M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. J’ai dit tout à l’heure qu’il fallait éviter l’excès ; or je pense que vous êtes particulièrement excessif en présentant cet amendement, mon cher collègue. Vous prévoyez que les ICPE ne puissent bénéficier de la cause exonératoire de responsabilité. Les ICPE incluent un grand nombre d’installations très diverses, certaines industrielles ou agricoles, mais également certaines éoliennes terrestres !
Qui plus est, vous allez vider le texte de sa substance : il ne restera plus rien ! Il me semble que ce n’est pas l’objectif recherché.
Enfin, cette proposition de loi n’a pas pour objet de créer un droit à polluer, bien au contraire. Les ICPE répondent à certaines obligations et autorisations administratives. Avec tout le respect et l’amitié que j’ai pour vous, vous comprendrez que je ne puisse soutenir votre dévotion aux normes.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 1 rectifié ter est présenté par Mme Jacquemet, MM. Longeot, Mizzon et Henno, Mme Antoine, MM. Cambier et Canévet, Mme Sollogoub, M. Courtial, Mme Billon, M. Fargeot, Mmes O. Richard, Perrot, de La Provôté et Saint-Pé, MM. Duffourg et Hingray et Mme Romagny.
L’amendement n° 2 rectifié ter est présenté par M. Bonneau, Mme Bourcier, M. Joyandet, Mmes N. Delattre et Guidez et MM. Lemoyne, Menonville, Chasseing et Cigolotti.
L’amendement n° 3 rectifié octies est présenté par Mmes Joseph, Gruny et Demas, M. Paccaud, Mme Josende, M. Laménie, Mmes L. Darcos et Berthet, MM. Panunzi, H. Leroy, Sautarel, Burgoa et Cadec, Mme Gosselin, MM. Pellevat et Savin, Mme Ventalon, MM. Darnaud et Brisson, Mme Imbert, M. de Legge, Mme Eustache-Brinio, M. Lefèvre, Mme Pluchet, MM. Naturel et Folliot, Mmes Dumont et Di Folco, M. Genet, Mmes Petrus, Muller-Bronn et Borchio Fontimp, MM. Belin et Sido, Mme Aeschlimann, M. Reynaud et Mmes Drexler et Nédélec.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les effets sonores causés par les enfants dans les services aux familles, les aires de jeux pour enfants et les installations similaires ne sont pas des troubles anormaux de voisinage.
La parole est à Mme Annick Jacquemet, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié ter.
Mme Annick Jacquemet. Cet amendement a pour objet d’exclure de la catégorie des troubles anormaux de voisinage les effets sonores causés par les enfants dans les services aux familles, les aires de jeux pour enfants et les installations similaires.
Depuis la réforme des normes applicables à la petite enfance, dite Norma, l’espace extérieur est obligatoire dans toutes les nouvelles crèches situées dans un kilomètre carré accueillant moins de 10 000 habitants et fortement recommandé dans les autres établissements.
Pour autant, de nombreuses crèches subissent des conflits de voisinages, les habitants à proximité de ces établissements considérant que les enfants font trop de bruit. Concrètement, les crèches concernées peuvent faire face à des refus de mise à disposition de l’usage des espaces communs au droit du local de la crèche, des refus d’autorisation d’aménagement des espaces communs à usage privatif, aménagements pourtant exigés par la réglementation relative à la protection des enfants, et des restrictions d’usage des espaces communs par une copropriété, contraires aux intérêts des enfants.
Pour garantir leur liberté individuelle et favoriser leur épanouissement, il me semble important de consacrer un droit des enfants à faire du bruit.
Cet amendement, rédigé avec la Fédération française des entreprises de crèches, vise donc à établir un cadre juridique qui permettra à tous les enfants accueillis en crèche de disposer des mêmes droits dans leur espace extérieur, en particulier du droit de jouer !
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié ter n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Else Joseph, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié octies.
Mme Else Joseph. Par cet amendement, il s’agit de ne pas assimiler les bruits des enfants de nos crèches à des troubles anormaux de voisinage.
Depuis quelques années, les rires et joies de nos enfants donnent lieu à des crispations. Des contentieux, qui traduisent une crise du lien social, se sont même développés !
Pourtant, ces bruits, aussi vieux que le monde, ne sont pas ceux de marteaux-piqueurs ! Lors de l’examen de ce texte par l’Assemblée nationale, monsieur le garde des sceaux, vous avez rappelé que le bruit des enfants ne pouvait pas être un trouble anormal de voisinage, appelant par là même au retrait d’un amendement à l’objet similaire. Vous laissez ainsi les crèches subir des conflits de voisinage.
Nous espérons sincèrement que les débats au Sénat permettront la mise en œuvre du droit effectif des enfants à faire du bruit. Trop de crèches, victimes de conflits de voisinage, se voient refuser l’accès à certains usages.
Mes chers collègues, cessons d’embêter les Français : laissons jouer nos enfants et ne les brimons pas par ces humeurs bien procédurières de ce monde parfois sans rêve des adultes que nous sommes !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Encourageons les enfants à crier et à exploser de joie ! S’ils ne le font pas, cela signifie qu’ils sont en mauvaise santé.
Mes chers collègues, je vous entends et je vous comprends ! Vous évoquez les difficultés liées à l’installation de crèches, certains habitants n’acceptant pas certains bruits.
À mes yeux, votre préoccupation ne relève pas des problématiques à propos desquelles nous légiférons aujourd’hui. Il n’y a pas de trouble anormal de voisinage lorsqu’il s’agit d’une crèche ou d’une école. Le juge sait apprécier la situation. En outre, nous avons prévu des exonérations pour les activités économiques – les crèches peuvent être considérées sous cet angle.
En l’occurrence, même si votre position recueille tout mon soutien, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir retirer vos amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. J’ai lu ces amendements identiques avec une forme de tendresse. (Sourires.)
En effet, une école accueillant des tout-petits jouxte la Chancellerie. (Exclamations amusées.) Il va de soi que, de temps en temps, c’est très animé et il m’arrive même de renvoyer des ballons. Pour autant, il ne s’agit pas d’un trouble anormal. Vous l’avez dit, madame la rapporteure, ce qui serait anormal, c’est que l’on n’entende pas ces enfants et qu’ils ne se déchaînent pas pendant la récréation.
Si des difficultés surviennent – il peut y en avoir –, il faut laisser le juge trancher au cas par cas.
Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, comme la commission, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ses amendements identiques.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié ter et 3 rectifié octies.
(Les amendements sont adoptés.)
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. On les mettra dans la Constitution la prochaine fois !
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié bis, présenté par Mmes Aeschlimann et Dumont, M. J.M. Boyer, Mmes Nédélec et Petrus, MM. Belin et Bouchet, Mme Belrhiti, M. Savin, Mme Lassarade, M. de Legge, Mme Garnier, MM. Courtial et Joyandet, Mme Gruny, MM. Sautarel, Milon et Burgoa, Mme Noël et MM. Khalifé, Genet, Panunzi, Cadec et Sido, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les effets sonores causés par les enfants dans le périmètre des écoles, collèges et lycées ne sont pas des troubles anormaux de voisinage.
La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Après les crèches, les écoles… (Sourires.)
Monsieur le garde des sceaux, vous l’avez rappelé lors de la discussion générale, quand on s’installe à la campagne, on doit accepter celle-ci telle qu’elle est, y compris avec les inconvénients d’une installation agricole préexistante.
Il doit en être de même pour ce qui concerne les établissements scolaires. Quand on emménage près d’une école, on doit accepter que, pendant un temps limité, dans un espace dédié, des enfants puissent jouer et se défouler – ce qui ne fait pas de nos enfants des barbares.
La mise en œuvre de la théorie jurisprudentielle du trouble anormal de voisinage a pu déboucher sur la condamnation de collectivités – je fais ici référence à des situations vécues –, sur le fondement d’éléments objectifs, au motif que les enfants pouvaient faire du bruit dans une cour de récréation le matin, l’après-midi et au cours de la pause méridienne.
Cet amendement tend donc à élargir la clause exonératoire, ce qui permettra de prévenir ce type de contentieux pour le moins abusif et d’éviter que les collectivités qui sont chargées de la gestion et du fonctionnement de ces établissements scolaires ne soient traînées en justice par des riverains nouvellement installés, sous prétexte que les enfants font du bruit.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. C’est le même avis que précédemment.
Ce texte a trait à des troubles anormaux de voisinage, c’est-à-dire à des troubles extrêmes. Le juge sait apprécier s’il s’agit de bruits liés à la vie quotidienne.
Je vous le dis gentiment, mes chers collègues, à ce stade, nous pourrions également ajouter les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et d’autres structures. (Exclamations sur certaines travées du groupe Les Républicains.) Je parle d’un strict point de vue juridique !
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je ne suis pas défavorable à cet amendement, j’y suis extrêmement défavorable !
Je le redis, avec un faible espoir d’être compris : il ne s’agit pas là de troubles anormaux. Entendez-le ! Sinon, les mots n’ont pas le même sens pour tous.
Que voulez-vous que je vous dise d’autre ? Je me rassois, désespéré. (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour explication de vote.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Il ne s’agit pas de situations virtuelles. J’ai ici une décision de justice concernant ma commune, qui vient de faire l’objet d’une condamnation pour un trouble anormal de voisinage lié au fonctionnement d’une cour de récréation. Ce sont donc des cas qui existent. C’est la raison pour laquelle je me permets d’insister.
J’entends bien les avis de Mme la rapporteure et de M. le garde des sceaux. Pour autant, les éléments que je mets en avant sont factuels et jurisprudentiels.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Cela ne veut pas dire que la jurisprudence a raison !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 6, présenté par M. Bitz, Mme Schillinger, MM. Mohamed Soilihi, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, MM. Omar Oili, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Rohfritsch, Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 311-1-1. – La responsabilité de plein droit prévue au premier alinéa de l’article 1253 du code civil n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités agricoles au sens de l’article L. 311-1, préexistant à l’installation de la personne lésée, qui sont conformes aux lois et aux règlements et qui se sont poursuivies dans les mêmes conditions ou sans modification substantielle de ces conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal. »
La parole est à M. Olivier Bitz.
M. Olivier Bitz. Cet amendement est particulièrement important à nos yeux.
En effet, en l’état actuel du texte, nous nous référons au moment de l’installation du nouveau venu pour figer le niveau d’activité de l’activité voisine, notamment de l’activité agricole. Ainsi, on examine ce qu’elle représente en termes de nuisances, puis, sauf modifications législatives ou réglementaires ou mises en conformité, il n’est pas possible de revoir à la hausse les nuisances existantes.
Selon nous, la rédaction de cet article est beaucoup trop limitative. En effet, une exploitation agricole doit pouvoir se développer dans une certaine mesure, en intégrant des activités menées de manière différente ou de nouvelles activités.
Il nous semble donc important de ne pas figer le niveau d’activité de l’exploitation agricole, au moment de l’installation du voisin.
Pour autant, il ne s’agit évidemment pas de permettre tout et n’importe quoi. C’est la raison pour laquelle nous nous référons à la notion de « modification substantielle » : la limite posée à l’agriculteur serait une modification substantielle de son activité et des nuisances qu’elle provoque.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par MM. Duplomb et J.M. Boyer, Mmes Estrosi Sassone et Primas, MM. Cuypers, D. Laurent, Darnaud, Klinger, Sol et Karoutchi, Mme Puissat, M. Paccaud, Mmes Noël, Di Folco et Berthet, MM. Panunzi, Daubresse et Cadec, Mme Gosselin, MM. Pellevat, Savin, Hugonet, J.P. Vogel, Chatillon, Brisson, Grosperrin et Laménie, Mme Belrhiti, MM. Milon, Michallet et Anglars, Mmes Imbert et Bellurot, MM. de Legge, Reynaud, Genet, Bonhomme et Somon, Mme Muller-Bronn, MM. Tabarot et Sido, Mme Borchio Fontimp, MM. J.B. Blanc et Belin, Mme Gruny, MM. Chasseing et Favreau, Mmes Bonfanti-Dossat, Lassarade, Micouleau, Demas, P. Martin, Dumont et Joseph, M. Gremillet et Mme Aeschlimann, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Compléter cet alinéa par les mots :
ou dans des conditions telles qu’il n’en ait pas résulté une aggravation substantielle du trouble par sa nature ou son intensité
La parole est à M. Laurent Duplomb.
M. Laurent Duplomb. Quelle est la réalité de l’activité agricole ? Non seulement cette activité ne peut pas être conservée au niveau qui prévalait au moment de l’arrivée du voisin, mais aussi il faut lui donner la possibilité d’évoluer, comme le prévoit aussi l’amendement présenté par M. Olivier Bitz.
Pour rédiger cet amendement, nous sommes partis du principe qu’il convenait de se fonder sur un article du code civil. En effet, le juge se référant en priorité à ce code, il nous a paru important qu’il puisse continuer à le faire, y compris pour ce qui concerne une activité agricole. Toutefois, pour prendre en compte les spécificités de l’activité agricole, nous avons également voulu introduire une référence dans le code rural et de la pêche maritime.
En commission, Mme la rapporteure a fait inscrire dans cet article la référence au code rural et de la pêche maritime pour ce qui concerne la mise aux normes.
En effet, un agriculteur a l’habitude d’être confronté à de nombreuses injustices et injonctions contradictoires. Ainsi, lorsqu’il est obligé par l’État de se mettre aux normes et qu’après l’avoir fait il se voit condamné par son voisin pour troubles anormaux du voisinage, il est victime d’une injustice flagrante. D’un côté, il est obligé de se mettre aux normes ; d’un autre côté, il peut être traîné devant les tribunaux du fait même du respect de cette injonction.
Un rappel relatif à la mise aux normes a donc été inséré dans le code rural et de la pêche maritime.
Par cet amendement, il s’agit d’introduire les termes suivants : « dans des conditions telles qu’il n’en ait pas résulté une aggravation substantielle du trouble par sa nature ou son intensité ». Cela permet de prendre en compte l’évolution de l’exploitation, son éventuelle diversification ou son accroissement naturel.
Le trouble est de même nature quand une ferme passe de soixante à cent vaches laitières, comme l’a rappelé Mme la présidente de la commission des affaires économiques, que je remercie.
Par ailleurs, si, pour se diversifier, un agriculteur crée une activité d’élevage de poulets ou de poules pondeuses, il se produit une « aggravation substantielle du trouble ».
Une telle rédaction permet de prendre en compte le panel complet des éléments régissant le développement et l’évolution d’une exploitation agricole digne de ce nom.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Comme cela a été évoqué lors de la discussion générale, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 6.
Monsieur le sénateur, vous revenez d’une manière excessive, si je puis dire, sur les modifications apportées en commission, notamment sur le critère de l’installation.
Par ailleurs, cet amendement vise à introduire trois critères alternatifs. Si je ne doute pas de la capacité du juge à apprécier la situation, il me semble que ces dispositions contribuent à ajouter du flou, ce qui entraînera des marges d’appréciation trop larges.
À mes yeux, il est important, conformément à l’esprit de cette proposition de loi, que nous sécurisions les choses.
Enfin, il ne nous paraît pas impossible d’avancer vers la mention d’une « modification substantielle », comme l’a d’ailleurs évoqué le Conseil d’État dans le cadre de son avis sur la proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises, dès lors que cette mention est circonscrite aux seules activités agricoles et inscrite dans le code rural et de la pêche maritime.
La commission a une nette préférence pour l’amendement n° 4 rectifié bis de M. Duplomb, qui lui paraît mieux construit et plus en accord avec l’esprit de l’auteur de la proposition de loi et sur lequel elle émet un avis favorable. Je vous invite donc, monsieur le garde des sceaux, à vous effacer au profit de M. Laurent Duplomb ! (Exclamations amusées.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pour ne rien vous cacher, madame la rapporteure, le Gouvernement n’a pas la même préférence que la commission ! (Sourires.) Je m’en explique brièvement.
L’amendement n° 6, défendu par M. Olivier Bitz, a pour objet de permettre à l’agriculteur de bénéficier d’une exonération de responsabilité lorsque son activité a connu une modification non substantielle. Prenons l’exemple d’un élevage de chiens qui passerait de vingt à vingt-cinq bêtes ou bien de la modification de la localisation des ouvertures d’un bâtiment d’élevage. Parce qu’il partage cet objectif, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.
En revanche, l’amendement n° 4 rectifié bis de M. Laurent Duplomb soulève des difficultés. Il vise en effet à compléter l’alinéa 9 introduit par la commission des lois de votre assemblée, en prévoyant une nouvelle clause d’exonération de responsabilité. Ainsi, un exploitant qui fait évoluer de manière importante les conditions de son exploitation pourra bénéficier d’une exonération de responsabilité s’il démontre qu’il n’en résulte pas pour son voisin une aggravation substantielle de son préjudice.
Selon moi, une telle rédaction présente deux difficultés.
D’une part, les critères de « nature » ou d’« intensité » du trouble manquent de clarté et, à l’évidence, seront source d’insécurité juridique.
D’autre part, une telle disposition revient en réalité à exonérer l’exploitant auteur d’un trouble anormal de voisinage qui aurait fait évoluer de manière substantielle ses conditions d’exploitation, au motif que la nature ou l’intensité du trouble n’a pas été substantiellement modifiée. Cette rédaction, selon le Gouvernement, revient à priver la victime du trouble de tout droit à réparation, alors qu’elle a subi une aggravation de son dommage. Or on ne peut refuser d’indemniser un préjudice au seul motif que celui-ci n’est pas substantiel. Cela va d’ailleurs à l’encontre du principe de réparation intégrale du préjudice en droit de la responsabilité civile.
Monsieur le président, je profite de ma dernière intervention sur ce texte pour exprimer, au nom du Gouvernement, mon total et indéfectible soutien à M. François Patriat.
Je veux le redire – je l’ai déjà dit, hélas ! trop souvent –, s’en prendre à un élu, c’est s’en prendre à la République.
M François Patriat m’a dit qu’il avait saisi la justice. J’espère – j’en ai même la conviction – qu’elle fera son travail. Bien évidemment, comme je l’ai déjà demandé à de multiples reprises par voie de circulaire, elle prendra en considération sa qualité d’élu. Ce qui se passe est insupportable ! Aucune cause ne justifie des exactions semblables à celles dont votre collègue a été victime, mesdames, messieurs les sénateurs. (Applaudissements sur toutes les travées.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote.
M. Laurent Duplomb. Monsieur le garde des sceaux, je ne suis pas d’accord avec votre analyse, pour la simple et bonne raison que l’objet de l’amendement n° 4 rectifié bis renvoie non pas à la notion de « développement substantiel », mais à celle d’« aggravation substantielle ».
En revanche, le terme de « nature » fait sens, en particulier dans l’exemple que vous avez pris. En effet, ne pas préciser que l’évolution est de même nature laisse au juge la faculté d’interpréter cette évolution.
Pour ma part, j’ai démarré mon activité agricole avec soixante vaches. Aujourd’hui, nous en avons cent vingt. S’agit-il d’une évolution substantielle ? À mes yeux, la réponse est « non », dans la mesure où j’y ai été contraint pour des raisons économiques – je ne l’ai pas fait par plaisir. En revanche, ce qui est certain, c’est que cette évolution est de même nature : quel que soit le nombre de vaches, soixante ou cent vingt, les nuisances sont les mêmes. La machine à traire, qui se met en route à des moments précis, fonctionnera un tout petit peu plus longtemps. Par conséquent, l’aggravation de la nuisance liée à la machine à traire est substantielle, puisque la traite, au lieu de durer une heure et demie, dure une heure trois quarts ou deux heures.
Telles sont les raisons pour lesquelles cet amendement est ainsi rédigé. Excusez-moi de ne pas être d’accord avec vous, monsieur le garde des sceaux, : ma rédaction a le mérite d’être bien plus claire. Le juge aura ainsi une vision très précise de ce que le législateur aura voulu, indépendamment de ce qu’il pourra ensuite interpréter.
En effet, trop souvent, la loi est rédigée de telle sorte qu’elle permet au juge de faire la loi à la place des parlementaires, ce qui ne correspond pas à ma façon de voir !
M. Olivier Paccaud. Exactement !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié bis.
(L’amendement est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels.
Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)