M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Eh bien, proposez un amendement, monsieur le ministre !
M. Gérald Darmanin, ministre. Ma deuxième réserve concerne l’introduction d’une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports publics dès lors qu’un individu a commis un acte à caractère terroriste dans ce type de lieu. À mon sens, cette disposition existe déjà dans le droit, elle est comprise dans l’interdiction générale de paraître. En outre, je m’interroge sur son utilité, puisque les agents de transport n’ont pas accès au fichier des personnes recherchées (FPR) et que le ministère de l’intérieur n’a pas prévu de leur y donner l’accès,…
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Nous sommes d’accord.
M. Gérald Darmanin, ministre. … ne serait-ce que parce que certains agents des transports y figurent. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je signale donc à la représentation nationale que, si de telles mesures apparaissent utiles dans leur principe, le droit actuel nous permet d’y recourir. Il me paraîtrait par conséquent pertinent que l’article 15 soit supprimé ou réécrit…
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Il y a un amendement en ce sens.
M. Gérald Darmanin, ministre. … afin de permettre à tous les agents des transports, qu’il s’agisse de la RATP, de la SNCF, ou d’un autre service, de disposer de garanties de sécurité lorsqu’ils ont des doutes sur telle ou telle personne sensible.
Ces réserves faites, je veux saluer le travail de la commission des lois du Sénat et souligner les améliorations substantielles apportées par M. Daubresse, son rapporteur.
Parmi les avancées que vous avez permises, monsieur le rapporteur, je relève d’abord la disposition aux termes de laquelle une Micas ne sera pas suspendue pendant la procédure d’appel, afin d’éviter la disparition de la personne surveillée ; cela me paraît constituer une bonne mesure.
De même, le fait de donner au préfet la possibilité de faire appel ou de former un pourvoi en cassation pour contester une ordonnance qui n’autorise pas l’exploitation des données saisies lors d’une visite domiciliaire rétablit dans la procédure un équilibre bienvenu entre les parties.
Je considère également comme très utile le fait de permettre aux services de renseignement et au préfet du département dans lequel se trouve une personne suivie pour radicalisation à caractère terroriste de connaître certaines informations ; ce sera précieux pour le suivi des personnes soumises à des soins sans consentement. Cette mesure avait d’ailleurs été suggérée par le Conseil d’État dans son avis sur le décret relatif au fameux fichier Hopsyweb, créé en lien avec le ministre de la santé pour suivre les personnes atteintes de maladies mentales.
Autre ajout très utile à nos yeux : la modification des critères permettant de prolonger la durée de rétention en centre de rétention administrative jusqu’à cent quatre-vingts jours pour les étrangers coupables de provocation directe à des actes de terrorisme. Cette mesure s’inscrit parfaitement dans la politique de fermeté que nous souhaitons mettre en œuvre et fait écho au débat que nous avons eu pendant l’examen du projet de loi Immigration.
Je veux aussi insister sur l’intérêt qu’il y a, selon moi, à créer un délit d’apologie du terrorisme sur les réseaux privés de communication, lorsque ces réseaux, en raison de leur nature, de leurs conditions d’accès, du nombre de personnes y accédant ou de leur appartenance, ou non, à une communauté d’intérêts, peuvent être assimilés à des services de communication publique en ligne.
En effet, les réseaux sociaux, notamment les messageries cryptées, qui s’apparentent parfois à des réseaux sociaux – les groupes de discussion de la messagerie Telegram, par exemple –, représentent désormais l’une des principales difficultés auxquelles font face les services du ministère de la justice et des services de police. Je soumets à la sagacité du rapporteur et du Sénat le fait suivant : être membre d’un groupe Telegram sur lequel sont postées des photos ou des vidéos de viols d’enfants, sur lequel on trafique de la drogue ou sur lequel on partage des contenus faisant l’apologie du terrorisme ne constitue pas en soi une infraction. Or nous ne comprenons pas très bien pourquoi nous ne pouvons pas réagir face à des groupes de discussion rassemblent 2 000, 5 000, 20 000, 30 000, voire 50 000 personnes ; c’est parfois le cas, notamment en matière de drogue ou de pédophilie, mais également en matière de terrorisme.
Je le répète devant le Sénat, les services de renseignement et de police judiciaire éprouvent les plus grandes difficultés à moderniser leurs écoutes téléphoniques, car, il faut bien l’avouer, les messageries cryptées, qui n’ont pas de « porte dérobée », à la différence des conversations téléphoniques classiques, nous empêchent de faire notre travail contre le banditisme et le terrorisme, sauf à utiliser des moyens exorbitants auxquels seule la DGSI peut recourir et qui ne peuvent concerner que quelques personnes.
Enfin, si vous me le permettez, monsieur le garde des sceaux, je crois qu’il faut saluer la disposition destinée à contrecarrer les effets indésirables de la loi du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation, dite loi Vignal,…
M. Gérald Darmanin, ministre. … dont je salue le rapporteur, Marie Mercier, en donnant aux procureurs de la République – non à l’administration – la possibilité de s’opposer à une demande de changement de nom d’une personne condamnée pour des crimes à caractère terroriste. Cela me semble être une mesure de bon sens.
Voilà, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques-unes des avancées du texte dont nous débattons. Ce n’est certes pas une révolution, mais c’est une belle évolution, en particulier pour ce qui concerne le titre III, relatif au ministère de l’intérieur, auquel il donnera des moyens supplémentaires pour nous défendre contre le terrorisme.
Je formule le vœu que nous trouvions la rédaction la plus conforme possible à nos textes constitutionnels, parce qu’il y a urgence. Évidemment, les grands événements à venir ont sans doute incité la Haute Assemblée à inscrire ce texte à son ordre du jour : nous sommes à cent six jours de l’arrivée de la flamme olympique sur le territoire hexagonal et à deux cents jours de la cérémonie d’ouverture des Jeux, cérémonie que nous organisons tous les… trois mille ans, puisque nous ne l’avons encore jamais fait ! (Sourires.)
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Espérons que l’Assemblée nationale fera preuve de la même célérité !
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur et des outre-mer, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le terrorisme islamique est un fléau contemporain des sociétés occidentales et démocratiques, un fléau que nous devons combattre de toutes nos forces, afin d’assurer la sécurité de nos concitoyens et la sauvegarde de nos valeurs.
Notre rôle, en tant que responsables politiques, est d’être à la hauteur de ce combat ; c’est ce qu’attendent de nous nos compatriotes. La France n’a pas à rougir de ce qu’elle a déjà fait ; nous pouvons même nous féliciter d’avoir un des dispositifs antiterroristes les plus complets au monde.
En effet, depuis 1986, la France a considérablement renforcé son arsenal de prévention et de répression du terrorisme. Tous les actes de terrorisme ont été érigés en infractions autonomes punies de peines aggravées. Ces infractions relèvent d’un régime procédural particulier, caractérisé par la centralisation des poursuites, de l’instruction et du jugement. Nous avons également créé un régime dérogatoire qui renforce l’efficacité des enquêtes et l’effectivité de l’exécution des peines. Les aménagements et réductions de peines sont ainsi strictement limités. En outre, les auteurs d’infractions terroristes font l’objet d’une prise en charge pénitentiaire spécifique.
J’irai même plus loin : notre arsenal s’est adapté aux évolutions de la menace terroriste. Le Parlement l’a ainsi renforcé en créant, en 2019, le parquet national antiterroriste (Pnat). Ce faisant, vous avez consacré l’existence d’un parquet autonome spécialisé, qui, depuis lors, a démontré son efficacité.
La proposition de loi que votre assemblée est appelée à examiner aujourd’hui vise à apporter des réponses complémentaires pour mieux lutter contre le terrorisme et la radicalisation ; à cet égard, je tiens à saluer le travail de M. Buffet, dont l’engagement sur ces questions n’est plus à démontrer.
Certaines dispositions du texte représentent des ajustements de notre droit. Elles sont nécessaires et, disons-le, bienvenues. D’autres dispositions apparaissent en revanche plus discutables et exigent que nous les retravaillions ensemble : quelques-unes semblent soulever des problèmes de constitutionnalité ; quelques autres, des problèmes opérationnels.
En effet, si notre système repose sur un traitement spécifique des procédures en matière de terrorisme, il demeure évidemment respectueux de notre État de droit. J’ai, depuis toujours, la conviction intime que ce qui distingue la civilisation de la barbarie, c’est la règle de droit, et, contrairement à ce qu’affirment certains populistes, de plus en plus nombreux, l’État de droit n’est pas un obstacle à la lutte contre le terrorisme : il en est l’instrument. C’est pourquoi la lutte contre la radicalisation doit reposer sur un régime respectueux de la légalité ; nous serons tous d’accord sur ce point, me semble-t-il.
Dans son œuvre normative, le législateur a toujours cherché à concilier la nécessaire spécificité de la lutte contre une criminalité complexe, dont la finalité n’est rien de moins que l’effondrement de notre modèle de société, avec la défense des valeurs de notre République. Et je suis convaincu que, cet après-midi, au moment où nous abordons ce débat, vous avez de nouveau à l’esprit cet impérieux besoin d’équilibre.
Ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, crée tout d’abord de nouvelles mesures judiciaires de sûreté applicables aux personnes condamnées pour des actes de terrorisme et paraissant présenter un certain danger, quand leur peine arrive à son terme. Je souhaite rappeler quelques éléments à cet égard.
Un travail important est réalisé dans nos établissements pénitentiaires pour prévenir la radicalisation des détenus et freiner tout prosélytisme délétère. Mes services travaillent pour assurer l’évaluation et la prise en charge des personnes condamnées pour des faits de terrorisme ou présentant des signes de radicalisation. La remise en liberté de détenus condamnés, potentiellement toujours radicalisés, mais ayant purgé leur peine, est accompagnée, bien évidemment, de mesures de surveillance.
Depuis 2017, nous nous sommes efforcés de créer des dispositifs novateurs et d’améliorer les mesures existantes. Notre droit comporte désormais de nombreuses mesures administratives et judiciaires qui permettent d’assurer le suivi des condamnés pour des actes de terrorisme à l’issue de leur incarcération.
Ces personnes peuvent notamment faire l’objet d’un suivi sociojudiciaire permettant de les contrôler pendant une durée longue – dix, vingt ou trente ans –, voire toute leur vie, selon les cas. Cette mesure particulièrement rigoureuse est désormais, depuis la loi du 10 août 2020 instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, obligatoire en matière de terrorisme.
Ensuite, une surveillance judiciaire peut également être prononcée à la sortie de la détention. Cela permet d’imposer des obligations aux personnes considérées comme dangereuses. La mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion, instaurée par la loi du 30 juillet 2021, permet que la situation de certains détenus soit examinée, sur réquisition du procureur du Pnat, par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, après évaluation de la personne concernée au sein du centre national d’évaluation des publics radicalisés du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil. Une fois la décision judiciaire prise, si ces personnes sont soumises à des obligations et à des interdictions après leur remise en liberté, elles font l’objet d’un accompagnement resserré, du point de vue non seulement sanitaire et social, mais encore éducatif, psychologique ou psychiatrique.
En outre, toute personne condamnée pour terrorisme, apologie du terrorisme ou provocation au terrorisme est inscrite au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (Fijait), ce qui emporte notamment l’obligation de déclarer son adresse et de signaler tout déplacement à l’étranger.
Enfin, à ces mesures judiciaires s’ajoutent des mesures administratives, au premier rang desquelles figurent les Micas, instaurées par la loi Silt du 30 octobre 2017.
L’efficacité globale de ces dispositifs repose à la fois sur leur complémentarité et sur une parfaite articulation entre, d’une part, les autorités administratives et, d’autre part, l’autorité judiciaire.
La présente proposition de loi remplace la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion par une nouvelle mesure, qui avait déjà été proposée par le Sénat en 2021.
La rédaction proposée prévoit le prononcé d’obligations et d’interdictions de même nature que celles qui sont prévues dans les Micas. Une telle superposition serait de nature à fragiliser la légalité des Micas qui seraient prononcées à l’encontre des mêmes personnes, alors que les Micas permettent de prononcer des obligations plus rigoureuses. C’est notamment le cas de l’interdiction de fréquenter certaines personnes.
Le droit actuel distingue clairement les finalités de la mesure administrative de celles de la mesure judiciaire, la première étant destinée à assurer la surveillance de la personne, alors que la seconde vise à prévenir la récidive. Nous considérons que la superposition de dispositifs de sûreté différents nuit à l’efficacité de l’action que l’État mène dans ses fonctions administratives et judiciaires.
Ce texte crée également une rétention de sûreté applicable à des personnes qui ne souffrent d’aucun trouble de la personnalité médicalement constaté, mais qui présentent un certain danger.
Une telle mesure privative de liberté, fondée sur un soupçon d’ordre criminologique, serait, à mon sens, contraire à notre Constitution. Je souhaite attirer l’attention de la Haute Assemblée sur un point particulier : les mesures de sûreté doivent respecter le principe résultant de l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon lequel la liberté ne saurait être entravée par une « rigueur qui ne serait pas nécessaire ». Or, à plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel a tenu à rappeler la vigilance dont doit faire preuve le législateur quant au caractère « adapté, nécessaire et proportionné » des mesures restrictives de liberté lorsqu’elles sont imposées à des personnes ayant purgé leur peine. Il ne faudrait pas laisser penser que nous sommes prêts à instaurer une quelconque forme de justice prédictive, laquelle serait la négation de l’idée même de justice, puisqu’elle reviendrait à condamner sur un simple soupçon.
Dans le prolongement de mes premières observations, je veux maintenant dire un mot du délit de détention d’images terroristes, qui figure dans le texte que vous allez examiner. Un tel délit a déjà été jugé contraire à la Constitution : la seule adhésion à une idéologie terroriste, sans qu’il en soit fait l’apologie, ne suffit pas à caractériser une volonté de commettre un acte terroriste. Cela étant, votre commission des lois propose d’élargir la répression de l’apologie d’actes terroristes lorsque celle-ci est faite sur un réseau privé. Cette mesure va dans le bon sens, car il ne fait aucun doute que l’apologie du terrorisme doit être sanctionnée, même si elle est non publique.
Je souhaite également saluer le travail de la commission des lois sur un certain nombre de mesures qui apparaissent opportunes. Il s’agit essentiellement des améliorations apportées aux Micas et au dispositif d’information des préfets concernant les soins psychiatriques d’une personne radicalisée.
Plusieurs autres mesures retiennent mon attention : le placement sous bracelet électronique des mineurs, le contrôle judiciaire de ces derniers lorsqu’ils sont âgés de 13 ans à 16 ans, la possibilité de prononcer une peine en audience unique, la prolongation d’un placement pénal avec suivi effectué par la protection judiciaire de la jeunesse au-delà de 18 ans, ou encore la révocation du sursis probatoire et du suivi sociojudiciaire. Ces mesures, qui vont dans le bon sens, pourront être perfectionnées par la suite, notamment sur le plan technique.
En conclusion, je reconnais que l’objectif de ce texte est louable. Nous devons néanmoins rester vigilants quant au respect des exigences constitutionnelles. Je souhaite donc vivement que la proposition de loi soit améliorée, pour consolider un édifice déjà robuste en matière de lutte contre le terrorisme.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l’écoute de la caractérisation que les précédents orateurs, en ouverture de leurs propos, ont faite du terrorisme et de la menace qu’il pose aujourd’hui, je dois reconnaître que ma propre analyse est très proche. Je partage largement ces constats ; c’est sur les dispositions proposées que nous divergeons, même si je relève bien que MM. Darmanin et Dupond-Moretti ont également émis quelques réserves sur certaines d’entre elles, avec leur souplesse et leur diplomatie coutumières.
À mon sens, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, la grande majorité des articles que vous nous soumettez ne répondent pas aux problématiques que vous avez vous-même définies. C’est tout à fait paradoxal ! Cette proposition de loi – c’est mon plus grand reproche – se réduit à un énième texte sécuritaire, qui s’ajoutera aux précédents, mais n’aura pas de réel effet sur les problèmes que vous souhaitez résoudre.
Je partage l’esprit du garde des sceaux : l’État de droit, rien que l’État de droit ! Comme l’indiquait le secrétaire général des Nations unies, dans la lignée d’un ancien commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, « nous devons combattre sans relâche le terrorisme pour protéger les droits de l’homme et, en même temps, en protégeant les droits de l’homme, nous nous attaquons aux causes profondes du terrorisme ».
Certaines des solutions qui auraient pu être mises en avant sont totalement absentes de ce texte. Celui-ci nous paraît se joindre à l’inflation législative de ces dernières années sans transcrire une réflexion concertée ou apaisée.
La menace terroriste existe. Vous l’avez bien définie – elle est forte et protéiforme –, mais les propositions défendues par les auteurs de cette proposition de loi sont loin d’être à la hauteur de l’enjeu. Elles portent en elles des dérives sécuritaires et une surenchère répressive. L’utilité, la constitutionnalité, l’opérationnalité et, plus simplement, l’efficacité des mesures qui nous sont soumises ne nous semblent nullement démontrées ni démontrables.
Les constats du rapporteur témoignent pourtant d’une réalité inquiétante : je pense aux difficultés de prise en charge, y compris psychologique et psychiatrique, des condamnés terroristes à l’issue de leur peine, à l’imprévisibilité croissante des attaques terroristes par des loups solitaires, ou encore à la problématique de la radicalisation en hausse des mineurs.
Ce texte ne répond pas à ces enjeux. En s’empilant sur notre arsenal contre le terrorisme, nourri de plus de vingt lois depuis 1986, les mesures qu’il contient ne feraient qu’affaiblir les principes fondamentaux de notre droit ; le garde des sceaux nous a d’ailleurs quelque peu mis en garde contre ce danger.
Notre groupe a toujours défendu une politique claire, notamment lors de l’examen de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire : les réponses ne peuvent uniquement consister à rogner les droits de la défense ou la capacité du juge à juger.
La prise en charge et le suivi, notamment psychiatrique, des condamnés terroristes après leur peine ne peuvent se faire au prix de la suppression des garanties auxquelles ont droit les justiciables. L’autoradicalisation ne peut se juguler sans comprendre l’isolement social et les pathologies, parfois psychiatriques, des individus ni assurer leur prise en charge. On ne peut appréhender la radicalisation des mineurs par la surveillance seule, sans se préoccuper de l’accompagnement nécessaire des populations en question.
Sur la notion d’« inconduite notoire », qui devrait certes être modifiée au dernier moment par un amendement – nous en reparlerons donc –, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) soulignait que « le système judiciaire français se base sur un fait prouvé et non pas sur la prédiction aléatoire d’un comportement futur ». Il faut éviter de tomber dans ce travers. Ainsi, la CNCDH s’inquiète de l’instauration de mesures restrictives de liberté reposant sur un fondement aussi incertain, source inévitable d’arbitraire.
Notre groupe se désole également que rien ne soit fait pour mieux prévenir la radicalisation et accompagner les personnes, notamment les mineurs, qui peuvent la subir. Ainsi, on acte, entre autres mesures, le transfert des mineurs radicalisés vers la protection judiciaire de la jeunesse, en lieu et place de leur prise en charge par l’aide sociale à l’enfance. Pourquoi ne pas soutenir plutôt les départements dans leur prise en charge de ces jeunes ?
Une étude de 2018 de l’Institut français des relations internationales (Ifri) démontrait que la majorité des actes terroristes était perpétrée par des personnes sans antécédents judiciaires. La pauvreté et l’isolement social sont des facteurs propices à la radicalisation. Rien dans ce texte ne vient aborder ces sujets. Aucune solution n’est présente.
Nous regrettons aussi que ce texte qui vise à renforcer la lutte antiterroriste ne contienne aucune proposition en matière de coopération européenne ou internationale, ou de lutte contre le financement du terrorisme et le rôle plus que trouble de certains pays disposant d’une puissance régionale.
Pour toutes ces raisons, notre groupe ne votera pas ce texte. Nous défendrons une dizaine d’amendements.
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la lutte contre le terrorisme est une priorité indiscutable. Il est de notre responsabilité collective de mettre en place des dispositifs efficaces pour assurer la sécurité de nos concitoyens.
L’accomplissement de cette tâche complexe pose une exigence particulière : nous devons collectivement prendre garde à ne pas céder au terrorisme. À cet égard, la société française a résisté. Elle a refusé jusqu’à présent – tant mieux ! – de tomber dans les pièges tendus par les terroristes, contrairement aux États-Unis avec Guantanamo. Nous avons collectivement fait le choix de ne pas sacrifier notre État de droit. Cela doit rester notre boussole. En effet, le terrorisme, tel un poison, cherche sans cesse à nous contraindre à changer de modèle. Notre droit n’a pas été fait seulement pour les temps calmes !
Dès lors, lutter contre le terrorisme revient à réfléchir à ce que peut faire l’État de droit pour combattre légalement ceux qui balayent toute forme de légalité, sans succomber à la tentation du déni, de l’indifférence, ou de la surenchère.
C’est là que le rôle du politique est crucial : il peut et doit faire face au terrorisme en respectant nos principes fondamentaux, pour protéger notre société et apporter réparation aux victimes.
La vague d’attentats qu’a connue la France en 2015, dont le souvenir a été ravivé par le procès des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, a profondément marqué notre pays. Elle a bouleversé l’institution pénitentiaire et, au-delà, la justice. Depuis ces événements, la politique pénale a connu un durcissement considérable. L’augmentation du nombre de personnes incarcérées pour des affaires en lien avec le terrorisme a mis les prisons sous pression. Toutefois, face à des injonctions contradictoires, l’administration pénitentiaire peine à donner un sens à leur prise en charge.
Dans le fond, cette proposition de loi, qui traite principalement d’individus sortant de prison, doit nous interroger. Considérons-nous ces personnes comme définitivement irrécupérables ? Notre société fait-elle face à des causes perdues qu’elle choisit indistinctement de neutraliser ?
Le point aveugle de ce texte est précisément la prison et la mission de prise en charge assignée à l’administration pénitentiaire. À nos yeux, la répression seule ne peut être la réponse complète à cette problématique.
Il faut s’attaquer aux causes profondes du terrorisme en mettant en place des politiques cohérentes de prise en charge des détenus radicalisés. Sur ce sujet, l’heure n’est pas aux querelles, mais à l’action. Il est impératif de professionnaliser le travail autour de la radicalisation. Celle-ci doit être abordée avec méthode afin d’obtenir des résultats concrets. Le monde carcéral est le talon d’Achille de la société face à la radicalisation ; il manque considérablement de moyens pour prendre ce problème à bras-le-corps.
En outre, la psychiatrie ne doit pas être oubliée. Le cas de l’assaillant du pont de Bir-Hakeim à Paris, présentant des troubles psychiatriques et neurologiques, souligne l’importance de renforcer les moyens de la psychiatrie de ville pour le suivi de patients au profil complexe.
Quant aux mineurs, ce texte renvoie la prise en charge de certains d’entre eux à la protection judiciaire de la jeunesse et semble ainsi reconnaître l’utilité de la PJJ. Nous nous en félicitons, mais je ne peux que faire le lien avec la défense par notre groupe, lors des débats budgétaires, de la hausse des moyens humains de la PJJ. La majorité sénatoriale n’avait pas souhaité nous suivre sur ce point.
Il n’est pas ici question de la seule évolution du droit pénal : on doit aussi s’intéresser aux moyens donnés aux services publics pour fonctionner correctement. Ce texte élude donc un certain nombre de questions essentielles et s’illustre, à nos yeux, par ses manques.
Cependant, il se distingue aussi par ses ajouts, notamment ceux du rapporteur, bien éloignés de l’ambition initiale. À cet égard, un certain nombre d’éléments ne manquent pas de nous inquiéter : des dispositions qui vont bien au-delà de la question du terrorisme.
Tout d’abord, le texte comporte des dispositions portant modification du régime des dissolutions administratives, lesquelles, comme le rappelait dans son intervention le ministre de l’intérieur, ont déjà connu de considérables révisions au travers de la récente loi Séparatisme. Le rapporteur nous propose, par un amendement, de définir légalement la provocation justifiant la dissolution d’une association. En outre, la création d’un régime de transfert des biens des structures dissoutes est suggérée.
Ensuite, l’article 6 ajuste les règles d’autorisation pour les enquêteurs effectuant des achats de produits licites dans le cadre d’une enquête sous pseudonyme.
Enfin, toujours à la suite d’un amendement du rapporteur, il nous est proposé de faire de la notion d’« inconduite notoire » un motif de révocation d’un sursis probatoire ou d’un suivi sociojudiciaire.
Vous conviendrez que nous sommes bien loin de l’objectif initialement assigné à cette proposition de loi. Pour toutes ces raisons, nous avons déposé plusieurs amendements afin de modifier les éléments qui nous préoccupent ; nous espérons qu’ils seront adoptés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Colombe Brossel applaudissent également.)