M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette année sera un moment historique non seulement pour la France, qui va accueillir les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, mais aussi pour l’Europe, en raison des élections européennes, lors desquelles plus de 358 millions d’électeurs seront appelés aux urnes.
Ces événements vont inévitablement susciter une attention internationale accrue et faire peser des risques sur notre sécurité et notre souveraineté nationales. Des puissances étrangères malveillantes voudront affaiblir notre pays par le biais d’actions d’ingérence.
Ces risques constituent une menace « protéiforme, omniprésente et durable », comme le décrit avec justesse la délégation parlementaire au renseignement dans son dernier rapport du mois de juin 2023. Je salue par ailleurs le travail effectué par cette délégation.
Protéiforme par essence, cette menace revêt des formes multiples : elle transcende les traditionnelles tentatives d’approche discrète de nos autorités politiques et administratives. Il s’agit à présent de campagnes de désinformation et de manipulation de l’opinion publique, de cyberattaques, et même de tentatives d’espionnage dans des domaines aussi sensibles que le domaine spatial.
Les modes opératoires des actions d’ingérence étrangère se sont diversifiés et sont sophistiqués. Les acteurs qui sont impliqués dans de telles actions se sont multipliés, illustrant le caractère omniprésent de la menace.
Les puissances étrangères ne se contentent plus d’agir via leurs seuls services de renseignement pour déstabiliser notre société. Aujourd’hui, des acteurs comme des médias, des entreprises, voire certains partis politiques, peuvent devenir, parfois à leur insu, les vecteurs d’une ingérence étrangère.
Chaque composante de notre société est en jeu. Les cibles des tentatives d’ingérence étrangère sont elles aussi multiples. Dans le contexte géopolitique actuel, marqué par des conflits et des tensions croissantes, la menace peut être effectivement considérée comme durable. Certaines puissances autoritaires font preuve d’une hostilité grandissante à l’égard des démocraties occidentales, notamment envers la France.
Je fais ici explicitement référence à des pays tels que la Russie, dont les actions en matière d’ingérence ne sont plus à démontrer. À titre d’exemple, le réseau Portal Kombat, dont l’activité a été dévoilée au grand jour par le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), entendait, via ses 193 sites internet, abreuver la population française et les opinions occidentales de contenus prorusses afin de modifier leur regard sur la guerre d’agression menée par la Russie en Ukraine.
La Russie n’en était pas à son coup d’essai. Dans son rapport, le procureur américain Robert Mueller indiquait que l’État russe s’était immiscé dans l’élection présidentielle américaine de 2016 de façon systématique.
En 2017, c’est l’équipe de campagne du candidat Emmanuel Macron qui a été visée par un piratage de hackers russes. Cette opération avait abouti à la publication du contenu de plusieurs messageries électroniques, juste avant le second tour de l’élection présidentielle, dans le but de manipuler l’opinion française dans un moment démocratique important.
La Russie n’est bien évidemment pas un cas isolé. Elle est soupçonnée par l’exécutif, comme la Chine et l’Azerbaïdjan, de s’ingérer en Nouvelle-Calédonie, alors que ce territoire traverse une période troublée.
Pour faire face à ces ingérences régulières qui menacent notre intégrité, notre sécurité et notre souveraineté nationales, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à renforcer nos capacités d’action.
Elle prévoit de moderniser notre cadre législatif pour mieux armer nos institutions et nos services de renseignement, afin de faire face à la menace, dans la continuité du travail qui a déjà été mené en la matière depuis la création de Viginum en juillet 2021.
Ce texte prévoit de mettre à la disposition de nos services de renseignement la technologie de l’algorithme, sur le modèle des boîtes noires algorithmiques expérimentées puis pérennisées par la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.
Très concrètement, ce dispositif permettra à nos services de renseignement d’utiliser un traitement automatisé des données numériques et d’identifier des individus ou des acteurs qui tentent d’échapper à nos radars.
Pour ceux qui pourraient s’inquiéter des implications pour les libertés publiques, je tiens à souligner que ces mesures seront strictement encadrées et limitées à la lutte contre les ingérences et qu’elles seront d’abord mises en œuvre à titre expérimental.
L’adaptation de notre arsenal de lutte contre les ingérences passera également par des volets plus traditionnels. Il s’agira notamment de s’en prendre aux portefeuilles des acteurs hostiles à la France.
Ce texte introduit ainsi des mesures financières sévères, telles que le gel des avoirs des acteurs identifiés comme menaçant notre sécurité nationale, en vertu des modifications proposées au code monétaire et financier.
À la suite du rapport de la délégation parlementaire qui a déjà été cité, j’évoquerai de nouveau la porosité entre l’influence et l’ingérence étrangères.
L’ingérence, dans son intention et sa finalité, est résolument hostile à l’égard du pays qu’elle cherche à déstabiliser. Ce n’est pas le cas de l’influence, même si celle-ci peut faire place, petit à petit et parfois insidieusement, à des actions d’ingérence.
C’est la raison pour laquelle le présent texte, enrichi par les travaux de la commission des lois, prévoit la création d’un répertoire ad hoc dans lequel seront recensés les représentants d’intérêts qui cherchent à influencer la décision publique française pour le compte d’un mandant étranger.
La création de cet outil a été préconisée par l’OCDE dans un rapport d’avril dernier consacré au renforcement de la transparence et de l’intégrité des activités d’influence étrangère en France. Il permettra d’apporter de la transparence et fera connaître, aussi bien au grand public qu’à la représentation nationale, ces acteurs qui cherchent à peser sur la prise de décision.
Cette connaissance des acteurs de l’influence sera renforcée par une esquisse de l’état des menaces d’ingérence étrangère sur notre sécurité nationale, laquelle sera réalisée tous les deux ans et fera l’objet d’un rapport prévu à l’article 2 de la présente proposition de loi.
Pour protéger les intérêts de la Nation et préserver notre sécurité et notre intégrité nationales, le groupe RDPI soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour l’examen de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France, texte rédigé par Sacha Houlié, président de la commission des lois à l’Assemblée nationale.
Il y a quelques années encore, le terme « ingérence » ne revêtait pas la même signification. On évoquait plus couramment le fameux « devoir d’ingérence ». Le dictionnaire de l’Académie française relève ironiquement que « [c]’est abusivement qu’on use des termes Droit d’ingérence, Devoir d’ingérence […]. On ne peut parler correctement que du Droit d’assistance ou du Devoir d’assistance. »
Nos débats plus récents, où le terme d’ingérence renvoie clairement à une menace, disent beaucoup de l’évolution des relations internationales ces dernières aimées. La fin de l’histoire entrevue par Fukuyama n’est plus qu’un lointain souvenir et les démocraties occidentales, qui vivaient dans le confort illusoire d’un concert des nations dont elles resteraient le chef d’orchestre, font aujourd’hui face à une cacophonie anxiogène.
Soupçonnées, fantasmées, avérées, les ingérences sont aujourd’hui présentes dans l’esprit de tous : des ingérences contre l’appareil d’État à n’en pas douter, mais également contre ceux qui ne sont encore que candidats aux responsabilités.
Face à cette menace protéiforme, les réponses ne manquent pas, notamment grâce à l’initiative parlementaire. Le texte dont nous discutons aujourd’hui s’inspire d’ailleurs des travaux de la délégation parlementaire au renseignement, au sein de laquelle je sais pouvoir compter sur l’implication de notre collègue Gisèle Jourda, du président Cédric Perrin et de la rapporteure Agnès Canayer. Je tiens également à évoquer la commission d’enquête sénatoriale, présidée par notre collègue Rachid Temal, créée sur l’initiative du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Pour l’essentiel, ces travaux convergent. Cependant, comme vous le détaillera notre collègue Gisèle Jourda, les membres de notre groupe considèrent que ce texte ne prend pas encore totalement la mesure de l’état de la menace.
Aussi, nous pensons qu’il subsiste quelques trous dans le dispositif qui nous est proposé, pour intéressant qu’il soit. J’en veux pour preuve la manière dont un sujet, qui a pourtant fait l’actualité récemment, reste totalement exclu du dispositif proposé à l’article 1er. Ainsi, il nous semblerait cohérent de s’assurer que les candidats aux élections européennes ne soient pas la cible d’opérations de déstabilisation. C’est l’objet de l’un de nos amendements, dont nous espérons qu’il recevra un accueil favorable puisque les candidats aux élections nationales sont eux-mêmes concernés par le dispositif.
Pourquoi nous arrêter en si bon chemin d’ailleurs ? Parmi les personnes cibles des activités d’influence sont déjà pris en compte les membres des autorités administratives indépendantes (AAI) ou des autorités publiques indépendantes (API), mais pas ceux du Conseil constitutionnel, au motif que l’organisation et le fonctionnement du Conseil relèvent de la seule Constitution et non de la loi ordinaire. Or intégrer les membres du Conseil constitutionnel dans la liste des personnes cibles des activités d’influence ne crée aucune obligation pour ses membres et ne modifierait en rien l’organisation ou le fonctionnement de cette noble institution.
Nous vous proposerons également d’aller encore plus loin en prenant en compte la protection du locataire de l’Élysée. Le texte actuel ne s’applique qu’aux anciens présidents de la République, au motif qu’un président en exercice ne relève que de la Constitution. Toutefois, l’amendement que nous proposerons ne vise à créer pour lui aucune obligation et ne tend nullement à modifier son statut, qui ne relève effectivement que de la Constitution. Ici aussi, les obligations ne s’imposeraient qu’à ceux qui entreprennent des actions d’influence à l’égard du Président.
J’évoquerai enfin un amendement que nous jugeons emblématique. On a beaucoup glosé sur les contrats liant d’anciens premiers ministres étrangers à la Russie. Toutefois, il semble que cette situation ne concerne pas que nos voisins. Nous vous proposerons donc de renforcer le contrôle de la reconversion professionnelle des anciens membres du Gouvernement. La commission des lois a déjà souhaité que le contrôle des risques d’ingérence étrangère s’exerce pour une durée de cinq ans après la cessation des fonctions, non de trois ans, comme pour les autres contrôles.
Nous avions proposé un dispositif similaire, mais pour une durée de dix années. Les entreprises d’ingérence étrangère s’exercent sur le temps long, sans doute davantage que les activités de lobbying domestiques. C’est pourquoi, tenant compte du premier pas effectué par la commission des lois, nous vous proposerons en séance un délai de contrôle de huit années après la cessation des fonctions.
Mes chers collègues, Gisèle Jourda complétera utilement mon propos, mais vous l’aurez d’ores et déjà compris, c’est dans un état d’esprit constructif et ambitieux que nous abordons l’examen de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rares sont les convergences de l’histoire et de la politique aussi évidentes sur le vieux continent que celles qui prêtent vie à la fois aux influences entre États, mais aussi aux ingérences étrangères.
Or si les influences peuvent être acceptées, voire choisies, les ingérences ne sauraient être tolérées, d’autant moins que ces dernières empruntent sans cesse de nouveaux moyens, de nouvelles formes, qui rendent toujours plus difficile leur identification.
La conscience de cette difficulté a d’ores et déjà conduit à la création, au Sénat, d’une commission d’enquête dont les travaux sont en cours et dont j’ai l’honneur d’être le vice-président. Comme l’a dit tout à l’heure Gisèle Jourda, nous pouvons légitimement regretter que cette proposition de loi précède les conclusions de notre commission d’enquête, même si ce texte tient sans doute compte des recommandations antérieures de la délégation parlementaire au renseignement.
Ainsi, n’aurait-on réellement pas pu attendre les conclusions de notre commission d’enquête pour légiférer ? J’ai entendu les débats sur ce point tout à l’heure ; ils ne m’ont que moyennement convaincu. Ce décalage donnera vraisemblablement naissance, me dit-on, à un second texte, qui devrait compléter le premier à l’issue des travaux de la commission d’enquête. Pourquoi, dès lors, ne pas rassembler toutes ces propositions en un texte unique ?
Sur le fond, la nécessité d’adapter nos outils de lutte contre les ingérences et les menaces étrangères est évidente, mais cette façon de segmenter notre intervention législative conduit nécessairement à des insuffisances, sur lesquelles je me dois de revenir.
Tout d’abord, ce texte semble résulter d’une actualité sélective, au lieu d’embrasser l’intégralité de son sujet : comment comprendre, sinon, que l’on y mentionne les risques d’ingérence venant de Russie, de Chine, ou même d’Azerbaïdjan, au lieu d’inclure dans notre champ d’enquête d’autres États, dont les stratégies d’influence sont au moins aussi patentes – je pense notamment aux pays du Golfe –, ou des mouvements faisant la promotion de la radicalité islamiste, bien présents à l’intérieur de notre pays ?
Ensuite, cette proposition de loi m’apparaît incomplète et me semble aller insuffisamment loin pour pouvoir atteindre ses objectifs. Je vous donnerai trois exemples.
En premier lieu, l’architecture de la transparence est arc-boutée sur une autorité, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, qui est investie d’un nombre croissant de missions, lesquelles vont du traitement des déclarations de patrimoine à la recherche de conflits d’intérêts, en passant par le contrôle des mobilités entre le public et le privé et la mise à disposition de ces informations au public, et que sais-je encore…
Il me paraît opportun d’insister ici sur le caractère essentiel des missions de la HATVP et sur l’accroissement considérable de ses compétences ces dernières années. Cette poussée de croissance pose cependant la question des moyens dont elle doit disposer, ainsi que celle des pouvoirs de sanction administrative dont elle reste encore aujourd’hui dépourvue. J’appelle donc votre attention, monsieur le ministre, sur ce sujet, car il me semble devoir être traité au plus vite.
En deuxième lieu, lorsque les flux de données et d’informations augmentent de manière exponentielle, comme c’est le cas actuellement, le recours aux nouvelles technologies croît pareillement.
Nous devons cependant y accorder autant d’importance que l’exige notre dépendance envers cette technologie, car celle-ci peut à son tour conduire à de nouvelles ingérences et à de nouvelles menaces. Consommation, surveillance, reconnaissance faciale, collecte d’informations, justice prédictive et domaine sanitaire : les algorithmes trouvent sans cesse de nouvelles applications. Nous tentons de faire preuve de la plus grande vigilance et de prévoir l’encadrement législatif le plus adapté à leur développement, leur utilisation et leur sécurisation, mais la tâche se révèle, elle aussi, sans fin !
Dans ce contexte, il me semble qu’une surveillance et une régulation d’ampleur des algorithmes, au moyen d’une expertise et d’une indépendance parfaites, sont devenues nécessaires et pourraient conduire à la désignation d’une nouvelle autorité publique, ainsi que l’ont déjà proposé avant moi le Conseil d’État, la Cour de cassation et le Conseil national des barreaux.
Cette solution est devenue non seulement indispensable, au vu du contexte contemporain et des dernières évolutions juridiques, mais aussi inéluctable si l’on souhaite préserver un équilibre salutaire entre État et démocratie.
En troisième et dernier lieu, les procédures de contrôle et de sanction appellent à la fois un cadre législatif rigoureux et une action administrative vigoureuse.
À cet égard, la multiplication des procédures de gels d’avoirs et des sanctions administratives, fondées sur l’action des services de renseignement, peut sembler à la fois insuffisante envers les puissances étrangères, mais aussi exorbitante à l’égard de personnes physiques ou morales nationales, qui sont exposées à la concurrence internationale et à la financiarisation mondiale.
Il serait donc particulièrement utile que l’exécutif rende compte de l’efficacité de la coordination entre les services de renseignement, civil et militaire, de l’intérieur et de l’extérieur, les services du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui assurent la vigilance numérique, et les institutions ou autorités associées.
Dans le cas contraire, de simples interventions sectorielles ou parcellaires ne constitueraient, tout au plus, que des trompe-l’œil dans un bilan qui pourrait prêter à discussion au regard de notre souveraineté et de notre indépendance nationale actuelles.
Pour finir, j’insisterai sur la nécessité d’une stratégie nationale ambitieuse, à la fois de lutte contre les ingérences étrangères, mais également d’influence, à l’international, au service de nos propres valeurs. Peut-être la commission d’enquête du Sénat, qui s’intéresse progressivement à ce dernier domaine, pourra-t-elle proposer cette stratégie nationale que j’appelle de mes vœux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est bienvenu et, pour tout dire, attendu. À l’heure où des formes d’ingérence toujours plus diverses et pernicieuses se déploient, prenant la forme de lobbies, de groupes de pression ou de médias étrangers, notre pays doit plus que jamais se doter de l’armature pour se protéger des actions de pouvoirs étrangers et plus encore des moyens pour sévir contre ceux qui trahissent la France.
Nous attendions beaucoup ce texte. Nos concitoyens regardent les effets de ces ingérences, trop présentes et trop nombreuses dans notre pays. La liste en est malheureusement trop longue, car ces ingérences affectent la quasi-totalité des domaines de l’action publique ou de la souveraineté économique.
La forme et l’origine de ces ingérences sont diverses. Il peut s’agir d’un média soi-disant progressiste financé par une théocratie, de députés européens recevant des valises de billets de la même provenance ou d’un ancien premier ministre décoré pour son zèle par le premier secrétaire du parti communiste chinois.
Plus grave encore, Arnaud Montebourg, dans cette assemblée, avait indiqué le prix, fort peu élevé d’ailleurs, de la trahison de la France et de la soumission à des intérêts étrangers de dirigeants politiques et de nos fleurons industriels.
Ainsi, l’obligation de déclaration des personnes mandatées par un pays étranger prévue à l’article 1er nous semble être une avancée certes minime, mais nécessaire. Il nous faut identifier, pour la rigueur du débat public et la nécessaire protection de l’État et de nos intérêts, les personnes qui travaillent ou non pour des pays étrangers.
Néanmoins, ce dispositif recèle encore des lacunes. Pourquoi limiter l’obligation de déclaration aux seules personnes majoritairement financées par l’étranger ? Pourquoi exclure les pays de l’Union européenne, quand nous savons que certains agissent, avec des complices français, pour détruire notre souveraineté industrielle et énergétique ? Pourquoi exclure également les organisations non gouvernementales, qui, sous un manteau d’altruisme, sont souvent le cheval de Troie d’intérêts extérieurs ?
Un État n’a pas d’amis, il n’a que des intérêts, qu’il doit défendre contre tous ceux qui, prétendus partenaires ou adversaires résolus, cherchent à influencer ses décisions et son débat public. Ce texte devrait garantir plus efficacement le suivi des mandataires étrangers, au risque sinon de n’être qu’un coup d’épée dans l’eau.
Nous nous félicitons également que cette proposition de loi favorise la prise de conscience par l’opinion publique de ce danger. Il aura sans doute fallu attendre trop longtemps pour qu’une commission d’enquête se penche enfin sur les ingérences étrangères et sur le risque qu’elles font peser sur notre démocratie et notre souveraineté. La publication d’un rapport et la tenue d’un débat au Parlement sur ce sujet constituent une avancée que nous saluons. Néanmoins, face à la diversité des pratiques d’ingérence, le délai de deux ans entre chaque débat nous semble trop espacé.
Si nous soutenons ce texte dans son principe, nous le critiquons dans ses modalités, peut-être trop légères. Il ne prévoit rien, ou si peu, pour sanctionner efficacement ceux qui ont trahi la patrie en livrant ses fleurons ou leur carnet d’adresses au regard d’un pouvoir extérieur.
Dans tous les cas, nous saluons l’effort que représente ce texte, malgré ses limites. En tout état de cause, nous voterons toutes les mesures permettant de l’améliorer et d’assainir efficacement notre débat public. (M. Joshua Hochart applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les démocraties sont des sociétés ouvertes. Chacun y jouit de la liberté d’expression, peut émettre des idées nouvelles et critiquer l’action du Gouvernement ou du Parlement.
Cette ouverture et cette liberté sont de grandes forces pour nos sociétés. Grâce à un débat d’idées plus nourri, plus respectueux du pluralisme, nous avons la possibilité d’améliorer nos politiques publiques. Cependant, cette ouverture et cette liberté constituent aussi notre talon d’Achille, même en temps de paix. Nos adversaires peuvent effectivement tenter de les instrumentaliser pour peser sur la vie démocratique de notre pays, l’influencer, voire mener des actions d’ingérence.
Lors du vote sur le Brexit ou de l’élection présidentielle américaine en 2016, de telles manipulations ont été détectées. En 2017, notre pays a lui-même été l’objet d’attaques informationnelles.
Les affaires de corruption et d’espionnage auxquelles le Parlement européen a été confronté soulignent la réalité de la menace. Elles nous incitent à la plus grande vigilance à l’approche du scrutin européen, particulièrement dans le cyberespace.
Les ingérences ne se limitent pas, hélas ! aux élections. Nos concitoyens doivent avoir conscience du fait que des acteurs étrangers cherchent à exercer un contrôle, parfois très étroit, sur l’information et surtout sur l’opinion, chaque fois qu’une décision publique est prise dans notre pays.
La création de Viginum en 2021, sous l’égide du SGDSN, a permis de détecter de nombreuses manipulations de l’information, de les caractériser, de les imputer, de les attribuer et de répondre aux ingérences numériques étrangères, que ce soit lors de la pandémie ou depuis le début de la guerre en Ukraine. L’Union européenne et l’Otan développent aussi des doctrines et des outils pour lutter contre cette menace.
Afin de mieux protéger notre société et, au-delà, notre modèle démocratique, nous devons assurer une meilleure transparence des actions d’influence des puissances étrangères.
Je dirai à présent un mot de la situation géorgienne. Bien que les intitulés du présent projet de loi et de la loi géorgienne soient similaires, leurs dispositions comportent des différences majeures.
Pour le régime de Tbilissi, le fait d’être financé à 20 % par des fonds étrangers suffit pour être qualifié d’organisation poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne s’inscrit pas dans la même logique. Elle vise à surveiller les actions de lobbying déployées par les puissances étrangères. On n’y accuse pas l’ensemble des organisations recevant des fonds étrangers d’œuvrer pour des intérêts étrangers.
Le texte vise seulement les organisations qui ont pour objet d’influer sur les décisions publiques en les soumettant à des obligations déclaratives renforcées. Ces déclarations permettront de mettre au jour les manœuvres contre nos institutions. La HATVP aura ainsi les moyens de mieux surveiller la mise en œuvre de stratégies d’influence et de qualifier plus finement leur ampleur.
Dans un contexte d’affrontements particulièrement tendus entre puissances, nous considérons également qu’il est impératif de permettre à nos services de renseignement d’utiliser le traitement automatisé de données afin de détecter les ingérences étrangères, mais aussi toutes les menaces pesant sur la défense nationale.
Si des menaces sont détectées, nous devons avoir les moyens de nous défendre. Le texte prévoit donc un dispositif d’entrave des ingérences. Le Gouvernement pourra ainsi décider le gel des fonds utilisés pour ces manœuvres.
En commission des lois, ce volet préventif a été complété par un volet répressif. Commettre une infraction pour le compte d’une entité étrangère sera désormais constitutif d’une circonstance aggravante des atteintes aux biens et aux personnes. Les techniques spéciales d’enquête pourront être employées, le cas échéant.
Nous ne pouvons plus ignorer la réalité de cette menace et nous avons le devoir d’en protéger nos concitoyens. Les travaux de la délégation parlementaire au renseignement ont fortement inspiré ce texte. Les deux rapporteurs, dont je salue l’excellent travail, ont encore amélioré la proposition de loi. Il sera sans doute nécessaire de renforcer encore ce texte, notamment dans le domaine économique, qui méritera toute notre attention, et de légiférer très prochainement sur ce sujet.
Plus de transparence et plus de renseignement, c’est autant de moyens supplémentaires pour permettre à notre pays de mieux se défendre contre les atteintes portées à notre souveraineté dans cette drôle de néo-guerre informationnelle qui s’intensifie. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)