M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Franck Dhersin, rapporteur. Mes chers collègues, votre groupe souhaite, par le biais de cette question préalable, ne pas poursuivre l’examen du texte.
Or, ainsi que l’a fort justement rappelé M. Mandelli, l’adoption de cette motion irait à l’encontre de l’intention de ses auteurs.
En l’absence de ce texte, en effet, l’ouverture à la concurrence se ferait en une seule fois, ligne par ligne, sans que les salariés des entités mutualisées et filialisées puissent bénéficier du « sac à dos social ». L’entrée en vigueur du cadre social territorialisé serait immédiate. Or sa limitation à onze heures de l’amplitude journalière de travail maximale entraîne une distorsion de concurrence substantielle.
L’adoption de cette motion aurait par conséquent l’effet inverse de celui qui est recherché. Monsieur Uzenat, vous avez parlé de « machine à laver » et d’« essorage » : je puis vous assurer que ce texte de M. Capo-Canellas mérite votre confiance !
La commission émet donc un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Clément Beaune, ministre délégué. Sans grande surprise, l’avis du Gouvernement sur cette motion sera le même que celui de la commission.
Dès lors que l’on propose de rejeter un texte, et à supposer que l’on veuille se montrer constructif et responsable, il faut dire ce que l’on souhaite mettre à la place. De cette proposition de loi, je l’espère, nous allons discuter dans le détail, article par article et amendement par amendement, pour l’améliorer.
Toutefois, à défaut d’adopter un texte, l’ouverture à la concurrence se fera bel et bien selon les termes qui sont actuellement prévus, c’est-à-dire avec moins de garanties sociales, notamment sans la garantie de volontariat strict pour le transfert d’un centre-bus à un autre, et selon un calendrier beaucoup plus abrupt – cela vient d’être rappelé –, en vertu duquel l’ouverture se ferait d’un seul coup, au 1er janvier 2025.
Monsieur Uzenat, vous avez parlé de « décalage dans le décalage », sans que je comprenne exactement le sens de cette expression. L’idée est-elle simplement d’allonger le délai ? Ou souhaitez-vous remettre en cause le principe même de l’ouverture à la concurrence ? Si tel est le cas, il faut le dire explicitement et proposer d’en discuter.
Un texte avait été déposé en ce sens à l’Assemblée nationale. Je regrette que son examen n’ait pu être mené à terme. Son auteur, le député communiste Stéphane Peu, avait lui-même proposé le principe du décalage, qui ne me paraît donc ni honteux, ni scandaleux, ni réservé à telle ou telle sensibilité politique.
Ayons ce soir cette discussion : elle est importante. Quitte à ce que vous soyez en désaccord entre vous, et peut-être même avec le Gouvernement, mesdames, messieurs les sénateurs, il est plus sain que le débat ait lieu.
Je le répète, quand on propose de rejeter un texte via l’adoption d’une simple motion, il faut dire un peu plus explicitement que vous ne l’avez fait ce que l’on prévoit de mettre à la place et afficher précisément les motivations d’un tel rejet.
Pour toutes ces raisons, et avant tout parce que nous sommes ici ce soir pour débattre, j’émets un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour explication de vote.
M. Jacques Fernique. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires pense, comme le groupe socialiste, que le Sénat n’est pas en mesure de mener dans des conditions acceptables l’examen de cette proposition de loi.
Pour délibérer en connaissance de cause et dans la clarté, il eût fallu lever nombre d’incertitudes qui ne l’ont pas été. « Trop d’incertitudes », l’expression n’est pas de moi : elle est, sauf erreur, de Jean Castex.
On nous somme de dire ce que nous proposons en lieu et place de cette proposition de loi. L’essentiel de ce texte réside dans son article 4 ; celui-ci fixe une échéance qu’il faudra tenir à marche forcée, sitôt les jeux Olympiques passés. Le problème est qu’il nous est impossible de proposer autre chose, car toute initiative en ce sens est condamnée à être rejetée en application de l’article 40 de la Constitution ! L’adoption de cette motion tendant à opposer la question préalable se révèle par conséquent nécessaire.
Concernant la mission confiée à Jean Grosset et à Jean-Paul Bailly, je suis heureux d’apprendre que leur rapport a été rendu public. Qui d’entre nous a pu en prendre connaissance ? Qui d’entre nous a pu effectivement le lire et en apprécier les recommandations ? Puisque vous nous dites, monsieur le ministre, que ce texte en est la traduction législative, il est un peu dommage que nous ayons été privés de cette possibilité d’en apprécier sans précipitation les recommandations.
Quid par ailleurs du document d’allotissement ? A-t-il été possible d’en prendre connaissance ? Pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre, que ces lots sont équilibrés et viables ?
Je le disais : tous ces doutes plaident pour ne pas se précipiter, sans discernement, selon un rythme effréné, sitôt passés les jeux Olympiques. Jusqu’à la fin de 2026, tous les deux mois un lot nouveau est alloué : il paraît difficile, avec une telle cadence, de garantir à tous des conditions de transfert « équitables, justes et bénéfiques », pour reprendre des termes utilisés par M. le rapporteur. (Mme Ghislaine Senée applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour explication de vote.
Mme Nadège Havet. Mon groupe votera contre cette motion tendant à opposer la question préalable.
Tout d’abord, s’agissant d’un texte d’initiative parlementaire de notre collègue Vincent Capo-Canellas, il nous paraît important d’exprimer nos éventuels désaccords et oppositions lors d’un débat en bonne et due forme, et non avant que celui-ci puisse même se tenir.
Je rappelle d’ailleurs que nous avons adopté ce texte en commission. Il donne suite aux préconisations faites par la mission de préfiguration sociale confiée à Jean-Paul Bailly et à Jean Grosset, qui ont associé toutes les parties prenantes dans la concertation qu’ils ont organisée.
Ensuite, mes chers collègues, ce texte a pour objet que l’ouverture à la concurrence du réseau se passe bien : il vise à limiter au maximum les effets négatifs du processus pour nos concitoyens et à rassurer le plus possible les salariés concernés.
Enfin, sur le fond, il s’agit d’un texte de bon sens. Les acteurs nous disent que les conditions ne sont pas réunies pour que l’ouverture à la concurrence soit réussie dans le calendrier actuel. Cette situation est pour les salariés une source d’angoisse compréhensible. Nous avons tous à l’esprit le grand défi que représentent pour le service public des transports du quotidien, dont les métiers sont en tension, l’accueil des jeux Olympiques à l’été prochain.
Si nous pouvons contribuer à mieux préparer les acteurs aux changements à venir en permettant un décalage du calendrier et en précisant les modalités d’ouverture à la concurrence de la RATP, nous agirons au bénéfice des salariés, mais aussi des usagers.
C’est pourquoi nous soutenons ce texte et nous opposons à cette motion.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voterons des deux mains cette motion tendant à opposer la question préalable, même si nos collègues n’ont guère pour habitude de voter celles que nous déposons…
M. Olivier Jacquin. Cela arrive ! (Sourires.)
M. Pascal Savoldelli. Nous le verrons au cours du débat, même si vous ne souhaitez pas que l’on en parle, monsieur le ministre : il nous sera demandé de voter un calendrier d’accélération de la privatisation et de la casse de la RATP. (M. le ministre délégué fait un signe de dénégation.) Vous pouvez le contester, monsieur le ministre, mais nous avons des arguments et nous vous les présenterons !
Par ailleurs, cette proposition de loi ne s’accompagne d’aucune étude d’impact. Personne n’a été capable, ici, de formuler des éléments tangibles à l’appréciation de l’esprit critique de l’ensemble des parlementaires.
Monsieur le ministre, au-delà des effets de manche sur les inconvénients qu’il y aurait à rejeter ce texte et sur l’importance du débat parlementaire, les élus socialistes, écologistes et communistes, comme vous pouvez l’observer, ont déposé des amendements.
M. Fabien Genet. Encore faut-il pouvoir les examiner !
M. Fabien Gay. Ne jouez donc pas avec nous à ce petit jeu : nous ne sommes en rien hostiles au débat parlementaire !
Nous allons donc voter cette motion. Elle ne sera peut-être pas acceptée, avec votre complicité, monsieur le rapporteur. On l’a vu : on ne savait même pas qui était l’auteur de la loi… Était-ce son auteur officiel, le rapporteur ou le ministre ?
Quoi qu’il en soit, si cette motion n’est pas adoptée, nous défendrons nos amendements. Sur les travées de la gauche, tout le monde a travaillé pour formuler des propositions. Nous en débattrons !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1 rectifiée, tendant à opposer la question préalable.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 6 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 98 |
Contre | 246 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. Louis Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’ouverture à la concurrence d’un réseau de bus n’est pas un sujet anodin. Les conséquences sont d’importance pour ceux qui y travaillent, mais également pour ceux qui l’utilisent au quotidien. C’est aussi un moment particulier pour ceux qui cèdent le service et pour ceux qui le récupèrent.
Disons-le, cette proposition de loi intervient dans un contexte particulier, qu’il s’agisse de la perspective des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, des tensions persistantes en matière de recrutement de conducteurs de bus par la RATP ou de la complexité que présente l’ouverture d’un réseau très important à une date fixe unique.
Les craintes sont légitimes. Je salue donc le travail effectué par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qui a élaboré cette proposition en concertation avec les acteurs du dossier.
Le résultat est, à nos yeux, un texte équilibré. L’ouverture à la concurrence n’est pas remise en cause, au contraire, mais les auteurs de ce texte font le choix, cela a été rappelé à différentes reprises, de la rendre acceptable et d’en faciliter le processus.
J’aborderai deux points dans mon intervention.
Premièrement, je crois qu’il existe un consensus entre nous pour souligner l’importance d’apporter de la flexibilité dans le déroulement de l’ouverture à la concurrence. L’article 4 y est consacré, puisqu’il vise à permettre l’étalement du processus sur vingt-quatre mois.
Échelonner l’ouverture à la concurrence, c’est à la fois assurer la stabilité du service public pendant cette période et faire face à la complexité des questions techniques. C’est une position de bon sens, qui devrait faciliter les transferts.
Deuxièmement, j’évoquerai justement la question des transferts, en particulier les conditions dans lesquelles ils se font pour les salariés. Plusieurs articles du texte y sont consacrés.
Le texte prévoit, tout d’abord, d’organiser le transfert des contrats de travail, et, ensuite, de donner un délai supplémentaire d’information pour les salariés en cas de transfert. Il prévoit également d’ouvrir la possibilité, sur la base du volontariat, d’un transfert sur d’autres sites tout en ne forçant personne à la mobilité. Enfin, il vise à prévoir la mise en place de règles particulières pour certains travailleurs, notamment les travailleurs de nuit.
Ce paquet de solutions est une bonne nouvelle. La représentation des salariés dans ce processus est un atout pour assurer une ouverture efficace et simplifiée.
Si l’ouverture à la concurrence est une bonne chose, nous devons être attentifs à sa mise en œuvre, car elle peut avoir des conséquences importantes pour les agents et les usagers du service public.
Je citerai quelques exemples locaux qui me touchent de près, puisqu’ils concernent la Seine-et-Marne – ils ont d’ailleurs été évoqués il y a quelques instants –, lors du lancement de la première salve d’ouverture à la concurrence pour les bus de la grande couronne.
À Melun, selon la délégation de service public n° 18 établie par Île-de-France Mobilités (IDFM), un appel d’offres a été lancé, afin de désigner une entreprise pour une durée de cinq ans. Transdev a remporté le lot dont elle était déjà délégataire. Cette situation avait rassuré les acteurs locaux, dont je faisais partie à l’époque. Mais, dans la réalité, cela s’est passé autrement…
En septembre 2021, les chauffeurs du réseau de bus du Grand Melun, puis de Sénart, Fontainebleau, Bussy et Lagny, se sont mis en grève, pendant plus de huit semaines, dénonçant les nouvelles conditions de travail issues de la réorganisation de l’offre consécutive au nouveau contrat passé entre IDFM et Transdev dans le cadre de l’ouverture à la concurrence.
De même, en 2022, IDFM a attribué l’exploitation de l’offre de transport pour le réseau de bus du Pays Briard à Keolis, qui a succédé à Transdev au 1er janvier 2023. Depuis cette date, l’offre de transports s’est dégradée, au préjudice des usagers. Il n’y a pas eu de grève, mais des courses ont été supprimées, des arrêts ne sont plus desservis et des retards quotidiens sont enregistrés : en réalité, le service s’en est trouvé complètement dégradé.
Plus récemment encore, dans la communauté de communes Moret Seine et Loing, l’application depuis le 1er août dernier de la nouvelle délégation de service public issue de la procédure de mise en concurrence a révélé de nombreux dysfonctionnements.
Voilà pour les exemples locaux qui ne concernent qu’un seul et même département.
M. Fabien Gay. Cela promet !
M. Louis Vogel. Le travail d’accompagnement et de sécurisation des agents, soutenu par les auteurs de la proposition de loi, est donc un élément essentiel : c’est le seul moyen de permettre une ouverture à la concurrence apaisée.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Louis Vogel. Pour toutes ces raisons, et surtout en raison des adaptations qu’elle prévoit, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de cette proposition de loi. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Florennes.
Mme Isabelle Florennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de prime abord technique, la présente proposition de loi n’en est pas moins aussi éminemment politique.
Je ne reviendrai pas sur sa raison d’être opérationnelle. Elle a déjà été rappelée par l’auteur du texte, mon collègue Vincent Capo-Canellas, dont je salue l’engagement à améliorer la mise en œuvre d’une réforme complexe à appliquer et aux conséquences pratiques importantes pour le quotidien des Franciliens.
À l’heure où, selon un sondage paru le week-end dernier, 59 % des Français ont le sentiment que l’action politique n’a pas d’effets positifs sur leur vie quotidienne, ce texte est le bienvenu pour montrer à cette majorité de Français qu’ils doivent être plus attentifs à notre travail. Nous devons aussi peut-être mieux communiquer sur ce que nous faisons.
Cela a été rappelé, cette proposition de loi s’impose pour mener à bien l’ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP. Elle s’inscrit dans le cadre d’un processus engagé il y a quinze ans, découlant de nos engagements européens et nécessitant aujourd’hui une nouvelle intervention législative. En effet, les circonstances ont changé depuis l’adoption de la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 organisant l’ouverture à la concurrence.
Elles ont changé du côté de la région : Île-de-France Mobilités, l’autorité organisatrice, a défini une nouvelle architecture pour le réseau de bus. La RATP, quant à elle, s’est réorganisée pour gagner en compétitivité, en organisant un grand changement de son réseau de bus en avril 2019.
Dans ces conditions, le cadre légal du transfert des agents de la RATP aux nouveaux opérateurs doit être amélioré. Île-de-France Mobilités a besoin que le calendrier de l’ouverture à la concurrence soit assoupli. Pour le dire clairement, elle a besoin de plus de temps.
Comme l’a remarqué Vincent Capo-Canellas, même les salariés ont besoin que le calendrier soit respecté, pour savoir à quoi s’en tenir.
Le choix d’un assouplissement de deux ans du calendrier entre le 31 décembre 2024 et le 31 décembre 2026 est, finalement, comme l’ensemble du texte, un choix de tempérance.
L’objectif partagé par toutes les parties prenantes est d’assurer la continuité du service public et la transition la plus fluide possible.
J’en viens à l’aspect politique du texte, sous l’angle de sa dimension sociale. Son objet est ni plus ni moins que d’organiser le transfert de 19 000 agents de la RATP aux nouveaux opérateurs de bus, soit l’équivalent de la population d’une ville moyenne.
La présente proposition de loi est donc, avant tout, un texte de protection des salariés concernés. Son objet central est de garantir que l’on n’exigera pas d’eux une mobilité non consentie.
Son article 1er tend explicitement à permettre le transfert des salariés des centres-bus avec maintien sur site ou recours au volontariat pour changer de site.
Ces enjeux sont, à juste titre, sensibles pour les salariés de la RATP. Ils le sont aussi pour les Franciliens, car il s’agit pour eux de garantir que l’ouverture à la concurrence ne se traduira pas par une dégradation du service, tant sur les grandes lignes que sur les navettes locales dont la gestion a été déléguée à la RATP. De nombreuses réflexions sont d’ailleurs en cours sur le devenir de ces liaisons locales, je le sais, notamment dans le département des Hauts-de-Seine.
Lorsque l’on connaît les difficultés auxquelles la RATP est confrontée actuellement pour recruter des machinistes, on mesure à quel point le risque est réel. Il suffirait que le transfert de ces agents aux nouveaux opérateurs dégrade un peu plus l’attractivité du métier pour que cela soit catastrophique.
Est-il utile de rappeler que, sans chauffeurs, même avec la meilleure volonté du monde, on ne peut pas assurer de service de bus ?
Ce texte ne vient pas de nulle part. Il est issu d’une concertation avec les représentants des agents concernés, le Gouvernement et la région. Tous ont su parvenir à un consensus, ce qui n’est pas un vain mot quand on se souvient à quel point le débat sur les transports a pu être tendu par le passé. Son processus d’élaboration est donc irréprochable. C’est même un exemple dont nous devrions nous inspirer à l’avenir.
Le groupe Union Centriste soutiendra la présente proposition de loi avec d’autant plus de force que ce texte a été enrichi par son examen en commission.
Sous la houlette de notre rapporteur, Franck Dhersin, dont je salue l’excellent travail – il n’a pourtant pas eu une minute entre son arrivée au Sénat et le début des auditions qu’il a dû mener pour élaborer ce rapport –, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a apporté au texte des améliorations non négligeables.
Je pense, notamment, à la modification de la période de référence pour la détermination du nombre de salariés transférés aux nouveaux employeurs ou à l’allongement de quatre à six mois de la période durant laquelle les salariés devront être informés des conditions du transfert de leur contrat de travail. Ce ne sont pas des détails. Ces modifications auront une véritable portée concrète et pratique.
Par-delà ces interventions ponctuelles, notre rapporteur a eu à cœur de ne pas bouleverser l’équilibre du texte, fruit de négociations et de compromis. Il s’agit d’un équilibre savant qui concilie les spécificités du statut des personnels de la RATP avec le cadre européen et les contraintes opérationnelles pesant sur l’ouverture à la concurrence.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera unanimement en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous discutons aujourd’hui de la « délégation de service public au privé » – puisque l’on n’a pas le droit de parler de « privatisation » ! – des bus de la RATP de Paris et de la petite couronne. « Privatisation », c’est pourtant l’expression employée par le collectif des 250 élus d’Île-de-France…
Issu d’une directive européenne, ce processus est prévu par LOM pour le 1er janvier 2025. Or, à quasiment un an de cette échéance, chacun s’accorde à reconnaître que les conditions matérielles, économiques et sociales ne sont pas pleinement réunies.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’interroge donc légitimement sur le processus d’ouverture à la concurrence proposé au travers de ce texte, qu’il s’agisse de la préservation des conditions de travail des salariés, de l’intérêt des usagers ou de la continuité de service public.
Nous regrettons que l’option possible, dans le cadre des règles européennes, de régie publique n’ait pas été retenue. Nous savons tous, en effet, que dans Paris et la petite couronne les bus, les métros, les tramways, voire les RER, fonctionnent en un ensemble multimodal interconnecté, à savoir le réseau de la RATP.
Mettre en concurrence des éléments de cet ensemble, c’est prendre le risque de susciter de multiples problèmes ou difficultés. Nous ne pouvons pas agir sans un minimum de préparation et d’anticipation. Avec 12 ou 13 lots et des lignes ou des dépôts « éclatés », peut-être faut-il se préparer à un fiasco…
Les quelque 19 000 agents concernés ne sont pas sereins au sujet de leur transfert aux différents opérateurs. Les syndicats, qui sont en première ligne, tirent la sonnette d’alarme.
Monsieur le rapporteur, ce n’est pas parce que nous reprenons leurs arguments qu’il faudrait nécessairement les balayer d’un revers de main sans y apporter de réponse ! Les syndicats s’interrogent, notamment, sur le bien-fondé de cette ouverture à la concurrence et sur la capacité des opérateurs à répondre aux attentes sociales, alors qu’il existe déjà de fortes difficultés structurelles en matière de recrutement.
Le groupe auquel j’appartiens s’interroge sur l’échéance retenue. Pourquoi ne pas se donner plus de temps, afin d’apaiser les tensions et de clarifier les zones d’ombre ?
Une proposition de loi communiste déposée à l’Assemblée nationale prévoyait un compromis possible. Ce texte, on le sait, a été balayé en commission par un amendement tendant à rapprocher fortement le délai, comme vise également à le prévoir la présente proposition de loi.
L’autorité organisatrice a fait le choix de retenir le critère du prix – 40 % de la note finale – comme premier élément de notation. Mais l’offre la moins-disante économiquement pourrait aussi être la moins-disante socialement. Le risque est ici que les opérateurs privés ne rognent en premier lieu sur la masse salariale.
Or nous devons garantir l’attractivité des transports publics du quotidien. C’est d’ailleurs tout l’enjeu des débats que nous avons eus tout au long de cette après-midi. Leur développement est un sujet majeur si nous voulons assurer un report modal vers les mobilités décarbonées.
Le défi est donc grand pour la région Île-de-France, qui s’apprête à absorber d’importantes charges d’exploitation supplémentaires et à entamer la nécessaire transition énergétique d’électrification des bus.
Je m’interroge également sur la constitution des allotissements, dont nous ne pouvons mesurer la pertinence, comme je l’ai souligné tout à l’heure, puisque leur détail précis est inconnu à ce stade. Un équilibre serait essentiel entre les lignes rentables et celles qui sont plus fragiles.
L’ouverture à la concurrence risque, par ailleurs, au vu de conditions de mise en œuvre, d’amplifier la discrimination territoriale et de mettre à mal, voire de condamner, les traverses, c’est-à-dire ces petites lignes indispensables dans les quelques zones blanches mal desservies dans Paris intra-muros, qui sont aujourd’hui maintenues grâce aux financements de la ville.
En plus de la multiplication des opérateurs, qui sera source de complexité, l’attribution des lots pour cinq ans sera, elle, source d’instabilité.
Selon Valérie Pécresse, la mission confiée à Jean Grosset et à Jean-Paul Bailly, qui n’a pas été publiée, je le rappelle, et dont j’attends de lire les recommandations, aurait été menée autour d’une réelle concertation avec l’ensemble des personnels. Mais tout cela est bien flou, d’autant que la dégradation des conditions de travail et de la qualité de l’offre est déjà visible dans des secteurs de grande et moyenne couronnes ouverts à la concurrence.
Dans ces zones, alors que la présidente de la région parle d’une « nette amélioration avec des services plus nombreux », certaines collectivités souffrent du manque de bus.
Nous percevons de nombreux risques dans le processus précipité en cours. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, notre groupe ne votera pas ce texte.
M. le président. La parole est à M. Pierre Barros. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Pierre Barros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Il est possible et même urgent selon nous de surseoir à la privatisation des transports d’Île-de-France. Il s’agit de la condition sine qua non pour sauvegarder le réseau de transports francilien, investir, rétablir la qualité de service et préserver le pouvoir d’achat des usagers. »
Je viens de vous citer une partie de l’appel signé par 50 maires d’Île-de-France, 250 élus et déjà plus de 60 000 usagers franciliens. Un mot d’ordre en ressort : « Stop à la galère ! »
La galère, toutes celles et tous ceux qui ont déjà eu à emprunter les transports en commun en Île-de-France l’ont déjà vécue.
Après les retards, les suppressions de bus, les baisses de fréquences et tous les rendez-vous ratés qui en découlent, nous allons maintenant vers la privatisation, comme pour finir le travail de sape de ce grand service public de transports en commun, dont nous avons pourtant bien besoin.
Cette proposition de loi relative au découpage en 13 lots du réseau de bus francilien de la RATP est plus proche de la machine à remonter le temps que de la mise en place de la mobilité du futur !
En effet, avant la Seconde Guerre mondiale, les transports en commun d’Île-de-France étaient gérés par plusieurs compagnies privées. Cette organisation a tellement bien fonctionné que, à la Libération, la RATP a été créée pour remplacer ces compagnies, qui toutes avaient évidemment fait faillite !