M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani.
Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la semaine dernière, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a invoqué l’article 99 de la Charte des Nations unies pour qualifier la situation à Gaza : « le monde est témoin d’une catastrophe qui se déroule sous nos yeux », nous dit-il. Cet article, invoqué uniquement en cas de danger pour le maintien de la paix et de la sécurité internationale, n’avait plus été mobilisé depuis cinquante ans.
Autre fait rare, l’unanimité des agences des Nations unies dénonçant tour à tour le « carnage », les « cent soixante enfants tués chaque jour », cent victimes parmi les employés des Nations unies et une cinquantaine parmi les journalistes, et le « risque immédiat de famine ». Les effets de la guerre menée par le régime israélien sont documentés.
Malgré cela, les dirigeants américains ont opposé leur veto au Conseil de sécurité sur une proposition de résolution qui portait l’exigence d’un cessez-le-feu. Les États-Unis ont pris cette position contre leur peuple. Partout, des femmes et des hommes par centaines de milliers foulent le pavé pour crier leur sidération, leur révolte, face à l’écrasement des Palestiniens.
La France s’honorerait à dénoncer ce choix. Les organisations non gouvernementales (ONG), dont Médecins sans frontières, estiment que « le veto des États-Unis les rend complices du carnage à Gaza ».
Madame la secrétaire d’État, la France compte-t-elle faire part de regrets ou condamner le veto des États-Unis ? Une réponse européenne est-elle prévue pour surmonter cette décision irresponsable, qui témoigne de la puissance belliqueuse des États-Unis ? Nous le savons, ils font partie de ceux qui se rémunèrent sur les dividendes de la guerre !
Hier, malgré un nouveau blocage d’Israël et des États-Unis, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution pour la protection des civils et le respect des obligations humanitaires.
Ces blocages ne peuvent nous faire perdre de vue l’objectif à terme : la solution à deux États, qui doit être accompagnée d’initiatives concrètes de notre pays. Le moment est venu d’agir, concrètement et avec force. Reconnaissons unilatéralement l’État palestinien sur la base des frontières de 1967.
L’Assemblée nationale et le Sénat ont voté en faveur de cette reconnaissance. Le gouvernement espagnol de Pedro Sanchez tente de convaincre l’Union européenne d’en faire de même. Par ailleurs, 138 pays sur les 193 que compte l’ONU en ont déjà fait autant. Notre pays, avec les États-Unis et le Royaume-Uni, fait partie des trois puissances bloquant ce processus.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, plus d’une vingtaine de rapporteurs des Nations unies ont réitéré, il y a trois semaines, leur inquiétude sur « un génocide en cours » et une « seconde Nakba ».
Une de nos frégates a été visée par des drones au nord du Yémen. L’escalade à la frontière entre le Liban et Israël se poursuit. Ce conflit porte en lui les ferments d’une guerre régionale.
Agir pour la justice, agir pour la paix est un devoir urgent. Il ne s’agit plus d’appeler pieusement à un cessez-le-feu – que de temps perdu, que de morts ! –, il doit être exigé.
La baisse drastique des importations israéliennes, la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël sont des moyens de pression concrets. Leur non-activation nous rendra, de fait, complices de la poursuite de la faillite morale des belliqueux.
L’administration européenne, Josep Borrell en tête, qualifie d’« apocalyptique » la situation des civils à Gaza et estime que la destruction des immeubles est comparable aux destructions des villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale. Dès lors, quelles aides européennes, humanitaires et d’urgence, d’une part, et quelles aides à la reconstruction, d’autre part, seront mobilisées ?
Nous avons su sanctionner la Russie, lorsque celle-ci a envahi l’Ukraine, et aider cette dernière : il est temps que l’Union européenne prouve qu’elle ne souffre pas d’une indignation sélective en fonction de la religion, de la proximité géographique ou de tout autre prétexte servant de couverture pour faire taire notre humanité commune. Les populations victimes de crimes de guerre, d’où qu’elles viennent, quelles qu’elles soient, méritent notre soutien plein et entier.
Je termine en vous alertant sur les effets qu’engendre ce sentiment de « deux poids, deux mesures » dans notre pays, qui compte les plus importantes communautés musulmane et juive d’Europe, et sur les grands dangers d’un immobilisme qui risquerait d’approfondir les fractures que nous connaissons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Girardin.
Mme Annick Girardin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, inévitablement, une partie du prochain Conseil européen sera absorbée par les grands conflits du moment.
Je me réjouis de voir que l’Union européenne multiplie les initiatives face à un conflit qui meurtrit à la fois les Israéliens et les Palestiniens, deux peuples pris en otage par le Hamas depuis le tragique 7 octobre dernier.
Le RDSE partage cette voie diplomatique d’équilibre, promue depuis quelques semaines par plusieurs États membres, dont la France, qui consiste à agir sur plusieurs fronts : au Conseil de sécurité, le soutien à un cessez-le-feu immédiat à Gaza, car la situation humanitaire n’y est plus tenable ; la création, à la demande de Paris et de Berlin, d’un régime de sanctions contre le Hamas et ses partisans – c’est bien le minimum que l’on puisse faire à l’encontre d’une organisation terroriste – ; enfin, une action vigoureuse contre l’escalade des incidents dans les colonies de Cisjordanie, avec des colons extrémistes qui jettent clairement de l’huile sur le feu.
Si la communauté internationale ne favorise pas tout cela rapidement, la solution à deux États s’éloignera chaque jour un peu plus. En tout état de cause, madame la secrétaire d’État, vous avez le soutien du groupe du RDSE pour appuyer toutes ces initiatives diplomatiques.
Pendant ce temps, la question ukrainienne demeure entière. Il est important que l’Union européenne continue, là aussi, à se mobiliser. Les intentions de Moscou n’ont pas faibli. La une de The Economist, qui titre « Est-ce que Poutine peut gagner ? », nous montre clairement que nous devons intensifier nos efforts pour ne laisser la place ni au doute ni à la lassitude.
Avant tout, nous devons rester unis, comme vient de le rappeler le chancelier allemand, position également relayée par la ministre finlandaise des affaires étrangères. Je ne doute pas que la France plaide aussi en faveur de l’unité.
Aussi, il faut absolument débloquer les 50 milliards d’euros d’aides en dons et prêts, ainsi que l’aide militaire de 5 milliards d’euros dont Kiev a besoin.
Au-delà des liens d’amitié qui nous lient à l’Ukraine, l’agression russe met en jeu la sécurité aux frontières de l’Europe. Il n’est pas inutile de le rappeler, en particulier à Viktor Orbán qui devrait pouvoir entendre cela…
J’en viens à la question de l’élargissement de l’Union à l’Ukraine, à la Moldavie ou à la Bosnie-Herzégovine, qui sera également à l’ordre du jour du Conseil européen.
On le sait, il s’agit du principal point de désaccord avec la Hongrie. La politique du donnant-donnant ne semble pas fonctionner. Avons-nous autre chose à mettre sur la table que le blocage de 10 milliards d’euros de fonds européens gelés pour faire plier Budapest ?
Pour autant, sur le fond de la question de l’élargissement, je rappelle que le RDSE est favorable à l’adhésion de l’Ukraine sous réserve qu’elle intervienne dans un contexte de paix. J’ajouterai que les pays candidats doivent continuer à renforcer leur base démocratique, c’est une condition de l’approfondissement du projet européen.
Pour ce qui concerne l’actualité des seuls États membres, le Conseil européen entend aussi aborder le projet de défense commune, sans doute devenu un peu plus pressant dans un contexte géopolitique de plus en plus difficile.
En mars 2022, le Conseil européen avait officiellement mis en place sa « boussole stratégique » pour renforcer la politique de sécurité et de défense de l’Union européenne d’ici à 2030.
Quelles sont les avancées concrètes en matière de consolidation de l’industrie européenne de défense ?
Où en sommes-nous de la proposition de porter l’European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act (Edirpa), l’instrument visant à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes, à 1,5 milliard d’euros ?
Naturellement, ces projets et tous les autres supposent un rehaussement des moyens budgétaires de l’Union européenne. Nous avons eu l’occasion d’en débattre lors de l’examen de l’article 33 du projet de loi de finances pour 2024. La révision du cadre financier s’impose.
Je rappelle simplement que mon groupe souhaite que soit conservé un équilibre entre les nouvelles politiques axées sur les défis climatiques, technologiques, de sécurité et de défense et les politiques traditionnelles, telles que la PAC ou la politique commune de la pêche (PCP), essentielles à la souveraineté alimentaire et à l’attractivité de certains territoires.
Le RDSE se réjouit que la Commission européenne progresse sur la question des nouvelles ressources. Celles-ci s’inscrivent dans la continuité de ce que nous proposons depuis plusieurs années : le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, le levier sur le surplus des résultats d’exploitation des entreprises ou encore l’impôt minimum commun sur les multinationales.
Au-delà de cette dernière considération, mes chers collègues, le Conseil européen des 14 et 15 décembre prochains doit se montrer décisif et ne pas laisser la porte ouverte au chantage de dirigeants populistes, qui s’éloignent des valeurs fondatrices de la communauté européenne.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. En ce qui concerne l’Ukraine, nous n’avons effectivement pas d’autre choix que d’œuvrer à convaincre la Hongrie. Hier, au conseil Affaires générales, vingt-six pays sur vingt-sept soutenaient l’ouverture de négociations d’adhésion avec ce pays. Nous allons continuer de travailler pour faire avancer les choses.
Le Président de la République, le chancelier allemand et les dirigeants polonais ont publié aujourd’hui des déclarations, avec pour objectif d’envoyer un signal très fort sur l’ouverture des négociations. À cette heure, il n’y a pas de plan B.
En parallèle, et pour répondre à une question qui m’a été posée précédemment, il conviendra évidemment de réformer l’Union européenne.
Les deux objectifs figurent dans les conclusions du Conseil européen de Grenade. La présidence belge, qui commence le 1er janvier 2024, aura comme tâche d’ancrer le processus pour engager cette réforme.
Quelles sont nos priorités ? Il faut réformer le budget, la gouvernance et les institutions. À cet égard, les chiffres que cite le Financial Times sont complètement déconnectés de la réalité.
Notre position à Gaza est très claire. Elle s’articule autour de trois principes : le rejet du terrorisme ; la libération des otages, dont encore quatre Français ; la protection des civils, qui est – comme vous l’avez fort justement souligné, madame la sénatrice – une obligation morale autant que juridique. Nous appelons donc à un cessez-le-feu devant conduire à une trêve humanitaire. Le Président de la République demain s’y emploiera pour obtenir une position coordonnée au niveau européen. J’ajoute que la France appelle à sanctionner les colons israéliens.
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour la réplique.
Mme Mathilde Ollivier. Je ne crois pas avoir entendu de réponse à ma question sur le commissaire européen Wopke Hoekstra. Au regard des remarques qu’il a formulées ces derniers jours, lors de la COP28, comment la France se positionne-t-elle sur cette nomination ?
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour la réplique.
Mme Silvana Silvani. Madame la secrétaire d’État, vous évoquez des sanctions à destination des colons israéliens. Pourquoi pas ?
Ce n’était pas le sens de mon intervention. Nous appelons à des sanctions contre l’État israélien.
Vous ne répondez pas à la question des moyens que nous pouvons mobiliser – j’en imagine les raisons.
Aux articles 46 à 48 du projet de loi de finances pour 2024, que le Sénat a examiné la semaine dernière, après un vote sans débat à l’Assemblée nationale, la France se porte garante de trois aides à l’Ukraine, y compris via des mécanismes européens. Ces garanties pourraient atteindre 500 millions d’euros en 2024.
Nous demandons que des mesures analogues soient prises, avant la fin de l’examen du budget, pour le peuple palestinien.
Il faut s’accorder sur ce point dès le prochain Conseil européen.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « c’est un grand jour pour tous ceux qui, pendant de nombreuses années, ont cru que les choses iraient mieux » : tels sont les propos tenus par Donald Tusk, chef de file de la coalition démocrate des forces pro-européennes, à la suite de son élection, avant-hier, au poste de Premier ministre, après huit ans de gouvernement populiste-nationaliste en Pologne.
La présidente de la Commission européenne, dans un message posté à son attention, l’a souligné : son expérience, son engagement à l’égard de nos valeurs européennes seront précieux pour rendre l’Europe plus forte.
Alors que notre drapeau européen, devant lequel je me tiens, a fêté ses 68 ans voilà deux jours, je veux, en introduction de ce débat, saluer cette victoire politique.
De même doit être salué le règlement pour l’industrie « zéro net », validé voilà une semaine par les ministres des vingt-sept États membres, affichant ainsi la volonté commune de voir s’accélérer l’implantation, en Europe, d’usines de technologies vertes pour faire face aux défis du siècle. Pour ce faire, une liste de technologies considérées comme stratégiques pour la transition énergétique a été arrêtée – production de pompes à chaleur, de batteries, d’éoliennes, de panneaux photovoltaïques ou encore de solutions de captage de CO2.
Sur ce point, le Président de la République a annoncé, avant-hier, dans le cadre de France 2030, que notre pays soutiendrait l’investissement des industriels dans ce secteur d’avenir, ainsi que dans le stockage et la transformation du CO2.
Le groupe RDPI, qui a déposé des amendements en ce domaine, s’en félicite.
Sous l’impulsion de notre gouvernement, l’ensemble des technologies nucléaires, absentes du texte initial de la Commission européenne, figurent désormais sur la liste.
Il nous faudra encore avancer, à partir de demain.
Alors que le Conseil européen débute ce jeudi à Bruxelles, les chefs d’État et de gouvernement aborderont l’évolution de nos règles financières communes, notamment la révision du cadre financier pluriannuel, liée à notre soutien à l’Ukraine.
Le budget à long terme, qui assure le financement de nos mesures communes, sera au cœur des discussions, de même que la définition nouvelle de nos règles de gouvernance économique.
Il nous faut, en effet, trouver un compromis sur le devenir du pacte de stabilité et de croissance, suspendu depuis 2020 afin que les États membres puissent faire face aux différentes crises successives – sanitaire, géopolitique, énergétique.
Alors que ce pacte doit être réactivé, revenir à une approche univoque n’aurait pas de sens.
Ce cadre budgétaire, créé à la fin des années 1990, limite, en théorie, pour chaque pays, le déficit des administrations publiques et la dette, afin de préserver des finances saines.
Ces règles n’ayant pas été respectées et ayant, à certains moments, freiné l’investissement, tout le monde s’accorde sur la nécessité de leur évolution.
Reste à trouver, là encore, en responsabilité, le point d’équilibre entre la réduction progressive des dettes – il ne s’agit évidemment pas d’encourager les dérapages – et la possibilité de porter des investissements stratégiques ambitieux.
Les chefs d’État se concentreront également, comme lors de leur dernier rassemblement, sur les deux crises géopolitiques majeures auxquelles nous faisons face, toujours en Européens : la situation dramatique au Moyen-Orient et la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine.
Une convergence européenne s’est manifestée en octobre dernier, avec la condamnation des attaques terroristes du Hamas contre Israël, l’exigence de la libération des otages et la demande du respect par tous du droit international humanitaire, ainsi qu’avec le maintien d’une aide et du lien avec l’autorité palestinienne.
La France et douze autres membres du Conseil de sécurité de l’ONU ont voté, le 8 décembre, en faveur d’une résolution demandant un cessez-le-feu immédiat à Gaza, mais le veto américain a bloqué son adoption. Une majorité écrasante appelant à aller dans le même sens s’est fait entendre hier, à l’Assemblée générale de l’ONU. Le Conseil européen devra avancer sur ce sujet crucial.
En octobre dernier, le Conseil avait aussi renouvelé son appel à renforcer l’aide à l’Ukraine et à sa population, dans toutes ses dimensions – économique, politique, militaire, humanitaire, mais aussi alimentaire.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, l’a rappelé ce dimanche : « Une victoire russe en Ukraine serait lourde de menaces pour ses voisins européens. »
Mon groupe soutient évidemment la position de l’Union européenne en faveur de l’indépendance de l’Ukraine, de sa souveraineté, de son intégrité territoriale et de son droit naturel à la légitime défense contre l’agression menée par la Russie.
Il est absolument essentiel de ne pas détourner l’attention de ce conflit. Nous devons rester mobilisés financièrement, diplomatiquement et militairement.
Il nous faut contribuer à de futurs engagements en matière de sécurité. Cela fera l’objet d’un point d’étape à partir de demain.
Nous devons aussi intensifier notre aide en matière de protection civile, plus que jamais à l’approche de l’hiver.
C’est pourquoi ce soutien collectif sera au cœur des discussions, avec notamment l’ouverture de négociations d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Alors que l’avis favorable donné par la Commission européenne doit être approuvé par les Vingt-Sept, le Premier ministre hongrois promet un veto, sous forme de chantage. Ce n’est pas acceptable.
Il faut par ailleurs, à vingt-sept – et, demain, à plus –, interroger la règle de l’unanimité, qui existe toujours au Conseil sur certains sujets, car elle accorde, de fait, un pouvoir de blocage. Un cadre institutionnel adapté s’avère nécessaire. Des réflexions sont en cours.
Le président du Conseil rappelait, en septembre dernier, que l’élargissement est « un investissement géostratégique en matière de paix, de sécurité, de stabilité et de prospérité ».
Alors que plusieurs textes de loi ont pu être adoptés la semaine dernière par le Parlement ukrainien, afin de répondre dès maintenant aux recommandations qui lui ont été faites par la Commission, pourriez-vous nous en dire plus, madame la secrétaire d’État ?
Pour conclure, j’ai une pensée pour Jina Mahsa Amini et le mouvement « Femme, Vie, Liberté », en Iran, auxquels la présidente du Parlement européen a décerné, hier, à titre posthume, le prix Sakharov. Plus largement, j’ai une pensée pour toutes les femmes iraniennes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce Conseil européen est le dernier d’une année difficile.
L’agression russe en Ukraine dure et, malheureusement, la guerre s’enlise.
Les terroristes du Hamas ont frappé Israël, qui poursuit sa riposte, avec un coût humain insupportable.
La COP28 se termine sur un accord insatisfaisant, après de nombreux événements climatiques alarmants, et la croissance économique européenne est en panne, ralentie par le surenchérissement du coût de l’énergie et l’inflation.
C’est dire si les enjeux de ce Conseil sont considérables. Les décisions qui seront prises - ou non - engageront l’avenir de l’Union européenne et de ses États membres.
Face à ces défis, le maître mot est l’unité. L’Union doit être mobilisée, engagée, et parler d’une seule voix.
Je souhaite tout d’abord aborder la situation de l’Ukraine, le soutien immédiat que nous lui devons et les perspectives d’avenir à lui offrir.
Depuis plusieurs semaines, la contre-offensive piétine, les troupes ukrainiennes manquent d’armes et de munitions, et les réponses apportées ne sont pas à la hauteur. Le commissaire Breton s’engageait à fournir aux Ukrainiens 1 million de munitions : ils n’en ont reçu qu’un tiers.
Madame la secrétaire d’État, cela interroge notre capacité à produire nos propres moyens de défense et, plus largement, l’ambition d’une politique industrielle de défense, voire d’une hypothétique défense commune, alors que nos partenaires allemands, empêtrés dans leurs difficultés budgétaires à la suite de l’arrêt de la cour de Karlsruhe, semblent s’éloigner chaque jour un peu plus de ces objectifs.
Si l’on y ajoute la position du Congrès américain et la possible élection de M. Trump en novembre 2024, il est urgent de se ressaisir.
À cet égard, la menace que fait planer M. Orbán sur l’aide à l’Ukraine est inquiétante, car son exécution attenterait à ses capacités de résistance. Elle casse la nécessaire cohésion européenne.
Espérons, madame la secrétaire d’État, que le Président Macron a été convaincant lors de son entretien avec M. Orbán !
Pouvez-vous nous dire quelle initiative la France prendra, en cas de blocage, pour améliorer le soutien à l’Ukraine, alors que la Russie contourne les sanctions, s’arme massivement, mobilise autoritairement des ressources humaines quasi inépuisables ?
L’Europe doit être au rendez-vous de l’Histoire, car une défaite de l’Ukraine serait une défaite pour la démocratie, pour l’État de droit et pour l’Europe.
C’est dans ce contexte que la question de l’élargissement se pose comme une obligation géopolitique – c’est le deuxième point que je souhaite évoquer.
Il faut offrir une perspective claire d’adhésion à l’Ukraine, dont le Parlement procède à de nombreuses avancées législatives en faveur de l’indépendance de la justice et de l’État de droit.
Simultanément, nous devons nous questionner sur les enjeux de cette adhésion, notamment sur l’avenir de la politique agricole commune et sur les défis de la reconstruction.
Le Conseil européen doit, demain, adresser un message précis aux autres pays : à la Moldavie, qui fait figure de « bon élève », et dont la perspective d’adhésion sera un message adressé à son peuple, mais aussi à la Russie ; à la Géorgie, qui doit lever toute ambiguïté sur ses choix diplomatiques ; aux Balkans occidentaux – Albanie et Macédoine du Nord –, pour lesquels les négociations doivent avancer ; au Monténégro, qui doit sortir de son instabilité politique et progresser ; à la Bosnie-Herzégovine, malgré sa complexité institutionnelle issue des accords de Dayton, les interférences serbes et la tentation séparatiste de la République serbe de Bosnie ; enfin, à la Serbie, qui doit choisir entre un alignement sur la Russie ou sur l’Europe et reprendre la voie du dialogue avec le Kosovo.
L’élargissement doit assurer conjointement la prospérité des États membres et des pays candidats, mais aussi la défense de notre modèle démocratique et notre sécurité.
Madame la secrétaire d’État, quelle lecture faites-vous de la situation de ces pays, considérant que la pierre angulaire, notre patrimoine commun doivent être le respect de l’État de droit, des droits humains et de la démocratie ?
Vous dites qu’il s’agit de savoir non pas s’il faut élargir l’Union européenne ni même quand – la réponse est le plus vite possible –, mais bien comment le faire.
Je partage votre sentiment. Mais, si cet élargissement est indispensable, il interroge le projet européen et nécessite une réforme de sa gouvernance.
Madame la secrétaire d’État, la France va-t-elle défendre, au Conseil, la nécessité de questionner les traités et de convoquer une Convention, comme le demande le Parlement européen ?
Le Conseil de demain doit envoyer les signaux nécessaires pour ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire européenne.
Le troisième point que je souhaite évoquer concerne les accords commerciaux.
De nombreux accords sont en cours de finalisation, comme avec la Nouvelle-Zélande et le Chili. D’autres patinent, comme avec le Mexique et l’Australie.
Le Mercosur joue au yoyo. D’un côté, le Président de la République annonce s’opposer à un accord en l’état ; de l’autre, la présidence espagnole pousse pour aboutir.
Nous pensions que l’élection de M. Milei en Argentine reporterait sine die la question, mais, ces derniers jours, le président Lula prédit une signature rapide, avec l’appui de l’Allemagne. Madame la secrétaire d’État, nous avons besoin d’y voir clair !
De manière plus globale, il est indispensable que nous nous interrogions sur le logiciel utilisé pour ces accords commerciaux.
La théorie des « avantages comparatifs » n’est plus satisfaisante au regard des enjeux actuels de souveraineté économique et de transition écologique et numérique.
Outre garantir la prospérité des États membres, le rôle de l’Union est aussi de permettre l’émergence de standards environnementaux, sociaux et démocratiques ambitieux, qui nécessitent l’instauration de dispositifs de conditionnalité et de réversibilité des accords.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous assurer qu’en l’état il n’y aura pas d’accord sur le Mercosur et que le Parlement français sera consulté sur celui-ci le jour venu, comme il devrait l’être sur l’Accord économique et commercial global (Ceta), déjà en vigueur depuis près de cinq ans et toujours pas présenté au Sénat ?
Pour terminer, je veux évoquer la COP28, qui se termine. Le Président de la République salue une étape importante, quand bon nombre d’ONG trouvent l’accord insatisfaisant.
Pouvez-vous nous dire si les conclusions de la COP permettront de respecter la trajectoire définie pour limiter le réchauffement à 1,5 degré supplémentaire ? Quelles en seront les incidences pour l’Union européenne ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Puisque j’ai été interrogée sur la défense, je rappelle que l’Union européenne a déjà fait beaucoup en matière de munitions et d’achats communs. Elle a créé un fonds d’investissement, ainsi qu’un fonds de recherche et développement, le Fonds européen de la défense (Fedef).
Ce que nous voulons, pour l’avenir, c’est, bien sûr, augmenter et amplifier toutes ces initiatives, avec une préférence européenne, pour développer une véritable industrie européenne de défense.
Pour ce qui concerne les accords commerciaux, le cadre reste le même.
Nous nous sommes fixé trois principes : la réciprocité - je pense notamment à l’ouverture des marchés publics - ; la nécessité d’accords stratégiques - on peut penser à l’accord avec le Chili - ; la nécessité d’accords qui respectent nos engagements environnementaux.
En l’état, le Mercosur ne respecte pas ces trois critères. La position de la France demeure donc inchangée : c’est non !
Pour répondre sur la COP28, ce que nous voulons, ce sont des résultats. Le commissaire Wopke Hoekstra a travaillé à ces résultats, dans le respect du mandat européen.
Je pense notamment à deux avancées, la sortie progressive des énergies fossiles et l’intégration du nucléaire comme énergie décarbonée, ce qui constitue une victoire à de nombreux points de vue.
En ce qui concerne l’élargissement, je ne peux que répéter que nous allons œuvrer, comme nous l’avons déjà fait au Conseil affaires générales et, de façon plus large, en bilatéral, à soutenir les propositions de la Commission qui recommandent d’ouvrir les négociations d’adhésion à l’Ukraine et à la Moldavie, au regard des progrès importants qu’elles ont effectués.
Nous avons demandé, hier, en conseil Affaires générales, que la présidente de la Commission présente à l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement les progrès effectués par l’Ukraine, notamment dans le but de convaincre la Hongrie.
Pour ce qui est des Balkans occidentaux, nous allons continuer d’encourager les efforts, avec l’intégration graduelle.
Le plan de croissance en est une partie pleine et entière.
Pour faire simple, en cas de progrès en matière d’État de droit et d’alignement sur la politique européenne de sécurité et de défense, des fonds seront versés. Cependant, ces aides sont réversibles !