. Nous sommes plusieurs à travailler sur le sujet au Sénat.
Enfin, nous avions débattu voilà quelque temps de la situation des enfants ukrainiens déportés de force en Russie. La présidente de la Commission européenne avait annoncé une conférence sur cette question. Qu’en est-il ?
Pourquoi le Gouvernement, lors de l’examen du projet de loi sur la réforme de la justice, n’a-t-il pas souhaité aller jusqu’au bout dans la lutte contre l’impunité ? Pourquoi s’est-il opposé aux amendements tendant à supprimer la double incrimination ? Il est temps de mettre fin à l’impunité de personnes qui peuvent se trouver sur notre territoire, mais qui ne peuvent pas y être poursuivies, soit parce qu’elles ne résident pas habituellement dans notre pays, soit parce que le crime dont elles sont accusées n’est pas puni par la loi de leur pays d’origine. Il convient de faire évoluer les règles si l’on veut lutter contre l’impunité de ceux qui ont commis ou qui sont soupçonnés d’avoir commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en l’état, l’ordre du jour du prochain Conseil européen ne mentionne pas expressément le numérique.
Le Conseil européen sera consacré au suivi des conclusions sur la politique industrielle et sur le marché unique, à la compétitivité et à la productivité à long terme de l’Europe, à la réforme de la gouvernance économique et au bilan sur les capacités de l’Union en matière de sécurité et de défense. Je suis surprise que le numérique ne figure pas à l’ordre du jour. Il constitue l’épine dorsale de nos sociétés. La succession de nouvelles technologies dans ce domaine ne cesse de bouleverser nos modèles économiques et d’affaires. Le sujet est central.
Sous la présidence de Jean-François Rapin, la commission des affaires européennes du Sénat a travaillé et formulé des propositions, anticipant l’adoption des règlements visant à instaurer une régulation européenne du numérique, régulation qui a tant fait défaut durant ces vingt dernières années.
L’heure est maintenant venue, après l’adoption pendant la présidence française de l’Union européenne du DMA, du DSA et du règlement sur la gouvernance des données, le Data Governance Act (DGA), de la transposition. C’est l’objet du projet de loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique, sur lequel la commission spéciale constituée par le Sénat travaille activement.
Je me réjouis que l’ensemble des propositions d’amélioration figurant dans des résolutions européennes du Sénat – nous les avons adoptées à l’unanimité – aient été prises en compte dans ces textes. Pour autant, si ces derniers constituent des étapes importantes, ils ne résoudront pas tous les abus des grandes plateformes extraeuropéennes ni certains dysfonctionnements qui sont intrinsèquement liés à leur modèle économique, à leur absence de statut, donc de vraie responsabilité.
Le projet européen de régulation de l’intelligence artificielle (IA) vient d’être adopté par les eurodéputés. Nous sommes fiers que l’Union européenne soit la première dans le monde à légiférer sur ce sujet complexe et difficile à appréhender. L’usage de l’IA se généralise et suscite de nombreuses inquiétudes. Cela représente aussi un formidable gisement de croissance. L’Union européenne doit rester dans la course par le biais d’investissements en matière de politique industrielle. C’est pour ces raisons que nous devons nous doter d’un cadre juridique qui encadre les risques liés à son utilisation, mais qui permette également d’être dans la course.
Le Data Act est encore en cours de discussion. Je rappelle que la donnée est l’or noir du numérique. Beaucoup de nos données, qu’il s’agisse de nos administrations, de nos entreprises, de nos infrastructures critiques, sont extrêmement sensibles. Certaines relèvent même de la sécurité nationale, voire du secret-défense. Il est donc impératif, à la faveur de ce texte, de changer d’approche et de profiter de l’occasion pour alerter sur les dangers du recours à des technologies extraeuropéennes pour le traitement de nos données. N’oublions pas que nous sommes toujours sous la coupe de la législation américaine, notamment le Foreign Intelligence Surveillance Act (Fisa).
En résumé, cette ambition de régulation est bienvenue, mais elle ne saurait à elle seule constituer une stratégie de reconquête de notre souveraineté dans le domaine du numérique, cher à Thierry Breton.
Nous nous interrogeons sur la politique industrielle en la matière. Notre commission des affaires européennes a publié un rapport sur le programme d’action numérique de l’Union européenne à l’horizon 2030. Nous avons pointé du doigt une absence de moyens et de vision stratégique. Par exemple, si le programme met en avant la formation, les modalités pratiques restent bien floues. Quels cursus ?
Finalement, on a l’impression que les États membres sont renvoyés à leurs propres responsabilités. Ils devront mettre en œuvre le programme avec leurs propres moyens, il en résultera des situations différenciées, des états d’avancement plus ou moins avancés selon les pays. Si quelques axes forts sont posés, on observe ainsi un manque de coordination.
Il importe que les États et l’Union européenne appréhendent clairement le numérique comme un élément relevant du domaine régalien et se dotent d’une politique industrielle en la matière. Il s’agit de faire monter en puissance l’industrie européenne pour qu’elle puisse garantir à terme notre autonomie technologique, qu’elle contribue à l’affirmation de notre souveraineté et qu’elle soit en mesure d’assurer la sécurité de nos données, y compris les plus sensibles.
Le Data Act est transposé par anticipation dans le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, texte que nous examinerons dans quelques jours. Il a pour objet d’éviter que les grandes plateformes ne verrouillent techniquement, juridiquement et financièrement le marché de la donnée par le biais de systèmes informatiques « propriétaires ».
Dans notre rapport d’information sur le Data Act, André Gattolin, Florence Blatrix Contat et moi-même proposons d’accompagner nos entreprises européennes et nos PME dans la création et le développement de clouds souverains, afin que l’on ne dépende plus de législations extraeuropéennes.
N’ayons pas peur des mots, il faut assumer le choix d’une préférence communautaire pour nos entreprises. Les impératifs de sécurité nationale peuvent tout à fait justifier des exemptions aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et au droit des marchés publics européens. Cyril Pellevat a évoqué tout à l’heure un Buy European Act, mais on pourrait envisager un Small Business Act. Toutes les puissances étrangères – je pense aux États-Unis, à la Chine, à l’Inde – ont mis en place des réglementations en matière de localisation et de traitement des données, et ont instauré des contraintes liées à des considérations de sécurité nationale qui rendent compliquée, voire impossible l’application d’une concurrence libre et non faussée entre acteurs locaux et européens.
Il est temps d’utiliser la commande publique comme levier et de porter cet argument à l’échelon européen. Il y va de notre intérêt.
Enfin, à l’heure actuelle ont lieu des discussions sur le traitement des données sensibles et stratégiques, autour du projet de schéma européen de certification de cybersécurité pour les services de cloud, qui a été présenté en 2020, sur l’initiative de Thierry Breton.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Catherine Morin-Desailly. Où en sont les négociations sur ce sujet avec les États membres ?
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de leur prochaine réunion, les chefs d’État et de gouvernement aborderont un sujet fondamental pour notre continent : l’asile et les migrations.
Il semble qu’à cette occasion ils puissent enfin constater non pas seulement des divergences irréconciliables et des blocages insolubles, mais bien quelques avancées concrètes.
En effet, le Parlement européen a adopté en mars et en avril dernier ses positions de négociation sur le pacte sur la migration et l’asile. Le 8 juin, il était imité par le Conseil européen, qui a validé ses dernières approches générales, parvenant à un accord sur deux piliers essentiels de la réforme : la proposition de règlement établissant un cadre commun pour la gestion de l’asile et de la migration et la proposition de règlement sur les procédures d’asile.
Huit ans après la crise de 2015, sept ans après les premières mesures présentées par la Commission Juncker et bientôt trois ans après les propositions de la Commission von der Leyen, il semble que les institutions européennes soient enfin en ordre de marche pour la dernière ligne droite des trilogues. La Commission européenne semble optimiste quant à une issue rapide des débats.
Cependant, l’expérience de ces dernières années nous a appris qu’il fallait toujours mâtiner son optimisme d’une certaine dose de prudence lorsque l’on évoque la question migratoire à l’échelon européen.
Et pour cause : l’horloge tourne ! En raison de la tenue des élections européennes l’an prochain, le Parlement européen interrompra ses travaux au mois d’avril, et rien ne dit que l’assemblée qui lui succédera sera encline à remettre l’ouvrage sur le métier. Il reste donc un temps finalement assez court pour clore une négociation à la fois explosive et enkystée depuis tant d’années. L’aboutissement du processus dépendra essentiellement de la capacité à régler la question qui, jusqu’à présent, a fait dérailler toutes les discussions : celle de la solidarité !
Malgré l’abstention de quatre pays – rien que cela ! – et l’opposition formelle de la Pologne et de la Hongrie, les États membres semblent être parvenus à s’entendre autour d’un mécanisme que l’on pourrait qualifier d’hybride et de flexible. Dans ce cadre, 30 000 demandeurs d’asile au moins devraient être relocalisés chaque année au sein de l’Union européenne. Les États membres pourront refuser cette relocalisation, mais devront soit verser une compensation financière de 20 000 euros par migrant qu’ils refusent d’accueillir, soit contribuer directement au renforcement des capacités d’accueil des autres États membres.
Disons-le clairement, ce dispositif est loin d’être parfait, et sa mise en œuvre soulève encore bien des questions opérationnelles, mais il a le mérite d’organiser une forme de solidarité alternative à la relocalisation obligatoire des demandeurs d’asile. Si cette idée de la relocalisation semblait empreinte d’une certaine logique, elle se heurtait jusque-là au ressenti profond de certains pays européens. Cette situation a été à l’origine de tant de psychodrames au cours des dernières années, que l’on pouvait pensait que la politique migratoire européenne était condamnée à ne jamais voir le jour.
Le compromis trouvé par le Conseil européen fait preuve d’un vrai pragmatisme, ce qui pourrait, peut-être, permettre aux Européens d’aller de l’avant, plutôt que de se déchirer.
Madame la secrétaire d’État, j’ai toutefois une inquiétude. La position adoptée par le Parlement européen semble particulièrement éloignée, dans sa philosophie même, de celle qu’a dégagée le Conseil européen. Les eurodéputés défendent l’idée selon laquelle les engagements annuels de solidarité devraient être obligatoirement constitués, à 80 % au moins, de relocalisations, le reste pouvant prendre la forme de mesures de soutien en matériel ou en personnel. Le Parlement européen semble donc irrémédiablement exclure la possibilité qu’un concours financier puisse se substituer à l’accueil des demandeurs d’asile. L’écart entre les deux législateurs européens sur le cœur du pacte est donc profond, et cette situation laisse présager des trilogues particulièrement difficiles.
Nous ne sommes pas encore au bout du chemin, d’autant que des convergences de vue semblent difficiles à obtenir sur d’autres éléments fondamentaux du pacte tels que les mécanismes de filtrage ou la politique d’asile à la frontière. Ces derniers mettent en place des procédures pertinentes qui permettront de mieux contrôler les flux migratoires et d’accélérer l’examen des dossiers des demandeurs d’asile.
Juridiquement, ces dispositifs sont sous-tendus par la fiction de non-entrée sur le territoire européen. Or, si le Conseil entend à juste titre conforter cette notion, le Parlement européen souhaite, lui, la supprimer. Ajoutons à cela qu’après l’épisode lié à la fin des moteurs thermiques en Europe le caractère hétéroclite de la coalition allemande se rappelle une nouvelle fois à notre bon souvenir. Les Verts allemands, rejoignant leurs homologues européens et une partie des sociaux-démocrates, ont ainsi d’ores et déjà fait savoir sans équivoque qu’ils s’opposeraient au compromis trouvé de haute lutte par les États membres.
Je note avec intérêt que les institutions européennes semblent enfin avancer sur la question fondamentale, existentielle même, de l’asile et de l’immigration. Toutefois, vous l’aurez compris, je suis vraiment très sceptique face à l’ampleur de la tâche qui reste à accomplir.
L’Union européenne a déjà largement entamé sa crédibilité sur le sujet et, disons-le sans ambages, elle a en grande partie perdu la confiance des Européens. Si elle veut la regagner, elle ne peut en aucun cas se permettre le luxe d’une nouvelle législature pour rien sur cette question ; elle doit donc au plus vite maîtriser réellement ses frontières.
Quant à la France, madame la secrétaire d’État, si elle veut se doter d’une nouvelle stratégie nationale en matière d’immigration, elle doit préalablement – ou « en même temps », si vous me permettez… – disposer d’une politique claire et efficace de gestion de ses frontières. Est-ce vraiment possible ? À un an des prochaines élections européennes, il y va de notre avenir commun. Sinon, et je le dis ici clairement, ce sera l’heure des populismes pour l’Europe et pour la France !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Cadec.
M. Alain Cadec. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de leur réunion du 29 et du 30 juin prochain, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne vont devoir traiter d’un ensemble de sujets qui concernent tous trait, peu ou prou, la situation et le positionnement de l’Union européenne dans un environnement géopolitique particulièrement difficile, ainsi que sa capacité, dans ce contexte, à préserver ses intérêts et affirmer ses valeurs.
La guerre en Ukraine, malheureusement, figurera de nouveau au premier rang des préoccupations. Les pays alliés de l’Ukraine sont confrontés à un dilemme : ils doivent tout faire pour mettre fin aux hostilités et favoriser la survenance rapide de la paix, sans paraître toutefois faire la moindre concession sur le droit de l’Ukraine à recouvrer l’intégralité de son territoire national.
Il faut espérer, en tout cas, que l’admirable cohésion dont ont fait preuve les États membres de l’Union jusqu’à présent ne commencera pas à se fissurer.
L’approbation d’un onzième paquet de sanctions européennes contre la Russie fait, à cet égard, figure de test. Les propositions de la Commission, récemment débattues, reposent sur une préoccupation légitime : celle d’éviter que les nombreuses sanctions déjà adoptées ne soient contournées par la Russie avec la complicité de pays ou d’entreprises, y compris européennes, qui y trouveraient un intérêt politique ou économique. Des États membres, dont la Hongrie et la Grèce, ont déjà manifesté leur franche opposition à certains éléments importants du paquet, tandis que l’Allemagne fait, une fois de plus, montre de frilosité à l’égard de tout ce qui pourrait contrarier la Chine et remettre en cause les fructueuses relations commerciales qu’elle entretient avec ce pays.
Madame la secrétaire d’État, quelle sera la position de la France ? Pensez-vous que les divergences entre États puissent être aplanies et qu’un accord puisse être trouvé ?
Le Conseil européen sera par ailleurs invité à se pencher sur les futures réparations par la Russie des dommages de guerre causés à l’Ukraine et sur la mobilisation à cette fin des avoirs russes gelés en Europe. Ces questions pourraient sembler prématurées à certains, mais j’estime que, outre le souci des intérêts fondamentaux de l’Ukraine, ses alliés européens doivent aussi avoir celui de ne pas se faire exclure par d’autres du grand chantier de reconstruction qui ne manquera pas de s’ouvrir une fois le conflit terminé. Les possibilités économiques offertes devront être à la mesure des efforts consentis par notre pays dans les domaines militaire, diplomatique, financier et humanitaire.
En ce qui concerne la perspective européenne de l’Ukraine, j’incite chacun à la prudence. Il est compréhensible que l’Union européenne n’ait pas voulu fermer totalement la porte à une telle perspective dans le contexte actuel. Toutefois, il convient de réaffirmer que les conditions d’accès à l’Union européenne pour tout pays candidat sont inscrites dans les traités ; elles ne sont pas négociables. La marche à suivre pour toute nouvelle adhésion doit donc être respectée.
Il nous faut également tenir compte du fait que d’autres pays figurent déjà sur la liste d’attente et que notre opinion publique, en l’état actuel des choses, n’est pas favorable à un nouvel élargissement.
Incontestablement, l’un des effets de la guerre en Ukraine a été de relancer le débat sur la politique commune de sécurité et de défense et sur la coopération entre l’Union européenne et l’Otan. En cohérence avec la boussole stratégique, adoptée l’année dernière par le Conseil européen, les chefs d’État et de gouvernement devront rapidement faire adopter de nouveaux instruments pour renforcer les industries européennes de défense, notamment en mutualisant les moyens de production et l’approvisionnement en munitions.
Surtout, il convient d’éviter que les efforts budgétaires notablement accrus de plusieurs États membres en matière de défense ne profitent aux fournisseurs des pays tiers.
Par ailleurs, une discussion sur les questions de migrations est prévue à l’agenda du Conseil européen. Elle est évidemment indispensable pour progresser enfin sur cette question très sensible. Faute de s’entendre sur des quotas ou des mécanismes de répartition des migrants, nos pays doivent au moins unir leurs efforts pour organiser le renvoi effectif des migrants clandestins et des déboutés du droit d’asile vers leur pays d’origine.
Cela implique de mettre la pression sur les pays concernés, notamment ceux de la rive sud de la Méditerranée, par tous les moyens à la disposition de l’Union européenne : octroi de visas, préférences commerciales, aides financières… À cet égard, les récentes critiques du pacte migratoire européen formulées par le président tunisien, qui a affiché son refus de coopérer avec les pays de l’Union européenne, sont inacceptables. Nous attendons une réaction ferme de la France et de ses partenaires à l’occasion de la prochaine réunion du Conseil européen.
Celle-ci se tiendra, comme chaque année, à la fin du premier semestre. Il y sera question de coordination des politiques économiques et d’approbation des recommandations par pays de la Commission européenne et du Conseil européen. Il est attristant, à la lecture de ces documents, de constater que la France est, encore une fois, pointée du doigt pour des déséquilibres macroéconomiques importants, une dette publique excessive et insoutenable « à moyen terme », des problèmes sérieux de compétitivité et une faible progression de la productivité du travail.
Par ailleurs, les réformes structurelles nécessaires pour remettre en ordre les finances publiques à plus long terme sont considérées comme insuffisantes à ce stade, et des doutes sont émis sur la capacité du Gouvernement d’en entreprendre de nouvelles.
Ce diagnostic et les recommandations dont il est assorti sont évidemment à prendre très au sérieux, non pas parce qu’ils émanent des institutions européennes, mais parce qu’il y va de l’intérêt et de la crédibilité de notre pays et de sa capacité à faire face à tous les défis qui se présentent à lui.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (M. Jean-Marc Boyer applaudit.)
Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 29 et le 30 juin prochain, le Conseil européen se réunira. Il y sera a priori question de la politique économique de l’Union européenne, au travers des conclusions du Conseil sur la politique industrielle et sur le marché unique, ainsi que sur la compétitivité et la productivité à long terme de l’Europe.
La situation économique, la sécurité et la résilience économique de l’Union européenne seront également abordées. C’est sur ces points que je souhaite m’attarder, car il me paraît nécessaire de faire entendre la voix de la France. Par son histoire, sa longue tradition industrielle et sa vision gaulliste d’une économie au service de la souveraineté nationale, la France a des valeurs dont l’Union européenne doit pouvoir s’inspirer.
Depuis trop longtemps, nos gouvernants européens me semblent faire montre d’une certaine naïveté dans leur vision des rapports de force économiques mondiaux. Nous en portons collectivement la responsabilité, quelle que soit notre tendance politique ou notre nationalité.
Au tournant des années Maastricht, notre croyance dans un marché mondial porteur de toutes les vertus était solidement ancrée. Confiants dans notre potentiel économique, nous croyions que les échanges mondiaux ne pourraient pas nous être préjudiciables. Dans une sorte de surinterprétation de la théorie des avantages comparatifs, l’économie européenne s’est transformée, passant d’une économie industrielle à une économie de service.
Le marché étant le remède à tout et ne pouvant nous nuire, pourquoi garder ces grandes usines laides et polluantes quand on pouvait faire fabriquer ailleurs ? Le concept même de souveraineté semblait appartenir à un autre temps.
Cette vision essentialisée du marché nous a considérablement affaiblis, alors que se réveillaient des géants économiques et que d’autres, outre-Atlantique, renforçaient leurs armes dans la concurrence mondiale.
Depuis, la crise sanitaire et la crise ukrainienne ont remis au goût du jour le concept de souveraineté économique, voire la question d’une souveraineté européenne.
Le chemin à parcourir est encore long. Exemple flagrant de notre naïveté économique persistante, l’essor de la voiture électrique constitue un véritable appel d’air pour les industries automobiles étrangères, qui vont pouvoir s’implanter sur le marché européen.
À l’inverse de l’Union européenne, ces puissances concurrentes contrôlent la chaîne de production de bout en bout. De l’extraction des terres rares à la production des batteries, puis à l’assemblage des véhicules, nos constructeurs font face à une concurrence puissante et inquiétante.
En l’espèce, il s’agit non pas d’avantages technologiques, mais bien de la capacité d’industries étrangères à mobiliser des moyens et des ressources immenses pour conquérir de nouveaux marchés. C’est d’autant plus préoccupant que ces industries concurrentes proviennent parfois de pays ne pratiquant malheureusement ni embargo ni sanctions à l’égard de la Russie. Elles continueront donc d’avoir accès aux ressources minières russes, tandis que nos industriels européens devront se fournir ailleurs à prix d’or et n’auront pas d’autre choix que de reporter le coût supplémentaire sur les consommateurs.
D’une politique économique naïve et mal préparée découlent des conséquences sociales qui distendent le lien démocratique entre l’Europe et ses citoyens. Les zones à faibles émissions (ZFE) en sont un bon exemple : d’une part, elles poussent les consommateurs à acquérir des véhicules électriques bon marché, souvent étrangers, d’autre part, elles créent un périmètre d’exclusion pour ceux qui n’auraient pas les moyens de renouveler leur véhicule.
S’il existe un enjeu environnemental certain, les ZFE établissent une frontière sociale qui va, de fait, rendre inaccessible aux citoyens européens des infrastructures pourtant financées par leurs impôts : gares, musées, hôpitaux, stades… La liste est longue !
Pour la France rurale, ou la France périphérique, les statistiques vont bel et bien se traduire en réalités concrètes en matière de mobilités et de segmentation de l’espace. L’accès de nos concitoyens les plus défavorisés aux métropoles et aux avantages socioéconomiques qu’elles confèrent va graduellement se détériorer.
D’une Europe pourvoyeuse d’un marché unique laissant librement circuler les individus et les biens, sans frontières ni barrières douanières, nous risquons de nous retrouver dans une situation ou l’octroi à l’entrée des villes devra être rétabli…
Mon dernier point concerne la question énergétique. Entre atermoiements, ordres et contre-ordres, la politique de l’Union européenne mérite d’être débattue.
Le temps imparti est malheureusement trop court pour revenir sur le projet Hercule prévu pour EDF, sur le mécanisme européen de couplage des prix de l’électricité sur celui du gaz ou encore sur le label vert obtenu de haute lutte pour le nucléaire… Autant de véritables enjeux de souveraineté et de résilience pour notre économie.
Concentrons-nous sur l’objectif fixé par l’Union européenne de porter à 42,5 % la part de la consommation énergétique européenne issue d’énergies renouvelables en 2030. Comme pour la voiture électrique, cet objectif pose question. Une fois encore, nous fixons des objectifs qui ne sont atteignables qu’avec le concours d’industries étrangères, et souvent au prix d’une déstabilisation de notre propre filière.
En effet, nous importons actuellement entre 70 % et 80 % des équipements nécessaires à la production d’énergies renouvelables. Les filières scandinaves et allemandes peinent à rivaliser avec leurs concurrents asiatiques. Elles font face à des entreprises qui disposent à domicile des ressources nécessaires à la fabrication des équipements : terres rares, métaux critiques, etc.
Sans compter qu’il s’agit là de futurs déchets pour le traitement desquels les filières de recyclage européennes sont balbutiantes et déjà convoitées par la concurrence internationale. La boucle est bouclée !
Madame la secrétaire d’État, mes collègues vous ont déjà posé de nombreuses questions. Aussi, pour conclure, je dirai simplement que l’Union européenne continue parfois de prendre pour elle-même des décisions économiques qui font le jeu d’intérêts étrangers et qui éloignent démocratiquement le citoyen européen.
Elle doit veiller à faire émerger une souveraineté européenne sans empiéter sur celle des États membres, et bâtir une politique économique et environnementale forte. Les enjeux sont de taille, et l’exercice est difficile ; c’est certain. Toutefois, je veux croire que nous serons entendus.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions et de vos nombreuses questions, auxquelles je vais tâcher de répondre rapidement et efficacement. Je me tiens bien entendu à votre disposition pour toute demande de précision.
Vous êtes nombreux à avoir évoqué – je pense notamment à MM. les sénateurs Rapin et Allizard – le projet de règlement européen sur les munitions. La France soutient le projet de la Commission européenne en faveur de la production de munition et de la mobilisation du budget européen au profit de projets capacitaires militaires. Toutefois, nous veillerons évidemment, lors de l’examen du texte, à préserver à la fois nos intérêts de sécurité nationale et la répartition des compétences qui est prévue par les traités.
Monsieur Rapin, madame Guillotin, monsieur Cadec, l’élargissement européen sera discuté au mois de décembre prochain. Le Président de la République a été clair : l’élargissement doit s’accompagner de réformes des politiques européennes, du budget et de la gouvernance de l’Union européenne.
À cet égard, madame la sénatrice Mélot, l’instauration d’un vote à la majorité qualifiée dans certains domaines, que ce soit la politique fiscale ou bien la sécurité, fera en effet partie des réformes qui seront engagées.
J’ai également été interrogée sur l’adoption du onzième paquet de sanctions, qui est prévue pour le prochain conseil des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne le 26 juin prochain. Il comporte deux volets : le premier, sur la mise en œuvre d’un mécanisme anti-contournement des sanctions, pour s’assurer de l’efficacité de celles-ci, le second, sur l’ajout d’une centaine de désignations individuelles contre des responsables russes qui soutiennent l’effort de guerre, que ce soient des militaires, des responsables d’enlèvements d’enfants ou des propagandistes dans les médias.
Monsieur Laurent, au sommet de Bucarest, en 2008, l’Otan a, comme vous le savez, estimé que l’Ukraine avait vocation à rejoindre l’organisation. L’Ukraine a le statut de partenaire « nouvelles opportunités » et le Président de la République a déclaré, à Bratislava, que le sommet de Vilnius serait l’occasion de lui apporter des garanties de sécurité tangibles et crédibles. Voilà la position de la France.
Venons-en à l’économie.
Monsieur le sénateur Raynal, vous m’avez interrogé sur la révision du cadre financier pluriannuel et la réforme de la gouvernance économique européenne, dont le contenu, comme vous le savez, a été communiqué par la Commission européenne aujourd’hui même. Dans ces circonstances, la tenue d’une discussion entre chefs d’État et de gouvernement dès la semaine prochaine nous semble pour le moins prématurée, car elle est « impréparée » d’un point de vue technique.
Nous continuerons donc de travailler sur ce projet de réforme et de demander, monsieur le sénateur Joly, que l’accent soit mis sur les ressources propres.
Monsieur le sénateur Pellevat, nous poussons également pour la création d’un fonds de souveraineté européen, pour la réciprocité des marchés publics et pour l’instauration d’un contrôle des prises de participation et des investissements dans les secteurs stratégiques.
Sur la gouvernance économique, nous soutenons les principes directeurs de la réforme proposée par la Commission européenne, sur la base du triptyque différenciation, appropriation et promotion des investissements et des réformes. Nous pensons bien entendu, monsieur le sénateur Laurent, aux transitions énergétique et numérique.
Nous regrettons que la proposition d’avril réintroduise des règles numériques automatiques, car elles se sont révélées procycliques dans les années précédentes. Il nous semble important de préserver l’esprit des réformes, ce qui inclut bien sûr la soutenabilité des finances publiques. Ces règles numériques automatiques devront probablement être retirées.
Par ailleurs, vous avez été nombreux à m’interroger sur les migrations. J’essaierai de répondre de façon synthétique à MM. les sénateurs Rapin, Fernique, Leconte, Reichardt et Cadec. Nous pouvons nous féliciter de l’accord obtenu le 8 juin au Conseil européen sur les deux textes au cœur du pacte sur la migration et l’asile qui, comme vous l’avez soulevé, était bloqué depuis plus d’une dizaine d’années.
Ces textes représentent une avancée non négligeable. Ils prévoient la mise en œuvre d’un mécanisme de solidarité obligatoire entre États membres et laissent à leur discrétion la nature de cette solidarité entre relocalisations et contributions financières. Le compromis permet de dépasser des blocages qui ont trop longtemps perduré.
Bien entendu, nous devons encore progresser, notamment sur le sauvetage en mer – j’y reviendrai – et sur la dimension extérieure. C’est d’ailleurs sur cette dernière que devraient porter les discussions lors du prochain Conseil européen. La volonté commune des Vingt-Sept est assez claire : travailler de concert avec nos partenaires des pays tiers pour prévenir les migrations et les drames.
C’est dans cette optique que la France entretient un dialogue nourri avec Tunis. Le Président de la République va ainsi s’entretenir avec le président Saïed en marge du sommet pour un nouveau pacte financier mondial. De plus, nous nous mobilisions auprès de nos partenaires européens pour soutenir la Tunisie : Ursula von der Leyen, Giorgia Meloni et Mark Rutte s’y sont ainsi rendus le 12 juin dernier pour annoncer un paquet global de soutien que nous avons contribué à élaborer et dont nous approuvons les orientations.
Nous devons tout faire pour que cesse le drame épouvantable dont nous avons vu l’expression la semaine dernière. Nous y travaillons encore davantage : le nouveau président de Frontex vient de prendre ses fonctions, des embauches supplémentaires d’agents vont s’ajouter à nos propres garde-côtes et un groupe de contact sur le sauvetage en mer répondra en partie aux inquiétudes.
Sur l’accord avec le Mercosur, messieurs les sénateurs Rapin, Allizard, Fernique, Arnaud et Joly, je répète que la position de la France n’a pas changé. Elle a été rappelée la semaine dernière par le ministre délégué chargé du commerce extérieur, Olivier Becht : nous ne pouvons pas accepter l’accord en l’état.
Comme je le dis à tous nos partenaires européens, cet accord doit être complété par des engagements additionnels contraignants et ambitieux sur le développement durable. L’accord de Paris doit en être une clause essentielle, et l’accord avec le Mercosur doit être aligné avec la nouvelle approche de l’Union européenne en matière de commerce et de développement durable.
Nous portons cette position auprès de la Commission européenne, qui travaille en ce moment avec les États du Mercosur, et nous la relayons à la future présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne et à nos partenaires sud-américains. Je vous assure qu’il n’y a aucune ambiguïté sur le sujet.
Le prochain sommet de la Communauté politique européenne se tiendra le 5 octobre en Espagne. Il devrait nous permettre de nous concentrer davantage sur des projets concrets de coopération, notamment en matière d’interconnexions.
Enfin, sur les sujets transfrontaliers avec l’Italie, la réunion qui s’est tenue aujourd’hui entre le Président de la République et la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni va nous permettre d’accélérer sur la mise en œuvre du traité du Quirinal, qui inclut un volet en la matière.
Madame Mélot, les stocks de gaz pour cet hiver sont élevés et la plateforme d’achat conjoint est opérationnelle.
En ce qui concerne la réforme du marché de l’électricité, madame la sénatrice de Cidrac, messieurs les sénateurs Laurent et Arnaud, notre ambition est très claire : que les travaux soient finalisés avant la fin de l’année et le plus vite possible. C’est indispensable pour protéger les consommateurs, pour lutter contre la volatilité des prix et pour encourager les investissements dans les énergies décarbonées. Nous travaillons en ce sens.
Sur les sujets numériques, mesdames les sénatrices Mélot et Morin-Desailly, je centrerai mon propos sur l’intelligence artificielle. Comme vous le savez, un texte visant à encadrer l’intelligence artificielle à l’échelle européenne est en cours de discussion au Parlement européen. Pour notre part, nous nous concentrons sur les répercussions sociétales et sociales de l’IA, au travers d’un cadre de régulation qui promouvra le modèle et les valeurs européens dans le domaine du numérique, auprès de nos partenaires et de manière multilatérale, avec le même succès, je l’espère, que pour le règlement général sur la protection des données (RGPD).
Pour conclure, je remercie chaleureusement le sénateur Gattolin de son engagement, son action et son éloquence. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos questions, de votre participation à ce débat et je me réjouis par avance d’avoir l’occasion de revenir devant votre commission à l’issue du Conseil européen.
Conclusion du débat
Mme la présidente. Pour conclure le débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Comme à mon habitude, je conclurai ce débat brièvement. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, d’avoir répondu de manière synthétique à toutes les questions.
Vous avez pu constater que cette soirée a été riche en questions, quitte à déborder de l’ordre du jour du Conseil européen. Cela traduit l’engagement fort qui prévaut au sein de la commission des affaires européennes.
Au-delà de la guerre en Ukraine, l’asile et l’immigration constituent un sujet prégnant. Nous l’abordons, comme l’ont fait André Reichardt et Alain Cadec, dans un esprit combatif, pour que les problèmes soient résolus au plus vite. Il s’agira de l’un des principaux enjeux des prochaines élections européennes, qui seront l’occasion d’une opposition entre les différentes visions sur le sujet.
Sur l’accord avec le Mercosur, vous nous avez répondu, mais attendez-vous à ce que d’autres questions vous soient posées sur le sujet, car nous avons tout de même entendu des tergiversations, voire une forme de complicité avec la position de la Commission européenne. Il serait de bon aloi que le discours du Gouvernement soit plus précisément clarifié, car la séquence à l’Assemblée nationale sur la proposition de résolution relative à l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur ne nous a pas semblé satisfaisante.
Madame la secrétaire d’État, je vous souhaite un bon Conseil européen. Nous attendons votre retour en commission avec impatience.
Enfin, je remercie André Gattolin et Pierre Laurent, dont c’était peut-être la dernière intervention en séance, de leur participation. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 29 et 30 juin 2023.
7
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée demain, mercredi 21 juin 2023 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente et le soir :
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche (texte de la commission n° 735, 2022-2023) ;
Suite du projet de loi relatif à l’industrie verte (procédure accélérée ; texte de la commission n° 737, 2022-2023).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER