M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, cette proposition de loi sénatoriale nous est présentée comme une réponse aux récents attentats terroristes qui ont touché la France. Les débats qui s’ouvrent éclaireront certainement ce texte et la direction que le Sénat souhaite donner aux politiques publiques de sécurité pour nos concitoyens.
Nous reviendrons sur chacun des articles ; il n’y a pas lieu, dans la discussion générale, d’apposer un blanc-seing ou d’exprimer une opposition de principe aux mesures qui sont proposées. Toutefois, au nom du groupe du RDSE, je voudrais vous faire part de plusieurs remarques à titre liminaire.
Je veux, en premier lieu, présenter les préoccupations qui ont motivé la rédaction de ce texte.
D’abord, nos concitoyens attendent de l’État des réponses aux attaques qui sont commises sur notre sol. Il est vrai que la menace évolue. Elle est amplifiée par l’endoctrinement progressif rendu possible par les réseaux numériques, qui exacerbent les identités et propagent des idéologies mortifères.
À cela, il faut ajouter la problématique très spécifique des personnes qui, détenues en France pour des actes de terrorisme, devraient sortir de détention prochainement.
Enfin, si l’islamisme radical constitue toujours une menace importante, les services de renseignement nous alertent également sur la montée en puissance de la menace terroriste venant de groupuscules fascisants, tout aussi délétères.
Je sais que tous les groupes du Sénat sont attachés à travailler ensemble pour garantir la sécurité des Françaises et des Français. Pour cet impératif, nous avons toujours été mobilisés.
En second lieu, comme nombre de mes collègues, je veux me faire le porte-voix d’un appel à l’équilibre. Les principes cardinaux de notre droit pénal sont un héritage des Lumières et de la Révolution. La proportionnalité et l’individualisation des peines, ou encore le principe selon lequel on ne peut être condamné deux fois pour le même fait ne sont pas des obstacles à une politique efficace. Ils sont au contraire des protections de notre État de droit. Notre collègue Francis Szpiner a employé à leur égard les mots de « capital moral ».
Le Sénat, autrefois conservateur de la Constitution, doit voir le contrôle de la loi par le Conseil constitutionnel non pas comme un empêchement, mais comme un outil de sauvegarde des droits et libertés. Charge aux débats qui s’ouvrent de trouver un équilibre entre liberté et sécurité. Que ces termes ne se réduisent pas à un poncif de plus, employé à justifier des règles d’exception qui finalement se pérenniseraient !
Certaines mesures de cette proposition de loi, éclairées par les travaux de la commission des lois et de M. le rapporteur Marc-Philippe Daubresse, illustrent mes remarques.
À ce titre, on peut relever les interrogations légitimes qui s’expriment sur la sécurité juridique de l’article 1er bis. Celui-ci fait de la notion d’« inconduite notoire » un nouveau motif de retrait d’un sursis probatoire ou d’un suivi sociojudiciaire. Cette notion, si elle apparaît déjà dans le code de procédure pénale comme motif de révocation de la liberté conditionnelle, pâtit d’un flou important.
Ensuite, l’article 11 bis devra faire l’objet d’une attention particulière à l’aune de la protection de la vie privée.
Enfin, le renforcement de l’arsenal judiciaire s’appliquant aux mineurs et, davantage encore, à ceux de moins de 16 ans, doit nous appeler à la plus grande des vigilances. « Le moyen le plus sûr, mais le plus difficile, de prévenir les délits est de perfectionner l’éducation », disait Beccaria. Avant de judiciariser l’avenir des mineurs, il nous faut nous assurer que tous les moyens éducatifs et sociaux ont été mis en œuvre. Les réponses apportées à la jeunesse conditionnent l’avenir de la Nation. Notre responsabilité envers elle est immense.
Ainsi, le groupe du RDSE se maintiendra dans une dynamique d’équilibre au service de la sécurité des citoyens.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ça, c’est de la périphrase !
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui fait écho aux récents attentats d’Arras et du pont de Bir-Hakeim. Ils nous ont violemment rappelé à quel point la menace terroriste reste prégnante dans notre pays et n’est pas près de disparaître. À l’évocation de ces tristes événements, le groupe RDPI a une pensée émue pour les victimes et leurs familles. Elles ont tout notre soutien.
Nous pensons également aux forces de l’ordre et à nos services de renseignement, qui luttent activement contre la menace terroriste. Nous tenons à rendre hommage à leur action qui – il faut le souligner – a permis depuis 2017 de déjouer pas moins de quarante-trois attentats.
Pour arriver à ce résultat, nous avons considérablement affermi notre arsenal, avec la loi Silt en 2017, la création du parquet national antiterroriste en 2019, ou encore la loi Séparatisme en 2021.
Nous avons puissamment consolidé les moyens juridiques, judiciaires et administratifs nécessaires à une lutte efficace contre le terrorisme, de manière transpartisane. Il s’agit d’une préoccupation constante de la majorité présidentielle.
Toutefois, comme les auteurs de cette proposition de loi en font le constat, la menace terroriste, en plus de rester élevée, a considérablement évolué depuis les attentats de 2015.
En premier lieu, cette menace peut désormais émaner de détenus ayant déjà purgé leur peine, ce qui pose la question de leur prise en charge à l’issue de cette dernière.
En second lieu, les attaques terroristes sont plus imprévisibles du fait de l’évolution du profil des individus radicalisés. Ces derniers ne bénéficient plus nécessairement du soutien logistique de groupes terroristes basés à l’étranger, comme Daech, l’État islamique ; ils agissent davantage de façon solitaire. Il peut s’agir d’assaillants plus jeunes qu’auparavant, souvent endoctrinés au travers d’internet et des réseaux sociaux. Ainsi, la radicalisation de mineurs parfois très jeunes peut s’effectuer directement sur le territoire national, en dehors de tout lieu de socialisation.
Le texte de nos collègues repose sur le constat que l’arsenal pénal actuel ne permet pas d’appréhender pleinement ces évolutions. De ce fait, il a pour objet de remédier aux lacunes judiciaires et administratives de notre système.
Les membres du groupe RDPI ne peuvent que souscrire à l’objectif de ses auteurs : garantir la sécurité des Français en renforçant les moyens de la lutte contre le terrorisme, dans le contexte de la tenue imminente des jeux Olympiques de Paris.
Toutefois, nous sommes aussi convaincus que la lutte contre le terrorisme ne peut se faire que dans le respect de l’État de droit. Nous avions à ce titre des réserves sur diverses dispositions du texte initial, notamment pour ce qui concerne leur conformité avec certains des principes fondamentaux inscrits dans notre Constitution.
Aussi, nous tenons à saluer le travail de M. le rapporteur, Marc-Philippe Daubresse, qui s’est attaché à rechercher l’équilibre entre opérationnalité des mesures, efficacité de la lutte contre le terrorisme et garantie des droits et libertés constitutionnels.
À titre d’exemple, nous saluons l’encadrement par le rapporteur des mesures judiciaires de sûreté. En limitant, sur son initiative, leur champ aux condamnés à des peines supérieures à quinze ans d’emprisonnement, ou à dix ans en cas de récidive, pour des crimes à caractère terroriste, et en prévoyant une prise en charge adaptée aux profils radicalisés, la commission a veillé à ce que la mesure respecte les critères de nécessité et de proportionnalité.
En ce qui concerne les mesures administratives de lutte contre le terrorisme, la substitution d’une interdiction de paraître autonome à l’interdiction de paraître dans les transports en commun prononcée dans le cadre des Micas nous semble moins attentatoire aux libertés individuelles et même opportune, sous réserve des observations qui pourront être faites en séance, dans la perspective de la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques l’été prochain.
Si les membres du groupe RDPI sont globalement favorables à ce texte, qui répond à une attente forte, nous n’en avons pas moins quelques réserves.
Ainsi, l’ajout du critère d’« inconduite notoire » comme motif de révocation d’un sursis probatoire ou d’un suivi sociojudiciaire, ainsi que l’ajout du critère de réitération comme motif de révocation d’une mesure de surveillance judiciaire ou d’un suivi sociojudiciaire nous semblent de nature à nuire à la lisibilité des dispositifs concernés. Si nous devinons les intentions derrière ces modifications, l’imprécision juridique de ces notions nous fait craindre une forme d’arbitraire.
Cela étant dit, le groupe RDPI souscrit pleinement à l’objectif de cette proposition de loi. Ses auteurs entendent adapter l’arsenal dédié à la lutte antiterroriste en partant d’un constat certes sinistre, mais, à notre sens, pertinent. Nous nous interrogeons toutefois sur la capacité de certaines des mesures proposées à concilier respect des principes fondamentaux de notre État de droit et lutte contre le terrorisme. Aussi serons-nous particulièrement attentifs aux arguments des uns et des autres, et plus particulièrement à votre avis, monsieur le garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis vingt ans, les textes législatifs sur le terrorisme se sont succédé au point d’être dorénavant plus nombreux que ceux sur l’immigration. Ce n’est pas chose facile !
En 2009, Robert Badinter, alors président du Conseil constitutionnel, déclarait : « S’agissant du terrorisme, tout attentat aveugle dirigé contre des civils anonymes, par définition innocents, pour semer la terreur et la dévastation est un crime contre l’humanité. La fermeté s’impose. Cela dit, la lutte contre le terrorisme doit être conduite dans le respect des principes de l’État de droit, justement parce que nous refusons l’idéologie de mort et de violence des terroristes. »
Face aux attentats terroristes qui nous ont frappés, et afin de prévenir et d’éviter toute nouvelle attaque, malgré le formidable travail de nos services de renseignements et de nos fonctionnaires de police et de justice, le débat sur la modification et l’adaptation du droit existant est légitime.
Lorsque nous étions aux responsabilités et que nous avons assisté à l’augmentation des dangers au cours des années 2010, en particulier entre 2012 et 2015, nous avons fait évoluer notre droit.
En 2014, nous avons créé de nouvelles infractions afin de permettre une approche judiciarisée de personnes n’étant pas encore passées à l’acte violent, renforçant ainsi la capacité de l’action judiciaire.
La loi du 24 juillet 2015 a donné à nos services de renseignement la possibilité de détecter, dans un cadre légal, les risques qui pouvaient exister sur notre territoire.
La loi du 3 juin 2016 a introduit, en matière d’infractions terroristes, la peine complémentaire de suivi sociojudiciaire, qui emporte l’obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l’application des peines, à des mesures de surveillance et d’assistance destinées à prévenir la récidive après l’exécution de la peine.
Nous sommes donc pour qu’on légifère en cas de nécessité, pour que l’on modifie alors le droit existant, mais à condition de toujours s’assurer de l’équilibre indispensable entre la sécurité de nos concitoyens et le respect des libertés fondamentales et individuelles.
Regardons attentivement les motivations des terroristes qui s’en prennent à notre pays : il s’agit avant tout de s’attaquer à ce que nous sommes, à nos valeurs, à notre État de droit et à notre justice. Aussi, chaque fois que nous modifions notre droit en fragilisant un peu plus nos principes fondamentaux et les droits de la défense, nous reculons face à eux.
Il y a quelques années déjà, la loi du 10 août 2020 instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine a fait l’objet d’une large censure de la part du Conseil constitutionnel dans sa décision du 7 août 2020. Le motif était que ces mesures contrevenaient à « la liberté d’aller et de venir et au droit au respect de la vie privée », ainsi qu’au « droit de mener une vie familiale normale », d’une manière qui n’était « ni adaptée, ni proportionnée à l’objectif » de prévention d’actes terroristes.
Ensuite, la loi du 30 juillet 2021 a instauré une nouvelle mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion : la mesure judiciaire de sûreté. Cette fois, le Conseil constitutionnel avait censuré l’allongement des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les Micas.
Nous avons bien compris que le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration a fait céder de nombreuses digues, dont celle de la responsabilité du législateur. Désormais, des travées de la droite jusqu’à l’Élysée, jouer avec la Constitution et nos droits fondamentaux est un nouveau mode opératoire politique. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Eh oui !
Mme Corinne Narassiguin. Messieurs les ministres – je m’adresse en particulier au garde des sceaux, que j’ai bien entendu –, vos mises en garde bienvenues sur ce texte ne suffisent pas : il faut y faire obstacle !
Pour notre part, il nous paraît toujours aussi inconcevable que le Parlement adopte des dispositions qui seraient très largement inconstitutionnelles et attentatoires aux libertés individuelles.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Il faut relire Le Coup d’État permanent !
Mme Corinne Narassiguin. Nous dénonçons ces bricolages législatifs délibérés, entrepris à des fins de communication politique.
Au sein de cette proposition de loi, de nombreux points sont problématiques : la création d’une nouvelle mesure de sûreté, la notion très floue d’« inconduite notoire », qui suffirait à renvoyer une personne en prison – l’amendement qui nous est soumis par le rapporteur ne nous semble pas de nature à corriger ce flou –, l’instauration, toujours avec un risque d’arbitraire, de la rétention de sûreté en cas de « trouble grave de la personnalité » ou de radicalisation « persistante », l’interdiction de paraître lors des grands événements, ou dans les transports publics, qui peut durer jusqu’à trois ans, ou encore l’omniprésence constante du pouvoir administratif par rapport au pouvoir judiciaire.
Pour l’instant, la rétention de sûreté est une mesure exceptionnelle qui ne concerne qu’un nombre restreint de crimes graves, dont le viol, le meurtre et l’assassinat, la torture et les actes de barbarie, l’enlèvement et la séquestration. Elle a été créée par la loi du 25 février 2008 ; peuvent y être soumis les individus particulièrement dangereux à l’issue de l’exécution de leur peine.
En élargissant aux crimes terroristes le champ de la rétention de sûreté, vous souhaitez donc créer une nouvelle peine après la peine, non pas pour un acte passé, pour lequel une sanction aura déjà été prononcée, mais pour un acte potentiel, en raison de la dangerosité de la personne et selon des critères dont l’imprécision laisse craindre une application totalement arbitraire. Cette nouvelle peine viserait à sanctionner une personne non pas pour ce qu’elle a fait, mais pour ce qu’elle est et pour ce qu’elle pourrait faire ! Vous cherchez à instaurer une justice prédictive. Nous refusons cette vision digne d’une œuvre de science-fiction dystopique !
Nous constatons une nouvelle fois qu’aucune réflexion de fond n’est menée, notamment sur la radicalisation en détention et sur les outils employés afin de lutter contre celle-ci. Pire, vous faites de la détention l’alpha et l’oméga de la peine, sans vous soucier d’une exposition renforcée à la radicalisation en prison. Pas à pas, chers collègues, vous êtes en train de mettre à mal notre système pénal et, ainsi, notre État de droit. Vous le savez !
Permettez-moi de citer de nouveau Robert Badinter, qui déclarait voilà quinze ans, à propos de la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté : « [Notre] système de justice pénale […] repose sur le principe de la responsabilité entendue comme la contrepartie de la liberté. Vous avez choisi de violer la loi, la peine qui vous est appliquée est la sanction de cette violation. Vous répondez de vos actes selon les principes de l’État de droit. À partir du moment où l’on décide de garder quelqu’un en détention au regard d’un crime virtuel qu’il pourrait commettre, parce qu’on le considère comme dangereux, vous êtes passé dans un autre système. Comment voulez-vous alors vous défendre, puisque vous n’êtes accusé de rien ? Comment les magistrats diagnostiqueront-ils la “dangerosité criminologique” ? »
Avec ce texte, vous souhaitez nous faire passer d’une justice de liberté à une justice de sûreté, renouant avec des courants de pensée du XIXe siècle, qui théorisaient le criminel né, un individu amoral commettant des crimes par nécessité biologique, atavique, tel un sauvage.
Ce texte, c’est le renoncement aux principes fondamentaux de notre droit pénal : la présomption d’innocence, le droit à la réinsertion après la peine effectuée, le respect de la vie privée et familiale, le principe de non-rétroactivité du droit pénal et celui de non-cumul des peines. C’est nier ce que toutes les statistiques révèlent : une véritable réinsertion après la peine limite toute récidive.
Modifier ainsi notre droit pénal serait un point de bascule, mais aussi et surtout un point de non-retour, préparant une fois de plus tous les outils qui seraient mis à disposition d’un régime autoritaire, qui pourrait ainsi mettre à terre notre démocratie.
Enfin, deux articles de cette proposition de loi, les articles 9 et 10, nous interpellent particulièrement, car ils ne sont autres que les articles 9 et 23 du projet de loi Immigration récemment adopté. Que viennent-ils faire ici ? Soit ils sont conformes à la Constitution et entreront en vigueur après la décision du Conseil constitutionnel du 25 janvier prochain, soit ils seront censurés pour inconstitutionnalité. Souhaiteriez-vous donc nous faire adopter deux articles qui seraient contraires à notre Constitution ?
Nous regrettons également le véhicule législatif retenu, à savoir une proposition de loi, laquelle, par définition, ne bénéficie pas d’un avis du Conseil d’État.
Au fond, nous partageons, bien sûr, l’objectif de ce texte. Toutefois, nous considérons que les moyens doivent avant tout être tournés vers le renseignement, la prévention et une application proportionnée du droit existant.
Vous l’aurez compris, au cours de ce débat, le groupe socialiste conservera sa position constante : nous serons très vigilants quant au respect de notre État de droit et de nos principes fondamentaux relatifs aux droits de la défense. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, pas de sécurité sans sûreté !
Notre sécurité collective nécessite en effet, plus que jamais, des moyens de fermeté et des mesures de sûreté. À cet égard, disons-le d’emblée, la présente proposition de loi s’avère absolument indispensable.
Dès avant les attentats de 2015, à force de missions d’information et de rapports, nous avons produit collectivement, au Sénat, un travail permettant de mieux connaître les nombreux aspects du terrorisme.
Nous mesurons par conséquent toute la singularité du terrorisme : son « hybridité », comme on dit à présent, c’est-à-dire sa forme à la fois civile et armée, à la fois politique et religieuse, qui nécessite des efforts constants, de nouvelles ressources et des moyens eux-mêmes hybrides.
Nous voudrions donc insister sur l’importance de la perspective originale retenue pour la présente proposition de loi : elle n’est ni préventive ni répressive, ou plutôt elle n’est pas exclusivement l’une ou l’autre, puisqu’elle s’intéresse au suivi des condamnés terroristes, qui est impératif.
Ce texte est indispensable, en premier lieu, du fait de la nécessité d’une adaptation de notre droit à la menace terroriste. Dès 2015, je présidais, avec ma collègue Nathalie Goulet, une commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes, ce qui m’autorise à rappeler l’une de ses conclusions, qui n’a jamais été démentie depuis lors : il n’est de terrorisme que « dissimulé », menaçant, quelles qu’en soient les apparences religieuses et politiques, ou les formes insérées dans nos sociétés modernes.
Dans nombre de décisions émanant du juge pénal et du juge de l’asile, on relève ces « stratégies de dissimulation », les discours manquant de « cohérence ou de vraisemblance », les indices d’« allégeances » et de « loyautés » occultes des condamnés terroristes.
Comment, dès lors, la liberté ne risquerait-elle pas de cacher elle-même l’insécurité ?
On ne peut lutter efficacement contre le terrorisme qu’à l’aide de mesures de suivi, ainsi que de peines complémentaires et personnalisées. Il faut se réjouir à cet égard des dispositions de ce texte, qui assureront la sécurité de tous dans les transports, dans les manifestations, dans nos fêtes et nos célébrations, par des mesures de sûreté à l’encontre, si nécessaire, de quelques-uns.
Indispensable, ce texte l’est encore parce qu’il permet une adéquation de notre système aux condamnés terroristes.
L’on sait bien à quel point les discours de radicalisation peuvent faire impression sur les esprits simples ou jeunes, par le biais des nouvelles technologies ; cela a déjà été rappelé.
Nous avons d’ailleurs renforcé, en 2022, la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne ; je me réjouis, en tant que rapporteur pour la commission des lois du texte l’ayant permis, que celui-ci bénéficie enfin d’un décret d’application.
Il reste toutefois à rendre le plus sûr possible le suivi des mineurs condamnés en la matière, ainsi qu’à assurer leur déconnexion de ces divers canaux, lesquels favorisent à coup sûr leur isolement et, parfois, leur radicalisation.
Enfin et surtout, cette proposition de loi est indispensable par son appréhension des condamnés terroristes qui, quels que soient leur profil psychologique ou leurs mobiles, présentent une dangerosité particulière.
Cette notion de « dangerosité », si imprécise soit-elle, contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’un dispositif répressif, ne peut être ignorée et abandonnée par le droit.
Comment ignorer, en effet, que des actes de terrorisme meurtriers peuvent encore être commis après une radicalisation en prison, un fichage S et des multirécidives pouvant aller jusqu’à trente condamnations ?
Le sénateur d’Alsace que je suis se souvient parfaitement d’un tel profil, mes chers collègues, puisque c’était celui du terroriste de 29 ans qui a frappé Strasbourg, voilà cinq ans, en plein marché de Noël, pour ne pas dire en plein cœur.
Dans ces circonstances, comme dans tant d’autres, les mesures de sûreté paraissent les mieux à même d’affronter la dangerosité des condamnés, si elle persiste.
Mon intervention serait toutefois incomplète si elle n’évoquait pas un point important, qui semble pourtant passer entre les mailles de ce texte. En effet, alors que l’objectif donné par les auteurs de cette proposition de loi à son titre II est de « renforcer le suivi des mineurs radicalisés », il faut regretter que ce texte ne s’intéresse pas plus résolument aux acteurs en contact étroit avec la jeunesse, à savoir, notamment, les enseignants et les éducateurs sportifs, qui seraient, à mon sens, les mieux à même de les suivre.
Pourtant, dès 2015, un rapport sénatorial recommandait de « mettre en place des actions obligatoires […] de formation à la détection de la radicalisation, à destination des acteurs de terrain (personnels enseignants, conseillers d’éducation, personnels de la protection judiciaire de la jeunesse et de l’aide sociale à l’enfance, éducateurs sportifs », etc.).
Malgré la création de « référents radicalisation », au ministère de l’éducation nationale par exemple, cette offre de formation pour tous les agents publics reste à réaliser.
Je prends l’initiative d’attirer ici l’attention de notre assemblée sur l’offre de formation continue des agents publics titulaires et contractuels, qui pourrait être efficacement complétée, de surcroît sans surcoût pour nos finances publiques.
Malheureusement, les deux amendements que j’avais déposés à cette fin n’ont pas survécu au couperet de l’article 40 de la Constitution. Je ne le comprends pas ! En effet, le financement de la formation continue de ces agents existe. Il n’était pas question de l’augmenter, mais simplement de définir des priorités nouvelles.
Pour conclure, je veux souligner que nous soutenons cette proposition de loi parce qu’elle ajoute aux mesures de sûreté des moyens de fermeté. Ceux-ci nous semblent indispensables, car ils concernent la lutte contre le terrorisme là où elle peut encore être renforcée. Je pense notamment à la dissolution des groupements, à l’expulsion des étrangers et à la sanction des contenus numériques terroristes.
Dans ces domaines, face à une radicalisation qui non seulement précède l’acte terroriste, mais souvent persiste après une condamnation, le présent texte apporte une importante contribution. Cette proposition de loi combine utilement la sûreté et la fermeté, pour notre sécurité commune. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Philippe Bonnecarrère et Louis Vogel applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Aymeric Durox.
M. Aymeric Durox. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis 2012 et les tueries abjectes de Mohammed Merah, notre pays a connu une cinquantaine d’actes terroristes islamistes, provoquant 272 morts et 1 200 blessés selon le décompte de la DGSI.
Il revient au législateur que nous sommes de donner les armes juridiques nécessaires au peuple français pour nous prémunir collectivement d’un tel danger.
Ainsi, cette proposition de loi, qui instaure trois nouvelles mesures de sûreté applicables aux condamnés pour terrorisme, afin de renforcer leur surveillance à leur sortie de détention, ainsi que d’autres dispositifs visant à mieux contrôler et réprimer les auteurs d’actes terroristes, va dans le bon sens, c’est-à-dire dans le sens d’un « réarmement », pour reprendre un mot à la mode, de la société face à cette idéologie totalitaire et meurtrière.
Ces mesures reprennent d’ailleurs ce que nous préconisons depuis des années, au Rassemblement national, à propos des terroristes, qui ne sont pas des délinquants de droit commun, car ils visent un but bien différent, celui de détruire la société. Ils se fichent de la réinsertion sociale, ils la refusent totalement. Ils ne veulent pas être réinsérés dans une société qu’ils combattent et détestent. La mise en place de mesures de réintégration sociale les concernant est vouée à l’échec. D’où l’intérêt des mesures de sûreté, qui correspondent finalement au principe de précaution inscrit dans la Constitution.
Néanmoins, il conviendrait d’aller plus loin dans la recherche de la protection des Français. Nous proposons ainsi depuis des années l’expulsion automatique des terroristes étrangers ayant purgé leur peine en France, afin de dégager du temps et de l’argent en matière de surveillance et d’éviter tout risque de récidive.
De la même façon, il nous paraît opportun de déchoir de la nationalité française des terroristes français ayant commis des actes contre notre pays ou les ayant projetés, mais aussi d’expulser automatiquement vers leur pays d’origine tous ceux qui seraient dotés d’une double nationalité. Le Conseil d’État a d’ailleurs, en mai 2023, confirmé la déchéance de nationalité décidée par le Gouvernement à l’encontre d’une Franco-Turque de 25 ans, condamnée en 2017 pour avoir projeté un attentat en France. Dans son ordonnance, le Conseil d’État a considéré que la déchéance de nationalité de cet individu n’était pas « disproportionnée au regard de la nature et de la gravité des faits commis ».
Depuis 2019, une vingtaine de déchéances de nationalité ont été prononcées pour terrorisme en France, mais il est impossible pour l’instant de déchoir ceux qui sont nés Français. Il faut que la loi le permette : tous ceux qui ont porté les armes contre notre pays sont indignes d’en posséder la nationalité, nés français ou pas.
Enfin, il convient de rappeler une évidence : le terrorisme islamique est un phénomène importé par l’immigration. Selon Le Figaro, en France, depuis 2015 « sauf deux exceptions – deux Français convertis –, tous les autres terroristes islamistes sont, à plus ou moins long terme, le fruit de l’immigration issue des pays musulmans ».