M. le président. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, aucun amendement n’est recevable, sauf accord du Gouvernement ; en outre, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l’Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements, puis, par un seul vote, sur l’ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille
Article 1er
I. – Le chapitre Ier du titre V du livre III du code civil est complété par des articles 1399-1 à 1399-6 ainsi rédigés :
« Art. 1399-1. – L’époux condamné, comme auteur ou complice, pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort à son époux ou pour avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort de son époux sans intention de la donner est, dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, déchu de plein droit du bénéfice des clauses de la convention matrimoniale qui prennent effet à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux et qui lui confèrent un avantage.
« La déchéance mentionnée au premier alinéa s’applique y compris lorsque, en raison du décès de l’époux condamné, l’action publique n’a pas pu être exercée ou s’est éteinte.
« Art. 1399-2. – Dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, peut être déchu du bénéfice des clauses de la convention matrimoniale qui prennent effet à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux et qui lui confèrent un avantage l’époux condamné :
« 1° Comme auteur ou complice de tortures, d’actes de barbarie, de violences volontaires, de viol ou d’agression sexuelle envers son époux ;
« 2° Pour témoignage mensonger porté contre son époux dans une procédure criminelle ;
« 3° Pour s’être volontairement abstenu d’empêcher un crime ou un délit contre l’intégrité corporelle de son époux d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers ;
« 4° Pour dénonciation calomnieuse contre son époux lorsque, pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue.
« Art. 1399-3. – La déchéance prévue à l’article 1399-2 est prononcée par le tribunal judiciaire à la demande d’un héritier, de l’époux de la personne condamnée ou du ministère public. La demande doit être formée dans un délai de six mois à compter de la dissolution du régime matrimonial ou du décès si la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité lui est antérieure, ou dans un délai de six mois à compter de cette décision si elle lui est postérieure.
« Art. 1399-4. – (Supprimé)
« Art. 1399-5. – L’époux déchu du bénéfice des clauses de la convention matrimoniale est tenu de rendre tous les fruits et revenus résultant de l’application des clauses de la convention matrimoniale qui lui confèrent un avantage et dont il a eu la jouissance depuis la dissolution du régime matrimonial.
« Art. 1399-6. – Dans les cas prévus aux articles 1399-1 et 1399-2, lorsqu’une clause de la convention matrimoniale prévoit l’apport à la communauté de biens propres de l’époux de la personne condamnée, la communauté doit récompense à l’époux apporteur. »
I bis. – Le I s’applique aux conventions matrimoniales conclues avant l’entrée en vigueur de la présente loi.
II. – (Supprimé)
Article 1er bis A
Le code civil est ainsi modifié :
1° (nouveau) Le chapitre Ier du titre V du livre III est complété par un article 1399-7 ainsi rédigé :
« Art. 1399-7. – Un inventaire peut être établi au décès de l’un des époux dans les conditions prévues par le code de procédure civile. »
2° (Supprimé)
Article 1er bis
L’article 265 du code civil est ainsi modifié :
1° À la seconde phrase du deuxième alinéa, après le mot : « est », sont insérés les mots : « exprimée dans la convention matrimoniale ou » ;
2° (Supprimé)
Article 2
I. – Le septième alinéa de l’article L. 247 du livre des procédures fiscales est complété par une phrase ainsi rédigée : « Peut être considérée comme une personne tenue au paiement d’impositions dues par un tiers la personne remplissant les conditions fixées aux 1 et 3 du II de l’article 1691 bis du code général des impôts. »
II. – (Supprimé)
III. – Le I s’applique aux personnes pour lesquelles la demande de décharge de l’obligation de paiement mentionnée au II de l’article 1691 bis du code général des impôts n’a donné lieu, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, ni à une décision définitive de la part de l’administration fiscale, ni à une décision de justice passée en force de chose jugée.
Articles 2 bis A et 2 bis B
(Supprimés)
Article 2 bis
I. – La seconde phrase du d du 2 du II de l’article 1691 bis du code général des impôts est ainsi rédigée : « La décharge de l’obligation de paiement des intérêts de retard et des pénalités mentionnées aux articles 1727, 1728, 1729, 1732 et 1758 A est prononcée, dans les autres situations, dans les proportions définies au a, au b ou au c. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
Article 2 ter
I. – Le IV de l’article 1691 bis du code général des impôts est ainsi modifié :
a) (nouveau) Le mot : « ne » est supprimé ;
b) (nouveau) Il est complété par les mots : « des sommes recouvrées à compter de l’un des événements visés aux a à d du 1 du II ».
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III (nouveau). – Le I s’applique aux personnes pour lesquelles la demande de décharge de l’obligation de paiement mentionnée au II de l’article 1691 bis du code général des impôts n’a donné lieu, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, ni à une décision définitive de la part de l’administration fiscale, ni à une décision de justice passée en force de chose jugée.
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M. le président. Nous allons maintenant examiner l’amendement déposé par le Gouvernement.
Article 1er
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer le mot :
condamné
par les mots :
qui a commis les actes mentionnés au même premier alinéa
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Cet amendement rédactionnel a pour objet de corriger une erreur matérielle, puisqu’il ne peut être fait référence à « l’époux condamné » dans le cas où l’action publique n’a pas pu être exercée ou s’est éteinte en raison de son décès.
La référence à l’époux « qui a commis les actes mentionnés » au premier alinéa correspond à la rédaction du dernier alinéa de l’article 727 du code civil en matière d’indignité successorale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Isabelle Florennes, rapporteure. Avis favorable.
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par l’amendement précédemment adopté par le Sénat, je vais donner la parole, pour explications de vote, à un représentant par groupe.
La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Nicole Duranton applaudit également.)
Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a toujours quelque chose de plaisant à voir un texte arriver au bout de son chemin législatif : une satisfaction de parlementaire à voir l’aboutissement de notre travail collectif bien sûr, mais aussi, dans le cas présent, une vraie satisfaction de corriger des aberrations de notre droit.
Je vous le rappelle à mon tour, on peut encore aujourd’hui tuer son conjoint et hériter de son patrimoine, pour peu que l’on soit marié sous le régime de la communauté universelle : une situation absurde, que l’article 1er vient enfin corriger en créant une forme de déchéance matrimoniale. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, le crime ne doit pas payer ; en l’espèce, il ne paiera plus.
Le mécanisme a été enrichi par le travail de nos deux chambres. Nous examinons aujourd’hui un dispositif autonome plus proche de ce qui existe pour l’indignité successorale, et les biens propres apportés à la communauté par l’époux victime de violences sont également préservés.
Le Sénat, grâce à notre rapporteure, Isabelle Florennes, dont je souhaite saluer chaleureusement l’implication, a renforcé le dispositif de déchéance des avantages matrimoniaux tout en supprimant la faculté du pardon laissée à la victime pour mieux prendre en compte les cas d’emprise.
Je ne puis que saluer cet ajout bienvenu. Il montre que nous sommes sur la bonne voie, en intégrant petit à petit dans notre droit les notions d’emprise et de contrôle coercitif.
L’article 1er bis vient sécuriser juridiquement les clauses d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation, c’est-à-dire ce que l’on doit à son conjoint à la dissolution du mariage. Pendant longtemps, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, ces dispositions censées être plus protectrices étaient finalement rendues caduques au moment du divorce. Le Sénat en a amélioré la rédaction pour donner à l’article une portée plus générale, ce qui est à souligner.
L’article 2 vient améliorer le dispositif existant de la décharge de responsabilité solidaire, qui permet d’exonérer un ex-conjoint d’une partie des dettes fiscales dues par le couple. Si ce dispositif a le mérite d’exister, son application actuelle n’est pas satisfaisante, la faute peut-être à un manque – jusqu’à aujourd’hui – de flexibilité de l’administration fiscale.
En conséquence, dans bien des cas, c’était à l’épouse de régler des dettes dont elle n’avait absolument pas connaissance, dont elle n’avait pas profité, voire dont l’origine était frauduleuse.
Je connais les attentes légitimes des associations sur ce sujet et je pense que nous sommes arrivés à un compromis que j’espère efficace.
Nous avons d’abord amélioré le dispositif existant, afin de permettre la restitution de sommes recouvrées par l’administration fiscale entre la séparation des époux et la déclaration de décharge. C’est une mesure de bon sens et d’efficacité.
Je souligne également les engagements du ministre Thomas Cazenave pour que ce dispositif de décharge gracieuse permette d’aboutir à une issue plus favorable dans certains dossiers dont le traitement actuel pourrait paraître injuste.
Attention toutefois : qui dit « décharge gracieuse » dit « décision à la main de l’administration »… Comme nombre de mes collègues, je serai sensible, non seulement en tant que sénatrice, mais aussi en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes, aux évolutions que vous donnerez à ce dossier.
Monsieur le ministre, vous nous avez promis une nouvelle doctrine ; nous l’attendons impatiemment. Si les résultats n’étaient pas au rendez-vous, nous saurions vous le rappeler à l’occasion de l’examen du prochain projet de loi de finances, voire d’une mission flash de la délégation aux droits des femmes. Mais, compte tenu de ce que j’ai entendu lors de votre intervention, je suis certaine que nous n’aurons pas besoin d’en arriver là, tant vous semblez avoir pris le sujet à bras-le-corps. La balle est donc dans votre camp, mais j’ai confiance.
En attendant, le groupe Union Centriste est très heureux d’avoir pu soutenir cette proposition de loi, dont je remercie une nouvelle fois la rapporteure. Nous voterons bien évidemment en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Ghislaine Senée. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en aucun cas nous ne pouvons discuter de cette proposition de loi sur la justice patrimoniale sans tenir compte du contexte plus large dans lequel elle s’inscrit, à savoir les inégalités entre les genres.
En effet, ces inégalités demeurent profondes dans un pays où le gouvernement, sans vouloir vous contredire, monsieur le ministre, ne fait clairement pas assez pour les combattre, où l’index d’égalité professionnelle est largement incomplet et où le budget consacré à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui a certes été doublé en six ans, ne représente toujours que 0,7 % du budget de l’État.
Face à l’absence d’efforts, il ne devrait plus être surprenant que les grandes promesses sur l’égalité entre les genres soient à mille lieues des réalités auxquelles les femmes sont confrontées tous les jours. En ce domaine, je crois et je crains que nous pourrions toutes parler d’expérience.
Je me bornerai ici à citer un sondage de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du début de l’année aux termes duquel pas moins de 20 % des personnes interrogées trouvent normal que les femmes restent à la maison pour élever des enfants.
En outre, ces réalités vécues, ce sont aussi des politiques publiques souvent inadaptées. Par exemple, une mère monoparentale rencontre systématiquement d’énormes difficultés à trouver une place de crèche pour son enfant et doit renoncer à des offres d’emploi, faute de solution de garde. Résultat, trois mères monoparentales sur cinq ne travaillent pas.
À ces inégalités, choquantes, s’ajoutent le harcèlement et les violences sexistes et sexuelles. Je ne veux pas m’étaler sur le sujet, sur lequel il y a malheureusement tant de choses à dire. Mais je veux juste soulever une question qui, à mon avis, est essentielle pour discuter de cette proposition de loi : comment pourrons-nous lutter contre ces inégalités et ces violences, que nous ne saurions tolérer un instant de plus ? Au lieu de se barricader derrière des indicateurs, il faut partir des réalités subies par les femmes. Pour ce faire, nous devons examiner toutes les injustices pour évaluer quels changements législatifs pourraient y remédier.
Les dispositions de la proposition de loi sur la justice patrimoniale du député Hubert Ott, que je tiens à remercier de son initiative, apportent des briques à cet édifice.
La première d’entre elles, c’est une amélioration de la prise en compte des violences intrafamiliales lors de l’évaluation des avantages matrimoniaux. Puisque les avantages matrimoniaux d’un conjoint ayant commis des violences graves seraient révoqués de plein droit, l’époux qui a tenté d’assassiner sa conjointe ne pourrait plus jouir des avantages matrimoniaux, ce qui est possible actuellement, aussi révoltant que cela puisse paraître. J’espère et je crois que personne ici ne s’oppose à cette évolution du code civil.
L’autre brique importante concerne le sort d’une dette fiscale d’un couple après sa séparation. Imaginons un homme marié, qui omet de déclarer des revenus imposables. Si l’union est dissoute et si la fraude est détectée lors d’un contrôle, il doit bien évidemment régler sa dette fiscale ; mais son ex-conjointe y est aussi contrainte, car elle était tenue solidairement au paiement de l’impôt. Régler cette dette fiscale peut être extrêmement difficile, a fortiori pour les femmes, qui perdent en moyenne 27 % de leur niveau de vie après une séparation, contre 2 % pour les hommes.
Il est donc important que les demandes de décharge en solidarité fiscale deviennent plus faciles à obtenir, comme le prévoit ce texte.
Je me réjouis que la procédure ait pu être complétée en commission. Grâce à votre amendement, madame la rapporteure, la décharge s’appliquerait aussi aux pénalités et retards de paiement dus par le conjoint fraudeur. Nous nous réjouissons du maintien de cette disposition par la commission mixte paritaire.
Cela étant dit, la solution retenue ne répond pas vraiment aux besoins, car elle ne prévoit qu’une décharge facilitée pouvant être accordée à titre gracieux. Ma collègue Mélanie Vogel et moi-même aurions largement préféré la solution que nous avions proposée, tout comme d’autres groupes.
Nous déplorons également que la commission mixte paritaire ait retenu la rédaction du Sénat à l’article 1er bis, qui prévoit qu’une convention matrimoniale peut rendre les avantages matrimoniaux irrévocables. Un conjoint plus riche pourrait abuser de cette nouvelle possibilité pour éviter un partage qu’il juge trop généreux. Dans les couples hétérosexuels, la femme pourrait ainsi se retrouver dans une situation économiquement très désavantageuse pendant que l’homme pourrait exploiter sa situation dominante.
Malgré ces regrets et alertes, la présente proposition de loi constitue une avancée. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en faveur des conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la réunion de la commission mixte paritaire du 14 mai dernier, un constat flagrant s’est imposé : sur sept députés prévus, seuls cinq étaient présents. Il est à souligner que, parmi ces cinq députés, trois appartenaient à la majorité présidentielle. Cette représentation minimaliste équivaut à réduire la voix de 577 députés à seulement cinq en commission mixte paritaire, ce qui affaiblit la légitimité du texte adopté et mine la démocratie parlementaire.
Le Sénat a vivement soutenu son texte, avec une attention particulière portée à une disposition spécifique, l’article 2 bis A, visant à corriger une injustice largement reconnue sur les travées de notre assemblée. Je suis désolé, madame la rapporteure, mais vous êtes la seule à avoir choisi de vous y opposer, allant à l’encontre d’un consensus transpartisan.
Cet article, rejeté d’une courte tête – c’est le moins que l’on puisse dire –, visait simplement à prévoir l’octroi d’une décharge de responsabilité solidaire, c’est-à-dire le renoncement à toute poursuite de l’administration fiscale à l’encontre de l’ex-conjointe innocente pour recouvrer les dettes fiscales contractées par son ex-conjoint : soit elle est responsable, et elle doit assumer les conséquences ; soit elle est innocente, et elle mérite d’être déchargée.
Bien qu’il convienne de souligner que la situation affecte également les hommes, ces derniers restent minoritaires : les personnes qui se trouvent prises au piège sont à 92 % des femmes.
Dans cette perspective, je trouve regrettable que Mme la rapporteure de l’Assemblée nationale, Perrine Goulet, ait cherché à minimiser cette dimension pour discréditer une association de femmes engagées dans la défense de leurs droits. Quand un système injuste est en place, il ne suffit pas de le contourner : il faut le démanteler, afin de réaffirmer l’engagement pour l’égalité. La quête de justice, qu’elle soit fiscale ou dans les procédures administratives, exige une cohésion sans faille et nulle tentative de division ne peut être tolérée.
Le sujet est de savoir si le Parlement préfère maintenir un dispositif gracieux à la main de l’administration ou d’un ministre ou s’il souhaite créer un dispositif légal de plein contentieux, qui ne revête pas un caractère gracieux, mais qui institue un droit.
La raison est simple : les ministres successifs n’ont pas – nous pouvons peut-être le regretter – créé les conditions d’une justice fiscale dans le sens de la décharge des dettes frauduleuses. Ainsi, 81 % des dettes sont issues de redressements fiscaux liés aux activités professionnelles de l’ex-conjoint. Et sur les quelque 350 demandes de désolidarisation annuelles, 60 % se soldent par un refus de Bercy.
Dire que l’association Femmes divorcées victimes de la solidarité fiscale soutient un tel recul, comme nous l’avons entendu en commission mixte paritaire, est une aberration. Je souhaiterais partager les paroles de Marie-Cécile Sergent, que je salue : « J’appelle les membres de cette commission à impérativement conserver à l’identique le texte de loi issu du Sénat. Il est absolument nécessaire qu’une législation encadre cette solidarité fiscale sans laisser à l’administration fiscale la maîtrise de la décision par un recours gracieux, afin que de tels abus ne puissent plus se produire. Il est temps d’en finir avec cette violence administrative et économique faite aux femmes. »
Vous faites de l’article 2 l’alpha et l’oméga de la nouvelle doctrine de l’administration sur la solidarité fiscale. Or, tel qu’il est rédigé, cet article ne définit même pas la notion de « tiers », qui fonde la possibilité d’octroi du recours gracieux et, de ce fait, n’oriente aucunement l’appréciation portée par les services fiscaux.
M. le ministre vient d’évoquer une instruction fiscale de Bercy publiée au Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) d’ici à l’été… Et notre rapporteure, si la doctrine ne change pas, promet de revenir sur cette question lors du prochain budget avec un amendement déjà adopté deux fois dans cet hémicycle !
Malgré tout, il convient d’apprécier la correction d’une injustice majeure et d’un non-sens juridique, grâce à l’adoption de l’amendement de mon groupe visant à restituer les sommes injustement prélevées aux victimes exonérées, malgré l’opposition du Gouvernement.
À la lumière de ces considérations, les membres de mon groupe choisiront de s’abstenir sur le texte issu de la commission mixte paritaire, privilégiant le principe de la grâce, car ils rejettent l’idée d’accorder, pour solde de tout compte, un simple droit de grâce en matière fiscale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Michel Masset, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je l’avais dit à cette tribune le 20 mars dernier, et je peux le redire aujourd’hui dans les mêmes termes : la proposition de loi que nous examinons contient des mesures justes, nécessaires et attendues.
À titre liminaire, sur la forme, l’élaboration de ce texte nous prouve une nouvelle fois, s’il le fallait, la capacité de notre bicamérisme à apporter des réponses rapides et efficaces à des problématiques qui touchent malheureusement de nombreux concitoyens.
Les débats qui ont animé nos hémicycles ont été denses, et nos délibérations ont infusé les consensus qui se sont formés en commission mixte paritaire. Le travail de coconstruction de Mmes les rapporteures a été fondamental dans ce processus ; je tiens à les en remercier vivement.
Ce texte répond clairement à un objectif de justice, d’abord en mettant fin à ce que l’on a appelé la « prime au crime ». Il s’agit bien évidemment de priver le conjoint condamné des avantages matrimoniaux nés du contrat de mariage conclu avec la victime.
La jurisprudence civile avait déjà pris cette direction. La sanctuarisation de cette mesure prétorienne dans la loi est d’une évidente nécessité.
Ensuite, l’objectif de justice est également visé dans la solidarité fiscale entre les époux ou partenaires d’un pacte civil de solidarité (Pacs), qui peut donner lieu à des situations dont les femmes sont les principales victimes.
En effet, 80 % des dettes fiscales concernent les femmes, alors que la séparation entraîne déjà une perte sensible de revenus pour une grande majorité d’entre elles.
Si les dispositions civiles de ce texte ont fait l’objet d’un consensus assez clair, la partie fiscale a, quant à elle, été l’occasion de compromis plus subtils, qui nous semblent tout de même aller dans le bon sens.
En premier lieu, je pense que nous pouvons nous réjouir de l’apport maximaliste de la nouvelle rédaction de l’article 1er issu de la commission mixte paritaire. Les amendements du Sénat ont été largement conservés ; je pense en particulier à la meilleure intégration des situations d’emprise entre époux.
Ces situations sont malheureusement bien connues des associations qui soutiennent les victimes. Mme la rapporteure Florennes a su convaincre les membres de la commission mixte paritaire du bien-fondé de la solution proposée par le Sénat.
La faculté de pardon de la victime, qui a été supprimée, nous rappelle le débat toujours vif sur la prise en compte du consentement par le droit, qu’il soit civil ou pénal. Il me semble, en l’espèce, qu’un consensus a été trouvé en faveur de la protection des victimes.
Je salue également le rétablissement de la disposition relative aux biens propres apportés à la communauté par l’époux victime, qui renforce encore l’objectif visé dans le texte.
À l’article 1er bis A, le rétablissement de l’inventaire dans une communauté de biens, à la demande des héritiers ou du ministère public en cas de décès de l’un des époux, constitue également une mesure bienvenue pour trouver une solution juste.
En second lieu, sur la partie fiscale, les débats au sein de cet hémicycle avaient abouti à des dispositions ambitieuses en matière de protection des victimes par l’adoption des articles 2 bis A et 2 bis B.
Leur suppression en commission mixte paritaire s’appuie sur des engagements pris par Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics, en concertation avec le collectif Femmes divorcées victimes de la solidarité fiscale. Ces engagements devront être tenus, c’est un impératif moral et politique.
Il est indispensable d’apporter une réponse lisible et facilitatrice pour les victimes, qui peuvent être emportées dans la machine administrative de Bercy.
Enfin, la nouvelle rédaction de l’article 2 est plus protectrice et nous semble correspondre aux attentes du Sénat.
En conséquence, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen votera à l’unanimité en faveur de ce texte, qui constitue une réponse importante. Nous veillerons à son application convenable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)