Sommaire
Secrétaire :
Mme Marie-Pierre Richer.
2. Finances des départements. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Arnaud Bazin, pour le groupe Les Républicains
Mme Laure Darcos ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Jean-Michel Arnaud ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Grégory Blanc ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Pascal Savoldelli ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; M. Pascal Savoldelli.
M. Michel Masset ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Didier Rambaud ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
Mme Isabelle Briquet ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; Mme Isabelle Briquet.
Mme Valérie Boyer ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
Mme Jocelyne Antoine ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; Mme Jocelyne Antoine.
M. Vincent Éblé ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Christian Bruyen ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; M. Christian Bruyen.
M. David Ros ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; M. David Ros.
M. Fabien Genet ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; M. Fabien Genet.
M. Clément Pernot ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Rémy Pointereau ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Hervé Reynaud ; M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; M. Hervé Reynaud.
M. Stéphane Sautarel, pour le groupe Les Républicains
3. Modification de l’ordre du jour
Suspension et reprise de la séance
4. JO 2024 : la France est-elle prête ? – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Michel Savin, pour le groupe Les Républicains
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques
M. Claude Kern ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.
Mme Mathilde Ollivier ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.
M. Pierre Ouzoulias ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; M. Pierre Ouzoulias.
M. Ahmed Laouedj ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; M. Ahmed Laouedj.
M. Didier Rambaud ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.
M. Jean-Jacques Lozach ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; M. Jean-Jacques Lozach.
Mme Catherine Dumas ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; Mme Catherine Dumas.
M. Pierre-Jean Verzelen ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Michel Laugier ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.
M. Adel Ziane ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.
M. Philippe Mouiller ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.
M. Patrick Kanner ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.
Mme Anne Ventalon ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.
M. Bruno Belin ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.
Mme Christine Lavarde ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; Mme Christine Lavarde ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre ; Mme Christine Lavarde.
Mme Marie-Carole Ciuntu ; Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques ; Mme Marie-Carole Ciuntu.
M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
5. Financement des entreprises de l’industrie de défense française. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Pascal Allizard, auteur de la proposition de loi
M. Dominique de Legge, rapporteur de la commission des finances
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 13 de M. Rachid Temal. – Rejet.
Amendement n° 2 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 10 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Amendement n° 3 de M. Thomas Dossus. – Rejet.
Amendement n° 9 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Amendement n° 4 rectifié de Mme Vanina Paoli-Gagin. – Adoption.
Amendement n° 7 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Article 1er bis (nouveau) – Adoption.
Amendement n° 5 rectifié de Mme Vanina Paoli-Gagin. – Retrait.
Amendement n° 17 de Mme Gisèle Jourda. – Retrait.
Amendement n° 14 de M. Rachid Temal. – Retrait.
Amendement n° 12 rectifié ter de M. Pierre Jean Rochette. – Rejet.
Amendement n° 19 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Intitulé de la proposition de loi
Amendement n° 15 rectifié de M. Rachid Temal. – Adoption de l’amendement rédigeant l’intitulé.
M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères
Adoption, par scrutin public n° 141, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée
6. Modification de l’ordre du jour
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud
7. Statut de l’élu local. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Françoise Gatel, auteur de la proposition de loi
M. Éric Kerrouche, rapporteur de la commission des lois
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 37 rectifié bis de M. Simon Uzenat. – Rejet.
Amendement n° 90 rectifié de Mme Nathalie Delattre. – Rejet.
Amendement n° 262 rectifié ter de Mme Corinne Bourcier. – Rejet.
Amendement n° 315 de Mme Ghislaine Senée. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 14 rectifié de M. Henri Cabanel. – Rejet.
Amendement n° 98 de M. Ronan Dantec. – Rejet par scrutin public n° 142.
Amendement n° 119 rectifié bis de M. Alain Joyandet. – Retrait.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de M. Alain Marc
vice-président
Secrétaire :
Mme Marie-Pierre Richer.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Finances des départements
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les finances des départements.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que le groupe auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Arnaud Bazin, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Arnaud Bazin, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, François Hollande en avait rêvé, Emmanuel Macron l’a fait !
Souvenons-nous des débats et des intentions qui ont présidé à l’adoption des lois du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam) et du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) : sous prétexte de réduire le millefeuille administratif, l’intention de faire disparaître les départements était bien réelle. Mais les gouvernements de gauche durent y renoncer devant l’évidence : les départements sont l’échelon adéquat pour concilier proximité et expertise dans l’exercice de leur cœur de compétences, à savoir les politiques sociales.
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
M. Arnaud Bazin. Les Français, eux, l’avaient bien compris. Les mauvaises intentions durent céder devant la mobilisation…
Devant ce premier échec, le mot d’ordre a été de « dévitaliser » les départements, pour reprendre le terme employé par notre ancien collègue André Vallini, alors secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale. Un organe est dévitalisé quand on lui coupe son arrivée de sang artériel. Il en est de même pour une collectivité, quand on lui enlève ses ressources financières.
Ce que n’a pas réussi à faire l’exécutif en 2016, Emmanuel Macron y est parvenu, par un effet différé de la suppression de la taxe d’habitation – elle-même bombe à fragmentation démagogique –, qui, non contente de supprimer tout lien financier entre l’usager des services municipaux et la gouvernance municipale, alourdit chaque année de plus de 20 milliards d’euros la dette de l’État.
Mais revenons aux départements : pour compenser la perte de taxe d’habitation des communes, il fut décidé d’attribuer à celles-ci une part du foncier départemental, parachevant la dévitalisation annoncée. Cette décision fut prise à la suite de la publication d’un rapport cosigné par notre ex-collègue Alain Richard, lequel regretta ensuite publiquement, me semble-t-il, que les départements se trouvent dépourvus de tout pouvoir de taux. Comprenne qui pourra !
Les départements n’ont plus de pouvoir de taux, donc plus de maîtrise de leurs recettes. Ils n’ont guère davantage la possibilité de maîtriser leurs dépenses, pour l’essentiel sociales, dont les gouvernements successifs définissent les paramètres.
Déjà, sous François Hollande, il avait été ainsi décidé de relever le revenu de solidarité active (RSA) de 10 %, au-delà des réévaluations automatiques du fait de l’inflation, tout en imposant une baisse de 40 % de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des départements. Dévitalisation, vous disais-je…
La situation, nous la connaissons tous : les départements sont totalement dépendants du produit des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), autrement dit de la situation du marché de l’occasion des logements. Et que l’on n’objecte pas que, sur cette recette, il y a un pouvoir de taux : la quasi-totalité des départements applique le taux plafond, faute de pouvoir faire autrement.
Alors que les départements ne peuvent désormais plus que constater leurs niveaux de recettes, ils voient les gouvernements successifs leur imposer leurs dépenses.
Je pense d’abord aux dispositions de réévaluations salariales – point d’indice, Ségur de la santé – ainsi qu’à la dynamique des dépenses sociales.
Quant à l’aide sociale à l’enfance, elle arrive à saturation en raison de l’afflux des mineurs non accompagnés (MNA), lié à l’incapacité de l’État à maîtriser les flux migratoires. Il nous est ainsi annoncé une augmentation de 11 % du budget de l’asile pour 2024.
L’enveloppe consacrée au RSA est également appelée à augmenter, avec la suppression de l’allocation de solidarité spécifique, ce qui représente un potentiel de 320 000 nouveaux bénéficiaires et un coût supplémentaire de plus de 2 milliards d’euros. La perspective de son attribution automatique, conséquence de la mise en œuvre de la solidarité dite « à la source », pourrait coûter 3,5 milliards d’euros de plus aux départements si l’on retient l’hypothèse, communément admise, d’un taux de non-recours de l’ordre de 30 % à 34 %.
Je n’oublierai pas enfin de mentionner l’inflation, redoutable, et la non-indexation de la dotation globale de fonctionnement.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, avouez qu’il y a de quoi s’inquiéter !
Dans le même temps, la remontée des taux d’intérêt a eu des conséquences brutales sur le marché immobilier, donc sur les DMTO, dont la diminution, en 2023, s’est établie autour de 23 % en moyenne et a atteint, voire dépassé, 30 %.
Tout cela se produit alors qu’une crise inédite du logement se développe : effondrement de la construction neuve et retrait du marché de la location des passoires thermiques, retrait non anticipé et mal accompagné.
Dans cette crise du logement, à part la hausse des taux d’intérêt, le Gouvernement porte de lourdes responsabilités : celle d’avoir favorisé le renchérissement des coûts de construction par un empilement de normes que nous n’avons pas les moyens d’assumer, quand elles ne sont tout simplement pas absurdes – il n’est qu’à voir, en la matière, les déboires du diagnostic thermique –, celle d’avoir entraîné la raréfaction du foncier, également due à la folie normative, celle d’avoir contribué à l’appauvrissement des Français, notre productivité étant partout en recul.
Ne plus construire de logements neufs représente presque autant de logements en moins sur le marché de l’occasion, donc autant de DMTO en moins, qu’il faut comptabiliser.
Au bout de tout cela, il convient de faire les comptes des départements.
En 2023 par rapport à 2022, l’épargne nette des départements aura baissé de 51,3 %, quand celle des communes aura progressé de 16,9 %, et la trésorerie brute des départements aura fléchi de 26,7 %, quand celle des communes n’aura diminué que de 2,7 %. Toutes ces données sont extraites d’une note rendue publique par la direction générale des finances publiques (DGFiP) au cours du mois dernier.
En 2024, en cumulant insuffisance des recettes – DMTO, non-indexation de la DGF – et dépenses imposées, ce sont au moins 7,5 milliards d’euros qui vont manquer par rapport à 2021.
Pourtant, les départements se montrent solidaires entre eux, avec une péréquation forte et volontaire ; mais cela ne suffit plus.
Devant le terrible effet de ciseaux que je viens de décrire, l’investissement et l’aide aux communes deviennent la variable d’ajustement. C’est consternant, parce que le département n’est pas que la collectivité du social : il joue un rôle de péréquation, de soutien aux communes, et d’équilibre entre le rural et l’urbain, dans des domaines tels que les routes, la fibre optique, les collèges, dont nous avons plus que jamais besoin.
Alors, monsieur le ministre, il vous faut maintenant répondre précisément à des questions précises, même si nous devrons y revenir dans le cadre de la discussion budgétaire pour 2025, laquelle s’annonce d’ores et déjà tendue.
Tout d’abord, quelle hypothèse de recettes de DMTO retenez-vous pour 2024 ?
Ensuite, quelle hypothèse d’évolution des trois allocations individuelles de solidarité et de l’aide sociale à l’enfance retenez-vous pour cette même année, en sachant que les dépenses sociales représentent plus de 60 % – jusqu’à 68 % parfois – des dépenses de fonctionnement des départements ?
Enfin, pensez-vous sérieusement que le fonds de sauvegarde – 106 millions d’euros pour 14 départements – soit à la bonne échelle, au regard des milliards d’euros de déséquilibre budgétaire dont je viens de parler ?
Pour en revenir au début de mon propos, je ferai donc remarquer que la ficelle est grosse : le Gouvernement, après avoir pris les dernières mesures nécessaires à l’asphyxie des départements, pourra constater que ces derniers ne peuvent plus assurer leur mission et qu’il faudra recentraliser. Mais peut-être cela n’est-il pas totalement étranger au fait que les électeurs départementaux ont le mauvais goût de confier leur destin très majoritairement à des gouvernances de droite et du centre… (M. le ministre délégué rit.)
Monsieur le ministre, je conçois que cela puisse être agaçant ; faut-il pour autant avancer dans la voie de la démolition de notre pays ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l’opportunité de m’exprimer sur le sujet des finances des départements, dans un contexte, vous le savez, particulier pour nos finances publiques et pour nos départements.
Dans la période que nous connaissons, les départements font en effet face, vous l’avez dit, monsieur le sénateur, à une inflexion certaine de leur situation financière, ce qui les place d’ailleurs dans une situation singulière par rapport aux autres niveaux de collectivité.
D’un côté, les dépenses sont dynamiques, notamment les dépenses de fonctionnement, plus particulièrement celles de personnel, qui augmentent de 7,2 % ; il est vrai que les départements, comme l’État et les autres collectivités, sont concernés non seulement par la revalorisation du point d’indice, des salaires du personnel médico-social, mais aussi par l’augmentation des dépenses d’énergie.
De l’autre, les recettes sont en diminution, notamment du fait de la baisse du produit des droits de mutation à titre onéreux. Dans le contexte actuel de ralentissement du marché immobilier, les DMTO diminuent de plus de 20 %. Il s’agit, toutefois, d’une correction qui fait suite à une période de dynamisme exceptionnel, puisque les DMTO ont été multipliés par deux en dix ans, entre 2012 et 2022, et qu’ils ont augmenté de 40 % depuis 2017.
Au total, les recettes réelles de fonctionnement sont en baisse : c’est une spécificité propre à l’échelon départemental. Bien que ces chiffres ne soient pas définitifs et que la situation soit bien sûr hétérogène entre départements, l’État est particulièrement attentif à une telle inflexion.
Dans ce cadre, je prends un premier engagement : celui de poursuivre un dialogue constant avec Départements de France et son président, François Sauvadet. Plusieurs rendez-vous ont déjà été fixés : dès ce mois-ci, puis en mai, lors de la publication définitive des comptes de nos départements, et de nouveau à l’automne, au mois de septembre ou d’octobre.
En parallèle, quinze départements appellent une attention particulière, car ils sont susceptibles d’être les plus affectés. Soyez certains que nous sommes et resterons vigilants. Je me tiens d’ailleurs à la disposition des présidents de département qui souhaiteraient me rencontrer ; certains d’entre eux m’ont déjà sollicité. Nous sommes vigilants, disais-je, car la situation le mérite, mais je veux aussi vous rassurer, mesdames, messieurs les sénateurs, en insistant sur les mécanismes mis en place pour amortir cette inflexion indéniable.
Si les recettes de DMTO sont mises en avant, elles restent une part minoritaire de l’ensemble des recettes et se maintiennent à un niveau supérieur à celui de 2019, qui fut une très bonne année en la matière.
Pour autant, il faut pouvoir soutenir les départements confrontés à des difficultés conjoncturelles en matière de perception de ces prélèvements. Grâce au mécanisme de péréquation, l’écart de recettes par habitant entre le département le mieux loti et celui qui l’est le moins bien diminue de 40 %. S’ajoute une mise en réserve des sommes non distribuées au titre de la péréquation, pour un montant de près de 250 millions d’euros à la fin de l’année 2023.
En plus de cette péréquation, nous avons mis en place un fonds de sauvegarde des départements. Ce fonds de sauvegarde bénéficie d’abord aux collectivités confrontées à une baisse importante du produit des DMTO et touchées par une hausse significative des dépenses liées au revenu de solidarité active, à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et à la prestation de compensation du handicap (PCH).
Ce fonds était initialement doté de 53 millions d’euros. La loi de finances de 2024 a permis son doublement, pour le fixer à 106 millions d’euros, grâce à un abondement de l’État, qui y contribue ainsi à parité avec les départements. Cet effort supplémentaire bénéficiera à quatorze départements dès cette année. Par exemple, la Gironde bénéficiera de 9 millions d’euros, le Val-de-Marne, de 7 millions d’euros ; ce sont des montants non négligeables.
Toujours en matière de DMTO, il existe depuis 2022 un mécanisme d’assurance individuelle, qui autorise les départements à mettre en réserve une fraction de leur produit de DMTO après délibération. Au 31 janvier 2024, 35 départements avaient mis en réserve un total de 1 milliard d’euros. Je tiens ici à saluer ces 35 départements, qui ont pris leurs responsabilités face au caractère cyclique des recettes départementales assises sur l’évolution des prix de l’immobilier.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, dans une conjoncture difficile liée à des facteurs exogènes, comme le ralentissement du marché immobilier, les mécanismes protecteurs existent et l’État est au rendez-vous.
L’État est aussi au rendez-vous, avec les départements comme avec toutes les autres collectivités, pour compenser, grâce au filet de sécurité, certaines hausses de dépenses liées à l’augmentation des prix de l’énergie, de l’électricité et du chauffage urbain.
Enfin, l’État est encore au rendez-vous pour accompagner les départements avec des mesures ciblées adoptées dans cadre de l’examen du budget pour 2024.
Parmi elles, je citerai le renforcement significatif du budget de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), à hauteur de 150 millions d’euros, afin de mieux couvrir les dépenses d’aide à l’autonomie des départements.
Face à l’enjeu que représente la prise en charge des mineurs non accompagnés, là aussi l’État accompagne les départements, en augmentant de moitié son soutien budgétaire à ce titre, pour lui faire atteindre près de 100 millions d’euros en 2024.
Dans cette période d’inflexion pour les finances des départements, la question des recettes est, je le sais, particulièrement sensible.
J’ai évoqué la situation des DMTO et les mécanismes à l’œuvre pour amortir les effets de leur contraction. Mais il me faut aborder la question de la compensation des différentes et récentes réformes de la fiscalité locale, sujet que vous avez évoqué, monsieur le sénateur, qui a consacré la TVA comme composante essentielle du panier de ressources des départements. Cette taxe représente ainsi désormais plus de 30 % des recettes de fonctionnement des départements.
En 2023, cela équivaut à quelque 22 milliards d’euros de recettes, marquées par un dynamisme de plus de 4 % ; car c’est un prélèvement dynamique. De même, le produit de la taxe spéciale sur les conventions d’assurances (TSCA) qui leur est affecté a crû de près de 7 % en 2023. C’est aussi ce qui permet d’amortir le recul des DMTO.
Surtout, dans le cadre de la réforme de la taxe d’habitation, la loi de finances pour 2020 a introduit un mécanisme de versement d’une fraction de TVA supplémentaire, d’un montant de 250 millions d’euros, à destination des départements exposés à un reste à charge au titre des allocations de solidarité. Il s’agit là d’un levier supplémentaire pour soutenir les départements en difficulté.
Enfin, je veux dire un mot plus général du contexte dans lequel s’inscrit la situation des départements. L’État sera certes toujours aux côtés de ceux-ci, mais nous sommes néanmoins dans un moment où les efforts doivent être partagés : entre l’État, qui a beaucoup protégé et prend ses responsabilités, et les collectivités locales, y compris les départements.
Le premier allié de nos finances publiques est la croissance et, avec elle, l’activité et l’emploi. Or le contexte international et européen est incertain et peu favorable, marqué par la poursuite des chocs géopolitiques au Moyen-Orient et en mer Rouge, de la guerre en Ukraine et par le ralentissement de l’activité chez nos partenaires européens.
Nous avons dû, comme d’autres pays partenaires, vous le savez, revoir nos prévisions de croissance pour 2024. Nous faisons face à des prévisions de recettes en baisse, ce qui nous a conduits à prendre la décision d’annuler 10 milliards d’euros dans le budget de l’État.
Ces annulations nécessitent un effort de tous les ministères sur l’ensemble de leurs dépenses de fonctionnement, sur la maîtrise de la masse salariale, sur le décalage d’un certain nombre de projets. Contrairement à ce qui est parfois affirmé, l’État prend sa part dans les efforts consentis pour le redressement de nos finances publiques.
En cohérence, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, et je terminerai ainsi mon propos, j’en appelle à une responsabilité partagée : tout doit être mis en œuvre pour assurer le respect de notre trajectoire de finances publiques, notamment sur les dépenses de fonctionnement.
M. Bruno Belin. Il serait temps !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je sais que les élus locaux, dans leur immense majorité, partagent cet esprit de responsabilité. Nous avons tous les finances publiques en partage. Je veux redire la nécessité de ne pas opposer l’État et les collectivités locales dans ce vaste chantier qui nous attend, celui du redressement de nos finances publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Laure Darcos. Monsieur le ministre, 100 millions d’euros ou 30 %, c’est ce que représente pour le département dont je suis élue, l’Essonne, la diminution du montant des droits de mutation à titre onéreux en 2023. À l’échelle nationale, les départements auront perdu 3,9 milliards d’euros entre 2022 et 2023.
Les dépenses relatives aux allocations individuelles de solidarité – APA, PCH et RSA – pèsent pour plus de 18 milliards d’euros, avec un reste à charge de 50 % pour nos collectivités. Songez également que les dépenses au titre de l’aide sociale à l’enfance représentent, à elles seules, près de 10 milliards d’euros.
Les départements doivent en outre assumer les conséquences d’une politique migratoire hors de contrôle, avec notamment l’arrivée de mineurs non accompagnés. La prise en charge de ces derniers leur coûte plus de 2 milliards d’euros, avec une compensation de 6 % seulement.
Leur situation financière est devenue d’autant plus critique que les dépenses supplémentaires imposées par l’État, soit 2,5 milliards d’euros de plus en deux ans, n’ont, une fois encore, pas été compensées.
Jusqu’à présent, vous aviez beau jeu de dire que, pour faire face à ces dépenses nouvelles, les départements pouvaient s’appuyer sur leurs recettes de DMTO supplémentaires, devenues stratégiques. Mais, aujourd’hui, ces dernières ont disparu et les recettes sont revenues à leur niveau d’avant-covid, alors que les dépenses, elles, subsistent.
Non, monsieur le ministre, la crise des finances départementales n’est pas une vue de l’esprit. Depuis la réforme de la taxe d’habitation, les départements ne disposent plus de levier en matière de fiscalité.
L’investissement et l’aide aux communes ne doivent pas devenir la variable d’ajustement de leurs budgets. Nombre de départements mènent en effet des politiques volontaristes de péréquation et d’équilibre entre le monde rural et les territoires urbains. Nous ne voulons pas renoncer à ces politiques vertueuses par nécessité budgétaire.
Oui, nos départements revendiquent une autonomie fiscale pour mener à bien les missions qui leur sont confiées par le législateur.
Monsieur le ministre, ma question est la suivante : quand le Gouvernement va-t-il enfin prendre la mesure de la gravité de la situation et déterminer un panier de ressources permettant aux départements de faire face à leurs charges, comme le demande depuis longtemps le Sénat ? (M. Pierre Jean Rochette applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, nous partageons le constat que vous dressez sur l’inquiétude suscitée par l’évolution des recettes – vous avez cité les DMTO –, d’une part, et celle des dépenses, d’autre part, dont certaines sont dynamiques, à l’image d’un certain nombre de dépenses sociales.
D’une certaine manière, vous en appelez à une nouvelle autonomie fiscale des départements. Or ceux-ci disposent déjà d’un panier de recettes fiscales très importantes, puisque, vous le savez, sur l’ensemble de leurs recettes, les trois quarts sont des recettes fiscales. Les DMTO sont souvent évoqués, mais sachez que, désormais, les départements perçoivent la taxe sur la valeur ajoutée : c’est une bonne nouvelle pour eux ! (Mme Laure Darcos et M. Philippe Grosvalet ironisent.)
Lorsque la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) a été progressivement supprimée, les régions se sont vu confier une part du produit de la TVA. Aucune d’entre elles n’accepterait de revenir en arrière. (M. Bruno Belin proteste.) La TVA est en effet un impôt dynamique, beaucoup plus prévisible que la CVAE. (Non ! sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur de nombreuses travées.)
M. le président. Mes chers collègues, la parole est à M. le ministre délégué et à lui seul !
M. Jean-François Husson. C’est normal, il y a des erreurs et, quand il y a des erreurs, on les corrige !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. J’entends le rapporteur général du budget qui souhaite s’inviter dans le débat ; j’en suis très heureux !
Au-delà de ce débat sur la TVA, disais-je, je souhaite préciser, madame la sénatrice, qu’il existe d’ores et déjà un panier de recettes, puisque la TSCA en fait partie.
La question est de savoir comment accompagner les quatorze départements qui sont dans les situations les plus difficiles. À cet égard, le Gouvernement a mis en place un fonds de solidarité et doublé l’abondement de l’État.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le répétez très souvent ici même, au Sénat : les collectivités sont à ce point différentes les unes des autres qu’il ne saurait y avoir des mesures générales applicables à l’ensemble des départements. Il faut pouvoir cibler les départements le plus en difficulté. D’ailleurs, certains ont mis en réserve une partie de leurs ressources, pour faire face justement au retournement du cycle immobilier. Mais les DMTO ne sont pas les ressources principales des départements.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le ministre, cela a été rappelé, on constate une contraction forte de l’épargne brute des départements, conséquence de l’inflation soutenue, de la revalorisation du point d’indice, de la chute des recettes de DMTO, de l’insuffisance de la compensation des allocations individuelles de solidarité, des dépenses imprévues, comme celles qui sont liées à l’accueil des MNA, et ce en l’absence, contrairement à ce que je viens d’entendre, de toute autonomie fiscale et même financière des départements.
Je souhaite vous interroger tout particulièrement sur les dépenses de personnel.
Chacun le sait, l’augmentation du point d’indice ne dépend en aucun cas de la volonté des collectivités locales ; c’est l’État qui la fixe. Les revalorisations sectorielles définies dans le cadre du Ségur de la santé, même si elles ne sont pas contestables, altèrent fortement le niveau des dépenses de personnel. L’ajustement des régimes indemnitaires et des avantages sociaux, mis en œuvre pour conserver l’attractivité des employeurs publics, dans un contexte de crise sur le marché de l’emploi, mine également les collectivités locales que sont les départements.
Monsieur le ministre, comment le Gouvernement compte-t-il accompagner les départements, notamment lorsque c’est l’État qui décide de rehausser fortement le point d’indice sans concertation avec les collectivités locales ?
J’évoquerai un second point, le financement de la protection civile, qui devient évidemment essentiel dans un contexte où les départements et les territoires, notamment de montagne, sont exposés aux aléas climatiques.
Des négociations sont actuellement menées à l’échelon européen à propos du statut des sapeurs-pompiers volontaires, qui pourraient être assimilés à des salariés de droit commun. Cela amplifierait encore davantage les conséquences budgétaires que nous subissons déjà aujourd’hui. Comment le Gouvernement, notamment dans le cas de l’accompagnement des départements, qui financent en grande partie les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), envisage-t-il de faire face à une telle augmentation des coûts ?
La contribution au Sdis du département des Hautes-Alpes, dont je suis élu, était de 7 millions d’euros en 2021 ; elle est dorénavant de 8,5 millions d’euros. Vous voyez bien que les départements ne pourront plus assumer durablement cette hausse des charges non maîtrisée.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez posé de nombreuses questions, mais je répondrai plus particulièrement à vos deux interpellations portant sur le point d’indice et le financement de la protection civile.
Sur le point d’indice, il n’aurait pas été, à mon sens, responsable de ne pas proposer aux agents publics de mesures face au choc inflationniste que nous avons rencontré. La demande était également de protéger les fonctionnaires contractuels, car l’augmentation de l’inflation érode leur pouvoir d’achat.
Les collectivités territoriales sont des employeurs publics. Nous n’allons pas commencer à créer un système compensatoire dans lequel l’État couvrirait chaque augmentation du point d’indice. S’engager dans cette voie serait admettre que les collectivités n’ont plus de responsabilités en tant qu’employeurs, et il nous faudrait alors aussi évoquer la décorrélation du point d’indice. Dans ce cadre, plus aucune mesure générale ne s’appliquerait et les collectivités territoriales seraient, en l’absence d’un point d’indice commun, pleinement responsables de leur politique salariale. Si vous souhaitez vous engager dans cette voie, soit, mais alors allons au bout des choses ; pour ma part, je suis prêt à en débattre.
En tout état de cause, il n’est pas sain, selon moi, d’entrer dans un système de compensation automatique des collectivités territoriales à la moindre revalorisation du point d’indice.
En ce qui concerne le financement de la protection civile, monsieur le sénateur, vous savez qu’une fraction très dynamique de la TSCA est affectée aux départements en vue de financer les Sdis. Celle-ci s’est élevée à 1,4 milliard d’euros en 2023, contre 900 millions d’euros initialement. En dix ans, cette fraction a augmenté de plus de 36 %.
Le département des Hautes-Alpes a ainsi perçu plus de 3 millions d’euros, contre 2 millions d’euros dix ans plus tôt. À l’occasion du débat sur le projet de loi de finances, nous avons d’ailleurs émis un avis favorable sur un amendement présenté par le rapporteur général, Jean-François Husson, pour augmenter de 50 % la part de la TSCA affectée au financement, notamment, du bataillon de marins-pompiers de Marseille et pour créer une participation de 3,6 millions d’euros en faveur du financement du Sdis de Mayotte.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Nous avons donc réussi à construire, ensemble, les bases d’un renforcement des moyens à destination du financement de la protection civile.
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc.
M. Grégory Blanc. Monsieur le ministre, regarder la situation des départements, ce n’est pas uniquement s’intéresser à l’effet de ciseaux financier actuel ou à la fiscalité, c’est aussi, comme l’évoquait mon collègue précédemment, considérer la pente des dépenses.
De ce point de vue, je veux, pour illustrer mon propos, m’arrêter sur la protection de l’enfance.
Le nombre des mesures engagées au titre des enfants placés à l’échelle nationale a quasi doublé en vingt ans, avec une accélération brutale depuis 2019. Dans le département dont je suis élu, la part du budget de fonctionnement consacrée à la protection de l’enfance représente 160 millions d’euros, sur un total de 640 millions d’euros ; elle était de 100 millions d’euros voilà huit ans.
Si, en France, notre société va globalement bien, la proportion de ceux qui vont mal est de plus en plus forte, et les statistiques sont là pour le prouver. Sur le plan psychiatrique, considérant la tranche d’âge de 18 à 24 ans, un jeune garçon sur huit et une jeune fille sur quatre ont connu un épisode dépressif au cours de l’année écoulée. Cette statistique est constante depuis le covid. Pour les plus jeunes, la proportion est équivalente.
Depuis les vagues de décentralisation, la forme d’intervention de l’État social a éclaté en morceaux. Elle n’est toujours pas clarifiée. Départements, caisses d’allocations familiales (CAF), agences régionales de santé (ARS), tribunaux, éducation nationale, communes, quelquefois même établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) : l’État social est protéiforme, non coordonné. Il n’y a toujours pas de chef de file réel sur la protection de l’enfance. Les financements et les acteurs sont chacun dans leur couloir, chacun avec leur chefferie.
Monsieur le ministre, face à la hausse exponentielle des dépenses à venir dans les prochaines années, comment le Gouvernement compte-t-il accompagner les départements ? Envisage-t-il une réforme structurelle, avec l’affirmation du rôle de chef de file ? Ou entend-il procéder à une recentralisation, comme l’évoquait Charlotte Caubel lorsqu’elle était secrétaire d’État ? Quelle est la position du Gouvernement de ce point de vue ?
Du point de vue financier, comment compte-t-il absorber le choc de l’éclatement des familles ? Quel regard portera-t-il sur les excédents constatés chaque année de la branche famille de la CAF, notamment en matière de prévention sur le terrain ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, les questions relatives à la protection dans l’enfance sont autant de préoccupations partagées, je le sais. D’ailleurs, un rapport d’information du Sénat a montré que les mesures liées à l’aide sociale à l’enfance ont connu une progression de 29 % entre 2007 et 2021.
Pour accompagner cette demande supplémentaire, l’État et les départements sont au rendez-vous. Sachez que l’État a augmenté, pour 2024, son soutien à hauteur de plus de 314 millions d’euros.
Un certain nombre de dispositifs ont ainsi été mis en œuvre. Les contrats départementaux de prévention et de protection de l’enfance ont été augmentés de 140 millions d’euros. Le budget de la prévention des sorties sèches des jeunes majeurs de l’aide sociale à l’enfance (ASE) est abondé de 50 millions d’euros. L’État participe aux revalorisations salariales dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI) pour 34 millions d’euros. Pour l’accompagnement des mineurs non accompagnés, à la suite d’une demande très importante de Départements de France, l’État a majoré son financement à hauteur de 100 millions d’euros.
Bref, pour toutes ces politiques publiques difficiles, sur lesquelles une forte demande existe, l’État se tient toujours aux côtés des départements. Les chiffres que je viens de vous présenter l’illustrent.
Monsieur le sénateur, vous posez ensuite une autre question : celle de l’enchevêtrement des compétences et de la complexité de notre action publique territoriale, en particulier sur la question sociale. Le Président de la République a confié à Éric Woerth une mission sur la décentralisation, afin de faire des propositions permettant d’aller le plus loin possible dans la simplification des compétences, ce à quoi je suis très favorable. Il faut que, derrière chaque compétence, il y ait une collectivité chef de file, pleinement en responsabilité. Je vous invite à participer aux travaux de la mission Woerth, qui rendra prochainement ses conclusions.
M. Jean-François Husson. Nous sommes assez grands pour savoir quoi faire !
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre, partageons la vérité. Dans un rapport publié en décembre dernier, le Conseil des prélèvements obligatoires formulait le souhait que soit engagée une réflexion sur « le niveau et l’affectation des DMTO visant à moins taxer l’acquisition de logements et à compenser le manque à gagner pour les finances publiques ». L’hypothèse d’une suppression pure et simple des DMTO est même avancée dans la conclusion de ce rapport !
Cela a été dit, les départements sont confrontés à une chute sans précédent de leurs recettes, avec 7,5 milliards d’euros de perte en 2024. Dans leur histoire, ils n’ont jamais été autant tributaires de la double tutelle de l’État, via les dotations et l’affectation d’une fraction des recettes de la TVA.
Selon vous, monsieur le ministre, l’affectation de la TVA serait une bonne nouvelle, mais l’article 72-2 de la Constitution est balayé par cette affectation d’une fraction de la TVA ; c’est la fin de l’autonomie !
La démocratie locale s’en trouve altérée et menacée. Les services publics départementaux constituent encore le premier levier de la redistribution, le plus fidèle soutien des communes et le meilleur outil de cohésion territoriale. Or, du fait de la double tutelle que vous leur imposez, les départements doivent soit revoir à la baisse leurs prestations, soit rehausser le coût des services publics pour les usagers.
On est ainsi en train de porter atteinte au dernier levier fiscal de l’échelon départemental. Je vous le demande : abandonnez purement et simplement l’idée de cette suppression.
Par ailleurs, si vous soulevez l’argument de la fragilité des DMTO, quelles sont alors vos propositions concrètes pour créer de nouveaux leviers fiscaux garantissant la pérennité des services publics départementaux ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, permettez-moi tout d’abord de vous rassurer : il n’y a pas de projet de suppression des DMTO.
M. Pascal Savoldelli. Mais si !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, c’est un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, ce n’est pas une proposition du Gouvernement !
M. Pascal Savoldelli. Oh, pardon… (Sourires sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je vous l’affirme, il n’y a pas de projet de suppression des droits de mutation à titre onéreux : j’espère que cela vous rassure.
Pour autant, vous abordez un sujet important, qui n’est d’ailleurs pas nouveau – nous en avions déjà débattu lors de l’examen du projet de loi de finances –, à savoir la distinction entre l’autonomie fiscale et l’autonomie financière.
Qu’est-ce qui garantit la libre administration des collectivités territoriales ? C’est l’autonomie financière, c’est-à-dire par la capacité d’avoir des ressources et de les employer librement.
M. Laurent Somon. Pas toujours !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. L’autonomie fiscale, c’est la capacité de moduler le taux d’un impôt. Mais au service de quel projet ? Celui de renforcer la concurrence territoriale ? (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K, UC et Les Républicains.) Car c’est bien de cela qu’il s’agit ! Est-il plus important d’avoir une autonomie financière ou une autonomie fiscale ?
Mme Anne-Catherine Loisier. Les deux !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Que garantit la Constitution ? Elle garantit l’autonomie financière ! Je vous invite d’ailleurs à lire la récente communication sur l’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales du rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, Jean-René Cazeneuve, qui permet de constater leur évolution dans le temps. L’autonomie financière des départements a progressé, tandis que, naturellement, l’autonomie fiscale des collectivités a régressé, je vous le concède. Mais c’est l’autonomie financière qui est la plus importante pour la libre administration des collectivités. Quel est le projet, derrière l’autonomie fiscale ? C’est la mise en concurrence entre les territoires. Est-ce véritablement de cela que nous avons besoin pour garantir l’unité du pays et le bon aménagement du territoire ?
M. François Bonneau. Les choses ne fonctionnent pas ainsi !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. J’espère vous avoir rassuré, monsieur le sénateur : nous ne projetons pas de supprimer les DMTO, et nous défendons l’autonomie financière des départements.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre, si je ne doute pas de votre sincérité personnelle, je doute en revanche de votre sincérité politique. En effet, c’est votre gouvernement qui a supprimé la CVAE et la taxe d’habitation, sans prévenir !
M. Pascal Savoldelli. Par ailleurs, qui vous croira, dans cet hémicycle ? Il n’y a pas d’autonomie financière en dehors de l’autonomie fiscale pour les collectivités territoriales ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Grégory Blanc applaudit également.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Eh non !
M. Pascal Savoldelli. En ouverture du débat, vous parliez de dépenses partagées et de responsabilité partagée. Mais monsieur le ministre, dans le Val-de-Marne, il y a 100 000 demandeurs de logements sociaux depuis 2010, il y a 43 000 allocataires du RSA, et ce chiffre augmentera avec la création de France Travail, et 27 communes sont classées à risque d’inondation. Voyez-vous quelles sont les responsabilités de nos collectivités ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Pascal Savoldelli. Oui, monsieur le ministre, il faut partager les responsabilités : autonomie fiscale et autonomie financière sont pour les départements un couple indéfectible ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains. – M. Ahmed Laouedj applaudit également.)
M. Jean-François Husson. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue l’organisation de ce débat sur les finances des départements, particulièrement affectées par la conjoncture économique et sociale.
Anticipant la baisse du produit des DMTO, de nombreux départements ont heureusement eu la prudence de mettre en réserve des recettes exceptionnelles. Cependant, ces ressources fondent comme neige au soleil en raison de la contraction économique, car elles amortissent la hausse exponentielle des dépenses sociales, l’inflation ou encore la lutte contre les aléas climatiques.
L’effet de ciseaux tant décrié par les départements est devenu une constante budgétaire et chaque nouvelle annonce alourdit un peu plus cet effet « de sécateur ».
La suppression de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), au-delà de son caractère inique du point de vue social, correspond en réalité à un transfert de charges d’environ 2 milliards d’euros – coquette somme – vers les collectivités départementales.
Autre exemple : les quinze heures de bénévolat que France Travail prévoit pour les allocataires du RSA ne pourront pas se faire sans accompagnement humain. Rien qu’à l’échelle du Lot-et-Garonne, cela représente 600 000 heures par mois…
Sans autonomie fiscale, l’impossibilité de prévoir ces coûts pour les collectivités se traduira par un recul de l’investissement public, pourtant au cœur des missions des départements en faveur de la solidarité territoriale.
Monsieur le ministre, vous connaissez le rôle de pilier que jouent les départements dans notre équilibre institutionnel. Le moment n’est-il pas venu, alors qu’une mission sur la décentralisation est en cours, d’instaurer des clauses de revoyure sur les compensations financières de l’État envers les départements, en matière tant de suppression des recettes que de transferts de charges ? (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Nous devons mener jusqu’au bout le chantier de la décentralisation, dans le cadre de la mission confiée à Éric Woerth. Nous avons besoin de clarifier les responsabilités et les compétences de chaque échelon territorial, mais aussi de poser la question du financement. Le mandat confié à la mission dirigée par Éric Woerth est large, il porte à la fois sur les compétences et sur les financements des collectivités territoriales.
Vous l’avez indiqué, les départements exercent des compétences particulières dans le champ social et, d’une certaine manière, les compétences des départements et de l’État en matière d’emploi et de politiques sociales sont complémentaires.
Quand l’État affecte, dans le cadre de la mise en place de France Travail, 300 millions d’euros supplémentaires pour mieux accompagner les demandeurs d’emploi, mais aussi les bénéficiaires du RSA, il joue le jeu des départements : mieux accompagner les bénéficiaires du RSA, c’est les aider à retrouver plus facilement un emploi et donc réduire les dépenses des départements. Activer la politique de l’emploi permet aux départements de faire des économies. D’où notre intérêt à garantir la meilleure collaboration possible entre le service public de l’emploi, France Travail, et les départements. Accompagner un maximum de personnes vers le retour à l’emploi constitue donc un enjeu fondamental, tant pour les départements que pour l’État ou les finances publiques.
Soyez assurés que la question de la fin programmée de l’ASS n’est pas directement un sujet pour les départements, car on souhaite en même temps accélérer le retour à l’emploi d’un certain nombre de bénéficiaires du RSA. (Mme Pascale Gruny proteste.)
Enfin, je souhaite revenir sur la question de la dynamique fiscale. Les recettes de la TVA ont toujours été plus dynamiques que celles de la CVAE ou de la taxe foncière. Il s’agit d’une bonne ressource, dynamique, pour les départements, je le répète. J’en veux pour preuve le fait que l’affectation d’une fraction de TVA aux régions a eu sur les finances de ces dernières un effet plutôt positif, par rapport au rendement de la CVAE, imprévisible et difficile à piloter dans le temps.
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Monsieur le ministre, si nous partageons le constat que 2023 a constitué une année délicate pour les finances des départements, permettez-moi d’insister sur deux points.
D’une part, la situation est hétérogène : la conjoncture immobilière dégradée en 2023 provoque une réduction de 20 % du montant des droits de mutation à titre onéreux, l’une des principales recettes des départements, mais l’impact de la crise immobilière n’est pas le même selon les territoires. Par ailleurs, le montant global des dépenses en matière d’action sociale varie également selon les collectivités. Ces deux facteurs expliquent pourquoi certains départements se portent financièrement moins bien que d’autres.
D’autre part, permettez-moi de rappeler que, lors des années antérieures à 2023, l’évolution des finances des départements avait été favorable. La direction générale des collectivités locales déclarait en octobre dernier qu’après une amélioration de leur situation financière en 2021, les départements avaient affiché en 2022 des résultats globalement favorables. Les évolutions positives des recettes de fonctionnement et l’augmentation du point d’indice ont permis à l’épargne brute des départements de croître de 5,3 % en 2022.
Si les résultats de 2023 restent préoccupants, je rappelle que le Gouvernement a tenu, dans la loi de finances pour 2024, à soutenir les départements. En effet, un abondement de l’État a été décidé afin de doubler le montant du fonds de sauvegarde et de le faire atteindre un montant global de 106 millions d’euros.
Tout à l’heure, j’entendais affirmer que ce montant n’était pas suffisant, mais sortons de nos contradictions ! Un jour, on se plaint à juste titre de la dérive de nos finances publiques et le lendemain on ne rate pas l’occasion de demander plus ! Monsieur le ministre, quelle sera l’ampleur du soutien accordé et quels départements en bénéficieront-ils ?
Enfin, dans une période où les élus locaux exigent davantage de décentralisation, je préfère moi aussi parler d’autonomie financière que d’autonomie fiscale. Sans assiette, sans base, l’autonomie fiscale ne sert à rien !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Didier Rambaud. Rappelons que les départements mettent en œuvre, au-delà de leurs compétences sociales 12 milliards d’euros d’investissement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez dressé le bon constat, celui de l’hétérogénéité de la situation des départements. Nous pouvons tous en convenir, nous le voyons dans nos territoires : certains départements sont plus affectés par la crise que d’autres, parce qu’ils sont plus dépendants de la situation immobilière ou parce que le nombre de bénéficiaires du RSA y est en hausse. Au lieu de répondre de la même manière pour tous les départements, il faut faire du cousu main. C’est précisément ce que nous avons fait avec le fonds de sauvegarde, alimenté à hauteur de 300 millions d’euros par la TVA et pour lequel l’État a doublé sa part pour accompagner les départements, oui, doublé !
M. Jean-François Husson. Incroyable ! (Sourires.)
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Quatorze départements sont ainsi accompagnés par une mobilisation du fonds de solidarité, ceux qui ont connu une baisse très importante de leur épargne nette ou brute. Deux d’entre eux ont une épargne négative : le Val-de-Marne et la Gironde. L’enjeu, c’est de mobiliser le fonds de solidarité en fonction de la situation. (M. Pascal Savoldelli s’exclame.)
Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, nous sommes convenus d’apporter une réponse concrète, cousue main. J’ai toujours défendu cette idée : n’ayons pas une vision homogène des collectivités territoriales, car nos territoires sont tous différents, vous êtes bien placés pour le savoir, mesdames, messieurs les sénateurs. Adoptons donc des réponses circonstanciées, adaptées. Je crois à la logique du fonds de solidarité, que nous avons « dopé » dans le budget 2024.
M. Jean-François Husson. Aucune solution !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet.
Mme Isabelle Briquet. Monsieur le ministre, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, le Sénat avait décidé un soutien de 100 millions d’euros au profit des départements confrontés à une forte dégradation de leur situation financière.
Malgré les difficultés que cet échelon territorial indispensable à nos concitoyens rencontre, le Gouvernement persiste à aggraver ses charges en supprimant sans aucune concertation l’allocation de solidarité spécifique.
Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas ignorer les conséquences financières que cette décision impose aux départements. En plus de la baisse des DMTO, de l’augmentation des charges de personnels et des dépenses sociales, cette décision met en péril l’équilibre budgétaire déjà fragile de nos départements.
Le basculement des 320 000 bénéficiaires de l’ASS vers le RSA coûterait plus de 2 milliards d’euros aux départements. Pour la seule Haute-Vienne, le coût financier dépasserait 7 millions d’euros. Cette réalité économique met en lumière une situation déjà délicate. Sans mesures compensatoires, les départements devront renoncer à autant de politiques publiques pourtant essentielles à la vie de nos concitoyens.
Compte tenu de la pression qui existe sur les ressources des collectivités locales, de quelle manière l’État compensera-t-il la suppression de l’ASS imposée aux départements ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, je vous remercie de rappeler que nous avons mis en place le fonds de solidarité à destination des départements. Nous en avons doublé l’enveloppe afin d’éviter l’effet de ciseaux entre la baisse des recettes – même si, je le répète, les DMTO ne sont pas la principale ressource des départements – et l’augmentation des dépenses de solidarité.
Avant d’évoquer la question de l’ASS, je rappelle que les dépenses des départements relatives au versement du RSA sont couvertes à 97,5 % par l’État. J’entends parfois certains parler de non-compensation des dépenses des départements par l’État, mais ce taux est historique.
Les travaux de concertation démarrent afin de déterminer l’impact de la suppression de l’ASS sur nos politiques publiques et sur les bénéficiaires du RSA. Cette suppression ne doit pas être considérée de manière isolée, car elle s’inscrit dans une politique plus globale qui défend le retour au travail, à l’emploi, et l’accompagnement vers l’activité de tous ceux qui en ont été éloignés, parfois pendant très longtemps. (Mme Silvana Silvani s’exclame.)
Notre objectif, c’est le plein emploi. Pour l’atteindre, il faut mieux accompagner les bénéficiaires du RSA. C’est à cela que vise la création de France Travail. Si nous attribuons 300 millions d’euros supplémentaires à cet organisme, afin notamment qu’il travaille mieux avec les conseils départementaux, c’est parce que ce défi est « gagnant-gagnant » pour les départements et l’État : si l’on accompagne mieux les bénéficiaires du RSA, cela fera moins de dépenses liées au RSA et à l’ASS. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)
D’ailleurs, la réforme de l’ASS se fera progressivement. Comptez sur notre détermination à travailler avec les départements pour mieux accompagner les bénéficiaires du RSA et limiter les dépenses des départements au titre de cette politique.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour la réplique.
Mme Isabelle Briquet. Monsieur le ministre, je crains de ne pas partager votre optimisme. Je ne crois pas à l’emploi magique.
Au-delà du problème financier, votre réforme provoquera une réduction des droits sociaux et la paupérisation de citoyens déjà fragiles. Je le rappelle, il est aujourd’hui possible de cumuler l’ASS et l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Cela ne sera plus le cas si l’ASS est supprimée au profit d’un meilleur accompagnement des bénéficiaires du RSA.
Plus de 300 000 personnes, pour moitié âgées de plus de 50 ans, sont mises en danger par cette réforme. Pour ces femmes et ces hommes, l’ASS était non seulement une aide financière, mais aussi un moyen d’acquérir des trimestres de retraite. Cette suppression revient à accroître la précarité pour bon nombre de nos concitoyens et pour nos départements. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Monsieur le ministre, le nombre de MNA intégrant les dispositifs de protection de l’enfance a été pratiquement multiplié par quatre entre 2014 et 2023, passant de 5 000 à 19 370 personnes.
Les MNA représentent aujourd’hui entre 15 % et 20 % des mineurs pris en charge par l’ASE. Le coût moyen de la prise en charge au titre de l’ASE, couvrant le logement, la nourriture, les frais d’éducation et de formation, est estimé en moyenne à 50 000 euros par mineur et par an.
L’État demande en réalité aux collectivités départementales de gérer un problème qui relève du domaine régalien. L’association Départements de France tire donc la sonnette d’alarme, car la situation devient critique, pour ne pas dire dramatique. Les dispositifs de l’ASE, longs à se mettre en place, sont aujourd’hui menacés par cet afflux trop important et non maîtrisé.
Est-ce faire preuve d’humanité que d’enrichir toujours plus les filières mafieuses ou criminelles avec de tels trafics d’êtres humains ? Il est en effet clair que les MNA n’entrent jamais seuls, mais sont aux mains de trafiquants d’êtres humains qui prospèrent sur l’exploitation sexuelle, l’esclavage domestique, la contrainte à commettre des délits, l’exploitation au travail, la mendicité forcée ou la participation aux trafics de drogue.
Ils sont inexpulsables, pris en charge matériellement, et profitent du regroupement familial ainsi que d’un accès facilité à la nationalité française. Aujourd’hui, le dispositif MNA est devenu une filière d’immigration illégale que nous devons stopper afin de protéger l’ASE, donc l’enfance en danger.
L’ASE est un principe de solidarité qui honore la France et mérite d’être défendu. Malheureusement, ce principe est aujourd’hui mis en péril à cause du déséquilibre existant entre la part des mineurs français pris en charge et les MNA, qui sont trop souvent de faux mineurs, à plus de 55 %, et sont en réalité des migrants économiques ou des délinquants membres de réseaux favorisant le trafic d’êtres humains ; j’insiste sur cette notion de trafic.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire face à cette situation de plus en plus dramatique pour les jeunes Français relevant de l’ASE et pour nos départements, qui ont déjà tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises ?
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, vous demandez ce que le Gouvernement compte faire à propos des MNA. Je me permettrai de vous rappeler ce que nous avons déjà fait à ce sujet.
Vous avez raison, cette préoccupation est exprimée dans un grand nombre de territoires, car les départements sont en première ligne. Conjointement et de manière globale, l’État et les départements ont renforcé leur politique d’aide sociale à l’enfance ; j’ai cru comprendre qu’il s’agissait de l’une de vos préoccupations. Entre 2007 et 2021, les mesures à destination de l’ASE ont progressé de près de 30 % : l’État et les départements se sont mobilisés face au phénomène que vous décrivez.
Permettez-moi de rappeler quelques chiffres. Le dispositif de soutien de l’État aux départements au titre de la protection de l’enfance représente 214 millions d’euros. Les contrats départementaux de prévention et de protection de l’enfance, au cœur des problèmes que vous indiquez, représentent 140 millions d’euros. Pour la prévention des sorties sèches de jeunes majeurs de l’ASE, qui se retrouvent parfois livrés à eux-mêmes, nous avons renforcé les moyens à destination des départements.
Enfin, pour ce qui a trait aux mineurs non accompagnés, nous avons augmenté le financement de l’État de 30 %, à hauteur de 100 millions d’euros en 2024, afin de soutenir la mise à l’abri, l’évaluation de la minorité et de mettre en place une contribution exceptionnelle aux dépenses relatives à l’ASE des départements.
Bref, vous le voyez, madame la sénatrice, nous sommes mobilisés depuis déjà plusieurs années sur ce sujet, avec une coopération exigeante entre l’État et les départements, sans laquelle il n’y a pas de politique publique efficace.
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Antoine. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Antoine. Monsieur le ministre, les dernières mesures du Gouvernement relatives au RSA ont un impact considérable sur les dépenses des départements, qui financent ce dispositif, mais n’ont pas été consultés. Le Gouvernement estime que 34 % des personnes ayant droit au RSA ne le demandent pas. Ce sont donc 3,5 milliards d’euros qui s’ajoutent au montant de plus de 10 milliards d’euros déjà versé déjà par les départements. Monsieur le ministre, je doute de l’exactitude de vos chiffres, selon lesquels le financement du RSA serait compensé à 97,5 % par l’État.
Cela ne s’arrête pas là : avec le basculement vers le RSA de près de 300 000 bénéficiaires de l’ASS, jusqu’alors financés par l’État, nos départements devront financer 2,1 milliards d’euros supplémentaires. L’État délègue, mais il ne compense pas. Lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement de la semaine dernière, vous reconnaissiez vous-mêmes que les recettes des départements étaient « à la peine » ; je vous cite.
Cet effet de ciseaux ne peut pas durer. Comment comptez-vous aider les départements à mobiliser les 5,5 milliards d’euros nécessaires à ce transfert ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, j’insisterai sur un point, celui de notre vigilance concernant le taux de couverture des dépenses du RSA. Je l’affirme, en 2022, ce taux de couverture s’élevait bien à 97,5 % ; en 2020, il s’élevait à 85 %. Nous l’avons donc amélioré. Pour six départements, à la demande de ces derniers, nous avons procédé à la recentralisation du RSA.
L’un des chantiers qui nous attendent pour aller vers la bonne maîtrise des dépenses des départements est celui de la solidarité à la source, qui affecte directement les départements. L’enjeu est de lutter contre le non-recours au RSA, mais également de simplifier la lutte contre les fraudes. Le préremplissage des demandes de RSA constitue notamment l’un des chantiers majeurs, afin de garantir que ces demandes sont faites avec les bonnes informations relatives aux ressources.
Nous travaillons main dans la main avec les départements sur ce chantier. Nous afficherons le revenu social sur le bulletin de paie, et à compter d’octobre 2024 nous expérimenterons le préremplissage des déclarations trimestrielles, à partir des ressources sociales nettes issues du dispositif de ressources mensuelles (DRM), avant de le généraliser à compter de mars 2025.
Ce grand chantier de la solidarité à la source devra aussi permettre de mieux maîtriser notre dépense, d’éviter les erreurs et de garantir un bon taux de recours. Il s’ajoute à l’autre grand chantier que j’évoquais tout à l’heure, celui de France Travail, dans lequel les départements joueront un rôle clé.
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Antoine, pour la réplique.
Mme Jocelyne Antoine. Monsieur le ministre, je voulais vous faire comprendre que certains départements éprouvent bien plus de difficultés que d’autres. Vous avez parlé des quatorze départements qui bénéficient d’une attention plus particulière au titre du fonds de sauvegarde, mais parmi ces départements de nombreuses nuances existent. Une lecture nationale ne suffit plus, car dans cette liste figurent à la fois des départements très peuplés, comme la Gironde ou les Hauts-de-France, et d’autres comme la Meuse, qui compte 180 000 habitants. Il ne me semble pas que ces départements jouent dans la même cour…
Les départements les plus fragiles, les moins peuplés – ceux que j’appelle les ultraruraux –, doivent être considérés à l’aide d’un prisme différent. Vous avez indiqué dans votre propos liminaire être prêt à vous rendre dans les territoires. En tant que conseillère départementale, je vous accueillerai donc dans la Meuse avec grand plaisir, afin de vous montrer plus précisément les difficultés particulières des départements ultraruraux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-François Husson. Cela va le changer, le Girondin !
M. le président. La parole est à M. Vincent Éblé.
M. Vincent Éblé. J’associe à ma question nos collègues Corinne Narassiguin et Adel Ziane, sénateurs de Seine-Saint-Denis, ainsi que le président de ce département, Stéphane Troussel.
Nos départements sont confrontés à une hausse sans précédent de la demande sociale de la part de nos concitoyens. Pourtant, les réformes successives n’ont fait que réduire leurs marges de manœuvre financières et accroître la dépendance de leurs ressources à la conjoncture économique : gel des dotations de fonctionnement, transfert de la taxe foncière aux communes, suppression de la CVAE. Cette dépendance financière fragilise leur rôle d’amortisseur de crises, lequel devrait plutôt conduire l’État à les doter d’une structure financière stable et solide.
L’année 2023 illustre la fragilité des budgets départementaux, en raison de la chute généralisée et sans précédent des droits de mutation, pour près d’un quart entre 2022 et 2023. Les situations sont beaucoup plus dégradées pour certains départements, notamment en Île-de-France, où les départements, excepté Paris, ont globalement perdu 800 millions d’euros.
En parallèle, la croissance de la fraction de la TVA affectée aux départements connaît un fort ralentissement : après une forte dynamique en 2022, sa croissance réelle est inférieure à 3 % en 2023.
Dans ce contexte, plusieurs départements ont dû fortement réduire leurs investissements pour 2024 et les années suivantes. Pourtant, les collectivités territoriales jouent un rôle majeur pour atteindre les objectifs fixés par la stratégie nationale bas-carbone. Elles devront investir au moins 12 milliards d’euros par an à l’horizon de 2030, soit le double de ce qu’elles dépensent actuellement. Pour la seule rénovation thermique de leurs bâtiments, les besoins sont colossaux, de l’ordre de 3 milliards d’euros par an.
Afin de faire face à ce mur d’investissement, l’État a certes mis en place le fonds vert, qui permet d’apporter un financement complémentaire à certains projets, mais les élus départementaux ne peuvent que constater que cet outil ne répond que très partiellement à l’ampleur des besoins face à l’urgence climatique. Or les départements doivent engager ces investissements dès maintenant : après, il sera trop tard !
Monsieur le ministre, vous le voyez, l’équation est insoluble.
Alors qu’en raison de leurs compétences les départements sont en première ligne pour affronter les grands défis sociaux de notre époque, ils doivent aussi être en mesure d’accélérer drastiquement leurs investissements en matière de transition écologique. Comment comptez-vous les aider structurellement à répondre à ces impératifs de société ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. En ce qui concerne la dépendance financière – je le répète, au risque d’empêcher l’émergence d’un consensus plein et entier dans cet hémicycle –, l’autonomie financière des collectivités territoriales, et singulièrement des départements, a progressé.
En effet, la question pertinente est bien plutôt celle des ressources et de leur libre emploi que celle des ressources fiscales. D’une certaine manière, une ressource fiscale ne garantit rien, surtout si elle est extrêmement variable.
Au risque de me répéter, la TVA est l’impôt le plus dynamique ; elle est plus prévisible que la CVAE, plus protégée des cycles économiques que les DMTO, et elle croît d’année en année. Elle est donc suffisamment dynamique…
M. Jean-François Husson. Et le rabot ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je vous avais prévenus en disant craindre de ne pas être suffisamment convaincant cet après-midi ! (Sourires.) Cependant, les chiffres sont têtus : le basculement vers la TVA est une bonne réponse,…
M. Jean-François Husson. Chat échaudé craint l’eau froide…
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. … elle est une ressource plus dynamique.
Au-delà, nous avons mis en place le fonds vert. Quels que soient les efforts demandés aux services de l’État, nous consacrons 2 milliards d’euros à ce fonds.
M. Jean-François Husson. Ça baisse !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Ce n’est peut-être pas assez selon vous, monsieur le sénateur (M. Jean-François Husson le confirme. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), mais c’est nouveau ! Aucune majorité n’avait créé un fonds vert avant nous. Ce budget vert, dont nous avons débattu ici, est le budget le plus important en faveur de la transition écologique.
M. Bruno Belin. Quel est le rapport ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Peut-être faudrait-il faire plus, mais cet effort est historique et personne ne l’avait fait avant nous ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
En outre, je le répète, quels que soient les efforts que nous demandons à chacun, le montant de 2 milliards d’euros du fonds vert est maintenu. Cet effort en faveur des collectivités territoriales est historique (Mêmes mouvements.), afin qu’elles réussissent leur transition écologique et la renaturation en ville, et qu’elles développent des mobilités douces. Cet engagement sera tenu. D’ailleurs, les départements peuvent en bénéficier directement, vous le savez.
M. le président. La parole est à M. Christian Bruyen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Bruyen. Ce qui conduit très vite tous les départements dans une impasse, c’est l’effet de ciseaux que vous-même évoquez.
Les mesures adoptées pour faire face aux difficultés sont bien insuffisantes : moins de 800 millions d’euros d’après mes calculs ; et encore ! j’inclus la péréquation de solidarité des départements, dite péréquation horizontale.
J’ose dire « moins de », car, si la somme est importante, nous sommes bien loin des 9 milliards d’euros de reste à charge liés aux allocations individuelles de solidarité (AIS) que les départements doivent supporter, soit 50 % de leur coût global.
Cette asphyxie méthodique des départements par des décisions gouvernementales inappropriées ne date peut-être pas d’aujourd’hui, mais ce phénomène s’est vertigineusement, dangereusement, accéléré ces dernières années ; et les ennemis de la décentralisation peuvent ainsi affirmer que les missions de solidarité humaine ne sont pas exercées comme on pourrait l’attendre. Ce n’est pas parce que les décisions sont prises depuis la capitale qu’elles sont mieux adaptées à tous les territoires ou qu’elles coûtent moins cher, bien au contraire !
Je vois deux issues : soit il est temps d’avouer qu’il s’agit d’une stratégie visant à faire des départements de simples opérateurs de l’État, en faisant fi du principe de libre administration des collectivités ; soit il faut urgemment redonner des marges de manœuvre et une salutaire capacité d’agir à cet échelon départemental, au profit des solidarités humaines et de l’équilibre des territoires.
Monsieur le ministre, je vous pose de nouveau – sait-on jamais ? – la question : êtes-vous prêt ou non à discuter des modalités de rétablissement d’un vrai levier fiscal pour les départements ? Il ne s’agit pas de créer un impôt supplémentaire ; peut-être pourrions-nous par exemple envisager une forme de contribution sociale généralisée (CSG) plutôt qu’une fraction de TVA, mais d’autres solutions sont possibles.
Dans tous les cas, il faut redonner un vrai pouvoir de taux, car c’est en cela que consiste la libre administration des collectivités et non en l’autonomie financière. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Franck Menonville et Vincent Louault applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Nous sommes manifestement en désaccord dans ce débat entre autonomie financière et autonomie fiscale. Nous devons en tout état de cause absolument veiller – c’est ce que nous faisons – à bien respecter un principe de valeur constitutionnelle. Or quel est ce principe ? Celui de l’autonomie financière, vous en conviendrez !
M. Christian Bruyen. Non !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Mais si, je vous le promets ! Il s’agit bien d’un principe de valeur constitutionnelle, raison même de notre vigilance !
Cette autonomie financière progresse-t-elle ? Oui ! Et l’autonomie fiscale ? Non, pas du tout ! Elle a même régressé pour un certain nombre de collectivités territoriales. Mais, au fond, qu’y a-t-il de plus important ? De pouvoir modifier les taux d’imposition dans un territoire, au risque d’organiser une compétition fiscale entre les territoires eux-mêmes… (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je vous pose la question ! Nous sommes en train de débattre ! Le plus important est-il donc de risquer d’organiser une compétition fiscale entre territoires, pour attirer qui les entreprises, qui les contribuables, ou bien de garantir, comme nous le faisons en leur octroyant une fraction de TVA, des ressources dynamiques aux collectivités, notamment aux départements, ce qui leur permet de passer au-dessus des cycles économiques et d’éviter les effets de ciseaux ?
Les DMTO sont très sensibles à la conjoncture. La TVA, elle, est très prévisible. Nous avons eu l’occasion de débattre de la CVAE : ce prélèvement est extrêmement cyclique ! Des ressources plus prévisibles ne sont-elles pas préférables ?
L’enjeu de notre débat, le combat que nous menons, c’est que les collectivités disposent de paniers de ressources prévisibles dans le temps. Voilà ce que demandent les élus, afin de pouvoir prendre des décisions d’investissement pour les deux, trois, quatre ou cinq prochaines années.
Comment engager les grands chantiers de la transition écologique avec des ressources variables ? Comment faire quand on ne sait comment évolueront les ressources fiscales d’une année sur l’autre ?
M. le président. La parole est à M. Christian Bruyen, pour la réplique.
M. Christian Bruyen. On nous a endormis avec la loi 3DS. Il aurait été plus simple de ne pas aller si loin dans l’alphabet et d’imaginer une loi 3C : confiance, confiance, confiance ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. David Ros. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. David Ros. À la suite de la déclaration de politique générale du Premier ministre du 30 janvier dernier, nous assistons, hélas, à une baisse drastique des aides sociales dans nos territoires. Mme Briquet vous a déjà alerté, en vous donnant des montants globaux, avec précision et justesse, notamment au sujet de l’ASS.
Puisque vous aimez cette expression, monsieur le ministre, permettez-moi, avec Mme Espagnac, sénatrice des Pyrénées-Atlantiques, de vous inviter à un voyage, à un voyage d’Évry à Biarritz, un voyage non pas pour découvrir les charmes et les richesses du patrimoine de nos deux départements, mais un voyage pour vous montrer à quel point les problématiques de terrain sont identiques et prégnantes dans des territoires pourtant différents.
Ainsi, les ex-bénéficiaires de l’ASS vont, dès 2025, se retrouver dans une situation de précarité intenable. Ils devront alors se tourner légitimement vers les aides potentielles des départements. Le coût induit représente près de 30 millions d’euros dans l’Essonne, alors même que la situation financière y est déjà inquiétante. Il en va de même dans les Pyrénées-Atlantiques.
Nous subissons un effondrement drastique des recettes de DMTO : de 30 % dans l’Essonne, soit près de 100 millions d’euros, et de 20 % dans les Pyrénées-Atlantiques. Simultanément, le nombre des demandes de RSA reste très élevé : 30 000 en Essonne et 15 000 dans les Pyrénées-Atlantiques.
Monsieur le ministre, le Gouvernement va-t-il participer et compenser tout ou partie des pertes de ressources des départements et participer à l’effort de solidarité ? Sinon, comment envisager que les départements puissent investir dans la transition écologique, sur le réseau routier ou dans les équipements destinés aux pompiers ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Des voyages d’Évry à Biarritz, j’en fais déjà au cours de mes déplacements ! Je me suis d’ailleurs récemment rendu dans le territoire de Mme Espagnac, à l’occasion d’un déplacement à Biriatou.
Certes, des problématiques sont communes, mais – les chiffres le démontrent – certains départements sont dans des situations très différentes. Ainsi, pourquoi aidons-nous quatorze départements avec ce fonds de solidarité exceptionnel ? Parce qu’ils font face à une situation financière que les autres départements ne connaissent pas. Il faut pouvoir adapter notre réponse, sans quoi vous me reprocherez immédiatement, et avec raison, d’apporter des réponses uniformes depuis Paris et de ne pas comprendre la variété, l’hétérogénéité, des territoires.
Je préfère donc les réponses, construites ensemble, qui identifient les départements le plus en difficulté, en fonction de leurs caractéristiques territoriales. Je pense que nous pouvons nous retrouver sur la nécessité de proposer des dispositifs adaptés.
Au sujet de l’ASS, il faut replacer la réforme de ce dispositif dans le cadre de l’objectif plus global d’atteinte du plein emploi. Ce qui est bon pour les départements, c’est le fait que nous avons réussi, depuis plusieurs années, à briser le chômage de masse dans notre pays, à ramener le taux de chômage à 7,4 %, à réduire le nombre de demandeurs d’emploi et de bénéficiaires du RSA. (Mme Gréaume s’exclame.)
Notre combat commun, c’est atteindre durablement l’objectif du plein emploi. Plus personne n’en parle, comme si cela était une évidence, mais rappelez-vous les années de débat sur le chômage de masse !
Je lie donc également la réforme de l’ASS à celle de France Travail, qui consiste à accompagner plus de bénéficiaires du RSA, pour qu’ils sortent plus rapidement du chômage et reprennent une activité. Ce sera bon pour eux et bon pour les départements.
M. le président. La parole est à M. David Ros, pour la réplique.
M. David Ros. Je vous remercie, monsieur le ministre. J’entends dans vos propos que vous êtes prêt, dans le cadre de la réforme territoriale, à réexaminer la question de l’autonomie fiscale des départements, pour tenir compte des caractéristiques de chaque territoire.
Vous avez fait disparaître 10 milliards d’euros, vous proposez de faire réapparaître le plein emploi : nous serions ravis si vous pouviez prêter votre baguette magique aux départements ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Genet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Fabien Genet. Beaucoup de choses ont déjà été dites, de nombreux sujets abordés. Monsieur le ministre, je souhaite saluer le caractère toujours euphorisant de vos explications sur l’état des finances locales, puisque vous nous donnez l’impression, chaque fois, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, ce qui laisse dubitatifs un certain nombre d’élus départementaux.
En effet, la réalité est bien différente. Beaucoup de mes collègues l’ont déjà décrite. Votre « cousu main », monsieur le ministre, a un petit arrière-goût de tutelle de l’État sur les collectivités locales. En cette période de fashion week, permettez-moi d’observer que le corset imposé aux départements est bien trop serré et qu’il étouffe le budget de nos collectivités. Laissez-les donc respirer !
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. De l’air !
M. Fabien Genet. Nous devons laisser les départements respirer, eux qui, comme la Saône-et-Loire, sont capables d’innover et d’inventer les solutions dont nous avons besoin. Je pense par exemple au financement du très haut débit, au soutien du monde rural ou au financement de grandes infrastructures ou de projets innovants, tels que le Centre départemental de santé, créé par ce département.
Je souhaite vous interroger sur un point précis : la situation financière de nos établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes publics (Ehpad). Dans certains départements vieillissants, la situation est particulièrement inquiétante.
En 2023, parmi les 56 Ehpad du département dont je suis élu, 50 présentaient un déficit de la section dépendance, pour un total de 7,8 millions d’euros, et 36 présentaient également un déficit de la section hébergement, pour un total de 7,9 millions d’euros. À l’échelon national, nous constatons la même dégradation, tant de la proportion des établissements déficitaires que de l’ampleur des déficits.
Face à l’inflation, à la hausse des prix de l’énergie et à l’explosion des matières premières, les départements sont obligés de mettre en place des boucliers tarifaires pour ne pas augmenter le prix de la journée.
Quelles solutions proposez-vous ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, je ne nie pas que la situation financière des départements soit difficile en ce moment. Je l’ai reconnu dès mon propos liminaire : il y a des problèmes de ressources et les dépenses sont dynamiques. Simplement, il faut éviter de porter un regard uniforme sur des départements qui sont objectivement dans des situations différentes. Mais en aucun cas je ne nie les difficultés du moment.
D’ailleurs, je vous invite à porter sur les départements un regard différent de celui que vous portez sur les autres niveaux de collectivités territoriales. Les départements ont des caractéristiques particulières liées à leur mission de solidarité et à la nature de leurs ressources, les DMTO, ressources particulièrement affectées par l’évolution des prix de l’immobilier.
Je souhaite aussi féliciter les départements qui ont mis en réserve une partie de leurs recettes de DMTO. Certains départements ont su anticiper le retournement de la bulle immobilière et ont compris que l’on ne pouvait durablement mettre en œuvre des politiques publiques en se fondant sur l’hypothèse d’une augmentation continue, chaque année, des prix de l’immobilier, et que la conjoncture, un jour, pourrait se retourner.
Un montant de 1 milliard d’euros a été mis en réserve par les départements, dans un grand esprit de responsabilité. La péréquation entre les départements représente 250 millions d’euros. S’ajoutent en outre des dispositifs particuliers de soutien par l’État, je n’y reviens pas.
Pour ce qui concerne les Ehpad, à la suite de la publication du rapport remis par la députée Mme Pires Beaune à la Première ministre, nous avons mis en place l’année dernière un fonds de secours exceptionnel, de 100 millions d’euros, pour accompagner les Ehpad les plus en difficulté. Nous avons également décidé un abondement exceptionnel de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) de 150 millions d’euros, directement pour les départements. Enfin, sur le fondement de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024, nous expérimentons une réforme structurelle – les Ehpad ont en effet besoin d’une telle réforme – avec la fusion des sections soins et hébergement. Un certain nombre de territoires sont expérimentateurs volontaires et souhaitent aller le plus loin possible en la matière.
M. le président. La parole est à M. Fabien Genet, pour la réplique.
M. Fabien Genet. En ce qui concerne les expérimentations, plutôt que de tout confier à l’agence régionale de santé, nous pourrions aussi faire confiance aux départements. Ils sont un certain nombre à demander d’expérimenter la gestion totale des Ehpad. Il faudra en reparler.
M. le président. La parole est à M. Clément Pernot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Clément Pernot. C’est également encore en tant que président du conseil départemental du Jura (Sourires.) que je m’exprime, pour vous rappeler, la peine au cœur, ce qu’ont subi les départements au cours des dernières années.
Il y a d’abord eu l’amputation, par les lois NOTRe et Maptam, de compétences stratégiques – notamment le transport, l’économie et l’agriculture, excusez du peu… –, au nom d’une prétendue plus grande efficacité de gestion des grandes régions. Nous voyons le résultat de cette catastrophique technocratie.
Il y a ensuite eu la suppression de tout lien fiscal avec nos administrés, à la suite de la perte du foncier bâti, remplacé par une dépendance à des dotations d’État plafonnées, non indexées sur l’inflation. Nous n’avons plus aucune marge de manœuvre et nous prenons de plein fouet l’effondrement du marché de l’immobilier. Vous ne pourrez plus, monsieur le ministre, parler d’autonomie financière ; j’ose du moins l’espérer.
En outre, l’augmentation de la rémunération du personnel – sans concertation préalable –, la hausse du RSA et les revalorisations dans le médico-social – sans vision de long terme – détruisent nos capacités financières. Bientôt, la solidarité à la source et la fin de l’allocation de solidarité spécifique nous achèveront.
Dans le même temps, nous subissons l’explosion de nos dépenses sociales liées à la montée des précarités. Les Ehpad sont en difficulté, la protection de l’enfance sature et nous devons faire face à la hausse des flux migratoires, avec l’accueil des mineurs non accompagnés.
Ici même, devant la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, le président de l’Assemblée des départements de France, M. François Sauvadet, a parlé d’une véritable asphyxie, avec des conséquences désastreuses sur l’aide au monde rural et sur les communes. Ce constat, que vous connaissez et que donc vous assumez, est analysé par beaucoup comme une condamnation à mort des départements.
Ma question, monsieur le ministre, est donc simple : souhaitez-vous contredire ces affirmations ? Quelles réponses, à la hauteur de la situation, apporterez-vous pour soutenir enfin l’action des départements ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Clément Pernot. Jusqu’à présent, vous avez été brillamment habile dans vos réponses, mais je crains que vous n’ayez pas su apporter les réponses structurelles adaptées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur – ou monsieur le président (Sourires.) –, permettez-moi de commencer en exprimant un désaccord : notre organisation territoriale ne donne pas satisfaction ; c’est le sens du lancement de la mission confiée par le Président de la République à M. Éric Woerth. Ce partage des compétences, cette illisibilité de l’action publique, nous les payons, car parfois tout le monde fait un peu la même chose. Derrière le ruban, nous sommes six ou sept élus. Tout prend du temps et tout cela est, parfois, coûteux pour les finances publiques. Vous le savez, monsieur le sénateur, nous pourrions faire parfois plus vite et moins cher.
Je crois à la nécessité de la réforme de l’organisation de notre action publique locale. Derrière la mission confiée à M. Éric Woerth se dessine la perspective de trouver une organisation plus simple, plus responsabilisante, notamment pour les élus locaux.
M. Fabien Genet. Si c’est Bercy qui décide…
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Ainsi, nous retrouverons de l’air, de la lisibilité et de la confiance dans l’action publique. Nos citoyens ne s’y retrouvent pas ! Ils jugent sévèrement l’action publique, quand ils constatent que chaque démarche demande beaucoup plus de temps que par le passé.
Permettez-moi de vous dire également que la réforme de la fiscalité ne vient pas asphyxier les départements ; il n’y a aucune intention en ce sens ! (M. Laurent Somon proteste.) Je souhaite vous rassurer à ce sujet, monsieur le sénateur. Grâce à la réforme, nous avons remplacé la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) par une fraction de TVA. Or la TVA est, oserai-je dire une nouvelle fois ? un impôt plus dynamique que la taxe foncière et, dans le cadre de cette réforme, vous avez d’ailleurs bénéficié de 250 millions d’euros supplémentaires, grâce au dynamisme de cette taxe. La TFPB n’a pas été remplacée par des dotations.
Bref, il n’existe aucune volonté, monsieur le sénateur, d’empêcher les départements. En revanche, nous souhaitons pouvoir avancer avec les élus et la représentation nationale vers une organisation plus efficace et plus lisible. Je suis convaincu que nous pouvons nous retrouver autour de cet objectif.
M. Fabien Genet. Il y a de quoi s’inquiéter…
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Ma question porte sur le soutien de l’État aux départements en matière de gestion de l’eau, domaine dans lequel nous faisons face à une situation d’insécurité juridique croissante et à des défis techniques considérables.
Dans le cadre de notre récente mission d’information portant sur la gestion qualitative et quantitative de l’eau, M. Hervé Gillé et moi-même avons relevé que, à la suite de la suppression de la clause générale de compétence, sur le fondement de la fameuse loi NOTRe, seuls quelques départements ont pu maintenir leur engagement financier et en ingénierie dans le grand cycle de l’eau, créant ainsi une disparité dans la gestion de cette ressource vitale.
Cette technicité et la perte de compétences engendrent un écart entre les ambitions d’une gestion démocratique de l’eau et la réalité. Elles exacerbent les besoins, urgents, face au mur d’investissement que représente la maintenance du petit cycle de l’eau ; et je ne parle pas des bassins d’écrêtement de crue, qui relèvent de la compétence gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi) et sont parfois dans le domaine départemental.
Face à une telle situation, les départements comme le Cher ont pris des initiatives louables, à l’image de l’organisme Concert’eau 18, qui œuvre en matière d’animation du territoire pour une gestion durable de l’eau. Cependant, la réussite et la généralisation de ces initiatives dépendent d’un appui financier et législatif de l’État.
Monsieur le ministre, outre les aides des agences de l’eau, qui, compte tenu des obligations qui incombent à ces dernières, fondent comme neige au soleil, quelles aides financières précises le Gouvernement envisage-t-il de proposer pour soutenir les départements dans leurs projets de politique de l’eau, afin qu’ils assurent une gestion durable et équilibrée de cette ressource essentielle, tout en surmontant les obstacles juridiques actuels ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Lors de nos échanges sur le projet de loi de finances pour 2024, une réponse a été apportée à cette question, qui était posée de manière plus générale, sur ce que l’État était prêt à faire pour accompagner les politiques de l’eau, essentielles pour nos territoires, je vous rejoins sur ce point.
Tel était l’objet du plan Eau et de la réforme des redevances de l’eau. Le débat avait été un peu difficile au sein de cet hémicycle, puisque vous aviez rejeté les articles qui visaient à réformer la politique et les redevances de l’eau pour accompagner un certain nombre d’investissements.
La compétence de l’eau ressortit essentiellement au bloc communal. Les communes peuvent néanmoins contractualiser avec les départements ; les exemples existent et témoignent de collaborations fructueuses entre des départements, qui peuvent financer des travaux d’alimentation en eau, des communes et l’État. En effet, ce dernier, au-delà même du financement des agences de l’eau, est extrêmement présent aux côtés des collectivités territoriales, notamment pour des dépenses d’équipement, grâce à la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), au fonds vert et au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA).
Grâce au plan Eau, porté par M. Christophe Béchu, nous souhaitons assurer un financement croissant de cette politique, qui reste prioritaire dans de nombreux territoires tels que le vôtre, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Hervé Reynaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hervé Reynaud. Les différentes interventions en témoignent, le constat est sans appel. De nombreux indicateurs des finances départementales sont dans le rouge. Cette situation conduit les collectivités à jouer sur la variable des investissements. Cependant, il n’y a pas d’autonomie de gestion sans autonomie financière, cela est très clair.
Cette vérité est structurelle. Les recettes des DMTO furent favorables aux départements au cours des dernières années, elles sont maintenant en baisse ; toutefois, c’est bien de manière structurelle que les départements recherchent un certain nombre de produits fiscaux.
Dans la Loire, département dont je suis élu, lors d’une enquête menée auprès des communes, 84 % des maires ont répondu que leurs projets d’aménagement ou de développement de services n’auraient pas pu voir le jour sans le soutien financier du département, qui constitue un échelon de proximité extrêmement efficace.
Le fonds de sauvegarde créé en 2020 n’est plus à la hauteur de la situation des finances des départements et les restes à charge, au gré des transferts de compétences, sont toujours plus importants.
Monsieur le ministre, les départements veulent, en plus d’assumer les dépenses sociales contraintes qui leur incombent, pouvoir continuer à agir et à participer au développement, notamment économique, de leur territoire. Les solidarités humaines en dépendent également.
Nous espérons que, dans le cadre de la mission confiée à M. Éric Woerth, que nous avons pu entendre en audition et lire cette semaine dans Le Journal du dimanche, la recherche d’une véritable autonomie financière permettra aux départements de retrouver une pleine capacité d’action. Cette clarification des compétences ne doit pas faire du département une agence sociale de l’État. Nous espérons que le processus de déconcentration ne finira pas par concentrer l’ensemble des financements dans les mains des préfets et sous-préfets. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je suis heureux que, au travers de cette question nous puissions esquisser un point de consensus, puisque vous parlez de la « recherche d’une véritable autonomie financière ». Et vous avez raison, c’est précisément ce que nous recherchons. Vous avez sciemment parlé d’autonomie financière, et non d’autonomie fiscale, car nous partageons l’idée que l’enjeu est bien de garantir la libre administration des collectivités territoriales dans leurs missions essentielles, notamment pour ce qui concerne les départements.
L’enjeu est de disposer de ressources stables et prévisibles pour les élus. En effet, comment pouvez-vous investir si vous ne savez pas quelles seront vos ressources au cours des deux ou trois prochaines années ? Il s’agit donc de bâtir ce panier de ressources.
Aujourd’hui, les ressources des départements sont, aux trois quarts, nourries par des ressources fiscales. Il s’agit d’un mélange de DMTO, de taxe de solidarité additionnelle (TSA) et de TVA. Vous jugez le fonds de sauvegarde insuffisant ; il est pourtant porté à 350 millions d’euros et la contribution de l’État a été doublée dans le projet de loi de finances pour 2024, ce qui représente un effort considérable, alors qu’il est nécessaire – votre groupe y est attaché – de redresser nos finances publiques. Ce doublement du fonds de sauvegarde des collectivités représente donc un effort considérable consenti par l’État.
Permettez-moi de fonder les mêmes espoirs que ceux que vous avez exprimés au sujet de la mission confiée à M. Éric Woerth, pour que nous bâtissions une action publique plus lisible, plus efficace et garantissant – je n’ai pas peur de le dire – l’autonomie financière des collectivités territoriales, corollaire de l’exercice de leurs missions.
M. le président. La parole est à M. Hervé Reynaud, pour la réplique.
M. Hervé Reynaud. J’espère que nous pourrons nous rejoindre. Nous avons eu l’occasion d’échanger dans le passé et vous nous aviez alors dit : « On ne se comprend pas. » J’espère donc que nous nous comprendrons. L’effort partagé, pour paraphraser une certaine personne, ce n’est pas dire « Ce qui est à moi est à moi et ce qui est à toi est négociable », c’est permettre aux départements, demain, d’avoir une autonomie financière réelle et concrète.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Stéphane Sautarel, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Sautarel, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce débat qui, j’espère, permettra des avancées concrètes.
S’il y a un enseignement qui se dégage de débat, et qui sans doute était déjà établi, c’est bien celui d’un consensus quant à la situation financière des départements. Ils sont le niveau de collectivité dont la situation est la plus dégradée, car le plus exposé à la conjoncture, mais pas seulement, comme nous allons le voir. Lors de l’examen du budget de 2024, vous aviez d’ailleurs admis cette situation et vous vous étiez engagé à traiter cette question sans délai. Nous y voilà donc.
En effet, les réponses apportées lors de l’examen du budget étaient très largement insuffisantes, pour ne pas dire indigentes. Elles consistaient pour l’essentiel à maintenir à flot ceux qui risquaient de se noyer, et encore…
Rappelons tout d’abord que les départements ont été vertueux et solidaires. C’est le seul niveau de collectivité qui a organisé une péréquation horizontale, dont vous avez d’ailleurs permis l’amplification, qui a eu une approche collective et qui a instauré des mises en réserve.
La volatilité des DMTO et leur baisse de l’ordre de 25 % dans le budget de 2023 les inscrivent désormais à un étiage inférieur à celui de 2019.
À la baisse substantielle en 2023, de près de 4 milliards d’euros, du volume des DMTO encaissés par les départements s’ajoutent, alors qu’ils sont déjà dans une situation de fragilité et d’inquiétude, des éléments afférents à la structure de leurs dépenses, qui subissent très souvent des hausses imposées par l’État, lequel ne les compense que très partiellement.
Ainsi, sur les deux dernières années, l’augmentation des dépenses des départements non compensée par l’État s’élève à 2,5 milliards d’euros, en raison notamment de décisions du Gouvernement qui se sont imposées aux départements, telles que la revalorisation du point d’indice ou de certaines prestations sociales.
Plus spécifiquement, sur les dépenses sociales, les départements subiront une nouvelle hausse du RSA, qui représentera 460 millions d’euros en 2024 – au passage, je conteste le chiffre de 97,5 % de couverture que vous avez avancé précédemment, monsieur le ministre –, un reste à charge des AIS qui s’élève à plus de 9 milliards d’euros et représente désormais plus de 50 % de la dépense, une explosion des dépenses de l’aide sociale à l’enfance, qui atteindront 10 milliards d’euros soit une hausse de près d’un tiers en dix ans, et des dépenses de prise en charge des MNA qui dépasseront les 2 milliards d’euros, compensés à hauteur de seulement 6 % par l’État, alors qu’il s’agit d’abord d’une politique régalienne.
Comme toutes les collectivités, les départements ont également été – et le sont encore, bien sûr – confrontés à l’inflation. Ils ne sont pas que les collectivités du social, même si ce secteur représente, avec le médico-social, 68 % de leurs dépenses de fonctionnement ; ils ont un véritable rôle d’aménageur de leur territoire, tout en veillant à son équilibre. Ils accompagnent les communes et sont la collectivité des réseaux tels que les routes ou la fibre. Ils portent les collèges et les Sdis et soutiennent l’investissement public.
Cet effet de ciseaux n’est plus soutenable et met en cause les missions essentielles de cette collectivité de proximité et de bonne dimension. C’est un amortisseur social, mais aussi territorial, même si cet aspect a été amoindri par la loi NOTRe, qui devra en outre faire face à un choc démographique que nous savons inéluctable et qui engendrera une hausse des dépenses liées à la prise en charge des personnes âgées, comme on le voit déjà dans les Ehpad.
Plus encore, l’asphyxie des départements fait courir un véritable risque à notre modèle de décentralisation, auquel je suis, comme vous tous, très attaché et que je voudrais voir amplifié plutôt que rogné sans cesse. Le Sénat a fait des propositions en ce sens, sans attendre la mission Woerth, à laquelle il contribue également.
À cet égard, la recentralisation pérenne du RSA dans trois départements ou à titre d’expérimentation – en Seine-Saint-Denis, dans les Pyrénées-Orientales et dans l’Ariège – ne me paraît pas de bon augure. Il en va de même pour ce qui concerne l’aide médico-sociale et son éventuelle recentralisation.
Les départements ne sont pas des guichets de l’État. Pourtant, la question peut aujourd’hui se poser de savoir si l’intention de l’État, par l’étranglement qu’il opère sur ces derniers, n’est pas de les cantonner à ce rôle. J’aime à croire qu’il n’en est rien, mais vous devriez vous attacher à le démontrer très vite ! Or vos réponses au cours de ce débat me laissent perplexe, monsieur le ministre.
Quoi qu’il en soit, je forme le vœu que ce débat permette d’accélérer la mise en œuvre de réponses effectives, ancrées dans un mouvement de décentralisation indispensable à notre pays, et, surtout, de répondre avec efficacité et en proximité aux attentes de nos concitoyens.
Je veux insister sur la nécessité de revoir en profondeur le système de financement des départements, dont les ressources principales, les DMTO, évoluent de manière contradictoire avec leurs dépenses. En effet, les départements sont essentiellement financés par les DMTO dépendant largement de leur richesse, de leur attractivité, ainsi que de leur capacité à attirer de nouveaux ménages et entreprises sur le territoire. Or les dépenses principales des départements sont d’ordre social et donc inversement proportionnelles à cette ressource. Il en résulte des situations financières très tendues, voire insoutenables, dans certains territoires.
Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, je rappelle que l’autonomie financière, dont il a été longuement question, consiste d’abord à respecter le principe selon lequel « qui paie décide ». Par ailleurs, du point de vue de l’efficacité de la dépense publique, c’est la proximité de l’action qui permet le consentement à l’impôt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur les finances des départements.
3
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, en raison du nombre d’amendements déposés sur la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local, nous pourrions siéger jeudi 7 mars après-midi et, éventuellement, le soir.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
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JO 2024 : la France est-elle prête ?
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « JO 2024 : la France est-elle prête ? »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que le groupe auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Michel Savin, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat porte sur le sujet suivant : la France est-elle prête pour accueillir les jeux Olympiques et Paralympiques, les JOP, événement populaire qui sera la plus grande fête du sport jamais organisée en France ? C’est une occasion unique de mettre en avant notre pays, qui sera sous le feu des projecteurs mondiaux. On estime à 4 milliards le nombre de téléspectateurs qui visionneront les JOP, soit la moitié de l’humanité !
Si ces chiffres sont certes enthousiasmants, ils nous obligent à veiller à ce que cette grande fête du sport se réalise dans les meilleures conditions possible.
La France a une longue histoire d’accueil des plus grands événements sportifs internationaux. L’organisation des JOP de Paris 2024 marquera le point d’orgue de ce savoir-faire français, qui rayonnera à l’étranger et sera utile dans le cadre des jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver de 2030, qui se dérouleront en Auvergne-Rhône-Alpes et en région Sud.
C’est à l’aune de la bonne livraison opérationnelle des Jeux, mais aussi de la place de notre pays au classement des médailles, que nous jugerons la réussite de cet événement.
L’héritage des JOP constitue aussi une « condition majeure de l’acceptabilité » de cet événement, comme l’indique la Cour des comptes dans son rapport de janvier 2023. Les JOP ne pourront pas être seulement une grande fête populaire du sport ; ils ont aussi vocation à constituer un levier de transformation économique et sociale pour la pratique du sport en France à long terme.
Aujourd’hui, mardi 5 mars 2024, nous sommes à 143 jours de la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Autant dire qu’ils se tiendront demain !
Le travail de la Solideo, la Société de livraison des ouvrages olympiques, et du Cojop, le Comité d’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques, réalisé depuis 2017, nous met en confiance et nous conforte dans l’espérance du succès de cette édition des jeux Olympiques et Paralympiques. L’Agence nationale du sport (ANS), le Cojop, l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), ainsi que les fédérations, se sont fortement mobilisés pour préparer les athlètes de la meilleure des façons possibles.
Il faut saluer également le travail des différents ministères, des services de l’État et des collectivités territoriales, qui remplissent des missions primordiales comme la sécurité ou encore l’organisation des transports et les multiples missions de logistique.
Malgré tout cela, certaines interrogations subsistent ou prennent forme à la veille de cet événement mondial.
Revenons dans un premier temps sur le travail de la Solideo, qui, depuis l’annonce de ses ambitions en 2018, réussira à livrer dans les temps les ouvrages nécessaires aux JOP. En décembre dernier, la Solideo a annoncé que 84 % des travaux des ouvrages olympiques étaient achevés, dans les délais impartis et avec un budget maîtrisé.
Ont été livrés le village des athlètes à Saint-Denis, à Saint-Ouen et à l’Île-Saint-Denis, et la zone d’aménagement concerté (ZAC) du cluster des médias, en Seine-Saint-Denis.
Pour les ouvrages sportifs, l’Arena Porte-de-la-Chapelle a déjà reçu ses premiers événements, tandis que le centre aquatique de Saint-Denis devrait être livré dans les temps. Par ailleurs, les travaux à Roland-Garros seront terminés. En mai prochain, l’Open de France accueillera ses premiers spectateurs.
Pour les ouvrages prévus pour la phase « héritage », au moins quatre des huit piscines neuves ou rénovées ont été livrées ou sont en passe de l’être.
Le coût total des ouvrages nécessaires aux jeux avait été évalué à 3,8 milliards d’euros. Le budget, il faut le souligner, devrait être maîtrisé.
Nous pouvons saluer le travail de la Solideo, qui devrait réussir à répondre fidèlement à un cahier des charges ambitieux sur les plans environnemental et urbanistique.
Je note cependant deux points de vigilance, à savoir les chantiers du Grand Palais éphémère pour les épreuves de judo et de lutte, dont le calendrier est extrêmement serré, ainsi que la piscine de Colombes, qui accueillera les entraînements pour la natation synchronisée et devrait être livrée au début du mois de juin. Le directeur général de la Solideo nous a assurés, lors de son audition en janvier dernier, que ces chantiers devraient être livrés à temps.
En ce qui concerne les transports, plusieurs facteurs risquent de perturber le bon déroulement des Jeux.
Tout d’abord, nous constatons dès à présent que la situation dégradée du trafic dans les transports en commun reste problématique. Nous n’avons pas encore retrouvé le niveau de service d’avant-covid. Au mois d’août prochain, avec les Jeux, le trafic sera classique, avec 15 % d’activité en plus, alors que, normalement, à cette période, le trafic baisse de 30 % à 40 %. Cette hausse d’activité suscite de vraies inquiétudes, tout comme le recrutement des agents, qui n’est pas encore, à l’heure actuelle, à la hauteur des attentes.
Au-delà de la question du recrutement, cette problématique engendre un coût supplémentaire de 200 millions d’euros pour la région d’Île-de-France.
Par ailleurs, malgré l’optimisme affiché dans les médias par le ministre chargé des transports concernant un risque de grève, inexistant selon lui, dans la réalité, un syndicat a déposé voilà un mois un préavis de grève englobant l’ensemble de la période des Jeux.
Nous l’avons bien compris, le Gouvernement n’envisage pas, pour le moment, de réformer le droit de grève. Pourtant, l’image de notre pays serait largement écornée, voire ridiculisée, si nous devions voir nos services de transports publics ou de ramassage d’ordures gelés en plein milieu des Jeux.
Avec un délai de prévenance inexistant, la possibilité de préavis de grève à durée illimitée est réelle. Qu’avez-vous prévu, madame la ministre, pour garantir le bon fonctionnement des services publics et préserver l’image de la France ?
Pour ce qui concerne l’offre de transport, hormis la mise en service du prolongement de la ligne 14 à Paris, il faudra faire en Île-de-France avec les infrastructures et le matériel vieillissant existants. Le Cojop prévoit des navettes, notamment pour le transport des personnes en situation de handicap. Bien évidemment, ces services seront temporaires et sont prévus pour la durée des Jeux, sans héritage pour la population francilienne ; c’est une occasion manquée.
Si nous comprenons la difficulté de rendre accessible l’ensemble du réseau, il serait intéressant de disposer d’un engagement sur la rénovation de chaque station de métro, afin que l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite soit systématiquement prise en compte. Cela contribuerait à l’héritage des Jeux et enclencherait une stratégie d’amélioration continue.
Pour ce qui concerne la sécurité, nous saluons les efforts consentis, notamment par la région Île-de-France, dont l’objectif est de former 15 000 personnes aux métiers de l’accueil et de la sécurité, pour garantir la bonne tenue des jeux Olympiques. Mais les efforts de la région doivent être accompagnés pour être suffisants, pour assurer une meilleure sécurité.
Le délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques nous a confirmé le défi de mobilisation que représente le recrutement des agents de sécurité privée qui compléteront les effectifs de police et gendarmerie. En effet, si 30 000 policiers et 15 000 militaires doivent être déployés, ce sont bien 15 000 à 20 000 agents de sécurité qu’il faudra employer. Madame la ministre, que pouvez-vous nous dire sur ce sujet ?
Pour ce qui a trait aux volontaires et aux salariés en CDD, il reste des incertitudes sur leur capacité à se transporter et à s’héberger pendant les jeux, sans compter les possibles défections liées à un recrutement dans un emploi plus durable ; je pense notamment aux agents de sécurité. Dans quelle mesure les estimations concernant les effectifs prennent-elles en compte ce risque de défection ? La Cour des comptes avait demandé que la participation des forces de sécurité intérieure soit précisée avant l’automne 2023. Or, à ce jour, il reste de nombreuses incertitudes.
Je le rappelle, nos athlètes et nos équipes de France se sont particulièrement bien préparés, en remportant récemment de nombreux succès prometteurs.
Le soutien à nos athlètes ne doit pas s’arrêter à la clôture des Jeux. La récente annonce de l’annulation de 50,5 millions d’euros de crédits destinés au ministère des sports a de quoi nous inquiéter. Pourtant, madame la ministre, vous aviez beaucoup communiqué, à l’automne dernier, sur l’augmentation de ses crédits. Or la réduction annoncée annule tout simplement la hausse précédemment annoncée. Elle intervient alors que la promotion de l’activité physique et sportive a été déclarée grande cause nationale de 2024 ! Cela douche nos espoirs de voir naître une loi Héritage ambitieuse. Pourriez-vous nous préciser quelles seront les lignes budgétaires qui seront amputées ?
Ces baisses s’inscrivent dans une tendance plus large de diminution des crédits pour le sport, qui pourrait représenter 130 millions d’euros sur 2025 et 2026. Permettez-moi de m’inquiéter de la stabilité à long terme des financements pour le sport.
Pour conclure, je souhaite féliciter une nouvelle fois l’ensemble des acteurs impliqués dans la réussite de la préparation des jeux Olympiques et Paralympiques. Il nous reste 143 jours pour accompagner l’ensemble des acteurs et pour livrer des JOP historiques pour notre pays. Soyons tous à la hauteur de cet enjeu, qui ne doit pas s’arrêter le jour de la clôture des Jeux, mais perdurer, afin que notre pays bénéficie des retombées sociales et économiques de cet événement, dans lequel nous avons beaucoup investi.
Nous attendons tous un succès de l’organisation des Jeux et de nombreuses médailles, mais le plus grand succès sera avant tout celui de l’augmentation de la pratique sportive par nos compatriotes, afin que notre pays soit enfin une nation sportive. C’est à l’augmentation du nombre de pratiquants et de licenciés, toutes disciplines confondues, dans les mois qui suivront les Jeux, que nous mesurerons le véritable succès de cette édition des JOP. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, oui, résolument oui, nous serons prêts dans 143 jours, bientôt 142, à accueillir le monde. Dans moins de cinq mois, nous ferons de Paris 2024 les Jeux les plus iconiques et les plus responsables de l’histoire.
Comme j’ai coutume de dire, il y a quatre dimensions dans la réussite des jeux : l’organisation, la performance des athlètes, l’engagement et l’héritage.
En ce qui concerne l’organisation, nous sommes dans nos « temps de passage » pour la livraison de Jeux exemplaires. Vous l’avez dit, la Solideo est en train de réussir l’exploit de bâtir l’ensemble des infrastructures dans le respect des meilleures exigences sociales et environnementales, tout en respectant le calendrier et le budget : c’est une première dans l’histoire des Jeux et une immense réussite pour notre pays, nation de bâtisseurs. Nous pouvons en être fiers !
Après la livraison de l’Arena Porte-de-la-Chapelle et du village des athlètes la semaine dernière, le village des médias et le centre aquatique olympique seront à leur tour inaugurés, respectivement le 25 mars et le 4 avril prochains.
Sur le plan de la sécurité des jeux, thématique sur laquelle le ministre de l’intérieur est actuellement entendu en audition par une commission du Sénat, tous nos chantiers avancent dans les temps : le soutien du Gouvernement à la filière de la sécurité privée porte ses fruits, avec 16 700 entrées en formation et plus de 10 000 recrutements sécurisés ; les plans de mobilisation de nos forces de l’ordre sont calés ; et la préparation de la cérémonie d’ouverture fait l’objet d’un suivi particulier.
Les périmètres de sécurité et de restriction de circulation définitifs ont été présentés par le préfet de police le 1er mars dernier, pour l’Île-de-France, permettant aux riverains et aux acteurs économiques d’anticiper les impacts. Nous avons par ailleurs annoncé de nouvelles dérogations pour les professions médicales, les livraisons ou encore les maraudes sociales.
En ce qui concerne les transports, la démarche de gestion de la demande a été lancée avec succès et des ateliers territoriaux sont organisés par les préfets pour communiquer au plus près du terrain. Les plans de transports sont stabilisés avec, sur de très nombreuses lignes, une offre renforcée, en moyenne, de 15 % et, si nécessaire, jusqu’à 60 %.
Nos grands chantiers d’infrastructures sont également parfaitement dans les temps, comme en atteste le lancement réussi du nouveau système de pilotage automatisé de la ligne 14, qui sera la colonne vertébrale de la desserte des jeux.
Le dialogue social se poursuit dans le cadre des plans de maintien d’activité des administrations publiques, tout comme celui qui est mené en autonomie par les opérateurs de transports auprès de leurs agents. Nous faisons en sorte que les sujétions spécifiques auxquelles les équipes seront exposées à l’été 2024 soient dûment prises en compte. J’ai pleinement confiance dans l’esprit de responsabilité de chacun, pour valoriser la mobilisation exceptionnelle de tous à l’occasion des Jeux et offrir la meilleure image de notre pays l’été prochain.
Pour ce qui concerne l’accessibilité aux personnes en situation de handicap, je veux saluer le travail collectif mené depuis de nombreux mois. Aux côtés des collectivités et des opérateurs de transport, l’État prend toute sa part, via le cofinancement de la mise en accessibilité des cheminements entre les gares et les sites et la mise en place d’un fonds de 300 millions d’euros, dont 100 millions d’euros seront fléchés prioritairement vers les hôtels, restaurants et petits commerces des villes accueillant les Jeux, dès l’exercice 2024.
Sur les enjeux sanitaires, nous sommes au travail avec les ministres compétents pour que notre système de santé réponde pleinement aux besoins tant des visiteurs que des délégations, et ce sans dégrader l’accès aux soins pour tous nos concitoyens. Par exemple, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ouvrira plus de 300 lits supplémentaires par rapport à un été classique.
Les Jeux sont aussi une occasion unique de renforcer la qualité de l’accueil touristique sur notre territoire et de promouvoir auprès des touristes du monde entier nos savoir-faire : dès le relais de la flamme olympique seront organisés des programmes de tourisme industriel et des marchés de producteurs locaux, en même temps que nous mettrons en valeur de notre patrimoine au travers de plus de 400 villes françaises, y compris en outre-mer.
Nous sommes également prêts, sur le plan diplomatique, à délivrer les 70 000 visas nécessaires à la famille olympique et à veiller au respect de la stricte neutralité des athlètes russes et biélorusses qui concourront, en parfaite collaboration avec le Comité international olympique.
Enfin, la lutte contre les fausses informations et ce qu’il convient de nommer le « JO-bashing » nous impose un effort supplémentaire de pédagogie et de communication, pour faire prendre conscience à chacun de tout ce que les jeux Olympiques et Paralympiques apportent de positif à notre société.
En ce qui concerne la préparation de nos athlètes, les choses se concrétisent et tout est en place pour que nos Bleus « performent », au meilleur de leur capacité, le jour J.
Depuis les Jeux de Rio, l’augmentation de 68 % des moyens mobilisés au soutien de la haute performance porte ses fruits, en positionnant la France au troisième rang des projections indépendantes réalisées sur les jeux Olympiques en nombre de médailles.
Dans le cadre de la phase terminale de la préparation sportive, je réunirai le 18 mars prochain les fédérations olympiques et paralympiques pour continuer à porter avec elle la bonne avancée opérationnelle de notre préparation dans l’ensemble des domaines, de l’antidopage à la gestion logistique de nos délégations.
Sur le sujet de l’engagement, nous sommes prêts à déployer l’ensemble de nos dispositifs pour faire vivre à tous nos concitoyens une grande fête populaire. Je veux le rappeler, nos Jeux seront les plus décentralisés de l’histoire, avec 73 collectivités hôtes.
Dans deux mois, le relais de la flamme marquera le coup d’envoi de l’aventure olympique et traversera près de 70 départements de notre pays. Sur le terrain, j’ai pu encore le mesurer ce matin dans l’Yonne, les acteurs et les élus locaux programment l’ensemble de leurs festivités autour du relais, en complémentarité avec l’Olympiade culturelle et la programmation sportive de la grande cause nationale, qui fait l’objet de plans d’action territoriaux soutenus à hauteur de 4 millions d’euros par mon ministère.
En ce qui concerne les zones de célébration pendant les Jeux, les clubs 2024, plus de 250 projets ont été déposés par les collectivités et doivent maintenant être validés par les préfets, avec pour objectif la meilleure couverture possible de nos territoires et un principe de sécurisation par des moyens exclusivement locaux.
Dans le même objectif de mobilisation de tous les Français, plusieurs grands temps forts se dessinent dans les prochaines semaines : la Semaine olympique et paralympique, la SOP, ainsi que le plan Été olympique et paralympique, pour faire vivre un été exceptionnel de sport à notre jeunesse, avec des séjours, des découvertes et des animations sportives et pédagogiques, tant dans les territoires ruraux que dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), qui compléteront le programme de billetterie populaire, pour lequel l’État, de manière tout à fait inédite dans l’histoire des Jeux, offre 400 000 places, dont 200 000 pour le public scolaire en provenance de toutes les académies de notre pays.
Enfin, pour ce qui a trait à l’héritage, nous sommes prêts à léguer à notre pays plusieurs éléments d’ordre matériel, avec toute une série de transformations du territoire, déjà devenues réalité en Seine-Saint-Denis : des 52 hectares du village des athlètes au franchissement urbain Pleyel, le FUP, les différentes opérations d’aménagement nous permettent de « recoudre » le territoire de la Seine-Saint-Denis. Le FUP sera inauguré dans les toutes prochaines semaines, et nous léguerons 19 bassins de natation à ce département, le plus pauvre et le plus jeune de France, qui a besoin de notre soutien.
Je pense aussi à la « baignabilité » de la Seine et de la Marne et à la prolongation du plan 5 000 terrains de sport par le plan d’équipement Génération 2024 doté de 300 millions d’euros.
Nous léguerons aussi à la Nation un héritage immatériel, en permettant au regard porté sur le handicap d’évoluer, grâce à la mise en accessibilité de toute une série d’infrastructures qui changera la vie des personnes en situation de handicap.
Pour ce qui concerne l’impact de cette édition des Jeux sur la pratique sportive, nous comptons déjà depuis 2017 3 millions de pratiquants supplémentaires. Nous poursuivrons dans cette voie grâce à notre action résolue en faveur de la pratique des femmes, des personnes en situation de handicap, des séniors et des étudiants, et au développement du sport-santé dans l’ensemble de nos territoires, au diapason de notre grande cause nationale !
Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avançons vite et bien. Je compte sur vous pour être, avec nous, les ambassadeurs de cette mobilisation collective au service de la réussite des jeux Olympiques et Paralympiques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Ahmed Laouedj applaudit également.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « Make it iconic » ! Tel est le nom de la campagne lancée par le Gouvernement afin de renforcer l’attractivité et, au-delà, l’image de notre pays à l’étranger.
Si les jeux Olympiques et Paralympiques ont vocation à servir cette ambition, l’atteinte d’un tel objectif suppose la mise en œuvre d’un cadre logistique d’accueil éprouvé, afin d’assurer, entre autres, la sécurité et le transport des 15 millions de visiteurs qui s’apprêtent à converger vers le territoire francilien et les différentes villes hôtes.
La construction de ce cadre est aujourd’hui en partie assurée par les acteurs de l’industrie des événements professionnels, qui mettent au profit des jeux toute l’expertise et le savoir-faire que l’organisation répétée d’événements d’envergure internationale leur confère.
Un héritage durable est devenu la condition essentielle de l’acceptabilité des JOP par l’ensemble des professionnels mobilisés sur cet événement, mais aussi par l’ensemble des Français concernés.
Or une part essentielle de cet héritage est pourtant négligée. Il s’agit de son volet socioéconomique, qui s’appuie notamment sur les dispositifs de soutien mis en œuvre par le Gouvernement pour accompagner les pratiques des professionnels concernés ayant vocation à rendre l’expérience des touristes sportifs inoubliable.
Cette expérience client passe, entre autres, par un accueil amélioré aux frontières et par un parcours sécurisé des visiteurs après leur arrivée à destination.
C’est cet héritage qui permettra à la France de rattraper le retard qu’elle accuse depuis plusieurs années dans l’accueil d’événements internationaux par rapport à d’autres destinations concurrentes. Nos voisins européens l’ont bien compris : dans ces pays, les acteurs publics et privés des secteurs concernés travaillent main dans la main pour assurer une haute qualité d’accueil et de séjour à leurs visiteurs, touristes et voyageurs d’affaires.
Donnons à la France les moyens de regagner en attractivité et de devenir la première destination mondiale pour l’accueil d’événements internationaux, qu’ils soient sportifs, politiques, culturels ou d’affaires !
Au regard de cet éclairage, et étant entendu que je n’ai aucun doute sur la réussite des Jeux, quels sont, madame la ministre, les moyens mis en œuvre par le Gouvernement afin que cet héritage socioéconomique coconstruit avec les professionnels soit pérennisé au-delà ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Kern, je vous remercie beaucoup de cette question extrêmement complète, qui couvre l’ensemble des dimensions sur lesquelles la préparation des Jeux a un impact.
Nous avons absolument à cœur que les Jeux nous permettent de faire rayonner les savoir-faire français et, à cet effet, nous portons une ambition forte : celle, d’une part, d’organiser des Jeux responsables, marqués par une dimension sociale affirmée, via la création, dès l’origine, du comité de suivi de la charte sociale et l’implication pleine et entière des partenaires sociaux ; celle, d’autre part, d’être au rendez-vous de nos engagements écologiques – je rappelle que nous nous sommes engagés à livrer les Jeux les plus écologiques de l’histoire, en divisant par deux l’empreinte carbone de cet événement.
Pour réussir dans toutes ces dimensions, nous nous appuyons sur une série de grandes entreprises françaises, mais aussi sur de très nombreuses TPE et PME, au-delà même des engagements que nous avions pris. Ces entreprises de taille petite ou moyenne, dont 90 % sont françaises, représentent ainsi 75 % des seuls marchés du Cojop.
Nous avons développé avec le Cojop un modèle spécifique, celui des EDE, les Event Delivery Entities, qui nous permet de nous appuyer sur de grands acteurs de l’événementiel pour organiser nos opérations dans les différents sites de compétition.
En outre, je m’assure, dans le cadre de l’action diplomatique de mon ministère, que nous aidons nos entreprises à faire rayonner leur savoir-faire à l’étranger : tel est le sens de la French Sport Touch, mais aussi de ces business clubs que nous avons développés et fait vivre, en 2023, à l’occasion de la coupe du monde de rugby ou des championnats du monde de ski alpin de Courchevel et Méribel, et que nous ferons vivre de nouveau lors des Jeux de Paris.
Dans toutes ces dimensions, j’y insiste, nous nous assurons que les savoir-faire français rayonnent et sont mis en valeur sur les territoires, et nous portons de toutes nos forces cette nouvelle norme de grands événements sportifs internationaux durables, sociaux et responsables.
Voilà qui, précisément, nous rend plus forts et plus crédibles.
Monsieur le sénateur, vous évoquiez 2030. Or cette façon d’organiser les Jeux de 2024, ceux de la cohésion, nous rend précisément plus forts et plus crédibles pour défendre jusqu’au succès la candidature des Alpes françaises pour l’organisation des jeux Olympiques d’hiver de 2030, qui, là encore, feront rayonner tous nos acteurs de l’événementiel.
M. le président. Je vous remercie, madame la ministre, d’éviter autant que possible d’utiliser des acronymes et expressions de la langue anglaise : nous sommes le Sénat français ! (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)
M. Olivier Paccaud. Excellent !
M. Vincent Louault. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier.
Mme Mathilde Ollivier. Madame la ministre, nous entrons dans le money time (Exclamations amusées.), une période décisive de l’organisation de ces jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. L’échéance approche à grands pas, et plusieurs interrogations demeurent.
Pour ce qui concerne les transports, je m’interroge tout particulièrement au sujet des déplacements internationaux. Un tiers des émissions de gaz à effet de serre liées à l’événement relève des déplacements de voyageurs. Pourtant, semble-t-il, il n’y aura pas d’ouverture de lignes de trains supplémentaires, françaises ou européennes.
Une stratégie a-t-elle été définie pour les flux de voyageurs hors Île-de-France ? Quelle sera la situation des touristes français qui voyageront en train pendant les JO ? Nombreux sont ceux qui doivent passer par Paris pour rejoindre leur destination de vacances… Quelle est la stratégie qui a été retenue pour anticiper une potentielle pénurie de places dans nos trains, alors que, l’année dernière, la plupart de ceux-ci affichaient complet pendant l’été ?
Je regrette que l’on n’ait pas profité de l’occasion pour promouvoir une réelle stratégie d’organisation et de communication autour de l’utilisation du train en Europe.
Pour ce qui concerne la sécurité, la question des effectifs suscite une véritable inquiétude. Il manquerait plusieurs milliers d’agents, s’agissant d’une filière professionnelle caractérisée par des emplois précaires et mal rémunérés, ainsi que par des horaires très contraints. Le rendez-vous étant présenté comme « à risque », le dispositif doit reposer sur des personnes qualifiées et professionnelles. Où en êtes-vous de votre politique de recrutement et de formation de ces agents ?
Je souhaite conclure en revenant sur le sujet de la compétition de surf de Tahiti.
Après de nombreuses alertes quant à la tenue des épreuves de surf à Tahiti, il semblerait que, en décembre dernier, la décision ait été prise de maintenir la construction de la tour des juges. Cette dernière devrait être prête pour le mois de mai. Pourtant, le dernier essai technique avait fortement abîmé le corail.
Sachant qu’un accord a été obtenu entre le président de la Polynésie française et les associations environnementales, disposez-vous, madame la ministre, d’une nouvelle étude d’impact sur le risque suscité par ces épreuves sur la biodiversité ? Où en est la concertation locale à ce sujet ?
Alors que les surfeurs pratiquent leur discipline en symbiose avec la nature et avec l’océan, il serait regrettable que soit ainsi démentie l’ambition écologique affichée des jeux Olympiques et Paralympiques.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice Ollivier.
Je veux souligner l’ambition qui est la nôtre sur le plan écologique en prenant l’exemple de notre stratégie relative aux transports.
Vous avez raison de le dire, à l’heure actuelle, quand est organisée une grande compétition internationale, la principale des difficultés reste celle des flux de transport. Il y a en la matière un travail de grande ampleur à mener pour restructurer un certain nombre de circuits mondiaux et apporter, tous ensemble, une réponse coordonnée à cet enjeu.
Cela étant, nous avons pris l’engagement de diviser par deux l’empreinte carbone des jeux Olympiques : les Jeux de Paris seront les premiers alignés sur l’accord de Paris sur le climat.
Cet engagement repose sur un schéma national des mobilités, qui nous permettra d’organiser tous ces flux de transport à l’échelle du pays ; il sera publié, en lien avec les préfets et les collectivités concernées, à la fin du mois de mars.
Nous avons élaboré également des plans de transport, tout particulièrement avec Île-de-France Mobilités (IDFM), qui doivent nous permettre d’assurer pour la première fois une desserte de 100 % des sites de compétition pour 100 % des spectateurs en transports collectifs. Au nombre des infrastructures que nous développons dans le cadre de cette démarche, je citerai la ligne 14 du métro ou le RER E.
L’utilisation du vélo fait également l’objet d’une forte volonté : 415 kilomètres de pistes cyclables relient les sites olympiques, l’objectif étant que la part modale du vélo atteigne les 10 %.
Nous voulons des principes responsables pour l’ensemble des mobilités.
Je conclus en répondant à votre question sur la Polynésie française, madame la sénatrice : il n’y a pas d’inquiétude à avoir. Les études d’impact ont été menées en concertation avec la population locale, en toute transparence ; elles sont extrêmement riches, complètes et développées.
Les travaux d’installation de la tour des juges ont bien commencé, et nous avons à cœur de ménager au maximum le corail, avec l’interprétation la plus extensive possible du principe de précaution.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, je souhaite revenir sur la question des transports.
J’ai consulté le site gouvernemental anticiperlesjeux.gouv.fr, qui recommande aux habitants de la région Île-de-France de ne pas emprunter les lignes 5, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 13 et 14 du métro (Sourires.), ni les lignes J, L, N, P et U du Transilien, ni les lignes B, C et D du RER… (Exclamations amusées.)
M. Roger Karoutchi. N’importe quoi…
M. Olivier Paccaud. C’est le confinement !
M. Pierre Ouzoulias. En ce qui concerne les bus, pour l’instant, aucune information n’est disponible !
Voilà qui est assez dissuasif… Au reste, pour ceux qui n’auraient pas tout à fait compris, le prix du ticket de métro va être multiplié par deux, pour passer à 4 euros ; celui du carnet de dix tickets va être multiplié par 2,3, pour passer à 32 euros ; quant au passe Navigo hebdomadaire, il sera vendu 70 euros, soit une multiplication par deux.
Je me mets à la place des personnes qui ne pourront fuir et qui seront obligées de travailler sur place et de subir les encombrements quotidiens des transports, en sus de la hausse des prix que je viens de mentionner.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas possible !
M. Pierre Ouzoulias. Je ne comprends pas comment vous arrivez au chiffre de 15 % que vous avez cité, madame la ministre. Que signifient ces 15 % ? Cela veut-il dire que, l’offre s’annonçant insuffisante, vous voulez dissuader les Franciliens de prendre les transports pour assurer un service qui, aujourd’hui, n’est pas rendu de façon correcte ?
Il faut que vous nous disiez, au regard de ce qui est écrit sur le site gouvernemental, si vous souhaitez vraiment que les Parisiens restent à Paris pour les jeux Olympiques. (Mmes Chantal Deseyne et Brigitte Devésa applaudissent.)
M. Roger Karoutchi. Tout va bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur Ouzoulias.
Il faut bien avoir en tête que nous avons à concilier deux enjeux : tout d’abord, garantir le bon acheminement des spectateurs et des accrédités, qui justifie la mise en place des plans de transport que vous évoquez ; ensuite, minimiser les impacts sur le quotidien des autres usagers.
Nous avons donc développé, pour la première catégorie d’usagers – les spectateurs et accrédités –, des plans de transport qui nous conduisent à renforcer de 15 % en moyenne l’offre de trains. Sur certaines lignes, les renforts d’offre seront de 30 % ; sur d’autres, ils seront de 40 %, de 50 %, parfois même de 60 %. Sur une ligne comme la ligne 9, le nombre de trains en circulation sera supérieur à ce qu’il est lors d’une journée de pointe du mois d’octobre.
Dans le même temps, le site que vous avez évoqué, anticiperlesjeux.gouv.fr, vise à escompter l’impact des Jeux sur la fréquentation des lignes et des stations, de sorte que chacun puisse s’organiser.
S’organiser, cela peut vouloir dire changer de mode de transport,…
M. Roger Karoutchi. Ben tiens…
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. … anticiper ou retarder un peu son départ ou, en accord avec son entreprise, recourir de temps en temps, certains après-midis, au télétravail (M. Roger Karoutchi manifeste son ironie.). Le contexte va rendre nécessaires pareilles adaptations.
À Londres, la réussite de cette démarche d’anticipation avait permis de diminuer de 15 % le trafic dans les transports en commun et de 30 % le trafic routier. Ce sont ces mêmes objectifs que nous visons en donnant à chacun les outils nécessaires pour bien anticiper et gérer les choses.
De cette manière, nous voulons organiser des Jeux fluides et être au rendez-vous de nos engagements écologiques en privilégiant les transports en commun, mais sans gêner la vie des Franciliens, sans la perturber.
M. Olivier Paccaud. La ministre n’a pas répondu sur les prix !
M. Roger Karoutchi. C’est indécent !
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, vous ne pouvez pas en même temps demander aux Franciliens de ne pas emprunter neuf lignes de métro et leur dire que vous allez faciliter leurs transports du quotidien : c’est absolument impossible.
C’est la même chose pour le télétravail : ceux qui prendront le métro sont ceux qui seront aux premières loges, totalement mobilisés pour les jeux Olympiques ; vous ne pouvez pas demander à leur entreprise de les mettre en télétravail ! La difficulté est de taille…
Le problème de fond, madame la ministre, c’est celui de l’accessibilité sociale des jeux Olympiques. Je crains que, malheureusement, Paris ne soit pas une réussite dans ce domaine.
M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj. (M. Michel Masset applaudit.)
M. Ahmed Laouedj. Madame la ministre, nous sommes à l’aube d’un événement sportif international majeur pour notre pays.
Les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 sont une véritable occasion de célébrer l’excellence sportive et de faire briller la France à l’international.
Toutefois, si cette compétition représente la célébration du sport et de ses valeurs, elle est également source, pour les Franciliens, de nombreuses préoccupations et appréhensions.
En Seine-Saint-Denis, territoire qui concentre 80 % des investissements liés à ces JO, les habitants peinent à s’approprier l’événement.
Alors que notre département doit accueillir des disciplines très populaires comme l’athlétisme ou la natation et qu’il aurait vocation à apparaître comme la véritable vitrine de ces Jeux, il semblerait que ce potentiel ne soit pas exploité, ce qui laisse place, chez les Séquano-Dionysiens, à un sentiment d’anxiété davantage que d’excitation.
D’autres inquiétudes trouvent à s’exprimer, portant notamment sur les infrastructures dédiées aux JO. Seront-elles en mesure d’accueillir les millions de spectateurs attendus ?
Par ailleurs, en Île-de-France, où les transports sont déjà saturés et où la sécurité est une préoccupation constante, sommes-nous prêts à gérer l’afflux de visiteurs et d’athlètes qui vont déferler sur notre région à l’occasion des jeux Olympiques ?
Les transports représentent un défi colossal et, là encore, les inquiétudes sont nombreuses. On s’interroge sur les moyens qui seront mis en œuvre pour garantir une mobilité fluide pendant ces JO. Malgré la création de voies olympiques dédiées, le risque d’embouteillages d’une ampleur inédite en Île-de-France plane sur les Jeux.
Enfin, la question de la sécurité se pose de manière constante.
Madame la ministre, à cinq mois de la cérémonie d’ouverture, bien trop d’incertitudes persistent : comment pouvez-vous rassurer les Français quant au bon déroulement de ces Jeux ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Laouedj, il est en effet extrêmement important pour nous de faire en sorte que ces Jeux aident la Seine-Saint-Denis à se transformer.
J’évoquais précédemment la transformation de son cadre de vie : l’héritage du village olympique procurera aux habitants 3 000 logements, dont 45 % de logements sociaux, des groupes scolaires, des résidences étudiantes, 100 000 mètres carrés de bureaux et des commerces, tout cela parfaitement inséré dans le tissu des trois villes concernées.
Nous léguons aussi à la Seine-Saint-Denis toute une série d’infrastructures sportives ; tel est l’objet du soutien apporté au plan d’équipement du département.
Oui, les infrastructures permettront d’accueillir les Jeux ; le 4 avril prochain sera inauguré le centre aquatique olympique, où auront lieu notamment les épreuves de water-polo, de plongeon et de natation artistique. Vous avez sans doute suivi, mesdames, messieurs les sénateurs, la très bonne performance de notre équipe aux récents championnats du monde de water-polo ; j’en profite pour la saluer.
La Seine-Saint-Denis, je le rappelle, concentre 80 % de l’investissement public que nous consacrons aux Jeux ; voilà qui permettra d’accélérer sa transformation et, par là même, le bien-être de ses habitants. Tous ces effets seront mesurés par des études d’impact au lendemain des Jeux.
Pour ce qui est des transports, je l’ai dit, nous sommes mus par une double volonté de programmation et d’anticipation. Nous avons développé des infrastructures, dont la ligne 14, qui sera l’axe central de la desserte des Jeux, via notamment son extension au nord et les travaux menés autour de la gare de Saint-Denis Pleyel. Quant au franchissement urbain Pleyel, il permettra de fluidifier les échanges entre les populations.
Avec l’outil anticiperlesjeux.gouv.fr, nous donnons à chacun l’occasion de prévoir ses déplacements en communiquant des plages horaires. Aucun mode de transport ne sera bloqué toute la journée ; simplement, certaines plages horaires seront aménagées, régulées, avec toute l’anticipation et toute la visibilité nécessaires.
M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj, pour la réplique.
M. Ahmed Laouedj. Je vous remercie, madame la ministre. J’espère que les habitants de la Seine-Saint-Denis et de l’Île-de-France pourront profiter de cette belle aventure que représente pour notre pays l’organisation des jeux Olympiques.
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Madame la ministre, organiser des jeux Olympiques et Paralympiques exige des investissements colossaux en matière d’infrastructures.
Au-delà du village olympique, inauguré la semaine dernière par le Président de la République, pouvez-vous nous indiquer, madame la ministre, quelles sont les infrastructures qu’il reste à bâtir, afin d’accueillir dans des conditions optimales les 10 500 athlètes internationaux ?
Mes chers collègues, se demander si la France est prête pour ces JO, c’est également s’interroger sur leur héritage en matière de réutilisation des infrastructures.
Or l’histoire démontre, hélas ! que l’héritage des infrastructures pose parfois des difficultés. Je pense aux fameux « éléphants blancs », ces infrastructures à l’envergure prestigieuse qui, au lendemain des Jeux, se révèlent en définitive plus coûteuses que bénéfiques et dont l’exploitation ou l’entretien devient un fardeau financier.
Il en est de nombreux exemples : le site de canoë-kayak utilisé lors des Jeux d’Athènes, ceux de 2004 ; la salle de volley-ball des Jeux de Pékin, ceux de 2008 ; le centre aquatique des Jeux de Rio, ceux de 2016. En tant qu’Isérois, j’aurais beau jeu d’évoquer les sites des Jeux d’hiver de 1968, qui tombèrent en friche après l’événement, notamment le fameux tremplin de Saint-Nizier-du-Moucherotte ou l’anneau de vitesse de Grenoble. Voilà autant d’exemples de sites abandonnés sitôt les Jeux clos.
Si le Comité international olympique (CIO) estime que 85 % des sites olympiques permanents construits entre les éditions d’Athènes, en 1896, et de Pyeongchang, en 2018, sont aujourd’hui utilisés, 11 % de ces sites n’existent plus et 4 % d’entre eux sont fermés, inactifs ou abandonnés.
Madame la ministre, puisque les Jeux de Paris se veulent exemplaires, pouvez-vous nous assurer qu’aucun éléphant blanc ne verra le jour ?
Enfin, ces Jeux sont également, et doivent être, ceux de tous les Français, car de nombreux territoires accueilleront des entraînements et des compétitions sportives.
Madame la ministre, dans quelle mesure tous les territoires concernés pourront-ils eux aussi bénéficier de l’héritage des Jeux ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur Rambaud.
Depuis la conception, c’est-à-dire depuis la phase de candidature, nous sommes extrêmement attentifs à ce que, précisément, aucun éléphant blanc du type de ceux qui hantent les rues d’Athènes ou de Rio ne voie le jour.
Aussi avons-nous bâti cette candidature sur le principe suivant : 95 % d’infrastructures déjà existantes ou éphémères. Quant aux autres constructions, nous les livrerons en temps et en heure, qu’il s’agisse des nouvelles infrastructures – je pense au centre aquatique olympique ou à l’Arena Porte de la Chapelle, que nous avons inaugurée au mois de février dernier – ou des travaux permettant d’améliorer l’existant, au premier chef le Stade de France.
Nous avons à cœur, dans l’ensemble des territoires, d’utiliser et de mettre en valeur nos capacités sportives. Je pense aux près de mille centres de préparation aux Jeux qui verront les athlètes du monde entier s’entraîner au contact des populations.
J’étais récemment à Auxerre, où seront reçues les équipes chinoise d’escrime, libanaise de tir à l’arc, canadienne de rugby à sept ; la population locale est impatiente de voir ces équipes arriver, s’entraîner, monter en puissance dans leur préparation et incarner les Jeux.
Nous avons aussi à cœur, avec le relais de la flamme, la billetterie populaire, les clubs 2024 – quelque 250 fan zones réparties sur le territoire –, de faire en sorte que tout un pays vibre avec l’olympisme, étant entendu que nos Jeux sont d’ores et déjà les plus décentralisés de l’histoire, avec 73 collectivités hôtes.
Nous serons au rendez-vous de l’engagement territorial et nous serons au rendez-vous d’un héritage bien pensé, destiné à ériger la France en nation sportive.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.
M. Jean-Jacques Lozach. Madame la ministre, pour ce qui est de savoir si la France est prête à accueillir les jeux Olympiques et Paralympiques, le sentiment général est plutôt une impression de préparation satisfaisante ; ont été surmontés, notamment, les retards dus à la crise sanitaire des années 2020 et 2021 et à la guerre en Ukraine.
Tony Estanguet affirmait, le 31 décembre dernier : « On sera prêts pour les Jeux. » Émanant du président du Cojop, des propos contraires eussent été inquiétants. La France attend cet événement depuis un siècle ; le spectacle du 26 juillet prochain devra être le prélude de Jeux réussis, dont nos compatriotes seront fiers.
Quels doivent en être les ingrédients ? Une sécurité à toute épreuve ; soixante médailles françaises ; une exemplarité environnementale ; des Jeux socialement irréprochables ; un budget maîtrisé et transparent ; des équipements fonctionnels ; mais aussi des Jeux vraiment populaires, pierre de touche du succès de la compétition.
D’où ma question : les conditions sont-elles remplies pour faire de ces Jeux un événement impliquant le maximum de nos concitoyens et de nos territoires ?
Mon interrogation porte également sur le sens que nous souhaitons donner à cette manifestation. Sommes-nous prêts à assumer toutes les conséquences des JOP, notamment les vocations qu’ils feront naître au bénéfice des clubs ?
Comment relèverons-nous le défi que représenteront pour le mouvement sportif les trois millions de pratiquants supplémentaires revendiqués par le Président de la République d’ici à 2027 ?
Enfin, sommes-nous capables de faire des Jeux le catalyseur d’un projet sportif global plus ambitieux à l’horizon d’une vingtaine d’années, en termes d’emploi, de bénévolat, de sport scolaire ou d’enjeux sociétaux liés au handicap et à la sédentarité, au renforcement de la citoyenneté et à la lutte contre toutes les formes de discrimination et de violence ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Lozach, la richesse de votre question montre bien la multitude des dimensions sur lesquelles nous tâchons d’avoir un impact positif au travers de l’organisation des Jeux.
Nous faisons en sorte d’embarquer pleinement tous les territoires et tous les Français dans cette aventure. Tel est le sens du relais de la flamme olympique, qui va traverser 400 villes, et du relais de la flamme paralympique, qui va traverser 50 villes. Comme j’en ai eu la confirmation ce matin encore à Auxerre, la fête commencera là pour les collectivités concernées et pour les départements qui ont fait l’effort de s’embarquer dans ce relais.
La billetterie populaire va nous permettre d’emmener aux Jeux 400 000 personnes, dont 100 000 bénévoles du mouvement sportif.
Les clubs 2024, que j’ai évoqués, seront au nombre de 250 environ.
Le dispositif Ma classe aux Jeux, qui s’inscrit dans le cadre de la billetterie populaire, permettra aux professeurs de toute la France, y compris outre-mer, d’emmener leur classe vivre l’aventure des jeux Paralympiques ; au même moment, se mettront en place, dans les établissements scolaires, des « mini-clubs 2024 » où les élèves pourront vivre les valeurs de l’olympisme et fêter les exploits des athlètes.
Notre chemin vers les Jeux va s’organiser autour de temps forts : je pense à la semaine olympique et paralympique à l’école, début avril ; je pense au J-100, qui sera l’occasion de voir l’équipe tricolore commencer de se dessiner au gré des qualifications des uns et des autres ; je pense à la Journée olympique, le 23 juin, autre moment important, qui marquera, à peu de chose près, le J-1 mois.
L’essentiel, à tous points de vue, c’est aussi l’héritage : il convient que nous progressions dans la construction de la nation sportive. On recense déjà, depuis 2017, quelque 3,6 millions de pratiquants sportifs supplémentaires. Et nous nous sommes dotés des capacités – équipements, promotion des différentes composantes sportives – qui nous permettront de convaincre 3 millions de pratiquants supplémentaires à l’horizon de la fin de ce quinquennat et, ainsi, de faire de la France une nation sportive.
Grande cause nationale oblige, j’aurai à cœur que, avec le mouvement sportif – je lui écrirai spécifiquement en ce sens dans les tout prochains jours –, nous anticipions l’afflux de nouveaux licenciés que les exploits de nos athlètes tricolores ne manqueront pas de susciter.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, pour la réplique.
M. Jean-Jacques Lozach. J’ajouterai quelques mots pour exprimer un regret : nous venons de prendre connaissance du plan national d’économies de 10 milliards d’euros qui a été entériné par décret.
Or je constate que la mission budgétaire la plus affectée, proportionnellement aux crédits qui lui sont alloués, est malheureusement, derrière la mission « Aide publique au développement », la mission « Sport, jeunesse et vie associative » (M. Michel Savin acquiesce.), et cela en 2024, l’année même où le sport a été décrété « grande cause nationale » !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas.
Mme Catherine Dumas. Madame la ministre, la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques, qui se tiendra sur et autour de la Seine, est présentée depuis plus de deux ans comme une grande première et comme un événement grandiose.
Cependant, depuis quelques mois, le rêve ne cesse de se confronter à la réalité, c’est-à-dire aux nombreuses inquiétudes que l’organisation de cette cérémonie suscite chez les Parisiens. En effet, les modalités envisagées pour cette manifestation sont régulièrement remodelées, à l’image de la jauge de spectateurs, qui a été divisée de moitié, conformément, d’ailleurs, à une proposition faite par le groupe dont je suis membre au Conseil de Paris.
Par ailleurs, les risques d’effondrement de balcons, liés à une surcharge pendant l’événement, ont fait naître chez les Parisiens de nouvelles inquiétudes, qui nécessitent des réponses.
En ce qui concerne la cérémonie d’ouverture sur la Seine, qu’en est-il exactement du plan B, madame la ministre ? Et pouvez-vous nous rassurer sur la sécurité des millions de visiteurs qui assisteront au plus grand événement sportif du monde ?
Madame la ministre, pouvez-vous détailler la feuille de route du Gouvernement relative à l’organisation de la cérémonie d’ouverture et à l’ensemble des mesures de sécurité prévues à cette occasion comme pendant la totalité des jeux Olympiques ? (Mme Marie-Claire Carrère-Gée et MM. Alain Chatillon et Philippe Mouiller applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Madame la sénatrice Dumas, cette cérémonie d’ouverture sur la Seine, événement sans précédent, sera grandiose ; elle représente incontestablement un défi organisationnel et sécuritaire majeur. Au reste, nous proportionnons nos efforts de préparation et d’anticipation et notre mobilisation collective à due concurrence.
Le ministre de l’intérieur est au Sénat cette après-midi pour confirmer le principe d’une jauge qui sera de 104 000 personnes sur les quais bas et de 222 000 personnes sur les quais hauts.
Pour sécuriser la cérémonie d’ouverture, 42 500 agents des forces de sécurité intérieure seront mobilisés, des gendarmes, des policiers, des agents de la brigade de recherche et d’intervention (BRI) et du Raid (Recherche, assistance, intervention, dissuasion), ainsi que des militaires, qui sécuriseront le quartier où mouilleront un certain nombre de bateaux, du côté d’Ivry-Charenton. Des brigades spéciales de plongeurs-démineurs mèneront toutes les opérations de déminage nécessaires.
Seront mobilisés de surcroît des milliers d’agents de sécurité privée, ainsi qu’un volant d’agents de police municipale, qui interviendront dans le cadre des périmètres de sécurité. Ces derniers, dont les cartes sont révélées cet après-midi même par le ministre de l’intérieur, permettront cette sécurisation dès huit jours avant la cérémonie d’ouverture.
Il y a là pour nous un enjeu extrêmement important. Différentes variables d’ajustement ont été prévues, dont aucune n’implique de renoncer à notre ambition.
Le Président de la République l’a dit : en cas d’accroissement très fort de la menace, qu’elle soit terroriste ou d’une autre nature, nous serions bien évidemment conduits à activer un plan B, que nous préparons dans les conditions de confidentialité requises.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour la réplique.
Mme Catherine Dumas. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse.
Je prends acte qu’un plan B est en préparation. J’espère qu’un certain nombre d’informations nous seront communiquées prochainement, parce que les jeux Olympiques doivent être une fête pour tous, et plus particulièrement pour les Parisiens, dont le quotidien sera plus que jamais rythmé et affecté par cet événement exceptionnel.
Nous appelons le Gouvernement à la plus grande vigilance, car c’est l’image de la France qui est en jeu. (Mmes Marie-Claire Carrère-Gée et Brigitte Devésa, ainsi que M. Alain Chatillon applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen. (M. Pierre Jean Rochette applaudit.)
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la ministre, ma question porte aussi sur la sécurité.
Au-delà, évidemment, du maintien de l’ordre, de la lutte contre le terrorisme et de la protection des biens et des personnes, qui seront assurés par les policiers, les gendarmes et les forces de sécurité, je souhaite vous parler de la sécurité civile, celle qui consistera à lutter contre les incendies ou à gérer les accidents et qui sera assurée par les pompiers, volontaires ou professionnels.
Si une prime de 1 900 euros a été annoncée pour les policiers et gendarmes qui assureront une permanence pendant les jeux Olympiques et les jeux Paralympiques, pour les pompiers, en revanche, il n’y a rien pour l’instant.
Pouvez-vous nous confirmer qu’il y aura une équité dans les primes versées aux uns et aux autres ?
J’en viens à ma seconde question : qui va payer ? Certes, les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) seront mobilisés, mais ce sera pour un événement très national ! C’est d’ailleurs la direction générale de la sécurité civile qui sollicite les Sdis, de manière qu’il y ait 700 pompiers en permanence à Paris et une centaine d’autres sur les sites des événements qui auront lieu un peu partout en France.
Bien évidemment, les pompiers sont ravis et enthousiastes à l’idée de participer à cet événement, mais les dépenses des Sdis seront-elles bien compensées par l’État ?
Madame la ministre, je souhaite que vous répondiez à mes deux questions.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Verzelen, nous conduisons aujourd’hui le dialogue social, avec l’élaboration des plans de maintien de l’activité dans les administrations publiques et dans les ministères.
Cet effort repose sur une circulaire de cadrage signée par Élisabeth Borne en novembre dernier. Nous le mènerons jusqu’à la fin du mois de mars ou au début du mois d’avril, avant de consolider l’ensemble des réponses.
Bien évidemment, les pompiers sont au cœur de nos attentions et de celles du ministre de l’intérieur, qui l’a rappelé un peu plus tôt cette après-midi, en répondant à une question au Gouvernement qui lui a été posée à l’Assemblée nationale.
Il faut, je pense, distinguer deux situations.
Pour les pompiers qui relèvent de la fonction publique d’État – ainsi que vous l’avez rappelé, il en va ainsi pour un certain nombre d’entre eux, notamment ceux de Paris et de Marseille –, nous avons bien posé le principe d’une intégration pleine et entière dans les dispositifs de primes prévus par le ministère de l’intérieur.
Pour les autres équipes, les primes des pompiers relèvent, comme vous l’avez dit, de l’action des Sdis, donc des collectivités territoriales.
Nous avons sécurisé l’extension de certaines des dispositions des plans de maintien de l’activité, qui prévoient toute une série d’aménagements, à la fonction publique territoriale.
Pour le reste, notamment le volet indemnitaire, le dialogue social se poursuit. Nous devons le mener en étant conscients des sujétions spécifiques et de l’engagement particulier qui sera celui des pompiers.
Monsieur le sénateur, je tiens absolument à profiter de votre question pour les saluer, non seulement pour la contribution majeure qu’ils apporteront au secourisme au cœur de nos Jeux, mais également pour ce qui sera leur action en faveur de tous les Français, sur l’ensemble des territoires, en marge des Jeux, à l’été 2024.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, pour la réplique.
M. Pierre-Jean Verzelen. Que les Sdis soient compensés financièrement pour tout ce que les jeux vont induire est un minimum !
Je reviens sur le sujet des primes. Le Sdis du département de l’Aisne, qui est évidemment celui que je connais le mieux, devra, en gros, mobiliser, chaque jour, 40 pompiers, volontaires ou professionnels, pour les jeux Olympiques. C’est très bien, et il les trouvera ; je le répète, tout le monde sera ravi de participer à cet événement national et très enthousiasmant.
En revanche, le minimum est que l’État compense les dépenses engagées par les Sdis pour les primes.
M. Michel Savin. C’est mal parti…
M. Pierre-Jean Verzelen. Mais j’imagine que nous aurons l’occasion d’y revenir.
M. le président. La parole est à M. Michel Laugier.
M. Michel Laugier. Madame la ministre, le décompte s’accélère : il nous reste 143 jours pour affiner les derniers détails de l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP). Ces quelques mois qui nous séparent de l’événement devront vous aider à parfaire votre plan de sécurisation.
Pourtant, à cinq mois de la cérémonie d’ouverture, des interrogations demeurent. La France, à l’instar des sportifs, s’est-elle suffisamment préparée ?
Permettez-moi de m’interroger, notamment s’agissant de la sécurité. Vous avez répondu tout à l’heure à ma collègue Catherine Dumas au sujet de la cérémonie d’ouverture, mais pouvez-vous assurer aujourd’hui aux Français et aux nombreux étrangers qui rallieront notre pays que leur sécurité sera assurée avec cette nouvelle jauge ?
Au reste, les Jeux ne sauraient se résumer à cette seule cérémonie, aussi grandiose soit-elle. Les Jeux, ce sont deux semaines de compétition sur 39 sites répartis sur l’ensemble du territoire hexagonal et ultramarin, sans oublier les onze jours de compétition paralympique.
Si la police et la gendarmerie sont rompues à la sécurisation des grands événements, avez-vous l’assurance que les réservistes appelés en renfort le seront suffisamment ?
Les nouveaux agents des entreprises de sécurité privées seront-ils en nombre suffisant, alors que les difficultés de recrutement n’épargnent pas ce secteur ? Et, une fois qu’ils auront été recrutés, avez-vous l’assurance que la formation qui leur sera dispensée ne sera pas au rabais ?
Par-delà l’aspect sécuritaire, quid de la surveillance des organisations environnementales radicales, qui excellent dans l’art de s’appuyer sur des événements relayés en mondovision pour médiatiser leurs actions ?
Enfin, comment comptez-vous déjouer les cyberattaques, dont les conséquences seraient désastreuses si elles parvenaient à pénétrer nos réseaux en ligne ? Alors que l’olympisme rayonnera sur la France, nous n’avons pas le droit à l’erreur. À la moindre faille, notre prestige de puissance organisatrice s’évanouirait pour longtemps !
Hélas, les récents vols de documents confidentiels ne sont pas encourageants… Aussi, je souhaite, pour paraphraser Coubertin, que nous sécurisions « plus vite, plus haut, plus fort ». (Marques d’approbation sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Michel Savin. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Laugier, nous devons aux Français la sécurité que vous évoquez et nous faisons tout pour être pleinement au rendez-vous, dans l’ensemble des dimensions que vous avez pu citer.
Je veux rappeler que, au-delà de la mobilisation de 42 500 agents des forces de sécurité intérieure pour la cérémonie d’ouverture, il sera fait appel, en moyenne, à 30 000 policiers et gendarmes, ainsi qu’à 18 000 agents de sécurité privée – et même 22 000 au moment des pics.
Nous avons déployé, sur cet enjeu de la sécurité privée, un plan d’action totalement sans précédent. Celui-ci est mené, en Île-de-France, avec France Travail et sous la houlette du préfet de la région d’Île-de-France. Il nous a déjà permis d’enregistrer 16 700 entrées en formation, ainsi que le recrutement effectif de 10 700 agents de sécurité privée, alors même que s’achève la quatrième vague d’appels d’offres du Cojop.
Je veux souligner la mobilisation des réservistes – à hauteur d’environ 8 000 d’entre eux –, mais aussi d’environ 7 500 jeunes issus des écoles de police et de gendarmerie.
La mobilisation collective des forces de police est totale. Elle sera complétée par celle des effectifs des forces Sentinelle : quelque 10 000 d’entre eux patrouilleront sur le territoire français et à proximité des sites.
On le voit, ce concours de la force se fait en parfaite symbiose avec toutes les équipes de renseignements territoriaux, et une attention est portée à tous les types de menaces : la menace islamiste, la menace terroriste, mais aussi la menace explosive et la menace NRBC, c’est-à-dire nucléaire, radiologique, biologique et chimique.
L’ensemble de ces risques sont aujourd’hui suivis de très près et font même l’objet d’un certain nombre d’exercices d’anticipation ou de gestion des éventuelles crises.
M. le président. La parole est à M. Adel Ziane.
M. Adel Ziane. Madame la ministre, dans moins de quatre mois, les jeux Olympiques et Paralympiques vont attirer près de 15 millions de visiteurs dans notre pays.
Nous pensons que les infrastructures sportives et les logements seront prêts à temps. Nous avons pu le constater lors de la visite que nous avons effectuée jeudi dernier, aux côtés du Président de la République. Sur ce plan, si l’on se demande si la France sera prête, on peut répondre que nous serons à la hauteur, me semble-t-il.
Néanmoins, une question demeure : celle des transports en commun en Île-de-France.
Dans notre région, 68 % des emplois sont concentrés sur seulement 6 % de notre territoire. De nombreux actifs dépendent des transports en commun pour leurs déplacements. Je pense précisément aux habitants de Seine-Saint-Denis, souvent des travailleurs de première ligne, qui prennent les transports pour de longs trajets.
Si le Grand Paris Express, qui désenclavera notre département, est une promesse en cours de réalisation, vous savez, madame la ministre, que la situation des transports franciliens s’est fortement dégradée ces trois dernières années pour les 10 millions de voyageurs quotidiens : retards récurrents, quais bondés, lignes saturées.
À la fin de l’année 2023, cinq lignes de métro étaient encore sous le seuil de 90 % de régularité. La ligne 13, qui sera parfois amenée à vider et à remplir jusqu’à trois fois par jour le Stade de France, lorsque des épreuves s’y dérouleront, en fait partie.
Mes questions sont assez simples et précises.
Si ces lignes sont déjà en difficulté, pourront-elles répondre à l’afflux exceptionnel de voyageurs ? Quelles garanties le Gouvernement peut-il apporter pour renforcer le réseau, en matière tant de signalétique que de gestion de flux ?
Pouvez-vous nous apporter des précisions sur l’annonce, par Île-de-France Mobilités, de la mise en place d’une application éphémère, Transport Public Paris 2024, qui offrira un calculateur d’itinéraire pour répartir les flux sur l’ensemble du réseau, afin d’éviter les encombrements ?
Je note que cette application sera réalisée avec des acteurs du secteur privé, à savoir Google Maps et Citymapper. Pouvez-vous nous dire où en sont les discussions ?
Il est également prévu que les 10 000 athlètes bénéficient d’un réseau de navettes réservées sur le périphérique. Quid de la mise en place de ce réseau ? Sera-t-il suffisamment robuste ?
Enfin, si l’on raisonne en termes d’héritage, n’oublions pas que, à la fin des jeux Olympiques et Paralympiques, à la mi-septembre, il faudra aussi que le réseau puisse fonctionner pour l’ensemble des Franciliens.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Je vous remercie, monsieur le sénateur Ziane, de votre question.
Nous faisons en sorte de répondre à l’enjeu des transports à travers tous nos programmes relatifs aux infrastructures. Je pense à la construction des prolongements au nord et au sud de la ligne 14, dont le pilotage automatisé vient d’être de nouveau sécurisé. Nous n’aurons pas de retard sur ce chantier, qui sera livré en juin prochain.
Des travaux sont menés dans les gares pour augmenter leurs capacités. C’est le cas de la gare du Nord et de la gare de Saint-Denis-Pleyel, mais aussi de la gare de la porte-Maillot, où ont lieu des travaux importants, en lien avec l’extension du tramway T3b.
Nous livrerons toutes ces infrastructures entre le printemps et le mois de juin prochain, en temps et en heure, dans le respect des coûts.
Quant à nos plans de transports, ils viseront précisément à encourager les usagers, les accrédités, les différents acteurs et les spectateurs qui se rendront sur les sites des épreuves à opter pour les meilleures combinaisons.
Oui, l’application d’Île-de-France Mobilités que vous avez mentionnée sera créée au mois d’avril. Elle permettra effectivement aux usagers qui sont familiers de ce genre de solutions numériques d’obtenir des recommandations d’itinéraires, grâce à un travail collaboratif mené avec Citymapper et les géants du digital.
Nous développons aussi le vélo, avec, en plus des 415 kilomètres de pistes cyclables, un renfort de 28 000 places de stationnement. Cela nous permettra de proposer aux usagers ce mode de transport, pour lequel je rappelle que nous avions déjà mis en place des aides spécifiques dans le cadre du plan Vélo.
Oui, il y aura bien 185 kilomètres de voies olympiques et paralympiques, par lesquelles les accrédités pourront aller jusqu’aux sites de compétition,…
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre !
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. … conformément à l’engagement que nous avons pris à l’égard du CIO d’un acheminement en moins de trente minutes vers ces sites.
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Madame la ministre, vous l’avez dit, l’accueil des Jeux s’annonce comme un immense défi. Nous espérons tous que l’image que notre pays donnera au monde entier sera à la hauteur de l’événement.
Ma question portera sur la préparation de notre système de santé face à cet événement majeur.
Un premier sujet est celui de la santé des athlètes, avec la polyclinique olympique et paralympique, gérée par Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et les hôpitaux de recours pour les athlètes et la famille olympique. Où en sommes-nous de ce chantier ?
Un autre sujet, bien plus massif en termes de population concernée, est celui de l’adéquation entre le nombre de visiteurs attendus et l’offre de soins disponible. Nous savons tous qu’il y aura des risques majeurs, notamment en matière d’accueil, mais également de sécurité et de cybersécurité.
Éviter la saturation de notre système de santé n’a rien d’aisé, quatre ans après le choc de l’épidémie de covid-19 et alors que l’été est normalement une période calme pour les hôpitaux.
Comment comptez-vous garantir une offre suffisante en matière de santé pour les résidents de la région d’Île-de-France comme des autres régions hôtes ? Quelles seront les capacités d’accueil effectives dans les hôpitaux durant les mois de juillet et août prochain ?
M. Roger Karoutchi. Ils seront fermés !
M. Philippe Mouiller. Comment comptez-vous assurer aux centaines de milliers de touristes qui se rendront en France un accès approprié à notre système de santé s’ils tombent malades ou s’ils ont besoin d’une intervention non programmée ? Quelle mobilisation prévoyez-vous pour la médecine de ville ?
Vous le voyez, les sujets sont nombreux, et leur poids est considérable. Mais peut-être le point le plus important pour nous est la garantie des soins d’urgence, car nous savons tous que, parfois, durant l’été, le système est déjà extrêmement saturé.
Comment le Gouvernement a-t-il globalement anticipé ces enjeux ? (Mmes Élisabeth Doineau et Marie-Claire Carrère-Gée applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Mouiller, je vous remercie de cette question, qui est très importante, dans la mesure où nous voulons pouvoir parer aux besoins de soins des différents athlètes, des accrédités, de la famille olympique, ainsi que des visiteurs – ils seront 12 millions pendant les jeux Olympiques sur notre territoire –, sans pour autant dégrader l’offre de soins pour les usagers habituels de notre service public hospitalier.
Pour cela, la polyclinique installée au cœur du village olympique et paralympique sera gérée, comme vous l’avez mentionné, par l’AP-HP, avec une petite équipe centrale et un ensemble de médecins volontaires dans les différentes disciplines.
Nous aurons également un réseau hospitalier composé de l’hôpital européen Georges-Pompidou pour la famille olympique, de l’hôpital Avicenne pour les médias et de Bichat pour nos athlètes.
Au total, les simulations effectuées par les agences régionales de santé (ARS) et surtout par l’ARS d’Île-de-France anticipent une augmentation de l’ordre de 5 % du trafic aux urgences.
En conséquence, nous avons engagé les démarches permettant d’augmenter collectivement le nombre de lits sur la partie aval de ces soins d’urgence, surtout pour ce qui concerne le bloc MCO (médecine-chirurgie-obstétrique), avec notamment 360 lits supplémentaires prévus par l’AP-HP. C’est important.
Nous avons, en même temps, besoin d’affiner les besoins en urgentistes de la polyclinique. C’est le sens du travail que nous sommes en train d’achever avec le Comité d’organisation.
Nous réfléchissons aussi, avec Frédéric Valletoux, à la manière d’associer les médecins libéraux à notre effort collectif en faveur de la santé, pour lequel tout est anticipé, y compris les situations sanitaires exceptionnelles. Celles-ci font l’objet, de la part du ministère chargé de la santé et de la prévention, de plans d’action spécifiques complémentaires.
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Madame la ministre, les jeux Olympiques et Paralympiques seront suivis par 4 milliards de téléspectateurs, et nous attendons à peu près 15 millions de touristes sur les différents sites.
Ces chiffres appellent une grande responsabilité à tous les niveaux, et l’image de la France, mes chers collègues, est manifestement en jeu.
Madame la ministre, vous-même et vos prédécesseurs êtes chargés de ce dossier depuis maintenant sept ans. À l’occasion des Jeux, la France doit promouvoir une vision de société inclusive, garantissant l’accessibilité à toutes et à tous – nous l’espérons.
C’est sur ce point que je veux vous interroger, notamment sur l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite (PMR) tant des hébergements que des commerces, et, plus largement, de tous les établissements recevant du public (ERP), qui sont aujourd’hui loin de tous se conformer à cette obligation légale.
En ce qui concerne les hébergements, d’après les chiffres dont je dispose, moins de 3 000 chambres d’hôtel franciliennes sont officiellement accessibles.
Le village olympique et les sites sportifs ont naturellement été conçus pour être accessibles, mais l’événement de taille que constituent les jeux Olympiques aurait pu être l’occasion d’accélérer l’agenda, depuis 2017, de cette accessibilité programmée pour l’ensemble des ERP.
Les transports sont également un point bloquant. Si les bus ou tramways sont – ou seront – généralement accessibles, les gares RER doivent encore faire de nombreux efforts. Quant au métro, nous savons bien qu’il constitue le mode de transport le moins accessible à Paris.
Il est important de contribuer à l’amélioration du réseau, en accord avec nos valeurs. L’accessibilité ne peut-elle constituer un critère de rénovation ? L’héritage des JOP s’en enrichirait !
Je souhaite, madame la ministre, vous poser une dernière question, incidente, mais très importante, que se pose également notamment M. Rémy Féraud, sénateur de Paris, et qui a trait à la société que nous voulons. Je veux parler de l’accueil et de l’hébergement des sans domicile fixe.
Emmanuel Macron avait assuré, à l’été 2017, qu’il ne voulait plus personne à la rue d’ici à la fin de l’année. Les JOP doivent être l’occasion d’améliorer les conditions de vie des plus démunis. Quelles mesures avez-vous envisagées pour cette population très particulière ?
M. le président. La parole est à Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Kanner, je vous remercie de votre question, qui est vraiment l’occasion pour moi d’affirmer à quel point nous voulons que ces Jeux nous permettent de progresser dans l’accessibilité aux personnes en situation de handicap, en pensant bien à tous les pans de l’expérience qui sera la leur, durant les jeux Olympiques comme pendant les jeux Paralympiques.
Le recensement effectué par l’office de tourisme de la Ville de Paris fait état de 4 250 chambres à l’échelle de la métropole du Grand Paris, ce qui doit nous permettre de répondre à la demande en la matière.
Nous avons prévu que 2 % des places soient spécifiquement réservées aux personnes en fauteuil roulant au cœur de nos sites, avec des services dédiés qui leur permettront de se sentir bien et d’être bien accompagnées, en même temps que nous avons travaillé avec l’ensemble des préfets sur l’accessibilité des cheminements entre les gares. Je rappelle que 65 gares d’Île-de-France ont été rendues pleinement accessibles vers les sites de compétition.
Nous avons également développé l’offre de taxis accessibles. Alors qu’ils n’étaient que 250 voilà encore un an et demi, ils seront au nombre de 1 000 en Île-de-France à l’occasion des Jeux.
Sous la houlette d’Élisabeth Borne, nous avons pris, avec les opérateurs, des engagements très forts : tant la SNCF que la RATP se sont engagées à favoriser l’accessibilité universelle, via un plan d’action comportant dix mesures, comme la pose de manchons en braille ou la sonorisation des lignes, autant de systèmes de guidage qui aideront les déficients visuels ou auditifs à s’orienter correctement.
En ce qui concerne la question importante des sans domicile fixe, je crois qu’il faut bien distinguer deux situations.
La première, celle des demandeurs d’asile, n’est pas du tout liée aux Jeux. Pour ces derniers, la logique consiste à déconcentrer et à partager l’accueil, dans l’attente du règlement administratif de leur situation.
La seconde, celle des SDF dans Paris, est tout à fait spécifique. Un travail conjoint est mené aujourd’hui avec la Ville de Paris pour permettre la création de places d’accueil, dimension qui rendra l’héritage encore plus noble. Nous serons bientôt capables de communiquer sur ce point.
M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon.
Mme Anne Ventalon. Madame la ministre, ma question porte également sur l’accessibilité.
Contrairement à ses voisins d’Europe du Nord, la France accuse un net retard dans la culture de l’accessibilité. Or, au moment où le monde entier aura les yeux braqués sur Paris et son organisation des jeux Olympiques et Paralympiques, la question de la place des personnes handicapées au cœur de cet événement sera primordiale.
Pour ce qui concerne, tout d’abord, l’accessibilité aux épreuves sportives, sommes-nous prêts à accueillir les quelque 350 000 spectateurs en situation de handicap ? Je rappelle que, à l’intérieur de la petite couronne, seulement 9 % des stations du métro parisien leur seront accessibles ! Et, dans les bus équipés, seules deux places sont réservées aux voyageurs en fauteuil roulant…
Des navettes spécialement adaptées seront prévues pour rejoindre les sites. Combien seront-elles ?
Je veux également vous interroger sur les taxis adaptés. Actuellement, en temps normal, seuls 200 à 300 taxis sont adaptés. Tout à l’heure, vous avez évoqué le chiffre d’un millier de taxis adaptés. Pouvez-vous me le confirmer ?
Entre 4 000 et 5 000 personnes handicapées seront hébergées chaque jour. Disposerons-nous d’assez de « chambres PMR » pour les personnes en fauteuil roulant ? Selon les professionnels de l’hôtellerie, il n’y aurait que 3 500 chambres aménagées dans le Grand Paris, dont certaines seront sans doute utilisées par des pensionnaires valides…
Le second point que je souhaite soulever est celui de la mobilité des personnes handicapées vivant dans les « zones rouges », interdites à la circulation automobile. Pour y circuler ou y être conduites, elles devront préalablement se déclarer en ligne.
Étant donné que les plateformes de ce genre peuvent connaître des ratés lors de leur lancement et nécessitent d’être opérationnelles bien en amont, pouvez-vous nous préciser la date de mise en service prévue ?
Enfin, si un habitant de la zone rouge est affecté, pendant la période des jeux, par un handicap, même temporaire, pourra-t-il s’inscrire rapidement sur cette plateforme ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Je vous remercie de votre question, madame Ventalon.
Je souhaite rappeler les différentes composantes de notre effort en matière d’accessibilité aux personnes en situation de handicap.
Oui, 4 250 logements accessibles sont recensés par l’Office du tourisme et des congrès de Paris (OTCP). En outre, 2 % des places dans nos stades, dans nos infrastructures et dans nos sites sont réservées aux usagers en fauteuil roulant, qui feront l’objet d’une prise en charge spécifique par les équipes du Comité d’organisation.
Nous avons travaillé avec des groupes d’experts d’usage pour cheminer pas à pas sur la qualité de l’expérience d’un bout à l’autre des différents parcours, ce qui nous conduit à porter une attention à différentes problématiques très concrètes, très matérielles, comme la résolution des pannes des ascenseurs. Nous voulons vraiment que les 65 gares qui ont été rendues accessibles en Île-de-France offrent un service plein, complet et satisfaisant aux personnes en situation de handicap.
Pour ce qui concerne les QR codes, sur lesquels le préfet de police a communiqué récemment, la plateforme qui permettra de les générer sera mise en service au mois d’avril prochain.
Bien entendu, nous porterons une attention particulière aux personnes en situation de handicap qui devront cheminer sur les différents périmètres – les périmètres bleus, rouges et Silt (Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme) – et être accueillies dans nos sites, avec, encore une fois, des services spécifiques qui leur seront dédiés.
Je tiens aussi à mentionner les efforts réalisés par les opérateurs en matière d’accessibilité universelle pour les déficients visuels et auditifs, avec des manchons en braille, et des panneaux d’hypervision ou d’hypersignalisation, qui permettront un meilleur repérage.
Je veux mentionner aussi la mise en place de la plateforme unique d’information et d’assistance en gare, prévue par la SNCF, ainsi que les éléments de réservation – y compris de fauteuils – et d’accompagnement à la sortie de l’avion prévus par Aéroports de Paris et les compagnies aériennes partenaires.
M. le président. La parole est à M. Bruno Belin.
M. Bruno Belin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier le groupe Les Républicains et nos collègues qui sont à l’origine de ce débat, notamment Michel Savin. En effet, l’enjeu est important.
Je veux également remercier ceux qui ont permis que Paris 2024 parte sur de bonnes bases.
Je veux citer mon ami Tony Estanguet, pour le travail remarquable qu’il a mené, avec toutes ses équipes, depuis le début.
Enfin, j’ai une pensée pour le premier délégué interministériel, Jean Castex, qui s’est lui aussi fortement mobilisé dès le début de la candidature de Paris.
Ma question, madame la ministre, porte sur la sécurité, ou plutôt sur les sécurités. C’est un enjeu fondamental, qui comporte évidemment plusieurs niveaux.
Je veux tout d’abord revenir sur la péripétie de ces derniers jours, à savoir une certaine perte de plans… Finalement, nous n’avons pas trop su ce qu’il en était, ni, surtout, quelles pourraient ou auraient pu être les conséquences de cet incident.
Je souhaiterais bien évidemment des précisions sur la sécurité des sites, des athlètes et des spectateurs. On a bien vu, un certain soir d’août, à l’occasion d’un match de football, que l’accès aux stades pouvait être compliqué, avec une mise en danger potentielle des spectateurs…
Quid de la sécurité dans les transports et de la sécurité des autres sites touristiques ?
De fait, nous avons bien compris que vous alliez mobiliser un certain nombre de policiers et de militaires de la gendarmerie. Dans les communes littorales, nous n’aurons plus de CRS pour assurer la sécurité sur les plages ! Quelles seront les conséquences pour les communes concernées ? Quel en sera le coût ? Comment ce coût sera-t-il financé ? Quelle sera l’incidence du recours à des maîtres-nageurs privés pour ces collectivités ?
Quid aussi de la sécurité d’un certain nombre de grands sites ? Dans le département où je suis élu, le Futuroscope accueillera, certains jours de l’été, plus de 20 000 spectateurs. Pouvez-vous nous assurer que la sécurité pourra être maintenue dans les lieux où la concentration publique sera forte, alors que vous aurez évidemment besoin de militaires, de gendarmes et de policiers sur les sites où se dérouleront les épreuves ?
Je souhaiterais avoir des précisions détaillées sur ces différentes questions de sécurité, madame la ministre.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le sénateur Belin, je veux absolument m’inscrire dans la continuité de vos propos, pour saluer le travail mené par le Comité d’organisation, sous la houlette de Tony Estanguet, et vous dire la qualité de la collaboration qui nous unit.
De la même façon, je veux saluer, après vous, le travail mené par nos délégués interministériels aux jeux Olympiques et Paralympiques successifs.
Je pense, bien sûr, à Jean Castex, dont le nouveau rôle, à la tête de la RATP, est aussi extrêmement précieux, en ce qu’il nous aide à conduire toutes les évolutions permettant que les transports soient à la hauteur. Je pense également à Michel Cadot et à l’ensemble de ses équipes, qui effectuent un travail considérable au service de la réussite des Jeux.
Nous travaillons en équipe : une équipe de France, qui embarque pleinement le mouvement sportif, avec le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et le Comité paralympique et sportif français (CPSF), mais également l’ensemble des collectivités, en particulier, je les ai mentionnées, les 73 collectivités hôtes, les 400 villes de France mobilisées pour le relais, la Ville de Paris et le conseil régional.
M. Bruno Belin. Il vous reste une minute pour répondre sur la sécurité !
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. J’ai déjà beaucoup parlé de la sécurité, mais j’ajoute, en complément, que plus de 7 500 opérations de prévention de la délinquance ont déjà été réalisées en Île-de-France.
Le préfet de police de Paris a fait part récemment d’une diminution significative de la délinquance : les atteintes à la personne ont ainsi baissé de 49 % et les atteintes aux biens de 29 %, par exemple dans un secteur qui sera aussi exposé durant les Jeux que celui de la tour Eiffel.
Vous m’interrogez également sur la sécurisation des autres zones du territoire et sur les moyens de secours. Vous savez que nous avons publié en 2023, conjointement avec le ministère de l’intérieur, un décret permettant aux titulaires du brevet national de sécurité et de sauvetage aquatique (BNSSA) d’exercer leur mission en autonomie, sans caractère dérogatoire, réduisant ainsi la contrainte que constitue le nécessaire recrutement des maîtres-nageurs sauveteurs (MNS).
Parallèlement, nous faisons la promotion de ces professionnels et de ce qu’ils représentent pour nos collectivités, afin de favoriser l’évolution de ce métier.
Le ministre de l’intérieur a prévu pour les forces de police des régimes de congés tout à fait exigeants, un accompagnement indemnitaire et des aménagements de leurs conditions de travail, de manière que, dans la France entière, et pas seulement sur les sites olympiques, nous puissions être au rendez-vous de la sécurité, pour tous nos concitoyens.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Madame la ministre, dans un courrier daté du 30 janvier 2024 que le ministre Darmanin nous a adressé, il est écrit : « La sécurité constitue un défi que nous sommes capables de relever collectivement. […] Ce défi, c’est celui des agents du ministère. » J’ai envie d’ajouter : ce défi, c’est aussi celui des forces de police municipale, directement concernées, notamment dans les communes qui accueillent des sites olympiques ou en sont limitrophes !
Dans ce même courrier, le ministre Darmanin, énumérait l’ensemble des dispositions prises pour récompenser les forces de l’ordre de leur mobilisation : possibilité de reporter les congés bonifiés non pris ; versement de différentes primes ; déplafonnement du compte épargne-temps à hauteur de dix jours supplémentaires. Le ministre formulait même le souhait que les heures supplémentaires soient totalement déplafonnées et défiscalisées. Il prévoyait enfin un doublement des chèques emploi service universel (Cesu) pour la garde d’enfants.
Madame la ministre, quelles mesures seront prises pour récompenser les policiers municipaux de leurs efforts ? J’ai posé cette question plusieurs fois, à différents membres du Gouvernement, notamment au ministre de la transformation et de la fonction publique, mais je n’ai toujours pas obtenu de réponse. S’il vous plaît, ne me renvoyez pas au dialogue social !
À moins de six mois des jeux Olympiques, nous avons besoin de nous organiser pour pouvoir disposer de services efficaces et être en mesure d’assurer la tranquillité publique dans cette période où nous recevrons beaucoup de monde, qui plus est une population ayant envie de faire la fête et de vivre les Jeux de manière paisible. (Très bien ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Nous avons, madame la sénatrice, conçu nos plans de maintien de l’activité autour de trois grands axes.
En matière d’aménagement du temps de travail, vous l’avez dit, des dispositions spécifiques sont prévues pour le compte épargne-temps (CET). Ainsi, les agents des trois fonctions publiques bénéficieront d’un abondement de dix jours en flux et de dix jours en stock de leur CET. C’est un point très important.
En matière indemnitaire, différents échelons de primes ont été prévus. Les ministères et les administrations publiques planchent sur une copie qui sera finalisée à la fin du mois de mars ou au début du mois d’avril. Le 12 mars prochain, les partenaires sociaux seront réunis, sous la houlette de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), afin de faire le point sur ces différentes avancées.
Enfin, nous prévoyons des dispositifs d’action sociale. Nous voulons proposer à ceux de nos agents qui en auront besoin des solutions de garde d’enfants. Nous pouvons d’ores et déjà vous confirmer que les crèches du ministère de l’intérieur et celles du ministère des armées seront disponibles. La Ville de Paris est également en train de finaliser une proposition en ce sens, pour nous permettre d’améliorer l’offre.
Stanislas Guerini et moi sommes également en train de recenser très précisément, territoire par territoire, les dispositifs d’accueil des jeunes enfants, avant de communiquer sur ce sujet à l’ensemble de nos agents.
Enfin, sur la partie strictement indemnitaire, vous comprendrez que je ne puisse m’exprimer au nom des deux autres fonctions publiques. Chaque employeur fera ses choix. Les mesures communes aux trois fonctions publiques portent uniquement sur l’aménagement du temps de travail et sur le CET, comme nous faisons évoluer le droit du travail pour les entreprises qui en ont besoin dans le cadre du dialogue social.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.
Mme Christine Lavarde. J’ai posé une question très précise, mais je n’ai eu absolument aucune réponse !
Madame la ministre, la DGAFP ne s’impose pas aux collectivités locales.
Mme Christine Lavarde. Pour qu’une collectivité locale puisse verser une prime spécifique, il faut qu’un cadre réglementaire et législatif l’y autorise.
Aujourd’hui, le maire de Boulogne-Billancourt, par exemple, ne peut indemniser ses policiers municipaux ni ses agents de surveillance de la voie publique (ASVP), alors qu’ils vont devoir fournir des efforts importants pour assurer la tranquillité publique et l’organisation des jeux Olympiques, car il n’existe pas de cadre pour verser cette indemnité.
Par ailleurs, les collectivités doivent présenter un budget en équilibre. Ce budget, elles sont toutes en train de le finaliser. Elles ne pourront pas ouvrir des crédits pour verser des indemnités si elles ne disposent d’un texte qu’au mois de juin. Or vous n’avez absolument rien dit sur ce sujet.
Vous parlez d’actions sociales. Dans son courrier, le ministre Darmanin indiquait qu’il allait solliciter les collectivités, afin que des places en crèche puissent être offertes. Dans la commune dont je vous parle, les crèches sont depuis toujours fermées durant l’ensemble du mois d’août. Nous devons pouvoir nous organiser. Nous n’allons pas dire aux directeurs de crèche et aux agents le 1er juillet qu’ils devront être présents les quinze premiers jours d’août !
Telles sont les questions pratiques auxquelles les collectivités n’ont absolument aucune réponse.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Madame la sénatrice Lavarde, je me suis efforcée de vous apporter des réponses très précises. Je vais enfoncer le clou et vous redire qu’il n’y a pas besoin d’une disposition législative spécifique pour permettre à la fonction publique territoriale d’accorder des primes si les employeurs le souhaitent.
Dans la fonction publique d’État, il n’y aura pas de prime JO. Nous n’avons pas besoin d’une assise spécifique ou d’une loi pour prévoir des primes. Nous nous appuyons sur les régimes indemnitaires existants. Chaque autorité employeuse est en mesure de procéder aux arbitrages.
Seule la disposition relative au compte épargne-temps a nécessité une évolution réglementaire. Un décret a été pris, dont nous avons choisi de faire bénéficier les trois fonctions publiques. Je ne vois donc pas ce que vous avez à nous reprocher en la matière !
Enfin, je n’ai pas dit que les dispositifs d’action sociale seraient connus en juillet. J’ai dit qu’ils le seraient à la fin du mois de mars ou au début du mois d’avril prochain. J’ai indiqué qu’une réunion concrète aura lieu sous l’égide de la DGAFP le 12 mars, afin que de premières indications puissent être données sur le fondement d’un recensement territorial précis.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Je suis tout à fait heureuse d’apprendre que les collectivités locales peuvent verser des primes comme bon leur semble, en l’absence de tout cadre !
Mme Christine Lavarde. Il va falloir donner cette information aux chambres régionales des comptes, parce que nombre de communes que je connais se sont fait taper sur les doigts pour avoir versé des primes en l’absence de cadre réglementaire et législatif ! (M. Patrick Kanner applaudit.) Pour ma part, je ne voudrais pas que cela arrive à ma commune.
Aujourd’hui, je ne suis donc toujours pas en mesure de dire au maire qu’il peut octroyer une prime aux policiers municipaux et aux ASVP qui seront mobilisés pendant la période des jeux Olympiques.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Carole Ciuntu.
Mme Marie-Carole Ciuntu. Madame la ministre, le 5 janvier dernier, à l’appel de la chambre syndicale des buralistes d’Île-de-France, une opération coup de poing a été organisée, afin de dénoncer le fléau de la vente de cigarettes à la sauvette. Des cigarettes frelatées, imitées, sont vendues chaque jour un peu partout, provoquant leur lot de violences tout en posant un véritable problème de santé publique.
Ce trafic a explosé depuis quelques mois, au point de devenir un véritable phénomène de société, autant qu’un problème endémique de sécurité.
Les buralistes, qui perdent du chiffre d’affaires, mais aussi de nombreux élus et riverains, qui connaissent des points de deal solidement installés dans leurs communes, le plus souvent à proximité des stations de métro ou des gares, montent au créneau. La situation ne semble pas sous contrôle.
Paris concentre une partie des points de vente illicites, avant les départements de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, mais le phénomène touche près de soixante-dix départements selon la chambre syndicale des buralistes.
Ce marché noir représenterait entre 15 % et 25 % des ventes de cigarettes, selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives. Il est souvent le fait de jeunes en errance, mineurs non accompagnés et non solvables, ce qui rend les poursuites et les amendes illusoires.
À l’approche des jeux Olympiques, la crainte est grande de voir ce trafic s’amplifier. Le préfet de police de Paris a certes annoncé un plan de lutte contre les ventes à la sauvette, mais la vente des cigarettes de contrebande est un problème en soi, qui se pose bien au-delà de Paris intra-muros.
L’État doit enfin prendre très au sérieux ce phénomène national et y consacrer des moyens, en créant, par exemple, une brigade spécialisée dans les départements les plus atteints.
Madame la ministre, je vous remercie de bien vouloir nous indiquer les mesures que vous comptez prendre à différents échelons face à ce fléau. En effet, les cigarettes qui arrivent au pied de nos gares empruntent un chemin qui va du gros trafiquant jusqu’au vendeur des rues ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Madame la sénatrice, le préfet de police a récemment communiqué sur les résultats déjà obtenus à la suite des opérations de prévention de la délinquance qui ont été effectuées, y compris dans le secteur de la tour Eiffel, et qui visent notamment les vendeurs à la sauvette. Ils sont tout à fait probants.
Il a ainsi indiqué que 12 tonnes de marchandises avaient déjà été saisies et que des actions avaient été menées contre les joueurs de bonneteau et les vendeurs à la sauvette.
La lutte contre la vente illicite de cigarettes est donc au cœur de nos efforts, dans le cadre du plan zéro délinquance. Au total, plus de 7 500 opérations ont été menées en Île-de-France depuis le lancement de ce plan il y a un an et demi, sur l’initiative du ministre de l’intérieur. Je le redis, les atteintes à la personne et aux biens ont baissé respectivement de 49 % et de 29 %.
Nous devons poursuivre nos efforts, mais soyez assurée, madame la sénatrice, de notre détermination sur ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Carole Ciuntu, pour la réplique.
Mme Marie-Carole Ciuntu. Je tiens à attirer l’attention sur la banlieue parisienne, qui existe ! Nous avons réellement le sentiment qu’il nous faudra assurer nous-mêmes la sécurité pendant les JO, comme nous l’avons fait lors des incidents et des émeutes au mois de juin dernier – nous en avons gardé un souvenir très précis…
Nous ne voulons pas que vous fassiez l’impasse sur ces sujets ; c’est pourquoi je vous les rappelle. Rien n’est fait pour lutter contre la contrebande de cigarettes dans nos banlieues, je puis vous l’assurer.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Stéphane Piednoir, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rachid Temal. La France est-elle prête ou non ? Il faut répondre ! (Sourires.)
M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un siècle après la toute dernière édition des jeux Olympiques d’été dans notre pays, nous aurons la chance d’accueillir, dans 143 jours précisément, le plus grand événement sportif et social de la planète.
Accueillir autant de compétitions, d’athlètes et de spectateurs en l’espace de quelques semaines est un défi, auquel chaque pays organisateur est bien sûr confronté.
Nous ne partons pas de zéro : nous sommes une grande nation sportive qui accueille régulièrement des événements sportifs, tels que Roland-Garros, qui fait partie des plus grands et des plus prestigieux tournois de tennis du Grand Chelem, ou le Tour de France, qui est l’un des événements les plus regardés au monde. Nous sommes aussi régulièrement le pays hôte de compétitions internationales de football, de rugby et de championnats de ski alpin, etc.
Toutefois, pour réussir le défi que constitue l’organisation des jeux Olympiques et, pour la première fois en France, des jeux Paralympiques, il nous a fallu satisfaire les exigences particulièrement élevées du Cojop, à commencer bien sûr par la livraison dans les temps et les budgets de tous les équipements olympiques et du village qui accueillera les athlètes et les médias.
À cet égard, nous pouvons nous féliciter de la livraison par la Solideo de près de 68 ouvrages réalisés grâce à des entreprises françaises, lesquels nous permettent aujourd’hui d’avoir l’assurance que les compétitions pourront bien se dérouler dans de bonnes conditions.
Non seulement les Jeux de Paris 2024 sont un défi logistique, mais ils se veulent également plus paritaires, écologiques, engagés, inclusifs, sobres et fédérateurs. De fait, même si certaines disciplines restent unisexes, il s’agira pour la première fois de Jeux totalement paritaires : 5 250 femmes et 5 250 hommes y participeront.
Une attention particulière est portée aux émissions de carbone. Paris 2024 a, pour la première fois dans l’histoire des Jeux, fixé un budget carbone à ne pas dépasser. Il faudra évidemment vérifier a posteriori si cet objectif a bien été atteint.
Je tiens également à souligner la sobriété budgétaire du Comité d’organisation, dont le budget s’élève à 4,4 milliards d’euros, tout comme celui de la Solideo. Pour mémoire, nous sommes très loin des 30 milliards d’euros de Pékin en 2008 ou de Rio en 2016.
Les jeux Olympiques laisseront un héritage important. La construction du village olympique transformera considérablement les villes de Saint-Ouen et de Saint-Denis.
La décentralisation de ces Jeux sur l’ensemble du territoire est une autre démarche remarquable, que je tiens à souligner. À cet égard, je salue la volonté du Cojop de faire de ces jeux non pas seulement les Jeux de Paris, mais ceux de toute la France.
Je puis témoigner de l’engouement qu’a suscité dans notre département, en amont des jeux Olympiques, la possibilité d’accueillir des compétitions sportives et des centres de préparation et d’entraînement, ainsi que celle d’organiser des événements de promotion du sport, grâce au label Terre de Jeux, dont nombre de collectivités territoriales se sont emparées.
Dans cet esprit de valorisation non pas seulement de Paris, mais de tout notre pays, le prochain temps fort est évidemment le relais de la flamme olympique, qui permettra de jeter la lumière, si je puis dire (Sourires.), sur l’histoire et le patrimoine français.
Gageons que cet élan territorial se traduira par une promotion durable de la pratique du sport partout dans notre pays, où, comme ailleurs, l’obésité progresse à une allure préoccupante, particulièrement chez les jeunes. À ce sujet, madame la ministre, vous n’avez pas répondu aux craintes de Michel Savin concernant les coupes budgétaires qui seront effectuées dans les crédits de votre ministère destinés à lutter contre cette problématique.
Pour autant, et c’est une sorte de mystère, cet événement ne suscite pas l’engouement attendu dans l’opinion publique. En effet, selon un récent sondage, seuls 59 % des Français ont l’intention de suivre cette Olympiade, alors même que près de 4 milliards de personnes à travers le monde sont intéressées.
Sans doute quelques problématiques évoquées cette après-midi en séance ont-elles contribué à cette réserve générale.
En bref, il s’agit de la sécurisation de la cérémonie d’ouverture, évoquée notamment par notre collègue Catherine Dumas ; de la sécurisation dans et aux abords des sites olympiques, compte tenu du désastreux souvenir que nous a laissé l’organisation au Stade de France de la finale de la Ligue des Champions à l’été 2022 ; de l’indisponibilité des logements pour accueillir les spectateurs et les bénévoles ; du coût de l’hébergement dans les hôtels et, éventuellement, dans les Airbnb ; du risque de grève inhérent à l’ensemble des compétitions ; des difficultés annoncées en matière de transports dans la capitale – notre collègue Ouzoulias a relevé que neuf lignes de métro seraient fermées, en tout cas temporairement ; de la billetterie, enfin, qui a largement alimenté la chronique, le site n’étant pas toujours opérationnel et les prix étant parfois prohibitifs.
Toutefois, restons optimistes. Outre que ces Jeux sont évidemment une vitrine de la France dans le monde entier, ils demandent encore un gros travail de communication pour embarquer, comme nous le souhaitons, l’ensemble des Français dans cette belle fête du sport. Il nous reste 143 jours, madame la ministre, pour atteindre cet objectif. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « JO 2024 : la France est-elle prête ? »
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Financement des entreprises de l’industrie de défense française
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative au financement des entreprises de l’industrie de défense française, présentée par M. Pascal Allizard et plusieurs de ses collègues (proposition n° 191, texte de la commission n° 365, rapport n° 364, avis n° 363).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Pascal Allizard, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier nos collègues de la commission des finances et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ainsi que les rapporteurs Dominique de Legge et Cédric Perrin pour leurs travaux. Ils confirment les conclusions auxquels mes collègues corapporteurs successifs du programme 144 et moi-même étions parvenus sur la question du financement des entreprises de l’industrie de défense.
Les amendements adoptés en commission visent à détailler et à préciser les contours du dispositif envisagé. Leurs dispositions lèvent à mon sens certaines incompréhensions nées chez les tenants du logement social et de l’environnement, au financement desquels, je l’indique d’ores et déjà, le présent dispositif ne portera pas atteinte.
En ce qui concerne la raison d’être du dispositif, je rappelle que, après la supposée « fin de l’histoire » et l’époque de la « mondialisation heureuse », certains États – on peut le déplorer – réimposent des relations internationales fondées sur les seuls rapports de force, et non sur le droit, et s’appuient sur des narratifs nationalistes, voire belliqueux.
Pour nous, les Européens, habitués aux dividendes de la paix, c’est la douche froide et le retour brutal aux réalités. Ces réalités, c’est le retour des tensions et de la guerre dans l’environnement proche de l’Europe largement démilitarisée.
Dans ce contexte, la célèbre formule des Romains, si vis pacem, para bellum, qui est aussi la devise de l’École de guerre française, revient en mémoire. Aux côtés de l’outil diplomatique, l’outil militaire et industriel doit être en mesure de nous permettre de faire face à toute menace sur la paix et la stabilité.
Ce n’est pas réellement le cas aujourd’hui, comme en témoignent les problèmes que connaissent l’ensemble des pays occidentaux, y compris les États-Unis, pour soutenir les rythmes effrénés de production de matériels et de munitions imposés par le soutien à l’armée ukrainienne.
En face, les Russes proposent ce qu’ils maîtrisent le mieux depuis longtemps : une guerre de saturation et d’attrition, appuyée par des moyens hybrides multiples.
Notre voisin, le Royaume-Uni, qui restait avec la France la seule puissance militaire en Europe, rencontre désormais les plus grandes difficultés avec les capacités de son armée et de ses industries. Quant aux Américains, ils pourraient revoir leur soutien à l’Europe après la présidentielle de 2024.
Retrouver des forces morales, disposer de moyens financiers, humains et matériels significatifs, renforcer le lien entre l’armée et la Nation : tels sont les principes qui ont servi d’aiguillons à la préparation de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
Madame la ministre, vous le savez, le Sénat a contribué de manière positive à l’élaboration de ce texte et il exerce un contrôle scrupuleux sur son exécution budgétaire.
Or qui dit effort de guerre, économie de guerre et souveraineté dit aussi nécessité de disposer d’une industrie de défense performante et autonome.
En matière de défense, la France peut s’enorgueillir d’avoir su conserver un modèle complet d’armée, mais également une base industrielle et technologique de défense (BITD) allant des grands groupes mondialisés aux PME locales, en passant par des start-up, soit environ 4 000 entreprises.
Cette BITD nous assure une capacité d’agir en toute indépendance, en cohérence avec nos ambitions stratégiques et notre modèle d’armée. Pourtant, plusieurs problèmes viennent assombrir l’avenir de ce secteur, l’un des derniers écosystèmes industriels français, qui est indispensable à toute souveraineté et à la protection de la Nation.
Ces dernières années, la question du financement des entreprises de l’industrie de défense française a été régulièrement soulevée.
Au départ, l’État était dans une certaine forme de déni : la défense ne représentait pas une priorité gouvernementale. Elle avait d’ailleurs parfois plutôt servi de variable d’ajustement dans les budgets du pays.
Pour les banques, il n’y avait pas non plus de problème d’industrie de défense. Pourtant, sous la pression des bouleversements géopolitiques et face au risque de prédations étrangères sur des pépites technologiques, l’État a mis en place de nouveaux outils au bénéfice de la BITD. Ils prennent la forme de financements publics pour aider les entreprises et faciliter l’innovation dans le domaine de la défense.
En ce qui concerne les financements privés, c’est au Sénat en 2020 que le délégué général pour l’armement (DGA) a finalement admis, du bout des lèvres, que des problèmes de « frilosité bancaire » à l’égard des industriels de la défense commençaient timidement à remonter à ses services.
Il a ensuite fallu un long travail d’objectivation du phénomène, ainsi que de multiples auditions et apports du Sénat et de l’Assemblée nationale… Le Gouvernement, il faut le souligner, suit désormais de près ce sujet, via notamment les informations remontées par la direction générale pour l’armement, la Banque publique d’investissement (BPI) et l’Agence de l’innovation de défense (AID).
Les constatations convergent sur de nombreux points. Il en a été conclu que les difficultés d’accès aux financements représentent une menace directe pour notre souveraineté. C’est le point qu’il faut retenir et qui est à l’origine du texte qui vous est aujourd’hui soumis, mes chers collègues.
Des cas de refus explicites de financement ou d’ouverture de compte en raison d’une appartenance au secteur de la défense ont été signalés, et même des enregistrements produits, dans la mesure où ces refus sont parfois présentés oralement.
Il n’existe aucune obligation pour les établissements bancaires de motiver leurs refus de financement. Certaines entreprises ne veulent pas communiquer sur le sujet, pour ne pas divulguer d’informations sur leur santé financière à de potentiels concurrents ou prédateurs.
Des groupes bancaires ont fait le choix d’exclure purement et simplement les entreprises du secteur de la défense de leur politique d’investissement. D’autres excluent le soutien au commerce des « armes controversées », notion fourre-tout, qui n’est pas véritablement définie et qui émane essentiellement de certaines organisations non gouvernementales (ONG).
La Banque européenne d’investissement (BEI), institution publique, a également exclu de son champ de financement les munitions et les armes, ainsi que les équipements ou infrastructures militaires ou policiers, sans véritable base textuelle.
Les PME et les ETI sont celles qui rencontrent les principales difficultés de financement, car elles sont plus fragiles, moins structurées, parfois en carence de fonds propres et ne disposant pas toujours d’experts export ou de compliance.
Pour assurer leur développement, elles ont besoin de fonds, qui leur sont parfois refusés, alors que les grands groupes arrivent toujours à se financer. Il s’agit essentiellement des pure players de la défense, qui ne disposent pas d’activités civiles pour compenser et/ou de ceux qui ne font pas partie de la chaîne de fournisseurs de ces grands groupes industriels.
À la suite de la crise sanitaire, les grands groupes ont aussi pris conscience des risques pour la pérennité de leurs propres activités que représente la défaillance de leurs sous-traitants et fournisseurs, en particulier les plus critiques, faute de financement. Ce fut notamment le cas de la filière aéronautique.
Le contexte réglementaire complexe dans lequel les banques évoluent est régulièrement mis en avant pour justifier leurs réticences. Celles-ci doivent, il est vrai, faire face à deux risques principaux : un risque juridique, lié à l’application ou à la surinterprétation de règles environnementales, sociales et de gouvernance (ESG), et un risque réputationnel, entretenu par des lobbies qui incitent, souvent de manière agressive, à se désinvestir du secteur de la défense, sur le fondement de raisons prétendument éthiques. Nos banques d’envergure internationale sont les plus exposées.
Le financement d’opérations d’export est particulièrement difficile pour des entreprises disposant pourtant d’une autorisation de l’État sous la forme d’une licence d’exportation délivrée, après une procédure rigoureuse, par la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG).
Ces travaux parlementaires ont permis d’objectiver le phénomène, d’appeler l’État à agir et d’inviter au dialogue entre deux mondes qui se connaissaient mal : d’une part, la finance, portée aujourd’hui par la finance verte, mais aussi, depuis toujours, par un besoin de retour sur investissement rapide ; d’autre part, l’industrie de défense, avec des spécificités qui peuvent inquiéter les banques, comme la dépendance à la commande publique, les cycles longs, les investissements souvent lourds, la rentabilité faible, les exportations vers des pays « exotiques », etc.
Nous avions – je le dis poliment, mais je le dis tout de même – prévu un dispositif dans la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030 ; il a été censuré par le Conseil constitutionnel. Nous avons réitéré en loi de finances ; nouvelle censure du Conseil constitutionnel. C’est ce qui motive – vous l’avez compris, mes chers collègues – ma démarche aujourd’hui. La présente proposition de loi reprend le principe qui avait déjà été voté par notre assemblée, moyennant quelques amendements du rapporteur de la commission des finances.
L’enjeu est important : la BITD a pour finalité non pas de produire ou de vendre des armes, mais d’assurer l’autonomie stratégique de la France. Puissance publique, banque, investisseurs privés, épargnants… Ne négligeons aucune piste ; il y va aussi de la résilience de la Nation face à l’adversité.
C’est pour toutes ces raisons objectives que je vous invite à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Dominique de Legge, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà quelques mois seulement, nous approuvions la nouvelle loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030.
Nous avions longuement débattu de la nécessité de soutenir les entreprises de la BITD. Le ministre des armées, M. Sébastien Lecornu, avait lui-même évoqué la nécessité de donner de la visibilité à notre BITD, de la protéger et de la promouvoir. Il avait également exprimé son soutien aux dispositions proposées par la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat pour développer des mécanismes, afin de mieux financer les entreprises concernées, en particulier les PME.
Ces dispositions faisaient suite aux importants travaux de nos collègues Pascal Allizard et Gisèle Jourda, ainsi que de notre ancien collègue Yannick Vaugrenard.
Je tiens d’ailleurs à saluer tout particulièrement Pascal Allizard, auteur de la proposition de loi, et Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui est également rapporteur pour avis.
Tous les trois, nous avons travaillé ensemble pour enrichir le texte que nous examinons aujourd’hui. Je les remercie de leur implication. Ils alertent depuis de nombreuses années sur les difficultés que peuvent rencontrer les entreprises de l’industrie de défense, pourtant cruciales pour notre sécurité, mais aussi pour notre économie. S’ils ont parfois eu l’impression que leurs alertes ne rencontraient que peu d’écho, les choses commencent, semble-t-il, à évoluer.
Quels sont les besoins de financement de ces entreprises ? J’en distinguerai trois.
Le premier, c’est l’accès au crédit, le financement bancaire, essentiel pour la gestion par les entreprises de leur trésorerie, de leurs stocks et pour la modernisation de leurs chaînes de production. Sur ce point, les acteurs entendus en audition se sont accordés pour dire que les choses vont mieux depuis deux ans, le début de la guerre en Ukraine ayant marqué un vrai changement d’approche. Je relève ici l’apport du réseau des « référents défense » dans les grands établissements bancaires, en lien avec la direction générale de l’armement.
Pour autant, aller mieux, ce n’est pas aller bien. Certaines entreprises font encore face à la frilosité des banques, qui craignent pour leur image ou imposent des exigences de conformité bien au-delà de ce que prévoient les textes.
Le deuxième enjeu, c’est l’accompagnement à l’export. Les contrats sont complexes. Là aussi, les banques sont parfois réticentes à se lancer dans ces dossiers. Plusieurs outils ont néanmoins été mis en place par la puissance publique pour accompagner les entreprises, par l’intermédiaire de garanties et d’assurances.
Ces dispositifs sont gérés au nom et pour le compte de l’État par Bpifrance Assurance Export. S’ils sont ouverts à l’ensemble des sociétés, ils bénéficient plus particulièrement aux entreprises de la défense. Le secteur militaire représente 40 % des encours de crédits export garantis, qui s’élevaient à 65 milliards d’euros en 2022.
Le troisième enjeu, et le plus pressant aujourd’hui, ce sont les fonds propres. Cette difficulté est loin d’être réglée. Elle affecte de manière disproportionnée les entreprises de la base industrielle et technologique de défense.
Le capital investissement est quasiment inexistant dans le secteur de la défense en France et en Europe. Les outils publics gérés par Bpifrance se révèlent insuffisants pour combler les faiblesses du secteur privé. Or, faute d’un volume d’investissements suffisant, les entreprises de la BITD n’ont pas d’autre choix que de renoncer à leurs projets ou de se tourner vers des financements extraeuropéens.
Comment cette faiblesse peut-elle s’expliquer ?
Tout d’abord, il y a une incompréhension autour de la réglementation applicable en matière ESG. Alors qu’aucune réglementation française ou européenne n’exclut la défense, les fonds d’investissement se sont autoexclus.
Ensuite, le signal envoyé par les institutions européennes est particulièrement négatif. Le Fonds européen d’investissement (FEI) de la BEI interdit de financer les munitions, les armes, ainsi que les équipements ou infrastructures militaires ou policiers.
Surtout, il impose ces exclusions aux fonds d’investissement qui participent à ses tours de table. Par ailleurs, même si la France a obtenu la mise en place d’un mécanisme de fonds propres dans le domaine de la défense, celui-ci est réservé aux seules entreprises dont moins de 50 % du chiffre d’affaires sont liés à la défense.
Cette attitude, mes chers collègues, est d’autant plus inexplicable – j’insiste sur ce point – que le commissaire européen Thierry Breton parle de consacrer 100 milliards d’euros à la défense et que la présidente de la commission, Mme von der Leyen, affirmait récemment que l’enjeu des prochaines années pour l’Europe était la défense.
Enfin, la France se heurte aux réticences de certains de ses partenaires européens ; je pense notamment à l’Allemagne. J’espère néanmoins, et Mme la ministre pourra nous le confirmer, que la France continuera son action pour assouplir la doctrine d’intervention de la Banque européenne d’investissement.
La proposition de loi s’inscrit dans ce contexte et entend apporter une première réponse aux difficultés de financement. Elle prévoit de flécher une partie des encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire (LDDS) non centralisés auprès de la Caisse des dépôts vers le financement des entreprises de l’industrie de défense française. J’y insiste, il s’agit des encours non centralisés, les fonds affectés au logement social n’étant absolument pas concernés.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le Sénat est amené à examiner ces deux dispositions. Elles ont été votées à deux reprises par notre assemblée, en loi de programmation militaire et en loi de finances pour 2024. C’est grâce à la commission des affaires étrangères et de la défense que le sujet avait été introduit dans la LPM.
Or, dans les deux cas, le Conseil constitutionnel a censuré les mesures adoptées, pour de strictes raisons de forme, considérant qu’il s’agissait de cavaliers. Cette difficulté est désormais levée, avec un véhicule législatif propre.
Madame la ministre, je ne doute pas que le Gouvernement apportera son plein soutien à un tel dispositif. En effet, voilà deux mois à peine, il avait décidé de reprendre ces dispositions dans le projet de loi de finances pour 2024, pour lequel il avait engagé sa responsabilité en application de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution.
Mes chers collègues, je terminerai en vous présentant les trois grandes modifications apportées par la commission au texte initial de la proposition de loi.
Tout d’abord, nous avons réécrit l’article 1er, afin que le nouvel objectif de financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense n’empiète pas sur les cibles aujourd’hui allouées aux encours non centralisés du livret A et du LDDS. Je sais que cela répondra à l’inquiétude de plusieurs d’entre vous : les sommes allouées au financement de la transition écologique et de l’économie sociale et solidaire ne sont en aucun cas concernées.
Ensuite, nous avons explicité les missions de Bpifrance en faveur des entreprises de l’industrie de défense française.
Opérateur du soutien au financement des entreprises et de l’innovation, Bpifrance gère aujourd’hui de très nombreux dispositifs de soutien aux entreprises. Pour autant, depuis sa création, en 2005, le contexte géopolitique a évolué. Il nous paraît important de mentionner sa contribution à l’économie de guerre, dans le droit fil de la LPM.
Enfin, nous avons complété le rapport prévu à l’article 2 de la proposition de loi. Cette évaluation est primordiale. Elle doit permettre tant d’avoir une idée objective des besoins de financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense que d’aborder l’ensemble des problématiques auxquelles ces entreprises peuvent être confrontées.
Le rapport sera l’occasion de passer en revue les outils existants et d’évaluer l’opportunité d’en créer de nouveaux. Je pense ici, par exemple, aux garanties et assurances à l’export, à des outils de renforcement des fonds propres ou encore à la création d’un plan d’épargne dédié au secteur de la défense, qui fait d’ailleurs l’objet amendements. Il est nécessaire de disposer au plus tôt des outils les plus appropriés.
Enfin, au regard de l’importance de la réglementation européenne sur les critères ESG et de son impact sur les entreprises de la défense, le Gouvernement devra présenter les actions qu’il a menées pour que le financement de la défense soit davantage pris en compte, y compris au sein de la Banque européenne d’investissement.
Mes chers collègues, je vous appelle désormais à soutenir ce texte, qui envoie un signal politique clair aux acteurs financiers et institutionnels en faveur du soutien aux entreprises de notre industrie de défense. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi en premier lieu de souhaiter la bienvenue aux élèves de la 31e promotion de l’École de guerre qui sont en présents dans nos tribunes. Parmi eux, il y a un Omanais, un Américain et un Ukrainien, que je salue également.
L’avis de la commission des affaires étrangères et de la défense sur ce texte, qui – cela a été rappelé à plusieurs reprises par le rapporteur Dominique de Legge – émane de ses travaux, est forcément favorable.
Depuis 2020, notre commission a alerté, en particulier par la voix de Pascal Allizard, auteur de cette proposition de loi, sur les difficultés de financement de notre industrie de défense.
Nous avions proposé dans la loi de programmation militaire de créer un nouveau livret d’épargne. Réécrit en commission mixte paritaire, le dispositif avait pris la forme d’un fléchage d’une partie des encours de l’épargne réglementée. Réintroduit par un amendement de nos collègues députés dans le dernier projet de loi de finances, il avait même été retenu dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité.
Si nous en rediscutons aujourd’hui, ce n’est donc pas du fait d’un désaccord entre les assemblées ou entre le Parlement et le Gouvernement. C’est parce que le Conseil constitutionnel a considéré que ce dispositif n’avait sa place ni en LPM ni en loi de finances.
L’analyse selon laquelle le dispositif de financement des entreprises de la défense n’avait aucun lien, même indirect, avec le chapitre de la LPM consacré à « l’économie de guerre » laisse songeur. Mais telle a été la décision du Conseil constitutionnel.
Revenons-en au fond. Quel est au juste le problème de financement de notre BITD ? Il comporte deux volets. Le déficit de fonds propres est le mieux documenté.
En un mot, l’écosystème de financement est faible, car les investisseurs connaissent mal le secteur et craignent de s’y intéresser. Mais nos entreprises, surtout les plus petites d’entre elles, rencontrent aussi des difficultés d’accès au crédit.
Parce que le problème n’est pas facile à mesurer, il est nié, à la fois par le secteur bancaire, par la direction générale du Trésor et par la Banque de France. Mais la difficulté n’en est pas moins réelle.
La « frilosité bancaire » à l’égard de la défense est attestée depuis 2020 par la DGA, par les industriels eux-mêmes, par au moins deux rapports de l’Assemblée nationale et du Sénat et, dernièrement, par la Cour des comptes.
Comment y remédier ?
Soit par un produit s’apparentant à l’épargne réglementée, c’est-à-dire liquide et connue pour cela des Français. Ce serait un moyen commode de financer les besoins de court terme des entreprises.
Soit par un produit spécifique soutenant l’investissement en fonds propres par l’acquisition de titres. Cela répondrait à un problème mieux identifié, mais par un placement moins liquide et plus risqué, donc destiné à un public d’épargnants plus choisi et désireux de financer ce secteur.
La première solution, celle du livret A, a déjà été validée deux fois par le Parlement, dans la LPM et dans le PLF. C’est la plus à même de s’attaquer au problème commun à toutes les difficultés de financement, c’est-à-dire à la conformité excessive du monde financier aux critères d’investissement responsable, les fameux critères ESG.
Comme l’a souligné en commission le rapporteur Dominique de Legge, dont je salue le travail et que je remercie de son écoute attentive et de son implication pour trouver des solutions efficientes, aucune norme, aucune taxonomie, aucun écolabel ne mentionne la défense. C’est donc largement du fait d’un halo négatif entourant le secteur que le monde financier rechigne à y investir ou que telle caisse régionale refuse, par crainte pour sa réputation, d’ouvrir un compte à une start-up.
Disons-le très clairement : dans un contexte géopolitique qui ne cesse de se dégrader, cet implicite négatif sape l’effort de redressement de notre outil de défense ! Faire de la BITD une priorité dans l’allocation de l’épargne préférée des Français serait un signal fort à l’attention des acteurs de la finance.
Pour remédier au problème de l’apport en fonds propres, il faut structurer le secteur et faire évoluer la doctrine de la BEI, afin d’entraîner la communauté des investisseurs.
Le texte a parfois suscité des craintes infondées.
Tout d’abord, la menace pesant sur le financement du logement social est tout simplement inexistante, puisque les encours visés sont ceux qui ne sont pas centralisés à cette fin à la Caisse des dépôts.
Ensuite, un autre risque parfois invoqué est celui de la décollecte, au motif que les épargnants pourraient être réticents à financer la production d’armes.
M. Pascal Savoldelli. Eh bien oui !
M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis. Nous en avons déjà parlé lors de l’examen de la LPM : rien ne permet d’étayer cette crainte,…
M. Pascal Savoldelli. Ah bon ?
M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis. … et l’objet du texte est précisément de banaliser l’idée même d’investir dans la défense.
Mes chers collègues, nous ne pouvons pas laisser la compliance bancaire empêcher davantage notre industrie de la défense de se développer. L’heure est grave. On nous parle d’économie de guerre, de 200 000 emplois directs, de 4 000 PME et ETI sur le territoire national dans nos territoires. Aussi, donnons à notre BITD les moyens de se développer. Faisons de notre défense et de notre sécurité notre priorité !
La commission des affaires étrangères et de la défense soutient donc fermement cette initiative. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi s’adresse aux entreprises de l’industrie de la défense française et cherche à améliorer leur financement au travers du fléchage d’une partie des ressources collectées au titre du livret A et du LDDS vers ces entreprises.
Soyons clairs, si nous partageons l’objectif, l’instrument ne nous semble pas être le plus approprié.
Le Gouvernement est très attentif aux besoins de financement du secteur de la défense. Ils sont importants et croissants. Depuis 2020, plusieurs rapports parlementaires et courriers ou sollicitations majeures d’industriels interpellent sur des difficultés récurrentes de financement rencontrées par l’industrie de défense, en particulier pour les PME et ETI de la BITD.
Face à ces alertes, le Gouvernement a mobilisé les services de l’État pour identifier les freins au financement du secteur. En septembre dernier, des « référents défense » ont été mis en place pour mettre en contact, via le ministère des armées, des banques françaises avec les entreprises de la BITD rencontrant des difficultés pour obtenir un crédit.
Un travail en profondeur a également été mené par la direction générale du Trésor auprès des industriels comme des banques, pour établir un diagnostic des freins existants. Les conclusions de ces travaux sont, me semble-t-il, assez éclairantes.
Les difficultés rencontrées par certaines entreprises de la BITD pour obtenir un crédit bancaire ne sont, dans la plupart des cas, pas liées au fait que l’entreprise appartienne au secteur de la défense. Certaines ont rencontré des difficultés pour obtenir un crédit. Mais, d’après les études dont nous disposons et le travail en profondeur de la direction générale du Trésor, c’est majoritairement pour des raisons économiques, et non par discrimination du fait de leur appartenance au secteur de la défense.
En revanche, il apparaît très clairement que les difficultés sont bien plus importantes pour les PME de la BITD quand il s’agit d’accéder au financement en fonds propres. En tant que ministre déléguée chargée des entreprises, je reconnais là un mal chronique du financement de nos entreprises.
Ainsi que cela a été souligné, le capital investissement français est bien trop peu présent dans le secteur de la défense.
Le cœur du problème semble donc être plutôt là : les banques – certes, il y a toujours des exceptions – suivent majoritairement les PME qui ont des projets, mais les capitaux, eux, ne sont pas aussi facilement disponibles, voire sont indisponibles.
Pour augmenter des capacités de production, pour passer en mode « économie de guerre », il faudra clairement plus de capitaux.
Cette absence de l’investissement privé dans les PME et ETI de la défense s’explique principalement par la grande méconnaissance qu’ont de ce secteur les investisseurs. Ils ne connaissent pas assez bien les dispositifs de contrôle à l’export et surestiment les risques réputationnels liés à cette industrie.
Comme cela a été mentionné, certains font aussi une interprétation très, voire trop extensive des critères ESG, alors que – je le rappelle très clairement – aucune réglementation européenne ou française n’exclut le secteur de la défense ; le Gouvernement y est particulièrement vigilant.
Toutefois, pour reprendre vos termes, monsieur le rapporteur pour avis, il y a un « implicite » et un « halo négatif » qui rendent les financements de plus en plus difficiles. Nous avons par exemple récemment obtenu que les matériels de guerre soumis au contrôle à l’export ne soient pas soumis aux dispositions de la directive sur le devoir de vigilance.
Face à de tels constats, le fléchage de l’épargne réglementée ne nous semble pas être la solution adaptée pour améliorer le financement de l’industrie de défense.
Tout d’abord, parce que flécher les emplois du livret A et du LDDS vers la BITD ne résoudrait pas nécessairement le problème d’accès à des financements en fonds propres, étant donné que les obligations d’emplois concernent des prêts et que, vous le savez, les dépôts des Français, disponibles à tout moment, ne peuvent être immobilisés dans des investissements en fonds propres.
Ensuite, permettez-moi de rappeler à votre sagacité que le bilan des banques est fongible. L’ensemble des ressources des banques financent l’ensemble des emplois, et ces établissements ne sont pas en mesure d’affecter directement un dépôt à des usages spécifiques. Compte tenu du fait que l’industrie de défense est un petit secteur très spécifique, flécher une partie de l’encours de l’épargne réglementée vers elle ne répondrait pas aux besoins de dispositifs sur mesure.
Néanmoins, soyons clairs : ainsi que vous l’avez compris, je pense, le Gouvernement accueille favorablement la volonté du Sénat d’envoyer le signal fort sur les besoins de financement des PME de la défense.
De ce point de vue, nous sommes favorables au principe d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur le diagnostic, sur les solutions envisagées au niveau national et sur notre action à l’échelon européen, et l’article 2 de la proposition de loi issue des travaux en commission est parfaitement légitime.
En revanche, l’article 1er, pour les raisons que je viens d’exposer, ne me semble pas permettre de mieux financer directement les PME de la BITD et me paraît comporter des inconvénients très importants pour les équilibres de l’épargne réglementée.
C’est pourquoi le Gouvernement adoptera une position de sagesse sur cette proposition de loi dans son ensemble, en espérant et en faisant en sorte qu’un travail collaboratif pendant le reste de l’année 2024 permette d’améliorer le texte dans le cadre du débat parlementaire.
Sur le fond, le Gouvernement souhaite poursuivre les efforts pour améliorer l’accès aux financements en fonds propres, qui sont lacunaires.
Le ministre de l’économie entend tout d’abord réunir à l’été, en lien avec le ministre des armées, les acteurs financiers, mais aussi les investisseurs et les industriels de la défense, pour un événement majeur sur le financement du secteur de la défense et l’augmentation des fonds propres de nos PME.
L’objectif sera de lever les préventions des gestionnaires de fonds, mais aussi de lancer un forum permanent entre acteurs financiers de la place et industriels de la défense. Nous pensons que la Caisse des dépôts et consignations, mais également Bpifrance, aura un rôle particulier à jouer en la matière.
Par ailleurs, nous poursuivrons l’action entreprise depuis 2017 à la BEI, pour qu’elle finance plus fortement l’effort de souveraineté européen, qui a déjà pris de l’ampleur sur les projets avec composante duale.
Il convient de saluer le lancement en janvier 2024 par le FEI, bras armé en capital de la BEI, d’un mécanisme de fonds propres dans le domaine de la défense, doté de 175 millions d’euros, même s’il conserve clairement des limitations très, voire trop importantes. Pour que le groupe BEI fasse davantage dans ce secteur, il faudra faire évoluer sa politique de prêts. Vous le savez, cela nécessite un consensus fort de la part de tous les États actionnaires, consensus qui n’existe pas encore aujourd’hui.
L’arrivée d’une nouvelle présidente à la tête de la BEI nous donne l’occasion de porter la modification de la liste d’exclusion et de l’assouplissement des critères d’éligibilité des entreprises. Bruno Le Maire, qui est le gouverneur français pour la BEI, a bien cet élément en tête.
Enfin, le Gouvernement entend aussi mener une revue des dispositifs publics qui soutiennent l’accès aux fonds propres de nos PME et ETI de la défense. Là où il sera nécessaire et utile de les renforcer, nous proposerons de le faire, afin de catalyser plus d’investisseurs privés vers ce secteur primordial.
Sur tous ces travaux, le Gouvernement prend l’engagement clair de revenir vers le Parlement pour un point d’étape exhaustif avant l’été, ce qui n’empêche nullement d’échanger d’ici là. Mais, soyez-en assurés, tous les travaux auront été entamés d’ici à l’été prochain.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui n’est en réalité pas nouveau, mais sa genèse en dit long sur l’intention de ses auteurs.
Apparu pour la première fois sous forme d’amendement à la loi de programmation militaire, il a été adopté par le Parlement, puis retoqué par le Conseil constitutionnel. Revenu sous forme d’amendement au PLF pour 2024, il a de nouveau été retoqué par le Conseil constitutionnel. Cette double tentative de cavalier législatif n’est pas anodine : c’est le symptôme d’une volonté de passer en douce, par effraction, pour faire main basse sur l’épargne populaire des Français.
Oui, nous assistons aujourd’hui à une tentative de flibusterie sur l’épargne réglementée. Vous souhaitez utiliser les encours non centralisés du livret A et du livret de développement durable et solidaire pour financer la BITD. Pour le dire simplement : financer les marchands de canons en prenant dans les livrets avec lesquels les Français pensaient financer le logement ou le développement durable !
L’industrie de défense est-elle au bord du gouffre ? La loi de programmation militaire adoptée voilà quelques mois prévoit un effort sans précédent, avec 413 milliards d’euros de budget pour les armées d’ici à 2030.
Notons que l’État a des participations dans la BITD, via l’agence des participations de l’État – cela représente tout de même 30 % de son portefeuille –, et que Bpifrance et la Caisse des dépôts ont également déjà des participations dans le secteur.
Notons également qu’il existe de nombreux fonds d’investissement publics ou privés et que l’État a mis en place de nombreux fonds dédiés, comme le régime d’appui à l’innovation duale (Rapid), l’accompagnement spécifique des travaux de recherches et d’innovation défense (Astrid) ou le fonds innovation défense (FID).
Notons enfin la création de l’AID, avec son guichet destiné à structurer la filière innovation défense.
Le résultat ? Une grande dynamique des commandes à l’export : 27 milliards d’euros en 2022, un chiffre inégalé !
Plus structurellement, le secteur de la défense a connu les mêmes évolutions que le reste de la sphère privée du pays : privatisation, financiarisation, recherche accrue du profit. La différence majeure avec les autres activités – chacun pourra le constater – est que le secteur reste biberonné de manière intense par la commande publique, notamment via la direction générale de l’armement.
Alors oui, malgré ce soutien massif, il subsiste, c’est vrai, un problème de financement. Il se situe, pour les entreprises de défense, dans le passage du stade de start-up à celui d’ETI ou de grand groupe. Et c’est ce que la proposition de loi prétend résoudre.
Toutefois, mes chers collègues, s’il y a un problème à ce sujet, c’est parce que l’investissement privé fait défaut. Ce sont les banques qui sont frileuses, principalement parce que l’industrie de défense n’est pas une activité qui entre dans les critères ESG. C’est donc avant tout un problème d’image et d’éthique, qui doit se régler avec les banques.
Pourquoi, si même les banques et les investisseurs privés sont réticents, serait-ce à l’épargne réglementée des Français de combler les trous ?
On a beaucoup parlé aussi des technologies duales, pour souligner les bénéfices apportés par le secteur de la défense. Mais si, dans les années 1950, la défense était le leader de l’innovation, avec 60 % du total des technologies portées à maturité du pays, le chiffre est tombé à 20 % aujourd’hui. C’est en fait l’inverse qui se passe ; ce sont les technologies civiles qui irriguent le secteur de la défense, dans le domaine des matériaux, de l’intelligence artificielle (IA) et de l’énergie. Dire qu’il y a un besoin vital de soutenir l’innovation défense pour le pays est donc globalement faux.
Rappelons que le livret d’épargne a été créé en 1818 pour reconstruire le pays après les ravages causés par les guerres napoléoniennes. Oui, le boucher de l’Europe à l’époque était français ! On est donc dans un esprit diamétralement inverse à celui de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui : il s’agit historiquement d’un outil financier créé par et pour la paix.
L’objectif principal du livret A, connu de tous, celui pour lequel ce produit reste populaire, c’est de financer le logement social. S’il faut réformer ou ajuster, il faut le faire vers l’augmentation de la recentralisation des encours pour soutenir ce secteur, au vu de la crise du logement que traverse le pays.
S’il y a une ouverture sur les encours, nous estimons bien plus urgent de flécher ceux-ci vers le logement plutôt que vers les marchands de canons.
Enfin, plus grave, le LDDS, qui finance la transition écologique, n’a rien à voir avec la défense et l’armement. Je répète ce que j’ai dit en commission : il s’agit d’un détournement de l’épargne des Français et d’une arnaque pure et simple, qui table sur l’ignorance de la population.
À ce titre, outre la suppression de l’article 1er, nous vous proposerons de renommer le LDDS, en précisant clairement sa nouvelle nature militaire. Vous en conviendrez, il y aurait tromperie sur la marchandise si nous gardions le titre actuel. Nous vous proposerons aussi une clause de revoyure, afin d’examiner le dispositif dans deux ans.
Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vos motivations sont quelque peu confuses. Parmi vos arguments figure en effet le conflit en Ukraine. Si l’enjeu est de soutenir l’effort de guerre ukrainien, alors il faut le dire et instaurer une clause de revoyure au regard de la situation sur place.
Nous en sommes convaincus : l’épargne réglementée des Français doit avoir comme seuls objectifs des objectifs vitaux pour le pays, à savoir loger les Français et faire face à la crise climatique. C’est pourquoi nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dès le 13 juillet 2022, le Président de la République Emmanuel Macron utilisait l’expression d’« économie de guerre ». À l’époque, il était inimaginable d’envisager l’envoi de troupes en Ukraine, comme d’engager la Nation dans l’ultime étape d’une escalade guerrière.
C’est dans ce contexte que se manifeste la volonté des droites, à l’Assemblée nationale et au Sénat, de mobiliser l’épargne des Français et des Françaises en faveur du financement des industries de défense et d’armement.
Dans notre histoire, les gouvernements ont déjà tenté de lancer des emprunts dits « patriotiques ». Financer la guerre au travers de souscriptions populaires est une vieille idée.
Avant la Première Guerre mondiale, le Gouvernement mobilisa l’épargne des capitalistes afin de financer l’effort de défense, au prix, bien évidemment, d’avantages considérables. Les « bons de la Défense nationale » ont permis au ministre des finances de l’époque d’affirmer devant la Chambre des députés, le 18 mars 1915 : l’argent « ne sort pas des coffres-forts ; il sort des plus humbles maisons, des plus petits porte-monnaie. Nous connaissons là nos clients ». Vous en conviendrez, on croirait davantage entendre un marchand de canons qu’un ministre.
Le député Christophe Plassard, auteur d’une proposition de loi identique à celle dont nous discutons, ne dit pas autre chose dans son rapport d’information : « L’économie de guerre inclut nécessairement une mobilisation des forces morales de la Nation. » La formulation est différente, mais la conclusion est la même.
Nous, pacifistes, le savons pourtant : on ne finance pas la paix en investissant dans la guerre. La guerre devient progressivement un marché privilégié, sans véritable maîtrise démocratique. Il nous faut non pas une industrie au service d’une guerre internationale, mais une industrie de défense et de dissuasion. Nous devons répondre aux stricts besoins de défense de notre territoire national, de nos armées et de nos services de renseignement.
Le projet guerrier sous-tendu par la marchandisation et la spéculation sur les ventes d’armes a fait de notre pays le troisième exportateur d’armes au monde, pour un montant de 49,9 milliards d’euros entre 2000 et 2022. Nous proposons de réduire la part du chiffre d’affaires à l’export de nos entreprises de défense à 30 %.
La souveraineté ne se décrète pas ; elle se construit sur un projet politique cohérent. C’est la raison pour laquelle nous proposons la mise en place d’un pôle public de l’armement, en renforçant les prises de participation dans des TPE-PME de la base industrielle et technologique de défense. Cela doit d’abord se faire via le bras financier de l’État, Bpifrance, en augmentant les crédits des fonds récemment créés, afin de permettre la prise d’une participation minoritaire, voire majoritaire si nécessaire.
Nous souhaitons également que la commande publique de la direction générale de l’armement irrigue davantage nos TPE-PME de la défense. Il n’est pas acceptable qu’en 2021, sur les 24 milliards d’euros d’achats du ministère des armées, seuls 11,74 milliards d’euros de commandes publiques aient bénéficié à notre industrie. Pire, les microentreprises et les PME industrielles n’ont capté que 538 millions d’euros.
La sous-traitance en cascade dilue les responsabilités et prive les TPE-PME de la valeur ajoutée ; c’est également vrai dans le secteur de la défense. Quoi de mieux que de produire et de vendre pour financer ses investissements ? L’argument de la frilosité des banques n’a par ailleurs jamais été démontré. Il ne l’a pas été davantage ce soir, non plus que l’impossibilité de mobiliser les fonds non centralisés pour le financement des industries de défense – rien ne confirme cela.
Les membres du groupe CRCE-K se posent en défenseurs de l’épargne populaire, au service de l’intérêt général, du logement et de la politique de la ville. Ils demandent que cette épargne soit de nouveau centralisée, à 100 % moins les coûts de collecte, à la Caisse des dépôts et consignations.
Les missions d’intérêt général doivent être sorties du secteur marchand. Quel parlementaire, quel citoyen, sait dire ce qu’ont financé les 622 milliards d’euros d’encours de prêts accordés aux PME sur les fonds non centralisés ? Si quelqu’un a la réponse, qu’il nous en fasse part, cela nous sera utile ! Cette opacité est incompatible avec l’intérêt général.
Le concours Lépine de la création de produits d’épargne connaît un regain sous l’impulsion du Gouvernement : plan d’épargne avenir climat, plan d’épargne retraite européen annoncé récemment, ou encore détournement de l’épargne populaire du financement de la transition écologique et de l’économie sociale et solidaire.
Ce projet est dangereux et fustigé par le gouverneur de la Banque de France lui-même, selon lequel il porterait « atteinte à l’unicité budgétaire et au choix annuel des priorités qui doit relever du Parlement. Il est préférable d’en rester à ce que l’épargne réglementée, qui est en France et de très loin la plus développée d’Europe, réalise bien ».
En responsabilité, notre groupe votera contre cette proposition de loi, qui nous semble inappropriée et dangereuse. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après bien des péripéties, nous voilà réunis aujourd’hui pour débattre du financement des entreprises de défense de l’industrie française.
Lors de l’examen en séance publique des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030, j’avais exprimé mes réticences, constatant que la création d’un véritable livret d’épargne de souveraineté destiné à financer la base industrielle et technologique de défense avait été remplacée par un fléchage des encours du livret A.
Ce choix était critiquable en pleine crise du logement, alors que les Français peinent à accéder à des logements à loyer modéré. Que chacun soit rassuré : en cosignant la proposition de loi de Pascal Allizard, j’ai non pas changé d’avis, mais assoupli ma position, avec comme ligne de conduite la seule promotion d’un lien fort entre la Nation et ses armées.
J’ai souhaité faire mienne, comme la majorité du groupe RDSE, cette citation de Nietzsche : « Atteindre son idéal, c’est le dépasser, même coupé. »
Mes chers collègues, ne sommes-nous pas ici dans la maison de la sagesse ? C’est la raison pour laquelle à rien j’ai préféré un peu, car ce peu permettra peut-être le mieux, à savoir un véritable livret de souveraineté de défense.
En tant que parlementaires, nous devons d’abord apprécier le contexte géopolitique et historique dans lequel les textes sont examinés. Or ce contexte a fortement évolué : avec l’invasion de l’Ukraine, la guerre est revenue aux portes de l’Union européenne.
Nous pouvons le déplorer ou feindre de l’ignorer, mais c’est une tragique réalité. Regretter que la paix par le droit ne soit plus qu’un vœu pieux, en soupesant nos aveuglements depuis la fin de la guerre froide, ne doit pas nous réduire à la procrastination.
Un relatif consensus s’était établi pour constater que notre outil de défense, comme dans bon nombre d’États, était a minima adapté à des temps de paix et de politiques interétatiques laissant place au dialogue et à la diplomatie.
En revanche, entrer dans une économie de guerre suppose, pour les entreprises de la BITD, et en particulier les PME, de disposer des fonds nécessaires, en complément d’un effort budgétaire réel, favorisé par d’importants investissements.
Si l’agression russe a réveillé l’Europe stratégique, la menace doit bousculer notre naïveté, aussi légendaire que nos inerties coupables. Plus que des paroles ou des discours, des financements pérennes rendront crédibles nos positions de fermeté.
C’est pourquoi j’assume la responsabilité de cosigner cette proposition de loi, ainsi que d’approuver les évolutions liées au fléchage sur le livret A. À cet égard, les garanties apportées par la commission des finances et précisées il y a quelques instants par M. le rapporteur me rassurent.
Ensuite, nul ne conteste que les entreprises de la défense, principalement les PME, connaissent des difficultés d’accès au crédit. Ces freins sont liés à la question de l’éthique de la fabrication des armes, laquelle serait, comme l’écrit si bien Pierre-Louis Boyer, « le piège contemporain de l’efficience morale ».
Cette vision morale peut se comprendre. Est-elle cependant acceptable et soutenable face à la montée des périls ? Voilà plusieurs décennies, François Mitterrand regrettait que les missiles soient à l’est et les pacifistes à l’ouest. Devrons-nous nous contenter d’être des professeurs de morale ?
Comment ne pas donner aux industriels comme à notre pays les outils permettant de financer un effort indispensable pour le secteur de la défense ? Nul ne peut oublier en effet que ce dernier crée des emplois, en même temps qu’il est un outil de notre sécurité.
Avec ce texte, nous offrons la possibilité aux épargnants français de donner sens à ce combat pour défendre nos valeurs et nos idéaux, malmenés et menacés par le cynisme et la force brutale de dirigeants dérangés et sans scrupules. Ils savent mieux que quiconque que l’argent est le nerf de la guerre.
En ouvrant ces possibilités de financement, nous ne laissons pas nos sentiments bellicistes l’emporter. Nous faisons simplement preuve, mes chers collègues, de cohérence. En ces temps incertains, c’est essentiel.
C’est donc avec bienveillance que le groupe RDSE se prononcera, à l’unanimité moins une abstention, en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. le rapporteur, ainsi que MM. Pascal Allizard et Alain Chatillon applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Ludovic Haye. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis une dizaine d’années, nous assistons dans notre pays à la création de nombreuses PME et start-up spécialisées dans la défense.
La BITD française regroupe aujourd’hui près de 2 000 entreprises, qui réalisent un chiffre d’affaires total de 30 milliards d’euros. Ces fleurons de la défense nationale occupent déjà une place majeure dans le processus de fabrication de nos armes et la création de l’AID, placée sous le contrôle de la DGA, n’y est pas étrangère.
Reconnues notamment pour leur qualité, ces pépites technologiques françaises suscitent déjà un fort intérêt chez les investisseurs étrangers. Certaines d’entre elles rencontrent toutefois des difficultés de financement qui entravent leur développement, malgré l’intervention de l’État pour assurer leur sécurité financière, via des contrats avec l’armée française. Preligens a ainsi signé un contrat de 240 millions d’euros sur sept ans avec la direction générale de l’armement.
Des sociétés comme Latecoere, Photonis, Aubert & Duval, Exxelia ou encore Segault sont déjà passées sous pavillon étranger, ce qui illustre les fragilités de notre pays en matière de financement et de protection des entreprises.
C’est la raison pour laquelle, lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, le Parlement a souhaité pallier cette anomalie en créant un « livret d’épargne souveraineté ». Les versements sur ce nouveau livret d’épargne réglementé devaient être affectés à l’acquisition de titres financiers contribuant au financement de l’industrie française, notamment des entreprises les plus fragiles.
Bien que de petite taille en comparaison d’autres secteurs industriels, les industries de défense françaises concentrent néanmoins un savoir-faire et un faire-savoir uniques, dont notre pays tire une grande partie de sa puissance militaire.
Cette filière d’excellence, non délocalisable, assure à la France une parfaite maîtrise de nombreuses technologies de pointe et se révèle cruciale pour garantir notre dissuasion nucléaire.
Voilà quelques mois, la chambre haute approuvait la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, non sans alerter sur la nécessité de soutenir les entreprises de la base industrielle et technologique de défense.
Le ministre des armées, M. Sébastien Lecornu, avait notamment parlé de la nécessité de donner de la visibilité à notre BITD, de la protéger et de la promouvoir. Il avait également exprimé son soutien aux dispositions proposées par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat pour développer des mécanismes visant à mieux financer ces entreprises, en particulier les PME.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit parfaitement dans ce contexte : elle prévoit, à l’article 1er, de flécher une partie des encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire. L’article 2, quant à lui, porte sur une demande de rapport d’évaluation.
Mes chers collègues, comme vous le savez, le Sénat avait déjà adopté ce type de disposition, une première fois dans le cadre de la loi de programmation militaire, puis une seconde fois dans le cadre de la loi de finances pour 2024.
Grâce aux alertes constructives et régulières de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, le sujet avait été introduit dans la LPM, et le Gouvernement avait ensuite repris la disposition dans la loi de finances pour 2024.
L’objectif de cette proposition de loi est clair : apporter une première réponse aux difficultés de financement des entreprises de l’industrie de défense française. Celles-ci sont en effet confrontées à des problèmes de financement qui sont le plus souvent communs à l’ensemble des petites entreprises, tous secteurs économiques confondus, et non pas propres au secteur de la défense.
Les besoins de financement des entreprises de la BITD sont nombreux. Permettez-moi de revenir sur les trois principaux.
Le premier – le plus important à mon sens, M. le rapporteur l’a rappelé – concerne les fonds propres, dont la faiblesse constitue une difficulté loin d’être réglée, qui affecte les entreprises de la BITD de manière très hétérogène. Force est de constater que le capital-investissement est aujourd’hui quasi inexistant dans le secteur de la défense en France et en Europe.
Le second besoin en découle : il s’agit de l’accès au crédit et au financement bancaire, point essentiel pour la trésorerie, la gestion des stocks et la modernisation des processus des entreprises.
À cet égard, alors qu’on observait jusqu’alors une certaine frilosité des banques, la guerre en Ukraine a permis un changement de paradigme. Il n’en demeure pas moins que la fragilité, ou la robustesse, financière de l’entreprise demandeuse reste un critère essentiel dans l’octroi de crédits. Autre critère, plus ou moins assumé : l’image que peut renvoyer le monde de la guerre et de l’armement, même si, dans ce domaine également, les choses s’améliorent.
Des efforts ont notamment été entrepris ces deux dernières années pour rapprocher l’industrie de la défense du monde bancaire. Les industriels ont souligné le rôle majeur joué par le réseau des référents défense au sein des grandes banques, en lien avec la DGA. Dans le même temps, certaines banques ont assoupli leur doctrine d’intervention dans le secteur de la défense.
Le troisième besoin, enfin, est l’accompagnement à l’export. Plusieurs outils ont été mis en place par la puissance publique pour accompagner les entreprises, par l’intermédiaire de garanties et d’assurances. Ces dispositifs sont gérés, au nom et pour le compte de l’État, par Bpifrance Assurance Export. S’ils sont ouverts à l’ensemble des entreprises, ils bénéficient plus particulièrement à celles de la défense.
Plus que jamais, la menace protéiforme internationale nous renforce, si cela était encore nécessaire, dans notre conviction qu’il faut soutenir concrètement notre industrie de défense.
Ce message n’a pas été seulement entendu par le Gouvernement. Il a heureusement été anticipé dès 2017, puisque nous aurons, au terme des deux mandats du Président de la République, plus que doublé le budget de la défense française.
L’industrie française de défense est bien placée pour contribuer au réarmement et au renforcement de la souveraineté européenne. Il est impératif de bien prendre conscience et de faire comprendre qu’une BITD forte assure à nos armées, en toute indépendance, la capacité de défendre nos intérêts partout où la France se doit d’intervenir.
Mes chers collègues, la France et l’Union européenne ont plus que jamais besoin d’une industrie de défense forte et performante. L’orateur Cicéron disait en son temps : « Quand les armes parlent, les lois se taisent. » Il nous incombe de faire en sorte que les lois parlent, afin d’en disposer : elles sont les garantes de notre sécurité et de notre liberté.
Vous l’aurez compris, le groupe RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions. – MM. Olivier Cigolotti et Philippe Folliot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Thierry Cozic. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour l’examen d’un texte visant à mobiliser une partie des ressources financières du livret A et du livret de développement durable et solidaire afin de soutenir les petites et moyennes entreprises du secteur de la défense.
Cette proposition soulève des enjeux majeurs qui touchent à la fois à nos priorités nationales et à nos valeurs démocratiques. Dans un monde multipolaire marqué par des tensions géopolitiques permanentes, la France, comme l’ensemble de ses voisins, se trouve confrontée à des défis sécuritaires de taille.
La guerre est de retour, en Europe comme au Moyen-Orient, et menace la souveraineté des nations. Ces troubles ont mis en lumière la nécessité impérieuse, pour notre pays, de renforcer ses capacités de défense.
Dans ce contexte, il est regrettable que notre industrie ne soit pas en mesure de répondre à la demande croissante d’équipements militaires. En dépit des nombreuses revendications quant à la supériorité de notre armée en Europe, notre effort de défense restera limité à 1,9 % du PIB en 2024, soit moins que l’objectif établi par l’Otan.
Je tiens à rappeler qu’en comparaison avec les pays européens, la France a réduit au minimum, ces dernières années, sa capacité à réagir souverainement aux conflits internationaux. Si la fin des dividendes de la paix nous presse d’agir pour garantir la sécurité de notre pays, elle ne doit pas faire oublier que cette situation est le résultat de choix politiques antérieurs.
Malgré la nécessité de ce réarmement, je m’interroge sur la pertinence du véhicule retenu pour le financer, tant ce dernier soulève des préoccupations légitimes.
Si je me réfère aux déclarations du ministre de l’économie, je note que le Gouvernement ne partage pas complètement les visées de ce texte. Sur les ondes d’une grande radio nationale, Bruno Le Maire est même allé jusqu’à déclarer : « Ce n’est pas mon choix. On peut trouver d’autres façons de financer l’effort de défense, qui est indispensable. Le livret A, pour moi, c’est le logement social. »
Une fois n’est pas coutume, je partage son point de vue. Modifier les objectifs originels du livret A sans mener au préalable un véritable débat démocratique détournerait cet outil de ses enjeux prioritaires. Cela risquerait, une fois de plus, d’abîmer la confiance des Français envers leurs représentants.
Le passage en économie de guerre, comme le revendiquent les auteurs de ce texte, est confiné au rang de mots dont on peine à comprendre les tenants et aboutissants concrets. Une telle mobilisation économique doit revêtir une certaine onction démocratique, tant elle redéfinirait les priorités nationales pour les mois et les années à venir.
Or notre pays vit une crise du logement qui ne cesse de s’aggraver : on dénombre aujourd’hui près de 4 millions de personnes mal logées et 330 000 personnes sans domicile. Dans le même temps, la France est condamnée pour inaction climatique et le Gouvernement rabote le budget dédié à l’écologie de 2 milliards d’euros d’investissements, en raison de prévisions de croissance pour 2024 volontaristes et erronées.
S’il est impératif d’admettre que la sécurité et la défense de notre pays sont des priorités indéniables, celles-ci ne peuvent supplanter des urgences nationales, au risque de les aggraver.
Par ailleurs, je m’interroge sur l’efficacité d’un tel dispositif. L’enjeu, en effet, me semble tout autre. C’est, en substance, ce que nous dit la Fédération bancaire française, quand elle déclare que l’industrie de l’armement ne fait pas l’objet d’une stigmatisation particulière de la part des banques, mais que ses difficultés tiennent plus à la nature même des normes imposées au financement des activités de ces entreprises. On peine à comprendre en quoi agir sur le volume et le flux changera quoi que ce soit.
Enfin, je tiens à rappeler que les investissements des Français en faveur du secteur de la défense sont d’ores et déjà en hausse. Au travers de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, dont l’enveloppe globale est estimée à 400 milliards d’euros, le ministre des armées a en effet annoncé un doublement des dépenses d’ici à 2030.
L’effort de défense doit donc être porté par d’autres outils financiers. Face à cet état de fait, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a déposé, sur l’initiative de Rachid Temal, un amendement tendant à créer un livret d’épargne défense souveraineté. Ce dispositif plus volontariste est nettement plus démocratique. Les entreprises du secteur de la défense, souvent victimes de la frilosité des banques à les financer, seraient aussi bien plus aptes à lever des fonds.
Face à un sujet aussi sensible, notre conviction profonde est celle de la nécessité d’une approche équilibrée, réaliste, et respectueuse de nos principes fondateurs.
En conclusion, le groupe SER déterminera son vote à la lumière du sort qui sera réservé à ses amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Barros applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marta de Cidrac. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la France fait partie des pays dont les taux d’épargne des ménages sont les plus élevés du monde.
Au troisième trimestre 2023, quelque 17,2 % du revenu disponible étaient ainsi épargnés. En affinant cette statistique, on constate que l’épargne réglementée des ménages atteint, sur la même période, un montant total de plus de 926 milliards d’euros.
Ces chiffres élevés sont une véritable spécificité française dont nous pouvons être fiers. Cela étant, si l’épargne des Français est l’une des plus importantes du monde, sa mobilité et sa performance posent question. Nos compatriotes plébiscitent majoritairement les placements prudents : épargne réglementée ou fonds en euros des contrats d’assurance vie.
S’il ne nous appartient pas, en tant que législateurs, de changer les comportements de nos compatriotes, nous pouvons néanmoins agir sur la mobilité de ce capital. Au-delà de l’aspect purement financier, l’épargne française est un atout qui peut et doit être mis au service de notre souveraineté. Certains grands gestionnaires d’actifs ne s’y trompent d’ailleurs pas en convoitant une manne financière qu’il leur tarde de faire vivre ailleurs.
Citons aussi ces pays qui ont constitué des fonds souverains, aujourd’hui opérationnels et offensifs : Russie, Chine, Arabie saoudite, Qatar et Norvège. Ces structures sont devenues de véritables instruments de puissance dont leur État d’origine n’hésite pas à faire usage.
Face à ces enjeux mondiaux, les pouvoirs publics, et plus particulièrement le législateur, doivent s’emparer du sujet. Nous devons faire de cette spécificité française un atout au service de nos petites et moyennes entreprises de l’industrie de défense.
Un constat est aujourd’hui sans appel : contrairement à nos fleurons industriels, le tissu de TPE, PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui composent aujourd’hui la base industrielle et technologique de défense française manque de fonds propres.
Nombreuses sont d’ailleurs ces entreprises, détentrices de savoir-faire uniques au monde, à faire de la sous-traitance pour de grands groupes. Améliorer leur capacité de financement représente non seulement un enjeu économique en termes d’emplois et de savoir-faire industriels, mais aussi un enjeu pour la souveraineté française.
Avec d’insuffisantes ressources propres, nos petites et moyennes entreprises de la défense sont plus que jamais exposées à des menaces de rachats hostiles ou de prises de participation étrangères, comme cela a été rappelé. Je pense par exemple à la pépite française Photonis, qui a longtemps été sous la menace d’un rachat par un groupe américain.
Certes, le dispositif de contrôle des investissements étrangers assure un tamis protecteur, mais il n’est pas automatique et a déjà été pris en défaut par le passé.
Très souvent, le blocage de Bercy pour les petites et moyennes entreprises est la conséquence indirecte de difficultés à croître au même rythme que la concurrence étrangère.
Face au retour de la guerre en Europe et aux nombreux périls ailleurs dans le monde, le développement de notre BITD est donc indispensable. Derrière ces enjeux économiques et financiers, il est en effet question de l’équipement de nos armées.
Depuis plusieurs décennies, la France a choisi une voie étroite, mais courageuse : celle de l’indépendance. Le prix à payer est de soutenir coûte que coûte notre BITD, afin de conserver les moyens d’une armée aux équipements et aux armements modernes. Si cela venait à faillir, nous serions obligés de faire comme nombre de nos voisins européens : acheter à l’étranger, au prix d’une perte d’indépendance et d’autonomie stratégique.
Ainsi se profile l’équation à laquelle nous devons sans cesse trouver de nouveaux moyens de répondre. La présente proposition de loi devrait y contribuer et, à ce titre, je me réjouis de l’initiative de notre collègue Pascal Allizard.
En Européenne convaincue mais vigilante, je souhaiterais également élargir le spectre de la réflexion. Avec le retour de la guerre à ses frontières, l’Union européenne avance ses arguments pour remettre en état une défense européenne.
Plusieurs dispositifs ont été lancés par la Commission en ce sens et les montants affectés s’envolent. L’European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act (Edirpa), par exemple, est déjà doté de 300 millions d’euros. De récentes déclarations font état, par ailleurs, d’une montée en gamme, à hauteur de 100 milliards d’euros, de la défense européenne. En complément du texte que nous examinons, c’est un soutien dont notre tissu de petites et moyennes entreprises pourrait profiter.
Les critères d’attribution de ces aides devront privilégier des entreprises 100 % européennes, un critère qu’il est difficile de discerner en raison du jeu des participations et des logiques conglomérales. De même, rien n’est encore dit sur d’éventuels critères de préférence communautaire dans les contrats de fourniture.
Saluons la volonté, mais restons prudents et fidèles à notre stratégie d’indépendance. Soyons pragmatiques et faisons bon usage également de nos différents instruments. En un mot, votons sans ambiguïté cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà une semaine, le Président de la République déclarait que l’envoi de troupes occidentales sur le sol ukrainien ne pouvait être exclu. Depuis, exégèses et polémiques se multiplient, en France et même au-delà de nos frontières.
Force est de constater que l’exécutif a atteint son objectif : l’ambiguïté stratégique bat son plein. Une telle ambiguïté peut être lourde de conséquences, bien sûr, mais n’oublions pas que c’est Poutine, et lui seul, qui est le responsable de la guerre d’agression en Ukraine.
Une chose est sûre : pour entretenir cette ambiguïté stratégique, mieux vaut avoir de solides arguments, des arguments suffisamment robustes pour faire douter les puissances, qui, à défaut d’être nos ennemis directs, sont les ennemis de nos alliés. C’est pourquoi nous sommes très nombreux, ici, à soutenir le réarmement du pays.
Nous l’avons récemment exprimé de façon univoque en votant, très largement, la loi de programmation militaire présentée par le Gouvernement. Avec plus de 400 milliards d’euros de dépenses prévues pour la période 2024-2030, l’effort est sans précédent. Je tiens, au nom du groupe Les Indépendants, de nouveau à le saluer.
Le contexte international nous oblige à cet effort. Alors qu’une nouvelle aide des États-Unis est bloquée par leur Congrès, les Européens prennent conscience du fait qu’ils pourraient bientôt être les seuls à soutenir, matériellement et moralement, l’Ukraine.
En ce jour de Super Tuesday outre-Atlantique, Trump est en passe d’être désigné candidat officiel des Républicains pour la présidentielle de novembre prochain, et il a déjà recommencé à faire de la géopolitique à coups de tweets expéditifs annonçant notamment la fin du soutien américain à l’Europe face à la Russie.
Les Européens se rappellent désormais que, pour maîtriser leur destin, il faut que leurs nations se réarment. À cet égard, il est urgent de marquer le coup.
Nous devons entrer en économie de guerre : la puissance publique doit intervenir dans le secteur économique pour indiquer les priorités stratégiques nécessaires au réarmement de la Nation. Notre commissaire européen, Thierry Breton, a déjà recouru à cette expression, dont il connaît parfaitement la portée.
L’économie de guerre, c’est aussi le titre utilisé par notre collègue député Christophe Plassard, dont je salue la présence en tribune, pour son rapport d’information publié il y a près d’un an. Ce rapport, parmi nombre de propositions d’action très concrètes, recommandait, notamment, de mobiliser l’épargne privée pour massifier les financements de l’industrie de la défense.
Depuis, l’idée a fait son chemin, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Elle a même été retenue par le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2024. Néanmoins, elle n’a pas encore trouvé son véhicule législatif. En effet, à chaque fois qu’une disposition en ce sens a été adoptée dans un texte de loi, celle-ci a été censurée par le Conseil constitutionnel, au motif qu’il s’agissait d’un cavalier législatif.
C’est pourquoi je me réjouis que nous examinions enfin un véhicule législatif ad hoc, ce qui devrait permettre d’éviter que la mesure ne connaisse encore le même sort.
La mobilisation de l’épargne des Français doit devenir un outil de politique publique en phase avec nos objectifs stratégiques. C’est ce que le groupe Les Indépendants a déjà défendu à plusieurs reprises, et encore récemment avec l’adoption de ma proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises.
Cela est encore plus vrai depuis la crise sanitaire, la « surépargne covid » n’ayant pas disparu. Aujourd’hui, je le rappelle, les encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire avoisinent les 550 milliards d’euros. Au vu de notre endettement public, cette manne privée est considérable.
À titre personnel, il me semble que la création d’un livret spécifique dédié au financement des entreprises de la défense aurait le mérite de la clarté et de la transparence pour les épargnants citoyens. C’est la ligne que notre groupe avait défendue dans ses différentes propositions qui prévoyaient de mobiliser l’épargne privée vers d’autres objectifs.
Cependant, compte tenu de l’urgence de la situation, il me semble que la solution la plus efficace à court terme doit être privilégiée. C’est pourquoi la mobilisation d’une partie de l’enveloppe d’ores et déjà prévue pour le financement des entreprises nous paraît être, à ce stade, la mesure la plus pertinente.
Notre groupe accueille donc très favorablement cette proposition de loi. Je vous présenterai tout à l’heure deux amendements qui s’inscrivent dans la même logique et qui visent à accélérer le passage à une véritable économie de guerre. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Michel Canévet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste tient à souligner les différents paradoxes de la situation.
En effet, nous examinons ce texte alors que nous venons de voter une loi de programmation militaire pour la période 2024 à 2030, après une loi précédente qui avait déjà largement accru les moyens dédiés à la défense.
La situation internationale se caractérise par des conflits géopolitiques un peu partout autour de nous. Les questions de défense prennent donc une importance toute particulière. Au niveau de l’Union européenne, on assiste à une réelle prise de conscience de la nécessité d’améliorer les outils de défense. À cet égard, le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, est venu dire au Sénat combien l’Europe soutenait l’accroissement de l’effort des industries de défense dans les États membres, de façon à assurer une forme de dissuasion et à respecter nos engagements de fourniture d’armes.
Le paradoxe, c’est que nous sommes dans une période où les critères ESG prennent de plus en plus d’importance, dans le cadre plus global du développement durable. Quand on analyse la situation, on se rend compte que la prise en compte de ces critères empêche un certain nombre d’acteurs financiers d’accompagner comme ils le devraient, et comme c’est leur mission, les projets de développement dans le domaine de la base industrielle et technologique de défense.
Tel est le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui : comment trouver les outils adéquats pour assurer ce financement ? Je tiens à saluer la proposition de Pascal Allizard. D’autres l’ont dit avant moi, le recours aux livrets réglementés n’est sans doute pas la meilleure solution. Car il faut que nous puissions assurer également le financement d’autres secteurs, comme le logement social, même s’il est bien précisé que c’est sur la partie non concernée par celui-ci que se porterait l’effort d’orientation des crédits.
Nous devons tout de même trouver le moyen de financer de façon beaucoup plus durable les besoins de la BITD. À cet égard, je salue l’initiative du rapporteur Dominique de Legge, et je remercie Mme la ministre d’avoir répondu par avance à la proposition de ce dernier de transmettre au Parlement les éléments permettant de mieux appréhender le sujet.
Je dois reconnaître que le Gouvernement est déjà largement intervenu, notamment par Bpifrance, pour renforcer les fonds propres des entreprises de la BITD, mais il reste encore beaucoup à faire pour accompagner les projets. Nous le savons bien, les investissements dans la recherche en matière de défense profitent également à l’ensemble des entreprises du secteur civil. Cela est observé un peu partout, y compris en France, notamment dans le domaine maritime. Il faut donc encourager cet effort.
Quels seraient les meilleurs moyens de financement pour accompagner les besoins de notre BITD ? Peut-être faudrait-il s’orienter vers l’assurance vie, la collecte de janvier dernier ayant été importante – près de 16 milliards d’euros. Il y a là une voie à explorer, mais je ne veux pas anticiper les propositions que pourra faire le Gouvernement. Mon collègue Olivier Cigolotti complétera tout à l’heure la position du groupe Union Centriste sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite d’abord remercier Pascal Allizard pour le dépôt de cette proposition de loi, qui nous permet d’avoir ce soir un débat fort intéressant sur la question du financement de la base industrielle et technologique de défense.
Pour présenter la position du groupe socialiste, j’organiserai mon propos autour de trois points : la nécessité, la cohérence et la pédagogie.
La nécessité, d’abord : après avoir voté la loi de programmation militaire, il nous faut travailler sur la BITD afin de permettre à notre pays d’être toujours puissant et fort dans le monde, et de garder son rang au niveau international, de garantir notre autonomie stratégique, d’avoir demain un rapport plus sain avec l’Otan et surtout de faire en sorte que l’Europe soit plus forte avec la France – le seul État membre doté de l’arme nucléaire.
D’autres l’ont dit avant moi, la parenthèse « heureuse » qui s’était ouverte à la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec l’ONU pour réguler les relations internationales, s’est refermée : dorénavant, la guerre, avec la question du rapport de force militaire, redevient en quelque sorte une norme. C’est un véritable retour en arrière.
Enfin, il faut une BITD puissante pour aller jusqu’au bout de la loi de programmation militaire que nous avons votée collectivement. C’est une façon de développer l’emploi dans de nombreuses entreprises, tout en faisant en sorte que nos forces armées aient les moyens nécessaires, demain, de mener des combats. C’est également un moyen d’améliorer nos exportations, ce qui n’est pas inintéressant dans notre situation, et de prendre toute notre part dans un secteur concurrentiel, y compris face à nos alliés. Aussi, il me paraît essentiel de mener ce travail.
La cohérence, ensuite : au-delà de ce qui a été fait par Pascal Allizard, je souhaite saluer le travail fait à ses côtés par Michel Boutant, Yannick Vaugrenard et Gisèle Jourda, qui est ici ce soir.
M. Pascal Allizard. Très bons travaux !
M. Rachid Temal. Notre groupe a d’ailleurs déposé une proposition de loi, fondée sur les travaux réalisés par le Sénat, relative au financement de la BITD.
Je rappelle qu’à la base des réflexions de notre assemblée sur le sujet figure en effet la création d’un livret d’épargne défense souveraineté. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé des amendements en ce sens sur le texte dont nous discutons aujourd’hui. Cela serait, me semble-t-il, une option plutôt intéressante pour le Gouvernement.
Pourquoi ne pas avancer maintenant, me rétorquerez-vous ? J’ai entendu les arguments de certains de mes collègues, non pas uniquement sur le logement social, mais sur la clarté et la transparence que nous devons aux Français.
J’en viens donc à la pédagogie. L’avantage du livret d’épargne défense souveraineté que nous proposons dans un amendement, c’est qu’il permettrait aux Français, avec leur épargne, non seulement d’assurer leur avenir – c’est le rôle même de l’épargne –, mais également de protéger leur pays. Nous ferions un travail pédagogique auprès de nos concitoyens pour leur dire que tout euro investi dans ce produit permettrait de préparer leur défense.
C’est pourquoi nous souhaitons que le Gouvernement mette en discussion cette proposition de livret dédié dans le cadre des travaux qu’il s’est engagé à mener d’ici à l’été.
Madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a indiqué mon collègue Thierry Cozic, notre vote dépendra du sort qui sera réservé à nos amendements.
Pour conclure, et puisque chaque orateur fait une citation (Sourires.), j’évoquerai non pas François Mitterrand – même si je partage ce qu’a dit mon ami Jean-Noël Guérini –, mais Jean Jaurès, qui, dans un livre peu connu de 1911, L’Armée nouvelle, évoquait son pacifisme, mais soulignait la nécessité de se défendre et de combattre pour rétablir la paix. C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de saluer en préambule le travail du rapporteur de la commission des finances, Dominique de Legge, et de remercier Pascal Allizard, l’auteur de cette proposition de loi sur ce sujet sensible et si important du financement des entreprises de défense françaises, ainsi que tous les collègues qui ont cosigné le texte.
Lors de nos travaux en commission des finances, Pascal Allizard a rappelé qu’il s’agissait d’un travail de longue haleine, entamé voilà quatre ans, et a évoqué la dernière loi de programmation militaire, que connaissent bien nos collègues tant de la commission des finances que de celle des affaires étrangères.
Pour préparer son rapport, d’une grande qualité, Dominique de Legge s’est appuyé sur de nombreuses auditions : direction générale du Trésor, direction générale de l’armement, Banque de France, Bpifrance, Caisse des dépôts et consignations, Fédération bancaire française, Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (Gicat), ainsi que les représentants des entreprises adhérentes au Gicat.
M. le président de la commission des affaires étrangères nous a donné des informations en commission sur l’importance de la BITD : 4 000 entreprises, dont beaucoup de PME et ETI ; 200 000 emplois directs, et près de 400 000 avec les nombreux emplois indirects, notamment dans les entreprises sous-traitantes. Je dirai modestement que nous apprenons tous les jours…
Le dispositif prévu par le texte consiste en un fléchage d’une partie des encours non centralisés du livret A et du livret de développement durable et solidaire vers le financement des entreprises, petites et moyennes notamment, de l’industrie de défense française. Cette proposition de loi, qui va dans le bon sens, permettra de soutenir l’économie de notre pays et nos exportations, et de conforter le savoir-faire de nos entreprises.
Avec mes collègues du groupe Les Républicains, nous soutiendrons donc ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la capacité de la France à défendre ses intérêts en toute indépendance exige une base industrielle et technologique de défense forte et ambitieuse.
Alors que les industries de défense françaises représentent plus de 4 000 entreprises et totalisent un chiffre d’affaires de près de 30 milliards d’euros, notre BITD fait face à des difficultés de financement qui pourraient entraver, à la fois, son développement et son avenir.
Ces entreprises – grands groupes, start-up ou PME – représentent plus de 200 000 emplois de haute technicité, non délocalisables. Elles participent également au dynamisme économique de nos territoires et permettent d’y maintenir compétences et emplois.
La France a fait le choix, malgré de nombreuses contraintes budgétaires, de préserver et de renforcer un modèle d’armées complet, choix qu’elle a réaffirmé lors de l’élaboration et de l’examen de la dernière loi de programmation militaire.
Une filière industrielle résiliente est donc nécessaire pour soutenir ce modèle.
Même si le soutien de l’État et son rôle historique restent centraux, les difficultés s’accumulent : l’accès aux prêts bancaires demeure difficile et les fonds d’investissement dédiés à la défense sont trop peu nombreux. Ainsi, la capacité à obtenir des financements adaptés aux besoins est aujourd’hui au cœur des inquiétudes relayées par les armées et les industriels.
Par ailleurs, la concurrence mondiale se durcit, avec des entreprises extracommunautaires souvent très soutenues par leurs États.
Les entreprises françaises de l’armement suscitent de plus un fort intérêt de la part d’investisseurs étrangers qui cherchent à en prendre le contrôle. Je pense notamment à l’entreprise Latecoere dernièrement.
Afin de répondre aux inquiétudes des entreprises du secteur et particulièrement des PME et TPE, le Sénat avait voté la création d’un livret souveraineté lors de l’examen de la loi de programmation militaire, l’été dernier. À l’issue de la commission mixte paritaire (CMP), un accord avait été trouvé pour que soit fléchée vers ces entreprises une partie des ressources du livret A et du livret de développement durable et solidaire.
Cependant, à la faveur de l’examen d’un recours de députés d’opposition concernant la loi de programmation militaire, le Conseil constitutionnel s’est saisi d’office d’une dizaine d’articles. Ces derniers ont été censurés au titre de l’article 45 de la Constitution. Ce fut notamment le cas de l’article 52 portant sur le financement de ces entreprises de la défense.
Avec ce texte, il s’agit de réintroduire, en le réparant, le dispositif qui avait fait consensus à l’époque. Les tentatives visant à fluidifier les relations entre le monde bancaire et l’industrie de défense ne donnent pas, à ce jour, entière satisfaction. C’est pourquoi, madame la ministre, cette proposition de loi nous paraît pertinente et nécessaire pour soutenir cette filière d’excellence au service de l’indépendance de notre BITD et de notre souveraineté nationale.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà plus de deux ans que l’Europe connaît de nouveau la guerre sur son sol. Plus de deux ans pendant lesquels la France est venue en aide à l’Ukraine en lui fournissant un appui matériel, dont l’impact économique pour notre pays n’est pas négligeable.
Nous réalisons aujourd’hui le retard immense accumulé par la France dans le financement de ses armées et de leurs équipements, et ce dans un contexte d’économie de guerre.
Les auteurs de la proposition de loi que nous examinons ont cherché à dégager des solutions concrètes pour rattraper, au moins en partie, notre retard. Ce texte est la meilleure des solutions d’attente, celle qui peut nous permettre d’effectuer la meilleure transition possible vers un modèle plus durable d’économie de la défense.
Fruit du travail de notre collègue Pascal Allizard et de l’expertise conjointe des deux commissions concernées, la proposition de loi vise à apporter, immédiatement, une première réponse à nos difficultés structurelles de financement.
Plus que jamais, nos entreprises de défense, majoritairement des PME, doivent changer de modèle économique. Elles doivent monter en cadence pour faire face à la demande croissante, liée non seulement au conflit ukrainien, mais également aux besoins futurs de notre pays, dans l’éventualité où cette guerre viendrait malheureusement à se généraliser.
L’esprit de ce texte est largement détaillé dans son article 1er : il s’agit de dépasser les problématiques de nos entreprises que constituent le manque de fonds propres et la dépendance aux exportations. Dans un contexte de réarmement de l’Union européenne face aux nouvelles menaces, les auteurs de la proposition de loi entendent garantir le financement, et donc la souveraineté, de nos pépites technologiques de défense.
L’article 1er prévoit ainsi la possibilité de fléchage d’une partie des ressources collectées au titre du livret A et du livret de développement durable et solidaire vers le financement des PME et entreprises de taille intermédiaire de la BITD.
Portée de manière transpartisane, et adoptée par le Sénat dans le cadre de l’examen du projet de loi de programmation militaire, cette mesure indispensable avait pourtant été censurée par le Conseil constitutionnel, lequel estimait qu’il s’agissait d’un cavalier législatif. Adoptée par le Sénat dans le projet de loi de finances 2024, elle a de nouveau été censurée, cette fois-ci parce qu’elle constituait un cavalier budgétaire.
L’article 2 du texte prévoit la remise par le Gouvernement d’un rapport évaluant le dispositif, afin non seulement d’appréhender son efficacité, mais également de réfléchir à l’opportunité de mettre en place un produit d’épargne spécifique dédié au financement des entreprises de défense.
Sur proposition du rapporteur de la commission des finances, la date de remise de ce rapport a été avancée d’un an afin de maintenir l’écosystème sous tension. Il est en effet absolument indispensable d’avancer rapidement dans ce domaine : plus nous attendrons, plus nous serons exposés aux conséquences d’un financement inadapté.
Mes chers collègues, ce texte est gage de sagesse. Il l’est d’autant plus au moment où certains cherchent, à dessein ou non, à nous engager toujours plus avant dans une démarche cobelligérante qui nous serait fatale.
Au moment où le conflit ukrainien entre dans une nouvelle phase, cette proposition de loi constitue un apport direct et efficace à la loi de programmation militaire, que nous avons largement adoptée l’année dernière.
Elle permettra, en complémentarité avec cette dernière, d’inciter au mieux nos entreprises, les acteurs publics et les partenaires privés à avancer main dans la main pour assurer la pérennité de la défense française. Telle est la condition pour préserver notre souveraineté face aux nouvelles menaces extérieures qui affectent notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative au financement des entreprises de l’industrie de défense française
Article 1er
Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° L’article L. 221-5 est ainsi modifié :
a) Le troisième alinéa est remplacé par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Les ressources collectées par les établissements distribuant le livret A ou le livret de développement durable et solidaire et non centralisées en application des premier et deuxième alinéas sont employées par ces établissements :
« 1° Au financement des petites et moyennes entreprises, notamment pour leur création et leur développement. La part des ressources consacrée au financement de la base industrielle et technologique de défense est fixée par arrêté du ministre chargé de l’économie ;
« 2° Au financement de projets contribuant à la transition énergétique ou à la réduction de l’empreinte climatique ;
« 3° Au financement des personnes morales relevant de l’article 1er de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire.
« En outre, chaque année, lorsque le montant total des sommes déposées sur les livrets A et les livrets de développement durable et solidaire et non centralisées par la Caisse des dépôts et consignations augmente, l’établissement de crédit concerné doit consacrer au moins les trois quarts de l’augmentation constatée à l’attribution de nouveaux prêts aux petites et moyennes entreprises. » ;
b) (nouveau) Au cinquième alinéa, les mots : « mentionnées au troisième alinéa » sont supprimés ;
2° (nouveau) La quatrième ligne du tableau du deuxième alinéa du I des articles L. 742-11, L. 743-11 et L. 744-11 est ainsi rédigée :
« |
L. 221-5, à l’exception de ses troisième à septième et de son neuvième alinéas |
la loi n° … du … relative au financement des entreprises de l’industrie de défense française |
» |
M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli, sur l’article.
M. Akli Mellouli. En novembre dernier, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a réagi à la proposition dont nous discutons en affirmant que, pour lui, le livret A, « c’est le logement social », et qu’il fallait trouver d’autres façons de financer l’effort de défense. Une fois n’est pas coutume, je partage l’avis du ministre.
Le texte prévoit désormais de modifier le fléchage des encours non centralisés du livret A et du livret de développement durable et solidaire. Malgré cela, j’estime que la philosophie première du livret A doit être maintenue : celui-ci doit continuer à financer exclusivement les besoins sociaux et écologiques, conformément à sa vocation première, a fortiori dans un contexte où la lutte contre le dérèglement climatique n’est pas à la hauteur des enjeux et où la crise du logement s’aggrave.
Aujourd’hui, ce sont plus de 4 millions de Français qui souffrent quotidiennement du mal-logement. Sur la dernière décennie, le nombre de ménages demandeurs de logements sociaux a augmenté de plus d’un million, alors que l’offre de HLM disponibles est restée relativement stable. Par ailleurs, nous recensons 330 000 personnes sans domicile fixe. Derrière ces chiffres, qui reflètent la crise alarmante du logement, ce sont des femmes, des hommes et des enfants qui vivent dans la promiscuité.
Ma position est claire, mes chers collègues : pas le moindre centime ne doit manquer pour venir en aide à nos concitoyens qui peinent à se loger dignement. J’irai même plus loin : l’effort n’est pas suffisant !
Par ailleurs, concernant le dérèglement climatique, les fonds et les efforts sont, là aussi, loin d’être suffisants. Pourtant, nous savons pertinemment que la transition écologique nécessite de mobiliser le maximum de moyens pour financer les actions nécessaires.
Je ne nie ni les difficultés et le besoin de financement que rencontrent certaines petites et moyennes entreprises du secteur de la défense ni le caractère hautement stratégique de celles-ci pour la Nation. Mais d’autres pistes existent. Penchons-nous, par exemple, mes chers collègues, sur la chaîne de valeur dans l’industrie de défense ou réfléchissons ensemble à des dispositifs nouveaux.
Pour nous, changer la philosophie du livret A, qui est, j’y insiste, de financer les besoins sociaux et écologiques – une philosophie à laquelle les Françaises et les Français sont très attachés – n’est pas la solution. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par MM. Dossus et G. Blanc, Mme Senée, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Mon collègue a déjà cité des chiffres, mais je vais en ajouter quelques-uns : 4,2 millions de personnes non ou mal logées ; 12 millions de personnes fragilisées par la crise du logement ; 1 million de personnes vivant en habitat indigne ; 2,5 millions de ménages en attente d’un logement social. Voilà ce dont nous devrions parler à la faveur d’une proposition de loi qui concerne le livret A. Voilà l’urgence qui frappe notre pays. Voilà l’indignité collective qu’il faudrait corriger par l’utilisation des fonds de ce livret.
Je poursuis : 39 % des logements ont un diagnostic de performance énergétique de classe E, F ou G ; le tarif de base de l’électricité pour les ménages a augmenté de 9,8 % en 2024 ; la facture énergétique pour le logement des ménages est en moyenne de 1 700 euros. Voilà aussi ce dont nous devrions parler dans ce texte. Voilà ce qui pèse dans la crise climatique et dans le budget des Français. Voilà ce qui devrait être l’objectif du LDDS.
Au lieu de cela, nous nous apprêtons aujourd’hui à ponctionner l’épargne des Français pour une industrie qui bénéficie par ailleurs de largesses inégalées de la part de l’État et de ses opérateurs, comme je l’ai expliqué lors de la discussion générale. C’est pour éviter cette flibusterie visant l’épargne populaire que nous vous proposons de supprimer l’article 1er de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique de Legge, rapporteur. Il est bien évidemment défavorable, dans la mesure où l’adoption de l’amendement viderait la proposition de loi de l’essentiel de son contenu, ce qui va à l’encontre de la position de la commission.
S’y ajoute une seconde raison : pour défendre votre amendement, mon cher collègue, vous évoquez le logement social, sujet extrêmement intéressant, qui mérite toute notre attention. Seulement, les dispositions de l’article 1er n’y ont nullement trait et n’affectent en rien les fonds qui lui sont consacrés, comme cela a été rappelé au cours de la discussion générale. Je vous invite à relire le dispositif de cet article.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire au nom du Gouvernement, le fléchage des encours du livret A et du LDDS ne nous semble pas être la réponse la plus adaptée aux difficultés que nous avons ensemble identifiées.
C’est pourquoi, par cohérence, le Gouvernement s’en remet sur cet amendement à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. L’amendement n° 13, présenté par MM. Temal, Cozic, Kanner et Raynal, Mmes Blatrix Contat, Briquet, Carlotti et Conway-Mouret, MM. Darras et Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas et Lurel, Mme G. Jourda, MM. P. Joly, Marie, M. Vallet, Vayssouze-Faure et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Après la section 7 ter du chapitre Ier du titre II du livre II du code monétaire et financier, est insérée une section 7 quater ainsi rédigée :
« Section 7 quater
« Livret d’épargne défense souveraineté
« Art. L. 221-34-5. – Le livret d’épargne défense souveraineté est ouvert par les personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France.
« Ce livret peut être proposé par un établissement de crédit ou une entreprise d’investissement qui s’engage à cet effet par convention avec l’État.
« Une même personne ne peut être titulaire que d’un seul livret. Un livret ne peut avoir qu’un titulaire.
« Le livret d’épargne défense souveraineté peut recevoir des versements en numéraire à compter de son ouverture dans la limite d’un plafond fixé par arrêté du ministre chargé de l’économie.
« Un décret en Conseil d’État détermine les modalités de fonctionnement du livret d’épargne défense souveraineté et notamment ses conditions d’ouverture et ses modalités de gestion.
« Art. L. 221-34-6. – Les versements dans un livret d’épargne défense souveraineté sont affectés à l’acquisition de titres financiers contribuant au financement de l’industrie de défense française.
« Les titres dans lesquels le livret d’épargne défense souveraineté peut être investi, les principes d’allocation de l’épargne auxquels il est soumis et les stratégies d’investissement qu’il peut proposer sont définis par arrêté conjoint du ministre chargé de l’économie et du ministre de la défense. » ;
2° Le livre VII est ainsi modifié :
a) Après la sous-section 1 bis de la section 2 du chapitre II du titre IV du livre VII, est insérée une sous-section 1 ter ainsi rédigée :
« Sous-section 1 ter
« Livret d’épargne défense souveraineté
« Art. L. 742-12-2. – Sont applicables en Nouvelle-Calédonie les articles mentionnés dans la colonne de gauche du tableau ci-après, dans leur rédaction indiquée dans la colonne de droite du même tableau :
«
Articles applicables |
Dans leur rédaction issue de |
L. 221-34-5 et L. 221- 34-6 |
La loi … n° … du relative au financement des entreprises de l’industrie de défense française |
» ;
b) Après la sous-section 1 bis de la section 2 du chapitre III du titre IV, est insérée une sous-section 1 ter ainsi rédigée :
« Sous-section 1 ter
« Livret d’épargne défense souveraineté
« Art. L. 743-12-2. – Sont applicables en Polynésie française les articles mentionnés dans la colonne de gauche du tableau ci-après, dans leur rédaction indiquée dans la colonne de droite du même tableau :
«
Articles applicables |
Dans leur rédaction issue de |
L. 221-34-5 et L. 221- 34-6 |
La loi n° … du … relative au financement des entreprises de l’industrie de défense française |
» ;
c) Après la sous-section 1 bis de la section 2 du chapitre IV du titre IV est insérée une sous-section 1 ter ainsi rédigée :
« Sous-section 1 ter
« Livret d’épargne défense souveraineté
« Art. L. 744-11-2. – Sont applicables dans les îles Wallis et Futuna les articles mentionnés dans la colonne de gauche du tableau ci-après, dans leur rédaction indiquée dans la colonne de droite du même tableau :
«
Articles applicables |
Dans leur rédaction issue de |
L. 221-34-5 et L. 221- 34-6 |
La loi … n° … du relative au financement des entreprises de l’industrie de défense française |
» ;
II. – Après le 7° quater de l’article 157 du code général des impôts, il est inséré un 7° … ainsi rédigé :
« 7° … Les intérêts des sommes déposées sur les livrets d’épargne défense souveraineté ouverts dans les conditions prévues aux articles L. 221-34-5 et L. 221-34-6 du code monétaire et financier ; ».
III. – …. – Pour compenser la perte de recettes résultant du II, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
IV. – La présente loi entre en vigueur six mois après sa promulgation.
La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. L’objet de cet amendement est assez simple, comme je l’ai expliqué dans la discussion générale, et je pense que cette proposition est susceptible d’aider Mme la ministre.
Par cohérence, et dans la continuité des travaux du Sénat et, notamment, des propositions de Pascal Allizard que nous avons soutenues à l’occasion de l’examen de la LPM 2024-2030 – ces propositions avaient alors recueilli l’assentiment d’une large partie de cet hémicycle –, nous proposons de substituer aux dispositions actuelles de l’article 1er la création d’un livret d’épargne défense souveraineté, qui permettrait aux Français de dire très clairement qu’ils veulent protéger leur pays par le moyen de leur épargne, en toute transparence.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique de Legge, rapporteur. Avec cet amendement, nous arrivons vraiment au cœur du sujet qui nous occupe.
Au cours des auditions, je me suis posé la question suivante : faut-il un livret spécifique, ou bien s’en tenir au livret A et au LDDS ? J’en ai aussi discuté avec Pascal Allizard et Cédric Perrin, et je suis parvenu, après les auditions, aux conclusions suivantes.
Premièrement, un livret spécifique ne collecterait sans doute pas suffisamment d’argent. De ce fait, il risquerait de ne pas être commercialisé par les établissements bancaires.
Deuxièmement, un livret spécifique requiert une durée d’engagement de cinq ans environ, avec une rémunération incertaine, ce qui limite d’emblée le type d’épargnants qui y auraient recours.
Troisièmement, la mise en place d’un produit nouveau prend nécessairement quelque temps.
Dès lors, dans un souci d’efficacité et afin de répondre à la demande de manière immédiate, il nous a paru souhaitable de nous en tenir à la proposition initiale de Pascal Allizard, à savoir la mobilisation du livret A et du LDDS.
Je conviens avec vous, mon cher collègue, que le débat doit avoir lieu. En témoigne d’ailleurs le fait que nous proposons, au travers du rapport demandé au Gouvernement à l’article 2, que cette piste continue d’être étudiée. Néanmoins, comme on sait ce que sont de tels travaux, dans l’immédiat, il convient d’envoyer un signal fort en adoptant la rédaction que nous avons retenue pour l’article 1er.
C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Je veux avant tout remercier M. Temal pour l’aide qu’il m’offre avec bienveillance et amitié. (Sourires sur les travées du groupe SER.) Je le dis sans aucune malice !
L’idée qu’il soumet est loin d’être inintéressante. Pour autant, j’en ai exactement la même appréciation que celle qu’a exposée M. le rapporteur à l’instant. En le disant, je ne ferme absolument pas la porte : cette proposition doit être versée au débat que nous aurons d’ici à l’été prochain.
L’avis du Gouvernement sera donc, à l’instar de celui de la commission, défavorable, mais la porte reste ouverte, car la proposition de M. Temal est pertinente et fera l’objet d’échanges au cours des prochaines semaines. Il y a donc quelque chose de positif, une pointe de sagesse, dans cet avis défavorable ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. M. le rapporteur sait que j’ai beaucoup d’amitié pour lui ; c’est bien dans cet esprit que je veux lui répondre. Je veux d’abord rappeler que la proposition que le groupe SER défend au travers de cet amendement n’est autre que la position adoptée par le Sénat lui-même.
Ensuite, je veux répondre aux arguments relatifs aux risques qu’aurait le produit d’épargne que nous proposons de créer, par rapport à d’autres. Rappelons que, jusqu’au 31 décembre 2008, les fonds des livrets A étaient centralisés ; leur gestion, depuis le 1er janvier 2009, est ouverte à d’autres acteurs que la Caisse des dépôts et consignations. On s’inquiétait alors d’un risque de cannibalisation posé par cette ouverture, mais cette cannibalisation n’a pas eu lieu ! La création d’autres livrets n’a pas non plus eu cet effet. Je ne crois donc pas que nous encourions de tels risques en créant le livret que nous proposons. En revanche, je le redis, expliquer aux Français qu’ils financeraient ainsi la défense de notre pays aurait une vertu pédagogique.
C’est pourquoi nous maintenons cet amendement. Quant à la main tendue de Mme la ministre, évidemment, nous la saisirons, en participant aux discussions qu’elle a annoncées.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour explication de vote.
M. Pascal Allizard. Je ne suis pas absolument opposé à la création d’un livret spécifique ; une telle idée était d’ailleurs à l’origine de notre travail sur ce sujet, il y a bientôt deux ans.
Je voudrais en revanche rappeler un élément ; M. Temal m’en saura gré, puisque nous étions ensemble durant la longue nuit de négociations qui a précédé la commission mixte paritaire sur la dernière loi de programmation militaire. Il nous avait alors été demandé, au nom du Gouvernement, de retirer du texte les dispositions créant un livret spécifique, au profit d’un article instaurant un fléchage de fonds du livret A et du LDDS, comme nous le proposons aujourd’hui. Voilà la réalité des faits !
Deux censures successives de ces dispositions s’en sont ensuivies ; on ne va pas réécrire l’histoire, mais on ne peut quand même pas nous dire à chaque fois, soit que ce n’est pas le bon vecteur, soit que ce n’est pas le bon moment ! Cela fait tout de même quatre ans que cela dure… Madame la ministre, moi aussi, je saisis la main que vous nous tendez, car il faut continuer de travailler pour trouver une solution, mais je souhaite y aboutir dès ce soir, par l’adoption de notre proposition de loi ! (Mme Valérie Boyer applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Je veux remercier nos collègues socialistes d’avoir ouvert, par le biais de cet amendement, le vrai débat sur cette proposition de loi, à savoir le débat sur le consentement des Français. En réponse, M. le rapporteur a ouvertement admis qu’en cas de livret spécifique, les Français n’épargneraient pas assez pour financer la BITD. On voit donc bien qu’il nous est proposé dans ce texte d’agir contre leur consentement, en prenant une partie de leur épargne sans leur demander leur avis. En effet, si on le leur demandait, on ne collecterait pas les sommes nécessaires à l’objectif de cette proposition de loi. Aller à l’encontre de la volonté des Français pour trouver une solution, c’est une mauvaise idée.
Nous nous abstiendrons sur cet amendement du groupe socialiste ; nous tenons simplement à rappeler dans le débat qu’il faut arrêter cette piraterie visant l’épargne populaire des Français ! (M. Akli Mellouli applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Nous ne soutiendrons pas cet amendement, car le livret proposé pourrait avoir un véritable effet d’éviction par rapport aux deux livrets existants. (M. Rachid Temal le conteste.)
On a le droit de le penser, mon cher collègue !
M. Rachid Temal. Là-dessus, je suis d’accord !
M. Pascal Savoldelli. Pour notre part, nous estimons que le logement et la transition écologique doivent être les moteurs des livrets d’épargne existants ; il faut éviter tout effet d’éviction qui leur nuirait, quand bien même ce ne serait pas votre volonté.
Par ailleurs, comme je l’ai dit en commission des finances, quand il est question de notre défense et de notre souveraineté, il faut avoir un projet cohérent. Dans une économie dite « de guerre », il faut assumer de leur affecter des recettes fiscales. C’est cela, faire de la politique ! On ne peut pas le laisser au bon vouloir de tel ou tel de nos concitoyens, au hasard d’une opération sur ses livrets d’épargne, qui se dirait : « Tiens ! Finançons notre industrie d’armement ! » Est-ce vraiment cela, la souveraineté ?
Troisièmement, tout le monde a rappelé que la France est le troisième exportateur d’armes. Dès lors, ce n’est pas simplement notre défense et notre souveraineté que ces produits d’épargne viendraient financer : c’est aussi la production d’armes qui pourraient bien être employées contre nous si nous devions défendre notre nation !
Enfin, je veux répondre, de manière extrêmement tranquille et apaisée, à nos collègues de droite qui nous disent combien le logement est important pour eux, à quel point ils y ont réfléchi. Mes chers collègues, nous proposions de réduire à 5,5 % le taux de TVA sur le logement : vous avez voté contre ! En revanche, vous êtes pour que l’on fasse entrer les logements intermédiaires dans le décompte des logements sociaux au titre de la loi SRU (loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains). J’avoue donc avoir de sérieux doutes sur la sincérité de votre engagement en faveur du maintien du logement au cœur de la vocation du livret A !
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par MM. Dossus et G. Blanc, Mme Senée, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
Remplacer les mots :
livret de développement durable et solidaire
par les mots :
livret durable et militaire
II. – Alinéa 8
Remplacer les mots :
livrets de développement durable et solidaire
par les mots :
livrets durables et militaires
III. – Après l’alinéa 9
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À l’article L. 221-27, toutes les occurrences des mots : « livret de développement durable et solidaire » sont remplacées par les mots : « livret durable et militaire ».
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Il s’agit d’un amendement de transparence et d’honnêteté : il convient à ces fins de réfléchir à la nomenclature des livrets d’épargne populaire réglementés que l’on veut flécher vers la BITD.
La dénomination du livret A ne pose pas de problème particulier. Simplement dénommé « livret d’épargne » à son origine, il est devenu « livret A » : le fait qu’il soit consacré au financement du logement social ne transparaît pas dans cet intitulé.
En revanche, il est également question dans ce texte de financer l’industrie de défense à partir du LDDS, le livret de développement durable et solidaire. Or j’ai bien relu les 17 objectifs de développement durable, et aucun ne concerne les marchands de canons. J’aimerais donc savoir quel rapport entre eux justifierait que, lorsqu’on met un euro sur un tel livret, cet euro aille financer les start-up des bombardements ! Tout cela nous semble être une arnaque. J’aimerais au moins que les Français puissent savoir que, lorsqu’ils mettent de l’argent sur ce livret, cet argent ira financer cette industrie.
C’est pourquoi nous proposons de donner au LDDS un nouveau nom, qui convient mieux : « livret durable et militaire ». Ainsi, on soulignera ce vers quoi, désormais, ira l’épargne.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique de Legge, rapporteur. Mon cher collègue, votre proposition ne correspond pas à la réalité de ce que nous avons écrit. Il serait fâcheux de tromper les Français en changeant le nom du LDDS !
Je rappelle ce que nous avons prévu dans cet article.
D’une part, nous ne touchons pas – vous venez de le reconnaître – au logement social.
D’autre part, l’enveloppe qui nous intéresse au sein de ces livrets est divisée en trois parties : au moins 80 % des encours non centralisés doivent financer les PME, 10 % le développement durable et 5 % l’économie sociale et solidaire.
Tel que nous l’avons rédigé, l’article prévoit que nous assurerons le financement de la BITD en prenant les sommes nécessaires sur la fraction de l’enveloppe destinée aux PME. Cela n’a rien à voir avec ce qui est censé justifier votre amendement, sur lequel la commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Je partage complètement l’analyse du rapporteur. Par conséquent, je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis du Gouvernement sera défavorable.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Monsieur le rapporteur, selon vos explications, seule une partie de l’épargne mobilisée dans le LDDS sert à financer ce pour quoi il a été créé ; le reste finance déjà autre chose et financera, si cette proposition de loi est adoptée, l’industrie de défense. Quand un Français déposera un euro sur ce livret, il financera donc bien cette industrie.
Alors, autant l’indiquer dans le nom de ce livret, pour une meilleure transparence ! Sinon, ce sera une arnaque ; on risque en outre de dévaloriser ce livret aux yeux des Français s’ils commencent à comprendre qu’il ne finance pas uniquement les objectifs qui justifient sa dénomination actuelle.
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 10, présenté par MM. Savoldelli et Bocquet, Mme Gréaume et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 1° Au financement des petites et moyennes entreprises, dont le siège social ou la majorité des débouchés de production sont en France ou dans un État-membre de l’Union européenne ou dans État membre de l’Union européenne ou d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu une convention d’assistance administrative avec la France, notamment pour leur création et leur développement ; »
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Les entreprises du secteur de la défense portent en elles, par nature, un enjeu de souveraineté ; elles doivent donc faire l’objet d’un contrôle accru en matière d’investissement, que celui-ci provienne de l’initiative de banques privées – mécanisme que l’on entend encourager par cette proposition de loi – ou d’acteurs étrangers.
Dans le premier cas, nous ne pouvons dépendre des décisions d’investissement, ou de refus d’investissement, prises par les banques privées si nous voulons garantir notre souveraineté dans le secteur de la défense.
Nous proposons donc de réserver les financements issus de l’épargne populaire aux entreprises qui ont leur siège en France ou dans l’Union européenne et dont la majorité des relations commerciales ont pour cadre le territoire européen. Ce serait un gage de souveraineté ; sinon, on risque ce que je nomme la dilution.
Je souhaite aussi attirer l’attention de mes collègues sur le dernier rapport annuel d’activité de la direction générale du Trésor relatif au contrôle des investissements étrangers en France. On y apprend que 23,7 % des investissements autorisés par le ministre de l’économie relèvent de la catégorie des investissements étrangers dans les secteurs de la défense et de la sécurité, ou des activités de recherche et développement liées à ces secteurs ; cette proportion a doublé en un an. Précisons que 131 investissements, représentant des prises de participation de plus de 10 %, ont ainsi reçu l’accord du ministre. Cela n’est pas de nature à garantir notre souveraineté !
Je pose donc les questions suivantes, auxquelles j’aimerais que Mme la ministre puisse nous répondre : combien d’entreprises de la BITD ont un capital essentiellement détenu par des investisseurs étrangers ? Combien d’entreprises de la BITD dépendent, pour une majeure partie de leurs relations commerciales, d’entreprises relevant d’États tiers ?
En défendant cet amendement, nous voulons montrer que notre souveraineté est compromise par la faiblesse et la trop grande rotation de la commande publique.
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par MM. Dossus et G. Blanc, Mme Senée, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 5, seconde phrase, au début
Insérer les mots :
À titre expérimental, pour une durée de deux ans,
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Comme je l’ai exposé dans la discussion générale, les motivations de cette proposition de loi sont multiples : elle viserait à renforcer l’industrie de défense, à développer les PME et les start-up du secteur de l’armement, ou encore à aider les entreprises de ce secteur à exporter.
Parmi les arguments en sa faveur, on cite aussi le contexte international et notamment le soutien à l’Ukraine, ce que l’on peut entendre. En effet, si l’Ukraine tombe, c’est l’Europe entière qui sera menacée par le boucher de Russie. Les milliers de soldats ukrainiens et de volontaires internationaux qui se battent sans relâche nous défendent aussi, et pour qu’ils gagnent, il faut les soutenir, avec du matériel, de l’équipement, de l’armement.
Comme nous faisons partie des soutiens à l’Ukraine, de nombreux analystes ont comparé les chiffres opérationnels de cette guerre de haute intensité avec le volume de production d’obus en France : 1 000 par mois avant le début de la guerre, 2 000 aujourd’hui – tout le monde reconnaît que c’est très insuffisant.
Alors si le fléchage de l’épargne prévu dans ce texte a pour but de soutenir l’effort de cette guerre, de nous faire entrer dans une économie de guerre pour la protection de l’Europe, il faut le dire clairement et, surtout, faire figurer dans ce texte une clause de revoyure pour le cas où la situation s’améliorerait.
Il serait donc opportun, à nos yeux, de préciser que le dispositif de cette proposition de loi s’inscrit dans un cadre expérimental, pour une durée de deux ans. Ce rendez-vous permettra au législateur de considérer la situation sur le front ukrainien pour décider s’il y a lieu, ou non, de poursuivre ce dispositif.
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par MM. Savoldelli et Bocquet, Mme Gréaume et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 5, seconde phrase
Remplacer les mots :
est fixée
par les mots :
et la liste des entreprises bénéficiaires sont fixées
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. La définition de la BITD retenue par le ministère des armées regroupe sous cette appellation l’ensemble des entreprises de défense qui contribuent à concevoir et à produire des équipements pour les armées. Quelque 4 000 PME correspondraient à cette définition, dont 1 000 entreprises stratégiques. Cela paraît simple.
Néanmoins, Paul Hérault, docteur en économie aujourd’hui employé par Naval Group, indiquait dans la Revue Défense Nationale que, derrière l’intention des politiques exprimée dans le Livre blanc de la défense, l’identification des acteurs de la base industrielle et technologique de défense reste difficile. En tout état de cause, la rédaction actuelle de la proposition de loi ne permet pas de faire la lumière sur les entreprises susceptibles de bénéficier des financements issus de l’épargne populaire. D’ailleurs, mes chers collègues, avez-vous envisagé ne serait-ce qu’un ratio entre les activités militaires et civiles pour les entreprises duales ?
À mon sens, la disposition que nous proposons dans cet amendement de repli permettrait de ne pas laisser croire que toute la chaîne de valeur, jusqu’aux activités très éloignées des enjeux de souveraineté et de défense, bénéficiera de l’épargne populaire. Si tel était le cas, alors toute l’attention que vous prônez serait amoindrie et détournée.
L’arrêté qui, aux termes de notre amendement, serait pris par le ministre de l’économie constituerait un garde-fou en la matière. En effet, il ne suffit pas de se revendiquer comme un acteur de la BITD pour être réellement une entreprise industrielle de défense. C’est l’un des nombreux griefs que nous formulons envers cette proposition de loi et que nous vous proposons de corriger.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mmes Paoli-Gagin et Bourcier, MM. Brault et Chasseing, Mme L. Darcos et MM. V. Louault, A. Marc, Rochette, Verzelen, J.P. Vogel et Wattebled, est ainsi libellé :
Alinéa 5, seconde phrase
Remplacer les mots :
arrêté du ministre chargé de l’économie
par les mots :
un arrêté conjoint du ministre chargé de l’économie et du ministre chargé des armées
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Dans la nouvelle rédaction de l’article 1er, la proportion des encours destinée au financement des entreprises de défense sera déterminée par le ministre chargé de l’économie. S’il paraît évident que Bercy détermine cette part, notamment parce que tout ce qui n’est pas affecté au financement de la BITD bénéficie au reste de l’économie, il nous semble en revanche opportun que le ministère des armées puisse également faire remonter les besoins spécifiques de ce secteur d’activité, notamment au regard de la loi de programmation militaire.
C’est pourquoi nous avons déposé cet amendement, qui vise à prévoir que la détermination de la fraction affectée aux entreprises de la BITD sera déterminée non par un arrêté du seul ministre chargé de l’économie, mais par un arrêté conjoint du ministre chargé de l’économie et du ministre chargé des armées.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique de Legge, rapporteur. L’amendement n° 10 tend à supprimer tout fléchage d’une partie des encours non centralisés du livret A et du LDDS vers les entreprises de la BITD.
Ainsi que je l’ai rappelé précédemment, si le fléchage de ces encours vers le financement des entreprises de la défense ne résoudra pas l’ensemble de leurs difficultés de financement, il constitue néanmoins un signal politique clair en faveur de ces entreprises. Nous devons signifier aux acteurs financiers qu’ils doivent apporter leur soutien à ces dernières. L’avis est donc défavorable.
L’amendement n° 3, quant à lui, est totalement satisfait par la rédaction que nous avons retenue pour l’article 2, où nous demandons au Gouvernement une évaluation du dispositif de l’article 1er, ce qui me semble répondre à l’objectif des auteurs de cet amendement. La commission en demande donc le retrait ; à défaut, son avis sera défavorable.
L’amendement n° 9 vise pour sa part à demander un listage des entreprises de la BITD. Cela nécessiterait un travail considérable, qui ne serait en outre pas forcément compatible avec la nature de l’activité de ces entreprises, au regard des enjeux attachés à la préservation de notre souveraineté et du secteur de la défense. L’avis de la commission est donc défavorable.
Quant à l’amendement n° 4 rectifié, associer le ministère des armées au dispositif pourrait constituer un signal fort. La commission s’en remet donc à la sagesse de notre assemblée, sachant que Mme la ministre pourra peut-être nous en dire plus sur ce sujet.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Sur les amendements nos 10 et 3, pour les raisons que vient d’exposer le rapporteur, l’avis du Gouvernement est défavorable.
Concernant l’amendement n° 9, outre la réponse précise que vient de faire le rapporteur, je veux dire qu’une définition par le ministre de l’économie des PME et des acteurs de la transition écologique et de l’économie sociale et solidaire éligibles à ces financements est déjà prévue par l’article R. 221-9 du code monétaire et financier. Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
En toute logique, notre avis sera également défavorable sur l’amendement n° 4 rectifié, puisque l’épargne réglementée relève du domaine de compétences du ministre chargé de l’économie, qui exerce la tutelle du fonds d’épargne géré pour le compte de l’État par la Caisse des dépôts et consignations, qui centralise une partie de l’encours de ces dépôts.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. La demande que nous formulons dans l’amendement n° 10 – un amendement de repli – devrait être mieux entendue, puisqu’il est question de notre souveraineté. Nous y demandons que l’accès aux encours non centralisés soit réservé aux entreprises qui auraient leur siège social, ou la majorité de leurs ventes, en France ou dans l’Union européenne. Je pensais que l’on pouvait se rassembler autour de cette idée !
Tout de même, la loi de programmation militaire prévoit 413 milliards d’euros sur sept ans, dont 268 milliards d’euros d’équipement. Le problème, pour nos industries, c’est la faiblesse des carnets de commandes. Or qui va ramasser la majeure partie de ces sommes, sinon les investisseurs privés ? Ils le feront directement ou indirectement, par sous-traitance.
Au-delà du débat que nous avons sur les éléments de souveraineté, on dit que l’on défend notre industrie d’armement, mais on défend surtout des intérêts privés, étrangers ; ce sont eux qui vont bénéficier des décisions que l’on va prendre. Il faut que chacun prenne ses responsabilités !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié.
(L’amendement est adopté.) – (Bravo ! sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par MM. Savoldelli et Bocquet, Mme Gréaume et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au 1° du présent article, le financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense est subordonné à l’épuisement d’une procédure de médiation engagée auprès du médiateur national du crédit. » ;
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Je dois dire que les arguments invoqués par l’auteur et le rapporteur de cette proposition de loi n’ont pas été de nature à me convaincre. Permettez-moi de citer un passage du rapport : « Ainsi que l’ont rappelé l’ensemble des acteurs entendus par le rapporteur, les entreprises de l’industrie de défense française se heurtent tout d’abord aux mêmes difficultés de financement bancaire que celles rencontrées par l’ensemble des entreprises françaises. Leurs marges sont faibles, et leurs investissements aussi, tout comme leur pouvoir de marché. Pour autant, les banques françaises figurent parmi les plus actives au niveau mondial dans le domaine de la défense. »
Je résume : les entreprises du secteur de la défense ne connaissent pas de problématiques spécifiques et les banques françaises financent, plus qu’ailleurs, la défense. Mme la ministre l’a d’ailleurs également fait remarquer dans la discussion générale.
Plus loin, le rapport nous apprend que « les quelques cas de refus de crédit bancaire opposé à des entreprises de l’industrie de défense française ne trouvaient pas principalement leur origine dans leur secteur d’activité, mais dans leur situation financière. Par ailleurs, si le secteur de la défense n’apparaît pas en tant que tel dans les statistiques sectorielles de la Banque de France et de la médiation du crédit, il convient de relever qu’aucun d’entre eux n’a relevé de biais en défaveur des industries de ce secteur. » Les arguments invoqués pour justifier de difficultés de financement des PME du secteur de la défense ne sont donc pas viables.
Par cet amendement, nous entendons donc tirer les leçons de ce constat, en proposant de conditionner l’octroi de fonds issus des encours non centralisés du livret A et du LDDS à la sollicitation, par les entreprises concernées, d’une médiation de crédit. Si cette médiation n’aboutissait pas, ce qui est le cas seulement quatre fois sur dix, alors l’épargne des Français pourrait financer, en dernier recours, si je puis dire, les entreprises industrielles de défense.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique de Legge, rapporteur. Vous citez abondamment mon rapport, ma chère collègue ; je vous en remercie et confirme tout ce que j’ai pu y écrire. Toutefois, vous n’en avez pas cité l’intégralité, sans doute parce que le temps qui vous était imparti vous en empêchait… (Sourires.)
Je voudrais donc bien préciser que j’y insistais sur le fait qu’une difficulté se posait tout de même en matière de fonds propres. J’ai indiqué, en toute honnêteté, que, si des refus de financement pouvaient être liés à la situation financière de l’entreprise, il n’en demeurait pas moins que certaines difficultés étaient liées à la nature même de l’activité de l’entreprise. C’est bien à ces difficultés-là que nous entendons remédier au travers de cette proposition de loi.
Dans cet amendement, vous proposez que l’on demande aux banques d’établir des certificats de non-financement, mesure qui, me semble-t-il, serait assez compliquée à mettre en place.
C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Pour les raisons que vient d’exposer M. le rapporteur, je sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis du Gouvernement sera défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.
Mme Michelle Gréaume. Si des procédures de médiation ont été mises en place pour répondre au problème des refus de crédit, elles doivent servir à quelque chose ! En l’occurrence, elles ont ici toute leur place.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 1er bis (nouveau)
Après le cinquième alinéa de l’article 1er A de l’ordonnance n° 2005-722 du 29 juin 2005 relative à la Banque publique d’investissement, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Elle apporte son soutien aux entreprises de la base industrielle et technologique de défense en développant une offre de services et d’accompagnement à ces dernières, en renforçant leurs fonds propres et en contribuant à leur développement à l’international. » – (Adopté.)
Après l’article 1er bis
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié, présenté par Mmes Paoli-Gagin et Bourcier, MM. Brault et Chasseing, Mme L. Darcos et MM. V. Louault, A. Marc, Rochette, J.P. Vogel, Verzelen et Wattebled, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 3-1 du code de la commande publique, il est inséré un article L. 3-… ainsi rédigé :
« Art. L. 3-…. – La commande publique participe au renforcement de la souveraineté nationale, notamment en développant la base industrielle et technologique de défense. »
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Le secteur de l’armement, vous le savez, repose essentiellement sur la commande publique, mais, à l’ère de la néo-guerre et des conflits hybrides, il n’est pas l’unique composante de la BITD.
Pour lutter contre les menaces informationnelles, pour se protéger contre les cyberattaques, pour bâtir des stratégies d’influence, pour sécuriser l’approvisionnement énergétique, des entreprises issues d’autres secteurs d’activité peuvent aussi contribuer utilement au renforcement de la souveraineté nationale.
C’est pourquoi cet amendement vise à expliciter que la commande publique, de même qu’elle participe à l’atteinte des objectifs de développement durable dans leur dimension économique, sociale et environnementale, depuis la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, contribue également au renforcement de la souveraineté nationale, notamment en développant la base industrielle et technologique de défense.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique de Legge, rapporteur. Cet amendement relève de la déclaration de principes et je doute de son caractère opérant.
C’est la raison pour laquelle nous en demandons le retrait ; à défaut, nous y serons défavorables.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Je l’ai dit lors de mon propos liminaire, le Gouvernement est très attentif aux besoins de financement du secteur de la défense et je tiens à rappeler combien l’État est fortement présent – peut-être pas suffisamment à votre goût – dans le cadre de la commande publique.
La loi de programmation militaire votée cet été a prévu pas moins de 413 milliards de dépenses militaires, dont une part importante se traduit directement dans la commande publique. Le budget des armées représentait, en 2023, 43,9 milliards d’euros, soit le deuxième budget de l’État, dont le tiers, 14,5 milliards d’euros, était destiné à l’équipement des forces.
Aujourd’hui, 26 000 petites et moyennes entreprises et entreprises de taille intermédiaire sont sous contrat avec l’État, engagées avec le ministère des armées, et bénéficient ainsi de la commande publique.
Sur ce sujet que je connais, s’agissant notamment des PME, il faut poursuivre les efforts. Mais tel n’est pas, me semble-t-il, l’objet direct de l’amendement et je souscris aux propos de M. le rapporteur.
Par conséquent, le Gouvernement demande lui aussi le retrait de cet amendement ; sinon, il émettra un avis défavorable.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Je retire l’amendement, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié est retiré.
L’amendement n° 17, présenté par Mme G. Jourda, M. Temal, Mmes Carlotti et Conway-Mouret et MM. Darras, P. Joly, Marie, M. Vallet et Vayssouze-Faure, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’accès des entreprises françaises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) aux financements européens, afin d’envisager des pistes d’amélioration pour accéder aux fonds privés et publics et mettre fin au risque discriminatoire de la mise en œuvre de la taxonomie européenne.
La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Le système de taxonomie de l’Union européenne classe les activités comme étant « durables » ou « non durables », avec une conséquence très lourde pour les entreprises de la base industrielle et technologique de défense française : les banques font en effet preuve d’une grande frilosité lorsqu’il s’agit de leur accorder des prêts. C’est d’ailleurs l’une des raisons de notre présence dans cet hémicycle aujourd’hui.
Par conséquent, c’est un pan entier de notre industrie qui estime ainsi être discriminé dans l’accès aux fonds privés et publics, faute de respecter, semble-t-il, les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, les fameux ESG.
L’industrie française de défense et, plus largement, l’industrie européenne de défense soutiennent que les entreprises de la BITD devraient être explicitement incluses dans la catégorie des activités durables, afin de préserver les voies de financement auxquelles elles auraient accès.
Soutenues par les ministres de la défense de l’Union dans une déclaration commune le 14 novembre dernier, ces industries demandent depuis longtemps davantage d’indulgence quant à la mise en œuvre des critères ESG.
Nous estimons, pour notre part, que la base industrielle et technologique de défense européenne joue un rôle indispensable dans la sûreté et la sécurité globale de l’Europe. Financer nos entreprises européennes, c’est rendre véritablement crédible notre capacité à contribuer à la paix, à la stabilité et à la durabilité sur notre continent.
Par cet amendement, nous demandons donc au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur l’accès des entreprises françaises de la BITD au financement européen.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique de Legge, rapporteur. Je suis totalement en phase avec les propos que vient de tenir Mme Jourda.
M. Rachid Temal. Ah !
M. Dominique de Legge, rapporteur. Je le suis d’autant plus que sa demande est entièrement satisfaite par les dispositions de l’article 2, que nous avons réécrit, en pointant précisément ce problème des normes ESG et l’attitude de la BEI.
Pour cette raison et pour éviter tout doublon avec ce qui figure à l’article 2, je suggère aimablement à ma collègue de bien vouloir retirer son amendement, faute de quoi je serai contraint d’émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Je profite de cette intervention pour rappeler – sait-on jamais, peut-être serai-je finalement entendue – que le domaine de la défense ne fait l’objet d’aucune incompatibilité avec les critères ESG.
Si je conçois qu’il y a un important effort de pédagogie à mener en la matière, à l’aune du « halo négatif » mentionné par le président de la commission des affaires étrangères, je ne manquerai pas de redire – même s’il fallait que je le rappelle tous les jours ! – que la défense n’est absolument pas exclue des critères ESG, en général, et des dispositions de la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive, directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises), en particulier.
Sur l’amendement n° 17, pour les mêmes raisons que M. le rapporteur, je formulerai à mon tour une demande de retrait ; sinon, j’y serai défavorable.
M. le président. Madame Jourda, l’amendement n° 17 est-il maintenu ?
Mme Gisèle Jourda. Je sais que les demandes de rapport ne sont pas très appréciées, mais celui que je propose au travers de cet amendement aurait constitué un marqueur fort pour pouvoir suivre de plus près et mieux surveiller l’accès des entreprises aux fonds bancaires, notamment.
Toutefois, puisqu’il est satisfait, je le retire, monsieur le président, mais avec grand regret !
M. le président. L’amendement n° 17 est retiré.
Article 2
Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 31 décembre 2025, un rapport d’évaluation du dispositif prévu à l’article 1er de la présente loi. Ce rapport étudie également la possibilité de créer un produit d’épargne dédié au financement de l’industrie de défense française ainsi que l’opportunité, pour la Caisse des dépôts et consignations et pour Bpifrance, de développer de nouveaux instruments publics destinés au renforcement des fonds propres des entreprises de l’industrie de la défense française et à l’accompagnement de leur développement à l’international, après une évaluation des besoins de ces entreprises dans ces deux domaines. Il présente enfin les actions mises en œuvre au niveau européen par le Gouvernement pour intégrer les problématiques de financement du secteur de la défense, s’agissant notamment de la gestion de la Facilité d’investissement par la Banque européenne d’investissement et de la prise en compte des intérêts du secteur de la défense dans la définition des réglementations en matière environnementale, sociale et de gouvernance.
M. le président. L’amendement n° 14, présenté par MM. Temal, Cozic, Kanner et Raynal, Mmes Blatrix Contat, Briquet, Carlotti et Conway-Mouret, MM. Darras et Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas et Lurel, Mme G. Jourda, MM. P. Joly, Marie, M. Vallet, Vayssouze-Faure et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Première phrase
Supprimer les mots et le signe :
d’évaluation du dispositif prévu à l’article 1er de la présente loi.
II. – Deuxième phrase
1° Remplacer les mots :
Ce rapport étudie également la possibilité de créer un produit d’épargne dédié au financement de l’industrie de défense française ainsi que
par les mots :
qui étudie
2° Après le mot :
international
supprimer la fin de cette phrase.
III. – Dernière phrase
Remplacer le mot :
enfin
par le mot :
également
La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 14 est retiré.
L’amendement n° 12 rectifié ter, présenté par MM. Rochette et Longeot, Mme L. Darcos, MM. Verzelen et A. Marc, Mme N. Delattre et MM. Brault, Chasseing, Wattebled, V. Louault, Daubet et Chevalier, est ainsi libellé :
Après la deuxième phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
En outre et à titre indicatif, il tiendra compte dans ses conclusions de l’implication des établissements délivrant le livret A et de leur responsabilité quant aux résultats obtenus par le dispositif prévu à l’article 1er.
La parole est à M. Pierre Jean Rochette.
M. Pierre Jean Rochette. Cet amendement vise à inciter les établissements bancaires à participer activement à la réussite de la proposition de loi. Dans le cadre du rapport prévu à l’article 2, il s’agit de souligner combien il faudra compter sur leur engagement proactif en faveur du dispositif ainsi proposé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique de Legge, rapporteur. Il ne semble pas nécessaire de prévoir que le rapport d’évaluation comprenne un bilan de la mise en place, par les banques, du dispositif prévu à l’article 1er de la proposition de loi.
En effet, l’ensemble des établissements bancaires doivent déjà rendre compte de la façon dont ils satisfont aux objectifs fixés par le législateur quant au fléchage des encours non centralisés du livret A. Ces données sont d’ailleurs publiquement accessibles dans le rapport annuel sur l’épargne réglementée publié par la Banque de France.
La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour explication de vote.
M. Pierre Jean Rochette. Je ne retirerai pas cet amendement. Il s’agit bien d’ouvrir la possibilité, qui n’existe pas actuellement, de procéder à une évaluation de l’engagement des établissements bancaires. L’idée est de vérifier, au travers du rapport visé, que ces établissements s’engagent de manière véritablement active, et non pas seulement passive. Ce n’est pas tout à fait sur cet aspect des choses que m’a répondu M. le rapporteur.
Je me félicite néanmoins de l’avis de sagesse émis par le Gouvernement.
M. le président. L’amendement n° 19, présenté par M. de Legge, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Troisième phrase
Remplacer les mots :
de la Facilité
par les mots :
du Fonds européen
La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique de Legge, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. L’amendement n° 15 rectifié, présenté par MM. Temal, Cozic, Kanner et Raynal, Mmes Blatrix Contat, Briquet, Carlotti et Conway-Mouret, MM. Darras et Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas et Lurel, Mme G. Jourda, MM. P. Joly, Marie, M. Vallet, Vayssouze-Faure et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi relative au financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense française
La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Nous proposons de modifier l’intitulé de la proposition de loi pour y faire figurer des termes plus fidèles à la teneur des débats qui nous occupent depuis maintenant plus de deux heures.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique de Legge, rapporteur. La commission émet un avis favorable. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe SER.)
Mme Gisèle Jourda. Ah !
M. Rachid Temal. Enfin ! Il a fallu attendre le dernier amendement !
M. Dominique de Legge, rapporteur. Nous marquons ainsi notre convergence de vue sur ce point précis, étant entendu, comme vient de me le préciser le président Perrin, que l’intitulé initial aurait été mieux compris par l’opinion publique.
Cela étant, monsieur Temal, la formulation que vous proposez correspond davantage à la réalité du texte.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Après y avoir beaucoup réfléchi et travaillé, j’ai réussi – je sais que vous m’en donnerez acte – à convaincre mon ministre de tutelle et le ministre des armées qu’il fallait nous engager pour passer d’un avis de sagesse à un avis favorable sur cet amendement de M. Temal. (Sourires.)
M. le président. En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Chacun l’aura compris, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky s’opposera à cette proposition de loi.
Au cours de ces deux heures de débat, personne, ici, et j’attends que quelqu’un me contredise, n’aura pu démontrer les besoins spécifiques des entreprises de défense en matière d’accès au crédit. Dont acte.
Madame la ministre, si tel était le cas, pourquoi ne pas avoir obligé les banques à financer nos entreprises de la base industrielle et technologique de défense, plutôt que d’encourager à utiliser pour ce faire l’épargne des Français ?
Du reste, dans notre opposition, nous ne sommes pas si isolés que cela. Si on ne fait pas de politique en fonction des sondages, force est de constater que les Français ont répondu à la question en s’opposant majoritairement à une telle utilisation de leur épargne.
Les propositions de substitution que nous avons présentées ont été repoussées au titre de l’article 40 ou de l’article 45 de la Constitution, au motif qu’elles entraîneraient une charge financière. Je tiens à éclairer le débat : notre groupe a proposé un prêt garanti par l’État (PGE) pour les entreprises ; le ministre aurait donc pu décider de se porter garant des crédits accordés à ces entreprises, et rassurer ainsi les banques des risques financiers légaux intrinsèques au secteur de l’armement.
Notre position sur ce texte était donc positive. Il a été question du PGE pour d’autres raisons, dans d’autres situations de crise. Pourquoi ne pas y avoir songé en pareilles circonstances ?
Oui, mes chers collègues, nous sommes favorables à une recentralisation à 99 % de l’épargne réglementée de la Caisse des dépôts et consignations. Ce faisant, nous aurions une transparence totale sur l’affectation de l’argent des épargnants. Parce qu’il faudrait garder 1 % pour couvrir le coût de la collecte, nous ne pourrions pas aller jusqu’à une recentralisation à 100 %, mais les épargnants ont tout de même le droit de savoir où va leur argent, leur investissement.
Enfin, nous souhaitons limiter à 30 % la part du chiffre d’affaires que les entreprises d’armement réalisent à l’export. Attention, en effet, à ne pas alimenter les conflits mondiaux, d’autant que le cours des armes va menacer le cours du gaz ou celui du blé.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous pensons franchement qu’il faut sanctuariser l’épargne populaire et la réserver aux missions d’intérêt général : cet argent ne doit en aucun cas servir à produire des armes. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Michelle Gréaume applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour explication de vote.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera ce texte, qui a pour objet de servir l’intérêt général, pour reprendre les termes que vient d’employer mon collègue Pascal Savoldelli.
Puisque nous avons voté en faveur de la modification de l’intitulé de la proposition de loi, nous aurions pu, par cohérence, approuver la demande formulée par Pascal Savoldelli sur l’affectation de ces financements au bénéfice des entreprises de défense françaises.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis. J’ai beaucoup apprécié ce débat, qui a donné l’occasion à chacune et chacun d’entre nous de présenter son avis sur un sujet qui, au sein de notre commission, est particulièrement important.
Nous sommes nombreux à y avoir travaillé : Pascal Allizard, bien sûr, mais d’autres aussi, notamment Michel Boutant et Yannick Vaugrenard, cités par Rachid Temal. Je ne peux pas laisser dire que nous n’aurions pas apporté la preuve que des entreprises de la défense, qu’il s’agisse de PME ou d’ETI, n’auraient pas aujourd’hui des besoins de financement. C’est bien ce que j’entends quotidiennement : pas plus tard qu’à midi, j’ai eu l’occasion de rencontrer des chefs d’entreprise de PME, qui m’ont expliqué combien ils avaient des difficultés à trouver des financements pour agrandir leurs bâtiments, pour fonctionner tout simplement. Aujourd’hui, je me réjouis que nous fassions un geste important en leur direction.
Nous avons un vrai problème avec la BEI. Dans le cadre des règles de compliance bancaire, il est très clairement établi qu’un certain nombre d’attestations sont demandées à des chefs d’entreprise pour certifier que les garanties ou les prêts bancaires qu’ils sollicitent n’ont pas vocation à financer des sujets afférents à la défense. Ces derniers sont quasiment classés dans la même catégorie que le proxénétisme, le trafic d’enfants et autres activités de ce type, alors que cela n’a rien à voir !
Nous avons un élément probant à cet égard : AXA Banque a refusé un placement bancaire au motif que les activités des entreprises de la défense ne correspondraient pas à leur éthique. Il reste donc beaucoup de travail à faire de ce point de vue. Je pensais vraiment qu’avec la guerre en Ukraine, les établissements bancaires, notamment leurs conseils d’administration, qui sont souvent soumis à des lobbies dont nous devrons déterminer un jour les modes de financement, allaient changer d’état d’esprit.
Actuellement, quels autres pays que des démocraties apaisées ont la capacité de favoriser le progrès social et le développement durable ? Malheureusement, comme le dit l’adage, « si tu veux la paix, prépare la guerre », et il faut bien avoir des arguments pour faire face à certains de nos adversaires.
Tel est le point important que je tenais à rappeler. Mes chers collègues, si vous voulez des preuves que des entreprises ont des difficultés à trouver des financements, je peux vous en fournir : certaines sont installées dans mon département. Quand on vous refuse cinq prêts bancaires sur six, en n’acceptant pas de le justifier par écrit, il ne faut pas chercher bien loin les raisons d’un tel refus : c’est tout simplement parce que vous produisez des munitions.
Je suis donc très heureux que cette proposition de loi de Pascal Allizard ait pu voir le jour et être débattue aujourd’hui. J’espère vivement qu’elle sera votée : les entreprises de la défense en ont bien besoin ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Cigolotti et Jean-François Longeot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour explication de vote.
M. Pascal Allizard. Je voudrais tout d’abord remercier l’ensemble des collègues présents, de tous les groupes. Nous avons assisté à un moment privilégié, à un débat nécessaire. Quelles qu’aient été les opinions avancées, elles sont toutes respectables.
J’irai dans le sens du président Perrin, tant il est vrai que les entreprises qui se voient opposer des refus de financement ne reçoivent jamais d’écrit en ce sens. À tel point que certains chefs d’entreprise, à un moment donné, ont décidé d’enregistrer la réponse que leur faisait leur banquier – nous avons eu accès à quelques enregistrements. Bien évidemment, par respect de la confidentialité, mais aussi par crainte de subir d’éventuelles mesures de rétorsion, les entreprises concernées n’en font pas la publicité. Je n’en ferai donc pas le catalogue, je ne donnerai ni nom ni montant, mais je peux vous garantir que c’est un phénomène courant.
Je veux en outre attirer l’attention sur le fait qu’on commence à entendre parler de refus d’assurance. Ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui, mais le problème se posera. De grandes banques internationales, françaises, assurément, mais pas uniquement, de grandes compagnies d’assurances ont des règles internes de compliance – je parlerais plutôt de « sur-compliance » –, qui les conduisent à surprotéger de fait, face aux risques réputationnels, l’accès au crédit des entreprises de la défense. C’est inacceptable.
Voilà quatre ans maintenant que nous travaillons sur ce sujet et que nous nous entendons dire que ce n’est ni le bon véhicule législatif ni le bon moment pour agir. Il est temps de dire les choses clairement et d’adopter cette proposition de loi, ce qui permettrait d’envoyer un signal fort. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Cigolotti, Jean-François Longeot et Ludovic Haye applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Je veux à mon tour, après Pascal Allizard, remercier l’ensemble des intervenants. Notre débat a été, je le pense, de très grande qualité, et nous a permis de poser des questions majeures, dans le prolongement des échanges que nous avons eus lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire.
J’évoquerai deux points en particulier.
Premièrement, au moment où il est question du soutien à l’Ukraine, je précise que 75 % des armes achetées par les Européens et transmises à l’Ukraine ne viennent pas d’Europe. Voilà où nous en sommes et cela devrait nous interroger sur la réalité de ce qu’est, aujourd’hui, la base industrielle et technologique française et européenne. C’est un vrai sujet, avec de nombreuses questions liées à la souveraineté, à la paix, à l’armement, à l’emploi, à l’industrialisation, véritable problématique à l’échelle du continent.
Deuxièmement, je rappelle, en saluant le travail réalisé à ce sujet par les anciens collègues que j’ai cités précédemment, que la Banque européenne d’investissement ne permet pas le financement de l’industrie de défense. À tel point que le Parlement européen vient de voter il y a quelques jours un texte pour demander que cela puisse être dorénavant possible. C’est bien la démonstration, claire et précise, qu’il y a un vrai souci au niveau de l’Union européenne.
Cela étant dit, j’ai pris bonne note de la main tendue par Mme la ministre. L’option que nous avons proposée nous semble non seulement cohérente avec les précédents travaux du Sénat, mais aussi porteuse d’un effort de pédagogie nécessaire, puisque les Français sauraient désormais que l’argent placé servirait à protéger et leur épargne et leur pays.
À ce stade du débat, pour cette première étape, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’oriente vers l’abstention sur ce texte.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi, dont le Sénat a rédigé ainsi l’intitulé : proposition de loi relative au financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense française.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 141 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 278 |
Pour l’adoption | 244 |
Contre | 34 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP, RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens moi aussi à vous remercier de la qualité des débats, car ce n’est pas parce que cela arrive fréquemment qu’il faut s’y habituer !
Monsieur Allizard, vous qui êtes l’auteur de la proposition de loi, vous avez bien fait de le rappeler, dès lors qu’on sollicite un prêt, il est de bon aloi de recevoir une réponse écrite.
M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis. Et motivée !
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Trop nombreuses sont les PME qui, pour formuler leur demande de prêt, passent par la voie d’un rendez-vous téléphonique ou physique. Je les invite à solliciter le plus souvent possible leur banque par écrit, car, quand on envoie un écrit, on vous répond par écrit. C’est un préalable indispensable, y compris pour nous, pour mesurer l’ampleur des taux de refus, que je ne remets absolument pas en question. Ce phénomène s’étend d’ailleurs bien au-delà du seul domaine de la défense.
Le Gouvernement en prend l’engagement, la direction générale du Trésor et la direction générale de l’armement se tiennent à vos côtés d’ici à l’été pour favoriser les temps d’échanges, y compris avec les ministres Le Maire et Lecornu, pour avancer ensemble sur ce sujet important que vous avez soulevé. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE.)
6
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour du mercredi 13 mars, l’après-midi, d’une déclaration, suivie d’un débat et d’un vote, en application de l’article 50-1 de la Constitution, relative au débat sur l’accord de sécurité franco-ukrainien et la situation en Ukraine.
Acte est donné de cette demande.
Cette déclaration interviendrait après le débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.
Nous pourrions prévoir que les orateurs des groupes, à raison d’un orateur par groupe, interviennent, selon l’ordre décroissant de leur effectif, avec les temps de parole suivants : quatorze minutes pour le groupe Les Républicains ; douze minutes pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ; dix minutes pour le groupe Union Centriste ; huit minutes pour les autres groupes ; trois minutes pour un sénateur non inscrit.
Le délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat serait fixé au mardi 12 mars, à quinze heures.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
En conséquence, le temps de parole des orateurs pour le débat sur le rapport de la Cour des comptes serait fixé à quarante-cinq minutes.
En outre, nous pourrions prévoir la suite de l’examen de la proposition de loi visant à soutenir l’engagement bénévole et à simplifier la vie associative le jeudi 14 mars, en premier point de l’ordre du jour.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures cinquante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures cinquante-cinq, sous la présidence de M. Mathieu Darnaud.)
PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
Statut de l’élu local
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local, présentée par Mme Françoise Gatel, MM. Mathieu Darnaud, François-Noël Buffet, Bruno Retailleau, Hervé Marseille, Patrick Kanner, François Patriat, Mme Cécile Cukierman, M. Claude Malhuret, Mme Maryse Carrère et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 263, texte de la commission n° 367, rapport n° 366).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Gatel, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP, RDSE et SER.)
Mme Françoise Gatel, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, parce qu’ils ne savent pas que ce sera si ardu, si risqué, parce qu’ils font leur la déclaration de l’ancien président des États-Unis John Fitzgerald Kennedy – « Ne te demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, demande ce que tu peux faire pour ton pays » –, parce qu’ils veulent agir pour servir leurs concitoyens, rendre possible ce qui est souhaitable, près d’un million de candidats, telle une magnifique armée de volontaires, se présentent au suffrage de leurs concitoyens lors des élections locales.
Magnifique France, où ce concept révolutionnaire de la commune, première forme de la démocratie participative, espace de proximité au sein duquel, en responsabilité, les citoyens gèrent leur destinée collective, est plus moderne que jamais. Dans ces 35 000 communes, par temps calme comme par gros temps, les élus veillent, telles des vigies.
Aujourd’hui, madame la ministre, la vigie vacille.
En 2020, 106 communes n’avaient pas de candidats, 345 conseils municipaux étaient incomplets et un nombre important de communes n’avaient qu’une seule liste.
Qu’arrive-t-il à cette formidable France de l’engagement ? Empêchés d’agir, empêtrés dans des normes débridées, malmenés par des citoyens très exigeants, victimes d’une société violente et explosée en une addition d’individualités, ces centaines de milliers d’hommes et de femmes de devoir plus que de pouvoir, plus souvent à la manœuvre qu’à l’honneur, sont fatigués.
Près de 13 000 élus, parmi lesquels on dénombre 1 300 maires, ont jeté l’éponge depuis 2020, parce que leur engagement a parfois douloureusement et violemment percuté leur vie personnelle, familiale ou professionnelle.
Madame la ministre, mes chers collègues, si les élus locaux lâchent la rampe, la démocratie est menacée, parce que notre République est une pyramide qui ne tient que par la solidité de sa base.
Ceux qui doutaient de la force des élus locaux n’ont pu que constater la vaillance de leur engagement et leur solidité lors de la crise sanitaire, de la crise des « gilets jaunes », des incendies, des inondations ou des émeutes urbaines.
Attentifs à tout et à chacun, ils veillent comme des sentinelles vigilantes et bienveillantes. Ils ne renoncent pas et savent que, pour eux, élus locaux, gémir n’est pas de mise.
Inventeurs de possibles, condamnés à trouver des solutions, ils sont assez fascinants d’inventivité et d’ingéniosité. Aujourd’hui, pourtant, la lassitude les gagne : chaque jour, un maire démissionne.
Au Sénat, chambre des territoires, la voix de ces élus qui incarnent la France du quotidien, cette France des faiseurs, résonne avec force.
Depuis 2018, pressentant l’érosion de l’engagement, le Sénat a formulé de nombreuses propositions. Certaines ont déjà été adoptées : protection fonctionnelle, frais de garde, revalorisation des indemnités des élus des petites communes.
Des propositions de loi sénatoriales ont conforté les conditions d’exercice de leurs mandats. Je pense à la loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie, ainsi qu’à la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires, déposée par François-Noël Buffet. Je pense aussi au rapport de la mission d’information menée par Maryse Carrère et Mathieu Darnaud, intitulé Avis de tempête sur la démocratie locale : soignons le mal des maires.
À l’automne dernier, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation a lancé une réflexion constructive et transpartisane sous la forme de trois missions flash réalisées par neuf sénateurs de cinq groupes politiques différents, Nadine Bellurot, François Bonhomme, Agnès Canayer, Thierry Cozic, Éric Kerrouche, Gérard Lahellec, Pascal Martin et Guylène Pantel, que je remercie chaleureusement. Ensemble, nous avons formulé vingt-trois propositions à l’issue d’une large consultation des élus locaux et d’une importante concertation avec toutes les associations d’élus.
Madame la ministre, vous connaissez depuis fort longtemps ces propositions, puisque le président du Sénat a lui-même annoncé lors du dernier congrès des maires que le Sénat présenterait une proposition de loi en début d’année. Nous y sommes, c’est maintenant.
En cet instant où nous sommes attendus et entendus par les élus locaux, je veux adresser une pensée très fraternelle à tous ceux qui bien souvent sont allés au plus loin de leurs forces. Je pense au maire de Signes, mort en 2019 dans l’exercice de son mandat, ainsi qu’aux emblématiques maires de Saint-Brevin-les-Pins et de L’Haÿ-les-Roses. Je salue aussi tous les élus victimes d’agressions et d’insultes, dont les visages nous accompagnent ce soir.
Je salue également les 309 sénateurs, notamment les nombreux présidents de groupes politiques, le président de la commission des lois François-Noël Buffet ainsi que le premier vice-président du Sénat chargé des relations avec les collectivités, Mathieu Darnaud, qui, dans la diversité de leurs territoires et de leurs convictions, ont cosigné cette proposition de loi.
Mes collègues rapporteurs Jacqueline Eustache-Brinio et Éric Kerrouche, que je remercie du travail harmonieux que nous avons conduit, et moi-même, nous défendons ce texte d’une même voix, celle d’une exigence constructive pour que vive la démocratie et que dans l’avenir perdurent nos communes, cœur de la République.
Madame la ministre, notre proposition de loi vise à donner au plus grand nombre de nos concitoyens, quelle que soit leur situation personnelle, familiale ou professionnelle et quel que soit leur âge, « l’envie d’avoir envie », non de chanter comme Johnny Hallyday (Sourires.), mais de s’engager.
M. Roger Karoutchi. C’est vrai !
Mme Françoise Gatel. Cela suppose de faciliter et de sécuriser l’exercice du mandat, de revaloriser les indemnités, de développer la formation, de reconnaître l’engagement des entreprises qui emploient des élus salariés et, surtout – c’est un point particulièrement novateur –, de sécuriser la fin du mandat, afin d’éviter que des élus ne se retrouvent dans le dénuement et l’angoisse, en difficulté de reconversion professionnelle.
Madame la ministre, la Nation a su à raison reconnaître l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires. Il doit en aller de même pour nos élus locaux : elle ne peut se contenter de s’émouvoir et de compatir quand ceux-ci sont agressés ou démissionnent.
Les maires sont les élus préférés des Français, parce qu’ils incarnent la République dans sa proximité et sa permanence. Ils ne peuvent rester en situation d’insécurité et de fragilité. La Nation doit reconnaître celles et ceux qui exercent jour après jour des missions essentielles, souvent au nom de l’État et pour son compte, car ils sont eux-mêmes les essentiels de la République.
Lors de la crise sanitaire, quand le Président de la République a annoncé un dimanche soir sa volonté que les établissements scolaires rouvrent, les élus ont répondu présent. (Mme la ministre acquiesce.) Quand les catastrophes naturelles surviennent, ils sont là, rassurants, actifs, efficaces. Ils sont là pour relever les défis du logement, de la précarité et même du zéro artificialisation nette (ZAN) – comment ne pas en parler, mes chers collègues ? (Sourires.)
Au cœur de la société, les élus locaux sont les amortisseurs des crises. Ils sont aussi des entrepreneurs de leurs territoires, des bâtisseurs d’avenir.
Madame la ministre, mes chers collègues, la commune n’est pas ce dernier kilomètre dont on entend souvent parler, elle est le premier kilomètre de la République, celui où se joue l’égalité des droits, la cohésion sociale et l’éveil citoyen. L’avenir de notre pays dépend de la vitalité des territoires, de l’énergie de leurs élus et de leurs capacités à agir et à rassembler.
Madame la ministre, je ne doute pas de la volonté d’agir du Gouvernement. J’ai lu Le Figaro de ce matin, j’ai donc l’impression que notre affaire sera rapidement conclue. (Nouveaux sourires.) Avec cette proposition de loi, le Sénat, de nouveau au rendez-vous, accomplit sa mission de chambre des territoires. Je ne doute pas que vous apprécierez à la hauteur de leurs qualités nos propositions sérieuses, concertées, concrètes et constructives.
L’heure de ce rendez-vous est venue : la démocratie n’a pas de prix, mais elle a un coût. Comme le dit notre collègue Nathalie Delattre dont j’emprunte les mots très justes, parlons-en sans tabou. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Éric Kerrouche, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le statut de l’élu local recouvre trois périodes : avant, pendant et après l’exercice du mandat. Si l’on peut toujours réfléchir à un autre système, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui se fixe une ambition partagée par chacun d’entre nous, celle de remédier à l’absence d’un véritable statut de l’élu local et d’améliorer les garanties concrètes accordées aux élus.
Au titre de l’article 24 de la Constitution, le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Il ne fait alors nul doute, madame la ministre, que nous souhaitons que cette proposition de loi suive son parcours législatif jusqu’à la promulgation.
Commençons par les dispositions relatives au régime indemnitaire des élus locaux.
Nous proposons d’abord un rehaussement des indemnités de fonction des maires. Mes chers collègues, nous vous proposerons tout à l’heure d’étendre cette mesure aux adjoints, si le Gouvernement daigne rendre notre amendement recevable. Comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement, madame la ministre ? (Sourires.)
Nous proposons également de modifier le mode de calcul de l’enveloppe indemnitaire globale, pour augmenter son montant. Cette mesure donnera davantage de marges de manœuvre aux conseils municipaux, notamment en ce qui concerne l’indemnisation des conseillers délégués.
Nous prévoyons en outre un principe de fixation au maximum légal des indemnités de fonction des exécutifs locaux. Cette mesure a été étendue à tous les exécutifs locaux lors de l’examen du texte en commission.
Il importe par ailleurs d’améliorer le régime de retraite de l’ensemble des élus locaux afin de prendre en compte leur engagement permanent au service de la collectivité. Nous proposons d’accorder aux exécutifs locaux une bonification d’un trimestre par mandat complet.
Enfin, parce que c’est essentiel, nous avons souhaité que l’État renforce son soutien auprès des communes rurales, notamment au travers de l’élargissement du bénéfice de la dotation particulière relative aux conditions d’exercice des mandats locaux, dite dotation particulière « élu local » (DPEL), à l’ensemble de celles de moins de 3 500 habitants.
L’amélioration réelle des conditions d’exercice du mandat constitue un autre axe de cette proposition de loi, dans le but de favoriser l’engagement local.
La question des difficultés matérielles auxquelles nombre d’élus sont confrontés peut bien entendu sembler triviale, elle mérite pourtant notre considération. Notre réponse : rendre obligatoire le remboursement des frais de transport et de séjour ou encore améliorer la capacité des communes à prendre en charge les frais de garde. Bref, notre but, c’est de nous occuper du quotidien des élus.
Cette proposition de loi vise également à faciliter un aspect sans doute cardinal de la vie élective, à savoir la conciliation entre l’exercice du mandat local et la vie professionnelle. Notre texte comporte de véritables avancées, tant pour les candidats, avec par exemple l’allongement du congé électif, que pour les élus, qui pourront bénéficier d’un régime d’autorisations d’absence plus protecteur.
Dans la même optique, nous considérons que l’engagement pour la démocratie d’une entreprise qui emploie des élus locaux doit être reconnu. C’est l’objet du label « employeur partenaire de la démocratie locale » que nous proposons de créer.
Par ailleurs – c’est un point central pour la vitalité de notre démocratie locale –, cette proposition de loi doit permettre d’améliorer la diversité sociologique des élus, afin que de nouvelles catégories sociales s’impliquent dans les fonctions électives. Nous proposons ainsi la création d’un statut d’élu étudiant, les étudiants étant l’une des ressources des conseils municipaux. De manière analogue, des mesures doivent encourager les vocations des citoyens en situation de handicap.
Par ailleurs, la formation offre une réponse au sentiment de complexification de l’action locale dont font part les élus. Le texte prévoit ainsi la mise en place de formations spécifiques.
Cette proposition de loi comporte également des mesures concrètes pour favoriser la conciliation de l’exercice du mandat et de la vie personnelle. Nous proposons d’assouplir les conditions dans lesquelles les élus locaux peuvent poursuivre l’exercice de leur mandat en cas de maladie, de congé de maternité ou de paternité, tout en percevant des indemnités journalières. Grâce aux améliorations apportées en commission, nous répondons également aux difficultés particulières qui se sont fait jour, celles que la maire de Poitiers a par exemple eu à connaître. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il me revient de vous présenter les deux derniers axes de cette proposition de loi, qui tendent à sécuriser l’exercice du mandat local, notamment d’un point de vue tant pénal que déontologique, ainsi qu’à accompagner les élus lors de la phase de transition qui succède au mandat.
L’article 18 de la proposition de loi aborde un sujet sensible, l’infraction de prise illégale d’intérêt. Certains l’estiment inadaptée au point de vouloir la supprimer. D’autres considèrent qu’il s’agit d’une pièce essentielle de notre arsenal contre la corruption. Pour notre part, nous avons souhaité préciser sa définition de manière que cette infraction s’applique sans pour autant paralyser l’action des élus.
Ces évolutions s’inscrivent dans la continuité de celles que nous avons votées dans le cadre de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS), comme de celles que nos collègues Philippe Bonnecarrère et Agnès Canayer ont défendues dans la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire.
La commission des lois a approuvé la volonté des auteurs de la proposition de loi d’exclure les intérêts publics du champ de l’infraction. En effet, il nous paraît évident que la responsabilité pénale d’un élu ne peut pas être engagée du fait de la défense d’un collectif.
En reprenant des éléments de notre dialogue avec la Cour de cassation, la commission des lois a complété l’article 18 en prévoyant que le juge pénal devra procéder à une appréciation concrète de chaque cas. Il faudra désormais que l’intérêt soit « suffisant » pour peser ou paraître peser sur l’impartialité ou la prise de décision.
Il nous a semblé également pertinent de définir les intérêts familiaux et affectifs susceptibles d’entrer dans le champ de l’infraction. Nous vous proposerons sur ce point un amendement de simplification.
Par ailleurs, devant l’augmentation des actes de violence verbale et physique à l’encontre de l’ensemble des élus locaux, nous proposons une double modification du régime de la protection fonctionnelle.
D’une part, l’octroi de la protection fonctionnelle aux élus locaux victimes de violences, de menaces ou d’outrages deviendrait automatique, conformément à la disposition adoptée par le Sénat le 10 octobre 2023 dans le cadre de la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires.
D’autre part, cette automaticité bénéficierait à l’ensemble des conseillers municipaux, départementaux et régionaux, qu’ils appartiennent à la majorité ou à l’opposition.
L’article 22 tend à mieux encadrer les demandes susceptibles d’être adressées par les établissements bancaires aux personnes politiquement exposées. Le Gouvernement a déposé un amendement qui, même s’il ne va pas aussi loin que nous le souhaiterions, paraît tout à fait pertinent.
Afin de mieux accompagner les élus dans le respect de leurs devoirs et en vue d’apporter de la lisibilité aux obligations déontologiques qui leur incombent, ce texte prévoit également un système de déclaration de certains dons, avantages et invitations d’une valeur supérieure à 150 euros dans un registre tenu par la collectivité. Cette pratique est déjà en vigueur dans de nombreuses collectivités et groupements. Cette obligation de déclaration n’est assortie d’aucune sanction, puisqu’il s’agit d’un mécanisme à visée purement pédagogique et déontologique.
Enfin, s’il ne constitue parfois qu’une parenthèse dans le parcours d’un citoyen, l’engagement local ne devrait jamais se muer en rupture. En plus de la conciliation du mandat avec la vie professionnelle, l’accompagnement des élus durant la phase de transition qui succède au mandat a irrigué l’ensemble de nos travaux.
Au cours de leur mandat, les élus locaux acquièrent de nombreuses compétences et connaissances, qui devraient constituer autant d’atouts au service de leur reconversion professionnelle. Afin de mieux valoriser ces compétences, l’article 25 vise à encourager le recours à la validation des acquis de l’expérience (VAE) et à renforcer l’accompagnement des élus s’engageant dans cette démarche, en créant notamment une certification professionnelle adaptée à leur parcours.
Dans l’objectif de répondre à l’impératif de sécurisation de la trajectoire professionnelle des élus, nous proposons également d’élargir le bénéfice de l’allocation différentielle de fin de mandat (ADFM) à l’ensemble des maires et adjoints au maire. Nous proposons également d’instaurer un « contrat de sécurisation de l’engagement » pour accompagner les élus à leur sortie de mandat afin qu’ils puissent retrouver un emploi.
Enfin, l’article 27 permet de mieux prendre en compte la situation des élus privés d’activité professionnelle à l’issue de leur mandat.
Chers collègues, nous vous invitons à adopter cette proposition de loi ambitieuse, modifiée par les amendements que nous vous présenterons. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI INDEP et SER, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons pour examiner la proposition de loi sénatoriale portant création d’un statut de l’élu local.
Nous avons déjà longuement débattu de ce sujet au cours des derniers mois. Vous connaissez mon attachement en la matière, il fait écho à l’importance que lui prêtent nos élus locaux, notamment nos maires. Nous sommes nombreux à penser que ces derniers ont besoin de notre reconnaissance et de l’encouragement de la République.
Nous n’avons jamais autant parlé du statut de l’élu que depuis que la place des élus et des maires dans notre démocratie a perdu de son évidence. Ce n’est pas à la commission des lois du Sénat que je ferai remarquer que le rythme auquel nous légiférons à ce sujet s’est sensiblement accéléré depuis quinze ans.
Entre la loi de 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions et la loi de 2002 relative à la démocratie de proximité, seules deux lois ont été promulguées. Depuis, le Sénat a examiné la loi de 2015 visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat, puis la loi de 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite Engagement et proximité. Nous nous apprêtons désormais à examiner deux propositions de loi déposées au Sénat et à l’Assemblée nationale sur ce même sujet.
Nos élus, qui ont le sentiment que nous n’avons pas complètement traité la question, nous appellent à les doter d’un véritable statut de l’élu local.
De loi en loi, nous voulons plus de reconnaissance pour nos élus, plus de proximité et plus de vitalité pour notre démocratie locale.
S’il est un lieu institutionnel où, depuis un siècle et demi, nous avons collectivement choisi de construire la liberté et la vitalité démocratique, c’est bien la commune. Tocqueville l’indiquait déjà : « C’est pourtant dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple. »
En 1875, Gambetta louait également dans son fameux discours de Belleville « ce qu’il y a de plus démocratique en France, ce qui constitue les entrailles mêmes de la démocratie : l’esprit communal, c’est-à-dire les trente-six mille communes de France ».
Ce constat historique dressé, comment expliquer que nous devions remettre notre ouvrage sur le métier à d’aussi nombreuses reprises ? Au fil des échanges que j’ai eus lors des derniers mois avec vous tous, mesdames, messieurs les sénateurs, je me suis sincèrement posé cette question.
Incontestablement, le contexte social a changé. Nous le savons tous, l’autorité n’a plus la même valeur incontestée, en raison d’évolutions profondes de l’état d’esprit des individus. Il y a quelques mois, j’avais appelé à un choc civique pour lutter contre les violences faites aux élus. Seul un tel sursaut peut nous sortir de cette impasse où il est devenu possible et banal de s’en prendre aux représentants du peuple que sont les élus locaux.
Le sujet est donc non plus seulement de renforcer le pouvoir et la liberté des élus locaux, mais aussi de conforter les maires dans leurs compétences. Nous aurons l’occasion de revenir sur cet enjeu ; cependant, à mon sens, le statut de l’élu renvoie à une réalité plus dure, celle du quotidien des maires et des élus locaux.
Loin de ne devoir uniquement faciliter l’action publique locale, il nous faut traiter la question institutionnelle suivante : quels sont les leviers de nature à garantir dans le temps l’investissement de nos concitoyens dans les institutions locales ?
Il faut bien sûr garantir que la sécurité personnelle des élus locaux ne sera jamais menacée du fait de l’exercice de leur mandat. C’est ce que la proposition de loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux, récemment adoptée en commission mixte paritaire, permet de faire. Je n’ignore pas le défi quotidien qui consiste à traduire ses dispositions par une réduction drastique du nombre des violences et des agressions faites aux élus.
Il faut toutefois faire plus. Nous devons donner à nos concitoyens de tous âges et de toutes conditions l’envie de se présenter devant le suffrage. Étudiants, jeunes parents, salariés, personnes en situation de handicap, tous ont le droit de se présenter aux élections ; pour autant, peuvent-ils véritablement exercer ce droit ?
Plusieurs éléments sont pour cela nécessaires. Nos institutions locales doivent être vivaces et fortes. Il faut qu’elles continuent de contribuer à l’équilibre de notre démocratie. Être élu local doit demeurer le meilleur moyen de construire le destin d’un territoire, d’un pays ou d’une région, de nos petites patries.
Il faut également que nos élus locaux soient soutenus dans leur mission républicaine et sociale. Rendre tout cela visible ne sera pas simple : du chemin reste à parcourir pour réconcilier l’esprit du temps avec ces notions parfois jugées vieillottes, mais en lesquelles nous croyons profondément. Il est nécessaire de réaffirmer les principes de la loi de 1884 sur l’organisation municipale et de les adapter à la réalité de la société actuelle.
Nous devons rebâtir un esprit civique et politique, fait de responsabilité, de sens de l’engagement et d’attachement au collectif. L’urgence de remobiliser notre jeunesse dans la vie locale, la nécessité de mieux concilier vie professionnelle et mandat, l’impératif de mieux reconnaître et valoriser l’engagement des élus locaux : voilà les objectifs concrets que nous devons nous fixer pour répondre de manière structurelle et durable à la problématique de l’engagement dans la vie démocratique locale.
À ce titre, je salue la proposition de loi déposée par la sénatrice Françoise Gatel. Je le sais, ce texte constitue l’aboutissement de longs mois de travail. Il a été nourri par les trois missions flash de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation qu’elle préside. Le Gouvernement y a lui-même contribué, en tenant notamment au mois de novembre dernier une Convention nationale de la démocratie locale, qui, je le crois, a permis de faire mûrir certaines propositions et de faire converger les parties prenantes que sont le Gouvernement et le Parlement.
Il me semble que les auteurs cette proposition de loi se sont fixé les objectifs concrets que je viens d’identifier.
Ce texte contribue en effet d’abord à sécuriser le cadre d’action des élus : ce sont les articles 18 à 21. Il leur donne les moyens concrets d’exercer leur mandat, d’assurer les mille réunions nécessaires à chaque projet de la commune ou de la collectivité sans devoir en pâtir d’un point de vue personnel ou professionnel : ce sont les articles 5, 6, 9 et 16. Il leur donne des perspectives quant à l’après-mandat, ce qui est indispensable pour permettre à nos concitoyens de se projeter sereinement dans un mandat local : ce sont les articles 14, 15, 25 et 26.
Ce texte valorise également leur engagement quotidien : ce sont les articles 1er, 2, 10, 11 et 28. Il crée les conditions pour mobiliser la jeunesse, en prenant par exemple en compte la situation particulière des étudiants : c’est l’article 12. Il permet aux élus communaux, départementaux et régionaux en situation de handicap d’exercer leur mandat en bénéficiant d’une prise en charge adaptée : c’est l’article 13.
Les auteurs de cette proposition de loi répondent à de nombreuses difficultés identifiées lors de la Convention nationale de la démocratie locale, au sujet desquelles nous discutons lors de nos rencontres avec les élus locaux. En cela, elle est complémentaire de la proposition de loi portant réforme du statut de l’élu local déposée par Violette Spillebout et Sébastien Jumel sur le bureau de l’Assemblée nationale. Vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soutient l’initiative sénatoriale, non sans proposer quelques moyens nouveaux d’atteindre les objectifs qui la sous-tendent légitimement.
Permettez-moi toutefois d’insister sur quelques points qui me semblent mériter attention. Le Président de la République l’a indiqué, nous sommes favorables à ce qu’un travail soit conduit pour revaloriser les indemnités de fonction des élus communaux.
Mme Pascale Gruny. Enfin !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Le Gouvernement a souligné quelques difficultés relatives à l’application de la loi Engagement et proximité. Nous avons esquissé plusieurs propositions, notamment permettre une indemnisation, même symbolique, des conseillers municipaux sans délégation.
Les auteurs de la proposition de loi choisissent une autre voie. Nous ne nous opposerons pas à l’amendement n° 407 de la commission, mais il ne nous semble pas de nature à résoudre l’important problème soulevé par les élus locaux. Il faudra donc y revenir.
Je salue les avancées notables de la proposition de loi au sujet des conflits d’intérêts, notamment ceux entre deux intérêts publics, ou quant à la protection fonctionnelle des élus. Le Gouvernement s’est résolument engagé sur ces deux points ces derniers mois et son engagement trouve ici son aboutissement.
Nous proposerons d’aller plus loin que les auteurs de la proposition de loi en matière de prise en charge des frais de transport et des frais de garde, ainsi que pour rendre plus attractive l’allocation de fin de mandat, afin que cette dernière soit véritablement utilisée par les élus.
En ce qui concerne l’exercice des mandats des élus en situation de handicap, l’amendement du Gouvernement vise uniquement à ne pas légaliser le plafond de prise en charge actuellement fixé par voie réglementaire. Je m’engage à ce que ce plafond soit revalorisé sans attendre, afin que nous améliorions la prise en charge des frais de mandat de nos élus en situation de handicap et que nous rendions cette dernière très rapidement effective. C’est également pour cela que l’amendement n° 413 de la commission me semble recevable.
Par ailleurs, en vue de la transmission de ce texte à l’Assemblée nationale, nous travaillerons à supprimer les verrous qui empêchent les élus locaux de liquider leurs droits à la retraite au cours de leur mandat. En cohérence avec les règles de droit commun, les élus locaux pourront cumuler pension de retraite et indemnité d’élu, tout en continuant à se constituer des droits.
Enfin, ainsi que le Premier ministre l’a souhaité, nous avons déposé un amendement visant à garantir que tous les élus en situation de congé de maternité, de paternité ou d’adoption puissent bénéficier du maintien de leurs indemnités.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en adoptant cette proposition de loi, vous poserez la première brique d’un travail qui sera nécessairement itératif.
S’inscrivant dans la continuité des lois adoptées sous les mandatures précédentes, ce texte nous permettra d’acter de nouvelles avancées sur le chemin de la mobilisation démocratique. C’est heureux, c’est même indispensable.
Néanmoins, je n’ignore pas le rôle qui est le mien et qui est le nôtre, au-delà de ces lois, pour rebâtir l’esprit civique dont la démocratie locale a tiré sa substance depuis 150 ans. C’est une tâche d’un autre ordre, qu’il faut poursuivre ensemble inlassablement, par tous les moyens qui se trouvent à notre disposition.
L’adoption de cette proposition de loi n’est donc pas une fin, c’est une très belle et nouvelle étape. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, oui, cette proposition de loi est attendue. De nombreux maires et élus expriment leur malaise face à la crise des vocations qui se profile à l’horizon de 2026, dans un contexte de montée des violences envers les élus locaux et, plus largement, de désengagement. En effet, dans de nombreux conseils municipaux, des démissions ont eu lieu depuis le renouvellement de 2020.
Aujourd’hui, plus que de la sécurité des élus, c’est de la crise de l’engagement qu’il est question dans cette proposition de loi. Cette crise menace les élections de 2026, tant par un renoncement à s’engager que par le découragement de ceux qui sont déjà engagés ; elle menace la vitalité de la commune, cellule de base de la République.
Cette proposition de loi est le fruit d’un travail transpartisan, qui, tel un fleuve, prend sa source dans la mission d’information sur l’avenir de la commune et du maire en France, poursuit son cours grâce aux travaux de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et, plus largement, à ceux, nombreux, de tous les groupes, pour déboucher ce soir en séance publique.
Je veux dire mon plaisir de voir consacrée la notion de statut de l’élu, que ma formation politique défend depuis plusieurs décennies. Créer un statut de l’élu, c’est tendre vers la possibilité démocratique pour tous les citoyens d’accéder à cette fonction, sans en constituer pour autant l’alpha et l’oméga.
De nombreux documents ont été produits sur le sujet, ici, au Sénat – j’ai déjà eu l’occasion d’en citer. Je salue les deux rapports d’information de M. Mathieu Darnaud : dans celui de 2018 intitulé Faciliter l’exercice des mandats locaux : enjeux et perspectives, il proposait des pistes sur le régime indemnitaire, la formation et la reconversion ; dans celui de la mission d’information sur l’avenir de la commune et du maire en France de 2023, il souhaitait non seulement redonner les moyens de transformer l’engagement en action, mais aussi faciliter l’exercice du mandat.
Je pense aussi à de nombreuses propositions et projets de loi. Le projet de loi Engagement et proximité visait à renforcer les droits des élus locaux. Vous me permettrez d’avoir une pensée pour M. Pierre-Yves Collombat, qui siégea au sein de notre groupe à la fin de son mandat ; sa proposition de loi créant un statut de l’élu communal donna lieu, ici même, à un débat de quatre heures.
Créer un statut de l’élu, c’est reconnaître le rôle incontournable des acteurs de la République et de la démocratie locale. Poser la question d’un statut de l’élu, c’est poser celle de la place des élus dans la société ; c’est aussi leur témoigner une reconnaissance collective, leur signifier qu’il ne peut y avoir de démocratie sans eux.
J’ai toujours défendu la notion de statut de l’élu. C’est grâce à ce statut que nous pouvons garantir à chaque citoyen le continuum de l’engagement, celui-là même qui permet de devenir, d’être et de ne plus être élu. Faciliter la formation, les disponibilités et le retour à l’emploi, sécuriser juridiquement les élus, revoir les indemnités : autant de sujets à régler si nous voulons, demain, que les élus soient acteurs et initiateurs des politiques locales.
Cette proposition de loi contient plusieurs axes, ce dont nous nous félicitons. Nous défendrons aussi l’exigence qu’il y a à assimiler l’élu au salarié protégé, car, oui, être élu demande de pouvoir être protégé. Quel que soit le nombre de salariés concernés, au regard de l’enjeu démocratique, un engagement fort du monde économique doit être acté. Nous voulons poursuivre le travail sur la protection fonctionnelle, qui se doit d’être plus efficace et plus rapide, pour mieux sécuriser l’élu. Enfin, il faudra compléter, sans les complexifier, les règles pour réduire la prise illégale d’intérêts.
Je conclurai par une remarque. Une centaine d’amendements ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution, leur objet ayant été considéré comme aggravant la charge publique.
Je ne sais si la démocratie locale est une charge, mais elle a bien un coût. Certes, les dictatures coûtent moins cher, mais ce n’est pas le modèle que nous défendons. Je ne rouvre donc pas ici le débat sur l’utilité de l’article 40 et sa remise en question. Cependant, sans réelle réflexion, nous n’avancerons pas.
Oui, les élus doivent être indemnisés, doivent voir leur engagement reconnu par des droits sociaux, doivent pouvoir mener leur mandat sans engager des dépenses personnelles, sauf à ne permettre qu’à certains, les plus riches, de devenir élus.
Plus qu’une question constitutionnelle sur l’article 40, c’est bel et bien une vision politique et, surtout, démocratique qui s’impose : permettre, oui ou non, à tous de devenir élus.
Au cours de la discussion des articles, nous donnerons notre avis sur un certain nombre de sujets. Nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, défiance des citoyens, multiplication des agressions et violences, difficultés des élus locaux à conjuguer leur mandat et leurs activités professionnelles, lourdeur et complexité administratives, difficultés à recruter… Ce diagnostic a été établi dans le cadre de la mission d’information sur l’avenir de la commune et du maire en France, qu’a présidée Mme Maryse Carrère, présidente du groupe RDSE, et dont M. Mathieu Darnaud a été le rapporteur.
Dans son rapport d’information du 5 juillet 2023 à l’intitulé sans ambages, Avis de tempête sur la démocratie locale : soignons le mal des maires, on trouve le constat suivant : « La place du mandat municipal dans la vie civique locale semble connaître un reflux inquiétant. »
Je n’oublie pas non plus l’individualisme et les citoyens consommateurs de services publics, signes d’une véritable évolution des comportements, ainsi que le soulignent les élus de nos territoires.
Les chiffres illustrant ce phénomène ont fait la une des journaux. Au 10 mai 2023, à mi-mandat, 1 078 maires, parmi tous ceux qui avaient été élus en 2020, avaient déjà démissionné, soit plus de 3 % de l’effectif total des maires en à peine trois ans. C’est un niveau de démission sans précédent.
Corrélé aux chiffres de l’abstention grandissante, ce constat nous oblige à agir : il faut coconstruire les bases d’un statut de l’élu qui redonne une éthique aux différents mandats et qui facilite l’engagement.
En effet, pour envisager un statut de l’élu, le seul prisme des droits ne permet pas de répondre à tous les enjeux. C’est la raison pour laquelle, en 2018, avec notre ancien collègue M. Joël Labbé, j’ai déposé une proposition de loi relative au statut de l’élu et visant à renforcer les droits et les devoirs des élus et la participation à la vie démocratique.
Aujourd’hui encore, j’ai déposé un amendement ayant pour objet de faire en sorte que toute personne se portant candidate détienne obligatoirement un casier judiciaire vierge. C’est le moins que l’on puisse demander : c’est déjà obligatoire pour nos collaborateurs et pour près de 400 professions. J’espère que nous n’entrerons pas une nouvelle fois dans des débats sur l’anticonstitutionnalité d’une telle mesure… Votons-le, le Conseil constitutionnel tranchera !
Tout me semble lié : l’état de délabrement de la confiance dans la politique – la dernière enquête du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) révèle un taux de défiance envers le Gouvernement et le Parlement de 70 % – crée un contexte agressif dont pâtissent les maires et les élus locaux, qui, dans ce même sondage, bénéficient pourtant de 60 % de confiance.
Le groupe RDSE a toujours eu à cœur d’avancer sur ce sujet. La plus récente initiative est la proposition de loi de Mme Nathalie Delattre visant à permettre aux assemblées d’élus et aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d’un mandat électif public victime d’agression, texte définitivement adopté le 18 janvier 2023.
Éric Gold a aussi signé deux propositions de loi : un texte instaurant une majoration de trimestres pour la retraite des élus de communes de moins de 3 500 habitants, déposé le 27 janvier 2023, et un texte visant à lutter contre les incivilités, menaces et violences envers les personnes dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif public, déposé le 1er octobre 2019.
Par ailleurs, le statut de l’élu étudiant – préconisation de ma proposition de loi tendant à renforcer la culture citoyenne votée à l’unanimité du mois de novembre dernier – figure dans le texte examiné aujourd’hui. C’est pour moi une véritable satisfaction.
Ces dernières années, l’idée d’élaborer un statut de l’élu propre aux élus locaux est revenue comme un serpent de mer.
Rappelons que le concept de statut, en droit, vise l’ensemble des dispositions qui régissent à la fois l’entrée en fonction, l’exercice et les conditions de sortie du mandat.
Les élus locaux bénéficient déjà d’une forme de statut juridique, dans la mesure où l’ensemble des règles visées par le concept de statut existent déjà.
Les nombreuses propositions de loi reflètent bien le mal-être des élus locaux, mais surtout le fait que ce statut souffre d’un défaut : il ne rend pas compte de la spécificité de la fonction élective locale. Cette particularité serait de nature à déboucher sur la création d’un code de la fonction élective, par mimétisme avec le code de la fonction publique.
De ce point de vue, cette proposition de loi reste insuffisante. Il faut cependant remercier ses auteurs, Mme Françoise Gatel et ses collègues, qui font véritablement avancer le sujet. Loin de créer un authentique et innovant statut de l’élu local, elle offre plutôt une série de mesures qui améliorent les conditions d’exercice des mandats électifs locaux et complètent les autres textes.
Nous y retrouvons les cinq axes d’action incontournables : le régime indemnitaire, l’amélioration des conditions d’exercice du mandat, la facilitation de l’exercice d’une activité professionnelle, la sécurisation de l’exercice, enfin, la facilitation de la sortie du mandat.
Sur le fond, ces mesures sont attendues et nécessaires ; sur la forme, en revanche, la promesse d’un véritable statut n’est pas tout à fait tenue. D’autres véhicules législatifs devront demain constituer un véritable statut, qui sécurise réellement l’élu local.
Comme le dit une maire du département dont je suis élu, n’oublions jamais que les maires et les élus locaux sont de véritables amortisseurs sociaux. Sans eux, la marmite aurait, sans doute, déjà explosé. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI. – M. Guy Benarroche applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Olivier Bitz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chacun le sait au sein de cet hémicycle, beaucoup d’élus locaux, en particulier des maires, sont tout simplement au bout du rouleau.
Les causes de cette situation sont multiples.
Premièrement, les relations entre les autorités municipales et les administrés sont de plus en plus complexes. Nous assistons bien souvent à une transformation du rapport entre les citoyens et les élus en une relation entre clients et prestataires. La relation est également devenue plus distante. La perte de l’instruction et de la délivrance des documents d’identité, pour l’immense majorité de communes, en est sans doute l’illustration la plus forte. La relation est également plus juridique, avec davantage de contentieux. Enfin, l’augmentation du nombre d’agressions à l’égard des élus vient dramatiquement compléter le tableau.
Deuxièmement, la complexification croissante de l’action publique locale décourage même les meilleures volontés. Les difficultés grandissantes à s’entourer d’agents pour accompagner les élus dans la gestion de cette complexité constituent également un facteur de doute supplémentaire pour nombre de maires.
Troisièmement, quelle place avons-nous laissée aux élus municipaux dans le système public local ? Certes, la loi Engagement et proximité a essayé de rééquilibrer le rôle des communes et des maires au sein des intercommunalités, mais nous sommes encore très loin du compte ! Combien de fois entendons-nous dans nos communes, notamment dans les plus petites d’entre elles, la lassitude des maires, qui doivent concentrer une part significative de leur activité sur les conflits de voisinage ou à la recherche des animaux errants ? Les compétences valorisantes s’exercent ailleurs, souvent sans leur concours.
Quatrièmement – enfin, nous y sommes –, le statut de l’élu local ne reconnaît pas à sa juste valeur l’engagement des femmes et des hommes qui consacrent leur temps à l’intérêt général et à faire vivre la République dans nos territoires.
Oui, cette proposition de loi est la bienvenue. Elle a recueilli, de manière transpartisane, un très large consensus et nous permettra, j’en suis certain, d’améliorer concrètement la situation actuelle.
Je tiens à remercier tout particulièrement nos trois rapporteurs, mais également la délégation sénatoriale aux collectivités locales et à la décentralisation, de ce travail de grande qualité, accompli dans des délais forts contraints.
J’aurais souhaité que nous puissions aller encore plus loin, au moment où nombre de maires s’interrogent sur leur éventuelle candidature aux prochaines élections municipales de 2026. Malheureusement, l’irrecevabilité financière de l’article 40 de la Constitution a bien souvent été dégainée.
Aux élus qui ne voudront plus se représenter en 2026 pourrons-nous également opposer une irrecevabilité financière ? Si nous n’avons pas de candidat, il nous faudra bien assumer des dépenses supplémentaires, et ce de manière certaine ! En effet, le temps de l’élu local est celui qui, à l’évidence, coûte le moins cher à l’État. Alors, motivons, soutenons cet engagement dans l’intérêt même des finances publiques, avant que ce modèle d’engagement ne s’écroule complètement.
Dans cette perspective, ce texte prévoit d’améliorer la situation en matière indemnitaire. C’est une bonne chose, qui doit cependant s’accompagner d’une hausse significative de la DPEL ; cette hausse doit non seulement permettre un meilleur soutien aux communes, mais également élargir le nombre de communes éligibles. Il y aurait une forme d’hypocrisie à augmenter les montants légaux, alors que nous savons pertinemment que nombre de communes n’ont pas les moyens d’assumer seules cette nouvelle charge, y compris des communes de plus de 1 000 habitants, qui, aujourd’hui, ne sont pas éligibles à la DPEL.
Nous connaissons déjà l’effort consenti par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, avec une augmentation de 15 millions d’euros de la DPEL. Cet effort n’est toutefois pas encore suffisant ; il est nécessaire de définir, sur plusieurs années, une trajectoire d’évolution de cette dotation, pour qu’elle permette aux maires de percevoir les indemnités auxquelles ils peuvent légitimement prétendre.
L’indemnité ne fait cependant pas tout. Il est nécessaire de prendre mieux en compte l’engagement électif dans le calcul des retraites. Le groupe RDPI y est résolument favorable, comme il est favorable à l’aménagement des frais de transport ou de garde d’enfant.
Deux points me paraissent encore devoir être soulignés.
Les dispositions proposées visant à assurer une meilleure conciliation entre mandat et vie professionnelle ou mandat et études vont dans le bon sens. Il faut cependant bien reconnaître que nous sommes collectivement en panne pour trouver des solutions afin de mieux accompagner les chefs d’entreprise, artisans, commerçants ou autoentrepreneurs dans leur prise de responsabilités électives. Les mesures proposées pour mieux concilier mandat électif et vie personnelle sont à souligner, notamment celles qui concernent le congé de maternité, de paternité ou d’adoption. L’évidence entre enfin dans le droit.
Les enjeux liés à la fin du mandat sont eux aussi fondamentaux. En effet, comment susciter des vocations si les candidats ne sont pas convaincus qu’après leur mandat ils pourront reprendre pleinement une activité professionnelle sans être pénalisés ? Les démarches de validation des acquis de l’expérience doivent être valorisées.
Madame la ministre, je pense également qu’il y a beaucoup à faire dans la fonction publique, notamment dans la fonction publique d’État, pour laquelle le Gouvernement peut très largement agir par voie de circulaire – tout ne passe pas forcément par la loi. Un élu local, qui a par exemple été placé en position de détachement ou de disponibilité pendant son ou ses mandats, se retrouve, au moment du retour dans son administration, souvent renvoyé au niveau fonctionnel qui était le sien au moment de son élection. Par voie de circulaire et dans la perspective de 2026, il me paraît important que la Gouvernement demande à son administration d’organiser de manière particulière le retour de ces agents. Il faut anticiper ces situations. L’administration ne peut ignorer, comme elle le fait encore trop souvent aujourd’hui, l’engagement pour l’intérêt général qui a été celui de ses propres agents.
Vous l’aurez compris, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe RDPI votera en faveur de cette proposition de loi, en ayant la conviction qu’elle améliorera la situation actuelle sans pour autant épuiser le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Roiron. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Pierre-Alain Roiron. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte, élaboré dans des circonstances exceptionnelles, vise à répondre à une crise démocratique, mais également à une crise de représentativité. Oui, permettre à quiconque, indépendamment de ses origines sociales, de sa profession et de son âge, de se porter candidat à une élection politique est une exigence démocratique.
Cette proposition de loi transpartisane ne peut être plus appropriée qu’à notre chambre, celle des territoires. Je tiens à saluer l’initiative préalable de nos collègues Éric Kerrouche et Didier Marie, qui ont déposé au mois de juin dernier une proposition de loi visant à démocratiser les fonctions électives et renforcer la protection des élus locaux.
Néanmoins, cette proposition de loi nous donne aujourd’hui l’occasion de créer enfin un vrai statut de l’élu et d’améliorer de manière générale les conditions d’exercice des mandats locaux. En cela, ce texte marque une étape dans notre quête pour renforcer la démocratie locale et reconnaître le rôle indispensable que jouent les élus territoriaux. Face au désengagement de l’État dans nos territoires, prenons des décisions allant dans le sens du républicanisme décentralisé dont nous sommes ici les héritiers.
Au 31 janvier 2024, plus de 4 % des maires élus lors des élections municipales de mars et juin 2020 avaient renoncé à leur mandat. En Indre-et-Loire, au premier semestre 2023, 115 élus avaient démissionné. Cette crise des vocations menace le cœur même de notre système démocratique, là où il est le plus vivant, le plus proche de nos concitoyens, c’est-à-dire à l’échelon territorial. Cette vocation, nous la vivons, ici, toutes et tous.
Nous devons reconnaître que cette proposition de loi couvre un large périmètre : l’encouragement de l’engagement local, l’amélioration du régime indemnitaire et des conditions d’exercice du mandat, sans oublier la sortie du mandat, étape marquante dans la vie d’un élu.
Je me réjouis sincèrement des discussions relatives à l’indemnité de fonction de l’élu. La multiplication des missions attribuées aux maires et la complexification de leur action se devaient d’être mieux reconnues. Néanmoins, nous persistons : l’approche uniforme de l’augmentation de l’indemnité de fonction nous semble définitivement moins pertinente qu’une augmentation spécifique, en fonction de la strate de population de la commune.
La suppression de la délibération préalable relative aux indemnités de fonction et l’extension du principe de fixation des indemnités des maires aux adjoints et à l’exécutif des départements et des régions sont grandement bienvenues. Ces mesures vont dans le sens de la juste reconnaissance de l’engagement local. Il en est de même pour la modification du mode de calcul de l’enveloppe indemnitaire globale.
La retraite des élus locaux est un sujet sensible, depuis de nombreuses années. La bonification d’un trimestre par mandat complet, dans la limite de huit trimestres, est une avancée notable, mais reste peu ambitieuse et se limite aux seuls membres des exécutifs locaux.
En effet, le régime de retraite des élus locaux peut être un obstacle majeur pour l’engagement local. Par exemple, cotiser à l’Ircantec (institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques) bloque l’accès à une retraite progressive et entrave l’accès au minimum contributif pour de nombreux élus. Il est crucial d’exclure le régime Ircantec des autres régimes de retraite, afin d’assurer une retraite adéquate pour les élus. Nous demandons un rapport.
Nous devons être conscients que cette revalorisation doit s’accompagner d’un soutien accru aux élus, que ce soit dans leur gestion des responsabilités comme dans la conciliation entre mandat et vie personnelle.
Au risque de me répéter, sur ce point, je réaffirme que les discussions sont allées dans le bon sens, de la prise en charge des frais de transport et des frais de représentation à la flexibilité des absences, en passant par la formation des élus.
Il va sans dire que nous regrettons que, en dépit de son titre, ce texte n’aille pas assez loin sur le statut des élus. Nous pensons au statut de salarié protégé, proposé par nos collègues MM. Éric Kerrouche et Didier Marie, qui garantissait qu’un salarié ne puisse faire l’objet d’une mesure de licenciement ou de rupture de contrat au seul motif qu’il exercerait des fonctions électives.
Enfin, nous pensons évidemment à la maire de Poitiers, qui a dû faire le choix de cesser temporairement d’exercer ses fonctions pour bénéficier pleinement de son congé de maternité et qui a ainsi vu ses revenus financiers diminuer. Cette situation n’est pas tolérable. Tout élu local qui cesse temporairement d’exercer ses fonctions pour accueillir un enfant dans le cadre d’un congé de maternité, de paternité ou d’adoption doit pouvoir continuer à percevoir ses indemnités de fonction.
Nous voterons en faveur de ce texte, mais non sans la ferme conviction que notre travail ne s’arrête pas aujourd’hui. Ce texte n’est pas un aboutissement, c’est un commencement, qui témoigne de l’engagement renouvelé du Sénat envers nos élus locaux, envers nos territoires, envers la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Guy Benarroche applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, naturellement, le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. Je n’entrerai pas dans les détails de ce texte, que tous ont appelé avant moi : il s’agit d’améliorer la situation indemnitaire, la capacité à s’engager dans la vie publique, la réinsertion post-mandat, les retraites… Finalement, avec tout le respect que j’ai pour tous ceux qui ont élaboré ce texte, je considère que tous ces éléments sont en discussion ou ont progressivement émané des rapports d’information du Sénat et d’un certain nombre de textes depuis vingt-cinq ans.
Cependant, madame la ministre, il y a un autre sujet… Si des milliers d’élus veulent mettre fin à leur mandat, ce n’est pas uniquement parce que leur indemnité n’est pas suffisante. Il y a autre chose… (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Bien sûr !
M. Roger Karoutchi. D’une part, la culture collective n’est plus mise en avant par rapport au destin autocentré et à l’individualisme. Cela nous coûte extrêmement cher, parce que les élus sont de plus en plus soumis à des pressions de la part de concitoyens qui, au-delà de l’avenir de leur commune, ne voient souvent que leur avenir personnel, en refusant l’engagement collectif et le partage. Les élus subissent ces très fortes pressions.
D’autre part, madame la ministre – et la responsabilité n’en incombe pas particulièrement à votre gouvernement –, vous devez savoir ce que vous voulez. Que voulez-vous ?
Si vous interrogez les élus, bien sûr qu’ils vous parleront de leurs difficultés économiques ou de leurs problèmes de réinsertion professionnelle. Les étudiants vous diront qu’ils étudient et n’ont pas les moyens.
Voyez surtout le découragement, quand l’État ne restaure pas la confiance envers les collectivités ou qu’il prend d’une main ce qu’il donne théoriquement d’une autre. Les élus n’ont pas un sentiment d’inutilité – lors de la crise covid, ils étaient là, comme ils sont toujours là en cas de crise lourde ou de drame local –, mais ils ont le sentiment d’être là, tous seuls face aux citoyens, et pas toujours avec le soutien des pouvoirs publics.
M. Laurent Burgoa. Très bien !
M. Roger Karoutchi. Souvent, ils se disent : « Nous, nous faisons ce que nous pouvons, mais, en réalité, nous sommes bien seuls… »
Au-delà du niveau de rémunération, c’est la solitude qui leur pèse, c’est le fait de se dire qu’ils se battent tous les jours, sans compter, et pour être reconnus par qui ? Peut-être par les citoyens, par les électeurs, s’ils les réélisent aux prochaines élections – avec tout ce que cela charrie d’incertitudes.
Quand les élus se tournent vers l’État, en demandant de l’aide, des moyens, après avoir fait au mieux, ils s’entendent répondre : « L’État fait des efforts budgétaires, à vous d’en faire autant ! » Sauf qu’ils n’ont carrément plus rien. Quand ils demandent des ressources fiscales, ils se voient opposer un refus. L’autonomie financière ? C’est du passé, de la nostalgie ; c’est dans les films ! (Exclamations amusées au banc des commissions.)
Tout cela pour quel résultat ?
Madame Gatel, ce texte est une bonne chose, nous le voterons avec force, car il modifie le statut de l’élu – un statut qui est presque existentiel et économique –, mais certainement pas le respect que l’élu local attend, le respect qu’il attend de l’autorité de l’État (Mme la ministre déléguée acquiesce.), le respect qu’il attend du fait qu’il fait tout ce qu’il peut, qu’il est le dernier maillon de la démocratie, le maillon le plus immédiat, « à portée de claques », comme dirait le président du Sénat, le respect qu’il attend du fait qu’il est celui qui finalement fait vivre la démocratie, dans un pays qui n’y croit plus beaucoup – non, plus beaucoup…
Madame la ministre, nous allons voter ce texte. Vous vous êtes engagée à défendre ce texte à l’Assemblée nationale et au cours de la navette parlementaire. En réalité, nous attendons des pouvoirs publics et de l’État le respect des élus locaux, le respect des collectivités, le respect de l’engagement et le respect de cette réalité : sans ces élus locaux, il n’y a plus beaucoup de démocratie. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart.
M. Joshua Hochart. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis de trop nombreuses années, les maires et les élus locaux sont confrontés à des défis cruciaux. Colonne vertébrale de la démocratie, symbole de notre identité républicaine, ces milliers de femmes et d’hommes, élus des plus petites de nos communes aux plus grandes de nos collectivités, participent, plus que jamais, à la promesse de l’égalité républicaine et de fraternité.
Pourtant, si nos louanges ne manquent pas pour nos élus locaux, leur engagement demeure peu récompensé par la Nation. Il appartient ainsi à la chambre haute de répondre non plus aux défis, mais bien à l’urgence.
On observe, scrutin après scrutin, une désaffection profonde pour la charge d’élu local. Depuis 2020, ce sont des milliers d’élus, maires, adjoints ou conseillers municipaux, qui ont abandonné un mandat devenu trop lourd à porter. Les tracasseries administratives et l’impossibilité de concilier vertueusement la vie professionnelle ou la vie familiale avec la qualité d’élu dissuadent bien souvent nos concitoyens de s’engager au service de nos compatriotes.
Et je n’oublie pas la violence endémique à leur encontre, trop souvent à portée d’engueulade ou de claque, voire pire ! Il y a peu, dans la belle ville de Denain où je suis élu, la maire a été menacée d’être enterrée vivante dans le terrain occupé illégalement par des gens du voyage.
Renforcer le statut de l’élu local, c’est aussi donner aux élus le pouvoir de lutter contre les squatteurs, les occupations illégales de terrains et sur tant d’autres sujets. Il s’agit simplement de les remettre au centre de la décision.
D’abord, nombre de nos élus, particulièrement les maires de nos villages, souffrent d’un manque de reconnaissance financière de la part de l’État. Agents d’état civil et élus locaux, les maires des plus petites communes ne bénéficient ni de l’armature administrative dont jouissent les grandes collectivités ni des indemnités induites. Face à la crise inflationniste et à la crise des vocations, il appartient au Sénat de revaloriser puissamment les indemnités offertes aux maires et à leurs adjoints, aux conseillers municipaux délégués, particulièrement dans les plus petites communes.
Par ailleurs, si, pour nombre de personnes, la politique est un métier, l’engagement des élus locaux est devenu un sacerdoce, qui ne doit pas faire obstacle à la poursuite d’une vie professionnelle ou au maintien d’une vie de famille. Avec ses 500 000 élus locaux, la France témoigne d’une démocratie locale vibrante : l’écrasante majorité d’entre eux continuent à être salariés, fonctionnaires, indépendants, en tout cas à ne pas vivre directement de leurs mandats.
Pourtant, de la difficile valorisation universitaire des compétences acquises lors d’un mandat local aux discriminations, toujours silencieuses, bloquant le recrutement d’un élu local au sein d’une entreprise privée, les barrières ne manquent pas. Les sénateurs du Rassemblement national sont particulièrement attachés à cette question et voteront toutes les mesures de bon sens permettant d’articuler efficacement l’exercice d’un mandat local et le retour à une activité professionnelle.
L’État doit également davantage soutenir, en prévoyant des compensations, les élus locaux chargés de famille ou tenant le rôle d’aidants, particulièrement dans les plus petites communes.
Le texte que nous avons à examiner promeut sans doute de belles intentions et semble répondre à de nombreuses urgences dégradant les conditions de vie et d’exercice du mandat des élus locaux. Néanmoins, nous demeurerons vigilants et actifs au cours des débats pour améliorer sans cesse la situation de nos élus, garants de la bonne santé de notre République.
M. le président. La parole est à M. Cédric Chevalier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Cédric Chevalier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, parce que ceux qui composent le ciment de notre vivre-ensemble sont découragés, parce que les derniers remparts de la République que sont les maires commencent à se fissurer, parce que des femmes et des hommes qui se sont engagés pour le bien commun et l’intérêt général ont aujourd’hui du mal à trouver la motivation de continuer à œuvrer et se sentent parfois bien isolés, la démocratie est en danger !
Les chiffres sont parlants. Depuis le dernier renouvellement des conseils municipaux, près de 1 500 maires ont démissionné, ce qui représente plus de 4 % des maires élus en 2020. En moyenne, un maire démissionne chaque jour de son mandat. Au-delà, ce sont au total 12 648 élus locaux qui ont jeté l’éponge.
On peut évidemment mettre leur exaspération ou leur abattement sur le compte de l’empilement de normes fastidieuses et chronophages, sur des responsabilités de plus en plus accablantes ou bien encore sur l’impatience toujours plus forte et intrusive des citoyens, voire sur l’augmentation des violences à leur égard. Cela ne suffit pas !
Mes chers collègues, si les conditions actuelles d’exercice des élus locaux s’appliquaient à l’ensemble des salariés de notre pays, cela provoquerait sans nul doute un grand mouvement de protestation et de contestation sociale.
Aussi, le texte que nous examinons aujourd’hui arrive à point nommé, trois ans avant les prochaines échéances municipales. Ces trois années devraient permettre de mettre en œuvre les dispositions prévues et d’en mesurer les premiers résultats dès le renouvellement de 2026.
Je n’entrerai pas dans le détail des mesures proposées. Je veux surtout me féliciter que cette proposition de loi offre une vision globale en abordant l’avant-mandat, le mandat lui-même et l’après-mandat.
Elle met en place un certain nombre d’outils et de garanties pour soutenir les élus en place, tout en donnant envie à nos citoyens de s’engager à leur tour. Surtout, elle s’adapte aux réalités du terrain et tient compte de l’évolution de la société et des nouveaux profils susceptibles de vouloir prendre une responsabilité.
Reconnaître l’engagement, donner des garanties, accompagner davantage, mieux former, améliorer les conditions matérielles, aider à concilier le mandat avec la vie professionnelle et la vie privée : autant de mesures concrètes et efficaces qui constituent un signal fort envoyé à ces femmes et à ces hommes, qui sont les animateurs de nos territoires et les défenseurs de la République.
Même si elle ne règle pas tout et que nombre de points restent encore à traiter – simplification administrative, santé, cumul des mandats –, cette proposition de loi s’inscrit dans une philosophie d’amélioration de l’exercice quotidien du mandat. Le cœur du sujet est bien la promotion de l’engagement public au sens noble du terme et le bien-être des élus locaux.
Madame la ministre, au-delà de cette proposition de loi, il y a également besoin d’un engagement plus fort de l’État dans la reconnaissance de ces acteurs essentiels à la démocratie locale. Je pense à la prise en charge des indemnisations, à l’autonomie financière, aux rapports entre l’administration et les élus. La démocratie a un coût, l’auteur de ce texte l’a rappelé.
Le Gouvernement doit prendre toute sa part dans le travail que nous menons aujourd’hui. Ne plus décider sans concerter, stopper les désengagements des services publics sur le terrain, arrêter de transférer sans compenser financièrement : « Paroles, paroles, paroles… » Même si c’est une belle chanson de Dalida, les élus locaux méritent mieux ! (Exclamations amusées et applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)
Vous l’aurez compris : le groupe Les Indépendants, dont tous les membres ont cosigné cette proposition de loi, soutient avec force ce texte d’une telle importance pour nos élus locaux et se félicite de son examen.
En guise de conclusion, je souhaite remercier l’auteur de ce texte, Mme Françoise Gatel, les rapporteurs de la commission des lois, ainsi que l’ensemble des collègues ayant travaillé à ces problématiques, plus particulièrement les membres de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Pour tous ceux qui ont œuvré hier, qui œuvrent aujourd’hui et qui œuvreront demain, merci ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous le savez tous, le maire incarne la République du quotidien. Chaque maire exerce ses missions au service de l’intérêt de ses administrés.
Certes, il a les qualités d’officier d’état civil et d’officier de police judiciaire, mais il tire surtout sa légitimité du scrutin universel direct, lui-même issu des legs de la Révolution française. Oui, il est souvent utile de puiser dans notre passé pour mieux penser notre avenir !
Mme Françoise Gatel. C’est vrai !
M. Jean-Michel Arnaud. Permettez-moi donc de rappeler l’article 4 du décret du 14 décembre 1789, lequel prévoit que « le chef de tout corps municipal portera le nom de maire », ainsi que son article 5, selon lequel « tous les citoyens actifs de chaque ville, bourg, paroisse ou communauté pourront concourir à l’élection du corps municipal ».
Cet héritage révolutionnaire, modelé au fil des régimes, semble malheureusement éloigné du ressenti actuel d’une majorité d’élus locaux. Comme nombre d’entre vous, mes chers collègues, je vais régulièrement à la rencontre des élus municipaux. J’étais vendredi dernier dans la vallée du Valgaudemar dans les Hautes-Alpes : tous les témoignages reflètent des conditions de mandat dégradées, voire perçues comme dégradantes ; les menaces de renoncement mettent en danger l’avenir de nos communes, notamment rurales. Les maires sont confrontés à une exigence croissante des citoyens. Le recours à la violence, verbale ou physique, est plus fréquent.
Plusieurs élus de mon département en ont malheureusement été victimes. Je pense aux maires de Briançon et de Trescléoux, dont les véhicules ont été incendiés.
Parallèlement, les modalités d’exercice du mandat se complexifient au regard de l’inflation normative et de la difficile conjugaison de la vie politique et de la vie privée. Dans certains cas, la fonction d’élu local peut même relever de la contrainte. Il me vient en tête le cas de deux maires, ceux de Névache et Puy-Sanières, qui cogèrent une librairie dans la commune de Névache. Bien que leur activité professionnelle soit distincte de leur mandat, ces deux élues ne peuvent bénéficier d’aucune aide publique. Les dossiers de subvention nécessitant généralement une délibération municipale, les deux maires encourent le risque d’endosser une posture politique délicate vis-à-vis de l’opinion publique, le moindre soupçon de conflit d’intérêts se révélant destructeur pour toute personnalité publique.
Être élu local, c’est aussi être le réceptacle universel de toutes les revendications, dès lors que l’État territorial se désengage. En pratique, le maire se retrouve bien souvent le seul délégué de tous les services publics, la personne responsable de toute l’action publique. Voilà la réalité d’un grand nombre d’élus ruraux, confrontés seuls aux maux de la société. Le « réarmement des territoires », que le Gouvernement appelle de ses vœux, doit se concrétiser dans les faits. L’État territorial n’est un pas concept théorique : il doit se traduire sur le terrain par un renforcement des moyens humains et financiers.
Mes chers collègues, vous connaissez tous, dans cet hémicycle, le duo dynamique et structurant que forment le préfet de département et le maire. Il est tout aussi essentiel qu’efficace, je l’ai encore constaté en fin d’année dernière, lorsque mon département a été touché par des aléas climatiques de grande ampleur. Il ne faut donc pas fragiliser l’empreinte de l’État dans les territoires, au risque de faire face à un délitement des missions régaliennes de ce dernier.
Les conditions d’exercice du mandat, que je viens de présenter, appellent une réaction du législateur, en vue d’un véritable statut de l’élu local. Alors que le Président de la République s’est engagé, dès 2017, à présenter un projet de loi de décentralisation, le grand bouleversement annoncé a accouché d’une souris, simple catalogue de mesures techniques, baptisé loi 3DS et axé sur la déconcentration plus que sur la décentralisation ou la différenciation.
Si le Gouvernement a cédé aux sirènes de l’immobilisme et, peut-être, aux nombreux prophètes de la centralisation, le Sénat, lui, agit. Ainsi, la proposition de loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux, déposée par M. François-Noël Buffet, a été adoptée le 10 octobre dernier.
La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a fréquemment conduit des travaux sur la question du statut d’élu. À cet égard, permettez-moi de citer le rapport d’information Faciliter l’exercice du mandat local, déposé le 14 décembre dernier, dont l’un des rapporteurs était notre collègue Pascal Martin.
Dans la continuité de cette dynamique, la Haute Assemblée examine aujourd’hui la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local. J’en profite pour saluer les trois rapporteurs, Jacqueline Eustache-Brinio, Éric Kerrouche, ainsi que, bien sûr, l’incontournable présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Françoise Gatel, et les remercier de la qualité du travail accompli.
Le texte se fixe plusieurs objectifs, qui sont attendus dans nos territoires.
Pour commencer, l’attractivité de la fonction dépend de l’amélioration du régime indemnitaire. S’engager pour sa collectivité relève avant tout d’un contrat moral noué avec les électeurs. Ce n’est pas pour autant que nos élus doivent forcément être bénévoles ou bénéficier d’une indemnité de fonction s’apparentant à une indemnité de subsistance. Endosser des responsabilités politiques n’exonère pas des aléas de la vie professionnelle et personnelle. Ce texte formule des propositions en ce sens.
Le titre II facilite l’engagement des élus locaux et améliore les conditions du mandat. Tout citoyen doit pouvoir s’engager au service du bien commun, quelle que soit sa condition. Je salue la création d’un statut de l’élu étudiant ou encore la possibilité pour les collectivités de compléter les indemnités journalières versées par la sécurité sociale à l’occasion d’un congé de maternité.
Par ailleurs, il est opportun que la commission des lois ait adopté l’amendement que j’ai déposé visant, pour éviter une confusion des rôles, à supprimer le dispositif prévoyant l’organisation de formations pour les élus locaux par le CNFPT, le Centre national de la fonction publique territoriale. Je me demande encore comment une telle mesure a pu être envisagée !
Je regrette également que cette proposition de loi n’aborde pas la situation des élus représentant les Français de l’étranger, toujours absents de nos débats ! (Mme Olivia Richard applaudit.)
Quant à la dernière partie du texte, elle vise à sécuriser la sortie de mandat des élus locaux, en les accompagnant jusqu’à l’expiration de leur mandat et, au-delà, jusqu’à leur retraite. Il est en effet proposé de valoriser leur retraite par la prise en compte d’un trimestre de cotisations par mandat, mesure plafonnée à une durée maximale de huit mandats.
Sans l’ensemble de ces mesures, je peux vous annoncer, sans risque de me tromper, que les élections municipales de 2026 seront celles du désengagement, ce qui aboutira à de nombreuses listes incomplètes, notamment dans les communes les plus rurales.
Notre mission est de lutter contre le malaise ressenti par les élus locaux et la hausse des violences commises à leur encontre. Il convient de mieux les accompagner dans l’exercice de leur mandat. Il est également nécessaire de contrer le désengagement de l’État dans les territoires et de mettre un terme à la crise des vocations.
Madame la ministre, 309 sénateurs sur 348 sénateurs ont cosigné ce texte. C’est dire la puissance de cette proposition de loi, qui se fait l’écho des attentes formulées sur le terrain. Le Gouvernement doit entendre la force des territoires.
Ce texte n’est pas, comme vous l’avez indiqué, une « première brique ». C’est une maison commune à rebâtir, avec un maire reconnu et bénéficiant de la confiance de ses concitoyens, ce qui le plus souvent n’est pas le cas, hélas ! des élus nationaux.
Pour rester crédibles dans notre soutien aux maires et aux élus locaux de France, allons jusqu’au bout ! Faisons en sorte que le texte que nous examinons aujourd’hui bénéficie d’un examen rapide par l’Assemblée nationale, afin que nous puissions, dans le cadre d’une commission mixte paritaire fructueuse, trouver enfin des réponses concrètes à la situation des élus, fatigués d’exercer leurs missions dans des conditions dégradées.
Vous l’avez compris, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste soutient avec force ce texte, qui répond aux attentes des élus locaux. C’est une urgence. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et GEST, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous, c’est un engagement personnel et citoyen qui m’a amené à être élu municipal, puis élu des élus au sein de la chambre des territoires.
Notre pays est, à juste titre, souvent considéré comme très engagé et très politique. Pourtant, la crise de l’engagement citoyen et politique montre qu’il existe de trop nombreux freins à l’engagement.
Le groupe GEST l’a exprimé dès la remise des travaux du groupe de travail du président Gérard Larcher sur la décentralisation : « Notre groupe soutient l’action des élus locaux et s’associe à l’ensemble des propositions qui pourraient leur permettre une plus grande protection, un meilleur accompagnement dans leur engagement. Souvent non indemnisée, la conciliation avec leur vie professionnelle et personnelle peut être un frein à leur implication en termes de temps consacré à leurs territoires. Nous nous associons à la demande d’un véritable statut de l’élu plus protecteur et du développement des moyens concrets d’accompagnement pour améliorer la parité et la diversité des profils – jeunes, femmes, parents, actifs. »
Le texte que nous étudions aujourd’hui, issu de concertations et des travaux rigoureux de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, dont je salue la persévérance sur le sujet, va plus loin et rejoint une demande de longue date des écologistes : celle d’un statut de l’élu longtemps promis.
Nous savons que ce texte, aussi indispensable soit-il, ne sera pas suffisant pour sortir de cette crise démocratique. Vous le savez, mes chers collègues, le groupe GEST plaide et œuvre pour un développement plus large d’une vie citoyenne locale, qui est au cœur du projet des écologistes.
Ce texte formule des propositions fortes et il a été amélioré par les travaux de la commission des lois. Si nous avons peu de choses à redire sur ce qu’il contient, nous regrettons fortement ce qu’il ne contient pas, ce qui manque pour donner jour à un statut complet, efficace et incitatif à l’engagement citoyen individuel au service du collectif.
Je pense d’abord à la profonde réforme du régime indemnitaire prévu par le texte, mais sur lequel notre marge, ne serait-ce que de discussion, est plus que limitée.
La réforme concernant tous les élus, qui ne serait pas fondée presque exclusivement sur un critère démographique et qui maintiendrait l’égalité entre les territoires, reste à faire.
Le Gouvernement a failli, madame la ministre ! Pourquoi refuser de prendre les devants au travers d’un projet de loi dûment financé et accompagné d’un avis du Conseil d’État ?
Nous avons essayé de lancer des ébauches de solutions par nos amendements. Toutefois, limités par les contraintes financières de l’article 40 de la Constitution, nous disons au Gouvernement et à l’État qu’ils doivent prendre leurs responsabilités dès demain, afin d’accompagner ce texte.
Comment aborder la problématique de la formation, lorsque les seules marges dont nous disposons reviennent à supprimer des formations ? Comment véritablement appuyer l’idée, le contenu et la chronologie des formations à mettre à disposition, si tout est jugé potentiellement aggravateur de charges ?
Pourtant, nous pensons indispensable d’améliorer les possibilités de formation pour tous les élus, en particulier pour les primo-élus.
Pour rendre possible la conciliation de la vie professionnelle et de la vie d’élu, outre l’amélioration du régime indemnitaire pour tous, il est important d’améliorer les conditions permettant aux élus de s’absenter pour remplir leurs fonctions. La prise en compte de ces absences dans tous les calculs relatifs à la retraite ou au chômage doit être assurée, sans que cela pénalise leur engagement. Le texte et les amendements adoptés en commission y contribuent. Notre groupe a également déposé des amendements en ce sens.
Pour que la vie familiale ne soit pas non plus mise à mal, ce que la maire écologiste de Poitiers a mis en exergue dans une tribune aux élus, nos amendements ont été pris en compte par les rapporteurs de la commission. Nous désirions pousser plus avant, en proposant d’autres amendements. Ces derniers ont malheureusement été déclarés irrecevables.
Il en va de même pour les problématiques liées à Paris, Lyon ou Marseille, à propos desquelles toute discussion sur les droits et prérogatives des conseillers d’arrondissement ou de secteur est bloquée pour des raisons de recevabilité financière.
En outre, notre groupe reste sur sa faim s’agissant de l’accompagnement des personnes qui souhaiteraient s’engager un temps au sein de leur collectivité.
La différence est bien trop flagrante entre l’implication des personnes retraitées, des fonctionnaires et des salariés du privé, d’une part, et celle des artisans, des commerçants et des paysans indépendants, d’autre part.
Au-delà de la conciliation avec la vie familiale et du temps nécessaire pour exercer de manière correcte leurs fonctions, nombreux sont les salariés du privé ou les travailleurs indépendants à ne pas s’engager du fait des difficultés à gérer les allers-retours entre vie professionnelle et vie d’élus.
Un point sensible, que nous aborderons tout à l’heure dans le cadre de la discussion des amendements, est celui des prises illégales d’intérêts. Regrettant les termes de l’article 18, nous proposerons d’en supprimer une phrase imprécise sur l’intérêt public, sans réelle signification juridique.
En conclusion, nous voterons ce texte, car il construit les fondations d’un véritable statut de l’élu, grâce aux améliorations introduites par les rapporteurs de la commission. Nous le ferons avec encore plus d’enthousiasme si notre assemblée vote une grande partie des amendements déposés par notre groupe, …
Mme Françoise Gatel. Chantage ! (Sourires.)
M. Guy Benarroche. … qui ont vocation à consolider fortement ces fondations, afin d’ériger, avec le Gouvernement, seul apte à financer confortablement les mesures indispensables, un statut de l’élu favorisant l’engagement de toutes et de tous pour le bien commun, donc pour la politique telle que nous, écologistes, la concevons. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Thierry Cozic. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après trois décennies à légiférer sur les conditions d’exercice des mandats locaux, nous avons aujourd’hui l’opportunité de créer un véritable statut pour les élus locaux, qui répond à une exigence démocratique : tout citoyen doit pouvoir être candidat à une élection politique, quelles que soient ses origines sociales et son activité professionnelle.
À l’heure actuelle, l’absence d’un statut de l’élu sécurisant rend extrêmement difficile la conciliation entre vie de famille, vie professionnelle et fonction d’élu local, particulièrement pour les femmes et les jeunes.
Face à la hausse des démissions et à la recrudescence des actes de violence envers nos élus, il nous paraît impératif d’agir par voie législative pour les protéger et enrayer cette dynamique de violence, qui renforce le désintérêt pour cette fonction et sa perte d’attractivité.
« Ce qui fait la valeur de l’élu, c’est qu’il est au point d’intersection de l’organisation et du suffrage universel », déclarait Jean Jaurès en 1905. Aujourd’hui, les élus méritent que leur engagement soit reconnu à leur juste valeur.
C’est dans ce contexte que la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a lancé trois missions d’information sur le statut de l’élu local au mois de novembre dernier.
Désireux de mettre à jour ce véritable impensé de la vie politique locale que représente la fin de mandat, j’ai travaillé, avec mes collègues Agnès Canayer et Gérard Lahellec, à l’élaboration du rapport d’information intitulé Comment être après avoir été ? Les enjeux de la fin de mandat d’un élu local. L’étape de sortie de mandat, souvent oubliée, mais jamais anodine dans la vie d’un élu, doit pouvoir se dérouler de la meilleure manière possible. Mes chers collègues, l’après-mandat de nos élus locaux constitue un angle mort de notre droit.
Je me réjouis donc d’avoir pu contribuer, au Sénat, à la rédaction d’une proposition de loi transpartisane portant création d’un statut de l’élu local. Ses dispositions s’ajouteraient à celles qui ont enrichi notre législation ces trente dernières années et qui confèrent aux élus locaux un ensemble de droits, ainsi que des devoirs et des garanties, destinés à leur permettre d’exercer leurs fonctions électives.
La fin de mandat est par ailleurs liée à une multitude d’enjeux, quelle que soit la nature du mandat – municipal, intercommunal, départemental ou régional – et quelles que soient les situations personnelles. L’horizon se dessine autour de grandes lignes de perspective que sont la perte de ressources en fin de mandat, le régime de retraite, le devenir des compétences et des connaissances acquises et la réinsertion professionnelle.
La proposition de loi dont nous entamons l’examen prévoit un certain nombre de dispositions visant à répondre à ces différents enjeux.
Les élus locaux acquièrent de nombreuses compétences et connaissances, qui doivent impérativement être valorisées, pour les aider dans leur retour vers l’emploi à l’issue de leur mandat.
Pour ce faire, l’article 25 du texte encourage et renforce le recours à l’accompagnement dans le processus de validation des acquis de l’expérience. C’est une demande forte des élus locaux, qui remonte régulièrement du terrain.
Je me félicite également des propositions formulées dans ce texte relatives au renforcement du régime de l’allocation différentielle de fin de mandat, l’ADFM.
Toutefois, il paraît souhaitable d’aller plus loin. C’est pourquoi je défendrai, au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, deux amendements, l’un d’eux portant sur l’information systématique par le préfet des élus, afin d’améliorer le recours à cette allocation, trop peu connue.
Enfin, concernant le régime des retraites prévu à l’article 3, il permettra d’octroyer une bonification d’un trimestre, par mandat complet, au titre de l’assurance retraite, ce qui représente une avancée certaine.
Ce texte constitue une première étape, mais nous ne pouvons nous en satisfaire pleinement. Il aurait fallu aller plus loin, à l’instar de la proposition de loi de mes collègues Éric Kerrouche et Didier Marie visant à démocratiser les fonctions électives et renforcer la protection des élus locaux.
En conséquence, nous accueillons favorablement cette proposition de loi, dont le groupe socialiste est aussi l’artisan et qui, à n’en pas douter, facilitera la vie de nos élus. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne Chain-Larché. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, aujourd’hui est un jour historique pour les plus de 500 000 élus locaux de notre pays. Le terme n’est pas trop fort, car ce débat sur le statut de l’élu et l’amélioration concrète des conditions d’exercice des mandats électifs est attendu depuis de très nombreuses années. Ce n’est d’ailleurs qu’un début.
En 1982, la loi Defferre relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions apportait la précision suivante : « des lois détermineront […] le mode d’élection et le statut des élus… »
Quarante ans plus tard, grâce à la ténacité du Sénat et du travail mené par Françoise Gatel, Mathieu Darnaud, François-Noël Buffet, Hervé Marseille et Bruno Retailleau, nous proposons ce texte ambitieux, fruit d’un travail transpartisan.
Je remercie Jacqueline Eustache-Brinio et Éric Kerrouche, rapporteurs aux côtés de Françoise Gatel, dont le travail d’orfèvre a été unanimement salué.
Concrètement, qu’apporte ce texte ? Tout simplement, de la considération ! De la considération pour ces dizaines de milliers d’hommes et de femmes, de papas et de mamans, de grands-parents, d’actifs, de retraités, qui donnent de leur temps, la journée, le soir, le week-end, pour des réunions du conseil municipal, du conseil communautaire, de syndicats divers et variés, qui sont d’astreinte, y compris pendant les vacances, à Noël, à Pâques et durant l’été. Ce sont, dans leur immense majorité, des bénévoles.
Par leurs projets, ils participent directement et activement au dynamisme économique de notre pays.
Ils subissent au quotidien la complexité croissante des réglementations, des normes toujours plus nombreuses et des contraintes toujours plus fortes, le tout avec une autonomie financière toujours plus réduite.
Ces Français n’ont pas choisi d’être élus locaux pour faire carrière. Ils sont élus, car ils ont l’amour de leur territoire et l’intérêt général chevillés au corps.
La moindre des choses – je dis bien la moindre des choses –, c’est que la République reconnaisse, encourage et sécurise leur engagement par l’amélioration du régime indemnitaire, lequel est parfois mal compris par l’opinion publique. Il s’agit d’une impérieuse nécessité pour redonner de l’attractivité à la fonction et pour « indemniser » les élus à la hauteur de leur investissement. C’est une exigence démocratique, car, comme le dit l’expression, « tout travail mérite salaire ».
Mme Françoise Gatel. Absolument !
Mme Anne Chain-Larché. Quant à la facilitation des conditions d’exercice du mandat, elle est un enjeu majeur si l’on veut que les élus locaux puissent concilier vie professionnelle accomplie et vie familiale épanouie et que les étudiants, les actifs et les jeunes parents aient la possibilité de s’investir dans la vie démocratique de notre pays.
Enfin, la sortie de mandat est toujours un moment périlleux pour les élus, particulièrement pour les actifs. Nous devons leur proposer un accompagnement et une valorisation des acquis pour qu’ils puissent utiliser cette expérience méritante, par la suite, dans leur carrière professionnelle.
Mes chers collègues, ce texte concret améliorera la vie de plus d’un demi-million de Français et facilitera la relève pour ceux qui veulent passer la main.
D’autres difficultés restent à régler. Je pense à un problème maintes fois soulevé par les élus et qui a des répercussions financières pour les collectivités : le décalage de trois années entre le recensement de la population et sa prise en compte administrative. En 2024, les communes perçoivent des dotations calculées sur la base du recensement de l’année 2021, ce qui, sur le terrain, fausse les réalités démographiques et pénalise fortement les secteurs en dynamique.
En adoptant cette proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local, nous transmettrions à nos collègues de l’Assemblée nationale un condensé de mesures claires, efficaces et concrètes. Nous vous invitons, madame la ministre, à vous en inspirer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Avis de tempête sur la démocratie locale : soignons le mal des maires : le titre du rapport de la mission d’information du Sénat sur l’avenir de la commune et du maire en France, dont Maryse Carrère a été la présidente et Mathieu Darnaud le rapporteur, est criant d’actualité. Si nos maires ont mal, notre démocratie va mal.
Citoyens quotidiennement dévoués au service de la collectivité et de la démocratie locale, placés en première ligne face au changement de la société et au climat de défiance qui la gagne, à portée d’engueulade, les élus locaux méritent que leur engagement soit reconnu à sa juste valeur. Ils méritent un véritable statut de l’élu – ils méritent surtout du respect.
Passer d’un climat de défiance à une juste reconnaissance, c’est là tout l’enjeu de cette proposition de loi, que motivent trois objectifs majeurs : protéger, accompagner, anticiper.
Protéger, tout d’abord : si le maire a la mission de protéger ses concitoyens, mission qu’il exerce avec dévouement et dans la proximité, le statut de l’élu a corrélativement vocation à être protecteur pour son titulaire.
Ce statut doit aussi faciliter sa vie quotidienne via une meilleure indemnisation financière. Ce sujet est peut-être tabou, mais, à mon sens, nous ne devons pas laisser croire à nos concitoyens que l’exercice d’un mandat d’élu s’apparente à du bénévolat. Pour cette raison, les indemnités des élus doivent être revalorisées à la hauteur de leurs missions. Cette augmentation, pour être effective, ne doit plus être supportée par les budgets communaux, qui sont déjà exsangues. Il revient à l’État de l’absorber en l’intégrant dans la prochaine loi de finances – nous serons vigilants à ce propos.
Trop d’élus, par souci de bonne gestion et pour ne pas grever le budget communal, refusent de voter les montants prévus dans le barème indemnitaire. Cette situation ne saurait durer !
Par ailleurs, l’article 3 de cette proposition de loi est une avancée : il tend à améliorer le régime de retraite des membres des exécutifs locaux en leur accordant une bonification d’un trimestre par mandat complet. Nous pourrions toutefois aller plus loin, car, nous le savons tous, l’exercice d’un mandat mobilise l’élu sur au moins un mi-temps, voire sur un temps complet.
Mme Françoise Gatel. Oui !
M. Jean-Marc Boyer. Protéger les élus, c’est aussi et surtout sanctionner les agresseurs, les harceleurs, les tueurs. Les comparutions immédiates doivent être systématiques : il faut briser la solitude des élus.
Accompagner les élus, ensuite : il est tout aussi fondamental de le faire en améliorant les conditions d’exercice du mandat. En effet, si l’on veut que nos élus accomplissent au mieux leur mission, il convient d’améliorer les conditions matérielles d’exercice par une meilleure prise en charge des frais de transport et des frais de représentation.
Garantir la conciliation de l’exercice du mandat et de l’activité professionnelle est essentiel. À cet égard, les autorisations d’absence devraient être facilitées. L’instauration du label « employeur partenaire de la démocratie locale » est une très bonne idée ; je plaide pour que l’attribution d’un tel label se répande tant dans le secteur privé que dans le secteur public.
Mme Françoise Gatel. Absolument !
M. Jean-Marc Boyer. Accompagner nos élus locaux, c’est aussi favoriser et renforcer leur formation ; je pense en particulier aux élus de nos communes de moins de 3 500 habitants, ainsi qu’aux nouveaux élus des petites communes dans lesquelles le couple maire-secrétaire de mairie assure la gestion quotidienne.
Il paraît nécessaire, en complément des mesures que je viens d’évoquer, d’alléger toutes les réglementations normatives qui freinent et contrarient l’activité municipale.
Cette proposition de loi prévoit à juste titre des mesures dont la mise en œuvre facilitera la conciliation du mandat et de la vie personnelle : l’élargissement de la prise en charge des frais de garde d’enfants ou d’assistance aux personnes âgées et l’amélioration de la situation des élus en cas de congé maladie vont ainsi dans le bon sens.
Anticiper, enfin : il faut préparer l’après-mandat et sécuriser la sortie de mandat en rendant automatiques le bilan de compétences et la validation des acquis de l’expérience ; en reconnaissant, par une certification professionnelle, les compétences acquises par les élus au cours de leur mandat, sur le modèle de ce qui existe pour les responsables syndicaux ; en améliorant les modalités de calcul de l’allocation de retour à l’emploi.
Je tiens pour conclure à féliciter une nouvelle fois mes collègues du travail qu’ils ont accompli pour sécuriser l’engagement des élus, mieux encadrer l’exercice de leur mandat et, ainsi, les rassurer en leur redonnant confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)
Mme Françoise Gatel. Bravo !
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local
TITRE IER
AMÉLIORER LE RÉGIME INDEMNITAIRE DES ÉLUS POUR RECONNAÎTRE LEUR ENGAGEMENT À SA JUSTE VALEUR
Avant l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 37 rectifié bis, présenté par MM. Uzenat, Kerrouche, Roiron, Cozic, Bourgi et Chaillou, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mmes Harribey et Linkenheld, MM. Redon-Sarrazy, Lurel et Gillé, Mme Narassiguin, MM. M. Weber, Marie et Kanner, Mme Conway-Mouret, M. Chantrel, Mmes Canalès, Bonnefoy, Brossel, Artigalas, Bélim et Blatrix Contat, M. Darras, Mme Féret, MM. Jacquin et Mérillou, Mmes Monier et S. Robert, MM. Ros, Temal, Tissot, Vayssouze-Faure et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er janvier 2025, un rapport sur l’opportunité de créer, au bénéfice des élus locaux, un statut d’agent civique territorial.
La parole est à M. Simon Uzenat.
M. Simon Uzenat. De nombreux intervenants l’ont rappelé, cette proposition de loi vise à améliorer les conditions d’exercice des mandats locaux. Pour autant, nous n’en sommes pas encore à un véritable statut de l’élu.
Notre conviction est que nous arrivons à la fin d’un système, en particulier pour les élus qui sont en activité. J’ai eu l’occasion, ces deux dernières semaines, de rencontrer près de 130 élus et d’avoir avec eux dix-sept heures de débats sur les vingt-neuf articles du texte : ils notent les avancées obtenues, mais considèrent unanimement qu’elles sont insuffisantes. Voilà qui doit être un encouragement à faire davantage.
Les élus sont nombreux à le rappeler : leur mandat représente un deuxième métier. Ils évoquent la charge mentale, le temps consacré à la fonction, les compétences requises, l’énergie dépensée, l’impact sur la vie de famille. S’occuper des vaches qui divaguent ou des conflits de voisinage, faire office de médiateur conjugal ou de super-directeur général des services, servir à la cantine : être maire, aujourd’hui, c’est faire tout cela, comme l’ont souligné mes collègues.
Certains vont jusqu’à employer les termes de « surhomme » et de « surfemme » pour donner la mesure des sacrifices professionnels, personnels et financiers consentis. Il est aisé de le démontrer s’agissant d’élus qui perçoivent 1 100 euros d’indemnités pour cinquante heures par semaine et gèrent 2 millions d’euros de budget annuel avec dix agents.
Je ne soutiens évidemment pas le Gouvernement, mais je me retrouve dans la proposition du Premier ministre consistant à « désmicardiser » le pays : dans le même esprit, désmicardisons les élus ! Je pense en particulier à ceux des petites communes. Défendre les élus, ce n’est pas défendre une corporation ; c’est au contraire oxygéner notre démocratie et garantir sa vitalité à long terme. Tous les citoyens ont vocation à devenir élus et notre responsabilité est de leur en donner la possibilité.
À cet égard, il y a urgence à aller plus loin. On entend trop de témoignages de jeunes actifs qui, à l’issue de leur premier mandat d’élu local, disent : « Plus jamais ! ». Dans le Morbihan, plus d’un élu sur cinq a démissionné depuis 2020. Nous sommes tous d’accord pour dire que le statut n’est pas suffisant ; reste qu’il est absolument nécessaire. Il faudra néanmoins, j’y insiste, aller plus loin ; telle est la raison d’être de cet amendement. Le rapport dont nous demandons la remise permettrait de préciser les contours d’un véritable statut de l’agent civique territorial, notamment au bénéfice des membres des exécutifs locaux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Mon cher collègue, vous plaidez là pour une évolution considérable de l’engagement citoyen, qui fut défini par la Révolution comme la gestion d’un espace commun par des citoyens bénévoles qui s’engagent parce qu’ils sont désignés par d’autres.
Votre proposition s’inscrit dans une autre culture : vous faites allusion à la façon dont les choses se passent dans certains pays européens, où les maires deviennent des fonctionnaires.
Pour ma part, je pense qu’une telle évolution, si elle permet de sécuriser l’élu, dont le mandat est un épisode dans sa carrière professionnelle, reviendrait à transformer complètement l’esprit qui préside à l’engagement volontaire qui est le sien pendant un moment de sa vie, engagement comparable, toutes proportions gardées, à l’engagement associatif.
En outre, mon cher collègue, il semble que vous souhaitiez réserver aux grandes villes la disposition que vous avez en vue. Or, compte tenu des difficultés auxquelles elles sont confrontées par défaut d’ingénierie, les petites communes ne méritent pas d’être écartées d’un tel dispositif, que par ailleurs je n’approuve pas.
Après examen de la mesure que vous prônez, nous l’avons écartée au profit d’une défense de l’engagement citoyen tel qu’il existe aujourd’hui dans notre pays, sous la forme d’une participation à la vie citoyenne de nos communes – car c’est ainsi, précisément, que l’on fabrique des citoyens.
Mon cher collègue, vous demandez un rapport. Au-delà même du fait qu’ici nous n’avons pas une culture très développée en faveur des rapports (M. Hussein Bourgi rit.), il me semble qu’en l’espèce, avec tout le respect que j’ai pour vous, un rapport serait totalement inutile : notre collègue Éric Kerrouche, pour qui j’ai la plus grande admiration, a déjà produit sur ce sujet une proposition de loi. Cela signifie qu’en la matière nous savons tout ce qu’il est possible de savoir et de proposer.
La professionnalisation du mandat d’élu local ne correspond pas à notre vision de la France, de la citoyenneté et du civisme. Nous préférons continuer de cultiver avec ardeur et de vénérer l’engagement citoyen. Peut-être un jour la vie changera-t-elle, sous l’effet, par exemple, d’une redéfinition de ce que sont les communes…
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat, pour explication de vote.
M. Simon Uzenat. Je précise que ma proposition concerne non pas les seules grandes villes, mais bien l’ensemble des exécutifs locaux. Par ailleurs, madame la rapporteure, vous évoquez le sort réservé dans cette enceinte aux demandes de rapport ; mais, au regard de l’entonnoir extrême que représentent les articles 40 et 45 de la Constitution, c’est l’une des seules marges de manœuvre qui nous restent.
Vous nous renvoyez à un hypothétique « si jamais un jour la vie change » ; mais on constate qu’elle a déjà très nettement changé ! Telle est, du reste, la raison d’être de cette proposition de loi. Certes, ses dispositions constituent des pas dans le bon sens, mais elles restent insuffisantes à nos yeux.
Nos collègues ont rappelé, en discussion générale, quel était le coût de la démocratie. Dans beaucoup de communes, les élus locaux sont les derniers interlocuteurs de proximité et les derniers services publics. Nombre d’entre eux témoignent de leurs scrupules à percevoir des indemnités, mais posent clairement la question : qui accepterait de faire ce qu’ils font dans les conditions actuelles d’exercice d’un mandat local ? La main ne doit pas trembler face à la crise des vocations qui s’annonce sur l’ensemble des territoires !
Une question récurrente nous est adressée, madame la ministre : l’État a-t-il la volonté délibérée que les petites communes soient fusionnées par absence d’élus en 2026 ?
Nul ne peut contester la professionnalisation des mandats locaux, madame la rapporteure. C’est une réalité : professionnalisation des attentes, professionnalisation des contraintes, professionnalisation des exigences, émanant tant des citoyens que de l’État – des collègues d’autres sensibilités politiques l’ont souligné avant moi. Nous voulons, quant à nous, engager une autre professionnalisation, celle du soutien apporté aux élus, de la sécurisation et de l’accompagnement de l’exercice du mandat. Il ne s’agit pas qu’ils puissent faire carrière : il s’agit de permettre au plus grand nombre d’assumer des responsabilités locales.
Aussi regrettons-nous les avis défavorables émis par la commission et par le Gouvernement ; avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous poursuivrons notre mobilisation pour que s’engagent les profondes transformations dont notre démocratie locale a urgemment besoin.
M. le président. L’amendement n° 90 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Fialaire, Gold, Grosvalet et Guérini, Mme Guillotin, M. Roux et Mme Pantel, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l’opportunité et la possibilité de réunir et codifier l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires relatives au statut de l’élu.
La parole est à M. Philippe Grosvalet.
M. Philippe Grosvalet. Cette proposition de loi vise un double objectif légitime : d’une part, améliorer les conditions d’exercice du mandat, notamment pour les élus par ailleurs engagés dans la vie professionnelle ; d’autre part, sécuriser le parcours des élus en favorisant leur reconversion et en valorisant les compétences acquises lors de leur mandat. En ce sens, elle répond à de nombreuses préoccupations.
Pour autant, la promesse de « créer un statut de l’élu » n’apparaît, à ce stade, que partiellement tenue. En effet, une fois que sera adoptée cette série de mesures améliorant les conditions d’exercice des mandats électifs locaux, il restera une dernière marche, fût-elle haute, à monter : non pas professionnaliser la fonction d’élu – notre rapporteure l’a dit –, mais réunir et codifier dans un seul texte l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires qui font la spécificité de la fonction élective locale.
Proposer la création d’un statut de l’élu local laisse entendre que les règles existantes non seulement seraient insuffisantes, mais souffriraient d’une sorte de déficit initial ou de lacune originelle : elles ne rendraient pas compte, au fond, de la spécificité de la fonction élective locale. Aussi, pourquoi ne pas envisager de créer, sur le modèle du code général de la fonction publique, un code de la fonction élective ?
Cet amendement a pour objet d’inviter le Gouvernement à engager ce travail de codification, même si, je le sais bien – vous l’avez rappelé, madame la rapporteure –, accéder aux demandes de rapport n’est pas dans la culture de notre assemblée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Mon cher collègue, vous avez vous-même donné la réponse : la commission ne saurait émettre un avis favorable sur cet amendement qui a pour objet une demande de rapport.
En revanche, nous adressons tous nos encouragements au Gouvernement pour qu’il s’efforce d’élaborer un vade-mecum des droits et des devoirs des collectivités locales. Cela du moins est faisable : madame la ministre, j’attends que vous disiez que vous allez le faire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. En général, nous ne sommes pas favorables aux demandes de rapport. En l’occurrence, nous partageons pleinement l’objectif consistant à garantir l’accessibilité et la lisibilité du droit applicable aux élus locaux. Qui plus est, j’ai déjà commandé des travaux visant à refondre les dispositions du code général des collectivités territoriales sur ce point. Commencer par la rédaction d’un rapport, pourquoi pas ? Il va falloir en tout cas aller vite pour obtenir des résultats.
Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Mais on sait déjà tout !
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Je trouve cet amendement intéressant, même si, de vous à moi, mes chers collègues, je ne suis pas sûre qu’il y ait besoin d’un rapport pour engager ce travail de codification.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Certes, non !
Mme Céline Brulin. Regrouper l’ensemble des droits et devoirs des élus au sein d’un même code me semble tout à fait pertinent, ne serait-ce que pour des raisons pratiques de facilitation de l’exercice du mandat – de nombreux élus nous disent qu’eux-mêmes ne connaissent pas toujours leurs droits et devoirs.
Par ailleurs, une telle codification aurait sa place, sauf erreur, dans le code général des collectivités territoriales. Si nous réfléchissons à juste titre aux besoins des élus, ce n’est pas simplement pour ajouter ici un soupçon d’indemnité, là un droit à la formation élargi, etc. : il n’y va pas d’une reconnaissance « corporatiste » – je le dis de façon délibérément caricaturale – du rôle des élus. Ce que nous voulons revivifier en créant un statut de l’élu, c’est le rôle des collectivités elles-mêmes, en donnant toute sa portée au contrat liant des citoyens à d’autres citoyens qui s’engagent pour administrer lesdites collectivités, c’est-à-dire pour faire de la politique au sens noble du terme.
Il y aurait à cet égard un grand intérêt à entreprendre ce travail de codification : nos collectivités y trouveraient à se ressourcer par une meilleure définition de ce qu’elles doivent être. Dans le mal-être que ressentent aujourd’hui les élus compte pour beaucoup la question de savoir à quoi ils servent : « À quoi puis-je être utile ? », se demandent-ils tous. Ce travail mérite donc d’être mené pour de bon.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Comprenons-nous bien : l’amendement a pour objet une demande de rapport ; nous aurions beau l’adopter, le Gouvernement, en fait de codification, ne serait pas pour autant tenu par une date.
Je maintiens ma position : l’élaboration d’un vade-mecum serait du plus grand intérêt, mais nous n’avons pas besoin d’un rapport, mes chers collègues – vous l’avez dit vous-mêmes –, pour savoir que nous avons besoin de quelque chose qui est indispensable !
Le Gouvernement doit pouvoir s’engager, sans que nous le mettions en difficulté, sur la réalisation d’un vade-mecum, en nous donnant une date. Sur cette demande de rapport, en revanche, je maintiens mon avis défavorable, bien que l’intention soit bonne. Je ne dis pas que l’enfer est pavé de bonnes intentions – vous avez plein de bonnes intentions, madame la ministre –, mais il est temps de s’y mettre !
M. le président. L’amendement n° 262 rectifié ter, présenté par Mme Bourcier, M. Capus, Mme Lermytte, MM. Chasseing, A. Marc et V. Louault, Mme L. Darcos et MM. Brault, Chevalier, Bleunven et Daubet, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 31 décembre 2025, un rapport d’évaluation concernant la bonne intégration de la situation spécifique des élus locaux dans les formulaires administratifs et notamment ceux relevant de l’administration fiscale. À défaut de résultats satisfaisants, le rapport explore les pistes d’amélioration.
La parole est à Mme Corinne Bourcier.
Mme Corinne Bourcier. Dans leurs relations avec l’administration, notamment avec l’administration fiscale, de nombreux élus éprouvent des difficultés à renseigner précisément les documents qu’ils doivent remettre sur leur situation, du fait de l’absence de catégories adaptées. Au-delà de la surcharge administrative que cela peut représenter, il y va de la reconnaissance du mandat d’élu local.
Cet amendement vise ainsi à demander au Gouvernement la remise d’un rapport d’évaluation concernant la bonne prise en compte par l’administration de la situation des élus locaux dans l’élaboration d’un certain nombre de formulaires de renseignement. Nous souhaitons, ce faisant, faciliter la vie des élus.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Ma chère collègue, j’entends bien votre remarque et je ne doute pas de l’existence de telles situations. Toutefois, aucune association ne s’est fait l’écho auprès de nous de ce type de préoccupations.
Par conséquent, la commission demande de retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Néanmoins, je vous invite à faire connaître avec précision les situations particulières dont vous avez été saisie, afin que le Gouvernement et la commission des lois du Sénat examinent ce qu’il serait possible de faire pour y remédier. (Mme Corinne Bourcier acquiesce.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 262 rectifié ter.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er
Le tableau du deuxième alinéa de l’article L. 2123-23 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :
« |
Population (habitants) |
Taux (en % de l’indice) |
|
Moins de 500 |
28,1 |
||
De 500 à 999 |
44,5 |
||
De 1 000 à 3 499 |
57 |
||
De 3 500 à 9 999 |
61 |
||
De 10 000 à 19 999 |
71,7 |
||
De 20 000 à 49 999 |
99,3 |
||
De 50 000 à 99 999 |
121,4 |
||
100 000 et plus |
160 |
» |
M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard, sur l’article.
Mme Olivia Richard. La portée du texte que nous examinons aujourd’hui est immense et je salue le travail de nos rapporteurs, ainsi que de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Néanmoins, comme cela a été dit, une catégorie d’élus locaux est absente de cette proposition de loi, et je le regrette vivement : les élus des Français de l’étranger. À cet égard, mes chers collègues, permettez-moi de remercier l’orateur du groupe Union Centriste qui a entendu et relayé les préoccupations que j’ai exprimées en commission. Il me paraît important d’en dire ici quelques mots, à défaut de pouvoir déposer à ce sujet des amendements qui auraient été déclarés irrecevables en application de l’article 45 de la Constitution.
Si l’objectif que nous partageons est de reconnaître l’engagement des élus à sa juste valeur, il ne faut pas oublier les élus locaux des Français établis hors de France. Élus au suffrage universel direct, ces conseillères et conseillers des Français de l’étranger font vivre la démocratie française hors de nos frontières. Nous devons faire plus pour accompagner leur engagement.
Cette proposition de loi a pour objet d’améliorer le régime indemnitaire des élus locaux ainsi que les conditions d’exercice du mandat. Les élus locaux des Français de l’étranger ont les mêmes besoins : comme celui de nos maires, leur mandat est bénévole ; or ils perçoivent une indemnité calculée sur la base du coût de la vie dans les capitales étrangères… en 2012 !
Pour ce qui est des conditions d’exercice du mandat, les conseillers des Français de l’étranger n’ont aucun statut ; ainsi sont-ils soumis à l’arbitraire des relations entretenues avec les postes diplomatiques ou consulaires. Droit de tenir une permanence, formation, passeport de service, port de l’écharpe tricolore, droit de s’adresser à la communauté française le 14 juillet, protection des élus : tout reste à faire.
En France comme à l’étranger, les élus locaux sont une chance. L’idée de renforcer leurs compétences parallèlement à la consécration de leur statut ouvre le champ des possibles. Permettre aux élus d’exercer des fonctions au nom de l’État serait gagner en efficacité, alors qu’en ce domaine des annulations de crédits ont été annoncées. Par exemple, les élections françaises à l’étranger seraient moins coûteuses si les élus y avaient compétence, comme en France, pour tenir les bureaux de vote.
Ce texte aurait pu être l’occasion d’asseoir pour eux un statut. Longtemps, le Sénat fut la maison des Français de l’étranger. Leurs élus locaux doivent pouvoir compter sur nous pour les défendre, eux qui défendent nos valeurs démocratiques hors de France. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Joshua Hochart applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, sur l’article.
M. Franck Menonville. Alors que nous débutons l’examen des articles de cette proposition de loi, je veux dire combien celle-ci arrive à point nommé. Très attendue par les élus locaux, elle vise, à deux ans du prochain renouvellement des conseils municipaux, à instaurer un véritable statut en assortissant de réelles garanties l’entrée dans la vie d’élu ainsi que l’exercice et la sortie du mandat. Elle répond à l’urgence de la situation, qui exige de renforcer l’attractivité du mandat local pour enrayer la crise de l’engagement.
En effet, depuis les élections municipales de 2020, un maire démissionne chaque jour. Ce sont au total 1 500 maires qui ont été rattrapés par la complexité administrative, par la lassitude grandissante devant la nette augmentation de l’insécurité, par les difficultés constantes à concilier mandat local, vie personnelle et vie professionnelle, par les transferts de compétences à marche forcée ou encore par le manque de reconnaissance financière.
Ce texte issu des recommandations de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation est absolument nécessaire pour garantir la vitalité démocratique locale : il améliore les conditions d’exercice du mandat en les adaptant à la diversité des profils ; il sécurise le parcours des élus en favorisant leur reconversion et la valorisation des compétences acquises durant leur mandat ; il reconnaît l’engagement des élus à sa juste valeur, comme l’a fort bien dit Françoise Gatel, en prévoyant une revalorisation de la fonction et de son régime indemnitaire et en bonifiant les droits à la retraite qui s’y attachent.
Je souhaite, pour conclure, saluer le travail mené par les rapporteurs, ainsi que par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, dont je remercie la présidente, Françoise Gatel.
J’espère vivement que ce texte prospérera au plus vite à l’Assemblée nationale, afin que ses dispositions puissent entrer en vigueur sans délai. Il y a urgence pour notre dynamique démocratique et pour les plus de 500 000 élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l’article.
M. Guillaume Gontard. Il est difficile de ne pas évoquer la question des indemnités quand on parle du statut de l’élu local. Le titre Ier du texte a justement pour objet d’« améliorer le régime indemnitaire des élus pour reconnaître leur engagement à sa juste valeur ».
Si l’augmentation des indemnités n’est évidemment pas la seule réponse au mal-être des élus, elle est néanmoins une véritable nécessité si l’on veut permettre à chacune et à chacun d’exercer un mandat local, ce qui suppose de garantir l’égalité devant un tel exercice.
La prise en charge de ces indemnités par l’État est donc indispensable : leur montant ne doit pas être une variable d’ajustement. Certains élus, parce qu’ils le peuvent, et pour alléger le budget de leur commune, font le choix de renoncer à leurs indemnités ou d’en diminuer le montant. Le conseil municipal peut, par délibération, prendre une telle décision et il est certes compréhensible que certains élus se saisissent de cette possibilité – quand on est maire d’une petite commune, il arrive que l’on n’ait pas le choix.
Nous proposions, quant à nous, de supprimer cette faculté : par souci d’égalité, nous souhaitions que le montant des indemnités soit fixé et ne puisse plus être modifié. L’article 40 de la Constitution a eu raison de cet amendement. Je m’en étonne : à défaut de rétroactivité de la mesure, je ne vois pas où serait l’augmentation de la dépense.
En tout état de cause, il est indispensable qu’une enveloppe suffisante soit affectée à cette fin aux communes et que, j’y insiste, les indemnités ne soient plus une variable d’ajustement – variable, qui plus est, terriblement injuste, car elle n’est accessible qu’à quelques-uns, les plus aisés ou les retraités, ceux qui ne perdent rien, financièrement, à s’engager.
Dans le cadre de cette réflexion sur le statut de l’élu, notre but est bien de rendre accessible l’exercice d’un mandat local à toute citoyenne et à tout citoyen.
M. le président. La parole est à M. Daniel Fargeot, sur l’article. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Daniel Fargeot. Je tiens à saluer le travail accompli par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, notamment par ma collègue Françoise Gatel, ainsi que les contributions des trois missions d’information qui ont été constituées récemment sur ce sujet essentiel du statut de l’élu local.
La création d’un véritable statut présuppose de clarifier le régime des indemnités que l’on se propose à raison de réévaluer par cet article 1er.
J’ai sous les yeux le bulletin indemnitaire du maire d’une commune de 5 000 habitants : CSG (contribution sociale généralisée), CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale), cotisation d’assurance maladie, cotisation d’assurance vieillesse, allocations familiales, prise en charge des frais de mobilité, impôt sur le revenu, il a tous les attributs d’un bulletin de paie.
Ne nous méprenons pas : nos élus n’ont pas la volonté de devenir des salariés indirects de l’État.
Il me semble utile de revenir à la définition de l’article L. 2123-17 du CGCT, qui dispose que les fonctions électives sont exercées à titre gratuit, et de rappeler que les élus peuvent bénéficier d’indemnités venant compenser les dépenses et sujétions qui résultent de l’exercice de leur charge publique.
Dès lors, comment expliquer l’application de l’impôt sur le revenu sur des indemnités perçues au titre de fonctions exercées gracieusement ? Tant que cette question ne sera pas clairement traitée, nous contribuerons, par nos dispositions de contournement, à entretenir le flou autour d’un réel statut de l’élu, qui n’existe pas.
En revenant au sens même des choses, il devient urgent de s’interroger sérieusement sur la suppression de l’assujettissement des indemnités des élus locaux à l’impôt sur le revenu, notamment pour leur mandat électif direct – je ne parle pas ici des indemnités perçues au titre des mandats dans les EPCI et autres syndicats.
D’aucuns diront que cette proposition va à contre-courant de l’opinion publique. Je ne le pense pas. Ce serait sous-estimer la clairvoyance de celle-ci. En faisant preuve de pédagogie, l’opinion publique, qui aime encore ses élus locaux, est à même de comprendre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. Madame la ministre déléguée, mes chers collègues, il est minuit.
Je vous propose, afin d’avancer dans l’examen de ce texte, de poursuivre nos débats jusqu’à minuit et demi. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, sur l’article.
Mme Hélène Conway-Mouret. La proposition de loi transpartisane que nous nous apprêtons à examiner est fondée sur un constat, celui que les élus locaux se sentent bien seuls en première ligne et mériteraient que leur engagement au service de leurs concitoyens soit reconnu à sa juste valeur.
Ce texte est à la fois nécessaire et bienvenu pour encourager l’engagement politique local, améliorer les conditions d’exercice et, enfin, protéger notre démocratie, qu’ils font vivre.
Cependant, il y manque, comme cela vient d’être rappelé, une catégorie d’élus de proximité, les conseillers des Français de l’étranger, créés par la loi du 22 juillet 2013 pour donner aux 3 millions de compatriotes établis hors de France une représentation locale.
Un peu plus de dix ans plus tard, la légitimité de ces conseillers est désormais acquise, et leur rôle s’est encore affirmé durant la crise sanitaire, lorsque nos consulats étaient fermés et qu’ils étaient les interlocuteurs privilégiés de nos compatriotes.
Il eût été judicieux de profiter de ce texte pour apporter les améliorations qui ont été identifiées au fil de la décennie passée et leur permettre d’exercer leur mandat dans les meilleures conditions.
J’avais déposé une série d’amendements pour que ces conseillers soient traités au même titre que les élus de l’Hexagone, notamment pour rehausser leurs indemnités afin de couvrir les frais engagés dans l’exercice de leur mandat, qui est figé dans la loi par le Sénat depuis 2013, leur accorder la protection fonctionnelle lorsqu’ils sont victimes d’accidents, de violences ou d’outrages ou lorsqu’ils font l’objet de poursuites pour des faits se rattachant à leur mandat, garantir leur accès aux locaux consulaires pour y tenir leur permanence, instaurer une assurance collective ou encore renforcer leur accès à la formation déjà prévu par la loi, mais dans tous les domaines directement liés à leur mandat.
Je ne puis que regretter que ces amendements aient été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution avant même de pouvoir être discutés.
Il nous reste à trouver d’autres moyens pour obtenir ces avancées, et je tiens à assurer celles et ceux qui sont aujourd’hui élus dans le monde que les membres du groupe SER y sont déterminés.
Je vous invite, madame la ministre, à vous saisir de ce dossier. Vous pourrez compter sur nous pour vous accompagner !
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.
M. Olivier Paccaud. En ces temps où fleurissent les propositions de loi, certaines sont sympathiques, mais anecdotiques.
Ce n’est pas du tout le cas de celle que nous examinons ce soir, qui correspond vraiment à une attente et qui incarne un espoir.
Cette attente est celle des plus de 500 000 élus locaux qui, jadis, se sont engagés, répondant à l’appel de Marianne avec beaucoup d’enthousiasme, et qui, aujourd’hui, se posent des questions.
La crise de l’engagement, évoquée par de nombreux orateurs, est réelle. J’ose même parler de « dérèglement démocratique », de « fonte des glaces citoyennes ».
On enregistre de moins en moins de votants, de moins en moins de candidats, de plus en plus de démissions. Il est donc nécessaire d’encourager les vocations de ces fantassins de la République, de ces hommes et de ces femmes qui se mettent au service des autres et de la res publica.
Cela passe effectivement par diverses mesures qui figurent dans cette proposition de loi et qui ne sont pas du tout des gadgets.
L’article 1er, en particulier, concerne les indemnités. Comme l’a brièvement indiqué Mme la ministre, les textes de loi ont été nombreux. Le premier à créer une ébauche de statut de l’élu date d’avril 1884. On parle, à ce moment, de gratuité. On dit qu’il ne saurait y avoir d’indemnité.
Or, aujourd’hui, on ne peut plus faire sans.
Mes chers collègues, nous devons être bien conscients que la démocratie est fragile. Ce beau bouquet tricolore que nous aimons tous peut faner si l’on n’y prend pas garde, si l’on n’en prend pas soin.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Absolument !
M. Olivier Paccaud. Dès lors, tâchons, via cette proposition de loi, de faire en sorte que l’élu ne devienne pas une espèce en voie de disparition.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.
M. François Bonhomme. Je souhaite simplement saluer le travail patient et minutieux que nos rapporteurs ont réalisé afin de créer un véritable statut de l’élu local, notamment depuis 2018, avec l’action de notre délégation aux collectivités locales et à la décentralisation.
L’été dernier, c’est notre collègue Mathieu Darnaud qui a présenté son rapport d’information sur l’avenir de la commune et du maire, en soulignant les difficultés manifestes et croissantes rencontrées par les élus pour exercer leur mandat.
La délégation aux collectivités locales, sous la houlette de Françoise Gatel, a produit trois rapports.
Le premier portait sur le régime indemnitaire des élus. En effet, comme nous le pressentons tous, nous allons affronter une véritable crise des vocations. Beaucoup d’élus préfèrent abandonner en cours de mandat. L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) chiffrait à quelque 17 000 le nombre d’élus démissionnaires depuis 2020. Ce sont 6 % des maires qui ont jeté l’éponge à ce stade, soit deux ans avant le renouvellement municipal.
Le président de l’association, David Lisnard, a déclaré que la cote d’alerte était atteinte.
De son côté, la parole présidentielle, rarement avare d’hyperboles et de métaphores guerrières, évoquait l’importance d’un réarmement civique – pour peu que ce ne soit pas avec un pistolet à bouchon…
Le prochain renouvellement municipal, prévu en 2026, constituera assurément un moment de vérité. Pour l’heure, les derniers sondages disponibles indiquent que plus d’un maire sur deux ne se représentera pas lors de cette échéance !
Les mesures prévues à l’article 1er s’inscrivent précisément dans cet objectif de réarmement civique, car aux indispensables réflexions et concertations doit succéder le temps de l’action, qui trouve ici sa traduction.
Il est urgent que les indemnités de fonction des élus ne soient plus décorrélées du temps effectif qu’ils passent à remplir leur mission.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, sur l’article.
M. Guy Benarroche. L’article 1er concerne l’augmentation des indemnités de fonction des maires. Or nous pouvons tous faire deux constats.
Le premier est qu’il est très compliqué pour les maires, notamment des petites communes, de concilier leurs fonctions avec une activité à temps plein. Nous le savons : nous le vivons tous les jours.
Le second constat est assez simple : 23 % des élus communaux sont retraités – c’est énorme – et 16 % sont des agents publics ou assimilés. Ce n’est pas un hasard : c’est parce qu’il est très compliqué de continuer à exercer une activité professionnelle lorsque l’on est maire.
En conséquence, de même que Mme la rapporteure a appelé le Gouvernement à l’action, j’appelle le Gouvernement à prendre une mesure assez simple : permettre l’augmentation de l’indemnité des maires obligés d’exercer leur activité professionnelle à temps partiel, voire de l’abandonner.
En effet, si l’on veut attirer d’autres catégories socioprofessionnelles – des travailleurs indépendants, des paysans, des artisans, des salariés, des professions libérales –, il faut bien que ces gens puissent s’impliquer totalement dans leurs fonctions de maire ! Ne pouvant le faire aujourd’hui, ils ne postulent pas à ces fonctions.
Or la modification du régime indemnitaire qui figure dans le texte qui nous est proposé est notoirement insuffisante.
J’incite tout le monde à se demander comment faire pour passer maintenant à la vitesse supérieure, pour changer de braquet et parvenir à convaincre des gens de s’investir dans la vie politique.
M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat, sur l’article.
M. Simon Uzenat. À l’article 1er, le choix a été fait d’une revalorisation uniforme des indemnités des élus. On peut le comprendre : cela allège sans doute les débats.
Pour autant, mes chers collègues, vous n’ignorez pas ce que nous disent les élus des petites communes, à savoir que les « emmerdes » sont inversement proportionnelles à la taille de la commune.
La réalité est que, avec cette hausse uniforme de 10 %, celles et ceux qui perçoivent les indemnités les plus faibles connaîtront, en valeur absolue, l’augmentation la plus faible : elle atteindra une centaine d’euros brut pour les communes de moins de 500 habitants dont vous parliez tout à l’heure, madame la rapporteure, mais 600 euros pour les plus grandes collectivités.
On voit bien qu’il y a là un enjeu !
La proposition de loi de nos collègues Éric Kerrouche et Didier Marie prévoyait justement un traitement différencié pour les plus petites communes.
J’y insiste, la mesure de revalorisation va dans le bon sens, mais nous considérons qu’elle n’est pas tout à fait satisfaisante, dans la mesure où, on le voit bien, il est nécessaire d’avancer encore et toujours sur le statut.
M. le président. L’amendement n° 315, présenté par Mme Senée, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° La première phrase de l’article L. 2123-24-1-1 est ainsi modifiée :
a) Après le mot : « municipal, », sont insérés les mots : « d’une part » ;
b) Sont ajoutés les mots : « et, d’autre part, au titre de tout autre mandat exercé dans une collectivité territoriale » ;
2° La première phase de l’article L. 5211-12-1 est ainsi modifiée :
a) Après le mot : « conseil, », sont insérés les mots : « d’une part » ;
b) Sont ajoutés les mots : « et, d’autre part, au titre de tout autre mandat exercé dans une collectivité territoriale » ;
3° La première phrase de l’article L. 3123-19-2-1 est ainsi modifiée :
a) Après le mot : « départemental, », sont insérés les mots : « d’une part » ;
b) Sont ajoutés les mots : « et, d’autre part, au titre de tout autre mandat exercé dans une collectivité territoriale » ;
4° La première phrase de l’article L. 4135-19-2-1 est ainsi modifiée :
a) Après le mot : « régional, », sont insérés les mots : « d’une part » ;
b) Sont ajoutés les mots : « et, d’autre part, au titre de tout autre mandat exercé dans une collectivité territoriale ».
La parole est à Mme Ghislaine Senée.
Mme Ghislaine Senée. Cet amendement est une proposition de simplification des démarches pour l’ensemble des élus locaux.
Depuis 2019, chaque élu doit faire une déclaration des indemnités perçues au titre de chaque collectivité où il siège.
Or le mode de déclaration actuel implique que les élus cumulant plusieurs mandats fassent plusieurs déclarations différentes sur l’état de leurs indemnités.
Les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vous proposent de transformer ces multiples déclarations en une déclaration unique, dans laquelle les élus inscriraient l’ensemble de leurs indemnités au titre de tous les mandats locaux qu’ils exercent, que ce soit dans les communes, les intercommunalités, les départements ou les régions.
En outre, cette modification par rapport au droit actuel faciliterait la perception par les citoyens du niveau réel d’indemnités de leurs élus, améliorant la transparence et la lisibilité démocratiques. Ce serait donc une simplification « gagnant-gagnant ».
Très concrètement, un Cerfa unique pour l’ensemble des élus nous semble la solution la plus opportune et facilement accessible, mais nous laissons le Gouvernement trancher sur les modalités d’application.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Monsieur le président, si vous me le permettez, je répondrai rapidement aux différentes prises de parole sur l’article 1er.
Nous nous sommes interrogés à deux reprises, notamment par la voix de notre collègue Olivia Richard, sur les Français de l’étranger. Nous ne considérons pas que ce n’est pas un sujet.
Toutefois, le texte porte sur les élus des collectivités, quand les Français de l’étranger relèvent d’un périmètre un peu différent. Cela n’empêche pas qu’il faille aussi avancer sur ce sujet !
Pour ce qui concerne les indemnités, il existe toutes sortes de possibilités – nous aurons l’occasion d’en reparler.
Il est toujours difficile de définir les choses, mais je rappelle tout de même que les indemnités des élus des petites communes ont été augmentées de 30 % à 40 % par des textes récents, ce qui me semble satisfaire notre collègue morbihannais.
J’en viens à l’amendement de Mme Senée. J’ai bien entendu l’invitation de M. Benarroche, pour ne pas dire son chantage, puisqu’il a conditionné un vote positif à des avis favorables.
Cet amendement est pertinent, puisqu’il procède d’un souci de simplification. Nous émettons donc un avis de sagesse positive. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Madame la sénatrice, la loi Engagement et proximité de 2019 a déjà imposé de nouvelles obligations de transparence en matière d’indemnités perçues par les élus locaux.
Depuis lors, il revient aux collectivités et aux EPCI à fiscalité propre d’établir, chaque année, un état récapitulatif des indemnités de toute nature dont bénéficient les élus siégeant à leur conseil, au titre de tout mandat et de toute fonction. Toutes les indemnités de fonction doivent figurer dans cet état récapitulatif, ainsi que toute autre forme de rémunération.
Votre amendement vise à expliciter cette obligation, que la loi impose déjà.
Nous sommes favorables à tout ce qui concourt à la transparence, donc à votre amendement, madame la sénatrice.
M. le président. La parole est à M. Daniel Fargeot, pour explication de vote.
M. Daniel Fargeot. J’avais déposé un amendement – il a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution – qui visait à regrouper les trois premières strates de population.
Aussi le maire d’une commune de 500 habitants aurait-il pu prétendre, s’il le souhaitait, à la même indemnité qu’un élu maire d’une commune de moins de 3 500 habitants.
Cette disposition aurait permis de redonner de l’attractivité aux mandats locaux des communes rurales, dont la charge est comparable à celle des mandats des communes de plus grande taille, au regard de l’absence de personnel, que l’élu doit compenser.
Cela présentait une certaine cohérence avec le relèvement du plafond de la DPEL, que nous examinerons plus loin.
À défaut de pouvoir présenter et voter cet amendement, je voterai l’article 1er, qui permet de revaloriser la charge d’élu local.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Après l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 14 rectifié, présenté par M. Cabanel, Mme N. Delattre, MM. Guiol et Masset, Mme Pantel, M. Fialaire, Mme Girardin et MM. Gold et Roux, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la première phrase du II de l’article L. 2123-20, à la première phrase du premier alinéa de l’article L. 3123-18 et à la première phrase du premier alinéa de l’article L. 4135-18 du code général des collectivités territoriales, les mots : « à une fois et demie le » sont remplacés par le mot : « au ».
La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Cet amendement tend à plafonner les indemnités à hauteur de l’indemnité d’un parlementaire.
J’avais défendu ce dispositif dès 2018, dans la proposition de loi que j’ai évoquée en discussion générale.
L’objet de cet amendement est de trouver des ressources supplémentaires pour augmenter le montant des indemnités les plus faibles. Je pense que nous sommes nombreux à partager cette préoccupation.
J’ai bien entendu, madame le rapporteur, que les indemnités des maires de petites communes avaient été augmentées de 30 % à 40 %, mais, pour moi, elles restent encore insuffisantes, notamment pour les communes de moins de 3 500 habitants.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Monsieur le sénateur, vous souhaitez que les élus locaux ne puissent pas percevoir d’indemnités cumulées d’un montant supérieur à celui d’un mandat de parlementaire, mais aucun motif ne permet de procéder à une modification du régime en vigueur pour les élus locaux.
En revanche, derrière votre préoccupation se cache la question du cumul horizontal. Sans doute aurons-nous, un autre jour, à une autre occasion, la possibilité d’en reparler.
Pour l’heure, la commission sollicite le retrait de l’amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 98, présenté par MM. Dantec et Benarroche, Mme Senée, MM. G. Blanc, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
I. - Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 1° du I de l’article L. 2334-7 du code général des collectivités territoriales, est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Cette dotation prend en charge toutes les dépenses inhérentes à la fonction d’élu, soit notamment les indemnités, les frais liés à l’exercice du mandat et les formations, à l’exclusion de toute autre dépense. La somme attribuée à ces dépenses de fonctionnement démocratique est fixée annuellement en loi de finances et ne peut être utilisée pour aucune autre dépense. »
II. – La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du I est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
III. – La perte de recettes résultant pour l’État du paragraphe précédent est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Je suis ravi que cet amendement ait passé les mailles serrées du filet des articles 40 et 45 de la Constitution.
En effet, nous avons été nombreux à travailler avec des élus locaux, en amont de cette discussion, et cette proposition, dans les échanges que nous avons eus, est celle qui a suscité le plus d’intérêt.
Il s’agit simplement de distinguer, dans la dotation globale de fonctionnement (DGF), entre ce qui doit revenir à l’action publique de la collectivité et ce qui doit revenir au fonctionnement démocratique.
Nous connaissons tous les débats difficiles qu’il peut y avoir dans les communes, tout particulièrement dans les petites communes, qui ont un tout petit budget, quand il s’agit de choisir entre le versement d’indemnités et la réfection de la cantine.
Distinguer, dans la dotation de base, ce qui relève de l’action publique et ce qui relève du fonctionnement démocratique éviterait ces choix cornéliens, qui n’ont pas lieu d’être. C’est le sens premier de cet amendement.
La seconde partie de l’amendement me semble également importante.
Il s’agit de prévoir qu’une augmentation éventuelle, par le Parlement ou le Gouvernement, des indemnités ou des droits à formation ou à remboursement des élus ne doit pas grever la partie de la DGF qui serait consacrée à l’action publique de la collectivité.
Je répète que cet amendement a vraiment suscité énormément d’intérêt de la part des élus, de toutes sensibilités politiques, avec lesquels nous avons pu discuter.
En votant cet amendement, en disant que, demain, dans les dotations, on distinguera l’action publique et le fonctionnement démocratique, le Sénat enverrait un message très fort aujourd’hui.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Cher collègue Dantec, votre amendement a retenu tout mon intérêt pour sa créativité. (Sourires.)
Non, il ne faut pas mélanger les choses.
La DPEL couvre des dépenses destinées à aider les élus locaux s’agissant de leurs indemnités, de la protection fonctionnelle, des frais de garde, etc.
Nous demandons que le Gouvernement examine avec beaucoup de bienveillance notre amendement visant à élargir l’éligibilité des communes à la DPEL et tendant à ce que celle-ci finance également les dépenses de formation.
Vous demandez à revoir la DGF en y intégrant certaines dépenses.
Pour notre part, nous défendons, depuis très longtemps, une idée – elle fait partie des propositions du groupe transpartisan piloté par Gérard Larcher.
Force est de constater que la DGF est aujourd’hui dans une impasse et qu’elle le sera encore davantage, parce qu’elle est fondée sur le développement. Or vous avez, comme moi, entendu parler du ZAN ! Autrement dit, il va devenir nécessaire de financer les collectivités différemment.
Par conséquent, nous invitons le Gouvernement à prendre au sérieux la révision des dépenses de fonctionnement. Éric Woerth s’y est engagé. Nous verrons bien !
Quoi qu’il en soit, cher collègue, avec tout le respect et l’amitié que j’ai pour vous, je pense sincèrement que l’on ne réglera pas le problème avec votre amendement.
Notre avis est donc vraiment défavorable.
Mais si vous préférez une demande de retrait, je vous laisse la liberté !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.
M. Hussein Bourgi. Je vais soutenir l’amendement de notre collègue Dantec, parce qu’il est frappé au coin du bon sens.
Dans nos communes, lors des élections, la question des indemnités devient souvent un argument électoral, politicien.
Les listes et les candidats rivalisent d’ingéniosité au sujet de la diminution des indemnités : telle liste propose une réduction de 20 %, telle autre surenchérit avec une baisse de 30 % ou 40 %… La réduction du montant des indemnités donne lieu à un véritable concours Lépine.
L’un des premiers actes que doit faire l’équipe élue, en parvenant aux responsabilités, consiste à fixer le montant des indemnités. Soit elle respecte son engagement, soit elle se dédit ! Mais, naturellement, la pression populaire est au rendez-vous, et les médias sont là…
C’est la raison pour laquelle je considère qu’il faut dépolitiser, si je puis dire, la question des indemnités. C’est ce que tend à faire cet amendement, et c’est tout l’intérêt que je lui trouve.
Il ne faut pas plonger les élus dans un cruel dilemme, en les obligeant à choisir entre toucher les indemnités auxquelles ils ont droit ou ménager le budget de la commune pour favoriser l’investissement local.
En tout état de cause, si l’amendement n’était pas voté, je nous invite, mes chers collègues, à approfondir nos réflexions dans les prochains mois et les prochaines années.
M. le président. La parole est à Mme Karine Daniel, pour explication de vote.
Mme Karine Daniel. Bien évidemment, je soutiens moi aussi cet amendement.
J’espère, du reste, que nous pouvons faire preuve d’un peu de créativité dans cet hémicycle !
Cette créativité nous est aussi proposée par les élus avec lesquels nous avons travaillé sur de telles propositions.
Notre groupe pense que tout ce qui peut apporter plus de clarté, de lisibilité et de transparence à l’exercice des mandats locaux et au coût de la démocratie locale va plutôt dans le bon sens.
À cet égard, il nous semble que cet amendement serait utile pour renforcer la proposition de loi, dans ses différents aspects.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Je remercie évidemment Mme la rapporteure pour son hommage à ma créativité, mais cet amendement est vraiment venu du terrain. Il est issu de la discussion avec les élus locaux, comme cela a été très bien dit lors des interventions précédentes.
J’entends tout à fait, madame Gatel, qu’il faut aller vers une réforme de la DGF. Nous sommes pleinement en accord sur ce point.
Cependant, le vote de cet amendement ne change rien au principe de cette réforme ! Si nous l’adoptons ce soir, nous donnerons simplement au Gouvernement un signal très clair sur la nécessité de distinguer, demain, les lignes qui relèvent de l’action publique de celles qui relèvent du fonctionnement démocratique.
Je vais donc totalement dans votre sens, madame la rapporteure. Oui, il faut aller vers une réforme de la DGF. Oui, nous sommes dans une impasse.
Mais, en votant cet amendement, nous donnons justement au Gouvernement une indication supplémentaire sur le sens dans lequel il faut aller.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Pour aller dans le même sens que mon collègue, et comme je l’ai dit tout à l’heure, je pense que cet amendement est essentiel, justement parce qu’on s’aperçoit qu’un certain nombre d’élus font ce choix de ne pas percevoir la totalité de leur indemnité, voire de ne pas la toucher du tout, pour ne pas compromettre des projets de la commune et pour des raisons financières.
Ce n’est pas acceptable, et cela va à l’inverse de toute la réflexion que nous pouvons avoir sur le statut de l’élu et sur l’égalité dans l’exercice des mandats.
À cet égard, je trouve que la créativité de notre collègue Ronan Dantec est plutôt intéressante, puisqu’il propose une solution, sans revenir, me semble-t-il, madame la rapporteure, sur la question de la DGF, sur laquelle nous pourrons travailler. Il s’agit simplement de sécuriser le financement des indemnités et de faire en sorte qu’il ne serve pas d’autre objet.
J’aimerais entendre l’avis de Mme la ministre sur ce sujet essentiel pour un certain nombre de communes.
Comme certains l’ont rappelé, les indemnités donnent lieu à des jeux et à des utilisations politiques, certains annonçant y renoncer pour favoriser divers projets. Or tout le monde ne peut pas se permettre d’y renoncer ! Certains candidats aux élections n’en ont pas forcément les moyens. Cela pose une vraie difficulté sur le plan démocratique.
J’entends qu’il faudrait encore attendre, qu’il faudrait encore réfléchir. Nous avons pourtant là une solution, un cadre, qui, en outre, permet d’évoluer. C’est important.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Tout amendement est probablement perfectible, mais celui-ci me paraît tout de même frappé au coin du bon sens.
D’ailleurs, si je m’étais écoutée, j’aurais certainement déposé un amendement bien plus radical, parce que je pense que la démocratie est malade. Depuis quand est-ce aux élus locaux de fixer le montant de leur indemnité ? La reconnaissance de l’engagement des élus locaux doit-elle, oui ou non, se négocier, se monnayer ?
Pour ma part, je réponds « non », parce que je pense, comme nous sommes en train de le constater, que cela pose des difficultés pour les élus, qui plus est parce que c’est la première délibération qu’ils sont amenés à prendre.
Nous sommes dans un État de droit, où existe un code général des collectivités territoriales, qui prévoit, pour chaque strate de population, tel montant d’indemnités. Je crois qu’il faut instaurer une forme d’automaticité.
On peut laisser une liberté de répartition dans l’enveloppe entre adjoints, etc. Mais on ne peut pas, tous les six ans, renégocier le montant de l’indemnisation des élus !
Le cas de campagnes électorales, en ville, a été évoqué. Personne ne veut augmenter les impôts, mais tout le monde veut de l’argent dans les caisses. Bref, chacun définit sa propre indemnité… De toute façon, puisque plus on pratique le populisme dans ce pays, plus on progresse, autant y aller gaiement !
Pour ma part, je conclurai par l’exemple très concret du maire d’une commune rurale, qui, lors de son mandat, n’a pas voulu toucher son indemnité, en toute bonne foi, parce que la situation des finances de la commune était catastrophique et parce qu’il ne voulait pas pénaliser l’investissement. Sauf qu’il était retraité ! Or la vie a suivi son cours, et son premier adjoint, qui lui a succédé en 2020, avait 45 ans, un travail, des enfants, et besoin de gagner de l’argent. Il a donc dû demander à percevoir son indemnité, et cette demande a suscité un débat parmi les concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.
M. Michel Canévet. J’ai tendance moi aussi à trouver cette proposition plutôt novatrice, parce que, depuis des années, nous constatons une culpabilisation autour de l’octroi des indemnités, notamment dans les communes de taille extrêmement modeste.
Nous devons parvenir à trouver des solutions, en travaillant sur la perception par les élus de ce qu’il est normal qu’ils perçoivent, mais aussi sur la possibilité d’organiser la répartition des indemnités entre ceux qui exercent effectivement les responsabilités dans les communes.
Je trouve donc que cette proposition fait avancer les choses, et je la soutiens. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, pour explication de vote.
M. Alain Joyandet. Il s’agit d’un sujet très important, notamment dans les départements ruraux. En écoutant les différentes interventions, on sent qu’elles reflètent beaucoup de vécu.
Je n’ai pas l’impression que l’on puisse trouver une solution simple à ce problème, une solution dépolitisée, automatique, qui ne donne pas lieu à des débats électoraux.
Aussi, nous sommes un certain nombre à proposer que les maires soient directement payés par l’État – tel est l’objet de l’amendement suivant –, conformément à un barème. Ainsi, cette question ne susciterait plus de débat, les élus n’auraient plus à prendre d’engagements électoraux : on appliquerait un barème. En outre, il est très clair que le maire est officiellement le représentant de l’État dans sa commune. Selon moi, cette solution serait la plus simple.
Or un amendement tendant à mettre en œuvre une telle solution serait évidemment déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, en raison de son coût. Aussi proposerons-nous la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement sur ce sujet.
Cette solution, je le répète, permettrait de résoudre tous les problèmes qui ont été évoqués ici et serait en outre très simple à mettre en œuvre. Elle pourrait ne pas être coûteuse globalement si elle était financée par la DGF. En tout cas, il s’agirait d’une solution novatrice, qui aurait pour mérite de mettre fin aux problèmes que rencontrent les nouveaux élus à qui l’on dit qu’ils coûtent trop cher par rapport à leur prédécesseur, qui, lui, ne percevait pas les indemnités.
Il a également beaucoup été question de respect et de reconnaissance. La rémunération du maire directement par l’État mérite vraiment d’être étudiée.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Mizzon. Je ne sais pas si cet amendement est créatif, en tout cas, il est pertinent.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Non !
M. Jean-Marie Mizzon. Il met le doigt sur un problème réel que rencontrent les élus à chaque début de mandat et qui donne lieu à des torrents de démagogie et à de la surenchère. Les maires sont alors placés dans une situation malsaine, qu’on aimerait leur épargner. Le maire utilise souvent son indemnité comme variable d’ajustement et la partage avec ses adjoints.
S’il était adopté, cet amendement permettrait de couper court à tous ces débats pétris de démagogie dont nous avons tous assez. Il faut protéger les maires en votant un dispositif tel que celui que tend à prévoir cet amendement. En tout cas, moi, je le soutiendrai. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Je pense, mes chers collègues, que vous êtes impatients d’en arriver à la séquence suivante, car vous anticipez le débat que nous aurons sur l’article 2.
Tout le monde s’accorde à reconnaître que la fixation du montant de l’indemnité des élus lors du premier conseil municipal est un problème pour les maires et leurs conseils municipaux. L’opposition est alors très en forme, la presse locale adore ça. On se dit : « Tiens ! Ils se sont augmentés ! » Tout le monde est gêné, c’est infernal.
Je rappelle que la dotation forfaitaire ne peut pas être affectée et que nous proposons à l’article 2 une solution qui répond à vos souhaits tout à fait légitimes. Si l’article est adopté, il n’y aura plus de débats dans les conseils municipaux, quels qu’ils soient, sur le montant de l’indemnité des élus.
M. Ronan Dantec. Si !
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Non, mon cher collègue Dantec, écoutez-moi jusqu’à la fin !
Nous proposons que le montant de l’indemnité du maire soit fixé selon un barème afin qu’il ne puisse pas faire l’objet de discussions et qu’il en soit de même pour les adjoints. Ensuite, si le maire souhaite répartir son enveloppe entre des conseillers délégués plutôt qu’entre des adjoints, ce sera possible.
Sincèrement, je vous le redis, l’article 2, qui traite des indemnités des élus, de la fixation de leur montant et de leur caractère non discutable, apporte une solution. Nous demanderons ensuite au Gouvernement d’étendre le bénéfice de la DPEL aux communes de taille plus grande. Nous examinerons cet article demain. Certes, demain est un jour nouveau, mais si votre confiance tient jusqu’à demain, c’est bon !
Je le répète, j’émets un avis défavorable sur cet amendement, qui vise à apporter une mauvaise réponse à une bonne question.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Nous voterons très massivement, je pense, l’article 2, mais l’amendement n° 98 tend à proposer une disposition qui n’est pas tout à fait identique.
L’amendement tend à proposer le financement des frais inhérents à la fonction d’élu par une enveloppe spécifique de la DGF. Je pense que ses auteurs sont prêts à envisager un autre mode de financement, mais ce qu’ils veulent, c’est que l’on sanctuarise le budget dévolu aux indemnités des élus. Il s’agit de faire en sorte que les élus n’aient à aucun moment à faire face à un dilemme – c’est le mot qui a été employé – en raison des difficultés financières que connaissent les collectivités aujourd’hui, en particulier les communes.
Si les communes n’avaient aucun souci pour financer leurs projets, la question ne se poserait même pas et les populistes de tout poil pourraient dire ce qu’ils veulent sur les indemnités, leur discours ne prendrait pas.
S’il prend aujourd’hui, c’est parce que des maires ont été contraints de dire en début de mandat aux habitants de leur commune qu’ils n’allaient pouvoir faire qu’une seule chose, par exemple, se mettre en conformité avec le règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie. Forcément, des habitants ou des adversaires leur disent qu’ils pourraient peut-être réduire un peu leur indemnité pour pouvoir financer autre chose.
L’amendement qui vient de nous être présenté vise donc à sanctuariser les indemnités des élus, afin qu’elles ne puissent pas être utilisées pour financer d’autres projets, par ailleurs légitimes. En tout cas, c’est comme ça que je l’ai compris.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 98.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 142 :
Nombre de votants | 296 |
Nombre de suffrages exprimés | 280 |
Pour l’adoption | 110 |
Contre | 170 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 119 rectifié bis, présenté par M. Joyandet, Mmes Belrhiti, Muller-Bronn et Bellurot, MM. Piednoir et Courtial, Mmes Lopez et Imbert, MM. Houpert et Michallet, Mmes Nédélec et Gruny, MM. Paccaud, Reichardt, Panunzi et Cadec, Mmes Petrus et Puissat, MM. Duplomb, J.M. Boyer, Tabarot et Reynaud et Mme Bonfanti-Dossat, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport étudiant la faisabilité, pour l’État, d’indemniser directement les maires sur son budget.
La parole est à M. Alain Joyandet.
M. Alain Joyandet. Cet amendement vise à prévoir la remise par le Gouvernement au Parlement d’un rapport sur la rémunération directe des maires par l’État, comme je l’ai proposé il y a quelques instants. Je considère qu’il est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Cher collègue Joyandet, le coût de votre proposition est connu : si les élus locaux, donc municipaux, étaient remplacés par des fonctionnaires, cela coûterait 3,4 milliards d’euros de fonctionnement, soit 2,3 fois plus qu’aujourd’hui.
Entre le statut de professionnel et celui de volontaire bénévole, nous préférons ce dernier.
En conséquence, cher collègue, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Joyandet, l’amendement n° 119 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Alain Joyandet. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 119 rectifié bis est retiré.
Mes chers collègues, je vais lever la séance.
Nous avons examiné 7 amendements au cours de la journée ; il en reste 240 à examiner sur ce texte.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 6 mars 2024 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente et le soir :
Débat sur le thème « Équité et transparence de Parcoursup à la frontière du lycée et de l’enseignement supérieur » ;
Débat sur le thème « Enseignement privé sous contrat : quelles modalités de contrôle de l’État et quelle équité des moyens vis-à-vis de l’enseignement public ? »
Suite de la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local, présentée par Mme Françoise Gatel, MM. Mathieu Darnaud, François-Noël Buffet, Bruno Retailleau, Hervé Marseille, Patrick Kanner, François Patriat, Mme Cécile Cukierman, M. Claude Malhuret, Mme Maryse Carrère et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 367, 2023-2024).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 6 mars 2024, à zéro heure quarante.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER