M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a été saisie de l’article 2 du projet de loi, qui habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance, afin de permettre aux acheteurs publics de déroger à certaines règles de la commande publique pour faciliter la réfection ou la reconstruction des bâtiments publics dégradés lors des récentes violences urbaines.
Lorsque des bâtiments publics sont attaqués, qu’il s’agisse d’une mairie, agora de la démocratie locale, ou d’une administration délivrant des services quotidiens à la population, ce sont la République et le vivre-ensemble qui sont attaqués. Nous ne pouvions donc rester sans réponse.
Ainsi, leur reconstruction rapide, autant pour assurer la nécessaire continuité du service public que pour symboliser la reprise de l’ordre républicain face à ces violences que nous condamnons, est un objectif que la commission a soutenu en adoptant l’article 2.
Ces violences, inadmissibles dans leur expression, ont ciblé de nombreuses personnes dépositaires de l’autorité publique : pompiers, membres des forces de l’ordre ou encore élus locaux.
Les bâtiments publics ont également payé un lourd tribut lors de ces exactions, puisqu’ils représentent 30 % des bâtiments endommagés. Au total, plus de 750 bâtiments publics nécessitent des travaux de réfection ou de reconstruction. Parmi ceux-ci, les bâtiments les plus emblématiques des institutions républicaines locales ont fait l’objet de dégradations : 273 bâtiments des forces de l’ordre, 168 écoles et 105 mairies ont été détériorés.
Au lendemain de ces émeutes, ce triste bilan appelle notre mobilisation collective pour conduire dans l’urgence un chantier national de reconstruction. Relever ce défi appelle un cadre juridique d’exception, de nature à accélérer au maximum la conduite des travaux.
Dans cette perspective, et face au risque juridique que constituerait l’initiation de travaux d’urgence sur le fondement des seules dérogations déjà permises par le droit de la commande publique, l’article 2 vise à garantir aux acheteurs publics une assise juridique sûre et à les inciter à lancer promptement les travaux nécessaires.
Ces nouvelles dérogations, temporaires et limitées aux seuls bâtiments publics endommagés lors de ces émeutes, permettraient aux acheteurs publics de passer des marchés publics sans publicité, mais avec une mise en concurrence pour des travaux dont le montant serait inférieur à un seuil défini dans l’ordonnance. Les premières pistes du Gouvernement évoquaient un seuil d’un million d’euros, soit un fort rehaussement par rapport au seuil de droit commun, qui est de 100 000 euros.
Ces dérogations permettraient également de ne pas allotir les marchés et, enfin, de conclure plus facilement des marchés globaux.
Le gain de temps estimé de la dérogation au principe de publicité s’élève, pour l’acheteur public, à quatre semaines. En permettant de ne passer qu’un seul marché, la conclusion d’un marché global entraînerait quant à elle un gain approximatif de quatre mois.
Les dérogations que nous propose le Gouvernement nous paraissent justifiées et proportionnées pour atteindre l’objectif de prompt rétablissement des services publics dans les communes concernées.
Dans une démarche constructive, la commission a adopté un amendement à cet article visant à clarifier l’étendue du périmètre de ces dérogations, en mentionnant les « acheteurs soumis au code de la commande publique », notamment afin de lever une ambiguïté résultant du texte initial et d’inclure les bailleurs sociaux.
Notre soutien à ce texte n’est cependant pas un chèque en blanc. À ce titre, nous avons émis trois réserves, monsieur le ministre.
En premier lieu, le seuil d’un million d’euros, évoqué par le Gouvernement, en dessous duquel les acheteurs publics pourront déroger au principe de publicité, ne nous semble pas à la hauteur des enjeux de reconstruction des bâtiments publics. Nous souhaiterions que le Gouvernement réévalue ce seuil, en prenant en considération les besoins réels exprimés par les collectivités publiques, afin que ce régime exceptionnel soit plus aisément mobilisable par les acheteurs publics.
En effet, il existe une marge de manœuvre significative, puisque la réglementation européenne autorise des dérogations jusqu’à 5,3 millions d’euros.
C’est pourquoi la commission a adopté un amendement tendant à modifier l’intitulé du projet de loi : celui-ci mentionnera désormais les travaux de « réfection » des bâtiments endommagés, afin d’en illustrer la portée réelle.
Monsieur le ministre, nous nous sommes en outre interrogés sur l’étendue du dispositif de l’amendement n° 5 du Gouvernement, que nous avons examiné ce matin en commission. En effet, alors que, en réponse à notre demande, les services du ministère nous ont assuré à trois reprises que les travaux de voirie publique ne feraient pas partie des équipements publics, l’objet de cet amendement les cite explicitement.
Nous attendons donc des explications de votre part quant au périmètre précis de l’ordonnance : la voirie, les lampadaires, la vidéoprotection, pour ne citer que ces exemples, sont-ils inclus ? Je vous remercie par avance de toutes ces précisions.
Enfin, à l’instar du Conseil d’État, nous regrettons que le Gouvernement ne soit pas allé au bout de la démarche d’urgence, qui aurait consisté à inscrire directement le dispositif dérogatoire dans le projet de loi, plutôt qu’à recourir à une ordonnance. En effet, le gain de temps que l’on peut espérer de cette dérogation au principe de publicité serait de quatre semaines, soit un délai bien inférieur aux deux mois demandés par le Gouvernement pour publier l’ordonnance.
À tout le moins, il nous semblerait opportun que l’ordonnance soit présentée en conseil des ministres dans les meilleurs délais, si possible avant la pause estivale, afin que les procédures de passation des marchés puissent être entamées rapidement.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. Monsieur le ministre, j’espère que vous serez en mesure de vous engager sur ce point précis devant la représentation nationale et d’apporter ainsi une réponse à une très forte attente des maires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Bruno Belin applaudit également.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, décidément, urgence et résilience sont désormais les impératifs de l’action publique !
Maires, parlementaires, membres du Gouvernement, nous avons tous dû agir vite et fort face à la succession des crises, lesquelles n’ont d’ailleurs pas non plus épargné nos voisins. Je pense à la crise sanitaire, aux crises écologiques, mais aussi aux émeutes, qui ne sont pas l’apanage de la France ; en témoignent les violentes insurrections qui ont touché le Royaume-Uni en 2011, à la suite, là encore, de la mort d’un jeune homme, ou bien encore celles qui ont eu lieu à Stuttgart, en Allemagne, en juin 2020.
Nous voilà donc réunis pour prendre les mesures urgentes qui s’imposent après les graves événements qui se sont déroulés dans plusieurs centaines de nos communes et dont les balafres et les stigmates, même quand ils auront disparu, laisseront des traces profondes dans les esprits.
Dans l’Yonne, nous n’avons pas été épargnés – à Sens, à Joigny, à Migennes, à Saint-Florentin et à Auxerre. Chez nous, comme partout ailleurs, nos compatriotes ont été choqués, sidérés par le déferlement de la violence et des attaques contre les figures incarnant l’autorité de notre pays – M. le ministre a cité les chiffres tout à l’heure.
J’ai naturellement une pensée toute particulière pour Vincent Jeanbrun et sa famille, pour Stéphanie Von Euw, maire de Pontoise, ainsi que pour tous les maires pris pour cible.
Cette violence s’est aussi traduite par le pillage de magasins et de commerces, ce qui a poussé Sylvain Tesson à écrire que nous étions en présence d’« émeutes de l’iPhone ». En effet, lorsque la consommation est érigée en nouvelle religion, ce qui prime, ce n’est plus être, c’est paraître. « Je pille, donc je suis » semblent nous dire ces jeunes, qui nous narguent à coup d’« émojis » sur les réseaux sociaux. Descartes, reviens, ils sont devenus fous !
« Nous avons assisté, impuissants, au pillage de la ville » me confiait Paul-Antoine de Carville, le maire de Sens, lors de l’une de ces nuits de violence aveugle et gratuite. Enfin, quand je dis « gratuite », ce n’est pas exact : au contraire, l’addition sera lourde !
À ce moment de mon intervention, je tiens à rendre hommage à l’action des forces de sécurité : police nationale, gendarmerie, pompiers, sans oublier les policiers municipaux, qui ont parfois été en première ligne, souvent dans des rapports de force qui leur étaient défavorables, à quelques dizaines contre plusieurs centaines…
Aujourd’hui, l’ordre est revenu – c’est heureux –, et l’heure est à la reconstruction. Tel est l’objet de ce projet de loi, monsieur le ministre. Il s’agit de donner en urgence aux élus locaux les moyens de reconstruire et de réparer le plus rapidement possible.
Le texte comporte trois habilitations pour légiférer par voie d’ordonnance. Le contexte le justifie, dès lors que la rapidité sera au rendez-vous et que l’on n’attendra pas le terme des deux ou trois mois, selon les articles. Je me réjouis d’ailleurs que la commission des affaires économiques ait adopté le texte dans un très large consensus.
Le tout n’a qu’un seul objectif : donner aux maires les outils pour reconstruire vite et bien. Cela signifie qu’il faut déroger au droit en vigueur pour autoriser la reconstruction à l’identique, faciliter l’engagement des opérations et des travaux préliminaires dès le dépôt de la demande d’urbanisme, grâce notamment à la mise en place d’un rescrit – peut-être ce dispositif pourra-t-il être généralisé à l’avenir ? –, simplifier les conditions de recours aux marchés globaux et limiter l’allotissement.
Il faut reconstruire vite et bien, mais en aidant les élus financièrement. Tel est l’objet de l’article 3, qui prévoit, tout d’abord, une dérogation à l’obligation de participation minimale de 20 %, ensuite, un déplafonnement des fonds de concours, enfin, le versement anticipé dans l’année du FCTVA. Toutes ces mesures sont bienvenues, monsieur le ministre.
Permettez-moi néanmoins d’appeler votre attention sur certains points dont Mme Di Folco vient de parler : quid de la voirie ou du remplacement des caméras de vidéosurveillance ? Il me semble à cet égard que l’amendement que le Gouvernement a déposé va dans le sens d’une extension du champ de l’habilitation – c’est une bonne chose, car les attentes sont fortes.
J’ajoute que les communes auront également besoin de nouveaux outils leur permettant, par exemple, de recourir à des avances de liquidités, notamment ces communes dont les projets, qui n’avaient pas encore abouti, sont partis en fumée. Je pense en particulier à la ville de Sens, dont le projet de centre social a été anéanti.
Voilà pour la reconstruction matérielle : sachez que vous nous trouverez résolument à vos côtés, monsieur le ministre, pour voter les dispositions de ce texte.
Cela étant, il nous faut œuvrer sur un autre chantier, considérable, celui de la reconstruction républicaine et morale, si je puis dire. Comment faire pour qu’il n’y ait plus plusieurs France qui se regardent en chiens de faïence ?
Vivre ensemble, cela ne se décrète pas : cela se construit au quotidien. Souvenez-vous de Renan : la Nation est « un plébiscite de tous les jours »…
Il nous faut un nouveau creuset forgeant le sentiment d’appartenance nationale. Je crois à cet égard qu’il est grand temps de passer au service national universel (SNU) « format XXL ». Le généraliser serait une piste pour remédier à l’anomie et à la désaffiliation qui guette.
Il faut en outre l’ordre et le progrès, pour faire écho à la devise d’un autre pays.
L’ordre est bien sûr nécessaire, car aucun territoire ne saurait se soustraire à l’ordre républicain. La République ne doit pas tolérer de zones à détruire – ZAD –, ni de zones de non-droit – ZND. L’ordre est indispensable, puisque, comme le ministre de l’intérieur l’a précisé, 40 % des interpellés avaient déjà un casier judiciaire ou étaient inscrits au traitement d’antécédents judiciaires (TAJ). Ne laissons pas quelques dizaines de milliers de fauteurs de troubles mettre à mal l’unité de la Nation et désespérer cette majorité silencieuse que vous évoquiez.
Il faut également le progrès, parce qu’aucun territoire ne saurait être oublié, abandonné ou, pis encore, considéré comme perdu.
N’opposons pas les uns aux autres : ce principe est valable tant dans le rural que dans le rurbain, l’urbain et les quartiers. Je pense aux maisons France Services, aux programmes de retour des services publics dans les territoires, aux dotations qui ont significativement augmenté pour accompagner les territoires.
Monsieur le ministre, on le voit bien, le débat de ce jour n’épuisera pas tous les sujets que posent les événements que nous venons de vivre.
Le présent projet de loi est cependant un préalable indispensable. C’est la raison pour laquelle le groupe RDPI, à l’unisson de nombreux autres groupes – nous avons pu le constater hier lors de la réunion de la commission des affaires économiques – le votera ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi qu’au banc des commissions et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les émeutes qui ont eu lieu entre le 27 juin et le 5 juillet dernier à la suite de la mort du jeune Nahel ont surpris par leur violence et par l’ampleur des dégâts qu’elles ont entraînés.
Elles ont touché l’Île-de-France, les métropoles, près de 500 communes dans des territoires jusqu’ici épargnés, et elles ont causé la dégradation, voire la destruction de plus de 800 bâtiments publics, mairies, écoles, bibliothèques ou postes de police, ce qui a affecté la continuité du service public. Les commerces n’ont pas été épargnés non plus : ils ont parfois subi des pillages.
Le présent projet de loi d’urgence formule en trois articles la réponse du Gouvernement face à ces événements, laquelle prend la forme d’une demande d’habilitation à légiférer par ordonnance, afin de créer un cadre juridique d’exception, notamment en matière de droit de l’urbanisme et de la construction.
De nombreuses communes et villes font désormais face à l’impérieuse nécessité de rouvrir centres aérés et bases de loisirs pour accueillir les enfants cet été, de réhabiliter leurs écoles pour les accueillir dès la rentrée de septembre prochain et d’assurer la continuité de certains services publics dont les bâtiments ont été touchés.
Pour autant, si les intentions sont louables, le texte est limité par une faiblesse criante, à savoir son imprécision, tant sur le périmètre des actions pour lesquelles le Gouvernement demande à légiférer par ordonnance que sur ses aspects financiers.
Il comporte en outre de nombreuses inconnues. Si le Gouvernement a évoqué la possibilité de reconstruire en améliorant la performance environnementale, la sécurité et l’accessibilité des bâtiments par rapport à leur état antérieur, cette intention n’est pas clairement précisée dans le texte.
Le texte prévoit que la reconstruction pourra se faire « nonobstant toute disposition de droit de l’urbanisme contraire », y compris lorsqu’un document d’urbanisme applicable en dispose autrement. Or nous n’avons aucune garantie en termes de protection du patrimoine ou de participation du public.
Les installations provisoires destinées à accueillir du public ou à garantir la continuité des services publics entreront-elles, monsieur le ministre, dans le champ des ordonnances ?
Aucune précision n’est donnée non plus sur l’encadrement de la durée de mise en œuvre des mesures d’urgence. Tout au plus évoque-t-on « un délai limité ».
Enfin, le délai de deux à trois mois annoncé pour publier les ordonnances nous semble totalement en contradiction avec le discours du Gouvernement sur le caractère d’urgence des actions à mener. Nous demanderons donc une publication plus rapide de celles-ci par voie d’amendement.
Élaboré dans l’urgence, ce texte n’est de toute façon pas le bon véhicule législatif, qui permettrait d’apporter les financements nécessaires en cas de dépenses accidentelles ou liées à des circonstances exceptionnelles. Mais nous ne pouvons pas nous exonérer de voter en sa faveur, car il est malgré tout nécessaire pour rassurer les élus et nos concitoyens.
Pour autant, ces faiblesses exigent un contrôle parlementaire rigoureux, pour à la fois accélérer les travaux et encadrer ceux-ci, afin d’éviter les abus.
Enfin, plus largement, nous ne pouvons pas nous empêcher de souligner que ce texte, exclusivement technique, ne résoudra pas le problème de fond : la destruction la plus préoccupante est celle de notre cohésion sociale.
Les émeutes ne sauraient être qualifiées de manière réductrice d’« urbaines », comme ce fut le cas par exemple en 2005. En effet, aucun territoire n’a été épargné : sur 553 communes touchées, 169 ne comprennent pas de quartiers prioritaires de la politique de la ville.
C’est la triste illustration d’un mal-être qui s’aggrave, d’une déconnexion de plus en plus évidente entre l’État et la population, d’un fossé devenu béant entre certaines classes sociales et entre Français.
Monsieur le ministre, les mobilisations sociales qui se succèdent inlassablement devraient vous interpeller. Nous n’en serions pas là aujourd’hui si l’État avait apporté des réponses concrètes au déclassement d’une large partie de la population, ghettoïsée géographiquement et socialement, au moins depuis les dernières émeutes de 2005, si ce n’est depuis plus de trente ans.
Les élus et les associations, comme les familles, dénoncent la disparition progressive de la police de proximité. Les questions systémiques, telles que celle des discriminations et du racisme au sein des forces de police, n’ont jamais été réglées et elles ont été très peu débattues.
Depuis 1990, les politiques de la ville successives ont représenté 90 milliards d’euros d’investissements de la part de l’État. C’est aussi le montant annuel des exonérations de cotisations sociales pour les entreprises… Et ce n’est rien en comparaison des dépenses engagées depuis 2020 pour faire face à la pandémie. Faut-il dès lors s’étonner du résultat ?
Les politiques de la ville n’ont jamais réglé l’absence de mixité sociale dans les quartiers dits sensibles, alors que c’est l’un des problèmes fondamentaux qui explique, entre autres, l’explosivité du contexte actuel.
L’urgence est d’interroger leurs postulats, de créer une nouvelle urbanité et de mettre fin au culte du zonage, un « étiquetage » qui fait fuir les populations plus qu’il ne les attire.
Toutefois, la réponse financière à elle seule ne réglera pas tout. Il faut apporter des solutions éducatives, familiales et sociales. Pour l’État, la véritable urgence, mes chers collègues, consiste à prendre des mesures qui soient à la hauteur des enjeux, pour faire en sorte que ces expressions de violence ne se reproduisent plus, pour éviter la fragmentation continue de notre société et pour ne pas atteindre un point de non-retour.
Nous avons posé un diagnostic et formulons inlassablement des propositions concrètes pour remédier aux difficultés : renforcer la protection des élus locaux, toujours en première ligne ; renforcer les moyens des collèges et lycées, où les conditions d’enseignement ne font que se dégrader depuis cinq ans ; accompagner les familles monoparentales ; organiser un comité interministériel des villes et formuler des propositions concrètes et transversales ; enfin, oser traiter la question sécuritaire en envisageant des réformes profondes et le retour d’une véritable police du quotidien sur tout le territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 27 juin dernier, à Nanterre, un policier a tué un jeune de 17 ans. Je tiens à redire l’émotion qui est la nôtre face à la mort de Nahel et aux circonstances qui l’ont entourée.
Quarante ans après les Minguettes, dix-huit ans après la mort de Zyed et Bouna, la justice doit être au rendez-vous pour Nahel.
L’émotion légitime qu’a suscitée ce drame s’est rapidement muée en une colère vive, qui a détruit des biens publics et privés. Celles et ceux qui se trouvaient déjà pénalisés par des services publics défaillants ou absents, faute de moyens financiers et humains, souffriront davantage encore de ces dégradations, que nous avons condamnées. Pour ces femmes et ces hommes, c’est donc la double peine.
Les biens publics qui ont été détériorés doivent être reconstruits au plus vite. Tel est le sens de ce texte, qui crée des dérogations afin d’accélérer les procédures d’urbanisme et la passation des marchés publics. Au vu de l’urgence, nous reconnaissons que c’est un cas de nécessité exceptionnelle.
Néanmoins, ce texte n’est pas sans susciter quelques interrogations. Tout y semble possible, mais rien n’y est sûr : il n’est pas certain que les projets de reconstruction aboutiront ni que l’État mettra de l’argent sur la table pour les financer.
Une fois encore, il nous faudra attendre les ordonnances pour en savoir davantage sur l’effectivité des dispositifs. Un projet de loi de finances rectificative, plus transparent et respectueux du Parlement, aurait été mieux indiqué.
Cela étant, nous nous rejoignons sur un objectif : il faut reconstruire vite ! L’égal accès à des services publics présents partout sur territoire est l’un des piliers de notre République.
La République a été beaucoup convoquée ces derniers jours dans nombre de discours, dans des « arcs » qui incluent ceux qui l’ont toujours combattue, mais excluent ceux qui, historiquement, l’ont toujours défendue. C’est un bouleversement des valeurs qui brouille le sens. Nous pensons que la République doit s’incarner, en premier lieu au travers des services publics.
Cependant, la reconstruction des bâtiments n’est que l’un des aspects du problème. Car, s’il faut reconstruire vite, il faut surtout rebâtir urgemment la cohésion, la justice sociale et même, j’irai jusqu’à le dire, notre République.
Tout d’abord, il faut débattre du lien entre la police et une partie de la population, les classes populaires notamment, qui subit des violences policières ne pouvant plus être niées. Ce sont ces personnes que le premier syndicat de police de France qualifie de « nuisibles » et face auxquelles il appelle à la guerre civile dans le silence assourdissant du Gouvernement. Je vous le dis très clairement, monsieur le ministre : c’est un silence inacceptable dans un État de droit.
Ensuite, il faut admettre que les quartiers populaires cumulent les difficultés. Les services publics y sont moins présents qu’ailleurs. Il s’agit non pas de se plaindre ou de vouloir davantage que les autres, mais d’étancher une soif d’égalité républicaine. D’autant que, contrairement à une idée répandue par l’extrême droite et ses affidés, il n’y a pas seulement 25 % de Français qui paient l’impôt dans les quartiers.
Mes chers collègues, je vous livre un scoop : en France, tout le monde paie l’impôt, à tout le moins un impôt injuste, puisqu’il est identique pour tous, smicards comme millionnaires, je veux parler de la TVA !
Dans les banlieues, les citoyens paient des impôts au même titre que les autres, mais ils ne bénéficient pas des mêmes services. Il n’y a donc pas, tel le tonneau des Danaïdes, des milliards d’euros dépensés pour les banlieues. Au contraire, il y a moins qu’ailleurs.
Les transports y dysfonctionnent – j’en sais quelque chose en tant qu’usager du RER B. Les professeurs y sont davantage absents et ne sont pas remplacés ou le sont peu, ce qui, pour un élève de Seine-Saint-Denis, par exemple, entraîne la perte de l’équivalent d’une année scolaire.
La justice, débordée, y est rendue trois fois plus lentement qu’ailleurs et le taux de pauvreté est trois fois plus élevé dans les quartiers populaires que dans le reste du pays. Et ce constat est également valable pour l’emploi, le logement, l’accès à la santé et tant d’autres choses.
À ces manques et à ces difficultés vient s’ajouter un discours de stigmatisation, d’exclusion et de division. Or, quand des responsables politiques divisent les citoyens et les opposent sur la base de discriminations, ils fragmentent la République.
Ce à quoi nous devons nous employer, c’est à retisser du lien, plutôt qu’à diviser, comme ne cessent de le faire l’extrême droite et ses alliés, dont la réflexion se limite à leur désir d’exclusion. Je le dis fermement ici : il n’y a pas de catégories de Français, pas de « Français comment ? », pas de « Français de nationalité faciale » ou de « Français de papier ». Il y a le peuple français, il y a la République française, et c’est tout !
Il en va de même de nos territoires : banlieues, territoires ruraux et ultramarins, tous subissent en réalité l’assèchement des services publics, les privatisations et les politiques libérales.
Plutôt que de nous diviser, rassemblons-nous pour ceux qui se trouvent dans les zones blanches de la République. Unissons-nous pour donner à tous nos élus, qui en ont assez d’exercer leur mandat avec trois bouts de ficelle et deux sparadraps, les moyens de satisfaire les besoins de la population.
Aujourd’hui, nous votons ce texte. Demain, nous continuerons le combat pour que la République démocratique, sociale, laïque et féministe ne soit plus seulement un slogan, mais s’applique partout, sans exclusion, sur tout le territoire ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Françoise Férat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le décès d’un jeune est toujours un drame. Pourtant, il n’excuse en rien le déferlement de violences, les pillages et les actes délictuels et criminels que ce drame a provoqués.
La justice devra faire toute la lumière sur les circonstances de ce décès, mais nos concitoyens n’ont pas à payer le prix de la bêtise agressive d’une minorité violente.
Ces délinquants ont pris prétexte de ce drame pour mettre à sac certains quartiers et commettre des violences contre les forces de sécurité, les élus ou les biens publics et privés. Ils se sont attaqués à la concorde républicaine et ont détruit ce que nous avons mis tant de temps à bâtir.
Avec mes collègues du groupe Union Centriste, nous condamnons vivement les agissements de ces voyous et souhaitons apporter tout notre soutien à l’ensemble des sinistrés, aux enfants qui voient leurs écoles détruites, ainsi qu’aux citoyens et conseillers municipaux des 105 mairies dégradées.
En effet, ces violences, ce sont plus de 650 millions d’euros de dégâts en quatre jours, des écoles endommagées, et près de 850 bâtiments publics dégradés ou incendiés. Ces casseurs détruisent leurs propres services publics, leurs propres commerces et ruinent le quotidien de leurs familles et de leurs voisins.
Notre groupe a formulé des propositions pour enrayer cette vague de violences et contribuer à la politique de la ville, et il continuera de le faire.
Il nous faudra consolider notre politique familiale, ainsi que le soutien à la parentalité ; je pense plus particulièrement à la responsabilité des parents en matière éducative et face aux agissements de leurs enfants.
En plus d’une réponse pénale et sécuritaire forte, le Gouvernement se devait de prendre toute sa part dans la reconstruction et le soutien aux sinistrés.
Ce texte est donc une nécessité. Nous devons agir rapidement afin que les collectivités puissent reconstruire les infrastructures touchées. À ce titre, la dérogation à certaines règles de droit commun en matière de commande publique et de droit de l’urbanisme est salutaire.
Les interrogations restent néanmoins nombreuses. Les pistes de soutien financier aux collectivités sont esquissées, mais en aucun cas précisées.
De plus, nous aurions souhaité plus de transparence et de coconstruction pour les ordonnances. Celles-ci doivent être prises avec un savant équilibre entre précaution et pragmatisme. Le Gouvernement doit agir avec prudence et avec force. Cette simplicité et cette réactivité devraient à l’avenir inspirer l’État pour faciliter la vie de nos élus et les libérer de quelques contraintes administratives.
Enfin, le projet de loi doit permettre de faire des conséquences dramatiques de ces émeutes une occasion pour massifier la rénovation énergétique et investir afin de passer un cap supplémentaire en la matière.
C’est le sens de l’amendement que j’avais initialement déposé. Son objet était de ne pas oublier la nécessaire transition écologique et énergétique, qui sera primordiale, surtout dans nombre de ces quartiers prioritaires, où la précarité énergétique est un facteur aggravant.
Mme la rapporteure a pris en compte cette demande, et j’en suis satisfaite.
Les investissements performants en matière d’économies d’énergie et de transition écologique permettront aux collectivités locales et entreprises de s’y retrouver à terme économiquement face à la flambée des prix des énergies et de résilience écologique.
Mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera pour ce texte. Nous ne devrons pas laisser nos élus au bord de la route ! Il faut redéfinir notre socle républicain. Il nous faut tirer les enseignements de cette crise. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)