Sommaire
Présidence de M. Dominique Théophile
Secrétaires :
Mme Sonia de La Provôté, M. Mickaël Vallet.
2. Démission et remplacement d’un sénateur
3. Accord économique et commercial global UE - Canada. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi
M. Pascal Allizard, rapporteur de la commission des affaires étrangères
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques
Demande de renvoi à la commission
Clôture de la discussion générale.
M. Pascal Allizard, rapporteur
Suspension et reprise de la séance
4. Communication relative à une commission mixte paritaire
5. Accord économique et commercial global UE-Canada. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi modifié
Demande de clôture par M. Bruno Retailleau sur les prises de parole sur l’article 1er. – Adoption.
Demande de clôture par Mme Cécile Cukierman sur les explications de vote sur l’article 1er. – Adoption.
Rejet, par scrutin public n° 159, de l’article.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques
M. Pascal Allizard, rapporteur
M. Franck Riester, ministre délégué
Demande de clôture par Mme Cécile Cukierman sur les prises de parole sur l’article 2. – Adoption.
M. Pascal Allizard, rapporteur
Adoption de l’article.
Amendement n° 4 de M. Didier Marie. – Adoption de l’amendement rédigeant l’intitulé.
M. Pascal Allizard, rapporteur
M. Franck Riester, ministre délégué
Adoption, par scrutin public n° 160, de la proposition de loi, modifiée.
6. Retrait de l’ordre du jour d’une proposition de résolution
7. Mise au point au sujet d’un vote
compte rendu intégral
Présidence de M. Dominique Théophile
vice-président
Secrétaires :
Mme Sonia de La Provôté,
M. Mickaël Vallet.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Démission et remplacement d’un sénateur
M. le président. Mes chers collègues, M. Jean-Noël Guérini a fait connaître au président du Sénat qu’il démissionnait de son mandat de sénateur des Bouches-du-Rhône à compter du mercredi 20 mars 2024, à minuit.
En application de l’article L.O. 320 du code électoral, il a été remplacé par Mme Mireille Jouve, dont le mandat a commencé ce jour, à zéro heure.
3
Accord économique et commercial global UE - Canada
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part, et de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part (projet n° 694 (2018-2019), résultat de travaux n° 425, rapport n° 424, avis n° 410).
Discussion générale
M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité, de la francophonie et des Français de l’étranger. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen, par le Sénat, du projet de loi autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada – le Comprehensive Economic and Trade Agreement (Ceta) – ainsi que de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et le Canada nous offre l’occasion de faire le bilan de deux accords provisoirement en vigueur depuis bientôt sept ans.
Je veux l’affirmer d’emblée, très clairement, avec force et sans ambiguïté : ces deux accords sont bons pour notre économie (M. Fabien Gay proteste.), pour nos entreprises, pour notre agriculture et pour notre relation stratégique avec le Canada.
Les débats enflammés sur le Ceta et le flot de contrevérités qui ont circulé ces derniers jours nous ont presque fait oublier que nous avions à discuter aujourd’hui de deux accords.
Ce n’est absolument pas un hasard si nous débattons aujourd’hui de ces deux accords en même temps, tant ils sont liés. En effet, ils convergent vers un seul et même objectif : renforcer les liens entre l’Union européenne et le Canada en développant notre économie.
L’Union européenne et le Canada, dans le cas précis qui nous occupe, ce ne sont pas seulement deux parties à un accord.
L’Union européenne et le Canada, ce sont deux phares dans un monde bouleversé.
L’Union européenne et le Canada, ce sont deux piliers dans un monde qui perd ses repères.
L’Union européenne et le Canada, ce sont deux garants de l’État de droit ; deux défenseurs de la démocratie, des droits humains et sociaux ; deux accélérateurs de notre indispensable transition énergétique.
L’Union européenne et le Canada, ce sont deux entités qui partagent des valeurs et des intérêts, et qui doivent, au nom de ces valeurs, maintenir et consolider les liens qui les unissent. En d’autres termes, ils sont, l’un pour l’autre, un partenaire incontournable.
J’ose le dire : pour l’Union européenne, comme pour la France, le Canada est plus qu’un allié. C’est un ami, un partenaire historique. C’est un pays francophone, ce qui est évidemment important pour nous, Français. C’est un partenaire qui, sur le plan des échanges commerciaux, nous offre des perspectives de stabilité de long terme dont nous avons absolument besoin, alors que les impérialismes montent de toutes parts et que les guerres et les tensions géopolitiques perturbent le commerce mondial.
Je veux d’abord évoquer l’accord de partenariat stratégique, qui constitue un premier fondement de notre rapprochement avec le Canada.
Ces dernières années, outre le travail étroit qu’ils ont réalisé pour soutenir l’Ukraine, l’Union européenne et le Canada ont, grâce à cet accord, considérablement renforcé leur coopération sur de nombreux sujets : santé, durabilité des océans, énergie, matières premières, mais aussi calcul quantique et intelligence artificielle. Désormais, l’Union européenne et le Canada tiennent ensemble un sommet annuel qui permet la mise en œuvre de ces ambitions communes.
Cet accord est fondamental, en ce qu’il offre le cadre d’un partenariat de très haut niveau.
Cependant, mesdames, messieurs les sénateurs, ce partenariat n’a de sens que s’il se réalise sur le terrain, au bénéfice de nos entreprises, de nos agriculteurs, de nos emplois.
Tel est précisément l’enjeu du second accord, le Ceta.
Les deux accords sont liés : ils constituent les deux parties indissociables d’un même engagement politique. Voter l’article 2 du projet de loi, qui concerne l’accord de partenariat stratégique, tout en supprimant l’article 1er, qui a trait à l’accord économique et commercial global, reviendrait tout bonnement à rejeter le tout. (C’est le but ! sur les travées du groupe CRCE-K.)
Je veux dénoncer par avance ce qui serait une manœuvre grossière,…
Mme Cécile Cukierman. Et s’asseoir sur la démocratie, ce n’est pas grossier ?
M. Franck Riester, ministre délégué. … une manipulation inacceptable, aux lourdes conséquences pour notre pays. (Exclamations indignées sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST. – Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, pourquoi certains d’entre vous voudraient-ils s’opposer au Ceta, alors qu’il s’agit d’un excellent accord à tout point de vue ?
Sur cet accord, j’ai, ces dernières semaines, littéralement entendu tout et son contraire.
J’ai entendu ceux qui, d’un bout à l’autre de l’échiquier politique, instrumentalisent sans vergogne la vérité.
J’ai entendu les arguments fallacieux de certains élus, pourtant membres de formations politiques qui, à une époque pas si lointaine, exerçaient le pouvoir dans notre pays.
M. Pascal Savoldelli. Vous êtes pour le parti unique ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Tous ces propos ont été tenus au mépris de la réalité des faits.
Oui, le Ceta, appliqué provisoirement depuis bientôt sept ans, s’est révélé un très bon accord.
Il favorise notre économie, nos PME et nos échanges avec ce grand partenaire stratégique, cette démocratie francophone et ce pays historiquement ami qu’est, je le répète, le Canada.
Il est aussi positif pour nos filières agricoles, nos viticulteurs, nos producteurs de fromages. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
M. Didier Marie. Et nos éleveurs ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Je rappelle qu’une partie de la représentation nationale s’est déjà exprimée sur le sujet, puisque l’Assemblée nationale, en 2019, avait adopté le projet de loi autorisant la ratification de cet accord.
M. Fabien Gay. De justesse !
Mme Cécile Cukierman. En 2019 !
M. Franck Riester, ministre délégué. Je profite de l’occasion pour rendre un hommage chaleureux à M. le sénateur Jean-Baptiste Lemoyne, qui se trouvait alors au banc du Gouvernement pour défendre ce texte. (Sourires ironiques sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Pascal Savoldelli. On doit lui dire bravo ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter de cet accord.
Nous disposons désormais du recul nécessaire sur le Ceta, ayant en notre possession tous les chiffres permettant d’en dresser le bilan : il est solide !
Après bientôt sept années d’application provisoire, nous ne parlons pas d’un accord dont nous ignorerions la réalité. On peut concevoir qu’un accord suscite des interrogations ou des craintes tant qu’il n’est pas mis en œuvre, mais, en l’occurrence, les conséquences du Ceta sont connues, puisque cet accord a fait son chemin.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous n’avons pas soumis sa ratification au Sénat dans la foulée du vote à l’Assemblée nationale. Nous souhaitions vous permettre d’en mesurer les effets et de vous prononcer en toute connaissance de cause. (Rires sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
M. Fabien Gay. Mais bien sûr !
M. Franck Riester, ministre délégué. C’est ce que vous pourrez faire aujourd’hui.
Je veux m’adresser à certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Le Gouvernement assume ses responsabilités.
Mme Cécile Cukierman. Nous aussi !
M. Bruno Retailleau. C’est ce que nous ferons !
M. Franck Riester, ministre délégué. N’essayez pas de nous expliquer que vous allez voter contre cette ratification au prétexte que nous aurions dû vous la soumettre plus tôt. Puisqu’elle vous est soumise aujourd’hui, sur la base des faits, votez en conscience !
Mme Cécile Cukierman. C’est-à-dire contre l’avis du Gouvernement !
M. Franck Riester, ministre délégué. Les faits sont indiscutables : le Ceta est un bon accord, utile à notre économie.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Les exportations françaises ont bondi de 33 % en six ans, tous secteurs confondus. (M. Fabien Gay s’exclame.) C’est d’abord vrai dans le secteur industriel : l’exportation de produits chimiques et cosmétiques a augmenté de moitié en l’espace de six ans ; celle des produits sidérurgiques a doublé ; celle des textiles et des chaussures a été multipliée par 2,5. Quant à l’exportation de nos services, elle a augmenté de 71 % !
L’excédent du secteur agricole et agroalimentaire a été multiplié par trois, s’établissant à 600 millions d’euros.
Les exportations de vins ont, à elles seules, progressé de 24 %.
La filière laitière a, elle aussi, pleinement bénéficié du Ceta. Les exportations de fromages ont augmenté dans des proportions inouïes – 60 % –, profitant de l’exemption des droits de douane très élevés qui étaient en vigueur jusqu’en 2017 et de la protection des appellations d’origine protégée (AOP).
Ce sont 173 indications géographiques protégées (IGP) de l’Union européenne, dont 42 sont françaises, qui sont protégées par cet accord : la lentille du Puy, monsieur le rapporteur pour avis Duplomb ;…
Mme Cécile Cukierman. C’est mesquin !
M. Franck Riester, ministre délégué. … le camembert de Normandie, monsieur le rapporteur Allizard (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE-K.) ; les pruneaux d’Agen, madame la sénatrice Bonfanti-Dossat ; le brie de Meaux, monsieur le sénateur Cuypers.
M. Bruno Retailleau. Allez-vous continuer longtemps ?
M. Laurent Somon. Allez-vous tout passer en revue ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Dans le même temps, nos filières agricoles sensibles n’ont pas été affectées.
Dans le flot des contrevérités qui ont été proférées sur les réseaux sociaux, les chaînes de radio et les plateaux télévisés, que n’a-t-on entendu sur l’importation de viande canadienne !
Selon certains, nous étions, il y a sept ans, sous la menace d’une invasion incontrôlable de viandes bovines, porcines et de volaille venues du Canada. Il n’en a rien été.
Cette invasion a beau n’avoir jamais eu lieu, l’infox continue de tourner. Trop de fausses informations ont circulé sur vos boîtes mail et vos boucles WhatsApp ou Telegram, mesdames, messieurs les sénateurs. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe Les Républicains.) Il est temps de rétablir la vérité !
Depuis le Canada, nous n’importons quasiment aucune viande de porc ; nous importons seulement 7 tonnes équivalent-carcasse (TEC) de viande de volaille et 52 TEC de viande de bœuf.
M. Jean-Claude Tissot. C’est 46 000 tonnes dans l’accord !
M. Franck Riester, ministre délégué. Au reste, nous exportons davantage vers le Canada.
Les importations ne représentent que 0,001 % de notre consommation annuelle de volaille et de porc, et 0,0034 % de notre consommation de bœuf – nous sommes loin de l’invasion !
Surtout, cessons d’alimenter, à tort, des angoisses injustifiées. Il n’y a tout simplement aucune raison de penser que ces tendances pourraient se renverser à l’avenir, tout simplement parce que, au Canada, ces filières sont loin de pouvoir se structurer pour répondre aux exigeantes règles sanitaires européennes. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Nos réglementations européennes et françaises sont strictes. Elles jouent un véritable rôle de garde-fous, nous prémunissant contre l’importation de viande traitée aux hormones ou aux antibiotiques utilisés comme facteurs de croissance. Ce sont les fameuses mesures miroirs, monsieur le rapporteur pour avis.
M. Jean-Claude Tissot. Elles ne sont pas appliquées !
M. Franck Riester, ministre délégué. Certes, il ne s’agit pas de clauses spécifiques contenues dans l’accord lui-même, mais ces réglementations européennes et françaises s’appliquent à toutes les importations en provenance de pays tiers, y compris ceux avec lesquels nous avons conclu des accords commerciaux. Les importations canadiennes sont donc concernées, raison pour laquelle leur volume est d’ailleurs si faible.
Les Canadiens ne peuvent pas et ne pourront pas exporter leur bœuf aux hormones ou tout autre produit qui présenterait un risque pour nos consommateurs.
En outre, gardez à l’esprit que l’Union européenne, comme cela est prévu par l’accord, effectue un suivi sanitaire, à la fois au Canada et à l’entrée des produits sur le marché européen, ce qui ne nous empêchera évidemment pas de continuer à travailler avec le Canada et les services sanitaires et douaniers français et européens pour renforcer la qualité des contrôles.
Il m’a semblé entendre une autre inexactitude, selon laquelle l’accord serait davantage bénéfique au Canada. Comment serait-ce possible, alors que l’accord a massivement profité à nos PME, dont l’internationalisation est une nécessité ? Comment serait-ce possible alors que, en plus de l’accélération de nos exportations, l’accord a ouvert à nos entreprises l’accès aux marchés publics canadiens, par exemple dans les secteurs des transports et des énergies renouvelables ?
Certes, nous importons depuis le Canada autant que nous exportons. Mais qu’importons-nous exactement ?
Du sucre ? Oui, mais quasi exclusivement du sirop d’érable.
Quoi d’autre ? Des Airbus, dont l’assemblage est finalisé au Canada.
Quoi encore ? Des métaux critiques, dont les sols canadiens sont très riches, et qui sont indispensables à notre souveraineté. De fait, le Canada possède notamment quinze des trente métaux incontournables pour mener à bien la transition énergétique : il est le premier producteur de potasse au monde, le deuxième producteur d’uranium et le quatrième producteur de titane.
Quant au pétrole canadien que nous importons, il se substitue au pétrole russe…
Bref, dans la politique de diversification des approvisionnements et de sécurisation des accès à ces matières essentielles pour notre souveraineté, nous avons besoin du Canada.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, la réalité de ce que nous importons. Il s’agit de biens stratégiques, et non de viande aux hormones !
Je ne saurais trop insister : le Canada est un grand partenaire, une démocratie amie, un pays francophone,…
M. Fabien Gay. Oui !
M. Franck Riester, ministre délégué. … l’un de nos alliés les plus précieux dans un monde où l’État de droit est menacé de toutes parts. Nous partageons avec le Canada une langue, des valeurs fondamentales, une même conception de la démocratie et de la gouvernance mondiale. Nous partageons avec lui des combats pour les droits humains et sociaux et pour l’environnement.
Cette année encore, nous aurons l’occasion de souligner cette proximité franco-canadienne, cette relation toute spéciale, au cours des cérémonies du quatre-vingtième anniversaire du Débarquement et de la bataille de Normandie (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K. – Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Olivier Cadic et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.), puis lors du sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), que la France accueillera en octobre prochain et auquel le Canada participera.
Mais ai-je vraiment besoin de rappeler tout cela devant le Sénat, qui, avec l’Assemblée nationale, la Chambre des communes et le Sénat canadiens, participe, depuis 1965, à l’Association interparlementaire France-Canada (AIFC) ? (Mme Cécile Cukierman s’exclame.) Ai-je besoin de le rappeler aux présidents Chantrel et Pointereau et à tous ceux d’entre vous qui sont actifs au sein des groupes d’amitié France-Canada et France-Québec ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, en votre for intérieur, vous le savez aussi bien que moi : le signal que nous enverrions aujourd’hui au Canada avec un vote négatif serait désastreux.
Le commerce est l’une des plus anciennes pratiques humaines. Il a façonné, au fil des siècles, l’économie de chacun des territoires que vous représentez, l’économie de notre pays. La vitalité de la France repose, aujourd’hui encore, sur le commerce. Pour être prospères, nous avons besoin de commerce et nous avons besoin d’exporter.
On ne peut pas à la fois se plaindre d’une balance commerciale en déficit et tuer les initiatives qui nous aident à redresser la barre. En l’occurrence, les accords commerciaux, lorsqu’ils sont bons pour nous, sont un outil qui permet à nos filières d’exporter, et ce sera encore plus vrai demain.
En 2024, le commerce revêt une dimension globale. Quitte à commercer avec le reste du monde, nous souhaitons le faire selon des règles claires. C’est tout le sens de ces accords commerciaux.
Je le répète, le Ceta est un bon accord commercial. Les règles qui le régissent sont celles que nous avons souhaitées et décidées. Le Ceta est à la hauteur, par exemple, de l’accord de Paris sur le climat, notamment en ce qui concerne la protection des investissements. Ses règles protègent nos filières et leur permettent d’exporter, d’investir. Surtout, elles ne dérogent à aucun de nos principes environnementaux ou sociaux.
M. Franck Riester, ministre délégué. Ce n’est pas le cas de l’accord en cours de négociation avec les pays du Mercosur, raison pour laquelle le Gouvernement s’y oppose et continuera de s’y opposer.
Je veux citer quelques mots, qui, bien qu’ils aient été prononcés voilà une douzaine d’années, sont toujours d’actualité : « L’ouverture sur le monde est le socle historique de l’Union européenne. Les bénéfices des marchés ouverts, du commerce et de l’investissement international sont indiscutables pour nos pays. L’histoire a déjà montré que la fermeture commerciale n’est pas une solution pour des économies qui ont besoin, en priorité, d’améliorer leur compétitivité. »
Ces propos – vous pourrez le vérifier, monsieur le rapporteur pour avis – ont été tenus par Laurent Wauquiez, en 2011. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)
J’irai plus loin que lui : l’histoire a déjà montré que la fermeture commerciale, le rétrécissement de la mondialisation que représente le protectionnisme font partie des voyants qui s’allument lorsque le monde s’apprête à sombrer.
Voici ce que je veux dire aux élus de droite : ne tombez pas dans le piège d’une alliance incongrue et contre-nature avec les communistes (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – Exclamations et rires sur les travées du groupe CRCE-K.), qui vous conduirait à renier vos principes au prétexte de répondre à la colère que peuvent susciter certains autres traités.
Mme Cécile Cukierman. Vous êtes passé de grotesque à ordurier !
M. Franck Riester, ministre délégué. Mettez la campagne des élections européennes entre parenthèses le temps d’un vote. N’entraînez pas notre pays sur la voie du repli !
La droite sénatoriale, héritière d’une famille politique à laquelle j’ai appartenu par le passé,…
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Ah, vraiment ?
M. Franck Riester, ministre délégué. … oubliera-t-elle qu’elle fut, un jour, le point de rassemblement de ceux qui croyaient en l’Europe, qui défendaient le commerce, qui croyaient en un libéralisme respectueux de notre modèle social ?
M. Emmanuel Capus. Non !…
M. Franck Riester, ministre délégué. La droite sénatoriale s’élèvera-t-elle contre un texte qui, avant François Hollande, fut négocié par le président Nicolas Sarkozy ?
M. Emmanuel Capus. Non !…
M. Franck Riester, ministre délégué. La droite sénatoriale votera-t-elle à rebours de l’injonction de celui qui a été l’une de ses plus grandes figures pendant tant d’années, Jean-Pierre Raffarin, lequel, dans une tribune cosignée en 2018 avec l’ancien vice-premier ministre canadien Jean Charest, affirmait, on ne peut plus clairement, « la France doit ratifier le Ceta » ?
M. Emmanuel Capus. Jamais !…
M. Franck Riester, ministre délégué. Ce matin encore, il réitérait cet appel sur Public Sénat.
Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe Les Républicains, ne suivez pas les partisans du repli sur soi et du recroquevillement !
Mme Cécile Cukierman. De qui parlez-vous ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Aux élus socialistes et écologistes, je veux demander : pourquoi ne restez-vous pas cohérents avec vos convictions et votre histoire ? Pourquoi ne soutenez-vous pas un accord négocié sous la présidence de François Hollande et défendu, à l’époque, par vos amis socialistes ? Je m’adresse notamment aux anciens ministres Laurence Rossignol, Hélène Conway-Mouret, Marie-Arlette Carlotti, Victorin Lurel et Patrick Kanner. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Allez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, faire le jeu des protectionnistes et des obscurantistes de tous bords, contre ce que vous aviez soutenu à l’époque ? Allez-vous, parce que vous pensez répondre à des colères justes, vous tromper d’objet et détruire l’œuvre que vous avez vous-même construite ?
Mme Silvana Silvani. Où sont passés vos arguments politiques ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, ne faites pas du Ceta le bouc émissaire des crises auxquelles nous assistons. N’ajoutons pas une crise aux crises !
J’en appelle à la sagesse qui a toujours caractérisé la chambre haute. Jugeons le réel, et disons « oui » à cet accord ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le ministre, l’excès de vos propos démontre, une nouvelle fois, le mépris dont fait preuve votre gouvernement non seulement envers le Sénat (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER, GEST et CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.), mais aussi envers les sénateurs qui ne pensent pas comme vous. (Mêmes mouvements.)
Votre déni est consternant – je dirais même « pathétique ».
M. Stéphane Ravier. C’est la Macronie !
M. Pascal Allizard, rapporteur. Tout vient à point à qui sait attendre. Voilà cinq ans que le Sénat attendait l’inscription de ce projet de loi à son ordre du jour.
M. Emmanuel Capus. Pourquoi n’avez-vous pas réagi avant ?
M. Pascal Allizard, rapporteur. Las de ne rien voir venir, en dépit des promesses répétées du Gouvernement, nos collègues du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky lui ont forcé la main. Notre attente est désormais satisfaite.
Pour autant, nous ne saurions nous réjouir de cette situation, car il nous est demandé – ni plus ni moins – de nous prononcer sur un texte dont près de 90 % du contenu est mis en œuvre depuis près de sept ans.
Cette procédure de ratification bien peu démocratique est le péché originel de ce texte. Bien sûr, l’application provisoire – pour sept ans tout de même ! – du Ceta était juridiquement possible. Mais, alors que chacun connaît la sensibilité des questions agricoles à l’échelle nationale, appliquer provisoirement un tel accord ne revient-il pas à mettre les parlementaires nationaux au pied du mur, en considérant qu’ils n’oseront pas le dénoncer parce qu’il produit déjà des effets ?
On peut aussi s’interroger sur le caractère démocratique du maintien en vigueur d’un accord qu’un Parlement d’un pays souverain – celui de Chypre – a rejeté. On me répondra que ce rejet n’a pas été notifié par le gouvernement chypriote, mais un tel argument ne me satisfait pas. Nous verrons bien, d’ailleurs, si le Gouvernement français respectera le choix de la représentation nationale si celle-ci venait à rejeter le texte. Peut-être le ministre pourra-t-il nous éclairer sur les intentions du Gouvernement dans cette hypothèse…
Au reste, le Gouvernement porte aussi une grande responsabilité dans l’assise démocratique de cet accord. En n’inscrivant pas ce projet de loi à l’ordre du jour du Sénat immédiatement après son adoption – de justesse – à l’Assemblée nationale, l’exécutif a préféré le statu quo à un risque de rejet, quitte à passer outre la volonté du Parlement.
À quelque chose malheur est bon : cette situation nous permet de juger concrètement des effets du Ceta. Quel bilan pouvons-nous en tirer ?
D’abord, l’impact sur le commerce bilatéral semble positif, à l’échelon tant européen que français. Les échanges entre la France et le Canada ont ainsi progressé de 33 % entre 2017 et 2023, passant de 6 à 8 milliards d’euros.
Ensuite, l’excédent commercial de certains secteurs a progressé. C’est le cas, par exemple, des boissons, en particulier les vins et spiritueux, et des produits laitiers. Ces derniers ont ainsi vu leur excédent commercial atteindre 59 millions d’euros en 2019, contre 37 millions en 2017, notamment en raison de l’augmentation du contingent de fromages français – auparavant soumis à un droit de 227 % – en franchise de droits. Cependant, nous avons consommé nos quotas.
Derrière ces chiffres répétés à l’envi par les défenseurs du Ceta, à quelle réalité concrète faisons-nous face ? Certes, l’augmentation du commerce franco-canadien est marquée, mais elle n’est que le reflet de la croissance globale – de l’ordre de 35 % – du commerce extérieur français, et les excédents enregistrés par certains secteurs ne sauraient masquer un solde commercial déficitaire de 23 millions d’euros en 2023.
Enfin, et c’est peut-être le plus important, une étude économique réalisée par le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) montre que les effets du Ceta sur la croissance française et européenne seront très modestes, de l’ordre de +0,02 % pour la France, ce qui représente 40 % d’importations supplémentaires, contre 14 % d’exportations seulement.
Chacun pourra juger de l’impact du Ceta en matière macroéconomique. Reste que, plus fondamentalement peut-être, l’accord constitue une épée de Damoclès sur notre agriculture, en particulier sur la filière bovine.
M. Pierre Médevielle. C’est faux !
M. Pascal Allizard, rapporteur. Encore une fois, les défenseurs de l’accord mettront en avant le fait que le Canada sous-utilise le contingent de viande bovine dont il dispose. Ce constat mérite toutefois d’être mis en perspective.
En réalité, ce faible contingent de viande importée depuis le Canada correspond à des morceaux nobles – c’est la « guerre des aloyaux ». Or le déséquilibre produit sur le secteur par ce type d’importations s’est démultiplié. C’est une simple analyse économique, non un problème politique.
Par ailleurs, cette situation est loin d’être immuable, pour plusieurs raisons.
En premier lieu, une forte dépendance des exportations canadiennes de viande vis-à-vis des marchés américain et asiatique pourrait conduire les producteurs canadiens à s’intéresser d’un peu plus près au marché européen. L’argument selon lequel un tel scénario ne s’est pas produit en presque sept ans de mise en œuvre n’est pas recevable : chacun peut comprendre la frilosité des producteurs canadiens à consentir des investissements importants en Europe, alors que le Ceta n’est pas définitivement adopté.
En second lieu, et c’est peut-être là l’essentiel, si les autorités européennes devaient céder aux demandes canadiennes en autorisant l’usage de l’acide peracétique pour le traitement des carcasses, comme ce fut le cas pour l’acide lactique il y a une dizaine d’années, un obstacle important pour l’accès au marché européen serait levé. Compte tenu des différences fondamentales entre les modèles d’élevage européen et canadien, nos éleveurs ne pourraient pas faire face à la montée de la concurrence canadienne qui en résulterait.
Plus généralement, nous ne pouvons que regretter que la Commission européenne négocie des accords dépourvus de clauses miroirs, c’est-à-dire sans réelle réciprocité des normes.
L’argument selon lequel le Ceta ne remet pas en cause les règles sanitaires et phytosanitaires européennes est spécieux. Certes, l’application de l’accord ne conduit pas ipso facto à revoir nos normes, mais les réglementations applicables aux importations depuis des pays tiers diffèrent de celles qui s’imposent à nos agriculteurs.
Lors de la conférence de presse sur la situation agricole qu’il a tenue il y a tout juste un mois – c’était le 21 février dernier –, le Premier ministre a indiqué qu’il se battrait « pour le respect d’un principe simple : si c’est interdit pour nos agriculteurs, ça ne doit pas rentrer chez nous ». Dont acte ! Commençons par revoir les accords de libre-échange qui imposent précisément une telle forme de concurrence déloyale.
M. Emmanuel Capus. C’est déjà le cas !
M. Pascal Allizard, rapporteur. L’absence de mesures miroirs dans le Ceta se double, par ailleurs, de demandes régulières de la partie canadienne – on la comprend ! – pour une reconnaissance de certaines pratiques ou de certains usages de substances actuellement interdites au sein de l’Union européenne ou encore pour un assouplissement de ses règles. Outre la question de l’acide peracétique, j’aurais pu évoquer l’interdiction de certains néonicotinoïdes. Le risque d’un nivellement par le bas ou, à tout le moins, d’un assouplissement des règles européennes favorable aux importations ne semble donc pas exclu.
En tout état de cause, le respect de la réglementation européenne par les produits importés suppose l’existence de dispositifs de contrôle efficaces. Or, du côté européen comme du côté canadien, ceux-ci souffrent de lacunes : côté européen, le Ceta prévoit un abaissement du taux de contrôle physique dans les postes d’inspection aux frontières ; côté canadien, à l’occasion d’un audit mené en 2019, la Commission européenne a relevé des défaillances dans le système de contrôle et de traçabilité, et un second audit, conduit en 2022, a mis en évidence la persistance des lacunes constatées trois ans plus tôt.
Au total, mes chers collègues, le Ceta, que l’on nous présente comme un accord de nouvelle génération, apparaît, en réalité, aujourd’hui, comme anachronique : il ne tient pas compte des demandes qui se font jour en matière de bien-être animal et de renforcement de notre souveraineté alimentaire.
C’est pourquoi la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté un amendement visant à supprimer l’article 1er du présent projet de loi, c’est-à-dire à refuser la ratification de l’accord économique.
M. Emmanuel Capus. Quelle honte !
M. Pascal Allizard, rapporteur. Mes chers collègues, un refus du Ceta n’est pas synonyme d’un retour au protectionnisme. Pas du tout !
Encore une fois, si le volet agricole avait été ôté de cet accord de libre-échange, notre position eût peut-être été différente.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Pascal Allizard, rapporteur. Je sais bien que, de l’autre côté de l’Atlantique, ce rejet pourra surprendre ou décevoir. Je veux dire avec force qu’il ne devra pas être interprété comme un rejet du Canada, qui restera un pays allié et ami.
M. Emmanuel Capus. Enfin ! C’est évident…
M. Pascal Allizard, rapporteur. Pour autant, nous ne sommes pas prêts à tout accepter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE-K ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Anne-Catherine Loisier et M. Stéphane Ravier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à dire, comme mon collègue rapporteur Pascal Allizard, que mes propos ne sont en rien dirigés contre notre amitié avec les Canadiens. (M. Emmanuel Capus s’exclame.)
Voilà déjà cinq ans que nous aurions dû nous prononcer sur la ratification du Ceta, si le Gouvernement n’avait pas eu peur de le soumettre au Sénat. Ce manque de courage fait suite au vote de l’Assemblée nationale, qui avait suscité beaucoup de débats, en 2019, au sein même de votre majorité, monsieur le ministre – c’était l’époque où vous en aviez encore une… Il vous a obligé à vous contorsionner durant toutes ces années, tantôt annonçant que vous alliez inscrire le texte à l’ordre du jour, quand la pression devenait trop forte, tantôt priant pour que le temps fasse son œuvre et que les sénateurs l’oublient. En vain ! Ceux-ci n’ont rien oublié, et c’est finalement le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky qui l’a exhumé pour que nous puissions enfin nous prononcer, ce dont il faut le remercier.
Voilà près de sept ans que le Ceta a été signé et qu’il s’applique sans que le Parlement français ait autorisé sa ratification, sept années qui nous donnent du recul pour l’évaluer.
Certains voudraient nous faire croire que cet accord est le meilleur de tous et que nous y trouverions beaucoup d’intérêt. S’il est vrai que les premières années ont été fructueuses, depuis quatre ans, les choses se sont inversées et augurent de la suite. Savez-vous que la balance commerciale de la France avec le Canada est déficitaire, cette année, de 23 millions d’euros ?
Pourtant, le Gouvernement a fait sien le mot de Churchill : il ne croit aux statistiques que lorsqu’il les a lui-même falsifiées. Pour prouver cela, tout est bon : le chiffre de 33 % d’exportations que vous avez cité, monsieur le ministre, est exprimé en valeur. Il est donc artificiellement gonflé par l’inflation, pour plus de la moitié.
La réalité des chiffres, le Cepii, un service du Premier ministre, la révèle : cet accord fera augmenter nos importations trois fois plus vite que nos exportations. En tout et pour tout, en 2035, le Ceta rapportera 4 dollars par an par habitant européen, mais 313 dollars par an par Canadien. Voilà la seule contrepartie du lourd tribut que nous allons payer en renoncements, en reniements et en naïveté coupable d’une Commission européenne engluée dans ses contradictions !
Je vous le dis tout net : nous ne pouvons plus continuer à importer d’ailleurs ce que nous interdisons de produire chez nous. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et CRCE-K. – Mmes Anne-Catherine Loisier et Nadia Sollogoub applaudissent également.)
Nous devons dire « stop » – et nous allons le faire ! – à la concurrence déloyale que nous faisons subir aux producteurs européens de tous ordres, agricoles et non agricoles, en imposant des normes toujours plus draconiennes chez nous tout en fermant les yeux sur les produits importés.
Comment expliquer, monsieur le ministre, le silence de la Commission européenne après les deux audits qu’a réalisés, au Canada, en 2019 et 2022, sa direction générale de la santé, qui constataient des lacunes sur la traçabilité animale ne permettant pas de garantir du bœuf sans hormones ? Si une telle situation avait été relevée en France, la conséquence aurait été la fermeture immédiate de nos frontières, nous interdisant d’exporter.
Comment pouvons-nous collectivement, nous les Européens, faire preuve d’une telle naïveté coupable en nous comportant comme des tigres avec nos producteurs européens et comme des agneaux avec les Canadiens ? Comment avons-nous pu céder à chaque fois aux demandes de dérogation faites par les Canadiens ou bénéficiant au Canada ?
En 2013, nous avons accepté, dans le cadre des négociations avec le Canada et les États-Unis, l’utilisation de l’acide lactique pour la décontamination des carcasses. En 2018, le Parlement européen a voté une mesure miroir interdisant l’utilisation d’antibiotiques activateurs de croissance, auxquels recourent les feedlots canadiens de plus de 30 000 bovins ; la Commission européenne a traîné des pieds durant six ans avant de la mettre en application, pour finir par se contenter de demander un simple certificat sur l’honneur signé par un vétérinaire sur place. (M. Emmanuel Capus s’exclame.)
Que va faire la Commission de la dernière demande de dérogation de décembre 2023 pour l’utilisation de l’acide peracétique afin de décontaminer les carcasses ? Je vous le dis : elle cédera, comme elle l’a toujours fait ! Ainsi, votre seul argument, monsieur le ministre, à savoir que les 67 000 tonnes de viande de bœuf ne sont pas arrivées en Europe, tombera, et nous connaîtrons une chute brutale de la valeur des filières viandes ainsi que l’érosion de notre solde commercial, déjà prévue dans toutes les études que vous avez commandées – soit tout l’inverse de ce que vous nous promettiez !
En conséquence, mes chers collègues, par respect pour nos producteurs, pour nos consommateurs et dans l’intérêt général de notre pays, je vous appelle à rejeter l’article 1er. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST. – Mmes Sonia de La Provôté et Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville et Stéphane Ravier applaudissent également.)
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Marseille et les membres du groupe Union Centriste, d’une motion n° 1 rectifiée bis.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées le projet de loi autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part, et de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part (n° 694, 2018-2019).
La parole est à M. Daniel Fargeot, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Daniel Fargeot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au risque de vous surprendre, je tiens à remercier Mme la présidente du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, Cécile Cukierman, qui, de manière habile, utilise la niche parlementaire de son groupe pour porter le projet de ratification du Ceta dans le débat.
Les interventions précédentes ont rappelé la longue construction de celui-ci et de l’accord de partenariat stratégique avec le Canada, accords âprement négociés par le président Sarkozy, puis finalisés par le président Hollande, dont certains membres du gouvernement sont aujourd’hui présents dans notre hémicycle.
L’Assemblée nationale s’étant prononcée en juillet 2019, le Sénat attendait depuis de longues années de pouvoir traiter le sujet. En 2021, à la suite de l’adoption d’une résolution déposée par notre collègue Fabien Gay, 309 sénateurs appelaient de leurs vœux l’inscription de ce projet de ratification à l’agenda sénatorial.
Monsieur le ministre, nous n’en serions pas là aujourd’hui si le Gouvernement avait daigné entendre cet appel à débattre démocratiquement, dans le respect dû à notre chambre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, SER, GEST et CRCE-K.) L’avis du Sénat, toujours constructif, sait être utile, voire salutaire à l’exécutif.
Sept ans après l’entrée en application provisoire de près de 95 % des termes du Ceta, le temps est venu, à n’en pas douter, d’engager le dialogue, mais pas dans n’importe quelles conditions, faute de quoi nous trahirions les marqueurs fondamentaux de notre institution – je me permets d’insister, mes chers collègues.
M. Jean-Michel Arnaud. Très bien !
M. Daniel Fargeot. Aussi, notre groupe, par la voix de son président Hervé Marseille, a déposé une motion de renvoi du projet de loi à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Par celle-ci, nous sollicitons, avant de nous prononcer sur rien de moins que la politique commerciale de la France, la tenue d’un débat apaisé et décorrélé du calendrier électoral et médiatique, d’un débat objectif, alimenté par un travail sérieux, approfondi et sans prisme particulier.
Mes chers collègues, je veux vous convaincre du bien-fondé de cette motion de procédure, dont l’objectif n’est pas le renvoi de ce texte aux calendes grecques (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.), mais bien son examen précis, comme notre assemblée sait si bien le faire.
Sur le fond, tout d’abord, si le seul sujet des échanges agricoles focalise l’essentiel de nos contributions, nous ne devrions pas nous affranchir d’une certaine réalité juridique.
Le 21 septembre 2017, près de 95 % des mesures du Ceta sont entrées en application provisoire, car elles relevaient des compétences exclusives de l’Union européenne en matière de droits de douane et de politique commerciale. (M. Olivier Cadic applaudit.)
Si les Parlements sont sollicités pour une ratification, c’est parce qu’il s’agit d’un accord dit de nouvelle génération, dont 5 % des termes relèvent des compétences partagées de l’Union européenne avec les États membres, et non de ses compétences exclusives.
Si le texte comporte trente chapitres, cette compétence partagée porte spécifiquement sur le chapitre 8, relatif aux investissements et au règlement des différends, qui instaure un tribunal d’arbitrage. Éclairons le débat, sans emprunter les raccourcis vers lesquels veut nous mener la campagne de désinformation massive sur le Ceta !
Sur le plan stratégique, le Canada est un partenaire de premier ordre pour notre pays. Nos liens d’amitié sont anciens, nos cultures et nos visions stratégiques sont proches, nous partageons des valeurs similaires sur les droits humains et sociaux, sur l’État de droit ou encore sur la gouvernance mondiale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDPI.)
Je rappelle que le Canada est membre du G7, du G20, de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) et de l’OCDE, et que nous entretenons avec lui des relations étroites, marquées par une convergence de vues sur un grand nombre de dossiers internationaux.
Nous développons une coopération sectorielle renforcée en matière de climat, d’environnement et de diversité culturelle. La coopération universitaire et en matière de recherche-innovation est particulièrement dynamique, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle.
L’une des priorités affichées de la politique – extérieure comme intérieure – canadienne est la lutte contre le changement climatique, tout comme chez nous. Le Canada n’est pas un loup d’Alberta, un prédateur ; il est un ami, un allié de la France. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDPI.) Il nous appartient de veiller à considérer nos amis et partenaires sans les réduire trivialement aux bœufs aux hormones !
En raison de cette similitude de nos sociétés et de nos visions, le Ceta ne saurait être comparé à l’accord avec le Mercosur. Gardons-nous des amalgames, mes chers collègues.
J’en viens à présent à la forme.
En premier lieu, la tenue de ce débat dans le contexte des élections européennes du 9 juin prochain apparaît comme une opération montée de toutes pièces (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.), une mauvaise pièce de théâtre où le rideau de fin tombe avant les trois coups. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
En outre, le débat sur la ratification du Ceta ajoute de l’huile sur le feu aux vives tensions que connaît le monde agricole. Tout cela vient brouiller notre nécessaire prise de recul, pour ne nourrir nos discussions que de postures politiques.
Il est vrai que nous disposons de quelques éléments, mais trop peu nombreux : nous avons manqué de temps…
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Sept ans, tout de même !
M. Daniel Fargeot. … pour apprécier les effets du Ceta autrement que sommairement.
Quels sont ces éléments ? Globalement, cet accord bénéficie au commerce français, donc à nos entreprises, avec une augmentation des exportations de plus d’un tiers entre 2017 et 2023, et notre marge de progression est encore grande.
Le secteur des services a connu une hausse de ses exportations de 71 %.
Dans l’industrie, cette hausse est de 46 % pour les produits cosmétiques, chimiques et pharmaceutiques ; les exportations de produits issus de la sidérurgie ont été multipliées par deux ; celles de l’industrie textile et des chaussures par deux et demi, comme M. le ministre l’a rappelé.
Les débouchés pour nos entreprises sont donc bien réels.
Les échanges depuis le Canada vers la France sont eux aussi essentiels pour nos entreprises. Ils nous permettent de nous approvisionner en métaux critiques – uranium, titane, zinc, lithium, potasse, graphite –, minerais nécessaires à nos secteurs industriels clés et à la mise en œuvre de notre politique de transition écologique.
Quant aux importations de pétrole canadien, elles contribuent tout simplement à réduire notre dépendance énergétique envers la Russie. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDPI.)
Mes chers collègues, faisons un focus sur le secteur agricole, principale préoccupation de nombre d’entre nous.
Les bénéfices sont, là aussi, réels : l’excédent des filières agricoles et agroalimentaires a été multiplié par trois ; les filières viticoles ont enregistré une augmentation de 24 % de leurs exportations, hausse qui s’est élevée à 57 % pour les filières lait et fromages.
Plutôt que d’opposer les filières, tâchons de comprendre le sujet de manière globale !
Pour revenir sur la filière bovine, les importations canadiennes en France ne représentent que 0,0034 % de notre consommation annuelle. Seule une petite quarantaine d’exploitations sont habilitées à commercer avec l’Union européenne, en raison de l’application de nos normes.
Soyons clairs, mes chers collègues, mon propos n’est pas de nier les doutes et les interrogations légitimes qui subsistent quant aux garanties sanitaires. J’estime simplement que nous devons nous donner les conditions d’un examen poussé sur le sujet.
Les rapporteurs nous ont présenté leurs travaux, réalisés dans un temps record et contraint, mais de nombreuses questions subsistent avant de pouvoir dresser un bilan objectif du Ceta : avons-nous une idée de ses impacts sur nos PME et autres établissements de taille intermédiaire (ETI) ? En savons-nous assez sur les projets d’extraction minière en développement au Canada pour appréhender nos approvisionnements futurs ? Avons-nous évalué les conséquences qu’emporterait un arrêt du Ceta sur nos industries aéronautique, militaire, énergétique ? (Bravo ! sur les travées des groupes UC et INDEP.) Qu’en serait-il pour la recherche, pour l’innovation, pour nos échanges universitaires ?
Je l’affirme, le climat politique n’est pas propice à une étude sérieuse des effets de l’accord, sur fond de campagne de désinformation. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDPI.)
Et, face à nos concitoyens, aurons-nous le courage de nos positions, lorsque nos filières fromages et vins verront leurs exportations chuter en raison de la mise en place de nouvelles barrières douanières ? Les assumerons-nous quand il s’agira de justifier le manque de diversification de nos sources d’approvisionnement en minerais nécessaires à nos différentes industries, dont nous prônons la souveraineté ?
Quel message serait envoyé à notre cousin et allié canadien, avec lequel nous consolidons des relations stratégiques ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDPI.) Quel signal serait émis vers nos partenaires européens ? L’Allemagne, notamment, a ratifié le texte récemment ; cela n’a pas empêché nos voisins de demander des clarifications et des garanties à la Commission. Avons-nous interrogé nos partenaires européens à ce sujet ?
À toutes fins utiles, je rappelle que le Ceta reste un accord dynamique, qui prévoit des dispositions de révision. Usons de notre sérieux pour travailler ensemble à ces améliorations et demandons nous aussi des garanties !
Pour conclure, tant sur le fond que sur la forme, la position précipitée de notre assemblée sur ce texte nous porterait un discrédit sans précédent. Mes chers collègues, chacun de nos prédécesseurs, chacun d’entre vous a contribué à asseoir le sérieux des travaux du Sénat.
Ne sacrifions pas le Ceta sur l’autel des postures politiques. Laissons ce loisir à d’autres, et conservons notre image de sérieux en votant cette motion de procédure, dont l’objectif unique est de permettre un travail au fond.
Nous attendions tous ce moment, mais le coup de tonnerre annoncé par Fabien Gay risque d’électrifier le Sénat et d’y laisser des stigmates durables. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI et INDEP. – Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord m’adresser aux membres du groupe Union Centriste, qui ont fait le choix de déposer une motion de renvoi en commission sur un texte examiné dans le cadre de notre espace réservé.
Qu’ils se rassurent : comme eux, nous souhaitons un débat serein et approfondi. Mais, pour qu’il en soit ainsi, encore faut-il qu’il ait lieu !
Pour qu’il soit serein, il faut, monsieur le ministre, que le Parlement soit respecté. Pour qu’il soit approfondi, mes chers collègues, nous avons fait le choix d’annoncer, dès le début du mois de février dernier, que nous souhaitions inscrire le sujet à l’ordre du jour de notre espace réservé du 21 mars, afin que les commissions puissent s’en saisir, que les rapporteurs puissent faire leur travail et que chacun puisse recevoir, en nombre suffisant, qui des courriers électroniques, qui des courriers papier, qui des coups de téléphone, qui des personnes en rendez-vous. Il me semble que nous avons tous largement eu le temps pour un tel approfondissement, ce qui doit nous permettre de tenir ce débat aujourd’hui.
L’ajout d’un cycle d’auditions et d’échanges thématiques ne conduirait, en définitive, qu’à une répétition de ce qui se passe depuis plusieurs semaines et de ce dont la presse s’est tellement fait l’écho ces derniers jours, chacun avançant ses arguments – le Gouvernement bénéficiant, pour sa part, de pages entières dans un certain nombre de grands quotidiens nationaux.
Je veux maintenant m’adresser à vous, monsieur le ministre. Je vous le dis en toute sincérité, votre intervention n’était pas respectueuse du Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Or, si l’on aspire à un débat serein, il est indispensable que nous soyons respectés. Vous avez eu recours à des arguments que, même au plus fort de la guerre froide, nul n’aurait osé avancer devant cet hémicycle !
Au quotidien, le Parlement vote des lois parce que des groupes politiques, dans leur diversité et dans le respect mutuel, unissent leurs forces et proposent des amendements, parce que votre gouvernement lui-même passe son temps, à l’Assemblée nationale, à rechercher auprès des uns et des autres des accords pour que des textes puissent être adoptés.
D’ailleurs, je n’aurais pas l’outrecuidance de vous rappeler ici auprès de quel groupe politique vous avez dû aller chercher des voix pour faire passer votre texte sur l’immigration… (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. Loïc Hervé. On est bien loin du Canada !
Mme Cécile Cukierman. Je vous invite donc, monsieur le ministre, à témoigner plus de respect pour le travail parlementaire, pour les relations entre groupes politiques et pour nos votes – celui d’aujourd’hui comme d’autres ! (Brouhaha sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. Emmanuel Capus. Vous allez voter avec LR !
Mme Cécile Cukierman. Vous réclamez du temps, mais vous savez pertinemment, vous qui avez occupé pendant un an et demi le poste de ministre chargé des relations avec le Parlement – je le rappelle pour celles et ceux qui écoutent nos débats –, que le Gouvernement dispose, chaque mois, de quinze jours pour inscrire à l’ordre du jour du Sénat les projets de loi qui sont les siens.
Je n’ai pas fait le décompte précis, depuis 2017, du nombre de ces quinzaines au cours desquelles votre gouvernement et ceux qui l’ont précédé depuis l’élection d’Emmanuel Macron auraient eu l’occasion de soumettre ce texte au débat.
Notre groupe, fidèle à la résolution votée ici même sur notre initiative en 2021, à laquelle les 55 sénateurs du groupe Union Centriste de l’époque avaient d’ailleurs apporté leur soutien, a donc fait le choix de l’inscrire à l’ordre du jour. Pourtant, la marge d’initiative de notre groupe se résume à deux fois quatre heures par année parlementaire, quand, je le répète, vous disposez de quinze jours par mois !
Le moment ne serait jamais propice et le temps nous ferait perpétuellement défaut. Cependant, hier, en conférence des présidents, vous nous avez proposé de n’inscrire aucun texte les jeudis des deux prochaines semaines dévolues au Gouvernement, qui débutent respectivement le 26 mars et le 2 avril 2024 !
Nous pouvons débattre de tout, monsieur le ministre, mais il convient de faire preuve de sincérité et de sérieux.
Puisque cet accord est si important, puisqu’il est si bénéfique, et puisque, par ailleurs, une large part du monde agricole et de ses organisations syndicales a le même avis que la majorité d’entre nous, vous auriez pu, vous auriez dû – vous pourriez encore, d’ailleurs – inscrire sa ratification au programme et, ainsi, permettre que le débat se tienne au grand jour.
En politique, il est de coutume d’analyser ce que l’on fait, mais aussi, parfois, ce que l’on ne fait pas. Pourquoi, en définitive, n’avoir jamais inscrit le Ceta à l’ordre du jour du Sénat depuis 2017 ? Vous nous avez expliqué que c’était pour nous laisser le temps de constater ses avantages… (Sourires.) Chacun appréciera la valeur de cet argument : on dit parfois que plus l’attente est longue, plus le plaisir est intense (Nouveaux sourires.), mais il faut aussi savoir agir !
En l’occurrence, il convient de mettre un terme au déni démocratique que vous avez sciemment orchestré. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER.) De fait, vous savez depuis le début que l’examen de ce texte par le Sénat se soldera par le rejet de l’article 1er, sur le fondement des différents arguments avancés par les rapporteurs.
Permettez-moi de conclure en m’adressant à l’ensemble de mes collègues. J’ai moi aussi beaucoup lu et été fortement sollicitée. Je tiens à affirmer que le choix de notre groupe n’avait nullement pour objectif d’instrumentaliser ce débat pour pouvoir y tenir des postures politiques liées au calendrier européen. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes INDEP et UC.)
Je suis sereine sur ce point, chers collègues : s’il y a bien quelque chose dont on ne saurait m’accuser, c’est d’adopter des postures politiciennes ! (Sourires.)
M. Emmanuel Capus. Bien sûr que non…
Mme Cécile Cukierman. Chers collègues, je vois que vous souriez, mais sachez que je n’oserai vous renvoyer les arguments que vous pouvez vous-mêmes utiliser sur les motions ! Je n’oserai affirmer que la difficulté que pose l’examen de ce texte aujourd’hui trouve peut-être son origine dans des événements qui se dérouleront ce week-end… Je n’oserai soutenir que, en déposant cette motion de renvoi en commission, vous cherchez tout simplement à rendre service au Gouvernement, en enterrant ce projet de loi et en empêchant son examen par le Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
MM. Daniel Fargeot et Loïc Hervé. Pas du tout !
Mme Cécile Cukierman. Vous pouvez sourire, mais cette motion de renvoi en commission n’est pas à la hauteur du débat serein et approfondi que nous devons avoir et que nous aurons.
M. Loïc Hervé. On est loin d’un débat !
M. Emmanuel Capus. On ne débat pas du Canada sur un coin de niche !
Mme Cécile Cukierman. J’invite donc l’ensemble de nos collègues à ne pas la voter. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Pour vous avoir écouté, monsieur le ministre, je tiens à rassurer mes enfants : quel que soit le résultat du vote de ce jour, ils auront toujours, le dimanche matin, du sirop d’érable sur leurs pancakes. (Sourires.)
Je veux ensuite vous rassurer vous-même : quel que soit ce résultat, et même si celui-ci est très important, les commémorations du Débarquement auront bien lieu, car notre histoire mérite mieux que la question du vote qui interviendra ce matin au Sénat ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST et Les Républicains. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
Je tiens également à rassurer nos collègues qui siègent au sein des groupes d’amitié France-Canada et France-Québec : il va de soi que les coopérations se poursuivront.
Contrairement à ce qui a pu être dit, notre groupe n’incite pas au repli de la France sur elle-même ; nous défendons simplement une agriculture forte, au service des paysans et d’une alimentation saine pour toutes et pour tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur de nombreuses travées des groupes SER et Les Républicains. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pascal Allizard, rapporteur. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a émis un avis défavorable sur cette demande de renvoi,…
M. Loïc Hervé. C’est bien dommage !
M. Pascal Allizard, rapporteur. … considérant que repousser l’examen de ce projet de loi serait contraire aux positions exprimées par le Sénat à ce sujet.
Rappelons, en effet, monsieur le ministre, que, le 15 avril 2021, notre assemblée a adopté, à la quasi-unanimité, par 300 voix pour et aucune contre – le groupe Union Centriste avait d’ailleurs voté unanimement pour –, une résolution invitant le Gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du Ceta.
Plus récemment, dans leur rapport d’information intitulé Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique, nos collègues Sophie Primas, Amel Gacquerre et Franck Montaugé recommandaient, à juste titre, la ratification systématique des accords commerciaux mixtes, à commencer par le Ceta, par les Parlements nationaux.
Mes chers collègues, comment pourrions-nous justifier que le Sénat refuse aujourd’hui de se prononcer au seul motif qu’il y aurait un risque de rejet ? De fait, l’enjeu est là… Comment pourrions-nous justifier que nous préférons continuer à appliquer la quasi-totalité de cet accord sans validation par le Parlement ?
Adopter cette motion de renvoi en commission reviendrait tout simplement…
M. Emmanuel Capus. À travailler ?
M. Pascal Allizard, rapporteur. Nous avons travaillé, mon cher collègue !
Adopter cette motion, disais-je, reviendrait tout simplement à refuser l’obstacle, alors que nos concitoyens attendent justement de notre assemblée qu’elle prenne position en conscience et en responsabilité.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Vous avez eu cinq ans pour travailler !
M. Pascal Allizard, rapporteur. De plus, l’argument selon lequel l’inscription de ce texte dans une niche parlementaire ne permettrait pas un examen en profondeur n’est pas recevable.
J’estime, pour ma part, que, avec plus de cinq ans, nous avons disposé d’un délai raisonnable, et que j’ai pu travailler en lien étroit avec mon collègue de la commission des affaires économiques.
Même s’il n’a jamais été inscrit à notre ordre du jour, ce projet de loi de ratification a tout de même été transmis au Sénat le 23 juillet 2019 ! Je crois sincèrement que cela a largement laissé à chacune et à chacun le temps de s’intéresser à son contenu.
Par conséquent, je vous invite, mes chers collègues, à rejeter cette motion de renvoi en commission, afin de poursuivre nos débats. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, CRCE-K et SER.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Sagesse. (Exclamations amusées sur les travées des groupes CRCE-K et Les Républicains.)
MM. Mathieu Darnaud et Stéphane Ravier. Courage, fuyons !
M. le président. La parole est à M. Louis Vogel, pour explication de vote.
M. Louis Vogel. Le Ceta est entré en vigueur à titre provisoire depuis 2017, et les chiffres de notre commerce extérieur prouvent incontestablement qu’il nous est favorable.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Louis Vogel. Depuis 2019, année au cours de laquelle le projet de loi a été déposé, le monde a beaucoup changé. C’est pourtant du même texte que nous discutons aujourd’hui, dans le cadre d’une niche parlementaire.
Que souhaitons-nous obtenir par un vote négatif ?
Remettre en cause le futur accord du Mercosur ? Ce projet est totalement disjoint du Ceta et de la discussion que nous avons aujourd’hui.
Obtenir de meilleures garanties lors d’une éventuelle rediscussion de l’accord ? Lesquelles ? Et avec quels alliés en Europe ?
Je vous le redis, mes chers collègues : en votant contre le Ceta, nous remettrions en cause un accord qui est considéré, dans de nombreux secteurs économiques, comme indispensable et bénéfique pour l’Europe.
M. Emmanuel Capus. Évidemment !
M. Louis Vogel. En votant contre le Ceta, nous affaiblirions la position française dans toute future négociation commerciale.
En votant contre le Ceta, nous remettrions en cause nos relations avec un allié historique qui ne nous a jamais fait défaut.
Je constate aujourd’hui que les conditions permettant la tenue d’un débat parlementaire ne sont pas réunies. Il est donc urgent que le texte soit renvoyé à la commission pour qu’un vrai débat ait lieu, comme nous l’avons demandé.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Louis Vogel. En conséquence, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera cette motion de renvoi à la commission présentée par le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Emmanuel Capus. La voix de la sagesse !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Je rappellerai quelques éléments de calendrier.
Dix-sept États de l’Union européenne ont d’ores et déjà ratifié le Ceta. Dans les dix autres États, la procédure de ratification est en cours, et tout porte à croire que celle-ci ne sera pas bouclée dans les prochaines quarante-huit heures.
Notre assemblée peut donc utiliser davantage de temps pour conduire un travail de fond. Je ne méconnais pas, tant s’en faut, le travail qui a été mené par le rapporteur et par le rapporteur pour avis depuis la transmission du texte. Pascal Allizard a évoqué hier, lors des travaux de la commission, les nombreuses auditions qui ont été réalisées.
Cependant, nous devons conduire ce travail tous ensemble. Compte tenu de la sensibilité du sujet, chacun doit pouvoir être éclairé. Au-delà du travail des rapporteurs, nous devons pouvoir nous aussi mener un certain nombre de travaux d’actualisation.
Je crois que le Parlement n’aura jamais disposé d’autant d’éléments d’information sur un projet de loi de ratification d’un accord commercial que lorsque le présent texte a été examiné par l’Assemblée nationale en 2019 – je pense notamment à l’étude du Cepii, aux études des inspections sur les filières agricoles ou encore au plan d’accompagnement que le Gouvernement avait mis en place.
Plusieurs années s’étant écoulées depuis, nous pouvons demander l’actualisation de l’ensemble de ces éléments et mener ces travaux supplémentaires sans entraver la poursuite des ratifications, en France comme dans d’autres États membres.
Telle est la raison pour laquelle le groupe RDPI s’associera à la demande de renvoi à la commission du groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le ministre, nous ne nous associerons pas à la motion de renvoi en commission de nos amis centristes.
M. Loïc Hervé. C’est bien dommage !
M. Bruno Retailleau. Je veux profiter des quelques minutes dont je dispose pour répondre au ministre.
Monsieur le ministre, alors que vous avez été ministre chargé des relations avec le Parlement et que vous connaissez l’esprit du Sénat, vous avez tenu des propos caricaturaux et vous n’avez cessé de nous donner des leçons.
Vous nous avez, d’abord, donné des leçons de cohérence. Mais où est votre cohérence lorsque des ministres ou des parlementaires, debout sur des bottes de paille et la main sur le cœur, promettent aux agriculteurs que plus jamais les termes de l’échange ne seront déséquilibrés, que plus jamais nous n’autoriserons l’importation de molécules ou de pratiques que nous interdisons en France ?
M. Emmanuel Capus. Philippe de Villiers…
M. Bruno Retailleau. En 1994 – j’étais alors député –, j’avais refusé de voter l’accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), car j’estimais que cet accord conduirait à la désindustrialisation. Aujourd’hui, nous en voyons l’étendue, comme nous observons la paupérisation de la classe moyenne et de la France périphérique.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. Bruno Retailleau. Vous nous avez, ensuite, donné des leçons de libéralisme. Mais qui êtes-vous pour nous donner des leçons de libéralisme quand la dépense publique atteint 58 % de PIB ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Qui êtes-vous pour nous donner des leçons de libéralisme lorsque votre gouvernement est comptable de près de 900 milliards de dettes depuis 2017 ?
Vous nous avez, enfin, reproché d’instrumentaliser les élections européennes. Les accords de libre-échange relèvent certes de la compétence exclusive de l’Union européenne, mes chers collègues, mais aujourd’hui, le monde a changé ! La notion de souveraineté a pris de l’importance. Nous devons notamment tenir compte de ce qui s’est passé durant la crise du covid-19.
Que chacun balaie devant sa porte, monsieur le ministre. Les élections européennes ne font-elles pas l’objet d’une instrumentalisation au plus haut niveau de l’État, pour faire naître la peur ?
M. Fabien Gay. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Nous ne voterons pas cette motion, mes chers collègues. Cependant, comme l’a indiqué notre collègue Daniel Fargeot, nous n’en serions pas là aujourd’hui si le Parlement avait été respecté. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER, GEST et CRCE-K. – M. Henri Cabanel et Mme Nadia Sollogoub applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Puisqu’il nous est permis de le faire, je tiens à expliquer notre vote sur cette motion de renvoi à la commission.
Il a fallu dix ans de négociations pour aboutir à un accord, en 2016. Durant ces dix années, les parlementaires ont eu la possibilité de s’intéresser à cet accord, même si ce fut difficilement – je rappelle l’opacité qui en a entouré les négociations : pour en préserver la discrétion, nous devions nous rendre dans une pièce fermée, sans téléphone, sans bloc-notes, sans stylo… Malgré cette opacité, nous avons tout de même pu observer la manière dont cet accord se construisait.
Ont suivi quasiment sept ans de mise en œuvre. Si certains, à ce jour, louent les avantages du Ceta, nous faisons partie de ceux qui voient ses inconvénients.
M. Jean-Pierre Grand. Vous étiez pour, à l’époque !
M. Didier Marie. Cinq ans après l’examen du texte par l’Assemblée nationale – rappelons que celui-ci a duré plus de dix heures ! –, nous n’en avons toujours pas été saisis par le Gouvernement.
M. Emmanuel Capus. Vous auriez pu l’inscrire à l’ordre du jour ! Merci, les communistes…
M. Didier Marie. Le renvoi en commission n’est pas acceptable : après avoir, tous ensemble, sur l’ensemble des travées, demandé, durant des années et des années, que le Sénat puisse examiner le Ceta, nous ne pouvons refuser cette occasion au moment où elle nous est offerte !
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain appelle donc naturellement à voter contre la motion. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. Loïc Hervé. Quel dommage !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1 rectifié bis, tendant au renvoi à la commission.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 158 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Pour l’adoption | 106 |
Contre | 231 |
Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur des travées des groupes CRCE-K et Les Républicains.)
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Didier Marie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Didier Marie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier nos collègues du groupe CRCE – K de nous donner l’occasion de nous prononcer sur le Ceta.
Vous auriez pu, vous auriez dû inscrire ce texte à notre ordre du jour, monsieur le ministre. Mais, sept ans après son entrée en vigueur et cinq ans après son adoption par l’Assemblée nationale, nous attendions toujours, malgré nos demandes réitérées et vos engagements. Vous avez commis un véritable déni de démocratie.
Nous vous appelons donc solennellement, monsieur le ministre, à ne pas prolonger ce mauvais traitement, en permettant que la navette parlementaire se poursuive, et, en cas de rejet du Ceta, à le notifier à la Commission européenne, par respect pour nos institutions et pour nos concitoyens.
J’en viens au contenu de l’accord.
La Commission européenne, relayée par le Gouvernement, met en avant, dans sa communication, une évolution importante des échanges, en omettant de préciser qu’il s’agit d’une augmentation en valeur non retraitée de l’inflation, ce qui diffère sérieusement de l’évolution en volume, estimée par Eurostat à seulement 0,7 point entre 2017 et 2022, attestant l’effet marginal de l’application provisoire du Ceta.
De même, les partisans de l’accord soulignent l’évolution de secteurs d’activité, qui profiteraient de la disparition des barrières tarifaires, comme le textile, les vins et spiritueux ou les fromages, mais ces secteurs restent marginaux dans notre balance commerciale.
On essaie aussi d’apaiser les craintes de nos agriculteurs sur les importations de viande bovine, le Canada n’ayant quasiment pas utilisé ses quotas. Devons-nous cependant être rassurés quand les animaux sont nourris avec de la farine animale, que le Canada a obtenu des dérogations aux normes européennes sur la décontamination des carcasses et que les audits de la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de l’Union européenne concluent qu’il n’existe aucune garantie quant à la non-utilisation d’antibiotiques activateurs de croissance ?
Le Canada a négocié ses quotas de manière notamment à pouvoir les utiliser le jour où les marchés américains ou asiatiques s’amoindriront. Je ne développe pas davantage sur le volet agricole, sur lequel mon collègue Jean-Claude Tissot reviendra.
Outre les barrières tarifaires et non tarifaires, cet accord porte sur un large champ d’intervention, incluant notamment la libéralisation des services publics, jusqu’alors protégés.
Le Ceta est, par ailleurs, en totale contradiction avec nos engagements environnementaux. Alors que l’article 2 de l’accord de Paris engage les pays signataires à limiter l’extraction et le commerce d’énergies fossiles par des restrictions d’importations, ces derniers représentent 40 % des échanges visés par l’accord.
Parmi les vingt secteurs d’activité dont l’exportation progresse le plus, on trouve les véhicules, les produits chimiques, le pétrole issu des sables bitumineux, le fer, l’acier, les matières plastiques, l’engrais, les minerais, l’aluminium, les services de transports, autant de secteurs d’activité qui contribuent à des émissions massives de gaz à effet de serre et sont fortement carbonés. Nous sommes loin de l’image idyllique que l’on nous présente…
Si l’accord de Paris et la protection de l’environnement sont évoqués dans la déclaration interprétative, rien ne les rend opposables ni juridiquement contraignants.
En outre, le Ceta ne prévoit ni clause miroir pour protéger notre agriculture, ni référence explicite au principe de précaution, ni veto climatique.
La commission d’évaluation de l’impact du Ceta, dite commission Schubert, mandatée par le Gouvernement, avait pourtant alerté dès 2017 sur ces différents points. Six ans plus tard, les résultats l’attestent : les promesses du Gouvernement d’éviter ces effets négatifs se sont évaporées.
La commission Schubert avait aussi alerté sur la création d’une coopération réglementaire, dont elle précise, dans son rapport, qu’elle est « la plus préjudiciable à l’autonomie des parties contractantes dans l’élaboration de leur réglementation ».
Rappelons-le, l’accord a pour finalité d’éliminer les obstacles au commerce et aux investissements en instaurant la prééminence du droit commercial sur tous les autres, devant la protection de l’environnement, devant la protection des consommateurs et devant la protection des travailleurs.
Alors que plus de 90 % des dispositions du Ceta sont appliquées, nous sommes appelés à ratifier cet accord de caractère mixte, car il inclut un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États.
Cela constitue, à nos yeux, un outil supplémentaire pour que les multinationales puissent contester et peser sur les décisions des États qui souhaiteraient instaurer des normes environnementales et sociales plus protectrices. Ce système, s’il était validé, leur permettrait d’attaquer les États ou l’Union européenne dès qu’elles considéraient qu’une réglementation nuirait à leur activité. Même si les États ne seront pas contraints de modifier leur réglementation, cela représente une menace, a priori, sur l’édiction des normes, et, a posteriori, sous la forme de dommages et intérêts exorbitants.
Enfin, dernière incongruité, la France vient de sortir du traité sur la Charte de l’énergie, qui protège les investissements dans les énergies fossiles. Or le Ceta octroie à ces investissements une protection juridique de même nature que le traité, en assortissant celle-ci d’une clause de survie de vingt ans.
Après sept ans de mise en œuvre, le bilan de la mise en œuvre provisoire de l’accord permet de dresser un tableau en demi-teinte pour le commerce, et clairement négatif pour l’environnement. Il pèse sur nos normes, et serait plus dangereux encore si les dispositions relatives à la protection des investissements étaient adoptées.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat appelle donc à son rejet, et plus largement, à un moratoire sur l’ensemble des accords de libre-échange en cours de négociation ainsi qu’à une révision de notre logiciel en matière d’échanges commerciaux. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb.
M. Laurent Duplomb. Mes chers collègues, j’espère vous éclairer par cette nouvelle prise de parole.
Autoriser la ratification de cet accord avec le Canada, c’est ouvrir à la voix l’accord avec le Mercosur.
M. Emmanuel Capus. C’est l’inverse !
M. Laurent Duplomb. Je vois, en effet, dans ces deux accords, un même modèle de production.
L’image que nous avons de l’agriculture canadienne est souvent tronquée par une image bucolique du Québec, dont il est vrai que l’agriculture ressemble assez à la nôtre. Toutefois, les produits agricoles visés par le Ceta, que ce soit les 100 000 tonnes de blé, les 8 000 tonnes de maïs doux, les 75 000 tonnes de viande de porc ou encore les 48 000 tonnes de viande de bœuf, sont, en réalité, issus d’une tout autre agriculture.
Loin des standards européens et français, l’agriculture du centre du Canada, de l’Alberta par exemple, est jumelle de celles du Brésil, de l’Argentine ou des États-Unis, aux antipodes de notre modèle d’exploitation familiale.
Plus de quarante molécules chimiques sont autorisées au Canada alors qu’elles sont interdites au sein de l’Union européenne, monsieur le ministre. L’atrazine, interdite en France depuis 2003, y est toujours utilisée. L’oxyde d’éthylène, que j’évoquais dans un rapport d’information intitulé Défaillance des contrôles aux importations : l’exemple du sésame et qui est interdit en France depuis 1991, est encore autorisé au Canada. Il serait d’ailleurs judicieux de mesurer le taux d’oxyde d’éthylène sur les graines de moutarde canadiennes…
Au surplus, un grand nombre de molécules autorisées chez nous avec des restrictions d’usage peuvent être utilisées de façon différente au Canada !
Vous avez parlé des lentilles vertes du Puy, monsieur le ministre. Le glyphosate, par exemple, est utilisé de façon récurrente pour accélérer la maturité des lentilles au Canada, jusqu’à quatre jours avant la récolte. L’Europe interdit cette pratique.
Nous avons pourtant accepté, en 2012, de faire passer la limite de résidus de glyphosate sur les lentilles canadiennes de 0,1 à 10 microgrammes par kilogramme, soit cent fois plus, alors que les Canadiens eux-mêmes, pour leur propre consommation, se limitent à 4 microgrammes par kilogramme.
M. Ian Brossat. Très bien !
M. Laurent Duplomb. Aujourd’hui, une lentille sur trois consommée en Europe est importée du Canada et, grâce au Ceta, elle pourra contenir jusqu’à 10 microgrammes de glyphosate au kilogramme et sera exemptée de droits de douane !
Au Canada, les bovins sont engraissés dans des feedlots de plus de 30 000 têtes, sans traçabilité, sans identification individuelle de l’animal, sans garantie sur la qualité indemne du cheptel, comme cela existe en France. La logique qui prévaut est de s’affranchir des règles sanitaires contraignantes tout au long de la vie de l’animal et d’effacer le risque sanitaire en fin de cycle, à l’abattage, par la décontamination des carcasses à l’acide.
Au Canada, quatre usines concentrent 91 % de l’abattage de bovins. Les conditions du transport d’animaux vivants sont très différentes des nôtres. Cela démontre, une fois de plus, et si besoin en était, qu’il s’agit d’un tout autre modèle.
En Europe, la durée du transport de bovins est limitée à quatorze heures – la Commission européenne a d’ailleurs proposé d’abaisser cette durée à neuf heures –, et les camions doivent être équipés de ventilateurs et d’abreuvoirs. Au Canada, les animaux parcourent des milliers de kilomètres, parfois durant trente-six heures d’affilée, et sans eau !
Il faut bien comprendre que toutes ces contraintes pèsent sur la compétitivité de nos productions, qui se trouvent mises en concurrence avec des produits importés qui y échappent. Cette concurrence déloyale est mortifère pour notre souveraineté alimentaire et notre économie.
Contrairement à ce que vous prétendez, monsieur le ministre, le risque est grand pour notre élevage français et européen : 67 000 tonnes de viande, qui pourraient bien n’être que des pièces de qualité, comme l’aloyau, équivalent à 600 000 bovins, soit le cheptel perdu en France depuis dix ans. C’est loin d’être un détail !
Après que les agriculteurs de toute l’Europe, et notamment en France, ont manifesté pour nous faire prendre conscience que nous marchions sur la tête, comment ne pas s’interroger ? Comment vos collègues ministres de l’environnement et de l’agriculture peuvent-ils continuer de chanter, matin, midi et soir, qu’il faut « changer de modèle » et promouvoir « une agriculture plus agroécologique », alors que notre agriculture est déjà, par comparaison, très verte ? Comment accepter, renoncement après renoncement, de faire la part belle aux importations de modèles totalement opposés ?
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Laurent Duplomb. Après sept ans, on le voit bien, les Canadiens ne veulent pas changer de modèle. Loin de s’en cacher, ils nous le disent : « Nous avons le droit de réglementer dans notre pays souverain de la manière que nous jugeons appropriée et adaptée à notre environnement local. » Tout est dit !
Mes chers collègues, actons notre désaccord avec ce texte, et rejetons l’article 1er, qui ratifie le Ceta.
J’y insiste, ce rejet ne serait en rien un acte hostile à l’égard de nos alliés et amis canadiens. (Protestations sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC.) Je proposerai d’ailleurs, avec le rapporteur Pascal Allizard, de voter sans modification l’article 2, qui autorise la ratification de l’accord de partenariat stratégique.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Laurent Duplomb. Nous réaffirmerons ainsi nos liens si importants avec le Canada, dans le respect de nos producteurs français et européens. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mmes Anne-Catherine Loisier et Nadia Sollogoub applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n’est pas pour rien que la gauche socialiste, emmenée par un certain François Hollande, a soutenu le Ceta. Le libre-échange avec l’extérieur de nos frontières est, en effet, l’ennemi de la libre entreprise à l’intérieur.
La Commission von der Leyen, fidèle à celle de Juncker, cherche à libéraliser les échanges à l’extérieur de l’Union, tout en submergeant de contraintes les entrepreneurs des mêmes secteurs européens et français.
Pour nos paysans, cela revient à moins de compétitivité pour plus de compétition. La mondialisation économique heureuse n’existe pas : il y a des gagnants et des perdants. Nous sommes des perdants consentants !
Non seulement vous avez fait de nous des cocus, mais vous exigez, en plus, que nous soyons contents, monsieur le ministre. J’en veux pour preuve que le Ceta supprime 98 % des droits de douane sur les importations canadiennes, quand, dans le même temps, le Pacte vert européen ajoute soixante-quinze lois pour administrer l’agriculture à la parcelle près. Dans ce contexte, le méga-éleveur canadien est un concurrent déloyal pour le paysan français.
La transition écologique de Bruxelles est une transition du déficit. Depuis la mise en œuvre partielle du traité en 2017, le déficit commercial de la France avec le Canada s’établit non pas à 23 millions, mais à 48 millions d’euros selon le rapport pour avis de la commission des affaires économiques du Sénat, qui date d’il y a à peine une semaine.
Ratifier cet accord reviendrait à aggraver cette situation.
Un échange sans réciprocité n’est pas un libre-échange. Pendant que nos agriculteurs sont surveillés par drone et visités par les agents armés et impitoyables de l’Office français de la biodiversité, une simple attestation sur l’honneur exempte l’exportateur canadien de tout contrôle et de droits de douane.
Pourtant, au Canada, le bœuf est engraissé dans des fermes industrielles aux milliers de vaches, sans traçabilité. Il est nourri aux farines animales, les mêmes qui causèrent la vache folle. Des antibiotiques peuvent être utilisés comme activateurs de croissance.
L’accord prévoit ainsi que 65 000 tonnes de viande de piètre qualité pourront inonder notre marché – autant de viande de qualité que nos éleveurs bovins ne vendront plus !
Le Ceta, c’est aussi la mise en concurrence déloyale des paysans céréaliers.
Ceux-ci subiront, d’abord, l’importation en masse de colza génétiquement modifié. Je rappelle que 41 substances phytosanitaires actives interdites dans l’Union européenne sont autorisées au Canada. Les perdants seront notamment les filières du maïs doux, des légumineuses et de la moutarde.
Par les nombreux accords de libre-échange, notamment les accords signés avec le Mercosur et la Nouvelle-Zélande, vous court-circuitez les circuits courts, monsieur le ministre !
Le refus de la ratification du Sénat sera, pour nous, le refus de ce libre-échange kolkhozien par lequel l’agriculteur n’est plus qu’un ouvrier de la Commission européenne, devenue maîtresse des cheptels et des moissons.
Nous voulons des barrières douanières qui protègent la libre entreprise sur notre sol et garantissent que nous mangions du poulet du Maine plutôt que d’Ukraine, des pommes d’Occitanie plutôt que du Chili, du bœuf de Lozère plutôt que de Vancouver : la Corrèze avant le Zambèze, mes chers collègues, encore et toujours ! (Exclamations.)
Nous voulons une Europe puissance plutôt qu’une Europe nuisance qui sacrifie l’agriculture sur l’autel de la concurrence, qui n’est pas libre et qui est faussée.
Mes chers collègues, préservons notre modèle agricole et notre souveraineté alimentaire en votant contre ce funeste projet de Ceta ! (Protestations sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Cela fait peur…
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Vincent Louault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, les paysans vont mal, et ce n’est pas nouveau. Aujourd’hui, les paysans vont mal dans toute l’Union européenne, et ils manifestent partout.
Surtransposition, non-respect des normes sanitaires d’élevage par certains pays européens, coût de la main-d’œuvre déséquilibré, importations de blé dur russe, entré en Europe par la Turquie… Hélas ! la liste est longue, et même très longue. Le ras-le-bol du monde agricole et sa perte de compétitivité, c’est tout ça !
La colère est légitime face à cette triste réalité.
Balayons déjà devant notre porte entre États membres ! Nous ne sommes pas condamnés à l’impuissance. L’Union européenne peut, en effet, prendre des décisions très fortes, comme elle l’a déjà fait depuis la crise de la vache folle : identification des bovins, abattoirs aux normes, non-désinfection de la viande, filières construites avec des animaux engraissés sans hormones…
Toute filière d’importation doit être construite et contrôlée par l’Europe avant l’arrivée d’un kilo de viande sur le territoire, d’où qu’elle vienne.
Disons-le clairement : le bœuf aux hormones sur le territoire européen n’est pas possible aujourd’hui et ne le sera jamais. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mais certains, chez nous, préfèrent jouer sur une peur, celle d’un hypothétique futur grand remplacement du bœuf français par du bœuf canadien. De manière pernicieuse, une coalition s’est formée pour associer le Ceta au Mercosur. Or le Ceta n’est pas le Mercosur. Nous disons oui au Ceta, mais non au Mercosur !
Qu’est-ce donc que le Ceta, négocié sous François Hollande ? C’est l’export de fromages français, de spiritueux, de vins à haute valeur ajoutée pour nos producteurs et pour les consommateurs canadiens. C’est Alstom, qui a rénové le métro de Montréal et qui équipera demain le Grand Toronto de trains de banlieue, pour 118 millions de dollars. C’est l’importation de minerais stratégiques, qui réduit notre dépendance aux régimes autoritaires et dont notre souveraineté dépend. Qui, dans cet hémicycle, préfère importer des minerais ou du pétrole de la dictature de Poutine plutôt que de nos amis canadiens ?
Quand certains souhaitent fermer les frontières et se replier sur eux-mêmes, assumons d’être ouverts sur le monde et de commercer avec des partenaires de longue date. Renforçons nos liens, dans un contexte géopolitique plus que jamais incertain, avec un pays qui est notre ami, et je dirais même un frère.
Pour conclure, nos collègues communistes sont bien évidemment très malins de sortir du bois avec ce projet en pleine crise agricole et avant les élections européennes. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mais c’est aux collègues qui siègent sur les autres travées que je veux m’adresser directement. Mes chers collègues, c’est le paysan qui vous parle, l’éleveur de vaches limousines ! Après le vote, il y aura ceux qui auront fait le choix de l’émotionnel et de l’opportunisme, en utilisant le Ceta pour souffler sur les braises des souffrances des éleveurs, et il y aura ceux qui auront fait le choix du pragmatisme économique et de la cohérence avec leurs convictions politiques. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K. – Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Cadic. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie le président Marseille et mon groupe Union Centriste de me faire l’honneur de défendre aujourd’hui, devant vous, le choix de la majorité d’entre nous de ratifier le Ceta, cet accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne.
Relevant d’une compétence exclusive de l’Union européenne, cet accord est provisoirement entré en vigueur le 21 septembre 2017.
Près de sept ans plus tard, comme le ministre l’a brillamment rappelé, son bilan se révèle très positif pour l’Union européenne et pour la France : la quasi-totalité du commerce de biens industriels et manufacturés est exonérée de droits de douane, et nos exportations vers le Canada ont progressé d’un tiers.
Ainsi que mon collègue Daniel Fargeot l’a excellemment souligné, tous les secteurs sont gagnants : industrie, filières agricoles et agroalimentaires ou bien encore services. Je n’y reviens pas.
Le Canada est devenu un partenaire majeur pour notre souveraineté énergétique. Il nous facilite l’accès à des minéraux stratégiques présents sur son sol, sans droits de douane.
La chambre de commerce France-Canada rappelle que cet accord a permis de créer un espace économique sûr entre l’Europe et le Canada, avec des règles du jeu transparentes, stables et prévisibles. Au reste, il concrétise l’amitié entre l’Europe et le Canada.
À ce jour, dix-sept États de l’Union européenne ont ratifié l’accord : l’Allemagne, l’Autriche, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, la République tchèque, la Slovaquie, la Suède et la Roumanie. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
À écouter nos rapporteurs, il faudrait rejeter le Ceta, en refusant de le ratifier aujourd’hui. Le Sénat n’a pas la capacité de faire tomber le Gouvernement. A-t-il la capacité d’annuler un accord européen déjà ratifié par l’Assemblée nationale et par deux tiers des pays européens ?
M. Didier Marie. À voir !
M. Olivier Cadic. La démocratie, ce n’est pas une minorité qui impose sa volonté !
M. Jean-Michel Arnaud. Très bien !
Mme Olivia Richard. Bravo !
M. Olivier Cadic. Ne pas ratifier le Ceta aujourd’hui aura surtout pour effet de discréditer notre pays auprès du Canada et de l’affaiblir sur la scène européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDPI.)
Telle est la volonté du groupe CRCE-K, car les communistes sont contre le libre-échange, qui serait, d’après eux, à l’origine d’une « mondialisation malheureuse » pour les peuples. Casser la mécanique européenne fait partie de leur logiciel, comme de celui de l’extrême droite. Ce n’est pas nouveau. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K. – Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)
Le revirement de nos collègues socialistes est plus troublant, car le Ceta a été signé sous la présidence de François Hollande. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. Loïc Hervé. Eh oui !
M. Olivier Cadic. Le président Kanner et plusieurs autres de nos collègues socialistes étaient alors ministres. Or pas une virgule n’a été changée dans cet accord entre sa signature par François Hollande et le texte dont nous discutons ce matin ! Qu’ils appellent aujourd’hui au rejet d’un texte signé hier par le gouvernement auquel ils appartenaient ne les grandit pas. (Mêmes mouvements.)
Le président du groupe d’amitié France-Canada est dans leurs rangs.
M. Emmanuel Capus. Quelle honte !
M. Olivier Cadic. Jacques Delors, réveille-toi, ils sont devenus fous ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Emmanuel Capus applaudit.)
À l’image de M. Jourdain, qui faisait de la prose sans le savoir, nos rapporteurs s’essaient au trumpisme. Ceta : un refus de la ratification, pour en finir avec la naïveté coupable de la Commission européenne, ce n’est pas là l’extrait d’un tract anti-européen : c’est le titre édifiant du rapport de la commission des affaires économiques, qui plombe le Ceta ! L’accord devient ici un bouc émissaire, bon pour l’abattoir.
Pour vivre en Angleterre, je connais ces tirades démagogiques et anti-européennes, qui s’appuient sur la désinformation. Ce sont celles des Brexiteurs !
Nos collègues républicains, qui vont s’allier aux communistes (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.), pensent qu’ils pourront capitaliser sur les tensions du monde agricole lors du prochain scrutin européen. Ce faisant, ils trahissent tous ceux qui bénéficient du Ceta. Ils trahissent également les présidents Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy,…
M. Max Brisson. Et Séguin ?
M. Olivier Cadic. … pour qui le Ceta était issu d’une volonté commune du Québec et de la France, à laquelle se sont ralliés le reste du Canada et celui de l’Union européenne.
Comme la majorité du groupe Union Centriste et dans l’intérêt supérieur de la France, je voterai en faveur de la ratification du Ceta, un accord qui a fait ses preuves. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. Bernard Fialaire et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe CRCE-K de soumettre enfin au Sénat la ratification du Ceta. Enfin !
Voilà cinq ans que nous demandons que cesse ce hold-up démocratique. Questions écrites, résolutions, interpellations… C’est à croire que votre gouvernement a peur du Parlement, monsieur le ministre ! Je n’oserais y penser…
Négocié sous Nicolas Sarkozy, poursuivi sous François Hollande, adulé par Emmanuel Macron : il en aura fallu du temps pour percevoir les effets délétères de ce traité !
Pour nous, le cap a toujours été clair : cela fait dix ans que les écologistes, dont mon collègue Yannick Jadot, se battent contre les aberrations de ce traité. Pourtant, c’est la première fois que notre chambre en est réellement saisie. Quelle hérésie démocratique !
Depuis plus de six ans, ce traité de libre-échange impliquant près de 500 millions de personnes s’applique à 90 %, alors même que dix pays de l’Union européenne, dont la France, ne l’ont pas ratifié. Pire, nous ne savons même pas si un rejet de cet accord entraînera réellement une dénonciation de celui-ci par le Gouvernement. Un tel mépris du Parlement sur un sujet aussi important est inacceptable.
Mais, puisque cet accord s’applique, tirons-en un premier bilan. C’est ce qu’a fait l’Institut Veblen en janvier dernier. La conclusion est sans appel : le Ceta est une catastrophe pour le climat, la santé humaine et la souveraineté des États. Comme tant d’autres accords de libre-échange, il soumet notre économie à une concurrence déloyale, particulièrement en matière agricole, et il inféode la France à la loi des multinationales.
Commençons par le bilan économique. Alors que la Commission européenne nous promettait de vastes débouchés à l’exportation et 700 000 emplois soutenus par les exportations vers le Canada, les données disponibles montrent une tout autre réalité. Selon Eurostat et la direction générale au commerce de la Commission européenne, la part des emplois européens liés aux exportations est globalement stable, à l’échelon tant européen que national. Il en va de même pour la part touchant les PME, alors que les négociateurs leur avaient fait miroiter de vastes marchés. Seuls quelques secteurs tirent leur épingle du jeu à l’export, comme l’industrie automobile, l’industrie pharmaceutique et le nucléaire.
Pour ce qui est des importations, nous achetons deux fois plus d’engrais au Canada qu’avant l’entrée en vigueur de l’accord, et les achats de minerais ont également fortement augmenté. Pourtant, certains parlent encore de « souveraineté »…
Surtout, les importations de pétrole issu de schistes bitumineux, c’est-à-dire issu de sable visqueux, ont augmenté de 50 %. Rappelons que ces hydrocarbures sont trois à quatre fois plus polluants que le pétrole conventionnel, et que leur extraction consomme une quantité astronomique d’eau et de produits chimiques ! (M. Didier Marie approuve.) L’exploitation de cette ressource est une véritable barbarie environnementale : des forêts entières sont rasées ; des lacs, des cours d’eau et des rivières sont pollués à jamais.
En 2020, devant la Convention citoyenne pour le climat, le Président de la République lui-même s’est dit prêt à abandonner le Ceta si celui-ci ne respectait pas l’accord de Paris. Il faut maintenant passer de la parole aux actes ! (M. Guy Benarroche applaudit.)
Sur le volet agricole, cet accord est l’exemple parfait de la concurrence déloyale dénoncée par les agriculteurs. Comme l’indique le rapport Schubert remis en 2017 au Gouvernement, dont les conclusions restent valides, le Canada continue d’autoriser nombre de pratiques interdites ou plus limitées en Europe. Le bétail est ainsi couramment alimenté avec des farines animales, cause possible de la maladie de la vache folle, ou bien avec du maïs et du soja génétiquement modifiés. Les quantités de résidus de pesticides sont également bien supérieures aux seuils autorisés sur notre continent. C’est le cas pour la filière légumineuse, particulièrement touchée par la fin des droits de douane. L’usage des antibiotiques, facteur de croissance, est généralisé, au mépris du bien-être animal et de la lutte contre l’antibiorésistance.
Alors que l’Union européenne et la France mettent en place, à juste titre, des réglementations plus ambitieuses en matière agricole, comment pouvons-nous autoriser de telles importations ?
Monsieur le ministre, vous nous parlerez sans doute des fameuses clauses miroirs. Parlons-en ! Pour l’instant, c’est surtout le Canada qui fait pression pour que nous baissions nos standards. Il a porté plainte devant l’OMC, en 2019, contre les nouvelles règles européennes sur les pesticides et, en 2023, contre l’interdiction des produits contenant deux néonicotinoïdes interdits en Europe. Puis, toujours en 2023, il a demandé un report de l’interdiction d’importation du bétail gavé aux hormones de croissance.
Enfin, une ratification du Ceta entraînerait l’application de son dernier volet, peut-être le plus dangereux, celui de la protection des investissements, qui permet à des multinationales s’estimant lésées par une loi d’attaquer un État devant un tribunal d’arbitrage privé. Ces recours viennent notamment de groupes engagés dans les énergies fossiles, contre des décisions de fermeture de centrales à charbon ou de fermeture de forages d’hydrocarbures. Pire, la menace des amendes peut conduire les États à renoncer à changer leurs lois jusqu’à vingt ans après la sortie de l’accord, en vertu d’une clause de survie.
Alors, loin des caricatures, monsieur le ministre, et cohérents avec nos convictions – nous sommes opposés non pas aux échanges, mais au libre-échange, à la dérégulation et au libéralisme destructeur –, les écologistes voteront « oui » au Canada, mais résolument « non » au Ceta. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K. – M. Rémi Féraud applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, enfin ! Nous y sommes.
Après de multiples questions écrites et orales posées par des membres de notre groupe, comme par des sénateurs issus de toutes les travées, dont le rapporteur pour avis Laurent Duplomb, après un débat, en 2018, sur le bilan économique et les répercussions du Ceta, inscrit à l’ordre du jour, déjà, sur l’initiative de notre groupe, après une résolution adoptée ici à l’unanimité, en 2021, vous invitant, monsieur le ministre, à poursuivre la ratification, après sept longues années d’attente, le Sénat va enfin pouvoir se prononcer sur le projet de ratification de l’accord commercial entre le Canada et l’Union européenne. Mes chers collègues, cela est déjà une première victoire démocratique pour notre assemblée.
En effet, ce texte n’a pas été inscrit à l’ordre du jour par votre gouvernement, monsieur le ministre, mais, fait inédit, par un groupe politique d’opposition et minoritaire, en l’occurrence le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Nous l’avons fait, car nous refusons ce déni démocratique.
Ce traité, imaginé dans les années 1990, négocié en toute opacité dans le troisième sous-sol de la Commission européenne pendant une décennie, sans que jamais – j’y insiste, monsieur le ministre – le mandat de négociation soit rendu public, devait, après sa mise en application provisoire en 2017, être ratifié par les Parlements nationaux. Dix-sept l’ont déjà fait, dont le Parlement allemand l’an dernier.
Pour notre part, nous n’avons pas eu cette chance. En effet, après l’avoir fait ratifier de justesse, au cœur de l’été 2019, par l’Assemblée nationale, où vous aviez alors une majorité écrasante, vous avez toujours refusé d’inscrire ce texte à l’ordre du jour du Sénat. Vous en êtes d’ailleurs personnellement responsable, car, pendant dix-huit mois, vous avez été ministre chargé des relations avec le Parlement.
Pourquoi ce refus ? Parce que vous aviez peur de perdre le vote, comme aujourd’hui. Voilà la réalité !
Monsieur le ministre, n’ayez pas peur. Le débat argumenté et le vote sont la base de la démocratie. Je sais que vous considérez le Parlement comme un obstacle, et que celui-ci devrait simplement valider vos choix et ne jamais vous contredire. Si vous êtes sûr de gagner, vous allez jusqu’au vote. Si vous pouvez perdre, vous refusez le débat et le vote. Telle est votre conception de la démocratie !
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. Fabien Gay. Après avoir recouru au 49.3 pour imposer la réforme des retraites, refusée par la majorité des Français, après avoir pris des ordonnances tendant à couper 10 milliards d’euros dans les dépenses publiques un mois et demi seulement après le vote du budget par le Parlement, vous avez décidé de ne pas inscrire l’examen de ce projet de loi à l’ordre du jour, alors que l’accord s’applique déjà de façon provisoire.
Chacun connaît notre position sur ce traité. C’est un traité climaticide et obsolète, car le réchauffement climatique nous impose de revoir nos modes de production et de consommation. C’est un traité qui instaure une concurrence déloyale pour nos agriculteurs, car les clauses miroirs, malgré vos mensonges, ne figurent pas dans les 2 344 pages du traité et ne sont aujourd’hui qu’un mirage. C’est un traité qui met en place les tribunaux arbitraux privés, juridictions supranationales devant lesquelles les multinationales pourront faire condamner les États si elles considèrent que les lois ont un impact négatif sur leurs investissements. Enfin, c’est un traité qui aura un impact sanitaire sur nos vies, avec les bœufs nourris aux hormones, le soja dopé aux organismes génétiquement modifiés (OGM) ou encore le gaz de schiste. (M. Emmanuel Capus s’exclame.)
J’invite mes collègues à bien se rappeler que, quel que soit le vote qu’ils exprimeront, celui-ci n’aura été possible que parce que nous avons proposé l’examen de ce texte et que, malgré les multiples pressions pour nous faire reculer, voire échouer, nous avons repris la main collectivement sur l’exécutif, qui voulait, jusqu’il y a encore quelques jours, retirer le texte de l’ordre du jour. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Loïc Hervé. La belle affaire…
M. Fabien Gay. Chers collègues, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, qui n’a que deux niches par an, a fait le choix d’inscrire à l’ordre du jour un texte avec lequel il est en désaccord, prenant le risque – je le redis – que le vote final soit contraire à notre position, à nos combats et à notre vision de la mondialisation.
Nous l’avons fait, car nos institutions comptent deux chambres, dont le Sénat, et parce qu’il est temps que le processus démocratique soit enfin respecté et complet.
Et nous l’avons fait, car il est temps que ces traités de libre-échange qui ne sont débattus qu’à huis clos le soient désormais par la représentation nationale, pour que la voix des Français soit enfin respectée. Quant à nous, nous respecterons le vote de notre assemblée.
J’ai une dernière question, monsieur le ministre : votre gouvernement respectera-t-il le vote du Sénat ? Il se murmure déjà, dans les couloirs feutrés des ministères, que vous envisagez de ne pas transmettre le texte à l’Assemblée nationale pour éviter un nouveau débat. Est-ce vrai ?
M. Didier Marie. Ce n’est pas possible !
Mme Audrey Linkenheld. Quand même pas !
M. Fabien Gay. Mes chers collègues, j’espère que, ensemble, quel que soit notre vote, nous refuserons ce nouveau déni démocratique. J’ose même parler de « coup de force » !
Monsieur le ministre, vous devez vous engager, dès maintenant, avant le vote,…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Fabien Gay. … à transmettre à l’Assemblée nationale le texte tel qu’il sortira de la séance, de manière que le débat et le vote y aient lieu le plus rapidement possible.
Intervenant dans le cadre de l’espace réservé de notre groupe, j’irai jusqu’à la fin de mon propos.
M. Emmanuel Capus. Et le temps de parole ?
M. Fabien Gay. Ce coup de force, s’il avait lieu, s’apparenterait à un nouveau 4 février 2008, jour où le Congrès a ratifié le traité de Lisbonne, contrevenant ainsi au vote populaire de 2005, défavorable au traité constitutionnel.
Monsieur le ministre, j’ai une dernière chose à vous dire. (Marques d’impatience sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. Il faut conclure.
M. Fabien Gay. Je conclus, monsieur le président.
Monsieur le ministre, vous nous avez accusés d’un coup politique. Mais nous ne sommes pas un club de belote ! (Sourires.) Par conséquent, nous faisons ce pour quoi nos électeurs nous ont élus : un choix politique et un vote.
Mes chers collègues, bon vote à toutes et à tous ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, enfin ! Enfin, nous allons pouvoir nous prononcer sur le Ceta.
En effet, pendant plus de sept ans après sa signature, nous avons assisté à un déni total de démocratie.
En 2017, un Ceta provisoire a été mis en place en France, car le Canada avait exigé que l’on n’attende pas la validation des Parlements nationaux.
En 2019, seule l’Assemblée nationale a voté sur le texte, par cinquante-quatre voix d’avance, et le provisoire a duré… C’est nier le Sénat et nier le bicamérisme. Pourquoi la Haute Assemblée a-t-elle ainsi été privée de vote ? Est-ce parce que son vote dérange ?
Je veux remercier très sincèrement notre collègue Fabien Gay et le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, qui, en 2021, ont mis sous les projecteurs cette situation grotesque en déposant une proposition de résolution. Aujourd’hui, ils vont plus loin, en inscrivant l’examen de ce projet de loi dans le cadre de leur niche parlementaire.
Après six ans, il est possible de tirer un bilan. Celui-ci est très bon pour les uns, fragilisant pour les autres. Il faut donc voir l’intérêt global de la France, mais surtout identifier l’ensemble des enjeux, qu’ils soient économiques, environnementaux, sociétaux ou de santé publique.
En matière économique, depuis 2017, les exportations françaises vers le Canada ont augmenté de 33 %, mais les importations ont augmenté de 35 %, pour un effet neutre, voire légèrement négatif sur notre solde commercial avec ce pays, encore loin d’exploiter pleinement tous les quotas octroyés par l’accord, contrairement à l’Europe.
Je veux rester objectif, car les membres du groupe RDSE sont partagés sur le Ceta. Nous ne pouvons négliger le fait que celui-ci est aussi un catalyseur des échanges européo-canadiens dans certains secteurs, comme le textile, la chimie, les produits manufacturés, les biens et services ou encore les vins et spiritueux.
Alors que l’Europe travaille à la diversification de ses sources d’approvisionnement, les industries canadiennes de l’aluminium, du fer, du nickel et du cuivre profitent de la suppression des barrières tarifaires. Il est indéniable que cela permet à l’Union européenne de moins dépendre des marchés russe et chinois.
Parlons maintenant de ce qui fâche.
Les concessions de la Commission européenne sont en complète contradiction avec le Pacte vert. Ainsi, le Ceta s’accommode de ce qui constitue plusieurs sujets de préoccupation majeurs pour notre agriculture : les protéines animales transformées, non autorisées en Europe, les farines animales, non autorisées en Europe, ou encore les 41 substances actives phytosanitaires, non autorisées en Europe.
Une autre concession est l’absence de garantie qu’aucune viande aux hormones ne sera exportée vers l’Union européenne, liée à la défaillance avérée des contrôles sanitaires canadiens, démontrée par deux audits de la Commission européenne, en 2019 et en 2022. Quant à l’interdiction de l’importation d’animaux nourris aux antibiotiques simulateurs de croissance, il faut se contenter, pour toute garantie, d’une attestation sur l’honneur du vétérinaire, sans contrôle lié.
Monsieur le ministre, alors que nous traversons une crise agricole sans précédent et que les clauses miroirs ont été l’une des revendications des filières, notamment celle de la viande, comment pouvez-vous assumer de telles importations quand tout le monde sait que les contrôles sont impossibles ?
Enfin, je rappelle que l’article 44 de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim) interdit la vente de produits agricoles ou de denrées alimentaires qui ne sont pas autorisées à la production ou à la vente en France. Certes, l’interdiction porte sur la vente, et non sur l’importation. Mais comment est-il possible que ces denrées finissent par être vendues en France ?
Comme notre collègue Annick Girardin l’a souligné lors de la séance de questions au Gouvernement du 6 mars dernier, l’article 1.3 du Ceta reconnaît explicitement la zone économique exclusive (ZEE) et le plateau continental du Canada, tels qu’ils sont définis dans le droit interne canadien. Dans la mesure où aucune disposition équivalente n’existe concernant la ZEE et le plateau continental des États membres de l’Union européenne, l’absence de toute réserve ou de déclaration interprétative risquerait, à l’évidence, de constituer un abandon de prétention française légitime dans la zone, pour ce qui est tant de la ZEE que du plateau continental.
Par conséquent, monsieur le ministre, il est urgent de confirmer aujourd’hui devant le Sénat que des travaux sont en cours pour corriger cette défaillance !
Compte tenu du vote intervenu en commission, nous savons qu’une large partie de notre assemblée risque de s’opposer au Ceta. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, même certains de nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui, à une époque, avaient soutenu l’accord, ont changé d’avis.
Nous nous interrogeons : comment agira le Gouvernement ? Sa position risque d’être délicate. Convoquerez-vous une commission mixte paritaire ? Allez-vous envoyer le texte en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, ou assumerez-vous de ne pas l’inscrire à son ordre du jour et, ainsi, de ne rien faire ?
M. Didier Marie. Bonne question !
M. Henri Cabanel. Vous savez bien que, dans un contexte exacerbé de mal-être des agriculteurs et de forte pression sociétale, ce texte ne fera pas l’unanimité.
Il faut avoir le courage de déplaire à certains pour répondre à des enjeux plus élevés, qu’ils soient économiques, environnementaux ou de santé publique.
Le vigneron que je suis, et dont la filière est bénéficiaire, ne peut accepter qu’un accord génère des gagnants et des perdants. Pour notre souveraineté alimentaire, toutes les filières de notre agriculture doivent être solidaires. Pour moi, tout accord doit être gagnant-gagnant, ce qui, à mon avis, n’est pas le cas du Ceta. (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE, CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner ce projet de loi, plus de quatre ans après son vote au Palais-Bourbon, en juillet 2019.
Les discussions de nos collègues députés ont été houleuses. L’accord était alors encore récent, et nous n’avions pas assez de recul sur l’application provisoire de ses dispositions commerciales, en vigueur depuis septembre 2017.
Aujourd’hui, nous disposons d’un premier bilan concret de ces dispositions, sur six ans. N’en déplaise à ses détracteurs, ce bilan est positif pour l’Union européenne et la France, comme l’a rappelé M. le ministre.
Le Ceta permet à l’Union européenne de tirer un avantage substantiel de ses relations commerciales avec le Canada. En 2018, l’Union bénéficiait déjà d’un excédent cumulé sur l’exportation de ses biens et de ses services vers le Canada de l’ordre de 19 milliards d’euros.
La fluidité et l’équilibre de ces échanges sont dus à l’abaissement et à la suppression de 98 % des barrières tarifaires entre l’Union européenne et le Canada. Cette réduction massive des droits de douane favorise l’accès des produits français sur le marché canadien, tout en renforçant leur compétitivité. C’est un réel avantage pour les produits français, dont la population canadienne raffole.
À titre d’exemple, la filière viticole, fleuron du patrimoine français, a bénéficié d’une suppression des droits de douane sur les produits qu’elle exporte vers le Canada, sachant que ce pays est notre huitième client mondial pour l’importation de nos vins et le septième pour l’importation de nos spiritueux.
Autre exemple qui illustre la réussite du Ceta pour notre économie nationale, l’export des fromages a augmenté de 60 % entre 2016 et 2022. L’excédent commercial des produits laitiers a progressé de 23 millions d’euros entre 2017 et 2023.
La conclusion que nous pouvons tirer de ces chiffres est aussi simple que positive : le Ceta offre, depuis 2017, une multitude d’avantages commerciaux tant pour l’Union européenne que pour la France.
Les exportations françaises vers le Canada ont progressé de 1 milliard d’euros entre 2017 et 2023, ce qui représente une hausse de 33 %. Nos exportations de services ont, quant à elles, augmenté de 71 % entre 2017 et 2022.
Je veux, par ailleurs, insister sur le fait que le Ceta n’est pas un accord de libre-échange traditionnel : c’est un accord dit « de nouvelle génération », qui permet aux entreprises françaises de participer de manière accrue au marché public canadien. Il contribue également à l’augmentation des investissements bilatéraux. Il favorise la coopération entre l’Union européenne et le Canada en matière de normes et de régulations. C’est, en somme, un accord essentiel pour la bonne santé économique et commerciale de ses parties prenantes.
Malgré cela, certains représentants des filières agricoles et agroalimentaires sont inquiets des conséquences du Ceta.
Ces inquiétudes sont partagées par une majorité d’entre vous, mes chers collègues, mais ceux qui montent à cette tribune pour s’opposer au Ceta usent d’arguments dont la précision et la pertinence font défaut.
Dans notre société, l’information côtoie trop souvent la désinformation. Face aux infox qui circulent sur cet accord, je tiens à clarifier quelques points.
Le Ceta s’est révélé être largement favorable à nos agriculteurs. L’excédent des filières agricoles et agroalimentaires a été multiplié par trois depuis 2017. Les exportations de boissons ont bondi de 24 %. La filière laitière a directement profité de la floraison des exportations de fromages.
Je rappelle également que quarante-deux indications géographiques françaises bénéficient d’une reconnaissance et d’une protection précieuses grâce au Ceta. Cela concerne des produits chers à notre patrimoine alimentaire national, comme le roquefort, le cantal ou encore les pruneaux d’Agen.
Contrairement à ce que racontent les détracteurs du Ceta, l’incidence des importations de produits canadiens sur les filières sensibles est marginale en Europe et en France.
Il y a sept ans, lors de nos débats, on entendait dire que le marché français allait être envahi de bœuf canadien. Pour l’année 2023, la quantité de viande bovine importée sur notre sol depuis le Canada correspond à 0,0034 % de la consommation française. Ce chiffre est très faible, car nous n’importons que des produits satisfaisant à nos exigences sanitaires. Nous écartons ainsi toute importation de viandes traitées aux hormones de croissance, interdites dans l’Union européenne.
Si les produits que nous importons ne sont pas conformes aux mêmes normes que celles que respectent nos agriculteurs, nos éleveurs et nos producteurs, ils n’entrent pas sur notre territoire.
Je tiens aussi à répondre à celles et ceux qui s’inquiètent des potentielles conséquences négatives du Ceta sur l’environnement.
En 2022, l’Union européenne a adopté une nouvelle approche favorisant l’intégration de la durabilité dans les accords commerciaux européens. Elle vise notamment à élever l’accord de Paris au rang d’élément essentiel des futurs accords de commerce de l’Union européenne, au même titre que le respect des droits de l’homme. Cette philosophie est cohérente avec les priorités qui sont celles de la France depuis 2017.
Le Ceta s’est par ailleurs révélé être un moteur de la coopération entre l’Union européenne et le Canada en matière d’environnement. En novembre dernier, les deux parties prenantes ont créé l’Alliance verte, pour intensifier la coopération sur des sujets tels que le climat, l’énergie et l’océan.
Ces initiatives nous permettent d’avancer dans la bonne direction, d’autant que nous sommes entourés de pays et de personnalités climatosceptiques qui voudraient revenir sur l’accord de Paris de 2015.
En outre, quinze des trente matières premières critiques essentielles à notre transition écologique se trouvent au Canada, premier producteur de potasse et deuxième producteur d’uranium au monde. Grâce au partenariat que nous avons signé avec le Canada en septembre 2023, la France pourra assurer l’importation de ces métaux critiques, qui soutiendront notre modèle énergétique.
Mes chers collègues, après plus d’une heure de discussion générale, j’espère que vous reconnaîtrez les avantages indéniables du Ceta pour notre économie et pour celle de nos partenaires européens.
N’ayons pas la mémoire courte et souvenons-nous, mes chers collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, que le Ceta a été signé par François Hollande en 2017 et qu’il est le résultat des travaux engagés par Nicolas Sarkozy à partir de 2009.
Ne soyons pas dogmatiques non plus : le Ceta est un excellent accord commercial, dont le bilan est d’ores et déjà plus que positif.
Sa ratification n’implique rien de plus que l’application de dispositions qui ont déjà fait leurs preuves, n’en déplaise à ceux qui tentent de faire croire qu’il s’agirait d’une première étape vers l’approbation du Mercosur. (Brouhaha sur des travées du groupe Les Républicains.)
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Le temps de parole est écoulé !
Mme Nicole Duranton. Le Ceta contribuera à offrir de nouvelles perspectives aux entreprises qui font rayonner la France sur la scène internationale. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Plusieurs sénateurs martèlent leurs pupitres.)
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Nicole Duranton. Il renforcera nos excellentes relations commerciales avec le Canada, grande démocratie avec laquelle nous partageons des liens historiques et amicaux intangibles.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Nicole Duranton. La majorité des sénateurs du groupe RDPI votera ce projet de loi autorisant la ratification du Ceta. (MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Olivier Cadic applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après plusieurs années de mobilisation de la société civile, de plusieurs syndicats et d’ONG, nous avons enfin la chance de débattre du Ceta et de nous prononcer sur sa ratification.
Pourtant, l’inscription du texte à l’ordre du jour de l’espace réservé à un groupe d’opposition, le groupe communiste – que je remercie de son initiative –, est un terrible désaveu pour le Gouvernement, qui n’a cessé de vouloir contourner le Sénat sur un sujet pourtant majeur.
Nous examinons aujourd’hui le présent projet de loi dans un contexte parlementaire un peu spécial, après plusieurs semaines de crise agricole.
Durant cette période, partout en Europe, les agriculteurs ont exprimé deux principales revendications : pouvoir vivre dignement de leur métier, de leur travail, d’une part, et ne plus subir une concurrence déloyale via des produits exportés à bas coût grâce aux traités de libre-échange, d’autre part.
L’accord économique et commercial entre l’Union européenne et le Canada a directement trait à ces deux sujets.
Depuis l’entrée en application du Ceta et l’accélération des échanges qui en résulte, certaines filières sont certes gagnantes, mais d’autres sont davantage perdantes. En tant que législateurs, nous devons nous interroger sur l’équilibre entre les gains réels, d’une part, et les conséquences néfastes sur certaines filières, d’autre part.
Avec un peu de recul, on s’aperçoit rapidement que les avantages du Ceta sont minimes : les progrès constatés pour ce qui concerne les exportations sont ainsi à nuancer si on les considère en volume ; les gains économiques que notre pays tire de l’accord sont, quant à eux, relativement faibles.
À titre d’exemple, et contrairement à ce que vous nous avez dit, monsieur le ministre, la part des fromages exportés au Canada représente à peine 0,55 % du volume total de la production fromagère française.
À l’inverse, des filières comme celle de la lentille subissent déjà une forte concurrence, tandis que la filière bovine française, qui est pour le moment relativement épargnée, a des raisons de craindre que le Canada ne décide de recourir aux quotas négociés dans le cadre du Ceta.
C’est pour ces filières que la question de la concurrence déloyale se pose au premier chef.
Pour nos agriculteurs et pour notre sécurité alimentaire, nous ne pouvons pas accepter du bœuf nourri à la farine d’origine animale et élevé aux hormones de croissance. Nous ne pouvons pas tolérer que des résidus de glyphosate aussi importants se retrouvent dans nos lentilles. Surtout, nous ne pouvons pas revenir sur l’interdiction des quarante et une substances actives phytosanitaires, qui sont certes approuvées au Canada, mais interdites dans l’Union européenne.
Derrière ces mesures de protection des agriculteurs et des consommateurs, c’est la question du modèle agricole que nous voulons pour l’Europe qui se pose.
Malheureusement, depuis l’entrée en vigueur provisoire du Ceta, le Canada a cherché à plusieurs reprises à affaiblir la législation européenne en matière agricole, que ce soit en contestant l’interdiction de certains produits phytosanitaires ou en cherchant à obtenir des dérogations pour l’exportation de viande bovine.
Ce lobbying, rendu possible par les forums réglementaires prévus par l’accord, n’est pas acceptable et n’est pas à la hauteur des ambitions environnementales et climatiques que nous devons défendre.
Il est également important de rappeler que le Ceta a déstabilisé la filière laitière canadienne, dont l’organisation reposait encore sur des quotas afin d’assurer une juste rémunération des agriculteurs.
Les effets de cet accord sont donc dommageables pour les paysans des deux côtés de l’océan Atlantique.
Plus largement, ce traité de libre-échange a surtout permis une augmentation des échanges de produits fortement carbonés, ce qui est bien sûr intolérable pour un accord dit de « nouvelle génération ».
Comme l’a rappelé mon collègue Didier Marie, nous ne sommes pas opposés au commerce et aux échanges, lesquels sont indispensables pour notre agriculture et notre industrie, mais nous ne souhaitons plus de traités de libre-échange qui tirent les prix vers le bas, au détriment des normes sociales et environnementales.
L’Union européenne doit contribuer à l’émergence d’un nouveau modèle commercial, dans le cadre duquel les principes de réciprocité et de précaution seraient des valeurs incontournables.
Les clauses miroirs ne doivent pas être réduites à une simple expression que l’on répéterait inlassablement : elles n’ont de sens que si elles figurent réellement dans chaque accord de libre-échange, ce qui n’est pas le cas pour le Ceta, monsieur le ministre, contrairement à ce que vous affirmez.
L’Union européenne, qui représente vingt-sept démocraties et un marché de plus de 400 millions de consommateurs, a les cartes en main pour imposer un tel modèle. C’est donc vous, monsieur le ministre, qui disposez des cartes pour faire avancer les choses.
Pour commencer, nous vous proposons de supprimer l’article 1er, qui prévoit d’autoriser la ratification du Ceta. Avec mes collègues du groupe socialiste du Sénat, nous nous opposerons avec conviction à cette ratification ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Claude Varaillas et M. Guy Benarroche applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre assemblée doit se prononcer aujourd’hui sur l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada, le célèbre Ceta, après le rejet du texte en commission.
Je tiens tout d’abord à saluer les travaux du rapporteur Pascal Allizard et du rapporteur pour avis Laurent Duplomb.
Avant d’aller plus loin dans mon propos, je tiens à dire que le rejet du projet de loi de ratification en commission ne remet bien sûr pas en cause la force du lien qui unit la France et le Canada.
Notre pays et le Canada, notamment à travers le Québec, et malgré la distance qui nous sépare, partagent une histoire, une culture et une langue commune.
C’est en raison de cette amitié, loin des caricatures, que nous ne pouvons pas tout accepter, en particulier cet accord de libre-échange.
Il n’y a pas, d’un côté, le libéralisme incontrôlé et, de l’autre, le protectionnisme conservateur. Alors, s’il vous plaît, monsieur le ministre, halte à la véhémence, halte aux caricatures, place à la cohérence !
Mes chers collègues, la vérité se situe entre les deux : je crois qu’un équilibre peut et doit être trouvé, car il ne s’agit pas ici de remettre en cause le libre-échange. Le président de notre groupe, Bruno Retailleau, l’a rappelé : nous croyons en la liberté et dans le commerce comme potentielles sources de prospérité des peuples.
Tous les accords commerciaux ont bien sûr des avantages et des inconvénients. L’objectif est de parvenir à un équilibre entre filières gagnantes et perdantes, et ce en vue d’assurer une prospérité globale.
Force est de constater, comme je l’ai rappelé en 2019, alors députée, que le Ceta ne permet pas d’atteindre les objectifs louables qu’il affiche.
À l’image du Golem, il incarne désormais une machine économique qui échappe à ses concepteurs, c’est-à-dire les nations, au profit d’une logique purement mercantile ou, pour reprendre les mots de notre rapporteur Pascal Allizard, il est une épée de Damoclès au-dessus de notre agriculture.
D’une certaine façon, il fait deux victimes : d’une part, le Parlement et les sénateurs ; de l’autre, les agriculteurs, notamment les éleveurs.
Ceta, Mercosur, partenariat européen pour l’évaluation des risques liés aux substances chimiques (Parc), traité avec la Nouvelle-Zélande : la multiplication de ces accords fragilise incontestablement notre agriculture.
Nous ne pouvons pas parler d’agriculture sans parler de souveraineté alimentaire. Aujourd’hui, ces accords ne permettent pas d’établir une réciprocité, qui assurerait un équilibre élémentaire permettant de défendre l’intérêt de nos entreprises et de nos agriculteurs.
Mes chers collègues, faisons preuve de pragmatisme, ainsi que de cohérence en matière commerciale. Serions-nous cohérents si, d’un côté, nous apportions notre soutien à nos agriculteurs et, de l’autre, nous votions cet accord ?
M. Emmanuel Capus. Oui !
Mme Valérie Boyer. Il est incohérent d’imposer des normes de plus en plus contraignantes à nos producteurs, en les exposant toujours plus à des concurrents qui ne respectent pas les mêmes règles que les nôtres.
Comment pourrions-nous continuer à prétendre que nous défendons l’environnement, que nous voulons une production raisonnée, plus respectueuse des équilibres écologiques si, après avoir rendu la vie impossible aux paysans français, nous faisions le choix de faire venir des produits issus de pratiques d’élevage opposées à notre modèle français et souvent interdites en France ?
Mme Valérie Boyer. Nous parlons ici de taille d’exploitation, d’alimentation des bêtes – les farines animales, par exemple –, d’utilisation de substances interdites par l’Union européenne – antibiotiques, hormones – et de traçabilité des animaux – traçabilité par lot et non individuelle des animaux. Cet accord nous fait courir un risque sanitaire qu’il convient de ne pas négliger.
C’est pourquoi, mes chers collègues, ce débat ne doit pas se résumer à une opposition binaire : pour ou contre le Canada, pour ou contre le libre-échange.
Oui, nous sommes favorables au libre-échange si les échanges sont libres et équilibrés et si sont instaurées de véritables clauses miroirs, et non des miroirs aux alouettes, si j’ose dire, comme c’est bien souvent le cas.
Oui, le débat doit dépasser le cadre mercantile. Demandons-nous ce que nous voulons manger : voulons-nous une France divisée en deux, avec, d’un côté, ceux qui peuvent manger sainement et de manière éclairée, et de l’autre, tous les autres ?
Mme Cécile Cukierman. Bonne question !
Mme Valérie Boyer. La crise de la covid-19 nous a montré à quel point nous étions vulnérables ; la guerre en Ukraine et son corollaire, la crise du blé, ont prouvé à quel point notre souveraineté alimentaire est essentielle. Il faut changer de modèle, s’adapter, car le monde a changé.
Ne voulons-nous pas, comme de nombreux Français, conserver un certain nombre de principes et le triptyque cher à Fernand Braudel : pays, paysans, paysages ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – Mmes Cécile Cukierman et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis de nouveau, comme en 2021, pour débattre du Ceta. Nous pourrions d’ailleurs recourir aux mêmes arguments, car, malheureusement, le Gouvernement n’a pas mis à profit les sept années d’application provisoire de l’accord pour lancer le débat et adapter les fameuses mesures miroirs, pourtant promises par le Président de la République.
En 2021, déjà, nous exprimions le souhait que s’intensifient nos échanges avec le Canada, pays ami, avec lequel nous partageons une histoire, des intérêts convergents et, surtout, des perspectives d’avenir.
M. Loïc Hervé. Eh oui !
Mme Anne-Catherine Loisier. Depuis sept ans, nous constatons que les filières fromages, vins et spiritueux, ou encore le secteur des cosmétiques y gagnent.
Entre 2017 et 2023, le bilan commercial de l’accord est toutefois passé d’un excédent de 25 millions d’euros en faveur de la France à un déficit de 23 millions d’euros. Les exportations françaises vers le Canada augmentent trois fois moins vite que les importations depuis le territoire canadien.
Comme nous le disions déjà en 2017, oui à un traité avec le Canada, à condition qu’il soit équilibré. Malheureusement, le Ceta ne garantit toujours pas le respect des normes sanitaires et des normes de protection du consommateur imposées aux producteurs européens pour préserver la santé de nos ressortissants.
Le Canada – et c’est son droit – utilise quarante molécules de pesticides interdits dans l’Union européenne. Il cherche avec insistance à utiliser de l’acide peracétique – interdit en France – pour décontaminer les carcasses et à exporter en Europe avec toujours moins de contrôles.
En agissant ainsi, il provoque des distorsions de concurrence insoutenables pour nos agriculteurs. Il compromet notre modèle de santé publique et porte également atteinte à nos impératifs en matière de souveraineté alimentaire.
Cela étant, mes chers collègues, la discussion ne se réduit pas à considérer les intérêts de la filière bovine. L’enjeu est beaucoup plus large et profond.
Nous devons nous interroger sur la cohérence d’un traité négocié par l’Union européenne, elle-même inflexible sur les règles qu’elle applique à ses ressortissants, au motif de garantir la sécurité des consommateurs, le bien-être animal et de préserver l’environnement, mais soudainement laxiste et favorable au laisser-faire quand il s’agit d’accords de libre-échange et de produits importés…
Cet accord d’ancienne génération, du monde de l’avant-covid, d’avant l’état d’urgence climatique, ignore les impératifs que nous nous sommes fixé aujourd’hui : les écorégimes, les circuits courts, le Green Deal, les analyses de cycle de vie, les normes en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Le commerce international actuel peut-il encore consister à importer ce dont nous ne voulons pas pour vendre ce que nous voulons exporter ?
Début février, le président Macron affirmait que, si certains pays nous demandaient d’ouvrir nos marchés, mais qu’ils ne respectaient pas les mêmes règles, il n’était « pas pour ». Il demandait aussi que les règles environnementales et sanitaires que l’on impose à nos agriculteurs soient les mêmes que celles qui s’appliquent dans les pays à qui l’on ouvre nos portes. Nous sommes d’accord avec le Président de la République : tout est dit.
Pour finir, permettez-moi d’ajouter quelques mots sur la juridiction d’exception chargée de régler les différends entre investisseurs et États, dont nous enclencherions le mécanisme si nous ratifiions aujourd’hui le Ceta.
Ce dispositif soulève un certain nombre de questions, y compris d’ailleurs chez nos amis canadiens, qui l’ont sorti de l’Alena, l’accord de libre-échange nord-américain. Ainsi, la ministre canadienne des affaires étrangères a expliqué que cette juridiction avait coûté plus de 300 millions de dollars de sanctions et de frais au contribuable canadien, qu’elle plaçait le droit des entreprises au-dessus de la souveraineté des gouvernements et qu’en la retirant les États parties renforçaient le droit des gouvernements à réguler dans l’intérêt général et à protéger la santé publique et l’environnement.
L’avenir du projet européen et du libre commerce passe par des traités équilibrés, respectueux des normes et des priorités européennes.
Monsieur le ministre, la politique commerciale européenne ne doit plus se résumer à traiter telle ou telle filière comme une monnaie d’échange, au mépris des règles que l’Europe impose sur son propre marché intérieur. Plus encore, l’Union européenne doit rester souveraine et décider des règles qu’elle applique sur son territoire, sans être empêchée par des accords ou menacée par des multinationales.
Au sein de l’Union Centriste, chacun votera selon ses convictions, mais nous souhaitons tous développer un partenariat commercial juste et équilibré avec ce pays frère qu’est le Canada. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur pour avis applaudit également.)
M. Emmanuel Capus. Il suffit de signer !
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il a fallu sept ans pour que le projet de loi autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada, le Ceta, soit soumis au vote de la Haute Assemblée.
L’entrée en vigueur de cet accord, en septembre 2017, a entraîné la levée immédiate de près de 98 % des barrières tarifaires pesant sur les échanges entre l’Union européenne et le Canada.
Le secteur agricole a donc connu une libéralisation des échanges, marquée par la disparition programmée de près de 94 % des droits de douane. Les produits agricoles et ceux qui sont issus de l’industrie agroalimentaire sont en effet au cœur des échanges entre l’Union européenne et le Canada.
Le Ceta s’est révélé être bénéfique pour quelques produits agricoles français qui ont largement pénétré le marché canadien. Ainsi, la filière laitière a profité, de manière transitoire, de nouveaux contingents d’importation spécifiques pour les fromages européens, ce qui a provoqué une hausse de 63 % des exportations de fromages français entre 2016 et 2022.
Sénatrice de la Manche, je me dois de rappeler ici que le lait est le premier secteur de l’économie agricole normande, avec près de 1,4 milliard d’euros de chiffre d’affaires.
Le produit laitier spécifique à la Normandie est bien sûr le camembert. La région fabrique 83 % des camemberts français, et nos laiteries produisent près de 43 % des fromages frais français. La filière laitière est aussi le premier pourvoyeur d’emplois du secteur agroalimentaire.
Avant l’application du Ceta, les droits de douane s’appliquant aux fromages variaient entre 10 % et 227 %. Dans le cadre de cet accord, le Canada a accepté l’ouverture progressive, sur une période de cinq ans, de nouveaux contingents pour les fromages européens. Mais ces quotas d’exportation sont déjà atteints, alors que les importations de fromages canadiens peuvent toujours progresser sur le sol français.
Par ailleurs, l’accord prévoit la protection au Canada de 173 nouvelles IGP, dont seulement 42 indications françaises, sur les 260 indications recensées.
Malgré ces arguments, une large majorité des acteurs du monde agricole s’oppose à la ratification de ce traité, car elle estime que certaines filières ne bénéficient pas des garanties nécessaires.
En effet, les différences de conditions d’élevage entre nos deux pays et la faiblesse des contrôles sanitaires qui devraient être effectués par chaque État membre peuvent favoriser l’importation de viande bovine élevée aux antibiotiques et aux accélérateurs de croissance. Cela reviendrait à proposer aux consommateurs français et européens des produits bien en deçà de nos standards, à bas coût, qui mettraient en péril la filière bovine française.
En outre, il est vrai que le dialogue bilatéral sur les matières premières institué par le Ceta supervise la mise en œuvre de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et le Canada sur les matières premières critiques depuis juin 2021.
En effet, le Canada est un partenaire incontournable pour l’économie européenne : il fournit quinze des trente métaux et minéraux considérés comme critiques, tels que l’aluminium, le nickel, le cuivre, le plomb et le zinc.
Signé en 2023, ce partenariat a entraîné une suppression des droits de douane, ce qui renforce et sécurise nos liens commerciaux. Les métaux stratégiques sont nécessaires pour réaliser la transition énergétique : l’accord commercial avec le Canada représente donc une occasion de développer les échanges commerciaux avec un État dont les standards sociaux et environnementaux sont proches de ceux de la France.
Cependant, et c’est important, le risque de voir des produits agricoles ne répondant pas à nos exigences sanitaires et environnementales inonder le marché français est majeur. Le Ceta ne peut être ratifié au détriment de certaines filières agricoles.
Oui, nous sommes pour le libre-échange avec nos amis canadiens, mais cela suppose, comme l’a dit notre collègue Valérie Boyer, des échanges libres et équilibrés. C’est pourquoi il est nécessaire de supprimer l’article 1er de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles du projet de loi adopté par l’Assemblée nationale.
projet de loi autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’union européenne et ses états membres, d’une part, et le canada, d’autre part, et de l’accord de partenariat stratégique entre l’union européenne et ses états membres, d’une part, et le canada, d’autre part
Article 1er
Est autorisée la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part, signé à Bruxelles le 30 octobre 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pascal Allizard, rapporteur. L’article 1er prévoit d’autoriser la ratification du Ceta.
Il me semble important de rappeler à cet instant que le Ceta est un accord économique et commercial, mais que le présent projet de loi vise également à ratifier un accord de partenariat stratégique entre l’Europe et le Canada, qui fera l’objet de l’article 2.
Ces deux articles – ces deux accords – sont parfois présentés comme les versants économique et politique d’un même rapprochement entre l’Union européenne et le Canada. Or il s’agit bien de deux accords distincts.
Ainsi, si dix parlements nationaux n’ont pas ratifié le Ceta, seuls trois États, dont la France, n’ont pas approuvé l’accord de partenariat stratégique, ce qui est bien la preuve que les deux sont dissociables. C’est aussi la preuve que l’article 1er relatif au Ceta et l’article 2 relatif à l’accord de partenariat stratégique peuvent faire l’objet de votes opposés.
J’ajoute, car cette question a été posée en commission, que la mise en place d’un mécanisme juridictionnel destiné au règlement des différends entre investisseurs et États figure dans l’accord économique et commercial, dans le Ceta donc, et non dans l’accord de partenariat stratégique. Ce mécanisme constitue bel et bien une atteinte à la souveraineté des États.
Mes chers collègues, si certains d’entre nous sont en désaccord avec le contenu du Ceta, en raison notamment des risques qu’il fait peser sur le monde agricole, il me semble que nous ne pouvons qu’être favorables à un resserrement des liens politiques avec le Canada, comme l’article 2 et l’accord de partenariat stratégique le prévoient.
C’est pourquoi nous vous proposons de supprimer l’article 1er, qui est le seul posant problème.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, sur l’article.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de nous prononcer sur cet article, il est important de rappeler combien nous sommes attachés au partenariat qui nous lie au Canada, avec qui nous avons une histoire commune.
Le sénateur de la Meuse que je suis connaît l’importance de notre histoire commune, mais ce traité, amorcé sous la présidence de Nicolas Sarkozy, voulu par la présidence de François Hollande, entré en vigueur en 2017, suscite aujourd’hui beaucoup de crispations, notamment au sein de plusieurs filières agricoles, et de l’incompréhension chez certains d’entre nous.
En effet, en sept ans, beaucoup de choses ont changé. Nous n’avons eu de cesse d’accroître les contraintes et les exigences environnementales et normatives pesant sur nos agriculteurs, sans que ces normes soient dans le même temps imposées à nos partenaires commerciaux.
Soit on exige la mise en place de clauses miroirs, comme l’ont tant de fois évoqué le Gouvernement et Bruxelles, sans pour autant qu’aujourd’hui encore le traité en comporte une seule – il serait par exemple nécessaire d’établir une mesure miroir sur les hormones, car, comme l’a relevé la Commission européenne à deux reprises, il existe des lacunes dans la traçabilité du bœuf canadien – ; soit on procède à un choc de simplification, afin de laisser nos agriculteurs concourir en se conformant à des règles de concurrence équitables.
Il faut faire un choix ! Ce traité, qui n’impose pas les mêmes obligations à nos partenaires commerciaux qu’à nos agriculteurs, crée au quotidien des distorsions de concurrence totalement insupportables.
C’est la raison principale pour laquelle nombre d’entre nous émettent des doutes et expriment des réticences. Quel que soit le vote des uns et des autres, il s’agit là non pas d’un vote de défiance, mais d’un vote qui pointe les contradictions des politiques, notamment européennes, à l’image du Green Deal et de la stratégie dite « de la ferme à la fourchette ».
Enfin, il n’est pas satisfaisant d’aborder un sujet aussi stratégique en si peu de temps, au détour d’une niche, alors même que le Sénat a demandé à plusieurs reprises au Gouvernement d’inscrire ce projet de loi autorisant la ratification du Ceta à son ordre du jour. Je voterai donc la suppression de l’article 1er.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, sur l’article.
Mme Michelle Gréaume. En 2021, devant notre assemblée, vous aviez dit, monsieur le ministre, que le Sénat serait appelé à se prononcer sur le projet de loi autorisant la ratification du Ceta, et que nous n’étions pas en retard.
Pourtant, sans l’initiative du groupe CRCE – K, nous serions encore en train d’attendre, une attente qui prolongerait d’autant le déni démocratique que constitue l’application provisoire de ce traité depuis près de six ans.
Monsieur le ministre, comme vous, nous pensons que notre politique commerciale doit contribuer à accroître la résilience de l’Union européenne dans les domaines climatique et sanitaire, qu’il faut renforcer la cohérence entre notre stratégie commerciale et notre engagement en faveur du développement durable et du climat.
C’est pourquoi nous sommes opposés à la ratification de cet accord, qui est en contradiction avec les objectifs que vous avez évoqués à plusieurs reprises depuis 2020.
À l’heure où la biodiversité s’effondre, où le climat se dérègle, où les températures augmentent, mettant en difficulté notre agriculture, comment croire que la multiplication des échanges puisse être une solution viable ? Comment croire que l’augmentation des importations de pétrole de schiste ou de ses produits dérivés puisse être une bonne nouvelle pour l’environnement ?
Pourquoi minimiser les menaces pesant sur la filière bovine française et la mise en concurrence des éleveurs qui ne sont pas soumis aux mêmes normes ?
Malgré vos discours, monsieur le ministre, la réalité est têtue. Les normes qui s’appliquent à l’Union européenne ne sont pas respectées par nos partenaires canadiens ; le Ceta ne mentionne pas explicitement le principe de précaution ; les demandes de contrôles plus rigoureux formulées par l’Europe pour garantir la traçabilité des bovins, qui garantissent notamment le respect de l’interdiction des viandes aux hormones, n’ont pas reçu un accueil positif de la part de nos partenaires canadiens.
Pour toutes ces raisons, nous sommes contre cet accord et demandons la suppression de l’article 1er.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, sur l’article.
M. Daniel Gremillet. Le débat qui s’engage à cet instant est tronqué. Certains d’entre nous voteront dans le même sens pour des raisons totalement différentes, voire diamétralement opposées.
M. Emmanuel Capus. Peu importe, c’est le résultat qui compte !
M. Daniel Gremillet. Mon cher collègue, je ne vous ai pas interrompu ! (M. Emmanuel Capus proteste vivement. – Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Monsieur Capus, ça devient pénible !
M. Daniel Gremillet. Si nous ne débattons pas dans le respect des uns et des autres, il sera bien difficile de travailler ensemble. Pour ma part, j’ai toujours fait en sorte de respecter les positions de ceux qui ne partagent pas les miennes.
M. le président. Poursuivez, mon cher collègue.
M. Daniel Gremillet. Lorsque le Ceta a été signé en 2016, nous avons considéré qu’il était possible de conclure des accords de coopération avec le Canada.
Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention. Vous nous avez expliqué qu’il serait désastreux de rejeter cet accord, mais le désastre, vous en serez largement responsable !
Lorsqu’on signe un accord de libre-échange, il faut se donner les moyens de faire face à la concurrence qu’il emporte ! Depuis 2016, la France et l’Europe avaient l’obligation d’éviter une situation de distorsion. Or rien n’a été fait à cet égard. Au contraire, nous n’avons eu de cesse d’accroître les contraintes économiques à l’échelle européenne. Et je ne parle pas que de l’agriculture, les échanges commerciaux ne se limitant pas aux échanges agricoles.
La semaine dernière, le Parlement européen a révisé la directive sur les émissions industrielles et imposé de nouvelles contraintes aux installations industrielles, qui s’appliquent également au secteur agricole. Comment voulez-vous, alors que de telles contraintes ont des conséquences négatives sur l’agriculture et l’économie, que l’on puisse avoir des échanges équilibrés ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Il ne s’agit pas de juger le Canada, pays que je respecte. Les Canadiens ont rempli leur mission, c’est le gouvernement français qui n’a pas fait ce qu’il fallait. Il est inimaginable, à l’échelle communautaire, de poursuivre dans cette voie sans aucun contrôle des États membres.
Quelles initiatives avez-vous prises pendant dix ans pour que la France pèse au quotidien pour rendre cet accord supportable et équilibré ?
Nous serons amenés à en reparler très bientôt sur les questions énergétiques, le secteur étant soumis au même déséquilibre.
Voilà pourquoi je voterai les amendements de suppression de l’article 1er. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Loïc Hervé.)
PRÉSIDENCE DE M. Loïc Hervé
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à interdire les dispositifs électroniques de vapotage à usage unique est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
5
Accord économique et commercial global UE-Canada
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part, et de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part.
Dans la suite de la discussion, nous poursuivons les prises de parole sur l’article 1er.
Article 1er (suite)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je dois avouer que j’ai été blessé par certains propos qui ont été tenus ce matin. Comparer les positions de notre groupe et de notre parti à celles du Rassemblement national est véritablement offensant.
M. Éric Bocquet. Absolument !
M. Pierre Ouzoulias. Cela l’est d’autant plus au lendemain de la cérémonie en mémoire de l’amiral de Gaulle. Ce que nous partagions et partageons encore avec les gaullistes, c’est notre attachement à la souveraineté nationale.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Pierre Ouzoulias. Je suis très fier de constater que nous pouvons nous retrouver sur cette idée, comme nous nous étions retrouvés en 1945 dans le cadre du Conseil national de la Résistance (CNR). (Applaudissements.)
Il n’y a pas de souveraineté nationale sans souveraineté alimentaire. Que s’est-il passé depuis la mise en œuvre du Ceta il y a six ans ? Le cheptel bovin a diminué d’un million de vaches en France. Plus de 50 % des éleveurs sont âgés de plus de 55 ans. Les prix sont trop faibles, et le Ceta continuera de les tirer vers le bas.
Mes chers collègues, je m’exprime non pas en tant que sénateur des Hauts-de-Seine, mais en tant que petit-fils du fondateur de l’Union de la jeunesse agricole de France en 1937, qui défendait l’exploitation familiale comme un modèle d’exploitation agricole.
Mme Sophie Primas. Excellent !
M. Pierre Ouzoulias. Depuis lors, nous n’avons pas dévié, nous n’avons pas changé. Depuis 1937, notre position est cohérente, contrairement à celle de l’extrême droite. Nous défendons le modèle de l’exploitation familiale, parce que c’est un enjeu agricole, environnemental et politique.
Nous considérons qu’il est crucial pour nos territoires, dans ce qu’on appelle de manière prosaïque la diagonale du vide, de préserver nos paysages. Pour cela, il faut conserver des paysans et pour cela, il faut maintenir l’élevage. C’est pourquoi il faut rejeter le Ceta. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, sur l’article.
M. Yannick Jadot. Quel plaisir d’avoir ce débat lucide et responsable ! Nous aurions dû l’avoir il y a six ans, un an après la signature du traité par les États européens, mais le Gouvernement avait alors choisi d’ignorer le Sénat – c’est sa responsabilité !
Il y a deux raisons de rejeter le Ceta.
La première tient à la partie du traité qui est déjà en vigueur. Cela a été dit, les conditions de production agricole et d’élevage au Canada n’ont rien à voir avec les nôtres. Les agriculteurs canadiens utilisent des farines animales, à l’origine de la maladie de la vache folle, et des antibiotiques pour faire grossir les animaux, ce qui constitue, nous le savons, un véritable problème de sécurité sanitaire et alimentaire. Dans leurs immenses élevages industriels, on ne se soucie pas du bien-être animal. Tout cela, nous le savons déjà et rien que pour cela, il faut faire tomber le Ceta !
Quelle hypocrisie de la part du Gouvernement ! Durant toute la crise agricole, il nous a expliqué qu’il fallait des clauses miroirs, qu’il fallait défendre nos paysans… Et là – c’est un moment de vérité –, il expose nos éleveurs à une concurrence déloyale.
La deuxième raison pour laquelle il ne faut pas voter la ratification tient à la partie du traité qui n’est pas mise en œuvre aujourd’hui, celle sur l’investissement. Déjà, lors de la négociation du Ceta, le Canada avait fait pression sur l’Union européenne pour qu’elle ne sanctionne pas les carburants issus des sables bitumineux.
Nous savons que le Canada attaque pour autoriser les organismes génétiquement modifiés (OGM) et les pesticides, y compris au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Si cet accord sur l’investissement devait entrer en vigueur, les firmes de la chimie, du pétrole, des pesticides attaqueront les États européens sur leur législation de protection sanitaire et environnementale.
Oui au Canada, mais non au Ceta ! J’invite le Gouvernement à ne plus faire preuve d’hypocrisie, par respect pour le Sénat ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
M. Daniel Salmon. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, sur l’article. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Je trouve ce débat quelque peu baroque et j’essaie d’en trouver les sources, les origines.
Dans son roman Sérotonine, que j’ai lu il y a quelque temps, Michel Houellebecq écrit que notre agriculture est en train de vivre quelque chose de puissant et de dramatique, un « énorme plan social », un plan social qui ne dit pas son nom, un plan social caché.
Oui, il faut s’inquiéter de la misère agricole, ou plutôt de certains agriculteurs, et la dénoncer. C’est un vrai sujet. Mais résoudrons-nous ce problème en votant contre le Ceta ? Le penser, c’est se tromper. On veut faire du Ceta une victime collatérale de la crise agricole, alors que ce n’est pas un mauvais accord.
Monsieur Jadot, vous avez dénoncé ce traité avec beaucoup de véhémence. Pardonnez-moi, mais c’en était presque cocasse. On avait l’impression que vous vous exprimiez contre le Mercosur… (M. Yannick Jadot s’exclame.) Or nous discutons bien du Ceta, et non du Mercosur ! Mes chers collègues, on tape à côté de la plaque.
La commission des affaires européennes a organisé une table ronde très intéressante, à laquelle a notamment participé Édouard Balladur. Les intervenants l’ont confirmé, il existe une misère agricole dans toute l’Europe. Si nous voulons être réellement efficaces, alors il faut réunir le Conseil européen pour revoir la politique agricole commune. Voilà qui aurait du sens et une réelle portée ! Remettre tout à plat en matière d’agriculture à l’échelle européenne, voilà qui serait efficace !
Sincèrement, mes chers collègues, je le répète, je trouve notre débat baroque. Pour ma part, je suis favorable au Ceta. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, sur l’article.
M. Emmanuel Capus. Il faut évidemment voter cet accord, et ce pour deux raisons.
La première raison, c’est qu’il s’agit d’un accord avec le Canada. Le Canada, ce n’est pas le Mercosur. Le Canada, ce n’est pas rien pour la France ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Pascal Savoldelli. C’est un beau pays ! (Sourires.)
M. Emmanuel Capus. Les Canadiens sont nos cousins ! On ne peut pas dire non au Canada au lendemain de la journée internationale de la francophonie ! (MM. Olivier Cadic et Franck Dhersin applaudissent.)
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Vive le Québec libre ! (Sourires.)
M. Emmanuel Capus. À ce propos, je suis très fier que le président du groupe d’amitié France-Québec ait voté la motion de renvoi en commission, cela montre bien que ceux qui connaissent le Canada et le Québec font le bon choix !
La deuxième raison de voter cet accord, c’est qu’il s’agit d’un bon accord. (Nouvelles exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE-K.)
C’est tout d’abord un bon accord pour notre économie. C’est pourquoi le président de la délégation aux entreprises a également voté la motion de renvoi en commission. Les membres de cette délégation, qui est utile, savent que le Ceta sert notre économie.
C’est ensuite un bon accord pour notre sécurité nationale.
M. Pascal Savoldelli. Ah oui !
M. Emmanuel Capus. Il est extrêmement important pour notre sécurité nationale de voter cet accord, parce qu’on ne peut pas rester dépendants de l’uranium ou du lithium russes. Nous avons besoin d’importer ces matières premières du Canada.
Enfin, c’est un bon accord pour notre agriculture en général, pour nos viticulteurs, pour nos appellations d’origine protégée (AOP), mais surtout pour nos éleveurs bovins ! Dire le contraire, c’est mentir et souffler sur les braises.
M. Jean-Claude Tissot. C’est faux !
M. Emmanuel Capus. Le rapporteur pour avis l’a dit : l’agriculture canadienne est horrible, elle a des méthodes horribles, nous ne voulons pas de leurs produits. Or ces produits n’arrivent pas sur le marché européen, précisément parce que leurs méthodes ne sont pas bonnes ! (Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
Les Canadiens ont demandé l’autorisation d’utiliser de l’acide peracétique, mais nous la leur refuserons ! (Protestations sur diverses travées, l’orateur ayant dépassé son temps de parole.)
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Emmanuel Capus. Voilà ce qu’a dit Laurent Duplomb en conclusion de son intervention ! (Brouhaha.) Jamais les Canadiens ne changeront de méthode, jamais leur bœuf n’arrivera donc sur le marché européen ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Olivier Cadic applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous invite à respecter le temps de parole qui vous est imparti.
La parole est à M. Philippe Folliot, sur l’article.
M. Philippe Folliot. Mes chers collègues, il est des moments où l’émotion et la passion ne peuvent pas tout justifier.
M. Louis Vogel. C’est vrai !
M. Philippe Folliot. Le traité dont nous débattons n’est pas virtuel, il est appliqué depuis sept ans. Il est somme toute assez rare que nous légiférions sur un traité qui a déjà été mis en œuvre. Cela nous offre un certain recul pour analyser la réalité des choses.
Force est de constater que ce traité a donné de bons résultats dans les domaines économique et agricole, dans les filières laitière et viticole, mais aussi dans la filière bovine, dont il est particulièrement question aujourd’hui. Alors que 1 400 tonnes de viande bovine canadienne ont été importées dans l’Union européenne en 2023, 14 000 tonnes de viande européenne ont été exportées au Canada. La voilà la réalité !
Nous faisons face à un enjeu politique. Nos collègues communistes défendent une position logique et cohérente avec celle qui a toujours été la leur, je rends hommage à leur constance ; en revanche, mes chers collègues du groupe socialiste et du groupe Les Républicains, permettez-moi de vous dire que ce n’est pas en faisant la course à l’échalote avec les extrêmes (Mme Cécile Cukierman s’exclame.), vous qui êtes issus de partis de gouvernement, que vous gagnerez en crédibilité politique !
M. Pascal Savoldelli. C’est hors sujet !
M. Philippe Folliot. En rejetant ce traité, nous engagerons la responsabilité de la France, qui a toujours été favorable à la construction européenne – comme vos partis respectifs –, et nous enverrons un message négatif à la communauté internationale. C’est particulièrement dommage ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, sur l’article.
M. Didier Marie. Je souhaite que « cette politique commerciale soit profondément renouvelée, profondément changée. Je ne veux pas de nouvelles discussions commerciales avec les règles d’hier, qui nous ont conduits à ces situations absurdes que nous avons aujourd’hui sur l’accord entre l’Europe et le Canada. »
« Nous avons besoin d’avoir une transparence des négociations et de la mise en œuvre des accords commerciaux. Nous avons besoin d’une exigence sociale et environnementale dans nos débats commerciaux. Et nous avons besoin d’une réciprocité en créant un procureur commercial européen, chargé de vérifier le respect des règles, par nos concurrents, et de sanctionner sans délai toute pratique déloyale. »
Ces mots ne sont pas les miens : ce sont ceux d’Emmanuel Macron, qu’il a prononcés lors de son discours à la Sorbonne en 2017.
Mme Sophie Primas. C’est loin…
M. Didier Marie. Sept ans plus tard, j’invite tous ceux qui soutiennent le Ceta à s’inspirer de ces propos. Remettez cet accord en cause ! Il est déséquilibré, il est même absurde, selon le Président de la République.
Remettez-le en cause parce qu’il accroît fortement les échanges de biens et de services polluants, tels que les combustibles fossiles ; parce qu’il ne prévoit pas de conditionnalités tarifaires pour faire respecter des critères de durabilité dans les modes de production ; parce qu’il ouvre de nouvelles voies au Canada et à ses industriels pour peser contre le renforcement des législations européennes en matière sanitaire ou environnementale.
Remettez-le en cause parce que le tribunal arbitral, un tribunal ad hoc, permettra aux entreprises d’attaquer nos normes.
Votez contre le Ceta, votez pour les amendements de suppression de l’article 1er ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, sur l’article.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. À l’issue de la discussion générale, M. Théophile, qui présidait la séance ce matin, a indiqué que, la commission n’ayant pas élaboré de texte, nous allions examiner les articles du projet de loi adopté par l’Assemblée nationale. Voilà qui est très intéressant !
Lors de la discussion de l’article 1er, de l’article 2 et de l’ensemble du texte en commission des affaires étrangères, commission saisie au fond, il s’est trouvé une majorité pour adopter un amendement de suppression de l’article 1er ; mais, étonnamment, il ne s’est pas trouvé de majorité pour adopter le projet de loi ainsi modifié. Les mêmes personnes étaient pourtant présentes dans la salle…
Cette discordance montre que certains de nos collègues ressentent manifestement un malaise : ils sont conscients de l’intérêt du Ceta, mais font peut-être, ici et là, l’objet d’amicales pressions.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Les pressions, c’est dans les deux sens !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Voilà qui montre aussi qu’il est nécessaire de travailler au fond ; tel était d’ailleurs l’objet de la motion de renvoi en commission.
J’en viens à deux points liés au texte.
Pour ce qui concerne le règlement des différends, notre collègue Didier Marie me semble vivre dans le monde d’avant la modification du Ceta. Je rappelle en effet que nous avons obtenu une forme de veto climatique, qui a été endossé par la France, le Canada et l’Union européenne ! Il permettra d’éviter que soient remises en cause des dispositions réglementaires et législatives voulues par les États.
Pour ce qui concerne les craintes en matière agricole, le Ceta inclut très clairement et explicitement une clause de sauvegarde. Cela signifie que jamais le Canada ne pourra, d’un coup d’un seul, exporter 65 000 tonnes vers l’Union européenne. Le cas échéant, nous pourrions déclencher cette clause et ainsi éviter de déséquilibrer notre marché. Je tenais à le souligner.
M. Philippe Folliot. Bien sûr !
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, sur l’article.
M. Yan Chantrel. Je prends la parole, car j’ai été nommément interpellé par le ministre. De plus, s’il y a bien une personne dans cette chambre qui est attachée à l’amitié entre nos deux pays, pour des raisons personnelles et en tant que président du groupe d’amitié France-Canada, c’est bien moi.
Monsieur le ministre, réduire la relation entre la France et le Canada à un accord commercial est une insulte pour nos partenaires. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K. – Mme Anne-Catherine Loisier et M. Laurent Somon applaudissent également.)
En raison des liens historiques entre nos deux pays, de nos échanges universitaires et culturels, de la langue que nous avons en commun, nous sommes des peuples amis et, entre amis, nous pouvons nous dire les choses d’égal à égal.
Monsieur le ministre, la responsabilité de la dégradation éventuelle de cette relation vous revient ! (M. le ministre délégué ironise.) Pourquoi ? Parce que vous avez souhaité contourner le Parlement et que, ce faisant, vous avez contourné le peuple. Il s’agit d’un déni de démocratie particulièrement scandaleux. Vous portez une responsabilité dans ce débat, que vous devez assumer.
Mes chers collègues, il y avait des échanges économiques entre la France et le Canada avant cet accord ; il y en aura aussi après ; il y en a toujours eu ! Le rejet du Ceta ne mettra pas fin aux relations économiques entre nos deux pays. Soyons raisonnables ! Mais des règles fondamentales doivent être respectées, en matière environnementale ou sociale, ou encore s’agissant des tribunaux d’arbitrage, ces derniers ne respectant ni le Parlement ni nos règles juridiques.
Tel est le sens de notre message, qui n’est en rien un message de défiance. Notre amitié pour le Canada est profonde, nous respectons pleinement les Canadiens.
Notre vote ne sera pas entièrement négatif, puisque nous voterons l’article 2 du texte.
M. le président. Mon cher collègue, il faut conclure.
M. Yan Chantrel. Nous souhaitons envoyer un message de paix et de respect à notre partenaire. Tel est le sens de notre vote. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, sur l’article.
M. Henri Cabanel. Monsieur le ministre, j’aimerais que vous répondiez à la question que j’ai posée lors de la discussion générale sur les réserves de notre collègue Annick Girardin concernant les zones économiques exclusives ; si ces réserves n’étaient pas levées, le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon se retrouverait enclavé.
En ce qui concerne l’agriculture, mes chers collègues, nous ne pouvons nier que deux modèles s’opposent : d’un côté, un modèle d’agriculture intensive, de l’autre, un modèle d’agriculture plutôt familial. Surtout, nos normes diffèrent. Selon le règlement européen, tout ce qui n’est pas autorisé est interdit. De l’autre côté de l’Atlantique, il en va tout autrement : tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. Les règles sont tout à fait différentes.
Je comprends certains de mes collègues, élus de départements où la viticulture prédomine. Je suis moi-même élu d’un département viticole et vigneron.
Cependant, mes chers collègues, nous ne pouvons parler de souveraineté agricole à travers le seul prisme de l’agriculture française. Dans la ferme France, toutes les filières doivent être absolument solidaires les unes des autres.
Nous ne pouvons affirmer que cet accord ne comporte pas de risques pour la filière de la viande bovine. Je tiens à rappeler que nous avons utilisé tous les quotas dont nous disposions. Les Canadiens, pour leur part, n’en ont épuisé aucun ! Pour eux, la porte est grande ouverte. De plus, nous n’avons pas les mêmes intérêts : l’accord nous ouvre un marché de 40 millions de personnes, contre 300 millions pour eux.
Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas le Ceta.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, sur l’article.
M. Jean-Pierre Grand. Ce débat et les comportements auxquels nous assistons aujourd’hui sont très politiques. Oui, il s’agit bien d’un débat politique. Pour ma part, je voterai naturellement le Ceta.
Quand on voit, dans cet hémicycle, que nos collègues des groupes CRCE-K, SER, GEST et Les Républicains se sont alliés comme un seul homme contre le Ceta et contre nos intérêts fondamentaux…
M. Emmanuel Capus. Et Reconquête !
M. Jean-Pierre Grand. J’oubliais Reconquête !
M. Emmanuel Capus. Et le Rassemblement national !
M. Jean-Pierre Grand. En effet, même s’ils ne sont pas présents aujourd’hui, notre assemblée compte aussi des élus du Rassemblement national.
Bref, permettez-moi de vous dire qu’aujourd’hui est un très grand jour, une belle victoire pour Jordan Bardella. (Vives protestations sur les travées du groupe SER. – Mme Audrey Linkenheld et M. Thomas Dossus s’offusquent. – M. Emmanuel Capus applaudit.)
Quand je vois que mes collègues et ma famille politique sont contre le libre-échange, franchement, cela m’agace !
Je vous donnerai deux chiffres : dans ma région du Languedoc-Roussillon, quatre millions d’hectolitres de vin sont stockés dans les cuves, tandis que quatre autres millions d’hectolitres arrivent d’Espagne. Nous avons aujourd’hui d’autres priorités que de saborder nos relations avec le Canada !
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, sur l’article. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. Olivier Cadic. Si je vote l’article 1er, pour autoriser la ratification du Ceta, c’est d’abord dans l’intérêt supérieur de la France, comme je l’ai expliqué lors de la discussion générale.
C’est ensuite parce que lors de mon premier déplacement à Montréal, en janvier 2015, les entrepreneurs français implantés au Canada m’ont demandé de soutenir le Ceta, ce traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. Cela est devenu ma priorité d’action pour ce pays.
Je le fais également pour soutenir la chambre de commerce France-Canada, présidée par M. Daniel Jouanneau, qui m’a écrit : « Le Ceta offre aux entreprises européennes un bien plus large accès aux marchés publics, dont les sociétés françaises ont su tirer parti.
« Avant le Ceta, seuls les marchés publics fédéraux étaient ouverts à la concurrence européenne. Or les marchés provinciaux et municipaux, désormais accessibles, sont très importants pour nous, car ils concernent des domaines dans lesquels les technologies françaises sont très performantes et correspondent aux besoins canadiens.
« Derichebourg a remporté cinq contrats de collecte des déchets ménagers à Montréal et sa banlieue pour 41 millions de dollars. Alstom équipera le Grand Toronto de rames de trains de banlieue pour un contrat de 118 millions de dollars. Le Ceta favorise ces entreprises. Stellantis construit en Ontario une méga-usine de batteries pour véhicules électriques. Michelin lance un nouveau projet de 300 millions de dollars canadiens dans ses usines en Nouvelle-Écosse. Thales a créé au Nouveau-Brunswick un centre national d’excellence numérique. Sanofi investit 600 millions d’euros dans la construction d’une nouvelle usine de vaccins à Toronto, pour les marchés du Canada, des États-Unis et de l’Union européenne. »
Mme Sophie Primas. Et ça ne s’arrêtera pas !
M. Olivier Cadic. Plus de mille entreprises françaises, dont une majorité de PME, que certains prétendent ici défendre, ont aujourd’hui une filiale au Canada.
Ces entreprises, ces entrepreneurs nous observent. Je vous demande donc de voter pour le Ceta pour favoriser le développement des relations économiques entre nos deux pays. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. Emmanuel Capus. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Franck Dhersin, sur l’article.
M. Franck Dhersin. Je ne voterai jamais l’accord avec le Mercosur, voilà qui est très clair. Quant au Ceta, si je reconnais qu’il n’est pas parfait, il n’est pas non plus déséquilibré.
Au salon de l’agriculture, beaucoup d’agriculteurs m’ont dit que cet accord était très important pour eux, parce qu’il leur permet de vendre du fromage, des produits agricoles et du vin au Canada. Non seulement il n’est pas déséquilibré, mais il est aussi profitable à la France. Il est bon pour la France, il est bon pour notre souveraineté.
Voulons-nous nous retrouver dans la même situation que l’Allemagne, qui a décidé d’arrêter sa production nucléaire et se retrouve prisonnière du gaz russe ? Voulons-nous, demain, nous retrouver dans la même situation pour les minerais ?
Je suis pour cet accord, pour la défense des intérêts de la France, pour la défense de notre souveraineté.
M. Yannick Jadot. Mais contre le climat !
M. Franck Dhersin. Il est normal que notre débat soit politique, mais il n’aurait pas dû devenir politicien. Il l’est devenu parce que nos amis communistes ont choisi le bon moment, à la veille des élections européennes, pour relancer le sujet.
M. Yannick Jadot. Mais c’est un beau sujet européen !
M. Franck Dhersin. J’ai entendu les grands élans de gaullisme de nos amis communistes s’adressant à nos non moins amis Les Républicains. Avec eux, je dis : « Vive le Ceta libre ! » (Applaudissements sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Alexandre Ouizille, sur l’article.
M. Alexandre Ouizille. Nous devrions nous rassembler sur un point : l’État ne peut pas renoncer à ses tribunaux, à ses juges, au fait que l’autorité judiciaire dépende du giron public. Or c’est ce à quoi nous renoncerions si nous autorisions l’organisme de règlement des différends !
Les investisseurs européens, eux, continuent à relever des tribunaux français. Vous instituez donc une forme de discrimination à l’égard des acteurs européens. C’est inacceptable !
Par ailleurs, on nous parle de façon très solennelle de l’intérêt supérieur de la Nation. Peut-on arrêter la blague deux minutes ? On estime que le taux de croissance dans l’Union européenne sera de 0,01 % à l’horizon de 2035 et que les filières auront été totalement déstructurées, comme tous nos collègues l’ont très bien dit. Arrêtez donc les grands discours !
Enfin, j’ai entendu l’argument sur le Rassemblement national. C’est justement parce que nous n’avons jamais réécrit la grammaire de la mondialisation, parce que nous n’avons jamais dit que les questions sanitaires et environnementales prévalaient sur les questions commerciales, que tout n’était pas soumis à l’intérêt commercial, que nous en sommes au point où nous en sommes. Arrêtez de nous renvoyer au Rassemblement national, auquel nous essayons d’échapper par tous les moyens ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, sur l’article. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Élisabeth Doineau. Mon collègue trouve ce baroque. Il est vrai qu’il est empreint d’une certaine irrationalité.
Dans le département dont je suis élu, l’accord du Ceta est plutôt très favorable non seulement à l’agriculture, mais aussi à l’industrie. Ne jetons donc pas le bébé avec l’eau du bain. Nous devrions être capables, les uns et les autres, d’examiner les incidences de cet accord dans l’ensemble de nos territoires.
S’il existe deux raisons de ne pas voter cet accord, il existe aussi une multitude de raisons de le voter ! La filière du lait a été valorisée, et les ventes de fromages ont été multipliées par deux en volume. Nous devons regarder les choses précisément.
La fièvre et la passion peuvent nous saisir, mais nous devons examiner la situation de manière très rationnelle.
Certains déplorent que la version d’origine du Ceta ne contienne pas de clauses miroirs ; or il n’en était nullement question lorsque le traité a été rédigé. C’est un peu comme si l’on déplorait aujourd’hui ne pas avoir traité la question de l’impact des écrans sur la vie de nos enfants il y a dix ans alors qu’ils n’avaient pas de tablette à l’époque ! Discutons des clauses miroirs aujourd’hui, mais ne disons pas qu’elles relèvent du traité d’origine. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Je reviens sur le caractère irrationnel de notre débat. Chacun le sait, la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) travaille sur la fiscalité comportementale. Beaucoup d’entre vous me disent de ne pas augmenter les taxes sur l’alcool : or ce sont les mêmes qui, aujourd’hui, ne veulent pas voter le Ceta, alors que les exportations d’alcool ont augmenté. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
Demande de clôture
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, sur le fondement de l’article 38 du règlement, je demande la clôture des prises de paroles sur l’article 1er.
Je veux dire un mot, car cet article 38 du règlement est très peu utilisé.
Nous avons ici, au Sénat, un gentlemen’s agreement : lors des niches parlementaires, nous nous interdisons toute obstruction afin de respecter les initiatives des différents groupes ; or, depuis ce matin, la volonté d’obstruction est manifeste ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE-K.)
Les uns et les autres ont pu s’exprimer. D’ailleurs, nous entendons chacun répéter, comme si le disque était rayé, les mêmes arguments.
Je vous prie donc, monsieur le président, de bien vouloir soumettre au vote cette demande de clôture, au titre de l’article 38 de notre règlement.
M. le président. Je suis saisi par M. Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, d’une demande de clôture de la discussion de l’article 1er.
En application de l’article 38 de notre règlement,…
M. Emmanuel Capus. Le Sénat ne peut plus s’exprimer ! (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. … la clôture de la discussion peut en effet être proposée lorsque au moins deux orateurs d’avis contraire sont intervenus, ce qui est le cas.
Aux termes du même article, la parole est donnée à un orateur par groupe qui le demande et à un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Claude Malhuret. Monsieur le Président, qu’entendez-vous par clôture ? Est-ce une clôture immédiate ou aura-t-elle lieu après l’intervention des orateurs inscrits pour prendre la parole sur l’article ?
M. le président. Si le Sénat l’adopte, la clôture sera immédiate. Il ne sera plus possible de prendre la parole sur l’article 1er.
M. Claude Malhuret. Ah ! D’accord… (Rires.)
Je pensais pourtant que nous avions tout notre temps… (Mme Valérie Boyer s’exclame.) Il nous avait en effet été expliqué que la discussion de ce projet de loi de ratification dans le cadre d’une niche parlementaire n’était nullement une manière d’examiner le texte à la va-vite. Au contraire, cette niche devait nous permettre d’avoir tout le temps de débattre !
Mme Valérie Boyer. Cela fait sept ans que l’on discute !
M. Claude Malhuret. Je ne comprends absolument pas comment M. Retailleau peut parler d’obstruction. Il n’y a pas eu la moindre manœuvre en ce sens ! (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ça ne vous a pas gêné pendant les retraites !
M. Claude Malhuret. Les orateurs se sont simplement succédé pour s’exprimer, comme ils en ont parfaitement le droit. Ils disposent encore d’une heure pour le faire… Je ne vois pas en quoi on ferait de l’obstruction !
L’obstruction est le fait de ceux qui veulent nous empêcher de parler ! (Très vives protestations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ça, c’est la meilleure !
M. Claude Malhuret. Nous allons devoir voter sur ce texte sans pouvoir exprimer notre désaccord.
Je vous signale que, pendant que M. Retailleau était en train de parler, j’avais moi-même demandé à être inscrit sur la liste des orateurs souhaitant prendre la parole sur l’article, mais cela n’a pas été fait. Je vous demande donc, monsieur le président, de bien vouloir m’inscrire sur cette liste, si toutefois il est encore possible de s’exprimer…
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (On conteste le droit de l’orateur à s’exprimer sur des travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. En vertu du deuxième alinéa de l’article 38 du règlement, un orateur par groupe peut s’exprimer sur la demande de clôture. Un orateur s’est exprimé pour le groupe INDEP, je le fais pour le groupe RDPI. (Vives protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. le président. Mes chers collègues, seul M. Lemoyne a la parole !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Je m’exprime à présent non pas sur l’article 1er, mais en tant qu’orateur du groupe RDPI pour donner notre avis sur la demande de clôture de notre collègue Bruno Retailleau, conformément au deuxième alinéa de l’article 38.
Je trouve étonnant que l’article 38 soit invoqué dès la troisième heure de nos débats. Je rappelle que, lors de précédents débats sur des sujets importants – je pense à la réforme des retraites –, cet article n’avait été utilisé qu’après des jours et des jours. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Céline Brulin. Il s’agissait d’un texte du Gouvernement !
M. Pascal Savoldelli. Aujourd’hui, c’est une niche parlementaire !
M. le président. Laissez l’orateur s’exprimer, s’il vous plaît !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Ce n’est pas parce que le texte est discuté dans le cadre d’un ordre du jour réservé qu’il faut bâcler son examen ! (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
À vous entendre, nous discutons de sujets à plusieurs milliards d’euros. Le Ceta a des effets très positifs sur certaines filières, mais des craintes sont exprimées. Il est donc important d’aller au bout du débat.
M. Laurent Somon. Vous n’avez pas eu le temps, en sept ans ? (M. Éric Bocquet applaudit.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Pour notre part, nous considérons que le recours à l’article 38 est bien trop prématuré et qu’il y a lieu de continuer à débattre, afin d’éclairer pleinement cette assemblée.
Voilà, monsieur le président, ce que je tenais à dire !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité, de la francophonie et des Français de l’étranger. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a été beaucoup attaqué ; certains ont parlé de déni de démocratie, alors qu’il n’en est rien. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Plusieurs sénateurs du groupe CRCE-K. Et les retraites ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Chacun jugera la façon dont le Sénat clôt le débat sur cet article 1er.
Monsieur Gay, vous parlez de déni de démocratie, mais les textes européens prévoient bien évidemment que, avant d’être ratifiés par tous les parlements, les accords peuvent être mis en œuvre provisoirement. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Céline Brulin. Du provisoire pendant sept ans !
M. Franck Riester, ministre délégué. C’est ce que nous avons souhaité. Cela nous permet de disposer de tous les éléments… (Les protestations redoublent sur les travées du groupe CRCE-K.)
Enfin, le ministre peut-il parler ? (M. Fabien Gay s’insurge.)
M. le président. Mes chers collègues, la parole est à M. le ministre délégué !
M. Franck Riester, ministre délégué. Cela permet à chacune et à chacun d’être suffisamment informé et de pouvoir prendre une décision en conscience.
En la matière, les résultats sont clairs. Ils ont été rappelés à l’instant par de nombreux sénateurs et de nombreuses sénatrices. Le bilan du Ceta est bon à tous points de vue pour notre pays, notamment pour nos agriculteurs.
Mme Céline Brulin. Eh bien, votons, pas de problème !
M. Franck Riester, ministre délégué. Monsieur le sénateur Ouzoulias, nous sommes d’accord sur certains sujets, mais pas sur les questions économiques, vous le savez. Nous pensons que nous avons besoin d’exportations et de commerce international pour notre économie (Protestations sur les travées du groupe GEST.) ; vous pensez l’inverse. Vous les communistes, vous êtes cohérents avec les positions que vous avez toujours défendues.
Je ne dirai pas la même chose des sénateurs de droite qui, je le découvre aujourd’hui, soutiennent désormais les thèses économiques et commerciales des communistes… (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE-K. – Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Sophie Primas. Et ça continue…
M. Franck Riester, ministre délégué. … en s’opposant à un accord qui permet à nos entreprises d’exporter, d’échanger, de créer de la valeur et de l’emploi partout en France. (Très vives protestations sur les mêmes travées.)
Monsieur Retailleau, je ne vous fais pas de procès d’intention, je ne vous donne pas de leçons, je constate simplement que, en la matière, vous associez vos discours et vos votes à ceux des communistes.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Et alors ?
M. Max Brisson. Et à ceux de de Gaulle !
M. Franck Riester, ministre délégué. Monsieur le sénateur Duplomb, monsieur le sénateur Jadot, vous nous avez dit avec beaucoup de conviction que c’était un scandale de soutenir un accord qui ne comprenait pas de clauses miroirs pour éviter l’importation de bœuf nourri aux hormones ou traité aux antibiotiques. Monsieur Jadot, il y a des clauses miroirs dans la législation européenne ! (M. Jadot ironise.) Eh oui !
M. Fabien Gay. Vous allez parler pendant une heure, monsieur le ministre ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Ces clauses ne sont certes pas incluses dans l’accord du Ceta, mais elles figurent dans la législation européenne, qui s’applique à toutes les importations en provenance de tous les pays hors de l’Union européenne. (On le conteste sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.) Elles s’appliquent donc aussi aux importations de pays avec lesquels nous avons des accords commerciaux.
Mme Céline Brulin. Arrêtez, monsieur le ministre !
M. Franck Riester, ministre délégué. Et cela s’applique donc au Canada, monsieur Jadot. (M. Yannick Jadot le nie.) Vous pouvez dire non, mais c’est la vérité !
C’est précisément la raison pour laquelle, monsieur Jadot, il n’y a pas d’importation de bœuf canadien en Europe. Les mesures miroirs empêchent de telles importations. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – Vives protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
Vous qui avez été député européen, étudiez la législation européenne avant de dire, devant l’assemblée ici réunie, qu’il n’existe pas de mesure empêchant l’importation de bœuf aux hormones dans l’Union européenne !
Monsieur Jadot, vous nous avez dit que nous étions hypocrites, mais c’est vous qui l’êtes ! (Vives protestations sur les travées du groupe GEST.) Vous dites oui au Canada, mais non au Ceta !
Monsieur Jadot, monsieur Chantrel, comment pensez-vous que les Canadiens prendront la décision du Sénat s’il refusait d’autoriser la ratification de cet accord (Les protestations redoublent sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.), après que vous avez dit pis que pendre sur leur compte, critiqué leurs règles en matière d’environnement, de droits sociaux ou de tribunaux d’arbitrage ? (Les protestations couvrent la voix du ministre.)
Les Canadiens sont nos grands partenaires…
M. le président. Chers collègues, laissez M. le ministre délégué s’exprimer ! Nous ne pouvons pas continuer à travailler dans de telles conditions !
M. Franck Riester, ministre délégué. Les Canadiens et les Québécois sont nos grands partenaires, à l’échelon international, pour défendre l’environnement, les droits humains et les droits sociaux. Et aujourd’hui vous leur faites la leçon et leur reprochez de ne respecter ni les règles environnementales ni les règles du droit social ? Comment est-il possible de dire des choses pareilles, monsieur Jadot ? (Vives protestations contre la durée de l’intervention du ministre.)
M. Pascal Savoldelli. Incroyable ! Un ministre qui provoque tout l’hémicycle !
M. le président. Mes chers collègues, j’applique le règlement du Sénat : le temps de parole du ministre n’est pas limité. (Mme Silvana Silvani, M. Pascal Savoldelli et M. Didier Marie protestent.)
M. Yannick Jadot. Il ne va tout de même pas parler jusqu’à seize heures !
M. le président. M. le ministre délégué a la parole, et lui seul, conformément au règlement du Sénat.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué. Monsieur le sénateur Marie, vous avez cité les propos qu’a tenus le Président Macron lors de son discours à la Sorbonne en 2017 et rappelé qu’il souhaitait la création d’un procureur commercial européen. Vous dites qu’il est scandaleux que ce procureur n’ait pas été nommé. Or c’est faux, monsieur Marie, c’est fait ! (M. Jean-Baptiste Lemoyne acquiesce.) Il y a bien un procureur commercial européen, c’est M. Denis Redonnet, un Français. Il a même été auditionné par le Sénat il y a quelques jours ! (M. Martin Lévrier applaudit.)
Monsieur le sénateur, depuis le début de ce débat, nous faisons face à une accumulation d’inexactitudes, pour ne pas dire de contre-vérités, tout simplement parce qu’aucun argument de fond ne justifie que l’on s’oppose à la ratification de cet accord avec le Canada. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)
Les communistes…
Mme Cathy Apourceau-Poly. Vous l’avez déjà dit !
M. Franck Riester, ministre délégué. … et les socialistes, avec le soutien des sénateurs du groupe Les Républicains, font un coup en pleine campagne électorale européenne, au détriment de l’intérêt général, au détriment des viticulteurs, au détriment des agriculteurs, des producteurs de lait et des fabricants de fromages, au détriment de toutes les entreprises de ce pays qui exportent au Canada. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour le groupe Union Centriste. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Il a déjà parlé !
M. Olivier Cadic. Monsieur le président, je vais devoir vous demander une suspension de séance. Quinze prises de parole se sont succédé contre le Ceta, et il semble qu’aux yeux de M. Retailleau nous ayons trop discuté et que le débat doive s’interrompre : apparemment, ceux qui ne partagent pas sa position ne peuvent pas s’exprimer. (Mmes Sophie Primas et Cécile Cukierman s’exclament.)
Voilà qui pose un problème, car la majorité du Sénat, jusqu’à preuve du contraire, se compose de deux groupes. Les membres de celui auquel j’appartiens ont donc besoin de se réunir autour de leur président, car le sujet l’exige. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pascal Savoldelli. Où est-il, le président du groupe centriste ?
M. le président. Monsieur Cadic, je vous accorde une suspension de séance de cinq minutes. Elle ne sera pas décomptée du temps de débat dévolu à la niche. (Marques d’approbation sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Pascal Savoldelli. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quinze, est reprise à quinze heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
La parole est à M. Joshua Hochart, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Joshua Hochart. En application de l’article 38 du règlement, demande est faite de clore le débat. Même si, pendant cette discussion, Jordan Bardella, Marine Le Pen et le Rassemblement national ont été plus que largement cités, voire loués – je vous en remercie, mes chers collègues –, nous n’avons pas encore eu la parole.
Mme Audrey Linkenheld. Il fallait la demander !
M. Joshua Hochart. Si mes collègues du groupe Les Républicains, ainsi d’ailleurs que ceux du groupe socialiste, veulent abréger le débat, c’est peut-être pour passer sous silence qu’ils sont ici souverainistes comme Barrès et là – à Bruxelles – mondialistes comme von der Leyen : leurs homologues au Parlement européen ont voté tous les traités de libre-échange de concert avec leurs alliés macronistes. Vous pouvez bien nous faire taire ici au Sénat, mais vous ne sauriez camoufler votre forfaiture à nos compatriotes.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Quel rapport avec l’article 38 ?
M. Joshua Hochart. Les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe n’ont pas eu la parole sur l’article 1er…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. M. Ravier s’est exprimé en discussion générale !
M. Joshua Hochart. … je vous demande donc à tout le moins, monsieur le président, que nous puissions intervenir sur cet article ou, à défaut, de nous donner la parole en priorité sur l’article 2.
M. le président. Je rappelle que c’est de la demande de clôture que nous discutons, mon cher collègue.
Conformément à l’alinéa 3 de l’article 38 du règlement, je consulte le Sénat, à main levée, sur la demande de clôture.
M. Jean-Pierre Grand. Communistes et LR, main dans la main !
M. Emmanuel Capus. Invraisemblable ! (Exclamations sur des travées du groupe SER.)
(La clôture est prononcée.)
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, je fais ce rappel au règlement sur le fondement de l’article 36, dont les dispositions valent pour l’application de l’article 38.
Ce qui vient de se passer est totalement incompréhensible : l’interprétation qu’a faite M. Retailleau des règles qui encadrent le déroulement des niches est totalement invraisemblable.
Quant au procès qui nous a été fait, il est parfaitement inacceptable : lorsque le compte rendu des débats aura été publié, on y verra qu’il y a eu beaucoup – beaucoup ! – plus de prises de parole contre le Ceta que pour le Ceta.
Pour ma part, je ne suis intervenu jusqu’à présent qu’une seule fois ; il est donc vraiment insultant de dire que nous avons fait de l’obstruction, alors même que nous aurions pu déposer des amendements ou multiplier les rappels au règlement. Nous n’avons rien fait de tout cela ! Le procès d’intention qui nous est fait est donc, j’y insiste, parfaitement inacceptable.
Mme Céline Brulin. C’est un procès stalinien…
M. Emmanuel Capus. M. Retailleau fait référence à l’existence d’un gentlemen’s agreement concernant les niches. Mais, vous le savez parfaitement, mon cher collègue, ce gentlemen’s agreement ne vaut que pour les textes d’initiative parlementaire. Or, en l’espèce, nous ne sommes absolument pas dans ce cas de figure ; sinon, jamais vous n’auriez accepté que M. Marseille dépose une motion de renvoi en commission, car c’eût été une violation de ce gentlemen’s agreement. Tel n’est évidemment pas le cas, puisque cet accord tacite, je le répète, ne concerne que les propositions de loi. (M. Bruno Retailleau le conteste.)
Les socialistes sont certes à l’origine de ce traité, qui a été négocié par le président Hollande ; les communistes, eux, n’ont jamais négocié le Ceta et n’en sont pas du tout à l’origine.
Mme Cécile Cukierman. Arrêtez de gagner du temps !
M. Emmanuel Capus. C’est donc un mauvais procès que vous faites à tous les groupes qui ont exprimé leur opinion et à notre collègue Hervé Marseille, qui a déposé une motion de renvoi en commission tout à fait conforme à nos gentlemen’s agreements. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – Mme Cécile Cukierman proteste.)
Article 1er (suite)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L’amendement n° 2 est présenté par M. Gay, Mmes Gréaume, Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
L’amendement n° 3 est présenté par MM. Marie, Temal, Tissot, Montaugé et Kanner, Mme Carlotti, MM. Darras et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Vayssouze-Faure et M. Vallet, Mmes Blatrix Contat, Daniel et Linkenheld, M. M. Weber et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 5 est présenté par M. Allizard, au nom de la commission des affaires étrangères.
L’amendement n° 6 est présenté par M. Duplomb, au nom de la commission des affaires économiques.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 2.
M. Fabien Gay. Depuis le début de notre débat, nous sommes d’accord pour dire qu’il s’agit d’une question démocratique. Il faut donc aller au bout de l’examen de ce texte que nous avons inscrit à l’ordre du jour de cette niche parlementaire.
Je retire par conséquent mon amendement, sans préjuger de ce que décideront pour leur part ceux de mes collègues qui ont déposé des amendements identiques ; cela nous permettra d’en arriver plus rapidement au vote sur l’article 1er. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. le président. L’amendement n° 2 est retiré.
La parole est à M. Didier Marie, pour présenter l’amendement n° 3.
M. Didier Marie. Il est retiré également, monsieur le président. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. L’amendement n° 3 est retiré.
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 5.
M. Pascal Allizard, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Je retire cet amendement et vous propose, mes chers collègues, de voter contre l’article 1er. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. L’amendement n° 5 est retiré.
La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour présenter l’amendement n° 6.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Il est retiré ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. L’amendement n° 6 est retiré.
M. Fabien Gay. En avant !
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour explication de vote sur l’article 1er.
M. Martin Lévrier. Au risque de vous surprendre, mes chers collègues, je commencerai par remercier le groupe communiste d’avoir inscrit ce sujet à l’ordre du jour de sa niche.
J’aurais souhaité néanmoins que la motion de renvoi en commission déposée par le groupe Union Centriste soit votée à l’unanimité. À voir le tour qu’ont pris nos débats depuis ce matin et considérant l’importance de ce traité, je me dis que le Sénat a manqué une occasion extraordinaire de travailler réellement en profondeur un sujet qui, je le précise, n’a pas trait qu’à l’agriculture.
J’ai un profond respect pour les agriculteurs, et pour toutes sortes d’agricultures ; mais le Ceta ne traite pas que de l’agriculture, loin de là. Or je constate que 90 % des interventions, depuis le début de cette discussion, porte sur cette question : nos débats sont exclusivement centrés sur l’agriculture, et encore, sur une partie seulement de l’agriculture. Autrement dit, nous serions prêts à rejeter un traité simplement parce que nous voulons « protéger » quelques-uns d’entre nous au détriment de la majorité.
L’un de nos collègues a expliqué qu’un accord n’est gagnant pour l’agriculture que si toute l’agriculture française y gagne. Mais un bon accord gagnant-gagnant est par définition un accord auquel tout le monde gagne : la France, l’Europe et le Canada. Un accord dans lequel la France serait gagnante sur tout ne serait tout simplement pas un accord commercial ! (Mme Sophie Primas s’exclame.)
Je regrette profondément ce qui est en train de se passer via la mise en œuvre de l’article 38 de notre règlement. M. Capus a raison, les prises de parole ont été majoritairement le fait de ceux de nos collègues qui sont contre le Ceta ; je ne comprends donc pas ce déni de démocratie !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Cette explication de vote avait pourtant bien commencé…
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote sur l’article 1er.
Mme Cécile Cukierman. Je considère que notre collègue rapporteur de la commission des affaires étrangères, Pascal Allizard, est intervenu contre l’article 1er, quand notre collègue Martin Lévrier a exprimé l’avis contraire.
Monsieur le président, sur le fondement de l’article 38 du règlement, je demande donc la clôture des explications de vote sur l’article 1er. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Guillaume Gontard applaudit également.)
M. le président. Madame Cukierman, sauf à vous être désagréable, aucun orateur ne s’est encore exprimé contre l’article 1er.
Mme Audrey Linkenheld. Si ! Il y a eu un « pour » et un « contre » !
Mme Cécile Cukierman. M. le rapporteur vient de le faire.
M. le président. Il n’a fait que retirer un amendement, ma chère collègue.
Mme Cécile Cukierman. Qu’un autre orateur intervienne contre l’article 1er ne me pose aucun problème, monsieur le président !
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Continuons !
Mme Cécile Cukierman. Il me semble néanmoins avoir entendu dans cet hémicycle un orateur appelant nos collègues à voter pour l’article 1er et un autre orateur appelant à voter contre. Je réitère par conséquent ma demande de clôture, monsieur le président, les conditions fixées par l’article 38 de notre règlement étant satisfaites.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Et nous pourrons passer au vote…
M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart, pour explication de vote sur l’article 1er.
M. Roger Karoutchi. Il est contre quoi, lui ? (Sourires.)
M. Joshua Hochart. Le rapporteur est bel et bien intervenu pour retirer un amendement et non pour expliquer son vote sur l’article 1er : voilà une énième démonstration de la tendance qu’ont certains de nos collègues à vouloir clore les débats de manière anticipée !
Je veux tout d’abord vous remercier, mes chers collègues, de nous avoir régulièrement cités, en évoquant qui Marine Le Pen, qui Jordan Bardella, qui le Rassemblement national,…
M. Patrick Kanner. Toujours la même antienne…
M. Joshua Hochart. … pour notre constance à nous opposer au Ceta, dont ne peuvent certes pas se prévaloir tous les sénateurs ici présents.
Au moment où tous les indicateurs macroéconomiques laissent penser que la mondialisation heureuse touche à sa fin, diagnostic partagé jusqu’au cœur des grandes institutions régulant le commerce international, nous avons enfin ici l’occasion de nous prononcer sur un accord commercial dangereux pour notre agriculture, pour nos entreprises et pour le climat.
Mes chers collègues, c’est le drame de ce débat, nous discutons d’un accord qui, sans l’aval du Parlement français ni d’une dizaine d’États européens, est déjà en vigueur depuis 2017 et sur lequel l’Assemblée nationale s’était prononcée il y a déjà cinq ans.
En effet, trop heureux de sacrifier nos agriculteurs sur l’autel du libre-échange, les gouvernements macronistes font fi de la représentation nationale ; pis, monsieur le ministre : par vos interventions, vous la méprisez.
De crise des « gilets jaunes » en crises agricoles, le Gouvernement persiste dans une vision dépassée et mortifère du libre-échange, alors que les Français des villes comme des champs réclament une protection réelle de leurs emplois et de leur pays.
Si nous nous félicitons que la chambre haute semble enfin s’élever contre l’adoption de ce traité, reste qu’il est facile de jouer aux souverainistes au Palais du Luxembourg et d’abandonner ces principes à Bruxelles. Les accords de libre-échange y ont tous – tous ! – été votés par les groupes de la droite, des socialistes et des libéraux. Il est aisé d’être Barrès à Paris et von der Leyen à Bruxelles !
Le Sénat frappera fort en se levant contre cet abandon de souveraineté et ce sacrifice de nos agriculteurs. Les sénateurs du Rassemblement national, en tout cas, s’y opposeront, comme toujours. Vous vouliez un avis contre ? En voilà un, mes chers collègues.
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’imaginais pas que nous en arriverions à cette situation sur un sujet comme celui qui nous occupe aujourd’hui.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Nous non plus !
M. Hervé Marseille. Tout a été organisé – je dis bien « organisé » – pour que l’emporte le vote contre. Mme Cukierman a fait allusion aux élections européennes, mais c’est vraiment parler de la corde dans la maison d’un pendu !
M. Pascal Savoldelli. Où étiez-vous tout à l’heure ?
M. Hervé Marseille. Vous voulez le savoir ? J’étais à l’hôpital pour traiter un problème médical. Vous voulez des précisions supplémentaires ?
M. Pascal Savoldelli. Dont acte.
M. Emmanuel Capus. La classe…
M. Hervé Marseille. Merci ! Je vois que le parti communiste ne perd pas ses habitudes, et même qu’elles se transmettent à d’autres ! (M. Martin Lévrier applaudit.)
Peut-on débattre ou non ? (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Tout a été organisé pour que le vote penche dans un certain sens ; le plus simple est donc que nous vous laissions entre vous. Je vais demander aux collègues du groupe Union Centriste de quitter l’hémicycle, puisque l’on ne peut plus parler : vous pourrez ainsi continuer tant que vous voudrez. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, RDPI et INDEP. – Mmes et MM. les sénateurs du groupe UC se lèvent et quittent l’hémicycle.)
M. le président. Je suis saisi par Mme Cécile Cukierman, présidente du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d’une demande de clôture des explications de vote sur l’article 1er.
En application de l’article 38 de notre règlement, la clôture peut en effet être proposée lorsque au moins deux orateurs d’avis contraire sont intervenus, ce qui est désormais le cas.
Aux termes du même article, la parole est donnée à un orateur par groupe qui le demande et à un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui, toutes les explications de vote sont bonnes à prendre : nous avons besoin d’être éclairés. (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.)
Vous le savez, ce texte a été signé le 30 octobre 2016. Ceux de nos collègues qui ont eu le bonheur, à un moment de leur vie, de siéger au conseil des ministres – je pense par exemple à Roger Karoutchi – savent que chaque réunion comprend une communication sur la situation internationale. Précisément, j’aurais aimé savoir ce que M. Kanner, lors du conseil des ministres du 26 octobre 2016, qui a précédé la signature du Ceta, ou lors de celui du 2 novembre 2016, qui l’a suivie, a pu entendre, car il comptait parmi ceux qui étaient autour de la table lorsque le président Hollande, Jean-Marc Ayrault et Matthias Fekl ont recommandé l’adoption de ce traité.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Rien à voir avec l’article 38 du règlement…
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Aujourd’hui, j’entends que le groupe SER souhaite le rejet du Ceta, l’article 1er du présent projet de loi autorisant la ratification de cet accord, quand l’article 2 vise, lui, l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et le Canada.
J’ai du mal à comprendre que des gens, à sept ans de distance, changent d’avis, alors même que ce texte, dans l’intervalle, a été amélioré ! Il a été amélioré, j’y insiste, par l’instauration d’un veto climatique, disposition visant à répondre aux préoccupations environnementales exprimées par Yannick Jadot – je m’en souviens – dans le cadre des comités de suivi de la politique commerciale. Je lui sais gré de son engagement sur cette question (M. Yannick Jadot lève les bras au ciel.), et j’espère qu’il reconnaîtra que nous avons fait bouger les lignes, puisque la Commission européenne a souscrit à l’introduction dans le texte d’un tel veto.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Allez, ça suffit, maintenant !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. À la lumière de ces observations, chacun comprendra combien il est important que nous puissions entendre les explications de vote de nos collègues !
M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Joshua Hochart. Je trouve toujours cavalière cette façon de clore le débat. Je suis contre l’article 1er de ce projet de loi, mais ces manœuvres n’ont d’autre but que de laisser à nos collègues Les Républicains et de gauche l’occasion de se racheter une conduite.
M. Ian Brossat. Allons au vote !
M. Joshua Hochart. Monsieur le président, pouvez-vous nous préciser le temps qui nous reste pour mener à bien l’examen de ce texte ?
Mme Cécile Cukierman. Vous aussi vous voulez empêcher le vote ?
M. Joshua Hochart. Bien que nous souhaitions voter contre, je veux prendre le temps de dire combien je trouve instructives ces leçons de bonne conduite données tant par la droite que par la gauche, qui tentent ainsi de se racheter de tant d’années d’inconduite… (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. Monsieur Hochart, à l’instant où nous parlons, la fin de la niche est prévue à seize heures vingt.
La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Emmanuel Capus. Nous avons le droit de nous exprimer de nouveau, cette fois sur la demande de clôture qui vient d’être formulée ! Et je vous remercie de nous le permettre, monsieur le président.
Hervé Marseille a parfaitement parlé : tout était organisé, bien rodé, pour qu’à l’issue de cette niche l’on vote contre le Ceta. (M. Yannick Jadot s’exclame.)
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Et comment procédez-vous, quand vous êtes à notre place ?
M. Emmanuel Capus. Tout se déroulait parfaitement bien : nous nous sommes très peu exprimés ; nous n’avons pas déposé un seul amendement ; chacun a donné son point de vue, aimablement, parfois en rongeant son frein – en la matière, je n’étais pas le dernier. Et voilà que, soudain, la séance part totalement en vrille,…
M. Éric Bocquet. Grâce à vous !
M. Emmanuel Capus. … pour une seule raison : une provocation de la part du groupe Les Républicains.
C’est quand même hallucinant : tout le monde s’est accordé à dire qu’il s’agit d’un débat important ; notre collègue Hervé Marseille et le groupe UC ont proposé, pour qu’un débat ait lieu, que le texte soit renvoyé à la commission. Et l’on nous interdirait désormais tout débat ?
Nous avons tout de même le droit de nous exprimer !
Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est ce que vous êtes en train de faire…
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Cela fait trois heures et demie que nous débattons !
M. Emmanuel Capus. On peut comprendre que les communistes soient contre le Ceta : ils sont contre le libre-échange. On peut comprendre que les écologistes soient contre le Ceta : ils sont décroissants (Protestations sur les travées du groupe GEST.) – or, clairement, je suis d’accord, si le Ceta est conclu, c’est pour augmenter la croissance !
Mais on a aussi le droit de s’étonner que M. Kanner, qui faisait partie du Gouvernement qui a négocié le Ceta, change ainsi d’avis ! (Protestations sur les travées du groupe SER.) On a le droit de dire que, ce changement, on ne le comprend pas !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ce n’est pas l’objet du débat !
M. Emmanuel Capus. Et, surtout, on a le droit de ne pas comprendre, et d’infiniment regretter, que le parti qui a partout et toujours – urbi et orbi – défendu le libre-échange trahisse ses convictions les plus profondes pour faire un coup politique ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Max Brisson. Pas sur l’agriculture ! Contresens historique !
M. le président. Conformément à l’alinéa 3 de l’article 38 de notre règlement, je consulte le Sénat, à main levée, sur la demande de clôture.
(La clôture est prononcée.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky et, l’autre, du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 159 :
Nombre de votants | 269 |
Nombre de suffrages exprimés | 255 |
Pour l’adoption | 44 |
Contre | 211 |
Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. Martin Lévrier. Vous pourrez le dire aux Français…
M. Fabien Gay. On va se gêner, tiens !
Article 2
Est autorisée la ratification de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part, signé à Bruxelles le 30 octobre 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.
M. Emmanuel Capus. Obstruction !
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, jamais je ne ferai d’obstruction, d’autant que, sur ce texte, je souhaite que nous puissions aller jusqu’au vote.
Puisqu’un orateur « pour » et un orateur « contre » viennent de s’exprimer, je sollicite l’application de l’article 38 du règlement. (M. Emmanuel Capus fulmine.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pascal Allizard, rapporteur. Conformément à ce que j’ai dit en ouverture des débats, je rappelle que ce texte comprend bien deux articles. Il n’en reste plus qu’un, mais les votes peuvent être opposés, car il s’agit bien de deux accords différents. Il serait donc utile, selon moi, de voter cet article 2.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué. Je veux dire un mot de la proposition de M. le rapporteur de voter pour l’article 2 après avoir supprimé l’article 1er.
Il s’agit à mon sens d’une manœuvre grossière, en quelque sorte, car les deux accords vont bien évidemment ensemble. L’accord économique et commercial, d’une part, et l’accord politique de partenariat stratégique, d’autre part, ne sont que les deux versants d’un seul et même accord. En supprimant l’article 1er, le Sénat ne ratifie pas le Ceta et envoie une nouvelle fois un très mauvais signal à nos exportateurs, à nos agriculteurs et aux Canadiens. (MM. Martin Lévrier et Bernard Fialaire applaudissent.)
M. le président. Je suis saisi, par Mme Cécile Cukierman, présidente de groupe, d’une demande de clôture sur les prises de parole sur l’article 2, en application de l’article 38 du règlement.
En application de l’article 38, alinéa 1, du règlement, la clôture peut être proposée lorsque au moins deux orateurs d’avis contraire sont intervenus.
Peuvent prendre la parole sur cette proposition un orateur par groupe et un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Franchement, c’est surréaliste. Le dérouleur en atteste : il n’y avait aucune inscription de parole massive sur cet article 2. (Marques d’ironie sur les travées du groupe GEST.)
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Oui, mais on a une montre !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Or vous brandissez le règlement et l’article 38 : il s’agit purement et simplement d’une volonté de provocation délibérée ! (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. C’est l’arroseur arrosé !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est un précédent très intéressant qu’on ne manquera pas d’avoir en tête.
M. Fabien Gay. Vous n’avez pas besoin de nous pour ça !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Ne venez pas nous donner des leçons à l’avenir si nous utilisons cette disposition du règlement au bout de dix jours de discussions sur un texte ! (Vives protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Au travers de cette utilisation abusive et massive de l’article 38 du règlement, c’est le Parlement qui s’autocensure. Le groupe RDPI ne se prêtera pas cette mascarade qui vire à la farce. C’est triste pour le Sénat, qui, dans le passé, a su s’illustrer bien différemment, d’autant que nous avions besoin d’être éclairés sur l’ensemble du vote. Nous le regrettons.
Pour notre part, nous considérons qu’il n’est pas possible de disjoindre l’article 1er de l’article 2. (M. Guy Benarroche s’exclame.) J’incite nos collègues du groupe Les Républicains à suivre la position du président Larcher, qui, le 27 octobre 2016, tweetait ceci : « L’accord trouvé avec la Wallonie sur le Ceta est une bonne nouvelle, pour l’Europe, pour la France, pour nos entreprises. Il faut maintenant le signer vite. » (M. Emmanuel Capus applaudit.)
Chers collègues, je vous incite à faire en sorte que l’ensemble de l’accord Ceta soit adopté et je vous demande de ne pas donner suite à la proposition de la commission de voter seulement l’article 2. Nous voterons donc contre cette demande de clôture.
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Emmanuel Capus. Rassurez-vous, le texte sera rejeté : pas d’inquiétude ! (Marques d’impatience sur des travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.) M. le président Retailleau s’est un peu affolé, mais il n’y aura pas de souci, ça va bien se passer, pour vous… (M. Roger Karoutchi ironise.)
J’en profiterai pour répondre aux propos de Yan Chantrel, qui a affirmé tout à l’heure que le Ceta était améliorable. Évidemment qu’il l’est ! Il a même été amélioré ! C’est un traité négocié par François Hollande et par les socialistes : par définition, il était améliorable ! (Sourires sur les travées du groupe RDPI.)
J’ai envie de dire au président du groupe d’amitié France-Canada qu’il est qu’il n’y a pas d’amour : il n’y a que des preuves d’amour. Aujourd’hui, c’était l’occasion pour nous de donner une preuve d’amour au Canada… (Soupirs sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Mes chers collègues, trois dates marqueront l’histoire franco-canadienne : 1763, le traité de Paris après la défaite des plaines d’Abraham à Québec et l’abandon par la France de la Nouvelle-France (Marques d’impatience sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.) ; 1944, le sang des Canadiens tombés sur les plages de Normandie (Vives protestations sur les mêmes travées.) ; et le 21 mars 2024, le naufrage des sénateurs Les Républicains, qui abandonnent purement et simplement leurs convictions de libre-échange, et dans le même temps leur amitié canadienne ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Voilà ce qui s’est passé aujourd’hui, et c’est assez pathétique ! (M. Martin Lévrier applaudit.)
M. Mathieu Darnaud. Vous n’élevez pas le niveau du débat : c’est pathétique, en effet !
M. le président. Conformément à l’alinéa 3 de l’article 38 du règlement, je consulte le Sénat, à main levée, sur la demande de clôture.
(La clôture est prononcée.) – (Les membres du groupe RDPI quittent l’hémicycle.)
Article 2 (suite)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour explication de vote sur l’article.
M. Claude Malhuret. Ce qui vient de se passer montre que nous avions raison. Le fait d’utiliser une niche parlementaire pour discuter d’un traité fondamental, a fortiori pour le rejeter, était bien entendu une façon d’escamoter le débat. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Mme Valérie Boyer. Nous aurions bien voulu que le Gouvernement inscrive ce texte à l’ordre du jour !
M. Claude Malhuret. Comme si cela ne suffisait pas, alors que le débat se déroulait normalement, alors que personne ne faisait d’obstruction, alors que nous aurions parfaitement pu arriver au bout de l’examen de cet accord avant seize heures, on décide d’escamoter encore plus les discussions en invoquant l’article 38 du règlement.
Jusqu’à ce que notre collègue Retailleau prenne la parole, le débat se déroulait dans le calme et l’écoute, même si les points de vue des uns et des autres divergeaient.
Cette demande de recours à l’article 38 a déclenché la situation dans laquelle nous sommes et a conflictualisé anormalement nos discussions.
Après Les Républicains, voilà que le groupe CRCE-K demande à son tour la clôture des débats. Nous en sommes à la troisième demande de clôture, la quatrième ne saurait tarder…
Le débat étant complètement escamoté – c’était l’idée depuis le début –, nous allons suivre le président Marseille, qui a parfaitement eu raison de quitter l’hémicycle. Comme le disait Maurice Clavel : « Messieurs les censeurs, bonsoir ! » (Les membres du groupe INDEP quittent l’hémicycle. – Hilarité sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)
M. Yannick Jadot. (Imitant la voix de Valéry Giscard d’Estaing.) « Au revoir » !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pascal Allizard, rapporteur. Tout d’abord, je voudrais vous rappeler que sur les vingt-sept pays de l’Union européenne appelés à ratifier le Ceta, dix-sept seulement l’ont fait. Dix ne l’ont donc pas ratifié.
S’agissant de l’accord stratégique, seulement trois pays ne l’ont pas ratifié, dont la France. C’est bien la preuve que les deux accords sont distincts.
Je vous appelle donc à bien vouloir valider l’accord stratégique et à voter l’article 2. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de votre sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Nous avons entendu un certain nombre de choses, y compris de mauvaises interprétations politiques, voire parfois politiciennes.
M. Claude Malhuret. (Sur le point de quitter l’hémicycle.) C’est l’hôpital qui se moque de la charité !
Mme Cécile Cukierman. Nous l’avons dit dès le début : ce texte aurait mérité un vrai temps de discussion. Le Gouvernement dispose de quinze jours par mois d’espace réservé par priorité pour inscrire des textes à l’ordre du jour du Sénat. Nous attendions depuis 2017 qu’il demande l’inscription du Ceta à notre agenda, dans le respect de la Constitution, en vain ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Je le dis très sincèrement : il ne s’agissait donc pas pour nous de nous livrer à une mascarade ou de faire une farce. Je le redis, le groupe CRCE-K ne dispose que de huit heures par an d’espace réservé. Il s’agissait simplement aujourd’hui pour nous, dans les délais qui nous sont imposés, d’aller au bout de l’examen de ce texte !
Un certain nombre de collègues, qui, certainement, n’acceptant pas ce vote final, ont quitté l’hémicycle. Je vous ai entendu, monsieur le ministre, mais je le répète : le Gouvernement aurait pu inscrire ce texte à l’ordre du jour du Sénat – les deux prochains jeudis sont d’ailleurs libres – afin que nous puissions avoir un débat serein et apaisé…
En l’état, nous avons dû avoir recours à l’article 38 et nous l’invoquerons encore s’il le fallait, de manière déterminée, car nous souhaitons aller au vote final sur ce texte : c’est un acte démocratique du Parlement ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par MM. Marie, Temal, Tissot, Montaugé et Kanner, Mmes Carlotti et Conway-Mouret, MM. Darras et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Vayssouze-Faure et M. Vallet, Mmes Blatrix Contat, Daniel et Linkenheld, M. M. Weber et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Projet de loi de ratification de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Cet amendement a pour objet de mettre en cohérence le titre du projet de loi avec la suppression de l’article 1er et la non-ratification de l’accord économique et commercial global du Ceta.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pascal Allizard, rapporteur. Avis favorable sur cet amendement, en cohérence avec nos précédents votes.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Contre ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Je dirai un mot de conclusion en essayant d’écarter la caricature, les excès et d’en revenir au fond.
Cécile Cukierman y a fait allusion il y a quelques instants : pourquoi une niche ? Parce que le Parlement – nous avions voté en avril 2021 à l’unanimité une proposition de résolution en ce sens – voulait discuter de cet accord et se prononcer par un vote.
Le Gouvernement, depuis des mois et des mois, n’a inscrit aucun projet de loi à notre ordre du jour, comme en attestent les conclusions de la conférence des présidents d’hier soir.
Les premiers projets de loi seront inscrits au mois de juin. Le Gouvernement avait donc des mois devant lui pour programmer ce texte à l’agenda de nos travaux, il ne l’a pas fait. Il est donc tout à fait normal qu’il y ait une initiative parlementaire en ce sens, même si j’aurais préféré que le Gouvernement se mobilise.
J’ai entendu convoquer certaines valeurs, j’ai même entendu convoquer les morts : laissons les morts de côté et restons-en au Ceta. Bien sûr que le Canada est et demeurera un allié et un ami. Il s’agit de valeurs sans doute, mais aussi de nos intérêts. Le Canada est un pays de 38 millions de consommateurs, contre 450 millions de consommateurs pour l’Union européenne. Nous sommes aussi en position de faire valoir nos propres intérêts, ceux de nos éleveurs et de nos territoires. Derrière l’agriculture, il n’y a pas seulement une économie ; il y a aussi des hommes, des femmes, il y a des territoires et des terroirs. Ce sont eux que l’on veut défendre aujourd’hui afin qu’ils ne se retrouvent pas dans une situation de concurrence déloyale.
Enfin, il y a le libre-échange. Cet accord est daté, définitivement. Aujourd’hui, on parle de souveraineté. On a cru dans les années 1990 que le marché, le droit, la paix perpétuelle allaient définitivement s’imposer. À l’heure actuelle, tous les grands pays se défendent, se protègent. Nous voulons le libre-échange, mais vous savez très bien qu’une épée de Damoclès pèse sur nos éleveurs : nous ne l’acceptons pas.
Il ne servira à rien quand viendra le projet de loi agricole de proclamer, à son article 1er, que nous voulons préserver la souveraineté de notre agriculture et l’ériger en activité d’intérêt général majeur si nous n’agissons pas aujourd’hui ! Ce soir, nous mettons en concordance nos volontés, nos convictions et nos actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
Mme Valérie Boyer. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Nous arrivons au terme d’un débat qui porte sur des enjeux touchant profondément nos modèles de production et de consommation, mais aussi l’autonomie stratégique de l’Union européenne et sa capacité à promouvoir et à imposer ses valeurs et ses normes à l’échelle internationale.
On ne peut que regretter – cela a été souligné à de multiples reprises – que le Gouvernement n’ait pas souhaité assumer ce débat…
M. Didier Marie. … et nous donner plus de temps pour évoquer ces sujets.
Bien au-delà du Ceta, la crise de confiance est là, comme en attestent les études d’opinion. Nos concitoyens s’inquiètent. Loin de se défiler, de prôner le repli ou le protectionnisme, il est de notre responsabilité de défendre une autre manière d’organiser les échanges commerciaux. Ces derniers doivent pouvoir être mis au service d’une politique, et non l’inverse.
Si l’Union européenne s’en donne les moyens, elle peut être prescriptive de normes. Elle a su imposer ses règlements sur la déforestation importée et sur la taxe carbone aux frontières, qui participent à l’évolution des pratiques commerciales. Face à l’enjeu climatique, nous devons aller plus loin et plus vite.
Dès lors, n’ayons pas peur du débat. Nous avons tout à y gagner. L’Union européenne doit redonner confiance dans son projet. Une brèche s’est ouverte dans le dogme libéral laissant place à une plus grande volonté de régulation et de souveraineté. Nous devons aujourd’hui l’élargir. C’est ce que nous faisons en repoussant le Ceta. Ce débat et notre vote y contribuent. Nous verrons dans les semaines qui viennent que ces enjeux seront aussi au cœur des aspirations démocratiques de nos pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Nous venons de vivre un moment important, qui aurait certainement demandé davantage de sérénité. Le Sénat s’honore en refusant de ratifier cet accord de libre-échange d’un autre temps.
Les Français se sont exprimés à maintes reprises. Il y a eu des mouvements importants ces dernières semaines. Que demandent nos concitoyens ? Ils souhaitent que l’on protège davantage notre industrie, mais également notre agriculture. Cet accord va à l’encontre de leurs aspirations. Il vise à mettre en concurrence les peuples du monde entier : les traités de libre-échange, nous le savons, amènent de la conflictualité et une compétitivité toujours faussée.
La compétitivité s’apprécie selon des constats, des indices différents dans chaque pays, se construit sur un dumping social et environnemental ; nous ne pouvons plus continuer ainsi. Ces traités de libre-échange sont aussi presque toujours climaticides, car ils multiplient les échanges à l’échelle de la planète, engendrant toujours plus de transport et d’émissions de gaz à effet de serre.
S’opposer à un accord de ce type, ce n’est pas s’opposer au commerce. Le commerce existera toujours, mais nous voulons qu’il s’opère dans le respect du principe de subsidiarité, en échangeant des produits que l’on ne peut pas produire soi-même dans de bonnes conditions.
Cette journée est importante, c’est un vrai message qui est envoyé à nos concitoyens pour dire que le Sénat est à l’écoute des Français, qui ne veulent plus d’un modèle les mettant en concurrence avec le monde entier. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Nous sommes en train de vivre un moment assez important. Le fait que le Sénat ait enfin pu débattre et voter sur ce traité de libre-échange est d’abord une victoire démocratique.
Je ne veux pas instrumentaliser le débat et le vote que nous allons avoir. Je sais que nous avons des différences, y compris avec la droite, sur les questions de libre-échange, les questions agricoles, sur les moyens de production et la consommation, qu’il conviendrait de relocaliser pour lutter contre le réchauffement climatique et réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Cependant, nous arrivons à nous retrouver aujourd’hui sur une question essentielle, d’abord démocratique.
En tout état de cause, il importe de réintroduire dans nos échanges de la réciprocité entre ce que nous produisons ici et ce que nous importons. Il ne s’agit pas de dire que notre production est meilleure et que celle des autres est nocive. Non, car nous continuerons de commercer avec le Canada. Le commerce n’est pas apparu en 2017 avec les traités de libre-échange, il existe depuis l’Antiquité, il existera encore demain.
Je vous le redemande solennellement, monsieur le ministre, le Gouvernement doit entendre le vote du Sénat. Il n’est pas possible qu’il se passe la même chose qu’à Chypre, dont le Parlement a dit non au Ceta sans que ce refus soit notifié à la Commission européenne. Vous devez inscrire l’examen de ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ou permettre à un groupe de le faire. Ensuite, il faudra respecter le vote démocratique de l’ensemble du Parlement. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pascal Allizard, rapporteur. Les votes qui viennent d’être émis en séance sur les amendements sont conformes à ceux qui ont été émis hier en commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Le résultat auquel nous sommes parvenus est donc identique à ce qui a été décidé hier, à l’issue d’un débat aussi nourri – c’est une bonne chose – que celui que nous avons depuis ce matin – nous discutons tout de même depuis près de quatre heures…
Oui, il y a eu des recours à la procédure et au règlement, mais c’est normal. Je souhaite à présent que nous adoptions ce texte dans sa forme actuelle, car il ne s’agit pas d’un message d’inimitié, bien au contraire, adressé au Canada.
M. Pascal Allizard, rapporteur. Monsieur le ministre, vous devriez de temps en temps écouter ce que vous dit le Parlement, vous y gagneriez ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE-K.)
J’émets aussi un message en direction de Bruxelles : les temps ont changé, nous ne voulons plus de ce type d’accords. Je travaille sur les accords internationaux depuis 2018. Il est grand temps, a minima, d’en sortir les produits agricoles – la nourriture –, car il ne s’agit pas de marchandises comme les autres ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme Valérie Boyer. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour explication de vote.
M. Yannick Jadot. Je remercie le groupe communiste d’avoir pris cette initiative importante : nous attendions en effet ce débat depuis des années.
J’ai entendu le ministre Lemoyne, alors qu’il s’apprêtait à quitter l’hémicycle, rappeler qu’il était secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères au moment de l’entrée en application provisoire du Ceta. Il était donc de sa responsabilité de saisir l’Assemblée nationale et le Sénat à cette époque.
Trop souvent, on a l’impression que l’enjeu de ce débat est une nouvelle forme de protectionnisme. Ce n’est pas le cas pour nous, écologistes, qui nous battons contre cet accord et d’autres depuis tant d’années : il ne s’agit pas d’opposer les Français et les Canadiens.
Ce combat contre le Ceta, nous l’avons aussi mené aux côtés d’organisations canadiennes, comme les éleveurs laitiers. Si nous souhaitons que soient respectée la dignité des paysans européens et protéger ceux-ci, respectons aussi celle des paysans canadiens et protégeons leurs revenus et, même, leur existence. Or nous savons que ceux-ci sont fortement touchés par les importations de produits laitiers.
Oui, nous voulons une agriculture souveraine.
Oui, nous voulons protéger le climat.
Oui, nous voulons des droits sociaux.
Oui, nous voulons des États souverains, capables de promouvoir des règles et des politiques concernant notre économie, nos PME, nos industries, mais aussi la santé, l’environnement et le climat, en intégrant une dimension sociale.
Pour reprendre les termes de Fabien Gay, il serait inconcevable que ce vote n’ait aucune influence. Cela reviendrait à dérouler le tapis rouge à l’extrême droite. Si le Gouvernement ne notifie pas ce vote à la Commission européenne, vous serez responsable de la défiance continue des Français envers les politiques et le Parlement. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué. Je ne suis pas sûr qu’il soit utile que le Gouvernement s’exprime : après tout, vous pouvez continuer votre petite manipulation politicienne entre vous ! (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains, SER, CRCE-K et GEST.)
C’est une très mauvaise journée pour notre économie, pour nos entrepreneurs, pour nos agriculteurs et pour toutes celles et tous ceux qui se battent au quotidien pour exporter leurs produits et leurs savoir-faire, auxquels le Ceta a ouvert des débouchés au Canada et a garanti une protection des appellations d’origine contrôlée pour leurs produits. (Mme Sophie Primas proteste.)
Monsieur Jadot, vos démonstrations sont formidables.
M. Yannick Jadot. Merci !
M. Franck Riester, ministre délégué. Chacune d’entre elles, par A+B, nous prouve l’intérêt de cet accord ! Vous évoquez les difficultés des éleveurs laitiers au Canada. Mais à quoi sont-elles dues ? Au simple fait qu’ils n’ont plus le droit de produire du cantal, du roquefort ou du brie de Meaux en copiant nos appellations d’origine protégée ! Ce sont nos producteurs de lait, nos fabricants de fromages qui exportent leurs produits, leur savoir-faire et, finalement, une partie de notre identité au Canada – et cela justement grâce à cet accord, monsieur Jadot ! (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Aussi, merci pour vos démonstrations : chaque fois que vous prenez la parole, vous me donnez des arguments pour soutenir le Ceta !
M. Yannick Jadot. Continuez à donner des milliards à Lactalis !
M. Franck Riester, ministre délégué. C’est aussi un mauvais coup qui est porté aujourd’hui à notre souveraineté énergétique et minière. Le Ceta nous permet de tisser des liens particuliers avec les Canadiens pour limiter notre dépendance énergétique et minière à l’égard de la Russie et d’autres pays autoritaires. Grâce au Ceta, nous concluons des accords sur le pétrole, l’uranium, et, demain, le lithium et le cuivre. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Mme Sophie Primas s’exclame.)
Pourquoi, au moment où nous avons tant besoin d’indépendance et de souveraineté, renoncer à ces partenariats avec ce pays ami, cette grande démocratie avec laquelle nous partageons tant de combats en faveur du développement durable, de l’environnement et des droits sociaux et humains ?
Monsieur le président Retailleau, vous avez parlé des hommes et des femmes de l’agriculture, mais vous oubliez les viticulteurs ! (M. Bruno Retailleau proteste.) C’est grâce aux débouchés vers le Canada que nombre d’entre eux ont pu s’en sortir.
Mme Sophie Primas. Pour quels volumes ?
M. Franck Riester, ministre délégué. De même, vous ne parlez pas de ces producteurs de lait, partout sur le territoire, qui, grâce aux AOP et à la baisse des droits de douane, ont pu exporter vers le Canada ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Arrêtez !
M. Franck Riester, ministre délégué. Vous ne parlez pas de ces femmes et ces hommes qui travaillent dans les PME françaises du textile, de la chimie, des cosmétiques, qui ont un emploi parce que leur entreprise exporte vers le Canada et le Québec. Monsieur le président Retailleau, pensez à eux ! (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains, GEST et CRCE-K.)
M. Max Brisson. Démagogie !
M. Franck Riester, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, notre pays doit relever des défis considérables en matière d’autonomie stratégique, d’indépendance énergétique, de déploiement international, d’exportation et de croissance. Nous ne réglerons pas nos problèmes en refusant de travailler avec des partenaires amis pour développer des échanges commerciaux. (Protestations sur les mêmes travées.) Ce n’est pas en nous recroquevillant sur nous-mêmes que nous réussirons à relever tous ces défis ! (M. Didier Marie proteste.)
Le Sénat s’apprête, vraisemblablement, à porter un très mauvais coup à notre amitié avec le Canada et à l’économie française ! (Brouhaha.)
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Pas du tout !
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Ne nous donnez pas de leçons !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, modifié, l’ensemble du projet de loi, dont le Sénat a rédigé ainsi l’intitulé : projet de loi de ratification de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Les Républicains et, l’autre, du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 160 :
Nombre de votants | 297 |
Nombre de suffrages exprimés | 269 |
Pour l’adoption | 243 |
Contre | 26 |
(Le projet de loi est adopté.) – (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER, CRC-K et GEST.)
6
Retrait de l’ordre du jour d’une proposition de résolution
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Étant donné qu’il ne nous reste plus que quelques minutes de l’ordre du jour réservé à notre groupe, nous retirons la proposition de résolution invitant le Gouvernement à reconnaître l’État palestinien et à agir pour un cessez-le-feu effectif et durable dans l’attente de négociations. Cela ne remet aucunement en cause l’exigence de trouver une solution pour établir une paix durable au Proche-Orient. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST. – M. Alain Duffourg applaudit également.)
M. le président. Acte est donné du retrait de la proposition de résolution par le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky de l’ordre du jour de son espace réservé.
7
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny.
Mme Anne-Sophie Romagny. Lors du scrutin n° 159 sur l’article 1er du projet de loi, j’ai voté contre, en raison du brouhaha ambiant, alors que je souhaitais m’abstenir.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 26 mars 2024 :
À quatorze heures trente et le soir :
Explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur la proposition de loi rendant obligatoires les « tests PME » et créant un dispositif « Impact Entreprises » (texte de la commission n° 421, 2023-2024) ;
Projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (texte n° 291, 2023-2024) ;
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement instituée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 (texte de la commission n° 449, 2023-2024) ;
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels (texte de la commission n° 446, 2023-2024).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à seize heures vingt.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER