M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Monsieur le ministre, le nombre de MNA intégrant les dispositifs de protection de l’enfance a été pratiquement multiplié par quatre entre 2014 et 2023, passant de 5 000 à 19 370 personnes.
Les MNA représentent aujourd’hui entre 15 % et 20 % des mineurs pris en charge par l’ASE. Le coût moyen de la prise en charge au titre de l’ASE, couvrant le logement, la nourriture, les frais d’éducation et de formation, est estimé en moyenne à 50 000 euros par mineur et par an.
L’État demande en réalité aux collectivités départementales de gérer un problème qui relève du domaine régalien. L’association Départements de France tire donc la sonnette d’alarme, car la situation devient critique, pour ne pas dire dramatique. Les dispositifs de l’ASE, longs à se mettre en place, sont aujourd’hui menacés par cet afflux trop important et non maîtrisé.
Est-ce faire preuve d’humanité que d’enrichir toujours plus les filières mafieuses ou criminelles avec de tels trafics d’êtres humains ? Il est en effet clair que les MNA n’entrent jamais seuls, mais sont aux mains de trafiquants d’êtres humains qui prospèrent sur l’exploitation sexuelle, l’esclavage domestique, la contrainte à commettre des délits, l’exploitation au travail, la mendicité forcée ou la participation aux trafics de drogue.
Ils sont inexpulsables, pris en charge matériellement, et profitent du regroupement familial ainsi que d’un accès facilité à la nationalité française. Aujourd’hui, le dispositif MNA est devenu une filière d’immigration illégale que nous devons stopper afin de protéger l’ASE, donc l’enfance en danger.
L’ASE est un principe de solidarité qui honore la France et mérite d’être défendu. Malheureusement, ce principe est aujourd’hui mis en péril à cause du déséquilibre existant entre la part des mineurs français pris en charge et les MNA, qui sont trop souvent de faux mineurs, à plus de 55 %, et sont en réalité des migrants économiques ou des délinquants membres de réseaux favorisant le trafic d’êtres humains ; j’insiste sur cette notion de trafic.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire face à cette situation de plus en plus dramatique pour les jeunes Français relevant de l’ASE et pour nos départements, qui ont déjà tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises ?
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, vous demandez ce que le Gouvernement compte faire à propos des MNA. Je me permettrai de vous rappeler ce que nous avons déjà fait à ce sujet.
Vous avez raison, cette préoccupation est exprimée dans un grand nombre de territoires, car les départements sont en première ligne. Conjointement et de manière globale, l’État et les départements ont renforcé leur politique d’aide sociale à l’enfance ; j’ai cru comprendre qu’il s’agissait de l’une de vos préoccupations. Entre 2007 et 2021, les mesures à destination de l’ASE ont progressé de près de 30 % : l’État et les départements se sont mobilisés face au phénomène que vous décrivez.
Permettez-moi de rappeler quelques chiffres. Le dispositif de soutien de l’État aux départements au titre de la protection de l’enfance représente 214 millions d’euros. Les contrats départementaux de prévention et de protection de l’enfance, au cœur des problèmes que vous indiquez, représentent 140 millions d’euros. Pour la prévention des sorties sèches de jeunes majeurs de l’ASE, qui se retrouvent parfois livrés à eux-mêmes, nous avons renforcé les moyens à destination des départements.
Enfin, pour ce qui a trait aux mineurs non accompagnés, nous avons augmenté le financement de l’État de 30 %, à hauteur de 100 millions d’euros en 2024, afin de soutenir la mise à l’abri, l’évaluation de la minorité et de mettre en place une contribution exceptionnelle aux dépenses relatives à l’ASE des départements.
Bref, vous le voyez, madame la sénatrice, nous sommes mobilisés depuis déjà plusieurs années sur ce sujet, avec une coopération exigeante entre l’État et les départements, sans laquelle il n’y a pas de politique publique efficace.
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Antoine. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Antoine. Monsieur le ministre, les dernières mesures du Gouvernement relatives au RSA ont un impact considérable sur les dépenses des départements, qui financent ce dispositif, mais n’ont pas été consultés. Le Gouvernement estime que 34 % des personnes ayant droit au RSA ne le demandent pas. Ce sont donc 3,5 milliards d’euros qui s’ajoutent au montant de plus de 10 milliards d’euros déjà versé déjà par les départements. Monsieur le ministre, je doute de l’exactitude de vos chiffres, selon lesquels le financement du RSA serait compensé à 97,5 % par l’État.
Cela ne s’arrête pas là : avec le basculement vers le RSA de près de 300 000 bénéficiaires de l’ASS, jusqu’alors financés par l’État, nos départements devront financer 2,1 milliards d’euros supplémentaires. L’État délègue, mais il ne compense pas. Lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement de la semaine dernière, vous reconnaissiez vous-mêmes que les recettes des départements étaient « à la peine » ; je vous cite.
Cet effet de ciseaux ne peut pas durer. Comment comptez-vous aider les départements à mobiliser les 5,5 milliards d’euros nécessaires à ce transfert ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, j’insisterai sur un point, celui de notre vigilance concernant le taux de couverture des dépenses du RSA. Je l’affirme, en 2022, ce taux de couverture s’élevait bien à 97,5 % ; en 2020, il s’élevait à 85 %. Nous l’avons donc amélioré. Pour six départements, à la demande de ces derniers, nous avons procédé à la recentralisation du RSA.
L’un des chantiers qui nous attendent pour aller vers la bonne maîtrise des dépenses des départements est celui de la solidarité à la source, qui affecte directement les départements. L’enjeu est de lutter contre le non-recours au RSA, mais également de simplifier la lutte contre les fraudes. Le préremplissage des demandes de RSA constitue notamment l’un des chantiers majeurs, afin de garantir que ces demandes sont faites avec les bonnes informations relatives aux ressources.
Nous travaillons main dans la main avec les départements sur ce chantier. Nous afficherons le revenu social sur le bulletin de paie, et à compter d’octobre 2024 nous expérimenterons le préremplissage des déclarations trimestrielles, à partir des ressources sociales nettes issues du dispositif de ressources mensuelles (DRM), avant de le généraliser à compter de mars 2025.
Ce grand chantier de la solidarité à la source devra aussi permettre de mieux maîtriser notre dépense, d’éviter les erreurs et de garantir un bon taux de recours. Il s’ajoute à l’autre grand chantier que j’évoquais tout à l’heure, celui de France Travail, dans lequel les départements joueront un rôle clé.
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Antoine, pour la réplique.
Mme Jocelyne Antoine. Monsieur le ministre, je voulais vous faire comprendre que certains départements éprouvent bien plus de difficultés que d’autres. Vous avez parlé des quatorze départements qui bénéficient d’une attention plus particulière au titre du fonds de sauvegarde, mais parmi ces départements de nombreuses nuances existent. Une lecture nationale ne suffit plus, car dans cette liste figurent à la fois des départements très peuplés, comme la Gironde ou les Hauts-de-France, et d’autres comme la Meuse, qui compte 180 000 habitants. Il ne me semble pas que ces départements jouent dans la même cour…
Les départements les plus fragiles, les moins peuplés – ceux que j’appelle les ultraruraux –, doivent être considérés à l’aide d’un prisme différent. Vous avez indiqué dans votre propos liminaire être prêt à vous rendre dans les territoires. En tant que conseillère départementale, je vous accueillerai donc dans la Meuse avec grand plaisir, afin de vous montrer plus précisément les difficultés particulières des départements ultraruraux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-François Husson. Cela va le changer, le Girondin !
M. le président. La parole est à M. Vincent Éblé.
M. Vincent Éblé. J’associe à ma question nos collègues Corinne Narassiguin et Adel Ziane, sénateurs de Seine-Saint-Denis, ainsi que le président de ce département, Stéphane Troussel.
Nos départements sont confrontés à une hausse sans précédent de la demande sociale de la part de nos concitoyens. Pourtant, les réformes successives n’ont fait que réduire leurs marges de manœuvre financières et accroître la dépendance de leurs ressources à la conjoncture économique : gel des dotations de fonctionnement, transfert de la taxe foncière aux communes, suppression de la CVAE. Cette dépendance financière fragilise leur rôle d’amortisseur de crises, lequel devrait plutôt conduire l’État à les doter d’une structure financière stable et solide.
L’année 2023 illustre la fragilité des budgets départementaux, en raison de la chute généralisée et sans précédent des droits de mutation, pour près d’un quart entre 2022 et 2023. Les situations sont beaucoup plus dégradées pour certains départements, notamment en Île-de-France, où les départements, excepté Paris, ont globalement perdu 800 millions d’euros.
En parallèle, la croissance de la fraction de la TVA affectée aux départements connaît un fort ralentissement : après une forte dynamique en 2022, sa croissance réelle est inférieure à 3 % en 2023.
Dans ce contexte, plusieurs départements ont dû fortement réduire leurs investissements pour 2024 et les années suivantes. Pourtant, les collectivités territoriales jouent un rôle majeur pour atteindre les objectifs fixés par la stratégie nationale bas-carbone. Elles devront investir au moins 12 milliards d’euros par an à l’horizon de 2030, soit le double de ce qu’elles dépensent actuellement. Pour la seule rénovation thermique de leurs bâtiments, les besoins sont colossaux, de l’ordre de 3 milliards d’euros par an.
Afin de faire face à ce mur d’investissement, l’État a certes mis en place le fonds vert, qui permet d’apporter un financement complémentaire à certains projets, mais les élus départementaux ne peuvent que constater que cet outil ne répond que très partiellement à l’ampleur des besoins face à l’urgence climatique. Or les départements doivent engager ces investissements dès maintenant : après, il sera trop tard !
Monsieur le ministre, vous le voyez, l’équation est insoluble.
Alors qu’en raison de leurs compétences les départements sont en première ligne pour affronter les grands défis sociaux de notre époque, ils doivent aussi être en mesure d’accélérer drastiquement leurs investissements en matière de transition écologique. Comment comptez-vous les aider structurellement à répondre à ces impératifs de société ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. En ce qui concerne la dépendance financière – je le répète, au risque d’empêcher l’émergence d’un consensus plein et entier dans cet hémicycle –, l’autonomie financière des collectivités territoriales, et singulièrement des départements, a progressé.
En effet, la question pertinente est bien plutôt celle des ressources et de leur libre emploi que celle des ressources fiscales. D’une certaine manière, une ressource fiscale ne garantit rien, surtout si elle est extrêmement variable.
Au risque de me répéter, la TVA est l’impôt le plus dynamique ; elle est plus prévisible que la CVAE, plus protégée des cycles économiques que les DMTO, et elle croît d’année en année. Elle est donc suffisamment dynamique…
M. Jean-François Husson. Et le rabot ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je vous avais prévenus en disant craindre de ne pas être suffisamment convaincant cet après-midi ! (Sourires.) Cependant, les chiffres sont têtus : le basculement vers la TVA est une bonne réponse,…
M. Jean-François Husson. Chat échaudé craint l’eau froide…
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. … elle est une ressource plus dynamique.
Au-delà, nous avons mis en place le fonds vert. Quels que soient les efforts demandés aux services de l’État, nous consacrons 2 milliards d’euros à ce fonds.
M. Jean-François Husson. Ça baisse !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Ce n’est peut-être pas assez selon vous, monsieur le sénateur (M. Jean-François Husson le confirme. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), mais c’est nouveau ! Aucune majorité n’avait créé un fonds vert avant nous. Ce budget vert, dont nous avons débattu ici, est le budget le plus important en faveur de la transition écologique.
M. Bruno Belin. Quel est le rapport ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Peut-être faudrait-il faire plus, mais cet effort est historique et personne ne l’avait fait avant nous ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
En outre, je le répète, quels que soient les efforts que nous demandons à chacun, le montant de 2 milliards d’euros du fonds vert est maintenu. Cet effort en faveur des collectivités territoriales est historique (Mêmes mouvements.), afin qu’elles réussissent leur transition écologique et la renaturation en ville, et qu’elles développent des mobilités douces. Cet engagement sera tenu. D’ailleurs, les départements peuvent en bénéficier directement, vous le savez.
M. le président. La parole est à M. Christian Bruyen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Bruyen. Ce qui conduit très vite tous les départements dans une impasse, c’est l’effet de ciseaux que vous-même évoquez.
Les mesures adoptées pour faire face aux difficultés sont bien insuffisantes : moins de 800 millions d’euros d’après mes calculs ; et encore ! j’inclus la péréquation de solidarité des départements, dite péréquation horizontale.
J’ose dire « moins de », car, si la somme est importante, nous sommes bien loin des 9 milliards d’euros de reste à charge liés aux allocations individuelles de solidarité (AIS) que les départements doivent supporter, soit 50 % de leur coût global.
Cette asphyxie méthodique des départements par des décisions gouvernementales inappropriées ne date peut-être pas d’aujourd’hui, mais ce phénomène s’est vertigineusement, dangereusement, accéléré ces dernières années ; et les ennemis de la décentralisation peuvent ainsi affirmer que les missions de solidarité humaine ne sont pas exercées comme on pourrait l’attendre. Ce n’est pas parce que les décisions sont prises depuis la capitale qu’elles sont mieux adaptées à tous les territoires ou qu’elles coûtent moins cher, bien au contraire !
Je vois deux issues : soit il est temps d’avouer qu’il s’agit d’une stratégie visant à faire des départements de simples opérateurs de l’État, en faisant fi du principe de libre administration des collectivités ; soit il faut urgemment redonner des marges de manœuvre et une salutaire capacité d’agir à cet échelon départemental, au profit des solidarités humaines et de l’équilibre des territoires.
Monsieur le ministre, je vous pose de nouveau – sait-on jamais ? – la question : êtes-vous prêt ou non à discuter des modalités de rétablissement d’un vrai levier fiscal pour les départements ? Il ne s’agit pas de créer un impôt supplémentaire ; peut-être pourrions-nous par exemple envisager une forme de contribution sociale généralisée (CSG) plutôt qu’une fraction de TVA, mais d’autres solutions sont possibles.
Dans tous les cas, il faut redonner un vrai pouvoir de taux, car c’est en cela que consiste la libre administration des collectivités et non en l’autonomie financière. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Franck Menonville et Vincent Louault applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Nous sommes manifestement en désaccord dans ce débat entre autonomie financière et autonomie fiscale. Nous devons en tout état de cause absolument veiller – c’est ce que nous faisons – à bien respecter un principe de valeur constitutionnelle. Or quel est ce principe ? Celui de l’autonomie financière, vous en conviendrez !
M. Christian Bruyen. Non !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Mais si, je vous le promets ! Il s’agit bien d’un principe de valeur constitutionnelle, raison même de notre vigilance !
Cette autonomie financière progresse-t-elle ? Oui ! Et l’autonomie fiscale ? Non, pas du tout ! Elle a même régressé pour un certain nombre de collectivités territoriales. Mais, au fond, qu’y a-t-il de plus important ? De pouvoir modifier les taux d’imposition dans un territoire, au risque d’organiser une compétition fiscale entre les territoires eux-mêmes… (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je vous pose la question ! Nous sommes en train de débattre ! Le plus important est-il donc de risquer d’organiser une compétition fiscale entre territoires, pour attirer qui les entreprises, qui les contribuables, ou bien de garantir, comme nous le faisons en leur octroyant une fraction de TVA, des ressources dynamiques aux collectivités, notamment aux départements, ce qui leur permet de passer au-dessus des cycles économiques et d’éviter les effets de ciseaux ?
Les DMTO sont très sensibles à la conjoncture. La TVA, elle, est très prévisible. Nous avons eu l’occasion de débattre de la CVAE : ce prélèvement est extrêmement cyclique ! Des ressources plus prévisibles ne sont-elles pas préférables ?
L’enjeu de notre débat, le combat que nous menons, c’est que les collectivités disposent de paniers de ressources prévisibles dans le temps. Voilà ce que demandent les élus, afin de pouvoir prendre des décisions d’investissement pour les deux, trois, quatre ou cinq prochaines années.
Comment engager les grands chantiers de la transition écologique avec des ressources variables ? Comment faire quand on ne sait comment évolueront les ressources fiscales d’une année sur l’autre ?
M. le président. La parole est à M. Christian Bruyen, pour la réplique.
M. Christian Bruyen. On nous a endormis avec la loi 3DS. Il aurait été plus simple de ne pas aller si loin dans l’alphabet et d’imaginer une loi 3C : confiance, confiance, confiance ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. David Ros. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. David Ros. À la suite de la déclaration de politique générale du Premier ministre du 30 janvier dernier, nous assistons, hélas, à une baisse drastique des aides sociales dans nos territoires. Mme Briquet vous a déjà alerté, en vous donnant des montants globaux, avec précision et justesse, notamment au sujet de l’ASS.
Puisque vous aimez cette expression, monsieur le ministre, permettez-moi, avec Mme Espagnac, sénatrice des Pyrénées-Atlantiques, de vous inviter à un voyage, à un voyage d’Évry à Biarritz, un voyage non pas pour découvrir les charmes et les richesses du patrimoine de nos deux départements, mais un voyage pour vous montrer à quel point les problématiques de terrain sont identiques et prégnantes dans des territoires pourtant différents.
Ainsi, les ex-bénéficiaires de l’ASS vont, dès 2025, se retrouver dans une situation de précarité intenable. Ils devront alors se tourner légitimement vers les aides potentielles des départements. Le coût induit représente près de 30 millions d’euros dans l’Essonne, alors même que la situation financière y est déjà inquiétante. Il en va de même dans les Pyrénées-Atlantiques.
Nous subissons un effondrement drastique des recettes de DMTO : de 30 % dans l’Essonne, soit près de 100 millions d’euros, et de 20 % dans les Pyrénées-Atlantiques. Simultanément, le nombre des demandes de RSA reste très élevé : 30 000 en Essonne et 15 000 dans les Pyrénées-Atlantiques.
Monsieur le ministre, le Gouvernement va-t-il participer et compenser tout ou partie des pertes de ressources des départements et participer à l’effort de solidarité ? Sinon, comment envisager que les départements puissent investir dans la transition écologique, sur le réseau routier ou dans les équipements destinés aux pompiers ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Des voyages d’Évry à Biarritz, j’en fais déjà au cours de mes déplacements ! Je me suis d’ailleurs récemment rendu dans le territoire de Mme Espagnac, à l’occasion d’un déplacement à Biriatou.
Certes, des problématiques sont communes, mais – les chiffres le démontrent – certains départements sont dans des situations très différentes. Ainsi, pourquoi aidons-nous quatorze départements avec ce fonds de solidarité exceptionnel ? Parce qu’ils font face à une situation financière que les autres départements ne connaissent pas. Il faut pouvoir adapter notre réponse, sans quoi vous me reprocherez immédiatement, et avec raison, d’apporter des réponses uniformes depuis Paris et de ne pas comprendre la variété, l’hétérogénéité, des territoires.
Je préfère donc les réponses, construites ensemble, qui identifient les départements le plus en difficulté, en fonction de leurs caractéristiques territoriales. Je pense que nous pouvons nous retrouver sur la nécessité de proposer des dispositifs adaptés.
Au sujet de l’ASS, il faut replacer la réforme de ce dispositif dans le cadre de l’objectif plus global d’atteinte du plein emploi. Ce qui est bon pour les départements, c’est le fait que nous avons réussi, depuis plusieurs années, à briser le chômage de masse dans notre pays, à ramener le taux de chômage à 7,4 %, à réduire le nombre de demandeurs d’emploi et de bénéficiaires du RSA. (Mme Gréaume s’exclame.)
Notre combat commun, c’est atteindre durablement l’objectif du plein emploi. Plus personne n’en parle, comme si cela était une évidence, mais rappelez-vous les années de débat sur le chômage de masse !
Je lie donc également la réforme de l’ASS à celle de France Travail, qui consiste à accompagner plus de bénéficiaires du RSA, pour qu’ils sortent plus rapidement du chômage et reprennent une activité. Ce sera bon pour eux et bon pour les départements.
M. le président. La parole est à M. David Ros, pour la réplique.
M. David Ros. Je vous remercie, monsieur le ministre. J’entends dans vos propos que vous êtes prêt, dans le cadre de la réforme territoriale, à réexaminer la question de l’autonomie fiscale des départements, pour tenir compte des caractéristiques de chaque territoire.
Vous avez fait disparaître 10 milliards d’euros, vous proposez de faire réapparaître le plein emploi : nous serions ravis si vous pouviez prêter votre baguette magique aux départements ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Genet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Fabien Genet. Beaucoup de choses ont déjà été dites, de nombreux sujets abordés. Monsieur le ministre, je souhaite saluer le caractère toujours euphorisant de vos explications sur l’état des finances locales, puisque vous nous donnez l’impression, chaque fois, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, ce qui laisse dubitatifs un certain nombre d’élus départementaux.
En effet, la réalité est bien différente. Beaucoup de mes collègues l’ont déjà décrite. Votre « cousu main », monsieur le ministre, a un petit arrière-goût de tutelle de l’État sur les collectivités locales. En cette période de fashion week, permettez-moi d’observer que le corset imposé aux départements est bien trop serré et qu’il étouffe le budget de nos collectivités. Laissez-les donc respirer !
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. De l’air !
M. Fabien Genet. Nous devons laisser les départements respirer, eux qui, comme la Saône-et-Loire, sont capables d’innover et d’inventer les solutions dont nous avons besoin. Je pense par exemple au financement du très haut débit, au soutien du monde rural ou au financement de grandes infrastructures ou de projets innovants, tels que le Centre départemental de santé, créé par ce département.
Je souhaite vous interroger sur un point précis : la situation financière de nos établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes publics (Ehpad). Dans certains départements vieillissants, la situation est particulièrement inquiétante.
En 2023, parmi les 56 Ehpad du département dont je suis élu, 50 présentaient un déficit de la section dépendance, pour un total de 7,8 millions d’euros, et 36 présentaient également un déficit de la section hébergement, pour un total de 7,9 millions d’euros. À l’échelon national, nous constatons la même dégradation, tant de la proportion des établissements déficitaires que de l’ampleur des déficits.
Face à l’inflation, à la hausse des prix de l’énergie et à l’explosion des matières premières, les départements sont obligés de mettre en place des boucliers tarifaires pour ne pas augmenter le prix de la journée.
Quelles solutions proposez-vous ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, je ne nie pas que la situation financière des départements soit difficile en ce moment. Je l’ai reconnu dès mon propos liminaire : il y a des problèmes de ressources et les dépenses sont dynamiques. Simplement, il faut éviter de porter un regard uniforme sur des départements qui sont objectivement dans des situations différentes. Mais en aucun cas je ne nie les difficultés du moment.
D’ailleurs, je vous invite à porter sur les départements un regard différent de celui que vous portez sur les autres niveaux de collectivités territoriales. Les départements ont des caractéristiques particulières liées à leur mission de solidarité et à la nature de leurs ressources, les DMTO, ressources particulièrement affectées par l’évolution des prix de l’immobilier.
Je souhaite aussi féliciter les départements qui ont mis en réserve une partie de leurs recettes de DMTO. Certains départements ont su anticiper le retournement de la bulle immobilière et ont compris que l’on ne pouvait durablement mettre en œuvre des politiques publiques en se fondant sur l’hypothèse d’une augmentation continue, chaque année, des prix de l’immobilier, et que la conjoncture, un jour, pourrait se retourner.
Un montant de 1 milliard d’euros a été mis en réserve par les départements, dans un grand esprit de responsabilité. La péréquation entre les départements représente 250 millions d’euros. S’ajoutent en outre des dispositifs particuliers de soutien par l’État, je n’y reviens pas.
Pour ce qui concerne les Ehpad, à la suite de la publication du rapport remis par la députée Mme Pires Beaune à la Première ministre, nous avons mis en place l’année dernière un fonds de secours exceptionnel, de 100 millions d’euros, pour accompagner les Ehpad les plus en difficulté. Nous avons également décidé un abondement exceptionnel de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) de 150 millions d’euros, directement pour les départements. Enfin, sur le fondement de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024, nous expérimentons une réforme structurelle – les Ehpad ont en effet besoin d’une telle réforme – avec la fusion des sections soins et hébergement. Un certain nombre de territoires sont expérimentateurs volontaires et souhaitent aller le plus loin possible en la matière.