Mme la présidente. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

M. Christian Redon-Sarrazy. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un doux euphémisme de le dire, ce projet de loi aura été critiqué et adopté dans la douleur, et sa portée sera très limitée.

Présenté comme un texte d’urgence visant à anticiper de mars à janvier 2024 la date butoir de signature des accords commerciaux entre distributeurs et fournisseurs, ce projet de loi aura laissé sceptiques les parlementaires de toutes couleurs politiques des deux assemblées.

Pourquoi de tels doutes ?

D’une part, nous ne croyons pas au pari hasardeux du Gouvernement, qui espère, de manière incantatoire, que la baisse du prix de certaines matières premières aura des répercussions positives sur le prix du caddie des consommateurs en magasin. Si cette répercussion automatique et vertueuse se produit, nous serons ravis d’admettre notre manque de foi, mais, hélas ! les analystes affirment déjà que certains produits alimentaires de base, comme le beurre ou le sucre - avant, sans doute, quelques autres -, connaîtront de nouvelles hausses de prix dès le début de l’année prochaine.

D’autre part, en étant présenté comme un texte d’urgence, ce texte, surnommé à raison Égalim 4, illustre une nouvelle fois l’échec et l’impuissance du Gouvernement à rééquilibrer les rapports de force dans la chaîne de production agroalimentaire. Il acte donc l’incapacité de l’État à mettre un terme à la guerre des prix entre industriels et grande distribution, dont les agriculteurs et les consommateurs subissent systématiquement et depuis de nombreuses années les dommages collatéraux.

Malgré les importantes faiblesses de ce projet de loi cosmétique, la commission mixte paritaire a été conclusive. Nous nous réjouissons de la préservation des principaux acquis du Sénat, à savoir le report des dates de négociation au-delà des fêtes de fin d’année, la négociation anticipée pour les PME et le seuil de chiffre d’affaires retenu. Il y avait en effet un risque que ce texte soit contre-productif et nuise in fine aux PME. Contrairement à la proposition initiale du Gouvernement, ces entreprises ne passeront donc pas après les grands groupes, plus offensifs et plus puissants dans les négociations. Nous souhaitions qu’elles ne soient pas les grandes malmenées de ces discussions.

Cela étant dit, la philosophie de ce texte boiteux n’aura pas été améliorée par la navette parlementaire et nous déplorons que, au lieu d’un traitement structurel de la problématique de l’inflation, le Gouvernement n’ait proposé qu’une accélération de calendrier qui ne réglera rien.

En effet, rien ne garantit que la baisse des prix en magasin se répercutera directement sur le pouvoir de vivre des ménages et encore moins sur les conditions de vie et de revenus de nos agriculteurs.

Cette baisse des prix ne réglera pas davantage le problème de la baisse généralisée du niveau de vie de la très grande majorité de nos concitoyens.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. C’est sûr !

M. Christian Redon-Sarrazy. Elle n’apportera pas non plus de réponse structurelle et durable à l’enjeu du rééquilibrage des relations commerciales agricoles, qui est pourtant majeur et que les textes Égalim successifs n’ont toujours pas résolu.

Il faut croire, madame la ministre, que nos multiples critiques sur ce texte sans ambition et sur les lacunes de la législation actuelle ont touché un point sensible, puisque le Gouvernement a annoncé à l’Assemblée nationale le lancement d’une mission gouvernementale transpartisane consacrée à une réforme du cadre global des négociations commerciales. Doit-on pour autant s’attendre à une véritable réforme structurelle ou ne s’agira-t-il que d’un Égalim 5 ? Nous souhaitons vraiment que l’État cesse d’être un simple spectateur de la guerre des prix entre industriels et grande distribution et qu’il endosse enfin son rôle de régulateur, dans un souci de protection des agriculteurs et des consommateurs.

Parce que ce texte manque d’ambition, cependant que nous ne voulons pas que nos concitoyens pensent que la lutte contre l’inflation nous indiffère, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, bien que déçu, s’abstiendra.

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains. (Mme la rapporteure applaudit.)

Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, malgré notre scepticisme sur l’efficacité et la pertinence de ce texte, nous nous félicitons que les apports du Sénat en matière de protection des PME aient été conservés par la commission mixte paritaire. Il était impensable que ce projet de loi préparé et examiné à la hâte s’applique au détriment des PME et des ETI de nos territoires. C’est cette boussole qui a conduit le Sénat à adopter un esprit constructif dès le début de la navette parlementaire.

D’abord, les dates butoirs des négociations commerciales proposées par le Sénat ont été retenues. C’est une grande avancée, à la fois par rapport au texte initial du Gouvernement et par rapport au texte adopté par les députés. Nous avons souhaité que les PME et ETI négocient avant les grands groupes, afin qu’elles disposent d’un bon référencement. Nous avons également évité à ces entreprises des négociations très difficiles et bouclées à la hâte en fin d’année. Les dates butoirs retenues par le Sénat – le 15 janvier 2024 pour les PME et le 31 janvier 2024 pour les grandes entreprises – ont été conservées.

Autre gage de protection des PME dans ces négociations structurellement déséquilibrées : le seuil de chiffre d’affaires retenu pour déterminer les entreprises pouvant négocier de manière anticipée. Là encore, c’est le seuil proposé par le Sénat qui a été conservé. Il permet à un grand nombre de PME et d’ETI de bénéficier de la phase de négociations anticipées. En s’appliquant à un échelon consolidé, ce seuil évitera que des filiales de multinationales ne s’immiscent dans cette phase consacrée à nos PME. Cette précision introduite par Mme la rapporteure pour le Sénat est essentielle pour nous. Sans elle, le principe de différenciation serait amoindri : nos PME se retrouveraient en effet à devoir négocier au même moment que des filiales de multinationales qui bénéficient de la force de frappe d’un grand groupe.

Voilà, madame la ministre, mes chers collègues, les points sur lesquels le Sénat a souhaité peser, afin de ne pas entériner une mesure que nous considérions comme dangereuse pour les PME. Vous l’avez entendu, madame la ministre, le fil conducteur mis en avant sur toutes les travées de cet hémicycle est la volonté de protéger nos PME et nos ETI dans nos territoires. Ce projet de loi, c’est notre conviction, ne sera probablement pas à la hauteur de la lutte contre l’inflation, mais, au moins, il ne fera pas échec à la protection des PME de nos territoires face aux multinationales et à la grande distribution.

En guise de conclusion, je souligne que l’esprit constructif du Sénat sur ce texte, au nom de nos PME, ne saurait constituer un blanc-seing pour le Gouvernement lui permettant de poursuivre sa politique et de conserver sa méthode, celle qui a conduit, vous me l’accorderez, madame la ministre, à élaborer ce projet de loi dans l’urgence. Mme la rapporteure l’a dit très justement, le principe même d’avancer les négociations commerciales pour lutter contre l’inflation est un renversement de la logique des textes Égalim et de tous les efforts du Sénat pour que la formation du prix découle de l’amont agricole. Cette logique fondée sur l’amont ne doit pas être remise en cause dans le cadre de futures réformes.

Par ailleurs, il faut mettre fin à l’instabilité juridique en matière de négociations commerciales. Nous avons déjà légiféré quatre fois depuis 2018 sur ce sujet. J’ose espérer que la mission qui travaillera à la refonte du cadre des négociations commerciales que vous venez d’annoncer promouvra une position ambitieuse et réfléchie, qui règle enfin les problèmes persistant en matière de négociations commerciales. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. Mme Antoinette Guhl applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Louault, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. Vincent Louault. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les tensions sur les prix représentent bien la principale difficulté de nos concitoyens. Toute mesure d’urgence pour lutter contre l’inflation est donc louable.

Je me félicite que les apports du Sénat aient été conservés par la commission mixte paritaire. Je salue d’ailleurs le travail accompli au sein de la Haute Assemblée, notamment celui de notre rapporteure, Anne-Catherine Loisier. L’examen, au bout duquel nous avons pu aller, marque l’attachement que nous avons pour ce sujet majeur pour les ménages français.

La guerre d’agression russe contre l’Ukraine a bien provoqué l’inflation mondiale, d’une rare intensité, que nous connaissons depuis 2022. L’Europe et la zone euro ont été percutées de plein fouet. La France fait partie des États membres ayant le mieux géré la hausse de l’inflation.

Malheureusement, le texte proposé ne va sûrement rien changer. Pis encore, je pense que des hausses risquent même d’arriver en avance à cause de celui-ci. Nous manquerons l’objectif et les craintes que nous avons exprimées en octobre demeurent. Je pense premièrement aux impacts réels de l’avancement de la date des négociations. Je l’ai dit, nous allons anticiper la hausse des prix, car le poison des prix de l’énergie empêchera une réelle désinflation. Deuxièmement, nous espérons que le critère du chiffre d’affaires entre groupe et filiales ne débouchera pas sur des conflits ou ne pâtira pas d’effets de seuil. Je m’interroge donc, madame la ministre : tout ça pour ça…

Nos filières ont besoin de flexibilité, c’est vital : les cours du blé et de toutes les matières premières évoluent chaque seconde, tant pour les acheteurs que pour les vendeurs. Souvenez-vous : après la crise du covid-19, à l’image de la révision annuelle de nos marchés publics, le Premier ministre avait permis, grâce à la circulaire du 30 mars 2022, d’être plus agile dans la négociation des hausses avec un calcul trimestriel. Cela a donné à nos collectivités la capacité d’autoriser les hausses nécessaires à la survie de nos prestataires, avec, en conséquence, la belle surprise de répercuter automatiquement les baisses tout aussi rapidement.

Le groupe Les Indépendants l’a déjà évoqué en première lecture, nous allons devoir collectivement trouver des solutions à un système en proie à de nombreuses mutations et soumis à des enjeux cruciaux. Encore une fois, servons-nous de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, qui publie, chaque année, un rapport. Je vous invite à le lire, mes chers collègues : c’est une mine d’or pour appréhender la formation des prix. Qu’il vous éclaire, vous aussi, madame la ministre. Les données sont présentes, emparons-nous-en donc pour développer des mécanismes efficaces, car c’est bien pour les Français que nous accomplissons ces efforts, et ces efforts doivent produire du concret.

Comme en première lecture, le groupe Les Indépendants s’abstiendra sur ce texte. (MM. Laurent Somon et Franck Menonville applaudissent.)

Mme la présidente. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble du projet de loi portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires économiques.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 30 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 260
Pour l’adoption 225
Contre 35

(Le projet de loi est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Je tiens à remercier sincèrement la rapporteure, Anne-Catherine Loisier, du travail qu’elle a fourni dans l’urgence, avec engagement et détermination. On sait qu’elle suit avec attention et vigilance ces sujets qui la passionnent depuis de nombreuses années. Nous aurons encore besoin de son expertise.

Madame la ministre, vous avez salué, lors de votre intervention liminaire à la tribune, la qualité des échanges que nous avons eus avec vous-même et avec vos collaborateurs. Je tiens à vous en remercier sincèrement, parce que cette qualité d’échange nous a en effet permis de nous expliquer, de relever les points de désaccord entre nous, mais également de parvenir, de façon constructive, à un accord en commission mixte paritaire avec nos collègues de l’Assemblée nationale. Je sais aussi que vous y avez largement contribué, ce dont je vous remercie.

Nous devrons entretenir cette qualité d’échange, parce que nous aurons de nombreuses occasions de travailler encore ensemble. Vous venez de lancer un projet de réforme des négociations commerciales. Nous savons combien c’est important et attendu de l’ensemble des parlementaires, Christian Redon-Sarrazy l’a évoqué. Nous ne renoncerons pas à nos convictions, et vous non plus d’ailleurs – nous savons que vous êtes une femme ô combien engagée –, mais sachez que vous nous trouverez toujours à vos côtés pour discuter, éventuellement pour nous interpeller mutuellement, afin que les textes que nous aurons à construire ensemble servent l’intérêt général et l’intérêt du pays. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Je tiens également à saluer la qualité des travaux sur ce texte, le premier de la nouvelle présidente de la commission des affaires économiques, Mme Estrosi Sassone. En effet, malgré des avis parfois divergents, nous avons réussi à travailler de façon apaisée, éclairée et constructive.

Sans vouloir relancer certains débats – ce n’est pas l’objet de mon intervention –, je souhaite réagir à certaines certitudes qui se sont exprimées, selon lesquelles il y aura des hausses de prix : je vous prie d’entendre, sinon ma certitude, du moins ma conviction qu’il y aura également des baisses.

Par ailleurs, puisque la stabilité normative et législative est en effet importante – elle l’est dans tous les domaines, mais peut-être plus encore dans le domaine économique et fiscal –, il y aura, avant tout texte Égalim 4 ou 5, une mission gouvernementale composée de députés et de sénateurs visant à améliorer le dispositif.

Je veux également indiquer très simplement que nous ne devrions peut-être pas être trop durs avec nous-mêmes. Pendant dix ans, en période de déflation, le système a bien fonctionné. Le contexte a terriblement changé depuis plusieurs mois et même quelques années ; aussi, la rigidité qui avait pu s’avérer protectrice – il ne faut pas insulter le passé – se révèle un peu délétère en période d’inflation.

J’ai toujours à cœur, dans la vie politique, de ne pas renier ce qui a été fait ; ce qui a été fait l’a été plutôt bien et pour de bonnes raisons. Simplement, la donne a considérablement changé et il faut revoir les règles du jeu. Les parlementaires seront évidemment au cœur de ce travail.

Par ailleurs, si les hommes et les femmes politiques doivent être stables, les acteurs économiques seraient bien inspirés de l’être aussi, pour le dire gentiment. J’ai été assez frappée – je commence à avoir un peu d’expérience en la matière – des changements de pied ou d’avis, pour employer des termes neutres, d’un certain nombre d’acteurs économiques tout au long de ces travaux. En tout état de cause, tant au Sénat qu’au sein du Gouvernement, ce n’était pas en fonction du dernier qui avait parlé que j’ai défendu ce texte.

Le Sénat le sait, mais c’est un sujet sérieux, pour lequel les jeux de posture ou de théâtre ne devraient pas se multiplier, comme cela a été le cas au cours des derniers mois. Selon moi, on ne peut pas dire « vert » le lundi et « rouge » le mercredi. Par conséquent, il faudra avoir encore de nombreux échanges – la rapporteure Loisier connaît bien le sujet – afin de connaître la véritable position, plutôt que la posture, des acteurs économiques, tant les industriels que les distributeurs. Si l’on veut faire de bonnes lois, encore faut-il que le contexte ou la situation soient décrits de façon sincère par les acteurs économiques. C’est un sujet qui nous concerne tous, indépendamment de nos obédiences politiques. C’est quelque chose qui m’a frappée, pour ne pas dire plus, tout au long de cette année, durant laquelle j’ai eu l’honneur, non sans difficulté, je le sais bien, de me battre contre cette inflation galopante.

Enfin, je termine en indiquant que tout un ensemble de signaux nous laisse penser – je prends non pas des pincettes, mais des moufles (Sourires.) – que nous nous trouvons dans une phase plutôt descendante qu’ascendante de l’inflation. Nous sommes montés fort haut ; il est grand temps de descendre. J’ai donc la conviction – nous pourrons le vérifier autour de quelques galettes des Rois au mois de janvier prochain – qu’il y aura des baisses de prix.

Je remercie l’ensemble des sénatrices et des sénateurs de leur engagement sur ce texte. Nous nous reverrons très bientôt pour poursuivre notre réflexion et nos travaux sur ce sujet, dans le cadre de la mission gouvernementale. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – Mme la rapporteure applaudit également.)

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Alain Marc.)

PRÉSIDENCE DE M. Alain Marc

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation
 

8

Article additionnel après l'article 7 - Amendements n° 60 rectifié bis et n° 492 rectifié bis (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration
Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 61 rectifié ter

Immigration et intégration

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (projet n° 304 [2022-2023], texte de la commission n° 434 rectifié [2022-2023], rapport n° 433 [2022-2023]).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration
Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 59 rectifié

Après l’article 7 (suite)

M. le président. Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen des amendements tendant à insérer un article additionnel après l’article 7.

L’amendement n° 61 rectifié ter, présenté par Mmes V. Boyer et Belrhiti, M. H. Leroy, Mme Dumont, MM. Daubresse et Meignen, Mme Bellurot, MM. Bouchet, Tabarot et Houpert, Mme Garnier, MM. Cadec et Genet, Mme Jacques, MM. Sido et Klinger, Mmes Josende et Goy-Chavent et M. Gremillet, est ainsi libellé :

Après l’article 7

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 175-2 du code civil est ainsi modifié :

1° Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :

« Le procureur de la République est tenu, dans les quinze jours de sa saisine, soit de faire opposition à celui-ci, soit de décider qu’il sera sursis à sa célébration, dans l’attente des résultats de l’enquête à laquelle il fait procéder, soit de donner injonction de procéder au mariage. Il fait connaître sa décision motivée à l’officier de l’état civil et aux intéressés. À défaut de décision motivée dans le délai imparti, il est réputé avoir décidé un sursis à la célébration du mariage de deux mois. » ;

2° Au troisième alinéa, les mots : « un mois renouvelable » sont remplacés par les mots : « deux mois renouvelables ».

La parole est à Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. À la suite de nos échanges de la nuit dernière, en fin de séance, vers deux heures du matin, j’ai procédé à la rectification de l’amendement n° 61 rectifié bis. Sa nouvelle rédaction vise à ne plus se contenter de doubler la durée du sursis qui peut être prononcé par le procureur de la République.

L’amendement a désormais un double objet.

Premièrement, il vise à obliger le procureur de la République à prendre position en faveur du mariage envisagé s’il ne décide pas d’une opposition ou d’un sursis. L’amendement supprime la formule actuelle de « laisser procéder au mariage », qui donne à entendre une certaine passivité, tout à fait symptomatique du laisser-faire actuel.

Il faut que le procureur de la République assume véritablement la responsabilité du mariage et donne injonction au maire de le célébrer par instruction écrite en tant qu’autorité de supervision de l’état civil. En effet, le maire est un simple agent de l’État en la matière. Autant formaliser cette injonction pour qu’il soit déchargé du poids qui pèse sur ses épaules en cas de mariage frauduleux.

Deuxièmement, au cas où le procureur de la République ne se prononcerait pas, l’amendement vise à appliquer un sursis de deux mois avant d’obliger le magistrat à prendre position.

Cet amendement ne va pas aussi loin que je le souhaiterais, mais il s’agit d’une première étape. Nous devons continuer à creuser la question en vue d’élaborer des solutions pour venir en aide aux maires, soit au cours de la navette, soit dans le cadre d’un autre texte à une date que M. le ministre nous indiquera peut-être.

En effet, l’amendement ne règle pas le problème de fond. Il faut aller au bout du raisonnement : si le procureur de la République demande, en tant que responsable de l’état civil, de procéder à un mariage, il faudrait, à mon avis, qu’il l’impose. Faute de quoi, il faudrait trouver une autre formule afin que le maire ne se retrouve pas, en quelque sorte, à devoir arbitrer entre des injonctions contraires.

La position du maire est extrêmement délicate. Il se retrouve sous contrainte, obligé de procéder à un mariage même si les documents qu’il a en sa possession ou l’entretien qu’il a mené ne satisfont pas aux critères qui autorisent selon lui la cérémonie.

Par cet amendement, je veux que nous allions aujourd’hui dans le sens de la protection des maires et de la responsabilité des procureurs de la République.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Cet amendement a été rédigé hâtivement, mais non sans réflexion. Il semble faire progresser le débat sur la question qui a été soulevée par de nombreux collègues, y compris par M. le ministre, hier, en séance. Lorsque les maires officient, ils le font pour le compte de l’État. Il faut donc que celui-ci prenne ses responsabilités. Cet amendement permet, de cette façon, de satisfaire à cet objectif.

Même s’il pourra sans doute être amélioré – et ce débat se poursuivre –, en l’état, la commission émet un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre de lintérieur et des outre-mer. Je découvre la nouvelle rédaction de l’amendement de Mme Boyer. Nous avions envisagé hier de consulter la Chancellerie puisque cette compétence relève du garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Laurence Rossignol. Il n’est pas là ?… (Sourires sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis en faveur de la modification étendant – si j’ai bien compris la réflexion – le sursis à deux mois. Comme Mme la rapporteure, je promets, madame la sénatrice, de travailler avec vous en vue de l’examen de la mesure par l’Assemblée nationale. Peut-être pourrons-nous organiser une réunion avec les services du garde des sceaux ?

L’amendement va dans le bon sens puisque vous précisez le propos collectif d’hier. Le Gouvernement émet donc un avis favorable.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour explication de vote.

Mme Marie-Do Aeschlimann. Je m’associe à cet échange pour avoir, comme notre collègue Valérie Boyer, réfléchi sur cette question.

Certes, je n’étais pas physiquement présent hier soir, mais j’ai suivi, en ligne, les débats. À cet égard, je vous remercie, monsieur le ministre, pour vos propos : vous avez su faire la part des choses.

D’un côté, vous avez pris en compte l’intérêt des maires à faire prévaloir leur volonté de ne pas célébrer des mariages non souhaités et éviter ainsi que la législation soit détournée.

D’un autre côté, vous avez tenu compte d’une certaine réalité des faits : les procureurs de la République et les parquets rencontrent des difficultés à faire face à un certain nombre de requêtes, sans doute de plus en plus nombreuses. Nonobstant le fait qu’ils disposent d’une équipe et sont assistés de substituts, ce n’est sans doute pas évident de donner suite aux demandes des maires.

J’avais défendu hier l’amendement n° 492 rectifié bis, qui allait dans le même sens que celui de Valérie Boyer. Comme les maires du département des Hauts-de-Seine et tous les autres de façon générale, soucieux que la réglementation et la législation soient respectées, je serai très attentive à ce que cette préoccupation des premiers magistrats de nos communes soit attentivement prise en compte dans le cadre de la navette, ainsi que nous l’a très aimablement proposé M. le ministre.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Nous nous étions quittés hier soir en formulant ce vœu : trouver enfin une rédaction qui soit robuste en matière de protection des maires face à ces mariages. Je salue vraiment la commission et l’engagement du ministre ; je rends à César ce qui est à César en remerciant Valérie Boyer et Marie-Do Aeschlimann, qui ont convergé vers cette idée.

Nous sommes la chambre des territoires. Nous accordons une importance fondamentale à la fonction de maire ; ces édiles sont souvent mis sous pression, y compris dans ce genre de circonstances. Nous voterons, bien entendu, avec une grande joie pour cet amendement ainsi rectifié.

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.

M. Olivier Henno. Quand le bébé est beau, il ne manque pas de pères… (Sourires. – Mme Mélanie Vogel lève les yeux au ciel.) Nous revendiquerons donc nous aussi une forme de paternité, si vous le permettez !

Je remercie à mon tour la commission, le ministre et Mme Boyer. Même si cet amendement n’est pas une révolution, faire passer le sursis d’un à deux mois permettra aux maires d’avoir un peu plus de temps pour faire face à une question éminemment complexe. Pour avoir été confronté à ce type de situation, je puis attester qu’il est bien difficile de juger du bien-fondé d’un mariage, et l’on n’est jamais totalement sûr de son jugement.

Il s’agit donc d’une avancée. Elle sera appréciée. Je trouve positif que cette mesure soit issue de la chambre des territoires, pour reprendre la formule de M. Retailleau. (Mme Françoise Gatel applaudit.)