Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaire :

Mme Marie-Pierre Richer.

1. Procès-verbal

2. Hommage à un adolescent tué à Crépol

3. Souhaits de bienvenue à de jeunes citoyens en tribune

4. Questions d’actualité au Gouvernement

drame de crépol (i)

M. Bernard Buis ; Mme Élisabeth Borne, Première ministre.

inondations dans le nord de la france

Mme Marie-Claude Lermytte ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

prévention des inondations

M. Jean-Yves Roux ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

violences faites aux femmes

Mme Audrey Linkenheld ; Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations ; Mme Audrey Linkenheld.

prime exceptionnelle de pouvoir d’achat

Mme Michelle Gréaume ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; Mme Michelle Gréaume.

compensation de la hausse de la cotisation de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales

Mme Isabelle Florennes ; M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques ; Mme Isabelle Florennes.

enfants à la rue

Mme Mathilde Ollivier ; Mme Charlotte Caubel, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargée de l’enfance ; Mme Mathilde Ollivier.

drame de crépol (ii)

Mme Anne Ventalon ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice.

zones de revitalisation rurale

M. Rémy Pointereau ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; M. Rémy Pointereau.

problématiques des collectivités ultramarines

Mme Audrey Bélim ; M. Philippe Vigier, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.

lutte contre les violences faites aux élus

Mme Alexandra Borchio Fontimp ; Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté, et auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ville ; Mme Alexandra Borchio Fontimp.

mise en œuvre de la loi créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales

Mme Dominique Vérien ; Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations ; Mme Dominique Vérien.

mission sur la clarification de l’action publique et les nouvelles pistes de décentralisation

M. Jean-Gérard Paumier ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; M. Jean-Gérard Paumier.

difficultés des maires dans l’exercice de leur mandat

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; M. Jean-Marc Vayssouze-Faure.

compensation financière des communes pour l’accueil des gens du voyage

Mme Pauline Martin ; Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté, et auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ville ; Mme Pauline Martin.

orientations de la politique agricole

Mme Jocelyne Antoine ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ; Mme Jocelyne Antoine.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud

5. Personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982. – Adoption d’une proposition de loi modifiée

Discussion générale :

M. Hussein Bourgi, auteur de la proposition de loi

M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Alain Marc

M. Jean-Michel Arnaud

Mme Mélanie Vogel

M. Ian Brossat

Mme Nathalie Delattre

Mme Nadège Havet

Mme Audrey Linkenheld

Mme Muriel Jourda

M. Joshua Hochart

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Mme Hélène Conway-Mouret

M. Pierre Ouzoulias

M. Victorin Lurel

Mme Anne Souyris

M. Jean-Gérard Paumier

Amendement n° 1 de la commission et sous-amendement n° 3 de M. Hussein Bourgi. – Rejet, par scrutin public n° 57, du sous-amendement et adoption, par scrutin public n° 58, de l’amendement rédigeant l’article.

Article 2

M. Hussein Bourgi

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois

M. Francis Szpiner, rapporteur

Rejet, par scrutin public n° 59, de l’article.

Article 3

Mme Audrey Linkenheld

Rejet, par scrutin public n° 60, de l’article.

Article 4 – Rejet par scrutin public n° 61.

Article 5 – Devenu sans objet.

Intitulé de la proposition de loi

Amendement n° 2 de la commission. – Adoption, par scrutin public n° 62, de l’amendement modifiant l’intitulé.

Vote sur l’ensemble

Adoption, par scrutin public n° 63, de la proposition de loi modifiée.

Suspension et reprise de la séance

6. Mise au point au sujet de votes

7. Référendum d’initiative partagée. – Rejet d’une proposition de loi constitutionnelle

Discussion générale :

M. Yan Chantrel, auteur de la proposition de loi constitutionnelle

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Philippe Bonnecarrère

M. Guy Benarroche

Mme Cécile Cukierman

M. Henri Cabanel

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Éric Kerrouche

Mme Lauriane Josende

M. Stéphane Ravier

M. Pierre Jean Rochette

Clôture de la discussion générale.

Article unique

Vote sur l’ensemble

M. Yan Chantrel

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois

M. Patrick Kanner

M. Philippe Bas, rapporteur

M. Éric Kerrouche

Mme Laurence Rossignol

Rejet, par scrutin public n° 64, de l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

8. Loi de finances de fin de gestion pour 2023. – Adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi

M. Jean-François Husson, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics

Texte élaboré par la commission mixte paritaire

Article 4

Amendement n° 1 du Gouvernement. – Réservé.

Article 5 et état B

Amendement n° 2 du Gouvernement. – Réservé.

Amendement n° 3 du Gouvernement. – Réservé.

Amendement n° 4 du Gouvernement. – Réservé.

Vote sur l’ensemble

M. Thomas Dossus

M. Pascal Savoldelli

M. Christian Bilhac

M. Didier Rambaud

M. Thierry Cozic

M. Laurent Somon

M. Emmanuel Capus

M. Vincent Capo-Canellas

Adoption définitive, par scrutin public n° 65, du projet de loi dans le texte de la commission mixte paritaire, modifié.

9. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaire :

Mme Marie-Pierre Richer.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Hommage à un adolescent tué à Crépol

M. le président. Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est avec une vive émotion que nous avons appris la mort, dans la nuit de samedi à dimanche dernier, à Crépol, dans la Drôme, d’un adolescent âgé de 16 ans, Thomas, décédé à la suite d’un coup de couteau reçu alors qu’il participait à un bal.

Nous nous associons, par la pensée, à la marche organisée cette après-midi à Romans-sur-Isère pour lui rendre hommage.

Au nom du Sénat, j’assure de notre profonde sympathie sa famille, ses proches, les élus municipaux de Crépol, que je sais particulièrement atteints, et l’ensemble des victimes blessées cette nuit-là dans des circonstances qu’il appartiendra à la justice de déterminer.

3

Souhaits de bienvenue à de jeunes citoyens en tribune

M. le président. Mes chers collègues, nous sommes très heureux d’accueillir dans notre tribune d’honneur, dans le cadre de la semaine européenne de l’emploi pour les personnes handicapées, des personnes en situation de handicap – Andrea, Bérénice, Élodie, Kévin, Maxime et Samuel –, qui vont découvrir le fonctionnement de notre institution.

Le Sénat participe chaque année à cette initiative et, au cours de la journée de demain, nombre de nos collègues formeront des duos avec des personnes en situation de handicap, afin de les associer à leurs activités.

Le Sénat est pleinement mobilisé – nous en avons discuté lors de la dernière réunion du Bureau du Sénat, et M. Pierre Ouzoulias y sera sensible – pour l’inclusion des personnes en situation de handicap dans le monde du travail, notamment au travers de ces journées d’échanges qui constituent un moment privilégié pour changer de regard et, ensemble, dépasser nos préjugés.

Au nom du Sénat tout entier, je souhaite à ces jeunes la plus cordiale bienvenue dans notre hémicycle. (Vifs applaudissements.)

4

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Chacun sera attentif au respect des uns et des autres, ainsi qu’au respect du temps de parole.

drame de crépol (i)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Bernard Buis. Ma question, à laquelle j’associe mes collègues drômois, Marie-Pierre Monier et Gilbert Bouchet, s’adresse à Mme la Première ministre.

Alors que notre assemblée vient de lui rendre hommage, une marche blanche se déroule actuellement dans la Drôme, à Romans-sur-Isère, en souvenir de Thomas, âgé de 16 ans, mortellement poignardé à Crépol, dans la nuit de samedi à dimanche. Nos pensées vont à sa famille, à ses amis, à son lycée, à ses camarades de club de rugby et à toutes les personnes blessées, ainsi qu’à l’ensemble des habitants de ce village meurtri par cette tragédie.

Samedi soir, alors que le traditionnel bal d’hiver était organisé par le comité des fêtes de cette commune de 500 habitants, la convivialité a été stoppée par l’atrocité.

Selon le procureur de la République, au cours de ces événements, plus d’une quinzaine de personnes ont été blessées.

Madame la Première ministre, face à une telle violence gratuite et débridée, nous partageons la sidération et la peine des habitants de notre département. Pour nous, dans le département de la Drôme, c’est tout sauf un fait divers. L’émotion nous tenaille.

À cette douleur s’ajoutent d’inévitables questions. Pourquoi ? Pourquoi eux ? Pourquoi à Crépol ? Pourquoi Thomas ? Une enquête est en cours, qui devrait, je l’espère, apporter des réponses.

Je salue la réactivité des forces de l’ordre, qui ont procédé hier à l’interpellation de neuf individus. Gardons-nous de tirer des conclusions hâtives, laissons la justice travailler !

Cela dit, au regard de la nature de tels actes criminels, qui semblent prémédités et réalisés en bande organisée, nous devons nous interroger collectivement, afin de tout faire pour éviter que de tels drames ne se reproduisent dans notre République.

Madame la Première ministre, alors que le congrès des maires et présidents d’intercommunalité de France se déroule cette semaine et que de nombreux élus nous écoutent, comment pouvons-nous davantage accompagner et rassurer nos communes, particulièrement en territoire rural, pour que les événements indispensables à la vie de nos villages, à l’image du bal de Crépol, puissent perdurer dans la sérénité ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)

M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le sénateur Bernard Buis, vous l’avez rappelé, dans la nuit de samedi à dimanche, à Crépol, dans votre département de la Drôme, Thomas, un jeune âgé de 16 ans, a été tué à la sortie d’une fête, au cœur même de son village.

Avant toute chose, j’exprime à mon tour toute ma solidarité à sa famille et à ses proches, ainsi qu’à tous les habitants de Crépol.

J’adresse mes pensées aux personnes blessées, dont certaines sont encore dans un état grave.

C’est un drame qui touche tout un village. Nous sommes aux côtés de la maire de Crépol, Mme Martine Lagut.

Monsieur le sénateur, ces violences sont graves. Elles sont inacceptables. Une enquête judiciaire a immédiatement été ouverte : 70 auditions ont été menées, les enquêteurs travaillent d’arrache-pied pour faire toute la lumière sur ce drame et neuf personnes ont d’ores et déjà été interpellées. L’enquête déterminera les responsabilités de chacun. J’ai confiance dans nos forces de l’ordre et dans notre justice. Toute la vérité sera faite sur ce crime. Les auteurs et leurs complices devront répondre de leurs actes.

Aujourd’hui, l’heure est à l’enquête et au recueillement. Ce moment appelle à la retenue et à la décence, j’en suis convaincue comme vous, monsieur le sénateur. Utiliser ce drame pour jouer avec les peurs, c’est manquer de dignité et de respect envers les victimes.

Monsieur le sénateur, vous le soulignez, ce drame pose des questions plus larges. Mon gouvernement a pleinement conscience des évolutions de la délinquance, en particulier dans nos territoires ruraux.

C’est la raison pour laquelle, conformément aux engagements du Président de la République et en application de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur défendue par le ministre Gérald Darmanin, nous créons 239 nouvelles brigades de gendarmerie, dont deux sont situées dans votre département de la Drôme.

M. Olivier Paccaud. Il faudrait déjà maintenir celles qui existent !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Ce sont plus de 2 000 gendarmes supplémentaires présents dans nos territoires ruraux.

Monsieur le sénateur, je veux réellement vous l’assurer, la présence des forces de l’ordre sur l’ensemble du territoire, notamment dans la ruralité, est une priorité pour mon gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

inondations dans le nord de la france

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Marie-Claude Lermytte. Ma question s’adresse à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Chacun sait la gravité de la situation dans le Nord, mais surtout dans le Pas-de-Calais. Je tiens tout d’abord à exprimer ma profonde solidarité envers les habitants, les professionnels, les agriculteurs, mais aussi envers les élus, les bénévoles et l’ensemble des services mobilisés des communes durement touchées par les inondations.

Certaines de ces communes sont d’ores et déjà reconnues en état de catastrophe naturelle. Inévitablement, nombre d’autres suivront.

Après le temps de la sidération viendra celui des bilans et des projections. Que penser du fonctionnement et des moyens alloués à l’institution des wateringues, des sections, de l’état des matériels de pompage, de la consommation électrique, des vannes à réparer, d’un éventuel curage de l’Aa, ainsi que des canaux non navigués et complètement envasés ?

Quelle a été l’efficacité des bassins de rétention de crues ? Les pratiques culturales permettent-elles toujours la percolation des terrains ?

Les acteurs de terrain, nombreux, doivent se réunir, afin d’évaluer les pistes de solutions pour une meilleure régulation des crues. C’est un impératif !

Une chose est sûre : l’État devra fournir un effort financier important, car les collectivités ne peuvent plus tout supporter !

À la suite des inondations de décembre 2021, mon prédécesseur, Jean-Pierre Decool, avait formulé des propositions : faciliter et développer le dragage, ainsi que le curage des canaux, avec une logique de réemploi des sédiments, et utiliser les canaux non navigués comme des bassins de rétention et de régulation. Je souscris à ces propositions.

Monsieur le ministre, entendez-vous engager rapidement ces réflexions, associant tous les acteurs de terrain, afin que nos territoires puissent s’organiser et anticiper les prochaines crues, dont tout un chacun redoute le retour ? Des moyens importants seront-ils mobilisés ?

J’espère que votre réponse, comme la météo d’aujourd’hui, offrira une belle éclaircie pour les territoires sinistrés. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Emmanuel Capus. Excellent !

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Lermytte, tout comme vous, je tiens à exprimer mon soutien aux forces de l’ordre, aux bénévoles et aux équipes municipales au sens large. Pour eux, malheureusement, aujourd’hui encore, ces inondations n’appartiennent pas au passé, puisqu’ils continuent de lutter contre une partie de leurs stigmates, y compris après les épisodes de pluie de ce début de semaine.

Madame la sénatrice, vous vous tournez tout de suite vers « l’après », vers ce que nous aurons besoin de bâtir collectivement, à partir des retours d’expérience.

Cet « après » a commencé – doucement – par une première visite que j’ai effectuée avec Gérald Darmanin et une première rencontre avec les élus. Le 14 novembre dernier, le Président de la République s’est rendu sur place, accompagné de la ministre Olivia Grégoire et du ministre Marc Fesneau. Le dispositif des calamités agricoles a été activé, puis, voilà quelques jours, la Première ministre s’est rendue aux côtés des sinistrés.

Pour ma part, j’aurai l’occasion, dans les prochaines semaines, de revenir au contact des élus. Toutefois, sans attendre, j’ai transmis au Conseil d’État un projet de décret – ce texte a pu être présenté en quelques jours, car nous y travaillions depuis plusieurs semaines –, afin de faciliter le curage des canaux, et pas uniquement ceux du département du Pas-de-Calais.

Nous mesurons parfaitement que préservation de l’environnement et principe de précaution vont de pair. Aussi, curer les canaux est une nécessité pour lutter contre les inondations.

De nombreuses leçons sont à tirer de ce drame. Si les inondations de 2002 ont permis d’améliorer les dispositifs de prévention et d’alerte, celles de cette année doivent nous conduire à nous interroger sur les règles générales de fonctionnement des wateringues, y compris sur ce territoire, sur le fonctionnement des pompes et sur la taille des organisations et des syndicats.

Nous devrons également étudier ce qui se passe à l’étranger. Le Président de la République, en effet, a souhaité comparer les systèmes de lutte contre les inondations qui existent en Belgique ou aux Pays-Bas avec ceux qui sont en place en France. Il a ainsi confié au maire de Saint-Omer une mission, afin de comparer ce type de politiques.

Nous avons été au rendez-vous en matière d’alerte. Nous avons été au rendez-vous pour la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Nous serons au rendez-vous des retours d’expérience. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

prévention des inondations

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Yves Roux. Ma question s’adresse à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Voilà dix ans, le Parlement adoptait la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi Maptam.

Parmi les dispositions de cette loi, figure la création d’une compétence nouvelle : la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi). Pour assurer le financement de cette attribution, la loi Maptam prévoyait la possibilité de lever une taxe optionnelle, dans la limite de 40 euros par habitant, afin de protéger les territoires les plus vulnérables.

En dix ans, mes chers collègues, que s’est-il passé ? Disposons-nous des moyens nécessaires pour nous protéger contre les inondations ? La réponse est non !

En dix ans, mes chers collègues, le dérèglement climatique est allé plus vite que nos décisions politiques.

En dix ans, les intercommunalités exposées au risque n’ont pas eu les moyens d’engager les investissements nécessaires.

Dans mon département, comme dans tant d’autres, la donnée est simple : peu d’habitants et de nombreux cours d’eau à protéger. Faute de moyens, les communautés de communes concernées n’arrivent pas même à financer les études préliminaires.

Les conséquences, nous les connaissons : une épée de Damoclès qui pèse au-dessus de nos têtes et, finalement, un coût financier et humain qui alourdira nos charges d’assurances, obérera nos capacités budgétaires, affaiblira les plus fragiles et détruira nos paysages.

Monsieur le ministre, depuis quelques années, les collectivités alertent, mais cela ne déclenche pas de réflexion opérationnelle.

Davantage encore, l’article 59 de la loi Maptam prévoit en 2024 – soit dans deux mois – la rétrocession aux collectivités, par l’État, de la charge d’un grand nombre d’ouvrages de protection.

Aujourd’hui, après moult alertes venues de toutes parts, au travers des amendements déposés et d’une mission d’information du Sénat conduite par Rémy Pointereau et Hervé Gillé, nous arrivons tous à la même conclusion : il faut une solidarité territoriale renforcée pour assurer la prévention des inondations.

Dernièrement, devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le ministre, vous avez également indiqué que cette solution avait votre faveur.

Aussi, monsieur le ministre, mes questions sont simples : allez-vous surseoir à cette disposition de transfert de charges en 2024 ? Surtout, le principe de solidarité étant posé, quand allons-nous le transformer en actes ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Roux, tout d’abord, vous l’avez rappelé, la loi Maptam a près de dix ans.

Comme souvent dans de tels cas, se pose la question de ce qui a été accompli depuis lors. En effet, de véritables disparités territoriales existent.

Dans la nuit du 14 au 15 novembre, en Savoie et en Haute-Savoie, des crues très fortes ont provoqué des dégâts importants, d’un niveau supérieur à ceux qu’a connus le Pas-de-Calais. Ces dégâts sont passés en quelque sorte sous les radars, car ils n’ont pas donné lieu à autant de sinistrés.

Les investissements en matière de Gemapi, notamment le programme d’actions de prévention des inondations (Papi) réalisé en 2020, avec 44 millions d’euros de soutien de l’État sur les 66 millions d’euros engagés, ont permis de ne pas avoir autant de dégâts qu’escomptés, alors que la crue a battu le record de celle de 2015 et atteint le plus haut niveau depuis 1904.

Quelles mesures de court terme ai-je annoncées, voilà quelques jours, devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat ?

Dès le 1er janvier prochain, il sera possible d’utiliser le fonds vert, y compris dans les territoires qui n’auraient pas levé de taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, dite taxe Gemapi, pour accélérer la mise en œuvre de systèmes d’endiguement.

Toutefois, le rendez-vous de l’après-inondation va un peu au-delà. En effet, monsieur le sénateur, vous pointez une taxe qui pèse sur chaque personne, alors que le risque dépend des surfaces, des linéaires de fleuves et des difficultés qu’ils comportent.

Je vous prends au mot, monsieur le sénateur, puisque vous avez vous-même indiqué que les dispositifs allaient moins vite que le dérèglement climatique.

Ainsi, l’enjeu est non pas d’observer, un jour, les inondations, le lendemain, les éboulements, le troisième jour, les sécheresses : il faut adapter globalement notre système. (M. Laurent Duplomb sexclame.)

Au début de l’année prochaine, je présenterai, sous l’autorité de la Première ministre, le programme national d’adaptation au changement climatique. Il met fin à un déni : au regard du rythme adopté par les États dans le monde, nous devons nous préparer à un réchauffement climatique de 4 degrés. Ce volet doit s’accompagner d’une refonte du régime des catastrophes naturelles et d’une évolution des dispositifs de solidarité, compte tenu de l’augmentation de la fréquence de telles catastrophes.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !

M. Christophe Béchu, ministre. C’est ce rendez-vous de solidarité et de vérité que nous aurons bientôt. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

violences faites aux femmes

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)

Mme Audrey Linkenheld. Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.

Voilà quelques jours, l’association Secours catholique-Caritas titrait son État de la pauvreté en France de 2023 : Pauvreté : Les femmes en première ligne.

En février dernier, la Fondation Abbé Pierre soulignait, dans son rapport annuel, l’existence du mal-logement au féminin.

Or les violences sociales rendent les femmes particulièrement vulnérables en cas de violences conjugales.

Chaque année, 210 000 femmes subissent les coups de leur conjoint ou de leur ex-conjoint dans notre pays et, depuis janvier dernier, 121 d’entre elles sont mortes, parce que notre société n’a pas su les protéger.

Je le rappelle, chaque femme victime de violences effectue en moyenne six départs infructueux avant de partir définitivement.

Partir quand le conjoint ne peut être évincé est difficile pour de multiples raisons. Par exemple, il faut assumer seule toutes les dépenses avec un salaire inférieur en moyenne de 25 % à celui des hommes.

Il faut aussi savoir où aller. Une femme sur six a besoin d’un hébergement. Or, quand l’offre de logements abordables et adaptés est insuffisante, ce sont les femmes victimes de violences qui en font les frais.

Les collectivités le savent bien, et les maires font face à de multiples demandes sociales qui se télescopent et les obligent à gérer d’abord la pénurie.

Tant que nos services publics essentiels – le logement, la santé et l’insertion – continueront d’être dégradés et délaissés par l’État, les femmes resteront captives de ces déserts médicaux, immobiliers et sociaux.

Aussi, madame la ministre, quand allez-vous prendre conscience que les victimes, mais aussi les nombreux élus locaux et toutes les femmes – et les hommes – qui marcheront le 25 novembre prochain, lors de la vingt-quatrième journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, attendent que la grande cause que vous défendez se traduise, en réalité, par une réorientation profonde de la politique du logement et de la solidarité ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Madame la sénatrice Linkenheld, votre préoccupation est également la nôtre.

Voilà désormais six ans que nous agissons avec une réelle vigueur en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.

Vous avez raison, les femmes, en particulier celles de notre pays, gagnent moins que les hommes et se retrouvent, in fine, dans des situations parfois plus précaires.

Une femme victime de violences conjugales peut accomplir en moyenne sept départs infructueux de son domicile – vous avez évoqué six départs, madame la sénatrice, mais, quoi qu’il en soit du chiffre exact, c’est déjà beaucoup trop.

Nous souhaitons accélérer les départs des femmes de leur domicile et les mettre à l’abri avec leurs enfants. Pour cela, vous le savez, nous avons d’ores et déjà développé de nombreux dispositifs.

De nombreuses lois ont été votées ici – cinq lors du premier quinquennat du Président de la République – et de nombreux dispositifs ont été mis en place, ayant trait aussi bien au recueil de la parole des femmes et à une meilleure protection de ces dernières qu’à une meilleure sanction et au traitement des auteurs des violences.

Pour favoriser le départ des femmes de leur domicile, nous avons doublé, depuis 2017, les capacités de l’hébergement d’urgence, pour atteindre plus de 10 000 places.

Nous accompagnons les femmes également grâce au pack nouveau départ, qui sera disponible dans cinq départements pilotes. Ainsi, un agent de la caisse d’allocations familiales (CAF), coordinateur, facilitera leur départ avec l’aide des associations locales.

Les féminicides adviennent malheureusement souvent lors de la séparation. Aussi est-il indispensable d’éviter aux femmes d’accomplir, en moyenne, non pas sept départs infructueux de leur domicile, mais bien moins, pour sauver des vies.

Enfin, nous allons mettre en place l’aide universelle d’urgence dans l’ensemble des départements français, car, vous l’avez souligné, madame la sénatrice, les contraintes financières empêchent souvent les femmes de quitter leur domicile.

Or l’objectif de l’ensemble des dispositifs que nous déployons est bien de les aider à partir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour la réplique.

Mme Audrey Linkenheld. Madame la ministre, en réalité, vos positions budgétaires contredisent vos déclarations de principe.

C’est pourquoi notre groupe déposera un amendement qui visera à créer les milliers de places d’hébergement, attendues par les associations, pour les deux mille enfants à la rue, pour les femmes et pour les familles mal-logées. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. Rachid Temal. Bravo !

prime exceptionnelle de pouvoir d’achat

M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Michelle Gréaume. Ma question s’adresse à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Nos communes sont à l’os, elles n’ont plus aucune marge : baisse constante de la dotation globale de fonctionnement (DGF) au fil des années, non-indexation de cette dotation sur l’inflation, augmentation du point d’indice non compensée, reprise d’acompte du filet de sécurité, et j’en passe.

Les voilà maintenant face au casse-tête de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat ! Obligatoire dans les deux autres versants de la fonction publique, sa mise en œuvre dans les communes dépend, certes, du bon vouloir du maire, mais surtout des moyens financiers dont il dispose, car, bien souvent, l’État décide, mais ne paie pas.

Tout d’abord, sur le principe, davantage que d’une prime facultative, les gens ont besoin d’une reconnaissance pérenne, donc d’augmentations de salaire en fonction de l’inflation.

Ensuite, que dire de l’inégalité de traitement entre les différentes catégories de fonctionnaires et les agents territoriaux eux-mêmes, selon qu’ils travaillent dans une commune ayant, ou non, les moyens de verser cette prime ?

Nombre de communes affichent déjà des difficultés de recrutement pour certains emplois et, malgré leurs efforts, nos maires se sentent considérés par le Gouvernement comme de mauvais élèves, auxquels on demande de faire toujours plus, avec toujours moins.

C’est là que résident les raisons du malaise des maires, de leur profonde fatigue et de leur colère. La moitié d’entre eux estiment ne pas recevoir de reconnaissance de l’État. Ils ne demandent rien d’autre que de la considération, du respect et du soutien, ce qui suppose, avant tout, de leur redonner les moyens et les pouvoirs d’agir, afin de répondre aux besoins et aux attentes de leurs agents communaux et de leurs administrés.

Quelles réponses leur apportez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Gréaume, tout d’abord, le hasard fait bien les choses : il est heureux que vous posiez une question sur le rôle et la place des maires précisément au moment où se déroule le congrès des maires et présidents d’intercommunalité de France. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)

M. Rachid Temal. C’est le hasard !

M. Christophe Béchu, ministre. Dans cette enceinte, vous n’êtes sans doute pas la seule à considérer que la République doit se trouver aux côtés de ceux qui figurent en première ligne, quels que soient les sujets évoqués. Et votre groupe n’est sans doute pas non plus le seul à penser ainsi.

M. Fabien Gay. Trente secondes de gagnées…

M. Christophe Béchu, ministre. En la matière, les actes valent parfois nettement mieux que les paroles.

M. Fabien Gay. Et que votre réponse !

M. Christophe Béchu, ministre. Tout d’abord, lorsque j’entends, du côté gauche de l’hémicycle, que les communes voient leurs dépenses augmenter, tandis que les dotations ne cessent de baisser, je dois rappeler que le quinquennat du président François Hollande est terminé ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – Protestations sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Il n’y avait pas d’inflation à l’époque !

M. Christophe Béchu, ministre. J’ajoute que les 10 milliards d’euros de baisse des dotations, entre 2012 et 2017, constituent précisément le socle des difficultés actuelles des collectivités ! (Mêmes mouvements.)

Aussi, affirmer aujourd’hui – cela confine à une sorte de jeu de bonneteau – que jamais les collectivités n’ont disposé d’aussi peu de ressources, j’en suis désolé, cela ne marche pas ! (Vives exclamations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST. – M. Rachid Temal proteste vivement.)

M. le président. Mes chers collègues, laissez M. le ministre s’exprimer !

M. Christophe Béchu, ministre. Après treize ans sans hausse, la dotation globale de fonctionnement augmente pour la deuxième année consécutive.

M. Ian Brossat. Vous êtes à côté de la plaque !

M. Christophe Béchu, ministre. Pour 2024, quelque 1,2 milliard d’euros de compléments de crédits ont été accordés aux collectivités. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Mme Sophie Primas et M. Mickaël Vallet lèvent les bras au ciel.)

M. Patrick Kanner. Cette année, il y a eu 6 % d’inflation !

M. Christophe Béchu, ministre. Il est possible de dire que ce n’est pas assez, mais on ne peut pas dire que cela n’existe pas : 200 millions d’euros de DGF, 100 millions d’euros de dotation pour les titres sécurisés, 5 millions d’euros pour les violences faites aux élus, 11 millions d’euros pour les communes nouvelles, 100 millions d’euros pour les aménités rurales,…

Mme Émilienne Poumirol. N’en jetez plus !

M. Christophe Béchu, ministre. … 250 millions d’euros de fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) pour l’aménagement, 500 millions d’euros pour le fonds vert…

M. Rachid Temal. Quel cinéma !

M. Christophe Béchu, ministre. Telle est la réalité ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

Que certains soient fâchés avec les chiffres, c’est une chose. Mais qu’ils le soient avec la réalité, c’est plus gênant ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – Huées sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour la réplique.

Mme Michelle Gréaume. Monsieur le ministre, nous sommes ici, précisément, pour aider les municipalités.

En aucun cas, le principe de libre administration des collectivités territoriales ne peut vous servir de justification. En effet, il suppose justement que les collectivités disposent librement de ressources suffisantes, ce qui n’est clairement pas le cas aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

compensation de la hausse de la cotisation de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Florennes, pour le groupe Union Centriste.

Mme Isabelle Florennes. Ma question s’adresse à M. le ministre de la transformation et de la fonction publiques.

En cette semaine où se tient le congrès annuel de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, il faut malheureusement constater que les sujets d’inquiétudes sur le bon fonctionnement de nos communes et sur leur situation financière sont bien réels.

C’est pourquoi je tiens à revenir sur l’un des engagements pris par votre gouvernement lors de la réforme des retraites. En effet, dans ce cadre, a été programmée, à partir de 2024, une hausse d’un point de la cotisation des employeurs publics à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).

Selon certaines estimations, cette augmentation représenterait autour de 640 millions d’euros par an pour les finances de nos communes. En contrepartie, vous vous étiez engagé à compenser intégralement cette hausse.

Cet engagement s’est traduit par l’approbation de l’article 9 de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, qui introduit le principe de compensation intégrale de cette hausse dans des conditions à définir par une loi. Or, à ce jour, aucune mesure technique n’a été prise pour le rendre applicable.

Plus alarmant encore, rien n’est mentionné, dans le projet de loi de finances pour 2024, pour les employeurs publics, à la différence de ceux du secteur privé. Pour ces derniers, cette hausse est compensée par une baisse à due concurrence des cotisations accidents du travail et maladies professionnelles.

Monsieur le ministre, cette précision apportée pour le secteur privé signifie-t-elle que les engagements pris envers les employeurs publics sont reportés ?

Si tel n’est pas le cas, je vous demande de nous indiquer si des modalités de mise en œuvre de cette promesse sont bien prévues pour 2024. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transformation et de la fonction publiques.

M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Madame la sénatrice Isabelle Florennes, vous m’interrogez sur les conditions de financement et la contribution des employeurs territoriaux et hospitaliers à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales.

Pour vous répondre, il faut tout d’abord porter un regard lucide sur la situation financière de cette caisse de retraite. Celle-ci connaît d’ores et déjà un déficit, qui s’aggravera dans les années à venir, principalement pour des raisons de démographie.

Ainsi, pour les fonctions publiques hospitalière et territoriale, on comptait quatre fonctionnaires actifs pour un fonctionnaire retraité dans les années 1990, contre 1,55 aujourd’hui et à peine plus de 1 à l’horizon de 2030.

C’est précisément pourquoi l’on déplore aujourd’hui un déficit de 1,2 milliard d’euros, et pourquoi les perspectives financières laissent entrevoir un déficit de 8 milliards d’euros à l’horizon de 2030.

Tel est le contexte dans lequel le Gouvernement a annoncé la hausse d’un point du taux de cotisation des employeurs publics à cette caisse de retraite. Toutefois, nous avons tenu à assortir cette mesure d’un engagement, pris par Mme la Première ministre devant votre assemblée : la compensation intégrale de cette hausse de cotisations.

Je réitère cet engagement aujourd’hui devant vous. Il nous reste à en fixer les modalités techniques. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Nous en avons discuté avec les employeurs territoriaux. Entre autres solutions, un transfert de taux a été évoqué.

Le Gouvernement prend cette question très au sérieux : à preuve, il a demandé à trois inspections générales – l’inspection générale des finances (IGF), l’inspection générale de l’administration (IGA) et l’inspection générale des affaires sociales (Igas) – de se pencher sur le sujet. Elles doivent remettre leurs conclusions communes d’ici à la fin du mois de novembre, afin que nous puissions introduire la modalité de compensation de cette hausse de taux dans les textes financiers de cet automne et que les deux mesures soient concomitantes.

Enfin, cette mission d’inspection doit établir un diagnostic, à la demande des employeurs territoriaux et hospitaliers, et tracer des pistes d’équilibrage de cette caisse de retraite à moyen et long terme.

Madame la sénatrice, vous le voyez : nous avançons à la fois en responsabilité et en toute transparence, avec l’ensemble des élus locaux et des employeurs hospitaliers.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Florennes, pour la réplique.

Mme Isabelle Florennes. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces précisions.

Vous comprenez que, à l’heure où les collectivités territoriales préparent leur budget, cette information est primordiale : nous devons l’obtenir dans les plus brefs délais.

Aussi, nous attendons avec impatience la remise du rapport demandé par le Gouvernement. Les employeurs publics ont absolument besoin de ces précisions pour établir leurs prévisions budgétaires. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

enfants à la rue

M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme Mathilde Ollivier. Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et des familles.

Madame la ministre, zéro enfant à la rue, c’est ce que votre gouvernement promettait il y a un an. Nous sommes à la mi-novembre, la trêve hivernale a commencé, le froid s’installe et pourtant, ce soir, ce sont bien 2 822 enfants qui dormiront dehors. Votre politique de mise à l’abri est donc un échec. Pis, votre bilan s’est alourdi, car, depuis un an, ce sont 20 % d’enfants en plus qui vivent dehors. Voilà la réalité.

L’hébergement d’urgence relève de la responsabilité première et principale de l’État. Mais, aujourd’hui, c’est la solidarité citoyenne qui compense vos failles : huit écoles à Lyon, sept à Rennes, sept à Paris, deux à Grenoble…

Au total, trente écoles sont occupées la nuit pour que des enfants puissent dormir au chaud. Des femmes restent plusieurs jours, voire plusieurs semaines à la maternité pour ne pas repartir à la rue avec leurs nouveau-nés…

Nos maires, nos présidents de département et nos députés sont en première ligne. Ils se mobilisent, bien sûr, mais ils vous font part de leur impuissance face à cette situation.

Depuis plusieurs semaines, nous attendons une réaction du Gouvernement, en vain : vous vous réfugiez dans le déni. À l’Assemblée nationale, nous vous avons demandé de créer en urgence 10 000 places supplémentaires : vous les avez refusées.

Surtout, ne vous abritez pas derrière des excuses financières. Dans un pays comme la France, que représentent ces 10 000 nouveaux hébergements d’urgence, quand des familles entières dorment dans des écoles ? Quand des enfants, le matin, doivent s’empresser de ranger leur sac de couchage avant l’arrivée de leurs copains ? Que représentent ces budgets, s’il s’agit de sauver des vies ?

Madame la ministre, de plus en plus d’enfants sont aujourd’hui à la rue : que dit cette banalisation de notre société ? Quand comptez-vous annoncer l’augmentation du nombre de lieux d’hébergement d’urgence ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’enfance.

Mme Charlotte Caubel, secrétaire dÉtat auprès de la Première ministre, chargée de lenfance. Madame la sénatrice Mathilde Ollivier, un enfant dans la rue est évidemment un enfant de trop. On ne peut que le souligner, qui plus est en cette semaine des droits de l’enfant. Le droit à des conditions de vie dignes est un droit fondamental reconnu par la convention internationale des droits de l’enfant.

Comme vous, le Gouvernement est extrêmement préoccupé par le sort de ces enfants et de ces familles ; et, contrairement à ce que vous avancez, il prend ses responsabilités face à ces situations dramatiques.

Mme Charlotte Caubel, secrétaire dÉtat. Nous nous sommes une nouvelle fois penchés sur ce problème lors du dernier comité interministériel de l’enfance.

Les efforts déployés pour mettre à l’abri les enfants vivant à la rue n’ont jamais été aussi grands. (Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.) En témoigne le maintien du parc d’hébergement d’urgence à un très haut niveau.

Depuis 2017, nous n’avons cessé de créer des places de mise à l’abri. Nous avons maintenu à plus de 200 000 le nombre de ces hébergements, qui permettent d’accueillir 70 000 enfants chaque année.

M. Ian Brossat. Il y en a encore dans la rue !

Mme Charlotte Caubel, secrétaire dÉtat. Vous citez des chiffres qui, par définition, évoluent constamment, puisque, si nous obtenons des logements pérennes pour un certain nombre de familles, d’autres arrivent sans cesse…

M. Ian Brossat. Et alors ?

Mme Charlotte Caubel, secrétaire dÉtat. C’est tout l’enjeu de la gestion des flux ; mais, pour votre part, vous ne raisonnez qu’à partir des stocks.

Par ailleurs, diverses mesures du pacte des solidarités permettent de poursuivre l’amélioration des conditions de vie de ces enfants. (Exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.) L’année dernière, plus de 3 000 d’entre eux ont ainsi été scolarisés par le ministère de l’éducation nationale.

Dans ces hébergements à l’hôtel, nous veillons non seulement à la scolarisation des enfants, mais aussi à leur accès aux soins. Nous créons des points de restauration et des lieux de loisirs pour améliorer leurs conditions de vie.

Si nous nous efforçons de mettre ces enfants à l’abri, nous ne devons pas perdre de vue un objectif majeur : l’accès à un logement pérenne.

Face à cet enjeu, le Gouvernement est, de même, résolument engagé. Plus de 240 000 personnes, dont 100 000 enfants, ont ainsi accédé au logement social l’année dernière. La logique est bel et bien la sortie du logement d’urgence.

Enfin – je tiens à le souligner –, nous souhaitons conduire cette politique volontariste avec le secteur associatif et les collectivités territoriales. C’est notre engagement !

M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour la réplique.

Mme Mathilde Ollivier. En 2017, le Président de la République disait qu’il ne voulait plus voir personne dans la rue. Or 2 800 enfants sont aujourd’hui sans domicile.

Vous êtes aux responsabilités depuis six ans et vous n’êtes pas à la hauteur ! C’est votre politique qui a conduit à cette catastrophe sociale.

Cessez enfin de vous défiler : réveillez-vous et ouvrez ces 10 000 places d’hébergement maintenant ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)

drame de crépol (ii)

M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Anne Ventalon. Ma question s’adressait à M. le ministre de l’intérieur.

Ce dimanche 19 novembre, les habitants du village de Crépol, dans la Drôme, se sont réveillés avec un sentiment d’incrédulité et d’effroi.

J’associe à ma question mon collègue élu de ce département, Gilbert Bouchet, qui, comme nous tous, fait sienne la douleur de la famille de Thomas, ainsi que celle des blessés. Comme lui, nous ne comprenons plus ce qui arrive à notre pays, brutalisé jusque dans ses territoires qui paraissaient les plus épargnés.

Les habitants de la ruralité, qui ne bénéficient pas des commodités de la vie citadine, en subissent à présent les dérives les plus tragiques.

Aux agressions contre les élus vient désormais s’ajouter l’attaque criminelle d’un bal de village.

Certes, nos forces de l’ordre agissent avec célérité pour interpeller ceux qui auront à répondre de leurs actes, mais les Français sont las : las des marches blanches ; las des sempiternelles annonces ministérielles qui succèdent aux drames.

La flambée des actes antisémites et des violences de toutes sortes laisse à penser que la prophétie de Gérard Collomb, craignant que demain « l’on ne vive face à face », s’est déjà accomplie.

Au-delà de l’émotion que nous ressentons aujourd’hui, ma question porte sur les quatre années restantes de ce quinquennat.

Qu’envisage le Gouvernement à moyen et long terme, pour que, dans ce pays, l’agression du médecin, de l’institutrice ou du maire redevienne inconcevable ? Comment allez-vous restaurer la valeur de l’autorité, qui rend naturel le respect des uniformes et des services publics, comme la crainte de subir les rigueurs de la loi ?

Albert Camus écrivait que « le but d’un écrivain est d’empêcher la civilisation de se détruire ». Dites-nous si cet objectif est aussi celui du Gouvernement et, dans l’affirmative, comment il compte l’atteindre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice. (Exclamations sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Anne Ventalon, en l’occurrence, nous devons être unis dans le recueillement.

Face à un tel drame, les mots peuvent bien sûr sembler dérisoires. Je tiens toutefois à faire miens ceux que M. le président Larcher a prononcés en ouvrant cette séance. Je salue son sens de la mesure et son esprit de compassion.

Je tiens à vous faire une confidence, toute honte bue. Hier, à propos de ce drame, j’ai été interpellé par l’un de vos collègues et, par inadvertance, j’ai donné à la jeune victime le prénom d’un de mes fils. Vous l’imaginez bien, ce n’est pas une marque de désinvolture. C’est simplement le signe que, comme chacun de nous sans doute, je me dis que cet enfant aurait pu être le mien.

Vous le savez : la famille s’est par avance opposée à toute exploitation politicienne de ce drame.

Pour ma part, comment puis-je répondre, en quelques dizaines de secondes, aux questions que vous posez ?

Je rappelle que nous avons considérablement augmenté le nombre de policiers, de gendarmes, de magistrats et de greffiers, grâce d’ailleurs aux votes que vous avez bien voulu accorder au Gouvernement.

Je tiens également à remercier les forces de sécurité intérieure et les pompiers de leur rapidité. Je remercie également Mme la déléguée interministérielle à l’aide aux victimes et l’association d’aide aux victimes, qui, dans la Drôme, représente la fédération France victimes.

Le ministère de la justice est le ministère des victimes. Les auteurs de ces faits seront châtiés, à la hauteur de leurs crimes, par une cour d’assises composée majoritairement de Français comme vous et moi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)

zones de revitalisation rurale

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Rémy Pointereau. Ma question porte sur l’avenir des zones de revitalisation rurale (ZRR). (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

Les ZRR existent depuis 1995 et, si tant d’élus locaux y sont viscéralement attachés, c’est parce qu’elles ont été créées pour venir en aide aux territoires ruraux !

Ce dispositif est fondamental, non seulement pour redynamiser le commerce et l’artisanat, mais aussi pour favoriser l’installation des professionnels de santé dans les territoires les plus fragiles.

Monsieur le ministre, certains membres de votre majorité ont souvent voulu la peau des ZRR : c’était sans compter sur le Sénat, qui a toujours œuvré pour les préserver et les proroger.

Aujourd’hui, ce dispositif doit être réformé – tout le monde en convient – et la commission de l’aménagement du territoire a beaucoup travaillé sur ce sujet depuis trois ans. Ses réflexions ont abouti au dépôt d’une proposition de loi qui permet un zonage plus juste, plus ciblé et plus efficace, pour 19 000 communes.

Pour sa part, le Gouvernement propose une réforme inscrite à l’article 7 du projet de loi de finances (PLF) pour 2024. Malheureusement, en l’état actuel, celle-ci s’éloigne de nos préconisations.

Vous conservez la maille intercommunale, alors que le Sénat, comme l’ensemble des associations d’élus, souhaite la maille communale ; les critères que vous avez retenus ne permettent pas d’apprécier la diversité des situations de la ruralité ; pis encore, vous vous apprêtez à inclure des aires urbaines dans un zonage rural, en y faisant entrer des villes de plus de 25 000 habitants, ce qui est contraire au bon sens.

Dès lors, en l’état actuel de votre réforme, seules 13 600 communes seront classées en ZRR, contre plus de 17 000 aujourd’hui.

Ma question est simple : envisagez-vous de corriger votre copie pour vous rapprocher de nos recommandations ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Michel Masset et Jean-Marc Vayssouze-Faure applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Pointereau, vous me demandez si le Gouvernement envisage de corriger l’article 7 du projet de loi de finances. La réponse est oui ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Emmanuel Capus. Excellent !

M. Christophe Béchu, ministre. Comment ?…

Mme Sophie Primas. Attention ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Mickaël Vallet. Par le 49.3 ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. Christophe Béchu, ministre. C’est Mme la Première ministre qui vous donnera le détail précis de ces dispositions… (Mme la Première ministre sourit. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Rémy Pointereau. Elle est là !

M. Michel Savin. Vous l’avez devant vous !

M. Christophe Béchu, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je comprends que vous réclamiez Mme la Première ministre, mais vous connaissez encore mieux que moi le règlement du Sénat : quand un ministre s’est levé pour répondre à une question d’actualité au Gouvernement, il doit aller au terme de son propos. (Sourires. – Mme Françoise Gatel rit.)

Monsieur Pointereau, avant tout, je tiens à rendre hommage à deux de vos collègues, M. Delcros et Mme Espagnac (Applaudissements sur des travées des groupes UC et SER.), qui, dans un rapport d’information relatif au devenir des ZRR, ont démontré que ce dispositif ne pouvait en aucun cas disparaître au 31 décembre 2023. Ils ont même imaginé un système à double cliquet, déclinant des ZRR et des ZRR+.

Je rends aussi hommage à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable de la Haute Assemblée : au-delà de nos échanges et de nos entretiens informels, elle a mené un travail considérable sur ce sujet.

Je salue également l’ancien maire de Lazenay et ancien président du département du Cher que vous êtes. Je sais que, bien loin des postures, vous êtes animé par des convictions profondes et que la défense de la ruralité représente, pour vous, un combat de près de quarante ans.

Premièrement, nous devons nous pencher sur le nombre de communes. Vous le soulignez avec raison : un dispositif restreint à 13 600 communes n’est pas satisfaisant. On ne saurait descendre sous le chiffre actuel, alors même que 88 % du territoire est couvert par des dispositifs de zonage. À l’évidence, nos critères ne sont pas les bons.

Deuxièmement, le classement en ZRR d’un département tout entier entraîne les effets de bord que vous relevez. Ce choix partait certes d’une bonne intention : il s’agissait de simplifier le dispositif en aidant mieux un certain nombre de territoires en déprise démographique. Mais on ne peut pas ranger dans la même catégorie une commune de 200 habitants et une ville qui en compte 20 000 : en procédant ainsi, l’on risque fort de privilégier la seconde au détriment de la première. Voilà pourquoi il faut inventer d’autres dispositifs.

Troisièmement, et enfin, nous devons traiter le sujet du maillage. Or, sur ce point, il n’est pas certain que nous nous retrouvions complètement. En effet, depuis 1995, les ZRR conservent au moins une constante : c’est la maille intercommunale.

Ce que nous souhaitons, c’est assurer le rattrapage communal (M. Michel Savin sexclame.), pour être certains d’éviter les effets de bord. Dans très peu de temps, Mme la Première ministre vous précisera ce qu’elle entend proposer, et vous pourrez l’applaudir comme il se doit ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour la réplique.

M. Rémy Pointereau. Monsieur le ministre, je me réjouis que le Sénat ait réussi à vous faire reculer.

Disons-le, le projet initial du Gouvernement n’était ni fait ni à faire. Toutefois, j’observe qu’il traite une nouvelle fois la ruralité avec désinvolture : il s’apprête en effet à déposer un amendement de dernière minute… La revitalisation des territoires mérite bien mieux ! (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Devésa et M. Jean-François Longeot applaudissent également.)

problématiques des collectivités ultramarines

M. le président. La parole est à Mme Audrey Bélim, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Audrey Bélim. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé des outre-mer, ainsi qu’à M. le ministre de l’économie et des finances. Elle porte sur l’octroi de mer, outil précieux et même essentiel pour nos collectivités territoriales ultramarines.

Élus nationaux ou locaux, habitants ou entrepreneurs, nous sommes très largement favorables à la remise à plat de cette imposition, qui doit devenir plus lisible, plus efficiente et plus simple : plus lisible pour nos compatriotes, qui ne doivent pas voir taxer des produits pour lesquels il n’y a pas de concurrence « péi » ; plus efficiente pour nos collectivités territoriales ; plus simple pour nos très petites entreprises (TPE) et nos petites et moyennes entreprises (PME), qu’il s’agisse des règles administratives ou des dispositions financières.

L’octroi de mer a été pensé pour protéger les économies locales de la concurrence extérieure : éloignées de l’Hexagone et souvent insulaires, ces dernières sont par définition moins compétitives que d’autres. Mais, paradoxalement, alors qu’il devait se limiter aux produits de l’extérieur, il s’applique désormais aux productions locales.

Bien réformée, cette taxe peut pourtant devenir un véritable levier pour la structuration de nos filières économiques ; un outil de création d’emplois et de développement, face à la concurrence, dans chacun de nos bassins géographiques.

Depuis 2017, force est de constater que les réformes concernant les outre-mer se sont pour la plupart réalisées sans ces territoires. Comme trop souvent, l’intérêt comptable à très court terme est passé avant l’investissement et l’intérêt des comptes publics à long terme. En outre – j’y insiste –, ces mesures ont généralement été prises sans concertation.

Je pense à la réforme des aides économiques, ainsi qu’à un exemple plus récent encore : le dépôt, par M. le rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, d’un amendement au projet de loi de finances pour 2024. Par définition, ces dispositions ne sont pas étayées par la moindre étude d’impact. On s’est contenté de les appuyer sur un rapport peu flatteur pour notre haute administration…

Messieurs les ministres, vous engagez-vous à associer les élus nationaux et locaux, les représentants des consommateurs et des entreprises, pour aboutir à une réforme de l’octroi de mer consentie par toutes et tous ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Barros applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des outre-mer.

M. Philippe Vigier, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice Audrey Bélim, vous le savez, après l’appel de Fort-de-France le Gouvernement a exprimé sa volonté de bâtir un nouvel avenir pour les outre-mer.

Cet engagement a été décliné en 72 mesures retenues par le Comité interministériel des outre-mer (Ciom), dont le premier bilan d’étape sera dressé demain et après-demain, à Paris.

La première de ces 72 mesures, rédigées, non par moi, mais par les membres du Ciom, consiste précisément à réformer en profondeur l’octroi de mer, dont vous venez de rappeler le caractère injuste et inégalitaire. À l’origine, cette taxe visait les seuls produits venus de l’extérieur ; aujourd’hui, elle s’applique également aux produits locaux.

Avec Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, j’ai établi un dialogue et un calendrier pour mener la réforme de l’octroi de mer. Les élus locaux seront bien sûr associés à ce travail. Nous venons d’ailleurs d’écrire aux présidents de collectivités, ainsi qu’aux présidents des différentes associations des maires. De même, nous consulterons les parlementaires et les représentants du monde économique. Une première rencontre aura lieu avec ces derniers dès le mois de décembre prochain.

Si je me réfère au calendrier fixé par Mme la Première ministre, nous aurons toute l’année 2024 pour conduire cette réforme, car elle doit se traduire dans le budget pour 2025 et entrer pleinement en application en 2027.

Oui, nous garantirons les recettes des communes et, plus largement, des collectivités territoriales ultramarines. Oui, nous entendons lutter contre la vie chère en mettant fin aux applications abusives de l’octroi de mer, qui, aujourd’hui, frappe jusqu’aux denrées de première nécessité.

Madame la sénatrice, cette réforme est indispensable. C’est ensemble que nous la mènerons, sinon, elle n’aura tout simplement pas lieu. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

lutte contre les violences faites aux élus

M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Alexandra Borchio Fontimp. Ma question s’adresse à Mme la Première ministre.

« Gestion de la commune », option « autodéfense » : tel est le nouveau module de formation proposé aux maires, dispensé notamment par les forces du Raid. Quelle est la prochaine étape ? Que les maires deviennent à leur tour des militaires de carrière ?

L’augmentation croissante des agressions d’élus, notamment des injures anonymes en ligne, et sa conséquence directe, à savoir les démissions en cascade de maires, sont devenues le marronnier de l’assemblée générale des maires de France. C’est aussi le symbole de l’échec de notre République.

L’origine de ce fléau ne fait aucun doute : c’est le délitement de l’autorité et la contestation quasi systématique des décisions prises par ces élus.

Malgré les discours de fermeté, les marques d’indignation et même les postures martiales du Gouvernement, la situation ne cesse de se dégrader. Les récentes annonces, dont la création d’un numéro vert pour les élus, dispositif que l’Association des maires de France (AMF) a d’ailleurs déjà mis en œuvre, ne suffiront pas.

Prenons le problème à bras-le-corps. Mettons fin à cette dérive, qui conduit à l’ensauvagement de la société.

La perte de l’autorité de l’État est le problème majeur de notre pays. Sans une extrême fermeté envers ceux qui font désormais de la violence un mode d’expression comme un autre, nous n’y arriverons pas.

Pour ma part, je suis fière d’appartenir au groupe Les Républicains du Sénat, qui, le premier, a su tirer la sonnette d’alarme et, face à ce fléau, émettre des propositions fortes, adoptées ici même le mois dernier.

Madame la Première ministre, la situation est intenable. La République va mal. Nos édiles sont inquiets. Vos annonces, nous les connaissons, mais rassurez-nous : de nouvelles mesures sont-elles prévues pour que nos maires puissent, enfin, exercer leur mandat sans l’angoisse d’être agressés ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la citoyenneté et de la ville.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté, et auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ville. Madame la sénatrice Borchio Fontimp, la protection des élus est une priorité – vous avez raison de le souligner. Elle concourt à la protection de la République dans son entièreté.

M. François Bonhomme. Ça commence bien…

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire dÉtat. Or, comme vous le relevez, nous faisons face depuis un an à une recrudescence des violences envers nos élus, lesquels ont été victimes d’agressions particulièrement abjectes.

Les élus locaux, notamment les maires, sont les premiers touchés : si le nombre de violences physiques n’augmente pas, les menaces et les outrages se multiplient.

Le Gouvernement s’est engagé pour mieux mesurer ce phénomène, mieux prévenir les atteintes infligées aux élus et mieux sanctionner ceux qui les attaquent. Il a décrété la mobilisation générale, afin de provoquer un véritable choc civique.

Concrètement, nous avons créé un « pack sécurité » destiné aux élus et lancé un plan national de lutte contre les violences faites à ces derniers. Ces initiatives seront financées à hauteur de 5 millions d’euros pour 2024. J’ajoute que 3 400 référents élus, policiers et gendarmes sont d’ores et déjà dédiés à cette politique.

Dans chaque arrondissement, préfets et procureurs ont réuni les élus. Bientôt, des boutons d’alarme seront mis en service et des systèmes de vidéoprotection dédiés installés. (M. Philippe Bas sexclame.)

Le centre d’analyse et de lutte contre les atteintes aux élus (Calae) a pour mission de suivre ce phénomène et de coordonner la mise en œuvre de ces mesures. Il assure le suivi individuel quasi quotidien d’une cinquantaine de cas.

M. le ministre de l’intérieur et M. le garde des sceaux sont au travail. Lundi dernier, un numéro d’assistance psychologique destiné aux élus et à leur famille a été activé, en lien avec France victimes.

M. Rémy Pointereau. Où est la protection ?

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire dÉtat. Cette semaine, un premier point d’étape sera effectué par Mme Dominique Faure lors du congrès des maires. Ma collègue chargée des collectivités territoriales rencontrera les maires en compagnie de magistrats, de gendarmes et de policiers.

Le diagnostic est désormais clair, les moyens sont déployés (Marques dironie sur les travées du groupe Les Républicains.) et nous nous assurerons que les résultats sont à la hauteur de la mobilisation. J’espère que vous le ferez avec nous. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp, pour la réplique.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. Madame la secrétaire d’État, comme nous nous y attendions, vous avez énuméré les mesures déjà annoncées par votre gouvernement sans proposer de traiter les causes de ce fléau ou détailler de nouvelles initiatives…

Or il est grand temps d’agir réellement pour mettre fin à cette crise civique majeure, dont les violences envers les élus sont le triste reflet, et de mobiliser des moyens en conséquence.

Au lieu d’enseigner la théorie du genre à nos enfants (Protestations sur des travées des groupes SER et GEST.), peut-être faudrait-il leur apprendre en classe à respecter nos élus, nos institutions et les valeurs de la République ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Duffourg et Mme Christine Herzog applaudissent également.)

mise en œuvre de la loi créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.

Madame la ministre, je commencerai par un chiffre : 244 300, c’est – vous le savez – le nombre de victimes de violences conjugales recensées en 2022.

Pour sortir du cycle de la violence, ces victimes, qui sont principalement des femmes, doivent accomplir un véritable parcours du combattant.

Parfois la victime ne travaille pas. C’est d’ailleurs un moyen pour le conjoint violent de la contrôler. Et quand elle travaille, il n’est pas rare que ce dernier lui confisque ses ressources. Or l’autonomie financière est un préalable indispensable à la rupture.

Face à ce constat, notre ancienne collègue Valérie Létard a fait adopter en février dernier, à l’unanimité du Parlement, une proposition de loi dont Jocelyne Guidez était la rapporteure au Sénat.

Il est regrettable que Valérie Létard n’ait pas été associée à l’élaboration des décrets d’application de sa loi, instaurant une aide universelle d’urgence. D’ailleurs, nous attendons encore ces textes et, vous le savez sans doute, depuis le « zéro artificialisation nette » (ZAN), le Sénat est particulièrement sensible en la matière.

Madame la ministre, mes questions sont les suivantes.

Premièrement, quand les décrets d’application seront-ils publiés ?

Deuxièmement, cette loi instaure un soutien financier versé par la caisse d’allocations familiales (CAF) : quel budget y consacrera-t-on et selon quelles modalités ? Le décret le précise-t-il ?

Troisièmement, et enfin, ce texte prévoit une loi de programmation pluriannuelle de lutte contre les violences faites aux femmes : à quand cette loi ? (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Madame la sénatrice Vérien, vous l’avez rappelé en préambule : au total, plus de 244 000 victimes de violences conjugales ont été signalées aux forces de l’ordre au cours de l’année 2022.

On doit en déduire, non que ces victimes sont de plus en plus nombreuses, mais que les femmes parlent davantage. Pour mémoire, elles n’étaient que 120 000 en 2017. À l’évidence, un profond changement s’opère dans notre société.

Depuis six ans maintenant, nous luttons sans relâche contre les violences faites aux femmes, en actionnant tous les leviers à notre disposition. Nous commençons par recueillir la parole des femmes victimes. Puis, nous nous efforçons bien sûr d’assurer leur protection et de sanctionner les auteurs des faits.

L’aide universelle d’urgence, que vous avez évoquée, viendra compléter le pack nouveau départ. Elle est en effet le fruit d’un travail mené par votre ancienne collègue Valérie Létard, dont la proposition de loi a été votée à l’unanimité, notamment au Sénat.

À ce titre, je tiens à saluer l’action de la Haute Assemblée. Une telle aide est essentielle, car elle permettra d’accompagner financièrement ces femmes. Elle sera octroyée par la CAF sous trois à cinq jours ouvrés. J’ajoute que, à la demande de Mme la Première ministre, elle sera disponible dès le 1er décembre prochain.

Cette aide financière ne devait être effective qu’au début du mois de janvier 2024. Si nous avons avancé sa mise en œuvre, c’est parce que nous savons combien elle sera bénéfique pour les femmes qui ont besoin de partir.

L’aide universelle d’urgence ira de 243 euros à plus de 1 300 euros ; pour une femme avec trois enfants et travaillant au Smic, elle s’élèvera ainsi à 1 377 euros. Cette somme permettra de subvenir aux premières dépenses, qui, vous le savez, peuvent être nombreuses quand on quitte le domicile conjugal précipitamment. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour la réplique.

Mme Dominique Vérien. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse et je salue votre engagement.

Un versement sous trois à cinq jours est en effet rapide. Mais, dans bien des départements, il faut attendre quinze jours avant d’obtenir un premier rendez-vous à la CAF : les services dont il s’agit sont souvent engorgés, ce qui complique bon nombre de situations.

Le département du Nord, qui a expérimenté l’aide universelle d’urgence, a ainsi conçu des dispositifs permettant une demande immédiate par les services sociaux du conseil départemental, voire par un commissariat. On évite ainsi les délais d’obtention d’un rendez-vous à la CAF. De grâce, assurez-vous que ces possibilités figureront dans le décret ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

mission sur la clarification de l’action publique et les nouvelles pistes de décentralisation

M. le président. La parole est à M. Jean-Gérard Paumier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Gérard Paumier. Madame la Première ministre, après la première rencontre de Saint-Denis, vous avez lancé « une mission temporaire ayant pour objet la clarification de l’action publique territoriale et l’identification de nouvelles pistes de décentralisation ».

Or les maires et les élus locaux demandent plutôt une clarification de l’action publique nationale et de leurs moyens d’agir, en lien avec les services déconcentrés de l’État.

Ils demandent la clarification des décisions de l’État en matière de finances locales et de compétences transférées ; la clarification du rôle des innombrables et coûteuses agences nationales qui diluent les responsabilités, créent de la norme supplémentaire et compliquent l’action des collectivités.

De même, la clarification des appels à projets s’impose. Ceux-ci se multiplient à l’envi, assortis de calendriers souvent très courts défavorisant les petites collectivités dépourvues d’ingénierie, pour des montants justifiant plutôt un pilotage préfectoral déconcentré qu’un pilotage ministériel.

La clarification, encore, de la succession des programmes d’État, qui donnent le tournis aux communes et sont rarement évalués est nécessaire : Action cœur de ville, contrats de ruralité, opérations de revitalisation de territoire, Territoires d’industrie, Territoires à énergie positive pour la croissance verte, Territoires pilotes de sobriété foncière, contrats de relance et de transition écologique (CRTE), Petites villes de demain, Villages d’avenir, etc.

Enfin, nous avons besoin d’une clarification des règles d’attribution des dotations déconcentrées, dont les périmètres et les critères ne facilitent pas la tâche des maires qui remplissent les dossiers : dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), fonds vert.

Après la seconde rencontre de Saint-Denis, et durant le déroulé de la mission Woerth, le Gouvernement envisage-t-il de lancer une mission temporaire, afin de clarifier l’action publique nationale et les moyens d’agir des maires dans un cadre déconcentré ? Si tel devait être le cas, pourquoi ne pas la confier à un membre de la Haute Assemblée, chambre des territoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Mickaël Vallet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Paumier, tout d’abord, aux alentours de midi trente, un son très doux a sans doute tinté aux oreilles de certains sénateurs – Louis-Jean de Nicolaÿ, Françoise Gatel ou encore Bruno Retailleau, parmi d’autres –, en raison du compliment que j’adressais alors à la Haute Assemblée (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.), à l’occasion du congrès des maires.

En effet, j’y ai officialisé une charte entre les agences, grâce à laquelle ce que vous avez dénoncé comme une « agenciarisation » rampante d’une partie de l’État se traduit par une simplification des accès, avant d’imaginer un quelconque big-bang.

Aides-territoires permet ainsi à un maire de ne pas s’interroger sur le bon opérateur ou sur la porte d’entrée pertinente, mais de savoir que, en connaissant l’adresse de sa préfecture et en disposant, potentiellement, d’un lien internet, il peut bénéficier du soutien de l’État. Je tenais à le dire, parce qu’il s’agit d’un élément de réponse.

Ensuite, vous m’interrogez indirectement sur la mission Woerth et vous vous demandez s’il ne serait pas opportun d’en lancer une autre en parallèle.

Je reprends volontiers à mon compte le début de votre plaidoyer, monsieur le sénateur Paumier : il est en effet nécessaire d’introduire de la clarté là où l’on donne parfois le sentiment d’une superposition. De ce fait, il ne me semble pas qu’une superposition de missions dans le même laps de temps serait de nature à renforcer ladite clarté.

Nous avons confié une mission à Éric Woerth, qui consiste à examiner les perspectives de déconcentration et de décentralisation, ainsi que la question des moyens et celle du statut des élus. Pour cela, il s’appuiera sur des travaux existants et sur des rencontres avec des élus, dont il réalisera une synthèse, de manière à avancer une proposition globale.

C’est alors – les délais étant courts, ce sera dans quelques mois – qu’il conviendra de déterminer, avec le Parlement, les directions dans lesquelles nous avancerons. Il est préférable de procéder ainsi, plutôt que d’engager plusieurs démarches en parallèle, au risque de perdre un peu tout le monde.

Souhaitons-nous de la simplification ? Oui. Souhaitons-nous de la décentralisation ? Oui. Souhaitons-nous diminuer les appels à projets ? Oui.

Tel est le sens de l’action que je mène depuis cinq cents jours sous l’autorité d’Élisabeth Borne, et qui va se poursuivre. (MM. Thani Mohamed Soilihi et François Patriat applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Gérard Paumier, pour la réplique.

M. Jean-Gérard Paumier. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre non-réponse à la question posée.

Puissent vos décisions concrètes en la matière donner tort à Jean de La Fontaine, qui écrivait :

« Ne faut-il que délibérer,

« La cour en conseillers foisonne ;

« Est-il besoin d’exécuter,

« L’on ne rencontre plus personne. »

(Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

difficultés des maires dans l’exercice de leur mandat

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Vayssouze-Faure, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Monsieur le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, la dernière enquête de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) et du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) confirme le malaise des élus locaux, confrontés à l’affaiblissement de leur pouvoir d’agir.

La diminution de la dotation globale de fonctionnement (DGF) en euros constants, les compétences, que l’État ne transfère plus, mais abandonne aux collectivités sans leur attribuer les moyens adaptés, l’amenuisement des leviers fiscaux, telles sont les difficultés qui freinent l’engagement des élus locaux.

S’y ajoute l’urgence à apporter une réponse aux communes qui font face à la complexification de l’accès aux assurances, dans un contexte de crises à répétition.

Depuis le début de leur mandat, 1 300 maires ont déjà démissionné. Parmi les raisons avancées à ce chiffre dans les résultats de l’enquête, les élus placent en deuxième position les relations de plus en plus complexes avec l’État. Pour autant, sur ce sujet, c’est non pas à eux de faire des efforts, mais bien à l’État.

Ce qui décourage les élus, c’est la multiplication des appels à projets et la mise en place d’une réglementation technocratique excessive pour des sujets pourtant essentiels, comme la transition écologique. La mise en application du « zéro artificialisation nette » (ZAN) en est un parfait exemple. En réalité, le choc de simplification tant attendu s’est transformé en choc de suradministration.

Monsieur le ministre, que compte faire le Gouvernement pour lutter concrètement contre ces obstacles, qui découragent les 500 000 élus de notre pays et qui portent atteinte à notre démocratie locale ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. (Encore ! sur diverses travées.)

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Vayssouze-Faure, il y a peu de temps encore, vous étiez maire de Cahors.

Vous avez sans doute perçu, entre vos deux mandats, combien, depuis quelques années, les attentes de la population et la manière dont s’expriment parfois ses revendications n’évoluent pas dans le sens de la modération.

La période du covid-19 a sans doute été pour quelque chose dans le maintien de gestes barrières inconscients envers une partie de nos concitoyens et de nos voisins ; un degré d’agressivité supplémentaire s’est invité dans le débat public. Je l’ai vécu comme maire ; je ne doute pas que cela ait été aussi le cas de beaucoup d’entre vous.

Dans le même temps, il serait juste de reconnaître que ce chiffre, s’il est effrayant, n’est supérieur que de 10 % à celui du mandat précédent, alors que les difficultés que vous décrivez n’étaient pas les mêmes.

Oui, l’État doit prendre sa part de responsabilité, parce qu’il organise les règles du jeu et parce que, parfois, il les définit. Il doit entendre que les plus petites communes, en particulier, ne souffrent pas seulement des normes, mais aussi de la réunionite.

Ainsi, des maires m’expliquent combien, entre les périmètres des schémas de cohérence territoriale (Scot), les pays, là où ils existent, les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) et les intercommunalités, le peu de temps qu’ils passent chez eux finit par peser sur d’autres liens et sur d’autres équilibres, qui ne sont ni municipaux ni budgétaires.

M. Christophe Béchu, ministre. J’entends, de plus, qu’est posée la question du statut.

Certes, dans l’enquête du Cevipof que vous citez, les maires ne demandent pas d’abord à être mieux payés et davantage aidés. Pour autant, on ne saurait gérer autant de contraintes sous autant de pression sans bénéficier de cette forme de reconnaissance qui, malheureusement, ne se décrète pas par la loi et qui a disparu du regard d’une partie de nos concitoyens, remplacée par des insultes et de la violence.

Enfin, plus largement, se pose la question des moyens, concernant à la fois les collectivités territoriales et les communes qui les composent.

Sur ce point, entre votre interpellation, l’enquête du Cevipof et le rapport d’information Avis de tempête sur la démocratie locale : soignons le mal des maires de M. Darnaud,…

M. Michel Savin. L’excellent rapport ! (Sourires.)

M. Christophe Béchu, ministre. … nous disposons d’éléments pour avancer, en attendant les conclusions de la mission Woerth. (MM. Thani Mohamed Soilihi et François Patriat applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Vayssouze-Faure, pour la réplique.

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Monsieur le ministre, j’ai bien entendu les mesures sur lesquelles vous êtes prêt à avancer, mais nous avons besoin d’une action d’ampleur sur ce sujet. Nous ne nous contenterons pas d’un numéro vert, d’une énième mission sur la décentralisation ou d’un florilège de plans, qui se résument souvent à de simples opérations de communication.

M. Christophe Béchu, ministre. Je n’ai pas dit cela !

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Dans mon département comme ailleurs, les agriculteurs ont inversé les panneaux à l’entrée de nos communes, pour exprimer leur mécontentement face au retard du versement de leurs aides. Ils sont les victimes d’un transfert de compétence vers les régions qui a été opéré sans être accompagné de la compensation financière et humaine nécessaire.

Comme les élus locaux, ils font face à un étau administratif qui se resserre.

Monsieur le ministre, ne nous obligez pas à prendre le relais de ce mouvement. À force de chercher à bouleverser notre échelon de proximité, vous allez finir par nous faire, nous aussi, marcher sur la tête ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Philippe Grosvalet applaudit également.)

compensation financière des communes pour l’accueil des gens du voyage

M. le président. La parole est à Mme Pauline Martin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pauline Martin. Ma question s’adressait à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, mais celle-ci est remplacée par Mme la secrétaire d’État chargée de la citoyenneté et de la ville.

Madame la secrétaire d’État, en mai dernier, mon collègue sénateur Hugues Saury vous interpellait à propos de l’intolérable abandon de nos collectivités à l’occasion de l’organisation d’événements de grande ampleur concernant les gens du voyage.

Il vous rappelait ainsi toutes les difficultés rencontrées par la commune de Nevoy, dans le Loiret, et par l’ensemble du bassin de vie du Giennois, face à l’afflux de 40 000 pèlerins de l’association Vie et Lumière.

Grâce à la mobilisation de tous, un second rassemblement, prévu pour août dernier, a finalement été déplacé sur l’ancienne base aérienne de Grostenquin, en Moselle. Nous vous en remercions très sincèrement, ce qui n’est peut-être pas le cas de nos collègues de Moselle !

Mme Pauline Martin. Tout comme Nevoy et ses alentours, les communes voisines de cette base aérienne ont dû subir durant deux semaines les inévitables nuisances que provoque un rassemblement d’une telle ampleur dans un territoire non dimensionné pour le recevoir.

L’État, prenant ses responsabilités, a annoncé le jeudi 19 octobre dernier que les communes de Moselle ayant subi ce rassemblement percevraient 1,5 million d’euros de compensation. Je salue cette décision, qui me paraissait indispensable.

Vous comprendrez dès lors le sens de ma triple question.

Tout d’abord, de quelle façon l’État envisage-t-il d’accompagner le prochain rassemblement à Nevoy, en le limitant à 20 000 pèlerins, du 28 avril au 5 mai prochain ?

Ensuite, est-il prévu un soutien financier pour les communes du Loiret ?

Enfin, quelle anticipation envisagez-vous pour le second rassemblement du mois d’août 2024 ? Surtout, où nos voyageurs seront-ils accueillis ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la citoyenneté et de la ville.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté, et auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ville. Madame la sénatrice Martin, je vous remercie de votre question.

Vous interpellez ma collègue Dominique Faure sur la question du site de l’association Vie et Lumière à Nevoy, dans le Loiret, et sur les modalités d’organisation du rassemblement annuel organisé sur place par cette association, qui réunit habituellement 40 000 personnes.

Vous avez fait mention des mesures d’accompagnement que nous avons prises récemment, au bénéfice des communes qui ont accueilli le rassemblement de Grostenquin.

Comme vous le savez, l’État a dû trouver la solution la plus adaptée pour accueillir ce rassemblement dans les meilleures conditions possible. Celui-ci s’est finalement tenu sur le site de la base aérienne, appartenant à l’État et habituellement affecté à des activités opérationnelles.

Concernant ce rassemblement en particulier, l’État a tenu à compenser les collectivités territoriales affectées par les dégradations liées à la tenue de cet événement, dans la mesure où il a choisi lui-même ce terrain dévolu.

Pour autant, le terrain privé appartenant à une association dans le Loiret ne saurait être l’objet d’un accompagnement financier identique, vous le comprendrez sans doute.

Ces deux situations sont différentes, même si j’entends bien que les communes de Nevoy et des alentours demandent un accompagnement dédié. Celui-ci existe, mais il n’est pas de même nature qu’à Grostenquin : à Nevoy, l’État est présent pour accompagner et sécuriser le rassemblement.

Comme chaque année, la préfecture du Loiret mettra en œuvre tous les moyens nécessaires pour que l’organisation de cet événement ne perturbe pas la vie du territoire et ne donne pas lieu à des dégradations locales. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Hugues Saury. C’est faux!

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État. Dans tous les cas, l’État serait à vos côtés si des dégâts étaient commis, pour mettre l’association concernée devant ses responsabilités et lui présenter les factures afférentes. Nous travaillons déjà avec elle, afin de lui soumettre une convention financière qui permettra de mieux anticiper et de mieux répondre à vos questions, lesquelles sont absolument légitimes.

M. le président. La parole est à Mme Pauline Martin, pour la réplique.

Mme Pauline Martin. Une fois de plus, nous constatons l’immobilisme de l’État devant le sentiment de déshérence des maires face aux gens du voyage. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire dÉtat. Je vous ai pourtant indiqué que l’État vous aiderait !

orientations de la politique agricole

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Antoine, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Antoine. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Monsieur le ministre, il n’a pu vous échapper que, depuis le début de la semaine, de nombreux panneaux d’entrée de nos communes ont été placés à l’envers ou échangés. Le message est clair : on marche sur la tête ! Ce sont les jeunes agriculteurs de nos départements qui nous le disent. Leur action est peut-être anecdotique, mais leur combat l’est moins.

Dans leurs exploitations, ils ont engagé une transition pour le renouvellement des générations, une transition énergétique, une transition environnementale. Pourtant, la pression sur leurs prix continue.

Or nos agriculteurs ne veulent pas de cette pression : ils demandent une vision, et la vôtre manque clairement d’ambition.

La politique agricole du Gouvernement est incohérente : vous imposez le respect des normes aux agriculteurs, alors même que la plupart des produits importés n’y répondent pas.

La coupe est pleine ; le monde agricole exprime son exaspération. Et notons que c’est encore par des actions syndicales respectueuses des biens et des personnes que les agriculteurs nous alertent cette semaine.

Aussi, monsieur le ministre, ma question est simple : quelles mesures durables et connectées à la réalité de terrain allez-vous prendre pour redonner du souffle, de la compétitivité et de l’espoir à nos agriculteurs ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice Antoine, il ne s’agit pas d’une action anecdotique ; il s’agit d’interpeller le Gouvernement, et nous tous, quant à la trajectoire que nous souhaitons adopter.

Vous demandez une réponse sur nos choix à ce propos, ainsi que sur nos objectifs. Dans l’hypothèse où vous n’auriez pas discerné ces derniers, les voici.

Notre premier objectif concerne les rémunérations. Celles-ci font l’objet des trois lois Égalim, respectivement la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, la loi du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs et la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.

Ces textes ont été votés par les deux assemblées et ont permis de travailler sur ce sujet, même s’il reste des progrès à faire. Vous ne croiserez pas un agriculteur souhaitant les abroger, même s’il faut aller plus loin. Concernant certains produits, nous savons combien la question de la rémunération est importante.

Le deuxième sujet concerne les assurances, pour vous donner des éléments concrets, tant j’ai le sentiment que vous en manquez. (Exclamations sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)

Mme Émilienne Poumirol. Tout de même !

M. Marc Fesneau, ministre. Vous avez voté, à l’Assemblée nationale et au Sénat, un texte qui modifie profondément le système assurantiel et garantit sa résilience.

Ensuite, nous devons fixer un cap. Pour ce qui nous concerne, c’est la souveraineté et la transition, parce que l’une n’ira pas sans l’autre. Pour atteindre la souveraineté, nous avons besoin d’assumer des transitions, en particulier celles qui sont liées au dérèglement climatique.

À cette fin, nous disposons d’un outil élaboré avec les professionnels agricoles : la planification. Celle-ci permet de déterminer si les injonctions que nous émettons en matière d’augmentation de la production de biomasse ou de souveraineté alimentaire permettent de répondre à celles qui concernent l’eau ou les produits phytosanitaires.

Enfin, pour être crédibles, nous avons besoin de moyens, lesquels relèvent du budget que vous examinerez prochainement. Pour l’année 2024, celui-ci atteint plus de 1,3 milliard d’euros. Ce montant, comme son augmentation, est sans précédent.

Nous disposons donc d’une trajectoire, d’une planification et de moyens financiers.

Par ailleurs, vous avez évoqué la question du pacte et de la loi d’orientation et d’avenir agricoles. Ces dispositifs serviront de cadre pour combiner ces éléments et les mettre en cohérence. Ils permettront ainsi d’illustrer la logique de notre action, que la Première ministre aura l’occasion d’évoquer dans les prochaines semaines. (MM. Thani Mohamed Soilihi et François Patriat applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Antoine, pour la réplique.

Mme Jocelyne Antoine. Monsieur le ministre, j’ai entendu vos explications. Pour autant, l’ensemble des mesures que vous évoquez ne répond pas entièrement à l’enjeu des prix, du partage de la valeur et de la valeur ajoutée. Nos paysans souffrent dans les campagnes ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 29 novembre 2023, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Mathieu Darnaud.)

PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi portant reconnaissance par la Nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982
Discussion générale (suite)

Personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982

Adoption d’une proposition de loi modifiée

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant reconnaissance par la Nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982, présentée par M. Hussein Bourgi et plusieurs de ses collègues (proposition n° 864 [2021-2022], résultats des travaux de la commission n° 104, rapport n° 103). (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Dans la discussion générale, la parole est à M. Hussein Bourgi, auteur de la proposition de loi.

M. Hussein Bourgi, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai l’honneur de soumettre au débat et à vos votes cette proposition de loi portant reconnaissance et réparation des personnes condamnées pour homosexualité en France entre 1942 et 1982.

Je remercie mes 102 collègues sénatrices et sénateurs qui ont cosigné cette proposition de loi, ainsi que les collègues élus à la fin du mois de septembre dernier qui ont manifesté leur soutien à cette initiative parlementaire.

La diversité politique des cosignataires montre que nous nous apprêtons à débattre dans un climat apaisé d’un sujet qui peut et qui doit faire consensus.

Cette proposition de loi s’appuie sur deux idées simples : la quête de la vérité et la recherche de la justice. Telles sont les valeurs qui m’ont servi de boussole dans le cheminement m’ayant conduit à la rédaction et au dépôt de ce texte.

Les lois mémorielles se donnent bien souvent pour mission de réconcilier un pays avec son histoire, tant il est vrai que le passé de chaque État est fait de parts de lumières, dont il convient de tirer une légitime fierté, et de parts d’ombre, dont on gagne à reconnaître l’existence. L’histoire de notre pays, la France, n’échappe pas à cette règle.

Ils s’appelaient Henri de Montherlant, Roger Peyrefitte, Michel Chomarat ou Bernard Bousset. Certains étaient célèbres et, la plupart, anonymes. Ils aimaient la France. Ils la servaient. Ils la célébraient. Certains, comme Jean Desbordes, s’étaient engagés dans la Résistance. Ils chantaient la France, comme Charles Trenet.

Or, avec eux, comme avec des dizaines de milliers d’hommes et des centaines de femmes, la France ne fut pas douce. Elle fut au contraire cruelle.

La France a dépénalisé l’homosexualité en 1791 dans le code napoléonien, au lendemain de la Révolution française, devenant l’un des pays les plus progressistes en la matière. Nous le devons au juriste montpelliérain Jean-Jacques-Régis de Cambacérès.

Hélas, sous la IIIe République, de grands commis de l’État pressèrent le gouvernement de sévir contre l’homosexualité, si bien que cette parenthèse libérale fut de courte durée. Quelques années plus tard, en août 1942, ces grands commis de l’État virent en effet leurs vœux exaucés par le maréchal Pétain.

L’air du temps n’explique pas ce retour en arrière. À la même période, en Europe, la Suède, la Suisse ou encore la Pologne décriminalisaient les relations entre personnes de même sexe.

À rebours de son histoire, la France instaurait une majorité sexuelle de 21 ans pour les homosexuels, contre 13 ans pour les hétérosexuels.

D’apparence anodine, cette discrimination légitima jusqu’à la fin de la guerre la persécution, l’arrestation et la condamnation de dizaines de milliers d’hommes dans notre pays. Quelques centaines d’entre eux furent, hélas, déportés depuis la France vers les camps de rééducation et de concentration.

Longtemps éclipsés dans la mémoire collective, ceux qui étaient obligés de porter le triangle rose ont été progressivement réhabilités. Nous le devons aux travaux des historiens Florence Tamagne, Régis Schlagdenhauffen et Mickaël Bertrand, auxquels je tiens à rendre hommage.

À la Libération, alors que la plupart des textes de Pétain furent abrogés, le ministre de la justice de l’époque, François de Menthon, fit le choix de conserver cette loi réprimant l’homosexualité, tout en la défendant et en la justifiant dans l’ordonnance du 8 février 1945.

En 1960, la législation prohibant les relations homosexuelles fut même renforcée par l’adoption d’un amendement du député de Moselle Paul Mirguet, tendant à insérer ce qui est devenu l’alinéa 2 de l’article 330 du code pénal. Considérant l’homosexualité comme un fléau social qu’il convenait de combattre, Paul Mirguet réussit à convaincre une majorité de députés de doubler la peine pour outrage à la pudeur lorsqu’il s’agissait de rapports homosexuels, créant de fait une circonstance aggravante.

Cette nouvelle législation répressive entraîna une persécution des personnes homosexuelles, traquées dans les lieux de rencontre et parfois jusque dans l’intimité de leur logis à la suite d’une dénonciation. Elle permit également la constitution de fichiers d’invertis par la police nationale et fit l’objet d’une application zélée par les juges, puisque, jusqu’en 1978, quelque 93 % des condamnations liées à ces infractions se soldèrent par des peines d’emprisonnement.

En 1977, à l’occasion du médiatique procès du Manhattan et de la mobilisation d’intellectuels tels que Michel Foucault et Marguerite Duras qui s’ensuivit, le législateur envisagea enfin de remettre en cause ces dispositions iniques de l’arsenal pénal de l’époque.

Je salue le courage et la ténacité de l’une des victimes de cette triste affaire, le lyonnais Michel Chomarat, aujourd’hui âgé de 75 ans, qui, depuis des années, témoigne inlassablement pour lui et pour ses compagnons d’infortune.

En 1978, le Sénat, sur l’initiative de notre regretté collègue Henri Caillavet, sénateur du Lot-et-Garonne, proposa l’abrogation des deux infractions liées à l’homosexualité.

Convaincue par les arguments du sénateur Caillavet, qui souligna la nécessité de tenir compte de l’évolution des mœurs et des esprits, la Haute Assemblée de l’époque le suivit et vota sa proposition de loi.

Reprise par le député-maire Michel Crépeau à l’Assemblée nationale, cette proposition de loi se heurta à l’hostilité de la majorité des députés. Il fallut attendre 1980 et l’action volontariste de Monique Pelletier, secrétaire d’État dans le gouvernement de Raymond Barre, pour que fut abrogée la circonstance aggravante d’homosexualité dans le cadre d’un outrage public à la pudeur.

Arrivée au pouvoir, la gauche amnistia dès 1981 les personnes condamnées pour homosexualité.

Enfin, le 4 août 1982, sur l’initiative du garde des sceaux Robert Badinter, du député du Territoire de Belfort Raymond Forni et de la rapporteure Gisèle Halimi, et avec le concours de notre ancien collègue sénateur de Haute-Saône Jean-Pierre Michel, la majorité sexuelle discriminante héritée de Vichy fut abrogée.

Le sociologue Régis Schlagdenhauffen estime que 10 000 à 50 000 personnes ont été condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982. Ses travaux sont corroborés par de nombreux universitaires, parmi lesquels Antoine Idier, Sébastien Landrieux, Romain Jaouen, Sherine Berzig ou Marc Boninchi.

Peu de ces condamnés – quelques centaines au mieux – sont encore en vie à l’heure où je vous parle, mes chers collègues.

Pour toutes les personnes condamnées, le prix à payer fut lourd. Les condamnations, qu’elles soient assorties d’amendes ou de courtes peines de prison, constituaient des taches indélébiles, y compris pour les plus légères. Ces sanctions pénales allaient en effet de pair avec l’opprobre social, l’ostracisme et le rejet des prévenus par leur famille. Elles entraînèrent également bien souvent le licenciement ou la ruine de la carrière professionnelle de ces personnes.

Ces pertes sociales, morales et financières ne sauraient être évaluées. Ces peines infamantes ont marqué à vie des existences. Elles firent voler en éclat des vies et des familles. « Car le plus lourd fardeau, c’est d’exister sans vivre », disait Victor Hugo. Nombre de ces hommes continuèrent à exister en ayant perdu le goût de la vie.

Ces condamnations poussèrent au suicide certains malheureux, acculés à la mort par une presse peu scrupuleuse qui étalait leur identité ou publiait les photos des devantures des commerces dans lesquels ils travaillaient. Aucune loi ne sera certes en mesure de réparer ce préjudice, mais nous pouvons tâcher de nous y employer, mes chers collègues.

Tel est l’objet de cette proposition de loi, qui, dans son article 1er, reconnaît la responsabilité de la France dans les répressions subies. Si le rapporteur semble souscrire à l’objectif de cet article, il souhaite faire commencer la reconnaissance en 1945, estimant que la République française ne peut être tenue pour comptable des agissements du régime de Vichy.

Nous peinons à partager le raisonnement juridique du rapporteur, puisque la République a, hélas, repris à son compte et conservé la loi adoptée sous le régime de Pétain.

Nous peinons également à partager son raisonnement politique, puisque le jour de la libération de Paris, le 25 août 1944, à l’Hôtel de Ville, pressé par Georges Bidault de proclamer la République, le général de Gaulle lui répondit qu’elle n’avait jamais cessé d’exister.

Plus récemment, le 16 juillet 1995, abandonnant toutes les circonvolutions de ses prédécesseurs à l’Élysée et même de certains de ses compagnons du Rassemblement pour la République (RPR), le regretté Jacques Chirac, Président de la République, prononça un discours historique fondateur, reconnaissant la responsabilité de la France dans la persécution des juifs pendant l’Occupation.

L’article 2 de la proposition de loi prévoit la répression de la négation et de la contestation de la déportation pour motif d’homosexualité.

L’article 3 instaure un dédommagement pour les victimes condamnées, dont je précise qu’il ne concernerait que quelques centaines de personnes.

Mes chers collègues, je forme le vœu que, sur un tel sujet, l’esprit de concorde guide vos votes.

Il est des lois qui ne souffrent ni la controverse ni la polémique. J’ai le sentiment que celle-ci en fait partie. Plus qu’un symbole, son adoption permettra peut-être de refermer les plaies des personnes condamnées, non pas pour ce qu’elles faisaient, mais pour ce qu’elles étaient.

Inquiéter et condamner quelqu’un pour son intimité, pour son identité, c’est porter atteinte à sa dignité. Réparer ces injustices, panser ces blessures, apaiser la mémoire de ceux qui en ont pâti et qui sont morts, c’est faire preuve d’humanité.

« Je suis de la couleur de ceux qu’on persécute », disait Alphonse de Lamartine.

Comme Lamartine, soyons tous et toutes de la couleur de ceux qu’on persécute, mes chers collègues.

Comme Lamartine, soyons tous et toutes de la religion de ceux qu’on opprime.

Comme Lamartine, soyons tous et toutes de l’orientation sexuelle de ceux que la France a condamnés ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jean-Michel Arnaud, Mme Évelyne Perrot et Jean-Gérard Paumier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat examine une proposition de loi qui, dans son fondement, ne peut que recueillir l’assentiment de toute cette assemblée.

Toutefois, le Sénat est tenu de voter des lois, lesquelles s’appuient sur le droit. À cet égard, la proposition qui vous est faite pèche pour plusieurs raisons, mes chers collègues.

La première raison a trait à la période visée. Si je me réjouis que Jacques Chirac, en particulier depuis sa mort, soit devenu si populaire qu’il est constamment cité par mes collègues des travées de gauche (Sourires sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Exclamations sur les travées du groupe SER.), je vous ferai observer, mon cher collègue Bourgi, que les historiens eux-mêmes distinguent les périodes 1942-1945 et 1945-1982.

Vous les distinguez aussi, mon cher collègue, puisque le nouveau délit de « négationnisme » que vous proposez de créer ne s’appliquerait logiquement pas aux faits commis entre 1945 et 1982.

Pour des raisons de morale politique, la République ne peut endosser la responsabilité des crimes de Vichy, d’autant que, au-delà de son cadre institutionnel particulier, la période 1942-1945 est marquée par la répression politique systématique de l’homosexualité, pour des raisons idéologiques.

Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des lois souhaite recentrer le dispositif de l’article 1er sur la période 1945-1982.

La deuxième raison est liée à la réparation financière. Lors de son audition devant la commission, Ariane Chemin a évoqué les nombreux drames qui sont nés de cette législation. Mais, comme vous l’avez dit, mon cher collègue, ce n’est pas tant l’application de la loi que le regard de la société qui a causé tous ces dommages. Ces derniers sont le produit, non pas des condamnations prononcées par les juges, mais de l’homophobie qui, à l’époque, caractérisait la société française tout entière.

Il y a cinquante ans, de nombreux psychiatres expliquaient que l’homosexualité faisait partie des maladies mentales. Je me souviens – c’est le privilège de l’âge ! – d’un épisode de l’émission Les Dossiers de lécran qui présentait l’homosexualité comme une maladie mentale.

L’on peut certes, après-coup, estimer que le regard posé par la société sur les homosexuels il y a cinquante ans était répréhensible, mais la loi ne peut pas pour autant être tenue pour responsable des préjudices, par ailleurs bien réels, subis par les personnes condamnées.

Si ces personnes ont effectivement été exclues, au point que certaines ont été contraintes de changer de métier ou de déménager, si ces situations terribles ont causé des suicides, ces drames ne sont pas arrivés par la faute de la République, mon cher collègue. La responsabilité, collective, en revient à toute la société et aux préjugés qui étaient les siens il y a cinquante ans.

Or le Sénat n’a pas pour rôle de juger la société. Nous devons nous en tenir au droit, c’est-à-dire au caractère discriminatoire de la loi de la République, puisque ce qui était toléré entre personnes hétérosexuelles était considéré comme un délit entre personnes homosexuelles. La même situation ne produisant pas les mêmes effets juridiques, il s’agit indiscutablement de discrimination. À ce titre, la faute commise par la République est patente.

La réparation des personnes condamnées se heurte par ailleurs, d’une part, à l’effacement des condamnations prononcées par l’amnistie de 1981, et, d’autre part, aux règles de droit commun en matière de prescription. En donnant réparation à des personnes pour un préjudice qu’elles ont subi il y a plus de quarante ans, vous créeriez un dangereux précédent, mon cher collègue, car cela signifierait que les règles encadrant la prescription ne prévalent pas en la matière.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cela ne tient pas !

M. Francis Szpiner, rapporteur. Puisque vous êtes une brillante juriste, je ne doute pas que vous démontrerez le contraire, madame de La Gontrie.

M. Francis Szpiner, rapporteur. Je vous invite toutefois à relire le texte de la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie, à laquelle vous songez peut-être : si les règles de prescription quadriennales ne s’appliquent pas, la réparation accordée est liée aux effets d’une politique assumée de l’État, notamment aux conditions de vie indignes qu’elle a emportées pour les harkis. Cela n’a rien à voir avec le sujet qui nous préoccupe.

Telles sont les raisons pour lesquelles la commission estime qu’il convient de ne pas retenir le principe des réparations.

La troisième faiblesse de cette proposition de loi a trait au problème du négationnisme. La commission ne peut pas vous suivre pour deux raisons, mon cher collègue.

Tout d’abord, le statut du tribunal militaire appelé à juger les crimes commis par les nazis, dit tribunal de Nuremberg, cite expressément la déportation dans son ensemble, que celle-ci ait concerné les juifs, les communistes, les résistants, les Tziganes ou les homosexuels, comme constitutive d’un crime contre l’humanité. La négation de la déportation entre de ce fait dans le cadre de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Il n’y a donc pas lieu de créer une nouvelle infraction. Ce ne serait légitime ni sur le plan philosophique, au regard de l’indivisibilité et de l’universalité des droits de l’homme, ni sur le plan juridique, compte tenu de ce que prévoit déjà le statut de Nuremberg.

Ensuite, un certain nombre d’associations luttant contre l’homophobie ont engagé des procédures sur le fondement de la loi de 1881. L’adoption du texte que vous proposez pourrait donc entraîner la relaxe des personnes que ces associations poursuivent, mon cher collègue. Il ne s’agit pas de leur faire plaisir : je m’en tiens à examiner le droit.

Telles sont les raisons pour lesquelles je suis favorable au vote d’un article unique portant reconnaissance de la politique discriminatoire pratiquée par la République de 1945 à 1982. Nous sommes dans le symbole, mes chers collègues, mais celui-ci a toute son importance, car, aujourd’hui encore, des gamins de 18 ans sont chassés de chez eux lorsque leurs parents découvrent leur homosexualité.

Il importe donc que le Sénat affirme – nous en sommes d’accord, mon cher collègue – que les lois discriminatoires contre les homosexuels sont contraires à l’idée que nous nous faisons de la République, de la fraternité et de la condition humaine.

Le Sénat ne peut toutefois en faire davantage, en se substituant au travail d’éducation de toute la société, ainsi qu’à celui des familles et de chacun. La loi ne peut malheureusement pas régler toutes les difficultés liées à l’homophobie.

J’estime toutefois que, en affirmant symboliquement que la République s’est mal conduite en instaurant une discrimination, nous apportons notre aide à ceux qui mènent ce combat légitime. Telle est la raison pour laquelle j’aurais souhaité que nous parvenions à un consensus, mes chers collègues.

J’ai enfin été très choqué de lire que nous aurions refusé un certain nombre d’auditions, et j’espère que l’auteur de la proposition de loi aura l’honnêteté de reconnaître que ce n’est pas exact. Ne disposant que de très peu de temps, ce qui n’était du fait ni de la commission ni de votre rapporteur, nous avons demandé des contributions écrites, que nous avons obtenues, à toutes les personnalités que nous n’avons pas pu entendre.

Il est scandaleux de prétendre que nous aurions bâclé le travail, et je suis certain que vous aurez à cœur de rectifier ces propos, mon cher collègue Bourgi.

Ces critiques sont toutefois intéressantes, car elles montrent que le travail reste à faire. Le problème que vous soulevez recouvrant des périodes et des situations différentes, mon cher collègue, il serait souhaitable que l’autorité publique missionne et accompagne des universitaires pour établir les faits.

En effet, la direction des affaires criminelles et des grâces, que nous avons interrogée, n’a pas été en mesure de nous aider beaucoup, car la Chancellerie – c’est heureux – ne tient pas de fichier des personnes condamnées pour homosexualité.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Je le confirme !

M. Francis Szpiner, rapporteur. Le chercheur qui semble le plus actif sur le sujet nous indiquait que la tâche est immense, car il n’a en conséquence d’autre choix que d’éplucher chaque procès-verbal.

En tout état de cause, nous pouvons voter un texte de consensus, qui réaffirme que la République a fauté, mais sans aller au-delà, mes chers collègues. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le sénateur Bourgi, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui dans le cadre de la niche socialiste pour débattre d’un sujet de grande importance et sans aucun doute trop longtemps oublié.

Je veux le dire d’emblée, monsieur le sénateur Bourgi : votre proposition de loi a indubitablement beaucoup de sens, et je vous remercie chaleureusement de l’avoir déposée.

En vous écoutant tout à l’heure, je songeais que même si tout n’est pas parfait, l’on peine à imaginer aujourd’hui à quel point les homosexuels ont été maltraités, malmenés et méprisés dans le passé.

Au fond, nous sommes réunis aujourd’hui pour affirmer que la République n’est jamais aussi grande que lorsqu’elle sait reconnaître ses erreurs et, dans le cas présent, ses fautes.

Votre texte, monsieur le sénateur Bourgi, a pour objet la reconnaissance, par la République française, de la politique de discrimination mise en œuvre pendant près de quarante ans à l’encontre des personnes homosexuelles et des personnes condamnées en raison de leur orientation sexuelle réelle ou présumée.

Si cette politique passée de discriminations fait aujourd’hui honte à notre République, je tiens à rappeler qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Alors que les relations homosexuelles étaient incriminées sous l’Ancien Régime, elles ont été décriminalisées en 1791 au lendemain de la Révolution, de sorte que, pendant plus d’un siècle et demi, aucune incrimination de l’homosexualité n’était en vigueur en France.

Fort de cette législation, notre pays était l’un des plus progressistes, mais tout cela a été balayé avec l’instauration du régime de Vichy qui eut raison de cet acquis. La loi du 6 août 1942 modifiant l’article 334 du code pénal punit en effet d’une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans quiconque commet un ou plusieurs actes impudiques ou contre-nature avec un mineur de son sexe âgé de moins de 21 ans.

Comme vous le rappelez, monsieur le sénateur Bourgi, ces évolutions législatives ont bouleversé et parfois détruit la vie des homosexuels de l’époque, en donnant une base légale à ce qui fut une véritable répression, non pas de ce qu’elles faisaient, mais de ce qu’elles étaient. Cela, nous ne l’acceptons plus, et aujourd’hui non seulement nous le reconnaissons, mais, grâce à votre proposition de loi, nous le dénonçons, monsieur le sénateur.

Au fond, vous substituez à une loi de haine une loi d’unité, de reconnaissance et de mémoire. J’y suis favorable.

Il m’est impossible de ne pas rappeler qu’il fallut attendre Robert Badinter, sa majorité socialiste d’alors et la loi du 4 août 1982 pour que cette disposition soit – enfin ! – abrogée, mettant un terme à quarante années de pénalisation de l’homosexualité.

Lorsque l’on parle de Badinter, tout le monde pense à l’abolition de la peine de mort, qui constitue déjà une œuvre presque complète pour un garde des sceaux.

Après ma prise de fonctions, l’un de mes très anciens prédécesseurs m’avait confessé la difficulté qui fut la sienne de prendre la fonction de garde des sceaux après l’illustre Badinter. « Que voulez-vous, Éric, on n’abolit la peine de mort qu’une seule fois ! », m’avait-il soufflé, mi-résigné mi-philosophe. (Sourires.)

Heureusement pour lui, il avait oublié cette autre œuvre majeure que fut la dépénalisation de l’homosexualité !

Quarante ans plus tard, il est plus que temps de reconnaître sur le plan mémoriel que les condamnations prononcées l’ont été sur le fondement de lois erronées.

Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, chaque condamnation ou mise en cause portant sur une infraction liée à l’homosexualité a eu des conséquences sociales lourdes, souvent dévastatrices, pour qui en a fait l’objet, jusqu’au bannissement de la sphère familiale ou professionnelle.

Si mon ministère ne dispose pas d’informations sur le nombre de ces condamnations – s’agissant d’infractions aujourd’hui abrogées, je me réjouis de ne pas en disposer –, divers travaux de recherche menés sur le sujet conduisent à estimer que plus de 10 000 personnes ont été condamnées entre 1945 et 1982, plus de 90 % d’entre elles ayant effectué une peine de prison ferme.

Ces chiffres nous interpellent et nous obligent à œuvrer ensemble à reconnaître clairement et sans aucune ambiguïté la mise en œuvre de cette législation déshonorante.

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui présentée vise cet objectif et doit, à ce titre, retenir toute notre attention et toute notre bienveillance.

J’en viens aux différentes dispositions du texte.

L’article 1er prévoit la reconnaissance par la République française de sa responsabilité dans la politique de discrimination mise en œuvre à l’encontre des homosexuels ou présumés tels et condamnés sur le fondement d’infractions aujourd’hui abrogées.

J’y suis favorable sur le principe et je sais que le rapporteur Szpiner y apportera par voie d’amendement certaines précisions intéressantes. Cette rédaction de compromis présentera surtout l’avantage de permettre, sous toute réserve, l’adoption par le Sénat d’un texte important pour l’apaisement de notre société. Dans le contexte actuel, j’estime qu’il serait vraiment dommage de s’en priver.

L’article 2 crée un nouvel article dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Celui-ci prévoit la répression de toute contestation, négation, minoration ou banalisation de la déportation, pendant la Seconde Guerre mondiale et depuis la France, de personnes en raison de leur homosexualité.

Il ne fait aucun doute – j’y insiste – que des personnes homosexuelles ont bien été déportées pendant la Seconde Guerre mondiale et qu’il s’agit de crimes atroces.

Toutefois, j’émets une réserve quant à la constitutionnalité de cette nouvelle infraction. En effet, le Conseil constitutionnel a déjà jugé que le législateur ne pouvait créer d’incrimination réprimant pénalement la contestation d’une vérité historique lorsqu’elle est établie par la loi, en raison de l’atteinte portée à la liberté d’expression. Une reconnaissance judiciaire préalable est nécessaire, ce qui n’est, en l’état, pas le cas.

L’article 3 crée, au bénéfice des personnes condamnées en application des infractions visées à l’article 1er, une allocation forfaitaire d’un montant de 10 000 euros ainsi qu’une allocation variable en fonction du nombre de jours de privation de liberté, dont le montant a été fixé à 150 euros par jour. Est également prévu le remboursement de l’amende dont les personnes reconnues coupables se sont acquittées en application de leur condamnation.

Il s’agit là d’une mesure d’indemnisation qui nécessite d’apporter la preuve d’une condamnation ancienne. Or, celle-ci est difficile à produire tant pour ce qui est du principe de la condamnation, c’est-à-dire du jugement même, que pour sa mise à exécution, à savoir l’application de la peine. La mise en œuvre de cette mesure apparaît donc extrêmement complexe.

Enfin, l’article 4 institue, auprès de la Première ministre, une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité, chargée de statuer sur les demandes d’indemnisation présentées.

Cette disposition semble relever plutôt du domaine réglementaire et poser, là encore, des difficultés probatoires du fait de l’ancienneté des faits pouvant donner lieu à indemnisation.

Vous l’aurez compris, au regard des réserves que j’ai exprimées sur les articles 2, 3 et 4, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse du Sénat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement approuve le principe de cette proposition de loi, qui permet de reconnaître la mise en œuvre, pendant quarante ans, d’une politique de discrimination et de répression pénale qui n’aurait jamais dû exister.

S’il est toujours complexe de regarder les lois d’hier avec les lunettes d’aujourd’hui, il y va, ici, des principes fondamentaux, non négociables, de notre République, ceux de la liberté, de l’égalité et, bien évidemment, de la fraternité.

C’est pourquoi il est impératif de reconnaître non seulement les errements du passé, mais aussi leurs terribles conséquences pour plusieurs générations de nos compatriotes.

Reconnaître une erreur n’est pas une marque de faiblesse, loin de là. C’est affirmer que nos principes fondamentaux valent plus que notre orgueil, car l’orgueil d’être Français repose aussi sur le fait d’assumer toute l’histoire de notre pays. Et, lorsque l’on a fait fausse route, il convient de le dire, pour montrer aux générations futures que notre République et les principes universels qui la sous-tendent triomphent toujours. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en abrogeant le deuxième alinéa de l’article 331 du code pénal, la loi du 4 août 1982 a participé à la dépénalisation de l’homosexualité. On a fêté l’an dernier les 40 ans de ce texte ; c’est dans ce contexte de commémoration que notre collègue Hussein Bourgi a pris l’initiative, heureuse, de déposer cette proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982.

Si l’on doit beaucoup à la loi du 4 août 1982, il ne faut pas oublier que la France fut, dès 1791, le premier pays au monde à décriminaliser les relations homosexuelles. En effet, sous l’Ancien Régime, l’homosexualité constituait un crime puni de mort et de nombreux homosexuels ont été brûlés vifs à Paris.

Aujourd’hui, nul ne saurait contester la triste réalité de la discrimination sur le fondement de l’orientation sexuelle qui s’est exercée de 1942 à 1982, conformément à la loi pénale instaurée sous le régime de Vichy. Nous ne pouvons que regretter que, au cours de ces quatre décennies, le code pénal français ait contenu des dispositions visant certains actes homosexuels, dispositions qui conduisirent à des condamnations par les juridictions françaises.

Maintenir une telle discrimination au sein de notre société était indigne de la France. C’est pourquoi l’objectif de la proposition de loi que nous examinons cet après-midi apparaît bien légitime.

Au vu du temps qui m’est imparti, je ne m’étendrai pas sur le détail des cinq articles du texte ; je veux simplement dire que, du fait de son ambition, cette proposition de loi présente un intérêt symbolique majeur ; M. le garde des sceaux l’a déjà souligné. Il est fondamental que la France, après d’autres pays, reconnaisse officiellement la répression judiciaire dont ont été victimes les personnes homosexuelles.

Toutefois, il faut bien constater, avec notre rapporteur, que ce texte se heurte à plusieurs obstacles.

Tout d’abord, la réparation financière entraînerait un contournement de la prescription.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ça n’a rien à voir !

M. Alain Marc. Ensuite, la création d’un délit de contestation, négation, minoration, ou banalisation outrancière de la déportation des personnes homosexuelles depuis la France durant la Seconde Guerre mondiale apparaît superflue – le terme est sans doute mal choisi –, dans la mesure où cette infraction est déjà couverte par le droit en vigueur.

Enfin, la période retenue dans la proposition de loi, de 1942 à 1982, ne me semble pas pertinente dans la mesure où la République n’a pas à assumer les crimes du régime de Vichy.

M. Alain Marc. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, une réparation symbolique me paraît indiscutable : elle permettra d’affirmer la faute de la République et de reconnaître sa responsabilité. C’est aussi l’honneur de celle-ci que de savoir reconnaître ses erreurs, comme vient de le dire M. le garde des sceaux.

Très sensibles à l’objectif des auteurs de ce texte, mais estimant indispensable de pallier plusieurs difficultés juridiques, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires détermineront leur vote en fonction des modifications qui seront apportées à la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, vous aurez tous reconnu l’article Ier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

À lui seul, cet article porte tous les idéaux universalistes de la Révolution française. Imprégnée de l’héritage des Lumières, la période révolutionnaire fit de la France un refuge pour tous les combattants de la liberté. C’est par cette aspiration à éclairer les peuples du monde que nos aïeux ont posé les bases juridiques de l’État moderne et progressiste, et qu’ils ont acté des avancées sociales inédites, comme le divorce par consentement mutuel en 1793, la première abolition de l’esclavage en 1794 et, bien sûr, la première dépénalisation de l’homosexualité en 1791, ou plus précisément – les mots ont leur importance – la suppression du crime de sodomie, qui était jusqu’alors puni par le feu.

Premier pays au monde à légiférer en ce sens, la France réintroduisit pourtant dans sa législation la répression pénale de l’homosexualité par la loi du 6 août 1942. L’abject gouvernement de Pétain, promoteur de la « Révolution nationale » et ouvertement homophobe, pénalisa les relations entre personnes de même sexe dès lors que l’une d’entre elles avait entre 13 et 21 ans.

À la Libération, le rétablissement de l’ordre républicain ne modifia qu’à la marge cette disposition pénale discriminatoire qui resta malheureusement en vigueur jusqu’en 1982.

S’y ajoutait une seconde infraction, visée à l’article 330 du code pénal, qui réprimait plus sévèrement tout outrage public à la pudeur s’il consistait en « un acte contre nature avec un individu de même sexe ». Là aussi, le choix des mots en dit long sur une époque que nous espérons tous révolue.

Durant quatre décennies, nous avons eu affaire à une discrimination pénalement acceptée. Il est important de rappeler que, dès 1978, notre Haute Assemblée avait adopté une mesure visant à abroger le délit d’homosexualité ; hélas, cette mesure avait fait l’objet d’un désaccord avec l’Assemblée nationale – c’était un autre temps. Il fallut attendre la loi du 4 août 1982 pour que l’homosexualité fût officiellement dépénalisée en France.

Rappelons d’ailleurs que, à l’échelle du monde, l’homosexualité demeure illégale dans 69 États sur 197. Et lorsqu’on analyse les positions politiques du nouveau président argentin Javier Milei sur les enjeux de société, on se dit que rien n’est définitivement acquis.

À l’occasion du quarantième anniversaire de la loi du 4 août 1982, Hussein Bourgi et ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont fait inscrire à l’ordre du jour de notre assemblée l’examen de cette proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982.

Je veux depuis cette tribune saluer, amicalement et fraternellement, notre collègue Hussein Bourgi. Par ses engagements récurrents sur ce sujet, il honore notre Haute Assemblée.

Si la commission des lois n’a pas adopté cette proposition de loi, il me semble que c’est pour mieux la réécrire. Nous examinerons dans quelques instants les amendements qu’elle nous soumet. À ce propos, je remercie le rapporteur Francis Szpiner pour la qualité de son analyse et de son raisonnement juridique, qui nous a tous marqués.

Permettez-moi de revenir sur les trois principaux articles du texte.

L’article 1er vise à reconnaître la responsabilité de la République française dans l’application de dispositions pénalisant l’homosexualité. Bien qu’il convienne de recentrer l’article sur la période allant de 1945 à 1982 et de simplifier la description du motif de responsabilité, le groupe Union Centriste soutient avec force cette mesure.

Pour reprendre les mots du rapporteur, « le législateur s’est fourvoyé » en opérant une discrimination sur le fondement de l’orientation sexuelle. Il s’agit d’un fait indiscutable ; je ne doute pas que nous serons unanimes, dans cet hémicycle, à le reconnaître. En aucun cas, notre République ne peut réprimer un individu pour ce qu’il est. En démocratie, tout citoyen répond de ses actes et non de son identité, de sa religion ou de son orientation sexuelle. Ainsi, durant quatre décennies, la France a laissé subsister ce que le garde des sceaux Robert Badinter qualifiait de « pesanteur d’une époque odieuse de notre histoire ».

L’article 2 crée pour sa part un délit de contestation, minoration ou banalisation outrancière de la déportation des personnes homosexuelles depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale.

Si l’intention est louable, l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 couvre déjà la déportation des homosexuels. Aussi, comme le souligne le rapporteur, l’autonomisation de ce délit viendrait perturber les contentieux en cours. Je rappelle qu’en l’état actuel du droit un individu qui exprime publiquement toute contestation de l’existence de crimes contre l’humanité ou toute négation, minoration ou banalisation de ces derniers encourt une peine maximale d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende. La déportation des homosexuels relève clairement de ce dispositif.

Enfin, l’article 3 fixe les modalités de la réparation financière à laquelle seraient éligibles les personnes condamnées pour homosexualité. Le rapporteur a dit l’essentiel sur cet article et je n’irai pas plus avant dans l’analyse.

Dorénavant, nous devons collectivement tirer les enseignements du passé pour les transmettre aux générations futures. La loi permet à la République de se confronter à ses responsabilités passées, mais c’est bien l’éducation et la transmission qui évitent à une nation d’oublier son histoire. Cette mission nous incombe au quotidien.

À titre personnel, je me souviens d’avoir reçu l’association SOS homophobie comme invité d’honneur lors du congrès des maires des Hautes-Alpes en 2022.

J’en profite pour saluer les multiples actions menées par les associations pour lutter contre l’homophobie et contre toutes les formes d’exclusion. Soutenons-les !

Apaiser la mémoire de ceux qui sont morts est indispensable. Comme vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi, dans sa version réécrite en un article unique qui, je l’espère, fera consensus.

Il est important que le Sénat affirme que l’homophobie est inacceptable dans ce pays et que la République ne s’est pas bien comportée envers certains de nos concitoyens en les discriminant en raison de leur orientation sexuelle. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et SER.)

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier Hussein Bourgi et l’ensemble de nos collègues du groupe socialiste, qui nous donnent l’occasion, dans un moment où la France recule si souvent sur ses grands principes, de la faire grandir.

Il y a dans l’histoire des nations, comme dans les vies des femmes et des hommes que nous sommes, des horreurs que le passé ne peut jamais contenir. Elles débordent sur notre présent, elles assombrissent notre avenir, non seulement parce que leur souvenir blesse nos mémoires, mais aussi et, peut-être, surtout parce qu’il détruit une certaine image de nous-mêmes, de la société et du pays que nous voudrions être – parce que, entre ce que nous disons être, le grand pays des droits humains et des Lumières, et ce que nous avons fait, il y a parfois un gouffre dans lequel nous avons très peur de sombrer.

Or, reconnaître et réparer ces fautes, même et surtout les pires, est l’unique promesse crédible que nous pouvons faire aux victimes, ainsi qu’à nous-mêmes, pour rappeler que nous ne voulons plus jamais les revivre.

C’est le lot des grandes nations, de celles qui veulent progresser et devenir meilleures, que de cesser de nier les horreurs qu’elles ont produites : elles acceptent de porter la pleine responsabilité de leurs fautes afin d’alléger, un tant soit peu, la souffrance de celles et ceux qui en ont payé le prix, en refusant d’y ajouter le poids du déni et du mépris, en reconnaissant que jamais cela n’aurait dû arriver.

C’est pourquoi la France a déjà adopté un certain nombre de lois mémorielles. Mais la France a eu la mémoire sélective, car certaines personnes n’ont jamais, jusqu’à présent, pu bénéficier d’une reconnaissance officielle des violences, des discriminations et des condamnations qu’elles ont subies. Il est donc plus que temps d’agir.

La loi de 1942, que la France a choisi de faire sienne à la Libération, qu’elle a ainsi reprise à son compte, reconnaissant de fait une continuité juridique en la matière avec le régime de Vichy, a établi des crimes sans victimes. Les homosexuels étaient coupables d’être. Ils ont été persécutés, emprisonnés, fichés, intimidés, menacés, blessés ou tués parce qu’ils existaient.

Les lesbiennes, quant à elles, n’étaient généralement pas considérées comme coupables d’exister, car l’on considérait tout simplement qu’elles n’existaient pas !

D’ailleurs, dans toute l’histoire des violences contre la communauté LGBT, les lesbiennes ont été moins condamnées pénalement que les autres, non parce qu’on les respectait davantage, mais parce qu’on les respectait trop peu pour reconnaître leur existence.

Le minimum, pour une société dont la devise est « Liberté, égalité, fraternité », est de reconnaître sa responsabilité dans les persécutions subies par les personnes LGBT entre 1942 et 1982. Le minimum est aussi de réparer la faute reconnue, car reconnaître sans réparer, c’est ne reconnaître qu’à moitié.

À ce propos, même si nous sommes tous d’accord, depuis le début de cette discussion générale, pour dénoncer l’horrible régime discriminatoire qui fut en vigueur entre 1942 et 1982, il n’en reste pas moins qu’il a fallu attendre 2010 pour que le « transsexualisme » – c’était le terme employé – soit retiré de la liste des affections psychiatriques ; 2013, pour que le régime du mariage en France cesse d’être homophobe ; 2018, pour que les personnes décédées du sida, ou simplement porteuses du VIH, puissent de nouveau bénéficier de soins funéraires ; 2021, enfin, pour que les règles d’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) cessent d’être lesbophobes – nous attendons toujours qu’elles cessent d’être transphobes.

Jusqu’en 2016, l’État français forçait les personnes trans à subir une stérilisation afin d’être reconnues pour qui elles étaient. Aujourd’hui encore, une personne trans, même adulte, en pleine possession de ses moyens, ne peut pas décider légalement de qui elle est : il faut qu’un juge accepte sa requête. En revanche, les personnes cisgenres voient leur identité de genre reconnue depuis toujours, sans d’ailleurs avoir jamais rien eu à faire pour cela.

La France a été condamnée à trois reprises par les Nations unies pour les traitements – les mutilations – qu’elle fait subir aux personnes intersexes, souvent dès la naissance.

Peut-être, dans quarante ans, adoptera-t-on une loi pour demander pardon aux personnes trans stérilisées de force, à celles qui n’ont pas pu tenir et se sont suicidées, ainsi qu’aux personnes intersexes qui ont été mutilées.

Mais il y a une chose que nous pouvons faire dès aujourd’hui pour avoir moins à regretter demain : l’égalité, réelle et totale, pour toutes les personnes LGBT ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

M. le président. La parole est à M. Ian Brossat.

M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme disait un vieux penseur barbu, « celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre. »

Or cette proposition de loi nous permet justement de revenir sur certaines pages de notre histoire et de les regarder en face.

En effet, de quoi parlons-nous ? Hussein Bourgi l’a dit tout à l’heure, nous parlons de milliers d’hommes qui, en France, ont été réprimés en raison de leur orientation sexuelle : nous parlons de quarante ans de répression pénale de l’homosexualité.

Il y eut, bien sûr, en 1942, cette loi promulguée par le régime de Vichy pour poursuivre les hommes coupables d’avoir des relations sexuelles avec des hommes.

Il y eut aussi, en 1960 – Hussein Bourgi l’a rappelé –, l’adoption de cet amendement du député Paul Mirguet, qui entendait classer l’homosexualité comme un fléau social et punir d’emprisonnement de simples signes d’affection entre adultes consentants du même sexe.

Aux milliers de personnes condamnées sur le fondement de ces dispositions, il faut ajouter les innombrables victimes de la répression et des innombrables raids sur les lieux de rencontre.

Il fallut donc attendre la loi Forni de 1982 pour mettre un terme à la répression pénale de l’homosexualité en France. Je veux aussi citer Jack Ralite, ministre de la santé, qui retira cette même année l’homosexualité de la liste des maladies mentales.

Toute une génération a donc vécu avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Elle a vécu dans la peur, sous la menace. Toutes ces vies ont été brisées. Certains ont subi l’opprobre social, d’autres le licenciement, d’autres encore, quand ce n’était pas les mêmes, la rupture familiale. L’homosexualité, à cette époque, se vivait dans la honte.

Face à cela, deux questions se posent.

Premièrement, comment se fait-il que cette discrimination inscrite dans notre droit ait pu perdurer aussi longtemps ? Si elle a pu durer quarante ans, jusqu’en 1982, époque qui n’est pas si lointaine, c’est parce que l’inscription de l’homophobie dans la loi avait ses soutiens et qu’il se trouvait des responsables politiques, des ministres et des parlementaires, pour la défendre. Il serait un peu simple de prétendre que c’était la faute de la société : des responsables politiques militaient pour cette homophobie d’État !

Et ce n’est pas faire injure à notre Haute Assemblée que de rappeler que, en 1982, le Sénat a voté contre la dépénalisation de l’homosexualité. Je me suis replongé dans les arguments du rapporteur Étienne Dailly qui, pour justifier son vote et celui de la majorité sénatoriale, exposait que l’homosexualité était un dérèglement physiologique et que les homosexuels étaient des enfants égarés.

Deuxièmement, pourquoi l’homophobie a-t-elle persisté et survécu à la dépénalisation de l’homosexualité ? Pourquoi des hommes et des femmes continuent-ils d’être victimes d’homophobie ? N’est-ce pas parce que, aujourd’hui encore, dans toute la société, y compris à son plus haut niveau, certains tiennent tous les jours des propos homophobes ?

Je veux, en conclusion de mon propos, rappeler une phrase prononcée à l’Assemblée nationale, lors de l’examen du texte sur le pacte civil de solidarité (Pacs), par la députée communiste de Seine-Saint-Denis Muguette Jacquaint en réponse à Christine Boutin, qui faisait mine de pleurer sur les souffrances des homosexuels. Muguette Jacquaint lui répondit : « Quand ils vous entendent, je comprends qu’ils souffrent ! »

Cet exemple exprime bien le fait que ce n’est pas l’homosexualité qui fait naître la souffrance, mais l’homophobie. Tout ce qui permet de lutter contre l’homophobie est bon à prendre ; tel est le cas de ce texte, à la fois pour ses victimes d’hier et pour ceux qui y sont confrontés aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a des filiations dont le législateur se passerait bien : ainsi des dispositions pénales relatives à la majorité sexuelle, discriminatoires entre hétérosexuels et homosexuels, qui furent introduites dans notre droit sous le régime de Vichy et maintenues par les deux républiques suivantes pendant presque quarante ans. Je ne reviendrai pas sur l’historique de ce dispositif, très bien rappelé par les orateurs précédents.

Je souhaite, en toute simplicité, saluer l’initiative de notre collègue Hussein Bourgi, ainsi que le travail de notre rapporteur Francis Szpiner, qui a pu nous apporter un certain nombre d’éclaircissements, tant en commission qu’en séance publique.

M. Bourgi nous propose d’adopter trois dispositifs.

Le premier est déclaratif : il s’agit d’exprimer la reconnaissance et le regret de la politique de criminalisation et de discrimination mise en œuvre entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982 à l’encontre des personnes homosexuelles, ou présumées telles.

Certains peuvent douter de la pertinence de tels articles déclaratifs, qui semblent dépourvus de réelle portée normative, d’autant que, pour ces faits, le Parlement a adopté une loi d’amnistie, promulguée le 4 août 1981. Mais ce geste, pourtant essentiel, n’a signifié que l’effacement des condamnations, sans entraîner la réparation morale des maux causés par de telles condamnations, qui sont allés, dans certains cas, jusqu’au suicide.

Avec ce nouveau dispositif, notre nation assumerait ces discriminations passées, les regretterait et en demanderait pardon.

En revanche, je suis réservée sur le deuxième dispositif, à savoir la création d’un délit pénal réprimant spécifiquement les propos visant à nier la déportation subie par les personnes homosexuelles, au cours de la Seconde Guerre mondiale, depuis la France.

En effet, le tribunal de Nuremberg a défini en ces termes le crime contre l’humanité : « assassinat, extermination, réduction en esclavage, déportation et tout autre acte inhumain commis contre toute population civile, avant ou pendant la guerre ».

Aussi, dans la continuité de cette définition, le négationnisme doit être condamné sévèrement, mais dans sa globalité et sans distinction, c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire de spécifier, un à un, les motifs de la déportation. Juifs, handicapés, Tsiganes, homosexuels, opposants politiques, la liste n’est malheureusement pas exhaustive, mais la condamnation est opérationnelle juridiquement.

Enfin, il nous est proposé un troisième dispositif, de nature indemnitaire : une réparation financière pour les personnes qui ont été condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982. J’y suis plutôt favorable, car, lorsqu’un dommage est subi, il doit donner lieu à réparation. Plusieurs États ont déjà procédé à une telle indemnisation. Pourquoi ne pas inscrire la France dans cette dynamique, d’autant que ce geste sera plus symbolique qu’onéreux ?

La question de l’homophobie et des discriminations liées à l’orientation sexuelle continue d’être préoccupante dans notre pays. Il faut l’appréhender dans un contexte global, celui d’une société où certains se referment, d’une société qui voit ressurgir des doctrines occultes et obscurantistes.

Le rapport de l’association SOS homophobie est sans ambiguïté : le recensement des actes homophobes révèle une augmentation des agressions physiques. Ce constat est alarmant, car il est le reflet d’un certain échec de notre politique sociale et éducative.

L’homophobie n’est ni une posture ni une opinion : c’est un délit à condamner fermement. Nous voterons donc, malgré quelques réserves, en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Mélanie Vogel et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le 4 août 1982, une loi adoptée sur l’initiative du député Raymond Forni et soutenue par le garde des sceaux Robert Badinter venait abroger le délit d’homosexualité né quarante ans plus tôt, sous le régime de Vichy.

À l’époque, le garde des sceaux avait déclaré justement devant les députés : « Il n’est que temps de prendre conscience de tout ce que la France doit aux homosexuels. » La rapporteure du texte, Gisèle Halimi, en introduction aux débats, rappelait quant à elle : « S’il est un choix individuel par essence et devant échapper à toute codification, c’est bien celui de la sexualité. Il ne peut pas y avoir de “morale sexuelle” de tous qui s’impose à la “morale sexuelle” de chacun. […] Nous ne saurions maintenir dans notre droit un texte discriminatoire qui méconnaît une réalité sociale et humaine importante et qui […] ne peut trouver dans la société d’aujourd’hui aucune justification. »

Pendant quarante ans, en effet, certaines relations homosexuelles ont été punies d’amendes et de peines d’emprisonnement. Outre la dépénalisation et la fin du délit d’outrage, le texte de 1982 a mis un terme à la discrimination qui existait en matière de majorité sexuelle entre les personnes hétérosexuelles et homosexuelles ; en effet, les relations sexuelles entre hommes étaient auparavant interdites jusqu’à 21 ans, contre 15 ans pour les relations hétérosexuelles. On mit ainsi fin à une injustice. Ce fut un soulagement après des décennies de stigmatisation où la sanction judiciaire se doublait souvent d’une réprobation morale et familiale.

Il nous faut saluer la mobilisation dans ce combat du sénateur radical Henri Caillavet, disparu au début de cette année.

Je veux aussi apporter mon soutien à toutes celles et tous ceux qui souffrent encore de ne pas se sentir libres de dire et de vivre librement leur orientation sexuelle.

Dans son dernier rapport annuel, SOS homophobie lançait l’alerte, en constatant une hausse sensible des agressions physiques contre les personnes LGBT : une telle agression se produirait tous les deux jours. Alors que des personnalités politiques ont tenu, encore récemment, des propos inacceptables et consternants, il est plus que jamais nécessaire que nous restions mobilisés.

La proposition de loi dont nous débattons cet après-midi, déposée par M. Bourgi, a été cosignée par des membres de notre assemblée siégeant sur toutes les travées de cet hémicycle. Elle vise, plus de quarante ans plus tard, à reconnaître cette discrimination et à apporter réparation aux personnes qui ont été condamnées pour homosexualité.

Les membres du groupe RDPI voteront en faveur de ce texte.

Vous souhaitez, mon cher collègue, que la France reconnaisse sa responsabilité dans la politique de criminalisation et de discrimination des personnes homosexuelles, comme d’autres pays l’ont déjà fait : l’Espagne il y a seize ans, le Canada et Allemagne plus récemment, en 2017, l’Autriche cette année.

Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur : le législateur s’est fourvoyé en soumettant l’homosexualité à la loi pénale.

Au regard de difficultés juridiques qui tiennent, d’une part, au système de réparation proposé et, d’autre part, à l’infraction pénale créée, laquelle vise à réprimer la négation, la minoration ou la banalisation outrancière de la déportation des homosexuels pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’une telle infraction existe déjà dans le droit actuel, il nous est proposé d’adopter un dispositif consensuel. Nous soutenons cette démarche collective.

Quarante ans durant, des hommes ont été traités comme des criminels et condamnés à vivre clandestinement leurs relations, alors même que notre pays avait été précurseur, à l’échelle mondiale, en instaurant une première dépénalisation en 1791.

En 2022, auprès du magazine Têtu, Élisabeth Borne s’est engagée : « Nous devons avancer pour réparer ce qui peut l’être. » C’est ce que nous nous apprêtons à faire.

En conclusion, je veux saluer l’action de la diplomatie française en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité dans le monde. Elle fait de la protection des droits des personnes LBGT+ une priorité, alors que soixante-neuf pays criminalisent encore l’homosexualité et que onze d’entre eux prévoient la peine de mort parmi les sanctions applicables.

« On ne doit pourtant jamais être coupable de qui on est » : je reprends les propos tenus par un homme dans le reportage « Homosexualité : les derniers condamnés ». Aujourd’hui, le Sénat sera au rendez-vous. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld.

Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « On peut se demander, avec le recul, comment des députés français, c’est-à-dire par définition des femmes et des hommes qui devraient avoir l’intelligence de nos libertés fondamentales, puisqu’ils sont chargés de les défendre, ont pu légiférer pour réprimer l’homosexualité. » Voilà ce que disait Gisèle Halimi, à la tribune de l’Assemblée nationale, le 20 décembre 1981.

On peut en effet se demander pourquoi ces lois pénalisant l’homosexualité ont été adoptées au XXe siècle, alors même que, dès la Révolution française, les relations entre personnes consentantes de même sexe avaient été décriminalisées.

Certes, c’est une loi de 1942, issue du régime de Vichy, qui a réintroduit le délit d’homosexualité dans la législation française et créé une référence à des actes « impudiques » ou « contre nature », mais on sait que la réflexion avait été engagée bien avant, sous la IIIe République.

Pire, le délit d’homosexualité a survécu à la Seconde Guerre mondiale et à la disparition du régime de Vichy. Car, à la Libération, si l’ordonnance du 8 février 1945 transfère ce délit d’un article du code pénal à un autre, elle maintient explicitement l’incrimination d’actes « contre nature » et fait même de l’homosexualité une circonstance aggravante en cas d’outrage public à la pudeur.

En 1960, la criminalisation se renforce encore avec l’adoption de l’amendement Mirguet, qui assimile l’homosexualité à un « fléau social ».

Quels que soient la manière et les termes utilisés, et n’en déplaise au rapporteur qui préfère retenir la date de 1945, il ne fait aucun doute que, de 1942 à 1982, soit pendant quarante ans, la même loi a cautionné et conforté toutes les oppressions dont ont été victimes les personnes homosexuelles, oppressions que la Révolution française n’avait pas fait disparaître.

Ce que nous voulons, avec Hussein Bourgi, l’ensemble du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et tous les signataires de cette proposition de loi, au-delà de l’amnistie et de l’abrogation défendues par les socialistes, derrière François Mitterrand et Robert Badinter, en 1981 et 1982, c’est que l’on reconnaisse et regrette – tel est l’objet de l’article 1er – que le législateur s’est fourvoyé en soumettant l’homosexualité à la loi pénale et qu’il a ainsi contribué à briser bien des vies ; voilà la faute que nous entendons faire reconnaître.

Non seulement plusieurs milliers de personnes ont été condamnées à des amendes et à des peines d’emprisonnement, mais elles ont aussi été livrées à la vindicte populaire et ont subi l’exclusion sociale en raison de la publicité associée à leur condamnation.

Je veux citer ici l’exemple de cet élève avocat lillois qui, ayant réussi son concours en mai, s’est vu condamné en juillet et, de ce fait, n’a jamais pu exercer, faute d’avoir été accepté par le barreau. Il a donc été contraint de renoncer au métier de ses rêves pour devenir surveillant dans un lycée. Son traumatisme professionnel et social a sans doute été bien plus important que l’amende qu’il a eu à payer et même que la prison qu’il a eu à connaître.

Mais il convient de réparer ce qui peut l’être. C’est pourquoi nous tenons à ce que cette proposition de loi comporte, en plus de la reconnaissance, des mesures de réparation explicites, comme celles que nous proposons au travers des articles 3 à 5.

Le coût de ces réparations serait limité au regard du faible nombre de personnes condamnées encore vivantes – parce que le temps, mais aussi le sida, sont passés par là…

L’impact de ces réparations sera en revanche très fort pour les personnes survivantes, mais aussi pour leurs familles et pour ces homosexuels qui observent la France partout dans le monde.

Le groupe socialiste reste très attaché à la réparation au cas par cas des torts causés, même si l’on peut discuter des modalités d’application.

De la même manière, nous restons attachés à la création d’un délit spécifique réprimant la négation de la déportation de personnes en raison de leur homosexualité.

Non, il ne s’agit pas là d’une légende, mais d’une vérité historique établie et rappelée par plusieurs présidents de la République française. Sa négation ou sa minimisation doit donc pouvoir être sanctionnée comme telle, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent. Monsieur le rapporteur, « indivisibilité » ne doit pas signifier « invisibilité » !

Il est d’ailleurs regrettable que, sur des sujets qui ne font pas l’objet d’un consensus, il n’ait pas été possible d’organiser davantage d’auditions. La parole et l’expertise d’historiens, de sociologues et d’autres juristes auraient été précieuses et nous auraient éclairés.

Je remercie, pour ma part, les universitaires lillois Florence Tamagne et Sébastien Landrieux, qui ont partagé leurs travaux avec moi.

C’est avec fierté que notre groupe constate que cette proposition de loi, déposée un 6 août – non pas 1942, mais 2022 – par un sénateur socialiste, Hussein Bourgi, peut être examinée et, je l’espère, votée aujourd’hui.

À nous, sénatrices et sénateurs du XXIe siècle, de laver le déshonneur et les torts causés par diverses lois du XXe siècle.

En 1978, le Sénat était en avance sur l’Assemblée nationale. Il peut rattraper cet échec du Parlement en montrant de nouveau la voie, cette fois-ci avec succès : il nous suffit de voter ce texte dans toutes ses composantes, afin qu’il puisse être examiné par l’Assemblée nationale.

À nous de reconnaître et de réparer les dommages causés par la République, à nous de présenter, en son nom, des excuses à ces milliers d’hommes et à ces centaines de femmes punis simplement pour ce qu’ils ou elles étaient.

À nous, avec cette loi mémorielle – car c’en est une, comme M. le garde des sceaux l’a rappelé –, de faire un pas de plus vers l’égalité des droits dans notre société.

Je vous invite donc tous, mes chers collègues, quel que soit votre groupe politique, à entendre les histoires et les voix de ces condamnés, à dépasser les arguties juridiques ou les postures politiques au cours du débat qui va s’engager : adoptons cette proposition de loi dans sa version initiale pour que, demain, aucune Gisèle Halimi ne puisse plus se demander comment des parlementaires ont pu pénaliser une liberté fondamentale, celle d’aimer ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il m’appartient de donner l’avis et d’expliciter le vote du groupe Les Républicains sur cette proposition de loi déposée par notre collègue de la commission des lois, Hussein Bourgi, et signée par un certain nombre, voire un nombre certain, de nos collègues.

Vous l’avez compris, ce texte s’appuie sur deux faits.

Le premier est la déportation des personnes homosexuelles pendant la Seconde Guerre mondiale et les traitements qui leur ont alors été infligés.

Le second est le traitement différencié de l’homosexualité par la loi pénale. Comme il a été rappelé, l’homosexualité était considérée comme une circonstance aggravante du délit d’outrage public à la pudeur ; les relations sexuelles avec des mineurs de 16 ans et plus n’étaient pénalisées que quand il s’agissait de relations homosexuelles.

L’auteur de la proposition de loi nous propose, en réponse au premier fait, de créer un délit de négationnisme à l’encontre des personnes qui nieraient la réalité des faits infligés aux personnes homosexuelles pendant la Seconde Guerre mondiale. En réponse au second, il demande que soient indemnisées les victimes de cette discrimination pénale.

Ce que propose notre rapporteur est différent : tout en reconnaissant un principe primordial, celui de la réalité de la discrimination subie par les personnes homosexuelles, il considère que le délit de négationnisme existe déjà dans notre droit et qu’il serait dangereux de le fractionner ainsi, compte tenu des procès en cours et de l’indivisibilité des droits de l’homme. Le groupe Les Républicains le suivra sur ce point.

Par ailleurs, si le rapporteur est évidemment favorable à la reconnaissance de cette discrimination, il ne souhaite pas mettre en place d’indemnisation. Je suis pour ma part assez convaincue par les arguments avancés, qui tiennent à la fois à la prescription et à la difficulté qu’il y aurait à condamner l’État pour la simple raison qu’on aurait appliqué la loi – puisqu’il n’y a pas d’autre reproche à faire s’agissant des circonstances particulières qui justifieraient d’un préjudice.

Le rapporteur estime aussi – le groupe Les Républicains la suivra également sur ce point – qu’il faut distinguer le régime de Vichy, pour lequel la République n’a pas à s’excuser, de la période allant de 1945 à 1982.

Le régime de Vichy représente en effet une période sensiblement différente de la suivante, puisque sa répression de l’homosexualité s’inscrivait dans le cadre plus large du projet national-socialiste, qui s’est traduit par la déportation des personnes homosexuelles tout autant que par celle des Juifs et des Tsiganes.

Aussi, nous suivrons l’ensemble des préconisations du rapporteur et voterons en faveur des amendements de la commission, afin d’aboutir à une loi qui reconnaîtra la discrimination des personnes homosexuelles qui a découlé de la loi française.

Je crois – je m’associerai, de ce point de vue, aux propos du rapporteur comme à ceux de M. le garde des sceaux – qu’il est difficile de juger le passé avec les yeux du présent. (Mme Audrey Linkenheld sexclame.)

Pour ceux qui ont eu la curiosité de se pencher sur les débats ayant eu lieu en 1982, c’est assez flagrant dans la forme comme sur le fond.

Dans la forme, d’abord : plusieurs orateurs ont rappelé qu’une dépénalisation de l’homosexualité était intervenue en 1791 ; or, au Sénat, en 1982, on s’interrogeait sur l’existence éventuelle d’un lien entre cette dépénalisation et l’orientation sexuelle de Cambacérès, un débat que nous n’aurions plus aujourd’hui dans cet hémicycle.

Sur le fond, ensuite : on trouve dans les débats des rappels historiques assez intéressants, révélateurs de ce qu’a pu être notre société. Ainsi, il faut savoir que l’ordonnance du 8 février 1945, par laquelle le général de Gaulle a réintroduit cette infraction dans notre droit pénal, avait été au préalable examinée en conseil des ministres. Or, au sortir de la guerre, cet organe était pour le moins bigarré politiquement ; tous nos groupes politiques y étaient représentés, et pourtant personne n’avait protesté, tout simplement parce que cette pénalisation correspondait à la morale, à la société de l’époque.

Mme Laurence Rossignol. Quel relativisme !

Mme Muriel Jourda. Il ne faut pas, me semble-t-il, ignorer l’état de la morale ni celui de la société à une époque donnée.

Sur les travées de gauche de cet hémicycle, vous avez été nombreux à nous reprocher, durant les récents débats sur le projet de loi relatif à l’immigration, de ne pas suffisamment citer le pape François. (M. Mickaël Vallet le confirme.) Eh bien, je vais vous faire plaisir, mes chers collègues ! Le pape François, parlant de l’homosexualité, s’est très clairement exprimé : « Qui sommes-nous pour juger ? »

C’est ainsi que nous pouvons résumer l’état de la société aujourd’hui : qui sommes-nous pour juger ? Et d’ailleurs, que jugerions-nous ? L’homosexualité fait partie de la personnalité, de la vie privée d’un individu. Il ne revient à personne, et surtout pas à l’État, de discriminer qui que ce soit en raison de sa vie privée.

C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera, bien évidemment, la version amendée de ce texte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Alain Marc, Michel Laugier et Pierre-Antoine Levi applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart.

M. Joshua Hochart. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’homophobie perdure en France, et nous regrettons que ses causes soient souvent délibérément ignorées.

Nous devons lutter collectivement contre ce fléau qui sévit partout, au travail, dans nos rues, dans les établissements scolaires et, surtout, dans certains quartiers…

M. Rachid Temal. Certains quartiers… Évidemment !

M. Joshua Hochart. … où un grand nombre de nos jeunes sont harcelés pour une orientation sexuelle réelle ou supposée.

Tous les jours, des couples de même sexe n’osent pas se promener dans la rue en se tenant la main ; d’autres doivent cacher leur identité et vivre leur amour ou leur sexualité dans la clandestinité. En 2022, les actes anti-LGBT ont ainsi progressé de 28 %.

Cela étant, si le principe d’une réparation des personnes discriminées du fait d’une inégalité de droit, qui a perduré pendant la période visée, peut parfaitement se comprendre – nous y sommes d’ailleurs plutôt favorables –, certaines dispositions du texte viennent gâcher l’ensemble.

D’une part, l’article 1er évoque « la responsabilité de la France », comme si les Français étaient responsables des erreurs de leurs dirigeants. C’est encore une manière d’amalgamer l’État français du régime de Vichy à l’ensemble du peuple français, quand les historiens s’accordent à dire que Vichy, ce n’était pas la France, qui, elle, vivait sous le joug nazi, était victime de l’horreur concentrationnaire ou exterminatrice, ou se battait contre l’occupant allemand.

D’autre part, il ne faudrait pas que cette proposition de loi, qui répond à un légitime souhait d’indemnisation, devienne un prétexte pour ne pas lutter contre l’homophobie de notre époque, celle qui trouve majoritairement son origine dans un islamisme qui vise aussi bien les femmes et les juifs que les homosexuels.

M. le président. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi portant reconnaissance par la Nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982
Article 2

Article 1er

La République française reconnaît et regrette la politique de criminalisation et de discrimination mise en œuvre entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982 à l’encontre des personnes homosexuelles, ou présumées telles, et condamnées en application des dispositions suivantes, aujourd’hui abrogées :

1° Le troisième alinéa de l’article 331 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs ;

2° Le deuxième alinéa de l’article 331 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 82-683 du 4 août 1982 abrogeant le deuxième alinéa de l’article 331 du code pénal ;

3° Le deuxième alinéa de l’article 330 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 précitée.

Cette reconnaissance ouvre à ces personnes le bénéfice d’une réparation dans les conditions prévues à l’article 3 de la présente loi.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, sur l’article.

Mme Hélène Conway-Mouret. Alors que nous entamons l’examen des articles de ce texte, je souhaite revenir sur les raisons principales qui m’ont incité, dans un premier temps, à signer cette proposition de loi et qui me poussent, cet après-midi, à vous demander de la voter.

La France a connu ses Lumières. Éprise de liberté et d’égalité, elle fut le premier pays au monde à supprimer les infractions réprimant l’homosexualité, en 1791.

Mais elle a aussi ses parts d’ombre. La loi pénalisant l’homosexualité promulguée sous le régime de Vichy et malheureusement confirmée à la Libération a conduit à la condamnation de plusieurs milliers de personnes jusqu’aux lois d’amnistie de 1981, puis de dépénalisation de 1982.

La proposition de loi défendue par notre collègue Hussein Bourgi nous permet de tourner, enfin, ces pages sombres de notre histoire nationale, de reconnaître les erreurs commises par nos prédécesseurs et, en conséquence, de les réparer.

Elle doit aussi permettre à notre pays de s’inscrire dans le sillage des nations qui ont déjà emprunté cette voie courageuse : je pense à l’Allemagne, où le Troisième Reich a fait périr des milliers de personnes pour leur homosexualité, à l’Espagne, où le régime franquiste s’est engagé dans la lutte contre l’« homosexualisme », ou encore au Canada. Ces trois pays ont mis en œuvre des réparations financières, à l’instar de ce qui est proposé dans ce texte.

Ayons l’audace de suivre ces exemples à l’heure où, partout dans le monde, les droits sociaux les plus élémentaires sont remis en cause !

En décembre 1981, aux côtés de Robert Badinter, Gisèle Halimi se demandait, « avec le recul, comment des députés français, c’est-à-dire par définition des hommes et des femmes qui devraient avoir l’intelligence de nos libertés fondamentales, puisqu’ils sont chargés de les défendre, ont pu légiférer pour réprimer l’homosexualité ».

Je souhaite aujourd’hui que nous fassions preuve de cette intelligence, que nous tendions la main à ceux qui ont été injustement marginalisés et lésés.

Aujourd’hui, le Sénat peut envoyer un message de tolérance et de respect à notre société, que je crois en quête d’apaisement. C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je voterai sans réserve en faveur de cette proposition de loi, et vous invite à en faire de même.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. La présente proposition de loi porte sur une période allant de 1942 à 1982.

Monsieur le rapporteur, vous nous proposez de raccourcir cette période en excluant Vichy du champ d’application de ce texte. Selon vous, ce régime ne pourrait pas être valablement pris en considération ici.

Or, mon cher collègue, je me permets de vous signaler que le Parlement a voté à l’unanimité la loi du 22 juillet 2023 relative à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945, qui porte reconnaissance des spoliations antisémites commises par l’État français du 10 juillet 1940 au 24 août 1944. Il ne peut pas y avoir de réparation des crimes commis par Vichy sans reconnaissance des lois de Vichy.

Il serait totalement incompréhensible que le Parlement reconnaisse les spoliations antisémites, qui font l’objet de restitutions et d’indemnisations, mais pas les persécutions commises par le même régime contre les homosexuels.

Certes, Vichy, ce n’était pas la République, mais le maréchal Pétain avait obtenu du Parlement les pleins pouvoirs. Le 10 juillet 1940, 569 parlementaires avaient voté en sa faveur ; 80 lui avaient dit non. Merci à ces quatre-vingts qui ont voté contre ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.

M. Victorin Lurel. Je voterai sans hésiter le texte de notre collègue Hussein Bourgi.

Permettez-moi simplement de réagir à une affirmation de M. le garde des sceaux : à l’en croire, pour réprimer le négationnisme, il faudrait au préalable qu’il y ait eu condamnation par un tribunal ou une instance internationale – en général, on évoque Nuremberg.

On nous a opposé le même argument lorsque nous voulions sanctionner la négation du génocide arménien et, une nouvelle fois, lorsque nous avons voulu donner une dimension prescriptive, normative, à la loi mémorielle Taubira.

Contrairement à ce qu’a expliqué notre rapporteur, selon lequel il existerait une quasi-impossibilité juridique à la reconnaissance d’un délit spécifique de négationnisme des crimes commis en raison de l’orientation sexuelle d’un individu, problème qui découlerait d’une jurisprudence, d’ailleurs absolument réactionnaire, de la Cour de cassation, il est tout à fait possible de créer un tel délit lorsque sont reconnues des injustices commises en raison de cette orientation sexuelle.

Cette proposition de loi est un bon texte !

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, sur l’article.

Mme Anne Souyris. L’homophobie tue, le silence aussi. La pénalisation de l’homosexualité en France a tué, y compris après qu’elle a disparu. Oui, la République doit le reconnaître et réparer les préjudices causés par ces lois, qu’il soit question du régime de Vichy ou de la Ve République. Sinon, cela ne s’arrêtera pas ; les morts ne cesseront pas.

En juin 1992, plus de dix ans après les premiers dépistages de ce qui était alors parfois nommé le « cancer gay », j’écrivais pour la première fois dans le Journal du sida – c’était le numéro 40. À sa page 51, on pouvait lire une intervention du magistrat Yves Jouhaud, président du fonds d’indemnisation des hémophiles et des transfusés contaminés par le VIH. Déjà, la question de l’indemnisation se posait. À sa page 5, j’écrivais : « Inutile de cacher les toxicos et les homos. »

En 1982, un an après la parution, dans le New York Times, du premier article de presse relatif au sida, la France dépénalisait l’homosexualité. Trop tard ! La stigmatisation perdure et l’épidémie s’installe. Double condamnation : condamnés pour homosexualité, condamnés à mort par une épidémie que l’homophobie d’État n’a pas voulu reconnaître et combattre à temps.

Les communautés LGBTQI+ savent ce que le VIH leur a pris. Et nous savons ce que nous devons à la santé communautaire.

Pour rétablir la justice face aux préjudices créés par ces lois de criminalisation et de discrimination, celles qui de facto ont conduit à des peines de mort massives, je voterai évidemment en faveur de cette proposition de loi et du présent article 1er.

Après avoir posé cette première pierre contre les discriminations, il nous faudra poursuivre cette politique, à la fois de mémoire et de réparation, sans purge de l’histoire. Souvenons-nous de ce que nous devons aux combattantes et aux combattants du sida !

M. le président. La parole est à M. Jean-Gérard Paumier, sur l’article.

M. Jean-Gérard Paumier. Je tiens à souligner que les résistants homosexuels n’ont guère été honorés par la Nation et qu’il y a matière à leur rendre justice aujourd’hui.

M. Bourgi a rappelé dans son propos liminaire le nom de Jean Desbordes, qui illustre ce manquement.

L’écrivain Jean Desbordes, qui fut un temps compagnon de Jean Cocteau, est entré dans la résistance sous le nom de Duroc. Il est mort sous la torture des nazis dans la nuit du 5 au 6 juillet 1944, à 38 ans. Son nom figure certes au Panthéon parmi ceux des écrivains morts pour la France, mais rien sur Jean Desbordes le résistant, qui, en gardant le silence sous la torture, a protégé ses compagnons et sauvé une partie de son réseau franco-polonais F2.

Daniel Cordier, résistant et secrétaire de Jean Moulin, a d’ailleurs mis très longtemps avant de révéler son homosexualité dans son autobiographie. « La haine à l’égard de l’homosexualité était terrible », expliquait-il alors.

Le texte que nous examinons aujourd’hui est important et symbolique. Il est de notre responsabilité de rendre justice à ces résistants homosexuels, au travers d’un texte de réparation et d’apaisement. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par M. Szpiner, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

La République française reconnaît sa responsabilité du fait de l’application des dispositions pénales suivantes à compter du 8 février 1945, qui ont constitué une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle :

1° Le troisième alinéa de l’article 331 et le deuxième alinéa de l’article 330 du code pénal dans leur rédaction antérieure à la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs ;

2° Le deuxième alinéa de l’article 331 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 82-683 du 4 août 1982 abrogeant le deuxième alinéa de l’article 331 du code pénal.

Elle reconnaît que ces dispositions ont été source de souffrances et de traumatismes pour les personnes condamnées, de manière discriminatoire, sur leur fondement.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Francis Szpiner, rapporteur. Cet amendement se justifie par son texte même.

M. le président. Le sous-amendement n° 3, présenté par M. Bourgi, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mmes Linkenheld et Narassiguin, M. Roiron, Mmes Artigalas, Bélim, Blatrix Contat et Bonnefoy, M. Bouad, Mmes Briquet, Brossel et Canalès, M. Cardon, Mme Carlotti, M. Chantrel, Mmes Conconne et Conway-Mouret, M. Cozic, Mme Daniel, MM. Darras, Devinaz et Éblé, Mme Espagnac, MM. Fagnen et Féraud, Mme Féret, MM. Fichet, Gillé, Jacquin, Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Kanner, Mme Le Houerou, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Marie, Mérillou et Michau, Mme Monier, MM. Montaugé, Ouizille et Pla, Mme Poumirol, MM. Raynal et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, M. Ros, Mme Rossignol, MM. Stanzione, Temal, Tissot, Uzenat, M. Vallet, Vayssouze-Faure, M. Weber, Ziane et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Amendement n° 1, alinéa 5

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Cette reconnaissance ouvre à ces personnes le bénéfice d’une réparation dans les conditions prévues à l’article 3 de la présente loi.

La parole est à M. Hussein Bourgi.

M. Hussein Bourgi. Vous l’avez compris, ma préférence ne va évidemment pas à la version de l’article 1er que le rapporteur nous soumet. Si toutefois elle devait être retenue, je propose au moins que nous la modifiions en adoptant ce sous-amendement, qui tend à ajouter à la reconnaissance de la responsabilité de l’État des mesures de réparation.

Je m’adresse à tous les juristes – ils sont un certain nombre dans cet hémicycle – et plus précisément aux pénalistes – il y en a aussi quelques-uns, sur diverses travées : en droit français, lorsqu’on intente un procès, c’est pour faire établir et reconnaître la culpabilité d’un individu. Dès lors que cette culpabilité est reconnue, il faut, en toute logique, et pour être cohérent, que le préjudice infligé au plaignant soit indemnisé.

Dans le cas d’espèce, je veux bien entendre qu’il pourrait être difficile de retrouver les victimes, mais la rédaction que je propose prévoit justement que les victimes elles-mêmes se manifesteront, à l’image de ce qui se fait pour les harkis – ni plus ni moins !

M. le rapporteur a soulevé un certain nombre d’objections d’ordre juridique. Il se trouve que les éminents juristes que j’ai consultés, des spécialistes en matière de droit pénal, y compris plusieurs membres de notre Haute Assemblée, qui m’ont assisté dans la rédaction de cette proposition de loi, ne partagent pas son point de vue.

C’est la raison pour laquelle je persiste et je signe. En adoptant une reconnaissance sans réparation, on ne parcourra que la moitié du chemin et, dans quelques années, on légiférera de nouveau quand, enfin, on comprendra qu’il est nécessaire de mettre en place une réparation ; seulement au vu du temps qui se sera écoulé, cette réparation ne trouvera bien sûr plus à s’appliquer. C’est typiquement le genre de loi que les parlementaires aiment voter, parce qu’elles n’ont d’autre but que de leur donner bonne conscience, alors que les principaux concernés, eux, ne sont plus en vie.

Soyons cohérents jusqu’au bout : il faut la reconnaissance et la réparation ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Francis Szpiner, rapporteur. En règle générale, je ne réponds jamais aux lettres anonymes. Vous avez évoqué d’éminents juristes : je suis sûr qu’ils sauront se manifester clairement, donner leur nom et exposer leurs arguments.

Cela étant, devant un tribunal, des règles s’appliquent. La première d’entre elles, c’est la prescription civile, même si vous trouverez toujours des juristes qui le nieront – et, j’y insiste, s’ils veulent se manifester ouvertement auprès de moi, je serai ravi de leur répondre !

Par ailleurs, le préjudice résulterait en l’espèce de la loi pénale. En somme, vous demandez à la République d’indemniser l’application d’une loi – certes une mauvaise loi – par des juges. Or la gravité réelle du préjudice découle de la société et non directement de la loi. Légiférer comme vous le suggérez poserait un certain nombre de problèmes. Voilà pourquoi je pense que cela n’aurait aucun sens de prévoir des mesures de réparation.

La réparation est avant tout symbolique et morale. Je me réjouis de votre proposition de loi, mon cher collègue. Vous avez tiré de l’oubli ces manquements de la République, mais je pense qu’une loi mémorielle suffit.

La commission est donc défavorable à ce sous-amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Comme je l’ai déjà indiqué, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cette proposition de loi et les divers amendements.

L’important est de voter un texte. Le Gouvernement n’entend pas en revanche entrer dans les dissensions – et encore, ce terme n’est probablement pas le plus heureux.

Il est assez rare que le Gouvernement ne prenne pas parti…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pas tant que ça : Gérald Darmanin n’a fait que ça il y a deux semaines ! (Sourires.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je l’ignorais, madame la sénatrice ! (Nouveaux sourires.) Quoi qu’il en soit, M. Darmanin n’a rien à voir là-dedans ; c’est M. Dupond-Moretti que vous avez en face de vous aujourd’hui, et qui s’en remet à votre sagesse sur cet amendement et ce sous-amendement.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le rapporteur, l’amendement que vous nous soumettez pose de nombreux problèmes. Je veux croire que votre intention est de protéger la République, qui pourrait, selon une lecture rapide de notre texte, être assimilée au régime de Vichy. Toutefois, pour ce faire, vous effacez ce qu’ont subi les personnes homosexuelles en France au cours de cette période, ce qu’a très bien évoqué il y a un instant notre collègue Jean-Gérard Paumier.

Il n’est pas dans mon habitude de citer le président Chirac. Il me semble pourtant, puisqu’il est question de la distinction entre Vichy et la République, que le Président de la République a accompli le 16 juillet 1995 un acte important quant à la reconnaissance de la déportation des Juifs. Nous avons l’occasion de faire un geste similaire.

Aussi désagréable que ce soit, c’est un fait que certaines politiques ont connu une grande continuité entre Vichy et la IVe République. Ainsi des mesures de criminalisation des femmes qui avortaient : sous Vichy, elles étaient passibles de la peine de mort ; cette sentence a été supprimée sous la IVe République, mais la politique a perduré et s’est même intensifiée. En effet, ces femmes ont continué d’être poursuivies après 1946 ; pire encore, toutes les structures mises en place pour les identifier sous Vichy ont été renforcées ! Ce constat est désagréable à entendre, mais certaines politiques moralistes visant à pénaliser les droits sexuels et reproductifs des femmes et des homosexuels ont connu une certaine continuité.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur, c’est vous-même qui souhaitez introduire dans le texte la notion de « responsabilité ». Celle-ci ne figure pas dans la rédaction initiale de la proposition de loi, où on lit simplement : « la République française reconnaît et regrette ». Par ce glissement, vous excluez les homosexuels qui ont souffert et ont été déportés sous le régime de Vichy. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – M. Ian Brossat applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. L’amendement que le rapporteur nous soumet a une seule visée : exclure du champ du texte la période de Vichy. Le contresens d’une telle approche a été souligné par Laurence Rossignol et par Pierre Ouzoulias.

Sans doute pour faire un bon mot, le rapporteur s’est étonné que la gauche cite Jacques Chirac. Pour ma part, ce n’est pas Jacques Chirac que je cite, mais le Président de la République, qui, le 16 juillet 1995, prononçait cette phrase historique : « Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français. » Je cite le Président qui proclamait : « Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l’État, ne rien occulter des heures sombres de notre histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’homme, de sa liberté et de sa dignité. C’est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l’œuvre. »

Voilà ce que nous demandons aujourd’hui ! Nous vous invitons non pas à avaliser, de quelque manière que ce soit, les politiques de Vichy, mais à les prendre en considération. Vous avez prudemment demandé des scrutins publics ; ainsi, chacun d’entre nous pourra prendre ses responsabilités.

Il est tout de même curieux de vouloir effacer de notre mémoire et de notre responsabilité collectives cette période de l’histoire ; c’est pourquoi j’ai voulu citer le Président de la République. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – M. Ian Brossat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le rapporteur, vous ne m’avez pas répondu sur le parallèle que j’ai fait entre la disposition dont nous débattons et la loi du 22 juillet 2023.

Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, c’est ensemble que nous avions voté cette loi, contre l’avis du Gouvernement. Ce dernier souhaitait alors confondre la responsabilité de Vichy avec celle du Reich allemand. Je me souviens très bien que nos collègues Max Brisson et Roger Karoutchi avaient défendu de manière extrêmement forte la nécessité pour le Parlement de reconnaître, enfin, les lois de Vichy, qui ne sont pas distinctes de ce qui a suivi.

Mes chers collègues, en votant l’amendement de notre rapporteur, vous reviendriez sur une avancée historique du Parlement, qui a été votée à l’unanimité. Je vous demande vraiment de faire attention. En ce moment, avec la montée des actes antisémites, votre décision serait assez catastrophique. (Applaudissements sur des travées des groupes CRCE-K et SER.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Francis Szpiner, rapporteur. Premièrement, mon cher collègue, la loi de reconnaissance des spoliations que vous mentionnez s’expliquait par la situation : des biens confisqués sous Vichy se trouvaient encore dans les musées nationaux et appartenaient par conséquent encore à l’État.

Deuxièmement, il est fait dans la présente proposition de loi elle-même une distinction entre la période du régime de Vichy et les époques postérieures : le délit de négationnisme qu’il est proposé de créer ne porterait que sur la première.

On peut tout entendre, mais je ne laisserai pas dire que j’efface la réalité de la répression des homosexuels en me restreignant à la République et en oubliant Vichy : c’est faux ! (Protestations sur les travées du groupe SER.) Pour ma part, j’estime que la question de la répression et de la déportation des homosexuels a été réglée par Nuremberg, sans qu’il soit nécessaire de revenir dessus. C’est un crime contre l’humanité, que personne n’entend minorer !

Dès lors, nous ne pouvons être taxés de révisionnisme historique. En vérité, quand le Président de la République – veuillez me pardonner, madame de La Gontrie, si la familiarité m’a conduit à l’appeler Jacques Chirac – a tenu les propos que vous citez, il a bien parlé d’une politique « secondée par des Français, par l’État français ». Il ne prononce pas les mots de « France » ni de « République », car Vichy, ce ne sera jamais la République !

M. Pierre Ouzoulias. Nous sommes bien d’accord.

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.

Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le rapporteur, il convient de distinguer entre deux types de répressions subies par les personnes homosexuelles sous le régime de Vichy, entre 1942 et 1944. La première est la pénalisation de l’homosexualité, sur le fondement des articles 330 et 331 du code pénal, qui a conduit à des condamnations, à des amendes et à des emprisonnements. La seconde est la déportation.

Concernant la première, en restreignant le champ de cet article à la période allant de 1945 à 1982, vous allez effacer les victimes de l’application de ces dispositions sous Vichy. Quant à la seconde, vous vous montrez défavorable à l’article 2, qui crée un délit spécifique de négation ou de minimisation de cette déportation. C’est donc les deux que vous effacez au final !

Que vous vouliez ne pas créer dans ce texte un délit spécifique de négationnisme, nous pouvons l’entendre, car le débat est différent, mais, par le présent amendement, vous entendez effacer les politiques du régime de Vichy ayant conduit à des amendes, des emprisonnements et d’autres conséquences encore. Ces politiques, identiques à celles qui ont été menées après 1945, ne sont pas nécessairement liés aux déportations. En effet, les chiffres le montrent, les déportations ont été beaucoup moins nombreuses que les condamnations sur le fondement de ces articles du code pénal.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 3.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 57 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 321
Pour l’adoption 122
Contre 199

Le Sénat n’a pas adopté.

Je mets aux voix l’amendement n° 1.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 58 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 337
Pour l’adoption 221
Contre 116

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé.

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi portant reconnaissance par la Nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982
Article 3

Article 2

Après l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il est inséré un article 24 ter ainsi rédigé :

« Art. 24 ter. – Seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence de la déportation de personnes en raison de leur homosexualité depuis la France, en zone occupée comme en zone libre, pendant la Seconde Guerre mondiale.

« Seront punis des mêmes peines ceux qui auront nié, minoré ou banalisé de façon outrancière, par un des moyens énoncés au même article 23, l’existence de déportations de personnes en raison de leur homosexualité depuis la France, en zone occupée comme en zone libre, pendant la Seconde Guerre mondiale. »

M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi, sur l’article.

M. Hussein Bourgi. Sur cet article, je veux souligner une divergence majeure que j’ai avec les propos qu’a tenus le rapporteur. Celui-ci a fait systématiquement référence à Nuremberg. Pour ma part, je mentionnerai un événement qui a eu lieu en France.

En 2012, un député du Nord, Christian Vanneste, avait employé, au sujet de la déportation pour motif d’homosexualité pendant la Seconde Guerre mondiale, le terme de « légende ».

M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !

M. Hussein Bourgi. Quelques heures plus tard, le président de son parti, Jean-François Copé, prenait la décision courageuse de l’en exclure. Des associations ont porté plainte. Lorsque l’affaire a été jugée, deux ans plus tard, en 2014, Christian Vanneste a été relaxé.

En 2022, à l’occasion des élections présidentielles, un autre homme politique, Éric Zemmour, a tenu exactement les mêmes propos. Une plainte a été déposée ; elle est actuellement devant les tribunaux.

Je répète dans l’hémicycle ce que j’avais déclaré en commission des lois : nous ne pouvons pas attendre et espérer un éventuel revirement jurisprudentiel !

À ce titre, je regrette – je le dis avec beaucoup d’amitié et de respect pour notre collègue rapporteur, avec lequel j’ai particulièrement bien travaillé sur ce texte – qu’un certain nombre d’associations qui font autorité en France sur la déportation des homosexuels pendant la Seconde Guerre mondiale – le Mémorial de la déportation homosexuelle, ou encore les Oublié-e-s de la mémoire – n’aient pas été auditionnées.

Divers historiens et universitaires, ceux-là mêmes grâce auxquels nous pouvons aujourd’hui avoir ce débat dans notre hémicycle, se sentent délibérément mis à l’écart ; de fait, nous avons été pris par le temps. J’ai entendu leurs récriminations – je l’indique sans esprit polémique – parce que c’est à moi qu’ils les ont adressées. Ils m’ont tous écrit, pensant que l’auteur d’une proposition de loi décidait des auditions. Tel n’est pas le cas. Je forme le vœu que, lors de la seconde lecture, nous auditionnions toutes ces personnes qui ont beaucoup à nous dire.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Je précise que, dès lors que le Sénat a adopté l’amendement n° 1 de réécriture de l’article 1er, article qui, dans l’esprit de la commission, doit devenir l’article unique de ce texte, nous appelons évidemment à voter contre les articles suivants.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Francis Szpiner, rapporteur. En ce qui concerne les auditions qui n’ont pas eu lieu, vous savez très bien, mon cher collègue, que la responsabilité en revient bien plus à des contraintes de temps qu’à une quelconque mauvaise volonté de la part de la commission.

Quant à l’affaire de M. Vanneste, j’attire votre attention sur le fait que sa relaxe ne résulte pas d’un arrêt de la Cour de cassation : il s’agit d’un arrêt de cour d’appel qui n’a jamais été frappé de pourvoi. Sa portée sur les procédures en cours est donc beaucoup plus limitée que vous ne le craignez.

M. le président. Je mets aux voix l’article 2.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 59 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 306
Pour l’adoption 103
Contre 203

Le Sénat n’a pas adopté.

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi portant reconnaissance par la Nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982
Article 4

Article 3

Les personnes reconnues victimes d’une discrimination en application de l’article 1er ont droit au bénéfice des mesures suivantes :

1° Une allocation forfaitaire fixe de 10 000 euros ;

2° Une allocation forfaitaire variable en fonction du nombre de jours de privation de liberté, fixée à 150 euros par jour ;

3° Le remboursement du montant de l’amende dont elles se sont, le cas échéant, acquittées en application de leur condamnation, actualisé dans des conditions fixées par décret.

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, sur l’article.

Mme Audrey Linkenheld. Je veux redire combien le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est attaché non seulement à la reconnaissance des fautes commises en application de ces dispositions pénales, mais aussi à leur réparation.

Nous avons été plusieurs membres de notre assemblée, siégeant sur diverses travées, à décrire les parcours de vie brisés du fait de ces poursuites, à évoquer la souffrance de milliers d’hommes et de centaines de femmes. Bien entendu, ces personnes ont mal vécu les amendes, parfois très lourdes, qu’elles ont eu à payer et la prison qu’elles ont souvent dû subir. À ces amendes, à ces emprisonnements s’est ajouté l’opprobre social qui leur est tombé dessus, car les condamnations ont fréquemment fait l’objet de publicité, entraînant nombre de ruptures familiales, personnelles, sentimentales, ou professionnelles.

Nous ne pourrons jamais correctement évaluer toutes ces conséquences ni couvrir les dommages, mais nous sommes attachés à une réparation symbolique apportée selon les modalités retenues par Hussein Bourgi au présent article.

Je tiens enfin à préciser que ces lois discriminatoires ont, comme d’autres, frappé en premier lieu les plus fragiles ; de fait, ce sont d’abord les classes populaires et les immigrés qui ont fait les frais de ces condamnations. En effet, quand les revenus étaient modestes et la situation précaire, il était évidemment plus difficile de payer pour se rendre dans un lieu de drague discret, de se cacher et, parfois, de négocier sa libération après une arrestation musclée.

Pour toutes ces raisons, je réaffirme notre attachement ferme et sincère à cette réparation. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 3.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 60 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 322
Pour l’adoption 119
Contre 203

Le Sénat n’a pas adopté.

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi portant reconnaissance par la Nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982
Intitulé de la proposition de loi (début)

Article 4

I. – Il est institué auprès du Premier ministre une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982. Cette commission est chargée de statuer sur les demandes présentées sur le fondement de l’article 3.

II. – La commission mentionnée au I comprend :

1° Deux députés et deux sénateurs ;

2° Un membre du Conseil d’État et un magistrat de la Cour de cassation ;

3° Trois représentants de l’État, désignés par le Premier ministre ;

4° Trois personnalités qualifiées, issues du monde universitaire et associatif, désignées par le Premier ministre en raison de leurs connaissances dans le domaine de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ou de leurs engagements dans la lutte contre les discriminations subies en raison de l’orientation sexuelle.

III. – Un décret précise le fonctionnement de la commission mentionnée au I, ses attributions, les conditions de son indépendance dans l’exercice de ses missions, les modalités de présentation et d’instruction des demandes de réparation ainsi que les conditions dans lesquelles les personnes concernées peuvent être entendues.

M. le président. Je mets aux voix l’article 4.

Je rappelle pour la bonne information du Sénat que, si cet article n’était pas adopté, l’article 5, qui constitue le gage des articles 3 et 4, deviendrait sans objet.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 61 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 325
Pour l’adoption 119
Contre 206

Le Sénat n’a pas adopté.

En conséquence, l’article 5 n’a plus d’objet.

Article 4
Dossier législatif : proposition de loi portant reconnaissance par la Nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982
Intitulé de la proposition de loi (fin)

Intitulé de la proposition de loi

M. le président. L’amendement n° 2, présenté par M. Szpiner, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Remplacer la date :

1942

par la date :

1945

La parole est à M. le rapporteur.

M. Francis Szpiner, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. Nous touchons à la fin d’un débat qui aurait pu être plus consensuel. Le texte présenté par M. Hussein Bourgi avait une cohérence : reconnaissance, donc réparation. Il fallait selon nous la conserver.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Le texte de la commission est cohérent aussi !

M. Patrick Kanner. J’ai entendu les explications du rapporteur. Toutefois, la logique qui nous inspire est également d’ordre symbolique. Il eût été utile pour le Sénat d’adopter une approche qu’auraient pu saluer toutes les victimes encore vivantes de ces lois indignes de 1942, lesquelles, comme nous l’avons rappelé à plusieurs reprises, n’ont pas été abrogées par la IVe République.

J’aurais donc une suggestion à vous faire, monsieur le garde des sceaux. Le texte de M. Bourgi, défendu par notre cheffe de file, Audrey Linkenheld, et par les autres sénateurs et sénatrices du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, a été déconstruit ; monsieur le garde des sceaux, permettez-nous d’en assurer la continuité ! En dépit des conditions dégradées de son examen, résultat des scrutins publics souhaités par la majorité sénatoriale, nous voterons ce texte, car nous souhaitons qu’il puisse prospérer grâce à son examen, que j’espère plus tranquille, par l’Assemblée nationale.

Certes, nous nous tournerons d’abord vers nos partenaires de gauche au sein de l’autre chambre, mais, monsieur le garde des sceaux, puisque vous en avez reconnu la pertinence politique, peut-être pourrez-vous réserver du temps parlementaire pour l’examen du texte de M. Bourgi. Ainsi, nous progresserions : cette proposition de loi serait denouveau enrichie par des amendements, afin que l’on puisse aller jusqu’au bout de la logique initialement prévue par l’auteur de ce texte.

Quoi qu’il en soit, je le redis, nous voterons ce texte, même dans les conditions qui nous ont été imposées. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 62 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l’adoption 243
Contre 98

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 63 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l’adoption 343

Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Intitulé de la proposition de loi (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant reconnaissance par la Nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982
 

6

Mise au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Lors du scrutin n° 62 sur l’amendement n° 2 tendant à modifier l’intitulé de la proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982, à la suite d’une erreur malencontreuse, les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ont été notés comme votant pour, alors qu’ils voulaient voter contre.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.

7

 
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à faciliter le déclenchement du référendum d'initiative partagée
Discussion générale (suite)

Référendum d’initiative partagée

Rejet d’une proposition de loi constitutionnelle

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à faciliter le déclenchement du référendum d'initiative partagée
Article unique

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi constitutionnelle visant à faciliter le déclenchement du référendum d’initiative partagée, présentée par M. Yan Chantrel et plusieurs de ses collègues (proposition n° 571 [2022-2023], résultat des travaux de la commission n° 100, rapport n° 99).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Yan Chantrel, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

M. Yan Chantrel, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre pays traverse une crise démocratique.

Au second tour de l’élection présidentielle de 2022, l’abstention a atteint 28 %, un record depuis 1969. Comme en 2017, plus d’un Français sur deux ne s’est pas déplacé pour voter aux dernières élections législatives. Aux élections régionales de 2021, ce sont deux Français sur trois qui se sont désintéressés du scrutin. Même les élections municipales de 2020 ont connu, pour la première fois de notre histoire, une abstention supérieure à 50 %.

On a beaucoup disserté sur les causes de ce désamour. On le présente parfois comme une « fracture démocratique » affectant certaines catégories d’électeurs et électrices : les jeunes, les plus précaires, ou encore les non-diplômés. On s’attache donc à chercher des solutions ciblées pour combler cette fracture.

La vérité, c’est que cette désaffection touche désormais toutes les catégories de Françaises et de Français. Il y a quelques jours, le politiste Rémi Lefebvre signait une tribune dans LObs où il s’alarmait que « la politique n’intéresse plus personne ».

Ce désintérêt grandissant est renforcé depuis sept ans par une pratique verticale, autoritaire, brutale et solitaire du pouvoir, qui transforme parfois ce désintérêt en dégoût.

L’application de l’article 47-1 de la Constitution, celle des alinéas 2 et 3 de l’article 44 et celle de l’alinéa 3 de l’article 49 – le fameux 49.3 – sont autant de coups de boutoir constitutionnels qui ont rythmé les débats autour d’une réforme des retraites rejetée par sept Français sur dix, ce qui a poussé jusqu’à ses limites la logique de la VRépublique, qui concentre les pouvoirs aux mains de l’exécutif.

Le déséquilibre de nos institutions, marqué par la faiblesse des contre-pouvoirs organiques et par le caractère quasi monarchique de l’exécutif, n’a eu de cesse de saper la confiance des Françaises et des Français dans nos institutions et le personnel politique.

Selon la dernière vague du baromètre de la confiance politique, 64 % de nos compatriotes estiment que la démocratie ne fonctionne pas bien en France, soit 7 points de plus qu’en 2022 et 12 points de plus que la moyenne européenne.

C’est bien la pratique actuelle du pouvoir, sous lequel au déséquilibre institutionnel s’ajoute un mépris inédit pour le Parlement, pour les corps intermédiaires et pour la conscience civique de nos compatriotes, qui les écœure.

L’historien Patrick Boucheron le dit en des termes définitifs : « Je n’ai pas l’expérience d’un gouvernement qui ait à ce point méprisé les sciences sociales, l’université, l’exercice collectif de l’intelligence, le mouvement social : tant de suffisance pour tant d’insuffisances. »

L’exercice collectif de l’intelligence, voilà ce que je souhaite remettre à l’honneur par le biais de cette proposition de loi constitutionnelle.

Alors qu’ils n’aspirent qu’à participer davantage à la vie démocratique de notre pays, les Françaises et les Français se sentent dessaisis du processus de décision publique. La démocratie leur paraît confisquée, comme en attestent aussi la colère et, parfois, la violence qui s’expriment dans la rue à chaque nouveau passage en force.

Pour renouer ce lien de confiance, il est indispensable de remettre les citoyennes et les citoyens au cœur du processus de légitimité de la décision politique.

Il s’agit de passer d’une « démocratie gouvernée », qui infantilise trop les Françaises et les Français, à une « démocratie gouvernante », qui leur redonne voix au chapitre.

La modernité d’une démocratie se mesure au degré de participation des citoyennes et citoyens. Sur ce point, notre pays est très en retard. Il nous faut inventer une démocratie moins intermittente, plus continue, pour qu’entre chaque élection perdurent la concertation, le dialogue, la délibération permanente entre les gouvernés et les gouvernants.

C’est d’autant plus urgent que la défiance de nos compatriotes envers le Gouvernement pourrait, un jour, les pousser à confier nos institutions déséquilibrées à des forces politiques qui y trouveraient tous les moyens de faire avancer un agenda illibéral, antisocial et antidémocratique.

Notre République a besoin d’un nouveau souffle !

La culture civique et les nouvelles solidarités dont nous aurions besoin pour construire une société apaisée et rassemblée sont en contradiction radicale avec la gestion paternaliste et la passivité populaire que produit notre Constitution.

Conventions citoyennes, budgets participatifs, tirage au sort, jurys citoyens, droit de pétition, consultations locales, droit d’initiative citoyenne : les Françaises et les Français doivent être plus souvent associés aux décisions qui les concernent.

C’est d’ailleurs ce qu’ils réclament. En effet, 68 % d’entre eux pensent que « la démocratie fonctionnerait mieux en France si les citoyens étaient associés de manière directe à toutes les grandes décisions politiques ».

Alors que nos concitoyens sont plus éclairés, plus informés que jamais, l’heure est venue de faire confiance au peuple et de nous montrer fidèles à l’article 3 de notre Constitution, qui dispose en son premier alinéa que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »

C’est en partie pour répondre à cette aspiration que, lors de la révision constitutionnelle de 2008, nous avions introduit à l’article 11, alinéa 3, de notre Constitution, un référendum dit « d’initiative partagée », le RIP.

Et pourtant ! Presque dix ans, jour pour jour, après la promulgation des lois ordinaire et organique du 6 décembre 2013 portant application de l’article 11 de la Constitution, aucun RIP n’a pu être mis en œuvre.

Aucune des cinq propositions de RIP enregistrées depuis 2019 n’a pu surmonter le parcours semé d’embûches censé mener au référendum : 185 signatures de parlementaires, 4,8 millions de signatures de citoyens inscrits sur les listes électorales, les fourches caudines du Conseil constitutionnel et, dans une ultime étape, la bienveillance du Parlement !

Tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaître que les concepteurs du RIP ont tout fait pour qu’il soit inapplicable. Je me réjouis d’ailleurs de lire que le rapporteur « admet que les garde-fous posés pour encadrer le recours à la procédure du référendum d’initiative partagée se sont révélés, à la lumière des tentatives passées, de véritables “herses juridiques” », et qu’il « partage le constat de la nécessaire clarification et de la simplification de la procédure du référendum d’initiative partagée ».

L’ambition du présent texte ne va justement pas au-delà. Sa méthode est simple : il s’appuie sur l’expérience de ces dix dernières années, ainsi que sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, pour lever les verrous qui empêchent l’expression directe du peuple.

Pour ce faire, il procède à un léger élargissement du champ d’application du référendum, à un abaissement à 93 signatures du seuil de signatures de parlementaires et à un abaissement du seuil de signatures citoyennes à 1 million ; en outre, les citoyens eux-mêmes pourront prendre l’initiative de la démarche et le veto que le Parlement peut mettre à la tenue du référendum devra être explicite.

Je sais bien qu’il est difficile, pour les parlementaires que nous sommes, de partager le peu de pouvoir que nous accorde la Constitution de la VRépublique.

Mais il n’y a pas d’opposition entre, d’un côté, le référendum, qui serait suspect par nature, et, de l’autre, le Parlement, qui serait par nature irréprochable. Les deux ont des vertus et cette opposition, idéologique, ne correspond pas à l’esprit de la Constitution, tel qu’il s’exprime dans son article 3 comme dans son article 11.

En démocratie, le peuple est souverain. N’oublions jamais que nous en sommes ici de modestes représentantes et représentants. À ce titre, notre rôle est de tout faire pour faciliter son expression. Le propre de la démocratie, c’est qu’elle ne cesse jamais de s’approfondir ; sinon, elle meurt !

Alors, mes chers collègues, n’ayez pas peur ! Faites confiance aux Françaises et aux Français et montrez-leur, en retour, qu’ils peuvent de nouveau avoir confiance dans les institutions de leur République ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je remercie M. Chantrel et le groupe socialiste de nous donner l’occasion d’un débat sur le référendum d’initiative partagée.

C’est un sujet qui fait l’objet de nombreux travaux ; certains d’entre eux sont en cours autour du président du Sénat. Le Président de la République a lui-même annoncé des initiatives sur ce sujet. Il n’est pas anormal, huit ans après l’entrée en vigueur, grâce à l’adoption d’une loi organique, de ce dispositif issu de la révision constitutionnelle de 2008, d’essayer d’en faire une évaluation.

M. Patrick Kanner. Pour le moment, ce n’est pas terrible !

M. Philippe Bas, rapporteur. J’ai abordé cette question, du moins veux-je le croire, avec un esprit d’ouverture. J’ai eu avec M. Chantrel deux longs entretiens empreints de confiance, qui nous ont permis d’aller au fond des choses.

J’en ai tiré la conclusion que le sujet était sans doute trop important pour qu’on puisse le traiter de manière approfondie dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi, puisque le temps qui nous est imparti est à l’évidence très court et que le nombre et la complexité des amendements qui seraient nécessaires pour trouver un terrain d’entente entre nous rendent difficile l’aboutissement de cette démarche dans ce cadre.

Je ne vois pas d’objection de principe à l’extension du champ du référendum. La Constitution a déjà été modifiée, en 1995 et en 2008, pour ce faire. C’est un sujet de réflexion que nous devons avoir entre nous. La vertu du travail parlementaire, c’est précisément qu’il permet de rechercher des terrains d’entente et de trouver une conciliation entre des points de vue au départ différents.

Si j’ai estimé – et la commission des lois a bien voulu s’en convaincre – que nous ne pouvions pas aboutir maintenant sur ce sujet, c’est en raison d’un certain nombre de problèmes technico-juridico-politiques qui méritent d’être regardés à la loupe.

Premièrement, ce texte ne se borne pas à modifier les modalités du référendum d’initiative partagée, mais traite plus généralement des référendums prévus à l’article 11 de la Constitution, c’est-à-dire d’un pouvoir présidentiel dispensé de contreseing, d’une arme qui a été confiée par la Constitution au Président de la République pour qu’il puisse, sur des sujets d’une importance capitale pour le pays, donner la parole aux Français afin que leur décision soit irrévocable.

La banalisation du référendum est d’ailleurs incompatible avec cet apport de la Constitution de 1958, en rupture sur ce point avec la tradition républicaine antérieure, car elle a permis de réacclimater le référendum à la pratique de notre République alors qu’il en avait été proscrit pendant près d’un siècle à cause des abus auxquels il avait donné lieu.

À ce propos, il est tout de même surprenant que ce soit à l’article 11 de la Constitution, parmi les pouvoirs présidentiels dispensés de contreseing, que l’on ait logé le référendum d’initiative partagée, qui mériterait d’être placé ailleurs, et ce tout particulièrement dans un régime dont on critique volontiers la verticalité, laquelle n’a cessé de s’aggraver dans la période récente.

Vous proposez, mes chers collègues, d’élargir le champ du référendum en retirant le barrage que constitue l’exigence de le faire porter sur une réforme et en permettant que des mesures fiscales soient soumises au pays par référendum. Ces points me paraissent mériter discussion.

Vous estimez en effet que le texte de la Constitution issu de la révision de 2008 a empêché d’organiser des référendums qui auraient été utiles pour les Français. Or, en examinant les référendums qui auraient ainsi été empêchés, je me demande s’il eût été bon d’exposer ce référendum à un taux d’abstention considérable, compte tenu du peu d’intérêt que les Français auraient eu pour la question posée. Faut-il privatiser Aéroports de Paris, ou bien le maintenir public ? Vous avez souhaité poser la question aux Français. Mais êtes-vous sûr que vous auriez eu plus de 10 % ou de 15 % de participation ?

La banalisation du référendum dans le cadre du référendum d’initiative partagée est le meilleur moyen de tuer le référendum d’initiative partagée !

C’est la raison pour laquelle j’ai été très circonspect à l’égard de votre proposition, non seulement parce que vous élargissez les pouvoirs du Président de la République – en ce qui me concerne, mais ce n’est peut-être pas votre avis, j’estime qu’il en a déjà bien assez ! –, mais aussi parce que vous risquez de conduire à l’échec le dispositif du référendum d’initiative partagée qui est encore tout jeune. En effet, le fait qu’il n’ait pas fonctionné pendant ses huit premières années de vie n’est tout de même pas une raison pour considérer qu’il ne fonctionnera jamais.

Imaginer qu’il faudrait absolument mobiliser 48 millions d’électeurs parce qu’un million d’entre eux aura décidé qu’un sujet doit être soumis au vote des Français, c’est tout de même une démarche qui me pose problème. Je considère que nous prendrions un grand risque si nous utilisions l’instrument du référendum dans de telles conditions, d’autant que, pour recueillir un million de signatures, il suffit qu’un groupe de pression armé de militants, voire d’activistes, se mobilise. Faisons très attention, mes chers collègues !

Je laisse donc de côté la question du pouvoir présidentiel, qu’il ne me paraît pas forcément opportun d’étendre, pour me prononcer à présent sur les modifications que vous voulez apporter aux dispositions relatives au référendum d’initiative partagée.

Un million de signataires, selon moi, ce n’est sans doute pas assez. Selon vous, 4,85 millions, c’est trop. Nous n’avons pas eu le temps de discuter pour trouver le bon chiffre. Nous pourrions certainement évoluer, les uns et les autres, sur ce point et trouver un compromis.

M. Patrick Kanner. Il fallait amender le texte !

M. Philippe Bas, rapporteur. Quant au nombre de parlementaires requis, il me semble qu’il n’a jamais été un obstacle jusqu’à présent. En effet, je ne connais pas un seul cas où le nombre de signatures de parlementaires nécessaires pour déclencher la procédure n’ait pas été atteint. Il n’y a pas eu d’échec causé par un nombre insuffisant de signatures de parlementaires ! Pourquoi alors changer ce nombre ?

Vous voulez aussi, dans un souci d’exhaustivité, créer une procédure inverse de celle qui a été instituée en 2008 : on commencerait par les signatures des citoyens et on terminerait par les signatures des parlementaires.

M. Yan Chantrel. Ce serait l’un ou l’autre !

M. Philippe Bas, rapporteur. Mes chers collègues, pour vérifier qu’une telle démarche est conforme à nos libertés fondamentales, il faut prévoir un moment où l’examen de constitutionnalité pourra se faire. S’il se fait dès avant la seconde signature, on considérera que l’on ne donne pas sa chance à la nouvelle procédure. S’il se fait après que l’on a recueilli x millions de signatures, et que le Conseil constitutionnel considère alors que la disposition en question porte gravement atteinte à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, on ne pourra pas organiser ce référendum, mais il sera très gênant, pour le Conseil constitutionnel, de dire « non » au référendum. Cela le mettra dans l’embarras. Certes, c’est une institution très noble, qui pourra surmonter cet embarras. Mais veillons tout de même à ce que nos institutions ne soient pas mises dans une situation qui ferait d’elles un objet de contestation.

Enfin, vous proposez que le référendum, une fois franchies toutes les étapes de la procédure, soit obligatoire, sauf dans le cas où le texte de la proposition de loi serait rejeté par le Parlement.

Vous avez raison : on ne va tout de même pas soumettre aux Français un texte qui aurait été rejeté par le Parlement ! Sinon, nous courrions le risque de mettre le Parlement en contradiction avec les Français, ce qui serait évidemment toxique pour la démocratie représentative.

Toutefois, vous n’avez pas envisagé le cas tout simple où, après l’avoir amendée, le Parlement adopterait la proposition de loi. Voulez-vous donc qu’un texte dont les citoyens auraient pris l’initiative dans le cadre de cette procédure, une fois adopté par le Parlement, puisse ensuite être rejeté par le pays ?

Je crois que ce travail mérite d’être achevé. C’est la raison pour laquelle, sans vous opposer une fin de non-recevoir, la commission des lois n’a pas approuvé votre proposition. Je souhaite que nous puissions en rediscuter ensemble dans les mois qui viennent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. » C’est en ces termes, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 a tranché ou, plus exactement, surmonté le débat qui opposait les partisans de la souveraineté nationale à ceux de la souveraineté populaire.

À l’époque, deux conceptions radicalement opposées de la démocratie s’affrontaient : Rousseau affirmait que « toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle » ; Sieyès déclarait, en parfait contrepoint, que « le peuple ne peut parler, ne peut agir, que par ses représentants ».

La Constitution de 1958, dont nous venons de fêter le soixante-cinquième anniversaire, a choisi une voie médiane : son article 3 dispose en effet que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».

Mais c’est son article 11 qui précise les conditions d’utilisation du référendum. Cet article permettait en effet au Président de la République, dans sa rédaction première, de « soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».

La révision constitutionnelle du 4 août 1995 a étendu ce « champ référendaire » aux projets de loi portant « sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent ».

Issue des travaux du comité Balladur, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a quant à elle élargi ce champ référendaire aux questions de politique environnementale.

Surtout, elle a créé le référendum d’initiative partagée.

Ce dernier dispositif constitue, au regard de notre histoire politique, une véritable audace. Il a, de manière inédite, mis entre les mains des citoyens un outil destiné à les faire participer activement au processus d’élaboration des lois. Cet outil, on l’a vu ces derniers mois, a fait naître de fortes attentes, mais aussi, il faut le dire, quelques frustrations.

Quinze ans plus tard, il est temps de dresser un premier bilan de ce référendum d’initiative partagée.

S’il s’agit avant tout d’une innovation majeure dans notre histoire constitutionnelle, des pistes d’amélioration du dispositif apparaissent clairement au regard de l’expérience des dernières années.

En 2008, le constituant avait, de manière prudente, érigé de solides garde-fous destinés à empêcher que la procédure du référendum d’initiative partagée vienne remettre en cause la stabilité de nos institutions ou qu’elle soit dévoyée à des fins démagogiques.

Plusieurs initiatives ont vu le jour depuis l’entrée en vigueur de cet outil de respiration démocratique, ce qui démontre que les citoyens comme les parlementaires lui portent un réel intérêt.

Mais aucune de ces initiatives n’a pu aboutir. Dès lors, certains se demandent légitimement si les garde-fous dressés en 2008 ne constituent pas, en réalité, des herses infranchissables.

La première question que pose la présente proposition de loi est celle, essentielle, du nombre de soutiens, citoyens et parlementaires, exigés pour que la procédure puisse être enclenchée.

En 2008, le constituant a retenu le seuil d’un cinquième des membres du Parlement et celui d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales.

L’expérience l’a montré : si le premier seuil est atteignable, il est permis de douter qu’il en soit de même du second.

À ce jour, l’initiative la plus avancée n’a pu recueillir qu’un peu plus de 1 million de soutiens, sur les 4,7 millions requis.

La deuxième question porte évidemment sur le champ du référendum, qui résulte du premier alinéa de l’article 11 tel qu’interprété par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Par certains aspects, ce champ mériterait sans doute d’être clarifié.

Il convient aussi de s’interroger sur l’articulation entre l’initiative citoyenne et le travail parlementaire. La possibilité conférée aux assemblées de mettre un terme au processus référendaire par l’examen de la proposition de loi a soulevé quelques critiques.

Pour certains, le dispositif mériterait d’être plus contraignant pour le Parlement. Nous devons cependant être très attentifs à ne pas déposséder ce dernier de ses prérogatives, qui sont à la fois naturelles et légitimes.

C’est donc sur ces questions et sur ce bilan, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il nous faut, collectivement, nous pencher en répondant, en somme, à une question fort simple : le dispositif du référendum d’initiative partagée est-il à la hauteur de l’ambition que nous portons pour notre démocratie ?

Du point de vue du Gouvernement, le constat qu’appelle un tel bilan est clair : ce dispositif mérite d’être amélioré.

En ce sens, la proposition de loi constitutionnelle de M. Chantrel trace des pistes intéressantes.

Tout d’abord, l’abaissement du seuil de soutiens citoyens semble nécessaire, afin de rendre la procédure plus effective. La nécessité d’abaisser le seuil de soutiens parlementaires est, quant à elle, moins évidente.

Sont retenus dans le présent texte les seuils d’un million de citoyens et d’un cinquième des membres du Parlement. Voilà qui me semble une cible un peu ambitieuse ; elle a tout au moins le mérite d’ouvrir la réflexion.

Ensuite, ouvrir la possibilité d’une initiative citoyenne soutenue par des parlementaires, plutôt que seulement l’inverse, est tout à fait intéressant. Dès 2019, le Gouvernement avait proposé d’aller jusqu’au bout d’une telle démarche en envisageant que les citoyens puissent engager eux-mêmes la procédure.

Je suis toutefois moins convaincu, à vrai dire, par d’autres aspects de cette proposition de loi constitutionnelle.

Ainsi, l’extension du champ du référendum à la politique fiscale ne m’apparaît pas souhaitable.

Dans notre tradition constitutionnelle, la politique fiscale est une des prérogatives essentielles du Parlement. Les travaux préparatoires de l’article 11 de la Constitution indiquent explicitement que le constituant a souhaité soustraire les lois de finances au champ du référendum. Je ne juge pas opportun de revenir sur ce choix : lever l’impôt, je l’ai dit, est une des prérogatives historiques et essentielles du Parlement, qui doit la conserver.

Par ailleurs, les modifications que le présent texte apporte aux modalités du contrôle exercé par le Parlement sur la proposition de loi référendaire présentent des incertitudes. On remplacerait le terme : « examinée » par le terme : « rejetée » ; néanmoins, le texte ne prévoit pas ce qu’il adviendrait si la proposition de loi était adoptée par les deux assemblées, ou même par une seule d’entre elles.

Je crois donc que, sur ce point comme sur d’autres, la réflexion mérite d’être poursuivie.

Monsieur le sénateur Chantrel, le Gouvernement partage votre objectif : rendre plus accessible et plus effectif le référendum d’initiative partagée.

À cet égard, je salue votre initiative.

Elle rejoint les objectifs énoncés par le Président de la République dans le discours qu’il a prononcé, le 4 octobre 2023, à l’occasion du soixante-cinquième anniversaire de notre Constitution. Dans ce discours, le Président de la République a en effet indiqué vouloir que les citoyens soient « davantage sollicités et mieux associés », notamment par une réforme du référendum d’initiative partagée.

Le Gouvernement entend mettre en œuvre une telle réforme. Au cœur de ce projet, il y aura la question des seuils, sur laquelle nous devons encore travailler.

Mais la réflexion mérite également d’être poursuivie en ce qui concerne le champ référendaire. J’observe d’ailleurs, monsieur le sénateur Chantrel, que vous n’avez pas souhaité y intégrer les « questions de société », au contraire de ce qu’avait fait le Gouvernement dans un précédent projet.

Telle n’est sans doute pas la seule option envisageable, mais cette question devra être abordée.

Il nous faudra aussi réfléchir, collectivement, à des mécanismes efficaces pour éviter toute situation de concurrence des légitimités : il n’est pas question de permettre à des initiatives citoyennes de revenir sur un travail tout juste accompli par le Parlement, tout comme il n’est pas question de permettre au Parlement de revenir sur une loi référendaire tout juste adoptée.

Il faudra peut-être examiner d’autres questions afin d’éviter que le référendum d’initiative partagée n’oppose les citoyens aux parlementaires, au lieu de les associer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, sur tous ces sujets qui, d’évidence, ne sont pas tranchés, il nous faudra dégager des lignes de consensus ; je suis convaincu que nous y parviendrons.

Cependant, à ce stade de nos réflexions collectives, je ne saurais être favorable à cette proposition de loi constitutionnelle, car les travaux relatifs à la future révision constitutionnelle sont toujours en cours. La réflexion menée autour de l’article 11 mérite en effet d’être prolongée et précisée. Je sais du reste que le Sénat y prend toute sa part, sous l’égide du président Larcher.

La proposition de loi constitutionnelle dont nous débattons aujourd’hui sur l’initiative du groupe socialiste, ainsi que celle que vous avez examinée le mois dernier à la demande du groupe communiste, démontrent d’ailleurs l’engagement sur ces sujets de la chambre haute, sans laquelle, je le rappelle, il ne peut être touché à notre texte fondateur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Et c’est heureux…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est pourquoi je forme le vœu que, demain, nous parvenions à nous retrouver autour d’un projet de réforme constitutionnelle qui constituera une grande avancée pour notre modèle démocratique. Tel est bien l’objectif fixé par le Président de la République.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Muriel Jourda et M. Francis Szpiner applaudissent également.)

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en nous soumettant cette proposition d’évolution du référendum d’initiative partagée, le groupe socialiste nous oblige à une réflexion toujours utile, mais aussi à une forme de clarification ; reconnaissons-lui ce mérite.

Il y aurait beaucoup de questions passionnantes à évoquer sur le thème « démocratie participative et démocratie représentative » – nous sommes nombreux à penser que la démocratie participative relève d’une pratique plutôt que de règles institutionnelles – et, bien entendu, sur la place du référendum et sur le sens qu’il faut donner à l’article 3 de notre Constitution, dont notre collègue Yan Chantrel a rappelé les termes.

Je développerais volontiers devant vous, mes chers collègues, l’idée selon laquelle le référendum est un outil de réponse à d’éventuelles crises plutôt qu’un mode normal de législation. Mais il me semble plus simple, dans le bref délai qui m’est imparti, d’en venir directement à votre proposition. Je ferai donc quelques observations relatives aux différentes étapes de la procédure du référendum d’initiative partagée.

Premièrement, vous proposez de diminuer de moitié le seuil applicable à la proportion de parlementaires qui doivent porter l’initiative référendaire, en le fixant à un cinquième des membres du Parlement. Ce n’est pas un sujet, comme Philippe Bas vous l’a indiqué : les cinq propositions de référendum d’initiative partagée ont toutes été soutenues par au moins 200 parlementaires. Je le répète : en la matière, aucune difficulté ne se pose.

Vient ensuite, chronologiquement, le contrôle effectué par le Conseil constitutionnel : il vérifie que le seuil que je viens d’évoquer a été atteint, que l’initiative référendaire porte bien sur l’un des domaines énumérés à l’article 11 de la Constitution et que les conditions posées aux troisième et sixième alinéas dudit article sont bien remplies. Il vérifie de surcroît qu’aucune disposition de la proposition de loi ainsi présentée n’est contraire à la Constitution.

Je m’autorise à cet égard un commentaire : il existe un risque évident de conflit des légitimités. Nos concitoyens se voient expliquer qu’ils ont la possibilité d’être consultés et de s’exprimer par la voie du référendum ; mais ils peuvent très bien découvrir, le cas échéant et chemin faisant, que ladite possibilité leur est en réalité fermée par le Conseil constitutionnel, au motif que leur initiative se heurte à des dispositions constitutionnelles. Il me paraîtrait essentiel de traiter en amont ce risque d’un conflit de légitimités.

Troisième étape : la décision de conformité du Conseil constitutionnel ouvre une période de neuf mois dédiée au recueil des signatures d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Chacun l’a dit : 4 millions et quelques, c’est beaucoup ; 1 million, ce n’est peut-être pas assez. On pressent qu’une solution pourrait être trouvée aux alentours de 2 millions d’électeurs.

Quatrièmement, je souhaite appeler l’attention de nos collègues du groupe socialiste sur une autre faiblesse de leur proposition : aucune « étude d’impact constitutionnelle », pour ainsi dire, n’est prévue. Mes chers collègues, vous imaginez une proposition de loi référendaire issue de nos concitoyens dont la présentation ne s’assortirait d’aucun avis du Conseil d’État ni d’aucune analyse de ses conséquences pratiques ; je trouve pour ma part l’exercice un peu hasardeux. Dans une maison où nous ne cessons de souligner l’importance des études d’impact, je suggère qu’en tant que parlementaires vous vous posiez cette question.

Cinquièmement, votre proposition de substituer au terme « examinée » le terme « rejetée », au troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution, me semble manquer de précision. Philippe Bas nous a livré une analyse à laquelle je vous invite à être particulièrement attentifs : permettre au référendum d’initiative partagée de désavouer le Parlement conduirait au choc des légitimités dans toute sa splendeur. Il y a probablement des moyens plus habiles de concilier ces deux légitimités.

J’appelle également l’attention de mes collègues sénateurs sur un autre point : quand on dit « le Parlement », doit-on comprendre « l’Assemblée nationale et le Sénat », ce qui est l’usage classique ? Alors pourrait être envisagée une disposition en miroir de l’article 89 de la Constitution, qui requiert – le garde des sceaux l’a rappelé – l’accord des deux chambres, Assemblée nationale et Sénat. Je n’écarte pas la possibilité de réfléchir à une transposition de cette disposition dans le cas du référendum d’initiative partagée.

Si un tel référendum doit un jour être organisé et si le Parlement doit être saisi de la proposition de loi concernée, il me paraîtrait assez raisonnable que ce dernier puisse non seulement adopter, mais aussi amender le texte concerné, c’est-à-dire que la question posée aux Français puisse être examinée et complétée par le Parlement.

En ce qui concerne l’objet possible d’un tel référendum, la volonté d’inclure la politique fiscale dans le champ de l’article 11 me choque moins qu’elle n’a choqué M. le rapporteur ou M. le garde des sceaux. Il est vrai que la fiscalité est une prérogative traditionnelle du Parlement. Reste que le consentement à l’impôt est une base de la démocratie. À cet égard, interroger nos concitoyens sur un sujet fiscal ne me paraît pas forcément anormal.

Je sais gré à nos collègues du groupe socialiste de ne pas s’être aventurés sur le terrain d’une extension du champ référendaire aux sujets de société. Dans une telle hypothèse, on pourrait imaginer que soient organisés des référendums extrêmement clivants ; or demander qu’il soit répondu par oui ou par non à des questions complexes et très clivantes m’apparaît déraisonnable.

Se posent enfin des problèmes de délais. Tout référendum suppose à mon avis une certaine réflexion, et je ne serais pas opposé – j’y verrais même quelque avantage – à ce qu’un délai soit ménagé entre le moment où se déclenche l’obligation pour le Président de la République de soumettre un texte au référendum dans le cadre qui vient d’être décrit et le moment où a lieu la consultation proprement dite.

Moyennant ces observations, je suis peut-être un peu moins pessimiste que les orateurs qui m’ont précédé : le référendum d’initiative partagée n’est pas impossible dans notre pays et son utilisation pourrait en particulier être envisagée dans les périodes de cohabitation. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Francis Szpiner applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi constitutionnelle a trait à une procédure, celle du référendum d’initiative partagée, qui a été créée récemment, mais qui n’a jamais abouti à ce jour.

Comme cela a été rappelé, de nombreuses conditions et interprétations jurisprudentielles du Conseil constitutionnel expliquent cette situation.

La présente proposition de loi a pour objet d’y remédier et de rendre effectif cet outil d’exercice de la souveraineté nationale.

Ce texte ne sera évidemment pas adopté, étant entendu que le Sénat a déjà rejeté des mesures aussi peu problématiques que l’extension du droit de pétition exercé via la saisine du Conseil économique, social et environnemental (Cese), ou que la désignation de membres des conventions citoyennes par tirage au sort.

Le présent texte comporte cinq modifications des critères actuels, ceux-ci s’étant avérés trop restrictifs.

Sur l’élargissement du champ d’un tel référendum, tout d’abord, notre groupe reste très prudent, pour des motifs divers : possible déficience de délibération, d’échange des points de vue, ou d’expertise ; risques réels liés à des manipulations ; décisions discriminatoires en fonction du contexte et de l’état de la société ; enfin, expression favorisée du populisme.

Pour autant, ce que proposent en la matière les auteurs de ce texte est une façon de répondre à l’interprétation trop stricte que fait le Conseil constitutionnel du champ du référendum.

Nos collègues souhaitent notamment supprimer de l’article 11 de la Constitution le terme : « réformes ». Il est vrai que les référendums d’initiative partagée doivent se concentrer sur des changements importants pour les citoyens, mais cette notion de « réforme » a bel et bien fait l’objet d’interprétations diverses, notamment quant à la nécessité pour le texte concerné de modifier substantiellement le droit existant, ce qui empêche de prévenir de la sorte une éventuelle évolution de ce droit.

Il est ensuite prévu d’abaisser les seuils de signatures requis, tant du côté des parlementaires que du côté des citoyens. Nous soutenons cette démarche, en particulier celle qui consiste à abaisser le nombre de soutiens citoyens requis. Tant l’exemple de certains pays voisins que l’ambition de rendre effective et rapide la mise en œuvre d’un tel référendum nous y incitent.

Les auteurs de ce texte souhaitent par ailleurs introduire à l’article 11 une nouvelle exigence de rejet exprès par le Parlement de la proposition de loi concernée si celui-ci veut empêcher qu’elle soit soumise au référendum. Notre assemblée s’est souvent élevée, à juste titre, contre l’impossibilité dans laquelle elle est de se prononcer de manière expresse sur les textes de ratification d’accords internationaux – je pense en particulier à la ratification de l’Accord économique et commercial global (Ceta). Cette modification est essentielle ; ainsi, la responsabilité du Parlement serait dorénavant clairement engagée.

Il est enfin proposé une élaboration partagée du texte : une initiative pourrait émaner des citoyens, puis être reprise par le Parlement, ce qui corrigerait à juste titre l’asymétrie actuelle.

Notre société va mal, la démocratie représentative souffre de bien des manières ; le ressenti légitime, par nos concitoyens, d’un déficit, voire d’une défaillance de la démocratie ne fait que s’amplifier.

Membres de la chambre des territoires, nous le savons bien : de plus en plus de Français, mais aussi d’élus locaux, se sentent trop éloignés des discussions et des décisions qui affectent leur quotidien.

Nous avons souvent pu défendre dans cet hémicycle le rôle essentiel du local, le besoin d’une différenciation. Nous n’adhérons pas à une vision concurrentielle de l’exercice de la souveraineté : le Parlement, dans sa légitimité, n’est que l’une des formes d’exercice de la souveraineté nationale – une forme essentielle, certes, mais qui n’est pas et ne doit pas être la seule.

Il est donc grand temps d’agir ! De nouveaux modes d’expression citoyenne doivent être expérimentés. Certains l’ont déjà été, d’ailleurs, à l’échelle des territoires et en particulier des communes.

Alors, amplifions ce mouvement en rendant possibles, dans le cadre de la loi, de nombreuses nouvelles expérimentations !

Nous jugeons nécessaire de mener une réflexion en vue d’un surcroît de démocratie participative et de démocratie directe, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle locale.

Nous pensons que le référendum doit pouvoir être utilisé selon un juste équilibre préservant la cohésion nationale et écartant le risque d’une remise en cause d’acquis majeurs et essentiels.

Nous estimons que toute modification des modalités du référendum doit prévenir les conflits de délibération qui pourraient émerger entre deux expressions de la souveraineté, l’une directe, via le référendum par exemple, l’autre parlementaire.

Mais les trop grands écarts entre les aspirations des élus et celles des citoyens nécessitent qu’un moyen correctif soit inscrit dans notre Constitution.

À mon tour de citer un homme de droite – après Jacques Chirac, Michel Debré – : « La seule souveraineté, c’est le peuple, et le Président de la République fait appel à lui en cas de conflit. » Nous l’avons bien vu, l’appel à la souveraineté du peuple via la dissolution et la tenue de nouvelles élections est un instrument trop peu employé, pour des raisons évidemment très politiciennes. Le référendum pourrait, à cet égard, se révéler l’outil idoine, moins soumis au bon vouloir d’une seule personne, fût-elle le Président de la République.

Aussi notre groupe soutiendra-t-il cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte que nous examinons soulève de nombreuses questions, qui mériteraient bien plus que deux heures de débat – nous en convenons toutes et tous.

Pour traiter ce sujet, il nous faut nous mettre d’accord sur les constats.

Le premier de ces constats est le suivant : nous traversons une crise démocratique forte.

Oui, la démocratie française est malade : elle est malade d’une trop grande concentration des pouvoirs dans les mains de l’exécutif, malade aussi d’un Parlement qui n’est pas libre de l’organisation de ses travaux.

Elle est malade en tout point, mais aussi en tous lieux, car la démocratie ne se pratique pas uniquement à l’échelle nationale : elle est aussi la démocratie communale et la démocratie sociale, auxquelles nous sommes très attachés.

C’est précisément dans ce contexte de crise démocratique, de crise des institutions représentatives, que les différents appels à organiser, ici ou là, des référendums doivent être compris.

Le deuxième constat tient aux limites intrinsèques du référendum, outil entaché d’une tradition césariste et verticale ; ces limites font que nous restons, à première vue, méfiants à son égard.

Quoi qu’on en dise, le RIP est, lui aussi, un mode vertical d’exercice du pouvoir : oui, même dans le cas où la proposition émane de parlementaires, c’est le Président de la République qui la soumet au référendum ; c’est même l’un des pouvoirs propres qui lui sont reconnus par l’article 11 de la Constitution.

De manière générale, le référendum ne doit surtout pas être sacralisé ni perçu comme une solution miracle.

Un référendum, c’est une campagne référendaire ; or, de fait, une telle campagne est toujours binaire. Le peuple ne pourra répondre que par oui ou par non à la question qui lui est posée, ce que nous avons du mal à concevoir en tant que parlementaires disposant du droit d’amendement, car ce mode de fonctionnement va à l’inverse de la méthode à laquelle nous astreint la nécessité absolue de rechercher entre nous des constructions communes.

Le référendum ne garantit d’ailleurs en rien une hausse de la participation électorale.

M. Philippe Bas, rapporteur. Absolument !

Mme Cécile Cukierman. Un référendum, c’est aussi, en théorie, un temps de parole égal pour les deux camps pendant la durée de la campagne ; mais vous n’ignorez pas, mes chers collègues, qu’en pratique c’est la concentration des médias qui prévaut, sachant par ailleurs qu’il n’y a plus de culture référendaire en France depuis qu’il fut passé outre au résultat du référendum de 2005.

Quant à la question des sujets sur lesquels un référendum peut porter, elle est éminemment complexe. Convenons-en, le terme de « réforme » est malvenu : il faudrait à tout le moins le définir avec précision.

En commission, notre rapporteur a réaffirmé que « le référendum doit concerner des sujets vitaux pour l’avenir de la Nation » et s’est montré par conséquent défavorable à sa « banalisation ».

La question sera posée ici même le 12 décembre prochain lorsque nous examinerons la proposition de loi constitutionnelle de la droite sénatoriale. Nous aurons donc l’occasion d’y revenir.

Le troisième et dernier constat est celui du poids du Conseil constitutionnel dans la procédure du RIP.

Là se situe, à nos yeux, l’un des points les plus importants de cette procédure. Si l’intervention du Conseil constitutionnel doit bel et bien être repensée, on ne saurait en revanche s’en passer purement et simplement, comme certains le proposent.

Pour notre part, nous estimons que cette intervention devrait peut-être se borner à vérifier que l’objet du texte entre bien dans le champ du RIP et que les seuils de signatures parlementaires et de soutiens citoyens requis sont atteints, puis à s’assurer que les droits et libertés fondamentaux sont bien respectés.

Il est évident que le mécanisme actuel du RIP est grippé. Le seuil des 4,8 millions d’électeurs est d’évidence inatteignable ; celui des 185 parlementaires, quant à lui, ne nous semble pas constituer un véritable obstacle.

Nous remercions donc le groupe socialiste d’avoir ouvert ce débat, car nous prenons ce texte pour ce qu’il est, à savoir une proposition de loi d’appel. Non sans débats entre nous – mais tous les groupes semblent avoir connu pareilles discussions –, nous avons décidé que nous voterions en sa faveur. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, Michel Rocard, dans un entretien avec Karl Zéro, donnait du référendum la définition suivante : « Un référendum, c’est une excitation nationale où l’on met tout dans le pot. On pose une question, les gens s’en posent d’autres et viennent voter en fonction de raisons qui n’ont plus rien à voir avec la question. »

Françoise Giroud exprimait les mêmes doutes dans Cest arrivé hier : « Dans un référendum, les gens ne répondent jamais à la question qu’on leur pose. Ils donnent leur adhésion ou la refusent à celui qui la pose. »

Un récent sondage publié jeudi dernier par BVA pour RTL témoigne pourtant de l’intérêt des Français pour cet outil : ils sont 88 % à être favorables à l’organisation de référendums sur les sujets de société.

Concernant le référendum d’initiative partagée, sujet qui nous réunit aujourd’hui à l’occasion de l’examen de la proposition de loi constitutionnelle de Yan Chantrel, notre collègue sera heureux d’apprendre que 82 % des personnes interrogées approuveraient que l’on donne aux citoyens l’initiative en matière d’organisation d’un RIP, 71 % d’entre elles étant favorables à la baisse du nombre de signatures nécessaires.

Voilà donc un texte qui colle à l’actualité, d’autant que le Président de la République a mis ce sujet au cœur des rencontres de Saint-Denis.

Les deux mesures plébiscitées dans le sondage que j’ai évoqué font écho aux revendications formulées en 2018 par les « gilets jaunes », qui les présentaient comme une solution pour donner la parole au peuple via la création d’un référendum d’initiative citoyenne ou populaire.

On peut comprendre la défiance de ce même peuple envers les référendums tels qu’ils sont encadrés par le droit en vigueur quand on se remémore le fiasco de celui qui, en 2005, fut organisé sur l’initiative de Jacques Chirac à propos du traité établissant une Constitution pour l’Europe.

Souvenez-vous : le « non » l’emporte avec 54,67 % des suffrages exprimés. Résultat : deux ans plus tard, en 2007, on assiste au contournement par voie parlementaire de ce rejet démocratique, avec la ratification du traité de Lisbonne sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

M. Mickaël Vallet. Un scandale !

M. Philippe Bas, rapporteur. Ce n’était pas le même traité !

M. Henri Cabanel. Cet exemple montre les limites de l’exercice.

Avec un taux de participation de 69,37 %, ce référendum avait rassemblé les Français autour d’un sujet très technique, car ils y avaient vu l’occasion de rejeter la politique menée à l’échelle nationale : un vote sanction, en d’autres termes, plus qu’une réponse à la question. Ainsi se trouvent corroborées les deux citations par lesquelles j’ai ouvert mon intervention…

Il faut donc raison garder pour ce qui est des sujets de société. Un simple « oui ou non » ne me paraît pas sérieux quand l’on doit traiter de thèmes sensibles, car la vérité est souvent dans la nuance.

À l’heure des réseaux sociaux, des fake news et des théories du complot, vers quelles informations les citoyens iront-ils pour se faire une opinion ? Une véritable sensibilisation devra être mise en œuvre en amont.

Mon groupe, le RDSE, défend plutôt un usage tempéré et limité des RIP, car la loi doit s’écrire au Parlement. Il ne soutient pas la diminution du nombre de parlementaires requis, car, pour une cause juste, il est facile de trouver 185 parlementaires. Par exemple, l’avenir de l’hôpital public a réuni sans peine, en août 2021, des parlementaires d’horizons divers.

Je suis, pour ma part, favorable à l’abaissement du nombre de citoyens devant apporter leur soutien à la proposition ; il faut donc retravailler ce seuil, qui doit être raisonnable et représentatif.

Si j’adhère aux bonnes intentions de l’auteur de ce texte, qui veut offrir aux Français plus de possibilités de s’exprimer, dans un contexte de défiance exacerbée envers les élus et les institutions, je pense qu’il faut travailler sur d’autres formes de démocratie et, surtout, encourager les référendums locaux, qui familiariseront les citoyens avec cet outil. La construction de cette culture commune leur permettra de contribuer aux solutions que les élus – et eux seuls, car ils sont légitimés par le suffrage universel – prendront : rappelons que les associations de citoyens ne remettent pas en question la démocratie représentative, ciment de notre démocratie.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Henri Cabanel. Le groupe de travail sur les institutions présidé par Gérard Larcher a intégré ce sujet dans son programme. La présente proposition de loi constitutionnelle ne nous semble donc pas le véhicule le plus adapté, mais elle a le mérite d’ouvrir le débat. Je remercie donc notre collègue Yan Chantrel de l’avoir déposée.

En tout état de cause, la réforme de nos institutions doit être pensée globalement et non pas en silo. C’est ce que les Français attendent.

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi constitutionnelle de notre collègue Yan Chantrel et du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, visant à faciliter le déclenchement du référendum d’initiative partagée.

Si l’origine du RIP est ancienne, c’est la réforme constitutionnelle de 2008 qui a modifié l’article 11 de la Constitution pour y introduire une nouvelle forme de référendum reposant sur une initiative provenant d’un cinquième au moins des parlementaires, soit 185 députés ou sénateurs, et soutenue par 10 % du corps électoral, soit 4,8 millions de personnes aujourd’hui.

En outre, ce dispositif impose que la proposition de loi soumise au référendum porte sur les seuls domaines énumérés à l’article 11 ; en outre, son objet ne peut être l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an ni avoir déjà été rejeté par référendum moins de deux ans auparavant.

Aujourd’hui, nous pouvons, sur toutes les travées de cet hémicycle, nous accorder sur un constat : les modalités de mise en œuvre du RIP sont trop complexes, à tel point qu’aucune proposition parlementaire n’est jamais parvenue à valider l’ensemble de ces conditions et qu’aucun RIP n’a, à ce jour, pu être organisé, malgré cinq tentatives.

L’opportunité d’une réflexion sur l’assouplissement des modalités de sa mise en œuvre n’est, par conséquent, pas contestée. Le Président de la République avait d’ailleurs envisagé une simplification de la procédure dès 2019.

À ce titre, je salue l’initiative de Yan Chantrel, qui s’inscrit dans cet objectif. En outre, notre collègue propose d’élargir le champ du référendum, d’abaisser les seuils de signatures requis à 93 parlementaires et 1 million d’électeurs, de créer une deuxième procédure de référendum d’initiative partagée, symétrique de celle prévue aujourd’hui, et enfin d’imposer la tenue de ce référendum sauf rejet du texte par le Parlement.

Cependant, je pense qu’en matière de démocratie participative tout doit être question d’équilibre, même si cet équilibre, entre garde-fous nécessaires pour limiter les risques de contournement du Parlement et bon fonctionnement de cet outil participatif, légitimement réclamé par la population, est parfois difficile à maintenir. En l’état, le présent texte n’atteint pas cet équilibre.

Il ne l’atteint pas, tout d’abord, parce que la troisième édition des rencontres de Saint-Denis, vendredi dernier, devait être l’occasion d’aborder ces questions de l’élargissement du champ du référendum et de la facilitation de l’organisation du RIP. Trois grandes formations politiques n’ont pas pris part à cet événement et il est apparu, au cours des discussions, que la réflexion n’était pas mûre, les participants n’ayant pas réussi à trouver un terrain d’entente sur ces sujets.

Il ne l’atteint pas, ensuite, parce qu’un certain nombre de dispositions de cette proposition de loi constitutionnelle sont susceptibles d’entraîner des conséquences dont on ne mesure pas suffisamment la portée.

Un tel abaissement à 1 million du nombre de soutiens d’électeurs requis, lorsque la France en compte 48 millions, pourrait ouvrir la porte à des manipulations ou à des abus. Les signatures recueillies doivent refléter la volonté du peuple et non celle d’une minorité organisée.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Exactement !

M. Thani Mohamed Soilihi. De plus, le référendum d’initiative partagée a été conçu pour aborder des questions d’une importance exceptionnelle et nationale.

La suppression du terme « réformes » du premier alinéa de l’article 11, associée à la réduction du seuil de signatures, pourrait diluer l’impact et la signification de cet instrument démocratique, le transformant en un moyen plus fréquemment utilisé pour des questions de portée locale ou moins cruciales.

En outre, chaque question controversée pourrait donner lieu à un référendum, ce qui entraînerait une instabilité politique et des incertitudes juridiques. Il est impératif de s’assurer que les décisions cruciales pour notre nation soient prises non dans un climat d’urgence, mais après un examen minutieux et une délibération approfondie.

Enfin, si je suis juriste, je ne suis pas constitutionnaliste, mais il me semble qu’une telle modification des contours du référendum d’initiative partagée nécessite la révision d’autres articles de la Constitution, au-delà de l’article 11, ne serait-ce que parce que les compétences du Conseil constitutionnel s’en trouveraient changées. De mémoire, le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique de 2019 créait d’ailleurs un nouveau titre XI intitulé « De la participation citoyenne ».

Pour conclure mon propos, bien que la démocratie participative soit une valeur fondamentale que nous souhaitons encourager, nous devons approcher toute modification constitutionnelle avec une extrême prudence.

Avant de soutenir une telle proposition, nous devons réfléchir attentivement à ses implications de long terme pour notre nation et pour la démocratie, que nous cherchons à protéger et à renforcer.

Trancher une question aussi complexe en deux heures au sein du temps parlementaire réservé à un groupe politique nous semble précipité. Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants adoptera, en l’état, une position neutre sur ce sujet qui requiert, à notre sens, plus de maturation. Par conséquent, la majorité des membres de notre groupe s’abstiendra sur ce texte.

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Mathilde Ollivier applaudit également.)

M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la question du référendum a animé les débats du second tour de l’élection présidentielle, opposant le candidat Renaissance à la candidate d’extrême droite.

Emmanuel Macron avait notamment annoncé alors ne pas exclure une consultation des Français sur son projet de réforme des retraites. C’est une excellente proposition, qu’il a vaillamment concrétisée, comme chacun sait… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

De la même manière, au cours de son mandat précédent, il avait envisagé de soumettre au référendum plusieurs propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Il n’en fit courageusement rien… (Nouveaux sourires.)

Quant à Marine Le Pen, elle ne proposait pas grand-chose, constitutionnellement parlant, sinon la possibilité de mettre en place un référendum d’initiative citoyenne qui permettrait de consulter les Français sur des sujets de société, en particulier – ô surprise ! – sur la priorité nationale et sur l’immigration. Toute ressemblance avec des propositions actuelles serait bien entendu fortuite !

Cette idée d’une consultation sur l’immigration a été temporairement reprise par Emmanuel Macron, qui l’a annoncée – avec le talent d’un horloger – en plein examen du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, avant finalement d’y renoncer.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il rebrousse chemin sur la question de la transformation de nos institutions. En 2019, il avait déjà proposé de modifier les modalités du champ référendaire et du référendum d’initiative partagée. Une fois de plus, il a enterré ces possibilités après les rencontres de Saint-Denis…

Dans la pratique française, le référendum est un instrument essentiellement présidentiel ; sa pratique est délaissée depuis plus de vingt ans. Cela distingue notre pays des autres démocraties occidentales, où le peuple peut se saisir d’un champ plus vaste de questions et où le recours à cet outil est bien plus fréquent.

Le problème du référendum, en France, tient au fait qu’il a souvent connu une dérive plébiscitaire, aussi bien sous l’Empire que par la suite. Monsieur le garde des sceaux, vous avez évoqué les travaux préparatoires de l’article 11 de la Constitution. À cet égard, permettez-moi de vous rappeler que ces travaux lui avaient, à l’origine, donné un champ beaucoup plus étendu qu’il ne l’est actuellement. Il n’a été restreint qu’à la suite de l’accord intervenu entre le général de Gaulle et les autres forces politiques. La volonté initiale du constituant était donc bien de faire en sorte que l’outil référendaire ait une certaine importance.

La France n’a pas connu de référendum depuis 2005, et ce malgré la création, en 2008, du référendum d’initiative partagée. Les six tentatives de recours à ce dernier ont toutes abouti à des échecs, quand bien même l’une d’entre elles a recueilli plus d’un million de signatures. Tous ces seuils, ces modalités, ces dispositions réglementaires ne sont plus des garde-fous : ce sont des murailles !

Pour notre part, nous ne nous satisfaisons pas de ce déficit démocratique. À nos yeux, le RIP n’est pas un outil contre la démocratie ; nous ne croyons pas non plus, pour reprendre une formule de Nicolas Sarkozy, que le peuple ne serait « pas assez intelligent » pour cet outil. Au contraire, nous soulignons tout l’intérêt du RIP.

On l’a souligné, l’article 3 de la Constitution divise la souveraineté du peuple entre, d’une part, ses représentants et, d’autre part, la voie du référendum. Si l’on n’utilise pas les outils démocratiques dont on dispose, on les remet en cause. C’est bien ce qui se passe avec le référendum d’initiative partagée. Il importe que les citoyens puissent donner leur avis !

Reprenons les arguments énoncés contre la proposition de loi constitutionnelle de notre collègue Yan Chantrel.

Tout d’abord, selon M. le garde des sceaux, on ne saurait étendre le champ du référendum aux politiques fiscales, qui relèveraient exclusivement du Parlement. Mais c’est faire peu de cas des articles XIII et XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, sur l’égalité devant l’impôt et le consentement à l’impôt, eux-mêmes intégrés au bloc de constitutionnalité !

Je veux également répondre à nos collègues du groupe Les Républicains que la proposition de loi constitutionnelle qu’ils nous soumettront eux-mêmes dans quelques semaines ne s’encombre pas des mêmes subtilités, tant s’en faut. Nous divergeons simplement sur nos priorités : celle de la gauche est la justice fiscale, pour plus d’égalité ; celle de la droite est l’immigration !

On nous oppose que le seuil que nous proposons pour les signatures de citoyens requises afin de déclencher la procédure serait trop bas. D’autres pays, comme le Portugal, les Pays-Bas ou l’Italie, ont pourtant retenu des seuils comparables sans que cela leur pose de problème.

On nous objecte aussi que la possibilité d’une initiative citoyenne serait trop complexe. Je rappelle qu’une telle procédure avait déjà été proposée en 2008 par des députés socialistes, ainsi que par des sénateurs de droite, lesquels n’étaient pas a priori de dangereux zadistes !

Enfin, sur la question du verrou technique que représente aujourd’hui l’examen d’une proposition de loi référendaire par les assemblées, nous avons abordé ce problème à plusieurs reprises. Le Sénat a d’ailleurs inscrit dans son règlement la possibilité d’une motion ad hoc pour éviter ce cas de figure. Une telle motion étant impossible à l’Assemblée nationale, cette proposition de loi constitutionnelle vient lever ce dernier blocage.

Pour paraphraser Bertolt Brecht, ce n’est pas parce que le peuple vote contre le Gouvernement qu’il faut dissoudre le peuple. Nous réclamons la possibilité de rendre la parole aux citoyens. Pour cela, il nous faut leur donner des modalités d’expression et de participation.

C’est tout le sens de la proposition de loi constitutionnelle de Yan Chantrel et du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Donner la parole au peuple, c’est lui reconnaître sa légitimité de constituant ; c’est donc rendre ses lettres de noblesse à la démocratie française ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Lauriane Josende. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Lauriane Josende. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous connaissons tous l’histoire turbulente du référendum en France. Il a beaucoup été utilisé au XIXe siècle comme un outil plébiscitaire, souvent au détriment de la démocratie elle-même, ce qui a motivé l’encadrement de son usage par la Constitution de la VRépublique. Ainsi, celle-ci a permis d’articuler l’exercice de la souveraineté nationale par le biais des représentants du peuple avec l’expression directe de la voix de ce dernier, dont la prise en considération est l’essence même de la démocratie.

Afin d’assurer cette conciliation entre le bon fonctionnement des mécanismes parlementaires et l’attente légitime de consultation des électeurs, la Constitution dispose donc non seulement, en son article 3, que la souveraineté nationale est exercée par les représentants du peuple et par la voie du référendum, mais aussi, aux termes de son article 39, que l’initiative des lois appartient concurremment – c’est important – au Premier ministre et aux membres du Parlement.

Souhaitant élargir les possibilités d’organisation d’un référendum d’initiative partagée, nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain proposent d’altérer cet équilibre constitutionnel des pouvoirs caractéristique de notre « démocratie à la française ».

Ainsi, la modification proposée des dispositions de l’article 11 relatives à l’ensemble des référendums soulève d’importantes questions, tant sur le plan de la technique juridique, comme l’a souligné M. le rapporteur, que sur le fond, eu égard à ce qu’implique un véritable débat démocratique.

Tout d’abord, comme cela a été rappelé par M. le rapporteur, la nature récente du dispositif du référendum d’initiative partagée, applicable de facto depuis huit ans seulement, limite notre capacité à tirer des conclusions définitives et péremptoires sur son fonctionnement.

Aussi la remise en question des seuils de saisine semble-t-elle prématurée, car ceux-ci ont précisément été conçus pour servir de filtre et éviter le contournement du Parlement.

Ensuite, les problématiques soulevées par l’ouverture de la possibilité de collecter les signatures avant le contrôle du Conseil constitutionnel suscitent des inquiétudes importantes quant au moment et aux modalités d’exercice de ce contrôle.

Cette inversion de logique pourrait avoir des conséquences au-delà d’un simple ajustement procédural. En effet, elle remet en question la séquence définie par le constituant, laquelle visait à assurer une articulation harmonieuse entre les différentes étapes du processus référendaire.

Aussi convient-il d’acter ici la nécessité d’une réflexion plus approfondie, comme beaucoup de mes collègues l’ont souligné avant moi. Pour une réforme aussi substantielle, il importe de prendre en compte les effets de toute révision de l’article 11 sur la cohérence de l’édifice juridique qu’est la Constitution et, a minima, sur ses articles 39 et 89.

Par ailleurs, la proposition de loi constitutionnelle qui nous est soumise remplace le mécanisme de « mise au référendum contrainte » par une « mise au référendum obligée » dans tous les cas autres que le rejet par les deux chambres. Certains orateurs l’ont déjà souligné, ce mécanisme implique qu’un texte voté par les deux assemblées se trouvera, malgré cela, nécessairement soumis au référendum.

En l’état actuel du droit, un scrutin référendaire doublant le vote parlementaire n’est possible que pour les révisions constitutionnelles encadrées par l’article 89, procédures par nature exceptionnelles ; l’article 89 permet d’ailleurs de ne pas organiser de référendum en cas de convocation du Congrès.

Par ailleurs, ce texte ajoute une couche de complexité au dispositif existant en remettant en question l’importance du bicamérisme et le rôle de la navette parlementaire.

Au-delà, reconnaissons que toute modification de l’article 11 constitue un défi d’ampleur, qui exige un débat bien plus approfondi, sur chacun des points que j’ai évoqués ; dès lors, notre groupe estime que l’examen d’un tel texte au sein d’une niche parlementaire de durée limitée ne peut aboutir qu’à un débat tronqué.

L’existence de travaux concomitants du Sénat lui-même, dans le cadre du groupe de travail sur les institutions mis en place par le président Gérard Larcher, nous impose en outre d’attendre leurs conclusions. Si nous voulons des débats de qualité et pertinents, nous devons prendre le temps d’aborder tous ces sujets avec une grande prudence.

Le référendum d’initiative partagée doit demeurer un instrument équilibré, qui préserve l’intégrité de notre système représentatif tout en offrant aux citoyens une voie d’expression directe lorsque c’est véritablement utile.

En effet, la démocratie directe ne doit jamais servir de prétexte à une dévitalisation du parlementarisme, qui doit demeurer au cœur de nos institutions républicaines.

Mes chers collègues, nous serons unanimes à reconnaître que la proposition de loi constitutionnelle que nous soumettent aujourd’hui nos collègues socialistes a le mérite de montrer que le débat sur l’article 11 doit se tenir. Pour autant, elle est tout aussi inaboutie techniquement qu’inopportune.

Vous l’aurez compris, les modifications proposées soulèvent, en réalité, des questions de fond bien plus importantes qu’un simple abaissement des seuils de recours au référendum d’initiative partagée. Il convient donc de ne pas adopter ce texte, mais de poursuivre les échanges et les réflexions engagés dans le cadre des différentes instances républicaines et notamment ici, au Sénat.

Pour toutes ces raisons, les membres du groupe Les Républicains suivront l’avis du rapporteur et ne voteront pas cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas, rapporteur. Très bien, merci !

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, alors que la démocratie représentative est piétinée par le recours abusif – c’est un euphémisme ! – au 49.3 et que les présidents de la République successifs ne consultent plus les Français par référendum, donnons la capacité au peuple souverain d’engager une procédure référendaire qui puisse réellement aboutir !

Il est paradoxal de voir les hommes politiques continuellement consulter l’opinion publique en commandant ou en interprétant des sondages, mais en même temps refuser de s’en remettre à l’initiative du peuple et à son verdict.

Le référendum d’initiative partagé actuel est un hochet donné aux citoyens en 2008 pour faire croire en la bonne volonté d’un exécutif coupable d’avoir bafoué le « non » au référendum de 2005 par la ratification parlementaire du traité de Lisbonne, en 2008. L’usage a montré que ce référendum d’initiative partagée était inapplicable.

Vous ne pouvez pas vous draper de gaullisme en permanence et refuser de gouverner comme le général de Gaulle : dix ans au pouvoir et quatre référendums à son actif !

Depuis bientôt dix-neuf ans, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron sont passés à l’Élysée en oubliant la voix du peuple le soir même de leur élection.

C’est aussi cela qui nourrit l’abstention, aggrave la crise civique, dénoue le lien de confiance, rabougrit la démocratie représentative et attise les violences urbaines.

Je suis un parlementaire, mais aussi un citoyen, et je pense, aux côtés des Français de tous bords – « gilets jaunes » ou « bonnets rouges » –, que nous devons être entendus en nous exprimant dans les urnes lors de consultations nationales autres que l’élection de nos représentants.

Le débat parlementaire reprend son sens et sa vitalité quand notre institution ménage des occasions de sortir des méandres de la procédure parlementaire.

Cet automne, à l’occasion des soixante-cinq ans de la Constitution, il est donc temps de faire un aggiornamento démocratique, non en convoquant les chefs de partis politiques à un entre-soi, mais en convoquant les Français sur des sujets qui les intéressent, même si vous les jugez démagogiques, monsieur le garde des sceaux !

Nous avons appris à l’issue du dernier « entre-soi de Saint-Denis » que le consensus s’était fait autour du refus d’un élargissement du champ du référendum.

Voilà le plus petit dénominateur commun entre les partis politiques français : brider l’avis du peuple ! Voilà le mal français, ou plutôt le mal fait aux Français !

Le monopole des partis sur la délibération politique est désespérant. Les Français se sentent dépossédés, méprisés, bâillonnés.

Le référendum sur l’immigration évoqué par le chef de l’État le 3 novembre dernier est donc abandonné par le chef de l’État lui-même !

Alors que certains fantasment une créolisation, mais que notre pays est plutôt soumis à un processus de « crépolisation » avancé, conséquence directe de sa politique d’immigration, quoi de mieux qu’un référendum pour « faire peuple » ?

Qui, mieux que le peuple, peut définir la politique d’immigration confisquée par les juges et les traités européens et internationaux ? Qui, mieux que le peuple, peut acquiescer, ou refuser sa dislocation et sa disparition ?

Sans référendum, nous sortons du XXIe siècle pour revenir aux errements des IIIe et IVe Républiques, sous lesquelles le Parlement et les partis verrouillaient les décisions. On sait comment cela finit !

Sans révision constitutionnelle, notre inconséquence mènera à la guerre civile ou à la VIe République mélenchoniste, synonyme de la fin non seulement du pacte républicain, mais surtout de la France !

C’est pourquoi je soutiendrai cette proposition de loi constitutionnelle. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.

M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le général de Gaulle déclarait en 1942 : « La démocratie, c’est le gouvernement du peuple par le peuple, et la souveraineté nationale, c’est le peuple exerçant sa souveraineté sans entrave. »

L’absence d’entrave ne signifie évidemment pas l’absence de cadre. L’article 11 de la Constitution, dans sa rédaction actuelle, fixe plusieurs conditions à la mise en œuvre du référendum et, en particulier, à celle du référendum d’initiative partagée, dont il définit avec précision le périmètre. Il fixe également la quantité de parlementaires et de citoyens dont le soutien est requis pour la mise en place de ce dispositif : 10 % du corps électoral et 20 % des parlementaires.

Nos collègues socialistes nous invitent à élargir ce périmètre et à abaisser ces seuils. Les justifications avancées sont claires : il s’agit de faciliter la consultation de nos concitoyens sur les grands sujets politiques.

Ils estiment, par ailleurs, qu’une telle facilitation est à même de remédier, au moins partiellement, au déclin de la participation de nos concitoyens aux élections.

Ces objectifs sont louables. Nous regrettons tous le recul de l’engagement démocratique dans notre pays. Néanmoins, la proposition de loi constitutionnelle qu’ils nous soumettent se heurte à plusieurs obstacles.

Le président du Sénat, comme cela a été souligné, a relancé le groupe de travail sur les institutions et l’a concentré précisément sur la question des référendums. À n’en pas douter, le présent texte constitue une contribution de poids à ce débat. Cependant, il peut apparaître prématuré de se prononcer sur l’un de ces sujets avant que nous soyons allés au bout de ce processus.

Le fait que, en huit ans, nulle initiative référendaire ne soit parvenue à être soutenue par 4,87 millions d’électeurs fait dire à nos collègues que ce seuil doit être abaissé. Nous n’interprétons pas cette situation de la même manière.

Au-delà du fait que huit ans constituent une période relativement courte à l’échelle de la vie de nos institutions, nous estimons que ces seuils n’ont pas été atteints parce que la très grande majorité de nos concitoyens ne souhaitait pas être consultée sur les sujets en question.

Un million d’électeurs, ce n’est que 2 % du corps électoral de notre pays. Est-il légitime qu’une si faible proportion puisse imposer une consultation aux 98 % restants ? Nous ne le pensons pas.

Que des minorités politiques manifestent leur opposition et expriment leurs revendications, rien de plus légitime. En revanche, il nous apparaîtrait injuste qu’elles puissent imposer des consultations intempestives, surtout en l’absence de tout contrôle du Conseil constitutionnel, a fortiori quand le format binaire du référendum polarise nécessairement en excluant toute nuance.

Nous connaissons les dangers du populisme. Les auteurs de la présente proposition appellent de leurs vœux un référendum sur une réforme des retraites adoptée par le biais du 49.3, mais le récusent lorsqu’il s’agit d’autres sujets de société.

Les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires sont de fervents partisans de la démocratie représentative. Nous sommes convaincus que la consultation de nos concitoyens sur les politiques de notre pays doit rester exceptionnelle si nous ne voulons pas fragiliser davantage la légitimité du travail parlementaire.

Au moment où le débat politique se polarise, il nous semble essentiel de renforcer nos institutions et leur stabilité. Nous voterons donc contre cette proposition de loi constitutionnelle.

M. le président. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle initiale.

proposition de loi constitutionnelle visant à faciliter le déclenchement du référendum d’initiative partagée

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à faciliter le déclenchement du référendum d'initiative partagée
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article unique

L’article 11 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent » sont remplacés par les mots : « la politique économique, fiscale, sociale ou environnementale de la nation et les services publics qui y concourent » ;

2° La première phrase du troisième alinéa est ainsi modifiée :

a) Le mot : « cinquième » est remplacé par le mot : « dixième » ;

b) Les mots : « un dixième des électeurs » sont remplacés par les mots : « un million d’électeurs » ;

c) Sont ajoutés les mots : « , ou à l’initiative du même nombre d’électeurs, soutenue par le même nombre de membres du Parlement » ;

3° Au cinquième alinéa, le mot : « examinée » est remplacé par le mot : « rejetée ».

M. le président. Sur l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle, je n’ai été saisi d’aucun amendement.

Vote sur l’ensemble

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à faciliter le déclenchement du référendum d'initiative partagée
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle, je donne la parole à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.

M. Yan Chantrel. Monsieur le président, je souhaite répondre à quelques éléments évoqués dans le cours de la discussion générale.

Avant tout, monsieur le rapporteur, je veux vous rappeler que l’instauration du RIP a été voulue en premier lieu par votre majorité lors de la réforme constitutionnelle de 2008. C’est vous, et non pas nous, qui avez inscrit cette procédure dans la Constitution ; nous proposons simplement aujourd’hui de l’améliorer et de la rendre opérationnelle en la simplifiant.

Alors, soit vous considérez que vous avez fait une erreur en 2008, qu’il s’agit d’une mauvaise disposition, et vous revenez dessus, soit vous considérez que c’est une bonne disposition, auquel cas vous devez tout faire pour qu’elle puisse s’appliquer !

Vous avez souligné dans votre propos liminaire que le Président de la République avait déjà beaucoup de pouvoir, ce dont nous convenons, et que vous ne souhaitiez pas lui en donner davantage. J’imagine donc qu’au mois de décembre vous voterez contre la proposition de loi constitutionnelle de M. Retailleau tendant à élargir le champ du référendum à « tout projet de loi ou tout projet de loi organique », y compris, par conséquent, à des textes fiscaux…

Vous nous objectez par ailleurs que le seuil de 185 parlementaires n’a jamais constitué un frein à l’initiative référendaire. Mais comment peut-on le savoir, puisqu’aucune des initiatives ayant recueilli le soutien d’un nombre inférieur de parlementaires n’a pu, par définition, être même enregistrée ?

Vous trouvez également que le seuil de 1 million de signatures de citoyens serait trop bas. Or aucun des pays qui pratiquent ce type de référendum n’a fixé la barre aussi haut : le seuil est de 500 000 citoyens en Italie et de 50 000 en Suisse. Convenez, monsieur le rapporteur, qu’un million de signatures, c’est encore très exigeant, d’autant que les signataires doivent être inscrits sur les listes électorales. J’en veux pour preuve les pétitions que l’on peut signer sur internet : très peu d’entre elles atteignent 1 million de signatures alors que n’importe qui peut y laisser la sienne, même sous couvert d’anonymat !

Quant à remplacer le mot « examinée » par le mot « rejetée », notre objectif est évidemment de faire en sorte que le référendum ait bien lieu, sauf rejet par les deux assemblées.

L’idée est de redonner un petit peu de pouvoir à nos concitoyens – il demeure en effet beaucoup de verrous et le Parlement reste dans la boucle avec son droit de veto, simplement rendu moins systématique – en simplifiant les procédures que vous avez vous-mêmes inscrites dans la Constitution. Il s’agit de travailler de pair avec nos concitoyens, non pas les uns contre les autres, mais ensemble !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Si la commission n’a pas établi de texte, c’est d’abord parce qu’elle a souhaité que le texte de nos collègues fasse l’objet d’un débat dans notre hémicycle.

Je veux cependant rappeler, dans la perspective du scrutin public, de droit sur une proposition de loi constitutionnelle, que la commission est défavorable à l’adoption du présent texte.

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. J’ai écouté avec beaucoup d’attention l’intervention, brillante, du rapporteur Philippe Bas, qui appelle à prendre son temps, à négocier, à regarder les articles les uns après les autres, dans le détail, à rechercher les points d’accord que l’on peut trouver…

J’entends votre prudence, monsieur le rapporteur. Elle est sûrement bienveillante, mais pourquoi ne pas user d’arguments du même type sur un autre texte visant à réformer la Constitution, à savoir la proposition de loi constitutionnelle de MM. Retailleau et Buffet sur l’immigration, que vous défendez et qui sera examinée ici même le 12 décembre prochain ?

Dans ce texte-là, vous demandez l’intégration dans le champ du référendum, à l’article 11 de la Constitution, des questions migratoires. Vous demandez également de prendre en considération la notion d’assimilation plutôt que celle d’intégration. Vous remettez enfin en cause le droit du sol – vous y allez au canon !

Vous pouvez donc nous critiquer, monsieur le rapporteur, nous reprocher d’aller trop vite, trop loin, mais votre majorité sénatoriale n’hésite pas, sur d’autres sujets, à prendre un chemin bien plus conflictuel que celui que nous proposons en matière d’élargissement du RIP.

Au reste, je n’ai pas manqué de remarquer que M. Retailleau, déclinant la proposition de recourir au dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution que lui avait faite M. le président du Sénat – sur mon initiative –, a refusé de solliciter l’avis du Conseil d’État sur cette proposition de loi constitutionnelle…

Nous regrettons donc qu’il y ait deux poids, deux mesures ! Cette prudence dont vous faites preuve aujourd’hui à notre égard, appliquez-la aussi aux textes de la majorité sénatoriale ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Il est exact, monsieur le président Kanner, que je suis très prudent. J’aurais souhaité que vous le fussiez aussi, parce que le référendum peut apporter le meilleur comme le pire…

Nous sommes le Parlement de la République. Nous savons quel consensus la délibération parlementaire peut produire.

Dans une démocratie dont la verticalité a souvent été contestée, surtout au cours des dernières années, l’augmentation des pouvoirs du Président de la République est en effet une question qu’il faut aborder avec prudence face à la représentation nationale.

M. Patrick Kanner. Mais pas pour l’immigration…

M. Philippe Bas, rapporteur. Par conséquent, nous devons être très attentifs.

Quand le sujet est capital et quand la question, par sa nature même, peut se prêter à une réponse par oui ou par non, les deux principales conditions sont remplies pour un référendum, qu’il soit d’initiative partagée ou qu’il constitue un appel au peuple décidé par le Président de la République, souvent d’ailleurs pour contourner le Parlement.

Quand le Parlement est contourné, il en est fort marri, mais l’Assemblée nationale peut le supporter, car, généralement, il s’y trouve une majorité pour soutenir l’initiative du Président de la République.

Pour le Sénat, la difficulté est beaucoup plus grande. Notre assemblée doit donc être encore plus attentive à l’utilisation qui peut être faite du référendum.

La délibération parlementaire, c’est la démocratie en couleurs ! Toutes les nuances sont représentées lors du débat, et les textes qui entrent au Parlement en sortent modifiés, enrichis.

Le référendum, c’est la démocratie en noir et blanc. C’est utile pour les questions binaires.

M. Mickaël Vallet. Pour l’immigration, par exemple ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Ainsi, l’indépendance de l’Algérie est une question qui peut être tranchée par référendum – c’est d’ailleurs ce qui a été fait, il y a longtemps déjà !

Il faut rechercher, pour le référendum, des conditions précises.

À titre personnel, j’ai une petite préférence, comme parlementaire et, en particulier, comme sénateur, pour la démocratie en couleurs. Si vous préférez la démocratie en noir et blanc, à vous de le dire, mon cher collègue ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.

M. Éric Kerrouche. Monsieur le rapporteur, je crois qu’il faut s’abstenir de telles simplifications. Affirmer que faire appel au constituant relève de la démocratie en noir et blanc, c’est commettre une erreur.

Cela dit, penser que seule la représentation nationale peut représenter la démocratie en couleurs, c’est aussi un problème ! Ce serait confisquer la voix du constituant, sur lequel se fonde l’ensemble de notre démocratie.

À vous écouter, une partie de la population ne serait pas qualifiée ou assez intelligente pour répondre aux questions posées. Je pense qu’il faut faire très attention à ce genre de propos. C’est avec des considérations de ce type que l’on se met à l’écart de la participation citoyenne, en voulant se placer au-dessus de celle-ci.

Représenter, c’est incarner, pendant une durée limitée. Ce n’est pas être au-dessus ! C’est être choisi par d’autres, pour un moment, et « faire office de ». Encore une fois, ce n’est pas être ailleurs !

Je veux maintenant aborder la question des seuils.

D’une part, notre idée est de faciliter le recours à ce dispositif. D’autre part, il ne faut jamais perdre de vue que la perspective est simplement de lancer la démarche. Il ne s’agit pas de voter ! Il s’agit de la possibilité d’engager une démarche avec 93 parlementaires et 1 million de citoyens. Encore faut-il, ensuite, arriver au bout de celle-ci.

Il y a donc deux préfiltres, et il ne faut pas considérer que le seuil serait un seuil décisionnel : c’est un seuil de qualification, ce qui est complètement différent.

Non, le seuil que nous proposons n’est pas trop bas. Il permettrait simplement de faire ce qu’il n’a pas été possible de réaliser entretemps.

Monsieur le rapporteur, pour vous, le référendum est une délibération en noir et blanc. Pour moi, c’est une délibération en trois dimensions, car il importe, à un moment donné, de prendre aussi la mesure de la volonté du constituant.

Penser que l’on peut agir sans le peuple,…

M. le président. Il faut conclure !

M. Éric Kerrouche. … c’est aussi condamner la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Je suis prête à souscrire sans réserve à ce que M. le rapporteur vient de dire, mais il faudra en tirer toutes les conséquences.

En réalité, il n’y a que deux options dans la sincérité que nous devons au peuple français : soit nous abrogeons ce référendum d’initiative partagée tel que nous l’avons inscrit et encadré dans la Constitution, parce que nous considérons que c’est une illusion qui a été offerte au peuple français, un couteau sans manche dont il ne peut se servir, auquel cas l’honnêteté nous commande de l’abroger ; soit nous votons la proposition de Yan Chantrel.

Par ailleurs, je veux vous dire, monsieur le rapporteur, que je me munirai dès que possible du Journal officiel dans lequel sera publiée votre intervention, pour pouvoir la reprendre mot pour mot lorsque vous viendrez débattre ici de l’immigration.

Vous avez pris un exemple. Vous avez déclaré que les référendums étaient adaptés aux questions simples, celles auxquelles on répond par oui ou par non.

M. Philippe Bas, rapporteur. Et capitales pour l’avenir de notre pays !

Mme Laurence Rossignol. Certes, mais, comme notre collègue Éric Kerrouche vient de le dire à l’instant, la modestie nous impose de penser que le peuple aussi peut savoir ce qui est capital pour son avenir.

Votre groupe a choisi d’ouvrir un débat, au mois de décembre prochain, sur l’opportunité de recourir au référendum sur la question de l’immigration. Qui peut croire sérieusement que l’on peut répondre par oui ou par non à la question de l’immigration ?

J’imagine que vous tiendrez alors une position identique à celle qui est la vôtre aujourd’hui… Vous pouvez compter sur moi pour la défendre avec vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle visant à faciliter le déclenchement du référendum d’initiative partagée.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 64 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 326
Pour l’adoption 102
Contre 224

Le Sénat n’a pas adopté.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à faciliter le déclenchement du référendum d'initiative partagée
 

8

 
Dossier législatif : projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023
Examen des conclusions de la commission mixte paritaire

Loi de finances de fin de gestion pour 2023

Adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023
Article liminaire

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 (texte de la commission n° 139, rapport n° 138).

La parole est à M. le rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

M. Jean-François Husson, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 a eu dans notre assemblée un parcours rapide, mais productif : nous l’avons examiné en séance publique lundi, la commission mixte paritaire s’est réunie hier, mardi, et nous nous retrouvons aujourd’hui, mercredi, pour voter sur ses conclusions, puisqu’elle a été conclusive.

Pour revenir rapidement sur le contenu du texte, il contient principalement des ouvertures de crédits proposées par le Gouvernement pour financer notamment, hélas ! la hausse de la charge de la dette, ainsi que le soutien militaire à l’Ukraine. Ces ouvertures ne sont malheureusement que partiellement gagées par des annulations qui, elles, constatent essentiellement des sous-exécutions naturelles et non des économies budgétaires.

L’Assemblée nationale a ajouté des ouvertures de crédits, essentiellement en faveur de l’Ukraine, des familles monoparentales les plus modestes, des bénéficiaires de l’aide alimentaire et de l’hébergement d’urgence.

Le Sénat, enfin, a adopté le texte lundi en y ajoutant, d’une part, des amendements proposés ou soutenus par le Gouvernement et, d’autre part, diverses enveloppes de crédits proposées essentiellement par la commission des finances.

La commission mixte paritaire s’est réunie hier soir. Comme je l’ai indiqué, elle a été conclusive.

Tout d’abord, elle a conservé toutes les modifications qui avaient été opérées au Sénat sur l’initiative du Gouvernement ou avec son soutien, en particulier les 113 millions d’euros en faveur du département de Mayotte.

S’agissant des autres votes du Sénat, je me réjouis, d’abord, de la qualité des échanges que nous avons eus avec nos collègues de la commission des finances de l’Assemblée nationale, en particulier de ceux que j’ai eus avec mon homologue, Jean-René Cazeneuve. Nous partageons tous les deux, je le crois, le souci du bon usage de l’argent public ainsi que de la réduction des déficits publics.

C’est dans un esprit de responsabilité que nous avons rapproché nos positions afin de parvenir à un accord. Je tiens à souligner que celui-ci conserve toutes les enveloppes votées par le Sénat hier, en réduisant toutefois le montant de chacune d’entre elles. Il me semble néanmoins que l’accord ainsi scellé est à la fois équilibré et raisonnable.

Dans le détail, le texte final prévoit, par rapport au texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale, 20 millions d’euros supplémentaires à destination de la réfection des ponts des collectivités territoriales et 50 millions d’euros supplémentaires en faveur de la réfection des réseaux d’eau ; vous savez, mes chers collègues, que ces réseaux sont vétustes, avec des taux de fuites encore trop importants.

Nous sommes également convenus de 60 millions d’euros de crédits nouveaux pour soutenir la réfection des routes des collectivités territoriales. L’année dernière, nous avions voté une enveloppe de 50 millions d’euros avec le même objectif, mais l’État en avait détourné l’usage en faveur des routes nationales. C’est pourquoi la commission mixte paritaire a décidé, plutôt que de faire figurer ces crédits dans la mission « Écologie, développement et mobilité durables », de les faire porter sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Nous attendons du Gouvernement, monsieur le ministre, qu’il s’engage à ce que ces crédits soient bien, cette fois, dépensés au profit des collectivités territoriales.

Nous nous sommes également mis d’accord sur une enveloppe d’urgence supplémentaire de 15 millions d’euros pour l’Arménie, au regard notamment de la situation du Haut-Karabagh. Comme l’ensemble des Français, notre assemblée y est attachée.

En outre, 20 millions d’euros supplémentaires seront alloués à l’aide alimentaire. Ces crédits s’ajoutent à la même somme, déjà votée à l’Assemblée nationale, pour constituer une enveloppe totale de 40 millions d’euros. C’est important et ce n’est malheureusement pas de trop, compte tenu des alertes qui nous sont parvenues.

Par ailleurs, 4 millions d’euros abonderont le budget de l’IGN, l’Institut national de l’information géographique et forestière, sur l’initiative de notre collègue Vincent Capo-Canellas.

Enfin, une enveloppe de 35 millions d’euros, en autorisations d’engagement uniquement, suffira à permettre la réouverture de la ligne nationale de train d’équilibre du territoire Metz-Nancy-Dijon-Lyon, en complément d’une participation, à hauteur de 50 %, des collectivités territoriales. Je rappelle que c’est de la même manière qu’avait été financée la ligne à grande vitesse Grand Est.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter les conclusions de la commission mixte paritaire, telles que modifiées par les amendements du Gouvernement, qui visent simplement à tirer les conséquences de l’accord que nous avons obtenu, en levant les gages. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous retrouver pour la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances de fin de gestion pour l’année 2023.

L’aboutissement de ce texte est le fruit d’un travail intense et en confiance avec le Parlement.

Tout comme en première lecture, le projet de loi qui vous est présenté aujourd’hui est un texte financier qui se concentre sur la réaffectation des crédits votés dans la loi de finances initiale et qui tire les conséquences budgétaires des aléas intervenus au cours de l’année. Nous ne touchons pas à son équilibre global.

M. Pascal Savoldelli. Ouf ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Ainsi, le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 permet de confirmer les prévisions contenues dans la loi de finances initiale concernant notre croissance et notre déficit.

Face à la crise, nos entreprises ont tenu. Elles ont continué de produire et de se développer. Cela nous permet d’afficher, en 2023, un taux de croissance de 1 %, supérieur au taux moyen européen ainsi qu’au taux de croissance de plusieurs de nos voisins qui se trouvent aujourd’hui, hélas ! en récession.

Notre stratégie de lutte contre l’inflation et de protection des entreprises et des ménages face à l’augmentation des coûts de l’énergie a fonctionné. L’inflation sera, certes, supérieure à nos prévisions initiales, mais elle baissera de 0,3 point par rapport à 2022, pour s’établir à 4,9 % en 2023. Les derniers chiffres du mois d’octobre font état d’une inflation retombée à 4 %. La baisse de l’inflation devrait se poursuivre de façon marquée en 2024 : elle ne devrait plus être que de 2,6 %.

Notre stratégie a également permis de contenir le déficit public. Le niveau de celui-ci – 4,9 % – est légèrement inférieur à la prévision de la loi de finances initiale. C’est une bonne nouvelle pour nos finances publiques. Avec la hausse des taux d’intérêt, chaque euro de dette supplémentaire nous coûte plus cher. Cette augmentation des taux nous conduit d’ailleurs à ouvrir 3,8 milliards d’euros de crédits supplémentaires pour faire face à la hausse de la charge de la dette.

Nous allons poursuivre dans cette voie de réduction progressive et déterminée du déficit public. La Première ministre a lancé, la semaine dernière, avec l’ensemble des ministres, une première vague de revues des dépenses pour 2024 et 2025.

Comme je l’ai dit, ce texte permet d’adapter notre budget aux événements survenus au cours de l’année. Il permet aussi à la France de respecter ses engagements vis-à-vis de ses partenaires et vis-à-vis des Français.

Concernant nos armées, d’abord, nous augmentons les crédits destinés à la mission « Défense » : 2,1 milliards d’euros seront consacrés au soutien militaire à l’Ukraine et à la modernisation de notre armée.

Plus de la moitié de ces crédits supplémentaires permettent une anticipation de la loi de programmation militaire, que le Sénat a soutenue.

Sur ce sujet, l’Assemblée nationale a souhaité aller plus loin. Nous avons soutenu la proposition transpartisane visant à prolonger le fonds spécial créé en fin d’année 2022 afin de soutenir l’Ukraine, pour un montant de 200 millions d’euros.

Ce texte nous permet également de renforcer notre soutien au monde agricole, frappé par les crises de ces dernières années. Le soutien à l’agriculture est un enjeu majeur pour les territoires ruraux. C’est également un enjeu central pour notre souveraineté, qui est essentielle dans le contexte d’instabilité que nous connaissons. Nous devons préserver notre modèle et soutenir, toujours et partout, notre ruralité.

Ces deux dernières années, l’épidémie de grippe aviaire a touché de nombreuses exploitations. C’est pourquoi le projet de loi qui vous est présenté, mesdames, messieurs les sénateurs, procède à une augmentation de 800 millions d’euros des crédits du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, destinée au dédommagement des exploitations touchées par cette épidémie.

Sur un sujet voisin, le travail parlementaire nous a également conduits à ouvrir 20 millions d’euros de crédits pour soutenir la filière vitivinicole, durement frappée par le mildiou.

Un amendement nous a aussi permis de consacrer 5 millions d’euros supplémentaires au soutien à l’agriculture biologique, durement touchée par l’inflation.

Nous avons proposé l’ouverture de 400 millions d’euros pour soutenir les exonérations de cotisations patronales dans les territoires d’outre-mer. Si le chômage a largement baissé dans ces territoires, il y reste plus élevé qu’en métropole. Nous devons poursuivre notre politique de réduction du coût du travail.

Encore une fois, le travail parlementaire a permis d’enrichir le texte dans le domaine du soutien aux territoires.

Face aux difficultés que traversent la Martinique, la Guadeloupe et Saint-Martin, les fonds alloués au plan Sargasses II ont été renforcés. Nous avons également soutenu la reconduction de la dotation de solidarité territoriale pour la collectivité de Corse.

Le projet de loi permet aussi d’ouvrir des crédits à destination des personnes les plus fragiles.

Ainsi, le Gouvernement a souhaité augmenter le budget du ministère des solidarités et des familles afin de tenir compte de l’augmentation du nombre de bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés et de la prime d’activité.

Le texte a également été enrichi, à l’Assemblée nationale, de plusieurs dispositifs dans ce domaine. Nous avons soutenu la majoration de la prime de Noël pour les familles monoparentales les plus précaires. La première lecture y a aussi permis la mise en place d’une aide, dotée de 20 millions d’euros supplémentaires, visant à soutenir les associations d’aide alimentaire pour leur permettre de faire face à la crise.

Les conclusions de la commission mixte paritaire ne reviennent pas sur ces avancées majeures.

Le travail du Sénat a également permis d’enrichir largement le texte. Je tiens à saluer ici les propositions du rapporteur général, M. Jean-François Husson.

Concernant, d’abord, l’aménagement du territoire, votre travail a grandement contribué à améliorer le texte, mesdames, messieurs les sénateurs.

Ainsi, 50 millions d’euros supplémentaires seront destinés à améliorer l’entretien des réseaux d’eau, afin de limiter les fuites. C’est un enjeu primordial pour la transition écologique. Je soutiens pleinement cette avancée.

Vous avez également souhaité renforcer les crédits destinés à l’entretien des réseaux routiers et des ponts routiers, répondant ainsi à une attente des collectivités territoriales. L’entretien de nos routes est un enjeu de sécurité publique.

Sur l’initiative du sénateur Vincent Capo-Canellas, un amendement a été adopté par la commission mixte paritaire pour renforcer le financement de l’IGN.

M. Emmanuel Capus. Excellent !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Le texte issu de la commission mixte paritaire permet d’aller plus loin en matière d’aide aux banques alimentaires : 20 millions d’euros supplémentaires sont désormais prévus dans le texte.

Enfin, nous avons soutenu votre initiative visant à soutenir l’Arménie et le Haut-Karabagh.

Les crédits supplémentaires votés dans ce texte ne dégradent pas notre trajectoire en matière de déficit ; celui-ci est maintenu à 4,9 %.

Cela est permis par l’exécution prudente et sérieuse du budget issu de la loi de finances initiale. Ainsi, les dépenses supplémentaires sont compensées par des annulations de crédits dans les budgets des ministères : 5,2 milliards d’euros d’annulations s’ajoutent aux 5 milliards d’euros déjà annulés par décret en septembre dernier.

S’agissant, enfin, de la masse salariale des ministères, c’est aussi le principe de la gestion prudente qui a prévalu, puisque nous avons pu, de manière globale, mettre en œuvre les mesures de revalorisation salariale annoncées en juin 2023 sans augmenter les dépenses de personnel des ministères.

Ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est le fruit d’une concertation entre le Gouvernement et chacune des chambres du Parlement.

Il permet de répondre à des engagements auxquels je vous sais attachés. C’est pourquoi je souhaite que vous adoptiez les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte, en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

En conséquence, le vote sur les amendements et sur les articles est réservé.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023

Examen des conclusions de la commission mixte paritaire
Dossier législatif : projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023
Article 1er bis

Article liminaire

Les prévisions de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques, les prévisions de solde par sous-secteur, la prévision, déclinée par sous-secteur d’administration publique, de l’objectif d’évolution en volume et la prévision en milliards d’euros courants des dépenses des administrations publiques, les prévisions de prélèvements obligatoires, de dépenses et d’endettement de l’ensemble des administrations pour l’année 2023, les prévisions pour 2023 de ces mêmes agrégats du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 ainsi que les données d’exécution pour l’année 2022 s’établissent comme suit :

 

(En points de produit intérieur brut, sauf mention contraire)

Loi de finances de fin de gestion pour 2023

PLPFP 2023-2027

2022

2023

2023

Ensemble des administrations publiques

Solde structurel (en points de PIB potentiel) (1)

-4,2

-4,1

-4,1

Solde conjoncturel (2)

-0,5

-0,7

-0,7

Solde des mesures ponctuelles et temporaires (en points de PIB potentiel) (3)

-0,1

-0,1

-0,1

Solde effectif (1 + 2 + 3)

-4,8

-4,9

-4,9

Dette au sens de Maastricht

111,8

109,7

109,7

Taux de prélèvements obligatoires (y compris Union européenne, nets des crédits d’impôt)

45,4

44,0

44,0

Dépense publique (hors crédits d’impôt)

57,7

55,8

55,9

Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros)

1 523

1 574

1 575

Évolution de la dépense publique hors crédits d’impôt en volume (en %) *

-1,1

-1,4

-1,3

Principales dépenses d’investissement (en milliards d’euros) **

25

25

Administrations publiques centrales

Solde

-5,2

-5,3

-5,4

Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros)

625

630

631

Évolution de la dépense publique en volume (en %) ***

-0,1

-3,8

-3,6

Administrations publiques locales

Solde

0,0

-0,3

-0,3

Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros)

295

312

312

Évolution de la dépense publique en volume (en %) ***

0,1

1,0

1,0

Administrations de sécurité sociale

Solde

0,4

0,7

0,7

Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros)

704

730

730

Évolution de la dépense publique en volume (en %) ***

-2,4

-0,5

-0,5

* À champ constant.

** Au sens de la loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027.

*** À champ constant, hors transferts entre administrations publiques.

 

PREMIÈRE PARTIE

CONDITIONS GÉNÉRALES DE L’ÉQUILIBRE FINANCIER

TITRE Ier

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES

˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙

Article liminaire
Dossier législatif : projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023
Article 4

Article 1er bis

Par dérogation à l’article L. 421-10 du code des assurances, au titre de l’année 2023, le produit des contributions mentionnées au même article L. 421-10 est affecté au fonds de garantie des assurances obligatoires prévu à l’article L. 421-1 du même code, selon les mêmes modalités que la contribution prévue au 2° de l’article L. 421-4-1 dudit code, à hauteur de 65 millions d’euros.

˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙

TITRE II

DISPOSITIONS RELATIVES À L’ÉQUILIBRE DES RESSOURCES ET DES CHARGES

Article 1er bis
Dossier législatif : projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023
Article 5

Article 4

I. – Pour 2023, l’ajustement des ressources tel qu’il résulte des évaluations révisées figurant à l’état A annexé à la présente loi et la variation des charges du budget de l’État sont fixés aux montants suivants :

 

(En millions deuros *)

Ressources (1), dont fonctionnement (2) et investissement (3)

Charges (1), dont fonctionnement (2) et investissement (3)

Solde

1

2

3

1

2

3

Budget général

Recettes fiscales** / dépenses***

+2 417

+2 417

-

+4 293

+3 493

+801

Recettes non fiscales

-4 402

-2 531

-1 871

-

-

-

Recettes totales nettes / dépenses nettes

-1 985

-114

-1 871

+4 293

+3 493

+801

À déduire : Prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales et de lUnion européenne

-1 124

-1 124

Montants nets pour le budget général

-861

+1 009

-1 871

+4 293

+3 493

+801

-5 155

Évaluation des fonds de concours et crédits correspondants

-

-

-

-

-

-

Montants nets pour le budget général, y compris fonds de concours

-861

+1 009

-1 871

+4 293

+3 493

+801

Budgets annexes

Contrôle et exploitation aériens

+71

+71

-

-13

-5

-8

+84

Publications officielles et information administrative

-

-

-

-2

-2

-

+2

Totaux pour les budgets annexes

+71

+71

-

-15

-7

-8

+85

Évaluation des fonds de concours et crédits correspondants :

- Contrôle et exploitation aériens

-

-

-

-

-

-

- Publications officielles et information administrative

-

-

-

-

-

-

Totaux pour les budgets annexes, y compris fonds de concours

+71

+71

-

-15

-7

-8

Comptes spéciaux

Comptes d’affectation spéciale

-3 741

+148

-3 889

+178

+178

-

-3 919

Comptes de concours financiers

+184

-

+184

-537

-

-537

+721

Comptes de commerce (solde)

+951

Comptes d’opérations monétaires (solde)

-

Solde pour les comptes spéciaux

-2 247

Solde général

-7 317

* Les montants figurant dans le présent tableau sont arrondis au million deuros le plus proche ; il résulte de lapplication de ce principe que le montant arrondi des totaux et sous-totaux peut ne pas être égal à la somme des montants arrondis entrant dans son calcul.

** Recettes fiscales brutes, minorées des remboursements et dégrèvements dimpôts dÉtat (cf. état B, mission “Remboursements et dégrèvements”, programme 200).

*** Dépenses budgétaires brutes, minorées des remboursements et dégrèvements dimpôts dÉtat (cf. état B, mission “Remboursements et dégrèvements”, programme 200).

 

II. – Pour 2023 :

1° Les ressources et les charges de trésorerie qui concourent à la réalisation de l’équilibre financier sont évaluées comme suit :

 

(En milliards deuros)

Besoin de financement

Amortissement de la dette à moyen et long termes

149,6

Dont remboursement du nominal à valeur faciale

144,5

Dont suppléments d’indexation versés à l’échéance (titres indexés)

5,1

Amortissement de la dette reprise de SNCF Réseau

2,2

Amortissement des autres dettes reprises

0,9

Déficit budgétaire

171,1

Autres besoins de trésorerie

-14,5

Total

309,3

Ressources de financement

Émission de dette à moyen et long termes, nette des rachats

270,0

Ressources affectées à la Caisse de la dette publique et consacrées au désendettement

6,6

Variation nette de l’encours des titres d’État à court terme

20,0

Variation des dépôts des correspondants

0,0

Variation des disponibilités du Trésor à la Banque de France et des placements de trésorerie de l’État

31,1

Autres ressources de trésorerie

-18,4

Total

309,3

;

 

2° Le plafond de la variation nette, appréciée en fin d’année et en valeur nominale, de la dette négociable de l’État d’une durée supérieure à un an demeure inchangé.

III. – Pour 2023, le plafond d’autorisation des emplois rémunérés par l’État, exprimé en équivalents temps plein travaillé, est porté à 1 961 289.

État A

VOIES ET MOYENS POUR 2023 RÉVISÉS

I. – BUDGET GÉNÉRAL

(En euros)

Numéro de ligne

Intitulé de la recette

Révision des évaluations pour 2023

1. Recettes fiscales

11. Impôt net sur le revenu

+2 670 683 451

1101

Impôt net sur le revenu

+2 670 683 451

12. Autres impôts directs perçus par voie démission de rôles

-288 000 000

1201

Autres impôts directs perçus par voie d’émission de rôles

-288 000 000

13. Impôt net sur les sociétés

+6 019 125 326

1301

Impôt net sur les sociétés

+6 019 125 326

13 bis. Contribution sociale sur les bénéfices des sociétés

+13 934 208

1302

Contribution sociale sur les bénéfices des sociétés

+13 934 208

13 ter. Contribution de la Caisse des dépôts et consignations représentative de limpôt sur les sociétés

+125 000 000

1303

Contribution de la Caisse des dépôts et consignations représentative de l’impôt sur les sociétés

+125 000 000

14. Autres impôts directs et taxes assimilées

+1 424 922 614

1401

Retenues à la source sur certains bénéfices non commerciaux et de l’impôt sur le revenu

+253 395 071

1402

Retenues à la source et prélèvements sur les revenus de capitaux mobiliers et le prélèvement sur les bons anonymes

+182 860 000

1404

Précompte dû par les sociétés au titre de certains bénéfices distribués (loi n° 65-566 du 12 juillet 1965, art. 3)

+170 000 000

1406

Impôt sur la fortune immobilière

+90 000 000

1407

Taxe sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux et de stockage

+15 000 000

1408

Prélèvements sur les entreprises d’assurance

+92 814 486

1410

Cotisation minimale de taxe professionnelle

+434 490

1411

Cotisations perçues au titre de la participation des employeurs à l’effort de construction

+8 633 288

1412

Taxe de participation des employeurs au financement de la formation professionnelle continue

+12 311 082

1413

Taxe forfaitaire sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d’art, de collection et d’antiquité

+19 383 898

1416

Taxe sur les surfaces commerciales

+11 144 143

1421

Cotisation nationale de péréquation de taxe professionnelle

-442 371

1427

Prélèvements de solidarité

+155 405 255

1430

Taxe sur les services numériques

+30 467 507

1431

Taxe d’habitation sur les résidences principales

-155 125 617

1497

Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (affectation temporaire à l’État en 2010)

+382 397 713

1499

Recettes diverses

+156 243 669

15. Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques nette

-173 435 332

1501

Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques nette

-173 435 332

16. Taxe sur la valeur ajoutée nette

+1 943 008 061

1601

Taxe sur la valeur ajoutée nette

+1 943 008 061

17. Enregistrement, timbre, autres contributions et taxes indirectes

-8 245 239 475

1701

Mutations à titre onéreux de créances, rentes, prix d’offices

-4 000 000

1702

Mutations à titre onéreux de fonds de commerce

+32 335 594

1704

Mutations à titre onéreux d’immeubles et droits immobiliers

-20 626 652

1705

Mutations à titre gratuit entre vifs (donations)

+290 000 000

1706

Mutations à titre gratuit par décès

+1 356 510 762

1707

Contribution de sécurité immobilière

-15 007 580

1711

Autres conventions et actes civils

-43 560 868

1713

Taxe de publicité foncière

-57 084 380

1714

Prélèvement sur les sommes versées par les organismes d’assurances et assimilés à raison des contrats d’assurances en cas de décès

+10 400 409

1716

Recettes diverses et pénalités

-42 116 560

1721

Timbre unique

+65 253 015

1726

Produit de la taxe additionnelle à la taxe sur les certifications d’immatriculation des véhicules

-3 684 814

1752

Contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité

-9 520 000 000

1753

Autres taxes intérieures

-384 042 428

1754

Autres droits et recettes accessoires

-1 482 834

1755

Amendes et confiscations

+96 436

1756

Taxe générale sur les activités polluantes

+691 000 000

1761

Taxe et droits de consommation sur les tabacs

+17 610 000

1768

Taxe spéciale sur certains véhicules routiers

-19 170 371

1769

Autres droits et recettes à différents titres

+124 710 033

1776

Redevances sanitaires d’abattage et de découpage

-3 052 889

1777

Taxe sur certaines dépenses de publicité

-370 000

1781

Taxe sur les installations nucléaires de base

-290 000

1782

Taxes sur les stations et liaisons radioélectriques privées

-427 688

1785

Produits des jeux exploités par la Française des jeux (hors paris sportifs)

-1 695 210

1786

Prélèvements sur le produit des jeux dans les casinos

+154 693 062

1787

Prélèvement sur le produit brut des paris hippiques

+23 666 002

1788

Prélèvement sur les paris sportifs

-273 397 263

1789

Prélèvement sur les jeux de cercle en ligne

+8 087 616

1797

Taxe sur les transactions financières

-612 000 000

1799

Autres taxes

-17 592 867

18. Autres remboursements et dégrèvements dimpôts dÉtat

-1 073 340 481

Remboursements et dégrèvements d’impôts d’État, autres que ceux s’appliquant à l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques et la taxe sur la valeur ajoutée

-1 073 340 481

2. Recettes non fiscales

21. Dividendes et recettes assimilées

-2 461 601 064

2110

Produits des participations de l’État dans des entreprises financières

-3 358 666 165

2116

Produits des participations de l’État dans des entreprises non financières et bénéfices des établissements publics non financiers

+823 035 101

2199

Autres dividendes et recettes assimilées

+74 030 000

22. Produits du domaine de lÉtat

-807 340 820

2201

Revenus du domaine public non militaire

-839 000 000

2202

Autres revenus du domaine public

+1 686 718

2203

Revenus du domaine privé

+29 972 462

23. Produits de la vente de biens et services

-231 978 370

2301

Remboursement par l’Union européenne des frais d’assiette et de perception des impôts et taxes perçus au profit de son budget

+4 333 334

2303

Autres frais d’assiette et de recouvrement

-127 226 809

2304

Rémunération des prestations assurées par les services du Trésor public au titre de la collecte de l’épargne

+46 503 515

2305

Produits de la vente de divers biens

+34 332

2306

Produits de la vente de divers services

+1 377 258

2399

Autres recettes diverses

-157 000 000

24. Remboursements et intérêts des prêts, avances et autres immobilisations financières

+590 814 227

2401

Intérêts des prêts à des banques et à des États étrangers

+146 396 235

2402

Intérêts des prêts du fonds de développement économique et social

+10 000 000

2403

Intérêts des avances à divers services de l’État ou organismes gérant des services publics

+43 700 000

2409

Intérêts des autres prêts et avances

+4 890 000

2411

Avances remboursables sous conditions consenties à l’aviation civile

-6 387 095

2412

Autres avances remboursables sous conditions

-136 929

2413

Reversement au titre des créances garanties par l’État

-5 400 000

2499

Autres remboursements d’avances, de prêts et d’autres créances immobilisées

+397 752 016

25. Amendes, sanctions, pénalités et frais de poursuites

-32 903 025

2501

Produits des amendes de la police de la circulation et du stationnement routiers

-21 712 294

2502

Produits des amendes prononcées par les autorités de la concurrence

-463 000 000

2503

Produits des amendes prononcées par les autres autorités administratives indépendantes

+172 000 000

2504

Recouvrements poursuivis à l’initiative de l’agence judiciaire de l’État

+1 122 498

2505

Produit des autres amendes et condamnations pécuniaires

+277 950 000

2510

Frais de poursuite

+1 062 289

2511

Frais de justice et d’instance

-30 530

2512

Intérêts moratoires

-56 766

2513

Pénalités

-238 222

26. Divers

-1 458 771 220

2602

Reversements au titre des procédures de soutien financier au commerce extérieur

-30 479 196

2603

Prélèvements sur les fonds d’épargne gérés par la Caisse des dépôts et consignations

+297 000 000

2604

Divers produits de la rémunération de la garantie de l’État

+139 000 000

2611

Produits des chancelleries diplomatiques et consulaires

+52 933 750

2612

Redevances et divers produits pour frais de contrôle et de gestion

+5 411 313

2613

Prélèvement effectué sur les salaires des conservateurs des hypothèques

-16 231

2615

Commissions et frais de trésorerie perçus par l’État dans le cadre de son activité régalienne

-74 001

2616

Frais d’inscription

-3 077 684

2617

Recouvrement des indemnisations versées par l’État au titre des expulsions locatives

-61 321

2618

Remboursement des frais de scolarité et accessoires

-499 971

2620

Récupération d’indus

+37 050 324

2621

Recouvrements après admission en non-valeur

-11 680 000

2622

Divers versements de l’Union européenne

-2 115 500 000

2623

Reversements de fonds sur les dépenses des ministères ne donnant pas lieu à rétablissement de crédits

-5 641 340

2624

Intérêts divers (hors immobilisations financières)

+942 658

2625

Recettes diverses en provenance de l’étranger

+9 067 203

2626

Remboursement de certaines exonérations de taxe foncière sur les propriétés non bâties (art. 109 de la loi de finances pour 1992)

+28 769

2697

Recettes accidentelles

+116 780 000

2699

Autres produits divers

+50 044 507

3. Prélèvements sur les recettes de lÉtat

32. Prélèvement sur les recettes de lÉtat au profit de lUnion européenne

-1 123 764 433

3201

Prélèvement sur les recettes de l’État au profit du budget de l’Union européenne

-1 123 764 433

 

RÉCAPITULATION DES RÉVISIONS DE RECETTES DU BUDGET GÉNÉRAL

(En euros)

Intitulé de la recette

Révision des évaluations pour 2023

1. Recettes fiscales

+2 416 658 372

11. Impôt net sur le revenu

+2 670 683 451

12. Autres impôts directs perçus par voie d’émission de rôles

-288 000 000

13. Impôt net sur les sociétés

+6 019 125 326

13 bis. Contribution sociale sur les bénéfices des sociétés

+13 934 208

13 ter. Contribution de la Caisse des dépôts et consignations représentative de l’impôt sur les sociétés

+125 000 000

14. Autres impôts directs et taxes assimilées

+1 424 922 614

15. Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques nette

-173 435 332

16. Taxe sur la valeur ajoutée nette

+1 943 008 061

17. Enregistrement, timbre, autres contributions et taxes indirectes

-8 245 239 475

18. Autres remboursements et dégrèvements d’impôts d’État

-1 073 340 481

2. Recettes non fiscales

-4 401 780 272

21. Dividendes et recettes assimilées

-2 461 601 064

22. Produits du domaine de l’État

-807 340 820

23. Produits de la vente de biens et services

-231 978 370

24. Remboursements et intérêts des prêts, avances et autres immobilisations financières

+590 814 227

25. Amendes, sanctions, pénalités et frais de poursuites

-32 903 025

26. Divers

-1 458 771 220

3. Prélèvements sur les recettes de lÉtat

-1 123 764 433

32. Prélèvement sur les recettes de l’État au profit de l’Union européenne

-1 123 764 433

Total des révisions de recettes, nettes des prélèvements (1 + 2 - 3)

-861 357 467

 

II. – BUDGETS ANNEXES

(En euros)

Numéro de ligne

Intitulé de la recette

Révision des évaluations pour 2023

Contrôle et exploitation aériens

+70 893 765

7061

Redevances de route

+5 140 000

7062

Redevance océanique et redevances pour services terminaux de la circulation aérienne en outre-mer

-2 030 000

7063

Redevances pour services terminaux de la circulation aérienne pour la métropole

+10 700 000

7064

Tarif de l’aviation civile (part de la taxe sur le transport aérien de marchandises et de la taxe sur le transport aérien de passagers) (ligne nouvelle)

+39 721 718

7068

Contribution Bâle-Mulhouse

0

7781

Produits exceptionnels hors cessions

+19 362 047

9200

Produit de cession d’actif

-2 000 000

Total

+70 893 765

 

III. – COMPTES D’AFFECTATION SPÉCIALE

(En euros)

Numéro de ligne

Intitulé de la recette

Révision des évaluations pour 2023

Contrôle de la circulation et du stationnement routiers

+164 035 904

Section : Circulation et stationnement routiers

+164 035 904

04

Amendes forfaitaires de la police de la circulation et amendes forfaitaires majorées issues des infractions constatées par la voie du système de contrôle-sanction automatisé et des infractions aux règles de la police de la circulation

+164 035 904

Gestion du patrimoine immobilier de lÉtat

-30 000 000

01

Produits des cessions immobilières

-30 000 000

Participations financières de lÉtat

-3 889 189 997

01

Produit des cessions, par l’État, de titres, parts ou droits de sociétés détenus directement

+227 810 003

03

Reversement de dotations en capital et de produits de réduction de capital ou de liquidation

-29 000 000

05

Remboursements de créances liées à d’autres investissements, de l’État, de nature patrimoniale

+10 000 000

06

Versement du budget général

-4 098 000 000

Pensions

+14 292 392

Section : Pensions militaires dinvalidité et des victimes de guerre et autres pensions

+14 292 392

81

Financement de la retraite du combattant : participation du budget général

+13 004 924

87

Financement des pensions militaires d’invalidité : participation du budget général

+1 287 468

Total

-3 740 861 701

 

IV. – COMPTES DE CONCOURS FINANCIERS

(En euros)

Numéro de ligne

Intitulé de la recette

Révision des évaluations pour 2023

Avances à laudiovisuel public

-18 864 058

01

Recettes

-18 864 058

Avances aux collectivités territoriales

+803 720 772

Section : Avances sur le montant des impositions revenant aux régions, départements, communes, établissements et divers organismes

+803 720 772

05

Recettes diverses

-53 972 541

09

Taxe d’habitation et taxes annexes

+23 712 972

10

Taxes foncières et taxes annexes

+829 063 989

11

Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises

+20 678 171

12

Cotisation foncière des entreprises et taxes annexes

-15 761 819

Prêts à des États étrangers

+ 1 138 258 779

Section : Prêts à des États étrangers en vue de faciliter la vente de biens et de services concourant au développement du commerce extérieur de la France

-6 788 670

01

Remboursement des prêts accordés à des États étrangers en vue de faciliter la vente de biens et de services concourant au développement du commerce extérieur de la France

-6 788 670

Section : Prêts à des États étrangers pour consolidation de dettes envers la France

+4 562 955

02

Remboursement de prêts du Trésor

+4 562 955

Section : Prêts aux États membres de la zone euro

+ 1 140 484 494

04

Remboursement des prêts consentis aux États membres de l’Union européenne dont la monnaie est l’euro

+ 1 140 484 494

Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés

-439 000 000

Section : Prêts pour le développement économique et social

-439 000 000

12

Prêts octroyés dans le cadre des programmes d’investissement d’avenir

-439 000 000

Prêts et avances à divers services de lÉtat ou organismes gérant des services publics

-1 300 274 381

01

Remboursement des avances octroyées au titre du préfinancement des aides communautaires de la politique agricole commune

-1 300 000 000

03

Remboursement des avances octroyées à des organismes distincts de l’État et gérant des services publics

-274 381

Total

+183 841 112

 

SECONDE PARTIE

MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

TITRE IER

AUTORISATIONS BUDGÉTAIRES POUR 2023. – CRÉDITS DES MISSIONS

I. – Autorisation des crédits des missions

Article 4
Dossier législatif : projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023
Article 4

Article 5

I. – Il est ouvert aux ministres, pour 2023, au titre du budget général, des autorisations d’engagement et des crédits de paiement supplémentaires s’élevant respectivement aux montants de 23 653 114 391 € et de 22 098 646 422 €, conformément à la répartition par mission donnée à l’état B annexé à la présente loi.

II. – Il est annulé pour 2023, au titre du budget général, des autorisations d’engagement et des crédits de paiement s’élevant respectivement aux montants de 5 348 413 583 € et de 5 315 780 825 €, conformément à la répartition par mission donnée à l’état B annexé à la présente loi.

État B

RÉPARTITION DES CRÉDITS POUR 2023 OUVERTS ET ANNULÉS, PAR MISSION ET PROGRAMME, AU TITRE DU BUDGET GÉNÉRAL

BUDGET GÉNÉRAL

(En euros)

Mission / Programme

Autorisations dengagement supplémentaires ouvertes

Crédits de paiement supplémentaires ouverts

Autorisations dengagement annulées

Crédits de paiement annulés

Action extérieure de lÉtat

72 909 172

82 952 712

Action de la France en Europe et dans le monde

55 000 000

65 000 000

Diplomatie culturelle et d’influence

15 900 000

15 900 000

Français à l’étranger et affaires consulaires

2 009 172

2 052 712

Administration générale et territoriale de lÉtat

15 000 000

15 000 000

6 020 712

9 518 526

Administration territoriale de l’État

5 000 000

5 000 000

Vie politique

6 020 712

9 518 526

Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur

10 000 000

10 000 000

Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales

937 349 467

856 326 896

13 876 077

20 194 046

Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt

642 177 375

574 535 660

Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation

289 172 092

275 791 236

Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture

13 876 077

20 194 046

dont titre 2 (ligne nouvelle)

7 581 219

7 581 219

Allégements du coût du travail en agriculture (TODE-AG)

6 000 000

6 000 000

Aide publique au développement

76 854 445

490 132 066

274 500 000

Aide économique et financière au développement

76 854 445

222 391 484

Solidarité à l’égard des pays en développement

267 740 582

274 500 000

Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation

14 000 000

14 000 000

9 958 386

9 958 386

Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant, mémoire et liens avec la Nation

14 000 000

14 000 000

Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la seconde guerre mondiale

9 958 386

9 958 386

Cohésion des territoires

218 740 535

218 740 535

128 299 169

138 487 258

Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables

218 740 535

218 740 535

Aide à l’accès au logement

70 227 800

70 227 800

Urbanisme, territoires et amélioration de l’habitat

20 184 553

35 846 553

Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire

18 987 008

14 968 609

Politique de la ville

13 750 584

13 750 584

Interventions territoriales de l’État

5 149 224

3 693 712

Conseil et contrôle de lÉtat

21 732 917

11 050 650

Conseil d’État et autres juridictions administratives

19 682 267

9 000 000

Conseil économique, social et environnemental

550 650

550 650

Cour des comptes et autres juridictions financières

1 500 000

1 500 000

Crédits non répartis

100 000 000

100 000 000

350 000 000

200 000 000

Provision relative aux rémunérations publiques

100 000 000

100 000 000

dont titre 2

100 000 000

100 000 000

Dépenses accidentelles et imprévisibles

350 000 000

200 000 000

Culture

29 069 210

28 054 218

13 426 669

29 827 011

Patrimoines

3 205 851

11 894 034

Création

10 220 818

17 932 977

Transmission des savoirs et démocratisation de la culture

26 069 210

26 069 210

Soutien aux politiques du ministère de la culture

3 000 000

1 985 008

Défense

2 714 500 000

2 375 000 000

104 500 000

65 000 000

Environnement et prospective de la politique de défense

64 500 000

65 000 000

Préparation et emploi des forces

1 565 300 000

1 544 000 000

Soutien de la politique de la défense

60 000 000

40 000 000

Équipement des forces

1 149 200 000

771 000 000

Direction de laction du Gouvernement

47 969 736

26 341 711

Coordination du travail gouvernemental

45 658 110

23 882 426

Protection des droits et libertés

2 311 626

2 459 285

Écologie, développement et mobilité durables

88 254 007

64 409 414

950 596 110

1 365 874 774

Infrastructures et services de transports

29 000 000

85 195 487

Affaires maritimes, pêche et aquaculture

39 796 468

18 852 942

Paysages, eau et biodiversité

44 457 539

41 556 472

Expertise, information géographique et météorologie

2 207 443

2 207 443

Prévention des risques

23 000 000

58 000 000

Énergie, climat et après-mines

885 266 868

1 162 321 217

Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement et de la mobilité durables

11 121 799

8 150 627

Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État (crédits évaluatifs)

4 000 000

4 000 000

Fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires

50 000 000

Économie

329 831 392

441 449 120

Développement des entreprises et régulations

321 345 978

422 814 783

Plan “France Très haut débit”

9 121 475

Statistiques et études économiques

4 522 698

3 153 977

Stratégies économiques

3 962 716

6 358 885

Engagements financiers de lÉtat

3 829 000 000

3 829 000 000

509 156 368

528 059 877

Charge de la dette et trésorerie de l’État (crédits évaluatifs)

3 829 000 000

3 829 000 000

Appels en garantie de l’État (crédits évaluatifs)

490 883 695

490 883 695

Dotation du Mécanisme européen de stabilité

18 272 673

18 272 673

Fonds de soutien relatif aux prêts et contrats financiers structurés à risque

18 903 509

Enseignement scolaire

60 000 000

82 687 083

93 133 282

83 911 607

Enseignement scolaire public du premier degré

3 761 697

3 761 697

Enseignement scolaire public du second degré

7 575 073

7 575 073

Vie de l’élève

60 000 000

82 687 083

Enseignement privé du premier et du second degrés

11 163 550

11 163 550

Soutien de la politique de l’éducation nationale

49 632 962

40 411 287

Enseignement technique agricole

21 000 000

21 000 000

Gestion des finances publiques

1 390 148

64 180 954

82 134 834

Gestion fiscale et financière de l’État et du secteur public local

42 750 000

44 720 000

Conduite et pilotage des politiques économiques et financières

21 430 954

18 023 664

Facilitation et sécurisation des échanges

1 390 148

19 391 170

Immigration, asile et intégration

339 000 000

339 000 000

18 805 239

50 525 328

Immigration et asile

339 000 000

339 000 000

Intégration et accès à la nationalité française

18 805 239

50 525 328

Investir pour la France de 2030

9 100 000

9 100 000

9 100 000

9 100 000

Soutien des progrès de l’enseignement et de la recherche

9 100 000

9 100 000

Valorisation de la recherche

9 100 000

9 100 000

Justice

178 731 426

71 332 846

Administration pénitentiaire

40 091 149

25 081 285

Protection judiciaire de la jeunesse

13 089 141

23 799 395

Accès au droit et à la justice

7 593 582

7 593 582

Conduite et pilotage de la politique de la justice

117 684 501

14 826 731

Conseil supérieur de la magistrature

273 053

31 853

Médias, livre et industries culturelles

1 433 056

5 600 000

3 034 836

3 827 206

Presse et médias

1 433 056

5 600 000

Livre et industries culturelles

3 034 836

3 827 206

Outre-mer

524 488 339

535 362 487

Emploi outre-mer

409 188 339

433 362 487

Conditions de vie outre-mer

115 300 000

102 000 000

Recherche et enseignement supérieur

419 604 578

380 094 807

Formations supérieures et recherche universitaire

90 600 384

64 647 185

Vie étudiante

50 560 228

51 370 510

Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires

223 013 541

208 318 463

Recherche spatiale

30 487 146

30 487 146

Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables

17 943 279

17 943 279

Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle

728 224

Enseignement supérieur et recherche agricoles

7 000 000

6 600 000

Régimes sociaux et de retraite

2 171 308

2 171 308

188 867 380

188 867 380

Régimes sociaux et de retraite des transports terrestres

188 867 380

188 867 380

Régimes de retraite des mines, de la SEITA et divers

2 171 308

2 171 308

Relations avec les collectivités territoriales

172 285 476

146 202 524

116 704 257

113 621 305

Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements

116 704 257

113 621 305

Concours spécifiques et administration

112 285 476

86 202 524

Soutien à l’entretien du réseau routier local (ligne nouvelle)

60 000 000

60 000 000

Remboursements et dégrèvements

12 504 417 354

12 504 417 354

Remboursements et dégrèvements d’impôts d’État (crédits évaluatifs)

12 489 402 462

12 489 402 462

Remboursements et dégrèvements d’impôts locaux (crédits évaluatifs)

15 014 892

15 014 892

Santé

190 000 000

190 000 000

75 313 796

75 511 796

Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins

9 533 796

9 731 796

Protection maladie

65 780 000

65 780 000

Compensation à la Sécurité sociale du coût des dons de vaccins à des pays tiers et reversement des recettes de la Facilité pour la Relance et la Résilience (FRR) européenne au titre du volet “Ségur investissement” du plan national de relance et de résilience (PNRR)

190 000 000

190 000 000

Sécurités

85 000 000

218 206 424

10 000 000

Police nationale

45 000 000

89 250 000

Gendarmerie nationale

40 000 000

118 956 424

Sécurité et éducation routières

10 000 000

10 000 000

Solidarité, insertion et égalité des chances

574 081 272

573 720 158

35 096 707

41 053 448

Inclusion sociale et protection des personnes

440 874 180

440 873 821

Handicap et dépendance

133 207 092

132 846 337

Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales

35 096 707

41 053 448

Extension du “Ségur de la santé” aux personnels du secteur médico-social associatif (ligne supprimée)

Sport, jeunesse et vie associative

48 000 000

48 000 000

80 163 737

90 141 964

Sport

26 663 737

32 641 964

Jeunesse et vie associative

53 500 000

57 500 000

Jeux olympiques et paralympiques 2024

48 000 000

48 000 000

Transformation et fonction publiques

29 000 000

24 024 537

15 009 519

Performance et résilience des bâtiments de l’État et de ses opérateurs

29 000 000

Transformation publique

15 322 835

Innovation et transformation numériques

456 000

456 000

Fonction publique

8 245 702

14 553 519

Travail et emploi

1 251 834 219

775 037 656

897 434 714

Accès et retour à l’emploi

753 171 266

755 702 736

Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi

1 251 834 219

117 755 230

Amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail

13 046 390

14 496 748

Conception, gestion et évaluation des politiques de l’emploi et du travail

8 820 000

9 480 000

Total

23 653 114 391

22 098 646 422

5 348 413 583

5 315 780 825

 

˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙

II. – Plafonds des autorisations d’emplois

˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙

TITRE II

Autres dispositions. – Relations avec les collectivités territoriales

˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙

Mme la présidente. Nous allons maintenant examiner les amendements déposés par le Gouvernement.

article 4

Article 5
Dossier législatif : projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Rédiger ainsi le tableau de l’alinéa 2 :

(en millions deuros)

 

RESSOURCES

CHARGES

SOLDE

 

 

dont fonctionnement

dont fonctionnement

 

 

dont investissement

dont investissement

Budget général

 

 

 

 

 

 

 

Recettes fiscales** / dépenses***

+2 417

+2 417

-

+4 447

+3 647

+801

 

Recettes non fiscales

-4 402

-2 531

-1 871

-

-

-

 

Recettes totales nettes / dépenses nettes

-1 985

-114

-1 871

+4 447

+3 647

+801

 

À déduire : Prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales et de lUnion européenne

-1 124

-1 124

 

 

 

 

 

Montants nets pour le budget général

-861

+1 009

-1 871

+4 447

+3 647

+801

-5 309

Évaluation des fonds de concours et crédits correspondants

-

-

-

-

-

-

 

Montants nets pour le budget général, y compris fonds de concours

-861

+1 009

-1 871

+4 447

+3 647

+801

 

Budgets annexes

 

 

 

 

 

 

 

Contrôle et exploitation aériens

+71

+71

-

-13

-5

-8

+84

Publications officielles et information administrative

-

-

-

-2

-2

-

+2

Totaux pour les budgets annexes

+71

+71

-

-15

-7

-8

+85

Évaluation des fonds de concours et crédits correspondants :

 

 

 

 

 

 

 

Contrôle et exploitation aériens

-

-

-

-

-

-

 

Publications officielles et information administrative

-

-

-

-

-

-

 

Totaux pour les budgets annexes, y compris fonds de concours

+71

+71

-

-15

-7

-8

 

Comptes spéciaux

 

 

 

 

 

 

 

Comptes d’affectation spéciale

-3 741

+148

-3 889

+178

+178

-

-3 919

Comptes de concours financiers

+184

-

+184

-537

-

-537

+721

Comptes de commerce (solde)

 

 

 

 

 

 

+951

Comptes d’opérations monétaires (solde)

 

 

 

 

 

 

-

Solde pour les comptes spéciaux

 

 

 

 

 

 

-2 247

 

 

 

 

 

 

 

 

Solde général

 

 

 

 

 

 

-7 471

*Les montants figurant dans le présent tableau sont arrondis au million deuros le plus proche ; il résulte de lapplication de ce principe que le montant arrondi des totaux et sous-totaux peut ne pas être égal à la somme des montants arrondis entrant dans son calcul.

** Recettes fiscales brutes, minorées des remboursements et dégrèvements dimpôts dÉtat (cf. état B, mission « Remboursements et dégrèvements », programme 200).

*** Dépenses budgétaires brutes, minorées des remboursements et dégrèvements dimpôts dÉtat (cf. état B, mission « Remboursements et dégrèvements », programme 200).

II. – Rédiger ainsi le tableau de l’alinéa 5 :

(En milliards deuros)

Besoin de financement

Amortissement de la dette à moyen et long termes

149,6

Dont remboursement du nominal à valeur faciale

144,5

Dont suppléments dindexation versés à léchéance (titres indexés)

5,1

Amortissement de la dette reprise de SNCF Réseau

2,2

Amortissement des autres dettes reprises

0,9

Déficit budgétaire

171,2

Autres besoins de trésorerie

-14,5

Total

309,4

Ressources de financement

Émission de dette à moyen et long termes, nette des rachats

270,0

Ressources affectées à la Caisse de la dette publique et consacrées au désendettement

6,6

Variation nette de l’encours des titres d’État à court terme

20,0

Variation des dépôts des correspondants

0,0

Variation des disponibilités du Trésor à la Banque de France et des placements de trésorerie de l’État

31,2

Autres ressources de trésorerie

-18,4

Total

309,4

 ;

 

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Cet amendement du Gouvernement et les suivants tendent à relever le plafond d’autorisations de dépenses, en augmentant les crédits de 189 millions d’euros en autorisation d’engagement et de 154 millions d’euros en crédits de paiement par rapport au texte adopté par la commission mixte paritaire.

Ils visent à tirer ainsi les conséquences de plusieurs ouvertures gagées de crédits intervenues en première lecture au Sénat, puis en commission mixte paritaire.

Il s’agit, tout d’abord, de financer le soutien à certaines collectivités territoriales en vue de la réalisation de travaux routiers, dans un souci de sécurité et de bonne circulation sur les réseaux, pour un montant de 60 millions d’euros, au sein du programme 122 de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».

Ces crédits figureront dans une action budgétaire spécifique, monsieur le rapporteur général : nous pourrons donc en suivre l’exécution et garantir l’affectation exclusive des sommes aux travaux sur les routes des collectivités territoriales, conformément à la volonté des députés et sénateurs réunis en commission mixte paritaire.

Ensuite, plusieurs ouvertures concernent la mission « Écologie, développement et mobilité durables » : accélération de la rénovation des réseaux d’eau potable via l’action des agences de l’eau, pour 50 millions d’euros ; conduite de travaux sur les ponts routiers des collectivités territoriales les plus sensibles et soutien aux communes fragiles dans les investissements nécessaires à la réparation de leurs ouvrages, pour 20 millions d’euros ; financement de la convention relative à la desserte ferroviaire sur le trajet Nancy-Lyon, pour 35 millions d’euros en autorisations d’engagement ; enfin, majoration de la subvention pour charge de service public allouée à l’IGN, pour 4 millions d’euros.

Enfin, le renforcement des moyens accordés à l’aide alimentaire nous conduit à ouvrir 20 millions d’euros supplémentaires au sein de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

Les gages venaient minorer les crédits des programmes 119, 124, 174 et 205. Le Gouvernement a choisi de rétablir ces crédits, afin d’assurer la soutenabilité des programmes concernés et de rendre les amendements parlementaires pleinement opérants.

Point extrêmement important pour le Gouvernement, ces modifications n’entraînent aucune actualisation de l’article liminaire : le déficit demeure inchangé, à un niveau de 4,9 % du PIB.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite donc à adopter ces amendements visant à tirer les conséquences de l’accord intervenu en commission mixte paritaire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. L’avis que je vais rendre est, non pas tout à fait celui de la commission des finances, mais celui de son rapporteur général. Le sujet a été abordé à la fin de notre dernière réunion. À cette occasion, j’ai rendu compte de l’état des travaux aux membres présents de la commission et je leur ai précisé que j’émettrais, au nom de la commission et au regard des échanges et de l’accord intervenus en commission mixte paritaire, un avis favorable sur cet amendement, ainsi que sur les amendements suivants.

Mme la présidente. Le vote est réservé.

article 5 et état B

Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Mission « Écologie, développement et mobilité durables »

I. – Modifier ainsi les autorisations d’engagement :

(en euros)

Programmes

+

-

Affaires maritimes, pêches et aquaculture

4 000 000

0

Énergie, climat et après-mines

105 000 000

0

TOTAUX

109 000 000

0

SOLDE

+109 000 000

 

II. – Modifier ainsi les crédits de paiement :

(en euros)

Programmes

+

-

Affaires maritimes, pêches et aquaculture

4 000 000

00

Énergie, climat et après-mines

70 000 000

0

TOTAUX

74 000 000

0

SOLDE

+74 000 000

 

Je rappelle que le Gouvernement a déjà présenté cet amendement et que la commission a émis un avis favorable.

Le vote est réservé.

L’amendement n° 3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Mission « Relations avec les collectivités territoriales »

I. – Modifier ainsi les autorisations d’engagement et les crédits de paiement :

(en euros)

Programmes

+

-

Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements

60 000 000

0

Concours spécifiques et administration

60 000 000

0

Soutien à l’entretien du réseau routier local (ligne supprimée)

0

60 000 000

TOTAUX

120 000 000

60 000 000

SOLDE

+60 000 000

 

Je rappelle que le Gouvernement a déjà présenté cet amendement et que la commission a émis un avis favorable.

Le vote est réservé.

L’amendement n° 4, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Mission « Solidarité, insertion et égalité des chances »

I. – Modifier ainsi les autorisations d’engagement et les crédits de paiement :

(en euros)

Programmes

+

-

Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales 

20 000 000

0

TOTAUX

20 000 000

0

SOLDE

+20 000 000

 

Je rappelle que le Gouvernement a déjà présenté cet amendement et que la commission a émis un avis favorable.

Le vote est réservé.

Vote sur l’ensemble

Article 4
Dossier législatif : projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.

La parole est à M. Thomas Dossus, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances de fin de gestion – nouvelle catégorie de lois de finances – est donc une première.

Aucune nouvelle impulsion économique ou fiscale, aucun fléchissement de la politique gouvernementale n’y figure ; il s’agit seulement d’un bilan des fondamentaux de la loi de finances initiale pour 2023, auquel s’ajoutent quelques mesures d’urgence pour la fin de cette année.

La loi de finances initiale pour 2023 est, elle-même, restée dans la ligne de la politique fiscale mise en œuvre depuis 2017, avec une baisse des prélèvements, principalement au bénéfice des classes supérieures, et un soutien inconditionnel aux entreprises. Le présent projet de loi, très favorable aux grandes entreprises et au patrimoine, ne raconte pas autre chose !

L’année 2023 a été marquée par une inflation plus forte que prévu, notamment sur les produits alimentaires, et par son corollaire pour les classes les plus fragiles : une forte hausse de la précarité et de la pauvreté.

Le parcours parlementaire du texte n’a pas été inutile, puisque plusieurs amendements de nos collègues députés ont été adoptés de manière à apporter des réponses à des problèmes urgents. Je pense notamment au soutien à l’Ukraine, à l’octroi d’une enveloppe supplémentaire pour l’hébergement d’urgence et à d’autres mesures permettant de répondre à la crise sociale d’ampleur qui frappe notre pays.

Nous regrettons que notre Haute Assemblée ait été incapable d’exprimer sa solidarité avec les sinistrés des inondations, adoptant des positions qui se sont révélées à géométrie variable. Ainsi, ce qui n’était pas possible – c’est-à-dire l’inscription en urgence de quelques millions d’euros au budget 2023 pour venir en soutien aux populations victimes des inondations –, au motif qu’on ne serait pas en mesure d’exécuter ces dépenses, est devenu soudainement possible pour l’entretien des ponts, des réseaux d’eau, ou même de la ligne Nancy-Lyon ! Ce « deux poids, deux mesures » remet en cause la crédibilité de notre institution.

S’agissant des autres dispositions issues de notre assemblée, nous nous réjouissons du soutien apporté à l’Arménie, à l’IGN, ou encore à Mayotte. La rallonge allouée aux banques alimentaires est également bienvenue, tant l’urgence se fait criante.

En conclusion, ce projet de loi de finances de fin de gestion aurait pu nous permettre d’adopter l’aide d’urgence dont les territoires sinistrés ont besoin. Il aurait pu constituer un signal envoyé à nos compatriotes dans la détresse à la suite des inondations. Ce ne sera pas le cas, et nous le regrettons profondément. En revanche, en raison des différentes mesures d’urgence qu’il contient, notre groupe ne s’oppose pas à l’adoption de ce texte et s’abstiendra lors du vote. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

M. Pascal Savoldelli. Après un examen au pas de charge – n’est-ce pas, monsieur le président de la commission ? – de ce projet de loi de finances de fin de gestion par les deux chambres, la commission mixte paritaire, réunion des députés et des sénateurs, s’est mise d’accord et, de ce fait, associe le Parlement aux choix politiques de gestion budgétaire faits par le Gouvernement au travers du budget initial pour 2023. Dont acte !

Je pose néanmoins la question suivante : comment ne pas juger « étourdissant » – je n’ai pas trouvé d’autre terme – le fait que l’on doive mobiliser plus de 21 milliards d’euros supplémentaires à deux mois de la fin de l’exercice budgétaire ? J’ai cru qu’il y avait une élection au début de l’année prochaine ! (Sourires.)

Pourtant, de véritables urgences s’imposent. Notre groupe a fait adopter un amendement, avec le soutien du rapporteur général, pour ajouter 30 millions d’euros aux 20 millions d’euros déjà prévus pour accroître la dotation aux associations d’aide alimentaire. Les députés et sénateurs présents en commission mixte paritaire ont décidé de rogner cette somme de 10 millions d’euros. Je vous le dis très sincèrement, mes chers collègues : nous sommes choqués et en colère !

Le compte rendu sommaire des échanges, pliés en quelques minutes, témoigne du fait que la version du Sénat, renforçant le soutien de 30 millions d’euros, n’a pas été défendue.

Une somme de 10 millions d’euros retirée aux plus démunis : voilà vers quelle injustice nous pousse la prétendue rigueur budgétaire ! Cette économie, qui est – convenons-en, monsieur le ministre – résiduelle au regard du budget de l’État, constitue pour notre groupe un compromis injustifiable.

Jugez-en par vous-mêmes : j’ai fait rapidement le calcul, cela représente 0,0058 % du déficit public ! Monsieur le ministre, quand on affiche en fin d’année un budget dans le rouge – couleur que j’aime beaucoup (Sourires.) – de plus de 170 milliards d’euros, comme c’est votre cas, on ne donne pas de leçons aux parlementaires, et encore moins aux oppositions de gauche présentes dans cet hémicycle !

Dans le même élan, il n’a pas été donné suite aux annonces du Président de la République : la proposition de création d’un fonds d’urgence pour le Pas-de-Calais, d’un montant de 50 millions d’euros, a été rejetée, malgré les arguments émanant, en premier lieu, de ma collègue Cathy Apourceau-Poly, sénatrice du Pas-de-Calais, mais aussi de sénateurs siégeant sur d’autres travées de cet hémicycle. Main dans la main, sénateurs et députés ont estimé que les populations et les acteurs économiques du Pas-de-Calais ne seraient pas en mesure de dépenser les 200 millions d’euros que nous proposions de leur octroyer au nom de la solidarité nationale.

Que tous les élus de ce département nous entendent : les besoins chez eux, pour les deux prochains mois, s’élèvent à 50 millions d’euros, point final ! Pas un euro de plus ! Il faudra réfléchir avant de solliciter le préfet… Soit la route, soit le gymnase, mais pas les deux, mon capitaine ! Voilà, en substance, le résultat de l’accord passé, en commission mixte paritaire, entre la majorité sénatoriale et le Gouvernement !

En revanche, seront bien dépensés dans les deux prochains mois 60 millions d’euros pour le réseau routier, 50 millions d’euros pour les réseaux d’eau potable et 20 millions d’euros pour la réfection des ponts. Je le redis, ces propositions étaient légitimes et nous les avons votées ; ces engagements financiers utiles seront assurément dépensés d’ici au 31 décembre. Mais, monsieur le rapporteur général, il y a deux poids, deux mesures dans le traitement des amendements votés par notre assemblée.

Notre groupe interrogera d’ailleurs le Gouvernement sur l’exécution de ces crédits budgétaires avant la fin de l’année. Bien évidemment, s’agissant de mesures d’urgence, pas un euro ne devra être reporté !

Nous retiendrons également de ces débats le rejet de notre amendement visant à interdire la reprise financière de l’acompte lié au filet de sécurité qui a été versé aux communes. Derrière l’argument d’inconstitutionnalité, que nous n’avons pas tout à fait contesté, rappelez-vous, mes chers collègues, que le Sénat a tout de même fait le choix de ne pas trancher plusieurs questions.

Le filet de sécurité était-il adapté aux besoins des collectivités locales et de leurs groupements ? La question est restée sans réponse, alors même que nous sommes passés de 22 000 communes bénéficiaires à 16 000, puis, à la fin, à 2 941. Il y a tout de même un problème de comptabilité…

Les règles étaient-elles adaptées pour cibler les collectivités en difficulté ? La question a été vite refermée.

Enfin, est-il légitime de reprendre quelques euros à des collectivités qui devaient, dans l’urgence, boucler des budgets contraints, sous prétexte qu’elles iraient moins mal que prévu ? Notre débat, à cet égard, n’a pas servi à rien, puisque, même s’il est dur d’obtenir de vous la moindre avancée, on a tout de même un peu progressé sur la question et on peut maintenant compter sur un étalement.

Toutes ces questions, en tout cas, demeurent ouvertes et nous pouvons comprendre que de nombreuses collectivités sur les 3 425 concernées engagent un contentieux devant le tribunal administratif avant le 13 décembre. Il va tout de même falloir que ces communes sauvent les 69,8 millions d’euros indûment réclamés par l’arrêté de Bruno Le Maire du 13 octobre dernier. Croyez-moi, monsieur le ministre, nous serons à leurs côtés, indépendamment de leur étiquette politique.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons contre le présent texte – ce n’est une surprise pour personne ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Thierry Cozic applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

M. Christian Bilhac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat examine le projet de loi de finances rectificative – excusez-moi, le projet de loi de finances de fin de gestion – pour 2023. Ce changement de dénomination ne fait changer ni les chiffres ni la réalité. L’exercice 2023 a été fortement marqué par les conséquences de l’inflation, le déficit public s’aggrave encore et ce sont les administrations centrales qui en portent l’entière responsabilité.

Par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale, le creusement du déficit budgétaire s’intensifie. Ce résultat s’explique par un double effet : d’une part, l’augmentation des dépenses ; d’autre part, une diminution des recettes par rapport aux prévisions, malgré, il faut le souligner, un accroissement des recettes fiscales.

Ce projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 résume à lui seul la méthode de gestion des finances de l’État par le Gouvernement : toujours aucune réforme structurelle, toujours aucun cap réellement fixé.

Ainsi, ce projet de loi de finances de fin de gestion s’inscrit dans l’air du temps, dans la météo automnale des derniers jours, avec des millions et des milliards d’euros qui se balancent, un peu comme les feuilles mortes, au gré du vent.

Aucune réforme, aucune nouvelle décentralisation en vue,…

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Si !

M. Christian Bilhac. … mais toujours plus de ministères, toujours plus d’opérateurs. Ce n’est pas dans le présent texte que cela doit être condamné : celui-ci n’est en réalité que le reflet de la loi de finances initiale.

Je reviendrai simplement sur un chiffre illustrant le malaise : la réévaluation du plafond d’emplois de l’État, avec la création d’encore 195 postes en équivalent temps plein (ETP). Je ne suis pas certain que ces postes seront affectés au service de la population, qui demande toujours plus les fonctionnaires de proximité – hôpital, école, etc. – qui lui manquent.

Pourtant, tous les acteurs avec qui je discute, dans le cadre des nombreuses rencontres que j’organise dans le département de l’Hérault, ou, comme ce midi, lors de la réception de délégations de maires, qu’il s’agisse d’élus, de chefs d’entreprise ou encore d’agriculteurs, se plaignent d’être bloqués par l’administration : ils en ont marre ! Cela ne date pas d’aujourd’hui, c’est même loin d’être nouveau : le président Georges Pompidou, déjà, demandait que l’on arrête d’emmerder les Français. Mais cela continue. Il faut faire quelque chose !

Après avoir formulé ces remarques qui me tiennent à cœur, je voudrais conclure mon intervention sur une note positive, en saluant les améliorations apportées au texte en commission mixte paritaire.

Bien sûr, les mesures adoptées par le Sénat ont été revues à la baisse, mais, dans le contexte actuel, nous pouvons nous satisfaire que la commission mixte paritaire ait accepté un certain nombre d’enveloppes supplémentaires.

Je ne les rappellerai pas toutes, mais je citerai les 50 millions d’euros alloués aux travaux sur les réseaux d’eau potable, qui répondent à une réelle urgence. En qualité de président de l’association des maires de l’Hérault, j’avais fait voter, en collaboration avec l’agence de l’eau, la préfecture et toutes les autorités, un plan d’urgence pour la rénovation des réseaux d’eau : c’était en 2000, voilà vingt-trois ans !

Je mentionnerai également les budgets additionnels pour la réfection des ponts et pour celle du réseau routier, ainsi que le soutien à l’Arménie et au Haut-Karabagh, autant de crédits que j’approuve.

Les membres du groupe du RDSE voteront donc ce texte. (MM. Vincent Capo-Canellas et Michel Canévet applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. Didier Rambaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’atterrissage de ce premier projet de loi de finances de fin de gestion se fait sans trop de turbulences. En témoignent la commission mixte paritaire conclusive, dont nous votons ce soir les conclusions, et les explications de vote que je viens d’écouter.

Comme vous le savez, il va s’agir de la première loi de finances de fin de gestion, une catégorie de lois remplaçant, depuis la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, les lois de finances rectificatives traditionnellement adoptées en fin de gestion.

Cette nouvelle catégorie permet de limiter les marges de manœuvre et d’interdire l’adjonction à un tel texte de toute mesure fiscale nouvelle, ce qui rend possible un examen simplifié et accéléré au sein du calendrier budgétaire contraint de l’automne, calendrier dont nos organismes commencent à ressentir les effets à la veille de l’ouverture de l’examen du projet de loi de finances pour 2024.

Mes chers collègues, je ne tiens pas à m’étendre sur la forme… Attardons-nous plutôt sur le fond du texte que nous allons voter, à commencer par le sujet de l’aide alimentaire.

Alors que la précarité progresse dans notre pays et que les Restos du cœur doivent d’ores et déjà refuser certaines des personnes qui se présentent à eux, il était impératif d’agir. Nos collègues députés l’ont fait, en intégrant au texte une enveloppe de 20 millions d’euros de crédits supplémentaires au profit des associations habilitées à délivrer de l’aide alimentaire – elles sont nombreuses et ne se limitent pas aux Restos du cœur ; je pense notamment à la Banque alimentaire, qui organisera d’ailleurs, ce week-end, sa collecte annuelle.

Notre groupe a souhaité renforcer ce soutien au travers d’une enveloppe supplémentaire. Cette rallonge a fait consensus et nous pouvons nous réjouir des 40 millions d’euros qui viendront finalement compléter les budgets dédiés à l’aide alimentaire.

Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre : « En 2023, la dépense budgétaire consacrée à l’aide alimentaire a atteint un niveau historique de 156 millions d’euros, soit le double du niveau de 2021 et le triple de celui de 2018. »

M. Jean-François Husson, rapporteur. Un peu d’honnêteté intellectuelle ne nuit pas !

M. Didier Rambaud. Mais, si des associations doivent refuser des personnes faisant face à la faim et, dans le même temps, réclamer davantage de moyens financiers, nous devons alors aussi nous interroger collectivement sur les causes de cette situation dramatique, inacceptable dans la France de 2023.

Je tenais également à saluer d’autres apports de mon groupe RDPI, sur l’initiative de mes collègues ultramarins. Je pense au renforcement, à hauteur de plus de 63 millions d’euros, du soutien de l’État à Mayotte.

Depuis plusieurs mois, vous le savez, les habitants de Mayotte subissent une crise de l’eau. L’État a mis en place, avec le concours des collectivités locales, des campagnes de distribution d’eau en bouteille sur l’ensemble du département. Pour étendre cet accompagnement, il faut toutefois acheminer davantage, autrement dit, distribuer à la population plus de 3,5 millions de litres d’eau par semaine. Ces opérations de distribution mobiliseront, au plus fort du dispositif, plus de 300 agents de la sécurité civile et des forces armées, mais aussi de nombreux bénévoles et agents publics, ainsi que des dizaines de camions et autres moyens de transport.

Pour répondre à l’urgence de ces dépenses liées à l’achat, mais également à l’acheminement d’autres matériels, comme des congélateurs, des pastilles de potabilisation de l’eau, ou des camions pour faciliter la distribution des bouteilles, ces 63 millions d’euros seront bien évidemment indispensables.

Enfin, je tenais à rappeler les 50 millions d’euros alloués au conseil départemental de Mayotte pour couvrir les besoins des politiques confiées aux départements, à savoir l’aide sociale à l’enfance, la protection maternelle et infantile, ou encore le transport scolaire.

Nous pouvons nous réjouir que ces différents amendements, adoptés en séance, aient été retenus dans la version définitive.

Par conséquent, sans surprise, nous voterons ce projet de loi de finances de fin de gestion, tel qu’issu des conclusions de la commission mixte paritaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Mme Marion Canalès et M. Pascal Savoldelli applaudissent.)

M. Thierry Cozic. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis afin d’examiner la version du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 issue de la commission mixte paritaire.

La nature du texte que nous examinons a profondément changé depuis la révision de la loi organique relative aux lois de finances survenue en 2021. Le projet de loi de finances rectificative de fin d’année était déjà un texte sans grande densité ; la loi organique du 28 décembre 2021 en a fait un texte technique, sans aucune épaisseur politique, ce qui, malheureusement, n’est pas souhaitable tant les besoins sont grands.

Dans une période où la représentation nationale n’a même plus l’occasion de débattre pleinement du budget de la Nation à l’Assemblée nationale, la discussion d’un projet de loi de finances rectificative aurait au moins permis d’aborder certains débats de fond, comme la politique fiscale de notre pays, ou encore le financement de nos collectivités territoriales.

Je me félicite néanmoins qu’un accord ait été trouvé entre les deux chambres. Alors que s’enchaînent les recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, il est important de constater que la représentation parlementaire sort de l’examen de ce projet de loi par le haut.

Ce texte budgétaire, premier du genre, ne comporte que des ajustements de crédits pour l’année en cours, sans mesure fiscale nouvelle. Rappelons qu’il ouvre 5,2 milliards d’euros de crédits dans le champ des dépenses de l’État, dont 2,1 milliards d’euros pour la mission « Défense ». Ces montants sont compensés par des annulations de crédits de 5,2 milliards d’euros, notamment dans le champ des dispositifs de soutien aux entreprises, ce qui atteste du caractère inopérant de ces derniers.

Nous tenons à souligner l’importance de l’amendement visant à instaurer un soutien de 15 millions d’euros au Haut-Karabagh et à l’Arménie qui, je le rappelle, est confrontée à un afflux massif de réfugiés sur son territoire.

Il est aussi notable qu’une enveloppe de 20 millions d’euros supplémentaires, destinée à la rénovation des ponts, ait été actée au bénéfice des collectivités territoriales. Il est urgent que l’État se saisisse de cette problématique, qui persiste depuis trop longtemps.

Enfin, je tiens à saluer l’adoption par le Sénat d’un amendement déposé par le rapporteur général tendant à abonder de 30 millions d’euros supplémentaires une enveloppe à destination des associations d’aide alimentaire. Je déplore en revanche que cette somme ait été révisée à la baisse par la commission mixte paritaire, passant de 30 à 20 millions d’euros, soit une réduction de 10 millions d’euros.

Ce point est primordial. En effet, comme vous le savez, les banques alimentaires se retrouvent dans une situation très tendue, en raison de la hausse massive du nombre de personnes demandant de l’aide, couplée à l’augmentation de leurs coûts de fonctionnement qu’entraîne l’inflation. Cette situation est tout à fait préoccupante.

Rien que pour les Restos du cœur, les chiffres donnent le vertige : l’association a déjà accueilli 1,3 million de personnes en 2023, contre 1,1 million sur l’ensemble de l’année dernière ; au cours des derniers mois, son budget pour les achats alimentaires ensuite redistribués gratuitement aux bénéficiaires a doublé. Face à cette situation extrêmement complexe, elle a décidé de réduire le nombre de ses bénéficiaires. Selon ses estimations, environ 150 000 personnes devront être éconduites.

Les Restos du cœur s’attendent à servir 170 millions de repas cette année, contre 140 millions en 2022. Malgré l’adoption de l’amendement, l’association, qui assure 35 % de l’aide alimentaire en France avec un budget de fonctionnement de seulement 200 millions d’euros par an, a besoin de 35 millions d’euros supplémentaires pour terminer l’exercice à l’équilibre. Je rappelle que ses ressources proviennent de donateurs particuliers, d’entreprises et d’aides publiques de l’État et de l’Union européenne. C’est dire si les 10 millions d’euros retirés auraient été nécessaires pour nos concitoyens les plus démunis ! Ce coup de rabot est fort malvenu.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les quelques avancées que nous saluons ne sont pas de nature à emporter notre adhésion au présent texte ; rappelons que, lors de sa discussion en première lecture, le Sénat a rejeté nos amendements relatifs, d’une part, au remboursement de l’acompte lié au filet de sécurité et, d’autre part, à la ponction sur l’Unédic.

Demain, monsieur le ministre, nous commencerons les débats sur le budget pour 2024. J’émets le souhait que les échanges soient à la hauteur des enjeux qu’implique l’urgence de la situation. Soyez assuré que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain prendra toute sa place dans cette discussion, de manière efficace et constructive. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Somon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Les Républicains se félicite de l’accord obtenu, hier soir, en commission mixte paritaire. Je profite de cette prise de parole pour remercier notre rapporteur général, Jean-François Husson, qui a largement œuvré pour que nous parvenions à ce résultat.

Comme notre collègue l’a déjà détaillé, le Sénat a apporté des réponses à différentes situations d’urgence. Sur les 200 millions d’euros de crédits votés par notre assemblée, les communes sont particulièrement soutenues.

Tout d’abord, la problématique des ponts, mise en exergue par la mission d’information menée par notre collègue Bruno Belin, est particulièrement prégnante. Cette dernière avait qualifié leur mise en sécurité de « chantier du siècle ».

Déjà, en 2019, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat avait estimé à plus de 25 000 le nombre de ponts en mauvais état structurel, posant des problèmes de sécurité et de disponibilité pour les usagers. C’est un vrai sujet de préoccupation pour les élus concernés. Nous nous félicitons donc de l’adoption de ces nouveaux crédits.

Nous nous réjouissons, ensuite, de l’ouverture de crédits pour l’entretien de la voirie. Le Gouvernement a accepté notre demande à ce sujet. Toutefois, nous espérons que le vote du Parlement sera respecté et que ces crédits serviront bien aux collectivités, contrairement à ce que l’on a pu observer dans le passé lorsque les crédits que nous avions votés pour la voirie communale avaient été détournés par l’État au profit de la voirie nationale.

Tout comme ceux qui sont dédiés aux ponts et aux routes, les crédits supplémentaires à destination de l’entretien des réseaux d’eau répondent à un ensemble de problématiques, qui tiennent notamment aux épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents et à la qualité desdits réseaux dans de nombreux territoires.

On estime que, chaque année, 20 % du volume d’eau potable distribué chez les usagers est perdu, ce qui représente 1 milliard de mètres cubes d’eau. Les conséquences, à la fois financières et écologiques, sont lourdes. Il est urgent d’y remédier.

Le Sénat a, par ailleurs, décidé de soutenir davantage le secteur de l’aide alimentaire. Comme l’ont dit mes collègues, la forte hausse des prix contraint de plus en plus de Français à demander de l’aide. La situation est telle que les Restos du Cœur se trouvent obligés de refuser des familles. Les 20 millions d’euros supplémentaires obtenus contribuent à répondre à l’urgence, mais une solution de long terme devra être trouvée.

Enfin, la situation géopolitique préoccupante, notamment en Arménie, nous pousse à agir.

À la suite de la proposition de résolution visant à établir une paix durable entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, déposée par le président de notre groupe, Bruno Retailleau, et adoptée par le Sénat le 15 novembre 2022, notre Haute Assemblée a décidé d’une mesure de soutien en faveur de l’Arménie à hauteur de 15 millions d’euros.

Mes chers collègues, ces ouvertures de crédits sont des signaux positifs lancés par le Sénat. Il s’agit certes de dépenses nouvelles, mais à des montants raisonnables, et qui seront compensées par des économies que nous proposerons dans quelques jours dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024.

Je n’oublie pas, au-delà des 50 millions d’euros déjà annoncés pour cette fin d’année, les besoins des communes sinistrées du Pas-de-Calais et du littoral de la Somme touchées par la tempête et les inondations, encore présentes, et dont les conséquences, notamment en termes de reconstruction, ne peuvent être encore complètement évaluées. Ces difficultés n’étant pas prises en compte dans ce projet de loi de finances de fin de gestion, nous serons attentifs aux propositions qui seront faites pour les résoudre dans le projet de loi de finances pour 2024.

Pour toutes les raisons invoquées, et dans un esprit de vigilance, notre groupe votera le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023, tel qu’il a été élaboré par la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires.

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, même en matière de politique budgétaire, le bon sens peut primer : mieux vaut ne pas mettre la charrue avant les bœufs.

Demain, nous entamerons l’examen du projet de loi de finances pour 2024 ; aujourd’hui, nous achevons celui du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023. Autrement dit : avant de discuter le budget de l’année n+1, nous bouclons les comptes de l’année n. Les choses se font dans l’ordre, et nous tournons la page de 2023 avant d’attaquer le chapitre 2024.

Dans le référentiel des lois de finances, c’est surtout une page qui s’ouvre. Car ce projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 est la toute première occurrence de cette nouvelle catégorie de loi de finances.

Nous l’avions créée il y a deux ans, à l’occasion de la révision de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), dont nous célébrions les 20 ans. Avec une intention claire : créer un objet ad hoc pour clore les comptes de l’année, en limitant drastiquement le cadre dans lequel le Gouvernement peut ouvrir de nouveaux crédits.

Naturellement, ce cadre restreint au passage les marges de manœuvre du Parlement, dont l’une des missions essentielles – c’est le bon moment pour le rappeler – est de voter le budget. En l’occurrence, c’est ce que nous faisons, et c’est aussi ce qu’a fait l’Assemblée nationale sur ce texte.

Cet objet a aussi répondu à l’une de ses principales missions, qui ne lui était pas explicitement attribuée, mais à laquelle nous sommes nombreux à être attachés : extraire, autant que faire se peut, la nécessaire adoption des textes budgétaires des querelles politiciennes.

En effet, restreindre le cadre des discussions budgétaires pour clore les comptes de l’année n, c’est réduire les espaces de débat. C’est très souvent regrettable, mais lorsqu’il s’agit de tenir la comptabilité nationale, cela peut s’avérer utile.

Le Sénat a pris ses responsabilités pour que le Gouvernement puisse faire adopter ce texte dans les meilleures conditions. Je tiens à remercier, à cet égard, le travail du rapporteur général et du président de la commission des finances.

Au-delà de ces aspects formels, je voudrais revenir sur quelques points de fond sans ouvrir les débats sur l’état de nos finances publiques, que nous aurons tout loisir d’aborder dès demain dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances.

Ce texte porte trois mesures importantes et symboliques : l’augmentation des crédits de la mission « Défense », à hauteur de 2,1 milliards d’euros ; l’abondement du fonds de soutien à l’Ukraine ; le déblocage, sur l’initiative de notre rapporteur général, de 20 millions d’euros pour les réfugiés en Arménie. Cela nous rappelle que certaines mesures sont plus stratégiques que d’autres, notamment lorsqu’il s’agit de préserver notre démocratie et de défendre nos valeurs.

Vous l’aurez compris, notre groupe votera bien évidemment en faveur du texte de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Laurent Somon. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire qui s’est tenue hier sur ce premier projet de loi de finances de fin de gestion a abouti à un accord, ce dont le groupe Union Centriste se réjouit. Dans un esprit de responsabilité, députés et sénateurs ont su travailler en bonne intelligence, comme l’an dernier - c’est à souligner.

Chaque assemblée parlementaire a accompli sa tâche utilement et la commission mixte paritaire d’hier a respecté à la fois le vote du Sénat et celui de l’Assemblée nationale. Le groupe UC adoptera, à la quasi-unanimité, ses conclusions.

Des mesures importantes ont été adoptées. Il convient de souligner que les ouvertures de crédits sont considérables, à hauteur de 9 milliards d’euros, hors remboursements et dégrèvements. Soulignons le remboursement de la charge de la dette pour 3,8 milliards d’euros, l’aide militaire et économique essentielle à l’Ukraine, à hauteur de 2,1 milliards d’euros, ou encore les aides à l’hébergement d’urgence.

Ces ouvertures massives de crédits ne doivent pas nous faire dévier du cap qui nous guide : la maîtrise des finances publiques.

Le groupe Union Centriste se félicite que cette commission mixte paritaire conclusive ait pu retenir des dispositions adoptées par le Sénat, en réduisant néanmoins – le rapporteur général l’a rappelé – le montant de chacune d’entre elles. Je pense, tout d’abord, aux 20 millions d’euros retenus en faveur de la réfection des ponts, aux 60 millions d’euros pour la réfection du réseau routier, notamment celui des petites communes, et aux 20 millions d’euros en faveur de l’aide alimentaire, en complément de ce qui a pu être voté à l’Assemblée nationale.

Enfin, je me félicite de l’adoption de la dotation exceptionnelle en faveur de l’IGN, que j’avais proposée, finalement retenue à hauteur de 4 millions d’euros. Cette dotation est essentielle pour cet opérateur qui, changeant actuellement de modèle – un effort qu’il convient de soutenir –, se trouve à un moment critique de cette transformation et dans une situation financière un peu compliquée.

Bien sûr, l’endettement a un coût, que nous avions quelque peu oublié ces dernières années. Il est donc impératif de réduire notre dette. À cet égard, le groupe UC s’associe aux recommandations du Haut Conseil des finances publiques, selon lequel il est nécessaire d’en revenir à des niveaux de dette garantissant à la France de disposer de marges de manœuvre suffisantes. Nous devons sécuriser notre capacité à faire face à des chocs macroéconomiques et financiers, ainsi qu’aux investissements publics qu’implique, notamment, la transition écologique.

La Commission européenne a mis en garde la France ce mardi. Elle a relevé que nous risquions, en 2024, de ne pas être en ligne avec ses recommandations budgétaires. Trois autres pays sont dans le même cas, du fait d’une croissance des dépenses publiques jugée excessive.

Nous sommes invités « à prendre les mesures nécessaires ». Ce qui est en cause, c’est la croissance à hauteur de 2,6 % des dépenses primaires nettes, donc hors charge de la dette, ainsi que, selon la Commission, le maintien de mesures significatives de soutien face à la crise énergétique en 2024.

Alors que nombre de nos voisins européens sont en récession, la croissance française est supérieure à la moyenne européenne, et l’on peut s’en féliciter. Notre économie a tenu face à la crise. L’État a continué, autant qu’il pouvait le faire, à protéger les entreprises et nos concitoyens. Cette stratégie a favorisé l’emploi et les salaires, conforté la baisse du chômage en 2023 et soutenu le pouvoir d’achat.

Nous devons toutefois ajuster nos efforts aux contraintes budgétaires. Ce sera, n’en doutons pas, un élément essentiel du débat budgétaire qui s’ouvrira demain. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP. – M. Laurent Somon applaudit également.)

Mme la présidente. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 65 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 261
Pour l’adoption 242
Contre 19

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

M. Jean-François Husson, rapporteur. Voilà qui fait rêver le Gouvernement à l’Assemblée nationale !

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023
 

9

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 23 novembre 2023 :

De neuf heures à treize heures :

(Ordre du jour réservé au groupe RDSE)

Proposition de loi tendant à renforcer la culture citoyenne, présentée par M. Henri Cabanel et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 102, 2023-2024) ;

Proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés, présentée par Mme Nathalie Delattre et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 83, 2023-2024).

À quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :

Sous réserve de sa transmission, projet de loi de finances pour 2024 (texte A.N. n° 1680) ;

Discussion générale ;

Examen de l’article liminaire ;

Examen de l’article 33 : évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-deux heures cinquante-cinq.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER