Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire. (Mme Maryse Carrère applaudit.)
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, puisqu’il faut commencer par décliner son identité, je suis sénateur du Rhône : et c’est à Lyon que le cinéma est né grâce aux frères Lumière ! Voilà qui me donne sans doute une certaine légitimité à m’exprimer sur ce sujet. (Sourires.)
Je ne défendrai cependant pas les Américains comme le font les sénateurs du groupe communiste… (Sourires.)
M. Pierre Ouzoulias. C’est un procès d’intention !
M. Bernard Fialaire. « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte […] à la culture. » Ce principe essentiel est affirmé au treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.
Le cinéma est un remarquable médium culturel, en ce qu’il offre à tous la même expérience artistique dans son authenticité.
Cette accessibilité doit être confortée et garantie sur l’ensemble de notre territoire hexagonal et ultramarin.
C’est ce que nous propose ce texte visant à conforter la filière cinématographique en France. Il est la traduction du rapport de nos collègues Céline Boulay-Espéronnier, Sonia de La Provôté et Jérémy Bacchi.
L’assouplissement des règles encadrant la délivrance des cartes illimitées d’accès au cinéma et l’autorisation de promotion sur les billets d’entrée vendus en ligne doivent faciliter l’activité des exploitants. Les cartes illimitées sont apparues en 2000 en France. L’offre est avantageuse pour les cinéphiles et ces utilisateurs assistent nombreux aux films d’art et d’essai. Il convient de les encourager. Les exploitants obtiennent également, par ce moyen, un flux de trésorerie prévisible.
Jusqu’à présent, l’existence de ces offres était subordonnée à un agrément du président du CNC renouvelé à chaque modification jugée significative. Il est temps de lever cette lourdeur administrative. La présente proposition de loi met fin à cette exigence au profit d’un contrat-type homologué par le président du CNC. Elle offre plus de souplesse, tout en garantissant une juste rémunération des distributeurs et des ayants droit, avec des conditions équitables d’accès à la formule pour les exploitants indépendants. Nous espérons de cette évolution une nouvelle dynamique pour les cartes illimitées afin de faire venir plus de monde dans les salles, tout en protégeant les acteurs de la filière.
Si nous souhaitons que les salles attirent de nouveaux publics, notamment les plus jeunes qui sont déjà nombreux grâce au pass Culture, il faut autoriser les offres promotionnelles sur les billets vendus en ligne, comme c’est le cas pour les billets vendus sur place. Cette évolution est cohérente puisque, aujourd’hui, la réservation en ligne concerne entre 25 % et 70 % des ventes selon les territoires.
Pour favoriser la diffusion d’œuvres dites d’art et d’essai, nous soutenons les engagements envers les distributeurs dans les territoires les moins densément peuplés, similaires aux engagements de programmation qui s’appliquent actuellement aux exploitants. Le président du CNC pourra imposer aux distributeurs de consacrer une part minimale du plan de diffusion à des établissements situés dans des périmètres géographiques identifiés qui présentent moins d’habitants.
Cela constituera un pas de plus vers une offre culturelle pluraliste rendue accessible à l’ensemble des Français.
En outre, l’introduction en commission d’un mécanisme de nature temporaire devrait permettre une action plus efficace et adaptée.
Responsabiliser les acteurs en conditionnant le bénéfice d’aides publiques au respect de ces normes primordiales est un message positif et un exemple à suivre. C’est pourquoi nous saluons l’instauration de nouveaux critères à l’attribution d’aides par le CNC aux producteurs afin d’associer plus étroitement les acteurs du cinéma aux grandes politiques publiques. Celle-ci sera dorénavant subordonnée au respect de critères environnementaux et des accords de rémunération minimale des auteurs.
Enfin, nous ne pouvons que saluer le renforcement du dispositif de lutte contre le piratage des œuvres cinématographiques à travers les sites miroirs. En effet, le manque à gagner dû à la consommation illicite en ligne de contenus audiovisuels dépasse le milliard d’euros par an selon l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) : c’est une perte abyssale pour le monde de la culture !
La proposition de loi vise à raccourcir le délai de saisine de l’Arcom pour une demande de blocage des sites, à élargir la liste des personnes pouvant effectuer une telle demande et à simplifier la décision du blocage : aujourd’hui collégiale, elle pourra désormais être prise par le président de l’Arcom seul ou par un membre du collège désigné par lui.
Le groupe RDSE votera cette proposition de loi qui apporte des adaptations bienvenues tout en offrant des garanties aux acteurs du monde du cinéma. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC, GEST, SER et CRCE-K, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet. (Mme Maryse Carrère applaudit.)
Mme Nadège Havet. Madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, en 2009, Quentin Tarantino, alors président du Festival de Cannes, avait poussé ce cri du cœur, qui est aussi celui de la France : « Vive le cinéma ! » J’aurais pu commencer ainsi ! (Sourires.)
À Paris comme à Douarnenez, en métropole comme en outre-mer, hier comme demain, des grands complexes aux salles indépendantes, des blockbusters aux créations plus artisanales, le cinéma est, dans sa diversité, notre fierté !
Il est un patrimoine culturel auquel nous sommes tant attachés et qui trouve ses racines non loin d’ici, rue de Rennes, où les frères Lumière organisèrent la première diffusion publique – c’était il y a près de 130 ans.
Ce rayonnement culturel du cinéma, au-delà de la France, concerne aussi le cinéma français lui-même à l’international.
À dix jours des Césars, à quelques semaines des Oscars, saluons toutes celles et tous ceux qui, par le texte, par le son, par l’image, par le jeu, œuvrent à ces créations variées, par essence collectives. Reconnaissons tous ces beaux métiers qui se conjuguent pour faire naître des films originaux.
Rappelons ici le rôle des institutionnels, des responsables politiques, nationaux, locaux, qui se battent pour la préservation d’un maillage territorial de diffusion dense, pour le maintien d’une salle là où elle aurait pu disparaître, pour la préservation de ce qu’il convient d’appeler notre exception culturelle. Là aussi, le cinéma est une œuvre collective, en faveur du public, et avec lui.
Quelques chiffres pour qualifier cet engagement : un montant d’intervention publique de 3,80 euros par spectateur pour chaque film français qui sort, un nombre de films français produits depuis 1994 en progression de 163 %, et plus de 1 million de sièges dans près de 5 300 salles.
Oui, faire l’anatomie d’un succès, d’une passion française, c’est reconnaître toutes les actrices et tous les acteurs, quelle que soit la scène sur laquelle ils interviennent, qui sont attachés à cette diversité et qui participent au dynamisme de ce secteur stratégique, singulier, qui allie production artistique de qualité et modèle économique vertueux. Des dizaines de milliers d’emplois, des dizaines de milliers d’expressions – je le disais : quelle fierté !
Soulignons la richesse de la programmation, tout d’abord, avec films populaires ou plus anonymes.
C’est aussi la richesse des publics, jeunes et moins jeunes, et des types d’établissement, multiplexes et salles d’art et d’essai.
Notre cinéma, c’est enfin une richesse territoriale, qui répond à une ambition d’aménagement culturel du territoire et qui permet aux films d’être projetés en centre-ville, en zone périurbaine et dans nos villages.
Cette singularité est le fruit d’un combat politique et d’une redistribution, de l’aval vers l’amont, qui est celle de la politique de soutien au cinéma et à l’audiovisuel !
Cela, nous le devons à la création du Centre national du cinéma et de l’image animée, établissement public, construction originale garante de cet écosystème. Ce combat doit aujourd’hui se poursuivre, dans cette période post-covid, avec l’essor des plateformes de streaming et face aux toujours nombreux défis à relever.
Le groupe RDPI tient à souligner les travaux remarquables menés de façon transpartisane par les trois rapporteurs du texte dont nous débattons ce soir. Je salue votre action, mes chers collègues, ainsi que celle du président de la commission, pour la préservation de cette identité.
« Le cinéma français a devant lui un grand avenir » : c’était la conclusion du rapport d’information Le cinéma contre-attaque : entre résilience et exception culturelle, un art majeur qui a de l’avenir. Nous nous en réjouissons.
Enfin, après des années difficiles, le secteur a su reprendre des forces : 181 millions d’entrées en 2023, soit une progression de 19 % par rapport à 2022. Cette reprise était très attendue, alors que les chiffres étaient en berne depuis les taux historiques affichés entre 2017 et 2019.
Dans cette proposition de loi, traduction législative du rapport rendu en mai 2023 par la mission d’information, il s’agit de contribuer à sauvegarder la place première de cette industrie en France, à plusieurs niveaux.
Sur la richesse de la diffusion, le rapport du CNC a pointé une disparité géographique dans l’accès aux films d’art et d’essai au détriment des petites villes.
Ces difficultés ont aussi été mises en avant par Bruno Lasserre dans son rapport Le cinéma à la recherche de nouveaux équilibres : relancer des outils, repenser la régulation.
Pour y remédier, vous proposez que les distributeurs soient désormais soumis à des engagements de diffusion, comme les exploitants de salle. Nous y sommes favorables.
L’article 4 précise à cet effet qu’une part minimale des films proposés devrait être réservée à des cinémas situés dans des territoires ayant un faible nombre d’habitants. Est également prévue à l’article suivant une sanction administrative si l’obligation n’était pas respectée.
Le rapport souligne également la nécessité de favoriser le renouvellement des jeunes publics. Pour atteindre cet objectif, il recommande qu’une partie des places de cinéma acquises par le biais du pass Culture soit réservée aux films français et européens.
J’en profite pour souligner la réussite de ce dispositif. Deux ans après son lancement sur l’ensemble du territoire, il comptait plus de 3 millions de jeunes de 15 ans à 18 ans inscrits. C’est dans ma région, en Bretagne, où il atteint 85 %, que le taux de couverture est le plus élevé. Ce succès a permis de redynamiser plusieurs secteurs, librairies et cinémas en tête.
Pour rendre l’industrie du cinéma exemplaire, deux modifications du code du cinéma et de l’image animée figurent à l’article 6. La première consiste à conditionner les aides du CNC au respect de critères environnementaux. En tant que membre de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, j’y suis évidemment sensible. La seconde vise à garantir le respect des rémunérations minimales des auteurs.
Des changements en lien avec les politiques commerciales des exploitants sont également défendus. Je pense notamment à la volonté d’assouplir l’encadrement des cartes d’abonnement illimitées, aujourd’hui soumis à un agrément délivré par le CNC. Un prix de référence par place devra être déterminé pour les cinémas souhaitant les commercialiser.
Enfin, un contrat-type sera mis en place pour les exploitants souhaitant se joindre à un tel dispositif, notamment les indépendants qui doivent pouvoir en bénéficier plus facilement. Il s’agit aussi de s’adapter aux nouveaux modes de réservation en permettant aux exploitants de faire des promotions sur les billets vendus en ligne.
Enfin, nous soutenons l’initiative de la commission d’ajouter une disposition pour lutter contre les nouveaux types de piratage, notamment les sites miroirs qui proposent un visionnage des œuvres filmées en direct dans les salles de cinéma.
Je veux conclure sur cette citation d’Omar Khayyam, devise fétiche d’Agnès Jaoui qui recevra cette année un César d’honneur : « Sois heureux un instant. Cet instant, c’est ta vie. » Tous ces instants de cinéma, ce sont plusieurs vies. Parce que ses mesures contribueront à pérenniser le modèle cinématographique français, le groupe RDPI votera en faveur de cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’excellent rapport de nos collègues Jérémy Bacchi, Céline Boulay-Espéronnier et Sonia de La Provôté, qui sert de soubassement à cette proposition de loi, s’interrogeait sur l’année 2023, « pleine de dangers », dans un contexte post-pandémique.
Finalement, la fréquentation a progressé de près de 20 % par rapport à 2022, avec 181 millions d’entrées comptabilisées. La reprise est donc sensible et réelle, alors même que la mise en plateforme de l’audiovisuel et du cinéma s’est accentuée, sur fond de concurrence exacerbée et de course à la production de contenus.
Le retour en salle des spectateurs semble donc contredire le discours prédisant le déclin irrémédiable du septième art. Mieux, le cinéma apparaît de plus en plus irremplaçable et ancré dans les habitudes culturelles, y compris celles des plus jeunes. Le cinéma, comme lieu et comme expérience, loin de s’envoler, s’est bien enraciné.
La finalité de cette proposition de loi est précisément de conforter l’ensemble de la filière cinématographique française, tout en veillant à réduire les disparités territoriales en matière d’accès au cinéma.
Le premier levier pour y parvenir vise à assouplir certaines procédures qui n’apparaissent plus nécessaires et qui tendent à entraver inutilement le travail des exploitants et du CNC. Ainsi, l’autorisation d’opérations promotionnelles sur les ventes de billets en ligne et la suppression de l’agrément du CNC pour les cartes illimitées – proposition qui figure dans le rapport de Bruno Lasserre de 2023 – se révèlent pleinement indiquées. Elles offrent de nouvelles opportunités sans pour autant déséquilibrer le marché existant.
Si, à leur lancement, les cartes illimitées ont suscité de vives craintes quant à leur impact sur la concurrence et sur l’équilibre entre exploitants et distributeurs, celles-ci sont aujourd’hui dissipées. Les deux principes cardinaux posés par le législateur afin de les réguler sont sanctuarisés. Il s’agit, d’une part, de l’établissement d’un prix de référence par billet acquis via une carte pour assurer une juste rémunération des ayants droit ; d’autre part, de la faculté offerte aux exploitants indépendants d’adhérer à ces formules.
En somme, la régulation des cartes illimitées perdure, mais leur déploiement est simplifié.
Par ailleurs, nous ne pouvons que nous réjouir de la prise en compte de deux impératifs au sein de l’article 6 : la protection environnementale et la rémunération des auteurs. Même si les dispositions diffèrent, elles s’apparentent à une conditionnalité, ou tout du moins à une modulation, des aides et du financement de la création par le CNC au respect d’exigences environnementales et d’une rémunération minimale des auteurs. C’est un excellent premier pas dont il conviendra cependant d’évaluer l’effectivité a posteriori.
Rappelons que l’industrie cinématographique, malgré sa prise de conscience croissante et les efforts qu’elle a entamés, demeure polluante.
Il est donc urgent d’accélérer l’adaptation de cette industrie aux enjeux écologiques, pour diminuer son bilan carbone notamment, et de valoriser les bonnes pratiques – à l’instar de la série Lupin où des générateurs à hydrogène ont été utilisés pour l’éclairage extérieur. En parallèle, les pouvoirs publics doivent accompagner les acteurs dans cette transition écologique.
En outre, la conditionnalité des aides à la production au respect des accords sur la rémunération minimale des auteurs est une excellente mesure. Les auteurs sont au fondement même de la création, et les rapports sur leur situation et leur précarité ne peuvent se succéder sans que nous agissions concrètement. Il faut se souvenir que la grève qui a paralysé Hollywood pendant six mois en 2023 avait précisément pour point de départ l’insuffisante rémunération des auteurs et leur insatisfaction sur le partage de la valeur, sur fond d’inquiétudes relatives à l’utilisation dérégulée de l’intelligence artificielle – mais nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet.
Mme Catherine Morin-Desailly. Tout à fait !
Mme Sylvie Robert. Le volet territorial de la proposition de loi doit aussi être mentionné. En 2022, les salles classées « art et essai » représentaient près de 37 % de la fréquentation totale des cinémas. De plus, en 2019, le top 10 des films d’art et d’essai totalisait 9,3 % des entrées en France, mais seulement 9,4 % des entrées des cinémas d’art et d’essai. Ces chiffres témoignent de l’impact extrêmement positif du dispositif en faveur de la visibilité des films au potentiel commercial moins évident et, partant, en faveur de la diversité culturelle. C’est une richesse infinie qui concourt à la fois à la valeur de notre cinéma, mais aussi à celle de notre système d’aides publiques. Il est donc impérieux de la préserver.
C’est en ce sens que certaines critiques, parfois retentissantes, ont été émises tant sur le classement des cinémas que sur le degré de sélectivité des films. À cet égard, le rapport Lasserre esquisse quelques pistes, en particulier pour revoir la politique de recommandation, en prenant en compte le potentiel commercial des films d’art et d’essai par exemple ; c’est également l’une de vos préconisations. Par conséquent, afin de renforcer la diversité culturelle, tout en conciliant sélectivité et universalisme du système, notre commission aura intérêt à poursuivre ses travaux. L’enjeu est fondamental.
Parallèlement, dans votre rapport, vous mettez en évidence les inégalités territoriales qui caractérisent la diffusion des films d’art et d’essai. En 2021, les cinémas des unités urbaines de 50 000 habitants étaient largement majoritaires, à près de 60 %, dans le plan de sortie de ces films. Cette propension est d’autant plus forte que le film est diffusé dans peu de salles. Sans surprise, il s’ensuit que le public de ces œuvres est généralement plus urbain.
Et c’est à cet endroit que le bât blesse ! Pouvions-nous accepter que la diffusion des films d’art et d’essai, singulièrement lorsqu’ils portent une exigence revendiquée, soit concentrée sur les territoires urbains ? Bien sûr que non ! Derrière cette problématique, c’est la question de l’accès à la culture qui est posée.
Je n’opposerai aucunement films grand public et films d’art et d’essai ; ensemble, ils constituent une offre complémentaire. En revanche, les habitants des territoires ruraux et enclavés ont le droit d’avoir accès à l’un et à l’autre. Ils n’ont pas à être pénalisés parce qu’ils seraient éloignés d’un centre urbain ou parce que la rentabilité économique de la diffusion serait jugée trop faible. L’accès au cinéma, à tous les genres, est un motif d’intérêt général ; il participe de l’élargissement et de l’approfondissement culturels.
Je souhaite maintenant aborder le sujet de l’éducation au cinéma. Vous connaissez les dispositifs Collège au cinéma ou Lycéens et apprentis au cinéma. Des millions d’élèves ont pu, grâce à ceux-ci, découvrir des films patrimoniaux ou indépendants.
Or, depuis les annonces du précédent ministre de l’éducation nationale, cette éducation au cinéma est menacée. Certes, la volonté du Gouvernement n’était pas d’y mettre fin, mais les effets de bord de la réforme sur la formation des enseignants et de la politique en matière de remplacements ont abouti à la fragiliser.
J’en veux pour preuve que les professeurs n’ont plus le temps de se former et n’ont plus la possibilité de se déplacer en salle avec leurs classes. En conséquence, dans les deux rectorats qui ont appliqué les directives ministérielles, le nombre d’élèves bénéficiant de l’éducation à l’image a été divisé par deux. C’est par exemple le cas dans votre département, madame Morin-Desailly.
Cette évolution est extrêmement grave. Madame la secrétaire d’État, je vous demande de trouver une solution avant la rentrée prochaine avec la ministre de l’éducation nationale, pour rendre son importance à ces dispositifs.
Avec ce texte législatif, le Sénat poursuit sa réflexion et son travail sur le cinéma, après l’adoption définitive de la proposition de loi de notre groupe visant à assurer la pérennité des établissements de spectacles cinématographiques et l’accès au cinéma dans les outre-mer.
D’autres étapes sont à venir : la révision de la chronologie des médias en 2025, la question de la découvrabilité et de la mise en valeur des œuvres françaises et européennes sur les plateformes, mais aussi la protection de notre patrimoine cinématographique ou encore le soutien à la production de documentaires et de films indépendants.
Des chantiers se poursuivent et nous devons y prendre notre part, concernant, par exemple, la question de l’égalité entre les hommes et les femmes. Madame la rapporteure, vous avez vous-même évoqué les violences sexuelles et sexistes dans le monde du cinéma, qui est en ce moment secoué par tant d’affaires. Nous devons être au rendez-vous et nous y serons, via un amendement de nos amis du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires que nous avons cosigné.
Parce qu’elle contient des mesures qui feront progresser la filière, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, GEST et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Evren. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Evren. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’excellent travail réalisé par Sonia de La Provôté, Alexandra Borchio Fontimp et Jérémy Bacchi, qui est unanimement reconnu sur toutes les travées, sans oublier d’y associer Céline Boulay-Espéronnier.
Cette proposition de loi est déterminante pour une industrie aussi stratégique que le cinéma ; elle vise à l’adapter aux nouveaux défis technologique et énergétique ainsi qu’à ajuster les dispositifs de soutien aux nouveaux enjeux des politiques publiques.
Le cinéma est un modèle de l’exception culturelle française ; investir dans ce domaine, c’est investir dans la compétitivité de notre économie, dans son attractivité, dans le rayonnement international de nos territoires et dans la diversité de la création.
Après les crises sanitaires et énergétiques, le cinéma français a prouvé sa résilience : il a bénéficié d’une des meilleures reprises au monde, en comparaison d’autres pays dans lesquels cette industrie est importante, tels que les États-Unis ou l’Italie. Les salles françaises ont même connu une hausse de fréquentation de 20 % en 2023 par rapport à l’année précédente, alors que les films français représentaient 40 % des entrées.
Cependant, ces crises sans précédent ont révélé les fragilités de notre modèle et ont mis en évidence plusieurs tendances de fond de la filière.
J’ai ainsi à l’esprit les mutations des pratiques culturelles des Français, de plus en plus tournées vers les plateformes, dans un contexte de très forte concurrence des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ; ou encore les sujets de l’égalité de l’accès aux œuvres de tous les Français sur l’ensemble du territoire et de l’équité des rémunérations pour l’ensemble de la filière. Enfin, bien plus qu’un enjeu de responsabilité sociale des entreprises (RSE), la transition énergétique est devenue une véritable question existentielle pour ce secteur particulièrement énergivore.
Pour répondre à ces défis et permettre à la France de rester au premier plan du septième art, cette proposition de loi vise plusieurs objectifs.
Tout d’abord, la suppression de l’agrément pour les cartes illimitées dynamisera la fréquentation des salles. Cette mesure bénéficiera évidemment aux films les plus fragiles, sans pour autant nuire aux distributeurs.
Ensuite, elle favorisera une meilleure diffusion des films d’art et d’essai dans les territoires ruraux, lesquels – faut-il le rappeler ? – sont systématiquement les grands oubliés des politiques culturelles. Cette distribution plus équitable facilitera la correction des inégalités d’accès à la culture et la réduction des fractures territoriales. Il s’agit d’un véritable enjeu de cohésion sociale, car la culture est ce qui nous rassemble tous, dans notre histoire, dans nos valeurs, dans notre identité. Je le dis d’autant plus simplement que je suis sénatrice de Paris !
Ainsi, les nouvelles obligations des distributeurs prévues à l’article 4 permettront donc la distribution des films d’art et d’essai dans les petites communes et dans les zones rurales, de façon à rapprocher la culture des publics les plus éloignés.
En outre, l’instauration de nouvelles obligations de production permettra d’assurer une rémunération plus juste pour les auteurs.
Enfin, l’inscription dans la loi des critères environnementaux pour le tournage des films s’inscrit dans la lignée du plan action du CNC, que je félicite pour la mise en place progressive depuis 2022, d’une écoconditionnalité dans l’attribution de ses aides.
Je salue le travail mené par la commission, qui a permis l’adoption de deux nouveaux amendements visant à renforcer la lutte contre le piratage des œuvres et à assurer une diffusion équilibrée des films entre tous les territoires.
Encore une fois, bravo à tous les rapporteurs pour leur intelligence collective et transpartisane.
J’encourage le Gouvernement à inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le plus rapidement possible ; madame la secrétaire d’État, vous recevrez pour cela le soutien du groupe Les Républicains, qui votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions. – Mmes Sylvie Robert et Nadège Havet applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de la discussion générale sur les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2024, j’avais rappelé que la situation du cinéma français restait fragile après les années covid, durant lesquelles le public avait déserté les salles ; je m’étais également émue de la tournure prise par le débat public sur le cinéma. Je n’avais pas hésité à évoquer une forme de cinéma-bashing tout à fait regrettable, avec une appréciation très partielle – pour ne pas dire partiale – du septième art que certains de nos collègues décrivent comme gorgé d’aides publiques.
La suppression par le Sénat du crédit d’impôt pour les dépenses de production d’offres cinématographiques et audiovisuelles était une erreur, je le maintiens. Heureusement, la loi de finances pour 2024 n’a pas retenu la solution proposée et a reconduit le dispositif sans en changer les modalités jusqu’au 31 décembre 2026. Ce crédit d’impôt permet d’attirer sur nos territoires de grosses productions cinématographiques, des séries de télévision et des œuvres d’animation étrangères. En le prorogeant, nous avons conforté des producteurs étrangers dans leur décision d’investir en France plutôt que de se tourner vers des pays comme le Royaume-Uni, qui a adopté une législation très favorable aux tournages.
Ce faisant, nous avons également conforté l’industrie du cinéma français, largement mise à contribution par ces productions étrangères, et nous avons pu sauver les sociétés pour le financement de l’industrie cinématographique et audiovisuelle (Sofica) du désastre vers lequel elles se dirigeaient. Le projet de réduction des avantages du dispositif fiscal dont bénéficient les contribuables souscrivant au capital de ces sociétés a, en effet, été rejeté par nombre de nos collègues, très attachés à la production indépendante.
Notre commission s’est toujours efforcée d’objectiver la situation du cinéma à travers des analyses rigoureuses et des recommandations solidement étayées. La mission d’information constituée l’an dernier a ainsi permis d’étudier globalement l’économie du cinéma et de formuler des recommandations opérationnelles.
Au nombre de celles-ci figuraient la nécessaire adaptation des mécanismes de soutien pour des productions mieux financées et distribuées, une meilleure diffusion des films à l’échelle du territoire afin de viser un public élargi, l’amélioration des conditions d’exploitation en salle, le renforcement de la participation du cinéma aux politiques publiques, à travers le respect des règles de rémunération minimale des auteurs et de certaines obligations environnementales lors des tournages, ainsi, enfin, qu’une amélioration de la chronologie des médias.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui traduit une partie de ces recommandations.
Je salue le travail de nos trois rapporteurs, Jérémy Bacchi, Sonia de La Provôté et Alexandra Borchio Fontimp, avec une pensée pour notre ancienne collègue Céline Boulay-Espéronnier, qui était coauteure de ce texte.
Celui-ci vise en premier lieu à faciliter l’activité des exploitants, dans une logique de simplification. Pour ce faire, les contraintes pesant sur la délivrance des cartes illimitées, qui constituent un véritable outil de fidélisation du public, sont allégées, et le mécanisme d’agrément par le CNC est supprimé. Pour autant, la juste rémunération des ayants droit et des distributeurs reste un objectif majeur de ce texte, de même que l’accès dans des conditions équitables à la formule des cartes illimitées pour les exploitants indépendants.
Gageons que ces mesures permettront de renforcer la fréquentation des salles et de rendre les œuvres cinématographiques plus accessibles. La possibilité désormais offerte aux exploitants d’organiser des opérations promotionnelles sur les ventes de billets en ligne participe de cette même logique et sert une ambition similaire.
Par ailleurs, la proposition de loi entend assurer une meilleure distribution des œuvres de qualité, mais populaires, dans les territoires où elles sont aujourd’hui peu diffusées. Pourquoi, en effet, ces œuvres seraient-elles réservées à un public de connaisseurs résidant dans les grandes agglomérations ?