Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Je demande une suspension de séance de quelques instants, madame la présidente.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures.)
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Madame la présidente, la commission demande le vote par priorité des amendements identiques nos 4 rectifié bis et 12 rectifié.
Mme la présidente. Je suis donc saisie, par la commission, d’une demande de vote par priorité des amendements identiques nos 4 rectifié bis et 12 rectifié.
Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la priorité est de droit, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.
M. Xavier Iacovelli. Sur la protection de l’enfance, il ne faut pas avoir la main qui tremble : peut-être devrions-nous assumer clairement des positions un peu plus fermes pour garantir l’intérêt supérieur de l’enfant.
Je le répète, un enfant meurt sous les coups de ses parents tous les cinq jours et 160 000 enfants sont victimes chaque année de violences ou d’inceste. Il s’agit d’un sujet de société dont il faut absolument se saisir pour faire primer le droit supérieur de l’enfant.
Pour revenir à notre débat sur la présomption d’innocence, il n’est pas contradictoire de placer la protection de l’enfance en amont de ce principe. C’est même indispensable. La présomption d’innocence n’est pas remise en cause par les amendements de réintroduction de l’article adopté à l’Assemblée nationale – il est important de le rappeler.
Toutefois, dans une volonté de compromis, le groupe RDPI rectifie l’amendement n° 7 de M. Mohamed Soilihi afin de le rendre identique aux amendements nos 4 rectifié bis et 12 rectifié, qui tendent à réintroduire l’alinéa 2, mais non l’alinéa 3.
Mme la présidente. Il s’agit donc de l’amendement n° 7 rectifié, dont le libellé est identique aux amendements nos 4 rectifié bis et 12 rectifié.
La parole est à M. Francis Szpiner, pour explication de vote.
M. Francis Szpiner. Compte tenu de l’intervention du président de la commission des lois, je renonce à prendre la parole, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour explication de vote.
Mme Nathalie Delattre. Je rectifie également mon amendement n° 3 rectifié bis afin de le rendre identique aux amendements nos 7 rectifié, 4 rectifié bis et 12 rectifié. Ce qui importe, c’est que soit conservé l’alinéa 2, qui est majeur.
En outre, nous nous rapprochons peu à peu de la version de l’Assemblée nationale. Il ne nous restera donc qu’un petit pas à franchir en commission mixte paritaire pour rétablir la rédaction initiale de l’Assemblée nationale.
Mme la présidente. Il s’agit donc de l’amendement n° 3 rectifié ter, dont le libellé est identique aux amendements nos 7 rectifié, 4 rectifié bis et 12 rectifié.
La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Tout d’abord, je remercie la rapporteure de son avis favorable à titre personnel et le garde des sceaux de son avis de sagesse et de son accord pour faire voter ces amendements en priorité.
L’amendement n° 1 rectifié ter était un amendement d’appel, l’alinéa 3 étant, nous l’avons bien compris, satisfait, comme l’a montré le travail de la rapporteure.
Ce texte en faveur de la protection des enfants constitue une étape supplémentaire, qui en appellera d’autres. Nous risquons, madame la rapporteure, de vous revoir sur ce banc de nombreuses fois, car les victimes sont, hélas ! très nombreuses.
Nous avons fait, au Sénat, un gros travail avec le garde des sceaux : loi renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles en 2018, loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste en 2021, loi créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales de notre collègue Valérie Létard en 2023, plan rouge VIF, défendu la même année par la présidente Dominique Vérien.
Ces textes renforcent la lutte contre les violences intrafamiliales et la protection des enfants, mais nous voyons bien, compte tenu du nombre de victimes mis au jour par le travail de la Ciivise et de son ancien coprésident, le juge Édouard Durand, qu’ils sont insuffisants.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour explication de vote.
Mme Laurence Harribey. Je veux bien que nous fassions des pas les uns vers les autres pour nous rapprocher du « mieux que rien du tout », comme l’a dit Mme Delattre, mais renoncer à cette référence aux violences ayant occasionné une ITT de plus de huit jours me semble dangereux. Cela supprime tout un volet de cette proposition de loi.
Nous ne pouvons pas nous inscrire dans ces pas ; nous nous opposons à cette nouvelle rédaction.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Pour répondre à vos inquiétudes, madame Harribey, je veux vous dire que l’alinéa en question – que, donc, nous ne rétablissons pas - affaiblit en réalité une disposition figurant plus loin dans le texte. Je vous invite à vous mettre à la place d’un juge pour constater par vous-même que cette rédaction ne fonctionne pas vraiment.
Aussi avons-nous supprimé cet alinéa pour que le Sénat puisse voter un texte plus facilement applicable. Je vous prie donc de bien vouloir revoir votre position, car, je vous en assure, nous n’affaiblissons aucunement le texte.
Mme la présidente. Quel est donc, à l’issue de ces prises de parole, l’avis de la commission sur ces quatre amendements identiques ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Madame la présidente, je vous ai donné non pas l’avis de la commission, mais mon avis personnel, en tant que rapporteur, en invitant mes collègues à choisir les amendements que nous nous apprêtons à voter. C’est mon avis – it’s my opinion !
Sinon, la commission émet un avis défavorable sur ces amendements.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 rectifié ter, 7 rectifié, 4 rectifié bis et 12 rectifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 116 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 277 |
Pour l’adoption | 276 |
Contre | 1 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé et les amendements nos 9, 1 rectifié ter, 2, 13, 10 et 14 n’ont plus d’objet.
Article 2
(Non modifié)
L’article 378 du code civil est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« En cas de condamnation d’un parent comme auteur, coauteur ou complice d’un crime ou d’une agression sexuelle incestueuse commis sur la personne de son enfant ou d’un crime commis sur la personne de l’autre parent, la juridiction pénale ordonne le retrait total de l’autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée. Si elle ne décide pas le retrait total de l’autorité parentale, la juridiction ordonne le retrait partiel de l’autorité parentale ou le retrait de l’exercice de l’autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée.
« En cas de condamnation d’un parent comme auteur, coauteur ou complice d’un délit commis sur la personne de son enfant, autre qu’une agression sexuelle incestueuse, la juridiction pénale se prononce sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale ou sur le retrait de l’exercice de cette autorité.
« En cas de condamnation d’un parent comme auteur, coauteur ou complice d’un délit commis sur la personne de l’autre parent ou comme coauteur ou complice d’un crime ou d’un délit commis par son enfant, la juridiction pénale peut ordonner le retrait total ou partiel de l’autorité parentale ou le retrait de l’exercice de cette autorité. » ;
2° Au début du second alinéa, le mot : « Ce » est remplacé par le mot : « Le ». – (Adopté.)
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Article 2 ter
(Non modifié)
L’article 381 du code civil est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;
b) Après le mot : « total », sont insérés les mots : « ou partiel » ;
c) Les mots : « ou d’un retrait de droits » sont supprimés ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – Lorsque le jugement a prononcé un retrait de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement pour l’une des causes prévues à l’article 378, aucune demande au titre de l’article 373-2-13 ne peut être formée moins de six mois après que ce jugement est devenu irrévocable. » – (Adopté.)
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Article 3
(Non modifié)
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° Les articles 221-5-5, 222-31-2 et 222-48-2 sont abrogés ;
2° et 3° (Supprimés)
4° Le dernier alinéa de l’article 225-4-13 est supprimé ;
5° L’article 227-27-3 est abrogé ;
6° Le titre II du livre II est complété par un chapitre VIII ainsi rédigé :
« CHAPITRE VIII
« Du retrait total ou partiel de l’autorité parentale et du retrait de l’exercice de l’autorité parentale
« Art. 228-1. – I. – En cas de condamnation d’un parent comme auteur, coauteur ou complice d’un crime prévu au présent titre ou d’une agression sexuelle incestueuse commis sur la personne de son enfant ou d’un crime prévu au présent titre commis sur la personne de l’autre parent, la juridiction de jugement ordonne le retrait total de l’autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée. Si elle ne décide pas le retrait total de l’autorité parentale, la juridiction ordonne le retrait partiel de l’autorité parentale ou le retrait de l’exercice de l’autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée.
« En cas de condamnation d’un parent comme auteur, coauteur ou complice d’un délit prévu au présent titre commis sur la personne de son enfant, autre qu’une agression sexuelle incestueuse, la juridiction de jugement se prononce sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale ou sur le retrait de l’exercice de cette autorité.
« En cas de condamnation d’un parent comme auteur, coauteur ou complice d’un délit commis prévu au présent titre sur la personne de l’autre parent ou comme coauteur ou complice d’un crime ou d’un délit commis par son enfant, la juridiction de jugement peut ordonner le retrait total ou partiel de l’autorité parentale ou le retrait de l’exercice de cette autorité.
« II. – La décision de la juridiction de jugement est assortie de plein droit de l’exécution provisoire.
« La juridiction de jugement peut aussi se prononcer sur le retrait de cette autorité ou de l’exercice de cette autorité à l’égard des autres enfants du parent condamné.
« Si les poursuites ont lieu devant la cour d’assises, celle-ci statue sur cette question sans l’assistance des jurés. » ;
7° Après le mot : « loi », la fin de l’article 711-1 est ainsi rédigée : « n° … du … visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. »
II. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° À l’article 2-25, la référence : « 221-5-5 » est remplacée par la référence : « 221-5-4 » ;
2° À l’article 495-7, la référence : « 222-31-2 » est remplacée par la référence : « 222-31 ».
III. – Au onzième alinéa du 1° de l’article L. 312-3 du code de la sécurité intérieure, la référence : « 222-31-2 » est remplacée par la référence : « 222-31 ». – (Adopté.)
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Article 4
(Non modifié)
Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur le repérage, la prise en charge et le suivi psychologique des enfants exposés aux violences conjugales ou intrafamiliales et sur les modalités d’accompagnement parental. – (Adopté.)
Mme la présidente. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures treize, est reprise à dix-sept heures quinze.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
8
Mises au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Florennes.
Mme Isabelle Florennes. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 115 sur l’ensemble de la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir en France, mes collègues Daniel Fargeot, Hervé Marseille et Franck Menonville ont été enregistrés comme ne prenant pas part au vote, alors qu’ils souhaitaient voter pour.
Mme la présidente. La parole est à Mme Lauriane Josende.
Mme Lauriane Josende. Madame la présidente, au cours du même scrutin, mes collègues Jean-Pierre Bansard, Mathieu Darnaud, Alain Houpert, Jean-François Husson, Évelyne Renaud-Garabedian, Bruno Rojouan et Jean Pierre Vogel souhaitaient voter pour.
Mme la présidente. Acte est donné de vos mises au point, mes chères collègues. Elles figureront dans l’analyse politique du scrutin concerné.
9
Régime juridique des actions de groupe
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative au régime juridique des actions de groupe (proposition n° 420 [2022-2023], texte de la commission n° 272, rapport n° 271).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la politique de protection des consommateurs exige la mise en œuvre de moyens permettant de rechercher et de sanctionner les pratiques ne respectant pas leurs droits.
Au quotidien, la défense de l’intérêt des consommateurs est au cœur de l’activité des agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), dont je souhaite saluer le travail et l’engagement.
Sur ce sujet, la vigilance et la mobilisation des associations de défense des consommateurs sont également essentielles.
Dans ce combat, la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation a marqué une étape importante, puisqu’elle a introduit dans notre droit un dispositif d’action de groupe destiné à traiter les contentieux de masse, créant un modèle « à la française » visant à éviter les travers des class actions américaines.
Par ailleurs, depuis 2014, l’action de groupe a été étendue à d’autres secteurs, en tenant compte des spécificités propres à chacun d’entre eux.
Ainsi, depuis 2016, les associations d’usagers du système de santé agréées ont la possibilité d’intenter des actions de groupe pour les dommages causés par des produits de santé.
Depuis cette même année, l’action de groupe s’applique aussi à la lutte contre les discriminations, à la protection des données personnelles et aux dommages environnementaux.
En 2018, l’action de groupe en matière de consommation a également été étendue aux litiges relatifs à la location de biens immobiliers.
Le panorama actuel de l’action de groupe en droit français est donc complexe : il repose sur une diversité de régimes dont les règles procédurales, les préjudices indemnisables et les modalités de réparation ne sont pas uniformes.
En outre, le bilan des actions de groupe reste décevant.
En effet, seules trente-deux actions ont été intentées depuis 2014, et aucune d’entre elles n’est allée jusqu’au bout de la procédure, qui, pour rappel, est divisée en deux phases : le jugement sur la responsabilité, dans un premier temps, puis l’indemnisation des membres du groupe, dans un second temps. Plusieurs des actions introduites n’ont pas prospéré pour des raisons de recevabilité ; quelques-unes ont débouché sur des accords transactionnels.
Les causes de cette situation ont été bien analysées par les députés Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin dans le rapport qui fut à l’origine de la présente proposition de loi ; je veux saluer leur implication sur ce sujet.
L’action de groupe est un outil qui doit permettre de faciliter l’accès des justiciables à la justice.
Au regard de cet objectif, le Gouvernement partage le constat des auteurs de ce texte quant à la nécessité de lever les obstacles aux actions de groupe, qui sont essentiellement liés à leur complexité.
Il s’agit du reste d’une exigence européenne, qui s’est traduite par la directive du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs. La France, lors des négociations, avait soutenu cette initiative, demandant que l’on introduise des actions de groupe nationales, mais aussi « transfrontières », compte tenu de la taille de certains marchés.
Le Gouvernement soutient donc pleinement la démarche engagée au travers de cette proposition de loi qui vise, d’une part, à rendre l’action de groupe plus accessible et plus efficace et, d’autre part, à transposer pleinement en droit français la directive que je viens d’évoquer.
J’en viens au texte adopté par l’Assemblée nationale en mars 2023, qui réforme profondément cette procédure.
Ce texte prévoit notamment une unification des différents régimes d’action de groupe ; un champ matériel désormais universel, quels que soient les intérêts en vertu desquels l’action est exercée ; une qualité pour agir très largement ouverte ; la désignation de juridictions spécialisées appelées à connaître des actions de groupe ; la création d’une amende civile pour faute dolosive ayant causé des dommages sériels ; la suppression de l’obligation de mise en demeure comme préalable nécessaire avant d’intenter une action.
Lors de son examen par la commission des lois du Sénat, et sur l’initiative de son rapporteur, M. Christophe-André Frassa, dont je salue le travail, plusieurs modifications importantes ont été apportées.
Je pense en particulier à la limitation de la reconnaissance de la qualité pour agir aux seules associations agréées, à la suppression de l’amende civile, à la généralisation d’une mise en demeure obligatoire préalable ainsi qu’à l’application de la loi aux seules actions dont le fait générateur est postérieur à sa publication.
Plusieurs de ces évolutions répondent aux préoccupations du Gouvernement ; je remercie le rapporteur d’en avoir tenu compte dans le cadre de ses travaux.
Je pense notamment au risque de sanctions disproportionnées auquel nous exposerait la création d’une amende civile, danger que souligne le Conseil d’État dans son avis, ainsi qu’à l’encadrement de la qualité pour agir, laquelle est nécessaire si l’on veut s’assurer que les entités qui se lancent dans une action de groupe auront les moyens de la poursuivre tout au long de la procédure – qui peut être longue.
Rendre universel le régime juridique de l’action de groupe implique toutefois d’instaurer des procédures d’agrément dans des domaines qui, pour l’heure, ne sont pas couverts par une telle procédure ; une telle réforme pose, en conséquence, la question de la charge associée à la délivrance desdits agréments.
Concernant l’obligation d’une mise en demeure préalable à toute introduction d’une action de groupe, le Gouvernement est plus réservé, compte tenu du risque associé d’allongement des procédures, sans bénéfice évident. Par ailleurs, la mise en demeure ne paraît pas adaptée aux actions en cessation introduites à l’encontre de pratiques illicites particulièrement préjudiciables aux intérêts des consommateurs ou à leur santé.
Pour ce qui est de l’application de la loi aux seuls faits générateurs postérieurs à sa publication, cette restriction a pour conséquence d’exclure les situations en cours et de priver les victimes des dommages concernés de cette voie de réparation que constitue l’action de groupe.
J’ajoute que cette modification aggrave notre retard dans la transposition de la directive européenne, dont les dispositions sont pourtant applicables depuis le 25 juin 2023.
Toutefois, nul ne peut nier que cette loi aura des incidences sur les équilibres économiques en présence. Ainsi, certains acteurs économiques pourraient être confrontés à des difficultés opérationnelles : je pense notamment aux contrats d’assurance en cours, qui n’ont pas été « calibrés » pour faire face au risque juridique inhérent au nouveau régime de l’action de groupe.
Le Gouvernement s’en remettra donc à la sagesse du Sénat…
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois. Proverbiale !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … pour ce qui est de trouver un point d’équilibre garantissant les intérêts des victimes sans fragiliser les acteurs économiques.
Enfin, l’alignement des critères à respecter pour se voir reconnaître la qualité pour agir sur ceux que prévoit la directive européenne, tant en matière d’action nationale qu’en matière d’action transfrontière, permet d’uniformiser les règles applicables.
À cet égard, le Gouvernement se félicite que le texte issu des travaux de la commission emporte, sur l’initiative de son rapporteur, une transposition complète et conforme de la directive.
En effet, la présente proposition de loi exige des associations habilitées qu’elles mettent en place des mesures d’information et de publicité ; elle instaure un contrôle des conflits d’intérêts par le juge ; enfin, elle permet l’introduction d’une action en cessation dans des conditions conformes à celles que la directive instaure.
Voilà en quelques mots, mesdames, messieurs les sénateurs, une synthèse des principales observations du Gouvernement sur le texte que vous avez à examiner aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mmes Isabelle Florennes et Nathalie Goulet applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, garantir aux justiciables une voie de protection efficace de leurs intérêts, tout en préservant les opérateurs économiques d’un risque réputationnel potentiellement dévastateur pour leur activité : tel est le délicat chemin de crête qu’arpente le législateur depuis la création, voilà une décennie, de l’action de groupe.
Le débat sur l’opportunité de son introduction est bien plus ancien ; on peut le dater d’il y a au moins quarante ans…
Malgré son âge, ses termes n’ont pas beaucoup évolué : d’un côté, la protection des droits des justiciables, notamment des consommateurs, implique la mise à leur disposition de voies de droit efficaces leur permettant d’obtenir réparation de préjudices, y compris quand ceux-ci sont d’un faible montant ; de l’autre, notre système judiciaire, auquel incombe la protection de l’activité des opérateurs économiques contre d’éventuelles actions malveillantes visant uniquement à les déstabiliser, nécessite que l’action de groupe « à la française » ne soit pas calquée sur la class action américaine et sur ses dérives.
Ce cadre étant posé, la proposition de loi déposée et rapportée par nos collègues députés Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin se caractérise, à rebours de l’équilibre délicat recherché par le législateur il y a une décennie de cela, par une certaine forme de radicalité assumée.
Partant du constat que l’action de groupe n’a pas tout à fait trouvé son public, ils procèdent ainsi à l’unification de son cadre procédural, mais surtout à un considérable assouplissement de celui-ci.
Il serait déraisonnable d’affirmer que l’action de groupe constitue aujourd’hui une voie procédurale plébiscitée, mais je veux souligner que la prémisse d’un échec de l’action de groupe me paraît contestable.
Certes, seules trente-cinq actions de groupe ont été engagées depuis 2014, et l’inégale qualité des demandes a eu pour effet qu’un certain nombre d’entre elles ont été déclarées irrecevables par le juge.
Pour autant, ce bilan mitigé peut en partie être attribué à la nécessaire phase d’appropriation qu’implique la création d’une telle procédure. Par ailleurs, certaines actions de groupe ont prospéré et permis l’indemnisation d’un préjudice, parfois dans le cadre d’un accord amiable.
Ne partageant manifestement pas cet avis, les auteurs – et rapporteurs pour l’Assemblée nationale – de la proposition de loi ont souhaité encourager le recours aux actions de groupe.
Au-delà de l’unification des sept régimes juridiques actuels en une seule loi-cadre, la relative radicalité du présent texte consiste en un « triple élargissement » procédural : celui du champ de l’action de groupe, tout d’abord, dont est prévue l’universalisation ; celui des préjudices indemnisables, ensuite, également universalisés, alors que certains des régimes sectoriels en vigueur ne prévoient d’indemnisation que pour quelques préjudices spécifiques ; celui de la qualité pour agir, enfin, celle-ci étant très largement ouverte, y compris à des associations représentant un nombre limité de personnes.
Dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, la position d’équilibre jusqu’à présent recherchée par le législateur semblait donc reléguée aux oubliettes au profit d’une proposition de loi nettement plus radicale, trait renforcé par l’introduction d’une amende civile en cas de faute intentionnelle ayant causé un ou plusieurs dommages à plusieurs personnes physiques ou morales placées dans une situation similaire.
Face à un dispositif qu’elle a jugé quelque peu déséquilibré, la commission s’est en conséquence attachée à retrouver le chemin de crête qui a, jusqu’alors, guidé les pas du législateur.
Les amendements qu’elle a adoptés ont ainsi visé trois objectifs.
Premier objectif : resserrer un cadre juridique excessivement lâche.
Ainsi, tout en acceptant l’universalisation des préjudices indemnisables, mais également, dans son principe, celle du champ de l’action de groupe, la commission a souhaité – je sais que nous y reviendrons lors de la discussion des amendements – circonscrire l’application de cette voie procédurale à son périmètre actuel en ce qui concerne les domaines de la santé et du droit du travail.
Cela a paru nécessaire notamment en matière de santé, en raison du risque réputationnel encouru par des acteurs ne disposant que de peu de moyens de défense. À cet égard, le fait que le droit de la responsabilité ne soit pas modifié est sans importance, puisque le risque qu’emporte l’introduction d’une action de groupe porte non pas tant sur l’engagement indu de la responsabilité que sur le coût procédural et réputationnel qu’une telle action publique ne manque pas d’entraîner.
Surtout, la commission a significativement resserré les conditions d’octroi de la qualité pour agir. Au régime juridique très libéral résultant des travaux de l’Assemblée nationale, qui permettrait à un grand nombre d’acteurs, y compris malveillants, d’agir dans de nombreux domaines, la commission oppose un équilibre différent, fondé sur une capacité à agir élargie à divers domaines, mais réservée à un nombre restreint d’associations présentant toutes les garanties nécessaires.
L’instauration d’un agrément nous a ainsi paru incontournable pour garantir le sérieux et la transparence des personnes ayant qualité pour agir, notamment en matière de prévention des conflits d’intérêts : notre dispositif est peut-être perfectible, mais il me semble largement préférable à une simple attestation sur l’honneur, qui n’a d’autre valeur que celle de l’encre utilisée pour la rédiger.
Deuxième objectif : prévenir les risques juridiques que soulève le dispositif.
Le premier d’entre eux concerne naturellement l’amende civile prévue à l’article 2 undecies, dont le Conseil d’État a justement relevé les difficultés constitutionnelles qu’elle pose. Plus largement, l’opportunité d’insérer une telle disposition dans la loi a paru très douteuse à la commission, qui l’a en conséquence supprimée.
Nous en débattrons certainement dans quelques instants, mes chers collègues ; en tout état de cause, il me semble qu’une telle disposition pose un problème de méthode : l’insertion, presque par effraction, d’une mesure qui modifie très significativement le droit de la responsabilité civile dans un texte de procédure, sans étude d’impact préalable, paraît extrêmement problématique.
Troisième objectif : parachever la transposition de la directive relative aux actions représentatives, pour ce qui est tant de l’action de groupe nationale, et notamment des dispositions qui lui sont applicables en matière de transparence et de solvabilité des personnes ayant qualité pour agir, que de l’action de groupe transfrontière.
Au bénéfice de ces quelques aménagements, la commission a adopté un texte qui présente l’immense avantage – trop rare de nos jours ! – de simplifier effectivement le droit.
Elle n’a néanmoins pas souhaité faire dévier le législateur du chemin de crête qu’il s’est employé à arpenter jusqu’à présent.
Tel qu’il a été modifié par la commission, le texte qui est aujourd’hui soumis à votre examen, mes chers collègues, vise donc à préserver et à garantir un juste équilibre entre la protection des droits des justiciables et la sécurité juridique des opérateurs économiques.
Il est en cela utile pour permettre à l’action de groupe, dont la vocation n’est pas d’être un épiphénomène juridique ni une procédure banalisée, de trouver sa voie. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)