Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Thomas Dossus. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans un mouvement plus large de régulation du monde numérique, qui vise, en particulier, à protéger les enfants dans cet espace.
Ce n’est pas la première fois que la Haute Assemblée se penche sur la question : elle a ainsi examiné la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire et la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants, et créé la commission d’enquête sur l’utilisation de TikTok. Le Sénat est au rendez-vous des enjeux du numérique.
La spécificité de ce texte est qu’il traite plus particulièrement des plateformes de réseaux sociaux, sur lesquelles les jeunes sont particulièrement exposés à des contenus violents, pornographiques ou illicites.
La mesure phare est une mesure de principe importante : la fixation d’une majorité numérique à 15 ans, âge en dessous duquel l’accord parental est indispensable pour l’inscription à un réseau social.
Cette proposition de loi vise à inscrire, pour la première fois, dans la loi une définition juridique des plateformes de réseaux sociaux, qui reprend celle du DMA européen. Elle prévoit l’obligation, pour les opérateurs de réseaux sociaux, de diffuser des messages de prévention contre le harcèlement. Elle définit un cadre plus contraignant dans lequel les opérateurs d’une plateforme en ligne devront répondre aux réquisitions judiciaires en cas d’enquête préliminaire ou de flagrance.
La navette parlementaire a permis d’enrichir ces dispositions, et le texte qui nous est proposé aujourd’hui, à l’issue de la commission mixte parlementaire, va dans le bon sens.
Toutefois, si les intentions sont louables, je reste toujours dubitatif sur la mesure de contrôle de l’âge via le référentiel établi par l’Arcom.
Que nous propose-t-on avec ce texte ? Les plateformes se voient confier la responsabilité de s’assurer qu’aucun enfant de moins de 15 ans n’accède aux réseaux sociaux sans y être autorisé par un parent, en se conformant à un référentiel établi par l’Arcom, après avis de la Cnil. Il s’agit du même référentiel qui occupera une grande partie de nos débats la semaine prochaine, lors de l’examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique.
Vérifier que les utilisateurs ont bien l’âge de la majorité est une question aussi vieille qu’internet. Voilà plusieurs années que l’Arcom et la Cnil se penchent sur le sujet. Disons les choses comme elles sont : aucune solution technique n’existe à l’heure actuelle. L’équation pour assurer à la fois le contrôle de l’âge, la protection de la vie privée et la sécurité des données semble pour l’instant difficile à résoudre.
Ce n’est pas moi qui le dis, la Cnil le reconnaît elle-même dans un rapport de 2021 : « S’agissant de la vérification de l’âge […], les dispositifs existants ou envisagés sont généralement insatisfaisants à deux titres. Certains reposent sur une collecte massive de données personnelles et apparaissent dès lors difficilement conformes aux principes de protection des données […]. D’autres, moins intrusifs, sont cependant inefficaces parce que trop aisément contournés par les mineurs […]. »
Ce problème n’est pas uniquement français. Aucun pays n’a encore réussi à trouver de solution technique efficace et respectueuse des libertés publiques pour contrôler l’âge en ligne. De plus, même si une solution robuste et française voyait le jour, il existe des solutions de contournement qui font déjà leurs preuves.
Je me souviens de la démonstration que nous avait faite, en direct, ici même, dans cet hémicycle, Cédric O, votre prédécesseur, monsieur le ministre, lorsqu’il avait utilisé son Virtual Private Network (VPN) pour changer virtuellement de pays. Vous me direz que c’est une solution de spécialistes, de connaisseurs. Pourtant les vendeurs de VPN sont depuis des années les partenaires privilégiés des jeunes vidéastes sur YouTube – ceux-là mêmes qui s’adressent à la jeunesse. Voilà qui illustre les problèmes d’une régulation nationale d’internet.
Ainsi, nous comprenons l’intention du législateur avec cette proposition de loi et nous la trouvons louable, mais force est de constater qu’elle risque de ne rester qu’un vœu pieux. Nous débattrons plus profondément du référentiel devant servir au contrôle d’âge la semaine prochaine.
Toutefois, ce texte présente un intérêt majeur, en ce qu’il permet d’ouvrir le dialogue dans les familles sur l’accès aux plateformes pour les adolescents. En définissant un âge de majorité numérique, nous fixons une limite. Si les parents s’emparent du dispositif prévu par la loi, un échange fertile entre les générations pourra naître, entraînant une responsabilisation quant à un bon usage d’internet.
L’éducation, l’accompagnement des enfants dans la découverte du numérique, la pédagogie constituent des enjeux majeurs de la protection des mineurs. Cette proposition de loi y concourt et c’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Julien Bargeton. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre groupe se réjouit de l’accord trouvé en commission mixte paritaire sur ce texte important relatif à la majorité numérique. Il fait partie des éléments constitutifs d’une régulation progressive du numérique en France.
Il comprend plusieurs éléments ; ces derniers ont été détaillés, je n’y reviens pas. L’essentiel consiste, bien sûr, en certaines obligations assignées aux plateformes. La principale mesure consiste en l’interdiction de l’inscription sur les réseaux sociaux avant l’âge de 15 ans sans le consentement de l’un des parents. Les parents auront la possibilité de suspendre le compte d’un mineur, s’ils le souhaitent.
Ce volet sur le contrôle est complété par une obligation d’information sur les risques, notamment en matière de cyberharcèlement ; les utilisateurs seront invités à signaler les comportements prohibés.
Le texte comporte ainsi une série de mesures utiles pour protéger les mineurs et qui répondent à certains enjeux que notre assemblée a eu l’occasion de soulever à plusieurs reprises.
Plusieurs points ont fait l’objet d’une attention particulière. Ainsi, il y a eu un débat sur l’interdiction d’inscription sur les réseaux sociaux pour les mineurs de 13 ans. Il est important de rappeler que l’esprit de ce texte est d’accompagner la responsabilité parentale. (Mme la secrétaire d’État acquiesce.) Il s’agit d’accompagner les parents pour instaurer un dialogue au sein de la cellule familiale sur l’utilisation des réseaux sociaux, sur leurs avantages, mais aussi sur les dangers qu’ils représentent pour le mineur.
Il convenait aussi de respecter le droit européen. Il ne fallait pas que ce texte empiète sur ce qui relève de l’échelon européen, sur les règles fixées par le DMA pour les marchés numériques et par le DSA pour les services numériques. La première version du texte ne semblait pas totalement compatible avec la réglementation européenne. Pour autant, nous devons porter le combat à l’échelon européen pour travailler avec nos partenaires afin de parvenir à imposer davantage d’obligations aux plateformes, ce qui nous permettra ensuite de mettre en œuvre concrètement le droit européen.
Le numérique constitue un secteur en perpétuelle transformation et le législateur doit constamment s’adapter. Le numérique ressemble un petit peu à l’hydre de Lerne : dès que l’on coupe une tête, une autre repousse. Le législateur n’en aura donc jamais fini et doit évoluer sans cesse pour suivre les innovations des acteurs. C’est tout l’enjeu de légiférer dans ce secteur. Cette dimension est nouvelle. Il était un temps où les parlements légiféraient pour le temps long : ils votaient la loi, celle-ci était suivie de décrets d’application, puis venait le temps de l’évaluation, etc. Désormais, on doit faire face à des secteurs qui bougent très vite et le législateur doit sans cesse s’adapter.
Il a déjà commencé à travers l’adoption de plusieurs textes, tels que la loi relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements d’enseignement scolaire, qui a été adoptée dès 2018, au début du précédent quinquennat, ou encore la loi visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne. Une proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants est aussi en cours d’examen.
Ce texte constitue une avancée supplémentaire, avant l’examen prochain du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique. Nous n’avons donc pas fini de travailler sur ce sujet.
Je me réjouis que nous parvenions à avancer dans un esprit consensuel sur ces sujets, en dépit de nos différences d’appréciation ou politiques. Il est important que face à des acteurs aussi puissants que les Gafam, nous puissions parvenir à une forme de convergence ou de consensus au Parlement, afin de pouvoir, comme au judo, faire levier et instaurer un rapport de force, en lien avec le Gouvernement, vis-à-vis de ces acteurs puissants.
Voilà ce que nous essayons de faire, ce texte y contribue, comme ceux qui ont précédé, mais le combat est loin d’être terminé et dès la semaine prochaine nous débattrons sur d’autres aspects du sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Mme Sylvie Robert. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il nous revient aujourd’hui d’examiner, en vue d’une adoption définitive, la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne.
Je suis très satisfaite qu’un accord ait été trouvé la semaine dernière en commission mixte paritaire sur la version du Sénat, ce qui souligne, une fois de plus, la qualité du travail de la chambre haute, et en particulier celui de notre rapporteure, Alexandra Borchio Fontimp.
Cette proposition de loi, que nous avions adoptée à l’unanimité, s’attaque à des sujets d’importance majeure : celui de la surexposition des enfants, à partir d’âges de plus en plus précoces, aux réseaux sociaux. Cette surexposition entraîne des effets désastreux sur leur santé mentale et physique et les met face à de nombreux phénomènes néfastes, tels que le harcèlement ou la surinformation.
L’article 1er tend à donner une base légale aux réseaux sociaux en ligne puisqu’aucune définition n’était alors prévue par la loi. Cette définition légale vise à protéger les mineurs des effets néfastes de la surexposition à ces réseaux et à encadrer leur présence sur ces derniers. Ainsi, un consentement parental sera requis pour l’inscription sur des réseaux sociaux des mineurs de moins de 15 ans, âge auquel est désormais fixée la majorité numérique, en vertu de l’article 2.
Le consentement sera recueilli sur la base d’un référentiel mis en œuvre par l’Arcom, ce qui constitue un gage de fiabilité des conditions de vérification de l’âge. Je me réjouis que la commission mixte paritaire ait retenu la rédaction du Sénat et supprimé le système de labellisation des réseaux destinés au moins de 13 ans : ce dispositif, qui constituait une sorte d’usine à gaz, semblait difficile à mettre en œuvre et peu réaliste au regard de la présence actuelle de très nombreux « petits adolescents » sur les réseaux !
À l’article 3, des sanctions sont prévues pour les réseaux qui contreviennent à cette obligation de vérification de l’âge, avec, le cas échéant, l’obligation de répondre au juge dans des délais resserrés.
La remise d’un rapport au Parlement évaluant les conséquences sur la santé des jeunes de leur surexposition aux réseaux sociaux justifie une entorse à la jurisprudence du Sénat sur la remise de rapports du Gouvernement au Parlement, compte tenu de l’importance de la question.
La proposition de loi a été enrichie, en raison de la recrudescence des faits de harcèlement. Ainsi, à l’article 1er bis, la liste des infractions contre lesquelles les fournisseurs d’accès et de services en ligne doivent lutter, par le biais d’informations fournies aux internautes et d’un dispositif de signalement, est élargie à la diffusion de contenus constitutifs d’atteintes à la vie privée et à la sécurité des personnes ou de formes de chantage et de harcèlement.
Un autre enrichissement intervenu sous la pression de l’actualité est l’obligation pour les fournisseurs d’accès et de services en ligne de publier des messages de prévention contre le harcèlement et d’indiquer les structures d’accompagnement des personnes faisant l’objet de cyberharcèlement. Je note que ce dispositif, qui figure à l’article 1er ter, reprend l’essentiel du dispositif de l’article 4 de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement et complétant la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, déposée par le groupe socialiste, sous l’impulsion de Sabine Van Heghe, qui a présidé la mission d’information sénatoriale sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement.
Je me félicite que plusieurs amendements déposés par notre groupe aient été adoptés, comme celui qui vise à obliger les plateformes à mettre en place une information spécifique lors de l’inscription d’un mineur de 15 ans, à son attention comme à celle des titulaires de l’autorité parentale, pour éclairer sur les risques liés à l’usage des réseaux sociaux ainsi que sur les moyens de prévention.
Je pense aussi à l’amendement visant à prévoir la délivrance à l’utilisateur de moins de 15 ans d’une information claire et adaptée des conditions d’utilisation de ses données et de ses droits relevant de la loi Informatique et libertés – il s’agit notamment de son droit à l’oubli conformément aux recommandations de la Cnil –, à l’amendement visant à contraindre les réseaux sociaux à mettre en place un dispositif de contrôle du temps passé sur leurs plateformes pour les mineurs de 15 ans, ou encore à l’amendement que j’avais porté, identique à celui de notre rapporteure, sur l’exclusion du champ d’application du dispositif des encyclopédies en ligne et des répertoires scientifiques.
J’approuve, par ailleurs, la suppression, décidée au Sénat, de l’article 5 de la proposition de loi, qui prévoyait la remise d’un rapport sur les possibilités de fusion des plateformes d’appel pour harcèlement scolaire et cyberharcèlement. Il me semble en effet opportun de maintenir les deux numéros existants : le 3020 pour les signalements de harcèlement scolaire et le 3018 pour ceux de cyberharcèlement. Les deux organismes sont spécialisés et leurs experts apportent des réponses ad hoc.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutient ce texte, même si j’émets quelques réserves sur la possibilité de mettre en œuvre rapidement certains des dispositifs prévus : l’élaboration de référentiels par l’Arcom pour le recueillement du consentement parental à l’inscription de mineurs risque ainsi de s’avérer une tâche très complexe.
Par ailleurs, comme nous l’avons souligné, ce texte ne permettra pas de tout résoudre. La haine et la violence auxquelles sont exposées les jeunes sur les réseaux sociaux ne vont malheureusement pas disparaître. Il y a un problème d’éducation. Il faut – c’est une autre recommandation de la mission sénatoriale sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement – mieux former les enfants, les parents et les enseignants pour faire face à ces enjeux.
C’est donc en toute lucidité que notre groupe politique approuve les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST, RDPI et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi est une réponse à une tendance lourde concernant l’accès des plus jeunes à internet.
Lorsque l’on sait que la première inscription à un réseau social intervient en moyenne vers 8 ans et demi et que plus du quart des enfants de 7 à 10 ans se rendent régulièrement sur les réseaux sociaux, on comprend que ce texte était nécessaire.
Les réseaux sociaux font partie du quotidien de nos petits-enfants, de nos enfants et de nos adolescents. Leur consommation les expose à un risque d’addiction. Ce phénomène est organisé de manière réfléchie et méticuleuse par des multinationales mercantiles.
De plus, le risque de cyberharcèlement est réel. Selon une étude datant de novembre 2022, près de 60 % des enfants déclarent en avoir déjà été victimes. Le cyberharcèlement peut laisser des séquelles, conduire à la dépression, voire à des conduites suicidaires. Or le suicide représente 16 % des décès chez les plus jeunes et un enfant cyberharcelé sur deux a déjà pensé au suicide. Nous sommes bien face à un enjeu national de santé publique.
Il existe actuellement un gouffre entre les obligations réglementaires des plateformes et la réalité sur le terrain. En effet, alors même qu’il existe un âge minimal requis pour s’y inscrire, plus de la moitié des enfants de moins de 13 ans sont déjà inscrits sur un réseau social.
De même, la précocité croissante dans l’accès aux smartphones contribue à exposer également, de fait, les enfants aux dérives de ces technologies.
Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’indiquer ici même à l’occasion de nos débats, nous pensons que la responsabilité des entreprises propriétaires des réseaux sociaux apparaît clairement et qu’il serait temps de les encadrer plus fermement pour qu’elles respectent les dispositions qui les concernent.
À cet égard, nous considérons que ni le texte du Sénat ni le texte issu de la commission mixte paritaire ne répondent convenablement à cette question.
En effet, les sanctions prévues ne sont pas en adéquation avec le poids économique de ces grandes entreprises. Voilà un manque notable de cette proposition de loi puisque, à l’origine, ses auteurs prévoyaient une amende d’un montant maximal de 1 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise.
Par ailleurs, il est également prévu de faciliter les demandes d’informations auprès des plateformes dans le cadre d’une réquisition judiciaire, dans un délai de huit heures, dans les cas urgents, et de dix jours, dans les autres cas, afin qu’elles livrent toutes les informations utiles dans le cadre d’une enquête. Nous aurions pourtant préféré un délai de quarante-huit heures pour les autres cas, comme cela avait été prévu à l’origine par les auteurs de cette proposition de loi, au regard des possibles conséquences gravissimes que peut engendrer la lenteur des procédures.
Enfin, nous souscrivons pleinement à la demande de rapport inscrite à l’article 4, car celui-ci nous permettra de gagner en efficacité en renforçant nos connaissances sur les conséquences de l’utilisation des réseaux sociaux sur les jeunes.
Malgré ces points de vigilance et ces remarques, nous considérons que cette proposition de loi constitue une première étape intéressante vers un contrôle de l’accès à internet de nos plus jeunes, et c’est dans cet esprit que mon groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST. – Mme Annick Billon applaudit également.)
Mme la présidente. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.)
Mme la présidente. Je constate que ce texte a été adopté à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt-sept, est reprise à douze heures trente.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse
Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à favoriser l’accompagnement des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse (texte de la commission n° 673, rapport n° 672).
La parole est à M. le rapporteur.
M. Martin Lévrier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à favoriser l’accompagnement des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse est parvenue à un texte commun lors de sa réunion, le 1er juin dernier.
Cette issue était attendue, tant les divergences entre nos deux chambres étaient minimes et peu nombreuses. Il convient toutefois de la saluer et de se féliciter du dialogue constructif qui a permis, dans un esprit transpartisan, d’enrichir cette proposition de loi à chaque étape de son cheminement démocratique.
Je veux à cette occasion saluer la présence dans nos tribunes de Mme la députée Sandrine Josso, qui eut l’initiative de ce texte.
La version du texte adoptée en commission mixte paritaire se rapproche grandement de la rédaction retenue par le Sénat, qui, en première lecture, avait épuré le texte de dispositions dépourvues d’effet utile, mais l’avait aussi enrichi de différents apports consensuels.
L’article 1er A prévoit la mise en place par les agences régionales de santé (ARS), d’ici au 1er septembre 2024, de parcours spécifiques associant médecins, sages-femmes et psychologues pour la prise en charge des interruptions spontanées de grossesse. Les apports du Sénat, renforçant les objectifs d’information assignés à ces parcours, ont été conservés par la commission mixte paritaire. Celle-ci n’a apporté à ces dispositions qu’une modification, visant à laisser aux ARS le soin de nommer ces parcours.
L’autre modification significative adoptée par la commission mixte paritaire est une modification de forme. Dans l’intitulé du texte, la commission des affaires sociales du Sénat avait substitué aux termes « fausse couche », jugés stigmatisants par les associations, l’expression « interruption spontanée de grossesse », consacrée médicalement. Néanmoins, cette dernière étant méconnue du grand public, la commission mixte paritaire, afin de rendre cette proposition de loi accessible au plus grand nombre, a précisé l’intitulé du texte en le renommant « Proposition de loi visant à favoriser l’accompagnement des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse dite fausse couche ».
Sur l’ensemble des autres articles, sous réserve des coordinations rédactionnelles et juridiques qui s’imposaient, la version équilibrée défendue par le Sénat a été préservée sans modification de fond.
Ainsi, l’article 1er B lève le délai de carence applicable à l’indemnisation des congés maladie pris consécutivement à une interruption spontanée de grossesse non seulement pour les assurées du régime général et les agentes publiques, mais également, comme l’a souhaité le Sénat, pour les indépendantes et les non-salariées agricoles. Cette mesure permettra de lutter contre le regrettable non-recours à ce congé de la part de femmes qui en ressentent le besoin.
L’article 1er C, ajouté par le Sénat, instaure une protection de dix semaines contre le licenciement au bénéfice des femmes confrontées à une fausse couche dite « tardive », intervenant après la quatorzième semaine d’aménorrhée. Ainsi, on renforcera leur protection contre les risques de discrimination professionnelle qu’elles encourent, tout en limitant les effets de seuil. La commission mixte paritaire a jugé que cet article complétait utilement le texte ; elle l’a donc adopté dans la rédaction issue des travaux du Sénat.
L’article 1er, adopté en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat, permet aux sages-femmes d’adresser à un psychologue conventionné, dans le cadre du dispositif MonParcoursPsy, leur patiente et, en cas d’interruption spontanée de grossesse, le partenaire de celle-ci.
L’article 1er bis A, ajouté par le Sénat, élargit le champ d’un rapport portant sur l’accessibilité de MonParcoursPsy, déjà prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, afin qu’il étudie spécifiquement l’accès au dispositif des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse. La commission mixte paritaire a jugé cette évaluation nécessaire et a donc adopté l’article dans la rédaction issue des travaux du Sénat.
L’article 1er bis, supprimé par le Sénat, faisait obligation aux professionnels de santé impliqués dans la prise en charge des femmes confrontées à une interruption spontanée de grossesse d’informer leurs patientes des possibilités de traitement comme de leurs implications, ainsi que de leur proposer un nouvel examen médical quatre semaines après le premier. Sa suppression a été maintenue par la commission mixte paritaire.
L’article 1er ter, qui consistait en une demande de rapport sur l’extension de l’assurance maternité aux premières semaines de grossesse, une mesure jugée peu opérationnelle et inopportune par la direction de la sécurité sociale, avait également été supprimé par le Sénat. La commission mixte paritaire a, là encore, maintenu cette suppression.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui a été considérablement enrichi par les travaux de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il contient des mesures consensuelles, adaptées et utiles, qui permettront de mieux accompagner les couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse et de mieux tenir compte des effets psychologiques que peut avoir cet accident de la vie.
C’est pourquoi je vous invite à adopter à une large majorité le texte issu de l’accord trouvé en commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Chantal Deseyne, vice-président de la commission des affaires sociales, applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénatrices et les sénateurs, je me réjouis de vous retrouver aujourd’hui pour cette ultime étape d’un processus législatif qui a été symboliquement entamé le 8 mars dernier, par l’examen en première lecture de ce texte par l’Assemblée nationale, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes.
Les votes unanimes dont cette navette parlementaire a été jalonnée, ainsi que le travail constructif qui a été mené en bonne entente avec le Gouvernement dans les deux assemblées, avant que les parlementaires présents en commission mixte paritaire ne s’accordent sur un texte commun, nous prouvent bien une chose : le 8 mars, mais aussi les 364 autres jours de l’année, certains sujets sauront toujours nous rassembler, malgré nos différences et nos divergences politiques.
Lorsqu’il s’agit de faire avancer les droits des femmes, malgré des sensibilités diverses, le travail parlementaire peut faire l’objet d’une coconstruction associant les deux chambres et un maximum de groupes. Je m’en réjouis et je tiens à le saluer.
Je veux aussi avoir d’emblée un mot chaleureux pour la députée Sandrine Josso, présente dans vos tribunes, qui a eu l’initiative de ce texte, mais également pour le sénateur Martin Lévrier, son rapporteur au Sénat, ainsi que pour les nombreux parlementaires qui se sont investis dans ce débat important.
En effet, le texte que vous allez – j’espère ne pas trop m’avancer en le disant – adopter définitivement dans quelques instants comporte des dispositions nécessaires, justes et équilibrées. Cette proposition de loi constitue une véritable avancée pour toutes les femmes et tous les couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse.
Tout d’abord, ce texte a permis de lever un tabou persistant autour de ce que l’on appelle communément une « fausse couche ».
Passée sous silence, minimisée, voire trop souvent banalisée, l’interruption spontanée de grossesse est pourtant un événement qui nous concerne et nous affecte tous, que ce soit directement ou au travers de nos proches.
Ces chiffres ont été mentionnés plusieurs fois au cours de notre travail, mais il faut le rappeler une nouvelle fois, car leur ampleur est éloquente : en France une grossesse sur cinq est interrompue par une fausse couche ; on estime qu’une femme sur dix sera confrontée à cette épreuve au cours de sa vie ; enfin, c’est la première cause de consultation aux urgences gynécologiques.
Une fois ces éléments rappelés, on comprend à quel point l’interruption spontanée de grossesse, qui affecte chaque année 200 000 femmes, leur famille et leur entourage, constitue un véritable phénomène de santé publique et de société.
L’ampleur du phénomène ne doit cependant pas nous faire oublier que la fausse couche reste avant tout un drame intime, que chaque femme vit dans sa chair, de manière très différente selon son histoire de vie. En outre, ce drame touche aussi le partenaire.
C’est cet état d’esprit qui a présidé à l’élaboration de ce texte, qui n’a jamais visé à imposer des schémas préétablis ou des parcours standardisés.
Au contraire, il s’agit bien ici d’ouvrir des droits, c’est-à-dire de mettre à la disposition des femmes toutes les ressources et à tous les outils nécessaires, auxquels elles pourront librement avoir recours, et de faciliter leur accès à ces ressources.
Voilà le fil rouge de la construction de ce texte, qui visait initialement à simplement mettre en place un accompagnement psychologique adapté aux femmes subissant une interruption spontanée de grossesse.
Par un travail commun d’enrichissement du texte, comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, nous sommes finalement parvenus à mettre sur pied un véritable dispositif cohérent de prise en charge et de suivi de ce traumatisme subi par trop de femmes.
Il me semble important de souligner que l’on a commencé, dans l’élaboration de ce texte, par considérer les aspects psychologiques de la fausse couche. C’est tout à fait représentatif d’un changement salutaire de mentalité dans la manière d’envisager la santé.
Je parlais de briser les tabous. Celui qui existe, de longue date, autour du bien-être et de l’équilibre psychologique est en train de s’étioler, au gré des progrès que nous faisons, qui nous amènent à considérer la santé selon une approche plus transversale et plus globale.
Bien sûr, les fausses couches, en elles-mêmes, emportent des risques et des conséquences physiques importants. Mais, au-delà des répercussions physiques et du nécessaire accompagnement médical, la disponibilité d’un soutien psychologique est indispensable en cas d’interruption spontanée de grossesse.
Alors que la parole se libère, les témoignages de femmes nous prouvent combien l’arrêt brutal d’une grossesse et d’un projet de maternité est un choc d’une grande violence. Il ne faut pas en sous-estimer les conséquences : le stress post-traumatique, l’anxiété, l’angoisse, ou encore la dépression peuvent perdurer ou se manifester parfois des mois, voire des années après l’événement.
On entend des questions et des remises en question ; ce drame est parfois même accompagné d’un sentiment de culpabilité.
Il y a enfin le deuil, ce deuil périnatal si particulier, dont les femmes parlent mieux que moi quand elles décrivent leur « souffrance transparente aux yeux de la société », ou encore ce « deuil impossible », souvent solitaire et sans rituel.
Je suis convaincu que le texte dont l’examen s’achève aujourd’hui nous permet de prendre en compte ces différents aspects et de faire figurer dans la loi tous les outils nécessaires pour accompagner celles et ceux qui font face à la double perte que sont la perte physique de l’embryon ou du fœtus et la perte symbolique de l’enfant à naître et du projet de parentalité.
En premier lieu, pour garantir à chacune de ces femmes l’accessibilité de cet indispensable accompagnement psychologique, les sages-femmes seront désormais habilitées à adresser leurs patientes vers les séances d’accompagnement psychologique offertes dans le cadre du dispositif MonParcoursPsy, dans tout type de situation liée à la grossesse.
Je tiens à souligner le caractère inédit de ce dispositif qui permet, je le rappelle, la prise en charge intégrale et sans avance de frais de huit séances chez un psychologue agréé. C’est une mesure qui a déjà prouvé toute son efficacité, en offrant rapidement une première réponse tout en permettant une orientation vers des soins plus spécialisés en cas d’indicateurs de gravité. Notons d’ailleurs que 71 % des plus de 131 000 patients qui en ont bénéficié depuis sa mise en place sont des femmes.
Dans le cas d’une fausse couche, le ou la partenaire de la patiente pourra également faire l’objet d’un adressage par la sage-femme. Je tiens à souligner que cette prise en compte du conjoint est un apport parlementaire, qui est tout à fait légitime et bienvenu, car il permet de reconnaître autant la souffrance propre du partenaire que son rôle de soutien auprès de sa compagne.
Cette nouvelle mission confiée aux sages-femmes représente aussi une valorisation et une reconnaissance importante de leur engagement auprès de leurs patientes, alors que nous allons justement accompagner leur montée en compétence par une réingénierie de leur formation, qui sera effective dès la rentrée 2024.
Dans la lignée de la loi du 19 mai 2023 portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite loi Rist, et de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, dite proposition de loi Valletoux, j’envisage cette disposition comme une brique supplémentaire apportée aux chantiers du décloisonnement des parcours de soins et de la modernisation de notre système de santé.
Aussi, en second lieu, c’est justement dans cette logique de parcours de soins adaptés aux besoins de chacune que s’inscrira cette prise en charge psychologique.
En effet, grâce à ce texte, des parcours spécifiquement dédiés aux femmes victimes d’une fausse couche seront mis en place, à partir du 1er septembre 2024, dans tous les territoires, sous l’égide des ARS. Ces parcours associeront tous les professionnels médicaux, hospitaliers comme libéraux, ainsi, bien sûr, que les psychologues, dans le cadre d’une approche complémentaire et pluriprofessionnelle, pour accompagner au mieux chaque situation tout en développant la formation des soignants et en améliorant l’accès à l’information et à la prévention à destination des couples.
Finalement, alors que nous répondons aux enjeux de la prise en charge clinique et psychologique des fausses couches, il reste encore une autre conséquence à laquelle il est urgent de s’attaquer.
En plus du traumatisme physique et mental, la fausse couche fait aussi supporter un coût financier aux femmes, dans les cas où elles doivent arrêter de travailler. Je refuse cette triple peine !
Nous tenons donc une promesse de campagne du Président de la République, comme la Première ministre a eu l’occasion de l’annoncer le 1er mars 2023, en supprimant les jours de carence en cas de fausse couche, et ce pour l’ensemble des assurées.
La présente proposition de loi vient concrétiser cet engagement, qui sera effectif dès que possible, au plus tard le 1er janvier de l’année prochaine.
Cette levée de la carence est une excellente nouvelle et une avancée concrète, dont nous pouvons tous être fiers. C’est aussi une solution qui permet de prendre en compte la diversité des situations des femmes confrontées à ce phénomène, tout en leur permettant de préserver la confidentialité du secret médical.
Je tiens à saluer ici l’ajout à ce texte de l’article 1er C, issu d’un amendement sénatorial, qui instaure une protection contre le licenciement au bénéfice des femmes confrontées à une interruption spontanée de grossesse dite « tardive », ce qui s’inscrit dans la lutte contre les risques de discrimination professionnelle.
Mesdames, messieurs les sénatrices et les sénateurs, j’ai toujours assumé de le dire : notre système de santé ne s’adapte pas assez vite aux spécificités des femmes, qui ont trop longtemps été marginalisées dans la prise en charge clinique comme dans la recherche.
Depuis mon arrivée au ministère, j’ai fait de la lutte contre les inégalités de santé ma priorité ; je pense, en l’espèce, aux inégalités entre femmes et hommes.
Les mesures que nous avons élaborées ensemble, en bonne intelligence, s’inscrivent dans une lignée d’avancées prises en faveur de la santé des femmes, pour mieux garantir leurs droits reproductifs, améliorer leur prise en charge spécifique, ou encore renforcer le dépistage et la prévention.
Je pense, par exemple, à la prise en charge à 100 %, pour toutes les femmes, de la contraception d’urgence, à la gratuité des protections hygiéniques, ou encore à la grande campagne de vaccination des filles et des garçons contre le papillomavirus, qui débutera à la rentrée prochaine dans tous les collèges et nous permettra d’envisager la possible éradication du cancer du col de l’utérus.
Le Parlement tient en la matière un rôle central. Je pense ici à certaines grandes lois, telles que la loi Neuwirth de 1967 autorisant la contraception, la loi Veil dépénalisant l’IVG en 1975, ou encore, plus récemment, la dernière loi de bioéthique autorisant la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes les femmes.
Si je convoque ici ces grands textes, c’est parce que toute loi participant à combler les inégalités entre femmes et hommes, toute loi participant à améliorer la santé des femmes, toute loi permettant de leur redonner un peu plus la main sur leur corps et leur vécu est, à mon sens, une grande loi. Le texte que vous allez adopter aujourd’hui participe, à sa manière, de ce grand combat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et au banc des commissions.)