Sommaire
Présidence de Mme Pascale Gruny
Secrétaires :
Mme Marie Mercier, M. Jean-Claude Tissot.
situation des familles d’enfants en situation de handicap en loire-atlantique
Question n° 767 de Mme Michelle Meunier. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées.
accompagnement scolaire et médical des mineurs handicapés
Question n° 771 de M. Jérôme Bascher. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées ; M. Jérôme Bascher.
« bien vieillir » en france au xxie siècle
Question n° 748 de M. Jean-Marie Mizzon. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées ; M. Jean-Marie Mizzon.
Question n° 737 de Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées ; Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
encadrement des rémunérations des intérimaires médicaux
Question n° 710 de Mme Frédérique Gerbaud. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées ; Mme Frédérique Gerbaud.
Question n° 770 de Mme Corinne Féret. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées ; Mme Corinne Féret.
désaffection de la filière pharmacie par les étudiants de santé
Question n° 636 de Mme Véronique Guillotin. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées ; Mme Véronique Guillotin.
situation des infirmiers libéraux
Question n° 659 de M. Alain Marc. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées ; M. Alain Marc.
refus de greffe de patients non vaccinés contre le covid-19
Question n° 723 de Mme Sylviane Noël. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées.
accès des patients atteints de maladies neurodégénératives au traitement par ultrasons focalisés
Question n° 781 de Mme Catherine Deroche. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées ; Mme Catherine Deroche.
fermeture de la maternité de sedan et aggravation des déserts obstétricaux dans les ardennes
Question n° 499 de Mme Else Joseph. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées ; Mme Else Joseph.
Question n° 761 de Mme Amel Gacquerre. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées.
assujettissement à la tva au taux de 20 % des orthèses dentaires et prothèses orthodontiques
Question n° 592 de M. Michel Canévet. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées ; M. Michel Canévet.
avenir de l’entreprise valdunes
Question n° 749 de Mme Michelle Gréaume. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées.
dysfonctionnements de la poste en guyane
Question n° 779 de M. Georges Patient. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées.
dépenses éligibles au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée
Question n° 614 de M. Olivier Rietmann. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées.
Question n° 765 de M. Cédric Vial. – Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées ; M. Cédric Vial.
Question n° 738 de Mme Sabine Van Heghe. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
reconversion de la centrale à charbon de cordemais
Question n° 758 de Mme Laurence Garnier. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Laurence Garnier.
difficultés dans la mise en place des infrastructures de recharge des véhicules électriques
Question n° 757 de Mme Marie-Pierre Richer. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Marie-Pierre Richer.
rationalisation des postes au sein des maisons france services
Question n° 747 de Mme Frédérique Puissat. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Frédérique Puissat.
départs des services des communes et délégation de la charge aux mairies
Question n° 763 de M. Éric Bocquet. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
difficultés dans l’exercice du mandat de maire
Question n° 782 de M. Édouard Courtial. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Édouard Courtial.
calcul du bilan carbone des entreprises
Question n° 585 de M. Yves Détraigne. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
futures dispositions d’application de « zéro artificialisation nette »
Question n° 780 de M. Pierre-Jean Verzelen. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
inefficacité de la politique de continuité écologique des cours d’eau
Question n° 783 de M. Pierre Louault. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Pierre Louault.
valorisation des sédiments issus de dragage
Question n° 776 de M. Jean-Pierre Decool. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
coûts pour les ménages d’une interdiction des chaudières à gaz dans le secteur du bâtiment
Question n° 602 de M. Christian Klinger. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Question n° 701 de Mme Laure Darcos. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Laure Darcos.
évaluation des aménagements cyclables hors agglomération
Question n° 582 de M. Bernard Buis. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
privatisation de la ligne de fret du train des primeurs perpignan-rungis
Question n° 734 de Mme Laurence Cohen. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Laurence Cohen.
aménagement de la gare de bry-villiers-champigny-grand paris express
Question n° 774 de M. Laurent Lafon. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
accompagnement des communes pour la réhabilitation des ponts
Question n° 745 de M. Denis Bouad. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
délais pour l’obtention des cartes d’identité et passeports
Question n° 746 de M. Jean-Claude Anglars. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Jean-Claude Anglars.
insuffisance du nombre d’inspecteurs du permis de conduire
Question n° 777 de Mme Anne Ventalon. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Anne Ventalon.
Question n° 667 de M. Jean-Pierre Sueur. – Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; M. Jean-Pierre Sueur.
multiplication des attaques contre le droit à l’interruption volontaire de grossesse
Question n° 772 de Mme Laurence Rossignol. – Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; Mme Laurence Rossignol.
violences routières et absence d’effectivité des peines
Question n° 769 de Mme Alexandra Borchio Fontimp. – Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances.
Question n° 718 de M. Daniel Breuiller. – Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; M. Daniel Breuiller.
Question n° 759 de M. Gérard Longuet. – Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; M. Gérard Longuet.
hébergement sous tente des saisonniers en bourgogne
Question n° 702 de Mme Anne-Catherine Loisier. – Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; Mme Anne-Catherine Loisier.
accompagnement des jeunes guadeloupéens vers l’emploi
Question n° 437 de M. Dominique Théophile. – Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; M. Dominique Théophile.
rapport annuel de la défenseure des droits
Question n° 778 de M. Jean-Yves Roux. – Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances.
attaques du loup en saône-et-loire
Question n° 742 de M. Fabien Genet. – Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; M. Fabien Genet.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
3. Hommage à Léon Gautier, dernier vétéran du commando Kieffer
4. Modification de l’ordre du jour
6. Mise au point au sujet de votes
7. Protection des familles d’enfants atteints d’une maladie ou d’un handicap. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure de la commission des affaires sociales
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de Mme Annie Le Houerou. – Rejet.
Amendement n° 12 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 2 de Mme Annie Le Houerou. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 4 de Mme Annie Le Houerou. – Rejet.
Amendement n° 3 de Mme Annie Le Houerou. – Rejet.
Amendement n° 6 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.
Amendement n° 7 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 5 de Mme Annie Le Houerou. – Rejet.
Amendement n° 8 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.
Amendement n° 9 de Mme Mélanie Vogel. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 10 de Mme Mélanie Vogel. – Retrait.
Adoption de l’article.
Article 6 (suppression maintenue)
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales
Suspension et reprise de la séance
8. Sécurisation et régulation de l’espace numérique. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission spéciale
M. Patrick Chaize, rapporteur de la commission spéciale
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 33 de M. Thomas Dossus. – Retrait.
Amendement n° 130 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 62 rectifié bis de M. Bernard Fialaire. – Retrait.
Amendement n° 34 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 37 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 36 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 38 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 35 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 83 de Mme Laurence Cohen. – Rejet.
Amendement n° 84 de Mme Laurence Cohen. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 82 de Mme Laurence Cohen. – Rejet.
Amendement n° 41 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 131 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 63 rectifié bis de M. Bernard Fialaire. – Retrait.
Amendement n° 66 rectifié bis de M. Bernard Fialaire. – Rejet.
Amendement n° 46 rectifié quater de Mme Sylviane Noël. – Adoption.
Amendement n° 47 rectifié ter de Mme Sylviane Noël. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 121 rectifié de Mme Catherine Morin-Desailly. – Retrait.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission spéciale
Amendement n° 132 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 79 de Mme Laurence Cohen. – Retrait.
Amendement n° 126 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
Amendement n° 89 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.
Amendement n° 90 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.
Amendement n° 87 de M. Pierre Ouzoulias. – Rejet.
Amendement n° 48 rectifié quater de Mme Sylviane Noël. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 127 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 7 rectifié de Mme Laurence Rossignol. – Rejet.
Amendement n° 8 rectifié de Mme Laurence Rossignol. – Retrait.
Amendement n° 6 rectifié de Mme Laurence Rossignol. – Rejet.
Amendement n° 122 rectifié quater de M. Patrick Chaize
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° 122 rectifié quater de M. Patrick Chaize (suite). – Retrait.
Amendement n° 68 rectifié bis de M. Bernard Fialaire. – Rejet.
Amendement n° 133 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 116 de M. Ludovic Haye. – Devenu sans objet.
Amendement n° 118 de M. Ludovic Haye. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 106 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 134 de la commission. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 9 rectifié bis de Mme Laurence Rossignol. – Rejet.
Amendement n° 44 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 43 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 39 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 60 rectifié bis de M. Bernard Fialaire. – Retrait.
Amendement n° 49 rectifié ter de Mme Sylviane Noël. – Retrait.
Amendement n° 40 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 50 rectifié ter de Mme Sylviane Noël. – Retrait.
Amendement n° 135 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 136 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 59 rectifié bis de M. Bernard Fialaire. – Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Pascale Gruny
vice-président
Secrétaires :
Mme Marie Mercier,
M. Jean-Claude Tissot.
1
Procès-verbal
Mme le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions orales
Mme le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
situation des familles d’enfants en situation de handicap en loire-atlantique
Mme le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, auteure de la question n° 767, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées.
Mme Michelle Meunier. Madame la ministre, nombre de familles d’enfants et de jeunes adultes en situation de handicap, sévère ou complexe, sont en attente de solutions d’accueil et d’accompagnement adaptées, qui leur permettraient de les scolariser.
En raison de ces carences, les parents d’enfants en situation de handicap se battent quotidiennement pour faire reconnaître les droits fondamentaux de leurs enfants. Dans le département de Loire-Atlantique, près de 1 500 familles subissent ainsi des défauts d’accompagnement scolaire ; quelque 900 personnes voient leurs droits reconnus et notifiés, mais attendent toujours des places.
Ce département connaît en effet une forte attractivité démographique, qui accentue davantage encore les problématiques de prise en charge des enfants. Certains d’entre eux sont contraints de rester au domicile parental, ce qui oblige le plus souvent les mères à mettre leur carrière professionnelle entre parenthèses. D’autres sont dans des classes inadaptées, avec des enseignants peu ou mal formés et souvent démunis. D’autres enfin, atteints de troubles psychiques ou cognitifs, sont isolés en hôpital psychiatrique.
Fédérées en collectif, ces familles revendiquent l’effectivité de la loi de 2005 – loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées –, la prise en compte des besoins spécifiques de leurs enfants et adultes handicapés et le déploiement de solutions adaptées.
Le Président de la République, lors de la Conférence nationale du handicap qui s’est tenue dernièrement, a quelque peu désorienté les associations du secteur, en annonçant, dans la précipitation et sans véritable concertation, la création de 50 000 nouvelles solutions médico-sociales d’ici à 2030.
Madame la ministre, je vous enjoins de définir urgemment un plan de création de ces nouvelles places et de favoriser des solutions innovantes, telles que les unités d’enseignement externalisées. Concrètement, combien de nouvelles places en médico-social seront créées d’ici à 2030 ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Madame la sénatrice, vous l’avez dit, à l’occasion de la Conférence nationale du handicap, le Président de la République a annoncé la création de 50 000 nouvelles solutions d’accompagnement pour les personnes en situation de handicap et leurs proches. Cette décision a été prise non pas au hasard, mais au regard des besoins constatés. Notre préoccupation est de développer une palette de solutions complémentaires et adaptées.
Ces 50 000 solutions ont trois objectifs.
Le premier, c’est de faire en sorte que les jeunes adultes relevant de l’amendement Creton, encore présents dans les établissements pour enfants, soient accompagnés dans des établissements pour adultes, afin de libérer des places pour les enfants.
Le deuxième, c’est de trouver et de construire des solutions nouvelles dans les départements qui sont en déficit d’offre, à l’instar du vôtre.
Le troisième, c’est d’apporter des solutions aux personnes présentant des handicaps complexes, aux polyhandicapés, aux autistes en situation très complexe ou encore aux personnes handicapées vieillissantes.
Nous allons établir un plan pluriannuel – sur cinq ans –, qui donnera de la visibilité aux agences régionales de santé (ARS) et aux départements. L’objectif est de construire, avec les conseils départementaux, ces solutions adaptées aux territoires, en fonction des données consolidées et partagées entre les ARS et les départements.
Madame la sénatrice, vous le voyez, tout cela va être fait, grâce à la concertation et à la coconstruction. Bien entendu, des solutions pour la scolarisation des enfants sont à l’ordre du jour. Il pourra s’agir de nouvelles places dans les services d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) ou de la création d’unités d’enseignement externalisées ou d’unités mobiles d’enseignement, afin d’aider la scolarisation de tous les enfants handicapés dans l’école de la République.
accompagnement scolaire et médical des mineurs handicapés
Mme le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, auteur de la question n° 771, transmise à Mme la ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées.
M. Jérôme Bascher. Madame la ministre, le 15 mars dernier, le maire de Lamorlaye, commune située dans le sud de l’Oise, a dû prendre un arrêté de péril à propos du centre de médecine physique et de réadaptation pour enfants, notamment handicapés. Du jour au lendemain, des parents se trouvent sans solution !
Ce centre appartient à la Croix-Rouge. Les responsables de l’ARS sont parfaitement informés de l’affaire. Nombre de personnes se sont mobilisées. Ce qui choque, c’est que ces enfants, qui rencontrent déjà beaucoup de difficultés, ne soient pas bien pris en charge, que ce soit par la Croix-Rouge ou par l’ARS. Ils ont besoin d’être scolarisés, pas trop loin, et de recevoir des soins en permanence.
Or on va fermer un centre, en laissant des professionnels de santé au chômage technique, alors même qu’il en manque en France. On envisage, un beau jour, d’en réimplanter un à 30 kilomètres de là, ou plutôt à 29,8 kilomètres parce que si c’était à plus de 30 kilomètres, il serait obligatoire de licencier, etc. Ce n’est pas une solution !
De plus, quand déplacer le site à 29,8 kilomètres oblige à passer de l’Oise au Val-d’Oise, le trajet des enfants peut durer non pas dix minutes, mais plusieurs heures. Ce n’est pas envisageable !
Madame la ministre, quelle solution pouvez-vous trouver, en lien avec l’ARS, pour aider ces enfants ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Monsieur le sénateur, le centre de médecine physique et de réadaptation pour enfants de Lamorlaye, géré par la Croix-Rouge française, a en effet dû être évacué à la mi-mars, quelques jours avant la signature par le maire – le 24 mars dernier – d’un arrêté de péril. Face à cette situation difficile, je me suis rapprochée des services de l’ARS et de l’éducation nationale.
Monsieur le sénateur, soyez assuré que l’ARS est pleinement mobilisée. La sécurité des locaux est évidemment incontournable. J’ai demandé que toutes les garanties soient apportées pour la continuité de l’accompagnement de ces enfants. Cette continuité est notre priorité absolue.
Des solutions ont été trouvées pour répondre en urgence aux différentes situations. Ainsi, tous les enfants accueillis ont pu bénéficier d’une continuité de soins. Pour les prises en charge en hospitalisation complète, le centre s’est appuyé sur l’hôpital d’enfants de Margency, qui est également géré par la Croix-Rouge française. Les enfants pour lesquels une hospitalisation de jour est nécessaire ont pu poursuivre leurs soins à domicile, grâce à l’intervention d’une équipe mobile. Les vingt-cinq enfants scolarisés ont bien une solution de scolarisation jusqu’au 8 juillet prochain, dans des locaux provisoires mis à disposition par la municipalité. Le directeur académique des services de l’éducation nationale (Dasen) garantit que cette scolarisation pourra bien se poursuivre à la rentrée.
En ce qui concerne l’activité du centre, l’ARS met tout en œuvre pour assurer une solution pérenne qui réponde aux besoins du territoire et des habitants.
Monsieur le sénateur, nous serons particulièrement attentifs à ce que tous ces enfants puissent bénéficier de la continuité des soins et de la poursuite de leur scolarisation dans les meilleures conditions possible.
Je n’ai pas d’éléments quant au lieu d’implantation, mais je veux bien suivre avec vous ce sujet, afin que la meilleure solution soit trouvée.
Mme le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour la réplique.
M. Jérôme Bascher. Le sud de l’Oise traverse une grave crise en termes d’accès aux soins et de système de santé : le groupe hospitalier public du sud de l’Oise (GHPSO) a un déficit incroyable, tout comme l’hôpital Les Jockeys à Chantilly, et l’on a évoqué la situation du centre du Bois-Larris.
On a besoin de professionnels dans le sud de l’Oise ! Les familles s’y sont installées en raison de la présence de tels centres. Aussi, les déplacer de 30 kilomètres, en Île-de-France et non pas dans les Hauts-de-France, serait une faute, une erreur.
« bien vieillir » en france au xxie siècle
Mme le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, auteur de la question n° 748, adressée à M. le ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées.
M. Jean-Marie Mizzon. Madame la ministre, au siècle passé, au soir de sa vie, Charles de Gaulle prononce cette phrase terrible : « La vieillesse est un naufrage. » En dépit des progrès de la médecine, nombreux sont nos concitoyens qui pourraient porter ce même jugement aujourd’hui, à l’aube du XXIe siècle. Comment est-ce possible ?
Dans notre pays, l’un des plus vieillissants d’Europe, la défaillance de la prise en charge du grand âge est un fait. Et ce ne sont pas seulement les nouveaux modes de vie qui expliquent cette situation. Dans nos villes comme dans nos villages, nos aînés ne trouvent plus leur place. Et que dire du moment ultime, que d’aucuns souhaitent même abréger, faisant fi du serment d’Hippocrate, sous prétexte que les soins palliatifs sont une perte de temps et d’argent ?
Tout cela est glaçant ! Je le dis avec force : un être humain n’a pas de date de péremption ; un être humain n’est pas un objet dont on dispose à sa guise. Doué de pensée et pétri de sentiments, il est fait de chair et de sang. Sa vie n’a pas de prix.
Madame la ministre, ma question est simple : votre réforme du grand âge est-elle construite autour de l’humain ou est-elle rédigée par un comptable ? Je vous invite à être prudente dans votre réponse, car s’il est un sujet qui nous concerne tous un jour ou l’autre, c’est bien celui-là.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Monsieur le sénateur, je veux tout d’abord affirmer une chose : les personnes âgées, quel que soit leur état physique ou cognitif, sont avant tout des personnes. Elles doivent être prises en compte comme tel, car elles ont des droits : le droit de vivre dans la dignité et selon leur propre choix.
Le ministre Jean-Christophe Combe s’attache ainsi à répondre aux souhaits des Français – désormais majoritaires – de pouvoir vieillir à domicile. Cette priorité passe notamment par des mesures de prévention et d’accompagnement de la perte d’autonomie.
Justement, nombre de mesures ont été prises ces dernières années. Je pense tout particulièrement à la création de la branche autonomie de la sécurité sociale en 2020 et à l’augmentation progressive de ses ressources. Ces moyens doivent permettre notamment de financer des mesures pleinement respectueuses de la volonté et de la dignité des personnes âgées. Telle est notre boussole.
C’est à ce titre que le Parlement avait adopté, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, des réformes cruciales, comme la trajectoire de recrutement de 50 000 professionnels soignants dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) pour les prochaines années. Cela signifie davantage de professionnels au chevet des personnes en perte d’autonomie. Il s’agit aussi du renforcement des mesures de contrôle des Ehpad, rendu indispensable par les dérives constatées, dont ont souffert de trop nombreuses personnes âgées, ainsi que de tous les plans d’aide à domicile visant à lutter contre l’isolement.
Nous sommes déterminés à continuer d’agir. En clôture du Conseil national de la refondation consacré au « bien vieillir », le 4 avril 2023, Jean-Christophe Combe a donné le coup d’envoi d’une réforme du grand âge, rassemblant toutes les mesures pour préparer la société au vieillissement de la population. Il s’agit de reconnaître et de simplifier la vie de ceux qui entourent les personnes âgées, de repérer l’isolement social et de mieux prévenir la perte d’autonomie, de simplifier l’accès au service public et à l’offre de soins, de lutter contre les maltraitances et de moraliser le secteur du grand âge.
Certaines mesures de cette réforme figureront dans des textes législatifs, notamment dans la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France, qui est en cours d’examen à l’Assemblée nationale.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.
M. Jean-Marie Mizzon. Madame la ministre, nous en sommes encore au stade des généralités, à propos desquelles nous nous retrouvons tous – Dieu merci !
On verra comment vous conduirez votre action et quelles seront vos propositions concrètes pour joindre la volonté politique à l’esprit que vous venez d’évoquer dans votre réponse. J’y serai personnellement très attentif ; croyez bien que le Sénat tout entier le sera également.
prise en compte du champ visuel pour l’attribution du forfait cécité dans le cadre de la prestation de compensation du handicap
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, auteure de la question n° 737, adressée à M. le ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la ministre, je me fais ici le relais d’un courrier de l’adjointe à la maire de Paris, chargée de l’accessibilité universelle et des personnes en situation de handicap, Lamia El Aaraje, qu’elle a adressé à votre collègue Jean-Christophe Combe le 11 avril dernier – nous vous en avons fait tenir copie – et qui n’a jamais reçu de réponse.
Comme vous le savez, l’article D. 245-9 du code de l’action sociale et des familles dispose que : « Les personnes atteintes de cécité, c’est-à-dire dont la vision centrale est nulle ou inférieure à 1/20 de la vision normale, sont considérées comme remplissant les conditions qui permettent l’attribution et le maintien de l’élément de la prestation lié à un besoin d’aides humaines. »
Ainsi, les personnes ayant un champ visuel altéré se trouvent exclues du dispositif de forfait cécité.
Pourtant, l’acuité et le champ visuels sont deux fonctions indispensables dans l’appréciation du déficit visuel, comme le rappellent le Syndicat national des ophtalmologues de France (Snof) ou l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui en tient systématiquement compte dans la description des différents stades de la déficience visuelle.
Si à l’échelon local certaines maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) adoptent cette juste compréhension dans l’attribution du forfait cécité, elles appliquent dans leur majorité la législation actuelle stricto sensu, entraînant ainsi une inégalité de traitement sur le territoire national.
La MDPH de Paris a ainsi demandé à la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées de faire jurisprudence sur un accord de forfait cécité pour les personnes qui ont un champ visuel très rétréci.
Aussi, madame la ministre, êtes-vous prête à remédier à ce problème, en mentionnant le champ visuel parmi les critères d’évaluation visant à octroyer le forfait cécité prévu à l’article D. 245-9 du code de l’action sociale et des familles ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Madame la sénatrice, je vous remercie de cette question, qui me donne l’occasion de revenir sur l’accès à la prestation de compensation du handicap (PCH) aide humaine pour les personnes déficientes visuelles.
La PCH pour la déficience visuelle permet de demander cinq types d’aides : les aides humaines, les aides techniques, des aménagements du logement et du véhicule, des charges spécifiques ou exceptionnelles, une aide animalière.
Pour ces personnes, le code de l’action sociale et des familles prévoit deux possibilités différentes pour accéder à l’aide humaine. Elles peuvent accéder au forfait cécité dont vous parliez, qui correspond à cinquante heures d’aide humaine sur la base de l’évaluation de l’acuité en vision centrale après correction et sans prise en compte des amputations du champ visuel.
Mais des personnes qui ont un handicap visuel, autre que cette acuité en vision centrale dégradée, peuvent aussi demander une évaluation de leur éligibilité à la PCH sur la base des critères classiques, c’est-à-dire présenter une difficulté absolue ou deux difficultés graves dans des activités de la vie quotidienne.
Dans cette situation, une personne – éligible ou non – au forfait cécité pourra avoir un plan d’aides humaines supérieur à cinquante heures mensuelles. Pour les personnes présentant une surdicécité, sont prises en compte la perte auditive et la réduction de l’activité et du champ visuels pour accéder au forfait surdicécité, et ce depuis le 1er janvier 2023.
Vous le voyez, la situation évolue : les personnes souffrant d’une perte de champ visuel peuvent faire valoir ce handicap dans leur demande de PCH.
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour la réplique.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la ministre, je vous remercie de la grande précision de votre réponse, mais vous comprenez bien que la difficulté réside dans l’hétérogénéité de l’appréciation de la situation selon les départements.
Il serait bienvenu que vos services fassent en sorte qu’il y ait une application homogène dans l’ensemble des départements, parce que, vous comme moi, j’imagine, n’acceptons pas l’idée que les situations soient inégalitaires. Je vous remercie d’y veiller !
encadrement des rémunérations des intérimaires médicaux
Mme le président. La parole est à Mme Frédérique Gerbaud, auteure de la question n° 710, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Mme Frédérique Gerbaud. Madame la ministre, ma question concerne l’encadrement des rémunérations des intérimaires médicaux.
Les plafonds fixés en la matière par la loi de 2016 de modernisation de notre système de santé, dite loi Touraine, n’étaient pas respectés. Pour cette raison, la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite loi Rist, a fait obligation aux comptes publics d’interdire la mise en paiement de factures excédant le plafond de rémunération fixé par décret, en l’occurrence 1 170 euros brut pour vingt-quatre heures de travail.
Lors de l’entrée en vigueur de cette disposition, le 3 avril dernier, ce montant a été porté à 1 390 euros brut pour les contrats signés à partir de cette date. Un décret d’application en bonne et due forme viendra-t-il prochainement confirmer ou préciser ce montant, ainsi que les modalités transitoires de la mise en œuvre de la loi ?
Par ailleurs, êtes-vous en mesure de m’indiquer s’il est envisagé d’appliquer au secteur hospitalier privé l’encadrement des rémunérations des intérimaires médicaux ? Cela paraît logique et hautement souhaitable, étant donné l’appel d’air engendré par l’encadrement dans le secteur public, qui prive d’ores et déjà ce dernier d’une partie de l’appoint des intérimaires.
Enfin, n’est-il pas devenu urgent d’augmenter substantiellement les rémunérations des praticiens hospitaliers, toujours caractérisées par une différence considérable avec celles des intérimaires, même si ces dernières sont mieux maîtrisées ? Pour mémoire, une garde de nuit courant de dix-neuf heures au lendemain matin ne rapporte pas plus de 248 euros aux praticiens hospitaliers à temps plein qui l’effectuent.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Madame la sénatrice, encadrer les rémunérations des intérimaires est une volonté constante du législateur – elle est inscrite dans la loi depuis 2016.
La mise en application effective de cet encadrement depuis le 3 avril dernier était nécessaire pour garantir la pérennité de notre système de santé, pour renforcer les collectifs de travail hospitalier et pour lutter contre des dérives insoutenables financièrement et inacceptables éthiquement.
L’engagement de tous les acteurs locaux a été nécessaire afin d’accompagner l’entrée en vigueur de cette mesure. L’ensemble des fédérations d’établissements publics et privés de santé ont signé une charte d’engagement solidaire pour soutenir la mise en œuvre de ce dispositif et éviter toute surenchère ou concurrence entre les établissements publics et privés.
Des dispositifs de soutien ont été déployés en faveur des organisations locales et afin de revaloriser l’exercice hospitalier : majoration de 30 % de la prime de solidarité territoriale pour valoriser l’engagement des soignants, là où les besoins sont accrus ; revalorisation de 50 % du montant des indemnités de garde depuis la mission flash réalisée à l’été 2022, mission dont les mesures ont été prolongées ; et augmentation du plafond de l’intérim médical à 1 390 euros pour vingt-quatre heures jusqu’au 31 août.
Des mesures de revalorisation durable seront prochainement décidées. Conformément aux annonces du Président de la République lors de ses vœux aux soignants, une concertation sur les enjeux de permanence des soins, de l’évolution des carrières hospitalières et d’amélioration des conditions de travail des praticiens est en cours et devrait se terminer cet été.
Cette concertation s’appuie notamment sur les travaux qu’a menés l’inspection générale des affaires sociales (Igas) sur ces questions. Des propositions sont également en cours de discussion avec les partenaires sociaux en vue de leur entrée en vigueur avant la fin de l’année.
Mme le président. La parole est à Mme Frédérique Gerbaud, pour la réplique.
Mme Frédérique Gerbaud. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.
Je répète l’une de mes questions : pouvez-vous me donner des renseignements supplémentaires ou des indications quant à la publication du décret ? Est-il prévu pour le courant du mois de juillet ? À ma connaissance, il n’est toujours pas sorti.
situation de la psychiatrie
Mme le président. La parole est à Mme Corinne Féret, auteure de la question n° 770, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Mme Corinne Féret. Madame la ministre, en 2017, la ministre de la santé de l’époque reconnaissait l’abandon de la psychiatrie. Près de six plus tard, rien n’a changé.
Le personnel exerce dans des conditions difficiles, qui se sont encore dégradées à l’issue de la crise de covid-19, laquelle a d’autant plus détérioré la santé mentale des adultes comme des plus jeunes. Ainsi, des enfants et leurs parents souffrent d’un manque d’accompagnement et les files d’attente s’allongent dans les centres médico-psychologiques ou médico-psycho-pédagogiques.
Manifestement, l’urgence et la gravité de la crise que connaît la psychiatrie publique sont loin d’être prises en compte. Les établissements sont confrontés à des départs massifs et sans précédent de praticiens et de personnels soignants non médicaux. Partout, les fermetures de lits, voire d’entités entières, se multiplient, forçant les directions à des restructurations particulièrement délétères pour la prise en charge des patients.
Les retards ou les défauts de prise en charge des personnes atteintes de troubles psychiatriques ne sont évidemment pas sans conséquence, comme en témoigne la récente agression qui a coûté la vie à une infirmière au centre hospitalier universitaire de Reims.
Dans le Calvados, au début du mois de juin dernier, au sein de l’établissement public de santé mentale (EPSM) de Caen, un malade a réussi à mettre le feu à sa chambre et à en saccager deux autres. Résultat : trois agents ont dû être conduits aux urgences. On vient d’apprendre que cet été, faute de médecins, l’établissement va devoir fermer l’un de ses services, quelques semaines après avoir fermé temporairement vingt-huit lits dans trois unités.
Les équipes ne cessent d’alerter les autorités, en vain, sur cette situation, qui porte atteinte à leur sécurité et à celle des patients. Ce personnel, déjà sous tension, n’a pas à travailler dans la peur.
Aussi, madame la ministre, je souhaiterais connaître la stratégie du Gouvernement pour répondre aux besoins urgents de la psychiatrie publique, en particulier dans le Calvados et plus précisément à l’EPSM de Caen.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Madame la sénatrice, la stratégie d’ensemble pour la santé mentale, qui est une priorité de notre action, est déployée depuis 2018. En 2026, elle aura mobilisé 3,3 milliards d’euros et aura entraîné des réformes et des actions importantes pour la prévention, le parcours de soins et l’inclusion sociale.
La psychiatrie a toute sa place au cœur de cette stratégie. Mais nous n’ignorons rien de la crise qu’elle traverse, qui est multifactorielle. Aujourd’hui, la question est non pas celle des moyens et des financements, mais celle de la capacité à trouver le personnel médical et paramédical nécessaire. En effet, si la démographie médicale est aujourd’hui globalement défavorable, celle de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie l’est encore plus.
Aussi, pour rénover l’attractivité de cette filière et afin que les futurs médecins soient toujours plus nombreux à la rejoindre, des mesures structurantes à moyen et à long termes ont été engagées : suppression du numerus clausus ; passage de quatre ans à cinq ans du diplôme d’études spécialisées (DES) de psychiatrie ; augmentation du nombre de postes de chefs de clinique et de personnels hospitalo-universitaires titulaires en pédopsychiatrie ; renforcement et valorisation de la recherche et de la formation ; recrutement d’infirmiers en pratique avancée en psychiatrie…
Dans l’immédiat, nous nous attachons à optimiser les organisations et les ressources humaines par des réformes structurantes du financement et des autorisations en psychiatrie, par le déploiement de projets territoriaux de santé mentale (PTSM), par la généralisation des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), par l’appui de psychologues volontaires et conventionnés du dispositif « Mon Psy ».
Nous renforçons ainsi l’articulation entre les premières lignes généralistes et l’offre spécialisée, entre l’offre publique et l’offre privée. Nous encourageons la délégation de tâches et nous développons les politiques de prévention de la souffrance psychique et des crises, ce qui contribue à protéger l’hôpital et les services d’urgence.
Le sujet de la sécurité des soignants, que vous avez mentionné, est un autre enjeu qu’il ne faut pas mélanger avec celui que je viens d’évoquer. Ce sont deux questions distinctes. Le ministre François Braun travaille bien sûr pour sécuriser les urgences.
Mme le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour la réplique.
Mme Corinne Féret. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, mais je veux insister sur le fait qu’il y a urgence à agir, aussi bien pour les agents hospitaliers et les patients déjà pris en charge que pour les personnes qui devraient l’être.
désaffection de la filière pharmacie par les étudiants de santé
Mme le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, auteure de la question n° 636, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Mme Véronique Guillotin. Madame la ministre, la filière pharmaceutique est un maillon essentiel de notre système de santé et de la bonne prise en charge des patients.
Pourtant, alors que certaines pharmacies doivent fermer faute de repreneur et que le nombre de postes non pourvus dans l’industrie pharmaceutique est estimé à 10 000, 1 100 places ont été perdues en deuxième année de cursus au cours de l’année 2022-2023. Ainsi, 1 100 étudiants n’ont pas souhaité poursuivre leurs études à l’issue de la première année !
Taux plus éloquent encore, moins de 50 % des places offertes ont été pourvues dans les facultés de Caen, Bordeaux, Poitiers et Reims, qui ne sont pas les moins attractives ! Ces étudiants non formés sont autant de pharmaciens qui ne pourront être déployés dans nos territoires.
Ce phénomène est dû à deux réalités. D’une part, du fait de la montée en compétences du métier, son attractivité doit probablement être repensée. D’autre part, la complexité de la réforme de l’entrée dans les études de santé, qui est pointée du doigt par toutes les parties prenantes, est considérée comme l’une des causes de nombre de désistements.
En effet, sous l’effet conjugué du manque de médecins, d’une évolution des pratiques et de la pandémie de covid-19, de nouvelles missions de santé publique ont été confiées aux pharmaciens – c’est bien –, telles que certains dépistages et vaccinations, sans toutefois les accompagner d’une revalorisation à la hauteur – c’est moins bien.
De même, la réforme des parcours accès santé spécifique (Pass) et des licences accès santé (LAS), l’absence du cursus sur Parcoursup et le manque d’informations sur l’éventail des métiers de la pharmacie sont des freins qui ne permettent pas de remplir les filières. Bien souvent, ces complexités conduisent d’ailleurs les candidats les plus motivés à se tourner vers des facultés étrangères, plus simples d’accès.
Madame la ministre, je souhaiterais donc savoir si des ajustements sont envisagés pour améliorer l’attractivité de cette formation et de cette filière, qui est indispensable à notre système de santé et à nos territoires.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Madame la sénatrice, le métier de pharmacien est indispensable : les 21 000 officines du réseau des pharmacies sont des lieux privilégiés d’accès à la santé sur les territoires.
Le métier de pharmacien est un métier d’avenir, avec de nouveaux enjeux et de nouvelles perspectives. Nous avons par exemple élargi les compétences des pharmaciens en matière de vaccination – leur rôle dans les récentes campagnes a été crucial – et de prévention. Ils ont également un rôle clé à jouer en matière de numérisation et de transition écologique du système de santé.
Il est crucial que le métier de pharmacien continue de susciter des vocations. Le ministère de la santé a agi, en lien avec le ministère de l’enseignement supérieur : amélioration de la visibilité de l’offre de formation sur Parcoursup ; amélioration du module de découverte des métiers de la santé ; réforme du troisième cycle de pharmacie, très attendue par la communauté étudiante. Le ministre de la santé et de la prévention, François Braun, a également annoncé la création de deux diplômes d’études spécialisées (DES) courts, l’un pour l’officine, l’autre pour l’industrie.
Afin d’améliorer l’attractivité du métier de pharmacien d’officine, l’indemnité du stage de neuf mois que nous proposerons aux étudiants en DES court de pharmacien d’officine sera significativement revalorisée.
De plus, afin de favoriser ces stages en dehors des centres-villes et dans les zones rurales et de soutenir ainsi le maillage territorial des pharmacies, nous souhaitons créer une indemnité de déplacement pour les étudiants de troisième cycle.
Cette réforme contribue à l’attractivité de la formation en pharmacie, en renforçant le cursus – pour prendre notamment en compte les nouvelles réalités de l’exercice de la profession – et en confirmant l’excellence des parcours.
Enfin, afin de diminuer le nombre de places non pourvues, un décret permet désormais de reporter, au sein d’une même région, les places non pourvues dans une université vers une ou plusieurs autres.
Mme le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour la réplique.
Mme Véronique Guillotin. Nous devons trouver des solutions, en nous inspirant notamment de ce qui se fait pour les médecins. On parle beaucoup du maillage territorial des pharmacies, mais la désertification progresse là aussi.
situation des infirmiers libéraux
Mme le président. La parole est à M. Alain Marc, auteur de la question n° 659, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
M. Alain Marc. Les infirmiers sont des professionnels de proximité dont l’activité est caractérisée par le soin technique et le soin relationnel, nécessaires à la prise en charge du patient.
Présents sept jours sur sept, 365 jours par an, au chevet des patients sur l’ensemble du territoire, les infirmiers libéraux pallient le déficit d’offre de soins dans les territoires sous-dotés. Mais leurs missions et leur travail sont insuffisamment reconnus, alors que ces professionnels sont l’un des maillons essentiels de la continuité des soins. Ils répondent aux besoins des patients dans des conditions qui se dégradent peu à peu.
Malgré les crises et les pandémies, ces soignants de première ligne n’ont bénéficié ni de la prime covid ni de celle du Ségur de la santé.
À l’exception de l’augmentation exceptionnelle de 4 centimes de l’indemnité forfaitaire de déplacement, qui a pris fin le 31 décembre dernier, leurs indemnités kilométriques n’ont pas été revalorisées en dépit de la flambée des prix du carburant.
Enfin, la forfaitisation des soins infirmiers pour les personnes dépendantes pose un réel problème de prise en charge.
Madame la ministre, le Gouvernement envisage-t-il de revaloriser les lettres clés de la nomenclature des actes infirmiers – inchangées depuis 2012 – et d’instaurer une compensation pérenne de la hausse des prix du carburant ?
Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il mettre en œuvre afin d’améliorer rapidement la situation des infirmiers libéraux en revalorisant le travail de ces femmes et de ces hommes qui œuvrent inlassablement pour la santé des concitoyens ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Monsieur le sénateur, la profession d’infirmier libéral, première profession de santé libérale en France métropolitaine, est absolument indispensable sur tous nos territoires pour le maintien des personnes âgées et des personnes handicapées à domicile, ainsi que pour tous les soins courants. Nous accordons donc une importance toute particulière à leurs tarifs et à leur rémunération.
Le ministre de la santé et de la prévention, François Braun, a souhaité que les partenaires conventionnels ouvrent des négociations rapides et ciblées sur la revalorisation des actes du quotidien. Il a demandé au directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie d’engager ces discussions.
À la suite d’échanges fructueux ces dernières semaines, un accord a été signé le 16 juin dernier. Il acte d’importantes revalorisations au bénéfice des infirmiers et infirmières libéraux qui interviennent au domicile de leurs patients : augmentation de 10 % de l’indemnité forfaitaire de déplacement ; généralisation, à partir d’octobre 2023, du bilan de soins infirmiers (BSI) pour les patients dépendants de moins de 85 ans et suivis par l’infirmier à domicile. Il s’agit de la dernière étape du déploiement du fameux BSI : cette réforme majeure reconnaît le rôle essentiel des infirmiers libéraux dans la prise en charge des patients dépendants.
Nous améliorons également la reconnaissance de leurs compétences et de leur expertise : pérennisation de la permanence des soins infirmiers grâce à la loi du 19 mai 2023 portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite loi Rist 2, qui permet l’évaluation à domicile des patients qui contactent le centre 15 ; nouveau champ d’exercice autonome, de manière coordonnée, pour la prise en charge de plaies ; droit de prescription et d’administration de l’ensemble des vaccins grâce à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 ; expérimentation de la réalisation des certificats de décès ; statut d’infirmier référent prévu dans la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels du député Frédéric Valletoux ; etc.
Vous le voyez, grâce à notre action, les infirmiers seront mieux reconnus dans leur action au quotidien auprès des personnes dont l’état exige des soins.
Mme le président. La parole est à M. Alain Marc, pour la réplique.
M. Alain Marc. Ces personnels ont besoin d’être mieux reconnus. Avec 5 habitants au kilomètre carré, certains de nos territoires sont particulièrement peu denses… Heureusement que les infirmiers libéraux sont là pour soigner les gens dans les maisons ! C’est un enjeu d’aménagement du territoire et d’égalité dans l’accès aux soins.
refus de greffe de patients non vaccinés contre le covid-19
Mme le président. La parole est à Mme Sylviane Noël, auteure de la question n° 723, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Mme Sylviane Noël. Madame la ministre, alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré la fin de l’épidémie de covid-19 en tant qu’urgence de santé publique internationale, différents hôpitaux en France persistent dans une pratique gravement discriminante : dans la liste d’attente nationale des greffes, ils placent les personnes non vaccinées contre la covid-19 en contre-indication temporaire, ce qui de facto les exclut de la liste et empêche toute transplantation.
C’est ainsi qu’au mois d’octobre 2022 le centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon a invoqué une contre-indication médicale temporaire, en se fondant sur une recommandation nationale de la société francophone de transplantation qui préconise de ne pas transplanter les patients non vaccinés contre la covid-19, lorsque le taux d’incidence départementale de cette maladie est supérieur à 50 pour 100 000 habitants.
Au mois de février 2023, le CHU a réitéré son refus, invoquant des risques d’infection sévère au coronavirus, voire de décès à la suite de la perte du greffon.
Depuis, le CHU a changé d’avis et levé la contre-indication temporaire à la greffe de la personne concernée du fait de sa non-vaccination contre la covid-19. Il a toutefois demandé à la personne de signer un document dans lequel elle reconnaît les dangers de ne pas être vaccinée et qui dédouane l’hôpital en cas de complication…
Dès lors, le tribunal administratif de Dijon ne peut plus établir de jurisprudence pour d’autres patients ou centres hospitaliers, alors même que cette situation dramatique concerne de nombreuses personnes en attente de greffe non vaccinées contre la covid-19.
L’Agence de la biomédecine – garante de l’accès égal à la greffe d’organes sur tout le territoire – assure pourtant que la vaccination contre la covid-19 n’est pas obligatoire pour les personnes en attente de greffe.
Le Gouvernement le confirme-t-il ? Tous les Français doivent être égaux dans la répartition des organes prélevés en vue d’une greffe.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Madame la sénatrice, au cours de la crise sanitaire, toutes les recommandations de l’Agence de la biomédecine (ABM) – placée sous la tutelle du ministère de la santé – à destination des équipes hospitalières de prélèvement et de greffe ont porté sur la conduite à tenir en cas de symptomatologie covid positive du donneur.
Concernant les receveurs en attente de greffe, l’Agence, qui met tout en œuvre pour que chaque malade reçoive les soins nécessaires, dans le respect des règles de sécurité sanitaire, d’éthique et d’équité, s’est appuyée et s’appuie encore sur les différents avis actualisés au fur et à mesure des données scientifiques.
S’appuyant ainsi sur les avis du groupe de travail « Sécurité des éléments et produits du corps humain » du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et sur les recommandations des sociétés savantes – notamment de la Société francophone de transplantation et de la Société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation –, l’Agence de la biomédecine n’a jamais considéré le schéma vaccinal complet comme un prérequis obligatoire pour accéder à la greffe d’organes.
Concernant la gestion et le suivi des contre-indications temporaires, l’ABM a émis les recommandations suivantes le 2 mars 2021 : les contre-indications temporaires doivent faire l’objet d’une révision régulière par les équipes de greffe, patient par patient ; l’ABM doit être informée des suspensions d’activité provisoires de prélèvement et de greffe. L’expertise de l’ABM en fait l’autorité de référence sur les aspects médicaux, scientifiques et éthiques relatifs à ces questions.
Dans le cas du CHU de Dijon, l’Agence a réalisé un état des lieux, en lien avec les équipes hospitalières. Elle a conclu qu’aucune disparité dans l’accès à la greffe, imputable à une potentielle gestion erratique de la liste d’attente par les équipes dijonnaises et concernant le motif covid, n’était apparue.
accès des patients atteints de maladies neurodégénératives au traitement par ultrasons focalisés
Mme le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, auteure de la question n° 781, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Mme Catherine Deroche. Ma question concerne l’accès des patients à des solutions thérapeutiques innovantes dans le traitement du tremblement essentiel. Cette maladie, qui touche plus de 300 000 patients en France, se traduit par la survenue d’un tremblement qui empêche le malade de contrôler ses mouvements.
Deux principaux traitements existent : le traitement par voie médicamenteuse, auquel certains patients ne peuvent accéder en raison de contre-indications médicales, d’absence de réponse au traitement ou de rejet du fait du caractère répétitif de la prise du médicament et de ses effets indésirables ; et la stimulation cérébrale profonde, méthode invasive qui consiste à implanter des électrodes dans le cerveau du patient à l’issue de deux interventions chirurgicales.
« Exablate Neuro » est une nouvelle piste de traitement, par ondes ultrasonores, sans incision, réalisé en ambulatoire dans la salle d’imagerie par résonance magnétique (IRM). En une seule intervention et sans anesthésie, les patients verraient leurs tremblements diminuer immédiatement et durablement.
Ce traitement innovant qui se développe depuis plusieurs années dans le monde entier devrait prochainement permettre de traiter d’autres maladies neurodégénératives, notamment la maladie de Parkinson. Il n’est pourtant toujours pas accessible en France.
Quelle est votre feuille de route en matière de maladies neurodégénératives dans le cadre du plan Innovation Santé 2030 ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Madame la sénatrice Deroche, les travaux pour établir la nouvelle feuille de route sur les maladies neurodégénératives ont débuté en juin 2021. Ils s’appuient sur le bilan du plan contre les maladies neurodégénératives 2014-2019 et sur la feuille de route 2021-2022.
L’évaluation du plan 2014-2019 par les professeurs Joanette et Grand s’est déroulée de décembre 2019 à mai 2020. Ses auteurs recommandent de poursuivre nos efforts pour faire face aux impacts des maladies neurodégénératives, en particulier de celles qui sont cause de troubles majeurs de la cognition dans le vieillissement. Ils préconisent une approche équilibrée, allant de la prévention aux mesures sociales, en passant par un accès équitable et au juste moment à un diagnostic et à un suivi thérapeutique, en s’appuyant sur les données scientifiques.
La feuille de route 2021-2022 a été élaborée dans le contexte du covid-19, grâce à un dialogue nourri avec le collectif des associations de malades. Elle a été conçue comme une étape intermédiaire, avec l’objectif de cibler les mesures inachevées du plan 2014-2019.
Le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) relatif à l’évaluation des dispositifs spécialisés de prise en charge des personnes atteintes de maladies neurodégénératives, remis en juillet 2022, était également attendu pour enrichir les volets médico-social et sanitaire.
Ces travaux ont permis d’identifier la nécessité de poursuivre les mesures déjà engagées dans le champ des maladies neurodégénératives. Ces projets feront l’objet d’une concertation réunissant l’ensemble des parties prenantes, dès les prochaines semaines.
Le Gouvernement a également souhaité que la nouvelle feuille de route intègre un volet relatif à la recherche.
Le traitement du tremblement essentiel par ondes ultrasonores est en effet prometteur. Mais il est encore à l’étude et des incertitudes quant à la durée de son efficacité demeurent. Nous sommes très attentifs à ce procédé qui est en cours de développement en France dans des services hautement spécialisés.
Mme le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.
Mme Catherine Deroche. Certains pays sont plus rapides que nous pour mettre les innovations thérapeutiques à la disposition de leurs patients. Nous l’avons bien vu lors de la table ronde sur la prise en charge de la douleur organisée par la commission des affaires sociales la semaine dernière et qui a permis d’évoquer les innovations en cancérologie. Nous restons trop focalisés sur le médicament : voyez la crise des opioïdes aux États-Unis !
Nous devons accélérer le déploiement de ces nouveaux traitements, car nos patients sont défavorisés par rapport à ceux d’autres pays.
fermeture de la maternité de sedan et aggravation des déserts obstétricaux dans les ardennes
Mme le président. La parole est à Mme Else Joseph, auteure de la question n° 499, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Mme Else Joseph. Les mois passent et l’inquiétude sur l’offre de soins dans les Ardennes demeure. Telle sœur Anne, je ne vois rien venir, malgré les mots doux et les vagues promesses.
Le sort de la maternité de Sedan reste incertain et fait craindre une aggravation de la fracture obstétricale dans mon département. Sa fermeture accroîtrait démesurément la distance entre le domicile des femmes et leur lieu d’accouchement, car nous sommes dans un département rural. Une seule maternité, c’est insuffisant pour les Ardennes ! Quel message envoie-t-on aux femmes ?
Il y a deux mois, ici même, le ministre de la santé a annoncé des solutions pour chaque territoire, en organisant un parcours de soins pour chaque patiente, mais aussi en développant des solutions innovantes comme les centres périnataux de proximité, à l’instar de ce qui a été mis en place dans certaines villes.
Des initiatives ont été prises dans mon territoire, notamment par l’hôpital Nord-Ardennes, pour Charleville-Mézières et toute la vallée de la Meuse. Je pense notamment à l’expérimentation, qui a débuté il y a quelques semaines, d’équipes mobiles d’auxiliaires de puériculture qui se déplacent à domicile : ça fonctionne ! Mais comment en pérenniser le fonctionnement, notamment le financement de quatre véhicules ?
Madame la ministre, nous avons besoin de visibilité. Certes, le Gouvernement nous a rassurés en affirmant que le rapport de l’Académie de médecine qui prône la fermeture des maternités réalisant moins de 1 000 accouchements annuels ne l’engageait pas, mais nous sommes inquiets pour l’avenir de la maternité de Sedan.
On ne peut ainsi sacrifier la santé des femmes et de leurs enfants. Elle n’a pas de prix, mais elle a un coût. Nous devons agir. Quelles solutions nous proposez-vous ? Comment les financer sans grever davantage le budget déjà contraint des agences régionales de santé (ARS) ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Madame la sénatrice, le ministre de la santé, François Braun, l’a réaffirmé : nous n’avons aucun objectif de fermeture ni d’établissement de santé ni de service.
Depuis plusieurs mois, l’ARS Grand Est suit avec attention la situation de la maternité de Sedan, dans un contexte marqué par une extrême fragilité des équipes médicales et en particulier de l’anesthésie-réanimation – les deux praticiens assurant cette activité ont annoncé leur départ dès 2022. Il s’agit donc plus d’une question de moyens humains que de moyens financiers.
Les professionnels du centre hospitalier intercommunal Nord-Ardennes, les élus du territoire et l’ARS ont beaucoup échangé depuis septembre 2022, dans l’objectif de sécuriser la prise en charge des parturientes et de renforcer l’offre de santé territoriale proposée aux femmes et aux enfants.
Au-delà de notre action pour renforcer l’attractivité des carrières hospitalières au niveau national et de l’action de l’ARS sur l’attractivité du territoire, des actions de communication conjointes entre les collectivités territoriales et l’hôpital ont été menées durant le premier semestre 2023.
Malgré ces actions fortes, en l’absence de candidat au poste de médecin anesthésiste, l’impératif de sécurité a conduit l’ARS à suspendre temporairement les accouchements sur le site de Sedan. Sans anesthésiste, pas d’accouchement possible.
Des mesures ont été prises et des solutions alternatives mobilisées pour que personne ne soit sans solution. Ces mesures sont en cours de mise en œuvre par les équipes hospitalières, pour une approche coordonnée de l’ensemble des acteurs du territoire sedanais autour de la femme et de l’enfant dans une logique d’« aller vers ». Bien sûr, nous poursuivrons ce travail pour améliorer la prise en charge des femmes, des parturientes et des enfants dans votre département, notamment à Sedan.
Mme le président. La parole est à Mme Else Joseph, pour la réplique.
Mme Else Joseph. Je sais tout cela : il y a en effet un problème humain. Un gros travail a été fait avec les élus locaux. Je vous demande de soutenir les initiatives prises dans nos territoires, pour rassurer les acteurs et pérenniser ces nouvelles mesures. Nos territoires ruraux l’attendent.
difficultés rencontrées dans les établissements scolaires pour l’accueil des enfants en situation de handicap
Mme le président. La parole est à Mme Amel Gacquerre, auteure de la question n° 761, transmise à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Mme Amel Gacquerre. Le 23 novembre 2020, un arrêt du Conseil d’État a conduit l’État à se désengager de la rémunération des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), lorsque ces derniers interviennent sur les temps de pause méridienne ou à l’occasion des activités périscolaires mises en place par les collectivités territoriales.
Cela est incompréhensible : le recrutement et la rémunération des AESH devraient relever de la seule responsabilité de l’État, garant de l’inclusion et de la continuité de la prise en charge des enfants en situation de handicap.
Dans un rapport du 25 août 2022, la Défenseure des droits a souligné le manque de moyens humains et budgétaires consacrés à l’accompagnement de ces enfants.
Les collectivités se retrouvent contraintes de supporter seules les frais d’intervention des AESH sur le temps périscolaire ; c’est insoutenable dans un contexte de baisse des recettes et d’explosion des dépenses, notamment énergétiques.
Dans le Pas-de-Calais, comme dans la plupart des départements, de nombreuses communes sont confrontées à un manque d’AESH dans les écoles, lié à des difficultés budgétaires, mais également de recrutement dans un métier essentiel et riche, mais difficile et peu reconnu.
À quelques semaines de la prochaine rentrée scolaire, de nombreux maires et parents d’élèves en situation de handicap, inquiets, m’interpellent.
Madame la ministre, afin de garantir le droit fondamental à l’éducation pour tous les enfants, quel que soit leur handicap, quels moyens humains et budgétaires l’État compte-t-il déployer pour faire de l’école inclusive une réalité ?
Avez-vous l’intention de faire évoluer rapidement le cadre légal de l’intervention des AESH lors des temps périscolaires en revenant notamment sur le désengagement de l’État dans leur rémunération ? Cela soulagerait la pression financière qui pèse sur les collectivités.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Madame la sénatrice, le Conseil d’État a simplement rappelé que les temps périscolaires relevaient de la compétence des collectivités territoriales. Dans le cadre de la Conférence nationale du handicap, nous envisageons de renforcer notre aide aux communes, via les Caisses d’allocations familiales (CAF), pour la prise en charge des enfants en situation de handicap pendant le temps périscolaire.
Le budget de l’école inclusive s’établit à 3,8 milliards d’euros en 2023, en hausse depuis plusieurs années. À la rentrée prochaine, 4 000 AESH supplémentaires seront recrutés.
Au-delà de tout ce qui a déjà été fait pour améliorer leur situation, nous avons récemment pris trois mesures importantes.
La première, dans la loi de finances pour 2023, prévoit 10 % d’augmentation salariale nette pour tous les AESH dès le 1er septembre 2023, soit 80 millions d’euros en 2023 et 240 millions d’euros en année pleine.
Cette revalorisation s’ajoutera à l’extension aux AESH et aux assistants d’éducation (AED), depuis janvier, de la prime des réseaux d’éducation prioritaire (REP) et REP+.
Enfin, une fois la proposition de loi visant à lutter contre la précarité des accompagnants d’élèves en situation de handicap et des assistants d’éducation de la députée Michèle Victory définitivement adoptée, les AESH pourront bénéficier d’un CDI après trois ans de CDD – et non plus six ans.
Nous irons encore plus loin avec l’acte II de l’école pour tous, car la lutte contre la précarité de ces personnels passe par l’accès à un temps complet pour ceux qui le souhaitent.
Enfin, pour assurer la continuité de la prise en charge des élèves en situation de handicap, nous proposons aux AESH d’accompagner, pour le compte des collectivités territoriales, des élèves en situation de handicap sur le temps périscolaire : afin de faciliter cette organisation, une convention permettra que l’État soit l’employeur unique.
Nous souhaitons en outre proposer aux AESH qui le souhaitent des missions contribuant à la réussite éducative de tous les élèves.
Vous le voyez, nous prenons très au sérieux le rôle des AESH.
assujettissement à la tva au taux de 20 % des orthèses dentaires et prothèses orthodontiques
Mme le président. La parole est à M. Michel Canévet, auteur de la question n° 592, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. Michel Canévet. Le Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) du 8 février 2023 a modifié les règles d’assujettissement à la TVA, en prévoyant d’imposer au taux de 20 % les orthèses dentaires et les prothèses orthodontiques, alors que jusqu’à présent les prothésistes dentaires n’étaient pas assujettis à la TVA pour l’intégralité de leur activité.
Vous imaginez bien tous les problèmes que cela crée ! Il va falloir adapter l’organisation des cabinets de prothésistes dentaires : masques de factures, logiciels, etc. Les éditeurs de logiciels demandent des délais.
Des marchés publics, en cours, vont devoir être revus pour tenir compte de la modification des tarifs, ce qui nécessitera aussi des délais. Les professionnels devront également être formés, informés et sensibilisés.
Le Gouvernement peut-il nous rassurer sur le fait que cette disposition ne sera pas rétroactive ? Nous demandons en outre un délai dans l’application de cette disposition, afin de donner aux acteurs le temps de s’adapter.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Monsieur le sénateur, la législation en vigueur exonère de TVA les fournitures de prothèses dentaires par les dentistes et les prothésistes, conformément à la transposition de la directive relative au système commun de TVA.
La notion de prothèse dentaire fait l’objet d’une définition précise : il s’agit d’une pièce ou d’un appareil qui remplace un organe ou un membre, en totalité ou en partie, en reproduisant ses formes et en remplissant si possible les mêmes fonctions.
Elle se distingue donc de l’orthèse, qui est une pièce ou un appareil destiné à prévenir ou à corriger une déformation ou à suppléer les défaillances du membre ou de l’organe en cause.
Cette définition figure, depuis 2012, au Bulletin officiel des finances publiques, qui fait foi pour l’application par l’administration fiscale des taux réduits de TVA aux appareillages et équipements spéciaux pour les personnes handicapées.
L’exonération de TVA n’est donc, aux termes de la loi, pas applicable aux orthèses. Cette exclusion n’est pas nouvelle : le comité de la TVA l’a rappelée dès 2015, en précisant que l’expression « prothèses dentaires » ne comprend ni la fourniture de dispositifs dentaires tels que les appareils orthodontiques et les gouttières dentaires ni celle des matériaux qui servent à fabriquer des prothèses dentaires.
Dans ces conditions, la TVA applicable aux orthèses dentaires n’a pas évolué : son exclusion a été explicitement rappelée au Bofip le 8 février dernier, à la demande de la profession en lien avec les services de Bercy.
Notre cadre juridique prémunit les contribuables contre un changement de la norme fiscale. C’est ainsi que les entreprises qui ont bénéficié d’un rescrit confirmant à tort l’application du taux réduit à des orthèses dentaires bénéficieront de la garantie fiscale, tout comme les entreprises qui ont subi un contrôle fiscal dont les conclusions ont considéré que leur pratique était conforme à la loi. De tels rescrits ou garanties demeureront invocables tant que l’administration ne les aura pas rapportés. Il est important que les professionnels soient ainsi protégés.
Mme le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour la réplique.
M. Michel Canévet. Je remercie Mme la ministre pour ces précisions : la profession doit savoir à quoi s’en tenir. Il faut octroyer des délais dans l’application de cette taxation, comme cela a été le cas dans d’autres professions. Il ne faudrait pas que ces professionnels libéraux de santé, qui concourent à la santé de l’ensemble de nos concitoyens, soient mis en difficulté par cette imposition. Ils acceptent de payer, mais il faut leur laisser du temps.
avenir de l’entreprise valdunes
Mme le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, auteure de la question n° 749, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Mme Michelle Gréaume. Dernière entreprise française à fabriquer des roues et des essieux pour le ferroviaire et le matériel roulant, l’entreprise Valdunes est menacée de fermeture à la suite du désengagement de son unique actionnaire, le chinois MA Steel.
Quelque 368 salariés au savoir-faire reconnu – comme a pu le constater votre collègue Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie, lors de sa venue sur place – sont menacés de licenciement sur les deux sites nordistes de Trith-Saint-Léger et de Leffrinckoucke.
Or la suppression d’un emploi industriel entraîne la perte de trois emplois induits ; on mesure dès lors l’ampleur des conséquences que cela emporterait, aux plans humain et industriel, dans des territoires déjà fortement touchés par le chômage et la précarité. Rappelons que les salariés de Valdunes sont les seuls en France à produire les roues, axes et essieux dans un secteur d’activité clé : le ferroviaire et les transports publics.
La mobilisation des salariés, des élus et de la population a déjà fait bouger les lignes. L’activité devrait ainsi être maintenue jusqu’à la fin de cette année, laissant du temps pour trouver un repreneur et sauver les sites.
Pour autant, madame la ministre, le vrai sujet est la définition d’un projet industriel.
Les difficultés de Valdunes ne sont en effet pas nouvelles : elles résultent à la fois des délocalisations de productions, mises en œuvre par l’ancien actionnaire chinois qui a délaissé les sites français après avoir fait main basse sur la technologie et les brevets, et du choix de la SNCF, de la RATP et d’Alstom de faire fabriquer roues et essieux à l’étranger.
Le retrait de MA Steel offre l’opportunité de changer d’orientation et de reprendre la main sur cet outil stratégique pour notre indépendance industrielle et la transition écologique.
La reconquête des marchés de la SNCF, de la RATP et d’Alstom, des entreprises publiques ou bénéficiant très largement de fonds publics, est une priorité. L’État doit agir et faire pression, comme il s’y est engagé verbalement lors de la rencontre avec la délégation de représentants du personnel de Valdunes.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Madame la sénatrice, les services de l’État, comme vous l’avez mentionné, sont activement engagés auprès de l’entreprise Valdunes, en particulier depuis l’annonce du retrait de son actionnaire, le 5 mai 2023.
Dans un premier temps, leurs efforts se sont concentrés sur la sécurisation des conditions contractuelles et opérationnelles, afin de garantir la continuité de l’activité de l’entreprise tout au long de l’année. Un accord a été trouvé avec son actionnaire et principal fournisseur, ce qui a permis une reprise de l’activité.
Ce travail a donné à l’équipe dirigeante le temps nécessaire pour rechercher un repreneur qualifié dans les meilleures conditions possible. Un cabinet a en outre été mandaté par l’État pour l’accompagner dans cet objectif.
Il est clair que Valdunes est confrontée à de multiples enjeux qui nécessitent l’intervention d’un industriel disposant non seulement d’un capital financier, mais également de l’expertise technique et de l’assise commerciale permettant la restructuration de l’entreprise.
C’est pour cette raison que l’État et les services des collectivités territoriales concernées travaillent à la recherche d’un ou plusieurs repreneurs et s’efforcent de lever les obstacles administratifs ou opérationnels à l’émergence d’une solution durable pour l’actif industriel de Valdunes, son savoir-faire et ses employés.
Vous pouvez compter sur le suivi et la mobilisation du ministre délégué chargé de l’industrie, Roland Lescure, dans ce dossier qu’il connaît particulièrement bien.
dysfonctionnements de la poste en guyane
Mme le président. La parole est à M. Georges Patient, auteur de la question n° 779, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. Georges Patient. Madame la ministre, ma question porte sur les dysfonctionnements récurrents du service de distribution du courrier en Guyane.
Les retards de courrier et les envois non distribués emportent des conséquences préjudiciables, notamment lorsqu’il s’agit de courriers officiels ou de factures. Toutes les communes de Guyane subissent les effets négatifs de ce manquement à une mission de service public dont le groupe La Poste a la responsabilité.
Dans le contrat d’entreprise qui le lie à l’État, le groupe La Poste s’engage, dans le cadre du service universel postal – première des quatre missions qui lui sont dévolues –, à offrir des services postaux d’une certaine qualité, fournis de manière permanente en tout point du territoire et à des prix abordables pour tous les utilisateurs.
Cela implique notamment une levée et une distribution du courrier six jours sur sept sur l’ensemble du territoire national – j’y insiste ! –, incluant des envois de correspondance jusqu’à deux kilos et des colis postaux jusqu’à vingt kilos. Ces obligations sont la garantie d’un service postal de qualité.
Pourtant, la situation est loin de correspondre à ces standards en Guyane. Celle-ci ne ferait-elle pas partie du territoire national pour le groupe La Poste ? On est amenés à se poser la question.
Quelles que soient les raisons invoquées – abandon du timbre rouge, basculement du courrier physique vers le courrier électronique –, le groupe La Poste doit respecter ses obligations contractuelles, y compris dans les communes les plus isolées du territoire guyanais.
Madame la ministre, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour le contraire à le faire ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Monsieur le sénateur, la loi du 9 février 2010 relative à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales a confié à La Poste quatre missions de services publics, dont celle du service universel postal.
Cette même loi dispose que le ministre chargé des postes fixe les objectifs de qualité des prestations relevant du service universel postal et que l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) veille à leur respect.
Le Gouvernement, convaincu du caractère essentiel de ces services postaux pour nos concitoyens, demeure très vigilant quant à la bonne exécution par La Poste de ces missions.
À cet égard, le nouveau contrat d’entreprise avec l’État, qui couvre la période 2023-2027, impose à La Poste des exigences renforcées en termes de qualité de service par rapport au précédent.
En Guyane, comme en tout point du territoire, les mesures de contrôle de la qualité de l’acheminement du courrier intradépartemental sont effectuées régulièrement par un organisme indépendant. D’après les dernières études, 90 % des envois intradépartementaux sont distribués dans un délai de deux à trois jours, et ce taux atteint 94 % pour les lettres recommandées.
Pour autant, la qualité parfois insuffisante de l’adressage dans certaines communes de Guyane complique la distribution effective : certains territoires ne disposent pas de dénominations de voies, de numérotations exhaustives des domiciles ou encore de boîtes aux lettres identifiées au nom des résidents. Ces défauts rendent la distribution et la remise en main propre plus difficiles.
L’adressage relevant de la compétence exclusive des communes, plusieurs réunions ont été organisées avec les responsables locaux et La Poste de Guyane pour pallier les difficultés rencontrées.
En outre, les conditions de transport depuis l’Hexagone influent aussi sur la distribution : les flux destinés à la Guyane ne peuvent être embarqués que trois fois par semaine, le lundi, le mercredi et le vendredi, ce qui peut allonger le délai d’acheminement depuis la métropole.
Malgré ces défis, nous faisons de la qualité de la couverture postale une priorité.
dépenses éligibles au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée
Mme le président. La parole est à M. Olivier Rietmann, auteur de la question n° 614, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Olivier Rietmann. Madame la ministre, ma question concerne la réintégration de certains comptes dans les dépenses éligibles au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA).
L’arrêté du 30 décembre 2020 a défini une nouvelle liste de comptes éligibles, l’automatisation du traitement du FCTVA emporte donc un changement significatif. Désormais, ce n’est plus la nature de la dépense qui définit son éligibilité, mais son imputation comptable.
Les opérations d’ordre et certains comptes d’investissement, comme les terrains, les agencements et aménagements de terrains ou encore les immeubles de rapport, ont été retirés de l’assiette de l’éligibilité.
Par ailleurs, les subventions attribuées, dont la base est calculée sur le montant hors taxes, sont inscrites en recettes d’ordre. Désormais, elles sont, semble-t-il, exclues mécaniquement de l’assiette éligible au FCTVA, alors même que les textes prévoient leur intégration et qu’elles sont attribuées avec des montants hors taxes.
Par cette réforme, les principaux leviers d’investissement qui accompagnaient les communes ont été retirés du FCTVA, alors même que c’était là l’objet principal du dispositif.
Se pose également le problème majeur des communes ayant engagé des projets d’investissement en comptant sur le bénéfice du FCTVA. Leur modèle économique se trouvant ainsi grandement fragilisé, le groupe Les Républicains a proposé, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, la réintégration des opérations d’aménagement de terrain dans l’assiette du fonds.
Le Gouvernement a répondu par un avis défavorable, considérant que cette automatisation s’était échelonnée sur les années 2021, 2022 et 2023 et qu’elle s’était achevée à la fin du mois de mars 2023. Il a également indiqué vouloir tirer les conséquences de cette réforme entre mars et juin 2023 – nous y sommes ! – pour tous les niveaux de collectivité. Enfin, il a précisé que cette évaluation permettra d’opérer des choix et de décider des dépenses susceptibles d’être réintégrées ou retraitées.
Madame la ministre, je vous serais reconnaissant de préciser les modalités d’organisation de cette évaluation.
Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Olivier Rietmann. Par ailleurs, vous serait-il possible de préciser s’il sera possible de rectifier par voie réglementaire les situations signalées, plus rapidement que par le biais du prochain projet de loi de finances ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Monsieur le sénateur, la réforme de l’automatisation de la gestion du FCTVA a été introduite par la loi de finances pour 2021, mais n’a rien changé aux grands principes d’éligibilité au fonds.
Pour rendre possible la mise en œuvre d’un traitement automatisé, une assiette a été élaborée sur un périmètre comptable le plus proche possible du périmètre d’éligibilité antérieur.
La définition de ce périmètre d’éligibilité, associée à l’objectif de neutralité budgétaire à l’échelle nationale, a pu entraîner des évolutions de l’assiette éligible. Pour les limiter, des ajustements du plan de comptes ont été nécessaires, afin de se rapprocher du périmètre déclaratif antérieur.
L’automatisation est maintenant effective, après une mise en œuvre progressive depuis 2021, ce qui nous a permis d’établir un bilan provisoire du dispositif, dont les premiers éléments ont été présentés aux associations d’élus la semaine dernière. Le comité des finances locales examinera ce bilan lors de sa prochaine réunion, en juillet.
Cette réforme a permis la dématérialisation de la procédure, supprimant quasiment toutes les charges déclaratives pour les collectivités, ainsi que le non-recours.
De plus, les paiements du FCTVA ont été significativement accélérés. En juin 2023, les versements étaient supérieurs de 1,4 milliard d’euros au montant attribué à la même date lors des années précédentes. L’assiette d’éligibilité a gagné en lisibilité, s’appuyant sur le plan de comptes par nature et des règles comptables connues. Les premières données indiquent que la réforme est restée neutre budgétairement à l’échelle nationale.
Néanmoins, ce premier bilan très positif ne nous interdit pas de réfléchir à la cohérence de l’assiette (M. Olivier Rietmann le confirme.) ni de poursuivre les échanges techniques pour parfaire la prise en main de la réforme par les collectivités. Le travail et les réflexions se poursuivent, mais le premier bilan est assez positif.
impact de l’attribution de compensation sur la dotation globale de fonctionnement à la suite de l’évolution des périmètres des intercommunalités
Mme le président. La parole est à M. Cédric Vial, auteur de la question n° 765, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Cédric Vial. Madame la ministre, ma question concerne l’impact de l’attribution de compensations sur la dotation globale de fonctionnement (DGF) à la suite de l’évolution des périmètres des intercommunalités.
La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République a confié à chaque préfet la responsabilité d’établir un schéma de coopération intercommunale départemental. Ce schéma a conduit à des fusions entre communautés de communes et communautés d’agglomération, dont les périmètres de compétence étaient différents, particulièrement en ce qui concerne les compétences liées aux actions sociales ou scolaires ou encore à la petite enfance.
Devant cette situation, lorsque la nouvelle structure a décidé de ne pas reprendre cette compétence, de nombreuses intercommunalités ont créé des syndicats intercommunaux pour gérer ces compétences à la place des anciens établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
Dans le cadre des équilibres financiers entre les anciens EPCI et la nouvelle intercommunalité, l’attribution de compensation (AC) versée aux communes fondatrices vient contrebalancer les transferts et les « détransferts » de compétences.
En ce qui concerne ces « détransferts », l’AC est versée à l’une des communes fondatrices de l’EPCI, à laquelle il incombe alors de reverser la somme correspondante au syndicat intercommunal qui gère la compétence non transférée à la nouvelle intercommunalité.
Ces flux financiers ont dû être instaurés, car ni les communautés de communes ni les communautés d’agglomération ne peuvent verser une telle somme directement aux syndicats intercommunaux. Cette situation est peu courante, mais elle permet de faire perdurer les services en question dans les territoires concernés.
Toutefois, les conséquences financières pour la commune qui fait office de boîte aux lettres sont significatives : ce flux financier accroît de manière fictive son potentiel financier, ce qui a pour effet de réduire le montant qui lui est attribué au titre de la DGF et de dégrader le taux de subvention qui lui est appliqué.
Aussi, ces communes se demandent quelles évolutions pourraient être mises en œuvre pour résoudre ce problème. Devons-nous permettre aux communautés de communes ou d’agglomération de verser directement l’attribution de compensation relative à ces « détransferts » aux syndicats chargés des compétences concernées ? Devons-nous exclure cette part d’attribution de compensation des recettes prises en compte dans le calcul du potentiel financier pour les communes qui font office de boîte aux lettres ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Monsieur le sénateur, l’évolution de la carte intercommunale, qui a pu conduire à des fusions entre communautés de communes et d’agglomération, a imposé une révision du périmètre des compétences transférées entre communes et EPCI. Dans certains cas, cette évolution a nécessité la création de syndicats intercommunaux pour continuer à exercer les compétences qui n’étaient plus prises en charge par l’EPCI.
Ce type de montage financier a pour effet d’améliorer le potentiel financier des communes bénéficiant de ces attributions de compensation. Ces dernières sont intégrées au potentiel fiscal sous la forme d’un solde, lequel est positif si la commune perçoit une AC supérieure à sa part dans le total des AC de l’EPCI, déterminée au prorata de la population.
À l’inverse, le solde est négatif et diminue si la commune reçoit une attribution de compensation inférieure à sa part dans le total de ces AC.
Les attributions de compensation versées aux communes que vous qualifiez de boîtes aux lettres ne font pas exception à cette règle : ces communes bénéficient d’une prise en charge financière intégrale par l’EPCI à fiscalité propre d’appartenance de l’exercice d’une compétence qui est assurée sur le territoire par le syndicat.
Cette augmentation des attributions de compensation se traduit en retour par une diminution symétrique du potentiel financier des autres communes membres de l’EPCI à fiscalité propre. Cette baisse reflète le fait que ces autres communes financent des compétences exercées par un syndicat sur le territoire d’autres communes.
Néanmoins, les communes et EPCI conservent la faculté de revoir les effets de ce mécanisme, soit en modifiant les attributions de compensation, soit en optant pour une répartition dérogatoire de la DGF au sein de l’EPCI à fiscalité propre.
Mme le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour la réplique.
M. Cédric Vial. Madame la ministre, vous nous réexpliquez la règle, alors qu’il convient de la changer, car elle donne lieu à des injustices : la commune qui assume la compétence concernée paye pour les autres.
potentialités du projet de recherche sur les ressources gazières de lorraine dans les gisements de charbon non exploités
Mme le président. La parole est à Mme Sabine Van Heghe, auteure de la question n° 738, adressée à Mme la ministre de la transition énergétique.
Mme Sabine Van Heghe. Madame la ministre, j’appelle votre attention sur l’étude scientifique portant sur les ressources gazières de Lorraine – Regalor – dans les gisements de charbon non exploités.
Présentés en exclusivité lors des Assises de l’énergie organisées le 31 mars dernier à Liévin par l’Association des communes minières de France, les résultats de cette étude dépassent les espérances initiales et touchent plusieurs domaines énergétiques majeurs.
Parmi ceux-ci, on compte l’exploitation du gaz de charbon, la découverte d’un gisement d’hydrogène natif unique en Europe, les capacités de stockage de CO2, ainsi que les innovations technologiques pour la prospection sur d’autres gisements houillers.
Les enjeux climatiques nous imposent de porter des ambitions fortes, notamment sur les questions énergétiques et sur les émissions de gaz à effet de serre, mais la perspective d’une société décarbonée ne peut s’exonérer des réalités : notre pays consomme chaque année 40 milliards de mètres cubes de gaz.
Les travaux menés par deux chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de Nancy ont confirmé un potentiel important de gaz de charbon, avec une réserve de plus de 60 milliards de mètres cubes, soit l’équivalent de dix-huit mois de consommation nationale.
Cette énergie locale de transition possède une empreinte carbone globale dix fois inférieure au gaz naturel importé, sans même tenir compte de l’augmentation de près de 150 % des importations françaises de gaz naturel liquéfié, une ressource majoritairement issue de l’exploitation de gaz de schiste américain – un procédé interdit en France depuis juillet 2011.
En outre, ces chercheurs du CNRS ont découvert la présence d’un important gisement d’hydrogène natif, source d’énergie d’avenir ; la création de la sonde SysMoG H représente une avancée technique majeure dans le domaine de la prospection de cet hydrogène.
L’attentisme actuel du Gouvernement relève d’un non-sens économique et écologique : une production nationale serait une opportunité que nous ne pouvons ignorer, tant sur le plan de l’indépendance énergétique et des enjeux environnementaux qu’en termes géopolitiques.
Aussi, j’aimerais connaître les ambitions gouvernementales en la matière afin que nous soyons au rendez-vous des défis énergétiques d’aujourd’hui et de demain.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Van Heghe, la société Française de l’énergie (FDE) a sollicité en novembre 2018 l’octroi d’une concession de gaz de charbon pour une durée de vingt ans.
Cette durée est en adéquation avec notre ambition de devenir la première grande nation à sortir des énergies fossiles et coïncide avec la date de fin de l’exploitation des hydrocarbures en 2040, comme prévu par la loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement.
La demande de concession portait sur une superficie de 168 kilomètres carrés située sur le territoire de quarante communes de l’Est mosellan. Cependant, lors de l’examen de sa demande, la FDE n’a pas été en mesure de démontrer sa capacité technique à extraire le gaz de couche contenu dans les veines de charbon. Par conséquent, l’arrêté rejetant la demande a été signé le 26 avril 2023.
En ce qui concerne l’hydrogène natif, la cartographie des zones concernées en France reste entièrement à réaliser ; le potentiel des ressources et leur caractère exploitable sont inconnus. La direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) instruit actuellement six demandes de permis d’exploration en France, dont une concerne le bassin lorrain.
Pour ce dernier, les estimations qui font état d’une teneur de 95 % d’hydrogène à 3 000 mètres de profondeur sont purement théoriques : les puits les plus profonds réalisés dans la zone ne descendent qu’à 1 000 mètres.
Si certaines données semblent encourageantes, à ce jour, un seul gisement d’hydrogène natif est exploité dans le monde, et il se trouve au Mali.
Enfin, la capture, le stockage et la réutilisation du carbone font partie des technologies qui peuvent nous permettre d’atteindre la neutralité carbone pour les émissions incompressibles de l’industrie. Cette technologie pose des questions importantes, qui font l’objet d’une consultation de tous les acteurs jusqu’au 29 septembre prochain.
reconversion de la centrale à charbon de cordemais
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Garnier, auteure de la question n° 758, adressée à Mme la ministre de la transition énergétique.
Mme Laurence Garnier. Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention sur le projet de reconversion de la centrale à charbon de Cordemais, en Loire-Atlantique. En 2018, le Gouvernement a annoncé la fermeture des dernières centrales à charbon et, depuis lors, nous assistons à Cordemais à un feuilleton à rebondissements que plus personne ne parvient à suivre.
Depuis 2015, les salariés ont élaboré un projet d’implantation d’une usine de production de granulés noirs, ou black pellet, en partenariat avec EDF et le groupe Suez. Cependant, en 2021, le Gouvernement a annoncé l’abandon du projet et Suez s’est retiré, principalement pour des raisons de rentabilité financière.
En 2022, pourtant, la ministre Barbara Pompili a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour relancer le projet Ecocombust, celui-là même qui avait été abandonné par l’État un an plus tôt… EDF a alors trouvé un nouveau partenaire, l’entreprise Paprec.
Depuis lors, il ne se passe plus rien.
Madame la ministre, l’État va-t-il, tout d’abord, confirmer l’aide publique annoncée à hauteur de 80 millions d’euros pour le projet Ecocombust ?
Ensuite, de manière plus générale, concernant l’avenir de la centrale de Cordemais elle-même, dans une période où les besoins en électricité ne cessent d’augmenter – la centrale a fonctionné à plein régime cet hiver –, pourriez-vous nous éclairer sur la vision et l’ambition du Gouvernement à moyen et long termes pour le site de Cordemais ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Garnier, le Président de la République a fixé à notre pays un objectif clair et ambitieux : devenir le premier grand pays industriel à se libérer de la dépendance aux énergies fossiles et à atteindre la neutralité carbone.
Le projet Ecocombust, lauréat de l’appel à manifestation d’intérêt de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) de février 2022, vise à produire des granulés à partir de déchets de bois sur le site de Cordemais ; ces matériaux permettraient une reconversion partielle de la centrale – 80 % de granulés et 20 % de charbon – jusqu’à son arrêt définitif.
Ce projet bénéficie d’un soutien financier dans le cadre du troisième programme d’investissements d’avenir (PIA 3). Le comité de pilotage interministériel s’est prononcé le 5 avril 2023 en faveur de l’attribution d’une enveloppe maximale de 79 millions d’euros, sous réserve de l’identification de modalités de soutien financier adéquates auprès de la Commission européenne.
Concernant la production d’électricité, la préoccupation majeure du Gouvernement est bien de garantir la sécurité d’approvisionnement des Français, sans renier notre objectif de neutralité carbone d’ici à 2050.
Compte tenu du contexte international et des difficultés rencontrées par le parc nucléaire, nous avions exceptionnellement prolongé l’exploitation des deux centrales à charbon encore en activité l’hiver dernier ; cette prolongation s’est accompagnée d’une obligation de compenser les émissions de gaz à effet de serre supplémentaires à hauteur de 40 euros la tonne.
Aujourd’hui, Réseau de transport d’électricité (RTE) a indiqué que nous nous trouvions dans de meilleures conditions énergétiques pour affronter l’hiver prochain, grâce, notamment, à une disponibilité accrue du parc nucléaire et au niveau plus élevé de nos barrages hydroélectriques.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Garnier, pour la réplique.
Mme Laurence Garnier. Je comprends qu’il est nécessaire de rechercher des subventions européennes en complément du programme d’investissements d’avenir.
Mme Laurence Garnier. Vous me le confirmerez. Il est important que la parole gouvernementale soit claire sur ce dossier : les salariés ont besoin de stabilité et les élus de visibilité pour avancer.
difficultés dans la mise en place des infrastructures de recharge des véhicules électriques
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Richer, auteure de la question n° 757, transmise à Mme la ministre de la transition énergétique.
Mme Marie-Pierre Richer. Madame la ministre, j’appelle votre attention sur les difficultés que rencontrent les collectivités locales pour être livrées en infrastructures de recharge pour véhicules électriques. À ce jour, le département du Cher dispose d’une centaine de ces infrastructures.
Le schéma directeur pour les infrastructures de recharge pour véhicules électriques (IRVE), établi le 4 mai 2023, anticipe une très forte augmentation des besoins des usagers ; le nombre des équipements devrait être multiplié par deux et demi, en ce qui concerne tant la puissance que l’aménagement.
Or les fabricants et les fournisseurs tardent à honorer leurs engagements envers les aménageurs publics, préférant consacrer leurs matériels à la construction de leurs propres réseaux.
Alors que nous encourageons fortement les Français à utiliser la mobilité électrique, il est impératif qu’ils aient accès à des bornes de recharge.
Il est donc indispensable que les collectivités qui œuvrent en ce sens soient livrées en matériel dans les délais fixés, non seulement pour répondre aux nouveaux besoins de leurs usagers, mais aussi pour bénéficier des primes du programme Advenir, lequel impose des délais contraints.
En outre, les infrastructures de recharge pour véhicules électriques ne sont guère rentables dans les territoires ruraux, malgré les subventions actuelles. L’arrêt de celles-ci en décembre dernier et la fin annoncée du programme Advenir pour la modernisation de ces équipements, auxquels s’ajoute la complexité du montage des dossiers, ne correspondent pas aux attentes des aménageurs publics. J’ai ainsi été alertée à ce sujet par le président du syndicat départemental d’énergie du Cher (SDE 18).
Pouvez-vous me préciser les mesures que vous envisagez de prendre dans ce domaine pour soutenir les collectivités territoriales ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Richer, depuis plus d’un an, la filière de la recharge pour véhicules électriques est en effet confrontée à des difficultés d’approvisionnement de certains éléments entrant dans la fabrication des bornes de recharge, notamment certains composants électroniques et électriques.
Ces problématiques sont principalement dues à la reprise qui a suivi la fin du covid-19 et aux répercussions de la guerre en Ukraine sur les marchés internationaux.
En outre, les délais de livraison des postes de transformation nécessaires pour les raccordements au réseau public de distribution supérieurs à 250 kilovoltampères s’allongent également.
Enfin, les constructeurs automobiles affichent des tensions dans les délais de livraison de certains modèles, en particulier les véhicules utilitaires légers (VUL) électriques.
Cependant, malgré ces difficultés, 50 000 nouveaux points de recharge ont pu être déployés depuis le début de l’année 2022 et nous avons franchi le cap des 100 000 points ouverts au public en mai de cette année.
Depuis quelques mois, nous observons une adaptation de l’écosystème, notamment des fabricants de bornes, qui ont accru leur capacité de production pour répondre aux besoins de déploiement futurs.
En ce qui concerne les primes Advenir, mises en œuvre via des certificats d’économies d’énergie, le programme s’est régulièrement adapté aux évolutions des usages et des besoins en matière de recharge. Ainsi, l’arrêt de décembre dernier, que vous mentionnez, ne concerne que les bornes de recharge privées destinées aux flottes d’entreprises et à leurs salariés. Nous priorisons l’accompagnement des bornes ouvertes au public, comme celles que mettent en place les collectivités ou les syndicats d’énergie dans les territoires, à la suite de l’adoption de leur schéma directeur IRVE.
Le Gouvernement va poursuivre son action pour maintenir un rythme soutenu de déploiement des bornes de recharge.
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Richer, pour la réplique.
Mme Marie-Pierre Richer. J’ai bien entendu votre réponse, madame la ministre.
Je forme le vœu que les collectivités territoriales continuent à être accompagnées, car elles ont été les premières à mettre en place des bornes de recharge électrique dans nos territoires ruraux. La mobilité y représente un enjeu essentiel et constitue, pour beaucoup de nos concitoyens, un obstacle à surmonter.
rationalisation des postes au sein des maisons france services
Mme le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, auteur de la question n° 747, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Mme Frédérique Puissat. Madame la ministre, le cofinancement collectivités-État est devenu légion dans nombre de territoires – je pense notamment aux maisons France Services, aux services délivrant des cartes nationales d’identité ou encore, bien que la portée en soit un peu différente, aux agences communales postales.
Si ces cofinancements permettent d’assurer le maillage de bien des territoires, cela ne doit pas nous dispenser de nous efforcer d’améliorer leur efficience, et partant, celle des services apportés aux populations.
Il est désormais possible – c’est une avancée récente dont je me félicite – d’installer dans les mêmes murs, sous réserve d’une maîtrise d’ouvrage unique, les maisons France Services et les services de délivrance de cartes nationales d’identité. Le maire de Saint-Laurent-du-Pont, dans l’Isère, est très satisfait que ces différents services cohabitent au sein d’un même lieu dans sa commune.
Les services continuent toutefois de fonctionner en silos, si bien que les agents qui traitent les demandes de cartes nationales d’identité ne s’occupent que de ce service, tandis que les agents de France Services ne s’occupent que des services rendus dans le cadre des maisons France Services.
Dans les territoires peu vastes, on pourrait pourtant imaginer une organisation plus transversale, avec des tâches fongibles.
Pensez-vous qu’à terme, une telle évolution pourra être envisagée, madame la ministre ? Sous réserve de former correctement les agents concernés, cela permettrait sans doute, dans les territoires ruraux, d’économiser quelques postes sur ces services à destination du public.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice, le programme France Services est une priorité du Gouvernement. Lors du dernier comité de pilotage (Copil) que j’ai coprésidé avec Stanislas Guerini le 27 juin dernier, nous avons rappelé la trajectoire de financement à la hausse de la part de l’État et des opérateurs dans ce dispositif.
La dématérialisation des services publics n’est en rien synonyme de déshumanisation et nous y veillons. Pour l’usager, avoir un contact direct est essentiel. Le métier de conseiller France Services a d’ailleurs récemment intégré le répertoire des métiers de la fonction publique, inscription qui confirme les missions de ces agents et reconnaît leurs fonctions comme essentielles à la délivrance des services publics.
La feuille de route du programme France Services de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) prévoit de plus un fort investissement pour renforcer la formation des conseillers France Services.
Par ailleurs, un abondement de 12 millions d’euros a permis d’augmenter le financement annuel de chaque structure France Services de 5 000 euros dès 2023. Cette hausse tendancielle sera poursuivie, conjointement avec la participation des opérateurs, pour parvenir à une subvention de 50 000 euros par an et par structure d’ici à 2026, ce qui permettra de soutenir et de pérenniser les emplois de conseillers France Services.
Pour ce qui concerne les titres d’identité, seuls les conseillers habilités par un agent d’État assermenté peuvent délivrer ces documents. Les titres d’identité ne peuvent donc pas être délivrés par les intercommunalités, mais seulement en mairie.
Près de 170 maisons France Services sont du reste équipées d’un dispositif de recueil d’empreintes, l’objectif, que nous atteindrons dans le courant de l’été, étant de réduire les délais de délivrance de carte nationale d’identité à trente jours.
La mutualisation entre les agents des maisons France Services et les agents qui délivrent les titres d’identité sécurisés que vous appelez de vos vœux, madame la sénatrice, est à la main des maires. De telles mutualisations fonctionnent très bien, puisqu’il s’agit dans les deux cas d’agents municipaux, la seule contrainte étant l’habilitation des agents qui délivrent des titres d’identité sécurisés.
Mme le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour la réplique.
Mme Frédérique Puissat. Je vous remercie de ces informations, madame la ministre.
Si une maison France Services fonctionne grâce à deux agents et qu’un autre agent est affecté à la délivrance de titres d’identité sécurisés, est-il envisageable de confier l’ensemble de ces missions à seulement deux agents ? C’est à mon sens la seule question qui vaille, si nous souhaitons rationaliser les dépenses publiques en permettant une fongibilité entre les services.
Pour ma part, j’estime qu’il nous faut travailler en ce sens.
départs des services des communes et délégation de la charge aux mairies
Mme le président. La parole est à M. Éric Bocquet, auteur de la question n° 763, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
M. Éric Bocquet. Le 13 avril dernier, dans une commune littorale de 3 500 habitants de mon département du Nord, le maire a appris la suppression du distributeur automatique de billets à la suite d’une décision prise par la Caisse d’Épargne.
Sans concertation, sans consultation, considérant que d’autres dispositifs sont accessibles à quelques kilomètres, l’établissement bancaire a pris une décision unilatérale qui impacte grandement le commerce local et l’autonomie des personnes qui ne peuvent pas se déplacer.
Pour ne pas voir son centre-village mourir à petit feu, la mairie a donc maintenu le distributeur de billets, à sa charge.
Un peu plus au sud, dans le Valenciennois, en février, le maire d’une commune de 13 000 habitants a appris la vente du bâtiment abritant les services de La Poste. Il s’est donc vu contraint de mettre à disposition un agent et des locaux pour maintenir une agence postale communale et éviter la disparition pure et simple du service sur son territoire.
S’ils ne sont pas toujours publics, ces services sont pourtant bel et bien essentiels à la vie et à l’attractivité des communes, si bien que lorsqu’ils quittent nos villes et nos villages, cela constitue un recul pour la population.
Une commune sans bureau de poste, sans boulangerie, sans distributeur de billets proche de la place du marché est une commune qui attirera à coup sûr moins d’habitantes et d’habitants et qui risque de devenir, à terme, un village-dortoir.
Une fois encore, c’est sur l’institution communale qu’est reportée la charge financière, matérielle, logistique de maintenir les services indispensables pour les habitants, les commerçants et, aussi et surtout, pour la préservation de la fonction de lieu de vie, de consommation et d’échange du village.
Nous voyons aujourd’hui les conséquences importantes – pour ne pas dire dramatiques – du recul de ces services de proximité.
En parallèle, les démissions de maires, plus nombreuses que jamais, font état du malaise que ressentent les édiles au regard de ces problématiques, dans un contexte où ils sont de plus progressivement privés de leurs leviers fiscaux ainsi que de leurs prérogatives, tandis qu’ils sont soumis à toujours plus de contraintes normatives et financières.
Madame la ministre, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour assurer l’accès des citoyennes et citoyens à ces services d’intérêt général et freiner la disparition des services dans nos villes et villages ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur, vous attirez mon attention sur l’importance du maintien des services publics en ruralité. J’entends votre inquiétude et je partage votre constat selon lequel ces services sont des facteurs d’attractivité d’un territoire et doivent le rester.
Tel est précisément l’objet du plan France Ruralités, fruit d’un travail que j’ai conduit personnellement au cours des douze derniers mois.
La fermeture d’un service public ne doit pas affecter l’accès des citoyens à la réalisation de démarches essentielles à leur quotidien. C’est pourquoi, dès 2020, le Gouvernement a engagé le programme France Services, devenu depuis une politique prioritaire du Gouvernement.
Les maisons France Services regroupent en un même lieu les services de neuf opérateurs avec l’appui de conseillers formés pour accompagner les démarches des usagers. Dans un contexte de dématérialisation, leur existence est d’autant plus essentielle.
La charge du maintien du service public est assurée en partie par l’État. À ce titre, l’apport significatif de l’État aux maisons France Services sera accru au cours des années à venir, à commencer par une prise en charge à hauteur de 5 000 euros supplémentaires par espace France Services dès cette année.
Je tiens par ailleurs à souligner l’engagement du Gouvernement pour maintenir une offre de qualité sur le territoire. Le fonds alloué dans le cadre du programme de reconquête du commerce rural, doté de 12 millions d’euros pour 2023, sera pérennisé pour trois ans à hauteur de 36 millions d’euros. Cette annonce, qui date de moins de quinze jours, montre l’attention que le Gouvernement attache, tout comme vous, monsieur le sénateur, au rôle des commerces dans nos territoires.
De même, 2 millions d’euros serviront à soutenir l’ouverture de lieux de convivialité.
La Poste, qui s’est engagée à limiter drastiquement le nombre de bureaux, mènera une expérimentation de circulation de cinquante camions jaunes pour poursuivre la démarche d’« aller vers » entreprise au travers du maillage du territoire par 2 750 maisons France Services, en proposant des services tels que le retrait de liquidités.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, de mon implication personnelle et de celle du Gouvernement pour maintenir l’activité et l’accessibilité aux services publics dans nos territoires, tout en renforçant les démarches d’« aller vers ».
J’ajoute que, pour avoir été confrontée, en tant que maire, à la suppression de distributeurs de billets dans ma commune, je conseille au maire que vous citez, monsieur le sénateur, de se rapprocher de l’établissement bancaire concerné afin d’évaluer la baisse du nombre de retraits. De fait, l’on constate parfois des baisses substantielles.
difficultés dans l’exercice du mandat de maire
Mme le président. La parole est à M. Édouard Courtial, auteur de la question n° 782, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
M. Édouard Courtial. Madame la ministre, hier, à midi, les élus de la République et de nombreux concitoyens groupés devant les mairies de France ont lancé un appel pour dire : « Assez ! Ça suffit ! »
Après avoir été les témoins scandalisés de scènes inimaginables, d’une sauvagerie inouïe que rien ne saurait justifier, les mots manquent et seuls les actes comptent désormais.
Nous avons tous pleinement conscience qu’une ligne rouge a été franchie : après les insultes, les menaces, les intimidations ou les agressions, nous basculons aujourd’hui dans ce qu’objectivement, il faut bien qualifier de tentative d’assassinat d’une famille d’un élu de la République.
Jusqu’où iront ces fanatiques dont la violence n’a d’égal que l’ignorance ? Les maires étaient et sont toujours l’un des derniers remparts, une digue qui résiste tant bien que mal, un lien qui apaise les tensions et les clivages d’une société fracturée.
Mais force est de constater que de petits arrangements en grands renoncements, notre République est au bord de l’implosion.
Attaquer un maire – nous ne le répéterons jamais assez –, c’est attaquer la République et, si la justice doit effectivement passer, elle doit le faire partout et pour tous, avec fermeté, sans faux-semblants ni fausses excuses.
En adressant tout mon soutien à cette famille, je ne peux m’empêcher d’avoir également une pensée pour tous les élus violentés, blessés ou menacés.
Il n’y a qu’une chose à faire : écouter les fantassins de la République, agir pour leur donner les moyens de leurs compétences et les libertés nécessaires pour les exercer pleinement, mais aussi les défendre contre ces hordes sauvages. En un mot, il faut redonner le pouvoir aux maires. (M. Yves Détraigne applaudit.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à réaffirmer mon soutien sans faille à tous les parlementaires et à tous les élus locaux qui ont subi des agressions.
Sous l’autorité de la Première ministre, le 17 mai dernier, j’ai annoncé des mesures fortes pour que la République ne laisse plus passer de tels excès.
En ce qui concerne les démissions de maires, depuis juillet dernier, j’ai rencontré personnellement plus de mille élus locaux qui m’ont fait part de leur bonheur d’être maires, mais aussi – il ne faut pas le nier – d’un malaise, d’un flottement dans l’exercice de leurs fonctions.
Ce sentiment a récemment été très bien décrit par le président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalités (AMF) David Lisnard, que je tiens à saluer pour sa mobilisation sur ce sujet.
Il n’est pas le seul, car je sais que vous êtes également très impliqués sur ce sujet, mesdames, messieurs les sénateurs, au travers notamment de la mission d’information sur l’avenir de la commune et du maire en France présidée par Maryse Carrère.
Le Gouvernement, qui accorde une grande importance à ces sujets, a déjà beaucoup fait en la matière. La loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite loi Engagement et proximité, a par exemple permis la revalorisation des indemnités des maires et des adjoints des petites communes.
Je suis toutefois consciente qu’une nouvelle évolution est plus que nécessaire et qu’elle doit dépasser le cadre statutaire. Avec les associations d’élus comme l’AMF, avec David Lisnard, j’ai entrepris un travail que nous allons élargir à l’Association des maires ruraux de France (AMRF) et à toutes les associations d’élus afin de bâtir, dans une démarche large et concertée, une feuille de route relative aux conditions d’exercice du mandat d’élu local.
Ce travail, qui devrait aboutir vers le mois de novembre, pour le congrès des maires, vise à doter l’élu local, qui joue un rôle primordial au sein de notre République et de notre société, du statut que nous appelons tous de nos vœux.
Mme le président. La parole est à M. Édouard Courtial, pour la réplique.
M. Édouard Courtial. Je me félicite du contenu de votre réponse, madame la ministre, mais au-delà des mots, c’est désormais la fermeté de l’action qui importe.
calcul du bilan carbone des entreprises
Mme le président. La parole est à M. Yves Détraigne, auteur de la question n° 585, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Yves Détraigne. Ma question est simple, madame la ministre.
L’an dernier, Greenpeace accusait TotalEnergies de sous-estimer ses émissions de gaz à effet de serre, notamment au regard de ses concurrents de même envergure. Selon l’ONG, cette entreprise émettait quatre fois plus de gaz à effet de serre qu’elle ne le prétendait, car elle ne déclarait pas l’intégralité des volumes de pétrole et de gaz produits et vendus.
Pour établir son bilan carbone, chaque groupe industriel fait appel à un cabinet de conseil privé. Les méthodologies d’élaboration des bilans carbone étant complexes et soumises à discussion, il paraît surprenant qu’une autorité indépendante ne soit pas chargée de vérifier ces chiffres et, surtout, les projections effectuées sur plusieurs années.
Considérant que seul l’État peut jouer ce rôle et contraindre les grandes entreprises à engager une réduction claire, nette et rapide de leurs émissions de gaz à effet de serre, je vous demande, madame la ministre, de m’indiquer quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur, la réglementation impose aux grandes entreprises de publier le bilan d’émissions de gaz à effet de serre (Beges) et de le mettre à jour tous les quatre ans. Cette réglementation ne concerne que les émissions liées aux activités en France.
TotalEnergies publie volontairement, dans le cadre de la communication relative à son plan visant à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, le bilan carbone de toutes ses activités, y compris à l’international.
Les derniers Beges fournis par TotalEnergies datent de 2018. Ils ne comportent pas encore le scope 3, dont la prise en compte est obligatoire pour les bilans produits à partir du 1er janvier 2023.
Cette obligation est une avancée importante, car le scope 3 correspond aux émissions indirectes sur la chaîne de valeur de l’entreprise. Il s’agit par exemple, pour TotalEnergies, de prendre en compte les émissions liées à la consommation de gaz ou de pétrole par ses clients.
Aujourd’hui, notre priorité est de faire mieux respecter cette réglementation. Le Gouvernement réfléchit à plusieurs pistes, comme la mise à disposition d’outils d’élaboration du Beges, l’augmentation de la fréquence des contrôles ou celle du montant des amendes.
Nous souhaiterions aussi relever l’ambition des plans de transition fournis avec les Beges afin de les mettre en cohérence avec les objectifs que se fixe la France dans sa stratégie nationale bas-carbone.
La question du contrôle des données publiées et de la robustesse des méthodologies employées demeure. Une réflexion est en cours pour mobiliser des organismes tiers indépendants qui pourraient évaluer la conformité des calculs aux méthodologies prévue par le code de l’environnement, ainsi que l’ambition de ces plans de transition.
futures dispositions d’application de « zéro artificialisation nette »
Mme le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, auteur de la question n° 780, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la ministre, je souhaite aborder un sujet qui, depuis quelques mois, suscite beaucoup de débats, crée beaucoup d’incompréhension et alimente une certaine défiance : il s’agit de l’objectif de zéro artificialisation nette, le fameux ZAN.
Les dispositions de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le changement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, prévoient une réduction de moitié du rythme d’artificialisation des sols jusqu’en 2031, pour atteindre un objectif de zéro à l’horizon 2050.
Si nous comprenons les objectifs de ces dispositions, nous demandons que les moyens pour y parvenir tiennent compte des réalités locales et des enjeux de développement, et que la trajectoire, qui devra certainement être remise en cause dans le temps, soit envisagée avec souplesse.
Or les premiers décrets d’application étaient totalement déconnectés du terrain, puisqu’ils prévoyaient des règles floues, sans aucune différenciation, et une déclinaison uniforme.
Soucieux de rectifier le tir, le Sénat s’est emparé du sujet par le biais d’une proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires, adoptée le 16 mars dernier par le Sénat et examinée en juin par l’Assemblée nationale.
Une commission mixte paritaire se réunira dans quelques jours, puis viendra le temps de la publication des décrets d’application par le Gouvernement.
Dans ce contexte, madame la ministre, je souhaite connaître les orientations du Gouvernement sur plusieurs points.
Les projets d’ampleur nationale, tels que le canal Seine-Nord, les routes nationales ou l’implantation d’usines, entreront-ils ou non dans le calcul du ZAN ?
Pouvez-vous nous garantir que, dans le cadre de la construction d’une maison individuelle par un particulier ou d’un bâtiment par une entreprise, seule la surface bâtie sera comptabilisée, à l’exclusion du jardin ou de la surface enherbée ?
Les surfaces recouvertes par des dispositifs photovoltaïques seront-elles considérées ou non comme artificialisées ?
Convenez-vous enfin que les territoires, en particulier ruraux, qui ont connu peu de constructions durant les dernières années, pourront bénéficier d’une plus grande souplesse et de dérogations spécifiques ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur, en adoptant la loi Climat et résilience, la France s’est fixé une trajectoire visant l’absence d’artificialisation nette des sols en 2050, avec un objectif de réduction de moitié de la consommation d’espace sur la période 2021-2031 par rapport à la décennie précédente.
Conformément aux engagements pris par la Première ministre lors du congrès de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalités, des ajustements ont été apportés en concertation avec les associations nationales d’élus et les parlementaires.
Pour tenir compte de ces discussions, deux projets de décret ont été mis en consultation jusqu’à la date d’aujourd’hui.
Le premier a pour objet de renforcer les principes de différenciation et de territorialisation, en prévoyant la prise en compte des spécificités locales des territoires ruraux, littoraux ou de montagne. Il ne prévoit plus la fixation obligatoire de cibles chiffrées à l’échelle infrarégionale dans les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet).
Le projet de décret précise par ailleurs la notion de « garantie rurale » que le Sénat a souhaité introduire et que la Première ministre a retenue.
Le second projet de décret vise à expliciter et à ajuster les catégories de surfaces artificialisées et non artificialisées.
La proposition de loi d’origine sénatoriale visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de ZAN adoptée par l’Assemblée nationale le 27 juin dernier prévoit également une mutualisation au niveau national des projets d’envergure nationale et européenne. La réponse à votre première question est donc positive, monsieur le sénateur.
Je souhaite que nous puissions rapidement faire évoluer les dispositions relatives à la trajectoire de réduction de l’artificialisation des sols, afin de donner de la visibilité à nos territoires. C’est la raison pour laquelle les éventuelles lectures des conclusions de la commission mixte paritaire sont prévues les 12 et 13 juillet prochains et que la publication des décrets devrait intervenir dès l’automne prochain.
inefficacité de la politique de continuité écologique des cours d’eau
Mme le président. La parole est à M. Pierre Louault, auteur de la question n° 783, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Pierre Louault. Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur l’inefficacité de la politique de continuité écologique des cours d’eau. Ce principe, issu de la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, dite Lema, implique la libre circulation dans les cours d’eau des espèces et des sédiments.
Les barrages et les étangs qui ont été construits au cours des siècles précédents constituent aujourd’hui l’essentiel des zones humides. L’application rigoureuse de la Lema par les services de l’État fait disparaître ces zones humides, transforme les rivières et cours d’eau en torrents et vidange les nappes phréatiques.
L’on s’étonne aujourd’hui de l’épuisement des réserves d’eau, qui provoque une restriction de l’usage. Cette politique, appliquée depuis près de vingt ans, en est la principale responsable.
Les agences de l’eau subventionnent uniquement les projets d’arasement des ouvrages et de suppression des étangs, sans prendre en compte l’impact catastrophique de ces projets sur les réserves d’eau.
La Cour des comptes a récemment démontré que plus de 15 milliards d’euros ont été dépensés au nom d’une politique de protection des espèces de poissons migrateurs, sans aucun résultat.
À l’heure où les sécheresses à répétition menacent nos ressources en eau, je souhaite connaître les mesures envisagées par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires pour remédier à la disparition des prairies et des zones humides, à l’assèchement des ruisseaux et des cours d’eau et à la vidange des nappes phréatiques au nom d’une continuité écologique qui ne remplit pas ses promesses. Quand compte-t-il sortir d’une loi doctrinaire et qui n’est étayée par aucune évaluation scientifique ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur, la politique de restauration de la continuité des cours d’eau vise à limiter la fragmentation des habitats, qui est l’une des causes majeures de l’érosion de la biodiversité, et à redonner aux rivières leurs fonctionnalités naturelles.
Restaurer nos cours d’eau suppose de supprimer les obstacles, surtout quand ils sont devenus inutiles, mais aussi et avant tout, de laisser les cours d’eau s’écouler le plus naturellement possible, de ralentir leur vitesse en recréant les méandres et les bras morts et en leur permettant de déborder par endroits.
Seule cette restauration complète permet de mieux recharger les nappes et de garder nos sols humides. Il s’agit donc d’une solution fondée sur la nature, qui permet une meilleure résilience face au changement climatique.
Je rappelle que l’installation de petites retenues ou de plans d’eau nombreux sur les cours d’eau conduit souvent à une évaporation très importante en été, et partant, à une diminution des débits. (M. Pierre Louault le conteste.)
La restauration des cours d’eau doit être adaptée au cas par cas, afin de choisir le moyen de restauration le plus approprié. En la matière, la territorialisation de notre politique nationale est fondamentale. Celle-ci a montré des résultats, que ce soit sur le retour des poissons dans de nombreux cours d’eau, l’amélioration de la biodiversité et de l’état écologique des cours d’eau, l’abaissement des températures ou encore l’évaporation des cours d’eau.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, de l’absence de dogmatisme du Gouvernement en la matière. Nous travaillons territoire par territoire.
Mme le président. La parole est à M. Pierre Louault, pour la réplique.
M. Pierre Louault. Les ministres changent, mais la technostructure doctrinaire demeure. Depuis vingt ans, nous en sommes toujours au même point, si bien que nous allons à la catastrophe, tout en klaxonnant !
valorisation des sédiments issus de dragage
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, auteur de la question n° 776, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie.
M. Jean-Pierre Decool. Le Nord compte 680 kilomètres de voies d’eau, 90 écluses et plus de 100 ouvrages de régulation des niveaux d’eau. Les sédiments, essentiellement non dangereux, s’y accumulent inévitablement.
Le droit communautaire considère les sédiments comme des déchets. Cela implique mécaniquement une procédure coûteuse de traitement. L’entretien des voies d’eau est donc empêché, tandis que l’excès de sédiments dans les canaux génère régulièrement des entraves à la navigation, mais pas seulement.
Dans les Hauts-de-France, la gestion des eaux est primordiale pour contribuer efficacement à la lutte contre les inondations. En effet, des canaux, rivières et bassins entretenus seraient plus à même d’accueillir des crues liées à de fortes précipitations. Des canaux non navigués, régulièrement curés, pourraient agir comme des bassins de rétention et de régulation.
La France accuse du retard dans la définition d’un cadre réglementaire national de valorisation des sédiments, ce qui a favorisé le développement de filières de valorisation dans les pays voisins, au détriment de notre économie.
J’ai eu l’occasion d’évoquer cette problématique dans cet hémicycle à la suite des fortes inondations que le Nord a connues en décembre 2021 et lors d’un retour d’expérience placé sous l’autorité du préfet et organisé avec les acteurs de terrain, notamment avec Voies navigables de France (VNF), le vendredi 17 décembre 2021.
Je tiens par ailleurs à saluer l’expérimentation, menée par VNF à Wambrechies, d’une plateforme de dépotage susceptible de prendre en charge d’importantes quantités de sédiments, et ainsi, de répondre aux besoins liés au projet de canal Seine-Nord.
Madame la ministre, il serait inconcevable de voir ces sédiments finir sur des sites de dépôt avant d’être exportés vers la Belgique et les Pays-Bas, où l’on peut plus facilement les réutiliser.
Ne serait-il pas possible d’étendre le périmètre de l’arrêté du 4 juin 2021, afin de permettre la réutilisation des sédiments en tant que matériau de construction ou pour un usage agricole, eu égard aux propriétés fertilisantes de certains sédiments ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur, chaque année, dans notre pays, l’entretien des voies de navigation et des ports génère 50 millions de mètres cubes de sédiments. En parallèle, le secteur du BTP consomme en France 400 millions de tonnes par an de granulats extraits du sol.
Le 25 janvier dernier, ma collègue Bérangère Couillard, secrétaire d’État chargée de l’écologie, a engagé une feuille de route avec les acteurs économiques de la région des Hauts-de-France et VNF pour enclencher une dynamique d’économie circulaire vertueuse en matière de valorisation de ces sédiments.
Cette feuille de route est le résultat de travaux expérimentaux menés dans la région pionnière des Hauts-de-France avec le concours des acteurs économiques du BTP et de l’École nationale supérieure des techniques industrielles et des mines de Douai et avec l’accompagnement de la région ainsi que du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Grâce à cette démarche d’économie circulaire territoriale, les sédiments pourront être recyclés dans le béton et d’autres produits du BTP. À l’échelle de la région des Hauts-de-France, quelque 300 000 tonnes de sédiments par an pourront ainsi être recyclées au lieu d’être mises en décharge, ce qui permettra de dégager des gains d’un montant de 15 millions d’euros par an et de créer 400 emplois.
D’autres voies de valorisation des sédiments sont envisageables, notamment leur utilisation comme fertilisants et supports de culture, sous réserve qu’ils ne soient pas pollués.
Le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire parachève un décret d’application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire qui établira prochainement un socle commun de critères pour les matières fertilisantes et les supports de culture.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, le Gouvernement est au travail sur ce sujet.
coûts pour les ménages d’une interdiction des chaudières à gaz dans le secteur du bâtiment
Mme le président. La parole est à M. Christian Klinger, auteur de la question n° 602, transmise à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement.
M. Christian Klinger. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur les conséquences de l’interdiction, à l’horizon 2026, des chaudières à gaz, qui permettent de chauffer près de 12 millions de ménages, sans compter les collectivités.
L’interdiction des chaudières à gaz soulève deux difficultés.
Premièrement, les ménages souhaitant remplacer leur ancienne chaudière devront se tourner vers l’installation d’une pompe à chaleur, dont le coût est beaucoup plus important. Celui-ci s’établit en moyenne autour de 15 000 euros, contre 5 000 euros pour les chaudières, soit une différence de 10 000 euros, auxquels il faut ajouter la rénovation énergétique du logement et les difficultés relatives au manque de place pour la pose, aux nuisances sonores et esthétiques ou encore à la durée des chantiers, ce qui rend l’installation d’une pompe à chaleur difficile, voire impossible dans de nombreux logements, ou alors au prix de travaux très importants.
Deuxièmement, au-delà de leur prix, une grande partie des pompes à chaleur sont fabriquées en Asie, quand les chaudières à gaz viennent principalement d’Europe et, très souvent, de France. Serait-ce donc, après les voitures électriques, dont les batteries sont fabriquées en Asie, une nouvelle incitation à acheter hors d’Europe ?
Cette interdiction est un sabotage en règle d’une des rares filières d’excellence française.
De plus, le système d’aides aux ménages que le Gouvernement ne manquera pas de mettre en place, madame la ministre, creusera encore le déficit déjà abyssal de nos comptes publics.
À ce prix-là, me direz-vous, on agira pour le climat. Mais est-ce seulement vrai ? Aura-t-on l’électricité suffisante pour alimenter l’ensemble de ces pompes à chaleur ? Ou devra-t-on alimenter les centrales au gaz pour qu’elles produisent de l’électricité ?
Le moment n’est-il pas venu de prendre des décisions un peu plus concertées pour laisser à nos concitoyens le temps de souffler financièrement et aux filières concernées, celui de s’adapter et de s’approprier de nouvelles énergies comme le biogaz ?
Je crains que tous les impacts du projet gouvernemental d’interdiction des chaudières à gaz en 2026 n’aient pas été correctement évalués.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Klinger, l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050, fixé par le Président de la République, est un immense défi. Il passera avant tout par la décarbonation des grands secteurs, comme celui du bâtiment, qui représente 18 % des émissions en France.
Mes collègues Agnès Pannier-Runacher, Christophe Béchu et Olivier Klein ont lancé une concertation publique portant sur la décarbonation du secteur du bâtiment. Ces échanges, qui se dérouleront jusqu’au 28 juillet prochain, permettront de débattre avec l’ensemble des acteurs du bâtiment des solutions alternatives aux chaudières fossiles.
S’il n’y a à ce jour pas d’interdiction d’installation de chaudières à gaz dans les logements existants, le dispositif MaPrimeRénov’ ne subventionne plus l’installation de nouvelles chaudières au fioul ou au gaz et la réglementation environnementale 2020 (RE2020) interdit l’installation de chaudières au gaz ou au fioul dans les bâtiments neufs.
Cette transition est aussi un enjeu de souveraineté, dans la mesure où ces installations alternatives décarbonées ne reposent pas sur une énergie massivement importée, comme le gaz.
Le Gouvernement s’est engagé à accompagner la transition des filières industrielles du chauffage vers les énergies bas-carbone. Il est pleinement mobilisé pour leur développement, auquel concourent plusieurs outils déployés par l’État, dont le renforcement des aides au raccordement au réseau de chaleur, le fonds Chaleur et le plan géothermie, lancé en février 2023.
Enfin, si le coût d’installation d’une pompe à chaleur reste très élevé à l’achat, le surcoût est compensé par les économies faites à l’usage. L’État apporte désormais un soutien financier important pour le remplacement des chaudières fossiles via l’aide publique MaPrimeRénov’, qui peut être complétée par les aides privées des certificats d’économies d’énergie (C2E) et, dans certains cas, par les aides des collectivités territoriales, en particulier pour les ménages les plus modestes.
Le Gouvernement continuera d’agir afin de réduire autant que possible nos émissions de gaz à effet de serre tout en favorisant l’émergence et le développement des énergies bas-carbone.
crise du logement
Mme le président. La parole est à Mme Laure Darcos, auteure de la question n° 701, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement.
Mme Laure Darcos. Ma question s’adressait en effet à M. le ministre délégué chargé de la ville et du logement.
Madame la ministre, les élus de l’Essonne sont inquiets. L’effort de construction est aujourd’hui insuffisant pour répondre aux besoins de nos concitoyens et le secteur locatif risque de connaître une véritable déflagration liée au retrait du marché, à court terme, de 400 000 logements du parc social et du secteur privé.
L’augmentation du prix des terrains, les contraintes de la réglementation environnementale RE2020, le coût élevé des matières premières et les taux d’intérêt qui flambent freinent considérablement l’activité du bâtiment.
Le secteur locatif, quant à lui, sera fortement touché par les mesures prises pour exclure du marché de la location les logements consommant le plus d’énergie ou émettant le plus de gaz à effet de serre.
Bien entendu, je ne remets pas en cause l’obligation qu’ont les propriétaires de proposer des logements décents, respectant des niveaux de performance énergétique minimaux. Les passoires thermiques sont une réalité que nous ne devons pas ignorer.
Toutefois, en agissant avec précipitation et en réglementant toujours davantage dans un domaine essentiel comme le logement, l’on fait courir des risques considérables à notre pays. À brève échéance, la France est menacée d’une crise de l’offre doublée d’une crise de la demande.
Dans ce contexte, la suppression du dispositif Pinel et la refonte du prêt à taux zéro (PTZ), récemment annoncées par le Gouvernement, ont été particulièrement mal perçues. Les associations d’élus se mobilisent très légitimement contre ces mesures. Elles mettent en avant des propositions pragmatiques pour la maîtrise du coût du foncier et la rénovation thermique du parc locatif social et du parc privé.
Madame la ministre, quelles mesures de soutien le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour accompagner massivement la rénovation du parc existant, relancer la construction et favoriser l’accès des Français à la propriété ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Laure Darcos, à l’issue du Conseil national de la refondation (CNR) sur le logement, qui a réuni toutes les parties prenantes, Mme la Première ministre a rappelé cette priorité du Gouvernement : favoriser l’accès à un logement pour tous les Français. Avec mon collègue chargé du logement, Olivier Klein, elle a également annoncé des mesures d’urgence et de long terme pour répondre aux difficultés du secteur.
S’agissant de l’accession à la propriété, le prêt à taux zéro sera prolongé jusqu’en 2027. Il s’appliquera aux opérations neuves en habitat collectif en zone tendue et à l’acquisition de logements anciens en zone détendue, sous condition de travaux de rénovation.
S’agissant de l’accession sociale à la propriété, le bail réel solidaire (BRS), qui permet de dissocier le foncier et le bâti, est un dispositif dont l’intérêt fait consensus. Le Gouvernement s’est engagé à le développer en lien avec les porteurs locaux afin de le rendre accessible à davantage de Français.
Un travail est également engagé pour faire évoluer la fiscalité locative et favoriser les locations de longue durée. Une fiscalité plus simple et plus juste contribuera au développement d’une offre locative de qualité.
La concertation sur la décarbonation du bâtiment, qui a été lancée le 12 juin dernier, permet d’examiner différents leviers pour accompagner la rénovation du parc.
Enfin, le parcours des usagers est simplifié par le déploiement progressif d’une offre d’accompagnement des ménages dans leurs travaux, grâce au dispositif Mon Accompagnateur Rénov’ et à la couverture du territoire par le service public France Rénov’, qui exerce une mission d’information, de conseil et d’accompagnement. Il nous semble que les conditions sont réunies pour faciliter ce parcours.
Mme le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour la réplique.
Mme Laure Darcos. Madame la ministre, j’entends ce que vous nous dites quant au développement des aides de l’État. Toutefois, je vous invite à lire l’excellent livre L’Habitat fait le citoyen, préfacé par Jean-Louis Borloo, que vient de publier mon collègue et ami Jean-Philippe Dugoin-Clément, vice-président de la région d’Île-de-France et maire de Mennecy. Vous y trouverez de nombreuses solutions pour répondre aux défis du logement et du mal-logement.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Je vais le lire !
évaluation des aménagements cyclables hors agglomération
Mme le président. La parole est à M. Bernard Buis, auteur de la question n° 582, adressée à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. Bernard Buis. Madame la ministre, l’irruption des fumées canadiennes dans le ciel français nous rappelle une réalité amère : notre planète est en feu et nous devons éteindre l’incendie.
L’aménagement cyclable hors agglomération est un levier non négligeable à actionner pour que nos territoires puissent contribuer à cette lutte.
La loi d’orientation des mobilités a modifié le code de l’environnement en y introduisant l’article L. 228-3, qui réglemente la réalisation des aménagements et des itinéraires cyclables hors agglomération.
En vertu de cet article, le gestionnaire de la voirie est tenu d’évaluer, « en lien avec la ou les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) compétentes, le besoin de réalisation d’un aménagement ou d’un itinéraire cyclable ainsi que sa faisabilité technique et financière », à l’occasion des réalisations ou des réaménagements des voies hors agglomération.
La même loi précise que cette évaluation est rendue publique dès sa finalisation. Si un besoin est avéré, un aménagement ou un itinéraire cyclable est réalisé, sauf en cas d’impossibilité technique ou financière.
Toutefois, trois ans après l’adoption de ce texte, la question de la mise en œuvre de cet article se pose encore pour les acteurs du cyclisme, notamment en ce qui concerne le fait de rendre publiques les évaluations des besoins d’aménagements cyclables, la transparence de la méthodologie utilisée n’allant pas de soi.
Madame la ministre, dans la lutte contre le réchauffement climatique, l’importance du vélo est indéniable : il est primordial de veiller à l’application de la législation existante.
Dans le cadre du plan Vélo, dont le deuxième volet a été annoncé en septembre 2022, ce moyen de locomotion reçoit de nombreux investissements.
Quelle est la position du Gouvernement quant aux procédures de réalisation des évaluations, aux modalités de publication des résultats et aux méthodes employées pour évaluer les besoins ? Ces démarches ont-elles abouti à la réalisation d’itinéraires cyclables ?
Enfin, dans quelle mesure les contraintes techniques et financières…
Mme le président. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Bernard Buis. … ont-elles été invoquées pour justifier l’abandon d’un projet ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Buis, en 2019, le législateur a souhaité développer les aménagements cyclables hors agglomération afin d’encourager la pratique du vélo.
L’incitation à mener des études d’opportunité à l’occasion des travaux de réalisation ou de réaménagement de voirie hors agglomération a pour but de mutualiser les coûts. Ces études et leur publicité sont menées sur le terrain par le gestionnaire de la voirie, aux côtés des autorités organisatrices de la mobilité compétentes.
L’échelle locale, retenue pour ce dispositif, complique bel et bien le recensement d’informations sur les méthodes, les modalités ou les résultats de ces évaluations à l’échelle nationale ; mais il faut s’efforcer d’évaluer encore et toujours !
Vous avez également raison de souligner que les collectivités territoriales et l’État investissent de plus en plus dans les aménagements cyclables. L’État est pleinement mobilisé pour soutenir le développement du vélo. Le premier comité interministériel vélo et marche, qui s’est tenu le 5 mai 2023, en est la preuve : à cette occasion, Mme la Première ministre a annoncé que l’État investirait un montant inédit de 2 milliards d’euros dans le cadre du plan Vélo et marche 2023-2027.
Le fonds mobilité active a également été doté d’un montant inédit de 250 millions d’euros par an entre 2023 et 2027, après avoir bénéficié de 410 millions d’euros entre 2019 et 2022.
De plus, au titre des projets pouvant bénéficier d’un soutien dans le cadre du fonds vert, doté de 2 milliards d’euros pour 2023, les aides à l’utilisation du vélo, le développement de la cyclologistique ou encore les aménagements cyclables sont concernés.
Quant aux contrats de plan État-région (CPER) 2023-2027, ils permettront aussi – c’est une première – un soutien financier de l’État à des aménagements cyclables liés aux véloroutes nationales ou régionales. L’État est prêt à mobiliser 200 millions d’euros sur ce volet : c’est ce qui ressort des mandats envoyés aux préfets de tous les départements.
privatisation de la ligne de fret du train des primeurs perpignan-rungis
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, auteure de la question n° 734, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports.
Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, le 23 mai 2023, vous avez annoncé la suppression de 500 emplois et la cession de 20 % de l’activité du fret de la SNCF à la concurrence dont, semble-t-il, la ligne du train des primeurs Perpignan-Rungis.
Comme vous le savez, cette ligne est unique en France. Sa suppression en 2019 avait été vécue comme une provocation. Grâce à la mobilisation des élus, des usagers et des syndicalistes, notamment dans le Val-de-Marne, elle a été relancée en octobre 2021. Or je viens d’apprendre qu’elle était de nouveau arrêtée du fait de problèmes liés aux wagons réfrigérés. Le sursis aura été de courte durée.
Maintenir la ligne Perpignan-Rungis dans le giron de Fret SNCF est pourtant une nécessité économique, sociale et écologique : on parle tout de même de 25 000 camions en moins sur les routes.
Cette ligne est cruciale, non seulement pour réduire les émissions de CO2, mais aussi pour assurer la sécurité alimentaire de la population d’Île-de-France : elle peut transporter l’équivalent de presque la moitié de sa consommation de fruits et de légumes frais par an.
Par ailleurs, si elle était prolongée, cette ligne pourrait relier Barcelone à Anvers et l’on en tirerait encore plus d’avantages, y compris pécuniaires.
Nous avions été nombreux à dénoncer les dangers de l’arrêt de cette ligne. L’histoire nous a donné raison et elle a été rétablie. Alors qu’elle est de nouveau suspendue, que comptez-vous faire pour la relancer de manière pérenne ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Cohen, le Gouvernement agit en faveur du fret ferroviaire : permettez-moi, pour vous en convaincre, de vous rappeler quelques éléments de contexte.
Comme l’a annoncé mon collègue chargé des transports, les aides à l’exploitation augmenteront de 30 millions d’euros à partir de 2025 – elles concerneront directement l’activité de fret ferroviaire –, de sorte que leur montant atteindra un niveau sans précédent de 330 millions d’euros. Elles seront pérennisées jusqu’en 2030 pour donner de la visibilité aux entreprises.
Par ailleurs, 4 milliards d’euros seront investis dans les infrastructures de fret ferroviaire sur la période allant de 2023 à 2032, ce qui correspond, me semble-t-il, aux attentes du secteur.
Pour ce qui concerne Fret SNCF, l’État fait tout pour éviter le pire scénario, à savoir l’obligation pour l’opérateur de rembourser près de 5 milliards d’euros. Une telle décision conduirait sa liquidation immédiate, supprimerait de nombreux emplois et jetterait plus d’un million de camions supplémentaires sur les routes chaque année.
Plutôt que de prendre le risque de voir disparaître Fret SNCF, la solution privilégiée est de mener une transformation de l’entreprise, qui, à terme, permettra d’écarter tout risque de remboursement de ces 5 milliards d’euros.
Cette solution garantit le respect des trois lignes rouges que le Gouvernement s’était fixées, à savoir l’absence de tout licenciement, l’absence de privatisation, puisque le groupe SNCF conservera la majorité du capital, et l’absence de report modal sur la route.
Quant au cas spécifique du service Perpignan-Rungis, qui fait partie des contrats que Fret SNCF ne pourrait plus opérer, l’État lancera très prochainement un nouvel appel à manifestation d’intérêt pour identifier un repreneur. Le train des primeurs, qui a été sauvé par l’État en 2021, continuera de rouler quelle que soit la nouvelle étiquette de l’opérateur.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, il faut déclarer la ligne Perpignan-Rungis d’intérêt général : c’est une urgence.
Si vous souhaitez relancer le fret ferroviaire, écoutez le Sénat : selon notre rapport d’information de 2021, il faudrait investir 1 milliard d’euros par an dans le réseau.
Écoutez aussi nos collègues députés, qui ont approuvé le principe d’une commission d’enquête relative à la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir, à la demande du groupe communiste de l’Assemblée nationale : cette libéralisation serait une catastrophe.
aménagement de la gare de bry-villiers-champigny-grand paris express
Mme le président. La parole est à M. Laurent Lafon, auteur de la question n° 774, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports.
M. Laurent Lafon. Madame la ministre, le chantier de la nouvelle gare d’interconnexion Bry-Villiers-Champigny du Grand Paris Express est menacé d’un nouveau report, ce qui renvoie les usagers et les élus locaux à l’horizon de 2030 pour toute perspective d’ouverture. La gestion de SNCF Réseau a été mise en cause, l’opérateur ayant pris la décision de « mutualiser la conduite de ces travaux sur des périodes triennales », durant lesquelles le chantier de la nouvelle gare d’interconnexion sera nécessairement affecté, perturbé, voire mis à l’arrêt.
Une telle décision, prise unilatéralement par SNCF Réseau, sans aucune concertation avec Île-de-France Mobilités ou les maires des communes concernées, n’est pas acceptable, alors même que les financements sont au rendez-vous.
Le non-respect des échéances fixées par la commande publique pour une livraison attendue en 2027, du fait d’un premier report de deux ans, aura de lourdes conséquences pour nos territoires. En effet, le projet d’interconnexion n’a de sens que s’il comprend l’ensemble des offres de transports, en particulier l’interconnexion entre la ligne 15 du Grand Paris Express, le RER E et la ligne P du Transilien. J’ajoute que les 1,5 million de voyageurs quotidiens de la ligne 15 passeront par la gare de Villiers-sur-Marne dès 2025.
Un tel report remettrait en cause l’accès facilité à l’emploi, à la santé et à l’enseignement. Il affecterait en effet un pôle majeur situé à proximité de l’interconnexion, qui est l’un des principaux projets portés par la métropole du Grand Paris, avec 6 000 emplois à la clé, un palais des congrès, le centre d’exploitation de Champigny dédié à l’entretien et à la réparation d’une partie des trains de la ligne 15, le siège des Compagnons du tour de France ou encore le futur pôle de l’image.
Cette décision aurait aussi des conséquences en matière environnementale, car il serait illusoire de penser atteindre nos objectifs de diminution du nombre de véhicules sur l’autoroute A4. Les usagers en provenance de Seine-et-Marne, qui auraient dû s’arrêter à Villiers-sur-Marne pour prendre leur correspondance, devront poursuivre leur route en voiture. On irait ainsi à rebours d’une politique sérieuse et exigeante de réduction de notre empreinte carbone et de diminution de la pollution atmosphérique, par la mise en place de zones à faibles émissions (ZFE), rendues obligatoires avant le 31 décembre 2024.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le président Lafon, la nouvelle gare SNCF de Bry-Villiers-Champigny permettra de se déplacer de banlieue à banlieue sans passer par le centre de Paris, en connectant le RER E, la ligne P et le Grand Paris Express via la ligne 15 sud et la ligne de bus Altival, qui doit relier Chennevières-sur-Marne et Noisy-le-Grand.
Sa mise en service avait été décalée à l’horizon 2027, mais de nombreuses contraintes techniques conduisent SNCF Réseau, maître d’ouvrage du projet, à réexaminer ce calendrier prévisionnel.
Tout d’abord, il faut s’assurer de la disponibilité des ressources humaines, en particulier d’une main-d’œuvre qualifiée par ailleurs très sollicitée compte tenu de l’accumulation de travaux prévus sur l’axe – je pense notamment au projet Est-Ouest liaison express (Eole) – et plus globalement à l’échelle de la région d’Île-de-France.
Ensuite, il faut mesurer l’acceptabilité du volume des interruptions temporaires de circulation, nécessaires à la réalisation de ce projet, dans le calendrier prévu. Par leurs incidences, ces travaux peuvent avoir des conséquences lourdes sur le quotidien des usagers.
En tout état de cause, le financement du projet n’est pas remis en question – vous l’avez dit et c’est bien heureux. Le comité axe Est du réseau francilien, qui s’est réuni hier, lundi 3 juillet, et auquel vous étiez d’ailleurs associé comme de nombreux élus, a permis de présenter le détail de cette situation et de nouer un dialogue entre, d’une part, la SNCF et Île-de-France Mobilités et, de l’autre, les élus.
Le Gouvernement est attentif à ce qu’un équilibre soit trouvé entre la sécurisation des transports du quotidien et la nécessité d’améliorer rapidement et efficacement l’offre structurelle, grâce à l’interconnexion de la gare de Bry-Villiers-Champigny.
accompagnement des communes pour la réhabilitation des ponts
Mme le président. La parole est à M. Denis Bouad, auteur de la question n° 745, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
M. Denis Bouad. En 2019, un rapport d’information sénatorial préconisait un plan Marshall pour sécuriser nos ouvrages d’art. Il suggérait notamment de créer un fonds d’aide aux collectivités territoriales à hauteur de 130 millions d’euros par an pendant dix ans.
La mise en œuvre du programme national Ponts, piloté par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), s’inscrit dans cette logique. Toutefois, avec 40 millions d’euros engagés sur trois ans, on est très loin des recommandations émises par le Sénat. Ce montant reste insuffisant, ne serait-ce que pour enrayer la spirale de dégradation de nos ponts.
Madame la ministre, afin d’illustrer cette situation par un exemple de terrain, je citerai le cas de Molières-sur-Cèze, dans le Gard.
Cette commune s’est portée candidate au programme national et a ainsi bénéficié d’un diagnostic gratuit du Cerema portant sur une passerelle piétonne. L’étude a remis en cause la sécurité de cette passerelle, compte tenu de l’érosion de ses piliers.
La commune a alors fermé ladite passerelle au public. Elle s’est logiquement rapprochée des services de l’État afin de connaître les aides disponibles pour sécuriser l’ouvrage. On lui a clairement indiqué qu’elle ne pouvait prétendre à aucune aide de l’État.
Molières-sur-Cèze est une ancienne commune minière de 1 200 habitants, qui connaît un très fort niveau de précarité. Qu’il s’agisse de la sécurisation des ruisseaux couverts, de la rénovation des réseaux d’eau potable ou de son fort niveau d’endettement, cette collectivité est confrontée à de nombreux défis et ses moyens financiers sont extrêmement limités. Il va de soi qu’avec une capacité d’autofinancement quasi nulle elle n’est pas en mesure de réaliser les travaux nécessaires à la sécurisation de cette passerelle.
L’État envisage-t-il d’engager les moyens financiers nécessaires à la sécurisation des ouvrages d’art de nos communes ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Bouad, vous attirez notre attention sur les moyens accordés par l’État à la rénovation des ponts, qui représentent un sujet essentiel dans nos communes rurales.
Comme vous l’avez rappelé, dès 2020, le Gouvernement a mobilisé une enveloppe de 40 millions d’euros pour accompagner les collectivités dans la connaissance et l’entretien de leurs ouvrages. Grâce à l’appui du Cerema, plus de 45 000 ouvrages ont ainsi été recensés. Dès 2021, 11 540 communes ont pu être accompagnées pour réaliser un carnet de santé de leurs ouvrages et ont bénéficié d’un soutien en ingénierie.
Au regard des besoins et du succès de cette édition, nous avons, avec mes collègues Christophe Béchu et Clément Beaune, annoncé que le programme national Ponts bénéficierait d’un abondement de 10 millions d’euros supplémentaires pour poursuivre son action. Ainsi, 20 000 communes de moins de 10 000 habitants, dont le potentiel fiscal est inférieur à 3 millions d’euros, seront éligibles au programme national Ponts 2 (PNP 2), couvrant les années 2023 à 2025. Les 4 000 premières communes à se porter candidates seront retenues.
En complément, le Gouvernement mobilisera une aide au financement des travaux pour les communes éligibles aux deux vagues du programme. Ce dispositif sera présenté dans les jours ou les semaines à venir.
Je puis vous assurer que le Gouvernement reste attentif à ce sujet central pour les communes, notamment rurales : il s’agit là d’un enjeu d’accessibilité, de patrimoine et de sécurité.
délais pour l’obtention des cartes d’identité et passeports
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars, auteur de la question n° 746, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
M. Jean-Claude Anglars. Madame la ministre, en ce début juillet, les jeunes ont besoin d’un titre d’identité à de nombreuses occasions, que ce soit pour passer un examen, effectuer un déplacement professionnel ou tout simplement partir en vacances. Pourtant, depuis déjà deux ans, les démarches pour obtenir une carte d’identité ou un passeport s’apparentent à un parcours du combattant. Cette situation, qui dure, n’est pas acceptable pour nos concitoyens.
Vous me répondrez que, après la crise du covid-19, il a fallu du temps pour absorber les demandes de renouvellement qui s’étaient accumulées. Sans doute énumérerez-vous aussi les mesures prises par le Gouvernement.
Je ne les conteste pas, mais je constate, à l’instar des Français, que la situation ne s’améliore en rien. Certaines mesures prises sont tout simplement insatisfaisantes, comme l’organisation des rendez-vous dans les territoires ruraux, où l’on doit parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour se rendre à l’antenne des services de l’état civil. D’autres sont insuffisantes, comme la mise à disposition d’équipements supplémentaires, qui ne peuvent évidemment pas remplacer le contact humain.
L’absence d’amélioration de la situation, que nos concitoyens subissent depuis deux ans, ne peut que remettre en cause à leurs yeux l’efficacité de l’action de l’État. Alors que les services publics de proximité sont un enjeu dont nous débattons régulièrement, le Gouvernement doit se saisir urgemment de ce problème.
Cette semaine encore, une habitante de Saint-Côme-d’Olt, dans la vallée du Lot, en Aveyron, m’indiquait que le délai pour son premier rendez-vous en mairie – ce n’est d’ailleurs pas celle de son lieu de résidence – était supérieur à trois mois.
Au-delà des mesures déjà prises, quelles solutions le Gouvernement compte-t-il proposer pour réduire drastiquement les délais d’attente des Français ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Anglars, face à la hausse massive du nombre des demandes de titres d’identité et face à l’allongement des délais en mairie, le Gouvernement et les communes ont accompli d’importants efforts depuis le printemps 2022.
Depuis la mi-janvier 2023, avec les services de Beauvau, les préfets et les collectivités territoriales, nous travaillons d’arrache-pied.
Je ne souscris pas du tout pas à votre discours quand vous affirmez que rien ne change. Au contraire, on constate une réelle amélioration : les délais sont passés de soixante-dix jours au 15 janvier dernier à quarante jours aujourd’hui et ils ne seront plus que de trente jours à la fin de ce mois. Les délais d’attente en mairie sont donc largement réduits.
Laissez-moi revenir en quelques mots sur tous les moyens qui ont été déployés.
Je salue bien sûr le travail, l’investissement et la solidarité des collectivités territoriales.
Le 27 mars dernier, Mme la Première ministre a lancé un nouveau plan d’urgence, grâce auquel les moyens dédiés à cette question ont été portés de 45 à 100 millions d’euros. Il doit permettre un retour à des conditions normales, pour nos concitoyens, avant la fin de l’été. Nous sommes sur le chemin. J’examinerai en détail la situation du Lot dès que je serai de retour au ministère.
Ce nouveau plan d’urgence s’accompagne d’un soutien financier significatif. Près de 700 dispositifs supplémentaires de recueil de dossiers ont été déployés depuis le début de 2023. En outre, des contrats urgence titres (CUT) ont été conclus avec des communes qui se sont portées volontaires pour augmenter leur capacité de rendez-vous de plus de 20 % aux mois de mai et juin.
L’État accompagne financièrement les communes qui s’engagent grâce à la dotation pour les titres sécurisés (DTS), dont le montant a, récemment encore, augmenté très significativement.
Des opérations dites coup de poing, consistant à proposer aux communes des dispositifs de recueil temporaires, sont également menées dans trente et une d’entre elles, réparties dans toute la France, afin d’accueillir les usagers de manière plus massive à la veille des congés estivaux.
Enfin, pour maintenir des délais de traitement…
Mme le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. … adaptés à la cible, les effectifs des services d’instruction de l’État ont été renforcés à hauteur de 325 agents pour 2023.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars, pour la réplique.
M. Jean-Claude Anglars. Madame la ministre, j’ai bien noté les délais que vous indiquez : les problèmes devraient être réglés cet été.
Puisque vous souhaitez donner un « coup de poing », faites-le dans l’Aveyron (Sourires.), où vous pourrez constater que les délais sont encore très longs.
insuffisance du nombre d’inspecteurs du permis de conduire
Mme le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, auteure de la question n° 777, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Mme Anne Ventalon. Madame la ministre, si 41 % des jeunes de 18 à 24 ans habitant dans l’agglomération parisienne disposent du permis B, le chiffre est de 85 % en milieu rural. Un tel écart s’explique tout simplement par le fait que, dans les territoires ruraux, l’usage de la voiture est indispensable à toute vie sociale et familiale. Pour les jeunes, l’obtention du permis de conduire y constitue un prérequis à l’insertion professionnelle et à la formation.
Toutefois, le faible nombre d’inspecteurs du permis de conduire rend le passage de l’examen long et compliqué.
Prise d’assaut, la plateforme RDV permis distille les dates d’examen au compte-gouttes, quand elle ne dysfonctionne pas, congestionnée qu’elle est par l’afflux de demandes. Quant aux candidats recalés, ils doivent attendre trois à six mois avant d’obtenir une nouvelle convocation.
Il y a donc une pénurie d’inspecteurs du permis de conduire. En Ardèche, ces professionnels ne sont que 5 pour quelque 6 200 candidats.
Indépendamment du débat auquel le sujet donne lieu, l’abaissement à 17 ans de l’âge minimal requis pour l’apprentissage de la conduite aggravera mécaniquement la crise actuelle, dans la mesure où une nouvelle classe d’âge sera appelée à passer cet examen. Les dispositions de la loi visant à faciliter le passage et l’obtention de l’examen du permis de conduire, qui vient d’être promulguée, sont certes salutaires ; mais elles resteront insuffisantes si elles ne s’accompagnent pas d’une véritable augmentation du nombre des créneaux d’examen.
Madame la ministre, le Gouvernement prévoit-il d’augmenter sensiblement le nombre d’inspecteurs du permis de conduire ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Ventalon, pour remédier à l’augmentation des délais de passage de l’examen pratique du permis de conduire, plusieurs mesures ont d’ores et déjà été mises en œuvre.
Premièrement, le périmètre des agents habilités à faire passer les examens a été élargi. Deuxièmement, deux cohortes d’agents contractuels du groupe La Poste ont été recrutées, soit soixante personnes depuis 2021, et une troisième cohorte complétera le dispositif de recrutement. Troisièmement, les différents mécanismes d’incitation ont permis d’accroître l’offre de créneaux d’examen : le nombre de créneaux supplémentaires dépasse désormais les 100 000 chaque année. Quatrièmement, les inspecteurs retraités volontaires peuvent être sollicités localement pour réaliser des examens du permis de conduire.
De plus, la décision d’organiser le recrutement de 100 inspecteurs du permis de conduire et de la sécurité routière supplémentaires a été prise pour la période allant de 2023 à 2026.
Les recrutements menés en 2023 permettront de déployer dans les départements plus de 50 inspecteurs du permis de conduire, qui s’ajouteront aux effectifs actuels. Ils seront appuyés par les 26 examinateurs supplémentaires en cours de formation.
Dans votre département, l’effectif cible d’inspecteurs du permis de conduire et de la sécurité routière était en effet de 5. Le seuil des formateurs, qui correspond au ratio entre le nombre de candidats à examiner et le nombre de formateurs est de 5,3 pour le mois de juin, ce qui traduit une offre de places en adéquation avec les capacités de formation des auto-écoles.
Cela étant, je vais regarder de plus près la situation de l’Ardèche. Vous le soulignez avec raison : l’arrivée d’une nouvelle classe d’âge augmentera le nombre des demandeurs. Nous devons poursuivre l’amélioration des conditions de passage de l’épreuve pratique du permis de conduire à l’aune de cette probable évolution.
Mme le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, pour la réplique.
Mme Anne Ventalon. Madame la ministre, je vous remercie de ces annonces et de l’attention que vous voudrez bien porter à la situation particulière de l’Ardèche.
Les gérants d’auto-école se trouvent dans une situation critique : ils ne peuvent pas répondre aux besoins de leurs élèves, même s’ils mesurent l’importance de ce sésame rose, gage d’émancipation personnelle et professionnelle.
disparités dans la répartition des effectifs de magistrats et de greffiers portant préjudice aux juridictions de la cour d’appel d’orléans
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question n° 667, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, j’appelle votre attention sur les disparités existant sur le territoire national quant au nombre de magistrats et autres personnels affectés aux différentes juridictions, eu égard aux populations de leur ressort.
Un rapport général des États généraux de la justice indique ainsi aux pages 22 et 23 que, faute de répondre à des paramètres explicites, l’allocation territoriale des effectifs « suscite des interrogations sur les disparités constatées entre l’évolution de l’activité des juridictions et la répartition des moyens ».
Le même rapport précise que la ventilation des effectifs entre siège, parquet et greffe par nature de juridiction pour 100 000 habitants et selon le flux d’activité met en lumière des « déséquilibres significatifs non explicables et en tout cas non expliqués par l’administration centrale dans la répartition des ressources entre les différents ressorts des cours d’appel ».
Un tableau permet de constater quelles sont les juridictions bien dotées, moins bien dotées ou encore moins bien dotées. Or il se trouve que la cour d’appel d’Orléans arrive en dernière position ; c’est donc la cour d’appel qui dispose du moins de postes de magistrats du siège et du parquet, de greffiers et de moyens.
Un rééquilibrage paraît bien entendu nécessaire : la cour d’appel d’Orléans et les juridictions qui en dépendent doivent être dotées des effectifs et des moyens dont elles ont besoin.
Je vous remercie, madame la ministre, des réponses que vous pourrez m’apporter.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée, à qui je souhaite la bienvenue.
Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Monsieur le sénateur, le plan particulièrement ambitieux que nous mettons en œuvre prouve que le renforcement des effectifs des juridictions est au cœur de nos préoccupations.
Grâce au projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, voté par le Sénat le mois dernier – hélas sans votre soutien ! –, 10 000 emplois supplémentaires viendront renforcer, en l’espace de cinq ans, non seulement les services judiciaires, mais aussi l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse.
Pour ce qui concerne les effectifs, nous allons créer au moins 1 500 postes de magistrat et 1 500 postes de greffier en cinq ans. Au cours de cette période, nous allons recruter autant qu’au cours des vingt dernières années !
La répartition de ces renforts entre les différentes cours d’appel est un sujet de premier plan. Elle prendra en compte une pluralité de facteurs, comme, bien sûr, l’évolution démographique, l’activité des juridictions dans le temps long ou encore l’état des stocks.
Le Gouvernement engagera une gestion rigoureuse des moyens supplémentaires que la représentation nationale s’apprête à allouer à l’institution judiciaire.
Enfin, sans attendre le vote du projet de loi d’orientation et de programmation, nous avons commencé à résorber la vacance grâce au budget très important voté pour l’année 2023.
Ainsi, pour l’ensemble du ressort de la cour d’appel d’Orléans, nous ne compterons plus que cinq postes vacants au 1er septembre 2023, contre huit au 1er septembre 2022, pour un effectif total de 159 magistrats.
Même si vous n’avez pas souhaité soutenir ces efforts historiques, vous pouvez constater que nous avançons dans le bon sens en suivant une méthode claire : réduction des postes vacants, puis augmentation des effectifs. D’ici à 2027, l’ensemble des juridictions françaises auront été renforcées dans des proportions considérables.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Je me réjouis que la vacance se résorbe dans le ressort de la cour d’appel d’Orléans. Toutefois, il faut aller plus loin en assurant un rééquilibrage, car visiblement ces juridictions sont sous-dotées.
J’espère que la nouvelle procédure en tiendra compte…
Mme le président. Mme la ministre vous a entendu, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Sueur. Je l’espère également ! (Sourires.)
multiplication des attaques contre le droit à l’interruption volontaire de grossesse
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, auteure de la question n° 772, transmise à Mme la ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances.
Mme Laurence Rossignol. Madame la ministre, j’appelle votre attention sur le regain d’activisme et de virulence des associations, lobbies et autres mouvements anti-interruption volontaire de grossesse (IVG).
Il est clair que la concomitance entre le regain d’activisme des mouvements d’ultradroite et celui des anti-IVG n’est ni totalement fortuite ni anodine.
À Bordeaux et dans de nombreuses autres villes, des locaux du planning familial ont été pris pour cibles. À Paris, le 25 mai dernier, nous avons assisté à une autre campagne de vandalisme, des autocollants antiavortement ayant été appliqués sur les Vélib’.
Des plaintes ont été déposées et des réponses judiciaires seront sans doute apportées. Pour autant, elles ne sauraient suffire, car il s’agit clairement d’une question politique.
Comment pouvons-nous, ensemble, renvoyer dans leurs cordes les lobbies anti-IVG qui s’agitent aujourd’hui ?
La première réponse, la plus simple, est de nature politique : elle consiste à constitutionnaliser le droit à l’IVG.
Les deux assemblées se sont prononcées en des termes certes différents, mais convergents : l’une et l’autre ont voté pour une constitutionnalisation de ce droit. Qu’attend le Président de la République pour faire déposer un projet de loi, réunir le Congrès et affirmer clairement que la France défend le droit à l’IVG au point de l’inscrire dans sa Constitution ? Les activistes anti-IVG cesseraient dès lors de nous harceler : eux qui ont déjà perdu la bataille d’opinion auraient définitivement perdu la bataille politique.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Madame la sénatrice, je vous remercie de poser cette question.
L’actualité récente nous rappelle que les droits des femmes sont encore, hélas ! la cible favorite des conservateurs. Ces dernières semaines, Paris a ainsi subi de honteuses campagnes de désinformation contre l’avortement.
En vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, j’ai saisi le procureur de la République pour que cette campagne cesse et que ses auteurs soient poursuivis.
L’IVG est un droit fondamental des femmes et nous ne laisserons personne y porter atteinte.
Depuis 2017, nous avons renforcé ce droit en assurant le tiers payant intégral de l’IVG, en luttant contre la désinformation, avec la création d’un numéro vert national, et en allongeant le délai de recours à l’IVG de douze à quatorze semaines.
En outre, le plan « Toutes et tous égaux », que nous avons présenté le 8 mars dernier avec Mme la Première ministre, prévoit la généralisation de la pratique des IVG chirurgicales par les sages-femmes.
Ce combat pour les droits sexuels et reproductifs des femmes passe aussi par l’amélioration de l’accès à la contraception.
Nous avons instauré la gratuité de la contraception pour les jeunes de moins de 26 ans et l’accès gratuit en pharmacie à la pilule du lendemain sans ordonnance pour toutes, sans limite d’âge. En effet, on ne pouvait plus tolérer que les femmes subissent des freins financiers pour l’accès à la contraception.
Enfin, le combat pour le droit à l’IVG est, bien sûr, un symbole puissant de la liberté des femmes. C’est pourquoi le Président de la République a pris des engagements forts, qui se déploient en France et en Europe.
Sur son initiative, les députés européens ont voté l’inscription du droit à l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Le 8 mars dernier – vous le savez –, il a exprimé sa volonté d’inscrire ce droit dans notre Constitution. Cette promesse est un message de liberté adressé à toutes les femmes de France et vous pourrez compter sur moi pour le porter.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour la réplique.
Mme Laurence Rossignol. Madame la ministre, nous savons votre engagement et nous saluons votre réactivité, chaque fois qu’une attaque est portée contre ce droit. Pour autant – je le dis très clairement –, le Président de la République nous balade !
Il ne suffit pas de promettre et de prendre des engagements : il est temps de passer à l’acte. C’est une urgence politique. Il est urgent de défendre le droit à l’IVG. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
violences routières et absence d’effectivité des peines
Mme le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp, auteure de la question n° 769, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Madame la ministre, ma question porte sur les violences routières, plus précisément sur l’absence d’effectivité des peines censées mettre un terme à ce fléau.
Voilà quelques jours, Noé aurait dû fêter ses 18 ans et préparer les prochains jeux Olympiques, puisqu’il venait de rejoindre l’équipe de France de tir sportif. Mais, le 25 juin 2022, au volant de sa voiture sans permis, il a été mortellement fauché à Antibes, dans mon département des Alpes-Maritimes, par un conducteur sous l’emprise de l’alcool et de stupéfiants, en excès de vitesse et, qui plus est, en récidive.
Le chauffard, qui ne lui a même pas porté secours, est ressorti libre soixante-dix jours plus tard, après avoir déposé une caution de 5 000 euros.
Il s’agit d’une double peine insupportable, particulièrement pour les victimes – vous vous en doutez.
En pareil cas, le régime de sanctions en vigueur permet au juge de prononcer une peine d’emprisonnement de dix ans, mais la réalité est tout autre : seuls 10 % des auteurs sont condamnés à une peine de prison ferme. Plus de 40 % des personnes impliquées dans des accidents mortels ne sont même pas condamnées à une peine de prison ferme.
Les familles doivent donc se taire, tandis que leur bourreau demeure libre de ses mouvements.
Quel message envoie notre pays ? Que les délinquants jouissent légalement de leur liberté de circulation alors qu’ils ont soustrait la vie d’un enfant à toute une famille et cumulé les circonstances aggravantes.
Les familles des victimes, les associations, nos concitoyens ou encore les élus, comme moi, en sont réduits à implorer le Gouvernement de faire appliquer les lois que nous avons votées.
Outre les difficultés rencontrées par les familles lors de leur demande d’indemnisation, point sur lequel j’ai d’ailleurs alerté le garde des sceaux, il est urgent de faire appliquer la loi.
Avec mes collègues Laurent Somon et Stéphane Demilly, nous avons déposé une proposition de loi en octobre dernier, notamment afin d’interdire, sous certaines conditions, de prononcer des aménagements de peine. J’attire votre attention sur ce texte pour que puissent émerger des engagements plus réalistes que communicationnels.
Madame la ministre, pouvez-vous nous donner les chiffres de l’année 2022 et ceux du début d’année 2023 concernant les peines effectivement purgées ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Madame la sénatrice, mes pensées vont, tout d’abord, vers Noé et sa famille.
Le Gouvernement est pleinement engagé dans la lutte contre la délinquance routière.
Une attention particulière est portée au traitement des infractions entraînant des accidents de la route. Leurs conséquences peuvent se révéler particulièrement dramatiques pour nos concitoyens ; ces accidents sont trop souvent liés à une consommation d’alcool ou de produits stupéfiants par l’un des conducteurs mis en cause.
Les peines prévues par notre code pénal tiennent d’ores et déjà compte de la dangerosité induite par de telles consommations en cas d’accident. Elles peuvent aller jusqu’au maximum légal de dix années d’emprisonnement en matière délictuelle.
Les peines prononcées par nos juridictions s’inscrivent nécessairement dans le cadre du droit de la peine fixé par le législateur. Dès lors, l’incarcération ne peut qu’être un ultime recours, afin de concilier les impératifs légaux de sanction et de réinsertion des personnes condamnées.
Cela étant, il convient de souligner qu’en 2021 l’intégralité des personnes déclarées coupables d’homicide involontaire par conducteur, aggravé par une conduite en état d’ivresse ou après usage de stupéfiants, ont été condamnées à une peine d’emprisonnement, dont 67 % à une peine d’emprisonnement ferme avec un quantum moyen de seize mois.
La proportion des peines d’emprisonnement ferme prononcées est la plus forte constatée depuis 2015. Au 1er janvier 2023, on comptait ainsi une centaine de personnes condamnées et détenues pour de tels faits.
Enfin, des réflexions sont en cours dans le cadre du comité interministériel de la sécurité routière pour élaborer, en la matière, un nouveau plan d’action global très prochainement.
demande d’accès aux données propres à élucider les circonstances de l’assassinat de dulcie september commis il y a trente-cinq ans
Mme le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, auteur de la question n° 718, transmise à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Daniel Breuiller. Madame la ministre, Dulcie September, représentante en France du Congrès national africain, ou African National Congress (ANC), mouvement incarné par Nelson Mandela, a été assassinée à Paris en plein jour le 29 mars 1988.
À l’époque, le gouvernement français avait refusé sa demande de protection rapprochée. La procédure judiciaire concernant son assassinat a été clôturée en juillet 1992 sans que les responsables de ce crime aient été identifiés.
En 2019, la famille de Dulcie September a demandé la réouverture de cette procédure sur le fondement de l’imprescriptibilité du crime d’apartheid et des crimes contre l’humanité. Cette plainte pénale a été rejetée. Une action en déni de justice avec offre de médiation a alors été engagée contre l’État en raison du fonctionnement défectueux de la justice.
Le 29 mai 2021, en déplacement à Johannesburg, le Président de la République Emmanuel Macron a tenu des propos très encourageants, lors de sa visite de l’exposition consacrée à Dulcie September à la fondation Nelson-Mandela. Il a dit à cette occasion qu’il était possible de faciliter une médiation avec la famille de Dulcie September.
Madame la ministre, je vous demande d’approuver cette demande de médiation déposée par l’avocat de la famille de Dulcie September.
Je vous demande également d’autoriser l’accès à la totalité des archives administratives et judiciaires ayant trait à Dulcie September, depuis l’installation de celle-ci en France en 1983 jusqu’à son assassinat, y compris aux éventuels documents justifiant d’un refus d’assurer sa protection.
Je vous demande, enfin, de coopérer pleinement avec l’Afrique du Sud dans le cadre de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale signée entre nos deux pays le 31 mai 2001.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Monsieur le sénateur, s’agissant des circonstances du décès de Dulcie September, en vertu des principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d’indépendance de l’autorité judiciaire – vous le savez –, il n’appartient pas au Gouvernement d’interférer dans les procédures judiciaires.
Il peut uniquement être rappelé que la réouverture d’une procédure pénale à la suite d’un non-lieu obéit à des règles spécifiques.
Pour ce qui concerne la coopération en matière pénale, jusqu’à l’entrée en vigueur de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et l’Afrique du Sud le 26 mars 2004, cette entraide judiciaire entre nos deux États obéissait au principe de réciprocité.
Désormais, sur la base de cette convention, notre obligation d’entraide judiciaire est la plus large possible. Les autorités judiciaires françaises et sud-africaines sont donc tenues de coopérer dans le cadre de procédures pénales engagées par l’État requérant.
Cette coopération peut prendre diverses formes : demande d’entraide ayant pour objet l’accomplissement d’actes d’enquête ou d’instruction, remise de documents, d’actes de procédure et de décisions judiciaires, comparution de témoins ou d’experts.
Dans le cadre de cette convention, les autorités judiciaires françaises se sont pleinement engagées à coopérer avec leurs homologues sud-africaines.
Vous évoquez, enfin, l’accès aux documents judiciaires français relatifs à l’affaire. Le service des archives du ministère de la justice est à la disposition des requérants pour identifier les pièces judiciaires ayant trait à cette procédure, en lien avec les archives nationales et départementales qui les conserveraient, et pour étudier la possibilité d’y accéder dans le respect du code du patrimoine.
Mme le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour la réplique.
M. Daniel Breuiller. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.
L’assassinat de Dulcie September sur notre territoire national est une tache. Notre pays a la possibilité d’ouvrir cette médiation. L’accès aux archives a évidemment été sollicité ; ces dernières sont pour partie consultables par l’avocat de la famille…
Mme le président. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Daniel Breuiller. Cette médiation est véritablement une chance à saisir.
absence de document d’urbanisme et assurabilité des risques dans le cadre du fonds national de gestion des risques en agriculture
Mme le président. La parole est à M. Gérard Longuet, auteur de la question n° 759, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
M. Gérard Longuet. Madame la ministre, l’article L. 361-5 du code rural et de la pêche maritime fixe les conditions d’intervention du fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA). Fort logiquement, ces dernières écartent les terrains qui auraient pu être assurés en lieu et place de l’intervention du FNGRA.
Malheureusement, la mise en œuvre de cet article se heurte à de véritables ambiguïtés. On l’observe notamment à Revigny-sur-Ornain, commune du département dont je suis l’élu. Certains terrains n’y sont qualifiés par aucun document d’urbanisme comme étant inondables ou non inondables.
Compte tenu du coût de l’assurance, qui s’élève en général à 15 % du produit de la récolte, les agriculteurs sollicités craignent à juste titre que l’assureur qui écarte les terrains inondables ne fasse jouer ce critère pour ne pas garantir ni assurer la perte, en dépit de la souscription d’un contrat.
Madame la ministre, ces cas sont-ils fréquents à l’échelle nationale ? Quelles solutions peut-on envisager lorsqu’aucun document d’urbanisme n’établit clairement le caractère inondable ou non inondable du terrain, de surcroît lorsque le maire n’a pas demandé à bénéficier du classement en catastrophe naturelle ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Monsieur le sénateur, lors du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, les acteurs ont dressé ce constat unanime : le régime des calamités agricoles, reposant notamment sur la distinction, que vous évoquez, des risques assurables et non assurables, est inadapté face aux enjeux liés au réchauffement climatique.
En conséquence, nous avons réformé ce système grâce au vote, par le Parlement, du projet de loi d’orientation relative à une meilleure diffusion de l’assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture.
Entré en vigueur le 1er janvier 2023, ce texte institue un nouveau système de couverture des pertes de récolte engendrées par les aléas climatiques.
Ce dispositif à trois étages prévoit une absorption des risques de faible intensité à l’échelle individuelle, autrement dit par l’exploitation agricole ; une mutualisation entre les territoires et les filières des risques d’intensité moyenne, par le biais de l’assurance multirisque climatique, dont les primes font l’objet d’une subvention publique ; et une indemnisation directe de l’État contre les risques dits catastrophiques.
Si l’objectif premier est d’inciter les exploitants à couvrir au mieux leurs risques en souscrivant des contrats d’assurance, la réforme n’en a pas moins institué un système universel, couvrant tous les types de cultures qu’elles soient assurées ou non assurées. Elle a ainsi mis en place un filet de sécurité qui permet, en cas de pertes d’ampleur exceptionnelle, le versement par le FNGRA d’une indemnisation minimale pour toutes les cultures, même celles qui n’auraient pu être assurées. Pour la campagne 2023, les cultures en zone inondable en bénéficieront le cas échéant.
Mme le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour la réplique.
M. Gérard Longuet. Madame la ministre, c’est un progrès et je m’en réjouis ; mais, malheureusement, les agriculteurs sanctionnés par suite de cette vacuité législative n’en bénéficieront pas. Ils ne peuvent qu’en appeler à la clémence du FNGRA !
hébergement sous tente des saisonniers en bourgogne
Mme le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la question n° 702, transmise à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la ministre, j’attire votre attention sur les difficultés d’hébergement des saisonniers lors des vendanges.
L’article R. 716-16 du code rural et de la pêche maritime permet d’héberger les saisonniers sous des tentes dans les départements où l’habitat est insuffisant au regard de l’importance de la main-d’œuvre accueillie. Ces dernières années, c’est devenu le cas dans les départements de la région Bourgogne-Franche-Comté à l’époque des vendanges, compte tenu de l’afflux notable de travailleurs.
L’arrêté de juillet 1996 relatif à l’hébergement des travailleurs agricoles n’offre cette possibilité qu’à un nombre restreint de départements, ceux du sud de la France, certainement en raison de leurs températures réputées plus clémentes.
Or, au regard de la précocité des dernières vendanges – depuis quelques années, elles se déroulent en période estivale –, les professionnels de Bourgogne-Franche-Comté sollicitent la modification de ce décret pour autoriser l’hébergement sous tente des saisonniers en Côte-d’Or, en Saône-et-Loire et dans l’Yonne, ainsi que dans des départements d’autres régions – l’Aisne, l’Aube, la Marne, la Haute-Marne et la Seine-et-Marne.
Une telle dérogation favoriserait l’embauche de demandeurs d’emploi et de personnes en situation de précarité qui ne disposent actuellement d’aucune solution d’hébergement dans ces territoires.
Le décret pourrait-il être modifié assez rapidement au regard de ces nouvelles réalités climatiques, économiques et sociales ? Les saisonniers de la région Bourgogne-Franche-Comté pourraient ainsi disposer d’hébergements supplémentaires : le besoin de main-d’œuvre de ces territoires n’en serait que mieux couvert.
Mme le président. Merci pour l’Aisne, ma chère collègue ! (Sourires.)
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Madame la sénatrice, l’arrêté du 1er juillet 1996 fixe, par dérogation, trois conditions strictes à l’hébergement sous tente en le limitant à certains salariés, recrutés pour une durée de moins d’un mois, sur autorisation spécifique de la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS), et uniquement pour certains départements, voire cantons, limitativement listés.
L’hébergement sous tente n’est ainsi autorisé que pour la période allant du 1er juin au 15 septembre et seulement dans tout ou partie de quinze départements.
Les départements de Côte-d’Or, de Saône-et-Loire, de l’Yonne, de l’Aisne, de l’Aube, de la Marne, de la Haute-Marne et de la Seine-et-Marne ne figurent pas sur cette liste.
Par ailleurs, dans le cadre de l’accord collectif national de travail sur les saisonniers du 18 juillet 2002, les organisations professionnelles et syndicales se sont accordées sur la définition du logement décent et sur la limitation du recours à l’hébergement sous tente tout en appelant de leurs vœux un assouplissement de la réglementation concernant l’hébergement des travailleurs saisonniers, notamment en résidence mobile.
À la suite de cet accord, la réglementation a été modifiée afin de permettre l’hébergement des saisonniers en résidence mobile et démontable. En revanche, la liste des départements où l’hébergement sous tente peut être autorisé est restée inchangée.
Il ne paraît pas souhaitable de remettre en cause l’équilibre auquel les partenaires sociaux sont parvenus ou d’allonger cette liste.
En outre, concernant l’hébergement en résidence fixe, le décret du 20 septembre 2016 a élargi les possibilités de dérogation aux règles d’hébergement à un secteur d’activité donné, dès lors qu’une organisation professionnelle d’employeurs représentative en fait la demande à la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets).
Ce décret simplifie les démarches des employeurs. Il répond ainsi aux préoccupations des professionnels souhaitant pouvoir loger sur place les salariés saisonniers pendant une courte période.
Enfin, le Conseil d’État a attiré l’attention du Gouvernement sur les risques de rupture d’égalité et d’atteinte au droit à un logement décent, auquel il n’est ni souhaitable ni possible de déroger.
Mme le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la ministre, vos arguments ne tiennent pas face aux réalités que connaissent les territoires de la région Bourgogne-Franche-Comté au sens large.
Non seulement les critères de durée et de saisonnalité sont respectés, mais ce dispositif s’applique déjà dans un certain nombre de régions viticoles. Je vous prie de vous pencher de nouveau sur ce sujet et j’attire votre attention sur les grandes difficultés…
Mme le président. Veuillez conclure, chère collègue.
Mme Anne-Catherine Loisier. … auxquelles sont confrontés les viticulteurs, aujourd’hui, pour recruter des saisonniers.
accompagnement des jeunes guadeloupéens vers l’emploi
Mme le président. La parole est à M. Dominique Théophile, auteur de la question n° 437, adressée à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
M. Dominique Théophile. Madame la ministre, j’attire votre attention sur la situation de l’emploi dans mon département.
Le 19 janvier 2023, l’Insee publiait une étude consacrée à la Guadeloupe attestant que plus de 27 % des jeunes Guadeloupéens âgés de 15 à 29 ans n’étaient ni en emploi, ni en études, ni en formation (Neet) entre 2015 et 2019, soit deux fois plus que dans l’Hexagone.
Par ailleurs, et sans surprise, cette enquête relève qu’une large majorité de ces jeunes recherchent un emploi ou souhaitent travailler.
Les dispositifs d’accompagnement vers une réinsertion professionnelle sont nombreux et, en la matière, les collectivités territoriales accomplissent d’importants efforts. Il convient de les saluer ; mais force est de constater qu’ils ne sont pas suffisants.
Les pistes de réflexion, qui restent très nombreuses, doivent prendre pour base les réalités socioéconomiques. Au total, 34,5 % de la population de ce territoire vit sous le seuil de pauvreté national. De plus, 12 % de cette population est en situation de très grande pauvreté, avec des difficultés pour rejoindre les zones à fort taux d’embauche, faute de disposer d’un réseau de transports en commun efficient.
Repenser le marché de l’emploi en tenant compte du caractère insulaire de la Guadeloupe n’est pas une variable à négliger. Nombre de postes accessibles en CDD peinent à se requalifier en CDI. Il faut aussi œuvrer à une meilleure adéquation entre spécialité de formation et emploi, veiller à l’amélioration de la coordination entre institutions parties prenantes, ou encore envisager une extension de la garantie jeune.
Quelles actions entendez-vous mener pour accompagner l’ensemble de ces jeunes vers l’emploi et ainsi combler l’écart avec la moyenne nationale ? La situation de ce département est bel et bien préoccupante.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Monsieur le sénateur, le Gouvernement a développé un certain nombre de dispositifs afin d’accompagner les jeunes vers l’emploi.
Pour améliorer leur insertion professionnelle, le contrat d’engagement jeune (CEJ) est déployé depuis le 1er mars 2022. Il vise à proposer un suivi adapté et personnalisé aux jeunes qui ont besoin d’un accompagnement global, avec une sécurisation financière pour ceux qui en ont le plus besoin. Pour 2023, il est prévu de financer l’accompagnement de 200 000 nouveaux jeunes en CEJ par les missions locales et le maintien de 100 000 jeunes accompagnés en CEJ par Pôle emploi.
En Guadeloupe, 858 jeunes ont signé un contrat d’engagement jeune depuis le 1er janvier 2023 et 1 463 jeunes ont un contrat en cours.
J’en viens aux jeunes les plus éloignés du service public de l’emploi, sans revenu et rencontrant des difficultés de plusieurs ordres – sociales, éducatives, de santé, etc.
Des appels à projets régionaux ont été lancés pour ces jeunes dits en rupture ; ils sont désormais mis en œuvre sur l’ensemble du territoire. En Guadeloupe, deux projets sont déployés. Ils visent notamment à développer des solutions de mobilités pour les jeunes.
Par ailleurs, nous soutenons fortement l’apprentissage, qui constitue un levier efficace de formation des natifs sur leur territoire et garantit l’adéquation aux besoins des entreprises.
Afin de permettre l’apprentissage de tous les gestes professionnels sans recourir à la mobilité contrainte en métropole, nous confions annuellement au conseil régional de Guadeloupe 4,9 millions d’euros pour soutenir les investissements dans les centres de formation d’apprentis (CFA) du territoire, et plus de 1 million d’euros pour soutenir le fonctionnement de ces établissements.
Notre réforme à venir du lycée professionnel s’accompagnera d’une réflexion sur la carte des formations : ces dernières devront être davantage en adéquation avec le tissu économique du territoire de chaque lycée professionnel.
L’État, via le plan France 2030,…
Mme le président. Il faut conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Isabelle Rome, ministre déléguée. … s’engage à accompagner les collectivités territoriales dans la rénovation des plateaux techniques et à garantir le maintien des jeunes dans les territoires.
Mme le président. La parole est à M. Dominique Théophile, pour la réplique.
M. Dominique Théophile. Madame la ministre, nous serons en mesure d’évaluer rapidement les dispositifs mis en œuvre. S’il le faut, je reviendrai à la charge, car la situation de la Guadeloupe est extrêmement préoccupante.
rapport annuel de la défenseure des droits
Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, auteur de la question n° 778, adressée à M. le ministre de la transformation et de la fonction publiques.
M. Jean-Yves Roux. L’accès aux services publics partout et pour tous est l’un des fondements de notre cohésion sociale. Or ces fondements vacillent. La disparition répétée de services publics dans certains territoires depuis des années, leur éloignement, les conditions de la dématérialisation des procédures d’accès à ces services et les disparités d’accès entre les territoires sont autant de raisons qui expliquent les difficultés rencontrées par nos concitoyens.
Dans son rapport d’activité pour l’année 2022, publié le 17 avril 2023 et présenté au Sénat le 14 juin dernier, le Défenseur des droits fait état d’une « hausse continue des réclamations qui témoigne d’un recul des services publics ».
Ce rapport mentionne ainsi, pour le seul volet « relation avec les services publics », 82 000 réclamations liées aux rapports avec les administrations. Ce chiffre est en augmentation de 14 % par rapport à 2021.
Dans son étude de juin dernier, l’association Familles rurales relève pour sa part que, dans les campagnes, 60 % des usagers font état d’une dégradation de l’accès aux services publics ces dernières années. Les auteurs de cette enquête ajoutent : « Le déficit de services publics est le principal frein identifié par le grand public pour s’installer en zone rurale. »
Mes chers collègues, alors qu’un plan d’ampleur est annoncé en faveur de la ruralité, nous devons prendre la mesure de ces situations, qui mettent à mal les efforts des collectivités territoriales et de la puissance publique tout entière.
Le 31 mai dernier – vous le savez, madame la ministre –, le Sénat a adopté, à l’unanimité, une proposition de résolution du groupe RDSE invitant le Gouvernement à renforcer l’accès aux services publics en privilégiant, en particulier, un accès téléphonique rapide.
Nous avons plus que jamais besoin d’une stratégie, visible par nos concitoyens et les élus responsables de nos territoires, de reconquête des services publics. Les maisons France Services, pour utiles qu’elles soient, mais parce qu’elles reposent beaucoup sur l’engagement de nos collectivités, ne peuvent à elles seules pallier ces manques.
Alors que les services du ministre de la transformation et de la fonction publiques préparent l’examen du projet de loi de finances pour 2024 et que les missions budgétaires concernant les services publics sont particulièrement dispersées,…
Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Yves Roux. … comment le Gouvernement compte-t-il prendre en compte les remarques du Défenseur des droits ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Monsieur le sénateur, le déploiement de services publics de qualité est une priorité du Gouvernement. À cet égard, trois axes d’action ont été définis lors du comité interministériel de la transformation publique (CITP) qui s’est tenu le 9 mai dernier.
Premièrement, le programme « 10 moments de vie » a été lancé. Il permet d’apporter des réponses aux questions que se posent tous les Français au quotidien, de la naissance à la perte d’un proche en passant par l’entrée dans la vie étudiante et le départ à l’étranger.
Deuxièmement, l’ensemble des canaux d’accès – numérique, téléphonique ou encore physique – aux services publics ont été améliorés, pour que personne ne soit laissé de côté. Cela passe par un nouveau plan pour renforcer la qualité de l’accueil téléphonique. Notre ambition est d’atteindre un taux de décroché supérieur à 85 % lorsque l’usager demande à entrer en contact avec un agent. Cela passe aussi par l’amélioration de la qualité de nos démarches numériques essentielles : il faut les rendre systématiquement accessibles aux personnes en situation de handicap, en limitant le nombre de justificatifs demandés ou encore en proposant des tutoriels à nos concitoyens pour leurs démarches en ligne.
Troisièmement et enfin, nous poursuivons nos efforts en faveur de ceux qui en ont le plus besoin, les « VIP » (very important persons) du service public. En effet, nos concitoyens les plus éloignés des démarches administratives – les personnes âgées isolées, et les jeunes en difficulté qui savent utiliser les réseaux sociaux, mais ne savent pas remplir un formulaire en ligne – sont aussi les plus en danger. Ils risquent le décrochage, voire l’hyper-précarité, souvent en raison de la complexité des procédures qui leur sont imposées. Le réseau des 2 600 espaces France Services est là pour les accompagner et les guider.
Nous allons densifier le bouquet de services, mieux faire connaître ce réseau précieux, utile et plébiscité par nos concitoyens. On y retrouvera France Rénov’, le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous), ou encore la Banque de France. La densification du réseau se traduit aussi par la création de 1 500 espaces complémentaires.
Vous le voyez, le Gouvernement est pleinement engagé pour fait vivre ce lien social fort avec ces services publics de proximité, qui permettent à chacun d’avoir accès à ses droits.
attaques du loup en saône-et-loire
Mme le président. La parole est à M. Fabien Genet, auteur de la question n° 742, transmise à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Fabien Genet. Madame la présidente, quel plaisir et quel honneur de poser à cet instant ma question sous votre présidence, laquelle est toujours aussi exigeante que bienveillante ! (Sourires.)
Madame la ministre, depuis trois ans, les troupeaux ovins, caprins et même bovins de mon département de Saône-et-Loire sont régulièrement la cible des attaques du loup. De l’Autunois au Charolais en passant par le Châlonnais, le Clunisois et le Mâconnais, la liste des exploitations touchées s’allonge jour après jour. Chaque fois, c’est le même carnage, la même désolation, la même angoisse et la même souffrance pour l’éleveur, la même colère pour tout un territoire.
Professions agricoles, élus des territoires et parlementaires de tous bords ont pu, le 23 juin dernier, sensibiliser le ministre de l’agriculture à cette situation dramatique lors de sa venue en Saône-et-Loire. Son sens de l’écoute est à saluer, mais il n’est pas le seul décideur. J’ai donc souhaité interroger M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Le plan national d’actions sur le loup et les activités d’élevage (PNA) visait à réintroduire une population viable de 500 loups. Or l’Office français de la biodiversité (OFB) dénombre aujourd’hui 800 à 1 000 individus, chiffres que beaucoup jugent encore sous-évalués. On évoque, de plus, une augmentation de 20 % du nombre de spécimens chaque année.
Au regard de ces chiffres, je poserai quatre questions simples.
Premièrement, le gouvernement français entend-il obtenir la modification du classement de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, dite Convention de Berne, afin que le loup passe de la catégorie des espèces strictement protégées à celle des espèces protégées ?
Deuxièmement, le nombre de loups prélevés ne devrait-il pas être revu à la hausse, afin que l’on puisse conduire une réelle régulation de l’espèce ?
Troisièmement, et plus largement, le Gouvernement est-il d’accord pour reconnaître que le plan national d’actions sur le loup, dans sa configuration actuelle, ne correspond pas à la topographie d’un territoire bocager comme la Saône-et-Loire ?
Quatrièmement et enfin, le Gouvernement a-t-il étudié les conséquences de la prédation du loup sur l’équilibre des écosystèmes et sur la faune sauvage ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Monsieur le sénateur, l’action du Gouvernement relative au loup vise à concilier les activités d’élevage et la préservation de l’espèce, laquelle est strictement protégée par le droit national, européen et international.
Si le retour du loup est positif pour la biodiversité, nous sommes conscients que les attaques répétées contre les troupeaux domestiques sont compliquées pour les éleveurs.
La priorité est donc de protéger les élevages. L’État joue son rôle pour indemniser les dommages et aider les éleveurs à mettre en place les mesures de protection des troupeaux : clôtures, chiens de protection ou encore gardiennage. En 2022, il a versé 32,7 millions d’euros, dont environ la moitié issue du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), aux 3 391 éleveurs ayant déposé une demande d’aide.
Les tirs létaux constituent un complément aux moyens de protection. Ils sont mobilisables dans la limite d’un plafond défini chaque année en fonction de la population lupine estimée. Selon la réglementation en vigueur, ce plafond est fixé à 19 %. Il est toutefois possible d’aller jusqu’à 21 % pour permettre d’assurer la défense des troupeaux jusqu’à la fin de l’année.
Le travail d’élaboration du prochain plan national d’actions sur le loup, qui couvrira la période 2024-2029, a été engagé. Une attention particulière continuera d’être portée aux nouvelles zones de présence, afin d’y déployer rapidement des moyens de protection et, si les conditions sont réunies, d’y autoriser des tirs dérogatoires.
Sans remettre en cause le bon état de conservation de l’espèce, le plan a vocation à étudier tous les aspects de l’accompagnement des éleveurs. Il faut expérimenter ces pistes pour trouver les solutions les plus efficaces et renforcer la coopération avec nos pays voisins sur ce sujet.
Mme le président. La parole est à M. Fabien Genet, pour la réplique.
M. Fabien Genet. J’entends votre réponse, madame la ministre.
La prochaine mouture du plan national d’actions sur le loup devra tenir compte de la spécificité des territoires bocagers, comme la Saône-et-Loire, pour lesquels la protégeabilité est une véritable question. À défaut, c’est l’élevage qui, à terme, sera menacé.
Puisque vous êtes chargée de l’égalité des chances, vous devez savoir que la brebis et le loup ne sont pas sur un pied d’égalité ! (Sourires.) Nous devons absolument protéger nos élevages. Il y va non seulement de notre souveraineté alimentaire, mais aussi – en Saône-et-Loire, nous en sommes convaincus – de la biodiversité, à laquelle contribuent les éleveurs.
Mme le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Pierre Laurent.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Hommage à Léon Gautier, dernier vétéran du commando Kieffer
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec une grande émotion que nous avons appris hier la disparition de Léon Gautier, dernier des membres du commando Kieffer, à l’âge de 100 ans. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, se lèvent.)
Il avait rejoint Londres à seulement 18 ans dès juin 1940, puis intégré en 1943 le 1er bataillon de fusiliers marins et commandos.
Il avait débarqué le 6 juin 1944 en Normandie avec ses 176 compagnons, les seuls Français à participer au jour J.
Au moment où disparaît le dernier survivant de ce commando mythique, nous souhaitons saluer l’engagement et la mémoire de l’homme que fut Léon Gautier et, à travers lui, la mémoire de l’ensemble des Français qui combattirent pour notre liberté.
Je vous propose d’observer un moment de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, observent une minute de silence.)
4
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour du mercredi 12 juillet, après les questions d’actualité au Gouvernement, sous réserve de leur dépôt, des conclusions de l’éventuelle commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer la protection des familles d’enfants atteints d’une maladie ou d’un handicap ou victimes d’un accident d’une particulière gravité.
Il demande également l’inscription à l’ordre du jour du jeudi 13 juillet, avant la suite du projet de loi pour le plein emploi, sous réserve de leur dépôt, des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945.
Acte est donné de ces demandes.
5
Organisation des travaux
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la bonne organisation de nos travaux, je vous précise que nous suspendrons la séance vers dix-neuf heures quinze pour les reprendre à vingt et une heures trente.
6
Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour une mise au point au sujet de votes.
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, lors des scrutins n° 323, portant sur l’article 6 constituant l’ensemble du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2021, et n° 324, portant sur l’article 7 constituant l’ensemble du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2022, notre collègue Daphné Ract-Madoux souhaitait voter pour, et non s’abstenir.
Par ailleurs, lors du scrutin n° 325 sur la motion n° 1, d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour l’année 2022, elle souhaitait voter contre et non pour.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
7
Protection des familles d’enfants atteints d’une maladie ou d’un handicap
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la protection des familles d’enfants atteints d’une maladie ou d’un handicap ou victimes d’un accident d’une particulière gravité (proposition n° 393, texte de la commission n° 787, rapport n° 786).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous connaissons toutes et tous, même si nous n’avons pas été directement confrontés à ces situations, les souffrances et les difficultés que rencontrent de trop nombreuses familles de notre pays : celles dont les enfants sont atteints d’une grave maladie, victimes d’un accident ou en situation de handicap, et dont le quotidien, parce qu’elles sont frappées par le sort, bascule du jour au lendemain.
En tant que ministre des familles, c’est à ces familles que je pense avant tout en m’exprimant aujourd’hui devant vous. Et c’est en leur nom que je me réjouis du chemin déjà parcouru par la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par le député Paul Christophe, que votre commission des affaires sociales a adoptée la semaine dernière.
Madame la rapporteure, je salue le travail que vous avez accompli à ce titre. Le présent texte a été précisé et enrichi par plusieurs amendements déposés par vos soins.
Beaucoup a été fait ces dernières années en faveur d’un meilleur accompagnement des parents d’enfants malades ou en situation de handicap, souvent d’ailleurs sur l’initiative du Parlement.
Nous avons tous en mémoire le vote, en 2019, de la loi visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l’oubli ; celui, en 2021, de la loi visant à l’accompagnement des enfants atteints de pathologie chronique ou de cancer ; ou encore celui, toujours en 2021, de la loi visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d’un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu.
Le Gouvernement agit également en matière de recherche.
Vous connaissez l’engagement du ministre de la santé et de la prévention, François Braun, dans la lutte contre les cancers pédiatriques, enjeu médical majeur qui concerne chaque année environ 2 500 enfants et adolescents. Si la majorité d’entre eux guérissent, il nous faut poursuivre nos efforts, car, pour 20 % d’entre eux, il n’y a qu’un seul et unique espoir : le progrès de la recherche.
Le Gouvernement s’y attelle au travers de la stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030, dont certaines mesures sont spécifiquement dédiées à cette question.
Nonobstant les progrès accomplis, il nous faut aller plus loin pour améliorer l’accompagnement que nous proposons à ces familles. C’est une demande forte et légitime de leur part et de celle des associations qui les représentent et les soutiennent.
Nombre de ces associations, réunies pour beaucoup au sein de la fédération Grandir sans cancer, agissent au quotidien aux côtés des parents. Elles jouent parfois un rôle salutaire d’aiguillon auprès des pouvoirs publics, pointant certains irritants et proposant l’évolution de certains dispositifs. Je salue ainsi le dialogue qui est engagé avec les associations Eva pour la vie, Rose et Léa.
Je relève aussi l’engagement des chercheurs, des professionnels engagés dans la lutte contre les cancers, maladies graves et handicaps de l’enfant, ainsi que dans l’accompagnement de leurs familles. C’est notamment avec ces acteurs que votre collègue député Paul Christophe, auteur d’un excellent rapport sur le sujet, a rédigé le texte qui vous est présenté aujourd’hui et dont les dispositions, soutenues par le Gouvernement, viendront utilement compléter les mesures fortes déjà appliquées.
Je pense avant tout aux dispositifs de congé de présence parentale (CPP) et d’allocation journalière de présence parentale (AJPP), que cette proposition de loi renforce. Cette prestation est versée chaque année à environ 10 000 parents s’occupant d’un enfant malade, victime d’un accident ou en situation de handicap. Son droit est ouvert pour une période égale à la durée du traitement de l’enfant, fixé par un certificat médical établi par le médecin traitant.
Grâce à la représentation nationale, le nombre maximum de jours du congé indemnisés par l’allocation, fixé à 310, peut être doublé depuis 2021. Ce congé peut ainsi atteindre 620 jours, dans les situations caractérisées par des traitements longs qui nécessitent un arrêt total d’activité de la part de l’un des parents.
Cette amélioration majeure concerne 5 % des bénéficiaires de l’AJPP, qui, face à des maladies longues – j’y insiste, ces situations extrêmement difficiles appellent une présence continue du parent auprès de l’enfant –, allaient auparavant au terme des 310 jours. La représentation nationale a donc eu raison de se saisir de cette question.
Le dispositif fonctionne, mais – les remontées de terrain en témoignent – il est parfois grippé par des délais excessifs. Une telle situation n’est bien sûr pas satisfaisante : il convient de simplifier les démarches.
Il fallait le faire, tout d’abord, au moment de l’ouverture des droits, avec l’idée de procéder à la liquidation de la prestation sans attendre l’avis du service de contrôle médical de la caisse d’assurance maladie. Ce contrôle a priori est parfois retardé du fait de la charge de travail importante des services. Nous passerons à un contrôle a posteriori, qui facilitera l’accès rapide à la prestation.
En matière de renouvellement exceptionnel des droits, une simplification est également prévue, avec la suppression de l’avis explicite aujourd’hui requis de la part du service de contrôle médical.
Ces mesures s’inscrivent pleinement dans la logique gouvernementale en faveur de l’accès rapide et effectif au droit. Ces questions sont au cœur du dialogue que je mène avec l’ensemble des acteurs, en particulier avec la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). Cette dernière se montre de plus en plus souple : à preuve, elle modernise ses pratiques et les adapte aux attentes et aux besoins de nos concitoyens. Je salue à ce titre l’action des 35 000 agents des caisses d’allocations familiales (CAF), présents au quotidien aux côtés des bénéficiaires qu’ils accompagnent. La prochaine convention d’objectifs et de gestion (COG) entre l’État et la Cnaf, qui sera signée dans les prochains jours, va d’ailleurs dans le sens d’un accès encore plus effectif aux droits.
Les autres dispositions de cette proposition de loi visent à répondre à un ensemble de problématiques liées aux bouleversements que représente, pour les familles concernées, la survenue chez leur enfant d’un accident, d’une maladie ou d’un handicap.
Pour ce qui concerne les problématiques d’ordre professionnel, en renforçant la protection contre le licenciement, ou encore en facilitant le recours au télétravail, ce texte traite de ce que j’aime à qualifier de « responsabilité familiale des entreprises ».
Nous connaissons depuis longtemps la responsabilité sociale et environnementale (RSE). Face aux enjeux de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, et alors que notre rapport collectif au travail est en train de changer, cette composante familiale devient incontournable. Elle commence par une organisation qui tient compte de la dimension parentale du salarié, et donc de l’intérêt des enfants.
Nombre d’entreprises l’ont déjà compris et je souhaite que cette tendance s’accélère. Elles y sont invitées par les articles de ce texte portant allongement de la durée du congé de deuil pour décès d’un enfant et du congé pour l’annonce de la survenue d’un handicap ou d’une affection de longue durée chez un enfant.
Le Gouvernement soutient ces mesures. Il a d’ailleurs déposé un amendement visant à les étendre aux agents de la fonction publique. Dans les faits, elles offriront davantage de temps aux parents concernés par ces situations, pour certaines très difficiles, pour d’autres dramatiques.
Il faut du temps pour faire son deuil ou prendre la mesure de la situation nouvelle et des bouleversements induits. À cet égard, le présent texte contient de nombreuses avancées pour les familles : nous nous retrouverons tous, sans difficulté, pour les soutenir.
Il nous faudra, bien sûr, continuer à rechercher des améliorations. Je suis convaincu que ce travail passe notamment par des initiatives locales, des retours d’expérience et des expérimentations.
À ce titre, le Gouvernement soutient pleinement l’article 5 de la proposition de loi : l’expérimentation qu’il prévoit permettra aux CAF de rester souples et de proposer aux bénéficiaires qu’elles accompagnent des aménagements que nous ne connaissons pas aujourd’hui, mais qui auront peut-être vocation, demain, à être généralisés.
En tout cas, la question se posera toujours en relation avec les parents, dont nous devons entendre les besoins et les attentes, et avec les professionnels qui les accompagnent, lesquels doivent continuer à nous dire ce qui fonctionne et ce qui doit être amélioré. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC et au banc des commissions. – Mme Colette Mélot et M. Éric Gold applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré un cadre législatif dynamique, marqué par l’adoption de trois textes depuis 2020, les familles d’enfants atteints d’un handicap ou d’une maladie grave se heurtent encore à des obstacles de natures diverses, tant dans leur situation professionnelle que dans les démarches administratives et médicales à accomplir.
Ces obstacles sont d’autant plus malvenus que les familles concernées sont souvent – il n’est nul besoin de le dire – bouleversées par la situation.
En l’absence d’un projet de loi plus englobant pour améliorer les conditions d’existence des familles, il nous revient donc, de nouveau, de légiférer sur cette question pour répondre à la demande de celles qui connaissent des situations difficiles, et que l’ensemble des associations que j’ai auditionnées m’ont résumée en un mot : répit.
En allégeant leurs démarches et en sécurisant leurs conditions d’existence, cette proposition de loi, inscrite à l’ordre du jour du Sénat par le Gouvernement près de quatre mois après son adoption à l’unanimité par l’Assemblée nationale, vise à permettre aux parents concernés d’être davantage présents physiquement, mais aussi mentalement, auprès de leur enfant.
L’amélioration du CPP et de l’AJPP est au cœur de ce texte. Ces dispositifs permettent au parent d’un enfant dont l’état de santé justifie sa présence d’interrompre son activité professionnelle pendant 310 jours fractionnables, sur une période maximale de trois ans, et renouvelables une fois. En compensation de la perte de revenus qui en découle, les parents bénéficient d’une allocation forfaitaire.
Avant de vous présenter ces dispositions plus en détail, je tiens à remercier l’auteur de cette proposition de loi et rapporteur de l’Assemblée nationale, le député Paul Christophe, dont je salue la présence en tribune aujourd’hui. Je remercie également notre collègue Brigitte Micouleau de son appui et son soutien lors de l’instruction de ce texte au Sénat. Elle est, comme vous le savez, très engagée auprès des familles et des associations.
L’article 1er vise à offrir une protection contre le licenciement aux salariés en congé de présence parentale. Les salariés dont l’enfant souffre d’une maladie ou d’un handicap graves ont un besoin accru de stabilité dans tous les pans de leur vie, au premier chef dans leur vie professionnelle. Pourtant, comme l’ont révélé les auditions, des discriminations et des intimidations qui, fussent-elles rares, n’en sont pas moins inacceptables, restent à déplorer, justifiant ainsi l’intervention du législateur.
En offrant une protection ex ante aux salariés en congé de présence parentale, l’article 1er rend impossible le licenciement d’un salarié en congé de présence parentale du fait même de son statut, hors cas de faute grave et de force majeure, sur le modèle de la protection contre le licenciement des femmes en congé de maternité.
Pour atteindre pleinement son objectif, cette protection devait toutefois s’appliquer à tous les parents en CPP, quels que soient leurs choix professionnels. En ce sens, la commission a adopté cet article modifié par un amendement tendant à préciser que la protection contre le licenciement était applicable à toute la durée du congé de présence parentale, y compris lors des éventuelles périodes de reprise du contrat de travail entre deux périodes de congés.
L’article 1er bis, inséré en séance à l’Assemblée nationale, allonge la durée minimale de deux congés pour événements familiaux. Il couvre deux sujets bien distincts.
D’une part, cet article étend de deux à cinq jours ouvrables la durée du congé pour annonce de la survenue d’un handicap ou d’une pathologie grave chez l’enfant. Cette mesure, plébiscitée par les associations, laissera davantage de temps aux familles pour assimiler la nouvelle et accomplir les démarches prenantes et chronophages auxquelles elles sont confrontées après l’annonce. La commission l’a donc adoptée sans modification.
D’autre part, l’article 1er bis augmente la durée du congé pour le salarié dont un enfant décède. Le texte transmis par l’Assemblée nationale se bornait à porter de cinq à douze jours ouvrables le congé dans le cas général, sans toutefois modifier le congé spécifique pour la perte d’un enfant de moins de 25 ans, qui restait fixé à sept jours ouvrés.
La commission a adopté un amendement tendant à corriger cette incohérence en préservant la position du Sénat, qui, en 2020, a entendu conférer deux jours de congé supplémentaires en pareil cas. Elle a donc fixé à quatorze jours ouvrables le congé minimal pour un salarié confronté à la perte d’un enfant ou d’une personne à charge de moins de 25 ans, ou à la perte d’un enfant lui-même parent.
En concertation avec le Gouvernement, qui en assure la recevabilité financière au titre de l’article 40 de la Constitution, je vous proposerai, au nom de la commission, un amendement visant à répercuter les modifications adoptées pour les salariés sur les agents publics, afin de garantir l’égalité des droits en la matière.
Certes, il ne revient pas à la loi de fixer le congé pour le décès d’un enfant chez les militaires. Mais j’appelle le Gouvernement à leur rendre applicables les modifications mises en œuvre par ce texte s’il devait, comme je l’espère vivement, arriver au terme de son cheminement parlementaire.
L’article 2 simplifie et assouplit le recours au télétravail pour les salariés aidants. Les accords collectifs régissant le télétravail devront désormais évoquer distinctement les modalités d’accès au travail à distance pour ces salariés. En parallèle, l’employeur refusant d’accorder le bénéfice du télétravail à un salarié aidant devra motiver sa décision.
Mes chers collègues, j’en suis consciente, cet article ne touchera pas tous les parents aidants. Ceux dont le métier n’est pas télétravaillable ne pourront pas bénéficier de cette avancée, tout comme ceux dont l’état de santé de l’enfant est incompatible avec l’exercice du télétravail, qui implique – rappelons-le – les mêmes sujétions qu’une activité professionnelle sur site. Toutefois, cet article procède d’une logique vertueuse. Il repose sur la confiance dans le dialogue social pour fixer les dispositions adaptées, afin d’offrir davantage de flexibilité aux salariés aidants. C’est pourquoi la commission l’a adopté sans modification.
Les articles suivants concernent les bénéficiaires de l’allocation journalière de présence parentale.
Comme je l’ai indiqué, cette allocation peut désormais être renouvelée, en vertu de la loi du 15 novembre 2021. Il convient, pour ce faire, qu’un nouveau certificat médical atteste le caractère indispensable de la poursuite des soins contraignants et d’une présence soutenue.
Néanmoins, le renouvellement de l’AJPP est soumis à l’accord explicite du service du contrôle médical de l’assurance maladie, par dérogation au principe appliqué à une première demande, selon lequel le silence gardé pendant deux mois vaut acceptation. De cette inversion de logique résultent des délais trop longs d’instruction des demandes, plaçant les familles dans des situations délicates.
L’article 3 supprime ce caractère explicite. En outre, il permet aux CAF d’accorder une avance sur prestation afin d’éviter toute rupture de ressources pour les parents éligibles à l’AJPP. La commission vous invite à adopter cet article en l’état pour simplifier le recours à la prestation.
Cette même intention se traduit à l’article 5, qui permet aux CAF de mettre en œuvre des innovations, à titre expérimental, dans le service de l’AJPP afin de prémunir ses allocataires de difficultés financières.
L’article 4 apporte lui aussi un ajustement à une réforme récemment votée. La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2022 a revalorisé le montant de l’AJPP, ainsi que celui de l’allocation journalière du proche aidant (AJPA), calculé selon les mêmes modalités. Ces deux allocations sont désormais indexées sur le Smic et portées à 1 373 euros par mois pour vingt-deux jours d’allocation. La LFSS a toutefois prévu, avec une date d’entrée en vigueur différée au 1er janvier 2024, un mécanisme d’écrêtement pour éviter les effets d’aubaine.
Le montant de ces deux allocations versées aux non-salariés des professions agricoles et à leurs conjoints collaborateurs ne peut excéder les revenus journaliers tirés de leur activité professionnelle.
Cette modulation s’applique aussi aux bénéficiaires d’une allocation chômage. Or le soupçon d’un effet d’aubaine lors de la revalorisation de l’allocation n’est étayé en rien. De plus, la mise en œuvre de ce dispositif, particulièrement complexe, aurait mobilisé des moyens disproportionnés pour la branche famille. Pour ces raisons, la commission est favorable à cet article, qui supprime le mécanisme d’écrêtement.
En vertu de l’article 4 bis, un bailleur ne peut plus refuser le renouvellement du bail à un locataire bénéficiaire de l’AJPP aux ressources modestes, à moins qu’une solution de relogement, correspondant à ses besoins et à proximité géographique, ne lui soit proposée. Les associations entendues en audition ont mentionné des difficultés dans l’accès au logement des bénéficiaires de l’AJPP. Selon elles, la priorité est de garantir la situation de ceux qui disposent déjà d’un logement.
Cette limitation du droit de propriété des bailleurs, analogue à la protection dont bénéficient les personnes âgées de plus de 65 ans aux faibles revenus, ne doit pas être surestimée. D’une part, le nombre de bénéficiaires de l’AJPP est très limité : on en compte 11 000 pour toute la France et tous ne sont pas locataires. D’autre part, la durée de cette protection est en réalité assez réduite : la prestation est, en moyenne, versée pour huit mois seulement et ne peut en aucun cas dépasser six ans. Pour ces raisons, la commission a adopté cet article.
Mes chers collègues, le présent texte contient des avancées très attendues pour les familles confrontées à la maladie ou au handicap graves d’un enfant. Il offrira un parcours simplifié aux allocataires de l’AJPP, protégera davantage les parents concernés de certains risques socioprofessionnels et permettra une meilleure adaptation du monde du travail aux caractéristiques de ces salariés.
La commission vous invite donc à accorder une vaste majorité au texte issu de ses travaux. C’est peu dire que les familles attendent avec une grande impatience le vote de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Éric Gold applaudit également.)
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’annonce d’une maladie infantile est toujours un cataclysme, qui frappe la famille concernée et diffuse une onde de choc déstabilisant l’ensemble de ses proches.
Avec l’enfant qui fait face à la pathologie, ses parents et toute sa famille sont confrontés à cette lutte contre la maladie ou le handicap graves, qui devient un combat de tous les jours, parfois même de toute une vie.
Les rendez-vous médicaux, les soins, voire les hospitalisations des enfants obligent souvent l’un des deux parents à aménager son activité professionnelle, parfois à la suspendre.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, visant à renforcer la protection des familles d’enfants touchés par une affection de longue durée, est une avancée majeure pour ces milliers de parents. Je pense notamment à ceux qui perçoivent l’allocation journalière de présence parentale et à toutes ces familles qui sont appelées à en bénéficier.
Face à la complexité, que vous avez rappelée, madame la rapporteure, du système auquel elles sont confrontées, des mesures ont été prises au cours des dernières années. Elles portent sur la situation des aidants, qui œuvrent quotidiennement aux côtés de leurs proches en difficulté, ou encore sur le congé familial.
Cette proposition de loi renforce un peu plus encore notre politique publique en faveur des aidants, à laquelle la majorité présidentielle a largement contribué et qu’elle continue de mener.
Je pense évidemment à la stratégie pluriannuelle pour les aidants ou encore à la création d’une assurance vieillesse dédiée.
Néanmoins – je le rappelle une fois de plus –, des obstacles, notamment des freins administratifs, compliquent encore inutilement la vie de ces familles.
Concrètement, cette proposition de loi permettra d’appliquer aux parents d’enfants malades les mêmes mécanismes de protection qu’aux adultes. Elle améliore la reconnaissance des obligations des parents qui accompagnent quotidiennement leur enfant dépendant ou malade. Elle facilite leur travail en favorisant le télétravail ou les aménagements de poste. Elle renforce la protection contre le licenciement, en inscrivant dans le code du travail la protection contre le licenciement et les mutations pour tout parent salarié dans l’obligation de réduire ou de cesser son activité professionnelle. De même, elle consolide leur droit au logement, en interdisant au bailleur de refuser un renouvellement de bail locatif à des locataires ayant un enfant touché. Elle améliore aussi leur accès à l’AJPA et à l’AJPP tout en supprimant la mesure d’écrêtement de ces aides.
Cette proposition de loi s’attache donc à améliorer la protection des parents. Ce faisant, elle s’inscrit dans la continuité des actions menées par le Gouvernement au cours des dernières années.
Je pense notamment à la loi du 8 mars 2019 visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l’oubli. Je pense aussi à la loi du 15 novembre 2021 visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d’un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu, autre marqueur fort de notre politique.
Je salue le travail de notre collègue député Paul Christophe, présent en tribune, qui est à l’initiative de ce texte. Je salue aussi le travail de tous les parlementaires qui, avec bienveillance, ont apporté leur contribution. Grâce à eux, nous parvenons à un texte réellement abouti, qui – une fois n’est pas coutume, qui plus est ces derniers temps – a fait consensus à l’Assemblée nationale.
Mes chers collègues, vous connaissez mon engagement personnel pour l’enfance, la protection des droits de l’enfant et la politique du handicap. Je ne puis que me féliciter de cette avancée en faveur des droits familiaux.
Accompagner les enfants vivant avec un handicap, atteints d’une maladie ou victimes d’un accident, c’est aussi accompagner leurs parents, qui les entourent chaque jour. On l’a dit : leurs difficultés sont d’abord d’ordre administratif. Ces parents doivent se familiariser du jour au lendemain avec de nombreuses procédures. Surtout, ils subissent un choc financier : près d’un ménage sur quatre touchant l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) vit sous le seuil de pauvreté.
Malheureusement, les plus précaires sont souvent des mères isolées, qui subissent ainsi une double peine. Dans les familles ayant un enfant handicapé, le taux de divorce atteint 85 %, contre 45 % dans les autres familles. (Mme Nassimah Dindar le confirme.)
Avec ce texte, nous accomplissons un pas de plus pour faciliter le quotidien des parents. Nous réduisons autant que possible les différents obstacles administratifs et financiers qu’ils rencontrent afin qu’ils puissent être présents, autant que nécessaire, auprès de leur enfant. Cela leur permettra de concilier cette situation exceptionnelle avec leur activité professionnelle.
Tout soutien, toute facilitation est bienvenu dans ces moments si difficiles. Contribuer à la protection et à l’accompagnement de ceux qui en ont le plus besoin est, bien sûr, l’une de nos plus grandes préoccupations en tant que législateurs.
Enfin, je tiens à rendre hommage au remarquable travail de tous les bénévoles qui œuvrent au quotidien, aux côtés des enfants et des familles, dans les associations et dans les hôpitaux, pour offrir aux jeunes malades un peu de joie et d’espoir.
Cette proposition de loi apporte des réponses concrètes et un peu d’humanité aux familles d’enfants victimes d’une maladie grave reconnue en affection de longue durée. Les élus du groupe RDPI la voteront sans hésitation. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mmes Véronique Guillotin et Colette Mélot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme Annie Le Houerou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’annonce d’une affection de longue durée, d’une maladie grave d’un enfant ou d’un handicap bouleverse le quotidien de la famille confrontée à cette situation.
En examinant cette proposition de loi, nous pensons avant tout à ces familles.
Outre le choc difficile à encaisser, l’annonce conduit à modifier les habitudes de vie. Elle peut toucher de nombreux aspects du quotidien et contraint parfois à trouver un nouveau logement, plus adapté.
Cette période impose de nombreux rendez-vous, notamment médicaux, qui viennent perturber la fragile organisation conçue pour concilier vie professionnelle et vie familiale.
Cette nouvelle donne se traduit souvent par la décision de la mère de famille – c’est généralement elle qui s’y résout – d’arrêter de travailler pour s’occuper de son enfant. Ce bouleversement dans la vie familiale justifie un soutien exceptionnel.
Malgré les dispositifs existants, les parcours sont semés d’embûches. J’y insiste, ce sont très souvent les mères qui doivent adapter leur activité professionnelle, opter pour un temps partiel ou cesser de travailler. Les revenus du foyer s’en trouvent diminués. Le recours aux droits découlant de cette nouvelle situation exige du temps ; il est souvent retardé par des freins administratifs.
À ce choc s’ajoutent des problèmes financiers, le stress lié à la crainte d’une perte d’emploi et l’inquiétude de subir des impayés. Garantir la sécurité de l’emploi et protéger l’employé pour passer ce cap difficile rassure.
Outre-mer, ces difficultés sont exacerbées. (Mme Nassimah Dindar le confirme.) L’éloignement des services publics et les inégalités territoriales d’accès aux soins touchent particulièrement les enfants ultramarins. Les parents accompagnent parfois leur enfant en métropole et se trouvent donc contraints de quitter leur emploi. Les coûts supplémentaires induits aggravent encore leur détresse.
Le suivi et l’accompagnement de ces familles sont mal pris en compte. Une attention particulière et un soutien doivent leur être apportés par la collectivité nationale.
Même si cette proposition de loi ne résout pas l’ensemble des problématiques auxquelles doivent faire face les familles touchées, elle améliore les dispositifs existants.
Nous sommes satisfaits de l’adoption à l’unanimité par l’Assemblée nationale de ce texte, présenté par notre collègue député Paul Christophe le 3 mars dernier.
Cette proposition de loi permet notamment aux CAF de verser des avances sur l’AJPP. Cette allocation est attribuée par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), sous conditions, pour permettre au parent de cesser temporairement son activité afin de s’occuper de son enfant malade ou handicapé. L’avance est rendue possible dans l’attente de l’avis de la CPAM.
En outre, le présent texte supprime l’accord explicite du service du contrôle médical lors du renouvellement de l’AJPP.
Nous saluons aussi la possibilité donnée aux CAF d’expérimenter sur trois ans une simplification et une amélioration de l’accompagnement des familles bénéficiaires de l’AJPP. Certaines CAF avancent des propositions concrètes pour améliorer la prise en charge des familles confrontées à ces situations.
L’allongement du congé à douze jours pour décès d’un enfant et la protection du droit au logement pour les parents d’enfants handicapés ou malades, sur le même modèle que pour les personnes âgées, vont eux aussi dans le bon sens.
Nous souhaiterions aller plus loin, en créant notamment un statut d’employé plus protecteur pour les parents d’enfants touchés par la longue maladie ou le handicap.
Nous regrettons le rejet en commission des affaires sociales de plusieurs de nos amendements. Il nous semble notamment important de rétablir la rédaction initiale de l’article 1er, qui était plus protectrice.
La commission a voté la possibilité pour l’employeur de rompre le contrat en cas de faute grave ou d’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l’état de santé de l’enfant de l’intéressé. Cette limitation de la protection de l’employé est certes de nature à rassurer les employeurs ; on ne peut pas en dire autant pour ce qui concerne les salariés.
Nous souhaitons également allonger la durée du congé pour annonce de la survenue d’un handicap ou d’une pathologie chronique de l’enfant. Nous avons proposé dix jours au lieu des cinq retenus à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale et de notre commission des affaires sociales. Il s’agit certes d’un progrès par rapport à la durée actuelle, fixée à deux jours. Mais cinq jours restent insuffisants pour permettre aux parents de faire face au choc provoqué par une telle annonce et à toutes ses implications. Ce moment douloureux réclame du temps pour envisager les différentes démarches à accomplir.
Le présent texte contient une autre avancée : il facilite le télétravail. Cette option permet de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale lorsque les circonstances et l’emploi l’autorisent. Elle évite l’isolement que pourrait entraîner l’arrêt complet du travail. L’aménagement du poste de travail sous la forme du télétravail doit pouvoir être étudié pour tout salarié chargé d’un enfant ou d’un proche atteint d’une maladie grave ou d’un handicap, lorsque l’intéressé le souhaite.
Un de nos amendements vise à mieux faire connaître cette possibilité, via la notification obligatoire par l’employeur à la personne salariée de la possibilité de télétravailler ou d’adapter son poste. Cette information permet d’évoquer les possibilités envisageables selon le contexte particulier de l’emploi.
Nous proposons également de garantir aux parents d’enfants atteints de maladie grave ou gravement handicapés un poste de télétravail dont le matériel nécessaire et adapté serait à la charge de l’employeur.
Cette proposition de loi crée de nouveaux droits pour faciliter la vie des familles confrontées à ces situations douloureuses. Elle assure une simplification bienvenue des démarches. Les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain la voteront.
La définition d’un statut des aidants familiaux et leur reconnaissance dans une approche plus globale pourraient toutefois trouver leur place dans une grande loi relative à l’adaptation de notre société à la perte d’autonomie ; une grande loi que nous attendons avec impatience, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly. (M. Jean-Pierre Corbisez et Mme Nassimah Dindar applaudissent.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nombreuses sont les familles qui doivent affronter la maladie d’un enfant et renforcer leur présence auprès de lui.
Ne l’oublions pas : lorsqu’un enfant est malade, c’est toute une famille qui est bouleversée. Certains parents renoncent à toute vie professionnelle ou sociale pour s’occuper de leur enfant. D’autres tentent de trouver des solutions pour concilier leur mission familiale avec la nécessité de subvenir aux besoins du foyer.
Cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité des initiatives parlementaires visant à améliorer l’accompagnement des familles, notamment de celles dont un membre est en situation de handicap ou de maladie.
Ces dernières années, plusieurs textes ont renforcé la prise en charge des cancers pédiatriques et ont permis d’améliorer l’accompagnement des enfants atteints de pathologies graves et celui de leurs parents. Pourtant, il reste beaucoup à faire.
Ces initiatives parcellaires démontrent la nécessité d’une loi qui offre un cadre global protecteur pour l’ensemble des familles, afin de lever les obstacles à la conciliation entre présence parentale et vie professionnelle et de renforcer leurs droits, notamment au travail.
En portant la durée du congé de présence parentale de deux à cinq jours en cas de survenue d’un handicap, d’une pathologie chronique ou d’un cancer chez l’enfant, ce texte améliore précisément la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Il faudrait que ce congé soit pris en charge à 100 % par la sécurité sociale et que les conditions permettant d’en bénéficier soient encore étendues ; mais c’est malgré tout une avancée.
Faciliter le télétravail pour les parents est également une mesure positive. En permettant à ces derniers de demeurer près de leurs proches, le télétravail apporte de la souplesse dans l’organisation des familles.
Quant à l’interdiction de licenciement d’un salarié pendant la durée du congé de présence parentale, elle traduit un renforcement des droits tout à fait bienvenu.
En parallèle, le présent texte lève des freins à l’accès aux droits en supprimant l’obligation d’un accord explicite du service du contrôle médical lors du renouvellement de l’allocation journalière de présence parentale. De même, il supprime la mesure d’écrêtement pour l’allocation journalière de proche aidant des travailleurs indépendants et des personnes en recherche d’emploi. Mais ces mesures de justice et de progrès en appellent d’autres.
Par ailleurs, nous espérons que les expérimentations lancées dans les CAF permettront d’élargir le périmètre des bénéficiaires et le montant de l’allocation journalière de présence parentale.
Enfin, l’ajout de l’interdiction de refuser le renouvellement d’un bail locatif à des locataires ayant un enfant atteint d’une maladie grave ou d’un handicap constitue une protection supplémentaire, face aux bailleurs qui souhaiteraient ne pas renouveler un contrat locatif.
Au total, nous avons le sentiment que de nombreux textes de loi se suivent pour améliorer par petits bouts les droits des familles et l’accompagnement des plus fragiles – personnes âgées, personnes handicapées et enfants malades. Par ces initiatives, les groupes de la majorité gouvernementale tentent de compenser le renoncement du Gouvernement à proposer un véritable projet de loi dédié à la perte d’autonomie.
Monsieur le ministre, ce n’est pas la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale, financée uniquement par les cotisations des salariés et les impôts des citoyens, qui permettra d’adapter notre société aux défis de demain. Sans une mise à contribution des entreprises, des revenus financiers et des plus riches, vous ne pourrez pas financer la prise en charge de la perte d’autonomie, sauf à réduire encore les remboursements de la sécurité sociale.
En attendant cette grande loi pour l’autonomie, les élus du groupe communiste républicain citoyen et écologiste voteront le présent texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER. – M. Jean-Pierre Corbisez, Mmes Colette Mélot, Nassimah Dindar et Brigitte Micouleau applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Brigitte Micouleau applaudit également.)
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ouvrirai mon propos par une citation de l’abbé Pierre : « Nous sommes tous ensemble responsables, responsables de nous-mêmes et responsables les uns des autres, c’est cela la grandeur d’être homme. »
Je salue à mon tour le travail de Paul Christophe, l’auteur de cette proposition de loi – je ne suis pas surprise de la qualité de son texte : j’ai travaillé avec lui à plusieurs reprises sur des propositions de loi relatives aux aidants –, ainsi que celui de notre collègue rapporteure, Marie-Pierre Richer, qui éclaire avec précision les enjeux de cet important dossier législatif.
Ce texte apporte des solutions de proximité pour faire évoluer nos mécanismes de solidarité. Il prend en compte les contraintes et besoins des parents dont l’enfant est atteint d’une maladie, d’un handicap, ou victime d’un accident d’une particulière gravité, afin de les aider à traverser cette épreuve extrêmement douloureuse. Il étend aux parents d’enfants malades les dispositifs prévus pour les adultes placés dans une situation semblable.
Ces parents, souvent jeunes, qui forment parfois un foyer monoparental, doivent faire face à la maladie de leur enfant et accompagner ce dernier. Pour eux, la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle devient dès lors très délicate. L’enfant malade exigeant une attention particulière et une présence soutenue, ils doivent endosser plusieurs rôles : tout en restant parents, ils deviennent soignants, accompagnateurs, experts administratifs ou encore instituteurs.
Pour eux, les obstacles sont nombreux : freins administratifs, délais d’attente de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, difficultés financières… S’y ajoutent le possible manque de compréhension de l’employeur et l’obligation de diminuer son temps de travail, voire de cesser son activité pour s’occuper de son enfant.
Afin de réduire ces difficultés, des avancées majeures ont été accomplies ces dernières années en faveur de l’accompagnement des proches aidants, grâce à l’ouverture de nouveaux droits. De récentes réformes ont encore amélioré la protection des familles concernées. Néanmoins, il est nécessaire de veiller collectivement à la diffusion des possibilités offertes à nos concitoyens, afin que les familles soient mieux informées de leurs droits.
Nous ne pouvons que saluer les dispositions de cette proposition de loi, qu’il s’agisse de l’allongement de la durée des congés accordés, de l’accélération des procédures ou encore de la simplification du recours aux prestations par les bénéficiaires.
La protection contre le licenciement des salariés en congé de présence parentale nous semble une adaptation bienvenue. Un amendement de Mme la rapporteure vise à garantir l’effectivité de cette mesure, y compris lors d’éventuelles périodes de reprise du contrat de travail entre deux congés auprès de l’enfant. Il tend à accorder aux parents en congé de présence parentale un niveau de protection identique, quels que soient leurs choix professionnels. Dès lors, un parent d’enfant malade ou handicapé qui souhaiterait garder un lien avec son travail et fractionner son congé serait aussi bien protégé que celui qui chercherait à poser en un bloc l’ensemble des jours auxquels il a droit.
De plus, le présent texte renforce le recours au télétravail pour les salariés aidants. L’employeur devra ainsi motiver son éventuel refus d’accorder à un salarié aidant la possibilité de travailler à distance.
Ces mesures réduisent les risques de discrimination et assurent une meilleure adaptation du monde du travail aux caractéristiques des salariés en question.
Nous sommes convaincus du bien-fondé de ces dispositifs, qui répondent au besoin de stabilité des parents. Il s’agit de mieux protéger ces derniers de certains risques socioprofessionnels afin qu’ils puissent se consacrer pleinement au combat de leur enfant.
Nous nous réjouissons évidemment de l’augmentation de la durée du congé pour l’annonce du handicap ou d’une pathologie d’un enfant. Pour les parents, une telle annonce constitue inévitablement un choc psychologique. Elle impose à la famille une nouvelle organisation et un apprentissage de la gestion de la maladie.
La loi du 17 décembre 2021 visant à l’accompagnement des enfants atteints de pathologie chronique ou de cancer a permis aux parents concernés de bénéficier d’un congé de deux jours. Face aux besoins et à la lourdeur des procédures à engager, les associations ont jugé cette durée insuffisante.
Cette proposition de loi permet d’aller un peu plus loin en portant ce congé à cinq jours ouvrables. Les familles auront ainsi davantage de temps pour assimiler la nouvelle, se renseigner sur le diagnostic posé et accomplir les multiples démarches administratives et médicales auxquelles elles sont confrontées.
Par amendement, la commission des affaires sociales a porté de sept jours ouvrés à quatorze jours ouvrables le congé minimal applicable en cas de décès d’un enfant ou d’une personne à charge de moins de 25 ans, ou d’un enfant lui-même parent. Les familles auront ainsi davantage de temps pour se recueillir et mener les démarches qui s’imposent, sans contrainte professionnelle.
L’article 3 permet aux caisses d’allocations familiales de verser l’allocation journalière de présence parentale dans l’attente de l’avis du service du contrôle médical des caisses primaires d’assurance maladie. Ces avances sur prestation contribueront à réduire les délais de traitement et permettront aux parents d’enfants malades de voir leurs arrêts d’activité compensés plus rapidement.
Compte tenu des difficultés que les bénéficiaires de l’AJPP rencontrent pour se loger, il paraît prioritaire de garantir la situation de ceux qui disposent déjà d’un logement adapté.
En vertu de l’article 4 bis, un bailleur ne peut plus donner congé à un locataire bénéficiaire de l’AJPP dont les ressources sont inférieures au plafond prévu pour les logements conventionnés lors du renouvellement du bail, à moins que l’on ne propose à ce locataire un logement, à proximité, correspondant à ses besoins. Cette protection, qui limite le droit de propriété des bailleurs, ne pourrait courir au-delà de six années.
L’article 5 favorise la mise en œuvre des innovations, à titre expérimental, dans le service consacré aux AJPP des CAF afin de mieux accompagner les allocataires et de les aider à se prémunir contre les difficultés financières.
Enfin, nous nous devons d’évoquer deux points importants concernant les travailleurs indépendants et les territoires ultramarins.
Nous ne saurions oublier les travailleurs indépendants, notamment les commerçants et les artisans qui limitent leur activité professionnelle lors du parcours de soins de leurs enfants. Il est nécessaire de leur assurer la survie de leur activité économique.
Nous tenons également à insister sur la spécificité sanitaire des territoires ultramarins et sur ses conséquences humaines, sociales et financières. Une famille de l’Hexagone bénéficiera le plus souvent d’une prise en charge dans un hôpital de sa région de résidence, quand une famille ultramarine devra parfois se rendre en France métropolitaine pour y faire soigner son enfant, en général en région parisienne, où les prix sont particulièrement élevés, notamment pour se loger.
Cette situation est très pénalisante, particulièrement dans le cas d’un traitement de longue durée : les pathologies les plus graves, comme les cancers, peuvent entraîner de nombreux mois d’hospitalisation et induire des périodes d’attente entre différents traitements, pendant lesquelles les malades ne sont pas autorisés à rentrer outre-mer. (Mme Nassimah Dindar acquiesce.) En résulte une rupture d’équité territoriale inacceptable. Certaines familles de la classe moyenne basculent ainsi dans la spirale du surendettement, des crédits à la consommation et de la précarité. D’autres finissent par renoncer purement et simplement aux soins. Les populations les plus précaires sont donc très fortement affectées.
Nous le savons, il reste du chemin à parcourir pour accompagner ces familles : cette proposition de loi n’est qu’un premier pas. Il est temps d’accorder aux parents l’attention et les ressources nécessaires pour les aider à faire face aux défis auxquels ils sont confrontés.
Les attentes sont multiples : mise en place d’une stratégie de communication et de sensibilisation à destination de plusieurs cibles, repérage des parents aidants, information et formation des professionnels et des employeurs, etc. De même, il est primordial de structurer l’offre de répit et de rendre accessibles ces solutions en faveur des salariés aidants.
Les élus du groupe Union Centriste voteront ce texte, qui contient des mesures de bon sens pour répondre aux attentes de toutes ces familles, dont ils saluent le courage. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque nous pensons aux enfants, nous voyons apparaître des images d’innocence et de joie ; nous voyons se dessiner la promesse d’un avenir radieux. Pourtant, quand la maladie s’immisce dans leur vie ou qu’un accident survient brutalement, tout ce que nous tenons pour acquis est bouleversé. Cet invité indésirable, qui perturbe les rires, les jeux et les rêves, remplit d’incertitudes et de peurs le quotidien de toute leur famille.
Même si les enfants font preuve d’une grande résilience et sont capables d’une incroyable force intérieure, la présence réconfortante de leurs parents, le dévouement et l’amour de ces derniers sont indispensables au parcours de soins.
Alors que le travail est souvent au centre de nos vies, le quotidien de ces familles est rythmé par les visites chez les médecins, les hospitalisations et les traitements. Les parents consacrent la plus grande part de leur temps et de leur énergie à prendre soin de leur enfant au détriment de leur vie sociale et professionnelle.
Face à ces défis, il est essentiel de prendre en compte les besoins spécifiques de ces familles et de les accompagner pour les aider à traverser ces épreuves.
Depuis plusieurs années, le législateur s’est emparé de la question. Il a cherché à renforcer la protection des proches aidants et des familles ayant un enfant atteint d’une longue maladie. Plusieurs textes ont ainsi permis d’apporter un certain nombre d’améliorations.
Cette proposition de loi s’inscrit dans la même démarche : elle vise à assurer une présence parentale nécessaire dans une période difficile, sans pour autant mettre en danger la situation financière de la famille. Les travaux menés tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat ont permis d’enrichir son contenu.
Tout d’abord, le présent texte protège du risque de licenciement les parents dont l’état de santé de l’enfant est dégradé et qui sont contraints de réduire leur activité professionnelle. C’est une très bonne chose. Si le code du travail protège effectivement les salariés contre toutes les formes de discrimination, notamment au regard de leur situation familiale, il est important d’accorder une protection spécifique à ces parents afin qu’ils puissent concilier vie professionnelle et vie personnelle.
Je salue le travail de Mme la rapporteure, qui a permis de sécuriser ce dispositif : le licenciement sera interdit non seulement pendant les périodes de congé, mais aussi pendant les reprises professionnelles qui peuvent séparer deux périodes de congé de présence parentale.
Par ailleurs, cette proposition de loi facilite les démarches administratives pour le renouvellement de l’allocation journalière de présence parentale en supprimant la condition d’accord explicite du service du contrôle médical. Cette condition, qui implique de longs délais, empêche bien souvent le renouvellement de l’allocation.
Pour ce qui concerne le congé de présence parentale et l’allocation journalière de présence parentale, il reste toutefois beaucoup à faire : il est indispensable de renforcer l’information à destination des familles concernées, des entreprises et, bien sûr, des services sociaux des hôpitaux pour rendre le droit à ces aides plus effectif.
Je me félicite que le recours au télétravail soit facilité pour que ces parents – dans la très grande majorité des cas, il s’agit des mères – puissent plus aisément concilier leurs responsabilités professionnelles et familiales.
La suppression de la mesure d’écrêtement de l’allocation journalière de présence parentale et de l’allocation journalière du proche aidant pour les travailleurs indépendants et les personnes en recherche d’emploi va dans le bon sens, ainsi que l’interdiction de refuser le renouvellement d’un bail locatif à des locataires ayant un enfant atteint d’une maladie grave ou d’un handicap.
Enfin, l’allongement du congé pour l’annonce du handicap ou d’une pathologie d’un enfant du salarié, mesure plébiscitée par les associations, nous paraît évidemment très pertinent. Les familles auront davantage de temps pour assimiler la douloureuse information et faire face aux innombrables démarches qu’elles doivent entreprendre après l’annonce. Il est essentiel que nous reconnaissions l’importance de ces premiers instants.
Même si l’on peut se demander s’il est bien pertinent de toucher au congé pour décès d’un enfant dans le cadre de cette proposition de loi, je me félicite que notre commission ait répercuté l’allongement souhaité par les députés sur le congé spécifique pour la perte d’un enfant de moins de 25 ans, pour le fixer à quatorze jours.
La douleur incommensurable liée au décès d’un enfant bouleverse la vie des parents. Des jours supplémentaires ne combleront jamais cette immense perte, mais il est important de donner aux familles un peu plus de temps pour effectuer les démarches matérielles et administratives.
Pour toutes ces raisons, la totalité du groupe RDSE apportera un soutien sans réserve à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, sur des travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand un enfant tombe malade, nombre d’existences sont mises entre parenthèses pendant un moment indéterminé. Entre la souffrance de l’attente et la douleur du diagnostic annoncé, des milliers de nos concitoyens affrontent chaque année l’un des moments les plus difficiles de leur vie de parent.
Annoncer une maladie grave, que ce soit à la naissance ou au cours de la croissance, c’est dévoiler une affection potentiellement mortelle à l’heure où l’on ne devrait fêter que la vie. La seule évocation du diagnostic fait planer le spectre insupportable de la souffrance due à la maladie et aux traitements.
Cette annonce, avec le programme thérapeutique que le diagnostic implique, va bouleverser le vécu de l’enfant et de sa famille.
Cette irruption imprévisible de la menace de mort rejette ainsi au second plan la construction naturelle de l’enfant et sa capacité à se projeter dans l’avenir. Elle le contraint, comme ses parents, à une vie désormais confinée au présent. Pourtant, ces derniers doivent rester forts et dignes. Ils ne doivent jamais baisser les bras en dépit des difficultés.
Mes chers collègues, nous nous retrouvons une fois de plus pour examiner un texte dont l’objectif fait l’unanimité sur les travées de cet hémicycle. Accompagner les parents face à la détresse de la maladie et du handicap est un devoir auquel nous ne pouvons nous soustraire.
Si l’anarchie de gestion de nos finances publiques a mené à une dette explosive, il est des choix politiques qui sont des obligations morales dont la Nation ne peut faire fi : comment expliquer à ces parents anxieux que nous ne pouvons faire ni plus ni mieux ? Soyons fiers d’adopter – je l’espère – aujourd’hui une belle avancée législative représentant un premier progrès tant attendu par les associations et par les familles elles-mêmes.
Marraine de l’association Adrien, qui œuvre au quotidien auprès des enfants malades, je m’exprime en tant que sénatrice des Alpes-Maritimes et, bien sûr, au nom du groupe Les Républicains, mais avant tout en tant que témoin du calvaire qu’endurent les familles. C’était une de mes promesses, dont témoigne l’une de mes premières propositions de loi déposées au Sénat : je me suis engagée à porter la voix des enfants et de leurs parents qui demandent, certes, à être entendus, mais surtout à être compris.
Toutes ces familles subissent une double peine : il faut affronter la maladie de l’enfant, gérer ses émotions pour ne rien laisser transparaître et, en même temps, poser des jours de congé auprès de son employeur.
Beaucoup d’entre nous étant parents, je vous pose la question : face à un tel drame, ne seriez-vous pas présent aux côtés de votre enfant vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept ?
Il aura fallu attendre 2020 pour qu’un droit de congé en cas de décès d’un enfant de moins de 25 ans soit reconnu, soit sept jours pour faire face au choc et pour accomplir les démarches nécessaires. Notre pays ne pouvait pas faire moins.
Il aura fallu attendre 2021 pour que la maladie chronique invalidante ou le cancer de l’enfant soient retenus comme motifs justifiant le bénéfice de ce congé spécifique des parents, qui, trop souvent, vient bouleverser l’équilibre socio-économique de la cellule familiale.
La même année, par la loi du 15 novembre, le congé a été rendu renouvelable pour une durée équivalente, comme si l’on supposait auparavant qu’une telle maladie avait une durée limitée.
Madame la rapporteure, je vous remercie du travail rigoureux que vous avez mené lors de l’examen de ce texte en commission. Je ne puis que soutenir votre rédaction, car elle permettra de mieux adapter le monde du travail aux difficultés que traversent ces familles. Elle protégera enfin les salariés en congé de présence parentale contre le licenciement, comme c’est le cas pour le congé de maternité ; cette disposition faisait d’ailleurs l’objet d’un article de ma proposition de loi. Ce texte simplifiera le parcours des familles afin de les soulager un tant soit peu dans cette douloureuse épreuve.
Chère Marie-Pierre Richer, je salue les avancées que vous avez défendues. Grâce à l’adoption d’un de vos amendements, un oubli dommageable a été corrigé et des familles ont été rassurées. Désormais, les parents d’un enfant de moins de 25 ans qui viendrait à décéder auront droit, eux aussi, au bénéfice du congé prévu à cet effet. Notre pays sait accompagner et soutenir les plus vulnérables. Face à la maladie d’un enfant, la solidarité s’impose à tous.
En France, chaque année, 1 800 à 2 000 nouveaux cas d’enfants atteints de cancer sont recensés. En trente ans, la proportion d’enfants conduits à la guérison n’a cessé de croître. Elle est désormais de trois quarts. Ces chiffres encourageants font toutefois écho à une réalité brutale : un sur quatre ne guérira pas, malgré les traitements administrés.
N’attendons pas de vivre nous-mêmes cette épreuve et d’être confrontés au quotidien de ces familles pour nous engager plus avant et faire évoluer notre législation vers une meilleure protection. Les membres du groupe Les Républicains voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur des travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’annonce de la maladie, du handicap ou de l’accident grave dont est victime un enfant est dévastatrice pour sa famille. Souvent brutale et inattendue, elle plonge tous ses proches dans le désarroi et la souffrance. Du jour au lendemain, le quotidien bascule, a fortiori pour les parents : ces derniers doivent soutenir leur enfant, rassurer ses frères et sœurs, trouver le juste équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie familiale, et tenir bon, tout simplement, malgré le chagrin et l’inquiétude.
Les parents tiennent alors le rôle de proches aidants pour une durée variable, à l’image de la diversité des situations concernées par ce texte ; un rôle qu’ils n’ont pas toujours conscience d’endosser, tant il paraît évident de s’occuper de son enfant avec dévouement.
Pourtant, leur engagement déborde soudainement de la sphère familiale, percutant de plein fouet leur vie intime, sociale et professionnelle.
Nous, parlementaires, devons soutenir ces proches aidants en adaptant au mieux le monde du travail et l’administration au drame qu’ils traversent.
Ces dernières années, plusieurs textes ont permis de renforcer la protection des familles d’enfants malades, handicapés ou victimes d’un accident grave. C’est le cas de la loi du 17 décembre 2021, saluée par notre groupe, qui a allongé le congé familial proposé à l’annonce d’une pathologie chronique ou d’un cancer.
Le texte que nous examinons aujourd’hui va également dans le bon sens. Il offre une aide pratique à ceux dont l’enfant à charge est atteint d’un handicap, d’une maladie, ou victime d’un accident grave. Bien souvent, un tel drame les oblige à réduire, voire à cesser leur activité professionnelle. Ils sont également confrontés à des démarches administratives longues et complexes pour bénéficier des différentes aides auxquelles ils peuvent prétendre.
Cette proposition de loi lève une partie des difficultés financières et administratives auxquelles sont confrontées les familles.
Elle simplifie l’accès à l’allocation journalière de présence parentale : il s’agit là d’une mesure attendue par les personnes concernées.
Elle lève aussi plusieurs difficultés professionnelles, en allongeant le congé des parents, en protégeant du licenciement les salariés en congé de présence parentale et en facilitant leur accès au télétravail. Ce sont là autant d’avancées concrètes, encore complétées par le Sénat.
Madame la rapporteure, je salue votre engagement et le travail de notre collègue député Paul Christophe, auteur et rapporteur, à l’Assemblée nationale, de cette proposition de loi.
Nous regrettons que les aidants ne bénéficient pas d’un grand texte permettant de mieux accompagner la singularité et la diversité des situations dramatiques rencontrées par ces familles. En légiférant à petits pas, l’on risque de n’apporter que des réponses parcellaires, même si c’est évidemment mieux que rien.
Soulignons toutefois l’engagement au long cours du Parlement dans le soutien des aidants familiaux. Cette mobilisation nous honore et fait écho aux demandes des associations qui accompagnent au quotidien ces familles. Permettez-moi de saluer l’engagement généreux de ces dernières et de les remercier du soutien moral, pratique et administratif qu’elles apportent jour après jour.
Pour ces différentes raisons, les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront ce texte et se félicitent dès à présent de son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Brigitte Micouleau applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi visant à renforcer la protection des familles d’enfants atteints d’une maladie ou d’un handicap ou victimes d’un accident d’une particulière gravité contient de nombreuses bonnes mesures, que nous ne pouvons que saluer.
Ces dispositions vont de l’allongement des congés spéciaux pour décès d’un enfant au droit au renouvellement d’un bail en passant par l’interdiction du licenciement des salariés qui ont droit à un congé de présence parentale.
Toutes ces mesures sont très utiles. Elles permettent d’aider celles et ceux qui aident. C’est pourquoi je tiens à remercier non seulement nos deux collègues députés, Paul Christophe et Laurent Marcangeli, d’avoir pris cette initiative, mais aussi notre rapporteure, Marie-Pierre Richer, pour son travail.
Même s’ils saluent toutes les mesures de cette proposition de loi, les élus du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires sont convaincus que nous pouvons aller plus loin.
C’est pourquoi nous avons déposé plusieurs amendements tendant à cibler des domaines jusqu’à présent négligés.
Par exemple, nous proposons de faciliter la suspension du paiement des échéances d’un crédit immobilier des personnes aidantes. Certes, différentes mesures existent déjà pour compenser des pertes de revenus, mais il n’est aucunement prévu de diminuer les charges courantes, alors qu’il s’agit d’un levier tout aussi important : ces dernières peuvent lourdement grever le budget des familles, en leur imposant des dépenses soudaines et imprévues.
De même, nous proposons une compensation pour les salariés qui accompagnent des enfants malades, accidentés ou atteints d’un handicap sur une partie de leur trajet de travail. Il s’agit d’un cas de figure assez fréquent, par exemple quand un salarié accompagne un enfant aidé à l’école avant de continuer sa route : souvent, lorsque ce dernier a besoin d’une assistance particulière, le trajet prend plus de temps. C’est pour remédier à ce déséquilibre que nous proposons une compensation.
Par ailleurs, nous soutenons les propositions de nos collègues socialistes, et plus particulièrement celles d’Annie Le Houerou, que je remercie de son travail. Je pense notamment à l’amendement n° 5, qui vise à protéger les salariés aidant un enfant qui tombe malade de l’accusation d’avoir abandonné leur poste de travail, accusation qui, depuis la loi du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, peut conduire à un licenciement.
Toutes ces mesures venant compléter le texte visent le même objectif : renforcer la protection des personnes aidantes et faciliter leur accompagnement.
Certaines dispositions sont nécessaires pour mieux protéger les aidants des effets souvent néfastes des cycles économiques. C’est pourquoi nous proposons d’exclure les personnes aidantes de l’augmentation du temps de travail hebdomadaire, dans le cadre d’une mesure d’aménagement du temps de travail. Cette augmentation est dans l’intérêt de l’entrepreneur, qui peut ainsi demander à ses salariés de travailler plus pendant une période donnée ; mais elle ne tient pas forcément compte des obligations des salariés en dehors de leur service. En l’occurrence, l’obligation d’aider un enfant ne peut être reportée d’une semaine à une autre.
Le recours au télétravail est évidemment utile, même s’il ne concerne pas tout le monde : de nombreuses personnes ne peuvent pas le pratiquer et leur poste ne peut pas forcément être adapté. Les caissières et les caissiers peuvent difficilement travailler à distance ! C’est pourquoi nous avons proposé d’autres dispositions, comme l’adaptation du nombre d’heures hebdomadaires de service.
Bien sûr, l’État doit aider les aidants. En effet, l’avenir des enfants dont nous parlons, leurs perspectives, la qualité de leur quotidien et leur capacité à apprendre, à jouer, à rêver et à se projeter dans un monde dans lequel ils auront toute leur place ne reposent pas seulement sur leur famille et sur les proches qui les aident. Ils dépendent aussi de la République, des services publics et de l’adaptation de notre société à toutes et à tous.
L’égalité des droits, le refus des discriminations et l’égale dignité sont en ligne de mire : ce sont souvent les femmes qui arrêtent de travailler pour s’occuper des enfants. Ainsi, c’est d’abord et avant tout par des services publics de qualité et par un État fort que nous garantirons cette égalité.
Les mesures de ce texte se limitent souvent aux parents, comme s’ils étaient les seuls à pouvoir s’occuper de leur enfant et à s’en occuper de fait. Pourtant, des grands-parents, des tantes, des oncles ou des proches sans lien de parenté jouent parfois le rôle d’aidant. Restreindre ces mesures inutilement, c’est méconnaître une réalité évidente : tout dépend des situations individuelles. Dans certains cas, il peut être plus simple et naturel qu’un tiers s’occupe de l’enfant.
En tout état de cause, et quel que soit le sort réservé à leurs amendements, les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires voteront sans réserve ce texte, en attendant avec impatience une vraie grande loi sur la perte d’autonomie. (Applaudissements sur des travées des groupes SER, RDPI, UC et CRCE, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand un enfant est victime d’une maladie ou d’un accident grave, un tsunami s’abat sur la famille. Cette proposition de loi, dont la rapporteure au Sénat est notre collègue Marie-Pierre Richer, contient diverses dispositions afin de mieux protéger les parents aidants en leur accordant de nouveaux droits et en leur conférant enfin un véritable statut.
Le régime des congés pour maladie d’un enfant n’est pas assorti d’une protection suffisante des personnes salariées concernées. Ce texte entend y remédier. Ainsi, il porte le congé parental pour enfant de trois à cinq jours si ce dernier est âgé de moins de 1 an ou si le salarié assume la charge de trois enfants ou plus âgés de moins de 16 ans.
Dans le cas où l’état de santé d’un enfant rend indispensables une présence soutenue et des soins contraignants, le parent aidant est éligible au congé de présence parentale de 310 jours ouvrés sur une période maximale de trois ans.
À l’article 1er, nous avons souhaité interdire le licenciement d’un salarié pendant la durée du congé de présence parentale, prenant ainsi modèle sur les dispositifs de protection de la maternité.
L’article 2 précise que le télétravail constitue pour ces parents aidants un aménagement de poste nécessaire à la continuité de leur service dans l’entreprise. Le télétravailleur dispose alors des mêmes droits que le salarié qui exécute son travail sur site. L’employeur est désormais tenu de motiver sa décision de refus d’une demande de télétravail pour un salarié qui doit rester auprès de son enfant malade.
L’AJPP est une prestation indispensable pour les aidants d’enfants souffrant de pathologies. Le CPP étant limité à vingt-deux jours ouvrés par mois pour une durée maximale de trois ans, l’article 3 vise à faciliter le renouvellement des droits quand l’état de santé de l’enfant le nécessite. En effet, un grand nombre de pathologies, comme les cancers pédiatriques, impliquent un accompagnement soutenu de l’enfant au-delà de la période légale de 310 jours durant les trois premières années de la maladie de l’enfant.
Jusqu’alors, la durée du CPP pouvait donc être doublée à titre exceptionnel, soumise à la production d’un nouveau certificat médical par le médecin et à un accord explicite du service du contrôle médical. L’article 3 simplifie les démarches administratives pour le renouvellement de l’AJPP, en rendant implicite l’accord des services concernés. La revalorisation du montant de l’AJPP au 1er janvier de chaque année, en référence au Smic journalier net, est également bienvenue.
L’article 4 supprime les mesures d’écrêtement de l’AJPP, qui devaient entrer en vigueur au plus tard au 1er janvier 2024 : le montant des deux allocations versées à certaines catégories des professions agricoles n’aurait pu excéder les revenus journaliers tirés de leur activité professionnelle. Ces mesures d’écrêtement auraient également concerné les bénéficiaires de l’allocation chômage.
Je me félicite de cette suppression décidée sur l’initiative de Mme la rapporteure. Non seulement l’effet d’aubaine redouté n’était pas clairement démontré, mais ces dispositifs complexifiaient grandement la gestion des prestations.
L’article 4 bis, introduit par notre commission des affaires sociales, interdit au propriétaire de refuser le renouvellement d’un bail à des locataires ayant un enfant malade dans le cadre d’un congé pour vente ou reprise.
Cette exception est déjà prévue pour les locataires de plus de 65 ans et dont les ressources sont inférieures à un plafond. Si l’on peut comprendre les raisons d’un tel dispositif, cette exception peut toutefois mettre en difficulté un bailleur qui vit parfois, également, avec des revenus modestes.
Malgré l’encadrement de durée retenu, à savoir six ans, il me semble que certaines garanties concernant ce dispositif devraient encore être précisées.
L’expérimentation proposée à l’article 5 visant à adapter les modalités du complément mensuel pour frais versés dans le cadre de l’AJPP concerne les familles à faibles ressources.
Cette aide financière spécifique peut prendre en charge, par exemple, des médicaments non remboursés ou des soins à domicile.
Cependant, ce complément financier est conditionné au montant des dépenses mensuelles et aux ressources du ménage. Chaque mois, le versement est effectué sur la base d’une déclaration sur l’honneur et sur présentation des pièces justificatives.
Afin de correspondre au mieux aux besoins des familles, la nouvelle rédaction de cet article prévoit de déroger aux conditions de détermination du niveau du complément pour frais et à la périodicité des versements.
La commission a proposé de mettre en place une expérimentation d’une durée de trois ans menée dans dix départements par les caisses d’allocations familiales. Celle-ci donnera lieu avant son terme à un bilan d’évaluation remis par le Gouvernement au Parlement.
Le principe expérimental de l’application de cette mesure nous permettra de connaître, au moment du rapport, si les modalités d’un tel dispositif sont opportunes et faciles à mettre en place.
Le temps est enfin arrivé de faire évoluer notre cadre juridique et d’aider ainsi les nombreuses familles touchées par la maladie d’un enfant, tout en y alliant l’impératif d’une maîtrise de ces dispositifs. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à renforcer la protection des familles d’enfants atteints d’une maladie ou d’un handicap ou victimes d’un accident d’une particulière gravité
Article 1er
Après l’article L. 1225-4-3 du code du travail, il est inséré un article L. 1225-4-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 1225-4-4. – Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’un salarié pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles il a droit au titre du congé de présence parentale prévu à l’article L. 1225-62, qu’il use ou non de ce droit.
« Toutefois, l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressé ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’état de santé de l’enfant de l’intéressé. »
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par Mmes Le Houerou et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Meunier, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le paragraphe 3 de la sous-section 2 de la section 4 du chapitre V du titre II du livre II de la première partie du code du travail est complété par un article L. 1225-65-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1225-65-…. – L’employeur ne doit pas prendre en considération l’état de santé, qui nécessiterait un congé quel qu’il soit pour maladie grave ou accident, d’un enfant à charge pour rompre le contrat de travail du salarié, y compris au cours d’une période d’essai ou sous réserve d’une affectation temporaire réalisée dans le cadre des dispositions des articles L. 1225-7, L. 1225-9 et L. 1225-12, pour prononcer une mutation d’emploi. Il lui est également interdit de rechercher ou de faire rechercher toute information concernant l’état de santé des enfants de l’intéressé. »
La parole est à Mme Annie Le Houerou.
Mme Annie Le Houerou. Cet amendement vise à renforcer la protection des parents faisant face à la maladie ou au handicap d’un enfant, en tenant compte des conséquences de cet accident de la vie.
Il s’agit d’empêcher a priori l’employeur de procéder à un licenciement pendant la durée du congé de présence parentale, y compris pendant la période d’essai.
Néanmoins, lors de l’examen du texte par l’Assemblée nationale, une précision a été introduite visant à rassurer les employeurs, en leur permettant, en cas de faute grave, de rompre le contrat.
Cette rédaction, qui s’appuie sur le modèle des dispositions relatives à la maternité, à la paternité ou au décès d’un enfant, nous semble moins protectrice pour le salarié parent d’enfant malade, handicapé ou victime d’un accident grave.
En effet, malgré les protections offertes par le droit du travail, les salariés confrontés à des épreuves de la vie sont souvent discriminés ou bien licenciés, sous prétexte d’une faute grave ou d’un motif économique.
Nous devons être à l’écoute de ces femmes et de ces hommes qui se dévouent pour accompagner leurs enfants ; nous devons être à leurs côtés dans les différentes étapes de la vie et dans le milieu professionnel, en renforçant la protection contre le licenciement.
Cet amendement tend donc à revenir à la rédaction initiale du texte. Plus largement, une réflexion globale sur la politique publique de soutien aux aidants gagnerait à être menée, qu’il s’agisse d’accompagner les enfants touchés par une affection de longue durée (ALD) ou des parents en perte d’autonomie.
À titre personnel, je suis favorable à la définition d’un statut ou d’une reconnaissance des aidants familiaux, tel qu’il a été introduit par la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement.
Une approche globale est nécessaire : il convient d’améliorer les dispositions sur la protection contre les licenciements et, au regard des bailleurs, sur l’accès aux prestations.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. Contrairement à ce que son objet laisse entendre, l’adoption de cet amendement aurait pour effet de vider le dispositif de sa substance.
En effet, la rédaction initiale de l’article 1er permettait à un salarié déjà licencié – j’y insiste – de faire annuler en justice son licenciement s’il était en lien avec l’état de santé de son enfant.
C’est une protection ex post, déjà satisfaite par l’interdiction de licenciement pour motif discriminatoire dans le droit en vigueur.
L’article 1er du texte transmis permet, au contraire, une véritable protection contre le licenciement ex ante fondée, à l’instar de l’interdiction de licenciement pendant le congé maternité, sur des caractéristiques objectives. Grâce à cette nouvelle rédaction, le salarié en congé de présence parentale ne pourra pas être licencié du fait même de son statut.
Cette protection ne s’applique certes pas en cas de faute grave ou de force majeure. Mais c’est ainsi pour l’ensemble des protections contre le licenciement dans le droit en vigueur, qu’il s’agisse d’une grossesse, d’un congé maternité, d’une naissance ou encore du décès d’un enfant.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Christophe Combe, ministre. Je tiens à le rappeler, le Gouvernement est favorable à la disposition introduite par Paul Christophe dans sa proposition de loi et visant à élargir la protection des salariés devant accompagner un enfant gravement malade.
La disposition que vous souhaitez introduire, madame la sénatrice, n’est pas plus protectrice. À mon sens, son adoption contribuerait même à affaiblir l’article. Ainsi, pour garantir une meilleure lisibilité du droit, je vous propose de maintenir une rédaction identique à celle qui a été retenue pour les congés liés à la parentalité.
Par conséquent, comme Mme la rapporteure, je suis défavorable à cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 1225-4-4. – Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’un salarié pendant un congé de présence parentale prévu à l’article L. 1225-62 ainsi que pendant les périodes travaillées si le congé de présence parentale est fractionné ou pris à temps partiel.
La parole est à M. le ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. Favorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 1er bis
L’article L. 3142-4 du code du travail est ainsi modifié :
1° Le 4° est ainsi modifié :
a) Au début, le mot : « Cinq » est remplacé par le mot : « Douze » ;
b) (nouveau) Les mots : « sept jours ouvrés » sont remplacés par les mots : « quatorze jours » ;
2° Au début du 6°, le mot : « Deux » est remplacé par le mot : « Cinq ».
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par Mmes Le Houerou et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Meunier, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer le mot :
Cinq
par le mot :
Dix
La parole est à Mme Annie Le Houerou.
Mme Annie Le Houerou. Cet amendement vise à allonger à dix jours la durée du congé dans le cas de l’annonce de la survenue d’un handicap ou d’une pathologie de l’enfant.
Ce congé s’étendait à l’origine sur seulement deux jours. L’Assemblée nationale l’a fixé à cinq jours. Néanmoins, il me semble légitime de demander, par cet amendement, un allongement à dix jours de congé, malgré le rejet de cette demande en séance à l’Assemblée nationale et en commission des affaires sociales.
Nous pouvons tous nous représenter le choc considérable qu’est celui d’apprendre la pathologie de son enfant. Un laps de temps important est essentiel pour assimiler la nouvelle et réfléchir à l’aménagement de son quotidien. Il est nécessaire aussi pour la famille d’apprendre à vivre avec la pathologie de son enfant, d’apprendre à gérer le traitement, par exemple dans le cas d’un enfant diabétique. Il faut aussi prendre en compte, dans certains cas, la recherche d’un logement adapté à la pathologie de l’enfant.
Il convient donc d’éviter aux parents concernés de prendre des congés sans solde. Cette situation les mettrait encore davantage en difficulté dans une situation déjà très complexe. Nous nous devons de les aider dans ce combat.
Un vrai temps d’assimilation et d’adaptation est nécessaire. Cinq jours de congé dans cette situation semblent trop peu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. Le texte prévoit déjà, en l’état actuel, de passer de deux jours à cinq jours de congé, soit une semaine pleine, en cas d’annonce de la survenue d’un handicap ou d’une maladie grave chez l’enfant.
La commission des affaires sociales s’est prononcée contre un amendement identique au cours de son examen du texte, considérant qu’il était prématuré, en l’état, de porter ce congé de deux jours à dix jours, soit cinq fois plus que le droit en vigueur.
Évaluons d’abord les conséquences du passage de deux jours à cinq jours, avant de décider, le cas échéant, d’un nouvel allongement de ce congé.
Notons par ailleurs qu’un allongement de ce congé à dix jours ne faisait pas partie des revendications des associations auditionnées. Ces dernières souhaitent surtout que la loi s’applique rapidement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Christophe Combe, ministre. En effet, ce congé a déjà été allongé, puisqu’il est passé de deux jours à cinq jours.
Je le rappelle, la durée des congés pour événements familiaux relève également du dialogue social, puisque les partenaires sociaux peuvent, par accord collectif, marquer leur volonté de contribuer au développement d’un environnement plus favorable permettant une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie familiale. Je l’ai dit en discussion générale, ils ont un rôle à jouer en tant qu’acteur clé de cette conciliation. Les entreprises investissent aujourd’hui davantage les thèmes de la parentalité et des aidants.
Si la volonté d’allonger la durée de ce congé traduit le souci de favoriser la conciliation, pour les parents, entre vie professionnelle et vie familiale, une telle mesure bouleverse les équilibres auxquels sont parvenus les partenaires sociaux, ainsi que leurs priorités.
Comme Mme la rapporteure, j’estime que l’impact d’un tel changement doit d’abord être évalué.
Plus généralement, il est important de le souligner, l’adoption isolée de mesures visant à allonger ou à élargir des congés familiaux existants amoindrit la logique d’ensemble des congés prévus par le code du travail, en introduisant involontairement une hiérarchie, par la durée, entre des moments de la vie qui sont tous très douloureux.
Pour l’ensemble de ces raisons, je suis défavorable à cet amendement.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 13 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 14 est présenté par Mme Richer, au nom de la commission.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le code général de la fonction publique est ainsi modifié :
1° La seconde phrase de l’article L. 622-1 est ainsi rédigée : « Ces autorisations spéciales d’absence sont sans effet sur la constitution des droits à congés annuels et ne diminuent pas le nombre des jours de congés annuels. » ;
2° L’article L. 622-2 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « douze » ;
b) Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
- les mots : « sept jours ouvrés » sont remplacés par les mots : « quatorze jours ouvrables » ;
- après la première occurrence du mot : « ans », sont insérés les mots : « et quel que soit son âge si l’enfant décédé était lui-même parent » ;
- les mots : « le fonctionnaire » sont remplacés par les mots : « l’agent public » ;
c) Le dernier alinéa est ainsi modifié :
- au début, sont insérés les mots : « Dans les conditions prévues au deuxième alinéa du présent article, » ;
- les mots : « , dans les mêmes conditions, » sont supprimés.
La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 13.
M. Jean-Christophe Combe, ministre. Cet amendement est identique à celui qui a été déposé par Mme la rapporteure, fruit d’un travail commun.
Il s’agit simplement, d’une part, d’étendre le bénéfice de l’article 1er bis , à savoir l’allongement des congés pour deuil d’enfant, aux agents de la fonction publique, et, d’autre part, d’assurer un traitement identique des autorisations spéciales d’absence (ASA) liées à la famille et à la parentalité, notamment dans le cas du décès d’un enfant. Il est également précisé que les ASA n’ont pas d’effet sur la constitution du droit à congé et ne diminuent pas le nombre de jours de congé annuels. À cet égard, en effet, l’intention du législateur n’était pas claire dans la version précédente du texte.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter l’amendement n° 14.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. Cet amendement identique vise à permettre aux agents publics d’avoir les mêmes droits que les salariés du privé.
Sans vouloir alourdir les débats, je précise que le Gouvernement a, de facto, accepté d’écarter l’application de l’article 40 de la Constitution à cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 13 et 14.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er bis, modifié.
(L’article 1er bis est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
I. – L’article L. 1222-9 du code du travail est ainsi modifié :
1° À la seconde phrase du dernier alinéa du I, les mots : « du présent code ou un proche aidant mentionné à l’article L. 113-1-3 du code de l’action sociale et des familles » sont remplacés par les mots : « ou un salarié aidant d’un enfant, d’un parent ou d’un proche » ;
2° Le II est complété par un 7° ainsi rédigé :
« 7° Les modalités d’accès des salariés aidants d’un enfant, d’un parent ou d’un proche à une organisation en télétravail. »
II. – (Supprimé)
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par Mmes Le Houerou et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Meunier, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après le deuxième alinéa du I, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le salarié déclare devoir prendre soin d’un proche, un parent ou un enfant malade ou en situation de handicap ou victime d’un accident grave, l’employeur est dans l’obligation d’informer le salarié de la possibilité d’un aménagement du poste de travail sous forme de télétravail. » ;
La parole est à Mme Annie Le Houerou.
Mme Annie Le Houerou. Cet article vise à mettre en place la possibilité de télétravailler dans le cas où son enfant est atteint d’une maladie grave ou d’un handicap.
Cette mesure constitue une avancée significative, il est important de le souligner.
En effet, l’option du télétravail permet d’assurer, une fois le choc de l’annonce passé, une certaine continuité dans la vie professionnelle du parent. Il permet de mieux faire face aux difficultés du quotidien et d’alléger certaines contraintes, notamment de transport entre le domicile et le lieu de travail.
De plus, le télétravail s’est largement démocratisé depuis l’épidémie de covid-19. Nous disposons désormais de tous les outils nécessaires à sa bonne réalisation.
Le présent amendement vise donc à sécuriser davantage ce droit par la notification obligatoire de l’employeur à la personne salariée de la possibilité de télétravailler lorsqu’elle doit prendre soin d’un proche ou d’un enfant malade ou en situation de handicap.
Des réserves peuvent être émises dans le cas de métiers dans lesquels les salariés n’ont pas d’autres possibilités que celle d’être sur site. C’est le cas notamment des ouvriers, des restaurateurs ou encore des assistantes maternelles.
Des solutions doivent être imaginées pour ces cas précis ; nous pouvons penser notamment à un aménagement du temps de travail.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. En ne précisant pas que l’obligation d’informer le salarié de la possibilité de télétravailler ne vaut que dans les cas où le télétravail est matériellement possible, soit à peu près le tiers des emplois, la rédaction de cet amendement laisse planer un risque juridique.
Pour cette raison, la commission s’était déjà prononcée contre cet amendement lorsqu’elle a examiné ce texte. Celui-ci n’ayant pas été modifié, elle maintient son avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Christophe Combe, ministre. Par l’article 2, il s’agit de mieux prendre en compte et d’améliorer la situation des parents dont l’enfant est gravement malade, en leur facilitant le recours au télétravail.
Les conditions de recours au télétravail des salariés aidants, lorsque le poste le permet, seront désormais précisées par les accords collectifs et les chartes qui l’organisent. En outre, quel que soit le mode de mise en œuvre du télétravail – accord collectif ou charte de gré à gré –, l’employeur qui refuserait l’accès d’un salarié à ce mode d’organisation devra motiver son refus.
Vous l’avez dit, depuis la crise sanitaire, le recours au télétravail a connu une ampleur inédite. Désormais, ce mode d’organisation n’est plus confidentiel, les salariés y ayant massivement recours.
Par conséquent, votre proposition, madame la sénatrice, de créer une obligation d’information n’est donc pas nécessaire. Par ailleurs, le moment à partir duquel l’employeur serait dans l’obligation d’informer le salarié n’est pas clairement précisé.
Pour l’ensemble de ces raisons, je suis défavorable à cet amendement.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 3, présenté par Mmes Le Houerou et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Meunier, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rétablir le II dans la rédaction suivante :
II. – L’article L. 1222-11 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les parents dont l’enfant à charge est atteint de maladie grave, de handicap ou d’un accident d’une particulière gravité, le matériel nécessaire au télétravail est à la charge de l’employeur afin de garantir aux télétravailleurs l’accès matériel adapté à la pratique du télétravail. »
La parole est à Mme Annie Le Houerou.
Mme Annie Le Houerou. De nombreux parents, et plus particulièrement les mères, sont forcés de réduire leur activité, voire de quitter leur travail, pour s’occuper de leur enfant.
Le télétravail, lorsqu’il est possible, peut permettre de faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et les contraintes personnelles et de rendre le quotidien de ces familles moins pénible. Encore faut-il disposer du matériel nécessaire et adapté pour réaliser son travail dans de bonnes conditions.
Cet amendement tend à garantir spécifiquement aux parents dont l’enfant à charge est atteint d’une maladie ou d’un handicap ou gravement accidenté un poste de télétravail dont le matériel est à la charge de l’employeur.
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par Mmes M. Vogel et Poncet Monge, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rétablir le II dans la rédaction suivante :
II. - La section 3 du chapitre II du titre II du livre II de la première partie de la partie législative du code du travail est ainsi rétablie :
« Section 3
« Modification du contrat de travail pour réduction du temps de travail
« Art L. 1222-7 – Le salarié aidant d’un enfant, d’un parent ou d’un proche peut demander par tout moyen à son employeur une réduction du nombre d’heures stipulé au contrat de travail qui ne peut pas être inférieure à 32 heures par semaine. L’employeur accuse la réception de la demande et doit s’y conformer au plus tard deux mois après sa réception. »
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement vise à permettre un abaissement de la durée hebdomadaire du travail pour les salariés aidant un enfant, un parent ou un proche.
Comme je l’ai dit dans mon intervention liminaire, c’est bien de pouvoir faire du télétravail quand on le peut. Toutefois, de nombreux salariés ne peuvent pas adapter leur poste de travail au télétravail. En France, environ 80 % des salariés n’ont jamais télétravaillé. En effet, quand on est chauffeur de bus, conducteur de métro ou caissière, on ne peut pas télétravailler et, pourtant, on peut avoir des enfants nécessitant une présence à la maison.
Par conséquent, afin de ne pas créer une forme de rupture d’égalité face à la charge, nous souhaitons que les salariés puissent demander un abaissement de la durée hebdomadaire du temps de travail à 32 heures.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. Ces deux amendements sont en discussion commune, car ils visent à rétablir le II de l’article 2. Ils traitent toutefois de sujets tout à fait différents.
L’amendement n° 3 est déjà satisfait. En effet, l’employeur a une obligation générale de prise en charge des frais professionnels du salarié liés aux besoins de l’activité professionnelle. Le télétravailleur disposant des mêmes droits que le travailleur sur site, l’employeur doit donc déjà financer les frais de matériel nécessaire au télétravail, non seulement pour les parents d’enfants malades, mais aussi pour tous les salariés.
Par conséquent, la commission, qui avait rejeté cet amendement lors de l’examen du texte, a émis un avis défavorable.
Quant à l’amendement n° 6 de Mme Vogel, sa rédaction pose problème. En effet, aux termes de celui-ci, c’est bien la réduction du temps de travail, et non le temps de travail, qui ne pourra être inférieure à 32 heures. Autrement dit, si cet amendement était adopté, un salarié aidant aux 35 heures pourrait obtenir, de droit, une réduction de 32 heures de son temps de travail, pour le porter à 3 heures hebdomadaires. La rédaction de cet amendement n’est donc pas conforme aux intentions de ses auteurs et emporte un risque juridique important.
Par ailleurs, même si sa rédaction était corrigée, il ne prévoit aucune circonstance dans laquelle l’employeur pourrait refuser, même temporairement, une telle dérogation aux dispositions du contrat de travail. En instituant un droit général et absolu, cet amendement, qui n’a pas fait l’objet d’une concertation avec les partenaires sociaux et dont les conséquences potentielles ne sont pas évaluées, semble excessivement prescriptif.
C’est la raison pour laquelle la commission a également émis, à son endroit, un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Christophe Combe, ministre. Sur l’amendement n° 3, l’avis du Gouvernement est identique à celui de la commission. En effet, celui-ci est déjà satisfait, dans la mesure où les employeurs sont tenus, je le rappelle, de prendre en charge les frais liés au télétravail. En général, cela prend la forme d’une allocation forfaitaire.
Quant à l’amendement n° 6, il est mes yeux également satisfait, puisque, précisément, le congé de présence parentale doit permettre aux salariés de suspendre ou de réduire leur activité professionnelle pour s’occuper d’un enfant à charge dont l’état de santé nécessite une présence soutenue et des soins contraignants.
Concrètement, le salarié bénéficie d’une réserve de jours de congé, qu’il utilise en fonction de ses besoins. Par ailleurs, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 en a assoupli les modalités d’exercice, en permettant de fractionner le congé en demi-journées ou de le transformer en période d’activité à temps partiel, avec l’accord de l’employeur, comme c’est également le cas pour le congé de proche aidant et le congé de solidarité familiale.
En outre, les salariés peuvent solliciter un passage à temps partiel en raison des besoins de leur vie personnelle, sans condition d’ancienneté, sous la forme d’une ou plusieurs périodes d’au moins une semaine. Une telle réduction de la durée du travail nécessite de conclure un avenant au contrat de travail, l’employeur ne pouvant opposer un refus qu’à la condition que celui-ci soit justifié par des raisons objectives liées aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise.
En outre, l’employeur ne peut modifier les dates fixées pour les périodes non travaillées sans l’accord du salarié. La modification de la répartition des périodes travaillées et non travaillées nécessite de conclure un nouvel avenant au contrat de travail.
Enfin, je le rappelle, les proches d’une personne handicapée bénéficient à leur demande d’un aménagement d’horaires individualisés.
Telles sont les raisons pour lesquelles je vous demande, madame la sénatrice, de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par Mmes M. Vogel et Poncet Monge, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux paragraphes ainsi rédigés :
…. – L’article L. 3121-44 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’accord peut prévoir d’exempter les salariés aidant d’un enfant, d’un parent ou d’un proche des aménagements du temps de travail ayant pour conséquence une augmentation de la durée hebdomadaire du travail. »
…. – L’article L. 3121-45 dudit code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La répartition mise en place selon les conditions fixées au premier alinéa ne peut pas avoir pour conséquence d’augmenter la durée hebdomadaire du travail des salariés aidant d’un enfant, d’un parent ou d’un proche. »
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement est également relatif à la durée du temps de travail, mais concerne un autre problème, à savoir l’augmentation des heures de travail en cas de période de forte activité, demandée par l’employeur.
Vous le savez, l’employeur peut, en fonction de l’activité économique, augmenter ou réduire le temps de travail hebdomadaire de ses salariés. Or, quand on doit s’occuper d’un enfant, on ne peut pas nécessairement dire qu’on ira le chercher à l’école la semaine suivante !
Cet amendement vise donc à exclure les parents qui sont concernés par ce texte du dispositif d’augmentation de leurs heures de travail par leur employeur, en cas de période de forte activité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. Tout d’abord, dans les accords collectifs régissant les modalités d’aménagement du temps de travail, il est d’ores et déjà possible d’exempter les salariés aidants des aménagements ayant pour conséquence une augmentation de la durée hebdomadaire du temps du travail. La première partie de cet amendement est donc déjà satisfaite.
Ensuite, l’interdiction, en l’absence d’accord de branche, d’augmenter, même transitoirement, la durée hebdomadaire du travail des salariés aidants semble excessivement prescriptive. Non négociée avec les partenaires sociaux, elle s’impose à tous les salariés aidants, y compris à ceux qui seraient volontaires pour augmenter transitoirement leur durée hebdomadaire de travail pour disposer de revenus plus importants sur un mois donné ou parce qu’ils souhaiteraient accompagner une hausse d’activité de leur employeur.
En matière de droit du travail, la concertation est préférable à l’instauration d’obligations générales et absolues, qui méconnaissent les particularités de chaque situation.
Par conséquent, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Christophe Combe, ministre. La référence dans la loi à une catégorie de salariés spécifique pourrait conduire à exclure du bénéfice de cette disposition les autres catégories de salariés non visées et qui pourraient pourtant y avoir un intérêt objectif.
En l’état actuel du droit, Mme la rapporteure l’a dit, une décision unilatérale de l’employeur ou un accord collectif permet de déterminer les catégories de salariés qui seraient concernées. Ainsi, l’accord ou, à défaut, la décision unilatérale peuvent écarter l’application d’un dispositif d’aménagement du temps de travail aux salariés visés par le présent amendement.
Enfin, il convient de rappeler que l’article L. 3121-49 du code du travail prévoit déjà la possibilité pour les aidants familiaux et les proches d’une personne handicapée de bénéficier d’un aménagement d’horaires individualisé propre à faciliter l’accompagnement de cette personne.
Pour l’ensemble de ces raisons, je suis défavorable à cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 5, présenté par Mmes Le Houerou et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Meunier, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 1237-1-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions du présent article ne concernent pas le salarié ayant dû s’absenter de son poste ou suspendre son activité professionnelle en raison de l’état de santé d’un enfant à charge tel que précisé à l’article L. 544-1 du code de la sécurité sociale. »
La parole est à Mme Annie Le Houerou.
Mme Annie Le Houerou. Cet amendement vise à corriger une partie des effets particulièrement néfastes de la loi du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi.
Depuis le début, nous avons combattu cette mesure, qui induit des effets pervers. En effet, l’article L. 1237-1-1 définit comme un abandon de poste le fait, pour un salarié, de ne pas avoir justifié son absence après une mise en demeure par l’employeur.
Pourtant, des événements graves et exceptionnels viennent parfois chambouler le cours d’une existence. C’est précisément le cas lorsque des parents apprennent que leur enfant est atteint d’une affection de longue durée.
Notre droit doit protéger toutes celles et tous ceux qui sont confrontés à ces situations douloureuses et empêcher que l’absence au travail dans ces cas précis puisse être qualifiée d’abandon de poste.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. Malgré leur douleur et la gravité des événements, la très grande majorité des parents confrontés à la maladie ou au handicap de leur enfant préviennent leur employeur et arrêtent le travail en attendant d’avoir accès au CPP, en utilisant des congés, notamment le congé pour l’annonce du handicap ou de la maladie grave d’un enfant. Les cas d’abandon de poste sont donc, en pratique, très rares.
Même dans ces rares cas, la présomption de démission en cas d’abandon de poste ne peut s’appliquer qu’à compter d’un délai minimal de quinze jours après la mise en demeure de reprendre le travail. Or cette période de quinze jours est suffisante pour réclamer et faire valoir son droit à congé de présence parentale, qui autorise le salarié à s’absenter du travail pour être auprès de son enfant malade. Dès lors qu’il utilise son congé de présence parentale, le parent n’est plus en abandon de poste.
La portée de cet amendement semble donc, dans les faits, extrêmement réduite. Par conséquent, il n’a pas semblé utile à la commission de complexifier le droit en prévoyant une dérogation en la matière. Elle a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Christophe Combe, ministre. Je le confirme, la procédure de mise en demeure préalable a pour objet de vérifier que le salarié n’a pas un motif légitime d’absence.
Ainsi, le salarié s’étant absenté de son poste ou ayant suspendu son activité professionnelle en raison de l’état de santé d’un enfant à charge n’est pas, par définition, en abandon de poste.
L’adoption de cet amendement risquerait par ailleurs de créer des « a contrario », en laissant penser que la présomption s’applique tout le temps, sauf en cas d’absence liée à l’état de santé d’un enfant à charge, ce qui n’est pas le seul cas où la présomption ne s’applique pas.
Pour ces raisons, je suis défavorable à cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 8, présenté par Mmes M. Vogel et Poncet Monge, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article L. 3121-5 du code de travail, après le mot : « handicap », sont insérés les mots : « ou pour le salarié exerçant la responsabilité parentale d’un enfant atteint d’une maladie, d’un handicap ou victime d’un accident d’une particulière gravité ».
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement est très simple. Vous le savez, pour tenir compte du fait que le trajet pour aller au travail peut être plus long quand on a besoin d’une assistance particulière, car nos trottoirs et nos transports en commun sont encore largement inadaptés, les salariés atteints d’un handicap peuvent demander une compensation sous forme de repos, pour pallier le fait que le trajet entre le domicile et le travail peut être plus long que pour des personnes qui ne sont pas atteintes d’un handicap.
Nous proposons tout simplement d’élargir cette mesure aux salariés qui s’occupent d’un enfant atteint d’un handicap ou d’une maladie ou qui a été victime d’un accident grave. En effet, lorsque l’on accompagne quelqu’un qui est handicapé, le temps supplémentaire nécessaire pour se déplacer est identique à celui qui aurait été requis si l’on était soi-même en situation de handicap.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. Dans son objet, cet amendement précise que le repos compensateur serait accordé consécutivement à l’allongement du trajet du fait de l’accompagnement de l’enfant avant d’aller au travail, par exemple pour l’emmener à un centre spécialisé, à l’hôpital ou à l’école.
Toutefois, le dispositif ne mentionne aucunement ces raisons. Dès lors, la commission a estimé que, en dépit d’intentions louables, celui-ci était trop imprécis pour être pleinement fonctionnel.
Par conséquent, elle a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Christophe Combe, ministre. Madame la sénatrice, vous souhaitez étendre les dispositions qui s’appliquent pour les salariés handicapés aux parents d’enfants malades.
Si l’intention est louable, l’extension de cette disposition n’apparaît pas pertinente. En effet, cette mesure vise à prendre en compte le fait que le salarié atteint d’un handicap, avec un statut spécifique associé, puisse avoir des temps de trajet rallongés.
Si je ne nie pas que certains parents ayant des enfants atteints d’une maladie, d’un handicap ou victimes d’un accident grave puissent rencontrer des contraintes particulièrement lourdes dans l’organisation de leur vie personnelle, la modification des règles applicables aux trajets entre le domicile et le travail n’est pas adéquate.
D’autres dispositifs existent et permettent d’aider les parents d’enfants malades. Ainsi, l’article L. 3121-49 du code du travail prévoit que les aidants familiaux et les proches d’une personne handicapée bénéficient d’un aménagement du temps de travail sous forme d’horaires individualisés propres à faciliter l’accompagnement de cette personne.
Pour ces raisons, je suis défavorable à votre amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 3
(Non modifié)
I. – L’article L. 544-3 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’allocation peut faire l’objet d’une avance dans l’attente de l’avis mentionné à la dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 544-2. » ;
2° Au deuxième alinéa, le mot : « explicite » est supprimé.
II. – Le dernier alinéa de l’article L. 1225-62 du code du travail est ainsi modifié :
1° Le mot : « attestant » est remplacé par le mot : « atteste » ;
2° Les mots : « est confirmé par un accord explicite du service du contrôle médical prévu à l’article L. 315-1 du code de la sécurité sociale ou du régime spécial de sécurité sociale » sont supprimés.
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par Mmes M. Vogel et Poncet Monge, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le troisième alinéa de l’article L. 3142-19 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans ce cas, l’allocation journalière du proche aidant mentionnée à l’article L. 168-8 du code de la sécurité sociale peut faire l’objet d’une avance. »
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement tend à permettre le versement d’une avance non seulement pour l’allocation de présence parentale, mais également pour l’allocation journalière de proche aidant.
Cette mesure vise à répondre aux délais de traitement qui peuvent malheureusement atteindre plusieurs mois. Or, quand on a besoin de ce versement, une telle attente peut poser de grands problèmes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. Cet amendement vise à permettre une avance sur le versement de l’AJPA en cas de dégradation soudaine de l’état de santé de la personne aidée ou de situation urgente.
Dans cette situation, le salarié peut demander le congé de proche aidant sans délai, mais l’AJPA ne lui sera pas nécessairement versée, même si les délais sont plus courts que pour l’AJPP.
L’article 3 vise à créer une possibilité d’avancer l’AJPP afin d’éviter les ruptures de ressources des familles en situation d’urgence.
Pour ces raisons, la commission a émis un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Christophe Combe, ministre. Une fois n’est pas coutume, je ne partage pas l’avis de la commission.
Cet amendement vise à répliquer pour l’AJPA les dispositions adoptées à l’Assemblée nationale sur le versement d’une avance au titre de l’AJPP.
L’AJPA étant conditionnée à la prise d’un congé de proche aidant pour les salariés et agents publics, l’objet de votre amendement, à savoir permettre le versement rapide de l’AJPA, est satisfait.
Par ailleurs, la mesure qui a été adoptée à l’Assemblée nationale concernant l’AJPP l’a été puisque l’allongement de la durée de versement était dû au fait que l’avis du service médical était nécessaire pour bénéficier de celle-ci, ce qui n’est pas le cas pour l’AJPA.
Je suis donc défavorable à cet amendement puisque, par définition, le versement n’est pas retardé par la procédure, comme c’est le cas avec l’AJPP.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4
I. – L’article 54 de la loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022 est ainsi modifié :
1° Le b du 1° du I est abrogé ;
2° Après l’année : « 2023 », la fin du VI est supprimée.
II (nouveau). – La seconde phrase du premier alinéa des articles L. 168-9 et L. 544-6 du code de la sécurité sociale est supprimée. – (Adopté.)
Article 4 bis
(Non modifié)
L’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 est ainsi modifié :
1° Le IV devient le V ;
2° Le IV est ainsi rétabli :
« IV. – Le bailleur ne peut s’opposer au renouvellement du contrat en donnant congé dans les conditions définies au I du présent article à l’égard de tout bénéficiaire de l’allocation mentionnée à l’article L. 544-1 du code de la sécurité sociale dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur pour l’attribution des logements locatifs conventionnés fixé par arrêté du ministre chargé du logement, sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée. »
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par Mmes M. Vogel et Poncet Monge, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
de l’allocation mentionnée à l’article L. 544-1
par les mots :
des allocations mentionnées aux articles L. 168-8 ou L. 544-1
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement est retiré.
M. le président. L’amendement n° 10 est retiré.
Je mets aux voix l’article 4 bis.
(L’article 4 bis est adopté.)
Article 5
(Non modifié)
I. – Pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, à titre expérimental, dans, au plus, dix départements, y compris ultramarins, les organismes débiteurs des prestations familiales identifient et mettent en place des dispositifs visant à améliorer l’accompagnement des familles bénéficiaires de l’allocation mentionnée à l’article L. 544-1 du code de la sécurité sociale, notamment pour les prémunir de difficultés financières et simplifier leur parcours.
II. – L’expérimentation donne lieu, avant son terme, à un rapport d’évaluation remis au Parlement par le Gouvernement.
III. – (Supprimé) – (Adopté.)
Article 6
(Suppression maintenue)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à renforcer la protection des familles d’enfants atteints d’une maladie ou d’un handicap ou victimes d’un accident d’une particulière gravité.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
M. Xavier Iacovelli. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, je me félicite de l’adoption de ce texte.
Nous espérons que la commission mixte paritaire sera conclusive et qu’elle retiendra les modifications du Sénat, qui a permis d’améliorer le texte, d’où l’intérêt de ces navettes.
Je remercie Paul Christophe, toujours fidèle à son engagement pour accompagner les familles, d’avoir présenté cette proposition de loi.
Je salue également la qualité du travail de Marie-Pierre Richer. Je remercie également Brigitte Micouleau, ainsi que le ministre des solidarités. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI. – M. Bernard Jomier applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures vingt-deux.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Sécurisation et régulation de l’espace numérique
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (projet n° 593, texte de la commission n° 778, rapport n° 777).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Organisation des travaux
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la bonne organisation de nos travaux, je vous rappelle que nous suspendrons ceux-ci vers dix-neuf heures quinze pour les reprendre à vingt et une heures trente.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications. Monsieur le président, madame la présidente de la commission spéciale, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, l’insécurité que nos concitoyens rencontrent au quotidien sur internet sape leur confiance dans la transition numérique.
Tous les Français sont concernés, tous constatent les désordres qui s’accumulent dans l’espace numérique, en particulier les Français les plus vulnérables.
Nos concitoyens les plus modestes, les plus âgés, sont les victimes privilégiées des cybercriminels. Nos enfants sont exposés de manière très précoce à des contenus inappropriés. Nos entreprises, que la loi du plus fort place sous le joug et la dépendance des géants du numérique, sont également concernées. Notre démocratie est soumise aux coups de boutoir incessants des professionnels de la désinformation.
Face à ces désordres, la France agit résolument depuis cinq ans, à tous les niveaux.
Nous agissons au niveau national, grâce à des initiatives parlementaires qui nous ont permis de progresser, notamment en matière de lutte contre la désinformation ou de protection de l’enfance en ligne – je pense au cyberharcèlement.
Nous agissons aussi au niveau européen, avec deux règlements majeurs adoptés l’année dernière durant la présidence française de l’Union européenne.
Nous agissons ensuite au niveau international, avec des initiatives multipartites prises par le Président de la République, et qui ont contribué à éveiller la conscience mondiale sur ce problème de notre siècle.
Le projet de loi que vous allez examiner aujourd’hui a le même objectif, celui d’instaurer un ordre public numérique et de créer des protections nouvelles pour nos concitoyens, nos enfants, nos entreprises, nos collectivités et notre démocratie.
Ce texte s’est formé à partir de trois affluents.
Le premier de ces affluents, ce sont les deux règlements européens adoptés l’année dernière sous la présidence française de l’Union européenne, qui sont d’application directe, mais qui nécessitent que nous modifiions notre droit pour qu’ils puissent correctement s’appliquer dans notre pays.
Le premier règlement, le règlement sur les services numériques, le Digital Services Act (DSA), fait entrer les grandes plateformes des réseaux sociaux dans l’ère de la responsabilité. Il leur impose des obligations de modération. Il les contraint à analyser et à corriger le risque systémique qu’elles font peser sur la santé de leurs utilisateurs, mais aussi sur la sécurité publique. Les événements récents ont confirmé à quel point il était nécessaire et urgent qu’un tel règlement puisse intervenir. Enfin, ce règlement impose des interdictions nouvelles, par exemple la publicité ciblée sur les mineurs.
Le deuxième règlement, le règlement sur les marchés numériques, le Digital Markets Act (DMA), a pour objet de rétablir l’équité commerciale et de mettre fin à un certain nombre d’abus de position dominante dans l’économie numérique. Il définit vingt-six pratiques anticoncurrentielles, qui seront désormais interdites dans l’Union européenne : autopréférence, utilisation par un service d’une entreprise de données personnelles collectées sur un autre de ses services, interopérabilité entre les messageries, etc.
Le deuxième affluent, ce sont vos travaux parlementaires, mesdames, messieurs les sénateurs, notamment ceux qui ont porté sur l’exposition de mineurs aux contenus pornographiques. Je pense au rapport d’information de Laurence Rossignol, de Laurence Cohen, d’Annick Billon et d’Alexandra Borchio Fontimp. Je pense également au rapport d’information qui a été rendu par Amel Gacquerre, Franck Montaugé et Sophie Primas sur la souveraineté numérique. Je pense, enfin, aux récents travaux de Catherine Morin-Desailly, de Florence Blatrix Contat et d’André Gattolin sur la proposition de règlement sur les données.
Nous n’avons fait que reprendre ni plus ni moins, mesdames, messieurs les sénateurs, certaines des propositions figurant dans ces rapports et qu’il me paraissait important de mettre en œuvre le plus vite possible.
Le troisième affluent, ce sont les consultations citoyennes qui ont été menées sous l’égide du Conseil national de la refondation, et qui ont inspiré certaines des mesures de ce projet de loi, notamment en ce qui concerne la lutte contre le cyberharcèlement.
En définitive, ce projet de loi vise à instaurer des protections nouvelles que je décrirai brièvement, en soulignant les apports décisifs des travaux de la commission spéciale, qui s’est réunie la semaine dernière pour examiner le texte.
Au chapitre de la protection de nos concitoyens, on recense trois mesures fortes.
La première mesure vise à donner une base légale au filtre anti-arnaque, qui servira de rempart contre les campagnes de SMS et de mails frauduleux. Nous avons tous déjà reçu un SMS ou un mail du compte personnel de formation ou de la sécurité sociale, nous invitant à suivre un lien malveillant, et nous avons tous hésité à cliquer. C’est ainsi que 18 millions de Français ont été victimes de la cybercriminalité l’année dernière, dont la moitié a perdu de l’argent.
Évidemment, ce sont nos concitoyens les plus fragiles, les plus éloignés du numérique, qui sont les plus susceptibles de se faire ainsi entraîner dans la spirale infernale de l’usurpation d’identité dont ils mettent parfois plus d’une décennie à sortir. Il faut donc, grâce à ce filtre anti-arnaque, couper le mal à la racine et dévitaliser le commerce de ces pirates, qui font de nos tablettes et de nos smartphones l’instrument de leur racket.
La deuxième mesure est une peine complémentaire de bannissement des réseaux sociaux pour une période de six mois, portée à un an en cas de récidive, pour les personnes reconnues coupables de cyberharcèlement ainsi que d’autres faits de violences en ligne. Le cyberharcèlement se propage comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Les responsables sont une minorité d’internautes se comportant parfois comme des chefs de meute, qui désignent les victimes à la vindicte de leur communauté et qui déclenchent sur celles-ci des raids de violence et de haine.
Grâce à cette disposition, qui est inspirée de la peine complémentaire d’interdiction de stade, nous voulons une fois de plus couper le mal à la racine en privant ces chefs de meute de leur caisse de résonance, en confisquant leur notoriété et en rendant impossible la récidive.
À cet égard, je salue les travaux du rapporteur Loïc Hervé, qui a permis d’étendre cette peine complémentaire dans un certain nombre de dimensions afin que le juge qui décidera de s’en saisir puisse dûment traiter cette question de la récidive sur les réseaux sociaux.
La troisième mesure de protection de nos concitoyens est l’encadrement des nouveaux types de jeux en ligne. Nous définirons un régime pionnier et protecteur des utilisateurs pour encadrer les jeux numériques fondés sur les technologies du Web 3.0. Il s’agit là de créer les conditions pour que ces activités puissent se développer en France, tout en assurant le plus haut niveau de protection aux mineurs et en garantissant la lutte effective contre le blanchiment et le terrorisme.
Je remercie le rapporteur Patrick Chaize d’avoir su préciser la définition de l’expérimentation, pendant une durée de trois ans, au cours de laquelle ces activités vont pouvoir se déployer, entourées d’un certain nombre de garanties. Il faut bien le confesser, la copie initiale du Gouvernement consistait en une simple habilitation à légiférer par ordonnance. Je salue donc les efforts du Sénat en ce sens.
Au chapitre de la protection des mineurs, notons deux mesures fortes.
La première mesure consiste à donner à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) le pouvoir d’ordonner le blocage, le déréférencement et des amendes dissuasives à l’encontre des sites pornographiques qui ne vérifieront pas l’âge des utilisateurs.
Grâce à la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, l’obligation est faite aux sites pornographiques de vérifier l’âge de leurs utilisateurs. Cette obligation n’est toujours pas respectée à l’heure actuelle. Une procédure est en cours devant le tribunal judiciaire de Paris, qui rendra son verdict vendredi prochain.
Constatant les délais de cette procédure, le rapport de Mmes Billon, Borchio Fontimp, Cohen et Rossignol a ouvert un certain nombre de pistes supplémentaires, dont cette faculté donnée à l’Arcom d’ordonner en quelques semaines le blocage des sites pornographiques pour les affaires à venir. Bientôt, cette disposition nous permettra d’agir plus vite et plus fort.
La deuxième mesure de protection des enfants est la création d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende pour les hébergeurs qui ne retireront pas les contenus pédopornographiques qui leur sont signalés par la police et la gendarmerie en moins de vingt-quatre heures, sur le modèle de la sanction qui s’applique au non-retrait des contenus terroristes.
L’année dernière, 74 000 demandes de retrait de tels contenus ont été adressées aux hébergeurs. Il fallait donc assortir cette obligation de retrait d’une sanction, ainsi que le prévoit fort opportunément ce texte.
Au chapitre de la protection de nos entreprises et de nos collectivités, on retrouve deux mesures.
Pour nos entreprises, il s’agit d’encadrer les avoirs commerciaux, de prévoir des règles d’interopérabilité et d’interdire les frais de transfert sur le marché de l’infonuagique, c’est-à-dire du cloud. Ce marché est en effet extrêmement concentré entre les mains d’une poignée d’acteurs, qui tiennent nos entreprises dans une situation de dépendance et d’assujettissement. Là aussi, il faut en finir avec la loi du plus fort.
Le Sénat a formulé des propositions dans un certain nombre de rapports. Nous y avons été très sensibles avec Bruno Le Maire, car la souveraineté en matière de numérique et de cloud est pour nous une priorité. Vous trouverez donc dans ce projet de loi, affinées par les travaux de la commission spéciale, des mesures qui nous permettront de rendre leur liberté aux entreprises de notre pays et de leur donner un peu d’air.
Pour les collectivités, il s’agit de créer une base de données unique afin qu’elles puissent mieux réguler l’activité des meublés de tourisme. Une expérimentation a eu lieu ces dernières années, associant cinq collectivités et cinq plateformes de location : nous proposons de la pérenniser. Il est nécessaire que les collectivités, pour vérifier la bonne application du droit, en particulier la limite de cent vingt nuitées par an, puissent se tourner vers un interlocuteur unique de manière à s’assurer que toutes les règles sont bien respectées sur leur territoire.
Enfin, je tiens à souligner une mesure de protection de notre démocratie, avec le pouvoir donné à l’Arcom de mettre en demeure et d’ordonner le blocage des sites qui diffuseront des médias frappés par les sanctions internationales comme celles que l’Union européenne a prises à l’encontre de RT France et de Sputnik.
La désinformation sur internet est l’une des menaces les plus lourdes qui pèsent sur nos démocraties. Nos ennemis dévoient la liberté d’expression pour instiller le mensonge dans le débat public. Cette mesure complétera notre arsenal pour nous permettre de lutter contre la désinformation.
Ce projet de loi, je l’ai souligné devant la commission spéciale, a vocation à être enrichi et renforcé par le Parlement, singulièrement par le Sénat.
Je serai, pour ma part, attentif à ce que nous veillions collectivement à ne pas franchir deux lignes rouges.
La première de ces lignes rouges est de veiller à ce que les compromis que la France a portés au niveau européen, et qui ont donné lieu aux règlements sur les services numériques et sur les marchés numériques, soient respectés. Il s’agit bien évidemment de compromis : la France n’a pas pu obtenir tout ce qu’elle aurait voulu, mais le fait qu’il s’agisse de compromis européens leur donne toute leur force. C’est en faisant levier grâce au marché unique européen que nous avons ainsi pu obtenir un certain nombre de concessions, et que les sanctions associées au non-respect de ces règlements seront d’une sévérité suffisamment dissuasive pour que les géants du numérique modifient une bonne fois pour toutes leur comportement.
La deuxième ligne rouge est de ne pas enfreindre – car cela pourrait constituer une tentation pour mettre fin à tous les désordres que nous constatons au quotidien dans l’espace numérique – certaines des libertés fondamentales sur lesquelles repose notre fonctionnement démocratique : la liberté d’expression, la liberté d’information et la liberté de communication.
Il nous faudra faire preuve de discernement durant nos débats afin que vos propositions et les nôtres se tiennent bien entre ces deux lignes rouges : le respect des compromis obtenus par la France au niveau européen et le respect des libertés fondamentales sur lesquelles repose notre démocratie.
Je compte évidemment sur le Sénat pour enrichir et renforcer ce texte, qui suivra ensuite son chemin vers l’Assemblée nationale. Je vous remercie par avance de la qualité de nos échanges. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Bruno Belin applaudit également.)
M. le président. Monsieur le ministre, je salue la présence à vos côtés de Mme Charlotte Caubel, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargée de l’enfance.
La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais commencer par un constat qui, je le crois, est partagé sur toutes les travées de cette assemblée et, au-delà, par tous les Français : il n’est plus possible d’imaginer une vie sans internet.
Le numérique n’est pas un simple outil technique : il a changé, sans retour possible, nos manières de communiquer, de consommer, d’agir, et même, dans une certaine mesure, de penser et de concevoir le monde.
Si internet est un formidable vecteur de créativité, d’échanges et de transparence, il comporte, comme le monde réel, sa part de violence et de laideur. L’actualité se fait l’écho, hélas ! de l’avancée de la cybercriminalité, du cyberharcèlement, des cyberarnaques, bref, de l’irruption de comportements qui, illicites dans notre vie de tous les jours, trouvent dans l’espace numérique un nouveau champ d’action.
Tel est l’enjeu de ce texte, du moins pour les articles dont j’ai la charge en tant que rapporteur : faire du continent internet un lieu plus sûr pour mieux protéger ses utilisateurs, en priorité les plus vulnérables.
Sécuriser l’espace numérique, ce n’est ni plus ni moins qu’y garantir le respect des règles qui s’appliquent au quotidien.
La liberté ne peut plus servir de prétexte à celles et à ceux qui vont sur internet pour harceler ou humilier, ou pour répandre un discours de haine et d’infamie. Elle ne peut pas, non plus, servir d’excuse pour accepter que les plus jeunes soient exposés à des contenus choquants ou violents qui les empêchent de se construire sereinement.
Le règlement sur les services numériques permettra, en la matière, de grandes avancées. Le Gouvernement a voulu aller plus loin en y intégrant des mesures complémentaires, par exemple sur la lutte contre les contenus illicites ou sur l’interdiction d’accès des mineurs aux sites pornographiques.
Monsieur le ministre, soyez assuré que le Sénat soutient votre choix, à tel point que nous avons souhaité, nous aussi, apporter notre pierre à l’édifice.
Nous l’avons fait en commission spéciale puisque nous avons enrichi et remanié votre texte, en bonne intelligence avec les acteurs du numérique et avec les services publics concernés, que nous avons reçus en dépit du trop bref délai qui nous était imparti.
Nous avons pleinement souscrit au changement de méthode que vous suggérez pour réguler les sites pornographiques, défendu dans les articles 1er et 2, à travers l’établissement, par l’Arcom, d’un référentiel obligatoire pour les systèmes de vérification d’âge.
Nous avons également approuvé l’octroi, toujours à l’Arcom, d’un pouvoir de mise en demeure et de sanction afin que cette vérification d’âge soit effective ou, à défaut, que les sites récalcitrants soient bloqués.
Ces mesures, directement inspirées du rapport d’information de la délégation aux droits des femmes du Sénat sur les pratiques de l’industrie pornographique, devraient permettre de « massifier » notre réponse face à la prolifération de contenus pornographiques en accès libre sur internet, et ainsi de protéger davantage les mineurs, qu’il s’agisse des enfants ou des jeunes adolescents.
Pour renforcer la solidité du dispositif, nous avons cependant fusionné les deux procédures de mise en demeure et de sanction prévues à l’encontre de l’éditeur, notamment parce qu’elles empiétaient sur une éventuelle procédure pénale.
Le système que nous avons imaginé est plus simple : il y aurait une mise en demeure de l’éditeur de se conformer au référentiel avec une sanction pécuniaire plus ou moins importante à la clé selon que l’éditeur n’a mis en place aucun contrôle d’âge ou qu’il a mis en place un dispositif non conforme au référentiel.
Après cette mise en demeure à l’éditeur, et si l’Arcom constate que le site est accessible aux mineurs, alors elle pourrait demander des mesures de blocage et de déréférencement directement aux fournisseurs d’accès à internet et aux moteurs de recherche.
Nous nous sommes aussi intéressés au volet pénal de votre texte. Vous proposez de créer une nouvelle peine complémentaire de « bannissement ». Nous en avons étendu le champ, notamment pour que le juge puisse priver ceux qui prétendent intimider les élus en ligne du droit d’accéder aux plateformes numériques. Ce faisant, nous sommes dans notre rôle de défenseurs des collectivités territoriales et de la démocratie locale.
Néanmoins, la mission du Sénat ne se limite pas qu’à cela, et je vous proposerai aujourd’hui d’aller plus loin en créant, pour celles et ceux qui tiennent en ligne des propos offensants ou injurieux, un délit d’outrage en ligne passible d’une sanction immédiate prenant la forme d’une amende forfaitaire délictuelle.
J’émets le souhait, monsieur le ministre, que nous puissions avancer sur le recours aux plaintes en ligne pour ce nouveau délit : il faut que les victimes puissent facilement faire appel aux forces de l’ordre pour qu’il soit mis fin au harcèlement, aux menaces et aux insultes.
Nous enverrons ainsi un message clair à celles et à ceux qui pensent, à tort, que l’écran de leur ordinateur les protège de la loi : tout ce qui est interdit dans le monde réel l’est aussi en ligne, et ceux qui ne l’ont pas encore compris doivent en subir les conséquences.
Nous aurons également, à la faveur de ce texte, un débat important sur les émeutes qui ont marqué notre pays depuis la mort du jeune Nahel. Dans un climat propice aux violences les plus abjectes, des élus locaux ont été lâchement insultés, intimidés ou attaqués. Pendant les jours et les nuits que nous venons de traverser, les réseaux sociaux ont joué un rôle indéniable dans la propagation des pillages et des violences.
Je ne doute pas que nous aurons l’occasion d’en débattre durant l’examen de ce texte, sans tabou, mais sans s’éloigner non plus des principes qui fondent l’État de droit dans notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon applaudit également.)
M. Patrick Chaize, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, sous couvert d’un vernis médiatique et de l’ajout de quelques mesures spécifiques à la France, est en réalité un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (Ddadue) qui ne dit pas son nom !
Ne l’oublions pas, nous devons aussi reconnaître que ce texte est très attendu, à la fois par les citoyens, par les entreprises, mais aussi par les parlementaires que nous sommes.
Nous regrettons le manque de concertation préalable de la part du Gouvernement avec les principaux acteurs économiques concernés, ainsi que le manque de prise en compte des avis des autorités administratives indépendantes sur ce texte, mais la navette parlementaire est encore longue, ce qui devrait nous permettre de procéder aux ajustements nécessaires.
Ce projet de loi est une étape supplémentaire pour nous assurer de la bonne application de plusieurs règlements européens sur le numérique, sur les marchés numériques, sur la gouvernance des données et sur l’accès aux données. Autant de textes ambitieux, difficiles à négocier, que nous devrons très prochainement respecter afin de vivre dans un environnement numérique plus juste, plus équitable et plus sûr.
La protection est au cœur des préoccupations de ce texte. Les actes de cybermalveillance font désormais partie de notre quotidien : c’est une réalité à laquelle nous nous sommes tristement habitués, alors que nous ne devrions pas !
Le piratage de nos comptes, la réception de messages d’arnaque par SMS ou par mail, l’usage détourné de nos coordonnées bancaires et de nos moyens de paiement ou même, dans le pire des cas, l’usurpation de notre identité en ligne sont désormais monnaie courante.
C’est pourquoi nous avons renforcé le dispositif national de filtrage des sites frauduleux, prévu à l’article 6, afin de le rendre plus opérationnel, plus protecteur, et de responsabiliser l’ensemble des intermédiaires techniques concernés par les mesures de blocage. Nous devons apaiser la vie en ligne de nos concitoyens.
Apaisement et protection : voilà ce que nous devons viser aujourd’hui ; voilà ce que je souhaite proposer, en tant que parlementaire, dans le cadre de l’examen d’un projet de loi qui vise à mieux nous protéger dans l’espace numérique.
L’actualité de ces derniers jours nous a beaucoup marqués. Les réseaux sociaux jouent un rôle d’amplification et de massification des appels à la violence à l’encontre des élus, des forces de l’ordre, des personnes dépositaires de l’autorité publique, des bâtiments et des installations publics.
Nous ne pouvons pas rester indifférents et nous devons apporter une réponse ferme face la passivité des réseaux sociaux.
La succession de réunions bien-pensantes ne suffit pas : il faut agir, ou du moins essayer de le faire, mettre des propositions sur la table, en discuter et avoir un débat à ce sujet.
C’est tout l’objet de ma démarche et c’est pourquoi j’ai souhaité déposer, à titre individuel, un amendement visant à mieux responsabiliser les réseaux sociaux dans la modération des contenus faisant appel à la violence. Nous en débattrons.
Ce projet de loi s’intéresse aussi à la vie en ligne des entreprises dans l’économie numérique et aux problématiques concurrentielles. Nous devons nous y attaquer de front, afin de faciliter le développement de solutions technologiques françaises, européennes et souveraines.
Sur le marché de l’informatique en nuage, l’entrée est gratuite et facile, grâce à l’octroi de « crédits cloud ». En commission spéciale, nous avons plafonné l’octroi de ces crédits à un an, une mesure qui, selon l’Autorité de la concurrence, va dans le bon sens, même si nous pouvons encore préciser les dispositions des articles 7 à 10 de ce texte, lesquels anticipent l’entrée en vigueur du règlement européen sur les données.
Si l’entrée sur le marché est facile, la sortie l’est beaucoup moins, les acteurs dominants ayant mis en place de véritables péages qui prennent la forme de facturation abusive de frais sortants de données. En commission spéciale, nous avons autorisé de façon transitoire ces frais, sous réserve qu’ils soient facturés à des coûts réels, sous le contrôle de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) : les acteurs dominants du marché doivent savoir que l’État les regarde de près.
Si l’espace numérique doit être mieux sécurisé et mieux régulé, nous ne devons pas non plus empêcher les innovations permises par l’économie numérique. Au contraire, nous devons anticiper ces innovations, afin d’identifier au plus vite les risques qu’elles peuvent représenter, pour n’en tirer que le meilleur et assurer des retombées économiques favorables à notre pays.
C’est pour cela que j’ai souhaité réécrire intégralement l’article 15 relatif aux jeux à objets numériques monétisables (Jonum), le recours à une habilitation à légiférer par ordonnance nous étant apparu inacceptable. Nous avons donc proposé une première définition juridique des Jonum et nous les avons autorisés à titre expérimental pendant trois ans, sous le contrôle de l’Autorité nationale des jeux, le temps d’élaborer un cadre réglementaire approprié et protecteur.
Les évolutions technologiques étant rapides, difficilement prévisibles, nous avons également renforcé les pouvoirs du pôle d’expertise de la régulation numérique (PEReN), afin de nous aider à mieux comprendre les logiques de fonctionnement des plateformes numériques et des moteurs de recherche. C’est indispensable ! D’ailleurs, la France demeure avant-gardiste sur ce point : nous devons continuer dans cette voie et être plus exigeants vis-à-vis des grands acteurs du numérique.
Voilà donc, mes chers collègues, les grandes lignes de ma feuille de route pour ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC et sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la révolution numérique transforme profondément nos sociétés : 40 % des vingt plus grandes entreprises du monde s’appuient sur un modèle économique basé sur ce que l’on appelle le « capitalisme de plateforme » ; nos modes de communication se digitalisent ; nos démocraties sont impactées par les fake news.
Il était devenu urgent de réguler ces entreprises, dont le modèle économique repose sur une accumulation de données, massivement exploitées par des algorithmes aussi puissants qu’opaques.
Nous ne pouvons donc que saluer l’engagement de l’Union européenne dans la régulation de cette jungle numérique.
Le règlement sur les services numériques encadre la fourniture de services d’intermédiation en ligne dans le marché intérieur pour responsabiliser les grandes plateformes numériques. Il permet, en particulier, de lutter contre les contenus illicites et d’interdire la publicité ciblée visant les mineurs.
Le règlement sur les marchés numériques, quant à lui, vise à lutter contre les pratiques anticoncurrentielles dans l’économie des plateformes en ligne, qui enferment les utilisateurs dans leurs applications et empêchent le développement de nouveaux concurrents.
Avec la présidente de la commission spéciale, Catherine Morin-Desailly, nous avions, en tant que rapporteures de deux propositions de résolution européenne sur ces textes, porté l’ambition du Sénat en la matière.
Nous pouvons nous réjouir que certaines de nos propositions aient été retenues dans les textes finals : je pense notamment à la meilleure prise en compte des écosystèmes des plateformes, de leur chiffre d’affaires mondial, de leur importance en matière d’audience, ainsi que des services secondaires qui ont été ajoutés.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission spéciale. Très bien !
Mme Florence Blatrix Contat. Il faut souligner également l’inclusion, comme nous l’avions recommandé, des très grands moteurs de recherche dans le périmètre des obligations ou l’interdiction de la publicité ciblée sur les mineurs dans les réseaux sociaux numériques (RSN).
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est un texte d’adaptation de ces règlements européens sur les services numériques et sur les marchés numériques ; il anticipe également le règlement sur les données.
Sur la forme, je ne reviendrai pas sur les délais très courts pour examiner un texte peu abouti, peu concerté, comme nous avons pu le constater lors de nos auditions.
Je tiens donc à saluer le travail de nos rapporteurs, qui ont largement contribué à préciser et à améliorer le texte.
Au-delà de cette adaptation de notre droit au paquet numérique, ce texte a également pour ambition de sécuriser les échanges en ligne. Ma collègue Laurence Rossignol y reviendra.
Sur le volet économique, le projet de loi a pour objet de remédier aux dysfonctionnements du marché de l’informatique en nuage. Les enjeux sont énormes : souveraineté, protection des données, compétitivité, transformation numérique de notre économie. Le marché européen de l’informatique en nuage pourrait passer de 53 milliards d’euros en 2020 à 560 milliards d’euros en 2030, soit une croissance de plus de 25 % par an. Or cette croissance est captée à 80 % par trois acteurs américains qui ont totalement verrouillé le marché.
En conséquence, le cloud européen est relégué à des segments de niche, avec une part tombée de 27 % en 2017 à 13 % en 2022.
Face à ce rouleau compresseur, les mesures du projet de loi nous paraissent insuffisantes.
Aussi, nous proposons d’aller plus loin pour rendre plus efficace l’encadrement des « crédits cloud » et d’agir plus fortement sur des pratiques déloyales bien identifiées de vente liée ou manifestement discriminatoires, autant de freins à l’interopérabilité et à la circulation des données.
La commission spéciale a souhaité que les fournisseurs d’informatique en nuage fassent preuve de davantage de transparence quant à l’utilisation des données de leurs utilisateurs, notamment face au risque lié à l’extraterritorialité, qui permet à certains États de s’imposer au-delà de leurs frontières et d’accéder à des données sensibles de notre économie.
En ce domaine, la mesure concernant la transparence relative au risque d’extraterritorialité que nous avons adoptée en commission spéciale a un objectif : permettre aux utilisateurs de cloud de savoir où sont leurs données, qui peut y accéder et ce qui en est fait. Cette disposition, que vous voulez supprimer, monsieur le ministre, n’a d’autre but que d’informer et protéger les entreprises.
Une plus grande transparence devrait contribuer à rétablir la confiance.
Je souhaite enfin attirer l’attention sur les conditions de réussite des nouvelles régulations européennes. Les années à venir seront déterminantes. Au-delà des moyens importants à donner aux régulateurs et autorités compétentes, nous devrons faire la preuve de notre capacité à mobiliser l’ensemble des acteurs et des parties prenantes de l’écosystème numérique.
Notre pays doit reprendre la main sur son destin numérique, et la régulation n’y suffira pas. Il faudra une véritable impulsion pour inscrire l’effort de souveraineté numérique dans la durée, comme de nombreux rapports sénatoriaux l’ont préconisé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme la présidente de la commission spéciale applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme tous les ans depuis bientôt une dizaine d’années nous est soumis un texte de loi portant diverses dispositions pour réguler l’espace numérique et l’activité des plateformes. La dernière grande loi qui a tenté d’appréhender ces sujets de façon globale est la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004. Par la suite, les gouvernements successifs lui ont apporté des correctifs – des rustines, diront certains –, pour adapter le droit français à la réglementation européenne ou satisfaire des demandes politiques circonstancielles.
Dans la dernière période ont ainsi été promulguées la loi du 16 août 2022 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne et la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dont les articles 36 à 46 concernent la lutte contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne. Ils faisaient suite à la censure quasiment totale de la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet.
Notre droit en matière numérique est ainsi composé de couches successives, accumulées sans grande cohérence d’ensemble. Cette stratification pourrait ravir l’archéologue que je suis, mais force est de reconnaître qu’elle rend notre législation de moins en moins intelligible et efficiente.
Nous tentons de pallier les défaillances de ces textes sans jamais apprécier la capacité des pouvoirs publics à les faire appliquer. Ce foisonnement législatif amphigourique masque surtout le renoncement de l’État à définir une stratégie numérique nationale qui embrasse à la fois la défense des libertés individuelles, la gestion numérique des services publics, la régulation des relations entre les usagers et les plateformes et la capacité d’indépendance de nos infrastructures industrielles.
En matière juridique, peut-être serait-il utile, monsieur le ministre, de mettre en chantier un code du numérique pour tenter de redonner un peu de cohérence à cet ensemble de plus en plus hétéroclite. Dans l’immédiat, avec ce texte, nous sommes réduits, encore une fois, à un travail d’adaptation de deux règlements européens sur les services numériques et sur les marchés numériques.
Ce cadre est d’autant plus contraignant que la loi confortant le respect des principes de la République avait repris, par une forme d’anticipation, l’essentiel de la réglementation européenne. Nous discutons donc d’une mise en conformité du droit français avec le droit européen qui a déjà été réalisée pour l’essentiel.
Il est indéniable que ces deux règlements, s’ajoutant à celui sur la protection des données, donnent aux citoyens de l’Union européenne des garanties fondamentales. D’aucuns considèrent qu’ils sont autant de freins à l’innovation et qu’ils vont accroître les distorsions de concurrence entre les entreprises européennes et celles qui peuvent continuer de développer sans entrave leur captation de données. Je suis, au contraire, confiant dans le discernement des utilisateurs, qui préféreront des systèmes qui leur donnent la maîtrise de leurs données personnelles.
Néanmoins, s’agissant du règlement relatif à un marché unique des services numériques, je regrette vivement que son article 8 consacre le principe de responsabilité limitée des hébergeurs. Je vous donne lecture de cet article : « Les fournisseurs de services intermédiaires ne sont soumis à aucune obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent ou de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illégales. »
Par leur proposition de résolution européenne, devenue résolution européenne du Sénat le 14 janvier 2022, nos collègues Florence Blatrix Contat et Catherine Morin-Desailly avaient vivement déploré l’absence de remise en cause de ce principe de responsabilité limitée des hébergeurs. Elles avaient appelé de leurs vœux la mise en œuvre d’un « régime européen de responsabilité renforcée spécifique pour les fournisseurs de service intermédiaire utilisant des algorithmes d’ordonnancement des contenus ».
Sans préjuger l’efficacité des dispositions que nous allons voter, je tire de l’expérience de la mise en œuvre des précédentes législations le sentiment qu’il est impossible de réguler l’activité des hébergeurs sans leur imposer ce régime de responsabilité renforcée.
Aussi, monsieur le ministre, je crois qu’il serait de bonne politique que vous engagiez, avec la représentation nationale, dans le cadre du suivi de l’application de cette loi, une réflexion de fond sur la responsabilité des hébergeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’interviens aujourd’hui au nom de mon groupe politique, mais également en ma qualité de présidente de la commission spéciale chargée d’examiner ce projet de loi.
Je voudrais tout d’abord remercier très sincèrement mes deux collègues rapporteurs, Patrick Chaize et Loïc Hervé, qui, sur un projet de loi extrêmement complexe, protéiforme, et examiné dans des délais très resserrés, ont fait montre d’un investissement exceptionnel. Le texte de la commission en porte la marque, avec 66 amendements adoptés sur leur initiative, qui ont, je le crois, profondément amélioré le projet de loi.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, je travaille moi-même sur les sujets liés au numérique depuis longtemps, dans le cadre de mes anciennes fonctions de présidente de la commission de la culture ou de membre de la commission des affaires européennes.
Il y a dix ans, au nom de cette dernière, j’alertais sur le risque de voir l’Europe devenir une « colonie du monde numérique », prédisant les risques et les dépendances dangereuses dans lesquelles nous allions nous retrouver à défaut d’une stratégie globale incluant une régulation offensive. J’espère ne pas être victime de la malédiction de Cassandre, condamnée par Apollon à voir ses oracles ignorés…
Si nous sommes enfin réunis aujourd’hui pour étudier un texte visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, gageons que nous saurons enfin rattraper notre retard.
Je tiens à le dire clairement : les travaux conduits ces dernières années au Sénat par de nombreux collègues, dans toutes les commissions, n’ont jamais remis en cause les potentialités de l’internet. Accès à l’information et à la connaissance, réactivité et fluidité des échanges : si l’internet n’a rien inventé, il a offert, il faut le dire, de nouvelles facilités.
En même temps, nous constatons chaque jour de nouvelles et graves dérives, des risques et des menaces – y compris étrangères - croissants pour nos modèles économiques, sociaux, culturels, politiques et démocratiques. Il suffit de voir les terribles événements des derniers jours, qui ont de nouveau démontré que les réseaux sociaux sont bien trop souvent asociaux, faisant monter en visibilité, par le jeu des algorithmes opaques, les images les plus incitatives à la violence et les propos les plus contestables.
Dans un autre registre, les travaux de la commission de la culture sur la désinformation et le cyberharcèlement ou les travaux de notre délégation aux droits des femmes sur l’industrie pornographique ont sinistrement éclairé notre assemblée sur les conséquences dramatiques d’une absence totale de régulation de l’internet pour nos jeunes, exposés à de nombreuses menaces, à des contenus dégradants, inadaptés. Ils peuvent même être victimes de certaines pratiques.
Nous mesurons aussi chaque jour la mainmise d’un nombre restreint de grands acteurs extra-européens, aux comportements prédateurs et aux profits insensés, que l’on a laissés au fil du temps se déployer sur toute la chaîne de valeur, et verrouiller techniquement, juridiquement et financièrement ce marché si prometteur du numérique.
Trop longtemps, l’Europe n’a appréhendé le « réseau des réseaux » qu’à travers le prisme de ses usages, au soi-disant bénéfice du consommateur, ne se posant pas la question de savoir si nous serions acteurs ou non de ce nouveau monde.
Trop longtemps, on a cru, avec beaucoup de naïveté, qu’il suffisait de nous caler sur la législation américaine, notamment avec la directive e-commerce de 2000, pour voir notre économie prendre le virage du numérique et nos entreprises lutter à armes égales dans la cour des grands. Cruelle erreur !
Bien qu’alertés par un Edward Snowden ou une Frances Haugen, ou encore par l’affaire Cambridge Analytica, c’est la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine qui auront provoqué notre sursaut en faveur d’une politique de reconquête de notre souveraineté numérique. Après le règlement général sur la protection des données (RGPD), voilà donc enfin les prémices d’une véritable régulation.
Les règlements européens sur les marchés et services numériques, ainsi que sur les données, dont le texte que nous examinons permet l’adaptation dans notre droit, sont donc, monsieur le ministre, une étape importante. Une étape, parce que je suis convaincue, comme nous l’avons dit depuis longtemps dans nos rapports de la commission des affaires européennes – j’en profite pour saluer son président actuel, Jean-François Rapin –, comme le dit aujourd’hui le rapport de la commission d’enquête TikTok, qu’il faudra aller plus loin demain en conférant aux plateformes un véritable statut et une vraie responsabilité, comme l’a rappelé Pierre Ouzoulias.
Il faut en tout cas remercier Thierry Breton, qui a su pousser ces projets de règlement pour parvenir à des accords. Soyons fiers aussi qu’ils aient été adoptés sous la présidence française de l’Union européenne, et que la position du Sénat, exprimée à travers plusieurs résolutions européennes, ait été en partie entendue.
Ce texte est ambitieux ; il faut le mettre à votre crédit, monsieur le ministre. Je pense en particulier à l’adoption par anticipation des mesures contenues dans le Data Act, encore en discussion au niveau européen, qui visent à rééquilibrer le marché européen de l’informatique en nuage, un secteur fortement concentré autour de trois acteurs américains qui captent 70 % des parts de ce marché en France, comme dans le monde, et qui pourrait atteindre plus de 1 200 milliards d’euros d’ici à 2025.
Maintenant, nous avons besoin, au plus haut niveau de l’État et de nos administrations, d’une doctrine de responsabilité numérique. Il est temps de vraiment travailler ensemble à notre autonomie technologique, en matière non seulement de renseignement et de cyber, mais également de traitement des données dites « sensibles » ou relevant d’infrastructures critiques, comme la santé, l’énergie, les transports. Nous devons faire du recours à des technologies extra-européennes une exception à motiver spécifiquement.
La tendance à recourir à celles-ci, qui nous place sous la coupe de législations étrangères, comme pour la plateforme des données de santé, n’est plus acceptable. Il en est de même de l’autodénigrement permanent de nos propres entreprises, savamment cultivé par de puissants lobbies extra-européens intégrés l’air de rien dans les milieux académiques, politiques et dans notre haute administration. Il faut que cela change.
Monsieur le ministre, les impératifs de sécurité nationale peuvent tout à fait justifier des exemptions aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et au droit des marchés publics européens, surtout quand les marchés étrangers eux-mêmes sont fermés à nos propres entreprises.
Il est donc temps de considérer, via un Small Business Act et un Buy European Act, la commande publique comme un levier pour dynamiser la compétitivité de l’informatique en nuage.
À cet égard, l’autorité publique a un devoir d’exemplarité dans la promotion de cahiers des charges fondés sur nos valeurs européennes. Elle doit s’astreindre à une exigence en matière de souveraineté, de création d’emplois locaux, de conformité aux obligations fiscales, et offrir des garanties d’interopérabilité, de portabilité et de réversibilité des données.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, le numérique doit être traité comme un sujet régalien, de souveraineté, et prendre toute sa place dans notre réarmement industriel et technologique.
Il est vraiment plus que temps de reprendre en main notre destin numérique, pour paraphraser le titre d’un de mes rapports de 2018 sur l’urgence de la formation, autre sujet vital. En effet, monsieur le ministre, nous avons besoin d’une montée en compétences numériques de tous.
Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est devenue le plus important des enjeux. Comme avec l’internet voilà vingt ans, elle offre autant d’opportunités qu’elle présente de risques. J’espère qu’en 2043 nous n’examinerons pas un texte visant à sécuriser et réguler l’intelligence artificielle, car il y aura alors des chances qu’il ait été rédigé par des cerveaux de silicium produits à l’étranger… (Sourires.)
C’est forts de ces réflexions, agrémentées d’un peu d’humour pour conclure, que les rapporteurs, les membres de la commission spéciale et moi-même avons à cœur d’améliorer ce texte, d’animer le débat qui s’ouvre, et ce dans la recherche d’un juste équilibre, que vous avez appelé de vos vœux, entre rigueur d’une régulation exigeante et respect de nos libertés fondamentales.
Nous avons souhaité mettre en place un environnement se situant entre le modèle américain, c’est-à-dire business above all, ce fameux capitalisme de surveillance théorisé par Shoshana Zuboff, et le modèle du crédit social porté par le parti communiste chinois. Nous avons en tête un modèle humano-centré conforme aux valeurs européennes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la transition numérique est à la croisée des chemins, entre promesses et menaces.
Catalyseur d’un bouleversement profond de nos modèles et puissant levier vers de nouvelles voies de progrès et de compétitivité, elle est néanmoins porteuse de risques pour les individus et les entreprises qui interagissent et opèrent quotidiennement dans notre espace numérique.
Face à ce véritable défi auquel notre société, ses usages et ses tissus économiques et financiers sont et seront confrontés, nous devons développer une lecture claire et globale quant à son impact sur nos vies et la manière dont il reconditionne notre environnement économique, social, culturel et humain.
Bien que ce projet de loi ait été rédigé dans la hâte, j’espère qu’il pourra se nourrir de nos débats afin de construire les garde-fous nécessaires à la confiance indispensable de nos concitoyens et partenaires économiques pour le succès de la transition numérique.
L’actualité rend tristement compte du chemin à parcourir et du besoin d’agir.
Terreau de nombreux fantasmes et de nouvelles croyances, les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle ou les smart et big data cristallisent les craintes d’une perte de savoir-faire et de savoir-être chez nos concitoyens, tant par leur ambivalence que par leur complexité croissante et l’accélération du rythme auquel elles se déploient et évoluent.
Si les nouvelles technologies et la numérisation de notre société exercent un pouvoir de fascination important dans les imaginaires, au point d’alimenter tant des utopies que des dystopies, ces deux versants ont tout autant d’éléments à nous apprendre sur notre façon d’appréhender les transformations numériques de nos usages et la technologie.
Notre rapport à cette dernière, d’un point de vue social, culturel et sociétal, est créateur d’ambivalences et d’injonctions paradoxales. Adopter la technologie sans réserve est un dangereux idéal. Si son développement est prometteur et source de progrès, pour autant, son déploiement incontrôlé et irréfléchi peut mener à des dérives extrêmes pouvant être tout aussi inadaptées qu’une résistance massive et indifférenciée.
C’est pourquoi cette course au progrès, transcendée par une technophilie que nos sociétés postmodernes valorisent, au point d’en faire une norme de jugement, doit être encadrée afin que ce nouvel espace soit sécurisé et régulé.
Le groupe RDSE ne peut qu’apporter son soutien à l’initiative portée par le Gouvernement visant à créer les conditions d’un environnement numérique propice à la confiance, à la loyauté et à l’équité de l’économie et des échanges sociétaux sur ces nouvelles interfaces numériques.
Au demeurant, par un amendement que je présenterai lors de l’examen du texte, je reviendrai sur un phénomène conséquent de l’une des menaces numériques, à laquelle nos hôpitaux, collectivités territoriales et entreprises sont confrontés de manière exponentielle : la consultation et l’usage de données issues de piratages.
Graves violations du droit à la vie privée, ces cyberattaques déstabilisent parfois durablement le fonctionnement des établissements et entreprises qui en sont victimes. S’il nous faut les combattre et les condamner plus efficacement, l’usage des données qui en sont issues doit tout autant être réprimé.
D’ailleurs, si le Gouvernement entend évoquer dans ce projet de loi les désordres croissants de l’espace numérique, ses fauteurs de troubles ou ses disparités entre acteurs, il parle trop rarement de celles et de ceux qui s’engagent bénévolement pour le pacifier. Aussi, le groupe RDSE regrette que la commission spéciale ait écarté, au titre de l’article 45 de la Constitution, les amendements déposés par Nathalie Delattre visant à apporter un cadre juridique plus protecteur et plus clair aux hackers éthiques.
Enfin, si nous louons les dispositions de ce texte qui ambitionnent de durcir la législation en place par la création d’une peine complémentaire de blocage d’un compte d’accès aux plateformes en ligne d’une personne condamnée, lorsque ce compte a été utilisé pour plusieurs délits, tels que le harcèlement moral ou sexuel, nous souhaitons encore davantage de fermeté.
En effet, nous défendrons un bannissement total des réseaux sociaux et des services en ligne de l’utilisateur aux agissements délictueux, et pas seulement la suspension des comptes utilisés pour commettre l’infraction. L’impunité à l’encontre des auteurs de cyberharcèlement doit cesser au plus vite. Nous ne pouvons pas permettre à l’utilisateur délinquant de se déporter sur d’autres plateformes afin de poursuivre ses agissements délictueux.
C’est conscient des multiples enjeux entourant la transition numérique et la constitution d’un marché unique du numérique européen que le groupe RDSE souhaite s’associer à la structuration et à la régulation de notre espace numérique. Si la plus grande difficulté de la transformation numérique est de changer la roue de la voiture sans l’arrêter, faisons en sorte de suivre la cadence pour ne pas nous laisser distancer et subir ses évolutions permanentes. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « un viol psychique » : voilà les termes utilisés par de nombreux spécialistes pour qualifier les conséquences de l’exposition de nos plus jeunes à des contenus pornographiques.
Qu’est-ce qu’un viol psychique ? C’est un enfant traumatisé, dont chaque moment est accompagné d’images qui reviennent inlassablement lui voler son innocence.
Le numérique est un progrès, mes chers collègues. C’est indéniable. Mais, collectivement, nous n’avons pas su protéger les plus fragiles de la violence de certains contenus diffusés sans garde-fous.
Ce cyberespace offre aujourd’hui un accès illimité et sans contrôle réel à des contenus préjudiciables. Il favorise le développement de toutes les formes de criminalité, sans oublier la diffusion d’informations fausses.
Nous pouvons encore réagir. Nous devons dorénavant véritablement agir pour protéger nos mineurs, en les éduquant aux dangers de cet espace de libertés, parfois délétère, mais pas seulement : en sensibilisant les parents, en leur rappelant leur responsabilité, sans jamais pour autant nier celle de l’État quant à la régulation des contenus.
C’est une chaîne collective, solidaire que nous devons bâtir afin que chaque contenu inapproprié au jeune public ne soit plus accessible, afin que les réseaux sociaux ne soient plus complices d’un déferlement de haine.
Le cyberharcèlement fauche en plein vol de nombreux adolescents et adultes. Ramification devenue inévitable du harcèlement à l’école ou encore au travail, cette pression numérique fait trop de victimes.
Les marches blanches ne suffisent plus. Les tweets d’émotion, loin de réconforter, révoltent désormais, et les annonces ne semblent jamais se transformer en engagements.
Même si ce n’est pas assez, je veux profiter de cette prise de parole pour rappeler que, sur ce sujet, qui fait consensus au Parlement et au Gouvernement, des avancées ont été permises. La régulation de l’espace numérique est au cœur des travaux du Sénat, et les textes examinés ces derniers mois démontrent l’objectif commun de mettre fin à cette anarchie.
Coauteure du rapport d’information sur les dérives de l’industrie pornographique, puis rapporteure sur la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, j’ai pu constater les obstacles pratiques qui s’imposent au législateur, mais j’ai surtout été confortée dans l’idée que ce combat doit se poursuivre jusqu’à parvenir à un dispositif qui protège enfin nos enfants.
À cet effet, je salue les dispositions du Gouvernement qui reprennent les propositions émanant de notre Haute Assemblée, rappelant ainsi la nécessité de mener cette bataille ensemble.
Au reste, ce ne sont pas uniquement les parlementaires et le Gouvernement qui doivent se mobiliser : c’est aussi toute la chaîne du numérique. C’est la raison pour laquelle, avec mes collègues Annick Billon et Catherine Morin-Desailly, nous souhaitons associer à cet effort les boutiques d’applications logicielles, elles aussi responsables de la diffusion de contenus inadaptés aux mineurs.
Au regard des avancées permises par les rapporteurs Patrick Chaize et Loïc Hervé, je tenais à souligner la qualité de leur travail et leur détermination à améliorer toute mesure visant à mieux protéger nos concitoyens.
À ce titre, je veux saluer les apports de notre commission spéciale, présidée par Catherine Morin-Desailly. Elle a renforcé la solidité juridique du dispositif en créant une procédure unique de mise en demeure et de sanction vis-à-vis de l’éditeur de site pornographique.
Je salue également les avancées faisant du bannissement une sanction réellement efficace, notamment concernant les violences contre les élus, mais aussi les menaces et les intimidations à l’encontre de tout dépositaire de l’autorité publique.
Ces dispositifs viendront, je l’espère, apporter une réponse forte à ceux qui utilisent l’internet pour répandre des discours haineux, humiliants et offensants.
Avant de conclure, je veux aborder l’ampleur du phénomène du deepfake, qui touche, dans 99 % des cas, des femmes. Il faut, à mon sens, envoyer un signal fort aux auteurs de cette technique, qui consiste à créer de toutes pièces, grâce à l’intelligence artificielle, des images ou des vidéos à caractère sexuel, sans le consentement de la victime, bien sûr, et à les publier dans le seul but de nuire.
Cette technologie, proche du réel, fait l’objet d’un amendement du Gouvernement, qu’il convient de renforcer afin d’accroître la protection des victimes. J’aurai l’occasion d’y revenir durant l’examen du texte.
Enfin, ce projet de loi permettra également de soutenir l’innovation, afin de positionner nos entreprises comme acteurs des nouveaux marchés, tout en limitant les risques qu’elles encourent.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les membres du groupe Les Républicains soutiennent pleinement l’objectif de ce texte. Nous resterons particulièrement attentifs à sa bonne application. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, internet et les réseaux sociaux bouleversent nos sociétés, nos repères, nos démocraties. Chacun d’entre nous les utilise pour s’informer, se divertir, communiquer.
Cette affirmation est encore plus vraie en ce qui concerne les jeunes. Le temps qu’ils passent sur leurs téléphones ne cesse d’augmenter. Les réseaux sociaux deviennent, pour un certain nombre, l’unique fenêtre sur le monde extérieur.
Par leur modèle économique fondé sur des contenus choquants, Twitter, TikTok, Snapchat et consorts ont radicalisé les courants de pensée. Ils ont contribué à l’aggravation des fractures au sein des États.
Internet et les réseaux sociaux posent la question des limites de la liberté d’expression. Sur ce plan, il faut faire la part des choses. Parfois, ils permettent le meilleur, comme lorsque, en septembre dernier, ils ont informé et ont contribué à mobiliser les soutiens à la liberté des femmes iraniennes. Mais, bien souvent, ils permettent de mettre en avant et de répandre de fausses informations ou servent de vecteurs à des campagnes mensongères. Nous avons d’ailleurs pu les voir à l’œuvre dans l’engrenage des violences inacceptables de ces derniers jours.
Cela justifie qu’ait été créée une commission d’enquête sénatoriale sur l’action de TikTok.
L’omniprésence d’internet et des réseaux sociaux pose une question fondamentale : un État souverain, dans l’Union européenne, peut-il leur imposer un cadre ? Quel est notre poids face aux Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft – ? Quelle est notre capacité à agir et à obtenir des résultats concrets ? C’est tout l’enjeu du texte dont nous débattons.
L’adoption du règlement européen DSA permettra de donner corps à la formule du commissaire européen Thierry Breton : « Tout ce qui est interdit hors ligne doit l’être en ligne. »
L’Union européenne a récemment pris des mesures afin d’interdire, sur son territoire, les canaux de désinformation de certains États, qui sont devenus spécialistes en la matière. Plusieurs dispositions du texte prévoient une réaction plus rapide, et c’est tant mieux.
La publication de contenus illicites n’est pas anodine. Une infraction n’est pas moins grave lorsqu’elle est commise sur internet. Le harcèlement en ligne n’est pas moins violent que le harcèlement dans une cour d’école. Il est parfois pire, avec des conséquences plus graves. Nous avons tous à l’esprit les drames récents. Le rapport d’information de notre collègue Colette Mélot a mis en lumière l’ampleur et la gravité de ces phénomènes. Il est urgent d’agir pour que ces violences cessent.
La peine complémentaire de suspension de compte est plus que pertinente, à condition toutefois que la plateforme s’engage à ce que la personne condamnée ne puisse contourner cette suspension par l’ouverture d’autres comptes, avec différents pseudonymes. La commission spéciale a été particulièrement attentive à ce sujet.
De même, il y a longtemps que l’interdiction de la pornographie aux moins de 18 ans aurait dû être appliquée. Les conséquences négatives de celle-ci sur la santé mentale des plus jeunes ne sont plus à démontrer. Le projet de loi contient plusieurs dispositions en ce sens.
Encore plus que lutter contre les contenus illicites, nous devons faire respecter les règles d’une concurrence saine et loyale entre les acteurs. Sur ce sujet, comme sur le précédent, les Gafam ne doivent pas nous dicter leur loi.
Le DMA entrera bientôt en vigueur. Il doit permettre aux entreprises européennes de se développer sans subir les abus de position dominante et les pratiques anticoncurrentielles des grands acteurs. Le projet de loi procède aux adaptations qui s’imposent.
Enfin, l’entrée en vigueur prochaine du Data Governance Act (DGA) doit être saluée. La captation, la gestion et la protection des données à caractère personnel doivent être renforcées. C’est un sujet majeur. En effet, nous devons rattraper notre retard et, dans le même temps, nous donner les moyens d’accompagner les entrepreneurs, les start-up, les licornes qui seront les leaders de demain.
Il est nécessaire de procéder à des adaptations de notre droit pour assurer l’application directe des règlements européens qui vont dans le bon sens. Néanmoins, soyons vigilants sur un sujet, même s’il ne figure pas exactement dans le texte que nous étudions : il s’agit du transfert qui vise à confier l’ensemble des contentieux de tous les pays européens au régulateur irlandais. Le nombre de dossiers à traiter fait courir un risque d’embouteillage, donc d’allongement des délais et, disons-le, un risque d’influence des Gafam sur les décisions, puisque l’ensemble de leurs sièges sociaux sont situés en Irlande.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient les mesures portées par ce texte et votera en faveur de son adoption.
Internet ne doit plus et ne peut plus être un espace d’impunité. Nous sommes sur le bon chemin. Il y a encore du travail. Notre responsabilité est de le poursuivre ensemble.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans nos vies d’aujourd’hui, l’espace virtuel et la réalité matérielle sont intriqués.
Ces derniers jours en ont été une démonstration à la fois éclairante et effrayante. La propagation fulgurante du sentiment d’injustice lié à la mort du jeune Nahel et la flambée d’émeutes, de violences et de pillages inacceptables sur tout le territoire sont en grande partie le fait du partage instantané et démultiplié sur les multiples plateformes qui nous connectent, qui connectent les communautés.
Les grandes plateformes ont aujourd’hui capté l’attention et les données de la majorité d’entre nous et font commerce de la polarisation grandissante de nos sociétés.
Notre société est aujourd’hui confrontée au défi majeur d’une économie basée sur la disruption, le dépassement des normes et le contournement des régulations, qui percute son contrat social.
Le présent texte est, à cet égard, d’une importance majeure. « Sécuriser et réguler l’espace numérique » : tel est son intitulé. Tel est notre défi aujourd’hui.
Les algorithmes trient et organisent notre espace informationnel. Nos données personnelles deviennent la proie de toutes les convoitises du capitalisme de surveillance.
Comme elle a su le faire avec le RGPD, l’Union européenne, qui constitue le premier marché mondial, a travaillé pour construire des règlements solides et adaptatifs. Les règlements européens DMA, pour lutter contre les aspects anticoncurrentiels des géants du net, ou DSA, pour lutter notamment contre la haine en ligne et la désinformation, sont les plus connus.
Le texte que nous examinons aujourd’hui vise en partie à transposer ces textes, mais il va plus loin et se veut plus global.
Son objectif est donc de sécuriser et de réguler.
Sa première ambition est de sécuriser, et, tout d’abord, de sécuriser certains publics vulnérables en ligne.
Ainsi, les premiers articles entendent protéger les mineurs de l’accès aux sites pornographiques en instaurant un âge légal effectif. L’intention est évidemment louable, mais nous allons buter sur une question quasi aussi vieille qu’internet. Comme je l’ai dit dans cet hémicycle il y a quelques jours, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, à l’heure actuelle, en France comme partout dans le monde, personne ne dispose de solution technique qui soit à la fois satisfaisante du point de vue de l’efficacité et protectrice des libertés individuelles.
Je reste donc extrêmement réservé sur le caractère opérationnel du référentiel que nous demandons à l’Arcom de concevoir. Voilà plusieurs années que l’Arcom et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) se penchent sur le sujet et, il faut dire les choses comme elles sont, la solution technique n’existe pas à l’heure actuelle. L’équation à résoudre entre contrôle d’âge, protection de la vie privée et sécurité des données paraît, pour l’instant, difficile à résoudre. Nous proposerons plusieurs amendements pour tenter de mieux cerner les contours de ce référentiel.
Le projet de loi vise également à sécuriser le public face aux cyberviolences. À cet égard, le texte comporte plusieurs mesures intéressantes, notamment sur la peine complémentaire de bannissement des réseaux sociaux ou la lutte renforcée contre la pédopornographie.
Nous en faisons tous les jours le constat : les femmes sont particulièrement prises pour cible sur les réseaux sociaux. Un phénomène de meute se développe et des situations de harcèlement inacceptables surviennent au vu et au su de tous.
Il est temps d’en finir. C’est pourquoi nous vous proposerons d’enrichir encore les mesures du texte en la matière, avec une amende forfaitaire délictuelle pour les outrages sexistes en ligne, un renforcement des missions de la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos), l’interopérabilité des messageries des réseaux sociaux ou encore la suspension du compte comme mesure de contrôle judiciaire. La peur doit changer de camp, y compris en ligne.
La seconde ambition de ce texte est de réguler.
Il régule le business des clouds, pour une plus grande protection des consommateurs.
Il régule le milieu de la location de biens meublés, répondant ainsi à une demande très forte des collectivités. Nous nous réjouissons de la présence de cet article, particulièrement bienvenu, dans le texte.
Il régule, enfin, les jeux dits « à objets numériques monétisables », mais, sur ce sujet, nous sommes plus que circonspects.
La rédaction initiale du texte prévoyait de donner au Gouvernement une autorisation de légiférer par ordonnance, sans plus de précision. Cette rédaction a été réduite, en commission spéciale, à une simple expérimentation, ce qui est mieux, mais toujours pas satisfaisant. En effet, ces objets – pour être plus précis, ces jetons non fongibles, fondés sur l’expérience de gains et échangeables en ligne – se situent à la limite entre le jeu vidéo à vocation spéculative et le jeu d’argent pur et simple. Nous considérons que les enjeux, notamment en termes d’addiction et de mise en danger financière, sont trop importants et mériteraient un texte dédié, qui pourrait également traiter la question des cryptoactifs.
Enfin, pour réguler, il faut des régulateurs. Le texte de loi ne les a pas oubliés. Arcom, Arcep, Cnil : les trois agences se voient confier de très nombreuses missions dans l’espace numérique. Reste une inconnue : celle des moyens qui leur seront confiés pour remplir ces nouvelles missions. Sur ce point, le prochain projet de loi de finances devra prendre sérieusement acte du présent projet de loi ; nous y veillerons.
Pour conclure, j’aborde la discussion de ce projet de loi avec un esprit constructif. Hormis les réserves que j’ai pu émettre lors de la discussion générale et quelques autres, que je vous présenterai par voie d’amendement, je prends acte d’un certain équilibre dans les mesures du texte. C’est cette recherche d’équilibre qui doit nous animer lorsque l’on traite du numérique.
Nous avons à cœur de préserver à la fois la liberté, l’anonymat et le foisonnement créatif que seuls permettent les espaces libres sur internet, tout en préservant la dignité des personnes qui le font vivre.
Ni surveillance généralisée ni Far West, mais contrôle des données et transparence et régulation des plateformes : voilà notre ligne directrice.
À la lecture de ce texte, j’ai l’impression que c’est aussi celle de nos rapporteurs et de notre ministre, ce dont je me réjouis. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Ludovic Haye. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen d’un texte technique et particulièrement attendu, résultant de négociations internationales menées de longue date par notre gouvernement.
Ce texte a pour objectif principal de protéger nos concitoyens, nos enfants, nos entreprises et notre démocratie, dans sa globalité.
Il s’appuie sur l’axiome suivant : « Ce qui est interdit dans le monde réel doit aussi l’être en ligne. »
Vous le savez, mes chers collègues, la transition numérique est double. Elle est une formidable opportunité d’ouverture et de croissance, comme l’Histoire en a peu connu, mais elle constitue également un risque majeur pour nos sociétés démocratiques, en ce qu’elle accélère et facilite les opérations de manipulation et la divulgation de fausses informations, et en ce qu’elle permet la naissance de nouvelles formes de harcèlement, de violence et de délinquance. Nous en avons malheureusement eu un exemple concret ces derniers jours.
Le titre Ier de ce texte de loi porte sur la protection des mineurs en ligne. Sur ce sujet, je salue le travail mené par le Gouvernement et mes collègues Xavier Iacovelli et Julien Bargeton, qui se matérialise ici par des mesures concrètes et opérationnelles pour protéger nos enfants. De fait, aujourd’hui, la pornographie est encore trop facilement accessible en quelques clics.
Je souhaite également m’attarder sur les dispositions du projet de loi concourant à la constitution d’un marché unique du numérique européen, qui prévoient les mesures nécessaires à l’adaptation du droit national et à la mise en œuvre de trois règlements européens, que la présidente de notre commission spéciale, Catherine Morin-Desailly, connaît parfaitement bien : le règlement DMA sur les services et marchés numériques ; le règlement DSA, relatif à un marché unique des services numériques ; le règlement DGA, portant sur la gouvernance européenne des données.
Nous le savons, le numérique ne peut être traité simplement à l’échelle nationale, d’autant plus que la situation d’oligopole que connaissent la plupart des marchés liés au numérique rend l’échelle communautaire européenne bien plus pertinente.
Par ailleurs, le temps législatif est particulièrement déconnecté du temps de développement du numérique, qu’il s’agisse de ses structures ou de ses pratiques. La régulation du secteur numérique est donc aussi nécessaire que complexe.
À ce titre, je tiens à saluer le travail du ministère chargé de la transition numérique et des télécommunications. En effet, préserver la formidable opportunité de développement économique du secteur, tout en régulant ses excès, relève parfois de l’orfèvrerie.
Pour favoriser le développement de l’économie du numérique en France, il est essentiel que le cadre réglementaire mis en place protège rigoureusement nos concitoyens, tout en préservant une part de souplesse, afin de s’adapter à mesure des évolutions technologiques et d’usages. Le filtre numérique, tel qu’il est proposé ici, en est un parfait exemple.
Il devra se coupler à un travail de police et de traque des filières internationales qui se sont constituées. Irrémédiablement, le monde entier sera amené à coopérer pour les démanteler, car nul ne sera épargné. Les pays les plus laxistes aujourd’hui ne le seront jamais : ce n’est qu’une question de temps.
Il m’apparaît également fondamental d’aborder le sujet de l’inclusion numérique, qui, finalement, relève moins de la loi, mais en assure la meilleure application possible.
Nos collectivités territoriales attendent aujourd’hui également un message clair et une organisation structurée dans l’accompagnement numérique qu’elles demandent.
En 2018, le Gouvernement annonçait une stratégie nationale pour un numérique inclusif, qui a permis la structuration de hubs territoriaux dans les régions, le déploiement de passes numériques pour les usagers les plus en difficulté et le lancement du dispositif Aidants Connect, réduisant ainsi de manière significative la fracture numérique.
En avril dernier, vous présentiez, monsieur le ministre, la feuille de route du Gouvernement sur l’inclusion numérique, comportant, parmi ses mesures phares, l’engagement de l’État à structurer un fonds d’ingénierie dédié à cette inclusion et à accompagner les acteurs locaux pour mieux territorialiser la politique en la matière. La bonne exécution de cette feuille de route est une des conditions de la bonne application des mesures de protection de nos concitoyens, de nos élus et de notre démocratie que porte ce projet de loi. La meilleure sécurité en ligne nécessite l’acculturation de la population aux outils numériques, à leur bon usage et aux risques qu’ils portent.
Enfin, permettez-moi de saluer le large spectre d’action du projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui, lequel offre des outils et un cadre de protection renforcé tant aux mineurs qu’aux adultes, tant aux amateurs qu’aux professionnels.
Cet espace numérique est le nôtre. Il est devenu un bien commun et, comme toute ressource, il doit être protégé et régulé.
L’écran n’arrête pas la loi. C’est le message que je retiendrai de ce projet de loi, utile et salutaire pour notre pays.
Ce texte est un pilier d’un espace numérique sécurisé et n’obère nullement les opportunités économiques qu’offre le numérique. C’est pourquoi notre groupe le soutiendra et le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur l’article 1er de ce projet de loi, et particulièrement sur la question du référentiel.
Je veux d’abord saluer l’intention du Gouvernement de faire un pas en avant dans la lutte contre la toxicité de l’industrie pornographique.
Mais je veux tout de même partager avec vous mon sentiment que, dans cette affaire, on se laisse encore un peu embrouiller par le lobby du porno.
Ce lobby est puissant, insidieux, infiltré. Le nombre de connexions uniques en France – 19 millions par mois – donne une idée de sa présence…
Faisons une petite comparaison. Imaginons, par exemple, qu’un buraliste prétende ne pas appliquer l’interdiction de vente de tabac aux mineurs au motif qu’il ne sait pas comment identifier l’âge des consommateurs, et que ces derniers affirment refuser de présenter une pièce d’identité au motif que cela porterait atteinte à leur vie privée. Tout le monde trouverait alors que la ficelle est grosse…
Or c’est exactement ce que fait l’industrie pornographique depuis trois ans – depuis la loi du 30 juillet 2020. Elle affirme qu’elle ne peut appliquer la loi.
Je crains que le référentiel ne valide a posteriori leur raisonnement et leur refus d’appliquer la loi. En effet, en conditionnant l’application de la loi à un futur référentiel, nous inversons, d’une certaine manière, la charge de la preuve : ce ne sera pas aux diffuseurs des contenus pornographiques de prouver qu’ils ont tout fait pour interdire l’accès aux mineurs ; le mistigri passera dans les mains de l’Arcom, qui devra apporter aux sites les outils nécessaires à l’application de la loi.
Nous devrons bien préciser, dans le débat parlementaire, que les sites auront l’obligation non seulement de se conformer au référentiel, mais aussi de bloquer l’accès des mineurs par tout moyen, en l’état de l’art, c’est-à-dire compte tenu de l’ensemble des évolutions technologiques qui ne manqueront pas de se produire entre l’examen du projet de loi et l’adoption du référentiel, dont rien ne nous dit qu’il sera adopté dans le délai prévu de six mois, vu qu’il n’y a pas de sanction…
Le montage que nous faisons est extraordinaire. Pourquoi n’avons-nous pas choisi, par exemple, celui qui fonctionne assez bien pour l’accès des mineurs aux sites de jeux d’argent en ligne ?
C’est à cet instant que surgit le fameux secret de la vie privée, brandi par les consommateurs de porno pour se protéger. Cet argument est une mystification. Tout d’abord, le secret de la vie privée concerne non pas le recueil de données, qui sont confiées en toute liberté par leur titulaire, mais la diffusion de ces données.
Beaucoup d’entre nous confient des données assez sensibles à Doctolib : personne ne sollicite un tiers de confiance parce que personne ne pense que Doctolib va vendre ces données ! D’ailleurs, dans le cas contraire, des sanctions pourraient s’appliquer.
En revanche, nous considérons que les sites pornos pourraient diffuser les données et, pour nous en prémunir, nous passons par un système qui leur facilite grandement la vie.
Cette affaire de vie privée érigée en valeur constitutionnelle absolue pose un autre problème, et je pense que Mme la secrétaire d’État Charlotte Caubel y sera sensible. Il nous faut concilier deux principes constitutionnels : le respect de la vie privée et l’intérêt supérieur de l’enfant.
Quand deux millions de mineurs sont biberonnés aux vidéos pornos, je considère, pour ma part, que c’est le secret de la vie privée qui doit s’adapter au devoir de protection des enfants, et non l’inverse. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Toine Bourrat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme Toine Bourrat. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cet hémicycle et les magistrats qui le surplombent ont vu passer des textes qui, comme celui que nous examinons aujourd’hui, se sont trouvés chargés d’une valeur sociale et morale, d’une dimension historique assez considérable.
Traiter du numérique et de son influence sur la sécurité de notre jeunesse, c’est s’engager consciemment à relever un lourd défi d’avenir.
Aucun d’entre nous ne remet en cause le progrès, la technologie, le rétrécissement du monde, devenu plus accessible et dynamique.
Mais nous sommes les garants de l’ordre public et d’un intérêt général bouleversé par la violence numérique.
Ce qui est proscrit dans la vie réelle, dans les rapports physiques, sensibles et je dirais « charnels », doit l’être aussi sur internet. C’est parce que la toile est devenue l’extension de tous les aspects de la vie que le sursaut doit advenir.
S’assurer que les libertés individuelles n’empiètent pas sur les droits d’autrui, c’est la mission du Parlement, et ce doit être la nôtre aujourd’hui, pour sécuriser un environnement numérique où tout se peut, sans contrôle, sans règle ferme et donc sans responsabilité.
Mes chers collègues, nous faisons face, depuis une vingtaine d’années, à ce bouleversement civilisationnel, à ce choc techno-scientifique qui a fait entrer tous les dangers de la vie d’adulte au sein même de l’enfance, ou plutôt qui, par la connexion continue et l’intrusion sans limites, empêche les mineurs de s’extraire des dangers du monde, face auquel ils ne sont pas encore armés.
Dès lors que ce constat est posé, nous convenons tous ici que notre énergie doit se porter sur les plus fragiles : les mineurs. Car ce sont eux qui, dans la fleur de l’âge, où tout se forme et se construit, à cette étape charnière où l’on apprend la vie en société sans se connaître encore soi-même, essuient tous les impacts de la cybermalveillance.
Ce texte est, certes, une avancée louable et saluée, par la transposition qu’il opère des règlements européens tant annoncés depuis 2020. Cependant, nous sommes en droit d’attendre plus de lui.
Le bât blesse principalement sur la réactivité dans le traitement des signalements.
Aujourd’hui, en raison d’un délai d’instruction et de vérification de la réalité des contenus haineux ou inappropriés signalés, il faut plusieurs semaines, voire des mois avant que ces contenus, à l’origine de lourds traumatismes, parfois irréversibles, sur la santé psychique des jeunes mineurs, ne fassent l’objet d’un retrait.
Je vous proposerai donc un amendement visant à garantir un traitement spécifique lorsqu’un signalement est opéré par un mineur numérique faisant lui-même l’objet d’une publication cybermalveillante signalée.
Mais ne nous leurrons pas, mes chers collègues ! Quelles que soient les contraintes légales que nous imposerons aux plateformes, elles ne produiront d’effets que si ces dernières se dotent des moyens humains nécessaires au traitement immédiat des signalements et au retrait en temps réel des contenus haineux.
Quelles que soient les contraintes légales que nous imposerons aux plateformes, elles ne produiront d’effets, comme l’a si justement souligné Frances Haugen ici même, qu’à la condition que soit mis en place un traitement localisé, par des équipes formées dans le pays et maîtrisant ainsi la langue dans laquelle est produit le contenu haineux.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission spéciale. Exactement !
Mme Toine Bourrat. L’intelligence artificielle est, certes, une avancée, mais rien ne remplace le contrôle humain. En effet, comment imaginer qu’un artéfact, qu’une machine parvienne seule à protéger l’homme de son invention ?
Pour fixer des limites et insérer nos critères civiques et moraux dans le progrès, il nous faut des hommes formés, sensibles aux dérives dont ils peuvent être eux-mêmes victimes, des hommes toujours irremplaçables dès lors qu’il s’agit de « prendre soin », d’« éduquer » et de « modérer ».
Mais, encore une fois, restons lucides, mes chers collègues ! Tant qu’aucune contrainte ne pèsera sur les plateformes pour qu’elles se dotent des moyens humains nécessaires, rien ne se fera.
Fort heureusement, le Parlement a récemment fixé une majorité numérique. Fixée à 15 ans, elle délimite clairement les âges de la vie où les dangers de l’internet sont plus ou moins mesurés, intégrés, donc limités par la conscience d’un être formé pour cela. Fixée à 15 ans, elle place le parent au cœur de l’éducation du mineur, puisque son consentement sera obligatoire pour s’inscrire sur un réseau social.
Mais préserver les acquis n’est plus suffisant, mes chers collègues. Dans la mondialisation, c’est une guerre de conquête qu’il nous faut mener. Je n’ose dire « une révolution culturelle », mais l’esprit est là.
Force doit rester à la loi. Et la loi, c’est l’Homme, avec un grand H. En effet, gouverner – je le rappelle en regardant cet hémicycle où d’autres plaidoyers furent prononcés, où d’autres causes furent défendues –, c’est bel et bien contraindre pour protéger ceux qui se trouvent dans la fleur de l’âge, un âge où tout se détermine et où tout se construit. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Demas. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis ravie de vous retrouver aujourd’hui pour discuter du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, et je salue à mon tour le travail de notre commission spéciale et de ses deux rapporteurs.
Les dispositions de ce texte, techniques et diverses, recouvrent un enjeu très concret : assurer la protection des citoyens et le respect de nos valeurs dans l’espace numérique. Elles dessinent des avancées que je tiens à souligner.
La transition numérique est un puissant levier de progrès économique et social. C’est également un moteur de la transition écologique. Pourtant, les possibilités offertes par le numérique comportent des risques indéniables, auxquels les auteurs de ce texte tentent de répondre, au travers de plusieurs dispositions. J’en aborderai deux.
Je pense tout d’abord à la protection des mineurs vis-à-vis des contenus présentant un caractère pornographique ou pédopornographique. Ainsi, l’article 2, tel qu’il a été amendé en commission, tend à renforcer les pouvoirs d’intervention de l’Arcom dans la lutte contre l’accès des mineurs à ce type de sites, dans le prolongement du rapport d’information de notre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur l’industrie de la pornographie.
Je pense ensuite la protection des internautes dans l’environnement numérique vis-à-vis des actions de propagande en ligne, de cyberharcèlement et d’hameçonnage. En complément des mesures inscrites dans le projet de loi, je souhaite mettre en avant l’enjeu essentiel de la lutte contre l’illectronisme et de l’éducation aux usagers numériques confrontés aux risques de fraude en ligne, qui concernent en particulier les personnes les plus vulnérables.
Ce texte vise à traduire en droit français la réglementation européenne sur le numérique, qui est notamment constituée du DMA et du DSA.
Au-delà de la nécessaire adaptation de notre droit au cadre européen, ce texte doit permettre à la France d’être un acteur moteur de la régulation digitale en Europe. Le Sénat s’inscrit d’ailleurs pleinement dans cette ambition, au travers de la loi de 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, issue d’une proposition du sénateur Patrick Chaize.
Par ailleurs, je voudrais aborder un sujet qui requiert notre attention aiguë : la souveraineté numérique des pouvoirs publics, et plus spécifiquement des collectivités territoriales. En effet, nombre d’acteurs soulignent les risques induits par la dépendance des collectivités territoriales vis-à-vis des Gafam, que ce soit en matière financière ou, de façon plus préoccupante encore, en matière de cybersécurité.
La hausse considérable des tarifs de l’abonnement à la dernière version de Microsoft Office a récemment conduit des collectivités à chercher d’autres solutions bureautiques. En pratique, toutefois, changer de fournisseur est souvent difficile, car il existe des barrières techniques, voire commerciales, à l’interopérabilité des services. Or un tel enfermement auprès d’un unique fournisseur rend les systèmes informatiques moins résilients en cas de cyberattaque. Plus encore, le développement des offres collaboratives à travers le cloud soulève des questions sur l’utilisation que des gouvernements étrangers pourraient faire de données stockées sur les serveurs détenus par des Gafam.
Toutes ces raisons plaident en faveur du développement d’une offre française, voire européenne, de logiciels métiers et bureautiques qui soit attractive et résiliente pour les collectivités territoriales, y compris pour les plus petites, qui auront besoin d’un accompagnement technique et financier adapté.
Monsieur le ministre, dans le prolongement de ce texte il me semble donc indispensable que l’État élabore rapidement une stratégie nationale sur ce sujet, en lien avec les collectivités territoriales. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission spéciale.
projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique
TITRE Ier
PROTECTION DES MINEURS EN LIGNE
Section 1
Renforcement des pouvoirs de l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique en matière de protection en ligne des mineurs
Avant l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 33, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport établissant les besoins financiers et humains de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse résultant des nouvelles missions qui leur seront confiées par la présente loi, ainsi que la manière dont ces besoins seront traduits lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Il s’agit d’un amendement d’appel, qui vise à demander au Gouvernement quelques informations.
Ce projet de loi tend à élargir les missions de plusieurs régulateurs de l’espace numérique. Ainsi, l’Arcom devient responsable du référentiel technique pour le contrôle de l’accès aux sites pornographiques. Des pouvoirs d’injonction administrative à l’encontre des sites et des fournisseurs d’accès lui sont également confiés, tout comme la capacité de prononcer des sanctions ou de demander le retrait de contenus.
De surcroît, l’Arcep sera responsable de la partie relative au cloud. Elle sera notamment chargée d’établir un référentiel d’interopérabilité et de portabilité des données. Ses pouvoirs d’enquête seront aussi renforcés.
Par ailleurs, la Cnil sera chargée de la protection des données individuelles durant tous ces processus.
Enfin, les missions du PEReN sont renforcées.
Ces nouvelles attributions auront des conséquences qui pèseront lourdement sur les épaules des autorités administratives indépendantes, dont les missions ne cessent d’être élargies au gré des propositions de loi adoptées par le Parlement. Ainsi, lors de son audition, le président de l’Arcom a indiqué que confier aux autorités de régulation des missions supplémentaires nécessite de renforcer leurs moyens humains et financiers. Or nous n’avons pas entendu beaucoup de déclarations du Gouvernement à ce sujet. En tant que législateur, il est de notre devoir de nous assurer que les moyens seront à la hauteur des ambitions de ce texte.
C’est pourquoi, par cet amendement d’appel, j’aimerais entendre le Gouvernement sur le sujet de l’augmentation des moyens de ces différentes autorités administratives indépendantes, en vue de la préparation du projet de loi de finances pour l’année 2024.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Je comprends très bien l’esprit de l’amendement de notre collègue, M. Dossus. Ce projet de loi va considérablement accroître les missions de l’Arcom, de la Cnil et de l’Arcep.
La demande de rapport au Gouvernement ne semble toutefois pas être la bonne méthode. En effet, les rapporteurs spéciaux et pour avis du projet de loi de finances peuvent déjà intégrer dans le périmètre de leur questionnaire budgétaire la question des moyens de ces autorités au regard de leurs nouvelles missions.
Ce débat aura bien évidemment lieu lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024. C’est la raison pour laquelle je vous demanderai de retirer votre amendement, mon cher collègue.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Monsieur le sénateur, mon avis est le même que celui de M. le rapporteur, mais je vais tout de même essayer de vous apporter quelques éléments de réponse.
Aussi bien pour les règlements européens qui ont déjà été évoqués que pour les dispositions de nos textes de droit interne, il est évidemment indispensable que les autorités administratives indépendantes concernées disposent des moyens nécessaires pour leur exécution.
Dans la loi de finances pour 2023, quelque 15 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires ont été budgétés pour l’Arcom, en prévision des nouvelles missions qui lui seront confiées pour la mise en œuvre du DSA. Par ailleurs, la Commission européenne s’est elle aussi dotée de moyens supplémentaires via le recrutement d’une centaine d’agents chargés de l’exécution des règlements DMA et DSA. Enfin, comme l’a rappelé M. le rapporteur, nous aurons ces débats au moment de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, auquel je vous invite à contribuer, notamment sur ces aspects-là, aux côtés des rapporteurs spéciaux évidemment.
M. le président. Monsieur Dossus, l’amendement n° 33 est-il maintenu ?
M. Thomas Dossus. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 33 est retiré.
Article 1er
L’article 10 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi rédigé :
« Art. 10. – I. – L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique veille à ce que les contenus pornographiques mis à la disposition du public par un service de communication au public en ligne ne puissent pas être accessibles aux mineurs et en conséquence, à ce que les personnes dont l’activité est d’éditer un tel service de communication au public en ligne vérifient préalablement l’âge de leurs utilisateurs.
« Elle établit et publie à cette fin, dans un délai de six mois après la promulgation de la présente loi, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, un référentiel déterminant les caractéristiques techniques applicables aux systèmes de vérification de l’âge mis en place pour l’accès aux services de communication au public en ligne qui mettent à la disposition du public des contenus pornographiques, en matière de fiabilité du contrôle de l’âge des utilisateurs et de respect de leur vie privée.
« II. – (Supprimé) ».
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, sur l’article.
Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a un an, avec mes collègues Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, nous achevions six mois de travaux qui ont apporté une véritable expertise sur l’industrie pornographique. Jusqu’alors, ce sujet était un grand absent du débat public, a fortiori des politiques publiques.
La pornographie, disponible sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour tous, a des conséquences graves sur les mineurs : addiction, comportements et pratiques sexuelles à risque, entre autres. Les conséquences ne se limitent pas seulement aux plus jeunes, mais se répercutent également dans l’ensemble de notre société.
Dans notre rapport d’information intitulé Porno : l’enfer du décor, nous soulignons l’importance d’imposer un véritable contrôle de l’âge des internautes avant tout accès à un contenu pornographique. Nous insistons sur l’importance et l’urgence d’appliquer enfin la loi. À la suite de l’adoption de l’amendement de notre collègue Marie Mercier en 2020, la loi oblige désormais les propriétaires de site pornographique à mettre en place un contrôle d’accès à destination des mineurs.
Or l’Arcom n’a toujours pas fait usage de la compétence qui lui a été donnée de publier des lignes directrices relatives à la fiabilité des procédés techniques sur le contrôle de l’âge et des utilisateurs.
Nous jugeons donc primordial que l’Autorité adopte une démarche proactive. Nous suggérons de faire mention au sein de ces lignes directrices de la nécessité d’opérer le contrôle de l’âge dès l’entrée sur le site, avant de pouvoir visionner la moindre image, même floutée.
À cet article 1er, il ne s’agit que de faire appliquer la loi, ni plus ni moins ; nous ne pouvons plus nous satisfaire de tentatives. Le contrôle de l’âge doit enfin être une réalité ; il doit enfin être effectif et fiable !
M. le président. Je suis saisi de neuf amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 3 est présenté par Mmes Rossignol et Blatrix Contat, MM. Kanner, Cardon, Durain, Féraud et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 88 est présenté par Mme Cohen, M. Ouzoulias, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Les services de communication au public en ligne qui mettent à disposition du public des contenus pornographiques mettent en place des mesures de vérification d’âge empêchant l’accès des mineurs à ces contenus.
La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour présenter l’amendement n° 3.
Mme Laurence Rossignol. Cet amendement vise à supprimer la mention du référentiel dans l’article 1er. Tel qu’il est rédigé, cet article tendrait, je le crains, à créer une obligation de moyens minimale pour les sites pornographiques, qui se contenteraient ainsi de satisfaire au référentiel.
Au contraire, il faut inverser la charge de la preuve : c’est aux sites d’apporter la preuve qu’ils ont, par tous les moyens, mis en œuvre les outils nécessaires pour interdire aux mineurs d’accéder à leurs contenus.
Par ailleurs, comme je l’ai mentionné précédemment, il y a une concomitance malheureuse… Nous attendons le jugement que le tribunal judiciaire de Paris rendra le 7 juillet prochain. Or il porte justement sur le fait que les sites prétendent ne pas avoir la possibilité de mettre en œuvre l’obligation inscrite dans la loi de 2020.
Aussi, d’un certain point de vue, en votant aujourd’hui un référentiel, nous confirmons le fait qu’ils n’avaient pas les outils pour le faire ; c’est très embêtant ! C’est pour cela qu’il serait raisonnable de supprimer un tel référentiel, pour les trois prochains jours et pour l’avenir.
Peut-être pourrions-nous également préciser à tout le moins que le référentiel n’est qu’un des moyens – ce n’est pas le seul – permettant aux sites pornographiques de se conformer à la loi.
Tel est l’objet de mon amendement. J’espère être suivie, car il est raisonnable et, surtout, adapté au réel !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 88.
Mme Laurence Cohen. Cet amendement est identique à celui que vient de présenter ma collègue Laurence Rossignol pour le groupe socialiste.
Il vise à responsabiliser davantage les plateformes pornographiques en supprimant le référentiel d’exigences techniques établi par l’Arcom.
Il est important de dire que nous envoyons un message fort aux plateformes pornographiques.
Plus personne ne peut ignorer aujourd’hui les ravages de l’accès à des contenus pornographiques sur les mineurs. Je rappelle qu’un tiers des mineurs de moins de 15 ans se rend chaque mois sur un site pornographique, comme vient de l’indiquer notre collègue Annick Billon.
Selon nous, la suppression du référentiel d’exigences techniques ne signifie pas l’absence de régulation ou de responsabilité, bien au contraire ! Cela doit nous conduire à rechercher des solutions plus efficaces et mieux adaptées pour empêcher l’accès des mineurs à ces contenus. Nous devons explorer d’autres voies pour mettre en place des mécanismes de filtrage et de contrôle plus efficaces, en collaboration avec les plateformes pornographiques, les experts en technologie et les organismes de régulation compétents.
Nous ne pouvons laisser la responsabilité de la protection des mineurs aux seuls parents ou aux seuls systèmes de contrôle parental, soyons-en conscients ! Il faut reconnaître la part de responsabilité des plateformes pornographiques ! Elles doivent jouer un rôle actif dans la prévention de l’accès des mineurs à leurs contenus.
C’est tout le sens de notre amendement, et je souhaite, comme Laurence Rossignol, qu’il soit voté par la majorité des sénateurs et des sénatrices.
M. le président. L’amendement n° 130, présenté par M. L. Hervé, au nom de la commission spéciale, est ainsi libellé :
I. − Alinéa 3
Supprimer les mots :
dans un délai de six mois après la promulgation de la présente loi,
II. − Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
….− L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique établit et publie le référentiel mentionné au I dans un délai de six mois après la promulgation de la présente loi.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. L’amendement n° 62 rectifié bis, présenté par M. Fialaire, Mme N. Delattre, MM. Bilhac, Cabanel, Corbisez, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier et Roux, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après le mot :
avis
insérer le mot :
conforme
La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Cet amendement s’inscrit dans le cadre de l’élaboration du référentiel déterminant les caractéristiques techniques applicables aux systèmes de vérification de l’âge. Il s’agit notamment de ceux qui sont mis en place pour accéder aux services de communication au public en ligne qui proposent des contenus pornographiques.
Cet amendement vise à soumettre le référentiel établi par l’Arcom à un avis conforme de la Cnil, dans le but de permettre à cette dernière de veiller à la protection des libertés et d’élaborer un référentiel coercitif de qualité. En effet, tel qu’il est rédigé, l’article 1er du présent projet de loi ne détaille pas le type d’avis rendu par la Cnil dans l’élaboration dudit référentiel.
Cet amendement permettrait ainsi à la Cnil, forte de son expertise et de l’attention qu’elle porte à la protection des libertés, d’être pleinement associée à l’élaboration de ce référentiel coercitif.
M. le président. L’amendement n° 34, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
et de respect de leur vie privée
par les mots :
, de respect de leur vie privée et d’empreinte environnementale du numérique
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Je vais présenter une série d’amendements visant à mieux définir le référentiel, mais je précise que je voterai les amendements identiques nos 3 et 88 de Mmes Rossignol et Cohen.
L’amendement n° 34 vise à ajouter un critère relatif à l’empreinte environnementale. Il est classique pour notre groupe de favoriser l’écoconception des logiciels produits par l’État.
Certes, nous ne nions pas que la consommation d’énergie liée aux vidéos sur internet soit massive, tout comme l’est celle qui est liée à la consultation de contenus pornographiques. Toutefois, nous pensons qu’il est important d’introduire des critères d’écoconception, d’autant plus quand un tel dispositif résulte d’une injonction de l’État.
Nous souhaitons que les mécanismes de vérification de l’âge par les plateformes comportent un équilibre entre efficacité, protection des données personnelles et protection de l’environnement.
M. le président. L’amendement n° 37, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
et de leur anonymat en ligne
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Nous pensons que le référentiel doit garantir le respect de l’anonymat en ligne. Dans la même logique, nous souhaitons garantir la protection de l’anonymat en ligne dans l’établissement de ce référentiel. L’anonymat est l’un des éléments centraux d’internet depuis sa création. C’est la base de la protection de la vie privée.
Cet anonymat, garanti depuis le début de l’existence d’un espace libre, a permis l’émergence d’idées, de concepts et de technologies nouvelles, dont certaines ont changé la face du monde.
Cet anonymat ne doit être remis en cause que dans de très rares cas et toujours sous le contrôle du juge. La vérification de l’âge pour accéder à un site ne représente pas un motif suffisant pour lever cet anonymat.
C’est pourquoi nous proposons de mentionner en toutes lettres que cet anonymat devra être respecté par les mécanismes de vérification de l’âge des sites et donc être intégré aux critères du référentiel établi par l’Arcom.
M. le président. L’amendement n° 36, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
ainsi que de garantie de protection de leurs données personnelles, en s’assurant notamment que ces dernières ne soient ni exploitées, pour des fins autres que celles établies par le référentiel, ni cédées ni vendues à des tiers
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Le référentiel doit respecter la protection des données, et nous proposerons des dispositifs en ce sens.
Il est de notre responsabilité, en tant que législateurs, de nous assurer que lors du contrôle de l’âge par les plateformes concernées, les données collectées ne serviront qu’à cette fin.
Aussi, nous proposons d’écrire explicitement que les données collectées ne pourront être exploitées à d’autres fins ni être cédées ou revendues.
Dans la rédaction actuelle du texte, seul le respect de la vie privée est mentionné. Cette référence nous paraît bien trop large et imprécise.
M. le président. L’amendement n° 38, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Les systèmes de vérification de l’âge sont rendus accessibles au public sous un format ouvert et librement réutilisable.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. La transparence logicielle, incarnée sur internet par l’open source, est une garantie fondamentale pour les libertés publiques. Lorsqu’un logiciel, un code ou un programme sont consultables librement, toute personne disposant d’un minimum de bagage technique peut s’assurer de son contenu et de son bon fonctionnement.
Pour nous, cette exigence de transparence s’impose d’autant plus quand des données personnelles sont en jeu, comme c’est le cas pour le contrôle de l’âge, prévu à l’article 1er de ce texte. Il n’y a ici ni secret industriel à défendre ni un enjeu de propriété intellectuelle si important qu’il s’imposerait aux questions de défense de l’anonymat, des données personnelles et des libertés numériques ; du reste, ce référentiel est imposé à tous.
Ainsi, les utilisateurs ont le droit de constater par eux-mêmes la façon dont sont utilisées leurs informations personnelles lors du contrôle de l’âge qui est réalisé sur les plateformes. Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 35, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le référentiel interdit explicitement l’usage des technologies de reconnaissance biométriques.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Nous pensons que le référentiel doit interdire l’usage des technologies biométriques. L’article 1er du projet de loi tend à confier à l’Arcom le soin de définir ce référentiel. Il déterminera des exigences techniques auxquelles devront répondre les systèmes de vérification d’âge des sites comportant des contenus pornographiques.
L’objectif est de s’assurer de l’âge des utilisateurs et des utilisatrices de ces plateformes, afin qu’aucun mineur n’y ait accès. L’établissement de ce référentiel doit à l’heure actuelle respecter deux critères définis en amont : la fiabilité du contrôle de l’âge et le respect de la vie privée. Nous proposons d’ajouter d’autres critères, mais d’interdire la reconnaissance faciale. Bien sûr, cela pourrait être une solution technique pour s’assurer de l’identité ou de l’âge de l’utilisateur, mais elle comporte de nombreux risques, notamment du point de vue de la protection de la vie privée et de la collecte des données anthropométriques.
Ces risques rendent éthiquement impossible l’usage de cette technologie pour vérifier l’âge des personnes. C’est pourquoi il est proposé de les interdire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Les deux amendements identiques nos 3 et 88 ont pour objet de supprimer la création d’un référentiel pour les systèmes de vérification de l’âge, inscrite à l’article 1er.
Or cette mesure reprend la recommandation n° 14 du rapport d’information de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes – il nous a inspirés pour un certain nombre de mesures et d’amendements –, dont vous êtes toutes les deux auteures, mesdames Rossignol et Cohen. Aussi, je suis un peu surpris par les amendements que vous présentez.
Je ne pense pas qu’imposer aux plateformes pornographiques des systèmes de vérification de l’âge conformes à un référentiel établi par l’Arcom risque de les déresponsabiliser. C’est bien sur ces plateformes que repose la responsabilité pénale de ne pas laisser les mineurs accéder à leurs contenus.
Par ailleurs, le référentiel deviendrait la base d’un nouveau pouvoir de mise en demeure et de sanction de l’Arcom, pouvant aboutir au blocage des sites. Vous comprendrez que la commission spéciale émette un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
L’amendement n° 62 rectifié bis présenté par M. Fialaire, qui dispose que l’avis de la Cnil doit être conforme, ne répond pas à une demande de celle-ci, car nous l’avons interrogée à ce propos.
En effet, il n’y a pas lieu de donner à une autorité administrative indépendante la prééminence sur une autre, alors qu’elles travaillent main dans la main sur ce dispositif ; nous en avons même eu le témoignage lors de l’audition commune des trois présidents de la Cnil, de l’Arcom et de l’Arcep. Notre avis est donc défavorable.
En réponse à l’amendement n° 34 de M. Dossus et de ses collègues, je rappelle que le principal objet de l’article 1er est de mettre en place des systèmes de contrôle d’âge fiables et respectueux des données personnelles, c’est-à-dire, en l’espèce, du RGPD. L’aspect environnemental doit être pris en compte, à condition que cette première étape ait été franchie, monsieur Dossus.
Par ailleurs, c’est davantage le visionnage des sites pornographiques, vu leur poids dans la bande passante, que le contrôle des sites qui poserait une difficulté. (Mme la secrétaire d’État manifeste son approbation.) Madame la secrétaire d’État, je vous vois opiner du chef ! (Sourires.) Aussi, nous émettons un avis défavorable sur votre amendement, mon cher collègue.
En ce qui concerne l’amendement n° 37, relatif à l’anonymat en ligne, je rappelle que l’objet du référentiel est bien de protéger la vie privée des utilisateurs. Dans ce cadre, l’Arcom, la Cnil et le PEReN semblent enclins à suggérer, parmi d’autres solutions, un système de double anonymat et non simplement d’anonymat, comme vous semblez le proposer, mon cher collègue.
En effet, l’anonymat peut nécessairement être levé à un moment donné pour vérifier l’âge de l’utilisateur. En revanche, il est préconisé que la levée de l’anonymat se fasse auprès d’un tiers de confiance et non directement auprès de l’éditeur de la plateforme pornographique. La rédaction que vous proposez ne convient donc pas.
Par ailleurs, il ne semble pas utile d’entrer trop dans le détail des caractéristiques qui seront inscrites dans le référentiel. Selon nous, c’est aux deux autorités administratives indépendantes, qui ont la compétence technique et juridique plus encore que nous autres parlementaires, de se prononcer sur cette question, chacune selon son champ de compétences, et d’adapter ces caractéristiques au fil du temps et des évolutions technologiques. Notre avis est donc défavorable.
L’amendement n° 36 nous semble satisfait. C’est bien ce que recouvre la notion de respect de la vie privée des utilisateurs, déjà inscrite à l’alinéa 3, qui justifie précisément l’avis de la Cnil. La commission spéciale en demande le retrait ; à défaut son avis serait défavorable.
J’en viens à l’amendement n° 38 relatif à la question du format ouvert et librement réutilisable des systèmes de vérification de l’âge. L’objet de cet amendement me semble déjà assuré par le RGPD lui-même, qui dispose dans son article 15, qui est d’application directe en droit interne – il s’agit d’un règlement –, que le responsable du traitement fournit une copie des données à caractère personnel faisant l’objet d’un traitement. S’agissant du format des logiciels utilisés pour le contrôle de l’âge, il faut d’abord regarder les solutions disponibles sur le marché, me semble-t-il. Il est trop tôt pour imposer un format plutôt qu’un autre. Aussi, j’émets un avis défavorable.
Enfin, en réponse à l’amendement n° 35, qui tend à exclure l’utilisation de technologies de reconnaissance biométrique, je pense qu’il faut laisser la Cnil poser les limites qui lui semblent utiles aux systèmes de vérification de l’âge. Actuellement et dans l’attente de systèmes plus vertueux, elle s’est déclarée favorable à des procédés d’estimation de l’âge reposant sur une analyse faciale et non pas une reconnaissance faciale. Il s’agirait donc d’analyser les traits du visage, afin d’en apprécier la juvénilité, et non d’identifier une personne. À cela s’ajoute la condition que ces procédés soient mis en œuvre par un tiers.
Il faut en effet être pragmatique dans l’attente de développement de solutions par le marché. Monsieur Dossus, je ne voudrais pas que l’adoption de votre amendement empêche la mise en œuvre de solutions pragmatiques, respectueuses de la vie privée, mais qui seraient des évolutions technologiques que les plateformes trouveraient par elles-mêmes. Aussi, j’émets un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, d’où vient le principe du référentiel, sur lequel l’Arcom va pouvoir s’appuyer pour ordonner le blocage et le déréférencement de sites pornographiques qui ne vérifieraient pas l’âge de leurs utilisateurs ?
On en trouve d’abord l’origine dans le décret d’application de la loi du 30 juillet 2020, qui décrit la procédure par laquelle l’Arcom peut mettre en demeure les sites pornographiques et saisir le tribunal judiciaire de Paris pour obtenir leur blocage et leur déréférencement.
Ce référentiel, comme l’a rappelé M. le rapporteur, on le retrouve ensuite à la page 127 et à la recommandation n° 14 du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Il s’agit d’une condition pour que l’Arcom, assurée que le niveau de sécurité juridique est suffisamment élevé, puisse ordonner le blocage des sites pornographiques.
Comme M. le rapporteur l’a également rappelé, si nous n’avons pas de référentiel, en réalité, c’est non pas sur les plateformes que nous rejetons la responsabilité, mais sur le juge. Croyez-moi, les plateformes ne vont pas se précipiter pour mettre en place des systèmes de vérification d’âge extrêmement fiables !
Elles vont mettre en œuvre la première solution venue, à charge pour les juges de déterminer ensuite si, oui ou non, la solution est acceptable, suffisamment fiable ou protectrice de telles ou telles données personnelles.
En réalité, le référentiel vient sécuriser la capacité de l’Arcom à ordonner le blocage et le déréférencement. Et puisque nous prévoyons dans les articles 1er et 2 d’aller beaucoup plus vite, en contournant la procédure judiciaire, pour procéder à ce blocage, il faut que nous puissions fixer, à tout le moins, les conditions dans lesquelles le blocage et le déréférencement puissent être prononcés par l’Arcom.
Je veux faire observer qu’il n’y a aucun lien, ou plutôt qu’il ne doit y avoir aucune interférence, contrairement à ce que vous semblez envisager, madame la sénatrice Rossignol, entre la procédure judiciaire, qui est en cours depuis un an et demi devant le tribunal judiciaire de Paris, dont le verdict est attendu vendredi prochain, et les articles 1er et 2 du présent projet de loi.
Les dispositions de ces derniers articles ne seront applicables que pour les affaires ayant trait à des poursuites qui auront été engagées à partir du 1er janvier 2024, comme le prévoit l’article 36. D’ici là, le droit existant s’applique. Or que faut-il faire pour que les plateformes soient en conformité avec le droit existant ? Eh bien, pour le dire de façon imagée, il leur suffit de se baisser et de ramasser n’importe quel système de vérification d’âge pour satisfaire aux prescriptions légales. Comme l’ont dit Mme la secrétaire d’État, la Cnil et moi-même, nombre de systèmes d’estimation de l’âge existent aujourd’hui et sont librement accessibles sur le marché, comme pour l’utilisation de la carte de crédit pour un paiement à zéro euro. Tous ces systèmes seront en vigueur jusqu’au 31 décembre 2023. Il n’y a donc aucune raison ni pour les sites ni pour le juge d’aller chercher la moindre référence dans le texte que le Parlement adoptera à l’issue de son examen, puisque ses dispositions ne s’appliqueront qu’à l’avenir, pour des affaires futures.
Pour revenir à la discussion des amendements, je demande le retrait des amendements identiques nos 3 et 88, qui tendent à supprimer le référentiel ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Je répète mon argument principal : dans la mesure où il s’agit de demander à l’Arcom de prendre une décision assez lourde, à savoir ordonner en quelques semaines le blocage et le déréférencement du site, celle-ci doit pouvoir s’appuyer sur un référentiel. Peu importe si ce dernier est souple et permet simplement d’assurer ou d’attester un minimum de fiabilité des solutions de vérification d’âge retenues.
L’amendement n° 130 du rapporteur vise à pousser l’Arcom à publier ce référentiel dans les six mois, soit d’ici au 1er janvier 2024, date à laquelle l’article 2 entrera en vigueur. L’Arcom devrait être en mesure de publier le référentiel dans ces délais ; le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse du Sénat.
L’amendement n° 62 rectifié bis, de Bernard Fialaire, et les amendements nos 34, 37, 36, 38 et 35, de Thomas Dossus, soulèvent tous des questions légitimes relatives au RGPD, à l’empreinte environnementale, à l’open source, etc. Je propose à leurs auteurs de bien vouloir les retirer, car nous préférons conserver un référentiel souple, à même de permettre à l’Arcom d’ordonner le blocage et le déréférencement en toute sécurité. Les sites pornographiques pourraient en effet tirer argument d’un référentiel excessivement complexe et coûteux pour ne pas s’y conformer.
Le Gouvernement émet un avis de sagesse sur l’amendement du rapporteur, qui vise à demander à l’Arcom de publier le référentiel dans les six mois, et propose de ne pas toucher à la rédaction initiale de l’article.
Mme Laurence Rossignol. Mais n’est-ce pas déjà ce que prévoit le texte de la commission ?
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Oui, madame Rossignol, vous êtes bien à l’origine de cette disposition adoptée en commission, avec mon avis favorable.
Notre amendement n° 130 ne fait que déplacer cette disposition du texte de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dite LCEN, vers le présent projet de loi.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le rapporteur, il ne m’avait pas échappé que le référentiel figurait dans les préconisations du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Notre rapport d’information, élaboré il y a un an, a été publié en septembre dernier. Depuis lors, l’état de l’art a évolué. J’ai rencontré des spécialistes de la procédure judiciaire et je crains que ce référentiel ne se traduise que par une obligation de moyens à l’égard des sites. Il ne permettra pas, à lui seul, de faire appliquer la loi.
Vous l’avez d’ailleurs vous-même reconnu, monsieur le ministre, en déclarant que les sites n’auront qu’à se baisser pour mettre en place des outils conformes au référentiel…
Mme Laurence Rossignol. Soit, mais je ne vois pas ce que le référentiel apportera.
Je voudrais à tout le moins préciser que les sites ne devront pas se conformer qu’au seul référentiel. En outre, ce dernier devra être régulièrement mis à jour. La volonté des sites d’appliquer la loi sera aussi évaluée en fonction de l’état de l’art et des technologies, car les outils évolueront probablement plus vite que le référentiel.
Oui, monsieur le rapporteur, j’ai changé d’avis. J’espère que vous serez aussi soucieux de reprendre les préconisations du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes lorsque nous examinerons l’amendement n° 83 de Mme Cohen, qui en est également issu…
Monsieur le ministre, j’ai quelques notions de droit et je connais le principe de non-rétroactivité de la loi pénale. Je sais bien que les affaires en cours seront jugées d’après la loi en vigueur. Mais ce qui se dit au Parlement sur le droit en vigueur peut éventuellement peser… Un appel n’est pas exclu.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Laurence Rossignol. Je tenais à faire cette mise en garde.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 et 88.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. Bernard Fialaire. Je retire l’amendement n° 62 rectifié bis.
M. le président. L’amendement n° 62 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 34.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 83, présenté par Mme Cohen, M. Ouzoulias, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le service de communication au public en ligne qui diffuse des contenus pornographiques prévoit l’affichage d’un écran noir tant que l’âge de l’internaute n’a pas été vérifié.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Par cet amendement, nous proposons une mesure concrète pour protéger les mineurs d’une exposition à des contenus pornographiques inappropriés en ligne. Elle s’inspire de la recommandation n° 13 du rapport d’information intitulé Porno : l’enfer du décor, qui a mis en évidence les risques et les conséquences néfastes auxquels les mineurs peuvent être confrontés lorsqu’ils accèdent à des contenus pornographiques.
L’affichage d’un écran noir tant que l’âge de l’internaute n’a pas été vérifié constituerait une mesure efficace pour limiter l’accès des mineurs à ces contenus. Ce faisant, nous encourageons les sites internet à caractère pornographique à adopter des mesures de contrôle et de prévention de l’accès des mineurs, conformément à leurs responsabilités éthiques et légales.
L’affichage d’un écran noir permet en outre de sensibiliser les utilisateurs, en particulier les mineurs, sur la nécessité de respecter les restrictions d’âge et promeut une utilisation responsable d’internet. Cette mesure s’inscrit dans une démarche de prévention, en évitant en amont aux mineurs d’accéder involontairement à des contenus qui pourraient nuire à leur développement et à leur bien-être.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Cette précision relève du contenu du référentiel. J’imagine que l’Arcom s’inspirera des travaux parlementaires, et notamment du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Nous avons veillé à ne pas inscrire le détail du référentiel dans le présent article, afin de laisser de la souplesse aux deux autorités chargées de son élaboration, l’Arcom et la Cnil, qui pourront le faire évoluer au gré des avancées technologiques.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Madame la sénatrice, je comprends pourquoi vous souhaitez cet écran noir : même avec une vérification d’âge, le site internet peut faire apparaître des images explicites, éventuellement sur le côté de l’écran. Je suis tout à fait d’accord avec vous et c’est précisément la raison pour laquelle nous voulons un référentiel.
Il faudra donc pousser l’Arcom à tenir compte de cette recommandation de votre excellent rapport. La vérification d’âge, ce n’est pas une blague ; les sites doivent l’effectuer de manière très sérieuse. Tant que son âge n’a pas été vérifié, l’utilisateur ne doit avoir accès à aucun contenu pornographique.
Votre proposition montre combien il est difficile de poser une simple obligation de résultat en la matière. Nous devons fixer quelques obligations de moyens pour permettre à l’Arcom d’user de son pouvoir de police administrative en ordonnant le blocage et le déréférencement d’un site.
Je vous demanderai également de bien vouloir retirer votre amendement. Toutefois, je m’engage à pousser l’Arcom à retenir le principe de l’écran noir pour l’établissement du référentiel dans les six prochains mois.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Merci, monsieur le ministre, de vos explications détaillées. Toutefois, je m’étonne.
Notre rapport d’information est considéré comme extrêmement sérieux. Il a été adopté par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes et le Sénat a adopté une proposition de résolution appelant à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique.
Quand nous avons pris nos bâtons de pèlerine pour présenter notre rapport d’information dans différents ministères, tous nous ont accueillies avec beaucoup d’intérêt et de bienveillance et nous ont dit qu’ils allaient s’appuyer sur notre rapport d’information.
Nous sommes à l’heure des travaux pratiques et nous formulons des propositions claires et nettes ; or on nous dit désormais : « c’est intéressant, mais nous venons de faire quelque chose de très sérieux, nul besoin de mettre cette mesure en application… » Franchement, cela ne me convainc pas. Allez sur les sites pornographiques et vous verrez tout l’intérêt d’un écran noir !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le ministre, vous voulez faire au mieux et je vous donne acte de votre bonne volonté. Toutefois, nous sommes législateurs.
Vous savez que notre proposition d’écran noir est efficace. Lorsque vous nous répondez qu’il faudra pousser l’Arcom à prendre en compte cette proposition sénatoriale, cela ne me satisfait pas. Je n’ai ni l’intention ni les moyens de pousser l’Arcom. Ils font d’ailleurs un peu ce qu’ils veulent par rapport au Parlement : nous les auditionnons, mais n’avons aucun moyen de les « pousser » – vous en avez certainement plus que nous, monsieur le ministre.
Je ne suis pas certaine qu’il faille laisser ce sujet dépendre du seul référentiel. Le meilleur moyen de garantir l’effectivité de cette mesure, c’est de voter l’amendement : plus besoin, alors, de pousser l’Arcom !
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Le rapport d’information Porno : l’enfer du décor contient vingt-trois propositions, dont celle sur l’écran noir.
Le premier volet de nos propositions visait à imposer dans le débat public la lutte contre les violences pornographiques, grande absente et du débat public et de nos politiques publiques.
Nous le constatons dans notre débat d’aujourd’hui : il faut une volonté politique pour enfin appliquer la loi sur le contrôle de l’âge des utilisateurs. Monsieur le ministre, comme le soulignent mes deux collègues coauteures dudit rapport, nous avons besoin que le Gouvernement s’engage pour garantir que les mineurs n’auront pas accès à ces contenus.
Le référentiel devra évoluer, à l’instar de la technique, qui évolue tous les jours. Nous avons besoin de garanties, car l’Arcom, lorsqu’elle a été entendue au Sénat, s’est montrée assez réticente à appliquer certaines dispositions législatives en vigueur.
Je suivrai l’avis de la commission spéciale, mais je vous demande un engagement pour qu’enfin l’Arcom se plie à la volonté politique d’interdire l’accès des mineurs aux sites pornographiques.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Neuf recommandations du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ont été reprises dans le périmètre ministériel dont j’ai la responsabilité. Certaines ont même structuré les premiers articles du présent projet de loi. Nous avons lu votre rapport d’information avec beaucoup d’intérêt et d’attention et lui avons emprunté un certain nombre de propositions.
Nous devons trouver une ligne de crête qui nous permette de maintenir une obligation de résultat pour les sites pornographiques sans renoncer à fixer des moyens minimaux à mettre en œuvre, dont l’écran noir.
Je ne doute pas que l’Arcom, lorsqu’elle rédigera son référentiel, prendra en compte les différentes recommandations de votre rapport. Je n’ai pas autorité sur l’Arcom, mais je préconiserai, avec Mme la secrétaire d’État chargée de l’enfance, la prise en compte de votre proposition d’écran noir par l’Arcom et par la Cnil.
Prévoyons dans la loi un référentiel souple,…
M. Loïc Hervé, rapporteur. Bien sûr !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. … qui ne soit pas trop contraignant et qui puisse évoluer, afin que les mesures entrent rapidement en application.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Madame Cohen, sans vouloir faire de mauvais esprit, permettez-moi de relever qu’après avoir proposé la suppression du référentiel, vous demandez maintenant qu’il soit plus précis. (Mme Laurence Rossignol le conteste.) Je m’étonne de cette contradiction…
Regardons attentivement la proposition du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes : il s’agit d’inscrire l’écran noir dans les lignes directrices du référentiel de l’Arcom – c’est écrit noir sur blanc. Il n’a jamais été prévu de l’inscrire dans la loi !
Dans ce texte de régulation et de sécurisation du numérique, le Gouvernement nous propose d’ajouter des mesures relatives au contrôle de l’âge pour interdire l’accès aux mineurs en suivant certaines des préconisations de votre rapport. Or vous demandez maintenant des mesures qui n’y figurent même pas ! Conservons de la cohérence.
Le ministre et moi avons eu des paroles fortes. N’allons pas non plus trop loin ! D’autres options auraient été possibles : le renvoi à un décret en Conseil d’État ou l’inscription du contenu du référentiel dans la loi. Nous avons décidé d’en confier la rédaction aux deux autorités françaises les plus légitimes, juridiquement et techniquement : l’Arcom, après avis de la Cnil. Sur ce point, nous sommes cohérents et très proches des préconisations de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dont je suis très fier d’être membre.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargée de l’enfance. Je soutiens les arguments de M. le rapporteur et de M. le ministre. Nul ne peut douter de l’engagement du Gouvernement, et du mien en particulier, à faire en sorte que l’interdiction d’accès aux sites pornographiques des moins de 18 ans devienne réalité.
Pour pouvoir octroyer des pouvoirs importants et efficaces à l’Arcom, et réduire ainsi les trop longs délais judiciaires actuels, il fallait donner une base légale au référentiel. Mais inscrire le contenu du référentiel dans la loi irait trop loin, car ce cadre juridique très formel imposerait de repasser devant le législateur à chaque évolution technologique.
Ne fixons pas le contenu du référentiel dans la loi et conservons de la souplesse. Je m’engage, avec le Gouvernement, à ce que les délais soient tenus et à ce que les principes de l’intérêt supérieur de l’enfant et du respect de la vie privée soient pris en compte, à égalité.
Ce référentiel doit rester souple et constamment adaptable en fonction de l’évolution technologique.
M. le président. L’amendement n° 84, présenté par Mme Cohen, M. Ouzoulias, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les services de communication au public en ligne diffusant des contenus pornographiques doivent afficher, dès l’entrée de l’internaute sur la plateforme, des messages d’avertissement concernant des contenus violents, précisant qu’il s’agit d’actes sexuels non simulés, pouvant constituer des infractions criminelles ou délictuelles.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Je ne voudrais pas laisser M. le rapporteur dans le flou : l’amendement n° 83 était un amendement de repli par rapport à l’amendement n° 88. Sachons raison garder… J’en viens à l’amendement n° 84.
Nous appuyant sur la recommandation n° 3 du rapport d’information, nous souhaitons imposer aux sites pornographiques l’affichage de messages d’avertissement sur leurs contenus violents, précisant qu’il s’agit d’actes sexuels non simulés pouvant constituer des infractions criminelles ou délictuelles. Cette précision est essentielle dans la mesure où rien n’est simulé, ainsi que nous l’avons constaté tout au long de nos travaux : quand une femme pleure et crie, elle pleure et crie vraiment ! Tous ceux qui consultent ces sites, et pas seulement les mineurs, doivent savoir qu’il s’agit d’actes réels, non simulés.
Je me réjouis que le Gouvernement soit attentif à nos recommandations. J’espère que les choses évolueront. Lorsque nous l’avons entendue, l’Arcom, qui a certainement besoin de plus de moyens humains et financiers, n’a pas fait preuve d’une grande appétence – c’est le moins que l’on puisse dire – à travailler sur ces questions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. L’amendement n° 71 de Mme Billon, avant l’article 4, concerne également la question des avertissements. J’en préfère la rédaction et l’emplacement, qui permettent de bien distinguer l’accès des mineurs aux contenus pornographiques.
Je ne suis pas opposé à votre amendement n° 84, mais pas à cet endroit-là et dans une rédaction différente : j’en demande donc le retrait.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Cohen, l’amendement n° 84 est-il maintenu ?
Mme Laurence Cohen. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 84 est retiré.
Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
I. – Après l’article 10 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, il est inséré un article 10-1 ainsi rédigé :
« Art. 10-1. – I. – Lorsqu’une personne dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne permettant d’avoir accès à des contenus pornographiques ne met pas en œuvre un système de vérification de l’âge conforme aux caractéristiques techniques du référentiel mentionné à l’article 10, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique lui fait part de ses observations par une lettre motivée, remise par tout moyen propre à en établir la date de réception. Le destinataire de cette lettre dispose d’un délai de quinze jours pour présenter ses observations en retour.
« À l’expiration de ce délai, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut, le cas échéant après avis du président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, mettre en demeure la personne dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne permettant l’accès à des contenus pornographiques de se conformer, dans un délai de quinze jours, aux caractéristiques techniques du référentiel mentionné au même article 10. Cette mise en demeure peut être assortie d’une injonction de prendre toute mesure de nature à empêcher l’accès des mineurs aux contenus incriminés. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique rend publique cette mise en demeure.
« II. – Lorsque la personne dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne mettant à la disposition du public des contenus pornographiques ne se conforme pas à la mise en demeure à l’expiration de ce délai, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut, après avis du président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, prononcer une sanction pécuniaire dans les conditions prévues à l’article 42-7 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
« Le montant de la sanction prend en compte la nature, la gravité et la durée du manquement ainsi que les avantages tirés de ce manquement et les manquements commis précédemment.
« Lorsque la personne dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne permettant d’avoir accès à des contenus pornographiques a mis en œuvre un système de vérification de l’âge qui n’est pas conforme au référentiel de l’article 10 de la présente loi, la sanction ainsi prononcée ne peut excéder 75 000 euros ou 1 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes réalisé au cours de l’exercice précédent, le plus élevé des deux montants étant retenu. Ce maximum est porté à 150 000 euros ou 2 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes en cas de réitération du manquement dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.
« Lorsque la personne dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne permettant d’avoir accès à des contenus pornographiques n’a mis en œuvre aucun système de vérification de l’âge ou s’est contentée d’une déclaration de majorité, la sanction ainsi prononcée ne peut excéder 250 000 euros ou 4 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes réalisé au cours de l’exercice précédent, le plus élevé des deux montants étant retenu. Ce maximum est porté à 500 000 euros ou 6 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes en cas de réitération du manquement dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.
« Les sanctions pécuniaires sont recouvrées comme les créances de l’État étrangères à l’impôt et au domaine.
« II bis (nouveau). – Sans préjudice de l’engagement de la procédure prévue au II, lorsque l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique constate que l’absence de mise en conformité à la mise en demeure mentionnée au I par la personne dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne concernée permet à des mineurs d’avoir accès à des contenus pornographiques en violation de l’article 227-24 du code pénal, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut notifier aux fournisseurs de services d’accès à internet, par tout moyen propre à en établir la date de réception, les adresses électroniques des services de communication au public en ligne ayant fait l’objet de la procédure décrite au I du présent article, ainsi que celles des services qui reprennent le même contenu, en totalité ou de manière substantielle et qui présentent les mêmes modalités d’accès. Ces personnes doivent alors empêcher l’accès à ces adresses dans un délai de quarante-huit heures. Toutefois, en l’absence de mise à disposition par la personne éditant le service de communication au public en ligne des informations mentionnées à l’article 1-1 de la présente loi, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut procéder à la notification prévue au présent II bis sans avoir mis en œuvre la procédure prévue au I.
« Les utilisateurs des services de communication au public en ligne auxquels l’accès est empêché sont dirigés vers une page d’information de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique indiquant les motifs de la mesure de blocage.
« L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut également notifier les adresses électroniques de ces services de communication au public en ligne ainsi que celles des services qui reprennent le même contenu, en totalité ou de manière substantielle et qui présentent les mêmes modalités d’accès, aux moteurs de recherche ou aux annuaires, lesquels disposent d’un délai de cinq jours afin de faire cesser le référencement du service de communication au public en ligne.
« Une copie des notifications adressées aux fournisseurs de services d’accès à internet et aux moteurs de recherche ou aux annuaires est adressée simultanément à la personne dont l’activité est d’éditer le service de communication au public en ligne concernée.
« Les mesures prévues au présent II bis sont prononcées pour une durée maximale de vingt-quatre mois. Leur nécessité est réévaluée, d’office ou sur demande, au minimum tous les douze mois. Lorsque les faits mentionnés au premier alinéa du I ne sont plus constitués, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique avise sans délai les destinataires des notifications prévues au présent II bis de la levée de ces mesures.
« L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique rend public chaque année un rapport d’activité sur les conditions d’exercice et les résultats de son activité, qui précise notamment le nombre de décisions d’injonction et les suites qui y ont été données, ainsi que le nombre d’adresses électroniques qui ont fait l’objet d’une mesure de blocage d’accès ou de déréférencement. Ce rapport est remis au Gouvernement et au Parlement.
« III. – Sans préjudice des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative, les personnes mentionnées aux I et II bis du présent article peuvent demander au président du tribunal administratif ou au magistrat délégué par celui-ci l’annulation des mesures mentionnées aux mêmes I et II bis dans un délai de cinq jours à compter de leur réception.
« Il est statué sur la légalité de la notification dans un délai d’un mois à compter de la saisine. L’audience est publique.
« Les jugements rendus en application des premier et deuxième alinéas du présent III sont susceptibles d’appel dans un délai de dix jours à compter de leur notification. Dans ce cas, la juridiction d’appel statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine.
« IV. – Pour tout manquement aux obligations définies au II bis du présent article, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut, dans les conditions prévues à l’article 42-7 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, prononcer une sanction pécuniaire.
« Toutefois, aucune sanction ne peut être prononcée lorsqu’en raison de motifs de force majeure ou d’impossibilité de fait qui ne lui sont pas imputables, la personne concernée est placée dans l’impossibilité de respecter l’obligation qui lui a été faite, ou lorsque la procédure prévue au III du présent article a été engagée, tant qu’elle n’a pas fait l’objet d’une décision devenue définitive.
« Le montant de la sanction prend en compte la nature, la gravité et la durée du manquement ainsi que les avantages tirés de ce manquement et les manquements commis précédemment.
« Pour les manquements aux obligations prévues au II bis, le montant de la sanction ne peut excéder la somme de 75 000 euros ou une somme équivalente à 1 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes, le plus élevé des deux montants étant retenu. Ce maximum est porté à 150 000 euros ou 2 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes en cas de réitération du manquement dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.
« Les sanctions pécuniaires sont recouvrées comme les créances de l’État étrangères à l’impôt et au domaine.
« V. – Les agents de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peuvent, s’ils ont été spécialement habilités à cet effet par l’autorité et assermentés dans les conditions prévues au 2° du I de l’article 19 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée, constater par procès-verbal qu’un service de communication au public en ligne mettant à la disposition du public des contenus pornographiques ne met pas en œuvre un système de vérification de l’âge conforme aux caractéristiques techniques du référentiel mentionné à l’article 10 de la présente loi ou permet à des mineurs d’avoir accès à un contenu pornographique.
« VI. – Les conditions d’application du présent article sont précisées par décret en Conseil d’État. »
II (nouveau). – L’article 23 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales est abrogé.
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, sur l’article.
Mme Annick Billon. En septembre dernier, nous avons rendu publiques les vingt-trois recommandations du rapport d’information Porno : l’enfer du décor. Nous les avons présentées à plusieurs membres du Gouvernement, notamment à vous, monsieur le ministre.
Les travaux du Sénat ont permis d’éveiller la conscience collective sur la pornographie. Nous proposons de nouvelles mesures pour protéger les victimes de cette industrie, majoritairement des mineurs et des femmes. Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, d’avoir intégré une dizaine de nos recommandations dans le présent projet de loi.
Les chiffres sont connus : un tiers des moins de 13 ans et deux tiers des moins de 15 ans ont déjà eu accès à des images pornographiques. Nous venons de voter l’obligation faite à l’Arcom de publier des lignes directrices pour rendre effectif le contrôle de l’âge des utilisateurs de ces sites. Cet article 2 vise à confier à cette autorité de régulation, qui est déjà compétente sur la lutte contre la haine en ligne, un pouvoir de sanction en la matière.
Pour ce qui concerne la pornographie, l’Arcom a pour l’instant obligation de saisir le tribunal judiciaire de Paris. Or les délais judiciaires sont longs et les sites pornographiques trop nombreux pour que cette méthode soit viable et efficace.
Pour reprendre l’image de M. Gordon Choisel, président de l’association Ennocence, que la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu, il s’agit de mettre en demeure le dealer du coin de la rue d’arrêter de dealer, faute de quoi on appellera la police…
Le Sénat attendait cette refonte de la procédure afin que la loi soit enfin respectée. Je regrette cependant la faiblesse des sanctions administratives : des amendes plus lourdes auraient eu un effet dissuasif.
En résumé, nous devons toucher au porte-monnaie pour rendre la vie impossible à ceux qui ne respectent pas la loi, à cette industrie qui se développe massivement depuis une vingtaine d’années et qui est aux mains d’experts non pas du sexe, mais de la finance.
M. le président. L’amendement n° 82, présenté par Mme Cohen, M. Ouzoulias, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3, première et deuxième phrases, alinéa 4, alinéa 6, première phrase, alinéa 9, première et dernière phrases, alinéas 11 et 18
Remplacer le mot :
peut
par le mot :
doit
II. – Alinéa 23
Remplacer le mot :
peuvent
par le mot :
doivent
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. C’est simple : nous voulons que la sanction soit automatique, et non pas seulement possible, lorsque la loi n’est pas respectée… C’est indispensable compte tenu de tout ce qui a été dit précédemment de l’industrie pornographique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Lorsque l’on confère à une autorité administrative indépendante un pouvoir de mise en demeure et de sanction, il faut lui laisser la liberté de décider de l’engagement de cette procédure. La rédaction retenue dans le texte est habituelle : avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 41, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3, première phrase
Remplacer les mots :
mettre en demeure
par les mots :
saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’ordonner, selon la procédure accélérée au fond, que
et les mots :
de se conformer
par les mots :
se conforme
II. – Alinéa 4
Remplacer le mot :
prononcer
par les mots :
saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’ordonner, selon la procédure accélérée au fond,
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Notre amendement vise à rétablir le contrôle du juge avant chaque injonction ou sanction de l’Arcom.
La protection des enfants est fondamentale, mais le pouvoir de prononcer des injonctions et des sanctions doit s’exercer dans le respect de l’État de droit : ce pouvoir doit être encadré afin d’éviter toute dérive, instrumentalisation ou censure.
Le droit en vigueur prévoit la possibilité d’une censure judiciaire, c’est-à-dire un contrôle du juge avant toute opération de blocage. Nous souhaitons revenir sur la censure purement administrative prévue par cet article. N’ouvrons pas cette boîte de Pandore par les temps qui courent.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. La commission spéciale s’est prononcée en faveur du changement de méthode que le Gouvernement a proposé et qui correspond à la recommandation n° 12 du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes : « Confier à l’Arcom la possibilité de prononcer des sanctions administratives, aux montants dissuasifs, à l’encontre des sites pornographiques accessibles aux mineurs. »
C’est ce qui a été fait pour l’Autorité nationale des jeux (ANJ) : la procédure judiciaire de blocage a été transformée en procédure administrative par la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France. L’ANJ a constaté une accélération des délais et un plus grand nombre de sites bloqués.
J’espère qu’il en sera de même pour l’Arcom, car nous devons absolument réussir à empêcher nos jeunes d’accéder si facilement aux sites pornographiques.
La commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 131, présenté par M. L. Hervé, au nom de la commission spéciale, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
mettant à la disposition du public
par les mots :
permettant d’avoir accès à
et les mots :
de ce délai
par les mots :
du délai de quinze jours mentionné au second alinéa du I
La parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 63 rectifié bis, présenté par M. Fialaire, Mme N. Delattre, MM. Bilhac, Corbisez, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier, Roux et Cabanel, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 6
1° Première phrase
Supprimer les mots :
75 000 euros ou
et les mots :
, le plus élevé des deux montants étant retenu
2° Seconde phrase
Supprimer les mots :
150 000 euros ou
II. – Alinéa 7
1° Première phrase
Supprimer les mots :
250 000 euros ou
et les mots :
, le plus élevé des deux montants étant retenu
2° Seconde phrase
Supprimer les mots :
500 000 euros ou
III. – Alinéa 21
1° Première phrase
Supprimer les mots :
la somme de 75 000 euros ou
et les mots :
, le plus élevé des deux montants étant retenu
2° Seconde phrase
Supprimer les mots :
à 150 000 euros ou
La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Notre amendement vise à durcir les sanctions pécuniaires prévues par le présent article. Il s’agit des sanctions qui seraient appliquées par l’Arcom aux éditeurs de services de communication au public en ligne permettant d’avoir accès à des contenus pornographiques qui ne mettraient pas en œuvre de système de vérification de l’âge ou dont ledit système serait non conforme au référentiel.
Les sanctions prévues en pourcentage du chiffre d’affaires annuel mondial – 1 %, 2 %, 4 % ou 6 % –, lorsque le système de vérification de l’âge est non conforme ou absent, ou en cas de récidive, semblent proportionnées. En revanche, les montants des amendes, de 75 000 euros à 500 000 euros, semblent insuffisants : certaines plateformes peuvent en effet être tentées de continuer de diffuser leurs contenus en intégrant ces montants à leur budget.
Nous nous étonnons aussi que la mention « le plus élevé des deux montants étant retenu » n’ait pas été prévue en cas de récidive de l’éditeur.
Cette approximation jette un flou sur notre volonté de lutter contre l’accès des mineurs aux sites pornographiques ; cet amendement vise à le lever.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Il semble nécessaire de conserver un plancher exprimé en euros.
C’est bien le montant le plus élevé qui est retenu dans tous les cas : ainsi, un site générant plus de 7,5 millions d’euros serait passible d’une amende supérieure à 75 000 euros s’il met en place un système non conforme au référentiel de l’Arcom.
En revanche, un site affichant un faible chiffre d’affaires encourrait tout de même une amende de 75 000 euros.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Je partage l’avis du rapporteur : le plus élevé des deux montants étant retenu, il n’est pas nécessaire de supprimer les plafonds monétaires – au contraire !
M. le président. Monsieur Fialaire, l’amendement n° 63 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Bernard Fialaire. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 63 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 66 rectifié bis, présenté par M. Fialaire, Mme N. Delattre, MM. Bilhac, Corbisez, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier, Roux et Cabanel, est ainsi libellé :
Alinéas 6, 7 et 21, secondes phrases
Remplacer le mot :
cinq
par le mot :
dix
La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Cet amendement vise à prolonger de cinq à dix ans le délai permettant d’alourdir les amendes à l’encontre de l’éditeur d’un service de communication publique en ligne offrant un accès à des contenus pornographiques, afin de rendre le nouveau dispositif plus coercitif et dissuasif, en prévision d’une récidive éventuelle.
La réitération d’un manquement à la mise en conformité au référentiel du système de vérification de l’âge, ou d’une absence de ce système lui-même, dans un délai de cinq ans à partir de la date à laquelle la première sanction est devenue définitive permet d’alourdir la sanction financière imposée à l’éditeur en infraction. Il nous paraît toutefois plus pertinent d’étendre cette période à dix ans, afin d’amplifier l’effet dissuasif de ce dispositif.
Les sites pornographiques français xvideos.com ou xnxx.com, par exemple, ont enregistré respectivement 3,22 milliards et 2,58 milliards de visites en 2019, dont une part significative provenant de mineurs. Ces deux sites figurent parmi les douze sites internet les plus visités au monde, surpassant même Netflix en termes de fréquentation.
De son côté, le site canadien PornHub affiche un chiffre d’affaires effrayant de 500 millions de dollars.
Il nous appartient donc de limiter autant que possible la diffusion de tels contenus à nos mineurs en frappant économiquement plus fort et plus longtemps, de manière à dissuader ces sites d’intégrer simplement les amendes encourues dans leur budget.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Cet amendement vise à allonger la durée pendant laquelle l’amende peut être aggravée pour réitération.
La durée de cinq ans correspond toutefois à ce qui est prévu dans le code pénal en matière délictuelle. Elle nous est apparue comme proportionnée, raison pour laquelle la commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 46 rectifié quater, présenté par Mmes Noël et Garriaud-Maylam, MM. Gremillet, D. Laurent et Chatillon, Mme Muller-Bronn, MM. Charon, Joyandet et Bouchet et Mmes Thomas, Belrhiti, Pluchet et Berthet, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 9, première phrase
Après le mot :
internet
insérer les mots :
ou aux fournisseurs de systèmes de résolution de nom de domaine définis au II de l’article 12 de la présente loi
II. - Alinéa 12
Après le mot :
internet
insérer les mots :
, aux fournisseurs de systèmes de résolution de nom de domaine
La parole est à Mme Sylviane Noël.
Mme Sylviane Noël. Le présent amendement vise à élargir la liste des acteurs susceptibles de contribuer à la lutte contre les sites pornographiques en y incluant, aux côtés des fournisseurs de services d’accès à internet, toutes les personnes pouvant prendre des mesures utiles sur demande de l’autorité administrative compétente afin d’aboutir à une meilleure effectivité du dispositif.
En l’état actuel de la rédaction, les personnes qui fournissent des navigateurs internet, au sens de l’article 2 du règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique, ne sont pas incluses dans le dispositif. Il en va de même des systèmes d’exploitation mentionnés à l’article 32 du code des postes et des communications électroniques.
Le présent amendement tend par conséquent à inclure dans le champ de l’article, en sus des fournisseurs de services d’accès à internet, les navigateurs et systèmes d’exploitation qui font de la résolution de nom de domaine (DNS).
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Cet amendement vise à élargir le champ des demandes de blocage et à étendre la possibilité pour l’Arcom de recourir à une telle mesure.
Nous sommes tout à fait favorables à cette excellente proposition.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Madame la sénatrice, cet amendement et le suivant relèvent du même esprit que d’autres amendements que nous retrouvons à différents articles, notamment à l’article 4 et à l’article 6.
Cet amendement vise en particulier à inclure les fournisseurs de résolution de DNS parmi les acteurs concernés. C’est une avancée notable qui nous aidera à préciser la mise en œuvre des dispositifs.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement, qui tend à intégrer à la fois les résolveurs DNS et les fournisseurs d’accès à internet.
L’avis sera similaire concernant les amendements à venir sur les articles 4 et 6, car il s’agit de conserver les deux simultanément. Nous respectons votre approche légitime et admirable visant à clarifier et à préciser progressivement le droit en matière de blocage par le biais de ces systèmes.
M. le président. L’amendement n° 47 rectifié ter, présenté par Mmes Noël et Garriaud-Maylam, MM. Gremillet, D. Laurent et Chatillon, Mme Muller-Bronn, MM. Charon, Joyandet et Bouchet et Mmes Thomas, Belrhiti, Del Fabro, Pluchet et Berthet, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 9, deuxième phrase
Remplacer les mots :
quarante-huit heures
par les mots :
, fixé par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, qui ne peut être inférieur à deux jours ouvrés
II. – Alinéa 11
Remplacer les mots :
cinq jours
par les mots :
, fixé par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, qui ne peut être inférieur à deux jours ouvrés
La parole est à Mme Sylviane Noël.
Mme Sylviane Noël. Cet amendement tend à uniformiser les délais prévus aux différents articles du présent projet de loi visant à empêcher l’accès à des contenus illicites ou dans les projets de loi en cours – en particulier le projet de loi de programmation militaire – en les fixant à deux jours ouvrés minimum, au choix de l’Arcom.
Le délai laissé aux moteurs de recherche et annuaires pour le déréférencement des services s’alignerait ainsi sur celui des autres acteurs.
Ce délai minimum de deux jours ouvrés se justifie également par la nécessité d’organiser la mobilisation des agents habilités à effectuer ces blocages chez les acteurs concernés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. L’amendement n° 47 rectifié ter, qui reprend les demandes des opérateurs télécoms, vise à laisser à l’Arcom le soin de fixer le délai d’exécution des mesures de blocage et de déréférencement, en imposant un délai minimal de deux jours ouvrés et, ainsi, à aligner le sort des moteurs de recherche sur celui des fournisseurs d’accès à internet.
Le délai de quarante-huit heures semble suffisamment clair : les fournisseurs d’accès ont des services spécialisés pour traiter ce genre de demande et l’Arcom ne nous a signalé aucune difficulté en la matière.
Pour ces raisons, la commission spéciale est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Le Gouvernement partage l’avis de la commission spéciale : avis défavorable.
M. le président. L’amendement n° 121 rectifié, présenté par Mmes Morin-Desailly, Billon, Borchio Fontimp et M. Mercier, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 6-7 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, il est inséré un article 6-… ainsi rédigé :
« Art. 6 - …. - I. – Les boutiques d’applications logicielles vérifient l’âge de leurs utilisateurs.
« Les boutiques d’applications logicielles, pour satisfaire à l’obligation mentionnée au premier alinéa du présent I, utilisent des systèmes de vérification de l’âge dont les caractéristiques techniques sont conformes à un référentiel élaboré par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
« II. – Le fait pour une boutique d’applications logicielles de ne pas satisfaire à l’obligation prévue au I est puni d’une amende ne pouvant excéder 1 % de son chiffre d’affaires mondial pour l’exercice précédent. »
La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, je me propose de présenter également l’amendement n° 111 rectifié bis.
M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 111 rectifié bis, présenté par Mmes Morin-Desailly, Billon, Borchio Fontimp et M. Mercier, M. Levi, Mme Noël, MM. Laugier, Duffourg, Le Nay et Kern, Mme Guidez, MM. Canévet et Détraigne et Mmes Jacquemet, Férat et Herzog, et ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 6-7 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, il est inséré un article 6-… ainsi rédigé :
« Art. 6-…. – I. – En cas d’inexécution de la mise en demeure prévue au II de l’article 6-7, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut demander aux boutiques d’applications logicielles d’empêcher le téléchargement de l’application logicielle en cause. Elles disposent d’un délai de quarante-huit heures pour satisfaire cette demande.
« II. – En cas d’inexécution de la mise en demeure prévue au I de l’article 10-1 et dans l’hypothèse où l’éditeur du service de communication au public en ligne concerné donne accès aux contenus pornographiques au moyen d’une application logicielle ou édite des applications qui reprennent ces contenus, en totalité ou de manière substantielle et selon les mêmes modalités d’accès, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut demander aux boutiques d’applications logicielles d’empêcher le téléchargement des applications logicielles en cause. Elles disposent d’un délai de quarante-huit heures pour satisfaire cette demande.
« III.- Les mesures prévues aux I et II du présent article sont demandées pour une durée maximale de vingt-quatre mois. Leur nécessité est réévaluée, d’office ou sur demande, au minimum tous les douze mois. Lorsque les faits justifiant les demandes prévues aux I et II ne sont plus constitués, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique avise sans délai les destinataires de celles-ci de la levée des mesures.
« IV. – Le fait pour une boutique d’applications logicielles de ne pas satisfaire aux obligations prévues aux I à III du présent article est puni d’une amende ne pouvant excéder 1 % de son chiffre d’affaires mondial pour l’exercice précédent.
« V. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, détermine les modalités d’application du présent article. »
Veuillez poursuivre, chère collègue.
Mme Catherine Morin-Desailly. Ces amendements s’inscrivent dans la continuité des débats engagés lors de l’examen de la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne. Ils concernent tous deux le contrôle de l’âge.
L’amendement n° 121 rectifié est assez fort : il tend à imposer aux boutiques d’applications logicielles la vérification de l’âge de leurs utilisateurs en fonction d’un référentiel conçu par l’Arcom, et ainsi à sensibiliser des acteurs essentiels de l’accès à internet.
L’amendement n° 111 rectifié bis vise à responsabiliser davantage les gestionnaires de boutiques d’applications, tels que l’Apple Store et Google Play, qui sont des intermédiaires indispensables et dont le rôle dans la lutte contre la diffusion de contenus illicites et d’applications problématiques demeure sous-estimé.
Cet amendement, que je défends avec plusieurs collègues, notamment Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp et Marie Mercier, vise à autoriser l’Arcom à demander aux gestionnaires des boutiques d’applications d’empêcher le téléchargement d’une application diffusant des contenus à caractère pornographique, mais aussi de réseaux sociaux en ligne, ne respectant pas les obligations légales de vérification d’âge en vigueur.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. En ce qui concerne l’amendement n° 121 rectifié, il me semble vertueux de prévoir des vérifications d’âge au plus près de l’utilisateur à chaque fois que cela est possible et, éventuellement, de cumuler les dispositifs.
En l’espèce, pour autant, il me semble qu’il manque une partie de la procédure, car il n’est pas indiqué quelle suite serait donnée à cette vérification. Reviendrait-il au magasin d’empêcher le téléchargement d’applications qui seraient interdites aux moins de 18 ans ou de 15 ans ? Selon quels critères ?
À l’inverse, les éditeurs des applications subissant des restrictions liées à l’âge pourraient-ils interroger les magasins d’application pour vérifier l’âge de l’utilisateur ? Pouvons-nous adopter cet amendement comme une première étape vers un système plus complet ?
Je préfère interroger le Gouvernement à ce sujet.
Pour ce qui est de l’amendement n° 111 rectifié bis, l’objectif de ses auteurs est de bloquer à la source les applications de sites qui ne respectent pas leurs obligations de vérification d’âge.
Ce dispositif serait mis en œuvre sous le contrôle de l’Arcom, après mise en demeure des éditeurs concernés.
Il s’agit d’un complément bienvenu à l’article 2 du projet de loi comme à la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, laquelle devrait être prochainement promulguée par le Président de la République.
La commission spéciale est donc favorable à ce dernier amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Je vous remercie pour ces deux amendements, madame Morin-Desailly, qui nous permettent d’avancer dans la réflexion sur la vérification de l’âge.
Je suggère que vous retiriez l’amendement n° 121 rectifié en faveur de l’amendement n° 111 rectifié bis.
La question de la vérification de l’âge se pose de manière prégnante aujourd’hui, notamment en ce qui concerne l’exposition des enfants à des contenus pornographiques, mais aussi pour l’accès à d’autres services, y compris les réseaux sociaux.
Le Sénat a récemment adopté une proposition de loi obligeant les réseaux sociaux à vérifier l’âge de leurs utilisateurs et à recueillir le consentement parental pour ceux d’entre eux qui sont âgés de moins de 15 ans.
Pour les sites pornographiques, il s’agit d’imposer l’installation obligatoire d’un vérificateur d’âge à l’entrée ; la même mesure est envisagée pour les réseaux sociaux.
Néanmoins, comme l’a souligné le rapporteur, nous devons également prendre en compte les boutiques d’applications, qui sont le vecteur par lequel nos enfants accèdent à un certain nombre de ces applications, qu’ils peuvent télécharger et installer sur leurs téléphones.
L’amendement n° 121 rectifié vise à imposer aux boutiques d’applications de vérifier l’âge de l’utilisateur, indépendamment de l’application que celui-ci souhaite télécharger. C’est une approche plus large que celle que vous aviez proposée lors de l’examen de la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne.
Il s’agit donc, tout d’abord, d’une vérification de l’âge qui englobe aussi le téléchargement d’applications non soumises à des restrictions d’âge, qui peuvent être consultées aussi bien par les adultes que par les enfants.
Ensuite, je vous confirme que je vais signer ce soir le décret d’application de la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet, portée par Bruno Studer, qui s’appliquera donc dans les mois à venir.
La France deviendra ainsi le premier pays au monde à généraliser ce contrôle parental, ce qui, dans une certaine mesure, devrait permettre d’atteindre l’objectif visé au travers de cet amendement, car des paramètres sur les téléphones permettront de limiter l’accès des mineurs en fonction de leur âge.
Enfin, nous souhaitons tenir les éditeurs d’applications comme responsables de cette vérification d’âge, plutôt que de la déléguer aux seules boutiques d’applications. Si, actuellement, deux acteurs majeurs se partagent confortablement ce marché, le règlement sur les marchés numériques, ou DMA, qui entrera en vigueur prochainement, instaurera une concurrence entre les boutiques d’applications.
De nouveaux acteurs, y compris français et européens, entreront donc sur le marché. Nous ne souhaitons pas les lester dès le départ d’une obligation supplémentaire, alors que cette responsabilité pourrait être attribuée aux éditeurs.
En revanche, l’amendement n° 111 rectifié bis présente un avantage significatif : il vise à instaurer la même obligation que celle que l’on impose aux sites pornographiques – vérifier l’âge sous peine de blocage ou de déréférencement –, mais aussi, depuis la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, aux réseaux sociaux.
Si cet amendement est adopté, c’est par le biais des boutiques d’applications que les réseaux sociaux comme les sites diffusant des contenus pornographiques pourront être déréférencés s’ils ne mettent pas en place la vérification de l’âge.
Ainsi, cet amendement tend à renforcer considérablement le dispositif des articles 1er et 2 du présent projet de loi, mais également celui de la proposition de loi sur la majorité numérique, que le Sénat a adoptée voilà peu.
M. le président. Madame Catherine Morin-Desailly, l’amendement n° 121 rectifié est-il maintenu ?
Mme Catherine Morin-Desailly. Cet échange était utile.
Mon premier amendement visait surtout à appeler notre attention sur l’importance du contrôle par les parents, ou au moins de la mise en place d’une vérification permettant de garantir qu’un mineur ne puisse avoir accès à tout type de contenu. Dans ce processus, les boutiques d’applications ont une responsabilité.
Pour autant, monsieur le ministre, vous m’avez convaincue, notamment en rappelant l’existence de la loi Studer et de l’instauration du contrôle parental. Ce dispositif permettra, en effet, de superviser l’accès à certains contenus.
De plus, je me satisfais de l’avis favorable que vous émettez sur l’amendement n° 111 rectifié bis, qui découle de nos discussions lors des débats sur la loi visant à instaurer une majorité numérique et qui trouve ici sa pleine justification.
Je retire donc l’amendement n° 121 rectifié au profit de l’amendement n° 111 rectifié bis.
M. le président. L’amendement n° 121 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 111 rectifié bis.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 2.
Section 2
Pénalisation du défaut d’exécution en vingt-quatre heures d’une demande de l’autorité administrative de retrait de contenu pédopornographique
Article 3
La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifiée :
1° L’article 6-2 est ainsi rédigé :
« Art. 6-2. – I. – Si un fournisseur de services d’hébergement n’a jamais fait l’objet d’une demande en application de l’article 6-1 en vue de retirer une image ou représentation de mineurs présentant un caractère pornographique relevant de l’article 227-23 du code pénal, l’autorité administrative mentionnée à l’article 6-1 de la présente loi communique à ladite personne des informations sur les procédures et les délais applicables, au moins douze heures avant d’émettre la demande de retrait.
« II. – Si la personne mentionnée au I du présent article ne peut se conformer à une demande de retrait pour des motifs tenant à la force majeure ou à une impossibilité de fait qui ne lui sont pas imputables, y compris pour des raisons techniques ou opérationnelles objectivement justifiables, elle informe de ces motifs, sans retard indu, l’autorité administrative qui a émis la demande de retrait.
« Le délai indiqué au deuxième alinéa de l’article 6-1 commence à courir dès que les motifs mentionnés au premier alinéa du présent II ont cessé d’exister.
« Si la personne mentionnée au I ne peut se conformer à une demande de retrait, au motif que cette dernière contient des erreurs manifestes ou ne contient pas suffisamment d’informations pour en permettre l’exécution, elle informe de ces motifs, sans retard indu, l’autorité administrative qui a émis la demande de retrait, et demande les éclaircissements nécessaires.
« Le délai indiqué au deuxième alinéa de l’article 6-1 commence à courir dès que le fournisseur de services d’hébergement a reçu les éclaircissements nécessaires.
« III. – Lorsqu’un fournisseur de services d’hébergement retire une image ou représentation de mineurs présentant un caractère pornographique relevant de l’article 227-23 du code pénal, il en informe, dans les meilleurs délais, le fournisseur de contenus en précisant les motifs qui ont conduit au retrait de l’image ou de la représentation et des droits dont il dispose pour contester la demande de retrait devant la juridiction administrative compétente. Il lui transmet en outre une copie de la demande de retrait. » ;
2° Après le même article 6-2, sont insérés des articles 6-2-1 et 6-2-2 ainsi rédigés :
« Art. 6-2-1. – I. – Le fait, pour les fournisseurs de services d’hébergement, de ne pas retirer les images ou les représentations de mineurs présentant un caractère pornographique relevant de l’article 227-23 du code pénal dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la réception de la demande de retrait prévue à l’article 6-1 de la présente loi, est puni d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende.
« Lorsque l’infraction définie au premier alinéa du présent article est commise de manière habituelle par une personne morale, le montant de l’amende peut être porté à 4 % de son chiffre d’affaires mondial hors taxes de l’exercice précédent.
« II. – Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues à l’article 121-2 du code pénal, des infractions définies au I du présent article encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues à l’article 131-38 du code pénal, les peines prévues aux 2° et 9° de l’article 131-39 du même code. L’interdiction prévue au 2° du même article 131-39 est prononcée pour une durée de cinq ans au plus et porte sur l’activité professionnelle dans l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise.
« Art. 6-2-2. – I. – Sans préjudice des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative, les fournisseurs de services d’hébergement et les fournisseurs de contenus concernés par une demande en application de l’article 6-1 de la présente loi en vue de retirer une image ou représentation de mineurs présentant un caractère pornographique relevant de l’article 227-23 du code pénal ainsi que la personnalité qualifiée mentionnée à l’article 6-1 de la présente loi peuvent demander au président du tribunal administratif ou au magistrat délégué par celui-ci l’annulation de cette demande, dans un délai de quarante-huit heures à compter, soit, de sa réception, soit, s’agissant du fournisseur de contenus, du moment où il est informé par le fournisseur de services d’hébergement du retrait du contenu.
« II. – Il est statué sur la légalité de l’injonction de retrait dans un délai de soixante-douze heures à compter de la saisine. L’audience est publique.
« III. – Les jugements rendus sur la légalité de la décision en application du I sont susceptibles d’appel dans un délai de dix jours à compter de leur notification. Dans ce cas, la juridiction d’appel statue dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.
« IV. – Les modalités d’application du présent article sont précisées par décret en Conseil d’État. »
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission spéciale, sur l’article.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission spéciale. Dans le cadre de ses travaux, la commission spéciale, que j’ai l’honneur de présider, a entendu les représentants de la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos), ainsi que ceux d’Europol.
Pharos effectue un travail remarquable de traitement des signalements de contenus illicites. Actuellement, ses prérogatives les plus larges concernent deux domaines spécifiques : la lutte contre la pédopornographie et les contenus à caractère terroriste.
Elle a le pouvoir de demander le retrait de tels contenus aux hébergeurs et, à défaut, d’imposer un blocage ou un déréférencement aux fournisseurs d’accès à internet et aux moteurs de recherche.
Ce mécanisme fonctionne bien. Il connaîtra probablement une évolution avec l’entrée en vigueur du règlement sur les services numériques (RSN), puisque Pharos devra fournir les informations permettant aux hébergeurs de justifier le retrait d’un contenu auprès de son fournisseur.
Dans le cadre de leurs travaux, certains membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes se sont interrogés sur la possibilité d’élargir les compétences de Pharos à d’autres types d’infractions, tels que les actes de torture, de barbarie, de viol ou d’inceste. Ces suggestions ont été notamment formulées par Mme Laurence Rossignol.
Nous convenons tous que ces contenus représentent des infractions graves, qui n’ont pas leur place sur internet. Cependant, nous nous interrogeons quant à la manière de les intégrer dans le champ des injonctions administratives de Pharos.
Nous avons souhaité interroger ses responsables à ce sujet. Ils nous ont indiqué qu’une telle évolution emporterait un changement radical du cadre de fonctionnement de Pharos et nécessiterait des moyens considérables.
Monsieur le ministre, prenez-vous en compte ces considérations, notamment dans la perspective du projet de loi de finances, à l’occasion duquel le rôle et la mission de Pharos pourraient être redéfinis ?
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, sur l’article.
Mme Annick Billon. Je souhaite appeler l’attention sur la question du revenge porn, une réalité tragiquement mise en exergue dans notre rapport d’information intitulé Porno : l’enfer du décor. Cette pratique consiste à rendre accessible en ligne, à l’insu des personnes concernées – qui sont très majoritairement des femmes – des contenus à caractère sexuel.
La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a introduit l’article 226-2-1 dans le code pénal, sanctionnant sévèrement les auteurs de tels actes.
De surcroît, la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique prévoit le retrait rapide de ces contenus illicites.
Pourtant, les témoignages glaçants que nous avons recueillis, et que nous continuons de recevoir, révèlent une méconnaissance alarmante de ces dispositions protectrices. Les victimes ne sont pas suffisamment écoutées, entendues, orientées et conseillées, et ne sont donc pas conscientes de l’existence d’une telle procédure.
Je souhaite souligner avec force cet aspect, qui me paraît essentiel : à quoi bon voter des lois si leur méconnaissance les rend inutiles ?
Dès lors, je m’adresse à vous, monsieur le ministre, pour solliciter la mise en place d’actions réelles, rapides et concrètes. Chacune et chacun doit connaître l’existence de ce régime protecteur et doit être en mesure d’y recourir en toute connaissance de cause.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.
Mme Laurence Cohen. Nous voterons cet article 3, qui impose une sanction pénale à l’encontre des hébergeurs ne satisfaisant pas à la demande de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC) de procéder au retrait sous vingt-quatre heures d’un contenu en ligne présentant un caractère pédopornographique relevant de l’article 227-23 du code pénal.
Nous avions déposé un amendement, qui a malheureusement été jugé irrecevable au titre de l’article 40. Notre objectif était de renforcer les pouvoirs de police administrative de Pharos dans la lutte contre les contenus choquants et dangereux sur internet, ce qui rejoint les propos tenus par la présidente Catherine Morin-Desailly.
Nous entendions ainsi introduire de nouveaux critères tels que la représentation d’actes de torture et de barbarie, ainsi que de viols. Ces actes représentent des formes extrêmes de violence et de violation des droits humains ; leur diffusion sur internet peut avoir des conséquences graves sur les individus qui y sont exposés.
En renforçant les pouvoirs de police administrative de Pharos, nous entendions renforcer également notre capacité à prévenir et à endiguer la propagation de contenus choquants et dangereux en ligne. Pharos joue un rôle central dans la collecte et dans l’analyse des signalements concernant ces contenus. En lui conférant des pouvoirs accrus, nous aurions amélioré notre capacité à agir rapidement et efficacement pour les supprimer et enquêter sur leur origine.
Les auditions menées dans le cadre du rapport d’information Porno : l’enfer du décor de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes nous ont démontré les lacunes et les limites actuelles du système. La lutte contre ces contenus ne relève pas uniquement de la responsabilité des utilisateurs individuels ; elle nécessite également une action coordonnée des autorités compétentes.
En raison des contraintes imposées aux parlementaires par la Constitution, nous n’avons pu formaliser ces propositions au travers d’un amendement, ce qui explique cette intervention.
M. le président. L’amendement n° 132, présenté par M. L. Hervé, au nom de la commission spéciale, est ainsi libellé :
I.− Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
… L’article 6-2 devient l’article 6-5 ;
II.− Alinéa 2
Remplacer le mot :
rédigé
par le mot :
rétabli
La parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.
M. le président. L’amendement n° 79, présenté par Mme Cohen, M. Ouzoulias, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 3, au début
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Tout contenu à caractère sexuellement explicite doit être retiré ou bloqué à la demande de la personne filmée, immédiatement et gratuitement, sans avoir à attendre une collaboration des plateformes.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Nous reprenons ici la recommandation n° 10 du rapport Porno : l’enfer du décor, qui vise à exiger le retrait ou le blocage immédiat et gratuit de tout contenu à caractère sexuellement explicite, à la demande de la personne filmée.
Cette question est primordiale : lors des auditions effectuées par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes et au travers du travail des associations de soutien aux victimes, nous avons constaté que les femmes ayant participé à des contenus pornographiques et demandant leur retrait n’obtenaient pas souvent satisfaction.
Cela devient un véritable combat, de surcroît coûteux. Nous demandons donc, aux côtés des victimes elles-mêmes, que ces retraits se fassent aussi rapidement que possible et sans frais.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Cet amendement ne me semble pas se trouver à la bonne place, puisque l’article 3 concerne les pouvoirs de Pharos par rapport aux contenus pédopornographiques.
Il me semble par ailleurs que, en raison de son caractère général, l’adoption de cet amendement viendrait remettre en cause le droit des contrats : une personne rémunérée pour participer à un tournage de film sexuellement explicite pourrait à tout moment exiger le retrait de ce film, quand bien même elle aurait cédé ses droits d’artiste interprète ou ses droits à l’image dans des conditions normales.
Je préfère la rédaction de l’amendement n° 70 rectifié de Mme Billon, qui sera discuté avant l’article 4, et qui me semble plus compatible avec le droit des contrats.
Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Cohen, l’amendement n° 79 est-il maintenu ?
Mme Laurence Cohen. Si l’esprit de l’amendement n° 70 rectifié de Mme Annick Billon est le même, je retire le mien à son profit ; pour autant, monsieur le rapporteur, je suis perplexe quant à votre explication.
Nous pourrions débattre des histoires de contrat dans le domaine en question : nous avons observé que, pour les personnes exploitées et contraintes à tourner des contenus violents, des actes de barbarie, dans des conditions déplorables, le contrat ne représente rien. Il leur est extorqué et on peut tout leur faire subir en son nom.
Je me permets donc d’apporter un bémol à vos propos, mais je retire néanmoins mon amendement en faveur de celui d’Annick Billon : l’essentiel est que cette mesure soit adoptée.
M. le président. L’amendement n° 79 est retiré.
L’amendement n° 126, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Remplacer cet alinéa par cinq alinéas ainsi rédigés :
« III.- Lorsqu’un fournisseur de services d’hébergement retire une image ou représentation de mineurs présentant un caractère pornographique relevant de l’article 227-23 du code pénal, il en informe, dans les meilleurs délais, le fournisseur de contenu en précisant les motifs qui ont conduit au retrait de l’image ou de la représentation, la possibilité de solliciter la transmission d’une copie de l’injonction de retrait et les droits dont il dispose pour contester la demande de retrait devant la juridiction administrative compétente.
« Sur demande du fournisseur de contenus, le fournisseur de services d’hébergement transmet une copie de l’injonction de retrait.
« Les obligations prévues aux deux premiers alinéas ne s’appliquent pas lorsque l’autorité compétente qui a émis la demande de retrait décide qu’il est nécessaire et proportionné de ne pas divulguer d’informations pour ne pas entraver le bon déroulement des actions de prévention, de détection, de recherche et de poursuite des auteurs de l’infraction prévue au même article 227-23.
« En pareil cas, l’autorité compétente informe le fournisseur de services d’hébergement de sa décision en précisant sa durée d’application, aussi longue que nécessaire, mais ne pouvant excéder six semaines à compter de ladite décision, et le fournisseur de services d’hébergement ne divulgue aucune information sur le retrait du contenu au fournisseur de ce dernier.
« Ladite autorité compétente peut prolonger cette période d’une nouvelle période de six semaines, lorsque la non-divulgation continue d’être justifiée. En pareil cas, elle en informe le fournisseur de services d’hébergement. » ;
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Cet amendement vise à permettre de différer l’information de l’éditeur d’un contenu pédopornographique qui a été retiré si Pharos – c’est-à-dire la police et la gendarmerie – estime que cette divulgation risque d’entraver le bon déroulement des actions de prévention, de détection, de recherche et de poursuite des responsables.
Cette possibilité de différer l’information de l’éditeur existe déjà dans d’autres domaines. Nous suggérons de l’appliquer ici, compte tenu de l’objet de l’article 3, afin de confondre plus facilement les auteurs qui diffusent de la pédopornographie.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Il est très favorable.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique.
Dans l’examen du texte de la commission, nous en sommes parvenus aux amendements tendant à insérer un article additionnel après l’article 3.
Après l’article 3
Mme le président. L’amendement n° 89, présenté par Mme M. Vogel, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 9° de l’article 222-24 du code pénal est ainsi rétabli :
« 9° Lorsque des images ou vidéos de la commission du viol sont transmises en temps réel par un moyen de communication électronique à un ou plusieurs commanditaires. »
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Nous reprenons la séance en abordant un sujet difficile, puisque cet amendement de ma collègue Mélanie Vogel vise à créer, dans le code pénal, une nouvelle infraction réprimant le viol retransmis en direct en ligne.
Depuis quelques années, l’on observe en effet une nouvelle pratique choquante, terrible, mais pourtant bien réelle : la retransmission en direct en ligne des images d’un viol à un commanditaire.
Ce phénomène intolérable, également nommé viol en retransmission en direct, viol en live streaming ou viol en ligne, est commis en plusieurs actes : le commanditaire contacte le futur auteur réel des faits, le plus souvent via une plateforme en ligne, afin de lui demander de commettre un viol et de filmer ce crime contre rémunération. Le commanditaire détaille parfois précisément comment il souhaite que le crime se déroule. La victime, quant à elle, est souvent un proche de l’auteur réel des faits.
Une fois ce terrible accord conclu, l’auteur réel des faits et le commanditaire mettent en place une visioconférence ou un appel vidéo durant lequel l’auteur des faits commet le crime, dont les images sont alors retransmises en direct au commanditaire.
Le commanditaire est bel et bien responsable de ce viol, qui n’aurait pas été commis sans son paiement.
On me dira sans doute que cet amendement est satisfait, car le violeur comme le commanditaire d’un viol risquent, dans certains cas – mais pas dans tous, or les détails importent –, jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle.
En effet, si ce viol en ligne est commis sur une mineure de 15 ans, il s’agit d’un fait aggravant qui porte la peine encourue de quinze ans à vingt ans de réclusion criminelle. Mais si ce viol en ligne ne correspond à aucun des cas de figure énumérés à l’article L. 222-24 du code pénal, la peine encourue ne sera que de quinze ans de réclusion criminelle.
Par cet amendement, nous proposons donc de porter à vingt ans de réclusion criminelle la peine encourue pour tous les viols commis en ligne.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Les auteurs de l’amendement entendent mieux lutter contre les viols d’enfants diffusés en temps réel sur internet. Ils visent plus précisément les cas où un commanditaire prend contact par internet avec les familles pour la commission d’un tel crime.
Je ne peux que vous rejoindre sur le fond, mon cher collègue : la commission spéciale ne néglige aucunement la gravité de tels actes. Je relève toutefois que l’amendement est satisfait par le droit en vigueur.
En effet, le code pénal prévoit deux circonstances aggravantes qui permettent de couvrir ce cas d’espèce, puisque la peine de vingt ans est déjà encourue lorsque la victime est un mineur de moins de 15 ans et lorsque la mise en relation entre l’auteur et la victime s’est faite au travers d’un réseau de communications électroniques.
Telles sont les raisons pour lesquelles je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le rapporteur, êtes-vous certain que dans l’article du code pénal que vous citez, l’âge de la victime est une circonstance aggravante, non pas seulement pour l’auteur, mais aussi pour le commanditaire du viol ?
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d’État. En tout état de cause, et bien que nous ne disposions pas d’une jurisprudence en la matière, le commanditaire pourra être poursuivi au titre de sa complicité avec l’auteur des faits réels et passible des mêmes peines. Nous avons donc les moyens de mener une répression efficace.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Comme la procureure de la République l’avait indiqué devant la mission d’information sur l’industrie de la pornographie, les juges ne manquent pas tant d’articles du code pénal pour fonder leurs poursuites que d’enquêteurs pour parvenir à identifier les auteurs et les poursuivre.
Je crois que sur les cent cinquante auteurs de ce type de commandes qui sont identifiés par les services de cybercriminalité, seulement une trentaine sont poursuivis, faute de pouvoir engager toutes les enquêtes.
Nous avons donc d’abord besoin d’enquêteurs.
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Pour vous répondre, madame Rossignol, le 2° de l’article L. 222-24 du code pénal précise que le viol, tel qu’il est défini à l’article L. 222-23 du même code, est puni de vingt ans de réclusion criminelle dès lors qu’il est commis sur un mineur de 15 ans. L’âge de la victime est donc une circonstance aggravante pour l’auteur des faits comme pour le commanditaire.
Mme le président. L’amendement n° 90, présenté par Mme M. Vogel, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, dans les six mois à compter de la promulgation de la loi, un rapport dressant les moyens mis en œuvre pour lutter contre les viols commandités en ligne via des plateformes de retransmission en direct.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. L’amendement n° 89 n’ayant pas été adopté, le présent amendement de repli a pour objet de demander la remise d’un rapport relatif à la répression des viols commandités en ligne et retransmis en direct.
Puisqu’il semble difficile de légiférer sur ce phénomène inquiétant dans le cadre du présent projet de loi, nous souhaitons que le Gouvernement rédige un rapport dressant la liste des moyens mis en œuvre pour lutter contre les viols commandités en ligne via des plateformes de retransmission en direct.
Bien que plusieurs articles de presse abordent ce sujet bien connu des enquêtrices et des enquêteurs de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), qui, au 6 décembre 2021, poursuivaient 300 Français suspectés d’avoir commis un viol en ligne, on nous oppose fréquemment que ce phénomène serait mal connu. Nous demandons donc un rapport pour remédier à cette situation.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Mon cher collègue, vous connaissez la jurisprudence du Sénat sur les demandes de rapport : je demande donc le retrait de cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 90.
(L’amendement n’est pas adopté.)
TITRE II
PROTECTION DES CITOYENS DANS L’ENVIRONNEMENT NUMÉRIQUE
Avant l’article 4
Mme le président. L’amendement n° 71 rectifié, présenté par Mmes Billon, Borchio Fontimp et M. Mercier, est ainsi libellé :
Avant l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 1-2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dans sa rédaction résultant de l’article 22 de la présente loi, il est inséré un article 1-… ainsi rédigé :
« Art. 1-…. - Les personnes dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne mettant à disposition du public des contenus pornographiques affichent, avant tout accès à un contenu simulant la commission d’un crime ou d’un délit mentionné au deuxième alinéa du présent article, un message avertissant l’utilisateur du caractère illégal des comportements ainsi représentés. Ce message est clair, lisible, unique et compréhensible.
« Le premier alinéa est applicable aux infractions prévues par la section 3 du chapitre II et par le paragraphe 2 de la section 5 du chapitre VII du titre II du livre II du code pénal.
« La commission simulée d’un crime ou d’un délit est appréciée en fonction du titre du contenu ainsi que des mots-clés, expressions ou autres entrées renvoyant vers ledit contenu.
« Tout manquement à cette obligation est puni des peines prévues à l’article 1-2 de la présente loi.
« Tout contenu qui ne fait pas l’objet d’un message d’avertissement en violation du présent article est illicite au sens de l’article 3, paragraphe h, du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE. »
La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Les travaux du Sénat ont mis en évidence le caractère systémique et massif des violences perpétrées envers les femmes dans le milieu de la pornographie.
La massification de la pornographie en ligne et l’industrialisation de ce secteur économique ont eu pour conséquence, d’une part, la construction d’un système de domination et de violences faites aux femmes dans l’industrie pornographique et, d’autre part, l’affirmation d’une division sexuée et racialisée des rôles dans les rapports sexuels, emportant un ensemble de stéréotypes misogynes, racistes, lesbophobes et hypersexualisés poussés à l’extrême.
Afin de lutter contre ce phénomène, le présent amendement tend à imposer aux éditeurs de sites pornographiques de faire apparaître un message alertant le consommateur sur le caractère illégal des comportements représentés. Ce message devra s’afficher avant la diffusion de tout contenu comportant la simulation ou la représentation d’un viol, d’une agression sexuelle ou d’une infraction commise contre un mineur, qui sont autant d’infractions lourdement réprimées par le code pénal.
Permettez-moi, pour illustrer tout l’intérêt de cet amendement, de relever l’un des paradoxes auxquels nous sommes confrontés.
Les publicités pour des boissons alcoolisées doivent afficher un message de prévention – « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé » –, mais les vidéos pornographiques qui proposent des infractions pénalement répréhensibles ne présentent aucun message de sensibilisation.
Je précise que le non-respect de cette obligation serait puni d’une amende de 75 000 euros et d’un an d’emprisonnement.
Les contenus porteurs des infractions précitées et qui ne seraient pas précédés d’un message d’avertissement seraient soumis aux obligations prévues par ce texte en matière de notification, de détection et de mise hors d’accès.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Cet amendement tend à compléter l’article 2, qui vise à empêcher l’accès des mineurs aux contenus pornographiques.
La présente proposition s’appliquerait à tout utilisateur, quel que soit son âge, puisque les éditeurs des sites pornographiques auraient l’obligation de diffuser des messages d’avertissement avant de rendre possible la visualisation de contenus violents. Le caractère illégal des pratiques concernées dans la vie réelle serait ainsi rappelé.
À défaut, les contenus deviendraient illicites et pourraient donner lieu aux procédures habituelles de signalement auprès des hébergeurs.
Comme je l’ai indiqué précédemment, la commission spéciale est favorable à cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Si je partage votre intention, madame la sénatrice, j’estime qu’il convient de travailler davantage cette proposition dans le cadre de la navette.
Pour l’heure, je m’en remets à la sagesse du Sénat.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Nous avions déposé un amendement similaire à l’article 1er, mais le rapporteur nous a indiqué qu’il serait plus opportun d’introduire ce dispositif en cet endroit du texte.
Nous soutenons donc le présent amendement. Il importe que celui-ci soit adopté : je rappelle qu’un certain nombre de producteurs et d’acteurs sont actuellement mis en examen pour traite d’êtres humains, viol en réunion et proxénétisme aggravé.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Nous voterons également cet amendement, dont nous connaissons bien la genèse, l’intention et la portée.
Son adoption permettra de poursuivre les éditeurs de certains contenus pornographiques diffusés sur internet qui constituent d’ores et déjà des infractions pénales, mais qui ne sont pas poursuivis à ce titre.
À défaut d’une telle disposition, je ne vois pas par quelle magie les éditeurs pourraient être poursuivis, car c’est l’accès, non pas seulement des mineurs, mais de l’ensemble des usagers des sites pornographiques aux contenus visés qui est en cause.
En permettant d’identifier clairement la nature illicite de ces contenus, nous compliquons la vie des éditeurs de sites pornographiques, ce qui est notre but assumé.
Mme le président. La parole est à Mme Marie Mercier, pour explication de vote.
Mme Marie Mercier. Je soutiendrai moi aussi cet amendement.
Plus largement, je souhaite que le texte que nous sommes en train d’écrire ensemble protège vraiment les enfants, ce dont je doute.
La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, dont le décret d’application n’a été pris que quatorze mois après la promulgation, n’est toujours pas appliquée, sans que l’on sache pourquoi.
Sur ma proposition, le Sénat avait adopté un amendement visant à imposer aux éditeurs de sites pornographiques le contrôle de l’âge des usagers. Or les éditeurs n’ont absolument pas respecté cette obligation.
À la suite de 500 contrôles d’huissier attestant de telles défaillances, l’Arcom a déféré les éditeurs fautifs en justice. Le tribunal a imposé aux parties de rencontrer un médiateur, procédé que l’Arcom a dénoncé.
Dans trois jours, vendredi 7 juillet, le tribunal se prononcera sur la peine encourue par les éditeurs. Nous saurons alors si la justice est capable de faire appliquer la loi.
Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l’article 4.
L’amendement n° 70 rectifié, présenté par Mmes Billon, Borchio Fontimp et M. Mercier, est ainsi libellé :
Avant l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, il est inséré un article 6-1 … ainsi rédigé :
« Art. 6-1 …. - Les fournisseurs de services d’hébergement définis au 2 du I de l’article 6 de la présente loi agissent promptement pour retirer tout contenu pornographique signalé par une personne représentée dans ce contenu comme étant diffusé en violation de l’accord de cession de droits, ou pour rendre l’accès à celui-ci impossible, dès lors que ce signalement est notifié conformément à l’article 16 du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE. »
La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a instauré un « droit à l’oubli » pour les contenus à caractère pornographique diffusés à l’insu des personnes exposées, pratique dénommée revenge porn.
Ce doit à l’oubli est cependant inexistant lorsque la vidéo a fait l’objet d’un « contrat », avec toutes les précautions dont il convient d’assortir ce terme. Bien souvent, les seuls contrats signés par les personnes participant à des tournages pornographiques sont en effet des contrats de cession de droits à l’image sur un territoire et pour une durée illimitée.
Pour le retrait d’une vidéo mise en ligne, les producteurs réclament entre 3 000 et 5 000 euros, soit dix fois plus que la rémunération perçue pour le tournage du contenu visé.
Cet amendement a pour objet de permettre aux personnes qui ont tourné dans un film pornographique d’obtenir sans délai le retrait de ce contenu dès lors qu’il continue d’être diffusé sur internet au-delà de la période contractuelle ou lorsque la diffusion ne respecte pas les modalités prévues.
Il s’inscrit dans la démarche que vous avez engagée, monsieur le ministre, en annonçant la constitution d’un groupe de travail conjoint avec la Chancellerie sur cette question spécifique.
Ce dispositif devra être complété par une future loi encadrant les relations contractuelles relatives à la cession de droits à l’image.
Si les conclusions du rapport sénatorial Porno : l’enfer du décor n’appelaient pas à des mesures réglementaristes, force est de constater qu’il n’existe actuellement pas d’autre solution satisfaisante pour venir en aide aux femmes victimes de l’industrie pornographique. Il s’agit donc d’une première étape pour mieux protéger les acteurs et actrices de vidéos pornographiques.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Cet amendement tend à clarifier le statut des vidéos pornographiques diffusées au-delà des conditions fixées par les accords de cession de droits avec les personnes filmées.
Les dispositions qu’il est proposé d’introduire permettraient aux personnes qui veulent obtenir le retrait de ces vidéos de s’appuyer sur une base légale claire vis-à-vis des hébergeurs et des plateformes.
Comme le rappellent les auteures de cet amendement, ces dispositions ne permettraient de résoudre qu’une partie des difficultés. Il faudrait aussi, parallèlement, imposer des modalités de cession suffisamment claires dans les contrats. Il nous faudra donc aller plus loin, dans le cadre d’un autre débat.
La commission spéciale est favorable à cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Si la période de diffusion prévue contractuellement est terminée ou si les conditions de diffusion ne sont pas respectées, le contenu devient de fait illicite et son retrait peut être demandé par la personne concernée. En la matière, le droit à l’oubli est bien effectif.
Lors des consultations que nous avons menées auprès des victimes de l’industrie numérique, les créatrices de contenus en ligne nous ont indiqué que les sites pornographiques répondent en général bien plus rapidement que d’autres plateformes à leurs demandes de retrait d’images ou de vidéos leur appartenant et postées par des tiers.
En tout état de cause, comme vous l’avez indiqué, madame la sénatrice, votre proposition n’a pas vocation à épuiser le sujet, car la durée des contrats peut faire l’objet d’abus.
J’estime que nous devons remédier à cette difficulté en mettant autour de la table des experts du droit des contrats et des experts du RGPD. Nous pourrons ainsi faire aboutir la demande que vous m’avez adressée dans le cadre des travaux de la commission spéciale.
Pour l’heure, je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Mes chers collègues, il est d’autant plus important d’adopter cet amendement que le Parlement européen débat actuellement d’une directive sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Une première version a été adoptée par la commission des droits des femmes et de l’égalité des genres et sera débattue lors d’une séance plénière le 13 juillet prochain, avant que ne s’engage le trilogue.
Le Conseil européen a donc lui aussi préparé une version finale. Même si celle-ci ne sera pas adoptée en l’état à l’issue du trilogue, force est de constater que cette version est troublante, pour ne pas dire très inquiétante.
Il y est en effet indiqué que la diffusion d’images ou de vidéos montrant des activités explicites de sexualité ou de parties intimes de personnes publiques ne saurait être considérée comme illégale au regard de la liberté d’expression, en particulier de la liberté de partager des informations et des idées.
En adoptant l’amendement proposé par Annick Billon et Alexandra Borchio Fontimp, nous indiquons clairement que la France considère que l’on ne peut partager des images de personnalités publiques sans leur accord.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Encore une fois, nous avions déposé un amendement similaire que M. le rapporteur a jugé moins opportun, car moins bien placé que celui-ci. En tout état de cause, mes chers collègues, il s’agit d’une proposition très importante.
En effet, comme je l’ai indiqué précédemment, monsieur le ministre, demander le retrait de vidéos ou d’images à caractère pornographique s’apparente à un véritable parcours de la combattante pour les personnes concernées. Lorsqu’on ne leur oppose pas un refus, on leur demande en effet en contrepartie du retrait des contenus de s’acquitter de sommes qui dépassent largement ce qu’elles ont perçu au titre de la réalisation desdits contenus.
J’attire par ailleurs votre attention, monsieur le ministre, sur la grande prudence avec laquelle il convient de considérer les contrats.
Dans le cadre des travaux de la mission d’information sur l’industrie de la pornographie réalisée au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, nous avons en effet constaté que les femmes qui s’adonnent à la réalisation d’images ou de vidéos pornographiques sont en général précarisées et fragilisés, si bien qu’elles sont à la merci de ceux qui les encadrent.
De ce fait, les conditions dans lesquelles le contrat est conclu rendent bien souvent celui-ci caduc, car il est en réalité extorqué. Il me paraît donc compliqué de faire valoir la force du contrat.
Avec l’ensemble de mon groupe, je soutiendrai cet amendement, qui vise à introduire des dispositions extrêmement importantes pour les victimes.
Mme le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Les femmes concernées ont le plus souvent été abusées, mes chers collègues.
On leur a fait croire qu’elles allaient gagner de l’argent en tournant des images qui seraient diffusées très loin de chez elles, et elles découvrent que leur voisin y a immédiatement accès.
Certaines ont dû démissionner de leur poste, car elles ont été reconnues, par exemple par un client se présentant à l’accueil de la banque dans laquelle l’une d’entre elles travaillait.
En somme, on leur a menti. Vous avez donc raison de dire que le contrat devrait être beaucoup mieux encadré, monsieur le rapporteur.
Et vous avez raison de dire qu’il faudra compléter cet amendement, monsieur le ministre. C’est justement la raison pour laquelle il convient de le voter : son adoption vous incitera à retravailler ce dispositif pour faire en sorte qu’une solution soit trouvée à l’issue de la navette, afin que ces femmes n’aient plus à débourser jusqu’à dix fois ce qu’elles ont perçu pour obtenir le retrait d’un contenu – il est fréquent, en effet, qu’on leur demande 5 000 euros quand on ne les a rémunérées tout au plus que 500 euros.
En règle générale, les femmes qui s’adonnent à ces pratiques sont dans le besoin. Nous devons les protéger et nous aurons tout le temps de la navette parlementaire pour le faire. Votons donc cet amendement, mes chers collègues !
Mme Laurence Cohen. Très bien !
Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Je remercie vivement M. le rapporteur de son avis favorable.
Je maintiendrai mon amendement, monsieur le ministre, car, comme le soulignait à l’instant ma collègue Dominique Vérien, nous aurons tout le temps d’améliorer le dispositif au cours de la navette, que ce soit lors des débats à l’Assemblée nationale ou lors de la réunion de la commission mixte paritaire.
Je tiens particulièrement à cet amendement, car Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Rossignol, Laurence Cohen et moi-même, toutes coauteures du rapport d’information Porno : l’enfer du décor et présentes en séance ce soir, avons assisté à une audition à huis clos qui nous a profondément marquées.
Si nous devons protéger les mineurs comme nous l’avons fait dans les précédents articles de ce projet de loi, nous devons aussi protéger les femmes qui, si elles ont effectivement signé un contrat et perçu une rémunération, n’en ont pas moins été piégées.
Je pense notamment au témoignage d’une jeune femme qui avait signé un contrat pour payer son loyer, à un moment où son métier était non essentiel, et qui, par la suite, s’est retrouvée contrainte.
Mes chers collègues, nous nous devons de voter cet amendement pour toutes ces victimes qui nous ont fait part des actes de barbarie qu’elles ont subis le temps d’un tournage ou d’un week-end et dont le témoignage nous a profondément touchées.
Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l’article 4.
L’amendement n° 87, présenté par M. Ouzoulias, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Avant l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai d’un an, le Gouvernement présente sa stratégie de développement et de déploiement d’un système d’exploitation français à l’ensemble du matériel numérique des administrations publiques, permettant d’assurer une souveraineté numérique.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Avec cet amendement, nous changeons totalement de sujet, puisqu’il est question des systèmes d’exploitation informatique.
Le « G » et le « A » de Gafam – je préfère éviter de citer le nom de ces marques – contrôlent 99 % des systèmes d’exploitation de nos téléphones, tandis que le « G », le « A » et le « M » contrôlent 93 % des systèmes d’exploitation de nos ordinateurs.
La quasi-inexistence de système d’exploitation alternatif pose des difficultés, notamment pour les administrations de l’État, car on ne peut garantir que les systèmes utilisés par les fonctionnaires ne soient pas dotés de portes dérobées par lesquelles un tiers pourrait pénétrer pour voler des données.
Un journaliste qui a lu attentivement cet amendement m’a signalé, et je l’en remercie, que l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) développe depuis 2011 le système d’exploitation Clip OS. Pour l’heure, ce système d’exploitation n’est pas prêt.
Par cet amendement, nous proposons que le Gouvernement engage un plan visant à doter les administrations françaises d’un système d’exploitation indépendant et alternatif.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Patrick Chaize, rapporteur. Aujourd’hui, le marché des systèmes d’exploitation est fortement concentré. Il se caractérise par un nombre restreint d’acteurs dominants, essentiellement américains. C’est un marché libre et concurrentiel.
Si l’utilisation d’une solution étrangère n’est pas nécessairement une mauvaise chose, il est vrai qu’elle comporte des risques liés à l’extraterritorialité du droit.
Vous soulevez donc un véritable sujet et je vous en remercie, mon cher collègue. Pour autant, j’estime qu’il n’y a pas lieu de préciser dans la loi que le Gouvernement présente une stratégie à ce sujet. Cela relève de la communication du Gouvernement, dont je sollicite l’avis.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Le Gouvernement a déjà présenté sa stratégie pour atteindre la souveraineté en matière numérique en choisissant de placer au cœur du plan France 2030, annoncé à l’automne 2021, les briques de l’infrastructure numérique sur lesquelles nous voulons accentuer nos efforts pour faciliter l’émergence d’acteurs français.
Ces briques sont le cloud, l’intelligence artificielle, la cybersécurité, le quantique et les réseaux de 5G et de 6G.
Ce qui se rapproche le plus de ce dispositif, même s’il ne s’agit pas exactement un système d’exploitation (OS), c’est la stratégie d’accélération que nous avons mise en place pour le cloud. Dans ce cadre, le secrétariat général pour l’investissement (SGPI) avait lancé plusieurs appels à manifestation d’intérêt, notamment pour que se développent en France des suites collaboratives.
Celles-ci constituent l’entrée par laquelle nous découvrons les systèmes d’exploitation, puisqu’elles reflètent la manière dont nous interagissons avec les outils de l’ordinateur dans notre quotidien. C’est ainsi que des acteurs comme Jamespot ou Wimi, et leurs partenaires, ont pu bénéficier de plusieurs dizaines de millions d’euros de subventions au titre du plan France 2030 pour développer des suites collaboratives souveraines.
Toutefois, cela n’est qu’un des exemples de tous les instruments de financement – appels à manifestation d’intérêt, appels à projets, partenariats d’innovation ou encore programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) –, qui sont prévus dans le cadre de ce plan, dans les cinq domaines que j’ai évoqués, et qui doivent nous permettre de faire émerger des acteurs souverains.
Autrement dit, la stratégie du Gouvernement est connue et reprise dans les stratégies d’accélération du plan France 2030.
Pour ces raisons, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il y sera défavorable.
Mme le président. La parole est à Mme la présidente de la commission spéciale.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission spéciale. Je comprends l’amendement de notre collègue, monsieur le ministre, car pendant trop longtemps la stratégie du Gouvernement en faveur d’une souveraineté numérique n’a pas du tout été claire pour nous.
Dans cet hémicycle, nous avons interrogé votre prédécesseur à de très nombreuses reprises sur la recherche de solutions souveraines pour des plateformes dont les données à traiter étaient éminemment sensibles – je pense notamment à la plateforme des données de santé. On nous répondait, sans faire dans le détail, qu’il n’y avait pas de solution française – circulez, il n’y a rien à voir !
Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, que le Sénat, très attentif à ce sujet, observe avec satisfaction que les travaux que vous menez contribuent réellement à changer de braquet et nous vous en remercions. Il est plutôt rassurant de constater que ces questions de souveraineté commencent enfin à être prises en compte.
Comme je l’ai rappelé dans mon propos liminaire, nous avons une exigence : il est temps que l’État se dote d’une doctrine et qu’il l’énonce clairement. Cela vaut aussi pour les différentes administrations : lorsque l’on échange avec la direction interministérielle du numérique (Dinum), il semble qu’il n’existe pas vraiment de stratégie, de sorte que chaque ministère agit comme il l’entend dans son coin. Ainsi, le ministère de l’éducation nationale a confié ses données à Microsoft sans appel d’offres spécifique. Les exemples de ce type sont légion.
Il faut maintenant nous inscrire dans une phase où la stratégie sera claire. Certes, comme l’a dit le rapporteur, ce texte n’est sans doute pas le bon véhicule pour énoncer cette stratégie. Au demeurant, nous serons très attentifs, dans le dialogue que nous aurons avec vous au cours des semaines et des mois à venir, à faire en sorte que cette doctrine puisse enfin être élaborée pour clarifier la situation en matière de souveraineté.
Mme le président. Quel est maintenant l’avis de la commission spéciale ?
M. Patrick Chaize, rapporteur. La commission suit l’avis du Gouvernement : défavorable.
Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, vous venez de mentionner les suites collaboratives. J’en utilise une, LibreOffice, qui est libre de droits. Elle est excellente et je vous la conseille.
Toutefois, s’il n’y a pas de système d’exploitation, les failles restent les mêmes. Or, dans ce que vous avez décrit de la stratégie du Gouvernement, vous n’avez pas cité le système d’exploitation. À mon sens, il est important d’en faire un objectif prioritaire dans la stratégie de l’État, parce que c’est de lui que tout découle. Par conséquent, je maintiens mon amendement.
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 87.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 4
I. – La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est ainsi modifiée :
1° A (nouveau) Au premier alinéa du III de l’article 33-1, après les mots : « en application des articles 43-4 et 43-5 », sont insérés les mots : « ou mentionné au second alinéa de l’article 43-2 » ;
1° B (nouveau) L’article 33-3 est complété par un III ainsi rédigé :
« III. – Par dérogation aux I et II, les services de médias audiovisuels à la demande relevant de la compétence de la France en application des articles 43-4 et 43-5 ou mentionnés au second alinéa de l’article 43-2 peuvent être diffusés sans formalité préalable. » ;
1° C (nouveau) Au premier alinéa de l’article 42, après le mot : « audiovisuelle », sont insérés les mots : « , les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne » ;
1° Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle, les opérateurs de réseaux satellitaires et les prestataires techniques auxquels ces personnes recourent peuvent être mis en demeure de respecter les obligations imposées par les dispositions prises sur le fondement de l’article 215 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne portant sur l’interdiction de diffusion de contenus de services de communication audiovisuelle. » ;
2° Le premier alinéa de l’article 42-10 est ainsi modifié :
a) À la première phrase, après le mot : « loi », sont insérés les mots : « ou de la réglementation européenne prise sur le fondement de l’article 215 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne portant sur l’interdiction de diffusion de contenus de services de communication audiovisuelle » ;
b) (nouveau) À la seconde phrase, après le mot : « satellitaire », sont insérés les mots : « , par une personne dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne », après le mot : « télévision », sont insérés les mots : « ou d’un service de médias audiovisuels à la demande » et, après les mots : « compétence de la France », sont insérés les mots : « ou mentionnés au second alinéa de l’article 43-2 » ;
3° (nouveau) L’article 43-2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les articles 1er, 15, 42, 42-1, 42-7 et 42-10 de la présente loi sont applicables aux services de médias audiovisuels à la demande diffusés en France ne relevant pas de la compétence d’un autre État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou d’un autre État partie à la Convention européenne, du 5 mai 1989, sur la télévision transfrontière. » ;
4° (nouveau) Au II de l’article 43-7, après le mot : « sens », sont insérés les mots : « du premier alinéa ».
II. – L’article 11 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi rédigé :
« Art. 11. – I. – L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut mettre en demeure toute personne mentionnée au I de l’article 1-1 de la présente loi de retirer les contenus ou de faire cesser la diffusion des contenus qui contreviennent aux dispositions prises sur le fondement de l’article 215 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne portant sur l’interdiction de diffusion de contenus provenant des personnes visées par les sanctions. La personne destinataire de la mise en demeure dispose d’un délai de soixante-douze heures pour présenter ses observations.
« II. – À l’expiration de ce délai et en cas d’inexécution, l’autorité peut notifier aux fournisseurs de services d’accès à internet la liste des adresses électroniques des services de communication au public en ligne hébergeant ou diffusant des contenus provenant des personnes ayant fait l’objet de la mise en demeure, afin qu’elles empêchent dans un délai fixé par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique l’accès à ces adresses. Toutefois, en l’absence d’éléments d’identification des personnes mentionnées au I de l’article 1-1 de la présente loi, l’autorité peut procéder à cette notification sans avoir préalablement demandé le retrait ou la cessation de la diffusion des contenus dans les conditions prévues au même I.
« L’autorité peut également notifier les adresses électroniques dont les contenus contreviennent aux dispositions mentionnées au I du présent article aux moteurs de recherche ou aux annuaires, lesquels prennent toute mesure utile destinée à faire cesser leur référencement.
« III. – L’autorité peut agir d’office ou sur saisine du ministère public ou de toute personne physique ou morale.
« IV. – En cas de méconnaissance de l’obligation de retirer les contenus ou de faire cesser la diffusion des contenus mentionnés au I du présent article, l’autorité peut prononcer à l’encontre de l’auteur de ce manquement, dans les conditions prévues à l’article 42-7 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, une sanction pécuniaire dont le montant, fixé en fonction de la gravité du manquement, ne peut excéder 4 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé au cours du dernier exercice clos calculé sur une période de douze mois ou, en l’absence de chiffre d’affaires, 250 000 euros. Ce maximum est porté à 6 % en cas de réitération du manquement dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive ou, en l’absence de chiffre d’affaires, à 500 000 euros. La méconnaissance de l’obligation d’empêcher l’accès aux adresses notifiées ou de prendre toute mesure utile destinée à faire cesser le référencement du service de communication au public en ligne en application du second alinéa du II du présent article peut être sanctionnée dans les mêmes conditions. Dans ce dernier cas, l’amende ne peut toutefois excéder 1 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé au cours du dernier exercice clos calculé sur une période de douze mois ou, en l’absence de chiffre d’affaires, 75 000 euros. Ce maximum est porté à 2 % en cas de réitération du manquement dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive ou, en l’absence de chiffre d’affaires, à 150 000 euros.
« Lorsque sont prononcées, à l’encontre de la même personne, une amende administrative en application du présent article et une amende pénale en application de l’article 459 du code des douanes à raison des mêmes faits, le montant global des amendes prononcées ne dépasse pas le maximum légal le plus élevé des sanctions encourues.
« V (nouveau). – Les modalités d’application du présent article sont précisées par décret en Conseil d’État. »
Mme le président. L’amendement n° 48 rectifié quater, présenté par Mmes Noël et Garriaud-Maylam, MM. Gremillet, D. Laurent et Chatillon, Mme Muller-Bronn, MM. Charon, Joyandet et Bouchet et Mmes Thomas, Belrhiti, Pluchet et Berthet, est ainsi libellé :
Alinéa 16
Après le mot :
internet
insérer les mots :
ou aux fournisseurs de systèmes de résolution de nom de domaine définis au II de l’article 12 de la présente loi
La parole est à Mme Sylviane Noël.
Mme Sylviane Noël. Sur le modèle de celui que j’ai défendu à l’article 2, cet amendement vise à élargir la liste des acteurs susceptibles de contribuer à la lutte contre les sites faisant l’objet de sanctions européennes en y incluant, aux côtés des fournisseurs de services d’accès à internet, toutes les personnes pouvant prendre des mesures utiles sur la demande de l’autorité administrative compétente, afin d’aboutir à une meilleure effectivité du dispositif.
En effet, en l’état actuel de la rédaction, les personnes qui fournissent des navigateurs internet au sens de l’article 2 du règlement européen relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique ne sont pas incluses dans le dispositif. Il en est de même pour les systèmes d’exploitation mentionnés à l’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques.
Le présent amendement vise donc à inclure dans le champ de l’article, en sus des fournisseurs de services d’accès à internet, les navigateurs et systèmes d’exploitation qui font de la résolution de nom de domaine.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Par cohérence, avis favorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.
(L’article 4 est adopté.)
Après l’article 4
Mme le président. L’amendement n° 127, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 226-8 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Est assimilé à l’infraction mentionnée au présent alinéa et puni des mêmes peines le fait de publier par quelque voie que ce soit, un contenu visuel ou sonore généré par un traitement algorithmique et reproduisant l’image ou les paroles d’une personne, sans son consentement, s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un contenu généré algorithmiquement ou s’il n’en est pas expressément fait mention. » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Ces peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende lorsque la publication du montage ou du contenu généré par un traitement algorithmique a été réalisé en utilisant un service de communication au public en ligne. »
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Cet amendement vise à renforcer l’article 226-8 du code pénal, qui punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait de publier, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne sans son consentement, s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un montage ou s’il n’en est pas expressément fait mention. »
Le moment nous semble venu de renforcer ce dispositif en y incluant les hypertrucages, ou deepfakes, c’est-à-dire des montages conçus à l’aide d’algorithmes qui permettent de multiplier la capacité d’exposition du public à de fausses informations, voire de déclencher ou de favoriser le déclenchement de cyberattaques.
Le terme « montage » retenu dans la rédaction de l’article 226-8 n’est pas suffisamment précis pour désigner les hypertrucages, contre lesquels nous devons agir.
Je précise que Mme Borchio Fontimp a déposé un amendement dont nous débattrons dans quelques instants concernant l’usage des hypertrucages dans la pornographie, où ils sont très présents.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Par cet amendement, le Gouvernement s’attaque à une véritable difficulté, déjà identifiée en avril 2023 dans le rapport d’information des députés Gosselin et Latombe sur les enjeux de l’utilisation d’images de sécurité dans le domaine public, celle de la pénalisation des deepfakes – c’est-à-dire de vidéos réalisées par l’intelligence artificielle et dont la ressemblance avec le réel est parfois si forte qu’on ne peut les distinguer avec certitude d’une vidéo classique.
Nos collègues députés craignaient que les deepfakes ne soient pas couverts par le droit en vigueur, notamment par l’article 226-8 du code pénal. Il s’agit en effet d’images complètement artificielles et non pas de montages au sens strict du terme.
Monsieur le ministre, l’adoption de votre amendement permettrait de combler cette lacune et de protéger les citoyens contre le risque d’un détournement malveillant de leur image : la commission spéciale y est favorable.
Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, je comprends parfaitement l’objet de votre amendement dans ses modalités techniques, et j’y souscris.
Toutefois, l’exemple récent de la reconstitution par des algorithmes de la voix du général de Gaulle prononçant l’appel du 18 juin introduit un léger doute. Son consentement n’ayant pu être recueilli, cette reconstitution algorithmique tomberait sous le coup du dispositif proposé, ce qui ne va pas sans poser problème.
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Cette reconstitution ne tomberait pas sous le coup de cet amendement. Outre l’obligation d’obtenir le consentement de la personne concernée, il est précisé que les hypertrucages visés sont ceux pour lesquels il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un contenu généré algorithmiquement ou pour lesquels il n’en est pas expressément fait mention. En l’espèce, il est communément admis que la personne concernée est décédée et que ses propos ont été recomposés ou reconstitués.
Puisque l’on applique aux hypertrucages le même tarif, si je puis dire, que celui que l’on appliquerait aux montages plus traditionnels, je ne pense pas que la reconstitution que vous évoquez tomberait sous le coup du dispositif proposé.
Mme le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Le sujet a toute son importance dans la mesure où le développement des deepfakes illustre les progrès inquiétants de l’intelligence artificielle. On le constate chaque jour et l’actualité récente a encore illustré ce risque majeur.
L’année dernière, Europol avait déjà mis en exergue le potentiel de déstabilisation des deepfakes et appelé les États à intervenir sur le sujet.
Monsieur le ministre, je ne peux que soutenir votre initiative. Il faut accorder une attention toute particulière au développement des hypertrucages.
Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 4.
Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les amendements nos 5 rectifié et 78 rectifié sont identiques.
L’amendement n° 5 rectifié est présenté par Mmes Rossignol et Blatrix Contat, MM. Kanner, Cardon, Durain, Féraud et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 78 rectifié est présenté par Mme Cohen, M. Ouzoulias, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le dernier alinéa de l’article 227-23 du code pénal est ainsi rédigé :
« Les dispositions du présent article sont également applicables aux images pornographiques revêtant l’intention de représenter un mineur, intention appréciée par le contenu, par les images ou par les titres donnés aux images. »
La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié.
Mme Laurence Rossignol. Les amendements nos 5 rectifié, 7 rectifié et 8 rectifié ont tous le même objet.
L’article 227-23 du code pénal vise « le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur, lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique ». Or, il est appliqué de manière restrictive, sans doute parce qu’il faut s’adapter aux moyens dont disposent les enquêteurs.
En réalité, Pharos et Europol tendent à instaurer une distinction assez claire entre pédocriminalité et pédopornographie. Le patron d’Europol n’a d’ailleurs pas manqué de le souligner lors de son audition, en précisant qu’il parlait uniquement de pédocriminalité et non de pédopornographie.
Quelle est la différence entre les deux ? La pédocriminalité consiste à commettre des abus sexuels et des viols sur un mineur et à en diffuser les images. Il faut que la victime soit réellement mineure.
Quant à la pédopornographie, elle consiste à représenter un mineur dans de telles situations, ce qui est également visé par l’article 227-23 du code pénal.
Dans les faits, on se concentre sur les mises en scène de mineurs violés et victimes d’abus sexuels. Or il existe aussi quantité d’images sur les sites pornographiques qui représentent des mineurs. Tous ceux qui comportent des rubriques « teens » ou « écolières », par exemple, proposent des images qui mettent en scène la sexualité d’un majeur avec une mineure. Peu importe que la jeune fille ait réellement 18 ans ou non, l’intention est de représenter une écolière ou une petite fille.
Pour le moment, ces images continuent d’être diffusées sur internet. En effet, Pharos se concentre sur la pédocriminalité et ne pourchasse pas la pédopornographie. Même si toutes les images sont visionnées, les critères utilisés pour les contrôler consistent seulement à savoir si la jeune fille est pubère et si elle a des poils et des seins. Lorsque c’est le cas, les images passent, car la plateforme cible uniquement celles où figurent réellement des enfants.
Ces amendements visent à ce que l’intention de mettre en scène la sexualité d’un majeur avec un mineur reçoive un traitement égal à celui qui s’applique lorsque la victime est réellement mineure.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 78 rectifié.
Mme Laurence Cohen. Il est défendu.
Mme le président. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par Mmes Rossignol et Blatrix Contat, MM. Kanner, Cardon, Durain, Féraud et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le dernier alinéa de l’article 227-23 du code pénal est ainsi rédigé :
« Les dispositions du présent article sont également applicables aux images pornographiques d’une personne dont l’aspect physique est celui d’un mineur. »
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Il est défendu.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Je comprends l’intention des auteurs de ces amendements, qui veulent renforcer la lutte contre la pédopornographie en interdisant des contenus présentant la simulation de rapport pédocriminels.
Nous parlons donc de contenus qui mettent en scène deux personnes majeures, qui ont consenti à être filmées et à ce que leur image soit diffusée. L’objectif est d’éviter que, sous couvert de fiction, on ne vienne faire l’apologie de comportements interdits et réprimés par le code pénal. Je comprends parfaitement la logique de cet amendement, qui est aussi celle de ceux qui suivent.
Toutefois, si la cause est noble, la solution que vous proposez pose des difficultés d’ordre juridique. En effet, elle consiste ni plus ni moins à pénaliser les images d’une relation entre deux personnes majeures.
Premièrement, je considère que cette orientation est dangereuse et qu’elle est très probablement contraire à la Constitution.
Je relève que le champ d’application de votre amendement ne se restreindrait pas aux sites pornographiques. En effet, dans la mesure où celui-ci vise à modifier un article du code pénal, toutes les productions, quelle qu’en soit la nature, seraient concernées. Il suffit de relire l’article 227-23 pour le constater : il vise ainsi toute « image » ou « représentation » qui « présente un caractère pornographique ».
Cette définition très large rend le dispositif particulièrement dangereux, a fortiori s’il devait être conjugué avec les dispositions de l’amendement n° 8 rectifié, que nous examinerons dans quelques instants et qui vise à interdire de filmer, même sans diffusion, des rapports sexuels impliquant toute personne mineure, y compris au sens de l’article 227-23.
Si nous adoptons ces deux amendements identiques ainsi que l’amendement n° 8 rectifié, il sera interdit à deux personnes majeures de se filmer, même pour un usage complètement privé, dès lors que l’une d’entre elles serait déguisée en personne mineure.
Deuxièmement, il faut mesurer les conséquences de l’adoption de ces amendements identiques sur le travail des agents chargés de lutter contre la pornographie, notamment dans le cadre de Pharos. Nous tenons d’ailleurs à saluer ces derniers ; ils effectuent un travail remarquable et difficile – les auditions ont été éloquentes à cet égard.
Ces agents utilisent des critères relativement simples pour sélectionner les contenus, ce qui permet un blocage rapide et massif. À l’inverse, les conditions posées dans les dispositions de votre amendement quant au contenu, aux images et au titre supposent de mener un travail d’analyse au cas par cas que les agents ne peuvent réaliser, faute de moyens.
Je crains donc que, bien involontairement, l’adoption de cet amendement ne vienne déstabiliser l’action de Pharos et nuire à l’efficacité du travail de blocage des contenus pédocriminels, qui doit être la priorité des priorités.
Troisièmement, je crois que le Sénat doit faire preuve de cohérence et tenir compte des importants travaux menés par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Quand les contenus impliquent deux personnes majeures, il s’agit bien de pornographie et non de pédocriminalité.
Le rapport d’information Porno : l’enfer du décor indique clairement que les principaux responsables des contenus hardcore, violents et dégradants sont non pas les producteurs, mais les grandes plateformes, ou « tubes », prêtes à diffuser n’importe quel contenu tant que c’est rentable – je me permets de citer ce rapport d’information, madame Rossignol, car vous êtes comme moi membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Mme Laurence Rossignol. Je suis même auteure du rapport. (Sourires.)
M. Loïc Hervé, rapporteur. Ce n’est certes pas mon cas, mais je l’ai voté et promu, y compris dans mon territoire.
On assiste depuis une quinzaine d’années à une concentration du secteur économique de la diffusion de la pornographie. L’acteur économique clef n’est plus le studio, producteur de contenu, mais la plateforme numérique, vectrice de diffusion massive de contenus. Le besoin massif de nouveaux contenus pour alimenter ces plateformes a notamment constitué le point de départ de pratiques favorisant les violences sexistes et sexuelles envers les femmes, leur exploitation sexuelle, ainsi que la production de contenus de plus en plus trash et violents pour alimenter les intérêts économiques de cette véritable industrie du sexe.
Ce sont donc les plateformes qu’il faut cibler, comme le propose Mme Billon au travers de son amendement. C’est là qu’il faut agir et non dans le code pénal.
Enfin et surtout, l’adoption de votre amendement aurait pour effet de pénaliser de la même manière l’enregistrement d’images impliquant de très jeunes enfants et un film mettant en scène deux personnes majeures.
Vous voulez instaurer une peine d’emprisonnement de cinq ans, voire sept ans si le film a été diffusé sur internet, pour un contenu qui traduit l’intention – j’insiste sur ce terme – de représenter un mineur, quand bien même la personne en question serait en réalité majeure.
Le législateur doit-il vraiment mettre sur le même plan un jeu de rôles entre adultes consentants et des images qui représentent – pardon de le dire crûment – le viol d’un enfant ? Est-ce là la ligne que nous voulons suivre ? En tout cas, ce n’est pas la mienne.
J’en suis navré, mais la commission spéciale est défavorable aux amendements identiques nos 5 rectifié et 78 rectifié, de même qu’à l’amendement n° 7 rectifié.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le rapporteur, pardonnez-moi, mais il me semble que vous faites une confusion lorsque vous évoquez des jeux de rôles entre deux adultes consentants. La question qui se pose ici est celle de la « représentation », pour reprendre les termes du code pénal.
Or qu’entendre par « représentation » sinon une situation dans laquelle un homme se retrouve face à la représentation d’une mineure, c’est-à-dire face à une personne en jupette, en socquettes et portant des couettes – accoutrement qui figure celui d’une enfant –, sur laquelle on commet un viol ? Ce type d’image pousse à l’inceste et incite au viol.
C’est entretenir la confusion que de dire qu’il s’agit de deux adultes consentants. Il s’agit en réalité d’une incitation à l’inceste, puisque ces images laissent à penser que l’on peut abuser d’une enfant. Voilà ce que nous voulons dénoncer au travers de ces amendements.
Nous avons travaillé sur le sujet et le rapport d’information Porno : l’enfer du décor confirme notre position : quand on se bat contre l’industrie pornographique, on ne peut accepter la diffusion d’images qui pousseront à commettre des crimes. Allez donc regarder les sites en question : aucun doute n’est permis sur la volonté de représenter des enfants.
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d’État. Tout d’abord, pour être parfaitement claire, ce sont les associations qui nous demandent de ne plus employer le terme « pédopornographie » pour lui préférer celui de « pédocriminalité ». Il ne s’agit donc pas pour nous d’opposer la pédopornographie à la pédocriminalité, mais d’utiliser ce dernier terme de manière globale.
Criminaliser la pédopornographie ne me pose donc aucun problème, dans la mesure où nous le faisons déjà à travers le concept de pédocriminalité.
En outre, dans une logique de représentation par des images, il me paraît compliqué – à entendre les enquêteurs, c’est même une certitude – d’intégrer une notion supplémentaire d’intention. La loi est claire quant aux sanctions à prévoir dans le cas d’images représentant des mineurs dans une situation d’inceste. Mais il est beaucoup plus difficile de déterminer l’intention derrière la représentation d’un déguisement.
Dans la pratique, cela ajouterait des difficultés juridiques et compliquerait la tâche des enquêteurs, alors que l’on a déjà du mal à engager des poursuites quand il s’agit d’images de viol en ligne, de viol d’enfants ou d’images représentant des enfants en situation de pornographie, c’est-à-dire dans des cas de pédocriminalité.
Je me rallie à l’avis du rapporteur, car nous devons nous en tenir à nos objectifs principaux, même si je comprends ce que veulent dire les auteurs de ces amendements sur ce qui relève de l’intention et de l’incitation. Il est grand temps de concentrer notre action sur la répression des crimes réels, en y mettant les moyens nécessaires.
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Ces amendements visent à modifier le code pénal. Il s’agit donc de toucher à des dispositions qui donneront lieu à un procès pénal et d’évoquer des situations d’une certaine gravité. Dès lors, on ne peut se permettre d’être approximatif.
L’interprétation du juge est large dans notre pays ; essayons donc d’être aussi concrets que possible dans nos propositions.
En matière pénale, on ne criminalise pas l’intention : notre collègue Elsa Schalck l’a rappelé en commission de manière très éloquente. En tant que rapporteur issu de la commission des lois, je me dois également d’être le gardien de ces grands principes du droit pénal.
Par ailleurs, la matérialité des faits doit l’emporter : soit ce sont des adultes, soit ce sont des enfants. S’il s’agit d’adultes, même s’ils jouent la comédie, cela reste des adultes.
Élargir tous les concepts du droit pour tenir compte de ceux qui se font passer pour des enfants alors que nous savons tous qu’ils ne le sont pas, c’est aller tout droit vers la censure du Conseil constitutionnel. Cela vaut pour cet amendement, mais aussi pour d’autres à l’endroit desquels je ferai preuve de la même fermeté.
Certes, votre argumentaire obéit à un autre raisonnement, auquel je ne suis pas totalement insensible. Toutefois, me faisant le gardien de la loi pénale telle qu’elle s’exerce dans notre pays, je rappelle que l’intention ne peut être criminalisée et que la matérialité primera toujours sur la fiction.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Je suis très surprise par le tour que prend cette discussion.
Je m’attendais à d’autres arguments de votre part, monsieur le rapporteur. Je m’attendais notamment à ce que vous me disiez que mon amendement était satisfait en ce qui concerne les mineurs.
Mon but, en le déposant, était d’approfondir notre compréhension de l’article 227-23 du code pénal. Celui-ci prévoit en effet que l’image ou la représentation d’un mineur présentant un caractère pornographique est une infraction pénale. Le terme « représentation » vise le fait de vouloir montrer un mineur, peu importe que la personne incarnant cette représentation soit majeure.
La question que nous devons nous poser est de savoir si l’article 227-23 permet de faire retirer toutes les rubriques qui inondent les sites pornographiques sur internet et dont la classification relève d’une intention pédocriminelle, c’est-à-dire de l’intention de représenter la sexualité d’un majeur avec un mineur ?
Vous posez comme postulat, monsieur le rapporteur, qu’il s’agit de deux adultes ; mais personne n’en sait rien, pas même les enquêteurs. De ce qu’ils nous ont dit, madame la secrétaire d’État, j’ai compris qu’ils cherchaient à voir, image par image, si le jeune représenté était bien mineur. C’est sur ce critère qu’ils s’appuient pour lancer ou non des poursuites. Nous proposons simplement qu’ils puissent le faire sur une base plus large.
Vous avez tous suivi l’affaire Bastien Vivès. Où la situez-vous par rapport à nos débats ?
Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 rectifié et 78 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme le président. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par Mmes Rossignol et Blatrix Contat, MM. Kanner, Cardon, Durain, Féraud et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article 227-23 du code pénal, les mots : «. Lorsque l’image ou la représentation concerne un mineur de quinze ans, ces faits sont punis » sont remplacés par le signe : « , ».
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Je le retire.
Mme le président. L’amendement n° 8 rectifié est retiré.
L’amendement n° 6 rectifié, présenté par Mmes Rossignol et Blatrix Contat, MM. Kanner, Cardon, Durain, Féraud et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 227-23 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions du présent article sont applicables dès lors qu’elles ont pour intention de représenter des relations sexuelles de caractère incestueux. »
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Nos discussions sont difficiles tant l’écart est grand entre ce que la loi prévoit en matière d’incrimination possible, l’ensemble des infractions pénales commises par l’industrie pornographique au travers des contenus diffusés et la réalité des enquêtes menées et des poursuites engagées. Cet écart est tel que nous ne savons jamais exactement de quoi nous parlons.
Certes, charger la loi ne permet pas toujours d’aller plus loin ; mais la loi, dans certains cas, ne permet pas de poursuivre.
Cet amendement concerne l’inceste, et c’est encore la même histoire : en ouvrant les rubriques des sites pornographiques, sans même avoir besoin de regarder les vidéos, il est possible d’accéder à des contenus intitulés « en famille », « entre frères et sœurs », « beau-père-belle-fille »…
C’est tout ce que nous combattons, tout ce que nous cherchons à faire reculer dans notre pays, tout ce contre quoi la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) et Édouard Durand sont mobilisés. C’est un fléau !
On considère que deux enfants par classe sont victimes d’inceste ; or ces enfants sont surexposés en raison de la banalisation de l’inceste par l’industrie pornographique. Comment voulez-vous que nous, pouvoirs publics et parlementaires, luttions contre le fléau de l’inceste si tout un chacun peut consulter un site et considérer l’inceste comme un fantasme parmi d’autres.
Que ce soit un fantasme n’est pas grave ; une collègue me disait voilà quelques jours que je voulais légiférer sur les fantasmes. Non, je veux légiférer non pas sur les fantasmes, mais sur les contenus représentant l’inceste, le banalisant, le transformant en une pratique sexuelle excitante pour les hommes qui consultent des sites pornographiques. C’est cela qui est inacceptable !
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Les arguments développés sur les amendements précédents valent aussi pour celui-ci, même s’il s’agit ici d’inceste et non de pédocriminalité : avis défavorable.
Par ailleurs, lorsque j’emploie le terme« inceste », je vise l’inceste réprimé par le droit pénal – les acceptions de ce mot diffèrent en effet selon que l’on consulte le code pénal ou le Larousse.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d’État. À mon sens, les textes permettent déjà d’engager des poursuites.
Ainsi, pour ce qui concerne l’affaire Bastien Vivès, que vous avez évoquée, une enquête pénale est en cours et je m’en réjouis. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’ai pas saisi le procureur de la République en application de l’article 40 du code de procédure pénale.
À partir du moment où la représentation visée est celle d’une mineure et d’un membre de sa famille, le droit en vigueur est largement suffisant.
J’appelle votre attention sur les précédents amendements que vous avez défendus et qui visaient à déduire des tenues portées par une personne que celle-ci est représentée comme une mineure. J’y ai été défavorable en raison des difficultés pratiques que leur adoption aurait emportées pour les enquêteurs.
En revanche, nos services d’enquête doivent se consacrer à la lutte contre les sites entièrement dédiés à la diffusion de représentations de mineurs et qui banalisent les relations sexuelles avec des mineurs. Il s’agit donc davantage d’une question de moyens et de dynamique d’enquête.
Je considère que la loi permet déjà de mettre un terme à ce type d’images, raison pour laquelle le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.
Mme le président. L’amendement n° 122 rectifié quater, présenté par MM. Chaize, Retailleau, Bascher et Mandelli, Mmes Demas, Dumont, Jacques et Berthet, MM. Somon, Burgoa et C. Vial, Mmes Malet, V. Boyer et Eustache-Brinio, M. Bouchet, Mmes Lavarde et Bourrat, M. Calvet, Mme Bellurot, MM. Sido, Allizard, Bazin et Mouiller, Mmes Deseyne, Estrosi Sassone et Joseph, M. Perrin, Mmes Garnier et Gosselin, MM. Rapin et Brisson, Mmes Di Folco, Richer et L. Darcos, MM. Panunzi et Genet, Mmes Puissat, F. Gerbaud, Chauvin, M. Mercier et Borchio Fontimp, MM. Hugonet et D. Laurent, Mmes Micouleau et Belrhiti, M. B. Fournier, Mmes Del Fabro et Lassarade, MM. Klinger, Chevrollier, Piednoir et Gremillet, Mme Ventalon, MM. Lefèvre et Anglars, Mmes Pluchet et Schalck, MM. Malhuret, Tabarot et Bouloux et Mme de Cidrac, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Lorsqu’il est constaté des émeutes ou des mouvements populaires portant atteinte à l’ordre public ou à la sécurité publique et incitant de façon manifeste à la violence contre des personnes dépositaires de l’autorité publique, à la dégradation des bâtiments ou des installations publics ou à l’intrusion en leur sein, l’autorité administrative compétente peut émettre des injonctions de retrait à l’encontre de tout service de réseau social en ligne pour retirer ou bloquer l’accès des contenus, dans un délai de deux heures à compter de la réception de ladite injonction, incitant de façon manifeste aux émeutes, à la violence contre les personnes dépositaires de l’autorité publique, à la dégradation des bâtiments ou des installations publics ou à l’intrusion en leur sein.
II. – La méconnaissance de l’obligation mentionnée au présent I est punie d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende.
III. – Les modalités d’application du présent article sont définies par décret en Conseil d’État.
La parole est à M. Patrick Chaize.
M. Patrick Chaize. L’actualité de ces derniers jours témoigne des effets amplificateurs des réseaux sociaux sur les émeutes et les mouvements populaires violents.
La multiplication des messages, des images, des vidéos et des rediffusions en direct des émeutes ou des mouvements populaires violents renforce la participation à ces émeutes ou mouvements, en augmente le niveau de violence, conduisant ainsi non seulement à des atteintes inacceptables à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique, mais aussi à des dégradations et intrusions inadmissibles envers les bâtiments et installations publics.
La passivité des réseaux sociaux appelle une réponse plus ferme. Le présent amendement a pour objet de permettre aux autorités administratives compétentes d’émettre des injonctions à l’encontre des réseaux sociaux afin qu’ils retirent ou bloquent, dans un délai de deux heures, les contenus incitant de façon manifeste à la violence, notamment envers les personnes dépositaires de l’autorité publique.
Je veux enfin rendre hommage à nos forces de sécurité, qui œuvrent chaque jour et chaque nuit avec courage pour maintenir l’ordre et qui se trouvent désemparées face à ces nouveaux outils, qui bénéficient de façon injuste aux casseurs.
Dans un débat sur la sécurisation et la régulation de l’espace numérique, je ne pouvais occulter ce sujet d’actualité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Jean Verzelen applaudit également.)
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Patrick Chaize souhaite rendre inaccessibles les contenus qui appellent à la violence pendant les périodes d’émeutes, dans un délai de deux heures, par injonction de l’autorité administrative adressée aux réseaux sociaux.
Mon cher collègue, vous soulevez un débat essentiel et je vous en remercie. Toutefois, à ce stade, je considère qu’il s’agit d’un amendement d’appel.
Je profite de cette occasion pour rendre hommage, comme vous, à tous les élus locaux qui ont été agressés au cours de ces journées et de ces nuits d’émeutes, notamment au maire de L’Haÿ-les-Roses, ainsi qu’au jeune sapeur-pompier qui a donné sa vie pour lutter contre un incendie allumé par des inconscients, qui ne sont rien d’autre que des criminels.
En notre nom à tous, mes chers collègues, je veux assurer tous les élus locaux et tous les policiers, gendarmes et pompiers du soutien total, résolu, sans faille du Sénat.
Nous ne laisserons pas faire les délinquants qui abîment la démocratie. Nous devons être inflexibles face à ceux qui prennent prétexte de la mort d’un jeune homme de 17 ans pour casser, incendier, dégrader les bâtiments publics et privés, face à ceux qui profitent d’un drame absolu pour s’en prendre à nos maires.
Or il est impossible de nier le rôle important joué par les réseaux sociaux dans la propagation des pillages, des violences et des atteintes de toute nature à l’autorité de l’État qui ont suivi la mort du jeune Nahel.
Il faut le rappeler à tous ceux qui se croient protégés par l’écran de leur téléphone : quels que soient les moyens par lesquels elles sont commises, l’incitation à la violence et la diffusion d’images représentant des crimes ou des délits sont punies par la loi. Ceux qui se prêtent à ces actes insupportables encourent des peines méritées de prison ferme.
Grâce à la commission spéciale sur le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique et au Sénat, ils encourront bientôt une peine de bannissement. En effet, c’est bien sur notre initiative que les délits d’appel à l’attroupement armé et d’atteinte à la démocratie ont été ajoutés dans le périmètre de cette nouvelle peine complémentaire, la semaine dernière.
C’est aussi grâce au Sénat que la peine de bannissement pourra s’appliquer à ceux qui harcèlent et insultent les élus sur les réseaux sociaux.
Monsieur le ministre, sans évoquer les déclarations les plus récentes du Président de la République, j’en profite pour vous interpeller sur celles de votre collègue garde des sceaux, qui a appelé à « péter les comptes Snapchat ».
Ces propos ont suscité des interrogations, celles de Patrick Chaize et de nous tous, sur la manière dont la justice est en mesure, aujourd’hui, en droit positif, de répondre ou non à cet impératif.
Je sollicite donc l’avis du Gouvernement sur cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Monsieur le sénateur Patrick Chaize, je vous remercie d’avoir défendu cet amendement, qui me permet de rendre compte de l’action du Gouvernement quant au rôle joué par les réseaux sociaux au cours de la semaine tragique qui vient de s’écouler.
Tout d’abord, je partage le constat : les réseaux sociaux ont indéniablement joué un rôle dans l’amplification de la violence. Toutefois, les racines de cette violence, qui s’est propagée dans le pays, ne sont pas à chercher, à mon sens, dans lesdits réseaux.
Ces derniers ont contribué à amplifier la violence de deux façons.
La première est liée à l’existence de certaines fonctionnalités proposées par ces plateformes. Indépendamment du caractère licite ou illicite des messages postés, celles-ci ont facilité les regroupements et le développement de dynamiques émeutières.
La deuxième a trait à la diffusion d’images qui ont peut-être participé à la glorification ou à la banalisation des faits de violence.
Face à cette situation, dès les premières heures et les premiers jours, le Gouvernement a appelé les plateformes à prendre leurs responsabilités.
Ainsi, vendredi dernier, à la mi-journée, avec le ministre de l’intérieur, j’ai convoqué les quatre principales plateformes.
Il s’agissait tout d’abord de leur rappeler leurs obligations légales : celle de retirer les contenus illicites qui leur sont signalés par les autorités et celle de transmettre promptement les données demandées sur réquisition des autorités administrative et judiciaire afin d’identifier les détenteurs de comptes ou pour les besoins de l’enquête.
Nous leur avons aussi demandé d’aller un peu au-delà de leurs obligations légales et d’anticiper les termes du règlement DSA, que le présent projet de loi permet de mettre en œuvre dans notre pays. Il s’agit, par exemple, de la nécessité d’analyser et de corriger le risque systémique qu’elles font peser sur la sécurité publique.
Avant l’adoption du règlement sur les services numériques, les plateformes avaient pour seule responsabilité de retirer les contenus qui leur étaient signalés et de répondre aux réquisitions des autorités administratives et judiciaires. Désormais, en sus de ces obligations, assorties de sanctions plus lourdes, elles devront se montrer bien plus attentives à la manière dont leur fonctionnement, par viralité, a enclenché ou amplifié des dynamiques émeutières comme celles qui se sont produites cette semaine.
Avec les services du ministère de l’intérieur, j’ai convoqué aujourd’hui une nouvelle réunion pour dresser le bilan de la semaine, obtenir des chiffres et vérifier que les quatre principales plateformes ont bien répondu à leurs obligations.
Force est de constater qu’elles l’ont fait : plusieurs milliers de contenus illicites ont été retirés, plusieurs centaines de comptes ont été supprimés et les plateformes ont répondu à plusieurs dizaines de réquisitions.
Par ailleurs, elles ont toutes pris un certain nombre de mesures pour atténuer les effets amplificateurs de leurs paramètres de fonctionnement sur la violence via la viralité.
Si je comprends l’objet de cet amendement, je ne peux, comme je l’ai indiqué lors de nos échanges avec son auteur, qu’y être défavorable en raison d’un risque très élevé d’inconstitutionnalité du dispositif proposé.
À la suite de la saisine du Conseil constitutionnel par les sénateurs, la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia, a été partiellement censurée, notamment les dispositions prévoyant l’obligation de retrait des contenus illicites en vingt-quatre heures pour les hébergeurs et les éditeurs de contenus en raison de leur caractère haineux, dont le non-respect était pénalement sanctionné.
En l’espèce, il s’agit non pas de vingt-quatre heures, mais de deux heures, soit un délai bien plus court.
La loi Avia a été partiellement censurée par le Conseil constitutionnel, à juste titre, car les hébergeurs auraient dû retirer très rapidement les contenus signalés pour éviter des peines d’emprisonnement et des amendes se chiffrant en centaines de millions d’euros sans pouvoir vérifier si lesdits contenus étaient véritablement illicites.
À mon sens, cet argument s’entend parfaitement, même s’il faut être très exigeant à l’égard des hébergeurs ou des plateformes.
Le règlement sur les services numériques prévoit d’ailleurs des sanctions allant jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial et au bannissement de l’Union européenne en cas de manquements répétés. Ce sont des sanctions lourdes.
Il faut leur imposer de prendre leurs responsabilités, sans toutefois les conduire à ne pas respecter la liberté d’expression. Nous n’avons pas encore tout à fait trouvé les bonnes formules.
J’y insiste, je comprends l’intention de M. Chaize. Aussi me semble-t-il important de trouver, de la façon la plus constructive, structurée et préparée possible, un moyen permettant aux plateformes de mettre en place, dans des moments comme ceux que nous venons de vivre, dès la première heure, les mesures nécessaires pour éviter ces phénomènes de viralité ou de géolocalisation qui ont indéniablement facilité les dynamiques émeutières de cette semaine.
Engageons cette réflexion à la faveur de la navette parlementaire. Le Président de la République vient d’appeler à ne pas prendre à chaud des mesures trop dures que l’on pourrait regretter par la suite.
Monsieur le sénateur, je vous propose d’engager cette réflexion ensemble, mais aussi avec le ministre de la justice ou son représentant et avec les rapporteurs de l’Assemblée nationale, pour trouver la rédaction qui nous conviendra d’ici au mois de septembre et faire en sorte qu’elle soit adoptée à l’Assemblée nationale, ce dont je me porte garant.
Je vous propose de nous réunir dès la semaine prochaine, une fois que les rapporteurs de l’Assemblée nationale auront été désignés, pour commencer à travailler sur ce sujet. Je vous saurais gré de bien vouloir accepter cette proposition.
Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement, afin d’engager le travail sur des bases sereines ; à défaut, il y sera défavorable. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. Quel est maintenant l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Si j’ai bien compris, Patrick Chaize souhaitait profiter du périmètre de ce projet de loi pour débattre de ce qui se passe dans le pays depuis une semaine et éclairer ainsi le vote du Sénat.
M. le ministre vient de proposer la mise en place d’un groupe de travail, proposition qui me semble très honnête et à laquelle je souscrirais bien volontiers si cela ne tenait qu’à moi. En effet, l’objectif est non pas le vote de ce soir, mais le vote de la loi et sa promulgation après l’examen du Conseil constitutionnel.
Il s’agit donc de parvenir à une rédaction suffisamment consensuelle pour passer les différentes étapes de la navette parlementaire et éviter, in fine, qu’elle ne soit censurée par le Conseil constitutionnel avant son inscription dans la loi commune.
Dans ce cas, nous avons intérêt à nous mettre autour d’une table pour trouver la rédaction la plus fluide et la plus équilibrée entre la réponse aux impérieuses nécessités du moment et la garantie des libertés publiques.
Mme le président. La parole est à Mme la présidente de la commission spéciale.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission spéciale. Je voudrais attirer l’attention du Sénat sur nos travaux antérieurs.
J’ai eu l’honneur de rapporter la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information avec Christophe-André Frassa et la loi Avia.
Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, le Conseil constitutionnel, saisi par les sénateurs, avait censuré les dispositions de ce dernier texte qui visaient au retrait des contenus dans les vingt-quatre heures.
Si nous votions ce dispositif, qui accorde seulement deux heures pour retirer le contenu contestable, signalé comme étant illicite, nous serions en contradiction avec ce que le Sénat a voté de manière constante.
M. Ludovic Haye. Très juste !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission spéciale. Lors de l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre la manipulation de l’information, plusieurs groupes avaient déposé une motion tendant à opposer la question préalable pour ces mêmes raisons, et nous n’avions même pas discuté du texte.
Je comprends parfaitement l’objet de cet amendement. Monsieur le ministre, je me tourne vers vous pour évoquer la nécessaire réflexion à mener sur le rôle des plateformes dans la diffusion de tels contenus.
Le DSA va être mis en œuvre ; si le dispositif ne fonctionne pas bien, il faudra revoir notre copie et nous montrer intraitables.
Je le redis devant ma collègue Florence Blatrix Contat, que je prends à témoin : les plateformes doivent absolument être redevables et responsables de ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Leurs algorithmes amplifient les contenus, parce qu’elles sont plus à la recherche du profit qu’à celle de la sécurité.
Selon des articles publiés ces derniers jours, l’utilisation de bots depuis l’étranger par certaines plateformes comme TikTok a fait monter en puissance ces contenus et contribué à diffuser toujours davantage ces images répréhensibles qui ont conforté les émeutiers dans leur action.
La responsabilité de ces plateformes est un vrai sujet, comme le sera sans doute, à l’avenir, celui d’un véritable statut.
Nous devons être intraitables dans l’application du DSA, comme l’a déclaré Thierry Breton à Elon Musk.
Encore une fois, j’attire votre attention sur le risque de nous retrouver en contradiction avec nos votes constants, ce que le Conseil constitutionnel ne manquera pas de remarquer.
Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Mes chers collègues, je partage tout à fait le constat dressé sur le rôle des réseaux sociaux. Je m’associe également à vos marques de soutien et aux élus et aux forces de police.
Toutefois, je dois rappeler, comme l’ont fait M. le ministre et Mme la présidente Morin-Desailly, que vous aviez déféré au Conseil constitutionnel la loi Avia avec un argumentaire très clair.
Je me permets de lire la décision du Conseil, qui reprend ce que vous aviez écrit : « […] l’atteinte portée à la liberté d’expression et de communication serait disproportionnée en raison de l’absence de garanties suffisantes. En outre, ils soutiennent que ces dispositions imposeraient à l’ensemble des éditeurs et hébergeurs des sujétions impossibles à satisfaire et méconnaîtraient, ce faisant, le principe d’égalité devant les charges publiques. »
Le Conseil constitutionnel vous a donné entièrement raison et a censuré en quasi-totalité la loi Avia.
Par conséquent, pour rédiger un amendement efficace, il faudrait repartir de la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-801 DC du 18 juin 2020,…
M. Loïc Hervé, rapporteur. Absolument !
M. Pierre Ouzoulias. … fondée sur une jurisprudence très précise relative à ce qu’il est possible de faire ou pas, dont vous vous êtes manifestement écarté.
Pour cette raison, à l’instar de ma collègue, je pense que le Conseil constitutionnel censurerait ce texte si votre amendement était adopté, de la même façon qu’il a censuré la loi Avia.
Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Comme je l’ai souligné lors de la discussion générale, les plateformes ont joué un rôle effrayant dans la propagation de ces émeutes : partout, la violence a flambé et les pillages – inacceptables – se sont multipliés.
Voilà moins d’une semaine, alors que j’interrogeais ici même le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin sur la loi de 2017 relative à la sécurité publique, dite loi Cazeneuve, celui-ci m’accusait de vouloir légiférer à chaud, ce qui était dangereux selon lui. Or, moins de six jours plus tard, est déposé un amendement écrit à chaud, et plutôt mal écrit – le dispositif proposé aurait en effet bien du mal à survivre à la navette comme à la censure du Conseil constitutionnel.
Je partage les propos de M. le rapporteur : le champ d’application de la peine de bannissement a été élargi en commission, ce qui me semble déjà une bonne étape. Le risque de censure est assez important.
Je voudrais aussi rappeler que la vérité – ou une partie de cette vérité – sur les circonstances du drame de Nanterre a été révélée par une vidéo mise en ligne sur les réseaux sociaux qui s’est propagée et qui a été diffusée massivement, ce qui a permis de voir une version des faits qui ne correspondait pas à celle traditionnellement déclarée par la police.
Comment aurait-on pu empêcher que cette vidéo soit considérée comme ayant incité à l’émeute, et qu’elle soit donc retirée, comme le prévoyait à l’époque la loi pour une sécurité globale préservant les libertés ? (M. Patrick Chaize manifeste son désaccord.)
Ce type d’amendement m’inquiète, au même titre que les mots du Président de la République qui propose de couper les réseaux sociaux, comme cela se pratique dans des régimes autoritaires, sinon moins démocrates que le nôtre.
Mme le président. La parole est à M. Didier Mandelli, pour explication de vote.
M. Didier Mandelli. J’ai bien écouté les arguments de M. le rapporteur, de la présidente de la commission spéciale et de M. le ministre.
Dans le passé, nous avons eu ce genre de discussions, à l’occasion de la loi Avia et de la loi d’orientation des mobilités (LOM).
Lors de l’examen de ce dernier texte, nous avions voté un amendement, qui avait été travaillé avec Françoise Gatel, rapporteur pour avis de la commission des lois, alors que j’étais le rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qui visait à inscrire dans la loi la suppression des publications d’une communauté sur le réseau social Coyote ou un autre réseau assimilé pendant deux heures, afin d’éviter qu’une personne en fuite et ayant commis un acte criminel soit informée de la présence des forces de l’ordre sur son parcours. Nous nous étions inspirés d’un précédent : en Bretagne, un criminel avait profité de ces publications pour commettre d’autres exactions.
Or cette disposition n’avait pas été censurée par le Conseil constitutionnel.
Monsieur le ministre, j’ai entendu votre appel à la discussion et à l’échange afin de bâtir quelque chose de cohérent ; la navette parlementaire devrait permettre d’y parvenir dans de bonnes conditions.
J’invite et j’encourage mon éminent collègue Patrick Chaize à maintenir cet amendement, que je voterai, non seulement en tant que cosignataire, mais aussi parce que les arguments avancés ne m’ont pas convaincu à 100 %.
Il me semble que nous pouvons aller au-delà de ce qui est aujourd’hui proposé par le Gouvernement.
Mme le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.
M. Cédric Vial. Monsieur le ministre, j’irai dans le même sens que mon collègue Mandelli.
Nous sommes tous d’accord sur l’intention, ce qui est déjà une bonne chose. L’objet de cet amendement semble réunir un quasi-consensus, modulo peut-être l’appréciation de M. Dossus.
Nous sommes également tous d’accord pour reconnaître que la rédaction de cet amendement pourrait être améliorée. Dont acte !
Néanmoins, j’ai cosigné cet amendement et je souhaite que mon collègue Patrick Chaize le maintienne, car la navette parlementaire permettra d’en modifier les dispositions.
Monsieur le ministre, vous n’y êtes peut-être pas pour grand-chose, mais la crédibilité du Gouvernement est complètement émoussée lorsqu’il nous assure que le travail sera fait, mais plus tard ! Vos collègues Bruno Le Maire, Gabriel Attal ou Stanislas Guerini ont épuisé la confiance des sénateurs.
Par conséquent, nous préférons adopter cet amendement, quitte à le modifier au cours de la navette, plutôt que de se laisser bercer par la promesse d’un travail soi-disant transpartisan à venir. (Très bien ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. Mes chers collègues, à la demande de M. le ministre, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-trois heures cinq.)
Mme le président. La séance est reprise.
La parole est à M. Patrick Chaize, pour explication de vote.
M. Patrick Chaize. Il a beaucoup été fait état de la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia.
Or, pour la rédaction du présent amendement, ma philosophie a été inspirée en réalité par les dispositions de la LOM visant à lutter contre des applications de type Coyote, qui prévoient non pas un délai de deux heures, mais un effet immédiat. Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible dans le cadre de ce texte !
Par ailleurs, ce matin même, le Président de la République a proposé de bloquer les réseaux sociaux ; cela va bien plus loin que le simple retrait de contenus qui est prévu dans mon amendement…
Enfin, je souligne que cet amendement a été signé par nombre de nos collègues, ce qui atteste de son intérêt.
Néanmoins, monsieur le ministre, j’ai entendu votre proposition. Vous l’aurez compris, en demandant le retrait de mon amendement, vous me mettez en grande difficulté vis-à-vis de mes collègues. Néanmoins, je veux bien passer outre et le retirer, à condition que soient organisées les réunions de travail que vous avez évoquées.
Je vous demanderai donc de nous soumettre, dès demain, une date pour l’engagement de ces travaux, auxquels les dispositions de cet amendement, qui ont le mérite d’être d’ores et déjà construites, serviraient de base.
J’ai conscience que ledit amendement, qui a été rédigé dans l’urgence, est imparfait et perfectible. Mais, je le répète, ses dispositions me semblent constituer une base de travail légitime.
Je retire donc mon amendement, madame la présidente.
Mme le président. L’amendement n° 122 rectifié quater est retiré.
M. Cédric Vial. Je le reprends, madame la présidente ! (Exclamations.)
Mme Laurence Rossignol. Cela devait arriver !
Mme le président. C’est impossible, mon cher collègue : vous ne pouvez reprendre un amendement dont vous êtes cosignataire.
Mme Sophie Primas. Monsieur le ministre, vous pourriez répondre à M. Chaize !
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Monsieur le sénateur, je vous proposerai une date dès demain, pour que nous puissions travailler ensemble.
M. Olivier Rietmann. Promesses !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. En prenant un peu de distance avec les événements que nous connaissons depuis une semaine, vous constaterez qu’il nous faudra apporter des réponses qu’il est très difficile, comme l’a dit le Président de la République, de trouver à chaud.
Nous sommes ici rassemblés pour légiférer sur l’espace numérique et avons devant nous encore quelques heures de débat, puis une navette parlementaire.
L’examen du texte à l’Assemblée nationale sera l’occasion de porter une disposition nouvelle, et la commission mixte paritaire mettra tout le monde d’accord. Nous espérons, bien sûr, comme l’a justement rappelé le rapporteur, que l’ensemble du texte sera validé, ensuite, par le Conseil constitutionnel.
Saisissons-nous de ce sujet : sur la base de la rédaction proposée par Patrick Chaize, construisons ensemble, notamment avec les rapporteurs des deux assemblées, un dispositif qui pourra être adopté à l’Assemblée nationale.
Nous parviendrons ainsi à un dispositif équilibré et solide, qui nous permettra, après que nous aurons identifié les points à régler et tiré les leçons de la semaine écoulée, de disposer des outils nécessaires pour prévenir à l’avenir ce type d’événements.
Article 5
Le code pénal est ainsi modifié :
1° L’article 131-35-1 est ainsi rétabli :
« Art. 131-35-1. – I. – Pour les délits mentionnés au II du présent article, le tribunal peut ordonner à titre complémentaire la suspension du ou des comptes d’accès à un ou plusieurs services en ligne ayant été utilisés pour commettre l’infraction, y compris si ces services n’ont pas constitué le moyen unique ou principal de cette commission. Le présent alinéa s’applique aux comptes d’accès aux services de plateforme en ligne définis au 4° du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique, aux services de réseaux sociaux en ligne et aux services de plateformes de partage de vidéo au sens du règlement 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828.
« La suspension est prononcée pour une durée maximale de 6 mois ; cette durée est portée à un an lorsque la personne est en état de récidive légale.
« Le prononcé de la peine complémentaire mentionnée au premier alinéa et la dénomination du compte d’accès ayant été utilisé pour commettre l’infraction est signifié aux fournisseurs de services concernés. À compter de cette signification et pour la durée d’exécution de la peine complémentaire, ils procèdent au blocage du ou des comptes précités et mettent en œuvre, dans les limites prévues par l’article 46 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, des mesures permettant de procéder au blocage des autres comptes d’accès à leur service éventuellement détenus par la personne condamnée et d’empêcher la création de nouveaux comptes par la même personne.
« Le fait, pour le fournisseur, de ne pas procéder au blocage du ou des comptes visés par la peine complémentaire est puni de 75 000 euros d’amende.
« Pour l’exécution de la peine complémentaire mentionnée au premier alinéa et par dérogation au troisième alinéa de l’article 702-1 du code de procédure pénale, la première demande de relèvement de cette peine peut être portée par la personne condamnée devant la juridiction compétente à l’issue d’un délai de trois mois après la décision initiale de condamnation.
« II. – Les délits pour lesquels cette peine complémentaire est encourue sont :
« 1° Les délits prévus aux articles 222-33, 222-33-1-1, 222-33-2, 222-33-2-1, 222-33-2-2, 222-33-2-3 et au deuxième alinéa de l’article 222-33-3 ;
« 2° Les délits prévus aux articles 225-4-13, 225-5, 225-6 et 225-10 ;
« 3° Les délits prévus aux articles 226-1 à 226-3, 226-4-1 et 226-8 ;
« 4° Les délits prévus aux articles 227-4-2 et 227-22 à 227-24 ;
« 5° Les délits prévus aux articles 223-1-1, 226-10, 226-21, 226-22, 413-13 et 413-14 ;
« 6° Les délits prévus aux articles 312-10 à 312-12 ;
« 7° Les délits de provocation prévus aux articles 211-2, 223-13, 227-18 à 227-21, 412-8 et 431-6 ;
« 8° Le délit prévu à l’article 421-2-5 ;
« 9° Les délits prévus aux articles 431-1, 433-3 et 433-3-1 ;
« 10° Les délits prévus aux cinquième, septième et huitième alinéas de l’article 24 et à l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. » ;
2° (nouveau) L’article 131-6 est ainsi modifié :
a) Après le 12°, il est inséré un 12° bis ainsi rédigé :
« 12° bis L’interdiction, pour une durée de trois ans au plus, d’accéder à un ou plusieurs services de plateforme en ligne définis au 4° du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique, services de réseaux sociaux en ligne et services de plateformes de partage de vidéo au sens du règlement 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 ; les dispositions du présent alinéa s’appliquent lorsque l’infraction a été commise en recourant à un service en ligne, y compris si celui-ci n’a pas été le moyen unique ou principal de cette commission ; »
b) Au dernier alinéa, après la référence : « 12° », est insérée la référence : « , 12° bis » ;
3° (nouveau) Après le 13° de l’article 132-45, il est inséré un 13° bis ainsi rédigé :
« 13° bis Lorsque l’infraction a été commise en recourant à un service en ligne, y compris si celui-ci n’a pas été le moyen unique ou principal de cette commission, s’abstenir d’accéder à certains services désignés par la juridiction ; les dispositions du présent alinéa sont applicables aux services de plateforme en ligne tels que définis au 4° du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique, aux services de réseaux sociaux en ligne et aux services de plateformes de partage de vidéo au sens du règlement 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 ; ».
II (nouveau). – Après le 9° de l’article 41-2 du code de procédure pénale, il est inséré un 9° bis ainsi rédigé :
« 9° bis Ne pas accéder, pour une durée qui ne saurait excéder six mois, à un ou des services de plateforme en ligne définis au 4° du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique, services de réseaux sociaux en ligne et services de plateformes de partage de vidéo au sens du règlement 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 ; ».
Mme le président. L’amendement n° 68 rectifié bis, présenté par M. Fialaire, Mme N. Delattre, MM. Bilhac, Corbisez, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier, Roux et Cabanel, est ainsi libellé :
Alinéa 3, première phrase
Après les mots :
ayant été utilisés
insérer les mots :
, ou non,
La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. L’article 5 du projet de loi confère au juge la capacité de prononcer une peine complémentaire de suspension du ou des comptes d’accès à un ou plusieurs services en ligne ayant été utilisés pour commettre l’infraction.
Or la suppression desdits comptes n’empêchera pas l’utilisateur délinquant de se déporter vers d’autres plateformes, afin de poursuivre ses agissements délictueux.
Cet amendement vise donc à permettre au juge d’ordonner la suppression de tous les comptes d’accès à un ou plusieurs services en ligne existants ou nouvellement créés, qu’ils aient été utilisés ou non pour commettre l’infraction, dès lors que les conditions techniques et juridiques sont garanties.
J’entends bien qu’un tel élargissement doit être entouré de garanties, afin de répondre au principe constitutionnel de proportionnalité des peines, également appelé principe de nécessité des peines, et conforme à la protection de la liberté d’expression et de communication.
C’est pourquoi, premièrement, le prononcé de cette peine complémentaire revêt un caractère facultatif laissé à l’appréciation du juge ; deuxièmement, le juge doit être en mesure d’affirmer que le délinquant sera susceptible de poursuivre ces délits sur d’autres plateformes, notamment à l’aune de ses agissements passés ; troisièmement, cette peine complémentaire est encourue seulement en cas de condamnation pour des infractions graves commises au moyen d’un service de plateforme en ligne.
Enfin, s’agissant des sanctions restreignant la liberté d’expression, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé, dans l’arrêt Affaire Mouvement raëlien suisse c. Suisse du 13 juillet 2012, que l’interdiction d’accès à un média pouvait être considérée comme justifiée et proportionnée, notamment dès lors qu’il existe des possibilités de diffusion des idées par le biais d’autres médias et canaux.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Si cet amendement était adopté, le juge pourrait prévoir, à titre de peine complémentaire, non seulement le blocage du ou des comptes qui ont permis la commission de l’infraction, mais aussi celui des autres comptes de la personne condamnée.
Cette piste a été explorée par le Gouvernement et par votre serviteur, mais elle semble contraire à la Constitution. Il ne me paraît pas judicieux de prendre ce risque. Au demeurant, il est plausible que les infractions donnant lieu au prononcé de cette peine complémentaire soient commises en utilisant plusieurs comptes et plusieurs plateformes.
La nouvelle rédaction adoptée par la commission spéciale garantit que le juge puisse prononcer le blocage de tous les comptes d’accès concernés. Cette rédaction intermédiaire permet de répondre en partie à votre argumentaire, mon cher collègue.
L’avis de la commission spéciale est donc défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 68 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 133, présenté par M. L. Hervé, au nom de la commission spéciale, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5, seconde phrase
Remplacer le mot :
précités
par les mots :
faisant l’objet d’une suspension
II. – Alinéa 6
Remplacer les mots :
visés par la peine complémentaire
par les mots :
faisant l’objet d’une suspension
III. – Alinéa 21
Remplacer le mot :
accéder
par les mots :
utiliser un compte d’accès
IV. – Alinéa 24
Remplacer les mots :
accéder à certains services désignés par la juridiction
par les mots :
utiliser un compte d’accès à certains services en ligne désignés par la juridiction de condamnation ou par le juge d’application des peines
V. – Alinéas 25 et 26
Rédiger ainsi ces alinéas :
II. – Après le 19° de l’article 41-2 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Ne pas utiliser, pour une durée qui ne saurait excéder six mois, un compte d’accès à un ou des services de plateforme en ligne définis au 4° du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique, services de réseaux sociaux en ligne et services de plateformes de partage de vidéo au sens du règlement 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828. »
La parole est à M. le rapporteur.
Mme le président. L’amendement n° 116, présenté par MM. Haye, Patriat, Iacovelli, Bargeton et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 21
Remplacer les mots :
lorsque l’infraction a été commise en recourant à un service en ligne, y compris si celui-ci n’a pas été le moyen unique ou principal de cette commission
par les mots :
pour les délits prévus au II de l’article 131-35-1 du présent code
II. – Alinéa 24
Remplacer les mots :
Lorsque l’infraction a été commise en recourant à un service en ligne, y compris si celui-ci n’a pas été le moyen unique ou principal de cette commission
par les mots :
Pour les délits prévus au II de l’article 131-35-1 du présent code
III. – Alinéa 26
Compléter cet alinéa par les mots :
. Les dispositions du présent alinéa s’appliquent pour les délits prévus au II de l’article 131-35-1 du code pénal
La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Cet amendement vise à calquer la liste des délits pouvant déclencher ces nouveaux dispositifs de bannissement numérique sur celle des délits pouvant déclencher la peine complémentaire prévue à l’article 131-35-1 du code pénal.
Au sein de la commission spéciale, nous avons proposé de nouvelles modalités d’application du bannissement numérique. Or les peines limitatives de la liberté d’expression rendent nécessaires des garanties fortes en termes de proportionnalité, de champ d’application et de durée.
Cet amendement vise à apporter ces garanties.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Vous proposez, mon cher collègue, de limiter l’application du bannissement, en tant que modalité d’exécution des peines, aux délits visés par ledit bannissement prononcé en tant que peine complémentaire. Or c’est tout l’inverse de ce que la commission spéciale a voulu faire !
Si nous adoptions votre amendement, on ne pourrait jamais bannir une personne qui a commis un crime, car la liste à laquelle vous faites référence ne comporte que des délits. En d’autres termes, et pour illustrer mon propos, si un prédateur sexuel ayant recruté ses victimes sur internet était placé en liberté conditionnelle, on ne pourrait, à la fin de sa peine, lui interdire d’aller sur certains réseaux sociaux.
Là encore, il convient de mener une réflexion pour trouver le bon équilibre. Je pourrais accepter votre amendement si vous proposiez que le bannissement soit encouru seulement pour certains crimes et délits bien identifiés. Mais votre rédaction est beaucoup trop restrictive, et elle aurait pour conséquence de priver cette nouvelle arme de sa portée. Vous manquez ainsi l’occasion de mieux protéger les victimes et la société.
Nous avons prévu à cet égard, je vous le rappelle, que le juge ne puisse prononcer le bannissement que si l’auteur est condamné pour une infraction commise en ligne. Ce garde-fou d’importance me semble pleinement garantir la conformité à la Constitution du texte adopté par la commission.
Je sollicite donc le retrait de cet amendement, lequel deviendrait d’ailleurs sans objet si l’amendement n° 133 que je viens de présenter était adopté.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Je souhaite, tout d’abord, saluer le travail du rapporteur Loïc Hervé, qui, partant de cet article 5 créant une peine complémentaire de bannissement pour les personnes reconnues coupables de certains délits, a prévu que ledit bannissement puisse être prononcé dans le cadre du sursis probatoire, de la composition pénale ou comme peine alternative à une peine d’emprisonnement. Ce triple dispositif vient s’ajouter au dispositif initial, et c’est une bonne chose.
Le Gouvernement considère cependant que, pour garantir la sécurité juridique du dispositif, il faut l’entourer de toutes les précautions ayant prévalu lors de la rédaction de l’article 5. Il convient ainsi d’apporter des précisions portant sur la durée du bannissement et sur les délits ou crimes pouvant faire l’objet du bannissement prononcé en tant que tel ou en tant que peine complémentaire.
C’est la raison pour laquelle j’émets un avis favorable sur l’amendement n° 133 qu’a présenté M. le rapporteur et qui vise à apporter des précisions à cet égard.
En ce qui concerne l’amendement n° 116, l’avis est également favorable, même s’il est probable que cette disposition devienne sans objet, dans la mesure où il tend à circonscrire la liste des délits pour lesquels le juge a la faculté de prononcer une peine de bannissement dans les trois cas ouverts par le rapporteur – composition pénale, sursis probatoire et peine alternative.
Mme le président. En conséquence, l’amendement n° 116 n’a plus d’objet.
L’amendement n° 117 rectifié, présenté par MM. Haye, Patriat, Iacovelli, Bargeton et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 9
Supprimer la référence :
222-33-1-1,
II. – Alinéa 11
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 3° Les délits prévus aux articles 226-1 à 226-2-1, 226-4-1, 226-8 et 226-8-1 ;
III. – Alinéa 15
Remplacer la référence :
431-6
par les mots :
et au deuxième alinéa de l’article 431-6
La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Cet amendement vise à modifier la liste des délits, en retenant ceux qui sont punis de deux ans de prison minimum et de 30 000 euros d’amende – à l’exception des délits de presse –, qui constituent des abus de liberté d’expression et qui sont en lien direct avec l’utilisation des réseaux sociaux. Je rejoins ici les propos de Patrick Chaize.
La commission spéciale a élargi la liste de délits pouvant faire l’objet de la peine complémentaire prévue à l’article 5 du présent projet de loi. Il s’agit, au travers de cet amendement, d’affirmer le respect du principe de proportionnalité des peines.
Mme le président. Le sous-amendement n° 143, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement 117, alinéas 4 à 11
Remplacer ces alinéas par dix-sept alinéas ainsi rédigés :
II. – Alinéa 10
Remplacer les mots :
, 225-6 et 225-10
par les mots :
et 225-6
III. – Alinéa 11
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 3° Le délit prévu à l’article 226-2-1 ;
IV. – Alinéa 13
Supprimer la référence :
, 226-10
V. – Alinéa 15
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 7° Les délits prévus aux articles 211-2, 223-13, 223-14, 227-18, 227-18-1, 227-21, 412-8 et au deuxième alinéa de l’article 431-6 ;
VI. – Alinéa 17
Supprimer la référence :
431-1,
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Ce sous-amendement vise, comme l’amendement n° 117 rectifié que vient de présenter M. Haye, à préciser la liste des délits en retenant ceux qui, punis de sanctions lourdes, constituent des abus de liberté d’expression et sont en lien direct avec l’utilisation des réseaux sociaux.
Il me semble important de circonscrire le champ des délits pour lesquels le juge a la faculté de prononcer, notamment, la peine de bannissement, afin de garantir la sécurité du dispositif.
Je suis donc favorable à l’amendement n° 117 rectifié, sous réserve de l’adoption de ce sous-amendement.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. En ce qui concerne l’amendement n° 117 rectifié du groupe RDPI, que nous avons examiné ce matin, la commission spéciale s’était déclarée prête à émettre un avis favorable sous réserve de plusieurs rectifications, lesquelles ont été apportées.
Or le Gouvernement revient sur ces rectifications au travers de son sous-amendement n° 143.
Pour ma part, je demeure favorable à cet amendement approuvé par la commission spéciale, laquelle a suivi sa position constante depuis le début de nos travaux sur ce texte, mais j’émets un avis tout à fait défavorable sur le sous-amendement du Gouvernement.
Mme le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 143.
(Le sous-amendement n’est pas adopté.)
Mme le président. L’amendement n° 118, présenté par MM. Haye, Patriat, Iacovelli, Bargeton et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 21
Remplacer les mots :
trois ans
par les mots :
six mois
La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Cet amendement vise à calquer la durée du nouveau dispositif de bannissement numérique dans le cadre d’une peine susceptible d’être prononcée à la place de l’emprisonnement – ou en même temps –, au titre de l’article 131-6 du code pénal, sur celle de la peine complémentaire prévue à l’article 131-35-1 du même code, soit six mois.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Je ne crois pas qu’il y ait un risque constitutionnel à prévoir une durée de trois ans pour le bannissement comme alternative à l’emprisonnement. Pour mémoire, cette durée est un maximum, de même importance que la durée maximale prévue dans le même cadre pour une interdiction de paraître.
Pour autant, en opportunité, je comprends l’argument des auteurs de l’amendement, et il me semble non pas nécessaire, mais raisonnable de limiter cette durée à six mois : pour se réinsérer, un condamné a besoin de mener une vie relativement normale, et nous entraverions cet objectif en prévoyant une durée de bannissement trop longue. Je trouve toutefois que la durée de six mois est un peu courte.
C’est pourquoi, avec courage (Sourires.), je m’en remets à la sagesse de notre assemblée.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Il est toujours intéressant de comparer les différentes libertés, en l’occurrence la liberté d’expression et celle de paraître.
Il faut tout de même se souvenir que le juge constitutionnel considère généralement la valeur de la liberté d’expression comme plus élevée que celle de la liberté de mouvement et de circulation ou de la liberté de paraître.
Je propose donc de suivre la position de M. Haye, en fixant à six mois la durée de la peine de bannissement. Une fois le dispositif éprouvé, il sera toujours temps de le faire évoluer, si nécessaire.
La peine de bannissement qui figurait dans le projet de loi initial était déjà un dispositif tout neuf. Les trois dispositifs que la commission spéciale y a introduits à juste titre, sur l’initiative de M. le rapporteur, sont également nouveaux.
Si nous voulons nous assurer que le juge constitutionnel les valide, il convient de prendre les précautions d’usage, quitte à ce que les paramètres – durée, liste des délits concernés, etc. – soient revus, une fois établi le respect de la proportionnalité de ces peines.
L’avis du Gouvernement sur cet amendement est donc tout à fait favorable.
Mme le président. Je mets aux voix l’article 5, modifié.
(L’article 5 est adopté.)
Après l’article 5
Mme le président. L’amendement n° 106, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le I de l’article 222-33-1-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 9° Lorsqu’il a été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique, que ce soit par la diffusion de contenus accessibles au public ou par l’envoi de messages émis par la voie de communications électroniques. »
II. – L’article 60-1-2 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« …° La procédure porte sur l’infraction mentionnée au 9° de l’article 222-33-1-1 du code pénal. »
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Cet amendement vise à créer une amende forfaitaire pour les outrages sexistes commis en ligne.
D’après un rapport de 2021 de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), récemment rendu public, 2 350 faits d’outrage sexiste ont été recensés par le ministère de l’intérieur entre août 2018 et décembre 2020, mais seulement 15 % des auteurs ont été identifiés et très peu de sanctions ont été prononcées.
Comme il est indiqué dans le rapport, l’outrage sexiste est une infraction difficile à constater dans l’espace public, car il est rarement commis en présence de policiers.
À la suite de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), l’outrage sexiste et sexuel est devenu un délit le 1er avril 2023. L’amende qui y est associée est passée de 1 500 euros à 3 750 euros. Malheureusement pour les victimes, la répression plus sévère de cet outrage risque de ne pas suffire, le manque de preuves les empêchant souvent d’obtenir réparation.
Or, si de tels actes commis dans la rue ou dans les transports sont difficiles à caractériser, ils sont beaucoup plus faciles à prouver lorsqu’ils sont commis en ligne – messages privés, posts publics sur les réseaux sociaux. Les outrages sexistes et sexuels en ligne laissent des traces !
C’est la raison pour laquelle nous proposons de créer une amende forfaitaire spécifiquement dédiée aux outrages sexistes et sexuels commis en ligne. Cette amende, particulièrement dissuasive, permettrait de lutter plus efficacement contre ces injures, qui n’ont leur place ni dans la rue ni sur internet.
Je précise que cet amendement a été rédigé en concertation avec l’association StopFisha.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Cet amendement tend à intégrer au délit d’outrage sexiste ou sexuel les infractions commises en ligne. Il a pour objet de garantir une répression rapide des comportements dégradants, hostiles ou discriminatoires qui se produisent en ligne, en les soumettant à une amende forfaitaire délictuelle.
Je partage l’avis des auteurs de l’amendement sur ce sujet. J’ai d’ailleurs moi-même déposé un amendement dont les dispositions procèdent du même état d’esprit.
Cependant, la solution proposée ne peut pas être acceptée en l’état, car elle pose deux difficultés juridiques.
Premièrement, elle s’insère dans un dispositif qui touche la vie réelle : elle vise les comportements, alors qu’il faudrait cibler la diffusion de contenus.
Deuxièmement, notre code de procédure pénale ne permet pas de procéder à une réquisition pour identifier l’auteur d’une infraction commise en ligne si celle-ci n’est pas punie d’au moins un an d’emprisonnement.
Or l’outrage sexiste et sexuel n’est pas sanctionné par une peine de prison. En pratique, les policiers et gendarmes ne pourront identifier l’auteur de l’outrage avec certitude et ne pourront a fortiori lui infliger une amende.
Pour ces raisons, je sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, j’y serais défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. L’amendement n° 134, présenté par M. L. Hervé, au nom de la commission spéciale, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après la section 4 du chapitre II du titre II du live II du code pénal, est insérée une section 4 … ainsi rédigée :
« Section 4 …
« De l’outrage en ligne
« Art. 222-33-1-2. – I. – Est puni de 3 750 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement le fait, hors les cas prévus aux articles 222-17 à 222-18-1, 222-33-1 et 222-33-2 à 222-33-2-3 du code pénal et aux troisième et quatrième alinéas de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, de diffuser en ligne tout contenu qui soit porte atteinte à la dignité d’une personne ou présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
« Est considéré comme diffusé en ligne au sens du présent article, tout contenu transmis au moyen d’un service de plateforme en ligne définis au 4° du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique, d’un service de réseaux sociaux en ligne ou d’un service de plateformes de partage de vidéo au sens du règlement 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828.
« Les personnes reconnues coupables du délit prévu au présent article encourent également les peines complémentaires suivantes :
« 1° La peine de stage prévue aux 1° , 4° , 5° ou 7° de l’article 131-5-1 du présent code ;
« 2° L’interdiction d’utiliser un compte d’accès à un service en ligne prévue au 12° bis de l’article 131-6 ; cette interdiction est prononcée pour une durée de six mois au plus.
« II. – Pour le délit prévu au I du présent article, l’action publique peut être éteinte, dans les conditions prévues aux articles 495-17 à 495-25 du code de procédure pénale, par le versement d’une amende forfaitaire d’un montant de 300 euros. Le montant de l’amende forfaitaire minorée est de 250 euros et le montant de l’amende forfaitaire majorée est de 600 euros.
« Art. 222-33-1-3. – I. – L’infraction définie à l’article 222-33-1-2 est punie de 7 500 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement lorsqu’elle est commise :
« 1° Par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;
« 2° Sur un mineur ;
« 3° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse est apparente ou connue de son auteur ;
« 4° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de son auteur ;
« 5° Par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ;
« 6° En raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre, vraie ou supposée, de la victime ;
« 7° Par une personne qui commet la même infraction en étant en état de récidive dans les conditions prévues au second alinéa de l’article 132-11.
« II. – Pour le délit prévu au I du présent article, y compris en cas de récidive, l’action publique peut être éteinte, dans les conditions prévues aux articles 495-17 à 495-25 du code de procédure pénale, par le versement d’une amende forfaitaire d’un montant de 600 euros. Le montant de l’amende forfaitaire minorée est de 500 euros et le montant de l’amende forfaitaire majorée est de 1 200 euros. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Les auditions conduites par le rapporteur et la commission spéciale ont mis au jour les difficultés posées, en matière de harcèlement en ligne, par la réponse pénale classique.
En effet, le cyberharcèlement ne fait pas l’objet d’une définition autonome dans le code pénal. Il se trouve couvert par les infractions existantes de harcèlement, qu’il s’agisse de harcèlement simple, de harcèlement scolaire ou de harcèlement de la part du conjoint.
Or il s’agit de faits graves et passibles de peines lourdes, qui supposent, légitimement, la tenue d’un procès et, en amont de celui-ci, la conduite d’une enquête, parfois longue, pour garantir le respect des droits de toutes les parties – notamment le principe du contradictoire. La sanction pénale intervient ainsi plusieurs mois, voire plusieurs années, après la commission des faits.
Face à ce constat, le présent amendement vise à créer un délit d’outrage en ligne, inspiré de l’outrage sexiste et sexuel et pouvant faire l’objet d’une sanction immédiate par le biais d’une amende forfaitaire délictuelle, outil qui a fait la preuve de son efficacité pour certains délits. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, sur l’initiative du Gouvernement, nous l’avons largement étendu dans le cadre de la Lopmi, dont j’étais l’un des deux rapporteurs.
Cette nouvelle infraction serait caractérisée de la façon suivante.
Elle porterait sur la diffusion, par le biais d’une plateforme en ligne – au sens du règlement européen sur les services numériques –, de contenus de toute nature portant atteinte à la dignité d’une personne ou présentant à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant, ou créant à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
En revanche, l’infraction ne serait pas constituée si les faits sont de nature à tomber dans le champ des délits existants de harcèlement, de menace ou d’injure publique aggravée, plus lourdement réprimés, ou dans celui de l’outrage sexiste ou sexuel.
Elle serait de nature délictuelle, sa répression étant alourdie dès lors qu’elle s’est accompagnée d’une circonstance aggravante.
Elle serait passible, sous sa forme simple, d’une amende de 3 750 euros et d’un d’emprisonnement ou du paiement d’une amende forfaitaire délictuelle (AFD) de 300 euros, et, sous sa forme aggravée, d’une amende de 7 500 euros ou du paiement d’une AFD de 600 euros.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Monsieur le rapporteur, vous avez fait allusion à la Lopmi.
Dans sa décision du 19 janvier 2023 relative à cette loi, le Conseil constitutionnel a estimé que la procédure de l’amende forfaitaire n’était possible qu’à la condition de porter sur des délits punis d’une peine d’emprisonnement qui ne peut être supérieure à trois ans et dont les éléments constitutifs peuvent être aisément constatés, et de ne mettre en œuvre que des peines d’amende de faible montant.
Or les infractions dont il s’agit nécessitent des enquêtes parfois approfondies pour identifier les auteurs, ce qui n’est à première vue pas tout à fait compatible avec l’AFD.
Par ailleurs, la nature des contenus illicites en ligne doit souvent faire l’objet d’une appréciation juridique et les zones grises sont importantes – je laisse de côté les contenus les plus univoques, qui font l’objet des mesures dont nous avons discuté il y a quelques heures. C’est peu compatible avec le caractère automatique de l’amende forfaitaire.
Compte tenu de ces réserves, je demande le retrait de cet amendement.
Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Le délit que vous souhaitez créer, monsieur le rapporteur, s’inspire du délit d’outrage sexiste et sexuel.
Or vous mentionnez explicitement dans l’objet de l’amendement que l’infraction donnant lieu à ce délit ne sera pas constituée si les faits sont de nature à tomber dans le champ des délits existants, comme le harcèlement ou l’outrage sexiste et sexuel. J’ai du mal à comprendre ce dispositif…
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Mon cher collègue, en matière d’infraction pénale, en l’espèce constitutive d’un délit, les faits sont rattachés à une infraction ou à une autre. L’amende forfaitaire est exclusive d’un autre dispositif.
Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 5.
Je suis saisie d’un amendement et d’un sous-amendement faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 128, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 226-8 du code pénal, il est inséré un article 226-8-1 ainsi rédigé :
« Art. 226-8-1. – Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende le fait de publier, sans son consentement, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne, et présentant un caractère sexuel. Est assimilé à l’infraction mentionnée au présent alinéa et puni des mêmes peines le fait de publier par quelque voie que ce soit, un contenu visuel ou sonore généré par un traitement algorithmique et reproduisant l’image ou les paroles d’une personne, sans son consentement, et présentant un caractère sexuel. »
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez précédemment adopté un amendement qui vise à intégrer les hypertrucages ou deepfakes dans le dispositif de l’article 226-8 du code pénal.
Or l’amendement n° 128 et le sous-amendement n° 129 rectifié bis ont pour objet les hypertrucages pornographiques, qui représentent l’immense majorité des hypertrucages. Mais je vais laisser Mme Borchio Fontimp présenter le dispositif qu’elle a conçu et que nous avons concrétisé tous deux au travers de cet amendement et de ce sous-amendement.
Mme le président. Le sous-amendement n° 129 rectifié bis, présenté par Mme Borchio Fontimp, MM. H. Leroy, Tabarot et Bascher, Mme V. Boyer, M. Genet, Mme Pluchet, MM. Anglars et Bacci, Mmes Bellurot, Belrhiti et Berthet, MM. Bouchet, Bouloux, Calvet et Cambon, Mmes L. Darcos, Del Fabro, Di Folco, Garriaud-Maylam et F. Gerbaud, M. Houpert, Mmes Imbert et Joseph, M. Klinger, Mme Lassarade, M. Lefèvre, Mmes M. Mercier et Noël et MM. Pellevat, Perrin, Piednoir, Rapin, Reichardt, Rietmann et Saury, est ainsi libellé :
Amendement n° 128
Compléter cet amendement par deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque le délit prévu au premier alinéa est commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.
« Ces peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende lorsque la publication du montage ou du contenu généré par un traitement algorithmique a été réalisé en utilisant un service de communication au public en ligne. »
La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp.
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Le deepfake est le nom de cet hypertrucage qui consiste à publier, sans le consentement d’une personne, un montage réalisé avec les paroles ou l’image de cette dernière, ayant un caractère pornographique et réalisable à l’aide de l’intelligence artificielle.
Ce nouveau fléau concerne, dans 99 % des cas, des femmes. Le Gouvernement s’est saisi de cet enjeu, mais des précisions sont nécessaires.
Ce sous-amendement vise à en apporter deux : d’une part, il tend à faciliter l’utilisation des moyens légaux pour déterminer les personnes responsables d’un tel acte ; d’autre part, il a pour objet de prévoir une sanction en conséquence, c’est-à-dire trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, lorsque cet hypertrucage est publié via un service de communication au public en ligne.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. En ce qui concerne l’amendement n° 128, j’approuve, comme pour l’amendement n° 127, l’objectif du Gouvernement. Les montages ou les deepfakes à caractère sexuel, qui ont pour but d’humilier une personne ou d’exercer sur elle un chantage, pullulent sur certains sites : c’est inacceptable.
Le Gouvernement propose, pour mieux protéger les victimes, de créer une nouvelle infraction qui serait pénalisée à la même hauteur que le revenge porn. Je trouve ce choix judicieux et j’y adhère sans réserve.
Nous aurons peut-être une question à régler dans la suite de la navette sur le régime des montages ou des deepfakes à caractère sexuel qui affichent leur propre nature, c’est-à-dire ceux qui sont clairement et explicitement présentés comme des faux. Dans ces cas, les montages pourraient d’une certaine manière relever du droit à la caricature ou constituer des illustrations n’ayant pas pour objet de porter tort à la personne visée.
En effet, l’article 226-8 du code pénal établit une différence entre les montages qui se font passer pour des vrais et ceux qui sont affichés comme fictifs. Cela me semble effectivement une garantie non négligeable quant au respect de la liberté d’expression, même si j’ai du mal à imaginer un contexte dans lequel un montage ou un deepfake pornographique serait l’expression d’une liberté… Il est vrai que certaines images peuvent être à cheval entre différents types de graphisme, si je puis dire.
Néanmoins, j’ai quelques doutes juridiques et je ne voudrais pas que, sur un enjeu aussi important, nous prenions le risque d’une censure constitutionnelle – c’est quasiment devenu une obsession pour moi ! (Sourires.)
Sous réserve de l’engagement du Gouvernement de retravailler ce sujet avec nos collègues de l’Assemblée nationale, j’émets donc un avis favorable sur l’amendement.
De même, je suis bien sûr favorable, madame Borchio Fontimp, à votre sous-amendement qui tend à apporter une précision tout à fait bienvenue, dans le cadre d’un travail de coconstruction intelligente auquel je souscris.
Mme le président. Monsieur le ministre, confirmez-vous l’avis favorable du Gouvernement sur le sous-amendement n° 129 rectifié bis ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Tout à fait, madame la présidente.
Par ailleurs, monsieur le rapporteur, je m’engage à sécuriser le dispositif dans le cadre de la navette.
Mme le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 129 rectifié bis.
(Le sous-amendement est adopté.)
Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 5.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 9 rectifié bis, présenté par Mmes Rossignol et Blatrix Contat, MM. Kanner, Cardon, Durain, Féraud et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 3° bis de l’article 138 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Ne pas être inscrit et ne pas se rendre sur certaines applications ou certains sites internet, déterminés par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention ; ».
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Cet amendement vise l’article 138 du code de procédure pénale, qui est consacré au périmètre du contrôle judiciaire.
Cet article, qui a été élaboré avant l’intrusion d’internet dans nos vies et dans l’activité judiciaire, permet au juge des libertés et de la détention (JLD) ou au juge d’instruction de restreindre un certain nombre de libertés, notamment celle d’aller et venir, en interdisant l’accès à certains lieux. Mais il ne prévoit rien sur la fréquentation des sites internet ou des applications.
Aussi, l’amendement n° 9 rectifié bis tend à insérer un alinéa après le 3° bis de l’article 138 du code de procédure pénale pour permettre au juge d’instruction ou au JLD d’interdire l’accès à des sites.
Certains auront reconnu à quelle situation judiciaire vise à répondre mon amendement : il s’agit de l’affaire dite du violeur de Tinder. L’instruction de cette affaire a commencé en 2015 et elle n’est, me semble-t-il, toujours pas close. Cet homme a été écroué et mis en détention provisoire pendant un temps, avant d’être relâché. Il fait aujourd’hui l’objet d’un contrôle judiciaire, mais, depuis sa libération, il a continué à utiliser la même application de rencontres, ainsi que d’autres, et il a déjà fait deux ou trois nouvelles victimes.
Il a été reproché à la justice de ne pas lui avoir interdit de consulter les sites de rencontres sur lesquels il recrutait ses victimes. Mais le juge n’en a pas la possibilité. L’objet de cet amendement est donc d’étendre ses pouvoirs.
Mme le président. L’amendement n° 44, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 3° bis de l’article 138 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Lorsque l’infraction a été commise en recourant à un service en ligne, y compris si celui-ci n’a pas été le moyen unique ou principal de cette commission, ne pas accéder à certains services désignés par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention ; les dispositions du présent alinéa sont applicables aux services de plateforme en ligne tels que définis au 4° du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique, aux services de réseaux sociaux en ligne et aux services de plateformes de partage de vidéo au sens du règlement 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 ; »
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Dans le même esprit, cet amendement vise à faire en sorte que le bannissement des réseaux sociaux puisse être ordonné en tant que mesure de contrôle judiciaire.
Le texte que nous examinons prévoit une peine complémentaire de suspension du ou des comptes ayant servi à commettre le délit en cas de condamnation pour cyberharcèlement, haine en ligne et plusieurs autres délits en ligne. C’est une bonne chose, mais, malheureusement, les condamnations sont encore trop rares pour que cette mesure soit réellement efficace.
En complément de ce dispositif, nous proposons que la suspension des comptes puisse également être une mesure de contrôle judiciaire. Le juge d’instruction ou le JLD pourra demander la suspension du compte pendant le temps de l’instruction.
Cette proposition fait sens, puisque les mesures de contrôle judiciaire permettent précisément d’empêcher la récidive. Je précise que cet amendement a été rédigé en concertation avec l’association StopFisha.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. L’amendement de Mme Rossignol n’est pas tout à fait analogue à celui de M. Dossus, puisqu’il vise à permettre aux juges de prononcer un bannissement dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Nous avons déjà évoqué cette question, qui m’interpelle véritablement.
Cependant, sa rédaction pose problème, car elle n’est pas harmonisée avec celle qui a été retenue en commission spéciale à l’article 5 pour les alternatives aux poursuites et l’exécution des peines. Les infractions pénales respectent le principe de légalité, et le terme « certaines applications ou certains sites internet » est bien trop large à cet égard.
Au surplus, il faudrait exiger un lien entre l’infraction et cette modalité de contrôle judiciaire, donc limiter le bannissement aux contrôles judiciaires qui ont lieu dans le cadre d’une enquête sur une infraction commise en ligne ; à défaut, on ne voit pas pourquoi et comment cette interdiction pourra s’appliquer.
Je demande donc le retrait de cet amendement, au profit de l’amendement de M. Dossus visant à intégrer la possibilité pour le juge de prononcer un bannissement dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Cette disposition reprend les grandes lignes établies par la commission spéciale s’agissant des alternatives aux poursuites et de l’exécution des peines, et j’en remercie M. Dossus et ses collègues.
Toutefois, nous sommes dans un cadre différent, puisque, contrairement aux personnes ciblées par l’article 5, tel qu’il a été adopté par la commission spéciale, et qui soit sont condamnées, soit ont reconnu leur culpabilité, les personnes soumises à un contrôle judiciaire sont seulement mises en cause dans une enquête judiciaire et n’ont pas encore été jugées.
Il faut trouver un équilibre entre ce grand principe du droit qu’est la présomption d’innocence – il irrigue l’intégralité du code pénal et nous devons l’avoir toujours en tête quand nous légiférons en matière pénale – et la protection des victimes, avec l’élimination la plus large possible du risque de récidive, en particulier dans le cadre du contrôle judiciaire évoqué par Laurence Rossignol, grâce aux mesures prises par le juge, comme l’interdiction d’entrer en contact avec certaines telle ou l’interdiction de la fréquentation de tel ou tel lieu.
C’est la raison pour laquelle je souhaiterais obtenir l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 44.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. L’amendement n° 9 rectifié bis a pour objet la création d’un tout nouveau dispositif, visant non pas la suspension du compte d’accès aux services de plateformes en ligne, mais l’interdiction de toute utilisation, y compris à des fins d’information, d’un ou de plusieurs services de plateformes en ligne.
Je comprends l’intention, mais cette proposition me semble disproportionnée, et cela à plusieurs titres : quant à son champ d’application, puisque la mesure est susceptible de s’appliquer à toute infraction punie d’une peine d’emprisonnement ; quant à sa durée, puisqu’elle pourrait trouver à s’appliquer durant tout le temps du contrôle judiciaire ; enfin, quant à ses effets, puisqu’il paraît excessif d’interdire tout accès à un service de plateforme en ligne, y compris ceux qui sont accessibles sans compte d’accès à des fins d’information d’ordre général.
Comme je le disais précédemment, nous avons essayé de veiller, lors de la rédaction initiale du projet de loi et pendant les échanges que nous avons eus avec le rapporteur de la commission spéciale sur les trois dispositifs nouveaux créés, à circonscrire la durée et les infractions visées et à encadrer les types de comptes bannis et de plateformes concernées.
En visant le contrôle judiciaire, les deux amendements visent un champ bien trop ouvert, qui entraîne une insécurité juridique très forte, me semble-t-il.
Le Gouvernement demande donc le retrait de ces amendements, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Je n’ai pas la même lecture que vous de mon amendement, monsieur le ministre. Je ne crois pas qu’il tende à poser une interdiction générale, y compris pour des sites d’information, en visant « certaines applications ou certains sites internet ».
Voilà quelques années que je dépose des amendements, notamment pour modifier le code pénal. Or, à chaque fois, le garde des sceaux – c’est souvent lui qui se trouve au banc du Gouvernement – me répond qu’il faut faire confiance au juge, en particulier au JLD.
Aujourd’hui, on me dit : « Oh là là, votre amendement est liberticide, son adoption peut donner lieu à de nombreuses dérives. » Mais non ! Ce n’est pas possible. Cette disposition permettrait simplement que des mesures de contrôle judiciaire soient prises par le juge d’instruction ou le JLD, à qui je fais – comme on me le dit depuis dix ans – une totale confiance, puisque j’ai fini par être convaincue par le garde des sceaux. (Sourires.) Faisons donc confiance aux juges !
Mme le président. Monsieur le rapporteur, la commission spéciale s’en remet-elle à l’avis défavorable du Gouvernement sur l’amendement n° 44 ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Tout à fait, madame la présidente.
Mme le président. L’amendement n° 43, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :
1° À la première phrase du premier alinéa, après les mots : « même code », sont insérés les mots : « ou contre la diffusion de paroles ou d’images présentant un caractère sexuel en l’absence d’accord de la personne relevant de l’article 226-2-1 dudit code » et les mots : « et 227-23 » sont remplacés par les mots : « , 227-23 et 226-2-1 » ;
2° À la première phrase du deuxième alinéa, les mots : « et 227-23 » sont remplacés par les mots : « , 227-23 et 226-2-1 » ;
3° À la première phrase du quatrième alinéa, les mots : « et 227-23 » sont remplacés par les mots : « , 227-23 et 226-2-1 ».
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Cet amendement vise à renforcer les moyens de la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos) pour retirer les contenus de pornodivulgation. En effet, la divulgation non consentie de photos intimes en ligne est un problème massif, qui touche principalement les femmes et les jeunes filles.
D’après une enquête du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes parue en 2022, plus de 19 % des jeunes femmes entre 17 et 19 ans ont déjà reçu des messages relevant de la pornodivulgation, c’est-à-dire une photo ou une vidéo à caractère sexuel montrant une personne qu’elles connaissent et envoyée sans l’accord de cette dernière.
Par ailleurs, 11 % d’entre elles ont déjà reçu des menaces de publication de photos ou vidéos intimes d’elles sur les réseaux sociaux.
Pourtant, aujourd’hui, lorsque les contenus sont signalés, ils peinent à être déréférencés par les plateformes. Bien que la pornodivulgation soit punie par la loi, le nombre d’infractions relevées et sanctionnées reste très faible.
Pour pallier ces problèmes, nous proposons de renforcer les pouvoirs de police administrative de Pharos prévus à l’article 6-1 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, en intégrant un nouveau critère relatif à la lutte contre la diffusion de contenus à caractère sexuel sans le consentement de la personne.
Cet amendement a été rédigé en concertation avec l’association StopFisha.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Les auteurs de cet amendement veulent accentuer la lutte contre la diffusion au public sur internet de photos et vidéos intimes sans l’accord de la personne filmée. Ces contenus constituent une infraction et peuvent à ce titre être signalés aux hébergeurs pour qu’ils les retirent et à Pharos pour déclencher des enquêtes.
M. Dossus veut aller plus loin, en les assimilant aux contenus pédopornographiques et terroristes, pour lesquels Pharos dispose d’un pouvoir renforcé de demande de retrait et de blocage vis-à-vis des fournisseurs d’accès à internet et aux moteurs de recherche.
On l’a dit, mais il faut le réaffirmer à l’occasion de l’examen de cet amendement, il ne nous semble pas opportun de trop élargir le champ d’action de Pharos, qui, pour cette mission très spécifique, est concentré sur le « haut du spectre » des infractions – cela semble la terminologie la mieux adaptée, puisqu’il faut établir une hiérarchie des différentes finalités de la plateforme ! –, en cohérence avec la législation européenne.
En effet, cette législation a prévu des dispositifs dérogatoires pour les contenus terroristes – c’est le règlement européen relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne, dit TCO, adopté en avril 2021 – et les abus sexuels sur mineurs – c’est le règlement dit CSAM, qui est en cours de discussion.
Je le redis, nous essayons de garder la même ligne et de concentrer Pharos sur ses missions centrales de lutte contre les contenus pédocriminels et contre les contenus terroristes.
La commission spéciale émet donc un avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Ma curiosité pour les cavernes de cette maison dans lesquelles sont appliqués les articles 40 et 45 de la Constitution est sans limites ! J’ai déposé des amendements quasiment identiques à celui de M. Dossus pour élargir les pouvoirs de Pharos qui ont été déclarés irrecevables sur le fondement de l’article 40.
Je ne suis ni de nature jalouse ni du genre à dénoncer mes petits camarades (Sourires.), mais pourquoi les miens ont-ils été déclarés irrecevables et pas le sien ? Un jour, peut-être, je comprendrai…
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Madame Rossignol, vous êtes plus expérimentée que moi dans cette maison ! Vous connaissez bien la procédure de l’article 40 de la Constitution et la structure spécifique qui, au sein de la commission des finances, est chargée de son application.
On peut évidemment se demander pour quelles raisons l’amendement de M. Dossus n’est pas tombé sous le coup de cet article, contrairement aux vôtres.
Mme Laurence Rossignol. Les miens coûtaient trop cher !
M. Loïc Hervé, rapporteur. Peut-être que les moyens nécessaires étaient-ils plus explicites dans vos amendements ? En effet, il faut prévoir des moyens supplémentaires lorsque l’on confie de nouvelles missions à un organisme.
En tout cas, à moyens constants, un élargissement excessif des missions de Pharos entraînerait d’immenses difficultés matérielles, qui éloigneraient cette plateforme de ses objectifs, qu’elle a déjà du mal à atteindre.
L’examen de cet amendement me donne l’occasion de parler des fonctionnaires de police qui forment les effectifs de Pharos : ils font un métier éprouvant, puisqu’ils passent leur temps à visionner des contenus atroces – des viols d’enfants ou des décapitations –, sous la supervision de psychologues, car il est difficile de rentrer chez soi et de retrouver ses enfants et ses proches après une telle journée, tout être humain normalement constitué ayant ses limites.
Il faut que l’on sache que, dans notre pays, des personnes exercent ce métier, et j’aimerais que nous ayons une pensée pour eux, ainsi que pour les missions extraordinaires et, par définition, peu connues qu’ils assurent.
Mme le président. L’amendement n° 39, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Afin de favoriser le développement et l’accès aux plateformes qui protègent efficacement les victimes des contenus haineux, les opérateurs de plateforme en ligne au sens du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation, permettent à leurs utilisateurs de migrer vers des plateformes tierces tout en continuant à communiquer avec les personnes restées sur leur propre plateforme. Ils implémentent des standards techniques d’interopérabilité entre services de communication au public en ligne, conformes à l’état de l’art, documentés, stables et qui ne peuvent être modifiés de façon unilatérale.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Cet amendement, qui a pour objet l’interopérabilité des réseaux sociaux, est proposé de manière récurrente chaque fois que l’on examine des textes relatifs au numérique.
Il s’agit de permettre aux utilisateurs d’une plateforme de réseau social de dialoguer via leur messagerie avec les utilisateurs d’une autre plateforme. Cela n’a rien d’extravagant, et nous utilisons d’ailleurs chaque jour un outil reposant sur ce principe : l’e-mail. Quel que soit votre fournisseur de boîte mail, vous pouvez dialoguer avec d’autres boîtes mail, fournies par des entreprises différentes, sans aucun problème.
Nous souhaitons faire de même avec les réseaux sociaux. En effet, de nombreuses personnes harcelées, insultées et menacées sur les plateformes ne souhaitent pas forcément quitter ces dernières, pour ne pas perdre le lien avec leurs contacts, accumulés parfois depuis des années sur ces réseaux.
L’obligation d’interopérabilité protégerait plus efficacement ces personnes. Elle forcerait les plateformes à agir de manière plus résolue contre la haine en ligne en tapant là où cela fait mal, donc là où c’est efficace, c’est-à-dire au portefeuille.
Avec l’interopérabilité, les utilisateurs seraient moins captifs, et leur départ d’un réseau social qui se montrerait trop bienveillant avec les harceleurs ou les trolls racistes, par exemple, aurait un impact financier dissuasif, ce qui inciterait fortement ces entreprises à réagir.
Enfin, cette mesure permettrait aussi de réguler un peu mieux les situations de quasi-monopole acquises par certaines plateformes, en facilitant l’émergence de nouvelles structures, ce qui aurait un impact tout à fait positif pour l’économie du secteur.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Lors des auditions, j’ai reçu des représentants de l’association La Quadrature du Net, que je connais bien et avec lesquels j’ai souvent eu l’occasion d’échanger.
Nous connaissons les positions qui sont celles de cette association, et nous ne pouvons lui faire grief de son incohérence : elle garde la même position sur un certain nombre de grands principes et alimente à cet égard le débat, qui est sain, sur internet et son avenir.
J’imagine, mon cher collègue, que vous avez également eu des échanges avec cette association pour imaginer votre amendement. Or, elle le reconnaît elle-même, la piste qu’elle a portée auprès des instances européennes au moment de l’élaboration du règlement sur les services numériques, dit DSA, est contraire à la rédaction actuelle de ce texte. Il n’est donc pas possible d’adopter votre proposition amendement sans être orthogonalement contraire au DSA.
C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi j’y serais défavorable. Mais je sais que ce débat est important et qu’il se poursuivra sans doute dans d’autres instances.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Je rejoins le propos de M. le rapporteur : l’interopérabilité est un sujet important.
Monsieur Dossus, l’interopérabilité que vous visez, en tout cas dans l’exposé des motifs de votre amendement, c’est-à-dire celle qui pourrait exister parmi les réseaux sociaux eux-mêmes, entre dans le champ du règlement sur les marchés numériques, dit DMA, et il a été considéré qu’il n’était pas possible de la mettre en œuvre.
En revanche, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque vous serez interrogé sur les changements qu’implique le règlement sur les marchés numériques dans la vie quotidienne, gardez à l’esprit que cela entraînera l’interopérabilité des messageries – pas des réseaux sociaux dans leur ensemble, mais, j’y insiste, des messageries.
En vertu du DMA, il sera possible de communiquer avec une personne qui est sur une messagerie en ligne sans avoir au préalable téléchargé celle-ci. C’est une avancée importante prévue par le règlement.
On peut donc dire que l’amendement est à moitié satisfait, puisque, sans aller jusqu’à l’interopérabilité des réseaux sociaux, le DMA permet l’interopérabilité des messageries.
J’émets donc un avis défavorable.
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 39.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 6
L’article 12 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi rédigé :
« Art. 12. – I. – Lorsque l’un de ses agents spécialement désignés et habilités à cette fin constate qu’un service de communication au public en ligne réalise manifestement des opérations constituant les infractions mentionnées aux articles 226-4-1, 226-18 et 323-1 du code pénal et à l’article L. 163-4 du code monétaire et financier, l’autorité administrative met en demeure la personne dont l’activité est d’éditer le service de communication au public en ligne en cause, sous réserve qu’elle ait mis à disposition les informations mentionnées à l’article 1-1 de la présente loi, de cesser les opérations constituant l’infraction constatée. Elle l’informe également de la mesure conservatoire mentionnée au deuxième alinéa du présent I prise à son encontre et l’invite à lui adresser ses observations dans un délai de cinq jours.
« Simultanément, l’autorité administrative notifie l’adresse électronique du service concerné aux fournisseurs de navigateurs internet au sens du 11 de l’article 2 du règlement (UE) 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique, aux fins de la mise en œuvre de mesures conservatoires.
« La personne destinataire d’une notification prend sans délai, à titre conservatoire, toute mesure utile consistant à afficher un message avertissant l’utilisateur du risque de préjudice encouru en cas d’accès à cette adresse. Ce message est clair, lisible, unique et compréhensible et permet aux utilisateurs d’accéder au site internet officiel du groupement d’intérêt public pour le dispositif national d’assistance aux victimes d’actes de cybermalveillance.
« Cette mesure conservatoire est mise en œuvre pendant une durée de sept jours.
« Lorsque l’autorité administrative, le cas échéant après avoir pris connaissance des observations de la personne dont l’activité est d’éditer le service de communication au public en ligne en cause, estime que le constat mentionné au premier alinéa du présent I n’est plus valable, elle demande sans délai aux personnes destinataires d’une notification de mettre fin aussitôt aux mesures conservatoires.
« II. – Lorsque la personne dont l’activité est d’éditer le service de communication au public en ligne en cause n’a pas mis à disposition les informations mentionnées à l’article 1-1 de la présente loi, lorsque celles-ci ne permettent pas de la contacter ou lorsqu’au terme du délai mentionné au premier alinéa du I du présent article, le cas échéant après que cette personne a fait valoir ses observations, il apparaît que le constat mentionné au même premier alinéa est toujours valable, l’autorité administrative peut, par une décision motivée, enjoindre aux fournisseurs de navigateurs internet au sens du 11 de l’article 2 du règlement (UE) 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique, aux fournisseurs de services d’accès à internet ou aux fournisseurs de systèmes de résolution de noms de domaine de prendre sans délai toute mesure utile destinée à empêcher l’accès à l’adresse de ce service pour une durée maximale de trois mois. La décision de l’autorité administrative désigne quel fournisseur est chargé d’empêcher l’accès à l’adresse de ce service, en fonction de l’injonction émise et de la nature de la mesure envisagée.
« Les utilisateurs des services de communication au public en ligne auxquels l’accès est empêché en application des mesures mentionnées au premier alinéa du présent II sont dirigés vers une page d’information de l’autorité administrative compétente indiquant les motifs de la mesure de blocage.
« À l’issue de la durée prescrite au premier alinéa du présent II, la mesure destinée à empêcher l’accès à l’adresse du service peut être prolongée de six mois au plus sur avis conforme de la personnalité qualifiée mentionnée au III. Une durée supplémentaire de six mois peut être prescrite selon la même procédure.
« L’autorité administrative établit une liste des adresses des services de communication au public en ligne dont l’accès a été empêché et vérifie, à l’approche de l’expiration de la durée prescrite au deuxième alinéa du présent II, si ces mêmes adresses sont toujours actives et, le cas échant, si le constat de l’infraction est toujours valable.
« Pour l’application du premier alinéa du présent II, on entend par fournisseur de système de résolution de noms de domaine toute personne mettant à disposition un service permettant la traduction d’un nom de domaine en un numéro unique identifiant un appareil connecté à internet.
« Les décisions prises en application des premier et deuxième alinéas du présent II sont notifiées par l’autorité administrative, sous la réserve mentionnée au premier alinéa du I du présent article, à la personne dont l’activité est d’éditer le service de communication au public en ligne en cause.
« L’autorité peut également notifier les adresses électroniques dont les contenus contreviennent aux dispositions mentionnées au I du présent article aux moteurs de recherche ou aux annuaires, lesquels prennent toute mesure utile destinée à faire cesser leur référencement.
« L’autorité administrative peut à tout instant demander aux personnes mentionnées au premier alinéa du présent II de mettre fin aux mesures mentionnées au même premier alinéa lorsqu’il apparaît que le constat sur lequel elles étaient fondées n’est plus valable. Le cas échéant, elle informe la personne qualifiée mentionnée au III du présent article de sa décision.
« III. – L’autorité administrative transmet sans délai les demandes mentionnées aux I et II du présent article, ainsi que les adresses électroniques des services de communication en ligne concernés, à une personnalité qualifiée désignée en son sein par la Commission nationale pour l’informatique et les libertés pour la durée de son mandat au sein de la commission. La personnalité qualifiée s’assure du caractère justifié des mesures et des conditions d’établissement, de mise à jour, de communication et d’utilisation de la liste des adresses électroniques concernées. Elle peut saisir le collège de la Commission nationale pour l’informatique et les libertés lorsque l’enjeu le justifie. Elle peut à tout moment enjoindre à l’autorité administrative de mettre fin aux mesures qu’elle a prises sur le fondement des mêmes I et II.
« Lorsque la personne dont l’activité est d’éditer le service de communication au public en ligne en cause saisit la personne qualifiée d’un recours administratif, le blocage est suspendu le temps de l’instruction de ce recours par la personnalité qualifiée.
« La personne qualifiée rend public chaque année un rapport d’activité, annexé au rapport public prévu à l’article 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, qui comporte des éléments notamment relatifs :
« 1° Au nombre et aux motifs des mesures conservatoires demandées en application du I du présent article ;
« 2° Au nombre, aux motifs et à la nature des mesures demandées en application du II du présent article ;
« 3° Au nombre d’adresses de services de communication au public en ligne concernées ;
« 4° Au nombre et à la nature des recommandations formulées à l’égard de l’autorité administrative ;
« 5° Au nombre de recours administratifs dont elle a été saisie et aux délais moyens d’instruction de ces recours ;
« 6° Aux moyens nécessaires à l’amélioration de ses conditions d’exercice.
« IV. – Tout manquement aux obligations définies au présent article par la personne destinataire d’une notification ou d’une injonction de l’autorité administrative est puni des peines prévues au 3° du III de l’article 6.
« V. – Les modalités d’application du présent article, notamment la désignation de l’autorité administrative compétente ainsi que le contenu et les modalités de présentation du message d’avertissement sont précisées par décret en Conseil d’État après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. »
Mme le président. L’amendement n° 60 rectifié bis, présenté par M. Fialaire, Mme N. Delattre, MM. Bilhac, Corbisez, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier, Roux et Cabanel, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
monétaire et financier,
insérer les mots :
ou rendant accessibles des données obtenues suite à la fraude d’un système de traitement automatisé des données,
La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Les cyberattaques sont l’une des principales menaces numériques dans l’Union européenne : elles constituent une grave violation du droit à la vie privée et peuvent avoir pour conséquence que des données personnelles soient volées, vendues à des tiers ou encore utilisées à des fins d’usurpation d’identité.
L’article 6 du présent projet de loi prévoit l’affichage d’un message d’avertissement dans le navigateur des internautes souhaitant accéder à une adresse internet pour laquelle il existe un risque avéré d’arnaque ou d’escroquerie.
L’amendement que je propose tend à compléter ce dispositif, en prévoyant qu’un tel message soit également affiché lorsque l’internaute tente d’accéder à une adresse internet rendant accessibles des données obtenues par piratage.
En effet, il est constaté que ces données frauduleusement obtenues sont consultées massivement et que cette simple consultation n’est à ce jour pas qualifiable pénalement, alors même qu’elle participe de l’escalade du phénomène dénoncé.
Un message d’avertissement, associé à une qualification pénale de la consultation de telles données, constituerait un outil efficace pour la lutte contre cette violation du droit à la vie privée.
Néanmoins, je souhaiterais que cet amendement soit le point de départ d’une réflexion plus poussée, qui déboucherait sur un dispositif spécifique étendant notamment les pouvoirs déjà existants de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication, afin non seulement d’avertir les utilisateurs de la présence de données piratées ou de leur en interdire l’accès, mais bien d’obtenir la suppression par l’hébergeur de la page incriminée.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Patrick Chaize, rapporteur. Le filtre anti-arnaques peut déjà être déclenché en cas d’obtention de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite.
L’obtention de données à caractère personnel sur un site internet publiant des données obtenues par piratage est couverte par les infractions visées à l’article L. 226-18 du code pénal. Le texte satisfait déjà votre légitime préoccupation.
Mon cher collègue, je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, mon avis serait défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. J’apporterai un élément d’explication complémentaire : à l’inverse des faits de cybercriminalité, qui sont couverts par le filtre, la consultation de données issues d’un piratage n’expose pas l’internaute à un dommage direct. En outre, cette consultation n’est pas constitutive d’une infraction.
Pour garantir l’efficacité et la proportionnalité de la mise en œuvre du filtre, il ne faut pas se disperser et lui faire porter des objectifs trop éloignés du but initial, à savoir lutter contre les arnaques.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
M. Bernard Fialaire. Je retire mon amendement, madame la présidente !
Mme le président. L’amendement n° 60 rectifié bis est retiré.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 49 rectifié ter, présenté par Mmes Noël et Garriaud-Maylam, MM. Gremillet, D. Laurent et Chatillon, Mme Muller-Bronn, MM. Charon, Joyandet et Bouchet et Mmes Thomas, Belrhiti, Pluchet et Berthet, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Supprimer les mots :
aux fournisseurs de navigateurs internet au sens du 11 de l’article 2 du règlement (UE) 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique, aux fournisseurs de services d’accès à internet ou
La parole est à Mme Sylviane Noël.
Mme Sylviane Noël. Le présent amendement vise à simplifier la terminologie utilisée à l’article 6, en supprimant certaines redondances, tout en conservant la liste des acteurs concernés.
En effet, en l’état actuel du texte, les fournisseurs de services d’accès à internet et les navigateurs sont déjà inclus dans le dispositif via la notion de « fournisseurs de systèmes de résolution de noms de domaine ». Les systèmes d’exploitation qui font de la résolution de nom de domaine sont également inclus dans cette définition.
Comme il est indiqué à l’alinéa 11 du présent article, la notion de fournisseur de système de résolution de noms de domaine vise toute personne mettant à disposition un service permettant la traduction d’un nom de domaine en un numéro unique identifiant un appareil connecté à internet.
La précision rédactionnelle apportée par le présent amendement permettrait également d’uniformiser les terminologies utilisées aux différents articles sur les blocages à l’accès du présent projet de loi avec la rédaction de l’article 32 du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030, adoptée en l’état par le Sénat et l’Assemblée nationale.
Mme le président. L’amendement n° 40, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 7, première phrase
1° Supprimer les mots :
, aux fournisseurs de services d’accès à internet ou aux fournisseurs de systèmes de résolution de noms de domaine
2° Après le mot :
utile
insérer les mots :
, selon les choix des utilisateurs
II. – Alinéa 11
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Cet amendement vise à faire en sorte que le blocage des sites soit facultatif selon la volonté de l’utilisateur, donc uniquement fondé sur les navigateurs.
L’article 6 porte sur le filtre anti-arnaques, lequel a pour objet d’avertir l’utilisateur, par le biais de l’affichage d’un message d’avertissement, qu’un site internet se livre à des pratiques frauduleuses. Pour réaliser ce filtrage, le projet de loi prévoit trois méthodes : par fournisseur d’accès à internet, par le système de noms de domaine (DNS) ou par navigateur.
Avec cet amendement, nous reprenons les préconisations portées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) dans sa délibération sur ce texte et proposons de limiter le filtrage à la dernière option.
En effet, la Cnil considère que le filtrage devrait prioritairement être réalisé au sein du navigateur, dans la mesure où ce dispositif constitue la seule possibilité permettant aisément un contrôle par l’utilisateur. Celui-ci devrait pouvoir choisir de désactiver le filtre, de configurer les listes de marqueurs à appliquer pour le filtrage et d’ignorer le filtre, au cas par cas, y compris dans une session de navigation, ce qui n’est pas possible avec les deux autres méthodes.
Voilà pourquoi nous proposons de limiter l’article à cette solution.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Patrick Chaize, rapporteur. Les deux amendements tendent à modifier la liste des intermédiaires techniques concernés par le déploiement du filtre anti-arnaques.
L’amendement n° 49 n’est en aucun cas de nature rédactionnelle, contrairement à ce qui est écrit dans l’exposé des motifs. Il tend tout simplement à supprimer du dispositif les fournisseurs d’accès à internet (FAI) et les fournisseurs de navigateurs sur internet, au moment où leur mobilisation est plus que nécessaire pour mettre en œuvre les mesures de blocage et de déréférencement des sites internet frauduleux.
Les FAI et les fournisseurs de navigateurs ne sont pas couverts par la définition des fournisseurs de systèmes de résolution des noms de domaine.
L’amendement n° 40 vise, quant à lui, à supprimer les FAI et les fournisseurs de systèmes de résolution des noms de domaine. La commission spéciale estime que la mobilisation de tous les intermédiaires techniques est indispensable ; sinon, nous affaiblirions le dispositif proposé, donc nous protégerions moins bien nos citoyens sur internet.
L’avis de la commission spéciale est défavorable sur les deux amendements.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Madame Noël, grâce à vos amendements, nous avons amélioré les dispositifs prévus aux articles 2 et 4.
Toutefois, je vous demande de retirer l’amendement n° 49 rectifié ter : nous avons besoin d’être sûrs que tous les acteurs nécessaires à l’opération mettent en œuvre le filtre. Dans son esprit, ce dispositif sert à capter véritablement tous les messages qui peuvent circuler.
J’entends bien votre ambition, que je trouve parfaitement légitime, de clarifier et de nettoyer le droit en supprimant dans le dispositif la mention des fournisseurs d’accès à internet et des résolveurs DNS.
Nous avons lu attentivement l’amendement : pour que le filtre puisse fonctionner, il nous faut compter sur la participation de l’ensemble des acteurs, quitte à ce que vous repreniez plus tard la rédaction de cet amendement, à l’image de ce que vous avez fait pour les dispositions relatives aux articles 2 et 4.
Quant à votre amendement n° 40, monsieur Dossus, même s’il est vrai que la Cnil avait un doute au départ, l’article visait déjà à tenir compte dans sa rédaction initiale des réserves exprimées par cette autorité dans son avis ; un dialogue avait été engagé avec elle. En effet, il était précisé dans le texte que, lorsque l’éditeur est connu, pendant sept jours le blocage doit être effectué par le navigateur. Le blocage DNS n’intervient qu’une fois que le site est identifié comme relevant du filtre.
Le Gouvernement demande donc le retrait de ces deux amendements, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
Mme le président. Madame Noël, l’amendement n° 49 rectifié ter est-il maintenu ?
Mme Sylviane Noël. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme le président. L’amendement n° 49 rectifié ter est retiré.
Monsieur Dossus, l’amendement n° 40 est-il maintenu ?
M. Thomas Dossus. Oui, je le maintiens, madame la présidente.
Mme le président. L’amendement n° 50 rectifié ter, présenté par Mmes Noël et Garriaud-Maylam, MM. Gremillet, D. Laurent et Chatillon, Mme Muller-Bronn, MM. Charon, Joyandet et Bouchet et Mmes Thomas, Belrhiti, Pluchet et Berthet, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer les mots :
sans délai
par les mots :
dans un délai, fixé par l’autorité administrative, qui ne peut être inférieur à deux jours ouvrés
La parole est à Mme Sylviane Noël.
Mme Sylviane Noël. Le présent amendement a pour objet d’uniformiser les délais prévus tant dans les différents articles du présent projet de loi visant à empêcher l’accès à des contenus illicites que dans les projets de loi en cours, comme la loi de programmation militaire, en se fondant sur un délai déterminé par l’autorité compétente de deux jours ouvrés minimum.
Ce délai se justifie également par la nécessité d’organiser la mobilisation des agents habilités à effectuer ces blocages chez les acteurs concernés.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Patrick Chaize, rapporteur. Je comprends la volonté d’harmoniser les modalités d’application des différents dispositifs de blocage, mais il faut considérer notre objectif, en l’occurrence la protection en ligne. En effet, les actes de cybermalveillance et les arnaques sur internet sont en hausse et font tristement partie de notre quotidien.
Au regard des risques financiers et de violation de données personnelles que représente l’accès à ces sites frauduleux, nous devons voter en faveur d’un dispositif réactif. L’introduction d’un délai de deux jours ouvrés n’est pas souhaitable et conduirait par exemple à laisser un site déclaré comme frauduleux accessible pendant tout un week-end, voire davantage s’il y a un jour férié.
La commission spéciale demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Madame Noël, l’amendement n° 50 rectifié ter est-il maintenu ?
Mme Sylviane Noël. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme le président. L’amendement n° 50 rectifié ter est retiré.
L’amendement n° 135, présenté par M. Chaize, au nom de la commission spéciale, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Remplacer le mot :
deuxième
par le mot :
troisième
La parole est à M. le rapporteur.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. L’amendement n° 136, présenté par M. Chaize, au nom de la commission spéciale, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 16
Remplacer la seconde occurrence du mot :
personne
par le mot :
personnalité
II. – Alinéa 17
Remplacer le mot :
personne
par le mot :
personnalité
La parole est à M. le rapporteur.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Je mets aux voix l’article 6, modifié.
(L’article 6 est adopté.)
Après l’article 6
Mme le président. L’amendement n° 59 rectifié bis, présenté par M. Fialaire, Mme N. Delattre, MM. Bilhac, Corbisez, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier, Roux et Cabanel, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 323-3-2 du code pénal, il est inséré un article 323-3-… ainsi rédigé :
« Art. 323-3-…. Le fait de consulter, sans motif légitime, un service de communication au public en ligne mettant à disposition des données, tout en ayant connaissance du fait qu’elles ont été obtenues suite à la fraude d’un système de traitement automatisé de données, est puni de 30 000 € d’amende. »
La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. J’insiste ici de nouveau sur le cyberpiratage.
Puisque mon amendement précédent a été, paraît-il, satisfait, cette proposition, qui lui est complémentaire, a pour objet de créer une nouvelle infraction visant la consultation sans motif légitime d’un service de communication au public en ligne mettant à disposition des données tout en ayant connaissance du fait qu’elles ont été obtenues à la suite du piratage d’un système de traitement automatisé de données.
Il s’agit donc de créer une infraction supplémentaire.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Cet amendement de notre collègue Bernard Fialaire vise à répondre à un motif parfaitement légitime, à savoir mieux protéger les entités, notamment publiques, qui ont fait l’objet de cyberattaques et dont les données se trouvent diffusées sur internet par des hackers. Pour ce faire, il tend à pénaliser la consultation de ces dernières.
Toutefois, je m’interroge sur la portée pratique d’une telle sanction. Comment la police et la gendarmerie trouveront-elles l’identité de celles et de ceux qui ont procédé à une telle consultation ? Comment pourra-t-on prouver qu’une personne savait que les informations dont elle a pris connaissance avaient été obtenues par des hackers ?
Surtout, la consultation qu’il est prévu de sanctionner est déjà couverte par le code pénal, dans la mesure où sa seule vocation est de permettre, dans un second temps, un usage illégal des données pour commettre des infractions déjà réprimées, par exemple usurper nos identités ou exercer un chantage.
À mon avis, cette disposition pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Tout en comprenant votre logique, je ne vois pas ce que ce nouveau délit apporterait à notre arsenal répressif, qui est déjà assez considérable.
La commission spéciale émet donc un avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. J’ajouterai un élément complémentaire : une telle infraction présente un risque constitutionnel, au regard de l’atteinte qu’elle porte à l’exercice de la liberté d’information et de communication. Je rappelle que, à deux reprises, le Conseil constitutionnel a censuré le délit de consultation habituelle de sites à caractère terroriste, en février 2017 et en décembre 2017.
Le Gouvernement émet par conséquent un avis défavorable sur cet amendement.
Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour explication de vote.
M. Bernard Fialaire. J’insiste tout de même un peu, car les cyberattaques se multiplient.
M. Loïc Hervé, rapporteur. C’est vrai !
M. Bernard Fialaire. La dernière concernait un hôpital dont les données ont été piratées. D’ailleurs, les chaînes radio qui ont révélé l’information ont en partie dévoilé le contenu de ces données, ce qui veut bien dire que des personnes les consultent en parfaite connaissance de cause.
Ces contenus peuvent donc être lus – vous l’imaginez bien – par des personnes qui y trouvent un intérêt économique, par exemple des compagnies d’assurances. Lorsqu’elles le font sciemment, il me paraît que cela relève du délit. Le fait d’être menacé de poursuites à la suite de telles consultations est une piste pour limiter la multiplication des cyberattaques.
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 59 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme le président. Mes chers collègues, je vais lever cette séance, qui était la dernière que je présidais. (Applaudissements.)
Nous avons examiné 57 amendements au cours de la journée ; il en reste 50.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
9
Ordre du jour
Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 5 juillet 2023 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente et le soir :
Suite du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (procédure accélérée ; texte de la commission n° 778, 2022-2023)
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 5 juillet 2023, à zéro heure dix.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER