Sommaire

Présidence de Mme Sophie Primas

Secrétaires :

Mmes Catherine Di Folco, Patricia Schillinger.

1. Procès-verbal

2. Modifications de l’ordre du jour

3. Communication relative à une commission mixte paritaire

4. Débat sur le bilan de l’application des lois

Mme Sylvie Vermeillet, présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances

Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement

Débat interactif

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques ; Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement ; Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques.

M. Philippe Paul, vice-président de la commission des affaires étrangères ; Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales ; Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement ; M. Philippe Mouiller.

M. Didier Mandelli, vice-président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ; Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement ; M. Didier Mandelli.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture ; Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances ; Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement.

M. Christophe-André Frassa, vice-président de la commission des lois ; Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes ; Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement.

Mme Marianne Margaté ; Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement.

Mme Nathalie Delattre ; Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement.

M. Bernard Buis ; Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement.

Mme Marion Canalès ; Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement ; Mme Marion Canalès.

Mme Muriel Jourda ; Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement ; Mme Muriel Jourda.

M. Aymeric Durox ; Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement.

M. Alain Marc ; Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement.

M. Olivier Cadic ; Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement.

M. Ronan Dantec ; Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement ; M. Ronan Dantec.

Suspension et reprise de la séance

5. Intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques. – Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale

M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques

Mme Cécile Cukierman, rapporteure de la commission des lois

M. Michel Masset

Mme Nicole Duranton

Mme Audrey Linkenheld

M. Arnaud Bazin

M. Joshua Hochart

M. Dany Wattebled

M. Jean-Michel Arnaud

M. Guy Benarroche

M. Éric Bocquet

Clôture de la discussion générale.

Suspension et reprise de la séance

Article 1er

Mme Nathalie Goulet

Amendement n° 26 du Gouvernement. – Adoption.

Amendement n° 27 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 22 de M. Éric Bocquet. – Adoption.

Amendement n° 5 rectifié de Mme Florence Blatrix Contat. – Devenu sans objet.

Amendement n° 11 de Mme Nathalie Goulet. – Adoption.

Amendements identiques nos 12 rectifié bis de M. Arnaud Bazin et 23 de M. Éric Bocquet. – Adoption des deux amendements.

Amendement n° 2 de M. Guy Benarroche. – Rejet.

Adoption de l’article modifié.

Article 1er bis (supprimé)

Amendement n° 28 du Gouvernement. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Article 2 – Adoption.

Article 3

Amendement n° 29 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 20 de Mme Nicole Duranton. – Rejet.

Amendements identiques nos 13 rectifié bis de M. Arnaud Bazin et 24 de M. Éric Bocquet. – Adoption des deux amendements.

Adoption de l’article modifié.

Article 3 bis – Adoption.

Article 4 (suppression maintenue)

Article 5 – Adoption.

Après l’article 5

Amendement n° 3 de M. Guy Benarroche. – Rejet.

Amendement n° 7 de M. Joshua Hochart. – Rejet.

Amendement n° 9 de M. Joshua Hochart. – Rejet.

Article 5 bis (supprimé)

Amendement n° 1 rectifié de M. Guy Benarroche. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Article 6

Amendement n° 31 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 6 bis – Adoption.

Article 8 (suppression maintenue)

Article 9 – Adoption.

Article 10

Amendement n° 14 rectifié bis de M. Arnaud Bazin. – Retrait.

Amendement n° 32 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 33 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 11

Amendement n° 15 rectifié bis de M. Arnaud Bazin. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 12

Amendements identiques nos 4 rectifié de M. Guy Benarroche et 25 de M. Éric Bocquet. – Adoption des deux amendements.

Amendement n° 10 de M. Joshua Hochart. – Rejet.

Amendement n° 34 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article modifié.

Article 13

Amendement n° 35 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 14

Amendement n° 36 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 15

Amendement n° 37 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 16 de Mme Nathalie Goulet. – Adoption.

Amendement n° 40 de la commission. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 16

Amendement n° 38 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Après l’article 16

Amendement n° 8 de M. Joshua Hochart. – Rejet.

Article 17

Amendements identiques nos 17 de Mme Audrey Linkenheld et 18 rectifié bis de Mme Catherine Morin-Desailly. – Rejet des deux amendements.

Adoption de l’article.

Article 18

Amendement n° 6 rectifié de Mme Florence Blatrix Contat. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 19

Amendement n° 39 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Vote sur l’ensemble

Mme Nathalie Goulet

M. Éric Bocquet

Mme Audrey Linkenheld

Mme Catherine Morin-Desailly

Mme Cécile Cukierman, rapporteure

M. Guy Benarroche

M. Arnaud Bazin

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

Suspension et reprise de la séance

6. Prise en charge des mineurs en questionnement de genre. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi

M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention

Question préalable

Motion n° 1 de Mme Mélanie Vogel. – Mme Mélanie Vogel ; M. Alain Milon, rapporteur ; M. Frédéric Valletoux, ministre délégué ; M. Yan Chantrel ; M. Ian Brossat ; M. Philippe Grosvalet. – Rejet par scrutin public n° 201.

7. Modification de l’ordre du jour

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud

8. Mises au point au sujet de votes

9. Prise en charge des mineurs en questionnement de genre. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Motion préjudicielle

Motion n° 42 de Mme Anne Souyris. – Mme Anne Souyris ; M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales ; M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention. – Rejet par scrutin public n° 202.

Discussion générale (suite)

M. Xavier Iacovelli

Mme Laurence Rossignol

Mme Muriel Jourda

M. Stéphane Ravier

Mme Marie-Claude Lermytte

Mme Brigitte Devésa

Mme Anne Souyris

Mme Silvana Silvani

Mme Véronique Guillotin

Mme Laurence Muller-Bronn

Mme Pascale Gruny

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

M. Alain Milon, rapporteur

Mme Cécile Cukierman

M. Hussein Bourgi

M. Bruno Retailleau

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué

Mme Mélanie Vogel

Amendements identiques nos 4 de Mme Silvana Silvani, 8 rectifié de Mme Véronique Guillotin et 32 de Mme Anne Souyris. – Rejet, par scrutin public n° 203, des trois amendements.

Amendement n° 9 rectifié de Mme Véronique Guillotin. – Rejet.

Amendement n° 17 de Mme Anne Souyris. – Rejet.

Amendement n° 15 de Mme Laurence Rossignol. – Retrait.

Amendement n° 41 de la commission. – Adoption.

Amendement n° 10 rectifié de Mme Véronique Guillotin. – Rejet.

Amendement n° 2 rectifié de Mme Laurence Muller-Bronn. – Rejet.

Amendement n° 11 rectifié de Mme Véronique Guillotin. – Rejet.

Amendement n° 3 rectifié de Mme Laurence Muller-Bronn. – Retrait.

Amendement n° 40 de la commission. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 2

Amendements identiques nos 5 de Mme Silvana Silvani, 12 rectifié de Mme Véronique Guillotin, 14 de Mme Laurence Rossignol et 34 de Mme Anne Souyris. – Rejet des quatre amendements.

Adoption de l’article.

Article 3

Mme Laurence Muller-Bronn

Amendements identiques nos 13 rectifié de Mme Véronique Guillotin et 16 de Mme Laurence Rossignol. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 6 rectifié bis de Mme Brigitte Devésa. – Adoption.

Amendement n° 7 rectifié bis de Mme Brigitte Devésa. – Retrait.

Adoption de l’article modifié.

Article 4 (nouveau) – Adoption.

Vote sur l’ensemble

M. Ian Brossat

Mme Silvana Silvani

M. Rémi Féraud

Mme Mathilde Ollivier

M. Joshua Hochart

Mme Marie-Do Aeschlimann

M. Daniel Chasseing

M. Yan Chantrel

Mme Olivia Richard

Mme Anne-Sophie Romagny

Mme Mélanie Vogel

Mme Anne Souyris

Mme Muriel Jourda

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales

Adoption, par scrutin public n° 204, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

10. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Sophie Primas

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Catherine Di Folco,

Mme Patricia Schillinger.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 22 mai 2024 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Modifications de l’ordre du jour

Mme la présidente. Mes chers collègues, à la demande du Gouvernement, nous commencerons le débat sur le thème « La France a-t-elle été à la hauteur des défis et de ses ambitions européennes ? », inscrit à l’ordre du jour du mercredi 29 mai, au plus tôt à vingt et une heures.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

Par ailleurs, conformément à ce qui a été décidé par la conférence des présidents réunie le 15 mai dernier, nous pourrions inscrire à l’ordre du jour du 5 juin, à seize heures trente, la création d’un groupe de travail préfigurant la commission spéciale chargée d’examiner, sous réserve de son dépôt, le projet de loi relatif à la résilience des activités d’importance vitale, à la protection des infrastructures critiques, à la cybersécurité et à la résilience opérationnelle numérique du secteur financier, et, le cas échéant, la désignation de ses trente-sept membres. Les candidatures devront être communiquées avant le 4 juin à quinze heures.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

Enfin, par lettre en date du 24 mai, le Gouvernement retire de l’ordre du jour du Sénat l’examen en deuxième lecture de la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, initialement inscrite à l’ordre du jour des 19 et 20 juin.

En conséquence, le Sénat ne siégera pas le lundi 17 juin et examinera le projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables le mardi 18 juin à quatorze heures trente et le soir, le mercredi 19 juin en dernier point de l’ordre du jour ainsi que le jeudi 20 juin à onze heures et l’après-midi.

Acte est donné de cette demande.

Nous pourrions en conséquence reporter le délai limite pour l’inscription des orateurs des groupes au lundi 17 juin à quinze heures.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

3

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

4

Débat sur le bilan de l’application des lois

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur le bilan de l’application des lois (rapport d’information n° 624).

La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances.

Mme Sylvie Vermeillet, présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances. Madame la présidente, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, en septembre 2022 était déposé au Sénat le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables. Compte tenu de l’urgence du défi climatique et du retard de la France en matière d’énergies renouvelables, le Gouvernement avait engagé la procédure accélérée sur ce texte. Le Sénat l’avait donc examiné dans des délais particulièrement contraints. Pourtant, malgré l’urgence qu’il y a à déployer les énergies renouvelables, malgré la procédure accélérée, ce texte affichait au 31 mars 2024, soit un an après sa promulgation, un très faible taux d’application de 26 %.

Cela n’est pas tout de voter la loi, encore faut-il que les textes d’application soient pris, qu’ils soient pris dans les temps et qu’ils soient pris en respectant la volonté du législateur.

Depuis plus de cinquante ans, le Sénat mène ce travail vigilant et approfondi de suivi de l’application des lois. Les commissions permanentes sont au cœur de ce dispositif. Tout au long de l’année, elles mènent un travail attentif de veille réglementaire pour les textes d’application relevant de leur compétence. Ce travail est rendu possible grâce au dialogue nourri avec les différentes administrations, ainsi qu’avec le secrétariat général du Gouvernement (SGG), avec qui les échanges sont fluides et fructueux. Au mois de mai, le Sénat présente chaque année un rapport détaillé sur l’application des lois de la session précédente.

Je vais donc vous présenter la synthèse du bilan de l’application des lois pour la session 2022-2023. J’associerai aux éléments statistiques, qui dessinent des tendances, des exemples concrets de lois, toujours plus éloquents que des chiffres. Les commissions reviendront ensuite plus en détail sur certaines de ces lois.

Le bilan que je vous présente aujourd’hui analyse la mise en application des lois adoptées entre le 1er octobre 2022 et le 30 septembre 2023. Sur cette période, quarante-quatre lois ont été adoptées : onze d’entre elles étaient d’application directe et trente-trois nécessitaient un total de 574 mesures d’application.

Quatre constats principaux peuvent être tirés de ce bilan.

Le premier bilan est celui d’une stabilisation du taux global d’application des lois. Ce taux s’établit à 64 %, contre 65 % l’année dernière. Si l’on exclut les mesures dont le législateur a autorisé une entrée en vigueur différée, ce taux d’application s’élève à 68 %, soit un niveau identique au taux de 2021-2022. En outre, les mesures d’application ont été publiées en moyenne cinq mois et vingt-trois jours après la promulgation de la loi. Ce délai est pour la deuxième année consécutive sous la limite des six mois fixée par le Gouvernement dans une circulaire de février 2008, limite réaffirmée dans une circulaire de décembre 2022.

Cette stabilisation globale ne permet cependant pas de revenir au niveau d’application des lois observé à la fin des années 2010. Notre taux d’application de 64 % reste ainsi encore loin du taux de 2017-2018, qui s’élevait à 78 %. Certes, le taux global d’application des lois se stabilise, mais 206 mesures d’application sur les 574 prévues n’ont pas été prises, soit 36 %, ce qui est encore beaucoup trop.

Le deuxième constat concerne les lois d’origine parlementaire.

Les lois issues de propositions de loi affichent un très faible taux d’application de 43 % ! Il y a un différentiel de plus de vingt points entre ce taux et le taux d’application toutes lois confondues. L’écart se creuse cette année – il était de dix points l’an dernier. Quand elles sont prises, les mesures d’application des lois d’initiative parlementaire le sont en moyenne sept mois et neuf jours après l’adoption de la loi. La limite de six mois n’est alors pas respectée.

À titre d’exemple, je citerai le cas de la loi du 21 juin 2023 visant à faciliter le passage et l’obtention de l’examen du permis de conduire. D’origine parlementaire, cette loi vise à remédier à deux difficultés majeures : le coût et les délais d’obtention du permis de conduire. Certaines dispositions étaient d’application directe, cependant que d’autres nécessitaient des mesures réglementaires. Sur les trois mesures prévues, aucune n’a été prise ! L’article 3 de la loi visait à étendre la possibilité d’utiliser le compte personnel de formation (CPF) à toutes les catégories de permis de conduire et un décret devait préciser les conditions et les modalités d’éligibilité au CPF des formations concernées. Ce décret n’a toujours pas été pris ! Cet article 3 constituait d’ailleurs un point de vigilance pour M. Loïc Hervé, rapporteur de ce texte pour la commission des lois.

Je vous présenterai un autre exemple, issu d’une proposition de loi sénatoriale, la célèbre loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux, dite loi ZAN, qui assouplit les conditions d’application des mesures relatives à l’artificialisation des sols de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et Résilience. Au 31 mars 2024, un seul décret avait été pris, portant le taux d’application de la loi à seulement 25 % !

Concernant la santé, j’évoquerai la loi du 19 mai 2023 visant à améliorer l’encadrement des centres de santé, pour lutter contre les graves dérives de certains d’entre eux. Le Gouvernement avait fait pression pour que le Sénat adopte ce texte conforme, afin d’en assurer une promulgation rapide. Pour autant, aucune des cinq mesures d’application n’avait été prise au 31 mars dernier !

J’en viens au troisième constat, qui porte sur les lois considérées comme urgentes, et qui sont examinées selon la procédure accélérée.

Pour la session 2022-2023, les lois examinées après engagement de la procédure accélérée présentent de manière paradoxale des taux d’application particulièrement insatisfaisants. D’année en année, ce taux d’application se détériore. Il est désormais de 50 %. Au 31 mars 2024, la moitié des mesures d’application de ces lois – pourtant présentées comme urgentes – n’ont pas été prises.

Pour l’examen de ces lois, le Gouvernement impose au Parlement une célérité à laquelle lui-même ne s’astreint pas. Cette année, vingt-six lois sur quarante-quatre ont été examinées suivant cette procédure. L’accélération de leur examen parlementaire ne s’est pas forcément concrétisée par une rapidité accrue dans leur mise en application.

Pour ce qui concerne la loi du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense, dite loi de programmation militaire (LPM), vingt-trois mesures réglementaires d’application n’ont pas été prises à ce jour. Il s’agit notamment de nombreuses mesures concernant le renforcement du lien entre la Nation et ses armées, et en particulier celles qui sont liées à la réserve opérationnelle. Le Gouvernement envisageait la publication de ces mesures en décembre 2023. Cinq mesures d’application relatives à la crédibilité stratégique, qui devaient être prises en février de cette année, ne l’ont pas encore été. Compte tenu du contexte international et de la nécessité de renforcer nos armées, nous ne pouvons que déplorer ces retards.

Enfin, j’en viens à mon quatrième constat, qui concerne la remise des rapports du Gouvernement au Parlement.

La doctrine, bien établie, du Sénat en la matière est de faire preuve de parcimonie, et de s’appuyer sur ses propres publications. Cette politique a de nouveau été suivie pour la session 2022-2023, puisque seuls quinze rapports ont été demandés au détour d’un amendement d’origine sénatoriale, contre cinquante-sept à l’Assemblée nationale. Cette réserve du Sénat dans les demandes de rapport commence à être récompensée, puisque, contrairement aux années précédentes, le taux de remise des rapports demandés par le Sénat s’améliore : il s’établit à 27 %, contre un taux de remise nul au cours de la session précédente.

Madame la ministre, encore un petit effort !

Au-delà de l’aspect quantitatif, plusieurs commissions insistent dans leur bilan sur la qualité variable des rapports transmis. Ainsi, la loi de finances pour 2023 prévoyait la remise d’un bilan des évaluations réalisées dans le cadre du dispositif national d’évaluation de la qualité de l’action publique. La commission des finances déplore que le Gouvernement ait remis au Parlement un rapport de vingt-cinq pages qui est essentiellement consacré à une présentation du mécanisme de revue des dépenses et qui n’identifie que quelques mesures d’économie, sans détail ni chiffrage.

Avant de laisser la parole à Mme la ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement, je souhaite conclure cette intervention par un satisfecit, aussitôt accompagné d’une requête.

Le satisfecit concerne la prise en compte des arrêtés. Le SGG, répondant à une demande répétée du Sénat, a commencé à partir du 1er janvier 2024 à suivre les arrêtés nécessaires à l’application des lois. Nous saluons cette décision. Je rappelle que, pour l’application d’une loi, peu importe que la disposition adoptée renvoie à un décret ou à un arrêté : la non-adoption de l’un ou de l’autre a pour effet, dans les deux cas, d’empêcher la volonté du législateur de se traduire pleinement dans le droit et dans les faits.

La requête porte sur le bilan de l’année prochaine. Nous comptons sur le Gouvernement pour qu’il nous adresse un tableau de suivi des arrêtés et qu’un travail de rattrapage soit effectué pour les lois adoptées depuis le début de la XVIe législature. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la présidente, madame la présidente de la délégation du Bureau, madame, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de saluer la qualité du rapport présenté par Mme la présidente Vermeillet et des contributions des commissions permanentes, ainsi que l’importance de ce débat, qui constitue un temps fort du calendrier de suivi de l’application des lois.

Au 31 mars 2024, hors mesures différées, le taux d’application des lois publiées entre octobre 2022 et septembre 2023 était de 69 %, contre 74 % à la même date l’an passé.

Ce taux a toutefois connu une nette amélioration ces dernières semaines, car, en prenant en compte les textes réglementaires adoptés depuis la fin de mars, il atteint désormais 75 %, contre 78 % à la fin du mois de mai 2023, soit un écart réduit à trois points.

Malgré cette forte accélération, je partage, madame la présidente, le constat que ce taux global doit continuer à progresser, et que les mesures d’application de certaines lois tardent à être prises. Nous aurons sans doute l’occasion de revenir sur plusieurs d’entre elles dans la suite du débat.

Le retard observé s’explique en partie par l’augmentation tendancielle des renvois au règlement introduits au cours de la navette, qui représentent désormais plus de la moitié des mesures à prendre, ainsi que par la concentration des mesures d’application sur un nombre réduit de ministères.

En effet, le ministère du travail, de la santé et des solidarités, le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi que le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires représentent à eux trois 80 % de l’ensemble des mesures réglementaires à prendre.

Je constate par ailleurs, comme vous, un écart important des taux d’application entre les lois d’origine gouvernementale et les lois d’origine parlementaire.

Toutefois, en examinant dans le détail l’origine des renvois à des mesures réglementaires, toutes lois confondues, nous constatons que l’écart est seulement de quatre points entre ceux d’origine gouvernementale et ceux d’origine parlementaire. Il n’y a donc bien sûr aucune forme de discrimination de la part du Gouvernement, dans l’application des lois, en fonction de l’origine des mesures.

Quant à la remise des rapports, elle reste non satisfaisante, car le taux de réponse aux demandes formulées par le Parlement est de 35 % pour la session 2022-2023, contre 43 % pour la session précédente. Je connais la parcimonie de votre assemblée en la matière, et me tiens à la disposition du Sénat pour alerter les ministres sur les rapports spécifiques pour lesquels les travaux d’élaboration doivent être priorisés.

Concernant les ordonnances prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement a considérablement réduit le nombre de demandes d’habilitation, conformément aux engagements pris à l’été 2022. Ainsi, alors que 353 ordonnances avaient été prises au cours de la XVe législature, seulement trente-neuf ont été publiées depuis le début de cette législature, en majorité pour transposer des dispositions européennes d’ordre technique.

Enfin, comme le Gouvernement s’y était engagé devant vous l’an passé, et à la suite de l’annonce faite par le ministre chargé des relations avec le Parlement lors du dernier comité interministériel de l’application des lois, le secrétariat général du Gouvernement a engagé une démarche de suivi des arrêtés pris pour l’application des lois, lorsqu’ils sont directement mentionnés par celles-ci.

Cette évolution répond à une demande ancienne et légitime du Sénat, qui permettra à terme de rendre compte de l’application des lois de manière encore plus exhaustive et de mieux piloter la mise en œuvre de ces textes par les ministères.

En réponse à votre requête, madame la présidente de la délégation, je vous confirme que nous pourrons présenter au Sénat un taux d’adoption des arrêtés, lors du prochain débat, incluant l’ensemble des lois promulguées depuis le début de la législature.

Voici les éléments dont je souhaitais vous faire part en introduction. Je conclus mon propos en remerciant les services du secrétariat général du Gouvernement pour leur engagement et le travail considérable qu’ils effectuent au quotidien afin de coordonner l’application des lois au niveau interministériel.

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif. Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum, y compris l’éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente.

Je vais tout d’abord donner la parole aux représentants des commissions.

La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Madame la ministre, cinq ans après la publication de la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, qui prévoyait l’adoption d’une loi quinquennale sur l’énergie devant fixer les objectifs et les priorités d’action de notre politique énergétique nationale avant le 1er juillet 2023, force est de constater que celle-ci n’a toujours pas vu le jour.

Pis, le Gouvernement a successivement annoncé renoncer à légiférer, non seulement sur le projet de loi de souveraineté énergétique en mars, mais également sur toute programmation énergétique en avril.

Décider une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et une stratégie nationale bas-carbone (SNBC) par décret, alors que les objectifs législatifs nationaux, datant de 2019, sont obsolètes et n’intègrent pas les règlements et les directives issus du paquet européen Ajustement à l’objectif 55 de 2023, serait contraire à la volonté du législateur et aux engagements qui avaient été pris. Cela serait même très périlleux sur le plan juridique, mais aussi, bien sûr, sur le plan politique. Voilà qui exposerait ces textes à des critiques et, surtout, à des contentieux, en raison de leur articulation avec le cadre légal ou européen.

Madame la ministre, comment intégrez-vous ce risque juridique et politique ? Entendez-vous les critiques faites sur ce point par le Sénat ? Entendez-vous qu’il est nécessaire de légiférer sur nos objectifs énergétiques ? Soutenez-vous la proposition de loi déposée en ce sens par le groupe Les Républicains, qui sera débattue en séance publique à partir du 11 juin ? (M. Philippe Mouiller applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée, pour répondre à ces excellentes questions. (Sourires.)

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la présidente Estrosi Sassone, en matière de politique énergétique, le Gouvernement a un impératif, celui qui consiste à donner de la visibilité aux acteurs économiques et à accélérer notre dynamique économique et industrielle face à l’urgence climatique. Vous partagez ces mêmes préoccupations et je tiens à saluer l’investissement des sénateurs Gremillet et Chauvet, qui sont particulièrement impliqués.

Face à l’urgence d’agir, nous sommes malheureusement confrontés à une forme de guerre de religion, si vous me permettez l’expression, entre les pronucléaires et les pro-énergies renouvelables. Le Gouvernement, face à une telle situation, a fait le choix du pragmatisme. (M. François Bonhomme ironise.) Il souhaite définir une programmation énergétique qui nous permette à la fois de sortir des énergies fossiles, de développer en priorité l’atome et de nous appuyer sur les énergies renouvelables. Je sais que vous partagez ces ambitions sur le fond.

Pour ce faire, et pour mettre en œuvre cette programmation énergétique, nous allons lancer une consultation nationale d’ici à l’été au travers de la Commission nationale du débat public…

M. François Bonhomme. Un numéro vert !

Mme Marie Lebec, ministre déléguée. … et, à l’issue de ce débat, les objectifs et les moyens seront fixés.

Le Gouvernement prévoit par ailleurs de proposer prochainement des mesures législatives de protection des consommateurs, pour tirer toutes les leçons de la crise énergétique.

Ensuite, nous souhaitons renforcer notre filière hydroélectrique, pour relancer les investissements et libérer les potentiels, en surmontant le contentieux en cours au niveau européen. Le Parlement sera bien sûr étroitement associé à ce travail.

Enfin, concernant l’initiative parlementaire sur laquelle vous m’avez posé une question, le débat aura lieu dans l’hémicycle le 11 juin prochain. Le ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie vous fera alors part de l’avancée des travaux en la matière.

M. François Bonhomme. Belle information !

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques, pour la réplique.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Madame la ministre, vous parlez de pragmatisme, mais vous avez souhaité, une nouvelle fois, contourner le Parlement. Le fait que vous ne vouliez pas inscrire un tel débat à l’ordre du jour le démontre.

Nous n’hésiterons pas à vous prendre à contre-pied, et nous débattrons de tous ces sujets ô combien importants, ici même dans l’hémicycle. J’espère que le Gouvernement saura se saisir du fond et de la forme de cette proposition de loi, à la fois sur la programmation et sur la simplification. (Mme Béatrice Gosselin applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères.

M. Philippe Paul, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le bilan de l’application des lois pour notre commission repose sur deux lois principales.

D’abord, ce bilan s’intéresse à la loi de programmation militaire pour les années 2024-2030. Elle connaît, à ce jour, un taux d’application de 30 %, avec neuf décrets d’application publiés. Il reste à ce jour au Gouvernement vingt-trois mesures réglementaires d’application à prendre.

Selon le calendrier communiqué, certaines auraient dû être prises depuis décembre ou février derniers. Il s’agit notamment de mesures relatives au renforcement du lien entre la Nation et ses armées : mesures liées à la réserve opérationnelle, mesures sur la modernisation des réquisitions ou encore mesures relatives à la crédibilité stratégique ou à la sécurité des systèmes d’information.

Vu l’évolution défavorable du contexte géopolitique, notre commission souhaite que les autres mesures d’application soient prises dans les meilleurs délais.

Notre commission souhaite être informée des travaux préparatoires à ces mesures d’application, en particulier en ce qui concerne les mesures relatives à l’industrie de défense.

La LPM contient une autre innovation, à savoir la commission parlementaire d’évaluation de la politique du Gouvernement d’exportation de matériels de guerre et de matériels assimilés, de transfert de produits liés à la défense ainsi que d’exportation et de transfert de biens à double usage, prévue à l’article 54 de la loi. Ses membres ont été désignés. Ils devraient se réunir rapidement pour examiner pour la première fois le rapport annuel sur les exportations d’armement.

En matière d’aide publique au développement, la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, est, depuis l’exercice précédent, totalement applicable, d’autant que nous venons d’adopter la loi du 5 avril 2024 relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement, qui devrait permettre la mise en place rapide de ce nouvel organisme.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le vice-président Paul, la loi de programmation militaire pour 2024-2030 permet de porter une ambition financière sans précédent et donc de faire de notre pays une puissance militaire de premier plan. Nous avons pour objectif d’assurer une application pleine et entière de ce texte majeur, qui a été publié en août dernier.

De nombreux décrets d’application de cette loi ont d’ores et déjà été publiés concernant les dispositions sur le renforcement des liens entre la Nation et les armées. Je vais vous citer quelques exemples de décret : le décret du 20 décembre 2023 sur la carte du combattant, le décret du 28 décembre 2023 relatif au recrutement des anciens militaires d’active et au maintien en service des militaires ayant atteint la limite d’âge ou la limite de durée des services, ou le décret du 21 décembre 2023 relatif à la promotion fonctionnelle du personnel militaire. Le décret sur la réserve opérationnelle est en cours de finalisation ; les derniers arbitrages devraient être rendus prochainement.

En ce qui concerne les mesures de modernisation des réquisitions, la loi indique que le Gouvernement doit publier les décrets d’application avant le 1er août 2024. Nous avons la ferme volonté de faire aboutir ces travaux dans les meilleurs délais.

Certaines mesures réglementaires ont d’ailleurs déjà été prises en matière d’économie de défense, comme le décret du 28 mars 2024 relatif à la sécurité des approvisionnements des forces armées et des formations rattachées.

En ce qui concerne les dispositions relatives à la crédibilité stratégique et à la sécurité des systèmes d’information, la majeure partie des mesures d’application ont été publiées. Il reste deux décrets qui sont attendus sur les articles 60 et 61 ; ils devraient être publiés très prochainement.

Enfin, la transmission des rapports du bilan d’exécution de la LPM pour la période 2019-2023, prévue à l’article 9, a été effectuée le 26 mars 2024. Les rapports présentant un bilan sur la mise en place du service national universel (SNU) et sur l’exécution de la programmation militaire devraient être publiés dans les prochains jours.

Enfin, le rapport sur les enjeux et les principales évolutions de la programmation budgétaire de la mission « Défense » et celui sur la mise en œuvre des articles 47 à 51 portant sur l’économie de défense devraient être publiés dans les délais fixés par la loi, c’est-à-dire respectivement avant le 30 juin et le 30 septembre.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Madame la ministre, notre temps étant limité, mon propos s’intéressera aux retards d’application dont souffrent trois lois principales, retards emblématiques de la manière de légiférer en matière de santé sous l’actuelle législature.

Je pense en particulier à la proposition de loi de Mme Fadila Khattabi visant à améliorer l’encadrement des centres de santé, dont M. Jean Sol était le rapporteur pour le Sénat. Nous avions alors subi de fortes pressions pour que notre assemblée adopte ce texte conforme, afin d’en assurer une promulgation rapide. Pour autant, aucune des cinq mesures d’application de cette loi n’avait été prise le 31 mars dernier.

Je pense aussi à la proposition de loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite loi Rist 2. Seules six des vingt mesures d’application avaient été prises à la fin de mars, soit un taux d’application de 30 % seulement.

J’ajoute à cette liste la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, issue de la proposition de loi de l’actuel ministre Frédéric Valletoux, qui semble suivre le même chemin, avec un taux d’application de 8 % à ce jour. Je pense pourtant que notre rapporteure, Mme Corinne Imbert, se souvient bien que le Gouvernement avait refusé de reporter l’examen de ce texte au Sénat en octobre dernier, en dépit de la tenue concomitante de négociations conventionnelles, du fait de l’urgence des mesures qu’il contenait.

En conclusion, madame la ministre, il me semble que le Gouvernement ferait mieux d’arrêter ce flot quasi continu de propositions de loi, afin de proposer une véritable stratégie en matière de santé et, dans un premier temps, d’appliquer ce que le Parlement a voté et qui reste trop souvent lettre morte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie Mercier. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. La question de l’accès aux soins est une priorité du Gouvernement, et je sais que la commission des affaires sociales la partage. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail qui est mené par les sénateurs qui en sont membres.

Au sujet de la loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, différents décrets sont attendus. À ce titre, je vous confirme que les décrets relatifs aux diététiciens, aux opticiens et aux orthèses plantaires et le décret relatif à la commission d’assistants de régulation médicale devraient être publiés prochainement. C’est une question de jour pour plusieurs d’entre eux.

S’agissant des autres textes, la préparation du décret simple mettant en place notamment l’expérimentation relative aux infirmiers en pratique avancée a mis en lumière la nécessité de prendre un décret en Conseil d’État complémentaire. L’Académie nationale de médecine doit d’ailleurs rendre un avis d’ici à la mi-juin.

Pour ce qui est enfin des travaux relatifs au décret définissant les conditions de la prise en charge par les infirmiers de la prévention et du traitement de plaies, il nous faut un nouveau vecteur législatif pour pouvoir avancer sur le sujet. Il en est de même pour le décret relatif aux modalités d’exercice de la profession d’assistant dentaire.

Concernant le décret d’application de la loi visant à améliorer l’encadrement des centres de santé, nous attendons un avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), qui devrait être rendu le 6 juin prochain ; il sera soumis à relecture en vue d’une publication qui devrait avoir lieu d’ici à la fin du mois de juin. Le délai d’adoption de ce texte s’explique par le grand nombre de concertations et de consultations qui ont dû être menées auprès d’une quinzaine, au bas mot, d’organismes représentatifs du secteur de la santé.

Monsieur le président Mouiller, vous l’avez compris, nous sommes conscients de vos attentes sur ces différents textes réglementaires ; le Gouvernement travaille à publier l’ensemble des décrets attendus dans les meilleurs délais.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales, pour la réplique.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Madame la ministre, mon sentiment est que nous n’avons pas la même définition de la notion d’urgence en matière de santé. Quant à nous, nous voyons que notre système est en grande difficulté, que des promesses sont faites aux professionnels et aux patients et que, des mots aux actes, l’application tarde.

Permettez-moi un simple conseil : pour éviter une trop longue attente en matière de publication des décrets, déposez des projets de loi plutôt que d’en passer par des propositions de loi ; l’obligation d’y joindre une étude d’impact vous fera gagner du temps à l’autre extrémité du parcours législatif.

Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission de l’aménagement du territoire.

M. Didier Mandelli, vice-président de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Madame la ministre, le bilan de l’application des lois revient à l’ordre du jour avec une régularité métronomique et les constats que nous dressons à cette occasion se caractérisent, hélas ! par une monotonie confinant bien souvent à la litanie. La démonstration par le législateur de sa capacité à élaborer des normes dans des délais contraints par la procédure accélérée est rarement suivie de la même célérité du côté de l’autorité réglementaire. Le fait est connu et souvent déploré dans cet hémicycle.

Emblématique de cette situation est la loi du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité. Promulguée depuis quatre ans, elle prévoit la prise d’un décret relatif aux modalités de constitution et de mise à jour du fichier national du permis de chasser. Oui, mes chers collègues, vous avez bien entendu : quatre ans et demi après le vote de cette loi, ce dispositif reste lettre morte ! Voilà qui pousse à s’interroger sur la capacité de l’État à mener à bien la fonction régalienne qui lui revient au titre de la police de la chasse et sur sa capacité à piloter les opérateurs chargés de cette mission. La commission n’a cessé de déplorer cette situation, rapport après rapport.

Mais, cette année, nous pouvons compter sur un allié de poids pour appuyer nos demandes pressantes : le Conseil d’État. Celui-ci a en effet enjoint au Gouvernement de prendre ce décret dans un délai de six mois, sous peine d’astreinte de 200 euros par jour de retard. Dans ses considérants, le juge administratif a fort pertinemment indiqué que « l’exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit, mais aussi l’obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi ».

Ma question est donc simple, madame la ministre : quand paraîtra ce décret, qui est réclamé à la fois par une assemblée législative et par l’autorité judiciaire ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le vice-président Mandelli, vous m’interrogez sur le retard observé concernant la publication du décret relatif aux modalités de constitution et de mise à jour du fichier national du permis de chasser prévu par l’article 13 de la loi du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement.

Le Conseil d’État a en effet enjoint au Gouvernement d’avancer rapidement sur ce sujet, mais je me dois de dresser, à ce propos, un historique des faits : le 2 décembre 2019, un premier projet de décret avait fait l’objet d’un avis favorable de la part du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage (CNCFS), ce qui démontre la volonté du Gouvernement d’avancer en la matière. Mais la Cnil avait quant à elle formulé des réserves et demandé la réalisation d’une étude d’impact relative à la protection des données. Par ailleurs, la création du fichier national du permis de chasser exigeait une mise à jour de deux fichiers centraux constitutifs.

Le Gouvernement s’est donc attelé à cette tâche tout en veillant à répondre à la demande de la Cnil. Un nouveau projet de décret a ainsi été proposé. Cette nouvelle mouture n’a cependant pas recueilli l’aval du CNCFS. À l’issue d’échanges supplémentaires, un projet de décret modifié a finalement fait l’objet d’un avis favorable émis à l’unanimité par les membres de cette dernière instance au début du mois de mai.

Le Gouvernement a ensuite très rapidement saisi de nouveau la Cnil, celle-ci disposant d’un délai de trois mois pour se prononcer sur le projet de décret. S’il recevait un avis favorable de la Cnil, il serait bien sûr publié dans les meilleurs délais.

Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission de l’aménagement du territoire, pour la réplique.

M. Didier Mandelli, vice-président de la commission de laménagement du territoire. Je vous remercie de cette réponse, madame la ministre. Je reprendrai attache avec vous au début du mois de septembre pour vérifier que les dispositions dont il est question sont bien mises en œuvre.

En tout état de cause, je veux saluer la jurisprudence du Conseil d’État, qui ne fait que rappeler la position qui est celle du Sénat depuis des décennies : le pouvoir réglementaire est tenu de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi. Il est toutefois regrettable que les mises en garde du Sénat ne suffisent pas et qu’il faille un jugement pour que le Gouvernement prenne les mesures appropriées. Je le rappelle : voilà quatre ans et demi que nous attendons !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission de la culture.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de léducation, de la communication et du sport. Madame la ministre, aux yeux de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et – désormais – du sport, le bilan de l’application des lois tel que l’on peut l’établir au 31 mars 2024 est contrasté.

Si l’applicabilité de certains textes s’avère satisfaisante – je pense notamment à la loi relative à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945, texte adopté par notre assemblée en première lecture au mois de mai dernier, et à la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France –, les mesures réglementaires attendues pour d’autres textes peinent à voir le jour.

Dans le temps qui m’est imparti, je voudrais insister, madame la ministre, sur trois d’entre elles.

Je commencerai par évoquer l’une des mesures réglementaires prévues par la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance. Je souhaiterais m’assurer de l’intention du Gouvernement de publier enfin le décret mentionné à l’article 30 de ce texte promulgué à l’été 2019, qui prévoit l’élaboration de conventions de coopération entre établissements médico-sociaux et établissements scolaires pour la scolarisation des élèves en situation de handicap.

L’an dernier, votre prédécesseur nous assurait que la publication de ce décret interviendrait à la suite de la Conférence nationale du handicap, soit avant la fin de l’année 2023. Il n’en a rien été !

Alors que la prise en charge du handicap à l’école fait partie des sujets sur lesquels notre commission a pris de nombreuses initiatives, il me semble que cette mesure pourrait contribuer à faire avancer significativement les choses en ce domaine.

Ma deuxième interrogation concerne la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030, qui se caractérise au demeurant par un excellent taux d’application. Cependant, deux décrets manquent toujours à l’appel. Madame la ministre, pourriez-vous non seulement nous préciser le calendrier de publication de ces mesures, mais aussi et, peut-être, surtout nous dire à quelle échéance le Gouvernement souhaite mettre en œuvre la clause de revoyure prévue par ce texte en 2023 ? Voilà qui nous permettrait d’établir un premier bilan de ce texte essentiel pour la recherche française.

Je conclurai mon propos en évoquant le cas de la loi du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne. En effet, l’absence de publication de la seule mesure réglementaire du texte rend malheureusement celui-ci inopérant. Je souhaite savoir si la mise en œuvre de cette loi, fruit d’une initiative parlementaire bienvenue, demeure d’actualité ou est définitivement abandonnée par le Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le président Lafon, pour ce qui est de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, deux mesures relatives à la prise en charge du handicap restent en effet à prendre.

Concernant la coopération entre les écoles et les établissements sociaux et médico-sociaux, premièrement, les dernières orientations nationales prévoient d’inscrire la mise en œuvre de cette mesure au sein des pôles d’appui à la scolarité, dont la création a été annoncée lors de la Conférence nationale du handicap du 26 avril 2023.

Si la préfiguration de ce dispositif doit se faire à droit constant dans quatre départements à la rentrée prochaine, la mise en œuvre complète de la réforme appelle un texte législatif, comme l’a annoncé le Gouvernement. L’objectif est que nous soyons fixés à la rentrée scolaire de 2025.

Concernant le contenu du cahier des charges du dispositif intégré destiné à accompagner les personnes présentant des difficultés psychologiques dont l’expression perturbe gravement la socialisation et les apprentissages, deuxièmement, le texte d’application a fait l’objet d’une importante concertation avec les associations. Toutes les consultations ont désormais été réalisées ; la synthèse des demandes de modification est en cours et sera finalisée d’ici à la fin du mois de juin, pour une publication du décret dans la foulée.

Pour ce qui est de la mise en application de la loi du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne, des difficultés ont en effet été rencontrées.

Deux difficultés majeures ont été identifiées.

Premièrement, la frontière entre les deux régimes définis par la loi est difficile à établir. Deuxièmement, le régime d’autorisation préalable est complexe à mettre en œuvre, car l’identification du lieu de diffusion et d’enregistrement des vidéos, donc de contrôle du respect de ses obligations par l’auteur de ces vidéos, est particulièrement difficile à assurer.

Pour ce qui est de la loi de programmation de la recherche, une seule mesure reste à prendre sur un total de trente-cinq, celle qui a trait à l’extension du dispositif des chaires de professeur junior (CPJ) aux personnels enseignants et hospitaliers. L’application de cette mesure se heurte à un problème de fond, à savoir l’absence de véritable vivier. En réalité, ce que nous observons, c’est que l’objectif consistant à faire émerger des professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) à haut potentiel scientifique pourrait être atteint de façon plus simple via des mesures ciblées dont certaines sont déjà en cours de mise en œuvre.

Enfin, vous avez évoqué la clause de revoyure de cette loi. C’est ma collègue ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche qui est la plus à même de vous répondre ; nous lui transmettrons donc votre demande.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Madame la ministre, pour ce qui concerne la commission des finances, le taux de mise en application des lois est en légère baisse de six points, 81 % des textes prévus ayant été adoptés, hors mesures différées.

Je ferai toutefois deux remarques positives : d’une part, les délais moyens de publication des mesures attendues continuent de diminuer, près de trois quarts d’entre elles ayant été publiées avant le délai de six mois ; d’autre part, la quasi-totalité des mesures attendues issues d’une initiative sénatoriale ont été adoptées.

Parmi les lois récentes qui attendent d’être pleinement appliquées, je note que la loi de finances initiale pour 2023 comptait encore, à la fin du mois de mars, quatorze mesures d’application non prises. Par ailleurs, 50 % des mesures réglementaires de la loi du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces restent attendues ; tel est notamment le cas pour la mise en place de la réserve douanière. Quand ces textes seront-ils pris ? Je rappelle que le Gouvernement avait justifié la création de cette réserve par l’organisation des jeux Olympiques : il est donc plus que temps !

Pour ce qui est du décret prévu pour permettre l’application de l’article 26 de la loi organique du 28 décembre 2021 révisant la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), qui habilite le président et le rapporteur général des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat à accéder à l’ensemble des informations relevant de la statistique publique ainsi qu’à des données fiscales éventuellement couvertes par le secret statistique ou fiscal, je constate qu’il n’a toujours pas été pris et que les conditions expresses permettant cet accès spécifique n’ont donc toujours pas été définies. Pourtant, il semblerait que le Gouvernement considère que ledit article est mis en œuvre, estimant – on peut l’imaginer – que les règles de droit commun s’appliquent. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Enfin, je reviens sur un sujet à propos duquel j’ai déposé des amendements dont certains ont d’ailleurs été suivis d’effets par le passé : plusieurs dispositions anciennes, qui ont plus de dix ans, restent dans le stock de la commission des finances. Le Gouvernement compte-t-il mener une revue de ces mesures d’application inutiles ? Ne faudrait-il pas les abroger lorsqu’elles n’ont plus à être mises en œuvre ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le président Raynal, en ce qui concerne l’application de la loi du 18 juillet 2023, il reste cinq textes à prendre ; deux devraient être publiés prochainement, l’un sur la réserve opérationnelle, l’autre sur l’expérimentation pour trois ans des lecteurs automatisés des plaques d’immatriculation.

Pour ce qui est du décret sur la réserve opérationnelle de l’administration des douanes, ce sujet soulève d’importants enjeux de formation et de recrutement ; des échanges sont en cours entre les douanes et la police nationale. Des précisions doivent par ailleurs être apportées sur les pouvoirs et habilitations des réservistes ainsi que sur la notion de « position d’accomplissement des activités dans la réserve opérationnelle ».

Pour ce qui est de l’accès aux informations relevant de la statistique publique ainsi qu’aux données fiscales éventuellement couvertes par le secret, l’article 57 de la Lolf autorisait déjà l’administration fiscale à transmettre aux commissions des finances des assemblées les données couvertes par le secret fiscal et, comme vous le savez, la direction générale des finances publiques (DGFiP) répond déjà aux questions provenant des rapporteurs généraux à ce sujet. L’analyse du Gouvernement est que les articles 14 à 18 du décret du 20 mars 2009 relatif au Conseil national de l’information statistique (Cnis), au comité du secret statistique et au comité du label de la statistique publique permettent déjà d’assurer l’application pleine et entière de cet article de la Lolf sans qu’il soit besoin de textes supplémentaires.

Enfin, nous souscrivons pleinement à votre ambition de simplification et d’abrogation des dispositions anciennes qui restent inappliquées. Une étude doit être menée par le secrétariat général du Gouvernement pour identifier les dispositions inappliquées depuis plus de cinq ans. Une fois ce travail réalisé, l’abrogation des mesures concernées pourra être proposée via un véhicule législatif adapté.

Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission des lois.

M. Christophe-André Frassa, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la ministre, permettez-moi, tout d’abord, de souligner une évolution positive : au 31 mars 2024, nous constatons une légère amélioration, à hauteur de six points, du ratio entre le nombre de mesures d’application attendues et le nombre de mesures prises, pour ce qui est des textes relevant de la commission des lois. Nous nous en réjouissons.

Concernant les mesures réglementaires restant à prendre, je souhaite néanmoins attirer votre attention sur le caractère souvent erroné, sinon trompeur, des délais annoncés par le Gouvernement dans les échéanciers et rapports communiqués au Parlement, faussant toute visibilité quant à leur publication.

Ces retards se doublent d’une certaine imprévisibilité dans la programmation de l’application des lois par le Gouvernement.

Prenons la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS.

Selon l’échéancier transmis au Parlement et mis en ligne sur Légifrance, le décret relatif à l’administration de l’île de La Passion – Clipperton devait être publié à la fin du mois de juillet 2022. Or il n’a été effectivement publié qu’en décembre 2023, accumulant ainsi dix-sept mois de retard par rapport à la date initialement prévue.

L’article 11 de cette même loi renvoie à un décret en Conseil d’État la fixation des modalités d’application d’une disposition relative à l’encadrement des jours et des heures d’ouverture au public de certains établissements commerciaux en cas de déséquilibre du tissu commercial de proximité. Très attendu par les élus locaux, ce décret n’a toujours pas été pris, alors qu’il était annoncé pour la fin du mois de juillet 2022.

Concernant la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, dite loi Sécurité globale, le décret relatif au port d’arme hors service des agents des forces de l’ordre dans les établissements recevant du public, prévu pour novembre 2021 selon l’échéancier en ligne, n’a été publié que le 25 octobre 2023, soit avec deux ans de retard sur les prévisions initialement portées à la connaissance du Parlement.

Madame la ministre, l’absence de prévision fiable laisse le Parlement, mais plus encore les citoyens et les acteurs économiques, dans une incertitude dommageable. Comment expliquez-vous les incohérences observées ? Que proposez-vous pour affiner vos prévisions et annoncer des délais de publication réalistes ?

Une mise à jour régulière des programmes prévisionnels d’application serait à tout le moins une première étape : on regrettera par exemple qu’il continue d’apparaître sur l’échéancier en ligne d’application d’une disposition de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi Silt : « Publication envisagée en juin 2018 »…

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le vice-président Frassa, dès la promulgation d’une loi, le SGG établit une programmation des mesures d’application, des échéances de publication étant fixées en réunion interministérielle, puis publiées en ligne et transmises au Parlement. Des réunions de suivi sont régulièrement convoquées pour faire un point d’étape sur l’avancement des mesures de chaque loi et rappeler aux administrations concernées la nécessité de prendre celles qui sont manquantes dans un délai raisonnable. Des bilans sont également réalisés pour l’ensemble du Gouvernement chaque semestre et un comité interministériel est convoqué chaque année en septembre pour accélérer sur les mesures manquantes.

Le Gouvernement se fixe pour objectif de publier les textes d’application dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi, à l’exclusion, bien sûr, des mesures différées.

À considérer l’ensemble des lois de la XVIe législature, 77 % des mesures ont été prises dans un délai de six mois, et 12 % dans un délai de plus d’un an, ce qui témoigne de notre volonté de respecter les échéanciers.

J’en viens aux quelques exemples plus précis sur lesquels vous avez sollicité le Gouvernement.

L’échéancier de la loi du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite a été récemment mis en ligne sur Légifrance, avec – vous avez raison – un peu de retard, les échéanciers étant habituellement plutôt publiés deux à trois mois après la publication de la loi.

Concernant les mesures d’application que vous évoquez se rapportant à des lois plus anciennes, je vous confirme que nous continuons de suivre la mise en œuvre des lois de la XVe législature, dont certaines appellent encore, en effet, de telles mesures.

Après analyse, il s’avère que les dispositions de l’article 11 de la loi 3DS, relatives à l’ouverture des centres commerciaux, sont contraires au droit de l’Union européenne. Le décret attendu ne pourra donc être pris. Je rappelle que cette loi appelait soixante-quinze mesures réglementaires, dont 93 % sont d’ores et déjà appliquées.

Pour ce qui est de l’article 14 de la loi Silt, qui est appliquée à 88 %, une réflexion est en cours afin de regrouper son application avec celle de l’article 57 de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, qui porte sur le même sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la ministre, je voudrais profiter de ce débat sur l’application des lois pour aborder deux sujets majeurs : celui du suivi des résolutions européennes du Sénat et celui du recours aux ordonnances pour transposer les directives européennes.

Pour ce qui est du suivi des résolutions européennes, la commission des affaires européennes a présenté au début du mois un bilan relatif à l’impact du Sénat sur l’élaboration des textes européens. Ce rapport démontre la réelle influence du Sénat à Bruxelles, mais également la nécessité d’une poursuite de notre engagement pour consolider cette influence européenne.

Sur la base des textes européens reçus, dix-huit résolutions européennes ont été adressées par le Sénat au Gouvernement en application de l’article 88-4 de la Constitution. Le bilan est positif : dans plus de la moitié des cas, ces positions exprimées par le Sénat ont été prises en compte en totalité ou en majorité.

Nous sommes reconnaissants au secrétariat général des affaires européennes (SGAE) d’établir une fiche de suivi pour chaque résolution européenne du Sénat, ce qui nous est précieux pour dresser ce bilan. Cette année, le SGAE a transmis à la commission des affaires européennes la quasi-intégralité des fiches attendues et nous saluons la grande qualité des informations qui nous sont communiquées.

Après les félicitations, j’en viens à une préoccupation récurrente de notre commission, celle qui a trait à l’information du Parlement sur les ordonnances de transposition de directives européennes en droit national.

Vous le savez, madame la ministre, le règlement du Sénat a investi la commission des affaires européennes d’une mission de veille en matière de surtransposition. Il s’agit d’identifier les dispositions que le Gouvernement propose et qui vont au-delà de nos strictes obligations européennes, puis d’évaluer si elles sont justifiées, tant ce zèle risque de nuire à la compétitivité de l’économie française. Encore faut-il pour ce faire disposer, de la part du Gouvernement, de toute l’information nécessaire quand ces transpositions sont effectuées par le biais d’ordonnances.

Nous réitérons donc notre demande déjà formulée en 2022 et en 2023 : lors des demandes d’habilitation, le Gouvernement peut-il s’engager à systématiquement fournir la liste des directives qu’il envisage de transposer par ordonnance et préciser leur périmètre et leur date de publication ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le président Rapin, le recours aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution représente environ 3 % des mesures de transposition des textes européens : le Gouvernement veille à n’y recourir que pour des mesures essentiellement techniques, en privilégiant l’inscription « en dur » des mesures de transposition ; tel est précisément l’objet des projets de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (Daddue).

Le recours aux habilitations est encadré par mon ministère, par le SGG et par le SGAE dans le cadre de la réunion de préparation de ces textes.

Nous veillons à ce que les demandes d’habilitation soient systématiquement justifiées et bien définies et que la durée des habilitations soit directement proportionnée à la complexité du sujet. Il a d’ailleurs été demandé aux ministères de présenter aux rapporteurs les projets d’ordonnance envisagés lors de l’examen d’une demande d’habilitation, afin d’éclairer au mieux la décision qu’ont à prendre les parlementaires.

La durée d’habilitation fixée par la loi impose de fait une échéance pour l’adoption des ordonnances ; il n’est pas toujours aisé de préciser plus avant le calendrier de publication lors des demandes d’habilitation, mais il revient aux ministères de veiller à informer les commissions compétentes, en particulier la vôtre, monsieur le président Rapin, quant à l’avancement des travaux.

Je conclus en soulignant les efforts engagés par les différents ministères, sous l’égide du SGAE, en matière de transposition. Je tiens à le préciser, ces efforts ont permis d’atteindre un déficit de transposition particulièrement faible, de 0,1 % seulement ; nous pouvons nous en réjouir collectivement.

Mme la présidente. Dans le débat, la parole est désormais aux représentants des groupes, selon les mêmes règles que pour les représentants des commissions.

La parole est à Mme Marianne Margaté.

Mme Marianne Margaté. Madame la ministre, chaque année le Parlement s’exprime sur ce bilan de l’application des lois, et chaque année nous sommes amenés à dresser le même constat : les procédures accélérées sont légion, injustifiées, et ne permettent pas un travail législatif de qualité.

Il en est de même du recours désormais systématique aux ordonnances. Les membres du Gouvernement ne cessent de nous rabâcher leur souci d’« efficacité », mais la réalité est tout autre : ce recours abusif souligne l’incapacité du Gouvernement à proposer des textes clairs ainsi que sa crainte du contradictoire.

Pour ce qui est de la protection du pouvoir d’achat, malgré la loi du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite loi Descrozaille, la grande distribution organisée en centrales d’achat décentralisées à l’étranger continue de contourner la réglementation nationale. Pis, le rapport sur l’évaluation de la construction des prix de vente des denrées alimentaires, qu’aux termes de ce texte le Gouvernement doit remettre au Parlement avant le 1er octobre de chaque année, n’a toujours pas connu sa première édition.

Quant à la loi portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation, votée en urgence en novembre dernier afin d’avancer le calendrier des négociations commerciales, elle n’a pas endigué la vie chère. Les denrées alimentaires sont toujours vendues à des prix records. Ce phénomène est d’autant plus marqué en zone urbaine dense, même si toute la France, métropole et territoires dits d’outre-mer, est concernée.

De plus, faute de sanctions, les lois Égalim, qui créent une obligation de contractualisation censée garantir aux agriculteurs un prix de vente qui couvrirait au minimum leurs coûts de production, ne sont toujours pas appliquées dans les faits.

Vous concevez et faites adopter par le Parlement des lois inutiles : inutiles, car sans dispositifs réellement contraignants ; inutiles, car l’information qu’elles sont censées apporter reste lettre morte ; inutiles, car hors délais ; inutiles, car non appliquées ; inutiles, car inefficaces.

Madame la ministre, quand allez-vous prendre la mesure de la détresse de nos concitoyens face à la vie chère et faire appliquer les lois que nous avons votées en procédure accélérée ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Margaté, vous m’interrogez sur la loi Égalim 3, la loi tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, et sur les mesures qui concernent la lutte contre l’inflation.

Depuis 2018, les lois Égalim permettent progressivement de rééquilibrer les relations entre les fournisseurs et les distributeurs via par exemple le plafonnement des promotions sur les produits alimentaires, illustration forte de l’action menée par le Gouvernement pour promouvoir un tel rééquilibrage et permettre à nos agriculteurs de retrouver des marges économiques.

Je tiens d’ailleurs à saluer les précieux travaux du groupe de suivi sénatorial sur cette thématique et la contribution d’Anne-Catherine Loisier, de Daniel Gremillet et de votre ancien collègue Michel Raison au traitement de la question.

La loi Égalim 3 a été promulguée, comme vous le savez, le 30 mars 2023 ; elle s’inscrit totalement dans la vision que je viens d’esquisser. Elle est pleinement appliquée depuis l’entrée en vigueur de l’arrêté du 31 juillet 2023 fixant la liste des produits agricoles et alimentaires exclus de la clause relative aux modalités de renégociation des prix, tels que les céréales ou certains vins.

Deux mesures réglementaires mentionnées dans cette loi n’ont pas été prises, faute de besoins constatés : premièrement, la possibilité de fixer par arrêté la liste de certains produits pour lesquels la majoration du seuil de revente à perte est applicable ; deuxièmement, la possibilité de suspendre par décret, en cas de situation exceptionnelle, l’application des pénalités logistiques prévues dans les contrats conclus entre les fournisseurs et les distributeurs. Ces deux situations n’ont pas été constatées à ce jour.

J’en viens aux rapports prévus dans la loi.

Le rapport sur le dispositif de majoration de 10 % du seuil de revente à perte (SRP+10) est en cours d’élaboration par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ; le rapport sur la mise en place d’un encadrement des marges des distributeurs a été remis au Parlement ; le rapport annuel évaluant l’effet de l’encadrement des promotions, que vous évoquiez, doit être remis avant le 1er octobre 2024.

Comme vous le savez, des travaux de préparation d’une loi Égalim 4 sont en cours. Des échanges ont lieu en ce moment même entre les parties prenantes, et les parlementaires seront bien sûr pleinement associés à ces travaux.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat annuel est l’occasion de souligner, d’encourager ou de dénoncer certaines pratiques qui entourent le travail parlementaire, et je souhaiterais profiter de cette intervention pour saluer la qualité du rapport de notre collègue Sylvie Vermeillet.

Ce débat, disais-je, est tout d’abord l’occasion de dénoncer la systématisation du recours à la procédure accélérée. Si elle est censée optimiser le temps parlementaire, celle-ci limite en vérité la réalisation de travaux sereins, approfondis et minutieux.

Cette remarque vaut aussi pour notre assemblée : cédant à la pression, jamais nous ne retenons le délai normal de quinze jours entre l’examen du rapport en commission et la séance publique.

Pour ce qui est ensuite du devenir des textes une fois ceux-ci adoptés, on peut dresser, à partir du bilan de l’application des lois pour l’année 2024, un état des lieux en trompe-l’œil : la baisse du nombre de lois étudiées s’assortit d’une stabilisation de leur taux d’application, alors que leur diminution quantitative aurait dû permettre une augmentation qualitative du point de vue de leur application.

Corrélativement, les mesures réglementaires d’application tendent à être publiées dans un délai raisonnable, inférieur à six mois. Nous ne pouvons qu’encourager le Gouvernement à poursuivre dans cette tendance, et même à accélérer autant que possible la publication des décrets d’application.

Reste que, derrière cette normalité, certains textes sont bloqués et l’exécutif s’offre une trop grande marge de manœuvre.

Par exemple, en février dernier, la présidente de notre groupe, Maryse Carrère, ici présente, a été à l’initiative d’une proposition de loi tendant à préserver l’accès aux pharmacies dans les communes rurales. Je ne détaillerai pas le fond du dossier – nous avons examiné ce texte il y a quelques semaines et notre assemblée l’a adopté à une large majorité. Mais, en l’espèce, il s’agit de contraindre le Gouvernement à publier avant la fin de 2024 un décret nécessaire à l’application d’une ordonnance datant de 2018 et ratifiée en 2019, qui faisait écho à une proposition de loi que j’avais moi-même déposée à l’époque !

Voilà une spirale mortifère que l’on ne saurait encourager ; madame la ministre, que faire pour l’éviter ? (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Delattre, je n’ignore pas l’engagement de votre groupe, qui est crucial, sur les enjeux d’accès aux soins, et l’inscription à l’ordre du jour du Sénat, dans le cadre de son espace réservé, le 11 avril dernier, de la proposition de loi de la présidente Carrère en a d’ailleurs témoigné.

Les décrets d’application de l’ordonnance n° 2018-3 du 3 janvier 2018 doivent permettre de définir les territoires dits « fragiles » au sein desquels l’accès aux médicaments en France n’est pas toujours assuré de manière satisfaisante pour la population. Leur mise en œuvre a été interrompue par la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19.

Par ailleurs, l’élaboration de ce texte s’est heurtée à des demandes divergentes d’acteurs de terrain. Un travail réalisé avec la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) a établi deux critères d’identification, partagés avec les agences régionales de santé (ARS), permettant d’apprécier la densité de l’implantation des officines ainsi que la difficulté d’accès à une officine.

De plus, il a été proposé un processus d’identification des territoires fragiles en deux étapes : la première consiste à déterminer les parts de la population régionale concernées par ces critères ; la seconde à fixer au sein de ces parts une liste des territoires identifiés comme fragiles. Néanmoins, plusieurs ARS nous ont signalé un risque de rigidité de cette seconde étape et, parallèlement, les représentants de la profession se sont exprimés défavorablement sur cette première version.

La méthodologie de détermination des territoires a donc été retravaillée pour tenir compte de ces différentes observations. Le Gouvernement veillera à ce que cet outil puisse être rapidement mobilisé afin que les territoires fragiles et isolés en bénéficient.

Je vous sais particulièrement attentive, madame la sénatrice, au sort de ces communes – je pense, notamment, à Saint-Quentin-de-Baron, dans votre département –, aux côtés desquelles vous n’avez cessé de vous investir.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet de l’artificialisation des sols est explosif dans notre assemblée, mais il n’en reste pas moins nécessaire de le traiter pour notre environnement, pour la biodiversité et, plus largement, pour notre société.

S’il y a consensus sur l’objectif, reste néanmoins la question de la mise en œuvre du « zéro artificialisation nette » (ZAN). Traduite concrètement par la fixation de l’objectif en 2050 dans le cadre de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et Résilience, la mise en œuvre du ZAN a été complétée sur l’initiative du Sénat par la loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux.

Face aux multiples inquiétudes, l’objectif de ce texte était de préciser les dispositions initiales afin de renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre du ZAN sur le terrain, une mise en œuvre qui implique de repenser notre modèle d’aménagement territorial reposant sur une approche coopérative et coordonnée entre collectivités.

Afin de mieux concilier logique de sobriété foncière et soutien au développement des espaces dans le but de réduire les inégalités territoriales, l’État doit être au rendez-vous de l’accompagnement des élus locaux pour éviter les fractures et les crispations paralysantes. Il doit également continuer de leur donner la visibilité nécessaire afin de mieux anticiper leurs projets économiques.

Madame la ministre, si le Gouvernement a publié trois décrets d’application, le 27 novembre 2023, pour tenir compte des dernières évolutions législatives, quelles suites réglementaires envisage-t-il sur la question du ZAN, notamment pour ce qui concerne le calendrier ?

Au-delà du fait que la commission régionale de conciliation puisse associer d’autres acteurs que les représentants de la région ou de l’État à titre consultatif, que peut-on envisager de plus pour faciliter demain la coordination entre acteurs économiques et élus locaux ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Buis, vous m’interrogez sur les mesures que nous avons prises pour répondre aux inquiétudes des élus locaux au sujet du ZAN. Nombre d’entre eux se posent en effet des questions, j’en ai moi-même rencontré beaucoup qui s’interrogent à ce sujet…

Je salue le travail mené au Sénat autour de Valérie Létard et du rapporteur Jean-Baptiste Blanc, qui a permis la promulgation de la loi du 20 juillet 2023, avec le soutien du Gouvernement.

Nous avons publié dès le mois de novembre dernier trois décrets d’application importants pour répondre aux demandes des élus.

Le premier concerne la définition des seuils de référence permettant la qualification des surfaces artificialisées ou non artificialisées, et réglant ainsi le sort des pistes cyclables, des infrastructures d’énergie renouvelable ou encore des jardins publics. Les modalités de révision des documents d’urbanisme ont été précisées, prenant notamment en compte les spécificités de chaque territoire, à l’image de la problématique du trait de côte pour les territoires littoraux.

L’introduction dans les documents d’urbanisme d’un critère de territorialisation pour le maintien et le développement des activités agricoles, souhaité par les sénateurs Anglars et Delcros, a été saluée dans les territoires ruraux.

Enfin, vous avez évoqué la question de la composition des commissions régionales et de conciliation, qui a été précisée à la demande du Sénat ; c’est le troisième point évoqué. Ces commissions se réunissent d’ores et déjà afin de trouver des accords dans chaque territoire, vous le savez certainement.

Ces différents décrets ont donc permis d’apporter des réponses concrètes et opérationnelles à nos élus locaux. Ils étaient attendus pour relever le défi du ZAN – dont nous partageons l’objectif –, qui est une problématique centrale pour de nombreuses politiques publiques, à l’image de la réindustrialisation des territoires ou de la relance de l’offre de logements.

Nous sommes conscients qu’il reste beaucoup à faire. Le Gouvernement se tient à la disposition du Sénat pour continuer d’avancer sur ce sujet majeur.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Canalès.

Mme Marion Canalès. Madame la ministre, la procédure accélérée déclenchée par le Gouvernement sur les textes est quasiment devenue la norme. Pourtant, force est de constater que les mises en œuvre et les textes d’application ne suivent pas, comme si ce que nous défendons ici n’était pas le reflet d’attentes fortes méritant une réponse au moins aussi rapide que la procédure que l’on nous impose…

Ainsi, en matière de protection de l’enfance, au cours du débat sur l’application des lois de l’an dernier, Mme Deroche, alors présidente de la commission des affaires sociales, déplorait qu’à peine 37 % des mesures d’application de la loi, dite Taquet, du 7 février 2022 relative à la protection des enfants aient été prises. Notre commission a ensuite produit un rapport sur ce texte et le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a saisi le Conseil économique, social et environnemental (Cese) de ce point. Nous nous interrogeons en effet : comment cette loi est-elle appliquée ? Car, une fois les décrets d’application publiés, encore faut-il pouvoir les déployer dans les territoires, afin qu’ils soient véritablement mis en œuvre au profit des enfants protégés.

Aujourd’hui encore, tous les textes réglementaires ne sont pas publiés. Le Gouvernement s’était engagé avant l’été 2023 à ce que 74 % d’entre eux le soient, mais cela n’a pas été le cas.

La procédure accélérée a été aussi au cœur de l’examen d’un autre texte, lors de la session parlementaire 2022-2023. Je veux parler, évidemment, du texte relatif à la réforme des retraites. Le Gouvernement a été beaucoup plus prompt à appliquer l’article 1er, donc à supprimer par exemple les régimes spéciaux, qu’à appliquer l’article 24 visant à instaurer une bonification pour les sapeurs-pompiers volontaires. Madame la ministre, combien faudra-t-il encore de questions écrites, de questions orales et d’interpellations émanant de toutes les travées de cet hémicycle pour qu’enfin le décret d’application soit pris au profit des sapeurs-pompiers volontaires de nos territoires ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur l’application de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Je connais l’engagement de votre groupe sur ce sujet, comme en témoigne la saisine récente du Cese.

Au printemps 2023, la secrétaire d’État chargée de l’enfance, Charlotte Caubel, s’était engagée à publier 75 % des décrets d’application dans les meilleurs délais. Cet engagement a été respecté puisque le taux d’application actuel de la loi est de 78 %, avec dix-huit mesures prises sur vingt-trois.

L’un des derniers décrets restant à publier est prévu à l’article 30. Il doit fixer le délai d’opposabilité du retrait d’agrément et les modalités d’échanges d’informations entre les départements par l’intermédiaire du groupement d’intérêt public (GIP) France enfance protégée (FEP). Il nécessite préalablement la mise en place d’une base nationale sur les agréments, qui doit être encore constituée par ce GIP.

Afin de finaliser ce texte, la saisine pour avis du Conseil national de la protection de l’enfance devrait intervenir avant le 31 mai, donc d’ici à quelques jours, et être suivie de la publication du décret, après consultation de la Cnil.

Par ailleurs, pour ce qui est de la mise en œuvre de l’article 32, sur les services de la protection maternelle et infantile (PMI), le Gouvernement fait le choix d’attendre les travaux préparatoires aux assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, et leurs conclusions. La feuille de route 2024-2030, présentée le 24 mai dernier, a permis au Gouvernement de réaffirmer le rôle et de renforcer les moyens des services de la PMI. Un projet de décret en ce sens est en cours de préparation, avec un objectif de publication fixé au dernier trimestre de cette année.

Le deuxième aspect de votre question concernait le décret d’application de l’article 24 de la loi du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 détaillant les conditions et limites selon lesquelles les années de service en qualité de sapeurs-pompiers volontaires sont prises en compte pour le calcul des pensions de retraite. Comme l’a indiqué Gérald Darmanin lors de la séance des questions d’actualité au Gouvernement devant l’Assemblée nationale le 5 mars 2024, il n’y a pas de décret au rabais. La loi de la République sera appliquée. Des discussions interministérielles sur ce projet de décret sont en cours entre le ministère de l’intérieur et le ministère du travail et de la santé, pour une adoption dans les meilleurs délais.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Canalès, pour la réplique.

Mme Marion Canalès. Certes, la plupart des décrets d’application de la loi Taquet ont été pris, mais il s’agissait des plus « faciles », si j’ose dire. En tout état de cause, il aura fallu beaucoup de drames pour que ces décrets soient publiés ; je pense à la publication à la hâte, un soir, après de nombreuses questions d’actualité pour interpeller le Gouvernement, d’un décret pour interdire les placements de mineurs à l’hôtel.

Évidemment, la mise en œuvre de la loi avance, mais ce texte a été adopté il y a plus de deux ans et demi : pendant ce temps, les enfants protégés attendent toujours…

Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda.

Mme Muriel Jourda. Madame la ministre, nous avons adopté, il y a quelque temps, un texte relatif au contrôle de l’immigration et à l’amélioration de l’intégration.

Si ce texte a été très largement dépecé par le Conseil constitutionnel à la demande du précédent gouvernement, il en reste quand même quelque chose. Si j’en crois le site extrêmement sérieux Légifrance, un certain nombre de décrets seraient encore attendus, dont au moins une dizaine doivent être publiés en avril et en mai. Le mois d’avril est écoulé et le mois de mai est en passe de l’être : où en sommes-nous dans la publication de ces décrets ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur l’application de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, dont le sénateur Philippe Bonnecarrère et vous étiez corapporteurs.

La loi ayant été adoptée le 26 janvier 2024, le délai de six mois pour prendre les textes d’application n’est pas encore échu. Je peux toutefois vous indiquer que la loi comporte vingt-trois mesures d’application, trois mesures éventuelles et quatre mesures différées.

Les arrêtés d’application relatifs à des points importants pour votre assemblée ont été publiés très rapidement. Ils précisent les modalités de l’expérimentation sur l’instruction « à 360 degrés », insérée sur votre initiative, mais également la liste des départements soumis à une pression migratoire particulière dans lesquelles l’obligation prévue à l’article L. 812-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile peut s’appliquer.

Les travaux d’élaboration des décrets d’application sont en cours, notamment les principaux textes que vous évoquez. Ils devraient être publiés d’ici à la fin de l’été.

Un travail considérable a d’ores et déjà été réalisé sur les décrets relatifs aux contrats d’engagement et au respect des principes de la République ; le Gouvernement connaît l’attachement du Sénat à ces dispositions.

Quant aux décrets relatifs aux amendes administratives, à l’expiration de la peine d’interdiction du territoire français, à l’assignation à résidence ou au placement en rétention, mais également au délai de signature de l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) à l’encontre d’une personne déboutée du droit d’asile, ils sont en cours de rédaction et devraient être publiés sous peu. Le décret sur les chambres territoriales de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) devrait également être publié d’ici au mois de juillet prochain.

Nous avons pleinement conscience des attentes du Parlement et de nos concitoyens sur ces questions. Le Gouvernement est pleinement mobilisé afin de donner rapidement une portée concrète aux réformes portées par la loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour la réplique.

Mme Muriel Jourda. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.

Je n’ignore pas que le délai de six mois n’est pas encore écoulé, mais je me fiais au terme que le Gouvernement s’était lui-même fixé pour publier ces décrets d’application. Je prends bonne note de l’état d’avancement de ces derniers.

Je l’ai souligné, il ne reste plus, dans ce texte, grand-chose qui ressemble à une politique migratoire, mais le peu qu’il en reste, de grâce, hâtons-nous de l’appliquer !

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeric Durox.

M. Aymeric Durox. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis pour un débat légitime. S’il appartient au Parlement de voter la loi et de contrôler l’action du Gouvernement, il lui revient également de se pencher sur la réalité de l’application des normes que nous adoptons.

Notre pays se distingue par une production normative importante, d’aucuns diraient « gigantesque ». S’il nous faut sans cesse adapter la loi à des réalités changeantes et mouvantes, cette inflation, loin de permettre une adaptation législative rapide et souple, dégrade sans cesse la compétitivité de nos entreprises et abîme le lien normalement automatique entre le vote d’une loi et son application effective dans la réalité concrète de la vie de nos compatriotes.

Sur ce sujet comme sur d’autres, le Gouvernement, sous ses atours de représentant du « nouveau monde », a perpétué les pires travers de l’ancien. Les chiffres sont éloquents : le stock de lois, en nombre de mots, a progressé de 98 % depuis 2002, pour atteindre un total de 45 millions de mots !

Si l’on apprenait jadis à l’école républicaine que « nul n’est censé ignorer la loi », ce beau précepte est aujourd’hui devenu un mirage, tant l’inflation normative a profondément dégradé la qualité et l’effectivité de nos textes.

Nos collectivités territoriales en sont le malheureux exemple : il n’est plus un projet, plus une décision qui ne termine dans les rets d’une argutie juridique devenue au fil du temps plus bloquante que protectrice.

Ce problème est au cœur du débat qui nous occupe : comment appliquer pleinement la loi quand les textes sont sans cesse plus nombreux et plus complexes ? L’ajout du droit européen, loin d’harmoniser nos normes à l’échelle du continent, a encore dégradé notre compétitivité normative. Les agriculteurs, qui criaient leur colère dans nos rues il n’y a pas si longtemps, pourraient en témoigner. La surtransposition des normes, fierté française ou du moins fierté du macronisme, étrangle davantage nos entreprises, sans permettre une régulation commune ou une concurrence plus loyale.

Madame la ministre, ma question est simple : comment mieux appliquer la loi sans en créer sans cesse de nouvelles ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué les grandes lignes du bilan de l’application des lois. J’ai pu d’ores et déjà apporter des réponses dans mon intervention liminaire.

En ce qui concerne le taux général d’application des lois, le Gouvernement s’efforce d’accélérer ses efforts, afin d’atteindre un taux de 75 %, qui serait en phase avec celui de l’année passée. Ce taux ne nous amène pas à écarter le retard pris pour l’application de certaines lois, y compris anciennes ; mais, dans le détail, vous le savez, certaines mesures peuvent prendre plus de temps à être adoptées, pour toute une diversité de motifs. De fait, la nécessité de procéder à des concertations supplémentaires et la hausse du nombre de consultations rendues obligatoires avant la publication de la loi allongent le calendrier initialement prévu.

Par ailleurs, des difficultés imprévues peuvent également survenir dans l’application de certaines dispositions, lorsque la loi est renvoyée à des éléments techniques essentiels au niveau réglementaire.

Le Gouvernement s’attache toutefois à ce que les ministères respectent leurs engagements de publication. Je veillerai, lors de la prochaine réunion du comité, à ce que les lois en retard puissent faire l’objet d’un rattrapage rapide et effectif.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Depuis plus de cinquante ans, le bilan de l’application des lois constitue, au Sénat, un exercice annuel essentiel, car, une fois la loi adoptée, le législateur doit s’assurer qu’elle est applicable.

Je tiens à remercier notre collègue Sylvie Vermeillet de son rapport, qui s’inscrit dans la continuité du travail du législateur. Ce bilan, comme plusieurs orateurs l’ont souligné, fait état d’un taux d’application de 64 % des mesures attendues. Il s’agit d’un niveau pratiquement identique à celui de l’an dernier. Aucun progrès n’est donc constaté.

En moyenne, le Gouvernement a mis cinq mois et vingt-trois jours pour publier les mesures réglementaires après la promulgation d’une loi. Ce délai correspond à celui qui était observé lors de la session précédente, qui s’établissait à cinq mois et vingt jours.

Je souhaite aborder plus particulièrement la question de l’application des lois adoptées après engagement de la procédure accélérée, procédure imposée de façon massive par le Gouvernement, puisqu’elle a concerné vingt-six lois sur quarante-quatre. Paradoxalement, le délai moyen de publication des textes d’application n’est pas plus rapide : il s’établit à six mois et dix-sept jours, dépassant le délai de six mois prévu depuis 2008 et réaffirmé en 2022.

Ainsi, en moyenne, les lois examinées en procédure accélérée font l’objet de mesures d’application beaucoup plus tardivement que les lois examinées selon la procédure normale. Madame la ministre, pouvez-vous nous apporter des éclaircissements concernant cette contradiction ?

Une autre donnée du rapport montre une situation très insatisfaisante : seulement 50 % des mesures d’application des lois adoptées après engagement de la procédure accélérée ont été prises, contre 63 % lors de la session précédente. Là encore, madame la ministre, pouvez-vous nous donner des éléments qui expliquent cet écart ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué dans votre question le recours à la procédure accélérée, également mentionnée par Mme Sylvie Vermeillet dans son propos liminaire.

L’engagement plus fréquent de la procédure accélérée sur les projets de loi est en effet une réalité, mais c’est une évolution de long terme. Cette procédure, prévue à l’article 45 de la Constitution, permet de déroger aux délais prescrits par l’article 42 entre le dépôt ou la transmission d’un texte et son examen en séance par chaque assemblée. Elle permet également de convoquer une commission mixte paritaire dès la fin de la première lecture. Elle s’applique de droit aux lois de finances, aux lois de financement de la sécurité sociale. En revanche, elle est exclue pour les révisions constitutionnelles.

Depuis juin 2022, le Gouvernement a essentiellement recouru à la procédure accélérée pour pouvoir réunir une commission mixte paritaire dès la fin de la première lecture. Le Gouvernement veille à préserver des délais raisonnables entre le dépôt ou la transmission des textes et leur examen en séance. Ce point fait d’ailleurs l’objet de débats réguliers en conférence des présidents.

J’ajoute que l’engagement de la procédure accélérée répond aussi à une attente fréquente des parlementaires afin que certaines propositions de loi puissent être adoptées dans des délais maîtrisés. Ainsi, sur cinquante-sept lois d’initiative parlementaire promulguées depuis le début de la législature, trente-trois ont fait l’objet d’une procédure accélérée, soit près de 60 %. Au total, près de 80 % des lois promulguées ont fait l’objet d’une procédure accélérée, qu’il s’agisse d’un projet de loi ou d’une proposition de loi.

En ce qui concerne, enfin, les efforts engagés pour l’application des lois, le Gouvernement, je l’ai rappelé, ne distingue pas les textes ayant fait l’objet d’une procédure accélérée de ceux qui ont été adoptés selon la procédure normale. Dans un cas comme dans l’autre, l’exigence est la même de les voir appliquer dans des délais raisonnables.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Cadic. Madame la ministre, le groupe Union Centriste s’associe aux remerciements de l’ensemble de nos collègues pour la qualité du travail de Mme Sylvie Vermeillet, dont nous nous réjouissons.

J’ai deux questions concernant l’application de la loi du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (LPM).

D’abord, l’enveloppe de la LPM 2024-2030 prévoyait 4 milliards d’euros de besoins programmés pour le cyber, contre 1,6 milliard d’euros dans la LPM précédente. Allez-vous clarifier l’échelonnement annuel de cette enveloppe de 4 milliards d’euros avant l’examen du projet de loi de finances pour 2025 afin de nous permettre de mesurer l’impact des réductions budgétaires sur le volet cyberdéfense de la LPM ? Ces moyens seront-ils sanctuarisés du fait de la menace accrue des cyberattaques ?

Par ailleurs, la LPM a pour objectif d’atteindre 5 000 cybercombattants en 2025. Nous avons remarqué que sur un total de 4 600 postes en 2023, seuls 3 502 postes étaient comptabilisés comme « armés », ce qui représentait en 2023 un déficit de près de 1 100 emplois non pourvus. Ces postes seront-ils pourvus en 2024 ?

Ensuite, la recrudescence des incidents observés en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan depuis un an révèle la volonté de Pékin de s’approprier cet espace maritime international. Un amendement adopté dans le cadre de la LPM visait à rappeler que la France, seul pays européen présent dans l’Indo-Pacifique, devait contribuer à la défense du droit à la circulation maritime dans cette région, notamment dans le détroit de Taïwan. Peut-on évaluer la mise en œuvre de cette disposition et l’action de la marine française sur place ?

Jeudi dernier, Pékin a militairement encerclé Taïwan en guise de punition contre les propos du nouveau président Lai, au prétexte que celui-ci avait promis de défendre la démocratie de l’île. Les « séparatistes » de Taïwan finiront « dans le sang », a commenté le porte-parole de la diplomatie chinois.

La France dispose-t-elle d’un plan d’intervention maritime sur zone dans l’éventualité où la Chine ferait le blocus de Taïwan, violerait le statu quo et menacerait nos intérêts ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Cadic, la première partie de votre question concerne les enjeux financiers.

Vous l’avez souligné, le cyber est un axe fort et majeur de la LPM, qui est passé de 1,6 milliard d’euros sur sept ans dans la précédente loi à 4 milliards d’euros dans l’actuelle LPM. L’échelonnement de ces 4 milliards sera réparti sur sept ans, dans une logique de montée en puissance dès 2024. L’effort, il convient de le souligner, est dès à présent important puisque 330 millions d’euros ont déjà été consacrés au cyber, soit une hausse de 33 %. L’augmentation des crédits sera encore plus forte en 2025. Le projet de loi de finances vous apportera toutes les précisions nécessaires à cet égard.

En matière de ressources humaines, les effectifs cyber augmenteront de 20 % pendant la durée de la LPM. En 2024, la priorité en matière de recrutement est donnée aux segments qui permettent de faire face dès maintenant aux nouvelles menaces, à commencer par le cyber.

Vous évoquez également la présence française dans la zone indo-pacifique. Notre volonté est effectivement très claire : la France agit pour garantir la pleine liberté de la navigation. En mer de Chine méridionale, nous participons ainsi à la préservation de la liberté de navigation de tous. Des unités ont été déployées dans la région. Elles proviennent des forces de souveraineté présentes dans nos territoires d’outre-mer, mais également des moyens déployés depuis l’Hexagone. Je pense, par exemple, aux frégates multi-missions de la marine nationale ou aux missions de projection de l’armée de l’air.

Concernant le détroit de Taïwan, des bâtiments français le franchissent régulièrement. À titre d’exemple, la frégate de surveillance Prairial y est passée en avril 2023. L’action de la France dans la zone est prévisible et conforme au droit international. Ses franchissements sont menés de manière indépendante, sans implication d’un partenaire ou d’un allié.

Nous sommes donc pleinement investis dans la zone, conformément à l’esprit de l’amendement que vous avez déposé dans le cadre de la LPM. Nous continuerons à œuvrer dans cette voie.

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Mme Vermeillet l’a souligné dans son propos liminaire, parmi les lois les moins déclinées figure la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, appliquée à seulement 26 % quinze mois après sa promulgation…

Pourtant, ici même, la ministre Agnès Pannier-Runacher avait dramatisé l’enjeu en rappelant que les nouveaux EPR (European Pressurized Reactors, ou réacteurs pressurisés européens) attendus pour 2040 ne seraient pas en mesure de répondre à nos besoins d’électricité en 2030, et que nous aurions alors besoin de nous appuyer sur des éoliennes et des panneaux photovoltaïques en quantité.

Face à cette urgence, une forme d’« union sacrée » avait même émergé au Sénat pour répondre à cet appel, la mobilisation des territoires étant essentielle en l’espèce. Le rapport de Didier Mandelli avait donc peaufiné un ensemble équilibré de mesures – zones d’accélération et d’exclusion – et prévu un mécanisme de partage de la valeur, afin d’intéresser et de mobiliser les territoires, dans le respect de la préservation de la biodiversité, comme s’en souvient sans doute Sophie Primas.

Je souligne d’ailleurs qu’au Sénat cette loi a été votée à la fois par Les Républicains et par les écologistes ; c’est dire le caractère exceptionnel de cette union sacrée, même si je ne suis pas certain que nous puissions de nouveau parvenir à une telle entente lors des prochaines lois sur l’énergie…

Or, malgré l’urgence dont avait fait état Mme la ministre à l’époque, nous ne voyons malheureusement pas venir le décret d’application. Pourtant, après l’adoption du texte, des réunions de travail avaient été organisées pour discuter de la forme que prendrait ce décret ; un consensus avait même semblé se dessiner.

Madame la ministre, ma question est simple : pouvez-vous nous rassurer en nous garantissant que le décret sur le partage de la valeur sera publié très rapidement ?

Mme la présidente. Je vous confirme, mon cher collègue, que je me souviens très bien de cet épisode.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la loi du 10 mars 2023, notamment sur le partage territorial de la valeur des énergies renouvelables, dont l’un des objectifs est d’améliorer l’acceptabilité des projets d’énergie renouvelable et de mieux les ancrer dans la vie locale.

Le dispositif de partage de la valeur prévu par le projet de loi initial avait connu de profondes évolutions, notamment sous l’impulsion du Sénat. Je sais votre engagement de longue date, monsieur le sénateur, sur ces sujets et votre contribution à ce dispositif. Vous avez notamment souhaité qu’il permette de soutenir les plans d’action défendus par l’Office français de la biodiversité (OFB).

La loi promulguée prévoit une obligation de financement par les lauréats d’une mise en concurrence ou d’un appel d’offres en matière d’installation de production d’électricité d’origine renouvelable des projets favorables à la biodiversité et des projets portés par la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre d’implantation du projet en faveur des domaines limitativement énumérés dans la loi.

Les installations concernées ainsi que les modalités de financement des projets doivent être précisées par décret. Un premier projet de décret, élaboré en 2023, a fait l’objet d’un avis de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) en janvier 2024 et du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) en février 2024.

Le processus a néanmoins été suspendu afin de réexaminer certaines modalités, notamment la multitude des formes de financement envisagées initialement, avec l’éventualité d’un financement plus direct de certaines actions en faveur des collectivités ou de la biodiversité pour chercher à être plus efficaces.

Le budget du dispositif est également en cours de réexamen par rapport à la proposition initiale, qui était de fixer le montant des contributions à 17 500 euros par mégawatt installé. Compte tenu de l’impact de cette contribution sur le budget de l’État via les charges de service public de l’énergie et des efforts budgétaires engagés pour l’ensemble du ministère, les travaux d’élaboration du décret pourront donc reprendre dès que ces questions auront été tranchées.

Je précise enfin que le taux global d’application de la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables est de 46 %, même si je partage le constat qu’il faut progresser sur ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour la réplique.

M. Ronan Dantec. Madame la ministre, votre réponse relativement précise ressemble à un enterrement de première classe…

Les COP (conférences des parties) régionales sont en train de prendre du retard. Mais quand le décret sur le partage de la valeur n’est pas publié, quand le fonds climat territorial, dont la mise en place était prévue dans le cadre du fonds vert pour le début de l’année 2024, n’est finalement annoncé que pour la fin de l’année, comment s’étonner que les territoires ne se mobilisent pas ?

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan de l’application des lois.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques
Discussion générale (suite)

Intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques

Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains et du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques (proposition n° 310, texte de la commission n° 616, rapport n° 615).

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques
Article 1er

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Madame la présidente, madame la rapporteure – chère Cécile Cukierman –, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons aujourd’hui, pour la deuxième fois, ce texte, qui vise à renforcer la puissance publique en précisant les conditions dans lesquelles elle peut avoir recours aux services de cabinets de conseil externes.

Ma position en la matière, vous le savez, est toujours restée constante et cohérente.

L’État doit-il pouvoir faire appel à des compétences dont il ne dispose pas en interne pour l’aider dans ses missions ? Oui.

L’État doit-il se renforcer, se réarmer, développer ses compétences, se doter d’un cadre renforcé sur le recours à ces prestations de conseil externes ? Je réponds également positivement à ces questions.

Cette recherche du cadre le plus efficace possible a guidé les travaux des deux assemblées, et je constate que, sur certaines dispositions, les échanges préalables et le travail de la commission ont permis, à mon sens, d’arriver à des points d’équilibre satisfaisants. J’y reviendrai.

La constance et la cohérence passent d’abord par l’engagement du Gouvernement à mettre en place un cadre renforcé sans attendre l’aboutissement du travail législatif.

Premièrement, la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 a fixé à la fois des modalités de contrôle interne et un cap de diminution des dépenses de recours à des cabinets de conseil externe. Et, alors que ce cap était une baisse de 15 %, les dépenses de recours à des prestations externes ont diminué de 35 % en 2022 et ont été divisées par trois en 2023.

Deuxièmement, ces résultats sont désormais plus transparents, car ils sont publiés annuellement dans le document budgétaire relatif au recours au conseil externe qui est soumis à la représentation nationale. Ce document permet d’assurer le suivi des dépenses dans la durée et de faire une revue ministère par ministère des commandes de prestations de conseil.

Troisièmement, dès ma nomination, j’ai mis en place un nouveau cadre, clair et ambitieux sur le recours aux prestations de conseil : c’est l’accord-cadre interministériel porté par la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), qui est entré en vigueur en janvier 2023 et qui, comme je l’ai déjà démontré, intègre très largement les recommandations de la commission d’enquête du Sénat.

Enfin, nous avons également renforcé les compétences internes de l’État, conformément, là aussi, aux recommandations formulées par le Sénat, en nous dotant d’une Agence de conseil interne, que j’ai inaugurée le 26 mars dernier. Si cette agence est pour le moment dotée d’un effectif de 53 agents, celui-ci sera porté à 75 agents d’ici à la fin de l’année. Elle est déjà très active : ses travaux ont ainsi contribué à améliorer le fonctionnement de nos services publics dans les secteurs de l’éducation, de la sécurité ou encore du médico-social. Je lui ai d’ailleurs confié la responsabilité de la réalisation de la cartographie des compétences internes de conseil et de leur renforcement dans chaque ministère.

Tous ces éléments démontrent la volonté sincère du Gouvernement d’avancer, dans un cadre efficace, proportionné et concret. De fait, je souhaite que nous ayons pour boussole de nos échanges la nécessité de l’effectivité et de la proportionnalité des dispositions que nous retiendrons.

Les travaux de la commission d’enquête comme ceux que les deux assemblées ont menés sur ce texte ont illustré ce que peuvent apporter des dispositions particulières encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans le secteur public, et je crois que nous pouvons le faire en respectant les principes de proportionnalité et d’égalité devant la loi. Lorsque je fais la synthèse des contributions du Sénat et de l’Assemblée nationale, je considère qu’il nous est possible d’aboutir à un texte qui réponde à ces objectifs partagés.

D’abord, je tiens à souligner les apports du travail réalisé en commission voilà quelques jours.

Je salue, madame la rapporteure, les propositions que vous avez portées sur certains points, qui permettent de trouver un équilibre du point de vue de la proportionnalité.

Ainsi, vous avez souhaité recentrer les déclarations à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) sur les profils d’encadrement et de supervision et restreindre le périmètre de la loi, pour ce qui concerne les prestations numériques et informatiques, aux prestations qui comportent une part avérée de conseil stratégique. C’est un bon équilibre qui a été trouvé.

Si je salue ces avancées, vous ne serez pas surpris, mesdames, messieurs les sénateurs, par la constance de mes positions sur un certain nombre d’autres sujets qui demeurent dans le texte depuis les débats que nous avons eus en première lecture. Sur chacun des sujets sur lesquels nos positions peuvent diverger, j’ai toujours veillé à formuler une proposition, car, souvent, nous visons la même finalité.

Vous retrouverez ces propositions dans les amendements du Gouvernement, très largement conformes à ceux que j’ai proposés en première lecture. Ils portent sur différents sujets : sur les enjeux liés aux mécanismes de contrôle de la HATVP, dont je propose l’intégration dans le droit commun, à savoir le droit pénal, plutôt que la création de sanctions administratives dédiées au secteur du conseil ; sur les questions des mobilités public-privé ; sur les obligations relatives aux conjoints ou aux activités bénévoles des consultants, la constitutionnalité des mesures proposées pouvant être interrogée ; sur la question des établissements publics industriels et commerciaux (Épic) soumis à la concurrence ; ou encore sur l’application rétroactive de la loi, avec, là encore, un enjeu de constitutionnalité des mesures que vous adopterez.

Je conclus en abordant la question de l’extension du dispositif aux collectivités territoriales. Je ne crois pas trahir la pensée collective en disant que le recours aux prestations de conseil peut concerner l’État comme les collectivités.

À l’issue du débat que nous avons eu en première lecture, le Sénat était arrivé à la conclusion qu’il fallait approfondir cette question, qui n’entrait pas dans le champ des travaux de la commission d’enquête sénatoriale. L’Assemblée nationale s’en est donc saisie, via une mission flash, formulant le souhait d’une transposition aux collectivités des mesures les moins contraignantes, adaptées en vertu d’un seuil de commande publique ou de population.

C’est le seuil de population qui a été retenu lors de l’examen à l’Assemblée nationale. Je comprends des travaux de votre commission que le cadre doit être plus spécifique. Cependant, trouver pour la représentation nationale la bonne modalité pour encadrer le recours aux prestations de conseil doit, à mon sens, faire partie des objectifs à atteindre d’ici à la lecture définitive et à l’adoption du texte.

Bref, nous avançons et je souhaite que les débats de cet après-midi nous permettent de continuer de progresser concrètement sur ce sujet important. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

J’en profite pour avoir une pensée pour notre ancienne collègue, Mme Éliane Assassi.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure de la commission des lois. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en octobre 2022, nous avons adopté, en première lecture, la proposition de loi déposée par nos collègues Éliane Assassi et Arnaud Bazin visant à traduire les préconisations faites en mars 2022 par la commission d’enquête sénatoriale sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, à la suite du recours massif par l’État à ces prestations au cours du précédent mandat présidentiel.

Monsieur le ministre, vous vous étiez alors engagé, dans l’hémicycle, à ce que la navette parlementaire poursuive rapidement son cours, avec le succès que nous connaissons… Nous ne pouvons que regretter que le Gouvernement n’ait jugé bon ni d’engager la procédure accélérée sur ce texte ni d’inscrire le texte sur une semaine du Gouvernement : cela en dit long sur son envie de le voir aboutir un jour…

Il aura fallu attendre plus d’un an pour que cette proposition de loi soit inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, sur la semaine dite « transpartisane ». L’Assemblée nationale l’a finalement adoptée le 1er février dernier, mais son vote s’est soldé par la réécriture de la plupart des dispositions de la proposition de loi, dans un sens souvent opposé au vote du Sénat.

Monsieur le ministre, vous avez insisté sur les progrès accomplis depuis la publication des travaux de la commission d’enquête du Sénat. Je crois que c’est sous l’influence des travaux de la Haute Assemblée et de la pression de l’actualité que de telles avancées ont pu avoir lieu. J’en conclus que le Sénat avait bel et bien vu juste lorsqu’il avait dénoncé « un phénomène tentaculaire », qu’il convenait non pas, certes, d’empêcher dans l’absolu, mais d’encadrer et de rendre plus transparent. Nous pouvons donc nous satisfaire que les préconisations sénatoriales aient eu un premier écho concret.

Toutefois, ces mesures, pour utiles qu’elles soient, ne sauraient remplacer la nécessité d’un cadre légal unifié, contrôlé et sanctionné, comme l’ont voulu les auteurs de la proposition de loi.

C’est dans cette optique que notre commission des lois a apporté un certain nombre de modifications au texte transmis par l’Assemblée nationale.

D’un côté, certains ajustements, dans une volonté de compromis propre à une deuxième lecture, ne modifient qu’à la marge le texte que l’Assemblée nationale nous a transmis. Neuf articles ont, en outre, été adoptés sans modification par la commission.

D’un autre côté, la commission a rétabli, sur un certain nombre de points, le texte adopté en première lecture au Sénat, l’Assemblée nationale ayant, souvent sur l’initiative du Gouvernement, revu à la baisse les ambitions de notre assemblée, notamment en matière de déontologie.

Sur le premier point, nous avons constaté avec satisfaction que l’Assemblée nationale a confirmé les objectifs du Sénat consistant à garantir la transparence dans le recours aux cabinets de conseil, notamment au travers des règles imposées par l’article 2, à rendre systématique la réalisation d’une évaluation de la prestation par l’administration bénéficiaire, conformément à l’article 6, et à mieux protéger les données de l’administration, les articles 17 et 18 nous ayant été transmis dans une rédaction qui nous convient.

Nous pouvons également nous féliciter que, malgré le souhait contraire du Gouvernement, l’Assemblée nationale ait maintenu, à l’article 3, la publication d’un rapport listant les prestations de conseil effectuées pour le compte de l’État et de ses établissements publics. Le maintien de ce rapport paraît d’autant plus nécessaire que le « jaune » budgétaire, créé par la loi de finances pour 2023, ne respecte pas pleinement les obligations légales, puisqu’il ne contient pas toutes les informations demandées par la loi de finances et que ces informations n’ont pas été publiées en format ouvert.

Par conséquent, la commission a rétabli en grande partie la rédaction initiale de l’article 3 – les députés avaient réduit le périmètre des informations demandées – et y a adjoint l’obligation de publication en format ouvert qui figurait initialement à l’article 4, dont nous avons maintenu la suppression.

En revanche, sur un nombre non négligeable de sujets, la rédaction de l’Assemblée nationale nous a semblé bien en deçà de l’ambition initiale de la proposition de loi et des enjeux sous-jacents.

Pour ce qui concerne le cadre déontologique que le texte vise à instaurer, la commission a veillé à la fois à ce que les obligations nouvellement créées soient proportionnées et à ce que les mécanismes de contrôle et de sanction soient adaptés et efficaces.

Dans ce double objectif, la commission a tout d’abord clarifié la nature des obligations déontologiques prévues et le champ des personnes physiques concernées.

Il faut saluer l’adoption par l’Assemblée nationale de l’obligation faite aux prestataires et aux consultants d’adresser à l’administration une déclaration exhaustive, exacte et sincère de leurs intérêts. Dans un souci de proportionnalité, la commission a notamment jugé opportun de recentrer, à l’article 10, l’obligation de déclaration d’intérêts sur les seuls consultants ayant des fonctions d’encadrement ou de supervision, pour en exempter les consultants ayant un profil « junior », qui n’ont qu’une mission d’exécution.

Par ailleurs, la commission a veillé à doter la HATVP des moyens adaptés à sa nouvelle mission de contrôle du respect, par les cabinets de conseil, de leurs obligations déontologiques.

En particulier, la suppression du pouvoir de contrôle sur place, décidée en séance publique par l’Assemblée nationale sur un amendement du Gouvernement, a semblé dommageable à la commission, qui l’a rétabli à l’article 12, afin de garantir l’efficacité et la crédibilité du dispositif de contrôle institué par la loi et mis en œuvre par la HATVP. Je sais, monsieur le ministre, que nous y reviendrons.

De plus, la commission a maintenu la position qu’elle avait exprimée en première lecture, à savoir que le recours à la sanction pénale n’est guère adapté aux manquements à des obligations déclaratives. C’est pourquoi elle a rétabli, à l’article 13, le régime de sanctions administratives adopté par le Sénat en première lecture ; nous en rediscuterons également, monsieur le ministre. Ces sanctions, pouvant prendre la forme d’amendes, seraient prononcées par la commission des sanctions, nouvel organe créé au sein de la HATVP, composé de trois magistrats.

J’en viens désormais à la question du périmètre du texte, qui, nous nous en souvenons tous, s’était déjà posée lors de la première lecture.

Dans l’objectif de trouver un compromis, nous avons accepté certaines des modifications, pourtant substantielles, apportées par l’Assemblée nationale.

Ainsi, à l’article 1er, nous avons maintenu certaines dérogations prévues par nos collègues députés, en particulier la fixation d’un seuil de 60 millions d’euros de dépenses annuelles de fonctionnement pour déterminer les établissements publics nationaux concernés par le texte.

En revanche, l’intégration des collectivités territoriales au périmètre du texte, opérée par l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement, ne nous a pas paru acceptable, tant pour des raisons d’opportunité que du fait d’un désaccord affirmé quant à la méthode employée. Rendez-vous compte, mes chers collègues : en presque deux ans, le Gouvernement a maintenu une position de principe, sans même prendre la peine de consulter les associations d’élus locaux, avant de proposer leur intégration au périmètre du texte… Heureusement, le Parlement l’a fait ! Nous y reviendrons plus en détail lors de l’examen des amendements, mais, ne souhaitant pas créer de suspense à ce sujet, je vous informe d’ores et déjà que la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement de rétablissement de l’article 1er bis déposé par le Gouvernement.

En l’état, la commission des lois vous invite à adopter le texte, qui rétablit les ambitions du Sénat tout en acceptant de nombreuses modifications apportées par l’Assemblée nationale. Cette deuxième lecture n’est pas vaine ; elle illustre l’intérêt de faire vivre le débat parlementaire.

Formulons cependant le vœu que nous n’ayons pas de nouveau à attendre un an et demi pour que la proposition de loi soit examinée à l’Assemblée nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Arnaud Bazin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)

M. Michel Masset. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’étais pas encore sénateur lors de la publication du rapport de la commission d’enquête sur l’influence des cabinets de conseil sur l’action publique, dont Mme Éliane Assassi était rapporteure.

J’ai revu la vidéo de l’un des temps forts des travaux de cette commission, lorsque l’un des dirigeants de McKinsey France était interrogé au sujet d’un contrat de près de 500 000 euros pour évaluer « les évolutions du métier d’enseignant » et « accompagner » la direction interministérielle de la transformation publique dans ses réflexions sur le métier d’enseignant… Il y a de quoi laisser perplexe !

La présente proposition de loi vise à traduire la volonté d’apporter une régulation à certains errements et, ainsi, à encadrer l’intervention des cabinets de conseil privés dans les décisions publiques. Il paraît en effet nécessaire de réglementer ce domaine, dans l’optique d’une meilleure transparence et d’une protection renforcée des données de l’administration.

Voilà bientôt deux années que nous examinons ce texte. Il est temps d’atterrir !

Sur le fond, la position du groupe du RDSE n’a pas changé : nous sommes profondément attachés à l’idée d’un État fort, garant de l’intérêt général et, par conséquent, à l’affirmation de sa souveraineté face aux cabinets privés comme à la bonne utilisation des deniers publics.

Cette proposition de loi est donc toujours la bienvenue. Nous nous réjouissons que notre commission ait rétabli, sur l’initiative de Mme la rapporteure, plusieurs apports sur lesquels l’Assemblée nationale était revenue. Je pense en particulier à l’encadrement des allers-retours entre l’administration et les cabinets de conseil ou au renforcement des missions de la HATVP.

Pour autant, le Sénat ne se montre pas dogmatique, puisque nous devrions maintenir la fixation d’un seuil de 60 millions d’euros de dépenses annuelles de fonctionnement pour déterminer les établissements publics nationaux entrant dans le périmètre du texte.

Je crois également que nous pouvons nous féliciter du compromis trouvé sur la rédaction des articles 17 et 18, qui visent à protéger davantage les données de l’administration. Assurément, c’est un sujet qu’il ne faut pas négliger : les données personnelles d’une personne publique, tout comme celles d’une personne privée, ne doivent pas transiter à son insu.

Reste tout de même la question des collectivités territoriales. Si les arguments soutenant leur exclusion du champ de la loi peuvent s’entendre, notamment pour ce qui concerne les charges nouvelles créées pour ces dernières, ils n’effaceront pas les potentielles critiques. En l’état des discussions, l’exclusion des collectivités territoriales du champ de l’article 1er bis nous paraît la bonne solution pour avancer rapidement sur ce dossier. En effet, selon les conclusions mêmes de la mission flash de nos collègues députés, en l’absence d’études plus approfondies, « l’extension immédiate et systématique de l’ensemble des dispositions de la proposition de loi ne paraît pas opportune ». Cette extension « risquerait de créer une charge administrative trop importante et doit être écartée ».

Mes chers collègues, nous voterons donc naturellement pour cette proposition de loi, à l’unanimité de notre groupe, avec le vif espoir que la navette parlementaire lui permette d’aller à son terme. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI. – M. Guy Benarroche applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui pour débattre en deuxième lecture d’un texte essentiel au renforcement de la transparence et de la probité dans notre administration et nos institutions.

Ayant été membre de la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, je tiens à rappeler l’importance et la qualité du travail qui a été conduit sous la présidence de notre collègue Arnaud Bazin et de la rapporteure Éliane Assassi.

Notre conclusion fut unanime : la nécessité impérieuse de réguler l’intervention des cabinets de conseil dans nos politiques publiques est plus que jamais d’actualité. Il y va de l’intégrité de ces politiques.

Fruit de notre travail collectif, la présente proposition de loi a fait l’objet de débats nourris lors de son examen en première lecture dans cette assemblée. J’en retiens une volonté partagée de parvenir à un encadrement strict et efficace de l’intervention des cabinets de conseil.

Je souhaite souligner le travail de nos collègues députés et l’engagement du Gouvernement.

Des divergences subsistent concernant des points tels que le champ d’application de la loi à l’article 1er ou encore les sanctions à prévoir.

Nous avons cependant pu trouver des compromis, notamment au sujet de l’impératif de transparence du recours aux cabinets de conseil privés. Il est fondamental que leurs consultants ne prennent pas part aux décisions administratives. Dans la même optique, il est essentiel qu’ils ne soient pas confondus avec des fonctionnaires ou des contractuels de l’administration. Il y va de l’intégrité des services et des opérateurs de l’État.

Notre engagement en faveur d’une plus grande transparence est aussi une priorité du Gouvernement, qui agit depuis plusieurs années pour mieux encadrer le recours par l’État aux cabinets de conseil privés.

La dernière grande avancée en date est la création de l’Agence de conseil interne de l’État, qui a vu le jour en mars 2024. À la fin de l’année, les 75 spécialistes de cette agence contribueront à atteindre notre objectif de réduction et d’encadrement du recours aux prestations de conseil externes. Je tiens ici à saluer le travail des agents de la direction interministérielle de la transformation publique, véritable moteur en la matière.

L’adoption de cette proposition de loi ne signifiera pas la fin du recours aux prestations de conseil : elle sera simplement l’assurance que celles-ci seront utilisées de manière rationnelle, transparente et conforme à l’intérêt général. Nos administrations emploient des fonctionnaires et des contractuels compétents. Valoriser nos talents en interne est primordial.

Il est toutefois crucial de souligner que les prestations de conseil, bien que plus fréquentes depuis 2007, sont une composante historique du fonctionnement de l’État. Elles sont utiles lorsqu’un projet se construit dans la technicité et dans l’urgence.

Mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est le fruit d’un travail collectif et dépasse les clivages politiques habituels. Elle cherche à atteindre le nécessaire équilibre entre nos besoins administratifs et les impératifs de transparence et d’intégrité que nous souhaitons voir respecter.

Je renouvelle aujourd’hui le souhait que j’ai formulé en octobre 2022, lors de la première lecture de ce texte : celui que le processus législatif nous permette de trouver un compromis et d’aboutir à un texte équilibré et efficace.

J’insiste sur la nécessité de maintenir l’équilibre qui confère à ce texte sa richesse et son efficacité. Je tiens, à cet égard, à saluer le travail fourni par notre collègue Cécile Cukierman, rapporteure de la commission des lois.

L’encadrement renforcé du recours aux cabinets de conseil privés permettra à notre administration de rester intègre, efficace et digne de la confiance de nos concitoyens.

Ce texte est indispensable. Ses dispositions, très attendues, s’inscrivent dans la lignée des recommandations de la commission d’enquête sénatoriale qui s’est penchée sur ce sujet.

C’est pour cette raison que le groupe RDPI votera en faveur de cette proposition de loi. (Mme la rapporteure applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld.

Mme Audrey Linkenheld. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « un phénomène tentaculaire » : voilà comment, après une polémique dont chacun se souvient, la commission d’enquête sénatoriale sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés avait fini par qualifier l’intervention de ces cabinets dans le circuit de conception et de validation de nos politiques publiques.

Sur la seule année 2021, le recours aux cabinets de conseil par les ministères et certains opérateurs de l’État a pesé pour plus de 1 milliard d’euros de dépenses publiques, alors même que – la commission d’enquête l’a constaté – certaines missions, pourtant facturées à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros, ne débouchaient, en réalité, sur rien.

C’est l’opacité régissant les relations entre les cabinets de conseil et les administrations qui rend ces dérives possibles.

C’est pour cette raison que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’est impliqué, en 2021 et 2022, dans les travaux de la commission d’enquête sénatoriale, par l’intermédiaire de mes collègues Mickaël Vallet, Patrice Joly et Franck Montaugé.

C’est pourquoi notre groupe a également soutenu dès le début la proposition de loi issue en 2022 des travaux de contrôle de la commission d’enquête. Nous l’avons votée en première lecture, comme d’ailleurs l’ensemble du Sénat, parce que nous sommes convaincus qu’elle permettra de lutter efficacement contre le manque de transparence dans les relations entre les administrations et les cabinets de conseil, contre le foisonnement incontrôlé de leur recours, contre la dépossession de l’État et contre les risques déontologiques.

Aussi, c’est avec satisfaction et même soulagement que le groupe socialiste accueille le retour de ce texte au Sénat, en seconde lecture. Soulagement, parce que notre crainte de voir ce texte enterré était réelle face à l’obstination du Gouvernement à vouloir complexifier son cheminement parlementaire et à empêcher son aboutissement.

Alors qu’était soulignée dans les conclusions de la commission d’enquête, en 2022, une réelle urgence à légiférer sur le sujet, le recours par le Gouvernement à une procédure accélérée semblait totalement justifié. Pourtant, malgré les engagements pris, cette proposition de loi transpartisane, adoptée, je le répète, à l’unanimité par le Sénat en octobre 2022, n’a été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale que bien plus tard.

C’est finalement en février 2024 que le texte a été discuté par l’Assemblée nationale. Et là – il faut bien le dire –, tant en commission qu’en séance publique, c’est plus à un affaiblissement qu’à une amélioration qu’ont procédé conjointement la majorité de l’Assemblée nationale et l’exécutif : les établissements publics industriels et commerciaux sont exclus du champ d’application de la proposition de loi, tout comme la grande majorité des établissements de santé ; le régime de sanctions administratives initialement prévu par le Sénat est supprimé, tandis que les pouvoirs d’enquête et de sanction de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique sont amoindris. À cet égard, nous défendrons quelques amendements, dont l’un vise à assortir d’un pouvoir de sanction le nouveau pouvoir de contrôle accordé à la Cnil sur l’utilisation des données non personnelles associées aux livrables des cabinets de conseil privés.

Le principal changement apporté par la chambre basse au texte issu de la chambre haute est l’ajout des collectivités de grande taille dans le périmètre d’application de la proposition de loi. Cet ajout ne dupe personne ! Pris la main dans le sac il y a quelques années du fait de son recours excessif, voire abusif, et opaque aux cabinets de conseil privés, le Gouvernement veut faire diversion en jetant le doute sur les collectivités territoriales, avec un amendement sorti du chapeau lors de la séance publique à l’Assemblée nationale. N’ayant fait l’objet ni d’une étude de faisabilité et d’impact ni d’une concertation avec les associations d’élus, cette intégration des collectivités territoriales ne sert qu’à perturber la suite du processus législatif et à fragiliser le compromis entre les deux chambres.

Notre groupe ne laissera pas faire cela et il a soutenu la suppression en commission des lois, sur l’initiative de la rapporteure, de cette disposition. L’essentiel du texte doit concerner les administrations et les opérateurs nationaux. La question des collectivités locales ne saurait être posée que différemment, parce que leurs missions sont distinctes et que les contrôles auxquels elles sont soumises pour leurs comptes et pratiques sont déjà bien établis. En tout état de cause, comme elles n’ont pas été associées, elles ne peuvent pas être incluses. Le Sénat en est convaincu, et nous espérons que les députés se rallieront in fine à cette position puisqu’ils ont eux-mêmes estimé, dans la mission flash menée par l’Assemblée nationale en juillet 2023, qu’« une étude plus approfondie sur le sujet gagnerait à être menée ».

Le texte que nous examinons aujourd’hui a, en tout cas, pu retrouver toute son ambition grâce au travail de qualité effectué en commission des lois par la rapporteure Cécile Cukierman : la quasi-totalité des régressions actées par l’Assemblée nationale sont corrigées et les ajouts pertinents sont conservés. Nous en sommes satisfaits, car nous sommes favorables à l’installation d’une relation de transparence entre les administrations et les cabinets de conseil, mais surtout parce que nous souhaitons que soient mieux valorisées les ressources humaines internes de nos administrations. Non seulement leurs fonctionnaires ont des compétences souvent équivalentes à celles des consultants privés, mais ils ont aussi ce petit « plus » : le sens du service public et l’attachement à l’intérêt général !

C’est la raison pour laquelle je m’étais déjà réjouie avec mon groupe, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2024, de l’internalisation de certaines prestations, notamment au travers du recrutement de huit équivalents temps plein à la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (Diese).

Nous saluons ces efforts ainsi que ceux qui visent à établir plus de transparence, consentis par les administrations depuis la commission d’enquête. Pourtant, les manœuvres dilatoires du Gouvernement à l’Assemblée nationale tendent à prouver qu’il reste nécessaire d’encadrer ces pratiques dans la loi. Ce sera un pas vers la restauration de la confiance de nos concitoyens dans l’action publique et dans la capacité de l’État à concevoir ses politiques publiques sans interférence inutile, sans ingérence, des intérêts privés et toujours dans l’intérêt général.

Le groupe socialiste votera donc pour la proposition de loi telle qu’elle a été rétablie et améliorée par la commission des lois, et par certains amendements que nous examinerons en séance. (Mme la rapporteure applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Arnaud Bazin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission d’enquête que j’ai eu l’honneur de présider, et dont notre collègue Éliane Assassi étant rapporteure, a déposé en mars 2022 un rapport, adopté à l’unanimité de ses membres, lequel a mis en évidence un phénomène que nous avons qualifié de « tentaculaire », dans un contexte d’opacité et de risques déontologiques majeurs.

Ce rapport a eu un grand retentissement médiatique et public, avec un record de consultation des réseaux sociaux du Sénat et du site internet lors des auditions publiques. Il a fait l’objet de 3,5 millions de publications et partages dans les jours suivant sa parution.

« Phénomène tentaculaire », disais-je, car celui-ci a représenté au moins 1 milliard d’euros en 2021, ces dépenses ayant plus que doublé depuis 2017. La commission d’enquête a d’ailleurs dû compiler elle-même ces dépenses pour les estimer a minima, puisqu’il est très tôt apparu qu’aucun document budgétaire n’en faisait de synthèse.

« Phénomène tentaculaire » aussi parce que les cabinets de conseil sont intervenus sur des sujets majeurs : gestion de la crise sanitaire, assurance chômage, aides personnelles au logement (APL), stratégie nationale de santé (SNS), aide juridictionnelle, etc. Solliciter un cabinet de conseil est devenu une habitude…

Pourtant, les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. On comprend pourquoi les cabinets souhaitent rester discrets, ou behind the scene comme disent les représentants de McKinsey, et pourquoi les documents produits ne sont le plus souvent pas estampillés… Il a ainsi été relevé qu’un rapport sur l’avenir du métier d’enseignant, facturé 496 800 euros, n’a eu aucune suite de l’aveu même du ministère, ou qu’une prestation pour une convention des managers de l’État a été facturée 558 900 euros pour un évènement qui n’a jamais eu lieu. (M. Bruno Sido sexclame.)

M. Arnaud Bazin. Nous avons également mis en évidence des risques déontologiques majeurs.

Il s’agit, tout d’abord, du risque de conflit d’intérêts : un cabinet peut travailler pour une politique vaccinale de l’État tout en étant prestataire régulier d’une société productrice de vaccins, sans qu’il en soit fait mention. La pratique de la prestation pro bono, gratuite mais potentiellement suivie de commandes ultérieures, le pantouflage – allers-retours entre les administrations d’État et les cabinets de conseils privés – ainsi que le risque de réutilisation de données sont d’autres sujets déontologiques qui méritaient d’être traités.

Il est à noter que deux autres rapports confortent, s’il en était besoin, le diagnostic posé par la commission d’enquête du Sénat : l’un de l’inspection générale des finances (IGF), l’autre de la Cour des comptes. Ceux-ci reprennent très largement nos conclusions et confortent ainsi nos propositions.

Les membres de la commission d’enquête ont donc déposé une proposition de loi, qui vient maintenant en deuxième lecture et comprend dix-neuf articles, pour mettre en œuvre les dix-neuf propositions du rapport, afin d’en finir avec l’opacité des prestations de conseil, de mieux encadrer le recours aux consultants et de renforcer les exigences déontologiques. Ce texte a été adopté à l’unanimité par notre assemblée le 10 octobre 2022. Toutefois, il aura fallu attendre quinze mois pour qu’il soit inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Il me faut à cet égard remercier M. le président du Sénat et la conférence des présidents, qui nous permettent, peu après le retour du texte de l’Assemblée nationale, d’en débattre cet après-midi, illustrant la mobilisation vigoureuse du Sénat sur ce sujet.

Force est de constater que le Gouvernement souhaite mettre la poussière sous le tapis par tous les moyens. Je citerai, pour illustrer cette volonté dilatoire : la circulaire du Premier ministre, publiée le jour même de l’audition de Mme de Montchalin par la commission d’enquête ; la conférence de presse lunaire de cette dernière avec Olivier Dussopt le 30 mars 2022, en pleine campagne présidentielle ; le refus d’inscrire la proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, alors que vous vous étiez engagé ici même, monsieur le ministre, « à faire cheminer le texte », selon vos propres mots ; la publication d’un jaune budgétaire encore très éloigné de ce que réclame la transparence ; la création récente de l’Agence de conseil interne de l’État, qui n’est qu’une nouvelle dénomination de la DITP et une opération de communication, un contre-feu supplémentaire ; enfin, la tentative d’extension de la proposition de loi aux collectivités territoriales, alors que nous ne disposons d’aucune donnée fiable sur le sujet – nous y reviendrons au cours du débat.

Enfin, au bout de quinze mois, le texte a été examiné par l’Assemblée nationale, après une énième manœuvre dilatoire : une mission d’information sur le périmètre de la proposition de loi – c’est inédit dans les procédures du Parlement –, dont la conclusion vise à demander un nouveau rapport sur les cabinets de conseil dans les collectivités.

Pourtant, la commission d’enquête et le Sénat ont toujours affirmé que le recours par l’État aux prestations de conseil était parfaitement légitime quand il était nécessaire. Les exigences que nous portons sont simplement la transparence de ce recours et le contrôle des conditions, notamment déontologiques, dans lesquelles il intervient.

Si la version issue de la commission des lois de l’Assemblée nationale me semblait fidèle à l’esprit de notre texte et s’inscrivait, en responsabilité, dans les enjeux que nous avions mis en évidence, le texte qui nous est soumis, issu de la séance publique de ladite assemblée, a dénaturé notre proposition de loi en réduisant ses ambitions.

Je citerai quelques exemples : exclusion d’établissements publics d’importance – Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), Agence française de développement (AFD), Union des groupements d’achats publics (Ugap), etc. ; renvoi de la définition des prestations à un décret, à la main du Gouvernement ; réduction draconienne des obligations de publicité, donc de la nécessaire transparence ; réduction des pouvoirs de contrôle et de sanction de la HATVP ; suppression d’un meilleur contrôle des pantouflages ; non-application de la loi aux contrats en cours, ce qui introduit un délai de quatre ans avant le début d’une mise en œuvre de la transparence. C’est pourquoi je remercie Mme la rapporteure, ainsi que les commissaires aux lois, qui ont fermement maintenu l’ambition du texte initial du Sénat en revenant sur les reculs les plus graves du texte opérés en séance publique à l’Assemblée nationale.

Fidèle à l’ambition de transparence et de déontologie, j’ai toutefois déposé quelques amendements. Je me permets ainsi d’appeler votre attention, mes chers collègues, sur la nécessité de supprimer le décret devant préciser le périmètre des prestations concernées. Si cette version était adoptée, même avec l’obligation d’un décret en Conseil d’État, comme l’a prévu la commission, nous courrions à l’évidence un risque de dénaturation, voire de déstabilisation, de la présente proposition de loi.

Il se trouve que, dans un registre très voisin, nous avons eu à connaître d’un fâcheux exemple : le décret n° 2017-867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts, a renié l’esprit de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2, qui concernait l’inscription au registre des représentants d’intérêt de la HATVP, en diminuant considérablement sa portée, à telle enseigne que les membres du comité de déontologie parlementaire du Sénat, après audition de l’ensemble des parties prenantes, ont déposé à l’unanimité une proposition de loi pour revenir sur ce décret. J’espère que nous débattrons de ce texte dans les prochains mois.

Le risque consiste donc, si notre proposition de loi maintient ce décret, à en voir la portée considérablement diminuée, surtout dans le contexte que j’ai rappelé, très hostile de la part du Gouvernement.

Aujourd’hui, personne ne connaît la liste des prestations de conseil de l’État ou de ses opérateurs, et, si nous votions le texte issu de l’Assemblée nationale, nous ne serions pas près de la connaître.

Si la démarche qui répond aux exigences démocratiques de base – transparence, contrôle, déontologie, protection des données – ne parvenait pas à son terme, la question du rapport entre les gouvernements d’Emmanuel Macron et les cabinets de conseil privés serait posée de façon particulièrement aiguë.

Il nous faut donc revenir à l’ambition initiale de la proposition de loi, et la navette devra se poursuivre malgré les réserves du Gouvernement ; c’est une exigence démocratique, une demande de nos concitoyens, alors même que trois enquêtes pénales sont en cours sur ce sujet. (Applaudissements sur toutes les travées, à lexception de celles des groupes RDPI et RDSE. – Mme la rapporteure applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joshua Hochart.

M. Joshua Hochart. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui confrontés à un phénomène d’une ampleur considérable qui menace la souveraineté même de notre État et la démocratie : l’emprise tentaculaire des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques de notre pays.

Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, les dépenses consacrées à ces cabinets ont plus que doublé, atteignant un milliard d’euros en 2021 ! Un milliard détourné des services publics au profit de sociétés privées qui influencent désormais la décision de l’État à tous les niveaux. L’omniprésence du cabinet McKinsey est d’ailleurs frappante : ses consultants ont même participé à la campagne présidentielle de 2017, dans l’opacité la plus totale.

Au-delà des symboles, des faits concrets illustrent les dérives de cette privatisation rampante de l’action publique. McKinsey s’est ainsi vu confier la gestion de la crise du covid-19 pour 12 millions d’euros, sans que les Français prennent connaissance de ses préconisations. Pis, ce même cabinet a été payé 4 millions d’euros pour suggérer de baisser les aides au logement, aggravant encore la précarité des plus fragiles !

Mes chers collègues, les risques sont multiples et les enjeux considérables. C’est ni plus ni moins que la souveraineté de notre État qui est en jeu face à cette privatisation de la décision publique, y compris sur des sujets stratégiques comme la défense, le projet de loi de finances ou la politique de santé. Sans compter le coût faramineux de ces prestations externes, qui est quatre fois plus élevé que celui de l’emploi de fonctionnaires en interne.

Un encadrement strict et des garde-fous solides sont donc indispensables pour éviter les pires dérives : conflits d’intérêts, opacité des contrats, gaspillage d’argent public… Le recours aux cabinets de conseil doit redevenir l’exception, en étant réservé à des situations véritablement exceptionnelles, et non la norme, comme c’est désormais le cas avec les gouvernements Macron.

C’est pourquoi nous voterons pour ce texte qui constitue une première étape, tout en jugeant ses dispositions encore trop timides au regard de l’urgence. Nous présenterons donc des amendements, dont certains ont été adoptés à l’Assemblée nationale, visant à renforcer significativement l’encadrement de ce recours aux cabinets de conseil, en intégrant notamment les régions et départements, lesquels prennent des décisions politiques majeures avec des budgets considérables, parfois comparables à ceux de certains ministères.

Nous souhaitons aussi faire toute la lumière sur les coûts astronomiques des prestations informatiques, externalisées à hauteur de 90 % à 95 %, sur le recours problématique et récurrent aux cabinets étrangers, ou encore sur ces contrats de maintenance applicative qui enferment l’administration dans une dépendance éternelle et coûteuse envers les consultants.

Nous ne devons pas oublier que notre pays dispose déjà d’un vivier de hauts fonctionnaires compétents, dévoués, formés pour servir l’intérêt général et élaborer des politiques publiques de qualité. Ces femmes et ces hommes, issus de nos grandes écoles et lauréats de concours prestigieux, ont acquis une expertise pointue dans leurs domaines respectifs.

Au lieu de nous reposer aveuglément sur des cabinets de conseil extérieurs, souvent étrangers à nos réalités nationales, nous devrions accorder une priorité renouvelée au travail de nos propres fonctionnaires. En leur faisant pleinement confiance et en leur donnant les moyens d’exercer leurs missions, nous préservons non seulement la souveraineté de notre État, mais aussi la pérennité de notre savoir-faire public.

Mes chers collègues, l’heure est grave. Nous ne pouvons laisser perdurer cette privatisation insidieuse et cette perte de souveraineté de notre État. En responsabilité, nous devons reprendre la main et réaffirmer la primauté de l’intérêt général sur les intérêts privés.

N’ayons pas peur d’aller au bout de la logique républicaine. Remettons l’État au cœur de la décision publique, au service des Français. Saisissons cette opportunité historique de redonner tout son sens à l’action publique !

Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la polémique née du recours aux cabinets de conseil par l’État se poursuit avec la deuxième lecture de la présente proposition de loi. Lors de la campagne présidentielle de 2022, les Français ont été pour le moins surpris d’apprendre que 890 millions d’euros avaient été versés à ce titre par l’État sur l’année 2021.

À quoi servent les 5,67 millions d’agents que compte la fonction publique de notre pays si l’État a besoin de recourir à des cabinets de conseil privés ?

La réalité, que tous les responsables politiques connaissent bien, c’est qu’ils ont eux-mêmes eu recours à des prestations de conseil, ou qu’ils le feront un jour. Derrière les polémiques, il y a les faits : les trois quarts du montant dépensé en 2021 concernaient des prestations informatiques.

L’État n’est évidemment pas le seul à recourir à ces prestations. Les collectivités territoriales ont ainsi dépensé 557 millions d’euros pour des prestations de conseil, ce qui est bien normal puisqu’elles font face, elles aussi, à un monde de plus en plus complexe.

Alors que les collectivités territoriales ont été incluses dans le périmètre du texte à l’Assemblée nationale, la rapporteure a fait le choix en commission de les retirer de la liste des entités soumises à cette loi.

Notre groupe se réjouit, bien évidemment, que les collectivités territoriales soient exclues de ce dispositif et ne soient pas soumises à un énième régime de déclaration, car nous savons bien qu’elles ne recourent à ces prestations que lorsque ces dernières sont nécessaires. Mais l’Assemblée nationale, qui conserve le dernier mot, pourrait à ce titre inclure de nouveau ces collectivités, si l’examen de la proposition de loi se poursuivait jusqu’à son terme.

Nous avons mieux à faire que de confier à la HATVP une nouvelle mission relative aux prestations de conseil, une nouvelle commission des sanctions, après l’avoir chargée de participer à la lutte contre les ingérences étrangères, alors qu’elle manque déjà de moyens. Le risque, à terme, est d’imposer de nouvelles obligations aux collectivités territoriales.

À titre personnel, je considère que nous devons renforcer nos moyens de lutte contre le véritable problème qu’est le pantouflage. Les allers-retours incessants entre le public et le privé sont inacceptables. Un seul et unique aller-retour doit être possible. Nos concitoyens acceptent de plus en plus mal cet entre-soi parisianiste au sein duquel les rémunérations s’additionnent tandis que les responsabilités se soustraient.

Nous devons donner à la HATVP les moyens de remplir sa mission dans les meilleures conditions si nous voulons lutter contre les atteintes à la probité.

La grande majorité du groupe Les Indépendants s’abstiendra sur cette proposition de loi, qui nous semble manquer son objectif et pourrait se révéler dangereuse pour les collectivités territoriales.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques, qui est le fruit d’un long cycle de travaux parlementaires autour du rôle des cabinets de conseil privés dans la sphère publique.

Ces travaux ont, en premier lieu, pris la forme d’une commission d’enquête, dont je salue la nature, le sérieux et l’intensité, à la suite du scandale politico-financier surnommé « affaire McKinsey » en janvier 2021.

Les enseignements de cette affaire devaient être tirés. C’est pourquoi la Haute Assemblée a conduit une commission d’enquête, dont le rapport a mis en valeur deux constats majeurs.

Premier constat : le caractère systématique du recours à des prestations de cabinets de conseil. Le rapport sénatorial a démontré que ce « réflexe » de l’administration s’expliquait par la « force de frappe des cabinets de conseil », lesquels parviennent à « s’adapter à l’accélération du temps politique ». Si le recours régulier à des prestataires a un coût loin d’être négligeable – environ 1 milliard d’euros en 2021 –, il est aussi paradoxal à certains égards, puisque l’administration dispose déjà en son sein de compétences variées et de fonctionnaires de grande qualité.

Deuxième constat : la plupart des prestations extérieures ont été réalisées par des cabinets internationaux opérant sur un marché tenu par quelques groupes en situation de quasi-oligopole. Cette situation pose un problème éthique et politique au regard des risques existants en matière d’influence, voire d’ingérence, de ces cabinets – pour certains étrangers – sur les politiques publiques. Cela est d’autant plus problématique lorsqu’il s’agit de politiques afférentes à notre souveraineté. En 2021, plus de la moitié des prestations de conseil ont été effectuées au bénéfice de trois ministères régaliens : l’intérieur, la défense et les finances !

À la suite des conclusions de la commission d’enquête, rendues en mars 2022, le Gouvernement a affiché quelques mesures pour restreindre le recours aux cabinets de conseil. La création d’un service de « conseil interne » au sein de la DITP en est la dernière illustration.

Le législateur ne pouvait rester immobile sur cette question de transparence administrative, directement liée à la confiance de nos concitoyens en nos institutions. Car sans transparence, point de confiance. La jurisprudence du Conseil constitutionnel rattache d’ailleurs le principe de transparence administrative à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » Il était donc nécessaire que le Sénat et l’Assemblée nationale légifèrent.

C’est pourquoi nous examinons, en deuxième lecture, la proposition de loi, d’émanation transpartisane, encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques. J’en profite pour saluer la qualité du travail réalisé par la rapporteure Cécile Cukierman. Les dispositions prévues par cette proposition de loi satisfont un impératif de transparence, qui se décline en deux objectifs majeurs.

Le premier objectif est la nécessité d’accroître l’encadrement du recours aux cabinets de conseil. Le périmètre des prestations de conseil concernées est entendu de manière large. Il comprend le conseil en stratégie, en organisation, en communication, en mise en œuvre des politiques publiques, en informatique, ainsi que le conseil juridique, financier ou en assurance. Aussi, pour éviter toute confusion des genres, les cabinets de conseil auront l’interdiction d’utiliser tout signe distinctif de l’administration ou de se voir attribuer une adresse électronique comportant le nom de domaine d’une administration.

D’autres mesures visent à parer toute tentative d’influence : l’article 5 bannit toute prestation gratuite ; l’article 7 prévoit que l’utilisation de la langue française est obligatoire dans les échanges entre l’administration et leurs prestataires de conseil.

Ces mesures relèvent, pour la plupart, d’un équilibre entre les dispositions votées à l’Assemblée nationale et au Sénat. Notre commission des lois a fait preuve ici de l’esprit de compromis que nous lui connaissons.

Néanmoins, le champ d’application de ce texte fait l’objet d’une divergence majeure entre les deux chambres. Je pense évidemment à l’intégration au dispositif par les députés, via un amendement du Gouvernement, des collectivités territoriales de plus de 100 000 habitants dans le périmètre des administrations bénéficiaires concernées.

Monsieur le ministre, cette méthode est discutable et la portée de cette extension l’est tout autant ! Le code général des collectivités territoriales et le code de la commande publique encadrent déjà le recours aux cabinets de conseil par les collectivités territoriales.

Je rappelle par ailleurs, sous le contrôle de notre collègue Nathalie Goulet, que le champ de la commission d’enquête n’incluait pas les collectivités territoriales. Par quel miracle, par quel tour de prestidigitation, les a-t-on intégrées dans le dispositif ? L’objectif de cet écran de fumée était, je le crains, de masquer le véritable fond du problème : la mobilisation des cabinets de conseil au bénéfice de l’État.

Le second objectif de la proposition de loi est l’instauration d’un cadre déontologique s’imposant aux cabinets de conseil. Avant chaque prestation, ils devront s’engager à respecter un certain nombre de conduites à tenir avec l’administration concernée.

La commission des lois a par ailleurs rétabli une mesure supprimée par les députés : le contrôle, sur place et sur pièces, confié à la HATVP. À cela s’adjoint un régime de sanctions administratives. La mission de contrôle de la Haute Autorité doit être maintenue, car, comme le précise la rapporteure, elle « garantit l’efficacité et la crédibilité du dispositif de contrôle institué par la loi et mis en œuvre par la HATVP ».

Cette divergence entre les deux chambres n’en est qu’une parmi tant d’autres. En effet, plusieurs désaccords entre l’Assemblée nationale et le Sénat subsistent, signe que nous n’avons pas la même approche du texte. J’espère toutefois que cette deuxième lecture au sein de la Haute Assemblée ne sera pas une lecture de façade et que la navette parlementaire, grâce à votre appui, monsieur le ministre, et à l’engagement des parlementaires, sera fructueuse. Il serait dommageable que les travaux du Sénat se soldent par une dernière lecture étant à la main des députés et du Gouvernement ; cela dénaturerait l’esprit dans lequel les travaux de la commission d’enquête ont été menés.

En définitive, le groupe Union Centriste votera en faveur de l’adoption du texte, tel qu’amendé par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où le bureau du Sénat s’interroge sur l’organisation du travail parlementaire, nous nous retrouvons pour débattre de cette proposition de loi plus d’un an et demi après sa première lecture. Ce délai, bien trop long à nos yeux, montre combien il est nécessaire que nous améliorions nos méthodes de travail pour faire avancer les textes, y compris quand ils n’émanent pas des majorités.

La présente proposition de loi, qui s’attarde sur le sujet si problématique du recours aux cabinets de conseil dans les politiques publiques, fait suite à des révélations journalistiques sur le scandale de l’augmentation notable des dépenses liées aux cabinets de conseil depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Passer de 379 millions d’euros en 2018 à 894 millions en 2021, c’est une dérive faramineuse !

Le groupe CRCE-K avait demandé en 2022 la création d’une commission d’enquête sur l’influence de ces cabinets et le texte s’appuie, monsieur le ministre, sur les conclusions de cette commission d’enquête transpartisane du Sénat.

Pourtant, l’avènement du président Macron s’était construit sur l’ambition de la fin du pantouflage et des allers-retours trop opaques entre les hautes sphères de l’État et les cabinets privés, sur une République exemplaire, de plus en plus transparente. Voilà ce qui était promis !

Je rappelle que les travaux de la commission d’enquête ont pu mettre en évidence des dysfonctionnements majeurs. Comment oublier, par exemple, cette mission payée près d’un demi-million d’euros à un cabinet, et qui faisait doublon avec la mission sur la petite enfance portée par le professeur Boris Cyrulnik ? Celui-ci n’avait d’ailleurs pas manqué de réagir, ce qui était amplement justifié. La DITP avait jugé que le travail dudit cabinet n’était « pas au niveau » ni le chiffrage qu’il avait établi de diverses mesures « à la hauteur d’un cabinet de stratégie ».

Qu’il s’agisse de la transparence de ces contrats, de la qualité des rapports et de leur publicité, de la passation de la commande jusqu’au rendu des travaux, les travaux du Sénat ont pu mettre à jour les défaillances que la proposition de loi tend à résoudre. Ce n’est pas le recours même à une expertise extérieure qui est mis en cause, c’est l’absence de transparence des contrats et des montants demandés, pour des résultats parfois plus que discutables.

Certes, le problème s’est réduit. Contraint par la médiatisation de l’affaire McKinsey et les travaux d’élaboration de la présente proposition de loi, le Gouvernement a divisé par trois son recours aux cabinets de conseil entre 2021 et 2023 et, l’été dernier, le Gouvernement a fixé de nouvelles règles pour réduire de 15 % les dépenses de conseil en stratégie dans les ministères.

Toutefois, à la même période, le cabinet de conseil McKinsey a été sélectionné, dans le cadre d’un marché public, par un organisme public français, pour un montant de 75 millions d’euros, alors que la firme fait toujours l’objet d’une enquête pour blanchiment aggravé de fraude fiscale. Et je ne parle même pas de la saisine de la justice par le Sénat le 25 mars 2022 pour un soupçon de faux témoignage sur la situation fiscale de McKinsey.

Les sociétés de conseil sont souvent perçues comme un moyen simple et agile, dans un moment de surcharge ponctuelle, de contourner les problèmes posés par les plafonds d’emploi. Cela entraîne des pertes de compétences au sein de l’administration ou des limitations de montée en compétences. C’est un cercle vicieux infernal : la baisse de compétences organisée du service public rend le recours aux cabinets de conseil difficilement évitable.

Certains y voient l’action de pompiers pyromanes, qui ne donnent pas les moyens à l’administration de rester compétente dans l’exercice de ses prérogatives afin de justifier les recours coûteux à une poignée de grandes entreprises de conseil. Pourtant, une large majorité des entreprises de conseil de moindre importance demeure loin des pouvoirs et des pratiques de ces grands groupes.

Nous approuvons ce texte, le travail de notre collègue Éliane Assassi et le retour, de bon aloi, à la rédaction sénatoriale, qui est bien plus en accord avec les résultats des travaux de notre commission d’enquête.

Lors de la première lecture, nous avions vivement regretté que certains de nos amendements aient été déclarés irrecevables, alors qu’ils portaient explicitement sur les pouvoirs de contrôle et de sanction conférés à la HATVP, en vue de faire respecter leurs obligations par les prestataires de conseil et les consultants. Nous avons de nouveau déposé des amendements, en espérant qu’ils reçoivent un sort plus juste. L’un d’entre eux vise à interdire expressément le recours aux prestataires et aux consultants privés pour la rédaction des études d’impact et de l’exposé des motifs des projets de loi, afin d’éviter tout risque de dépossession en matière d’orientation des politiques publiques.

Nous sommes globalement favorables au texte et aux mesures novatrices qui s’appuient sur les recommandations issues des travaux de qualité menés par la Haute Assemblée.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Guy Benarroche. Nous attendons du Gouvernement qu’il s’engage à réduire le recours excessif aux cabinets de conseil, à renforcer la déontologie de tous les acteurs impliqués dans ces transactions et à permettre à la HATVP de fonctionner correctement.

Mme la présidente. Il faut conclure !

M. Guy Benarroche. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera donc pour cette proposition de loi dans la rédaction présentée par la commission des lois du Sénat. (Mme la rapporteure et Mme Nathalie Goulet applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il aura donc fallu une nouvelle fois l’engagement conjoint du groupe Les Républicains et de notre groupe…

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Éric Bocquet. … pour que cette proposition de loi soit inscrite à l’ordre du jour d’une semaine sénatoriale. Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky (CRCE-K) a fait œuvre utile ici, au Sénat, en révélant, par une commission d’enquête, le « phénomène tentaculaire » que représentait le recours aux cabinets de conseil privés dans les politiques publiques. Je veux saluer l’ancienne présidente de notre groupe, Éliane Assassi, qui fut la rapporteure des travaux de cette commission d’enquête, pour son courage et sa ténacité, ainsi que son président Arnaud Bazin.

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Éric Bocquet. Depuis lors, c’est peu de dire que le Gouvernement s’est employé à contrer cette proposition de loi transpartisane.

Une circulaire a d’abord été prise pour encadrer le volume et la nature du recours aux cabinets de conseil : annoncée dans la presse le jour même de l’audition de la ministre Amélie de Montchalin au Sénat, elle a été publiée le lendemain, le 20 janvier 2022.

Ensuite, le Président de la République en campagne avait enjoint aux institutions judiciaires du pays de se saisir de ce scandale : « Qu’ils aillent au pénal ! », avait-il asséné dans une grande fébrilité.

Sans surprise, la pression ne retombe pas depuis la présentation du rapport, qui a mis au jour un système quasi anarchique, dépassant 1 milliard d’euros en 2021 – cela a été rappelé –, un montant multiplié par 2,36 pour les seuls ministères depuis 2018.

Déposée le 21 juin 2022, la présente proposition de loi n’a jamais été reprise à son compte par le Gouvernement, qui – nous le savons – dispose de la majorité de l’ordre du jour parlementaire. Le texte fut adopté à l’unanimité le 18 octobre 2022, mais ce n’est que quinze mois plus tard, après l’engagement « sincère » de M. le ministre Guerini de l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, que la seconde chambre du Parlement eut enfin le droit d’en débattre.

Parcours chaotique, délais interminables : la machine gouvernementale à saper le travail parlementaire s’est abattue sur cette proposition de loi. Dès les travaux de la commission à l’Assemblée nationale, et malgré l’excellent travail de notre collègue Nicolas Sansu, corapporteur avec le député de la majorité Bruno Millienne, l’ambition générale du texte fut amoindrie.

La ministre Marie Lebec affirmait vouloir réarmer l’État. C’est tout ce que nous demandons, mais il faudra nous expliquer comment le faire avec la trajectoire des finances publiques la plus draconienne que la VRépublique ait jamais connue : les 3 % en 2027 comme seul horizon budgétaire et politique, la réduction des dépenses publiques comme une fin en soi.

Réarmer l’État, c’est pour vous tout au plus la création d’une Agence de conseil interne de l’État, qui existait finalement déjà et qui s’appelait la direction interministérielle de la transformation publique – la fameuse DITP –, ce point d’entrée des cabinets de toutes obédiences. Mais ce n’est que de la communication, car les 75 agents affectés feront pâle figure à côté des armées de consultants, qui mettaient parfois les fonctionnaires en minorité dans leur propre maison.

Vous auriez réduit les dépenses de cabinets de conseil par trois depuis 2021, dites-vous, monsieur le ministre. Un chiffre malheureusement invérifiable tant votre jaune budgétaire est lacunaire, ne comprenant que sept groupes de marchandises, contre douze dans le rapport de la commission d’enquête sénatoriale. Le périmètre n’est pas le bon et nous ne connaissons pas la nature des prestations.

Je vous le dis, il ne peut y avoir de transparence sans contrôle ni sanction. Mais il ne peut y avoir de transparence non plus sans moyens affectés à cette fin et confiés à la HATVP. En 2023, celle-ci a reçu 9,6 millions d’euros pour solde de tout compte, alors qu’elle doit contrôler la probité des élus que nous sommes et les lobbys, et demain les cabinets de conseil. Cela n’est ni suffisant ni acceptable : donnons-nous les moyens de la transparence !

Une chose est certaine, il nous faut cette loi, dans la rédaction issue de la commission des lois. Un engagement clair du Gouvernement d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour est nécessaire pour obtenir un accord sur ce qui, demain, doit protéger l’activité des ministères des dérives d’hier, des dérives qui ont eu lieu au cœur de l’État, minant la conception que l’on peut avoir de ce dernier et de ses valeurs, dénaturant son rôle et sa mission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER, GEST, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures dix.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques

Chapitre Ier

Champ d’application

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques
Article 1er bis

Article 1er

I. – La présente loi régit les prestations de conseil réalisées par les prestataires et les consultants pour les administrations bénéficiaires suivantes :

1° L’État et ses établissements publics dont les dépenses de fonctionnement constatées dans le compte financier au titre de l’avant-dernier exercice clos sont supérieures à 60 millions d’euros ;

2° Les autorités administratives indépendantes et les autorités publiques indépendantes ;

2° bis et 3° (Supprimés)

bis. – (Supprimé)

II. – Sont des prestations de conseil au sens de la présente loi :

1° Le conseil en stratégie ;

2° Le conseil en organisation des services et en gestion des ressources humaines ;

3° Le conseil en stratégie numérique ;

4° Le conseil en communication ;

5° Le conseil pour l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques, y compris leur évaluation ;

6° Le conseil juridique, financier ou en assurance, à l’exclusion des prestations relatives aux participations de l’État et de celles réalisées par les professionnels mentionnés à l’article 56 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, par les experts-comptables et par les commissaires aux comptes et des prestations de conseil mentionnées aux 4 et 5 du I de l’article L. 311-2 du code monétaire et financier et au 5 de l’article L. 321-1 du même code, lorsqu’elles sont réalisées par des établissements de crédit.

Un décret en Conseil d’État précise la nature des prestations de conseil délivrées par les consultants au sens de la présente loi.

III. – (Non modifié)

IV. – (Non modifié) Sont des consultants, au sens de la présente loi, les personnes physiques qui s’engagent en qualité de travailleur indépendant avec l’administration bénéficiaire pour réaliser une prestation de conseil ou qui exécutent les prestations de conseil pour le compte des prestataires ou d’autres consultants.

V. – (Non modifié) Les prestataires de conseil et les consultants ne prennent aucune décision administrative.

Au cours de toutes les phases de l’exécution d’une prestation de conseil, l’administration bénéficiaire peut demander au prestataire ou au consultant la participation d’au moins un de ses agents à la réalisation de ladite prestation.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, sur l’article.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, je tenais à vous dire, dans le droit fil des interventions de la discussion générale, tout le mal que je pensais de la façon dont cette proposition de loi avait été traitée. C’est vraiment un « massacre à la tronçonneuse », et il est rare dans cet hémicycle que la quasi-totalité des orateurs fasse les mêmes observations, à la fois, sur le fond et sur la méthode.

En ce qui concerne le pantouflage et le rétropantouflage, la déontologie et la transparence, le mépris affiché pour le travail du Sénat est assez déplorable. Nous avons vraiment besoin d’un texte sur ce sujet, comme les travaux de notre commission d’enquête l’ont montré. Nous avons, il y a quelques jours, évoqué – c’est vous qui étiez au banc du Gouvernement – le problème des influences étrangères : ce texte y est aussi lié, comme je l’avais souligné lors de la discussion générale.

Si l’on veut redonner un peu de crédibilité à la parole publique et au travail parlementaire, il faut absolument que ce texte soit adopté, et ce dans la version du Sénat. Le travail d’Arnaud Bazin et d’Éliane Assassi a été remarquable, et nous y avons tous œuvré de façon transpartisane. Le débat que nous allons maintenant avoir est extrêmement important pour vous convaincre que la version du Sénat est la bonne.

Mme la présidente. L’amendement n° 26, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 2

Après le mot :

publics

insérer les mots

à caractère administratif

II. – Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Les centrales d’achat au sens de l’article L. 2113-2 du code de la commande publique.

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Cet amendement vise à améliorer un amendement adopté par l’Assemblée nationale, qui avait pour objet d’exclure du champ d’application du texte certains Épic qui entrent dans le champ concurrentiel. C’est, par exemple, le cas de la RATP, puisqu’elle est soumise à la concurrence d’autres entreprises : elle ne serait donc pas assujettie à l’encadrement du recours aux prestations des cabinets de conseil.

Il s’agit donc d’exclure les Épic concernés, mais sans tomber dans certains travers consistant par exemple à exclure aussi des centrales d’achat comme l’Ugap, mentionnée dans la discussion générale. Les Épic seraient ainsi exclus, mais les centrales d’achat seraient réintégrées.

Cet amendement pourra être encore amélioré dans le cadre de la navette parlementaire, mais on peut considérer qu’en l’état il représente une forme de compromis.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Cet amendement nous permet de continuer à cheminer ensemble sur la question du périmètre d’application de la loi, c’est-à-dire sur la définition des entités qui y seront soumises.

Vous l’avez évoqué, monsieur le ministre, le sujet de la RATP est apparu ces derniers jours. J’entends vos arguments, même s’ils témoignent à mes yeux d’une lecture erronée du texte : l’objectif est non pas de rendre la concurrence plus difficile, mais de rendre transparente l’intervention des cabinets de conseil dans le secteur public et dans les Épic. Le coût supplémentaire pour la RATP serait finalement quasi nul. C’est le sens que nous avons voulu donner au rétablissement, la semaine dernière en commission, d’une formulation plus restrictive.

Comme vous l’avez dit, votre amendement n’a pas pour objectif d’exclure les centrales d’achat, qui avaient été principalement visées par les travaux de la commission d’enquête.

Pour ces raisons, la commission s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 26.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 27, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par les mots :

et, par dérogation, à 200 millions d’euros pour les établissements publics de santé

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Cet amendement porte également sur le périmètre d’application de la proposition de loi.

Il s’agit de fixer, pour les établissements de santé, le seuil d’éligibilité non pas à 60 millions, mais à 200 millions d’euros. Cette demande, qui vient de la fonction publique hospitalière et du secteur de la santé, est fondée sur un certain nombre d’arguments, analogues à ceux qui ont été invoqués dans cet hémicycle pour exclure les collectivités territoriales du champ du texte, portant sur le caractère applicable pour les établissements de santé de plus petite taille.

Un seuil de 200 millions d’euros permettrait d’inclure dans le champ de la proposition de loi l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM), les Hospices civils de Lyon (HCL), c’est-à-dire tous les établissements de santé d’une taille importante, qui peuvent être, je crois, soumis aux mêmes contraintes et risques que les administrations centrales de l’État, et d’exclure de plus petits hôpitaux. À la suite de diverses discussions, le seuil de 200 millions d’euros nous a paru être une proposition acceptable.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Comme je l’ai dit lors de la discussion générale, le seuil de 60 millions d’euros traduit déjà notre volonté d’avancer et de trouver un compromis.

Nous vous avons demandé, monsieur le ministre, une liste actualisée, que vous nous avez fournie, des établissements de santé qui seraient concernés par le seuil de 200 millions d’euros que vous souhaitez instaurer. Cette liste comporte 91 établissements publics de santé, soit seulement 25 de moins que ceux qui sont inclus dans le seuil de 60 millions. Les plus petits ne sont, de fait, pas concernés.

L’exposé des motifs de votre amendement fait appel à notre attachement territorial : vous citez notamment le centre hospitalier de Roanne, dans le département dont je suis élue, et je ne pense pas que ce soit le fruit d’un pur hasard… Ces établissements sont, je le crois, tout à fait capables de satisfaire aux obligations législatives.

La sagesse sénatoriale s’arrêtera donc ici : l’avis de la commission sur cet amendement est défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.

M. Éric Bocquet. La raison pour laquelle les législateurs que nous sommes ne peuvent être d’accord avec une exclusion des établissements de santé réalisant un chiffre d’affaires de 20 à 60 millions d’euros est assez simple.

Il y a eu une véritable gabegie : on a eu recours à des cabinets de conseil pour mettre en œuvre des politiques de « rationalisation » – c’est le terme employé – des coûts à l’hôpital décidées par les ministres de la santé successifs et aussi, il faut bien le dire, par ceux des finances.

La commission d’enquête a auditionné les Hospices civils de Lyon, qui regroupent treize hôpitaux publics. La presse avait enquêté en amont et il avait été révélé par Médiacités que les HCL avaient dépensé pour plus de 11 millions d’euros d’audits entre 2009 et 2017 auprès de cabinets de conseil bien connus : Capgemini, McKinsey, KPMG.

Une expérience ressort particulièrement, qui est le fruit d’une nouvelle enquête : la tentative « d’accompagnement » du pôle pharmacie, une prestation de McKinsey qui « n’a abouti à rien ».

D’après un article du même média, publié en février 2021 et repris ensuite par Mediapart, le pôle pharmacie de cet hôpital aurait d’abord subi un audit en 2004, dont les conclusions auraient été plutôt appréciées du personnel, puis un deuxième en 2013 et un troisième en 2017, effectué par le cabinet McKinsey via sa branche Orphoz, avec comme objectif une réduction des coûts que le précédent cabinet n’avait pas réussi à réaliser.

Officiellement, il s’agissait de dresser un état des lieux, d’établir « un diagnostic avec les acteurs de la pharmacie sur les points faibles et les points forts, avant de proposer des leviers d’amélioration ». Le montant du marché aurait été de 520 860 euros pour 227 jours de travail sur place de quatre consultants et de quelques collaborateurs d’Orphoz. Quel fut le résultat ? Un mécontentement partagé par les personnels de ce pôle, alors que la direction dit l’inverse…

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 27.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 22, présenté par MM. Bocquet, Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Rédiger ainsi cet alinéa :

3° Les prestations de conseil informatique adossées à des prestations d’audit et de conseil en stratégie des systèmes d’information, l’étude de projet applicatif et le forfait de service de projet applicatif ;

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Nous n’avons, ni les uns ni les autres, trouvé à ce stade un équilibre permettant de ne pas exclure ni inclure trop largement les prestations de conseils en informatique qui n’auraient pas de dimension stratégique. Cet amendement tend à apporter une réponse utile en se basant sur la nomenclature des achats de l’État et en ciblant les groupes de marchandises. C’est le terme qui désigne l’implication des cabinets dans des fonctions, y compris opérationnelles, qui influencent la décision, le projet final.

Je rejoins notre rapporteure pour dire que les simples catégories de programmation et de maintenance ne recouvrent pas de réalité concrète, mais l’enjeu est important, au vu des interstices laissés par une définition trop large des dépenses de conseil en informatique, qui représentent plus de 646 millions d’euros et qui ont plus que doublé depuis 2018, et il échappe à cette proposition de loi.

Il ne convient pas d’intégrer dans la loi les 448 millions d’euros de prestations informatiques ayant une moindre composante stratégique. Si la rédaction actuelle, celle qui émane de la commission, était adoptée, les administrations publiques se cacheraient derrière les problèmes de délimitation entre ces prestations et les autres, afin d’omettre, en estimant être dans leur bon droit, certaines prestations. La distinction que nous proposons nous paraît plus en phase avec la nomenclature des marchés publics.

Mme la présidente. L’amendement n° 5 rectifié, présenté par Mme Blatrix Contat, MM. Ros, Pla, Temal, M. Weber et Roiron, Mme Bélim, MM. Tissot, Marie et Redon-Sarrazy, Mme Monier et M. P. Joly, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Compléter cet alinéa par les mots :

et les prestations de réalisations informatiques

La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.

Mme Florence Blatrix Contat. Cet amendement vise à réintégrer les prestations de réalisations informatiques dans le champ de la proposition de loi, aux côtés des conseils en stratégie numérique. Nous le savons, les prestations informatiques occupent un rôle central dans le fonctionnement et l’évolution de nos administrations.

La commission d’enquête sénatoriale relative à l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques a largement démontré que ces prestataires influençaient profondément la réflexion sur l’organisation et le fonctionnement de nos administrations. L’administration s’appuie sur ces prestataires pour la réalisation de tâches essentielles qui vont bien au-delà du simple conseil stratégique auquel il est fait référence à cet alinéa.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2021, les ministères ont dépensé près de 381 millions pour des prestations d’expertise technique, ce qui représente environ 60 % du budget total des conseils en informatique. Ce volume montre bien l’importance de ces prestations. Les exclure du champ d’application reviendrait à négliger la majorité des missions confiées aux cabinets de conseil en informatique, ce qui pose problème. Dans un contexte de transformation numérique des administrations, les prestations intellectuelles en informatique deviennent éminemment stratégiques.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. La semaine dernière, nous avons souhaité limiter, dans un souci de proportionnalité, l’application de la présente proposition de loi aux seules prestations informatiques qui revêtent un caractère stratégique, en reprenant notamment la nomenclature prévue par la circulaire de la Première ministre du 7 février 2023.

Dès lors, j’émettrai un avis défavorable sur ces deux amendements.

L’amendement n° 22 du groupe CRCE-K mentionne des prestations qui font partie des trois catégories listées par la circulaire, sans pour autant reprendre la catégorie dans son ensemble, faisant ainsi du saupoudrage au travers des sous-catégories.

L’amendement n° 5 rectifié du groupe socialiste tend à intégrer des prestations qui relèvent, selon la nomenclature de la même circulaire, de prestations telles que « l’installation de matériel », « la numérisation », « les forfaits de développement » ou une prestation de « tierce maintenance applicative ». Il me semble disproportionné d’exiger le même degré de transparence et de règles déontologiques.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Mme la rapporteure a cité la circulaire du 7 février 2023 de la Première ministre, qui est une nouvelle traduction de la volonté très concrète et sincère du Gouvernement d’avancer sur ces questions.

Cette circulaire vise justement à inclure le numérique dans le champ du contrôle et de l’encadrement des prestations de conseil, alors qu’il n’avait jusqu’à présent pas été inclus dans les travaux. Elle permet de faire le distinguo que Mme la rapporteure vient de préciser, et d’intégrer la prestation de conseil en numérique, qui revêt un caractère stratégique et qui est susceptible de « subir l’influence », en quelque sorte, des cabinets de conseil.

Je m’en remets donc à la délimitation définie par la commission et émettrai le même avis que Mme la rapporteure.

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. Il n’a jamais été dans l’esprit de la commission d’enquête de viser les prestations informatiques. Notre périmètre était le conseil dispensé par des cabinets privés, c’est-à-dire tout ce qui relève des décisions stratégiques, de l’architecture générale, etc. C’est pourquoi je ne peux pas voter l’amendement de Mme Blatrix Contat.

L’amendement de M. Bocquet tend à préciser, à définir, ce qui relève de la stratégie informatique, à la différence des prestations plus ordinaires. C’est un sujet qu’il faudra continuer à approfondir dans le cadre de la navette.

Si nous n’adoptons pas cet amendement, il ne faut pas pour autant – nous allons y venir dans quelques instants – nous en remettre à la définition par l’administration, dans un décret qu’elle prendrait, du périmètre exact et de la définition de ces prestations, car nous risquerions alors d’avoir des déconvenues.

M. Bruno Sido. Tout à fait !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Je voterai l’amendement d’Éric Bocquet qui pourra être amélioré puisque, pour une fois, nous aurons une navette « complète ».

Monsieur le ministre, la précision apportée par la loi est toujours meilleure que celle qui est donnée par circulaire.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 22.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’amendement n° 5 rectifié n’a plus d’objet.

L’amendement n° 11, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Alinéa 12

Supprimer les mots :

relatives aux participations de l’État et de celles

et les mots :

et des prestations de conseil mentionnées aux 4 et 5 du I de l’article L. 311-2 du code monétaire et financier et au 5 de l’article L. 321-1 du même code, lorsqu’elles sont réalisées par des établissements de crédit

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Puisque nous sommes bien partis, je vous propose, mes chers collègues, un amendement de bon sens, qui tend à supprimer deux dérogations non prévues dans le texte initial excluant du champ de la proposition de loi les prestations de conseil commandées par l’Agence des participations de l’État (APE) et les prestations réalisées par les banques.

Rien ne justifie de telles dérogations. Les exigences de transparence de la proposition de loi doivent s’appliquer à ces prestations, par exemple lorsque Bercy demande à une banque de conseiller le Gouvernement dans une opération financière.

C’est pourquoi cet amendement réintègre dans le périmètre de la proposition de loi les prestations de conseil commandées par l’APE et celles qui sont réalisées par les banques.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Nous entendons les arguments avancés, mais ni la commission d’enquête ni la proposition de loi n’ont traité des prestations de conseils en investissement ou gestion de patrimoine effectuées par les banques, dans le cadre des règles fixées par le code monétaire et financier.

L’avis de la commission est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Le Gouvernement considère que l’application de cette loi à l’APE ou aux établissements de crédit n’est pas justifiée.

En ce qui concerne les prestations de conseil auxquelles l’APE a recours, je crois qu’il est important que, dans le cadre des opérations de l’État actionnaire, celui-ci puisse intervenir dans les mêmes conditions que n’importe quel gestionnaire public ou opérateur de marché privé. Il y va de la capacité de l’État actionnaire à agir à armes égales avec ses interlocuteurs privés, français ou étrangers, pour défendre les intérêts patrimoniaux de l’État.

Du reste, le secteur bancaire, auquel l’APE peut faire appel, est très fortement encadré et demeure soumis au secret professionnel. L’APE, je le rappelle, est déjà assujettie à de très nombreux contrôles, notamment de la part du Parlement et de la Cour des comptes.

En ce qui concerne les prestations réalisées par les établissements de crédit visées par cet amendement, l’exclusion du champ d’application se justifie, comme l’avait rappelé Mme la rapporteure en commission, par le fait que ces prestations, à l’instar de celles de nombreuses professions juridiques réglementées, elles-mêmes exclues, sont particulièrement réglementées. Ces établissements doivent disposer d’un agrément délivré par la Banque centrale européenne (BCE) ou par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et de politiques et de procédures formalisées de prévention et de gestion de conflits d’intérêts.

Pour toutes ces raisons, il serait sage d’exclure ces établissements de l’application de la proposition de loi. Avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. Je voterai pour l’amendement de Mme Goulet, parce que, si nous ne le votons pas, les trous dans la raquette du dispositif risquent de se multiplier.

Par ailleurs, nous allons aborder plus tard dans le débat la notion de secret des affaires, mais nous ne voulons connaître que les intitulés des prestations commandées, leur coût et la façon dont elles ont été in fine évaluées. Voilà les seules données que nous souhaitons connaître en toute transparence. Cela ne menace en rien le secret des affaires et ne met pas en péril l’équilibre de la concurrence entre l’APE et le secteur bancaire, d’autant que cela se fera forcément de façon rétrospective, dans le cadre de la présentation du jaune budgétaire, au moins un an après les faits.

Je ne vois pas quelles difficultés particulières ou quelles atteintes au secret des affaires pourrait entraîner cet amendement, ni d’ailleurs ceux que nous évoquerons plus tard.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 11.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 12 rectifié bis est présenté par M. Bazin, Mme N. Goulet, MM. Burgoa, Sautarel et Wattebled, Mme Eustache-Brinio, M. Karoutchi, Mmes Estrosi Sassone et Muller-Bronn, MM. Pellevat, D. Laurent, Cambon et Chatillon, Mmes Dumont, Micouleau, Lassarade et M. Mercier, MM. Lefèvre, Naturel, Bouchet, Bruyen, Saury et Brisson, Mme Imbert, M. C. Vial, Mmes P. Martin et Belrhiti et MM. Belin, Sido et Gremillet.

L’amendement n° 23 est présenté par MM. Bocquet, Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 13

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Arnaud Bazin, pour présenter l’amendement n° 12 rectifié bis.

M. Arnaud Bazin. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 13 de l’article 1er, introduit par l’Assemblée nationale, qui prévoit qu’un décret précise la nature des prestations de conseil au sens de la proposition de loi, donc le périmètre de cette dernière.

Comme je l’ai souligné lors de la discussion générale, nous avons un précédent extrêmement fâcheux en la matière – un cas d’école, l’exemple absolu de ce qu’il ne faut pas faire ! –, à savoir un décret du 9 mai 2017, qui visait à préciser la portée de la loi Sapin II sur l’encadrement des lobbies et qui a complètement dévitalisé cette loi.

Je n’entre pas dans toutes les dispositions techniques, mais plusieurs d’entre elles, par exemple l’appréciation des seuils au niveau individuel et non au niveau de l’entreprise de lobbying, permettent à un certain nombre de lobbies de passer outre leurs obligations d’inscription au registre de la HATVP, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Sept ans plus tard, ce décret scélérat n’a toujours pas été modifié par le Gouvernement !

J’estime donc que nous avons quelques raisons de nous méfier de ce genre de renvoi à un décret « technique », qui risque d’affaiblir considérablement les décisions que nous prenons ici, au Parlement.

C’est pourquoi cet amendement tend à revenir au texte initial et à ne pas s’en remettre un décret. J’ajoute que, dans ce même article, nous définissons déjà précisément les prestations visées.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° 23.

M. Éric Bocquet. Lorsque l’on analyse le comportement du Gouvernement, qui a déposé 13 amendements sur ce texte pour déconstruire le travail du Sénat – je rappelle que le Sénat a voté cette proposition de loi à l’unanimité en première lecture et j’espère que son destin sera aussi consensuel aujourd’hui –, nous ne pouvons qu’être inquiets de la façon dont les actes réglementaires pourraient être pris.

Pour comprendre que notre inquiétude est fondée, il suffit de rappeler que le jaune budgétaire est une véritable parodie de transparence, puisqu’il ne comprend que sept groupes de prestations, contre douze évoqués dans le rapport de la commission d’enquête sénatoriale.

Monsieur le ministre, vous voulez freiner, vous rechignez, vous esquivez, vous resquillez, vous voulez dévitaliser toute mesure de transparence, car vous y êtes par principe opposé !

Peut-être pensez-vous que le recours aux cabinets de conseil, qui serait ainsi dévoilé à l’opinion publique comme il l’a été par la commission d’enquête, reviendrait à caractériser une forme d’irresponsabilité en matière de gestion des finances publiques. Peut-être ce recours abusif deviendrait-il le symbole, sinon le symptôme, de gouvernements libéraux qui préfèrent les méthodes du privé à nos agents publics.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Je puis comprendre les inquiétudes des auteurs de ces amendements.

Cependant, nous avons déjà précisé avec rigueur le champ de la proposition de loi, y compris à l’instant en votant des amendements sur les alinéas précédents. En outre, la commission des lois n’a pas voulu se satisfaire d’un renvoi à un décret simple : elle a prévu que le décret serait soumis à l’examen du Conseil d’État.

C’est pourquoi je sollicite le retrait de ces deux amendements. À défaut, mon avis serait défavorable.

Je veux également rappeler que nous sommes ici – je sais que c’est de moins en moins habituel… – en deuxième lecture. Dans ce contexte, notre objectif est de cheminer à la fois entre nous, ici au Sénat, et avec nos collègues députés, pour que ce texte aboutisse et que l’Assemblée nationale n’ait pas le dernier mot.

C’est dans cet esprit que la commission des lois a essayé la semaine dernière – il y a sûrement encore beaucoup d’imperfections – de trouver un équilibre, sans pour autant en rabattre avec les exigences de la commission d’enquête, celles des auteurs de la proposition de loi et celles de nos travaux en première lecture.

Si nous voulons avancer, notamment sur les sujets qui sont à nos yeux les plus importants, il nous semble que le compromis d’un décret en Conseil d’État est acceptable.

La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Même avis, madame la présidente. Sur le fond, je n’ai rien à ajouter à ce qu’a indiqué Mme la rapporteure, mais je voudrais revenir sur ses propos, qui me paraissent tout à fait sages.

Comme je l’ai déjà indiqué lors de la discussion générale, je veux saluer le travail réalisé par la commission des lois pour avancer de façon concrète et proportionnée et respecter les équilibres, même si le vote des deux amendements précédents n’entre pas dans ce cadre.

Le Sénat a mené un travail transpartisan et sérieux sur cette question, et vous avez face à vous, monsieur le sénateur Bocquet, un ministre qui est respectueux de ce travail et sincère dans son engagement. Vous avez utilisé des mots comme « resquiller »… Je ne crois pas que l’on puisse définir ainsi le travail conduit par mon administration depuis deux ans sur l’encadrement des cabinets de conseil.

Vous pouvez évidemment trouver le jaune budgétaire imparfait – on peut discuter de son périmètre, par exemple –, mais il est un point d’appui important pour apporter de la transparence sur la nature des prestations dont nous parlons.

Surtout, ce travail donne des résultats : dans le périmètre du jaune budgétaire – les dépenses de conseil en stratégie, c’est-à-dire, me semble-t-il, les prestations visées par cette proposition de loi –, nous étions à 271 millions d’euros en 2021, à 137 millions d’euros en 2022 et à 73 millions d’euros en 2023. Notre engagement est donc réel, et je souhaite que nous poursuivions ce débat sans caricature.

Je le redis, je suis respectueux du travail du Sénat. D’ailleurs, une façon de l’être est de faire preuve de transparence. C’est aussi pour cela que j’ai déposé, au nom du Gouvernement, 13 amendements, qui sont peu ou prou les mêmes que ceux que j’avais déposés en première lecture. En portant ces propositions, il s’agit pour moi d’être constant et clair vis-à-vis du Sénat.

Je ne vais pas me taire, même si je sais bien qu’ici je suis largement en minorité. (Sourires.) Il y a peu de suspense, au fond, sur le sort des amendements que je dépose, mais je préfère procéder ainsi – c’est de la transparence. Il me semble que c’est la manière de respecter au mieux le travail de la Haute Assemblée sur cette question importante.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

Mme la présidente. Monsieur Bazin, l’amendement n° 12 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Arnaud Bazin. Oui, je le maintiens, madame la présidente.

Je comprends parfaitement la position de la commission, qui recherche un équilibre en deuxième lecture et qui souhaite trouver un chemin au milieu de toutes ces questions assez complexes.

Toutefois, j’ai tout de même du mal à comprendre son raisonnement : elle nous dit qu’il n’y a pas de risque à prendre un décret en Conseil d’État, puisque l’on a déjà bien défini les choses dans l’article 1er. Dans ce cas, quel besoin d’un décret en plus ?

L’article 1er définit les prestations de conseil que nous visons : restons-en là !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Je vais voter ces amendements. Monsieur le ministre, la meilleure façon de cheminer, c’est de les voter. Et dans l’hypothèse où le décret reviendrait dans le texte, nous comptons qu’il soit pris dans des délais raisonnables, ce qui n’est pas toujours le cas…

Notre collègue Bazin nous a très bien expliqué ce qui s’est passé dans un cas précédent, et vous comprendrez, monsieur le ministre, qu’un sénateur échaudé craigne l’eau froide !

Notre commission a très bien défini les prestations en question ; il est donc tout à fait normal que nous votions ces amendements.

Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.

Mme Audrey Linkenheld. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ces amendements. En effet, comme cela vient d’être dit, chat échaudé craint l’eau froide.

Il y a eu quinze mois d’attente entre la première lecture au Sénat de cette proposition de loi et son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale !

Par ailleurs, nous avons eu tout à l’heure un débat sur l’application des lois qui a montré que le taux d’application pouvait être amélioré. Le plus simple est d’éviter le renvoi à un décret.

C’est pourquoi nous soutenons ces amendements.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 12 rectifié bis et 23.

(Les amendements sont adoptés.)

Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Alinéa 17

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Les cabinets de conseil indiquent aux administrations les différents scénarios de projet qu’ils ont décidé d’exclure et expliquent les raisons pour lesquelles ces scénarios de projet n’ont pas été retenus.

La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Le présent amendement vise à renforcer la lutte contre l’influence indue des cabinets de conseil sur les décisions publiques. En effet, il semble important que ces cabinets privés indiquent aux administrations les nombreuses pistes envisagées lors de la construction d’un projet, afin que les consultants n’aient pas une marge de manœuvre disproportionnée dans le choix du scénario proposé.

C’est pourquoi nous demandons que les prestataires et consultants soient, par principe, obligés de proposer l’ensemble des scénarios envisagés et, en tout cas, de motiver leur décision d’abandon de ces scénarios.

Je précise que cet amendement a été travaillé en concertation avec l’association Sherpa.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Cet amendement vise à réintégrer une disposition supprimée par l’Assemblée nationale : l’obligation pour les prestataires de conseil de présenter à l’administration bénéficiaire les scénarios qu’ils n’ont pas retenus et d’expliquer pourquoi ils ne les ont pas retenus.

L’Assemblée nationale a estimé, d’une part, que cette obligation ferait peser une charge trop lourde sur les cabinets de conseil, notamment en l’absence de définition précise d’un « scénario non retenu », et, d’autre part, qu’elle s’appliquerait mal à certains types de prestations, en particulier les prestations de conseil informatique.

Au regard de ces arguments, l’avis de la commission est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
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Article 2

Article 1er bis

(Supprimé)

Mme la présidente. L’amendement n° 28, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

I. – Les II à V de l’article 1er, les articles 2 et 5, les 1°, 1° bis et 2° du I de l’article 6, l’article 7, le I de l’article 9, les I à III et V de l’article 10, et les articles 11 à 13, 17 et 18 de la présente loi sont applicables aux régions, aux départements, aux communes de plus de 100 000 habitants et aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants.

II. – Pour l’application du I du présent article, les 1°, 1° bis et 2° du I de l’article 6 entrent en vigueur dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi.

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Nous en venons à l’intégration, ou non, des collectivités locales dans le champ d’application de la proposition de loi. Et je sens que mon succès va atteindre son apogée… (Sourires.) Les positions exprimées en discussion générale étaient en effet suffisamment claires pour comprendre qu’il s’agit finalement d’un amendement d’appel.

Je crois cependant qu’il y a un intérêt à cheminer ensemble sur cette question. Reprenons les étapes du processus parlementaire. La question des collectivités ne faisait pas partie du champ des travaux de la commission d’enquête sénatoriale. C’est un fait.

Néanmoins, à l’occasion des débats à l’Assemblée nationale, une mission flash a été menée de façon transpartisane par un député du groupe communiste et un de la majorité présidentielle. L’Assemblée nationale a très clairement conclu au besoin de continuer ce travail et d’approfondir la question. Je vous présente donc un amendement d’appel, pour que ce travail puisse continuer jusqu’à l’adoption définitive du texte.

Je veux souligner devant vous les premiers enseignements de cette mission flash, qui a mené plusieurs auditions, entendant notamment des représentants d’associations d’élus ou des administrations qui concourent au pilotage des finances locales.

Premier enseignement, la mission – transpartisane, je le rappelle – conclut que l’enjeu financier de l’utilisation des cabinets de conseil par les collectivités est « non négligeable pour les finances publiques locales ». Selon elle, les dépenses en prestations de conseil atteignaient 557 millions d’euros en 2021, un chiffre qu’elle estime elle-même largement sous-estimé. Ces dépenses sont en très forte augmentation ces dernières années, puisqu’elles s’élevaient à 353 millions d’euros en 2019.

À la question de savoir s’il y a un sujet financier, la réponse est donc plutôt oui.

Deuxième enseignement, est-ce que la nature des prestations de conseil demandées par les collectivités locales est totalement différente de celles qui sont demandées par l’État ? En effet, on entend parfois cet argument.

Selon la mission flash transpartisane, certaines prestations sont effectivement différentes. Mais elle conclut que les collectivités recourent aussi à des prestations de conseil en stratégie ayant « pour objectif d’accompagner la collectivité dans les grandes orientations de politique publique, en définissant les objectifs et un plan d’action ». Les collectivités font donc aussi appel à des prestations de conseil sur des sujets qui sont – je reprends une expression que j’ai parfois entendue pour l’État – au cœur de la construction des politiques publiques.

Troisième enseignement de cette mission : « Certaines dispositions prévues par la proposition de la loi adoptée par le Sénat paraissent aisément transposables aux collectivités locales. Tel est notamment le cas de l’interdiction qui est faite aux consultants de prendre des décisions administratives, de l’obligation de mentionner l’intervention des consultants sur les documents auxquels ils ont participé ou encore de l’obligation d’employer la langue française dans les échanges. »

Ces premiers enseignements me conduisent à penser que nous devons poursuivre le travail sur l’intégration des collectivités territoriales dans le champ de la proposition de loi.

Voilà l’objet de cet amendement d’appel.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Sans surprise, l’avis de la commission sera défavorable.

Tout d’abord, sur le fond, nous l’avons déjà dit, nous ne souhaitons pas intégrer à l’aveugle les collectivités territoriales dans ce texte.

Il existe d’ores et déjà des mécanismes de contrôle et de transparence au sein des collectivités territoriales et de leurs assemblées délibérantes qui n’existent pas entre le Parlement et le Gouvernement. Je les rappelle très brièvement.

Le code de la commande publique s’applique pleinement aux prestations de conseil contractées par les collectivités territoriales. Le code général des collectivités territoriales permet aux assemblées délibérantes locales, dans lesquelles, selon les strates concernées, les membres de l’opposition siègent, d’exercer un contrôle sur ces prestations, ce qui représente une différence essentielle avec les administrations centrales et les établissements publics nationaux. Et je pourrais aussi mentionner la possibilité de saisir la chambre régionale des comptes.

Il existe donc déjà, même si elles sont loin d’être parfaites, des modalités de contrôle et de suivi qui permettent d’assurer une transparence au sein des collectivités territoriales.

Ensuite, la méthode présente à nos yeux trois difficultés majeures.

Premièrement, les travaux de la commission d’enquête n’ont pas porté sur le recours par les collectivités territoriales aux prestations de conseil. Nous n’avons donc, à ce jour, aucun panorama exhaustif en la matière. Il semble en outre que même le Gouvernement rencontre des difficultés à disposer de données agrégées.

Deuxièmement, si l’Assemblée nationale a bien mené une mission flash sur le sujet, celle-ci s’est opposée à une large extension du périmètre du texte aux collectivités territoriales et elle a suggéré d’approfondir l’étude de la question avant de légiférer.

Mme la présidente. Il faut conclure, madame la rapporteure.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Troisièmement, le Gouvernement, qui est pourtant le principal demandeur de cette extension, n’a mené aucune consultation auprès des associations d’élus locaux avant de déposer son amendement. Or, lorsque nous les avons consultées, toutes s’y sont opposées !

La commission émet donc un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. Je ne vais pas reprendre les excellents arguments que vient de présenter Mme la rapporteure.

Je vais simplement faire une suggestion à M. le ministre : s’il tient absolument à ce qu’il a proposé, qu’il prépare un projet de loi ! Cela lui évitera d’être accusé de proposer une mesure dilatoire et de retarder l’adoption de cette proposition de loi, dont l’adoption est pourtant urgente, maintenant.

Nous examinerons alors ce projet de loi visant à prendre des mesures particulières sur le recours par les collectivités territoriales à des cabinets de conseil.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.

M. Éric Bocquet. Je voudrais repartir de la réunion constitutive de la commission d’enquête, qui a eu lieu le jeudi 25 novembre 2021 et dont le compte rendu est tout à fait explicite : « En revanche, nous pouvons nous accorder sur le fait que notre commission d’enquête ne couvrira pas les prestations de conseil pour les collectivités territoriales, les contrats de maîtrise d’ouvrage ou de maîtrise d’œuvre pour les travaux et les délégations de service public, non pour éluder ces questions, mais pour cadrer notre travail et mener nos investigations avec sérieux et efficacité dans les délais impartis. »

Alors, oui, il y a eu une mission flash à l’Assemblée nationale et il y a eu consensus sur un point : le besoin de retravailler la question dans ses différents aspects.

J’ai l’impression que le rapport de la commission d’enquête constitue en quelque sorte une étude d’impact de la présente proposition de loi…

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 28.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’article 1er bis demeure supprimé.

Chapitre II

Renforcer la transparence dans le recours aux prestations de conseil

Article 1er bis
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Article 3

Article 2

I. – (Non modifié) Les consultants sont tenus d’indiquer leur identité et le prestataire de conseil qui les emploie dans leurs contacts avec l’administration bénéficiaire et les tiers avec qui ils communiquent pour les besoins de leurs prestations. Ils ne peuvent se voir attribuer une adresse électronique comportant le nom de domaine de l’administration bénéficiaire, sauf dans le cadre des prestations prévues au 3° du II de l’article 1er lorsque l’attribution d’une telle adresse électronique est justifiée pour assurer la sécurité des systèmes d’information et la protection des données de l’administration bénéficiaire.

II et III. – (Non modifiés)

IV. – (Supprimé)

V. – Le II du présent article n’est pas applicable aux documents destinés à l’information du public produits dans le cadre des prestations mentionnées au 4° du II de l’article 1er – (Adopté.)

Article 2
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Article 3 bis

Article 3

Le Gouvernement remet au Parlement et au Conseil supérieur de la fonction publique de l’État, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, puis tous les ans, un rapport relatif au recours aux prestations de conseil au sens de l’article 1er.

Ce rapport présente :

a) Le bilan des moyens consacrés par l’État au conseil interne ;

b) La cartographie des ressources humaines dont chaque ministère dispose en matière de conseil en interne ;

c) Les mesures mises en œuvre pour valoriser ces ressources humaines et développer les compétences en matière de conseil en interne au sein de la fonction publique de l’État.

Ce rapport comprend la liste des prestations de conseil réalisées au cours des cinq années précédentes à titre onéreux ou qui relèvent du champ d’application de l’article 238 bis du code général des impôts.

Pour chacune de ces prestations, la liste indique, sous réserve du secret de la défense nationale, de la conduite de la politique extérieure de la France, de la sûreté de l’État, de la sécurité publique, de la sécurité des personnes et de la sécurité des systèmes d’information :

1° La date de notification de la prestation et sa période d’exécution ;

2° Le ministère ou l’organisme bénéficiaire ;

3° L’intitulé et la référence de l’accord-cadre auquel se rattache la prestation, le cas échéant ;

4° L’intitulé et le numéro d’identification du marché, l’intitulé et le numéro du lot et, lorsque la prestation se rattache à un accord-cadre, le numéro du bon de commande ou du marché subséquent ;

5° L’objet résumé de la prestation ;

6° Le montant de la prestation ;

7° Le nom et le numéro de système d’identification du répertoire des établissements du prestataire et de ses éventuels sous-traitants ;

8° Le groupe de marchandises auquel se rattache la prestation au sens de la nomenclature des achats de l’État.

Les informations mentionnées aux 1° à 8° respectent des normes d’écriture fixées par arrêté du ministre chargé des comptes publics. Elles sont publiées sous forme électronique, dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé.

Mme la présidente. L’amendement n° 29, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Remplacer les mots :

des cinq années précédentes

par les mots :

de l’année précédente

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. L’article 3 crée une obligation de publication des données relatives aux prestations de conseil extérieur que les administrations ont sollicitées au cours des cinq années précédentes. Le présent amendement, qui est également cohérent avec la position que j’ai défendue devant vous en première lecture, a pour objet de ne faire porter cette obligation que sur l’année précédente.

Les raisons en sont assez concrètes : à l’heure actuelle, les administrations ne disposent pas de solutions techniques leur permettant de produire toutes les informations demandées dans les alinéas 8 à 15 de cet article. Cette obligation susciterait un travail faramineux pour consolider toutes les informations demandées sur les cinq années précédentes.

C’est pourquoi nous vous proposons de ne le faire que sur l’année précédente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Pour le coup, monsieur le ministre, vos explications m’invitent plus que jamais à émettre un avis défavorable sur cet amendement, puisque vous reconnaissez vous-même, finalement, que l’article 179 de la loi de finances pour 2020, modifié par la loi de finances pour 2023, qui instaure un jaune budgétaire dédié aux prestations de conseil, n’est pas appliqué convenablement.

Je voudrais citer ce que les rapporteurs de l’Assemblée nationale ont écrit dans leur rapport : « La liste des prestations de conseil réalisées n’est pas publiée dans son intégralité. »

Vous nous parlez, monsieur le ministre, de charge de travail supplémentaire pour les administrations centrales. Cet argument est difficilement compréhensible pour la première année d’exécution de la présente loi.

La commission émet donc un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 29.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 20, présenté par Mme Duranton, MM. Lemoyne, Haye, Patriat et Mohamed Soilihi, Mme Schillinger, MM. Bitz, Buis et Buval, Mme Cazebonne, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Iacovelli, Kulimoetoke et Lévrier, Mme Nadille, MM. Omar Oili et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Rohfritsch, Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :

Alinéa 7

Remplacer les mots :

et de la sécurité des systèmes d’information

par les mots :

, de la sécurité des systèmes d’information et à l’exclusion des marchés entrant dans le champ d’application des dispositions de l’article L. 1113-1 du code de la commande publique

La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Compte tenu de leur sensibilité, les données relatives aux marchés de défense et de sécurité ne peuvent pas être librement accessibles. Le présent amendement vise donc à exclure du champ du rapport prévu par l’article 3 les prestations de conseil ayant fait l’objet d’un marché de défense et de sécurité.

Ces données sont par nature très sensibles, et nous ne pouvons pas risquer leur divulgation, car ce serait une atteinte aux intérêts de la défense nationale. Je tiens à le rappeler, les marchés de défense et de sécurité supérieurs au seuil européen sont soumis à une obligation de publication permettant déjà de garantir la transparence de nos achats en la matière.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Nous avons déjà eu ce débat en première lecture à l’occasion de l’examen d’un amendement du Gouvernement. Nous l’avions rejeté, en estimant, à juste titre, que l’exception déjà prévue par l’article 3 pour les informations relatives au secret de la défense nationale était suffisante.

L’avis de la commission est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Par cohérence, l’avis est favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 20.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 13 rectifié bis est présenté par M. Bazin, Mme N. Goulet, MM. Burgoa, Sautarel et Wattebled, Mme Eustache-Brinio, M. Karoutchi, Mmes Estrosi Sassone et Muller-Bronn, MM. Pellevat, D. Laurent, Cambon et Chatillon, Mmes Dumont, Micouleau, Lassarade et M. Mercier, MM. Lefèvre, Naturel, Bouchet, Bruyen, Saury et Brisson, Mme Imbert, M. C. Vial, Mmes P. Martin et Belrhiti et MM. Belin, Sido et Gremillet.

L’amendement n° 24 est présenté par MM. Bocquet, Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

I. – Alinéa 16

Compléter cet alinéa par les mots :

, de même que le bon de commande ou l’acte d’engagement lorsque la prestation de conseil se rattache à un accord-cadre

II. – Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

Ces informations figurent dans le rapport social unique de l’administration bénéficiaire prévu à l’article L. 231-1 du code général de la fonction publique.

La parole est à M. Arnaud Bazin, pour présenter l’amendement n° 13 rectifié bis.

M. Arnaud Bazin. Avec cet amendement, nous visons le même objectif que la commission, en réintroduisant deux dispositions présentes dans la proposition de loi initiale.

Tout d’abord, il s’agit de la publication en données ouvertes des bons de commande ou des actes d’engagement, pour avoir une vision plus claire des prestations de conseil réalisées au bénéfice de l’État et de ses opérateurs. Aujourd’hui, les citoyens qui demandent ces documents se voient opposer des refus de la part de l’administration, qui ne respecte pas la jurisprudence de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada).

Ensuite, il s’agit de l’insertion des listes de prestations de conseil dans le rapport social unique (RSU) de l’administration bénéficiaire, pour garantir la bonne information des agents publics.

Cet amendement tend donc à s’inscrire dans la démarche de transparence que nous mettons en œuvre avec cette proposition de loi.

M. Bruno Sido. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° 24.

M. Éric Bocquet. Le rapport de la commission d’enquête avait montré comment, à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), les cabinets avaient bouleversé les agents.

Je cite un témoignage : « Là, on est censés attendre de gens travaillant dans le privé, qui ne comprennent pas toujours ce qu’est le service public, ni ce qu’on fait à l’Ofpra, qu’ils trouvent à notre place des solutions pour travailler plus efficacement, comme si on ne s’était jamais posé la question avant. »

Tout cela par trois cabinets, pour un montant de 458 817,60 euros et avec un programme : « déterminer les irritants », notamment – je cite de nouveau un agent de l’Ofpra – « par un outil dit “management visuel”, consistant en une très grande feuille de papier accrochée sur les murs de l’étage avec des items tout à fait infantilisants, du type “météo RH”, “horoscope des OP”, “boîte à questions”, que nous sommes invités à alimenter nous-mêmes avec des post-it »…

Armée de PowerPoints et de bouts de papier, cette république des post-it, comme l’a qualifiée la commission d’enquête, infantilise, méprise et finalement maltraite les agents publics. Ils méritent donc d’être informés du recours à des cabinets de conseil dans le rapport social unique.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Nous avons déjà eu ce débat en première lecture et nous avions entendu l’argument sur le temps consacré par l’administration à cette tâche. Le Gouvernement avançait une estimation qui me paraît obsolète, et je crois que nous devons continuer à avancer ensemble.

L’avis de la commission est donc favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Là encore, le Gouvernement fait preuve de constance, en cherchant l’effectivité des mesures qui seront adoptées.

Or, si l’on souhaite la publication en données ouvertes de l’ensemble des bons de commande, je crois que l’on peut partager ce point : un certain nombre d’informations ne doivent pas figurer dans les données publiées, par exemple celles qui sont relatives aux prix ou aux stratégies commerciales, sauf à complètement remettre en cause le droit de la concurrence ou le secret des affaires.

De ce fait, convenons que la publication de ces bons de commande nécessiterait de biffer des informations. Si nous sommes d’accord sur ce point – j’espère que tel est bien le cas –, cela veut dire qu’il faut disposer de moyens techniques qui, vous le comprenez aisément, ne sont pas automatisés.

J’invite plus largement la représentation nationale à s’interroger sur l’utilité même de publier, pour l’intégralité des missions de conseil, des informations comme le nom des commanditaires ou certains montants.

Imaginez un instant la charge que représenterait pour les administrations, pour l’intégralité des missions de conseil, de devoir biffer ou corriger les bons de commande pour leur publication future. Je crois d’ailleurs que l’on peut s’interroger sur l’intérêt de publier une telle masse d’informations en données ouvertes.

C’est pour ces raisons que je suis défavorable à ces amendements. Je crois qu’il faut penser un instant à nos administrations, qui vont devoir appliquer les mesures de ce texte. Dans nombre de prises de parole, j’entends un soutien aux administrations de l’État ; nous devons donc penser au caractère effectif de ce qui sera adopté et à la charge de travail que cela représenterait.

Le Sénat dénonce régulièrement la complexité administrative que nous faisons peser sur nos administrations. Je crois que nous aurions là un bel exemple d’une charge totalement disproportionnée.

M. Bruno Sido. Trente-neuf heures !

M. Stanislas Guerini, ministre. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 13 rectifié bis et 24.

(Les amendements sont adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3, modifié.

(Larticle 3 est adopté.)

Article 3
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Article 4

Article 3 bis

(Non modifié)

L’article L. 518-10 du code monétaire et financier est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Ce rapport comprend également une annexe faisant état des informations mentionnées à l’article 3 de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques. » – (Adopté.)

Article 3 bis
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Article 5

Article 4

(Suppression maintenue)

Chapitre III

Mieux encadrer le recours aux consultants

Article 4
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Après l’article 5

Article 5

(Non modifié)

Il est interdit aux personnes mentionnées aux III et IV de l’article 1er de proposer, de réaliser ou d’accepter des prestations de conseil à titre gracieux, à l’exclusion de celles qui relèvent du champ d’application de l’article 238 bis du code général des impôts. – (Adopté.)

Article 5
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Article 5 bis (supprimé)

Après l’article 5

Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Après l’article 5

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Durant les cinq années qui précèdent une action de mécénat, il est interdit aux prestataires et consultants de réaliser, de proposer ou d’accepter une prestation de conseil à destination de leurs bénéficiaires d’actions de mécénat mentionnés à l’article 238 bis du code général des impôts.

La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Cet amendement a pour objet d’interdire aux prestataires et consultants de fournir des prestations de conseil à un client ayant bénéficié de mécénat de leur part dans les cinq années qui précèdent, afin de prévenir et d’empêcher l’instrumentalisation du mécénat à des fins commerciales.

Cet amendement, en relation directe avec l’article 5 de la proposition de loi, est inspiré des travaux de l’association Sherpa.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. J’entends la volonté de limiter les risques d’instrumentalisation des opérations de mécénat auprès des administrations par les cabinets de conseil. C’est d’ailleurs toute la portée de l’article 5 que nous venons de voter et qui interdit les prestations de pro bono.

Pour autant, il me semble regrettable d’aller jusqu’à rendre incompatibles les opérations de mécénat et les prestations de conseil. En effet, cette interdiction désinciterait fortement les prestataires à réaliser des opérations de mécénat. La rédaction actuelle de l’article 5 permet d’atteindre un équilibre satisfaisant au regard des objectifs des uns et des autres.

L’avis de la commission est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 7, présenté par MM. Hochart, Szczurek et Durox, est ainsi libellé :

Après l’article 5

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Une prestation de conseil ne peut être confiée à un prestataire de conseil par l’une des administrations mentionnées au I de l’article 1er que si celle-ci ne dispose pas en interne des ressources humaines nécessaires à sa réalisation dans des délais utiles.

La parole est à M. Joshua Hochart.

M. Joshua Hochart. Depuis plusieurs années, nous assistons à une véritable prolifération des prestataires, souvent issus de grands cabinets d’audit et de conseil internationaux. Leur influence ne cesse de croître, au point de soulever de légitimes interrogations sur leur poids réel dans l’élaboration et la mise en œuvre de nos politiques publiques.

Bien que le recours ponctuel à l’expertise externe puisse se justifier dans certains cas complexes, force est de constater que cette pratique s’est banalisée, voire généralisée, au sein de notre administration. Des missions stratégiques, touchant aux fondements mêmes de l’action publique, sont désormais confiées à des cabinets privés, au détriment de nos propres agents.

Cette situation pose un double problème. D’une part, elle représente un coût financier considérable ; d’autre part, et c’est peut-être le plus préoccupant, le recours systématique aux cabinets de conseil remet en cause la capacité de notre administration à définir et à mettre en œuvre ses propres politiques de manière indépendante et impartiale.

Comment garantir l’intérêt général lorsque des acteurs privés, animés par des logiques commerciales, influencent autant les décisions publiques ?

C’est pourquoi nous proposons aujourd’hui un amendement visant à encadrer strictement le recours aux prestataires de conseil. Celui-ci ne pourra intervenir que de manière subsidiaire, lorsque l’administration ne dispose pas en interne des ressources humaines nécessaires pour réaliser la mission dans des délais utiles.

Il s’agit d’un principe de bon sens, de bonne gestion des deniers publics, qui vise également à préserver notre souveraineté et notre indépendance décisionnelle. Nos agents publics, formés et compétents, doivent redevenir les véritables artisans de nos politiques, au service de l’intérêt général.

Trop longtemps, nous avons laissé se développer une forme d’ubérisation de l’action publique, qui voit des cabinets privés vendre leurs services au plus offrant. Il est temps de reprendre le contrôle et de revaloriser l’expertise de notre fonction publique.

Je vous appelle donc, mes chers collègues, à soutenir cet amendement essentiel pour l’avenir de nos services publics et la défense de notre indépendance décisionnelle.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Il faut raison garder, mon cher collègue. Il me semble qu’une telle précision serait superflue.

Les travaux de la commission d’enquête et nos débats en première lecture ont certes mis l’accent sur les torts du Gouvernement, mais nous pouvons partir du principe qu’il ne recourt pas aux cabinets de conseil juste pour son bon plaisir, même quand l’administration offre en interne des ressources adaptées.

L’objectif de l’article 3 est précisément de favoriser le développement des moyens consacrés par l’État au conseil interne, en obtenant du Gouvernement le bilan public de ces moyens, la cartographie des ressources humaines dont chaque ministère dispose, ainsi que les mesures mises en œuvre pour valoriser ces ressources humaines.

Je ne suis donc pas sûre qu’inscrire le principe de la subsidiarité du recours aux prestations de conseil dans la loi serait d’une grande utilité, même si nous sommes d’accord avec l’esprit de votre proposition.

L’avis de la commission est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 7.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 9, présenté par MM. Hochart, Szczurek et Durox, est ainsi libellé :

Après l’article 5

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le cahier des charges des prestations de conseil peut contenir une clause permettant de choisir un cabinet de conseil en fonction de l’implantation de son siège social sur le territoire national.

La parole est à M. Joshua Hochart.

M. Joshua Hochart. Dans la lignée de l’amendement précédent, je déplore le développement d’une forme de dépendance à l’égard des prestataires, souvent issus de grands cabinets internationaux. Nous proposons de limiter ce phénomène, qui a conduit à ce que des décisions stratégiques touchant aux intérêts fondamentaux de notre pays aient été influencées, voire rédigées par des consultants étrangers.

Cette situation pose un double problème.

D’une part, elle représente un risque évident pour la protection de nos données sensibles et de nos savoir-faire industriels et technologiques. Comment être certains que ces informations précieuses ne soient pas captées, volontairement ou non, par des intérêts étrangers ?

D’autre part, le recours systématique à l’expertise extérieure remet en cause la capacité de notre administration à définir et à mettre en œuvre ses propres politiques, de manière indépendante et impartiale. Nos hauts fonctionnaires, formés dans les meilleures écoles, doivent redevenir les véritables artisans de l’action publique.

C’est pourquoi nous proposons aujourd’hui de réaffirmer la priorité nationale dans le choix des prestataires de conseil pour les administrations publiques. Concrètement, les cahiers des charges pourront inclure une clause permettant de privilégier les cabinets ayant leur siège social implanté sur le territoire national.

Il s’agit non pas d’un rejet aveugle de l’expertise internationale, mais bien d’un rééquilibrage indispensable. Lorsque l’expertise requise existe en France, dans des cabinets français employant des travailleurs français, il est légitime de leur donner la priorité.

Cette mesure s’inscrit pleinement dans la logique de réindustrialisation et de relocalisation des activités stratégiques que nous défendons. Elle participe à la reconstruction de notre souveraineté économique, technologique et décisionnelle.

Trop longtemps, nous avons cédé aux sirènes du libre-échange dérégulé et de la mondialisation sans frein. Il est temps de réaffirmer nos priorités nationales, de défendre nos fleurons industriels et nos compétences.

Bien sûr, cette priorité nationale dans le choix des prestataires ne doit pas se faire au détriment de la qualité des prestations. C’est pourquoi nous n’interdisons pas le recours à l’expertise internationale, lorsqu’elle est réellement indispensable et qu’aucune solution n’existe.

Cependant, dans tous les autres cas, la priorité doit être donnée aux cabinets français, porteurs de notre savoir-faire et de notre excellence, mais aussi garants de la protection de nos intérêts stratégiques.

Je vous appelle donc, mes chers collègues, à soutenir cet amendement essentiel pour la défense de notre souveraineté économique et technologique.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Mon cher collègue, il me semble déceler une certaine contradiction avec votre amendement précédent, dans lequel vous posiez une quasi-interdiction du recours aux cabinets extérieurs, et celui-ci, qui est beaucoup plus souple, dès lors que jouerait la préférence nationale.

Sur le fond, je précise que le principe de non-discrimination, inscrit dans le traité de fonctionnement de l’Union européenne, est précisé pour le droit de la commande publique par la directive 2014/23 du 26 février 2014.

Cette directive proscrit les clauses de préférence locales et nationales au sein des contrats de commande publique. L’article L. 3 du code de la commande publique précise même que « les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d’égalité de traitement des candidats à l’attribution d’un contrat de la commande publique ».

Comme je suis soucieuse que le texte issu des débats du Sénat soit conforme au droit européen, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 9.

(Lamendement nest pas adopté.)

Après l’article 5
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Article 6 (texte non modifié par la commission)

Article 5 bis

(Supprimé)

Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

L’administration ne peut recourir aux prestataires et consultants privés pour la rédaction des études d’impact et pour la rédaction de l’exposé des motifs des projets de loi.

La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Le présent amendement a pour objet d’interdire le recours aux prestataires et consultants privés pour la rédaction des études d’impact et de l’exposé des motifs des projets de loi.

Selon nous, cette rédaction doit être exclusivement effectuée par les services de l’État, afin d’éviter tout risque de dépossession de leur rôle en matière d’orientation des politiques publiques.

En 2018, par exemple, le gouvernement d’Édouard Philippe avait décidé de lancer un appel d’offres pour sous-traiter à une entreprise l’exposé des motifs ainsi que l’étude d’impact de sa future loi sur les transports, moyennant 30 000 euros hors taxes.

Cette affaire avait alerté l’opinion publique sur les problèmes d’externalisation du processus de rédaction des lois.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Si la commission des lois a supprimé cet article 5 bis, tel qu’il avait été voté à l’Assemblée nationale, ce n’est certainement pas pour offrir un blanc-seing au Gouvernement et aux ministres, si je puis dire, afin d’autoriser la rédaction d’études d’impact et d’exposés des motifs d’un projet de loi par un cabinet de conseil.

Cependant, l’interdiction absolue de telles pratiques nécessiterait une disposition de nature organique et ne peut être adoptée dans le cadre de la présente proposition de loi. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a supprimé cet article 5 bis.

J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. J’aurai le même avis que Mme la rapporteure, mais j’ajoute une raison de fond : le texte propose un bon équilibre quand il vise à interdire l’utilisation en « marque blanche » de cabinets de conseil, ce qui manque de transparence pour nos concitoyens, ou du pro bono en vue d’obtenir des relations d’affaires, mesures qui recueillent l’assentiment du Gouvernement.

Pour autant, force est de reconnaître qu’il peut être utile parfois au Gouvernement, y compris pour réaliser des études d’impact nécessitant une expertise technique pointue, poussée, de recourir à un prestataire, si c’est de façon transparente.

En convergence avec ce que vient de dire Mme la rapporteure, j’émets moi aussi un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.

Mme Audrey Linkenheld. Le groupe socialiste n’a pas déposé d’amendement, mais j’ai posé une question en ce sens en commission des lois. En effet, il se trouve que cet article visant à interdire que des consultants privés puissent rédiger des projets de loi, des études d’impact ou des exposés des motifs, résulte d’un amendement de nos collègues députés socialistes.

J’ai finalement renoncé à déposer un amendement, parce que j’avais été convaincue par l’argumentaire juridique de Mme Cukierman sur la nature organique d’une telle disposition. J’étais prête à suivre cette position jusqu’au bout si je n’avais entendu, à l’instant, M. le ministre nous expliquer qu’il fallait repousser cet amendement pour une raison non pas juridique, mais politique, faisant référence à un prétendu équilibre trouvé entre ce que les cabinets de conseil privés peuvent faire dans l’élaboration des décisions publiques et ce qui est proscrit.

Étant très surprise par ce que je viens d’entendre, je réserve notre position en attendant les explications de Mme la rapporteure, dont je vois qu’elle manifeste l’intention de reprendre la parole. Nous avons besoin de savoir s’il y a, pour justifier cet avis défavorable, de simples raisons juridiques, que nous pouvons évidemment parfaitement entendre, ou bien également des raisons politiques.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Il n’est pas exceptionnel d’arriver à des votes identiques par des raisons différentes ! Mes arguments, que je maintiens, sont bien d’ordre juridique. M. le ministre en a utilisé d’autres, qui l’amènent également à émettre un avis défavorable.

Nous avons tous, même nos collègues élus à l’automne dernier, une certaine expérience du débat législatif, de sorte que nous ne pouvons être surpris que des groupes aboutissent à des votes identiques avec des arguments parfois totalement opposés, sur le fond ou sur la forme.

Pour ma part, je ne dévie pas de ce qui a été écrit dans le rapport et je ne fais preuve d’aucune malice : je maintiens donc l’avis défavorable de la commission sur cet amendement, parce que, je le répète, il faudrait une loi organique.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’article 5 bis demeure supprimé.

Article 5 bis (supprimé)
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Article 6 bis

Article 6

(Non modifié)

I. – Après sa réalisation, toute prestation de conseil fait l’objet d’une évaluation par l’administration bénéficiaire, qui précise :

1° La liste des documents rédigés avec la participation, directe ou indirecte, des consultants ainsi que tout autre travail réalisé par ces derniers ;

1° bis La justification du recours à une prestation de conseil plutôt qu’à des ressources internes ;

2° Le bilan de la prestation, l’apport des consultants et les éventuelles sanctions infligées au prestataire ;

3° Les transferts de compétences réalisés au bénéfice de l’administration ;

4° Les conséquences de la prestation sur la décision publique.

II. – (Non modifié)

Mme la présidente. L’amendement n° 31, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 7

Rédiger ainsi le II :

II. – Les évaluations prévues au I sont rédigées à partir d’un modèle fixé par décret.

Sous réserve des articles L. 311-5 et L 311-6 du code des relations entre le public et l’administration et à la condition que ces évaluations ne portent pas sur des prestations de conseil préparatoires à une décision administrative tant qu’elle est en cours d’élaboration ou sur des marchés entrant dans le champ d’application des dispositions de l’article L. 1113-1 du code de la commande publique, elles sont publiées sous forme électronique, dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé.

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Il s’agit de préciser le périmètre de la publication de l’évaluation des prestations de conseil.

Par cet amendement, nous proposons de rétablir l’équilibre entre l’objectif de transparence visé par la proposition de loi et la nécessité, lors de la publication des évaluations, de protéger les secrets mentionnés au code des relations entre le public et l’administration, afin d’éviter une exception qui ne concernerait que le seul secteur des cabinets de conseil.

L’administration a tout intérêt à respecter le secret des affaires, qui est détaillé très précisément en droit, puisque sa définition a été pleinement validée par le Conseil constitutionnel en 2018.

En effet, les prestations de conseil peuvent porter sur des acteurs économiques précis. Par exemple, lorsque nous voulons développer une filière économique en travaillant sur une stratégie de filière à l’échelle du pays – la filière de l’hydrogène, pour prendre un exemple très concret –, les travaux des cabinets peuvent donner lieu à l’utilisation d’informations sensibles, par exemple sur des entreprises en difficulté.

Le Gouvernement propose donc d’exclure provisoirement la publication de l’évaluation des prestations de conseil préparatoires à une décision administrative, dès lors qu’elle est en cours d’élaboration, comme le prévoient les dispositions du code susmentionné en matière de communication de documents administratifs.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. J’entends vos arguments, monsieur le ministre. Cependant, le champ de votre amendement, qui englobe notamment le secret des affaires, me semble beaucoup trop large, ce qui risque de priver cet article 6 d’effectivité.

L’avis de la commission est donc défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 31.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 6.

(Larticle 6 est adopté.)

Article 6 (texte non modifié par la commission)
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Article 8

Article 6 bis

Le A de l’article L. 342-2 du code des relations entre le public et l’administration est complété par un 24° ainsi rédigé :

« 24° L’article 6 de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques. – (Adopté.)

˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙

Article 6 bis
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Article 9

Article 8

(Suppression maintenue)

Chapitre IV

Renforcer les exigences déontologiques

Section 1

Mieux lutter contre les conflits d’intérêts

Article 8
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Article 10

Article 9

(Non modifié)

I. – (Non modifié)

II. – L’administration bénéficiaire établit un code de conduite qui précise les règles déontologiques applicables et les procédures mises en œuvre pour les respecter. Avant chaque prestation de conseil, l’administration bénéficiaire, le prestataire et les consultants s’engagent au respect de ce code de conduite.

Ce code de conduite précise notamment les mesures pouvant être mises en œuvre par le prestataire ou les consultants pour prévenir ou mettre fin à une situation de conflit d’intérêts mentionnée au I.

III. – Le référent déontologue de l’administration bénéficiaire répond aux demandes d’avis de celle-ci, du prestataire ou des consultants sur les questions d’ordre déontologique qu’ils rencontrent dans la préparation ou l’exécution des prestations de conseil.

Si la complexité de la demande d’avis le justifie, après saisine préalable du référent déontologue, l’administration bénéficiaire peut saisir la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique pour y répondre. L’avis peut être rendu par le président de la Haute Autorité, sur délégation de cette dernière.

IV. – (Non modifié) – (Adopté.)

Article 9
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Article 11

Article 10

I. – Avant chaque prestation de conseil, le prestataire et les consultants ayant une fonction d’encadrement ou de supervision de la prestation de conseil adressent à l’administration bénéficiaire une déclaration exhaustive, exacte et sincère des intérêts détenus à date et au cours des cinq années précédentes.

En cas de modification substantielle des intérêts détenus au cours de la prestation, le prestataire et les consultants actualisent leur déclaration dans un délai de quinze jours et selon les mêmes modalités.

II. – Pour le prestataire, la déclaration d’intérêts porte sur les éléments suivants :

1° Les prestations qu’il a réalisées au cours des cinq années précédentes auprès d’un client dont les intérêts interfèrent avec ceux de l’administration bénéficiaire et dont l’objet est en lien avec celui de la prestation de conseil concernée ;

2° (Supprimé)

3° Les prestations réalisées, dans les mêmes conditions, par la société qui contrôle, directement ou indirectement, le prestataire au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce, ainsi que par les filiales du prestataire.

III. – Pour les consultants ayant une fonction d’encadrement ou de supervision de la prestation de conseil, la déclaration d’intérêts porte sur les éléments suivants :

1° Les activités professionnelles ayant donné lieu, au cours des cinq années précédentes, à une rémunération ou à une gratification ;

2° Les prestations réalisées au cours des cinq années précédentes pour un client dont les intérêts interfèrent avec ceux de l’administration bénéficiaire et dont l’objet est en lien avec celui de la prestation de conseil concernée ;

3° Les participations, au cours des cinq années précédentes, aux organes dirigeants d’un organisme public ou privé ou d’une société dont les intérêts interfèrent avec ceux de l’administration bénéficiaire et qui intervient dans un domaine en lien avec celui de la prestation de conseil concernée ;

4° Les participations financières détenues dans une société dont les intérêts interfèrent avec ceux de l’administration bénéficiaire et qui intervient dans un domaine en lien avec celui de la prestation de conseil concernée ;

5° Les activités professionnelles exercées, à la date de la prestation, par leur conjoint, le partenaire auquel ils sont liés par un pacte civil de solidarité ou leur concubin ;

6° Les fonctions bénévoles actuelles ou terminées depuis moins de cinq ans susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts ;

7° Les fonctions et mandats électifs exercés au cours des cinq années précédentes.

IV. – En cas de doute sur l’exhaustivité, l’exactitude ou la sincérité d’une déclaration d’intérêts, l’administration bénéficiaire saisit le référent déontologue. Si le doute persiste, l’administration bénéficiaire saisit la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, qui en assure le contrôle en application de l’article 12.

V. – Le modèle, le contenu et les modalités de transmission, de mise à jour et de conservation des déclarations d’intérêts sont fixés par un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 14 rectifié bis, présenté par M. Bazin, Mmes Lavarde et N. Goulet, MM. Burgoa, Sautarel et Wattebled, Mme Eustache-Brinio, M. Karoutchi, Mmes Estrosi Sassone et Muller-Bronn, MM. Pellevat, D. Laurent, Cambon et Chatillon, Mmes Dumont, Micouleau, Lassarade et M. Mercier, MM. Lefèvre, Naturel, Bouchet, Bruyen, Saury et Brisson, Mme Imbert, M. C. Vial, Mmes P. Martin et Belrhiti et MM. Belin, Sido et Gremillet, est ainsi libellé :

Alinéas 3 à 14

Rédiger ainsi ces alinéas :

II. – Pour le prestataire, la déclaration d’intérêts porte sur les éléments suivants :

1° Les missions qu’il a réalisées, au cours des cinq dernières années, pour des clients de droit public ou de droit privé et qui sont susceptibles de générer une influence sur la conduite ou sur l’issue de la prestation de conseil envisagée ;

2° Les missions qui sont susceptibles de générer une influence sur la conduite ou sur l’issue de la prestation de conseil envisagée qui ont été réalisées au cours des cinq dernières années, pour des clients de droit public ou de droit privé, par les sociétés dans lesquelles il détient une participation financière ;

3° Les missions qui sont susceptibles de générer une influence sur la conduite ou sur l’issue de la prestation de conseil envisagée qui ont été réalisées par la société qui contrôle, directement ou indirectement, le prestataire au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce.

III. – Pour les consultants, la déclaration d’intérêts porte sur les éléments suivants :

1° Les activités professionnelles ayant donné lieu, au cours des cinq dernières années, à une rémunération ou à une gratification ;

2° Les missions qu’ils ont réalisées, au cours des cinq dernières années, pour des clients de droit public ou de droit privé et qui sont susceptibles de générer une influence sur la conduite ou sur l’issue de la prestation de conseil envisagée ;

3° Les participations, au cours des cinq dernières années, aux organes dirigeants d’un organisme public ou privé ou d’une société intervenant dans le même secteur que la prestation ;

4° Les participations financières directes détenues, à cette date, dans le capital d’une société intervenant dans le même secteur que la prestation ;

5° Les activités professionnelles exercées, à cette date, par leur conjoint, le partenaire auquel ils sont liés par un pacte civil de solidarité ou leur concubin ;

6° Les fonctions bénévoles actuelles ou terminées susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts ;

7° Les fonctions et mandats électifs exercés au cours des cinq dernières années.

La parole est à M. Arnaud Bazin.

M. Arnaud Bazin. Il s’agit de prendre acte du consensus qui existe entre l’Assemblée nationale et le Sénat en proposant par cet amendement de revenir au texte adopté par l’Assemblée nationale, ce qui nous permettrait de refermer le débat sur l’article 10 avec un vote conforme.

La commission a prévu de limiter cette déclaration d’intérêts aux seuls consultants seniors ayant une fonction d’encadrement et de supervision et d’en dispenser les consultants juniors. Cela nous paraît soulever deux difficultés.

Tout d’abord, la frontière entre seniors et juniors peut se révéler ténue dans l’entreprise, notamment pour les consultants au milieu de carrière.

Ensuite, ce sont les consultants juniors qui écrivent concrètement les rapports des cabinets de conseil. Ils peuvent ainsi être eux-mêmes confrontés à des conflits d’intérêts, sans que les consultants seniors en soient nécessairement informés, même s’ils font l’objet d’une supervision.

Comme je l’ai rappelé en première lecture, le Sénat et l’Assemblée nationale ont souhaité que l’ensemble des consultants entrent dans le champ de la proposition de loi. Aussi, je propose d’en revenir à notre rédaction initiale.

Mme la présidente. L’amendement n° 32, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 12

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Cette discussion commune porte sur les déclarations d’intérêt auxquelles sont tenus les consultants qui travaillent pour l’État.

Tout d’abord, je rappelle que, dans l’accord-cadre de la direction interministérielle de la transformation publique, que j’ai mentionné tout à l’heure, il est d’ores et déjà prévu une déclaration sur l’honneur de non-conflit d’intérêts, que doit fournir chaque consultant qui travaille pour l’État. Ces déclarations sont opposables pénalement s’il est finalement révélé un conflit d’intérêts au cours d’une mission. Cette disposition est assez protectrice.

Ensuite, il me semble que l’équilibre trouvé par la commission est le bon. Monsieur Bazin, vous pointez la difficulté de distinguer les consultants juniors des consultants seniors en milieu de carrière. Nous ne voyons pas les choses ainsi : nous avons choisi de cibler les consultants ayant une mission d’encadrement sur une mission donnée. Ce sont eux les responsables, et ils sont susceptibles d’avoir une influence sur la décision administrative.

Je propose donc de conserver cette position d’équilibre trouvée par la commission, que je trouve sage, en la prolongeant par deux amendements.

Il faut notamment veiller à la constitutionnalité du dispositif. Or viser les concubins ou les conjoints ou bien exiger des déclarations exhaustives d’intérêts sur les activités bénévoles ne me semble pas présenter les garanties de proportionnalité requises par la jurisprudence du Conseil constitutionnel pour justifier les atteintes à la vie privée. Les amendements que je propose ne tendent au fond qu’à rendre effectives les propositions du Sénat.

Mme la présidente. L’amendement n° 33, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 13

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Il est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. L’amendement n° 14 rectifié bis vise à reprendre à l’identique la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale en séance publique.

Certes, la rédaction de l’article 10, telle que nous l’avons proposée en commission, est encore perfectible. Cependant, la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale n’est pas satisfaisante à nos yeux. Il serait dommage pour la suite de nos travaux que nous fermions la discussion sur cet article par un vote conforme. Pourquoi ?

Tout d’abord, il nous est apparu nécessaire de limiter l’obligation de déclaration d’intérêts aux consultants ayant un rôle d’encadrement au sein de la mission, en sortant donc les consultants juniors du dispositif.

Ensuite, dans la même perspective de proportionnalité, il est apparu nécessaire à la commission de borner dans le temps les fonctions bénévoles devant figurer dans la déclaration d’intérêts, en remontant à cinq ans.

Enfin, la commission a souhaité rendre plus opérantes certaines formulations votées à l’Assemblée nationale. Mes chers collègues, j’attire notamment votre attention sur l’utilisation, à plusieurs reprises dans le texte de l’Assemblée nationale, de la notion d’influence, qui demeure vague et très subjective. Nous avons préféré recourir à l’expression « conflit d’intérêts », qui rendrait plus opérationnelle la proposition de loi, une fois promulguée.

Pour toutes ces raisons, l’avis de la commission sera défavorable.

L’amendement n° 32 du Gouvernement a pour objet les conjoints, partenaires ou concubins. Je comprends que l’on voie une atteinte à la vie privée dans ces dispositions voulues par la commission. Cependant, elles nous apparaissent justifiées dans ce cadre.

L’avis de la commission est donc défavorable.

L’amendement n° 33, quant à lui, vise à supprimer l’obligation pour les consultants de déclarer les activités bénévoles passées et en cours. J’estime que nous avons proposé un bon compromis en retenant un bornage dans le temps de cinq ans.

L’avis de la commission est donc également défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 14 rectifié bis ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Par cohérence, il est défavorable, madame la présidente.

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. Madame la présidente, après les explications de Mme la rapporteure, je vais retirer cet amendement.

Je pense néanmoins qu’il faudra être extrêmement attentif, lors de la navette, pour que nous aboutissions à un dispositif efficace, avec une claire répartition des responsabilités des uns et des autres.

Lorsque nous avons déposé cette proposition de loi, nous avons entendu des cris d’orfraie : « C’est impossible ! C’est trop de travail ! C’est trop compliqué ! »

Je rappelle tout de même au passage que nous-mêmes, les parlementaires, avec nos pauvres moyens, sommes astreints à cette même obligation. Nous pouvons imaginer que des gens ayant le niveau de formation des consultants en cabinets de conseil privés parviennent à s’en acquitter également sans grande difficulté.

Je retire donc mon amendement, tout en appelant à la vigilance, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 14 rectifié bis est retiré.

Je mets aux voix l’amendement n° 32.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 33.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 10.

(Larticle 10 est adopté.)

Article 10
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Article 12

Article 11

I. – Tout prestataire de conseil communique à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, par l’intermédiaire d’un téléservice :

1° Les actions de démarchage ou de prospection réalisées auprès des administrations mentionnées au I de l’article 1er ;

2° Les prestations de conseil relevant du champ d’application de l’article 238 bis du code général des impôts, en précisant le montant des dons et versements du prestataire, les ressources humaines qu’il a affectées à ces actions et les contreparties qu’il a reçues.

II. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis public de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, précise :

1° Le rythme et les modalités des communications prévues au I du présent article ainsi que les conditions de publication des informations correspondantes ;

2° Les modalités de présentation des actions du prestataire de conseil mentionnées au 1° du présent article et des prestations de conseil mentionnées au 2° du présent article.

Mme la présidente. L’amendement n° 15 rectifié bis, présenté par M. Bazin, Mmes Lavarde et N. Goulet, MM. Burgoa, Sautarel et Wattebled, Mme Eustache-Brinio, M. Karoutchi, Mmes Estrosi Sassone et Muller-Bronn, MM. Pellevat, D. Laurent, Cambon et Chatillon, Mmes Dumont, Micouleau, Lassarade et M. Mercier, MM. Lefèvre, Naturel, Bouchet, Bruyen, Saury et Brisson, Mme Imbert, M. C. Vial, Mmes P. Martin et Belrhiti et MM. Belin, Sido et Gremillet, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Compléter cet alinéa par les mots :

, sous forme électronique, dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé

La parole est à M. Arnaud Bazin.

M. Arnaud Bazin. Il s’agit d’assurer davantage de transparence en prévoyant la publication en données ouvertes des actions de démarchage, de prospection et de mécénat des cabinets de conseil. C’était l’une des propositions de la commission d’enquête, de surcroît adoptée par le Sénat en première lecture à l’unanimité des votants.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Toujours dans la perspective de cheminer avec l’autre chambre, il faut rappeler que l’Assemblée nationale a aligné les règles relatives à la communication des informations relatives aux actions de démarchage, de prospection et de mécénat sur les règles en vigueur pour les représentants d’intérêts.

La commission a admis cet alignement par souci de cohérence. La définition des modalités de communication et de publication des informations concernées serait renvoyée à un décret en Conseil d’État. Dès lors, la précision que vise à apporter l’amendement devrait être apportée par le décret en question.

Mon cher collègue, je vous propose d’en rester à la rédaction retenue par la commission. Mon avis est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 15 rectifié bis.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 11, modifié.

(Larticle 11 est adopté.)

Article 11
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Article 13

Article 12

I. – (Non modifié)

bis. – (Non modifié) La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique peut se saisir d’office ou être saisie par :

1° L’administration bénéficiaire de la prestation de conseil ;

2° (Supprimé)

3° Le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale ou le Président du Sénat ;

4° Les associations agréées par la Haute Autorité dans les conditions prévues au deuxième alinéa du II de l’article 20 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

II. – La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique peut se faire communiquer, sur pièces, par l’administration bénéficiaire de la prestation de conseil, le prestataire ou les consultants, toute information ou tout document nécessaire à l’exercice de sa mission. Elle peut entendre ou consulter toute personne dont le concours lui paraît utile.

La Haute Autorité peut également procéder à des vérifications sur place, dans des locaux professionnels ou des locaux affectés au domicile privé d’un consultant, sur autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.

La visite s’effectue sous l’autorité et le contrôle du juge des libertés et de la détention qui l’a autorisée, en présence de l’occupant des lieux ou de son représentant, qui peut se faire assister d’un conseil de son choix, ou, à défaut, en présence de deux témoins qui ne sont pas placés sous l’autorité des personnes chargées de procéder au contrôle.

La Haute Autorité protège la confidentialité des informations et des documents auxquels elle a accès pour l’exercice de sa mission, à l’exception des informations et des documents dont la publication est prévue par la présente section.

Seuls peuvent être opposés à la Haute Autorité le secret de la défense nationale, le secret de l’enquête et de l’instruction, le secret médical, le secret de la conduite de la politique extérieure de la France, le secret de la sûreté de l’État, le secret de la sécurité publique, le secret de la sécurité des personnes ou le secret de la sécurité des systèmes d’information.

III. – (Non modifié) Lorsque la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique constate un manquement aux règles déontologiques fixées à la présente section ou aux articles 2 ou 5, elle :

1° Adresse au prestataire ou au consultant concerné une mise en demeure de respecter les obligations auxquelles il est assujetti, après l’avoir mis en état de présenter ses observations. Le prestataire ou le consultant doit justifier de la régularisation de la situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la mise en demeure ;

2° Avise l’administration bénéficiaire et, le cas échéant, lui adresse des observations.

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 4 rectifié est présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

L’amendement n° 25 est présenté par MM. Bocquet, Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 4

Rétablir le 2° dans la rédaction suivante :

2° Une organisation syndicale de fonctionnaires représentée au Conseil supérieur de la fonction publique de l’État ;

La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 4 rectifié.

M. Guy Benarroche. Lors de l’affaire McKinsey, plusieurs organisations syndicales, dont l’Union fédérale des syndicats de l’État (UFSE-CGT) de la fonction publique d’État, la Fédération des services publics CGT de la fonction publique territoriale et la Fédération de la santé et de l’action sociale CGT de la fonction publique hospitalière avaient déposé plainte auprès du parquet national financier, entraînant une nouvelle phase judiciaire dans l’affaire rendue publique par le rapport du Sénat de mars 2022.

Les syndicats jouent un rôle de contrôle et de protection des salariés. Ils sont en contact direct avec les agents et ont une connaissance approfondie des réalités de leur secteur. Il est donc nécessaire de leur offrir la possibilité de saisir la HATVP en cas de manquements déontologiques de la part des consultants.

Le présent amendement a pour objet de rétablir un tel dispositif, voté à l’unanimité au Sénat lors de la première lecture.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° 25.

M. Éric Bocquet. Il est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Il y a ici une confusion sur le rôle, important, des organisations syndicales, qui est de défendre et protéger les agents publics, et non d’assurer cette mission de contrôle particulière des activités de prestataires privés.

De plus, en l’état du droit actuel, aucune organisation syndicale ne peut saisir une autorité administrative indépendante. L’adoption de ces amendements créerait un précédent qui ne me semble pas opportun.

Le Gouvernement émet donc un avis tout à fait défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 rectifié et 25.

(Les amendements sont adoptés.)

Mme la présidente. L’amendement n° 10, présenté par MM. Hochart, Szczurek et Durox, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 5

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Soixante députés ou soixante sénateurs ;

La parole est à M. Joshua Hochart.

M. Joshua Hochart. Le rôle de la HATVP est aujourd’hui essentiel. Cette instance indépendante est chargée de contrôler la déontologie des responsables publics et de prévenir les risques de conflits d’intérêts.

Cependant, pour être pleinement efficace, cet organe doit disposer de tous les moyens juridiques pour mener à bien ses missions de contrôle et de sanction.

C’est précisément l’objet de l’amendement que nous vous proposons aujourd’hui et qui vise à permettre la saisine de la Haute Autorité par 60 députés ou 60 sénateurs, sur le modèle de la saisine du Conseil constitutionnel prévue par l’article 61 de notre Constitution.

Il s’agit d’un gage de transparence et un contre-pouvoir indispensable. En effet, trop souvent par le passé, des affaires de conflits d’intérêts ou de pantouflage ont été étouffées, faute que l’on puisse déclencher des investigations approfondies.

Désormais, un groupe parlementaire assez étoffé pourra saisir la HATVP et exiger la lumière sur des situations potentiellement problématiques. Cela renforcera considérablement les pouvoirs de contrôle et de sanction de cette autorité indépendante.

Mes chers collègues, la confiance de nos concitoyens dans les institutions passe nécessairement par davantage de transparence et d’exemplarité de la part de leurs représentants. Nous ne pouvons plus tolérer l’ombre du soupçon, les conflits d’intérêts dissimulés et les portes dérobées par lesquelles s’immiscent les intérêts particuliers.

En permettant à une minorité parlementaire de saisir la HATVP, nous renforçons les contre-pouvoirs et les garde-fous indispensables à la probité de notre démocratie. C’est une condition de la moralisation de la vie publique, une avancée décisive pour l’intégrité de nos institutions.

Je vous appelle donc à soutenir massivement cet amendement essentiel.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Le parallèle qui est effectué entre la saisine du Conseil constitutionnel et la saisine de la HATVP me paraît plus que hasardeux.

L’avis de la commission est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. La loi Sapin prévoit déjà des procédures relatives aux aviseurs et aux lanceurs d’alerte. Cet amendement n’est donc vraiment pas nécessaire, et je ne le voterai pas.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 10.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 34, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéas 8 et 9

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Toujours sur les sujets de déontologie, il s’agit ici de supprimer le pouvoir de vérification sur place qui serait attribué à la HATVP dans le cadre de la présente proposition de loi.

Tout d’abord, ces pouvoirs ne sont pas utiles. Cet organe peut se faire communiquer par l’administration, par le prestataire ou par les consultants tout document nécessaire à l’exercice de sa mission et entendre ou consulter toute personne dont le concours lui paraît utile. C’est le droit existant.

Demain, si cet article entrait en vigueur tel quel, la HATVP pourrait se rendre chez un consultant pour effectuer un contrôle sur place, quel que soit son niveau de responsabilité dans un marché public.

Cette disposition viendrait s’ajouter aux règles d’exception que vous prévoyez pour les consultants dans le secteur du conseil : obligation de déclarer de façon exhaustive, pour leurs conjoints et pour eux-mêmes, toutes leurs activités, y compris, je le fais remarquer au passage, leurs activités bénévoles, c’est-à-dire des activités politiques ou des activités religieuses.

Il faut tout de même bien avoir conscience de ce que vous avez voté, mesdames, messieurs les sénateurs : c’est un régime d’exception, et il sera difficile demain de trouver des entreprises de conseil qui accepteront de travailler pour l’État.

Or vous voulez introduire une procédure supplémentaire, qui, je le rappelle, n’existe même pas pour les ministres ou les parlementaires de la République. En effet, la HATVP n’a pas ce pouvoir de contrôle sur place en ce qui nous concerne, vous ou moi.

Je comprends que ce secteur du conseil soit au centre de beaucoup d’attentions, mais j’invite la Haute Assemblée à s’interroger sur le caractère proportionné de ce qu’elle s’apprête à voter.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Madame la présidente, si vous m’y autorisez, pour l’intelligibilité de nos débats je donnerai dans une même intervention les avis de la commission sur les amendements nos 34, 35, 36 et 37 du Gouvernement, même s’ils ne sont pas en discussion commune. Cela me permettra d’aller plus vite par la suite.

Nous entamons une série d’articles et d’amendements qui nous renvoient à des débats que nous avons déjà eus : quel pouvoir de contrôle et de sanction voulons-nous donner à la HATVP pour que son action soit efficace ?

Par l’amendement n° 34, M. le ministre souhaite supprimer le pouvoir de contrôle sur place que le Sénat avait accordé à la HATVP. Je le répète au nom de mes collègues, il nous semble indispensable de maintenir cette possibilité, qui est un gage d’effectivité de la proposition de loi.

C’est la même chose sur la question des sanctions administratives, avec la commission des sanctions, dont nous parlerons un peu plus tard. Soit nous restons sur des déclarations de principes, incantatoires, sans doter la Haute Autorité d’une capacité réelle d’effectuer des contrôles, soit nous lui en donnons réellement les moyens.

La commission penche pour cette seconde option, et c’est la raison pour laquelle j’émettrai un avis défavorable sur les amendements successifs du Gouvernement.

Enfin, monsieur le ministre, j’entends vos arguments, mais j’ai aussi également auditionné les représentants des cabinets de conseil, et je ne puis que constater que leurs arguments correspondent, au moins en partie, aux vôtres. Je n’affirme pas que vous travaillez ensemble, mais, de fait, les arguments sont les mêmes.

Dans cet hémicycle, on entend très souvent vanter les vertus de l’économie de marché. Eh bien, dans cette économie qui est la nôtre, je suis convaincue que, tant que ces marchés seront juteux, qu’il y ait ou non une obligation de déclaration ou une commission de contrôle, les cabinets de conseil concernés continueront d’y prendre part. Je ne m’inquiète donc pas de l’avenir de ces cabinets.

J’oserai même aller plus loin, en réponse à certaines inquiétudes qui avaient déjà été exprimées en première lecture et le sont de nouveau. Tout le monde a bien pris en compte les excès du quinquennat précédent, et vous avez exprimé, monsieur le ministre, la volonté du Gouvernement, dont je ne doute nullement, de réduire le recours aux cabinets de conseil.

Cette dynamique ne peut que rendre le dispositif proposé encore plus opérationnel, puisque le nombre de cas à examiner ne fera que diminuer et que, par conséquent, la Haute Autorité ne croulera pas sous une charge de travail exponentielle.

L’avis de la commission sur l’amendement n° 34 est donc, je le redis, défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 34.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 12, modifié.

(Larticle 12 est adopté.)

Article 12
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Article 14

Article 13

I. – Est passible d’une amende administrative le fait, pour les prestataires de conseil et les consultants :

1° De ne pas respecter les exigences fixées à l’article 2 ou de ne pas mettre fin à un conflit d’intérêts au sens du second alinéa du I de l’article 9 ;

2° De proposer, de réaliser ou d’accepter une prestation de conseil à titre gracieux, à l’exclusion de celles qui relèvent du champ d’application de l’article 238 bis du code général des impôts ;

3° De ne pas adresser à l’administration bénéficiaire la déclaration d’intérêts prévue à l’article 10 de la présente loi ou d’omettre de déclarer une partie substantielle de ses intérêts ;

4° De ne pas communiquer à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique les informations sur les actions de démarchage, de prospection et de mécénat mentionnées à l’article 11 ;

5° D’entraver l’action de la Haute Autorité en refusant de lui communiquer toute information ou pièce utile à l’exercice de sa mission, quel qu’en soit le support, sous réserve de la préservation des secrets mentionnés au dernier alinéa du II de l’article 12, ou en transmettant des informations mensongères.

Le montant de l’amende mentionnée au premier alinéa du présent I ne peut excéder 15 000 € par manquement constaté pour une personne physique et 2 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent pour une personne morale. Son montant est proportionné à la gravité des manquements constatés ainsi qu’à la situation financière de la personne physique ou morale sanctionnée.

II. – Les amendes administratives prévues au I sont prononcées par la commission des sanctions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, dans les conditions fixées à l’article 19-1 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Leur produit est recouvré comme les créances de l’État étrangères à l’impôt et au domaine.

La commission des sanctions de la Haute Autorité peut également :

1° Ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de la décision d’amende administrative ou d’un extrait de celle-ci, selon les modalités qu’elle précise. Les frais sont supportés par la personne physique ou morale sanctionnée ;

2° En cas de faute professionnelle grave, exclure l’intéressé de la procédure de passation des contrats de la commande publique, pour une durée maximale de trois ans.

III. – (Supprimé)

Mme la présidente. L’amendement n° 35, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Est puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende, le fait :

1° De ne pas respecter les exigences des dispositions des articles 2, 10 et 11 ;

2° Pour le prestataire de conseil, de réaliser ou d’accepter, à titre gracieux, une prestation de conseil au sens de l’article 1er à l’exclusion des actions de mécénat mentionnées à l’article 238 bis du code général des impôts ;

3° D’entraver l’action de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en refusant de lui communiquer toute information ou pièce utile à l’exercice de sa mission, quel qu’en soit le support, sous réserve de la préservation des secrets au sens de l’article 12.

Les personnes physiques coupables de l’une des infractions prévues au présent article encourent également l’exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, dans les conditions prévues à l’article 131-34 du code pénal.

Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues à l’article 121-2 du même code de l’une des infractions prévues au présent article encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues à l’article 131-38 dudit code, la peine prévue au 5° de l’article 131-39 du même code.

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Je serai bref, car Mme la rapporteure a exprimé, de façon globale, l’avis de la commission sur toute cette série d’amendements.

Je tiens à le préciser, ce qui m’intéresse, ce n’est pas l’avenir des cabinets de conseil : je n’ai pas d’actions dans ces entreprises !

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Je n’ai pas dit cela !

M. Stanislas Guerini, ministre. Je le sais bien, madame la rapporteure. Ce qui m’intéresse, c’est l’État. En tant que ministre de la transformation et de la fonction publiques, je veux que l’État puisse être renforcé et qu’un cadre soit donné aux concours de prestataires, dans un esprit de bonne gestion de nos finances publiques.

Nous pouvons convenir qu’il est nécessaire, de temps en temps, de disposer d’un regard extérieur et d’avoir recours à des prestations ou à l’expertise d’un cabinet de conseil. Il faut donc que l’État puisse demain, quand il en aura besoin, solliciter ces cabinets, mais aussi qu’il y en ait qui, alors, puissent se porter candidats à un tel travail avec l’État. Voilà, de façon très transparente, tout ce qui m’intéresse.

Nous n’avons pas à choisir entre tout ou rien. Pour ma part, le dispositif auquel je souhaite revenir en la matière, au travers notamment de cet amendement, c’est le dispositif existant, qui permet à la HATVP de saisir la justice pour que soient prononcées des sanctions pénales potentiellement lourdes. C’est un grand pouvoir qui est ainsi octroyé à la Haute Autorité.

Votre commission préférerait créer un système totalement ad hoc, qui constituerait pour le seul secteur des cabinets de conseil une exception au fonctionnement ordinaire de la HATVP ; je reste d’ailleurs dubitatif quant à l’effectivité de ce système.

Pour sa part, le Gouvernement conserve, depuis la première lecture de ce texte, une position cohérente : nous préférons à ce mécanisme le droit actuel, à savoir un dispositif de sanctions pénales qui ne me semble pas moins lourd que le dispositif de sanctions administratives proposé par la commission.

C’est dans le même esprit de cohérence que le Gouvernement a déposé un amendement visant à supprimer l’article 14 du texte de la commission, qui instaure une commission spécifique chargée de mettre en œuvre ces sanctions administratives.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Il est défavorable, pour les raisons que j’ai développées à l’instant.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 35.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 13.

(Larticle 13 est adopté.)

Article 13
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Article 15 (texte non modifié par la commission)

Article 14

Après l’article 19 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, il est inséré un article 19-1 ainsi rédigé :

« Art. 19-1. – I. – La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique comprend une commission des sanctions qui peut prononcer les sanctions administratives prévues à l’article 13 de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques.

« II. – La commission des sanctions est composée de trois membres, dont :

« 1° Un membre du Conseil d’État ou du corps des conseillers de tribunaux administratifs et cours administratives d’appel, en activité ou honoraire, désigné par le vice-président du Conseil d’État ;

« 2° Un magistrat de la Cour de cassation ou des cours et tribunaux, en activité ou honoraire, désigné par le premier président de la Cour de cassation ;

« 3° Un magistrat de la Cour des comptes ou des chambres régionales des comptes, en activité ou honoraire, désigné par le premier président de la Cour des comptes.

« L’écart entre le nombre de femmes et le nombre d’hommes ne peut pas être supérieur à un.

« Des suppléants sont nommés selon les mêmes modalités.

« Le président de la commission des sanctions est élu par les membres de celles-ci.

« III. – Les membres titulaires et suppléants de la commission des sanctions sont nommés pour une durée de six ans, non renouvelable.

« Ils ne peuvent pas être membres du collège ou des services de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Ils sont soumis aux incompatibilités et aux obligations déclaratives prévues au IV de l’article 19 de la présente loi.

« IV. – La commission des sanctions est saisie par le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, après la mise en demeure mentionnée au III de l’article 12 de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques.

« Aucune sanction administrative ne peut être prononcée sans que l’intéressé ou son représentant ait été entendu ou, à défaut, dûment appelé.

« Un représentant du collège de la Haute Autorité peut présenter des observations pour le compte de celle-ci.

« La commission des sanctions délibère hors la présence de l’intéressé ou de son représentant et du représentant du collège de la Haute Autorité. Elle statue par décision motivée à la majorité de ses membres. En cas de partage égal des voix, celle du président est prépondérante.

« V. – La commission des sanctions établit son règlement intérieur, qui précise ses règles de fonctionnement, les procédures applicables devant elle et les conditions dans lesquelles elle peut être assistée de rapporteurs. »

Mme la présidente. L’amendement n° 36, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. J’ai présenté cet amendement en même temps que le précédent, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 36.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 14.

(Larticle 14 est adopté.)

Article 14
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Article 16

Article 15

(Non modifié)

Le code de la commande publique est ainsi modifié :

1° A (Supprimé)

1° Après l’article L. 2141-5, il est inséré un article L. 2141-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 2141-5-1. – Sont exclues de la procédure de passation des marchés les personnes qui font l’objet d’une exclusion prononcée par la commission des sanctions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et devenue définitive, en application de l’article 13 de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques. » ;

1° bis A À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 2141-6-1, les mots : « et L. 2141-5 » sont remplacés par les mots : « , L. 2141-5 et L. 2141-5-1 » ;

1° bis (Supprimé)

2° À l’article L. 2341-2, la référence : « L. 2141-5 » est remplacée par la référence : « L. 2141-5-1 » ;

3° Le livre VI de la deuxième partie est ainsi modifié :

a) Après la trente-deuxième ligne des articles L. 2651-1, L. 2661-1 et L. 2671-1 et après la trente et unième ligne de l’article L. 2681-1, est insérée une ligne ainsi rédigée :

 

«

L. 2141-5-1

Résultant de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques

» ;

a bis) La trente-quatrième ligne des articles L. 2651-1, L. 2661-1 et L. 2671-1 et la trente-troisième ligne de l’article L. 2681-1 sont ainsi rédigées :

 

«

L. 2141-6-1

Résultant de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques

» ;

b) La cent troisième ligne des articles L. 2651-1, L. 2661-1 et L. 2671-1 et la cent deuxième ligne de l’article L. 2681-1 sont remplacées par deux lignes ainsi rédigées :

 

«

L. 2341-1

Résultant de la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture

L. 2341-2

Résultant de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques

» ;

3° bis (Supprimé)

4° Après l’article L. 3123-5, il est inséré un article L. 3123-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3123-5-1. – Sont exclues de la procédure de passation des contrats de concession les personnes qui font l’objet d’une exclusion prononcée par la commission des sanctions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et devenue définitive, en application de l’article 13 de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques. » ;

4° bis À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 3123-6-1, les mots : « et L. 3123-5 » sont remplacés par les mots : « , L. 3123-5 et L. 3123-5-1 » ;

5° La vingtième ligne du tableau du second alinéa des articles L. 3351-1, L. 3361-1, L. 3371-1 et L. 3381-1 est remplacée par cinq lignes ainsi rédigées :

 

«

L. 3120-1 à L. 3123-5

L. 3123-5-1

Résultant de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques

L. 3123-6

L. 3123-6-1

Résultant de la loi n° … du … encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques

L. 3123-7-1 à L. 3126-2

».

Mme la présidente. L’amendement n° 37, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Il est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 37.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 16, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 2

Rétablir cet alinéa dans la rédaction suivante :

1° A Au premier alinéa de l’article L. 2141-1, après la référence : « 434-9-1 », est insérée la référence : «, 434-13 » ;

II. – Alinéa 6

Rétablir cet alinéa dans la rédaction suivante :

1° bis Au premier alinéa de l’article L. 2341-1, après la référence : « 434-9-1 », est insérée la référence : « , 434-13 » ;

III. – Alinéa 15

Rétablir cet alinéa dans la rédaction suivante :

3° bis Au premier alinéa de l’article L. 3123-1, après la référence : « 434-9-1 », est insérée la référence : « , 434-13 » ;

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Un amendement ayant le même objet avait été adopté en première lecture par le Sénat : il s’agit d’ajouter aux infractions dont les auteurs sont exclus de la commande publique les faux témoignages.

Évidemment, toute ressemblance avec une personne existante ou ayant existé serait totalement fortuite : il suffit pour s’en convaincre de se reporter aux auditions de notre commission d’enquête ! (Sourires.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Comme Mme Goulet l’a rappelé, ces dispositions ont été adoptées par notre assemblée en première lecture.

L’avis de la commission est donc favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Il sera défavorable, notamment pour des raisons techniques et légistiques : les dispositions proposées sont incompatibles avec les directives européennes relatives aux marchés publics, qui établissent une liste limitative des motifs d’exclusion de plein droit de la procédure de passation d’un marché public.

Certes, on comprend bien l’intention de l’auteur de cet amendement, et je souscrirais même très volontiers à son esprit, dès lors qu’il vise les faux témoignages qui seraient commis dans le cadre des relations du prestataire avec l’État.

Néanmoins, le caractère très général de sa rédaction conduit à englober dans le dispositif des faux témoignages qui pourraient survenir dans des cas extrêmement divers, tels que des litiges familiaux ou de voisinage ; ces situations auraient aussi des conséquences sur la passation du marché public.

Au vu de ces raisons juridiques, je me dois d’émettre un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 16.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 40, présenté par Mme Cukierman, au nom de la commission, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 9

Rédiger ainsi cet alinéa :

Après la trente-deuxième ligne du tableau du second alinéa de l’article L. 2651-1, après la trente et unième ligne du tableau du second alinéa des articles L. 2661-1 et L. 2671-1 et après la trentième ligne du tableau du second alinéa de l’article L. 2681-1, est insérée une ligne ainsi rédigée :

II. – Alinéa 11 :

Rédiger ainsi cet alinéa :

La trente-quatrième ligne du tableau du second alinéa de l’article L. 2651-1, la trente-troisième ligne du tableau du second alinéa des articles L. 2661-1 et L. 2671-1 et la trente-deuxième ligne du tableau du second alinéa de l’article L. 2681-1 sont ainsi rédigées :

III. – Alinéa 13

1° Remplacer le mot :

troisième

par le mot :

deuxième

2° Après la première occurrence du mot :

ligne

insérer les mots :

du tableau du second alinéa

3° Remplacer le mot :

deuxième

par le mot :

unième

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de coordination.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 40.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 15, modifié.

(Larticle 15 est adopté.)

Section 2

Mieux encadrer les mobilités entre l’administration et les cabinets de conseil

Article 15 (texte non modifié par la commission)
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Après l’article 16

Article 16

Le chapitre IV du titre II du livre Ier du code général de la fonction publique est ainsi modifié :

1° L’article L. 124-5 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La Haute Autorité est préalablement saisie, dans les mêmes conditions, lorsque l’agent public cessant ou ayant cessé ses fonctions depuis moins de trois ans, définitivement ou temporairement, souhaite fournir des prestations de conseil dans le secteur privé lucratif. » ;

2° À la première phrase de l’article L. 124-7, les mots : « à l’article » sont remplacés par les mots : « au premier alinéa de l’article » ;

3° L’article L. 124-8 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La Haute Autorité est préalablement saisie, dans les mêmes conditions, lorsque l’autorité hiérarchique envisage de nommer une personne fournissant ou ayant fourni des prestations de conseil dans le secteur privé lucratif au cours des trois dernières années. » ;

4° L’article L. 124-18 est ainsi modifié :

a) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque l’avis porte sur la fourniture de prestations de conseil dans le secteur privé lucratif, en application du second alinéa de l’article L. 124-5, l’agent public rend compte de son activité à la Haute Autorité au moins tous les six mois, dans les conditions fixées par cette dernière et durant les trois années qui suivent le début de son activité de conseil. » ;

b) Au second alinéa, les mots : « de réponse » sont remplacés par les mots : « d’élément » ;

5° Au 3° de l’article L. 124-26, la première occurrence du mot : « à » est remplacée par les mots : « au premier alinéa de ».

Mme la présidente. L’amendement n° 38, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le chapitre IV du titre II du livre Ier du code général de la fonction publique est ainsi modifié :

1° L’article L. 124-4 est ainsi modifié :

a) Au troisième alinéa, après les mots : « précédant le début de cette activité, », sont insérés les mots : « s’agissant en particulier des prestations de conseil dans le secteur privé lucratif, » ;

b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique élabore des recommandations afin d’harmoniser l’examen par l’autorité hiérarchique et par le référent déontologue des demandes émanant d’un agent public cessant ou ayant cessé ses fonctions depuis moins de trois ans, définitivement ou temporairement, et souhaitant fournir des prestations de conseil dans le secteur privé lucratif. » ;

2° L’article L. 124-7 est ainsi modifié :

a) Après les mots : « une activité privée lucrative », sont insérés les mots : « , en particulier des prestations de conseil dans le secteur privé lucratif, » ;

b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique élabore des recommandations afin d’harmoniser l’examen par l’autorité hiérarchique et par le référent déontologue de la compatibilité des prestations de conseil dans le secteur privé lucratif fournies au cours des trois dernières années par la personne qu’il est envisagé de nommer avec les fonctions auxquelles elle candidate. »

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. J’avais présenté en première lecture un amendement identique, qui visait les allers et retours entre cabinets de conseil et administration.

Il s’agit de restaurer le mécanisme de contrôle gradué qui prévaut en matière déontologique, tout en garantissant une attention et une homogénéité particulières quand les mouvements en question sont en provenance ou à destination des cabinets de conseil, de manière à conserver l’équilibre, la proportionnalité, mais aussi l’effectivité des contrôles déontologiques qui ont été mis en place par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

Il me semble possible d’appliquer ce principe aux cabinets de conseil, plutôt que de créer un droit particulier pour eux seuls.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Nous avons en effet déjà eu ce débat.

En premier lieu, si l’objectif du Gouvernement est de supprimer le régime spécifique au secteur du conseil, la commission ne le partage pas. Mentionner explicitement ce secteur dans les dispositions de droit commun applicables à la fonction publique n’aurait aucune portée supplémentaire par rapport au droit existant.

En second lieu, si charger la HATVP d’élaborer des recommandations, afin d’harmoniser l’examen de la demande par l’autorité hiérarchique et par le référent déontologue, n’est pas dénué d’intérêt en soi, cela ne nous semble guère, une nouvelle fois, relever de la loi.

Nous nous trouvons bien là, à l’évidence, monsieur le ministre, face à une proposition de substitution que vous nous faites pour la rédaction de cet article 16, qui avait d’ailleurs été supprimé en commission à l’Assemblée nationale.

Toutefois, en l’état, notre commission des lois a émis un avis défavorable, préférant sa propre formulation.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 38.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 16.

(Larticle 16 est adopté.)

Article 16
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Article 17 (texte non modifié par la commission)

Après l’article 16

Mme la présidente. L’amendement n° 8, présenté par MM. Hochart, Szczurek et Durox, est ainsi libellé :

Après l’article 16

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Les personnes occupant les emplois ou fonctions pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée en application de l’article 13 de la Constitution, qui souhaitent exercer une activité de conseil au sein d’un cabinet de conseil ayant son siège en dehors du territoire national ou sous contrôle étranger, sont tenues d’en faire la déclaration au Premier ministre, en respectant un délai de préavis fixé par un décret en Conseil d’État.

Cette obligation s’applique dans les dix années suivant la cessation des emplois ou fonctions mentionnés au premier alinéa du présent I.

II. – Les personnes soumises à l’obligation prévue au présent I en sont informées.

III. – Le Premier ministre peut s’opposer à l’exercice de l’activité envisagée lorsqu’il estime que cet exercice comporte un risque de divulgation d’informations de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.

La décision d’opposition n’intervient qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, sur sa demande, des observations orales.

IV. – En cas de méconnaissance de l’obligation prévue au I ou de l’opposition prévue au III, le contrat conclu en vue de l’exercice de l’activité envisagée est nul de plein droit.

La parole est à M. Joshua Hochart.

M. Joshua Hochart. Cet amendement se justifie par son texte même, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 8.

(Lamendement nest pas adopté.)

Chapitre V

Assurer une meilleure protection des données de l’administration

Après l’article 16
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Article 18 (texte non modifié par la commission)

Article 17

(Non modifié)

I. – Les données que le prestataire et les consultants collectent auprès de l’administration bénéficiaire ou des tiers avec lesquels ils communiquent pour les besoins de leur prestation sont utilisées dans le seul objectif d’exécuter cette même prestation. Toute utilisation pour une autre finalité est interdite.

Le prestataire et les consultants suppriment ces mêmes données dans un délai d’un mois à compter de l’issue de la prestation et après avoir remis à l’administration bénéficiaire ces mêmes données ainsi que les traitements opérés sur ces données.

II. – (Non modifié)

III. – Lorsque l’administration bénéficiaire ou les tiers mentionnés au I ont un doute sur le respect des obligations prévues au même I, ils peuvent saisir la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

La Commission nationale de l’informatique et des libertés peut procéder aux contrôles prévus à l’article 19 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, y compris pour des données qui ne sont pas des données à caractère personnel.

IV. – Les modalités d’application du présent article sont fixées par un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 17 est présenté par Mme Linkenheld, M. Durain, Mme de La Gontrie, MM. Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Narassiguin, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 18 rectifié bis est présenté par Mme Morin-Desailly, MM. Maurey et Laugier, Mme Antoine, M. Mizzon, Mme Billon, MM. Kern, Canévet et Lafon, Mmes Gatel et Perrot, MM. Chauvet et Duffourg, Mme Jacquemet et M. Capo-Canellas.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 5

Compléter cet alinéa par les mots :

, et dispose des pouvoirs prévus aux articles 20, 22 et 22-1 de cette même loi

La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour présenter l’amendement n° 17.

Mme Audrey Linkenheld. L’article 17, dans sa rédaction initiale comme dans celle qui nous est soumise aujourd’hui, donne à la Cnil de nouveaux pouvoirs de contrôle : cette instance aurait à connaître, non plus seulement des données personnelles, mais aussi de données non personnelles.

Il nous a en effet paru important de protéger de la sorte les données contenues dans les travaux des cabinets de conseil privés, dans les documents qu’ils remettent aux administrations et aux opérateurs de l’État, données qui, pour ne pas être personnelles, n’en sont pas moins, parfois, sensibles, comme on l’a vu au cours des débats.

Tel est l’objet de l’article 17, qui permet la saisie de la Cnil en cas de doute, à ces fins de protection et de contrôle.

Cependant, puisque la transparence est un enjeu crucial de cette proposition de loi, je dois mentionner la réaction de la Cnil. Celle-ci nous a fait savoir que, si elle est évidemment favorable à ce nouveau pouvoir de contrôle, elle estime que celui-ci doit être assorti d’un pouvoir de sanction, à l’image de celui dont elle dispose en matière de données personnelles.

Nous avons donc déposé cet amendement, qui me semble de cohérence, visant à donner à la Cnil ce pouvoir de sanction. En effet, sans sanction, le contrôle est léger.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour présenter l’amendement n° 18 rectifié bis.

Mme Catherine Morin-Desailly. Les dispositions de cet article élargissent sensiblement les missions de la Cnil.

Je voudrais attirer l’attention de notre assemblée sur un point : si, pour les besoins de leur activité, les cabinets de conseil étaient amenés à transmettre des données à caractère personnel, ils seraient alors, au sens de la réglementation relative à la protection des données personnelles, des responsables de traitement comme les autres, soumis aux dispositions du règlement général sur la protection des données (RGPD) et de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978, donc à l’action répressive de la Cnil et aux sanctions prévues en cas de manquement à ces règles.

Il est donc logique d’adopter cet amendement, qui tend à mettre en conformité les nouvelles dispositions avec le cadre applicable en matière de données personnelles.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. En première lecture, nous étions convenus de mettre en place une extension ponctuelle du pouvoir de contrôle de la Cnil aux données non personnelles, afin que cette autorité puisse, sur la demande des administrations qui, engagées dans de tels contrats, auraient un doute sur le bon respect par leurs cocontractants de leurs obligations, leur fournir un appui.

Nous n’avons en revanche pas souhaité étendre les pouvoirs de sanction de la Cnil, car cela aurait trop modifié l’esprit de la loi Informatique et Libertés. En la matière, je tiens à attirer l’attention de chacun sur plusieurs points.

Tout d’abord, si la volonté d’étendre ainsi les pouvoirs de la Cnil peut être louable, cette extension, qui aurait de sérieuses incidences, se ferait sans réelle étude d’impact de celles-ci. Nous avons tous en tête des exemples de dispositions qui, lors de leur adoption sous forme d’amendements, pouvaient sembler parfaites, mais dont l’application a suscité de graves difficultés.

Il ne faudrait donc pas aller trop vite ; nous pourrons toujours mettre en place ces pouvoirs de sanction dans un second temps, après que le mécanisme de l’article 17 aura été mis en œuvre.

Par ailleurs, comme je l’ai déjà rappelé, nous examinons aujourd’hui ce texte en deuxième lecture.

L’attitude qu’il convient d’adopter diffère donc sensiblement selon les articles : pour certains, comme celui-ci, nous avons intérêt à sécuriser des dispositions sur lesquelles l’Assemblée nationale aurait pu se montrer réticente, mais qu’elle a finalement validées, de manière à clore le débat sur ces points ; pour d’autres, en revanche, où un débat subsiste sur le fond entre nous, avec vous, monsieur le ministre, et avec nos collègues députés, nous avons plutôt intérêt à les amender de manière à garder la discussion ouverte, pour continuer de cheminer en vue d’aboutir à un texte final commun qui soit le meilleur possible.

J’oserai à ce propos rappeler, à l’instar de nombreux journalistes et commentateurs, que l’Assemblée nationale a dans tous les cas le dernier mot.

Pour ces raisons, tant de fond que de forme, la commission a émis un avis défavorable sur ces amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Même avis, sur le fond !

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Il me semble, madame la rapporteure, que vous avez fait la démonstration vous-même : si l’on voulait être cohérent, il faudrait soit modifier les dispositions relatives à la Cnil de manière complète, avec une étude d’impact préalable, en prenant toutes les mesures utiles pour que le dispositif soit efficace et conforme aux pratiques de cette autorité, soit ne rien faire du tout.

Or faire les choses à demi, s’arrêter au milieu du chemin, c’est regrettable, d’autant que les dispositions figurant dans le texte changent profondément la nature des missions de la Cnil. Je me demande donc s’il ne valait pas mieux attendre.

En tout cas, puisque vous avez choisi de maintenir dans le texte cette extension des missions de la Cnil, il faut être logique et cohérent.

Ajoutons que ces modifications vont donner plus de travail à la Cnil ; des moyens supplémentaires devront donc être octroyés à cette autorité de régulation qui a déjà fort à faire. Il faudra y penser dans le prochain projet de loi de finances.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 17 et 18 rectifié bis.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 17.

(Larticle 17 est adopté.)

Article 17 (texte non modifié par la commission)
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Article 19

Article 18

(Non modifié)

I. – (Supprimé)

II. – Lorsque l’objet ou les caractéristiques du marché impliquent que le prestataire ait accès à des données d’une sensibilité particulière, à caractère personnel ou non, et si leur violation est susceptible d’engendrer une atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique, à la santé ou à la vie des personnes ou à la protection de la propriété intellectuelle, l’administration bénéficiaire peut imposer comme condition de participation la transmission par le candidat des conclusions d’un audit de sécurité réalisé par un tiers prestataire d’audit de sécurité des systèmes d’information.

III. – (Non modifié)

Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par Mme Blatrix Contat, MM. Ros, Pla, Temal, M. Weber et Roiron, Mme Bélim, MM. Tissot, Marie et Redon-Sarrazy, Mme Monier et M. P. Joly, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Après la deuxième occurrence du mot :

sécurité

insérer les mots :

et de protection des données garantissant notamment la protection des données traitées ou stockées contre tout accès par des autorités publiques d’États tiers non autorisé par le droit de l’Union européenne ou d’un État membre,

La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.

Mme Florence Blatrix Contat. Cet amendement vise à renforcer la protection de nos données sensibles en inscrivant dans la loi des garanties spécifiques contre l’accès non autorisé à ces données par les autorités publiques d’États tiers lors de prestations de conseils privés, conformément aux mesures de protection figurant dans la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique, dite loi Sren.

Actuellement, les cabinets de conseils privés ne sont pas tenus de respecter les mêmes obligations de sécurité que l’État et ses opérateurs, ce qui crée une brèche majeure dans la protection des données sensibles. Quelle logique y a-t-il à exiger que l’État héberge ces données sensibles sur des clouds souverains tout en laissant ces mêmes données exposées aux législations d’États tiers lorsqu’elles sont confiées à des cabinets de conseil ?

L’amendement que je défends vise donc tout simplement à appliquer aux cabinets de conseil les règles déjà en vigueur pour nos administrations. Il s’agit d’aligner leurs pratiques avec les exigences strictes qui s’imposent à l’administration ; je pense notamment au référentiel SecNumCloud, élaboré par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi).

Il est inconcevable que les cabinets de conseil qui manipulent des données sensibles dont la violation pourrait menacer l’ordre public, la sécurité publique, la santé ou la propriété intellectuelle, ne soient pas soumis aux mêmes exigences de sécurité que l’État.

Rappelons que la commission d’enquête du Sénat sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques a montré que ces cabinets pouvaient accéder à ces informations sensibles : tel a notamment été le cas lors de la mission de réorganisation du service de santé des armées menée entre 2018 et 2021.

Cet amendement a donc pour objet de combler une faille critique dans notre dispositif de protection des données.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Je comprends l’intérêt de ces dispositions, dont l’objet est de contourner l’extraterritorialité du droit américain, mais j’ai un vrai doute sur leur portée opérationnelle, au vu de la disponibilité insuffisante de l’offre informatique en matière de sécurité du nuage à laquelle il faudrait avoir recours. En effet, comme nous le savons tous, une bonne part de l’offre en la matière est américaine.

Je sollicite donc l’avis du Gouvernement sur cet amendement, en particulier sur le caractère opérationnel de son dispositif.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Je vais essayer de répondre à votre sollicitation, madame la rapporteure.

Je veux tout d’abord rappeler que l’enjeu soulevé ici, à savoir la protection des données sensibles, est évidemment essentiel pour l’État. Je comprends donc la finalité des dispositions proposées. Je ne puis à cet égard que souligner la valeur du référentiel SecNumCloud de l’Anssi, dispositif qui vise à soumettre les fournisseurs de solutions cloud à certaines contraintes.

Cependant, en adoptant cet amendement, on manquerait en quelque sorte la cible, puisque les contraintes que nous avons mises en place visent les fournisseurs de solutions techniques et non d’autres acteurs.

On constate que de plus en plus de solutions de cloud de confiance sont développées par des entreprises souveraines, françaises – c’est toute la vertu du système qui a été mis en place –, mais ces contraintes doivent s’appliquer aux prestataires informatiques qui fournissent ces solutions et non pas à ceux qui, comme les cabinets de conseil, les utilisent. En visant ces derniers, je le répète, on manquerait la cible.

Je vous invite donc à retirer cet amendement, madame la sénatrice, pour la bonne effectivité des dispositions auxquelles vous souscrivez. À défaut, j’émettrais un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est donc l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Même avis, madame la présidente.

Mme la présidente. Madame Blatrix Contat, l’amendement n° 6 rectifié est-il maintenu ?

Mme Florence Blatrix Contat. Oui, madame la présidente. Je ne retirerai pas cet amendement, car il faut s’assurer que les cabinets de conseil aient recours à ces solutions sécurisées.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Je voterai l’amendement de Mme Blatrix Contat, car il est de bon sens et tend à s’inscrire dans le droit fil des travaux de notre commission des affaires européennes sur tous les sujets relatifs à la souveraineté de nos données.

En la matière, le recours à des solutions technologiques extraeuropéennes, quand bien même elles répondent au référentiel SecNumCloud, est toujours dangereux. En effet, l’exterritorialité des lois américaines fait que ces données peuvent, à tout moment, être transférées vers les États-Unis, sans que leurs détenteurs en soient informés ou aient une possibilité de recours.

Les dispositions proposées sont également dans le droit fil des articles 31 et 32 de la loi Sren.

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. Je me permets de faire observer que, en rejetant cet amendement, nous pourrons adopter l’article 18 sans modification par rapport à la version de l’Assemblée nationale.

Ce vote conforme clora la discussion, ce qui permettra de considérer comme acquis, dès à présent, tous les principes de l’audit de sécurité. Cela constituerait déjà un sacré progrès ! Parfois, le mieux est l’ennemi du bien.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Eh oui !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 6 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 18.

(Larticle 18 est adopté.)

Chapitre VI

Entrée en vigueur

Article 18 (texte non modifié par la commission)
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 19

I. – La présente loi s’applique aux prestations de conseil en cours à la date de sa promulgation, sous réserve des dispositions suivantes :

1° Le code de conduite prévu au II de l’article 9 est rédigé dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la présente loi ;

2° Les déclarations d’intérêts des prestataires de conseil et des consultants, prévues à l’article 10, sont adressées à l’administration bénéficiaire dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi.

II. – Les prestations de conseil à titre gracieux, en cours à la date de promulgation de la présente loi, cessent de plein droit, à l’exclusion de celles qui relèvent du champ d’application de l’article 238 bis du code général des impôts.

III. – L’article 16 s’applique aux avis rendus par la Haute Autorité de la transparence de la vie publique à compter de la promulgation de la présente loi.

Mme la présidente. L’amendement n° 39, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Comme je l’ai déjà fait en première lecture, je demande au travers de cet amendement la suppression de l’article 19, tout simplement pour respecter la liberté contractuelle garantie par la Constitution.

Des dispositions législatives ne sauraient être appliquées de façon rétroactive à des contrats en cours. Je soumets ce point à la vigilance de la Haute Assemblée.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Monsieur le ministre, les incertitudes qui demeurent quant au calendrier d’examen de ce texte ne permettent pas de garantir sa date d’adoption définitive, à moins que vous ne les leviez à présent devant nous. Il nous apparaît donc primordial d’assurer que la loi sera appliquée de façon effective dès sa promulgation, et non pas seulement à l’expiration des accords-cadres conclus pour une durée de quatre ans.

L’avis de la commission sur cet amendement est donc défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Si vous m’invitez, madame la rapporteure, à mettre en valeur l’accord-cadre, tel qu’il a été conclu par le Gouvernement et tel qu’il s’applique d’ores et déjà, je ne puis que le faire une nouvelle fois.

Ainsi, pour reprendre le sujet qui nous occupait il y a un instant, il est désormais prévu que les données doivent être supprimées par les cabinets de conseil dès que la mission est terminée, et, à l’inverse, qu’elles sont capitalisées par les administrations.

Je le redis, les recommandations de votre commission d’enquête ont presque toutes été intégrées dans l’accord-cadre élaboré par la direction interministérielle de la transformation publique pour toutes les administrations d’État ; elles sont par conséquent d’ores et déjà effectives.

Je n’ai donc pas attendu pour faire appliquer ces dispositions par le Gouvernement et l’État !

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. La pédagogie est l’art de la répétition… J’entends vos arguments, monsieur le ministre, mais, à ce jour, ne connaissant pas la suite du calendrier législatif, j’ignore si le texte sera promulgué avant la négociation du prochain accord-cadre.

Mon avis reste donc défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 39.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 19.

(Larticle 19 est adopté.)

Mme la présidente. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.

Vote sur l’ensemble

Article 19
Dossier législatif : proposition de loi encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Nous voterons évidemment la version sénatoriale dont nous venons d’adopter les articles. Toutefois, monsieur le ministre, après Mme la rapporteure, je voudrais vous rappeler que nous ignorons tout du calendrier d’examen de ce texte et de la date à laquelle il pourra être définitivement adopté.

Nous savons en revanche que les débats budgétaires commenceront à l’automne et que les premières décisions seront prises dans quelques semaines.

À cet égard, je veux attirer votre attention sur la nécessité absolue de disposer lors de ce débat du document budgétaire qui, même si son principe n’est pas encore inscrit dans la loi, nous a été promis lors de nos précédents débats. Il faut surtout que ce document de politique transversale relatif au recours aux cabinets de conseil soit plus complet cette année qu’il ne l’a été ; nous avons été nombreux à souligner ici ses diverses carences.

C’est donc le moment, monsieur le ministre, de faire montre de votre bonne volonté. Ainsi, dès l’automne prochain, quand la discussion budgétaire commencera, si le présent texte n’est pas définitivement adopté, nous serons au moins en possession d’un document budgétaire conforme à la réglementation, qui nous permettra de suivre la réalité de l’utilisation de ces cabinets de conseil dans les différents ministères.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.

M. Éric Bocquet. Nous voterons bien sûr ce texte, dont l’examen en séance a permis de revenir à l’esprit de la commission d’enquête. Tout n’a pas été rétabli, mais cette version représente une avancée que nous prenons en compte.

Nous allons donc, bien sûr, nous associer au vote positif de notre assemblée sur l’ensemble de cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.

Mme Audrey Linkenheld. Je vous confirme, après l’avoir indiqué dans la discussion générale, que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera cette proposition de loi.

En effet, nous sommes favorables à l’instauration d’une relation de transparence entre les cabinets de conseil privés et les administrations et les opérateurs de l’État. Quand je parle d’une relation de transparence, cela ne veut évidemment pas dire qu’il ne faut pas avoir recours à ces cabinets de conseil ; simplement, il faut que cela se fasse dans des conditions différentes de celles qui avaient été constatées par la commission d’enquête sénatoriale.

Toutefois, nous tenons aussi, par la même occasion, à redire que l’État dispose de fonctionnaires de très bon niveau, dont les compétences sont souvent équivalentes à celles des salariés des cabinets de conseil, mais qui ont un petit plus : le sens du service public et de l’intérêt général.

Nous sommes ravis que cette proposition de loi soit adoptée aujourd’hui et nous espérons qu’elle parviendra à son terme, malgré les manœuvres dilatoires du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Je voterai ce texte. J’en profite pour saluer l’excellent travail accompli pour son élaboration, ainsi que la réflexion qui a permis de reconnaître la nécessité de légiférer sur ce sujet.

Toutefois, je voudrais aussi rappeler l’absurdité d’élargir les missions de la Cnil d’une manière incohérente par rapport au texte fondateur qu’est la loi Informatique et Libertés. On n’est pas allé jusqu’au bout de la logique : en trafiquant les missions d’une autorité indépendante sans réaliser les études d’impact nécessaires ni, surtout, donner à la Cnil les moyens d’exécuter les missions qu’on lui confie, on succombe à une forme d’incohérence, que je tenais à relever.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure. À mon sens, ce vote du Sénat mettra une fois de plus en valeur la qualité des travaux de la commission d’enquête emmenée par Mme Assassi et M. Bazin. Des commissions d’enquête de qualité débouchent naturellement sur des propositions de loi transpartisanes ; on arrive à cheminer ensemble.

Monsieur le ministre, je veux vous alerter sur un point. Je demeure convaincue que la publication des travaux de la commission d’enquête et les premiers débats que nous avons eus au Sénat ont modifié culturellement le rapport que l’on a avec les cabinets de conseil et l’approche que l’on a de leur lien avec l’action publique. Il nous faut maintenant confirmer ce changement, en l’inscrivant dans cette proposition de loi.

Nous connaissons tous les méandres, parfois tortueux, du travail législatif. Cependant, monsieur le ministre, vous avez plusieurs cartes en main pour garantir que l’examen de ce texte se poursuive, à l’Assemblée nationale, dans un délai raisonnable : il ne faudrait pas que nous attendions encore plusieurs mois sa prochaine lecture par l’autre chambre du Parlement.

Je crois en effet que nous avons tous besoin de ce texte, car nous devons avant tout rétablir la confiance dans l’action publique, l’administration de l’État et le recours à des prestataires, quels qu’ils soient.

Il me semble donc important de s’assurer, dans le respect de chacune des chambres, que l’Assemblée nationale puisse reprendre ce texte, par le biais notamment de son inscription à l’ordre du jour lors d’une semaine gouvernementale, de manière à réellement aboutir sur ce sujet-là.

Je ne doute pas que, dans ce cas, vous pourrez convoquer très rapidement une commission mixte paritaire, pour qu’un texte soit promulgué dans un délai raisonnable.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

M. Guy Benarroche. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte dans la version que le Sénat a rétablie, en commission et par nos votes en séance publique. Ainsi, la substantifique moelle issue de la commission d’enquête figurera bien dans le texte que nous voterons, ce dont je me réjouis.

Je voudrais, monsieur le ministre, vous adresser à mon tour un appel : faites en sorte que nous n’attendions pas un an ou un an et demi encore la prochaine lecture de ce texte par l’Assemblée nationale. Vous avez les cartes en main pour que ce texte soit inscrit à l’ordre du jour de l’autre chambre, pour que celle-ci le vote et pour qu’il entre, enfin, dans notre droit.

Nous comptons donc sur vous, monsieur le ministre : pour notre part, nous avons fait deux fois le travail, d’abord avec la commission d’enquête, ensuite en rétablissant l’équilibre de ce texte. En effet, l’équilibre auquel vous avez fait allusion est bien dans le texte que nous allons voter !

Maintenant, il vous revient de faire en sorte que cet équilibre s’exprime pleinement, en mettant la proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, afin que l’on puisse finaliser le travail accompli par le Sénat tout entier.

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. Je renouvelle évidemment mes remerciements à Mme la rapporteure et à la commission des lois, qui ont, encore une fois, réalisé un travail très important et intéressant.

J’aimerais surtout vous faire part du sentiment qui est le mien aujourd’hui. Nous ne sommes plus dans la même situation qu’à l’époque de la commission d’enquête. Je crois que les cabinets de conseil eux-mêmes ont évolué. Ils ont pris en compte la réaction du public et celle de la représentation nationale. Finalement, avoir un cadre plus précis sera plus une protection qu’une menace pour eux ; j’en suis convaincu, et je pense qu’ils l’ont eux-mêmes perçu.

Aussi, monsieur le ministre, nous ne sommes plus si loin de la solution. Je m’associe au vœu de Mme la rapporteure et de mes collègues, afin que vous preniez dès à présent l’initiative d’une inscription rapide du texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et qu’une commission mixte paritaire puisse ensuite faire litière des quelques difficultés techniques restantes. Je pense que nous avons fait l’essentiel du chemin.

Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)

Mme la présidente. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques
 

6

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Discussion générale (suite)

Prise en charge des mineurs en questionnement de genre

Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre, présentée par Mme Jacqueline Eustache-Brinio et plusieurs de ses collègues (proposition n° 435, texte de la commission n° 623, rapport n° 622).

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Question préalable (début)

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « D’abord, ne pas nuire » : c’est ce principe qui a animé la réflexion que nous avons menée au sein du groupe de travail Les Républicains du Sénat sur la transidentification des mineurs.

Témoin de la hausse croissante des demandes de changement de sexe chez les enfants et les adolescents – cela concerne essentiellement des filles –, en France comme à l’étranger, depuis moins de dix ans, le groupe Les Républicains a estimé nécessaire de conduire une étude approfondie sur le sujet et de mettre en place un groupe de travail au mois de mai dernier.

Alors que l’influence des réseaux sociaux donne une visibilité nouvelle à la « dysphorie de genre », ou sentiment d’être né dans le « mauvais » corps, il nous paraissait légitime que le sujet soit considéré attentivement par le législateur.

Ce groupe de travail, constitué de 17 sénateurs, que je remercie infiniment de leur implication, a auditionné pendant plus de six mois 67 experts français et internationaux, tous concernés par ce phénomène sociétal et rendant compte de tous les points de vue : ceux des médecins et des équipes médicales, ceux des associations, ceux des parents, ceux des institutions, ceux des universitaires, ceux des chercheurs, etc.

De ce travail est issu un rapport destiné à fournir un ensemble d’arguments qui aborde le sujet dans ses multiples dimensions : scientifique, historique, sociologique, philosophique.

Il apparaît que la prise en charge de ces mineurs suscite en France et dans le monde des positions discordantes et évolutives, parce que celle-ci n’est pas sans incidence sur la santé physique et psychologique des enfants concernés.

Le rapport s’achève par quinze préconisations qui nous semblent les mieux à même de protéger ces mineurs particulièrement vulnérables. Elles portent, d’une part, sur les domaines scientifique et médical et, d’autre part, sur les domaines scolaire et administratif.

Les membres du groupe de travail ont souhaité décliner leurs recommandations relevant du domaine législatif sous la forme d’une proposition de loi dont le premier cosignataire est le président Bruno Retailleau et que 102 sénateurs Les Républicains ont également souhaité cosigner, ce dont je les remercie une nouvelle fois.

Avant d’évoquer le fond de la proposition de loi, je souhaite tout d’abord vous dire ce que ce texte n’est pas.

Ce n’est pas un texte transphobe.

M. Xavier Iacovelli. C’est bien caché !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Nous rejetons sans détour tous les discours haineux et les discriminations. La transphobie est une réalité, que nous condamnons fermement et à laquelle nous refusons d’être associés.

Ce n’est pas non plus l’expression d’une volonté de psychiatriser la transidentité, sous-entendant que la transidentité serait une maladie.

Enfin, ce n’est pas une atteinte aux droits de l’enfant, qui doit grandir et se construire dans un environnement serein et protecteur.

Mes chers collègues, je vous le dis, et je vais sûrement en décevoir certains sur ces travées, les conclusions de nos travaux n’étaient pas écrites à l’avance ! (M. Adel Ziane sesclaffe.) Les seules boussoles qui les ont guidées sont l’intérêt de l’enfant et la prudence.

C’est précisément cette prudence qui nous oblige à prendre en compte les inquiétudes de médecins, désemparés face à l’absence de dispositions légales ou de directives des autorités sanitaires.

C’est encore cette prudence qui nous conduit à alerter sur la question du rapport bénéfice-risque des traitements qui sont aujourd’hui prescrits à des enfants, leur réversibilité n’étant absolument pas certaine.

Nous ne nous sommes pas fait que des amis en déposant cette proposition de loi ; nous avons été attaqués verbalement, conspués et insultés. Mais nous sommes là aujourd’hui, dans l’hémicycle, pour examiner ce texte, qui vise à encadrer les pratiques médicales concernant les mineurs, et uniquement eux, en questionnement de genre.

Après le passage en commission des affaires sociales, le texte initial n’a quasiment pas été modifié. (Rires ironiques sur les travées du groupe SER.) Il prévoit donc d’encadrer la prescription des bloqueurs de puberté et d’interdire les traitements hormonaux tendant à développer les caractéristiques sexuelles secondaires du genre, ainsi que les opérations chirurgicales de réassignation sexuelle des mineurs.

La proposition de loi prévoit aussi la mise en place d’une stratégie nationale de soutien à la pédopsychiatrie, discipline dont l’état en France s’est nettement détérioré ces dernières années. Les conditions d’accueil des enfants qui expriment un mal-être sont difficiles et les délais d’attente pour une prise en charge sont trop longs, ce qui accroît encore le risque d’anxiété tant des enfants et des adolescents que de leurs parents.

De telles défaillances ont d’ailleurs été reconnues par la Cour des comptes dans son rapport de mars 2023 sur la pédopsychiatrie.

Les dispositions que je viens d’évoquer ont fait dire à certains que notre proposition de loi prônait un retour aux thérapies de conversion. Mais assurer l’accompagnement pédopsychiatrique d’un mineur exprimant un mal-être revient-il à lui faire subir une thérapie de conversion ? Qui peut cautionner un tel mensonge ? Une telle interprétation ? Une telle malhonnêteté intellectuelle ?

D’aucuns ont pu s’étonner que nous prenions le phénomène de la transidentification des mineurs à bras-le-corps.

Le mandat – je dirais même le devoir – du législateur est, notamment, de se saisir des sujets de société, qui ont souvent des conséquences sur l’avenir, en particulier sur les enfants et adolescents d’aujourd’hui, qui sont les adultes de demain.

L’examen de la présente proposition de loi nous permet donc d’ouvrir, pour la première fois au Parlement, un débat de société sur la transidentification des mineurs. Ce texte permettra, nous le souhaitons, de ne pas emmener trop précocement les mineurs dans des parcours médicaux difficiles sans leur laisser le temps de mûrir leur décision.

Le professeur de philosophie Jean-François Braunstein, que nous avons auditionné, considère la transidentification des mineurs comme un problème de santé publique. Il a noté qu’un certain nombre de doctrines philosophiques apparues à l’étranger commençaient à se répandre en France ; elles se fondent sur la volonté d’aller toujours plus loin, de repousser sans cesse les limites. Il pense évidemment à la théorie woke, qui repose, selon lui, sur quatre thèses principales, dont la théorie du genre, cette dernière consistant à s’élever contre la « fausse dichotomie entre le féminin et le masculin ».

Le sexe biologique est une donnée réelle indiscutable, qui reste inscrite dans nos gènes tout au long de notre vie. C’est une réalité ; nous n’avons donc pas un « sexe assigné à la naissance ». En France, environ 180 enfants par an naissent avec une variation du développement génital. Tous les autres, soit quelque 730 000 enfants par an, naissent avec un sexe de fille ou de garçon.

Alors que nous constatons un retour en arrière dans de nombreux pays européens précurseurs dans l’administration de traitements médicaux chez les mineurs, il nous semble urgent que la France adopte un principe de précaution lorsqu’il s’agit de la santé physique et mentale de notre jeunesse.

Le rapport Cass, publié au mois d’avril 2024 – il avait été commandé en 2020 par le National Health Service –, a eu un retentissement international. Il conforte notre position de prudence tant sur les bloqueurs de puberté que sur les hormones et la prise en charge pédopsychiatrique.

Les recommandations proposent une approche qui considère le jeune de manière holistique, et pas uniquement en termes de détresse liée au genre. Cela devrait inclure le dépistage des conditions neurodéveloppementales, y compris les troubles du spectre autistique et une évaluation de la santé mentale.

Ce rapport d’Hilary Cass a été salué par la Rapporteure spéciale des violences contre les femmes et les filles auprès des Nations unies, Mme Alsalem. Cette dernière a reconnu que le rapport avait « clairement montré les conséquences dévastatrices que les politiques en matière de traitement de genre avaient eues sur les droits humains des enfants, notamment des filles ». Elle a également souligné que les chercheurs et universitaires exprimant leurs opinions « ne devraient pas être réduits au silence, menacés ou intimidés ».

Lors de son congrès de mai 2024, la 128e assemblée médicale allemande demande au gouvernement fédéral de revoir la prise en charge actuelle des mineurs.

Enfin, dans sa déclaration de politique générale du 6 mai 2024 sur la dysphorie de genre chez les jeunes, la Société européenne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent demande l’arrêt des traitements expérimentaux et inutilement invasifs pour les jeunes dysphoriques de genre.

L’adoption aujourd’hui par le Sénat de cette proposition de loi permettra d’éviter aux mineurs en questionnement de genre de ne pas regretter des traitements médicaux ou chirurgies de réassignation sexuelle consécutifs à un mauvais diagnostic, comme le cas a été évoqué lors de nos auditions.

La parole et le ressenti de l’enfant ne peuvent pas être considérés comme aussi sûrs et aussi mûrs que celui de l’adulte, quand on sait que le cerveau n’arrive à sa maturité définitive qu’à 25 ans. (Murmures sur les travées des groupes SER et GEST.)

Nous regrettons vivement les attaques de certaines associations activistes, qui fonctionnent, comme beaucoup d’autres minorités, par la menace et l’intimidation, en voulant confisquer et interdire le débat, au mépris de la liberté d’expression. Le courage politique consiste à résister ! (Mme Émilienne Poumirol sesclaffe.)

La confiscation du débat par deux camps, qui seraient, d’un côté, les transphobes, et, de l’autre, les transactivistes, nous semble absolument stérile. Je me refuse à une telle instrumentalisation.

C’est l’honneur du législateur, me semble-t-il, que d’être à même de dépasser un tel clivage, pour réfléchir sereinement à un enjeu de santé publique.

Jusqu’à leur majorité, les parents et les pédopsychiatres ont un rôle crucial d’accompagnement de ces mineurs.

Les mesures prévues dans la proposition de loi n’ont pas d’autre ambition que de sécuriser le parcours des jeunes, la pratique des médecins et le rôle des parents, ainsi que de fixer un cadre. Dans cette perspective, nous souhaitons que la liberté des jeunes en construction puisse pleinement s’exercer, sans qu’un jour ils regrettent d’être allés trop loin, trop vite, trop tôt.

Monsieur le ministre, il vous appartient de vous saisir du sujet avec courage, en ayant comme seule boussole de protéger les mineurs et d’entendre les parents, souvent désemparés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, déposée par notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio et inscrite à l’ordre du jour à la demande du groupe Les Républicains, la présente proposition de loi a deux objectifs, que la commission des affaires sociales a souhaité mieux distinguer : d’une part, l’encadrement de la prise en charge médicale des mineurs en questionnement de genre ; d’autre part, l’amélioration de la situation délétère de la pédopsychiatrie dans notre pays. Je les aborderai tour à tour.

Commençons par l’encadrement de la prise en charge des mineurs présentant une dysphorie de genre, puisque ce sujet a concentré l’essentiel des débats ces dernières semaines.

Les définitions internationales ont évolué ces dernières années, dans le sens d’une « dépsychiatrisation ».

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a exclu l’incongruence de genre des troubles mentaux pour l’intégrer aux affections liées à la santé sexuelle. Elle la définit comme une « incongruité marquée et persistante entre le genre auquel une personne s’identifie et le sexe qui lui a été assigné ». La dysphorie de genre est caractérisée lorsque cette incongruence s’accompagne d’une détresse significative.

Il est difficile d’estimer la prévalence de la dysphorie de genre en France. Toutefois, les données disponibles laissent apparaître une forte croissance du nombre de personnes prises en charge : entre 2013 et 2020, le nombre de personnes en affection de longue durée (ALD) pour « transidentité » a été multiplié par dix, pour approcher les 9 000.

La part de mineurs demeure très minoritaire parmi les patients pris en charge, dont 3 % environ ont moins de 18 ans. Toutefois, leur nombre progresse rapidement : 8 mineurs bénéficiaient de l’ALD en 2013, contre 294 en 2020.

Ces mineurs sont principalement suivis au sein de services hospitaliers spécialisés. La prise en charge y est fondée sur des réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP), réunissant régulièrement des spécialistes du développement psycho-affectif et somatique de l’enfant. Les RCP sont sollicitées avant toute décision thérapeutique importante.

Les mineurs peuvent également être suivis en ville, sans que la prise en charge y soit toujours entourée des mêmes garanties.

Quatre modalités de prise en charge peuvent schématiquement être distinguées : un soutien psychosocial, afin de réduire les risques de souffrance et de permettre l’accompagnement du mineur ; des bloqueurs de puberté, pour suspendre le développement des caractères sexuels secondaires, comme la poitrine, la voix ou la pilosité ; des traitements hormonaux, permettant de développer les caractères sexuels secondaires du genre auquel le mineur s’identifie ; enfin, les actes chirurgicaux de réassignation, sachant que, si les opérations pelviennes ne sont pas pratiquées avant 18 ans, certaines opérations mammaires peuvent l’être.

Il faut le préciser, la prise en charge médicale ne constitue qu’un élément, d’ailleurs facultatif, du parcours de transition. Elle peut accompagner, ou non, une transition sociale et administrative. La première consiste, pour le mineur, à vivre au sein de son environnement familial, affectif ou scolaire dans un genre différent de son genre de naissance. Elle est protégée par la loi pénale, qui punit toute discrimination fondée sur l’identité de genre.

La transition administrative désigne les modifications de prénom ou de sexe à l’état civil, pour les faire correspondre au genre auquel la personne s’identifie. Le législateur a simplifié ces démarches, qui ne requièrent plus la réalisation de chirurgies de réassignation.

Venons-en maintenant à l’épineuse question de l’encadrement.

Le texte déposé prévoyait, en son article 1er, d’interdire l’ensemble des traitements prescrits et interventions chirurgicales pratiquées dans le cadre des parcours de transition des mineurs, l’article 2 assortissant ces interdictions de sanctions pénales.

Il ne va pas de soi que le législateur doit ainsi intervenir dans la pratique médicale. À nos yeux, il ne peut le faire que guidé par d’impérieux motifs éthiques ou de santé publique. Or, dans le cas d’espèce, plusieurs éléments tendent à justifier une telle intervention.

Tout d’abord, plusieurs études récentes remettent en cause la solidité des preuves scientifiques présentées à l’appui des traitements prescrits. Le rapport du docteur Hilary Cass, au Royaume-Uni, souligne ainsi la faible qualité des études existantes sur l’efficacité des bloqueurs et traitements hormonaux, après revue systématique de la littérature. En Suède, le Conseil national de la santé et du bien-être a recommandé, pour les mêmes raisons, de mieux encadrer les prescriptions.

En outre, il faut souligner le caractère irréversible de certains traitements. Si les bloqueurs permettent de ralentir la puberté et sont largement reconnus comme réversibles, les hormones croisées sont susceptibles, elles, d’entraîner des effets définitifs. Il en va ainsi, par exemple, des modifications de la voix ou de la pilosité faciale induites par la testostérone ou des effets à terme sur la fertilité du patient.

Enfin, mes chers collègues, il nous faut nous souvenir que nous parlons de mineurs, fragiles dans la période de l’adolescence.

Selon une pédopsychiatre auditionnée, les demandes de réassignation peuvent être liées à un mal-être adolescent ou à des antécédents complexes. L’Académie de médecine recommande de prolonger autant que possible le suivi psychologique des mineurs et de ne prescrire des traitements qu’avec prudence. Des cas de regrets et de « détransition » sont désormais documentés et particulièrement difficiles lorsque des traitements irréversibles ont été administrés.

C’est pourquoi il nous paraît nécessaire d’encadrer par la loi la prise en charge de ces jeunes, en conciliant deux impératifs : d’une part, permettre de soulager les souffrances des patients, ce qui est une obligation déontologique des médecins, au cœur même de leur utilité sociale ; d’autre part, limiter autant que faire se peut le recours à des thérapies ou interventions irréversibles sur des mineurs encore en développement et susceptibles de les regretter ensuite.

Les amendements adoptés par la commission ont tous visé à ménager cet équilibre.

En particulier, la commission a souhaité permettre la prescription de bloqueurs de puberté aux mineurs dans des services hospitaliers de référence assurant une prise en charge pluridisciplinaire et dans des conditions permettant de s’assurer du consentement éclairé des patients.

Si ces traitements ne sont pas dépourvus d’effets secondaires, ils sont toutefois largement reconnus comme réversibles. Ils visent à réduire les souffrances associées au développement pubertaire et à donner au mineur du temps pour apprécier ses besoins avant d’envisager des traitements plus lourds.

En revanche, la commission a adopté et précisé l’interdiction de prescrire des hormones croisées à des mineurs ou de réaliser sur eux des interventions de réassignation. Ces traitements, difficilement réversibles, voire définitifs, doivent pouvoir être mûrement réfléchis.

Cette interdiction n’aura aucune incidence sur la faculté pour un mineur d’entreprendre une transition administrative. Elle n’empêchera pas davantage la mise en place d’un suivi psychosocial ni l’accompagnement d’un mineur dans son questionnement et, le cas échéant, dans son parcours de transition sociale.

Enfin, parce que nous traitons là d’un sujet délicat, sur lequel les connaissances sont susceptibles d’évoluer, la commission a souhaité prévoir le réexamen de ce texte cinq ans après sa promulgation. Le législateur pourra alors, s’il le souhaite, tenir compte des recommandations actualisées que la Haute Autorité de santé doit produire ces prochaines années.

J’en viens enfin à l’article 3, dont la présence au sein de ce texte a pu surprendre. Il prévoit la mise en place d’une stratégie nationale de soutien à la pédopsychiatrie, dans les six mois suivant la promulgation, révisable au moins tous les cinq ans. Alors que la dysphorie de genre n’est plus considérée comme une maladie mentale – elle n’en est pas une – et qu’il n’est pas question ici de « repsychiatriser » la transidentité, je souhaite m’attarder un instant sur l’intérêt de la présence de cet article au sein du texte.

La dégradation de la santé mentale de nos jeunes est un véritable enjeu de santé publique : les symptômes anxiodépressifs chez les moins de 17 ans ont doublé entre 2017 et 2022 ; ils toucheraient désormais 10 % d’entre eux.

Par ailleurs, l’ensemble des acteurs auditionnés font état d’une offre de soins insuffisante et inégalement répartie sur le territoire. Ce constat est aggravé par la crise d’attractivité que connaît la pédopsychiatrie. Les conclusions des assises de la pédiatrie font état de délais d’attente allant de six à dix-huit mois.

C’est pourquoi la commission a jugé urgent d’agir et souscrit pleinement à l’intention des auteurs de cet article. Elle a adopté un amendement visant à associer à la stratégie prévue deux volets relatifs à la formation des professionnels et, surtout, à la revalorisation de la pédopsychiatrie.

La mise en place d’une telle stratégie ne pourra qu’être utile pour améliorer le bien-être des mineurs en questionnement de genre. Il s’agit d’une population vulnérable dans le champ de la santé mentale : les troubles psychiques y sont fréquents, parfois associés à la stigmatisation dont elle fait l’objet. La dépsychiatrisation de la dysphorie de genre ne doit pas conduire à priver ces jeunes d’un suivi nécessaire, et l’amélioration de l’offre de pédopsychiatrie contribuera à atteindre les objectifs.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce texte nous semble nécessaire pour mieux encadrer, avec tolérance, la prise en charge des mineurs concernés par la dysphorie de genre. Il apportera une première réponse aux difficultés structurelles que connaît la pédopsychiatrie.

C’est pourquoi la commission vous invite à l’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’identité de genre est une question personnelle et intime, qui fait aujourd’hui l’objet de nombreuses controverses et qui exige donc une approche médicale, scientifique et objective.

Ceux de nos jeunes qui sont amenés à se questionner sur leur identité de genre ont besoin d’écoute et d’accompagnement. La question posée dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi est de savoir si ceux qui décideraient de s’engager dans un parcours de transition peuvent également accéder à des traitements médicaux et des interventions chirurgicales.

Le sujet relève avant tout du domaine médical. C’est d’ailleurs pour cela que la Haute Autorité de santé (HAS) travaille actuellement à l’élaboration de recommandations de bonnes pratiques professionnelles sur la prise en charge des personnes transgenres.

À titre personnel, j’estime que, pour cette discussion, nous aurions gagné à attendre l’avis de la Haute Autorité de santé. De ce principe, je tire comme conséquence que légiférer maintenant me paraît prématuré. (Mme Pascale Gruny sexclame.)

Il est prématuré de vouloir apporter une réponse politique avant de disposer de l’avis des autorités de santé compétentes.

M. Xavier Iacovelli. Très bien !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Il est prématuré de vouloir apporter une réponse politique avant de disposer du consensus scientifique et médical sur cette question sensible.

Sur cette question, comme sur tous les sujets médicaux sur lesquels le législateur est appelé à intervenir, ma conviction est que l’avis politique ne doit surtout pas précéder l’avis scientifique.

Pour autant, l’article 1er prévoit l’interdiction pour tout professionnel de santé de prescrire des traitements hormonaux ou encore de procéder à des opérations chirurgicales de réassignation sexuelle.

Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de rétablir certaines vérités quant à la situation que vous mentionnez ici.

Tout d’abord, en réalité, très peu de mineurs transgenres sont concernés par les transitions médicales. Il ne faut pas confondre l’affirmation des questions de genre, qui est une évolution sociétale dont chacun est libre de penser ce qu’il veut, et la situation spécifique des personnes qui se sentent au plus profond d’elles-mêmes appartenir à un autre genre que celui de leur sexe biologique.

C’est pourtant ce que fait le rapport réalisé en amont de la loi. Celui-ci établit en effet un lien entre le questionnement sociétal sur la notion de genre et la situation des personnes transgenres, tendant à accréditer l’idée d’une mode. N’alimentons surtout pas l’idée fausse qu’un phénomène sociétal conduirait des personnes à se sentir du sexe opposé et à solliciter un peu légèrement la possibilité de bénéficier de traitements dont je reconnais bien volontiers qu’ils ne sont pas anodins.

Selon les spécialistes de la santé de l’enfant, si l’on observe bien une tendance à la hausse des questionnements de genre, la fréquence dans la population des personnes qui, structurellement, se sentent ou se vivent comme appartenant à l’autre sexe demeure depuis des décennies au même taux, de 0,1 % à 0,2 % de la population. Ce n’est donc pas une mode. Le phénomène entraîne des souffrances réelles et justifie un accompagnement et une prise en charge spécifiques des personnes concernées.

Par ailleurs, les traitements médicaux ou chirurgicaux des mineurs ne constituent qu’une partie de la prise en charge de la transidentité. Conformément aux recommandations internationales, celle-ci repose à la fois sur une évaluation globale de la situation du jeune, incluant une évaluation psychologique, sur une exploration du genre, puis, en fonction de la demande du mineur, sur la mise en place d’une transition sociale et, enfin, sur l’accompagnement au parcours de transition.

Ce n’est donc qu’en seconde intention qu’est envisagé le traitement par bloqueur de puberté, en fonction d’une évaluation précise de la situation du mineur. Selon la Défenseure des droits, en France, seuls 11 % des jeunes accompagnés dans une transition de genre y ont eu accès, et la réversibilité de tels traitements est parfaitement prouvée.

Je rappelle par ailleurs que, en France, aucune chirurgie pelvienne d’affirmation de genre n’est actuellement pratiquée avant 18 ans, compte tenu de son caractère irréversible et de son impact sur la fertilité.

Enfin, en plus d’être toujours la conclusion d’un parcours de soins approfondi, ces transitions sont toujours subordonnées à l’accord des titulaires de l’autorité parentale et au consentement du patient mineur.

Il ne faut pas non plus sous-estimer tous les effets de bord potentiels de cette proposition de loi. On le sait, toute interdiction emporte des risques de contournement et ses conséquences. En l’occurrence, cela pourrait conduire à ce que ces soins soient réalisés à l’étranger, posant ensuite des questions de suivi ou de reprise chirurgicale en France. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)

Cette proposition de loi interroge, par ailleurs, quant à la liberté de prescription pour les médecins et les patients. Le code de la santé publique n’interdit actuellement la prescription que pour un seul cas : les substances classées comme stupéfiants.

Ces interdictions de prescription ne font toutefois l’objet d’aucune répression ou sanction. Cela paraît justifié, notamment, par le fait que le médecin n’est libre de ses prescriptions « que dans les limites fixées par la loi » et que sa responsabilité civile peut être engagée dans le cas où il transgresserait cet interdit sur la base d’une faute.

C’est pourquoi la création d’un délit autonome au sein du code pénal en cas de violation, par un médecin, d’une interdiction de prescription constituerait un précédent préoccupant. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe SER. – M. Ian Brossat applaudit également.)

Surtout, il est permis de s’interroger sur sa nécessité eu égard à la responsabilité déjà encourue par le professionnel de santé et aux sanctions disciplinaires auxquelles il s’expose lorsqu’il ne respecte pas le code de la santé publique.

Enfin, cette proposition de loi tend à renforcer l’offre de pédopsychiatrie dans notre pays par la mise en place d’une véritable stratégie nationale.

Comme vous, le Gouvernement partage pleinement la volonté d’améliorer la prise en charge de ceux de nos enfants et adolescents qui sont confrontés à des troubles psychiques et de renforcer l’offre de soins, notamment en pédopsychiatrie. Cela est d’autant plus nécessaire que les recours aux soins d’urgence pour troubles de l’humeur, idées et gestes suicidaires augmentent fortement chez les jeunes depuis plusieurs années.

Pour autant, cette proposition de loi n’est pas le bon véhicule pour une telle ambition. En outre, elle prévoit une disposition totalement inopportune : en effet, la classification de l’Organisation mondiale de la santé considère désormais que l’incongruence ou la dysphorie de genre ne relèvent pas des troubles mentaux. L’approche psychiatrique n’est donc pas médicalement pertinente.

Dès lors, il n’est pas approprié d’insérer des dispositions relatives à la pédopsychiatrie dans une proposition de loi portant sur la transition des mineurs.

M. Alain Milon, rapporteur. Quid d’une proposition de loi sur la pédopsychiatrie ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. En revanche, les souffrances psychiques que vivent ces adolescents peuvent être aggravées par l’absence d’accompagnement et de suivi adaptés. L’utilité d’un accompagnement psychologique renforcé pour les mineurs tout au long du parcours de transition semble d’ailleurs faire consensus.

Par ailleurs, le Gouvernement n’a pas attendu cette proposition de loi pour agir et renforcer la pédopsychiatrie dans notre pays.

Des plans nationaux, comme la feuille de route Santé mentale et psychiatrie depuis 2021 et la feuille de route 2024-2030 pédiatrie et santé de l’enfant, dont j’ai dévoilé les principales mesures vendredi dernier, incluent déjà des mesures consacrées à la pédopsychiatrie.

Une nouvelle stratégie nationale pourrait dès lors s’avérer redondante, alors que nous agissons déjà à tous les niveaux pour améliorer la prise en charge de la santé mentale des enfants et adolescents.

Enfin, le Conseil national de la refondation (CNR) santé mentale, qui aura lieu le 12 juin prochain, permettra d’apporter des réponses complémentaires, notamment afin d’améliorer la santé mentale des jeunes, préoccupation constante, j’y insiste, de ce gouvernement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, s’agissant de mineurs, cette prise en charge soulève bien évidemment des interrogations particulières ; nous le reconnaissons.

Ces traitements médicamenteux posent des questions sensibles : parce qu’ils sont délivrés à des mineurs (Mme Jacqueline Eustache-Brinio acquiesce.) ; parce qu’ils peuvent intervenir chez des adolescents en construction ; parce qu’ils portent sur une composante de l’identité ; parce qu’ils répondent à une expérience que les personnes non concernées peuvent difficilement comprendre.

C’est pourquoi il est primordial d’infirmer l’idée que l’accès à ces traitements serait banalisé et se ferait en première intention.

C’est aussi pourquoi nous avons noté avec intérêt les débats et amendements intervenus en commission, qui visent à réserver la prescription aux bloqueurs de puberté à des centres de référence spécialisés.

Pourtant, est-ce à la loi de définir ces pratiques ? Il s’agit avant tout d’une question médicale et scientifique, qui doit précéder le débat législatif. Les recommandations de la Haute Autorité de santé nous permettront de répondre à cette interrogation.

Notre priorité est, et sera toujours, le bien-être et la santé de nos jeunes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Ian Brossat applaudit également.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Question préalable (interruption de la discussion)

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mmes M. Vogel, Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mme Senée, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre (n° 623, 2023-2024).

La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Émilienne Poumirol, Laurence Harribey et Patricia Schillinger, ainsi que M. Bernard Buis, applaudissent également.)

Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tenter de vous convaincre de la nécessité de rejeter, sans aucune ambiguïté, cette proposition de loi, qu’elle soit amendée ou non, dont l’adoption ferait de la France le pays européen le plus restrictif en matière d’accès aux soins des mineurs trans.

À cette fin, je vous parlerai de la vraie vie, de la vie des personnes qui seraient affectées par cette loi si elle était adoptée et de celle des personnes qui les aiment et des professionnels qui les suivent.

Commençons par le commencement. Dans la vraie vie, les personnes trans existent. Elles ne sont ni une idéologie, ni une tendance, ni une mode, ni un syndrome. Elles sont des personnes humaines, aussi légitimes, aussi dignes, aussi normales que les personnes cisgenres. Et comme toutes les personnes humaines, elles sont toutes, à un moment de leur vie, des enfants et des adolescents, qui sont précisément l’objet de notre discussion.

Il y a autant de parcours de transition qu’il y a de personnes trans, mais une chose est claire : la puberté, qui se déroule par définition lorsque l’on est mineur, est, pour de nombreuses personnes trans, un moment très difficile.

C’est le moment où les pensées suicidaires, les mutilations, la détresse psychologique explosent.

Les personnes trans présentent entre huit et dix fois plus de risques de se donner la mort que les personnes cis. Deux tiers des jeunes trans ont déjà pensé au suicide, un tiers a fait une ou deux tentatives de suicide, principalement entre 12 ans et 17 ans.

Les bloqueurs de puberté, qui empêchent la puberté vers le genre non désiré le temps que la personne confirme son désir de transition, sauvent tous les jours des vies en France. Ils permettent aussi, puisque cela vous obsède tellement, d’éviter les chirurgies en aval lorsque la puberté dans le genre non désiré a déjà eu lieu.

Pour cette raison, il existe un consensus scientifique évident sur un calcul coût-bénéfice en faveur des bloqueurs de puberté : ils doivent pouvoir être prescrits au moment nécessaire. Et ce moment, par définition, la loi ne le connaît pas.

Les bloqueurs de puberté sont non pas un traitement de fond, mais un traitement temporaire.

M. Stéphane Ravier. C’est faux !

Mme Mélanie Vogel. Après les bloqueurs viennent les traitements hormonaux. On ne laisse pas, monsieur Milon, des gamins sous bloqueurs de puberté entre 10 ans et 18 ans.

Dans la vraie vie, il n’y a pas de plus en plus de personnes trans, comme il n’y a pas eu, en France, de plus en plus de gauchers quand on a cessé de contrarier les enfants qui écrivaient de la main gauche,…

M. Stéphane Ravier. Mais de plus en plus de gauchistes !

Mme Mélanie Vogel. … comme il n’y a pas eu de plus en plus de couples gays et lesbiens depuis l’instauration du mariage pour tous.

Ce ne sont pas les personnes trans qui apparaissent soudain ; c’est vous qui les voyez enfin !

Le nombre croissant de transitions est le simple signe que les personnes trans se cachent un peu moins en France. Et cela vous est insupportable ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Stéphane Ravier sexclame.) Pourtant, nous devrions être fiers que davantage de jeunes et d’adultes, encore trop peu nombreux, osent affirmer aujourd’hui qui ils sont dans ce pays.

Dans la vraie vie, le nombre de personnes qui reviennent sur leur transition est ultramarginal : il est bien inférieur, par exemple, au nombre de personnes, notamment mineures, qui regrettent d’avoir eu des enfants – ce qui est vraiment irréversible !

Par ailleurs, l’écrasante majorité d’entre elles évoquent la transphobie dont elles font l’objet comme raison de ce revirement. Quant aux autres, ces quelques personnes qui souhaitent librement revenir sur leur choix, que cela peut-il bien vous faire ?

Dans la vraie vie, enfin, il n’y a pas, en France, de chirurgie génitale sur des mineurs.

M. Alain Milon, rapporteur. Mais rien ne l’interdit !

Mme Mélanie Vogel. Cela n’existe pas, sauf pour les enfants intersexes, et sans leur consentement.

Si vous cherchiez vraiment à protéger les enfants, vous seriez en train de prôner des séances d’éducation à la parentalité pour expliquer la transidentité ou encore de voter des crédits pour former des enseignants et les personnels de santé.

En réalité, votre problème n’est pas le bien-être des enfants, non plus que les bloqueurs de puberté, les traitements hormonaux ou les chirurgies : vous n’avez pas de problème avec les bloqueurs de puberté qui sont prescrits à des enfants cis qu’on a jugés trop petits ; vous n’avez pas de problème avec les traitements hormonaux quand ils sont prescrits à des mineurs cis qui ont trop de poils, ou pas assez ; vous n’avez pas de problème avec les chirurgies de réassignation génitale lorsque des enfants intersexes sont mutilés pour correspondre à une norme imposée ; vous n’avez pas de problème avec les chirurgies d’affirmation de genre quand elles se font sur des personnes cis qui souhaitent avoir des seins plus gros, un ventre plus plat ou des jambes plus longues.

Mme Mélanie Vogel. Tant que la médecine permet de faire entrer les individus dans une norme qui vous convient, vous trouvez cela très bien ; mais qu’elle permette à des personnes non cisgenres, non hétérosexuelles, non binaires, de vivre libres, cela, vous ne pouvez le supporter ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Cela nous amène à votre véritable problème : les personnes trans existent et vous ne pouvez rien faire pour l’empêcher. Aucune loi ne pourra le faire.

M. Bruno Retailleau. Évidemment !

Mme Mélanie Vogel. De la même manière qu’aucune loi n’a jamais empêché les homosexuels d’être en couple ou d’avoir des enfants ni les femmes d’interrompre leur grossesse, aucune loi ne peut empêcher les trans d’exister et de transitionner, qu’ils soient majeurs ou mineurs. (Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

La loi ne peut que modifier les conditions dans lesquelles elles le feront : soit dans la misère et la peur, soit dans la liberté et la sécurité.

C’est là, madame Eustache-Brinio, la différence fondamentale entre vous et moi, la plus grande sans doute de toutes nos différences, au-delà même de nos positions politiques, de nos valeurs et de nos idées (Mme Jacqueline Eustache-Brinio et M. Roger Karoutchi sexclament.) : je ne déposerai jamais une proposition de loi visant à porter atteinte à vos droits fondamentaux ni à ceux de quiconque.

Nous, les féministes, les humanistes, les personnes LGBT (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), nous n’avons jamais marché contre vos droits et nous ne le ferons jamais.

Jamais non plus nous ne remettrons en question votre droit de vous marier avec qui vous voulez, d’avoir des enfants avec un homme, d’être reconnue comme fille puis comme femme. Jamais !

J’irai même plus loin : si un jour arrivait au pouvoir une personne dont le projet serait de vous interdire de vous marier avec un homme, d’avoir des enfants avec lui, d’être respectée en tant que personne, d’être appelée par votre prénom et d’être genrée au féminin, alors, madame Eustache-Brinio, je peux vous dire que, ce jour-là, nous serions tous dans la rue pour vous aider à recouvrer vos droits.

La communauté LGBT n’a jamais mis en danger les droits de qui que ce soit dans le monde. Elle se contente inlassablement de demander une chose simple : l’égalité, y compris pour les enfants.

J’ai dans ma famille une petite fille trans, que j’aime infiniment. Sa première et sa plus fidèle alliée, c’est sa sœur. Pour comprendre, agir avec bienveillance et respect dans l’intérêt de l’enfant concerné, il ne faut pas plus que la maturité émotionnelle et l’intelligence relationnelle d’une petite fille de 8 ans et demi, à qui l’on n’a pas appris à haïr, ni elle-même ni les autres, et qui n’a rien d’autre en poche pour sa petite sœur que son amour, ni plus ni moins.

Les alliés des mineurs trans sont non pas, comme vous les appelez, des transactivistes, le lobby woke ou des militants radicalisés, mais d’abord et avant tout les gens qui les aiment.

Faisant moi-même partie de ces gens-là, j’aimerais vous faire une confidence : je ne suis pas angoissée par l’éventuelle transition de cet enfant, par son besoin ou non de se voir un jour, peut-être, prescrire des traitements hormonaux, par le fait qu’elle nous ait demandé de ne plus jamais dire qu’elle était un garçon, parce que, selon ses mots, « c’est dégoûtant ».

Je ne suis pas du tout angoissée par sa transidentité ni par l’identité de quiconque.

Je n’ai pas peur de qui elle est : elle n’est pas malade ; elle n’a pas de problème ; elle est très bien comme elle est.

Ce qui m’angoisse, ce qui angoisse tous les parents de mineurs trans, qui acceptent et respectent leurs enfants comme ils sont, ce qui angoisse toutes les personnes qui aiment ces enfants et qui veulent sincèrement les protéger et leur offrir un avenir digne, c’est non pas leur transidentité, mais de savoir que nous ne pourrons pas les protéger totalement des gens comme vous. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe SER.)

Cela m’avait tordu le ventre, un jour, d’expliquer à mon neveu que des gens avaient manifesté pour empêcher sa tata de se marier avec son amoureuse et d’avoir des enfants.

Récemment, j’ai dû expliquer à ma nièce, qui avait surpris une discussion entre sa mère et moi, ce que j’allais faire aujourd’hui. Le regard qu’elle m’a lancé quand elle a compris que des gens importants, des gens qui font la loi, voulaient rendre la vie de sa petite sœur plus difficile est une douleur qui ne me quitte pas.

J’aimerais, chers collègues, que vous preniez quelques instants pour penser à ces jeunes qui entendent nos débats. Quelle vie peuvent-ils imaginer en se projetant dans un monde où les adultes discutent de les empêcher d’être qui ils sont ? Qu’auriez-vous ressenti si, enfant, vous aviez entendu que l’on voulait vous forcer à vivre jusqu’à 18 ans dans un genre qui n’est pas le vôtre ?

Ces débats ne sont pas inoffensifs ; ils nourrissent la souffrance, la haine et la violence.

Je terminerai en m’adressant à toutes les personnes trans de ce pays, aux anciens enfants et aux futurs adultes.

Si vous avez peur, sachez que vous n’êtes pas seuls. Nous sommes nombreux ici à vous soutenir inconditionnellement, à considérer les droits et les libertés de ce pays comme incomplets sans les vôtres, à considérer qu’il est de notre devoir de démocrates et d’humanistes de conquérir pour vous de nouveaux droits.

Vous n’êtes pas un problème, la transphobie est le problème. Soyez fiers de qui vous êtes, soyez vous-mêmes. Ensemble, nous atteindrons l’égalité. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et RDPI. – Mmes Olivia Richard et Silvana Silvani applaudissent également.)

Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Les auteurs de cette motion contestent sur le fond l’encadrement de la prise en charge de la dysphorie de genre chez les mineurs, au motif que celui-ci serait contraire à leur droit à l’autodétermination et empêcherait la prescription de traitements dont l’efficacité est établie.

Sur le premier point, je rappelle que le texte que nous examinons consacre désormais l’existence de centres de référence spécialisés, qui permettront d’améliorer la prise en charge et du mineur et des parents.

L’encadrement proposé n’aura aucune incidence sur la faculté des mineurs à entreprendre une transition administrative et n’empêchera pas leur accompagnement dans la transition sociale. Il vise seulement à différer la prescription de médicaments et la réalisation d’interventions irréversibles.

Le texte prévoit une prise en charge du mineur et de sa famille par des équipes spécialisées, composées notamment de pédopsychiatres, d’endocrinologues pédiatres, d’assistantes sociales et de psychologues, afin d’émettre un diagnostic.

Les équipes que j’ai rencontrées, qui font déjà ce travail sans être répertoriées ni reconnues comme telles, m’ont dit qu’il leur fallait, au rythme d’une consultation toutes les six semaines, au moins deux ans à deux ans et demi avant d’acquérir la certitude du diagnostic précis.

Sur le deuxième point, les bloqueurs de puberté et les traitements hormonaux sont certes prescrits de longue date, mais dans d’autres indications.

Toutefois, dans le cas de la dysphorie de genre, plusieurs revues internationales ont récemment pointé le manque d’études de qualité. La commission a donc adopté une clause de revoyure permettant de réexaminer ces dispositions dans cinq ans au regard de l’avancée de la recherche.

Pour ces raisons, la commission estime nécessaire que le Sénat mène les débats à leur terme sur ce texte très important, comme en témoignent nos premiers échanges, et émet un avis défavorable sur cette motion.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Sagesse.

Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.

M. Yan Chantrel. Étant donné que les personnes directement concernées sont invisibilisées et qu’elles ne pourront pas s’exprimer au cours de ce débat, je voudrais partager avec vous le témoignage de Maël, qui a commencé sa transition étant mineur.

« J’ai personnellement eu la chance d’être très bien entouré, mais le parcours n’en reste pas moins semé d’embûches et de vexations.

« L’obstacle principal consiste, encore plus quand on vit en province, à trouver des professionnels compétents et à obtenir un rendez-vous. Cela peut prendre de trois mois à plus d’un an, ce qui crée et renforce un sentiment d’isolement.

« Je trouve la proposition de loi et la haine en retour que nous subissons profondément violentes et scandaleuses. Je trouve cela déplacé et je le ressens comme une atteinte à ma liberté et à mon intégrité.

« Je trouvais que les choses avaient évolué, car ma prise de conscience s’est faite grâce à l’ouverture de la société – qui semblait s’y adapter – sur cette question.

« Maintenant, je constate une énorme régression.

« Si la loi était votée, je me sentirais blessé et stigmatisé, alors que la seule chose que je demande, c’est de vivre sans perdre chaque jour le courage de continuer d’avancer.

« Si j’avais été mineur et que la loi avait été votée, cela m’aurait humilié et je me serais peut-être même retrouvé dans l’illégalité, en faisant en sorte de continuer ma transition pour ne pas avoir à souffrir encore de nombreuses années. »

Ce témoignage est celui de mon neveu, Maël. (M. Stéphane Ravier sexclame.)

Mes chers collègues, j’ai pu voir concrètement les conséquences dévastatrices de votre entreprise idéologique sur les personnes concernées. Notre rôle de législateur est non pas de leur rendre la vie impossible, mais de respecter leur choix et de les accompagner dans le respect de leurs droits.

C’est pourquoi nous voterons cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat, pour explication de vote.

M. Ian Brossat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ce débat, nous parlons de jeunes, de mineurs, d’enfants qui s’interrogent leur identité de genre et qui ont besoin de bienveillance, de soutien et d’accompagnement. Or cette proposition de loi vise à interdire et à sanctionner ; c’est bien la raison pour laquelle elle est aux antipodes de ses prétendus objectifs.

Ce texte, s’il était adopté, ne protégerait pas les enfants ; il les exposerait davantage, il les fragiliserait à l’âge de l’adolescence, qui est toujours un âge compliqué. Nous y sommes donc tout à fait opposés.

S’il est un drame, ce n’est pas que des jeunes se posent des questions sur leur identité de genre. Le drame, ce sont les violences, les insultes et la transphobie que ces questionnements engendrent. C’est bien contre cela que nous devrions, les uns et les autres, nous mobiliser. C’est ainsi que nous éviterons des drames malheureusement trop fréquents.

Pour ces raisons, nous voterons cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Grosvalet, pour explication de vote.

M. Philippe Grosvalet. Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE), une fois n’est pas coutume, votera à l’unanimité contre cette proposition de loi.

Toutefois, par principe, le RDSE n’a jamais refusé le débat. Nos échanges montrent d’ailleurs que nous discutons d’une question idéologique, de fond, qui sans cesse ressurgit.

Les auteurs de cette proposition de loi sont ceux-là mêmes qui, à l’époque, étaient contre l’avortement, contre le mariage pour tous, contre l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements et marques dapprobation sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST, RDPI et RDSE.)

M. Hussein Bourgi. C’est la vérité !

M. Philippe Grosvalet. Le débat est idéologique : assumez-le ! Assumez vos positions et ne vous cachez pas derrière des faux-semblants ! (Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Par principe, nous ne voterons pas cette motion ; mais nous voterons à l’unanimité contre cette proposition de loi inique.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 201 :

Nombre de votants 328
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l’adoption 118
Contre 206

Le Sénat n’a pas adopté.

Question préalable (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Discussion générale

7

Modification de l’ordre du jour

Mme la présidente. Mes chers collègues, M. Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste, et M. Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, ont demandé l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi n° 551 (2023-2024), pour laquelle le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, visant à permettre l’élection du maire d’une commune nouvelle en cas de conseil municipal incomplet et son examen selon la procédure de législation en commission.

Nous pourrions inscrire les explications de vote et le vote sur ce texte le jeudi 13 juin, à l’issue de l’espace réservé au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

La commission des lois pourrait se réunir le mercredi 5 juin au matin pour l’examen du texte et du rapport.

Le délai limite pour le dépôt des amendements de séance serait fixé au lundi 10 juin à douze heures et le délai limite pour l’inscription des orateurs des groupes au mercredi 12 juin à quinze heures.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Mathieu Darnaud.)

PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

8

Mises au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Lors du scrutin n° 201 sur la motion n° 1 tendant à opposer la question préalable sur la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre, MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Martin Lévrier souhaitaient voter contre.

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa.

Mme Brigitte Devésa. Lors du même scrutin n° 201, M. Vincent Capo-Canellas ainsi que Mmes Élisabeth Doineau, Catherine Morin-Desailly, Dominique Vérien et Sylvie Vermeillet ont été considérés comme votant contre, alors qu’ils ne souhaitaient pas prendre part au vote, et M. Bernard Pillefer et Mme Nadia Sollogoub ont été considérés comme votant contre, alors qu’ils souhaitaient s’abstenir.

M. le président. Acte vous est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles figureront dans l’analyse politique du scrutin.

9

Question préalable (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Motion préjudicielle

Prise en charge des mineurs en questionnement de genre

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre.

Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus à l’examen de la motion préjudicielle.

Motion préjudicielle

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Discussion générale

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et Mélanie Vogel, d’une motion préjudicielle n° 42.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 4, du Règlement, le Sénat décide de suspendre le débat sur la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre (n° 623, 2023-2024) jusqu’à ce que la Haute Autorité de santé ait rendu ses recommandations concernant la prise en charge des mineurs transgenres.

La parole est à Mme Anne Souyris, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Émilienne Poumirol et Patricia Schillinger applaudissent également.)

Mme Anne Souyris. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons que se trouvent dans l’hémicycle, ce soir, des militantes et des militants favorables ou défavorables au texte qui nous réunit.

À ceux-là, j’ai peu à dire. Chacune et chacun connaît la position des unes et des autres. D’ailleurs, je ne ferai pas mine de n’appartenir à aucun des camps qui se font jour : je suis, comme les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, clairement opposée aux mesures figurant dans cette proposition de loi.

Je souhaite plutôt m’adresser à celles et ceux qui, au fond, ne savent pas ; à celles et ceux qui se demandent vraiment si les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre sont un risque pour le ou la mineure auxquelles elles sont prodiguées ; à celles et ceux qui ont probablement une opinion, mais qui s’autorisent à se poser des questions.

J’ai d’ailleurs fait partie de ce dernier groupe, avec d’autres collègues, bien peu nombreux, qui ont assisté aux auditions du rapporteur. Nous nous interrogions : faut-il encadrer les pratiques médicales à destination des mineurs trans ? Celles-ci sont-elles dangereuses ?

Comme ont pu le faire sans doute d’autres collègues pour tenter de répondre à cette question, j’ai interrogé des proches, des amis, dont les enfants ont bénéficié de ces pratiques médicales.

Je ne vous répéterai pas ce qu’ils m’ont dit : vous avez toutes et tous, mes chers collègues, reçu des centaines d’interpellations citoyennes, qui résument bien mieux que moi ce que vivent les personnes trans ou leurs parents, en quoi consiste le parcours médical d’un ou d’une mineure trans et les difficultés qu’ils rencontrent pour simplement être écoutés et accompagnés.

Depuis que cette proposition de loi a été inscrite à l’ordre du jour du Sénat, j’ai reçu, comme vous, des centaines de messages. Les témoignages se multiplient et se ressemblent : sans ces pratiques médicales, ces jeunes – osons le mot – seraient morts. Notre vote ce soir aura une importance particulière pour eux.

Malgré ces centaines d’interpellations, la question subsiste : que nous disent les expertes et les experts de ces pratiques médicales ? Commençons par rappeler de quoi il s’agit.

Les bloqueurs de puberté visent à inhiber temporairement la production naturelle d’hormones sexuelles pour retarder le début de la puberté. Ils permettent de donner davantage de temps aux jeunes en questionnement de genre pour explorer leur identité de genre et prendre des décisions éclairées concernant la suite de leur parcours de transition. Ces bloqueurs sont prescrits sur avis médical, avec l’accord des parents, pour une durée limitée, et sous surveillance.

Les traitements hormonaux sont utilisés pour favoriser le développement du corps de manière qu’il soit en cohérence avec l’identité de genre de la personne. Ils agissent notamment sur l’aspect de la poitrine, de la voix ou de la pilosité. Aujourd’hui, ces traitements ne sont autorisés qu’à partir de l’âge de 16 ans, si l’autorité parentale y consent.

Les opérations chirurgicales de réassignation de sexe concernent les organes génitaux. Celles-ci sont interdites avant l’âge de 18 ans.

Les opérations chirurgicales de réassignation de genre, quant à elles, visent à affirmer le genre des personnes : il s’agit surtout de torsoplasties, qui sont interdites avant l’âge de 16 ans. Elles sont réalisées en moyenne à 18,4 ans, selon l’étude réalisée sur les 239 jeunes pris en charge à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière depuis 2012. Elles ne concernent qu’un jeune homme trans sur cinq parmi ceux qui étaient suivis, soit une extrême minorité.

Pour savoir plus précisément de quoi il était question, j’ai donc assisté aux auditions du rapporteur. Permettez-moi de vous dire, chers collègues, que je me suis trouvée bien seule avec M. Milon et Mme Silvani lors de la vingtaine d’auditions organisées…

M. Alain Milon, rapporteur. C’est vrai !

Mme Anne Souyris. Nous étions par contre très nombreux lors de l’audition de l’Observatoire de la petite sirène, dirigé par Mmes Céline Masson et Caroline Eliacheff, qui ont participé à la rédaction de la proposition de loi. Mais nous étions très seuls lors des auditions de la Haute Autorité de santé, de l’Académie nationale de médecine, du Conseil de l’Ordre des médecins…

Les expertes et les experts que nous avons auditionnés sont unanimes : le cadre légal, que j’ai rappelé, existe et est respecté ; les pratiques médicales que j’ai évoquées ne touchent que très peu de jeunes – environ 300 en France. Surtout, elles et ils n’ont à aucun moment affirmé que nous devrions faire évoluer la législation.

Quant à la volonté de retour en arrière, elle n’est exprimée que dans 2 % des cas. Et celles et ceux qui sont concernés, quand iels expriment un désir de retransition, le font, de leur aveu même, dans la quasi-totalité des situations, pour cause de discrimination sociale.

Comme d’autres, je fus surprise par ces affirmations, alors que l’autrice de cette proposition de loi a publié, voilà quelques semaines, un « rapport » de 300 pages justifiant le dépôt de ce texte. J’ai mieux compris lorsque, lors de leurs auditions, ces expertes et ces experts ont affirmé que leurs propos avaient été tronqués. Je ne m’étendrai pas beaucoup plus sur ce rapport, la presse ayant déjà eu l’occasion de souligner qu’il s’agissait d’une supercherie.

Faut-il encadrer davantage ces pratiques médicales – qui le sont déjà –, qui permettent à environ 300 jeunes de survivre ? Comment le justifier ?

Le rapporteur a répondu très élégamment à cette question devant la commission des affaires sociales, en ces termes : « Il ne va pas de soi que le législateur doive intervenir ainsi dans la pratique médicale : […] il ne peut le faire que guidé par d’impérieux motifs éthiques ou de santé publique. »

Je rejoins M. Milon : non, il ne va pas de soi que le législateur intervienne dans la pratique médicale ; et oui, cette intervention ne peut être motivée que par d’impérieux motifs éthiques ou de santé publique. Sommes-nous en présence de tels motifs ?

Si ceux-ci sont éthiques, la question est de savoir comment nous jugeons les pratiques médicales liées à la transidentité.

Tenter de répondre à cette question n’apporterait rien de bon à notre assemblée. D’autres, en leur temps, ont tenté de juger les minorités sexuelles – homosexuelles, lesbiennes, aujourd’hui trans. Souvenons-nous-en : nous serons d’accord pour dire qu’ils n’étaient pas du bon côté de l’histoire.

Si ces motifs relèvent de la santé publique, la question est de savoir si nous disposons de preuves solides montrant qu’il est nécessaire de renforcer l’encadrement de ces pratiques.

Nous sommes nombreuses et nombreux à penser ici que nous ne pouvons exercer correctement notre rôle de législateur qu’en étant éclairés des dernières connaissances scientifiques, de données exactes et vérifiées, en particulier lorsque ce que nous votons a trait à la liberté de disposer de son corps.

La réalité, c’est qu’aucune agence sanitaire nationale n’a publié d’avis ou de recommandations en ce qui concerne la prise en charge médicale des personnes mineures en questionnement de genre.

Aucune n’en a publié à ce jour, car la Haute Autorité de santé travaille actuellement sur cette question, comme le ministre l’a rappelé. Lors de son audition, la Haute Autorité nous a informés qu’elle publierait ses recommandations en 2025. Certains mettent en cause son travail : je ne suis pas de ceux-là et je n’imagine pas qu’une majorité joue ici le jeu du populisme en faisant accroire que nos institutions scientifiques seraient manipulées par les uns ou par les autres.

Dès lors, devrions-nous examiner une proposition de loi sur un enjeu – disons-le – de bioéthique sans qu’aucune autorité sanitaire nationale ait publié de recommandation nous invitant à légiférer, alors que la Haute Autorité de santé publiera dans un an des préconisations sur le sujet et alors, enfin, que restreindre un peu plus l’accès aux traitements constituerait de facto un préjudice pour celles et ceux qui commençaient à aller mieux grâce à ces mêmes traitements ?

Légiférer aujourd’hui, c’est d’abord méconnaître la démarche démocratique que – j’en suis sûre – nous partageons, fondée sur la connaissance scientifique. Je ne suis pas de ceux qui disent que nous n’avons que faire de la science.

Si nous légiférons aujourd’hui, nous devrons de nouveau le faire dans un an, à l’aune des recommandations de la Haute Autorité de santé. Faut-il nous entêter, alors que, de toutes les travées, nous appelons à mieux et à moins légiférer ?

Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires présente cette motion préjudicielle. L’idée est simple : tant que la Haute Autorité de santé n’aura pas rendu ses recommandations, nous refusons toute discussion sur une proposition de loi relative à cette question.

Il s’agit de dire si, oui ou non, nous devons légiférer à partir d’un avis sanitaire reconnu, sur la base des dernières connaissances scientifiques.

J’invite toutes celles et tous ceux qui se reconnaissent dans cette démarche à voter en faveur de cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Les auteurs de cette motion souhaitent reporter l’examen de la proposition de loi à la publication des recommandations de la Haute Autorité de santé concernant les mineurs, au motif que légiférer dès maintenant serait contraire à une démarche démocratique fondée sur la connaissance scientifique.

D’abord, il faut observer que lesdits auteurs ne précisent pas à quelles recommandations ils font référence. La Haute Autorité de santé doit publier à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine ses recommandations visant les personnes âgées de 16 ans et plus. Celles-ci concerneront donc bien une partie des mineurs : ceux qui ont entre 16 ans et 18 ans.

La Haute Autorité publiera dans un second temps, mais pas avant la fin de l’année 2025, des recommandations visant les mineurs de moins de 16 ans.

Il faut également préciser que ces recommandations ne tendent pas à faire évoluer les connaissances scientifiques, comme l’écrivent les auteurs de la motion dans son objet. Elles sont établies par un groupe de travail puis adoptées par le collège de la Haute Autorité. Elles se fondent sur « la mobilisation des connaissances disponibles à travers la recherche systématique et l’analyse critique de la littérature » existante. J’insiste sur ce point.

Enfin, j’ai auditionné la Haute Autorité de santé. Nous n’étions d’ailleurs que deux sénateurs présents, comme vient de le souligner ma collègue… Les représentants de la HAS ont précisé que celle-ci respecterait bien évidemment la loi lorsqu’elle établirait ses recommandations. Que le Gouvernement ait saisi la HAS pour qu’elle mette à jour ces recommandations ne dessaisit donc pas le Parlement.

Il ne revient pas davantage à la haute Autorité de santé de fixer l’ordre du jour du Sénat.

J’ai déjà indiqué les raisons pour lesquelles il me semblait nécessaire que nous débattions de ce sujet et que nous encadrions la prise en charge des mineurs.

Des revues internationales font état de la qualité insuffisante des études existantes. Les effets des traitements que nous proposons de différer sont lourds et irréversibles.

La commission a émis un avis défavorable sur cette motion.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Sagesse.

M. le président. Je mets aux voix la motion préjudicielle n° 42.

Je rappelle que l’adoption de cette motion aurait pour effet de renvoyer le débat.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 202 :

Nombre de votants 320
Nombre de suffrages exprimés 300
Pour l’adoption 115
Contre 185

Le Sénat n’a pas adopté.

Discussion générale (suite)

Motion préjudicielle
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Article 1er

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Xavier Iacovelli. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, loin d’apporter des solutions pour les mineurs en situation de dysphorie de genre, comporte des éléments préoccupants, qui nous conduisent à nous interroger.

Lors de l’examen en commission des affaires sociales, notre rapporteur, dont le travail est à souligner, a tenté de poser des garde-fous et d’objectiver un débat qui partait sur de mauvaises bases.

Rappelons que l’article 1er de la proposition de loi tendait à interdire, sans aucun fondement scientifique, la prescription de bloqueurs de puberté et de traitements hormonaux aux mineurs présentant une dysphorie de genre.

Ces traitements sont utilisés depuis plus de quarante ans pour traiter la puberté précoce, sans que la communauté médicale remette en question cette pratique.

Au-delà de ce cas thérapeutique, ils permettent aussi aux mineurs en détresse, en raison de l’inadéquation entre le genre ressenti et le sexe de naissance, de faire une pause afin de mûrir leur réflexion sur leur identité de genre.

Or cette interdiction générale, qui a été assouplie en commission grâce au travail du rapporteur, ne semble pas prendre en compte les avis médicaux et scientifiques sur le sujet.

À cet égard, il est important de rappeler quelques chiffres.

En 2020, la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) a recensé 8 952 personnes souffrant d’une affection de longue durée pour transidentité, dont 3,3 % seulement étaient mineures. Parmi ces dernières, une petite dizaine d’enfants à peine est concernée par cette proposition de loi visant à interdire la prise d’hormones.

Actuellement, ces jeunes peuvent, sous un encadrement déjà strict, recourir à des bloqueurs de puberté et à des traitements hormonaux. Ces procédés sont réversibles, contrairement aux opérations chirurgicales de changement de genre, qui sont interdites aux moins de 18 ans, comme le ministre l’a rappelé.

En privant ces jeunes d’un suivi nécessaire, nous risquons de voir se développer un marché parallèle, hors de tout contrôle, et de les mettre en danger. Le risque est aussi d’augmenter leur détresse psychologique, qui peut les pousser jusqu’au suicide.

L’autorisation, conformément à la volonté du rapporteur, des bloqueurs de puberté après une période d’accompagnement de deux ans ne semble pas changer grand-chose dans les faits. Pis, cette nouvelle rédaction déguise la mesure voulue par les auteurs de cette proposition de loi, tout en aboutissant aux mêmes résultats.

Le plus souvent, ces traitements sont prescrits à l’âge où la puberté est la plus forte, c’est-à-dire à 15 ans ou à 16 ans.

Conditionner cette autorisation thérapeutique à une période probatoire de deux ans revient quasiment à interdire l’utilisation de ces traitements avant la majorité, donc à revenir à la version initiale du texte.

Les auteurs de cette proposition de loi avancent qu’il existerait une forme d’« idéologie trans ». Ils dénoncent « les transactivistes et leur idéologie qu’on a laissée entrer dans toutes les strates de la société et en particulier à l’école ». Une « mode trans » s’emparerait des jeunes de notre pays. Voilà qui revient à nier la réalité des difficultés qu’ils traversent.

Ces traitements sont une nécessité pour ces jeunes, qui se sont engagés dans un processus long et complexe de réflexion et d’accompagnement pluridisciplinaire, impliquant des médecins, des psychologues et surtout les familles. Les présenter comme « une mode » ou « une décision hâtive » est non seulement discriminant, mais également stigmatisant pour ces jeunes, qui sont en grande détresse morale.

Alors que nous attendons l’avis de la Haute Autorité de santé, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, pour établir des recommandations claires et transparentes, vous préférez adopter une proposition de loi idéologique, qui interdit sans aucun fondement scientifique. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio proteste.)

Pis encore, vous souhaitez sanctionner pénalement, en prévoyant des peines pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement, les médecins qui ne font qu’exercer leur métier en accompagnant ces jeunes. Ce message de répression contraste fortement avec l’esprit d’accompagnement et de compréhension qui devrait prévaloir dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre.

Et que dire de l’article 3, certainement le plus scandaleux de ce texte ? Vous souhaitez créer une stratégie nationale de soutien à la pédopsychiatrie, afin de prendre en charge les mineurs en situation de souffrance. Vous liez ainsi, dans le même texte, psychiatrie et dysphorie de genre !

Qu’on se le dise, le soutien psychologique est primordial ; mais il est totalement inapproprié, comme le ministre l’a souligné, d’évoquer la santé mentale des jeunes dans un texte relatif à la dysphorie de genre. Pourquoi aborder la question de la psychiatrie dans cette proposition de loi, alors que la transition de genre n’est considérée comme une maladie mentale ni par la France ni par l’OMS ?

La transition de genre n’est pas une maladie et ne doit pas être traitée comme telle. Si un accompagnement psychologique peut être nécessaire, il revient au corps médical de le décider et certainement pas au législateur.

Ôtez-nous d’un doute, mes chers collègues : existe-t-il un lien entre les sénateurs qui ont cosigné cette proposition de loi et ceux qui ont voté contre la suppression des thérapies de conversion ? Ce sont les mêmes ! (M. Thomas Dossus et Mme Mélanie Vogel renchérissent.)

M. Philippe Bonnecarrère. Pas d’attaques ad hominem !

M. Xavier Iacovelli. Notre rapporteur s’est efforcé d’éclaircir certains points. Permettez-moi toutefois de dire que je ne vois dans ce travail qu’une simple modification de titre, qui masque en réalité une tentative de rétablir les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle des mineurs en France.

Arrêtez de stigmatiser ceux qui n’entrent pas dans le champ de vos critères de moralité !

Les organisations internationales de santé, telles que l’Organisation mondiale de la santé, ont mis en garde contre l’interdiction généralisée des traitements et recommandent d’adopter une approche individualisée, assortie d’un accompagnement pour les jeunes en questionnement de genre.

Je tiens à saluer avec force la position de la ministre Aurore Bergé, qui s’est prononcée contre ce texte discriminant. (Marques dironie sur les travées du groupe Les Républicains.)

Suivons ces recommandations et veillons à ce que nos lois ne reflètent que les meilleures pratiques médicales et éthiques dans notre pays. Je vous rappelle, mes chers collègues, que c’est cette responsabilité qui nous incombe.

L’adoption de cette proposition de loi constituerait une première dans notre République : cela signifierait que le législateur peut déterminer ou interdire des prescriptions médicales.

Non, il n’appartient pas au législateur de déterminer les prescriptions médicales !

Non, les sénateurs n’ont pas à anticiper des décisions de la Haute Autorité de santé !

Non, nous ne soutiendrons pas une démarche qui n’est qu’un prétexte pour donner crédit aux positions les plus radicales, les plus injustes et les plus réactionnaires de notre assemblée.

Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants votera contre ce texte, même dans sa version amendée en commission sur l’initiative du rapporteur. Au-delà de l’aspect idéologique, cette proposition de loi n’est fondée sur aucune donnée médicale avérée. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne suis pas sûre d’avoir autant de certitudes que les orateurs que j’entends depuis deux heures…

En revanche, j’observe la société dans laquelle je vis. Je constate que les jeunes sont de plus en plus nombreux à se déclarer non binaires, à contester l’assignation de genre qui est liée à leur sexe de naissance. Je dis certes « de plus en plus », mais je tiens à préciser que les ordres de grandeur restent très modestes : nous ne sommes pas face à une vague de jeunes qui transitionnent.

Je constate aussi l’empathie, la bienveillance, la solidarité des autres jeunes à l’égard de ceux qui souffrent d’incongruence de genre.

M. Philippe Tabarot. Nous sommes les méchants…

Mme Laurence Rossignol. S’agit-il d’un phénomène idéologique, de propagande ? Je ne le crois pas.

En revanche, il est incontestable qu’il existe un phénomène générationnel non pas dans la volonté de réaliser une transition de genre, mais dans le rapport que chaque jeune entretient avec ceux qui s’interrogent à cet égard.

La jeunesse n’est globalement pas en bonne santé mentale dans notre pays – mais ce n’est pas mieux ailleurs – ni à l’aise avec le monde tel qu’il est aujourd’hui. Est-il dès lors pertinent d’examiner des mesures d’interdiction dans un domaine qui les touche et les émeut ? N’avons-nous vraiment rien trouvé de mieux ? Nous nous tromperions et commettrions une faute majeure à l’égard de la jeunesse.

Certains orateurs ont déjà évoqué à cette tribune l’absence de données scientifiques. Il faut reconnaître que celles-ci, quand elles existent, ne font jamais l’objet d’un consensus et sont toujours soupçonnées d’être manipulées au profit des uns ou des autres.

J’ai donc décidé de faire un petit pas de côté vis-à-vis des données scientifiques pour aller consulter ce fameux rapport du groupe Les Républicains. En dépit de l’ambiguïté qui a prévalu lors de sa parution, il ne s’agit pas d’un rapport sénatorial. Ce document n’engage donc que ledit groupe… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est bien que le pays le sache et que vous l’assumiez, mes chers collègues. Il est bon aussi que tout le monde sache que nous ne sommes pas partie prenante dans cette affaire.

Ce rapport part d’un fait, l’augmentation du nombre de demandes de transition, mais sans vraiment s’intéresser au fond.

L’augmentation manifeste des jeunes filles voulant transitionner devrait pourtant nous conduire à nous interroger. On peut comprendre que des jeunes filles, qui ont vu leur mère se battre pour l’égalité des droits contre les violences sexistes et sexuelles, (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) qui observent que la condition des femmes n’est vraiment pas une condition enviable et que la puberté les expose à ces violences, se demandent si le genre féminin est vraiment le meilleur pour vivre heureux, épanoui et dans l’égalité. (Mêmes mouvements.)

Mme Pascale Gruny. C’est scandaleux !

Mme Laurence Rossignol. Mes chers collègues, si ce que je viens de dire vous pose problème, sans doute devriez-vous réfléchir davantage à ce qui se passe aujourd’hui !

Surtout, ce rapport contient certaines affirmations.

Vous écrivez ainsi que les services de santé seraient complices en étant « transaffirmatifs ». Que signifie ce néologisme ? Tout simplement que ces services aideraient les mineurs à réaliser leur transition plutôt que de les en dissuader !

Mes chers collègues, la transition ne s’encourage pas, mais ne se combat pas non plus : elle est de l’ordre du fait. Cela me rappelle l’époque où l’on parlait des gens qui avaient choisi d’être homosexuels ; or l’homosexualité ne se choisit pas, elle se constate.

J’ai cherché les termes « intérêt de l’enfant » dans le rapport, mais je ne les ai pas trouvés. Il est question d’autorité parentale, mais jamais de l’intérêt de l’enfant ; or c’est bien lui qui devrait nous guider.

Ce texte procède d’une approche très idéologique, très civilisationnelle.

L’idée sous-jacente est que des fondamentaux de notre société – fondée sur la différence des sexes – qui étaient menacés hier par les homosexuels ou les lesbiennes, le seraient aujourd’hui par les trans et les non binaires.

En somme, ce rapport est le chapitre II du grand remplacement. Ses auteurs voient dans le phénomène dont nous discutons un nouveau grand remplacement, qui conduira à la décadence de l’Occident… Certains en parlent déjà très bien : il suffit d’écouter Vladimir Poutine évoquer nos civilisations et vous entendrez quelqu’un qui a fait des homosexuels et de la transidentité sa cible politique principale.

Enfin, j’ai été très étonnée de constater que toute une partie du rapport n’a rien à voir avec la santé : purement politique, elle concerne l’école. Vous proposez de revenir sur la circulaire Blanquer, qui aménage, à l’école, l’espace des enfants en questionnement de genre et permet, avec l’autorisation des parents, qu’ils changent de prénom. Si vous voulez lutter contre les transitions, soyez très ouverts sur la non-binarité : vous pourriez dire que c’est un moment de la vie des enfants, et ainsi les aider.

Au nom du principe de la neutralité de l’école, vous proposez de revenir sur cette circulaire ; or ce principe a un autre objet : interdire aux enseignants de manifester leurs convictions politiques ou religieuses ou de chercher à connaître celles des élèves.

Pour vous, la transition de genre est une opinion, une conviction politique et non un état personnel. Vous commettez là une grave erreur et vous révélez la dimension politique de votre propos. Le rapporteur l’a bien compris, puisqu’il a essayé de réintroduire une forme de décision médicale pour justifier cette interdiction générale.

Interdire les traitements à tous les enfants n’est pas raisonnable. Les enfants ne sont pas des clones. Il existe autant de parcours qu’il existe d’enfants : pour certains, ces traitements sont importants ; pour d’autres, ils sont peut-être inadaptés ou prématurés. Dans tous les cas, cela relève d’une décision médicale et d’une prise en charge pluridisciplinaire par des soignants formés et expérimentés.

Nous sommes donc d’accord pour que la prescription des hormones et la prise en charge des enfants relèvent de centres de référence spécialisés, à l’instar des dispositions de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique pour ce qui concerne les enfants intersexes. L’accompagnement psychologique de l’enfant et de ses parents ne peut être effectué, pas davantage que la prescription d’hormones, par un médecin de ville seul.

Cela étant dit, il n’y a pas besoin d’une loi pour faire tout cela.

Nous présenterons plusieurs amendements, car même si le rapporteur a fait des efforts pour rendre le texte plus acceptable, certaines mesures ne le sont pas. Je pense notamment au délai de carence de deux ans entre la première consultation et la prescription des bloqueurs de puberté. Qui sommes-nous pour décider d’un tel délai ? Pour chaque enfant, une équipe disciplinaire dira ce qu’il faut faire.

Vous proposez également d’interdire la prescription d’hormones croisées avant l’âge de 18 ans. Là encore, le législateur se substituerait à la décision médicale. Ce n’est pas la bonne méthode.

Nous défendrons des amendements visant à rendre à la décision médicale ce qui est de son ressort et à éviter les mesures de prohibition qui, comme vous le savez parfaitement, ne feraient que favoriser la contrebande et le trafic de médicaments – ce qui ne serait pas prescrit se trouverait assurément sur internet ou à l’étranger…

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est favorable à la prise en charge des mineurs en centres pluridisciplinaires spécialisés. C’est aux équipes de soignants desdits centres de prendre les décisions propres à chaque enfant, dans son meilleur intérêt.

Notre groupe est également d’accord pour que la chirurgie ne soit pas accessible aux mineurs.

Monsieur le ministre, j’aurais pu vous épargner ces neuf minutes en reprenant votre intervention mot pour mot. Nous voterons contre ce texte et nous vous demandons, monsieur le ministre, d’être cohérent et d’aller au bout de votre logique en vous engageant à organiser cette nouvelle offre de soins, en respectant le calendrier prévu par la HAS et en émettant un avis défavorable sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDPI. – Mme Silvana Silvani applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est le fruit d’un travail assez long, minutieux et fouillé du groupe Les Républicains sur une situation connue depuis des dizaines d’années, à la fois du monde juridique et du monde médical.

Nous parlions alors de transsexualité, c’est-à-dire de l’état d’une personne née dans un sexe établi, homme ou femme, se ressentant profondément et de manière durable comme appartenant au sexe opposé.

Bien que le phénomène soit assez peu quantifiable aujourd’hui, nous constatons une recrudescence de ce type de situations chez les mineurs. À cet égard, le ministère de l’éducation nationale a jugé utile de prendre une circulaire…

M. Xavier Iacovelli. Pour protéger les enfants !

Mme Muriel Jourda. … pour donner des directives à ses personnels face à ces situations qui se reproduisent dans le milieu scolaire.

De cette recrudescence est issue cette proposition de loi, qui prévoit, d’une part, que l’on ne fasse rien d’irréversible pendant la minorité – ni hormones croisées ni interventions chirurgicales – et, d’autre part, que la prescription de bloqueurs de puberté relève d’une équipe pluridisciplinaire, qui aura pris cette décision au bout d’un délai déterminé, au regard de la situation particulière de l’enfant et dans la mesure où son discernement serait suffisant.

De nombreuses oppositions se sont exprimées, présentant des arguments plus ou moins élégants et d’une bonne foi plus ou moins relative. L’un d’entre eux, que Mme Vogel a invoqué à l’appui de sa motion, m’a particulièrement marquée : celui du droit à l’autodétermination de l’enfant, c’est-à-dire la liberté qu’aurait l’enfant de décider de son sexe.

Mes chers collègues, pardonnez-moi d’être aussi abrupte – même si les propos abrupts n’ont pas manqué dans ce débat et que d’autres s’ajouteront encore, à n’en pas douter, à l’encontre des auteurs de ce texte –, mais avons-nous perdu tout bon sens ?

Vous rappelez-vous ce qu’est un enfant ? (M. Xavier Iacovelli proteste.) Si vous interrogez un enfant de 10 ans ou 12 ans, il vous répondra qu’il ne veut pas aller à l’école, qu’il veut rester toute la journée dans sa chambre à regarder des vidéos sur TikTok et à jouer à la PlayStation en mangeant des frites et du ketchup. (M. Xavier Iacovelli se récrie. – Exclamations sur les travées du groupe SER.) Et nous le laisserions décider de son sexe ?

Avez-vous oublié ce qu’est un adolescent ? Un adolescent, c’est un enfant un peu plus grand, qui se coupe de toutes les règles posées par ses parents, qui ne se reconnaît que dans ses semblables et qui est, avec eux, soumis à toutes les modes et à toutes les influences.

Pour ce qui concerne ses rapports avec le sexe opposé, ou avec ceux qui sont du même sexe, c’est-à-dire la définition de sa sexualité, il oscille entre angoisses, interrogations, vantardises, moqueries… C’est cela un adolescent.

C’est à ces êtres en construction, à ces adultes en devenir que vous demanderiez de prendre des décisions qui affecteront leur vie affective, leur vie sexuelle, leur capacité à avoir des enfants et leur santé, tout simplement ?

Mme Muriel Jourda. Cela ne me semble pas raisonnable.

Notre rôle de législateur, non plus que notre rôle d’adulte, n’est pas de définir l’intérêt général à l’aune de nos propres expériences.

Notre rôle d’adulte, c’est d’entendre les enfants et de les accompagner, notamment dans leurs difficultés. Se sentir appartenir au sexe opposé à celui de sa naissance ne doit assurément pas être facile à vivre. Toutefois, entendre ces enfants ne signifie pas prendre leurs propos comme autant d’injonctions auxquelles il faudrait obéir.

Notre rôle, surtout, est de protéger les enfants, y compris contre eux-mêmes, quand ils n’ont pas la capacité de comprendre les conséquences de ce qu’ils désirent ou de ce qu’ils indiquent désirer.

Il me semble que cette proposition loi répond exactement à ce rôle, qui est celui du législateur et de l’adulte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les mineurs trans n’existent pas, n’en déplaise aux adeptes de la transmania et à leurs porte-étendards, de Mme Vogel à M. Brossat.

En tout cas, ils n’existaient pas avant que le progressisme le plus fanatique n’abatte toutes les limites anthropologiques – la famille, la biologie, les repères. C’est votre idéologie libertaire d’adulte qui a construit un labyrinthe de souffrances pour les enfants.

Ces idées leur ont été bombardées par une propagande LGBTQIA++++… Toujours plus de délires venus d’outre-Atlantique, (Exclamations sur les travées des groupes GEST et SER.) entretenus comme une mode par les influenceurs, les réseaux sociaux et leurs algorithmes, le monde de la culture et les médias en continu.

En 2020, je me souviens d’une séquence télévisuelle dans laquelle un petit garçon de 8 ans seulement se sentait fille et était présenté comme une bête de foire dans une émission à forte audience. Ce mode de procédé infâme ressemble à de l’exploitation, non à de l’éducation.

Les pédopsychiatres sont pourtant unanimes : à cet âge, on agit principalement pour plaire à ses parents. Votre individualisme exacerbé et dévoyé combine paradoxalement l’enfant roi, à qui l’on passe tous les caprices, à l’enfant proie, à la merci des délires idéologiques et des grandes personnes.

Ce n’est pas pour rien que la loi française n’accepte pas le changement de sexe d’un enfant à l’état civil. Il existe une réalité biologique et sexuée des personnes et aucun parent n’a le droit d’y contrevenir pour son enfant.

Les enfants concernés par ces questionnements ne possèdent pas toutes les données pour prendre des décisions irréversibles pour leur corps : la loi doit donc protéger l’intérêt supérieur de l’enfant.

Mes chers collègues, s’il existe un principe de précaution pour l’écologie environnementale, il doit exister un principe d’hyper-précaution pour l’écologie humaine.

Les pays nordiques, pourtant très progressistes sur ces sujets, font aujourd’hui machine arrière. L’Angleterre a mis fin aux bloqueurs de puberté depuis le 1er avril de cette année. Il n’y a pas eu d’alternance politique en Angleterre : simplement, de nombreuses études scientifiques et médicales démontrent que ces bloqueurs de puberté, initialement prévus à petite dose pour les enfants à la puberté précoce, sont détournés de leur vocation et posent de graves problèmes pour le développement du squelette et du cerveau. (Mme Émilienne Poumirol sexclame.)

M. Ian Brossat. N’importe quoi !

M. Stéphane Ravier. Physiologiquement, il ne s’agit en rien d’une pause anodine. Tirons donc les enseignements des calamiteux retours d’expérience de nos voisins face à un empressement à intervenir médicalement sur le corps des enfants. Se donne-t-on le temps d’évaluer tout ce qui se passe dans leur tête ?

Notre assemblée, qui a renforcé la protection des mineurs victimes de violences sexuelles en 2021, ne saurait faire fi, dans le même temps, de la vulnérabilité de ces enfants dans leur capacité de discernement au moment de choisir l’ablation irréversible de leurs organes sexuels, ce qui n’est rien d’autre qu’une mutilation, l’injection d’hormones du sexe opposé ou le blocage de leur puberté.

C’est pourquoi notre opposition à ces trois traitements pour les enfants mineurs devrait être unanime ; la mienne est en tout cas sans équivoque. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K. – Mmes Laurence Muller-Bronn et Sylviane Noël applaudissent.)

M. Xavier Iacovelli. Eh bien voilà !

M. Ian Brossat. On a les soutiens qu’on mérite…

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, protéger les mineurs, l’ensemble de notre jeunesse, c’est notre volonté à tous. Il s’agit d’une préoccupation majeure de toute société, dont l’avenir est conditionné au bien-être de ses enfants.

Nous avons bien conscience que la transidentité, notamment chez les mineurs, est un sujet qui occupe de plus en plus de place dans la société, mais aussi au sein de la communauté médicale, et sur lequel il est nécessaire de prendre le temps de mener une réflexion sérieuse et approfondie.

Comme moi, chers collègues, vous avez certainement reçu de nombreux mails pour défendre ou condamner le principe de cette proposition de loi. Sa nature relève prioritairement du domaine médical, mais aussi de la conscience personnelle, au-delà des clivages politiques.

Ce texte est issu du rapport du groupe Les Républicains sur la transidentification des mineurs. Globalement, les arguments avancés ne correspondent pas toujours aux chiffres indiqués, qui concernent essentiellement les majeurs ou d’autres pays.

Il est donc extrêmement difficile de se prononcer sur un texte dont tous les aspects ne sont pas appréhendés avec précision et exhaustivité.

Il nous semble totalement déraisonnable de légiférer sur un sujet aussi important en se fondant seulement sur un rapport interne d’un groupe parlementaire. La Haute Autorité de santé travaille en ce moment même à l’élaboration d’un rapport complet sur la question de la prise en charge des personnes transgenres. Légiférer en amont des conclusions de ce rapport, et donc prendre une décision politique avant un avis scientifique, ne nous semble pas opportun.

Généralement, plus on politise les sujets de santé, moins ils sont bien gérés, et plus on les médicalise, meilleurs sont les résultats.

Il convient également de souligner que la proposition de loi traite et de la transidentité et de la pédopsychiatrie ; or ces deux sujets ne doivent pas être confondus dans un même texte.

Enfin, nous nous interrogeons sur le moment choisi pour cet examen. Nous refusons que ce sujet d’importance soit traité de cette façon, alors que les personnes concernées sont exposées, dans de très nombreux cas, à une grande souffrance.

Selon leur conscience, et pour toutes ces raisons, à la quasi-unanimité, les sénateurs du groupe Les Indépendants – République et Territoires ont décidé de ne pas prendre part au vote.

M. Guillaume Gontard. Vous auriez pu votre contre !

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Brigitte Devésa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de saluer la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi. Je la salue, parce que je reconnais que le sujet est difficile et qu’il faut un certain courage pour l’aborder.

Permettez-moi aussi de saluer le sénateur Alain Milon, dont l’expertise et les connaissances m’ont beaucoup apporté et dont le travail en tant que rapporteur aura permis d’aboutir à un consensus plus large.

Il ne s’agit pas d’un petit texte et ceux qui le prennent à la légère se trompent. Il s’agit au fond de la question de l’émancipation des individus : les mineurs, enfants et adolescents, peuvent-ils échapper au déterminisme, à la fatalité, au destin ? C’est bien cette grande question de l’émancipation qui se pose à nous, élus de la République. Comme le disait si bien Cioran, ce que nous nommons émancipation n’est autre que le libre choix d’une âme entre différentes limitations.

Les auditions menées par la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio témoignent de la nécessité, voire de l’urgence à légiférer. Les scientifiques et les philosophes, nous éclairant de leur savoir et de leur lumière, nous ont rappelé que la prise en charge des mineurs en questionnement de genre ne pouvait être l’apanage de l’idéologie et de la morale.

Le législateur doit faire son entrée. La rationalité de la loi doit définir un socle, une référence acceptée par tous, c’est-à-dire définie démocratiquement en assemblée et non selon l’appréciation intime d’un psychologue ou d’un endocrinologue en cabinet.

Comment répondre aux besoins d’émancipation des individus ? Comment garantir leur liberté et le droit à la poursuite du bonheur, comme le rappelle la Déclaration d’indépendance des États-Unis ? Que répondre à la demande de certains mineurs qui s’adressent à nous, témoignant de leur mal-être, de leur traumatisme, du fait qu’ils se sentent engoncés dans un corps et dans un genre dont ils estiment ou dont on leur dit qu’il n’est pas le leur ? Pourquoi venir briser un triptyque paraissant assez légitime – la volonté d’un jeune, l’accord des tuteurs et la validation d’un professionnel ? Enfin, que répondre aux postulats des tenants de la transidentité affirmant que, pour des raisons sociales, psychologiques et corporelles, il y a urgence à agir au plus vite quand s’exprime le besoin d’un changement et qu’il faut répondre favorablement à cette volonté ? En fait, pourquoi attendre la majorité ?

Car oui, mes chers collègues, la grande controverse de ce texte tient non pas à la question du genre ou de l’accompagnement, mais à celle du temps. Que penser du temps de l’enfance et de l’adolescence, qui mène à l’âge adulte ?

L’attente n’a pas la même valeur chez l’enfant, chez l’adulte et chez la personne âgée. S’il est bien un moment dans la vie où le temps ne semble pas n’être que du sable qui s’écoule entre nos mains et qui nous use, c’est l’enfance, ce moment où chacun de nos pas fait sens, ce temps de la construction de l’être, de l’apprentissage et des doutes.

Trop souvent, nous voulons faire accroire que le temps nous contraint au déterminisme, qu’il rend les choses irréversibles et qu’il agit sur nous comme une contrainte. Nous croyons au contraire que « donner du temps au temps », comme disait un certain Président de la République, n’est pas une chose vaine, parce que la pensée évolue autant, voire davantage que le corps. Et seul le temps permet à la pensée, la vraie, celle qui est renforcée par l’âge adulte, de dominer le corps. Or si le corps domine et que la pensée évolue, les mutations sont irréversibles. C’est cela que nous voulons éviter par cette proposition de loi. Le temps chez le mineur, plus qu’à n’importe quel autre moment de la vie, fait son œuvre.

Cette proposition de loi fait de la patience la seule forme de prudence convenable. Elle demande du temps, parce que le temps est à l’enfance la meilleure arme contre le déterminisme. C’est en cela que je la soutiendrai, tout comme certains membres du groupe Union Centriste.

Ce texte permet aussi d’agir, dès maintenant, grâce à la prise en charge des personnes mineures présentant une dysphorie de genre.

Il met en place une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie et instaure une concertation pluridisciplinaire entre les experts et les médecins au sujet des bloqueurs de puberté.

Le journal Marianne nous rappelle que les réunions pluridisciplinaires sont en théorie une bonne chose. « Mais en l’état actuel, les endocrinologues sont, pour beaucoup, frileux à suivre les mineurs, et les psychologues, pour certains, refusent tout traitement avant 18 ans. Les réunir ne réglera donc probablement pas tout le problème de la qualité de la prise en charge et de l’accompagnement. » Toutefois, ces réunions auront le mérite d’exister et peut-être d’éclairer davantage le législateur sur les évolutions à apporter.

Remercions la commission et notre rapporteur d’avoir su faire évoluer le texte.

Permettez-moi, dans les quelques minutes qui me restent, de m’adresser à cet enfant qui m’écoute peut-être, parce que je rappelle que c’est lui qui est au cœur du sujet : ce n’est qu’en grandissant que tu seras persuadé et que tu mesureras la valeur de tes choix.

Je te le dis, un jour tu seras l’adulte que tu veux être. Mais ce jour-là, tu te rappelleras que les sénateurs, dans leur sagesse, t’auront empêché de t’en vouloir, d’en vouloir à ton enfance et aux adultes qui t’entouraient. (Murmures sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.) La sénatrice que je suis veut que tu trouves en toi non pas seulement la fille ou le garçon, mais le citoyen ou la citoyenne qui est en toi, (Mme Mélanie Vogel sexclame. – Mme Émilienne Poumirol et M. Yan Chantrel ironisent.) c’est-à-dire l’être qui triomphe par sa rationalité et par un raisonnement construit et qui accepte de voir en lui autre chose que son identité. (Mme Mélanie Vogel proteste.)

Tu comprendras que nous avons voulu t’isoler des adultes, qui trop souvent suivent la mode et ont peur de s’opposer au rouleau compresseur du progrès, (Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.) pour te donner autant de chances à toi qu’aux enfants qui suivront. Les voies sont contradictoires, mais le doute doit profiter à l’insouciance de l’enfance. Et comme nous le faisons dans de multiples domaines, la frontière entre la majorité et la minorité doit être sacrée.

M. Rémi Féraud. Même pour la majorité pénale ?

Mme Brigitte Devésa. Tu comprendras qu’il ne fallait pas céder à la manipulation des corps et des cellules au nom du bien-être, parce que derrière la question de l’identité de genre et de l’identité sexuelle, il y a d’autres enjeux.

Tu comprendras que nous avons légiféré à un moment où il nous fallait nous prémunir face à des dérives sans précédent et tenir compte des personnes, de plus en plus nombreuses, regrettant d’avoir engagé des changements irréversibles dans une forme de précipitation. (Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)

Mme Émilienne Poumirol. C’est le grand remplacement !

Mme Brigitte Devésa. Et si tout cela, tu ne le comprends qu’une fois adulte, alors cela voudra dire que nous avons bien fait de penser qu’attendre n’était pas une si mauvaise idée.

Si tu es déterminé, tu as raison de l’être. Grandis ainsi. Le grand Victor Hugo disait : « Celui qui aime veut, et celui qui veut éclaire et éclate. La résolution met le feu au regard […]. Les opiniâtres sont les sublimes […] ; l’obstiné dans le vrai a la grandeur. Presque tout le secret des grands cœurs est dans ce mot : Perseverando. La persévérance est au courage ce que la roue est au levier […]. » (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Nadia Sollogoub et Nadège Havet et MM. Olivier Henno, Stéphane Ravier et Joshua Hochart applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Anne Souyris. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chers membres du groupe Les Républicains, c’est avec une certaine gravité que je me tourne vers Mme Eustache-Brinio.

Madame, vous avez fait le choix de rédiger ce fameux rapport, dont vous avez fait grand bruit, l’érigeant en caution scientifique, puis d’écrire cette proposition de loi, tandis que M. Retailleau, en appui, l’inscrivait très rapidement à l’ordre du jour.

L’histoire est bien ficelée : répandre des idées fausses, qui alimentent la peur et l’incompréhension (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) sur les questionnements et transitions de genre, sur une population encore très méconnue malgré – heureusement – une première parole qui se libère ; s’appuyer sur des études tronquées ou biaisées, puis brandir les quelques cas de détransition comme totem ; enfin, faire infuser l’idée qu’aucun cadre ne régirait actuellement les transitions des mineurs trans en France.

Ce rapport préalable est une défaite de la vérité, de la pensée et de l’honnêteté. C’est la fabrique d’une peur, que vous décidez d’ériger en combat, celui de la haine et de la transphobie et non celui de la protection de l’enfance. Le taux de suicide chez les jeunes en questionnement de genre est l’un des plus élevés ; mais vous vous détournez de ces chiffres, du respect des jeunes et de leur volonté.

Oui, chers collègues, écrire 300 pages de mensonges ne fera toujours pas une vérité scientifique. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Ce pamphlet, dans lequel les personnes auditionnées ne reconnaissent pas leurs propos, abîme notre institution et la démocratie dans son ensemble.

Fort heureusement, pour préparer cette proposition de loi, de vraies auditions se sont tenues au sein de la commission des affaires sociales ; M. Milon en a respecté les règles, je lui en sais gré.

Tous les autres organismes, y compris l’Ordre des médecins et l’Académie de médecine, se sont dits inquiets de cette proposition de loi tant elle ne s’appuie sur aucun constat scientifique, médical ou simplement humain.

Non, madame Eustache-Brinio, aucun activiste ne vient dans les écoles pour transformer vos enfants et changer leur sexe, comme peut le suggérer votre rapport. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Les réseaux sociaux ne transforment pas nos enfants en personnes trans non plus, après qu’ils ont visionné un message sur TikTok ! (Mêmes mouvements.)

M. Max Brisson. Insupportable, ça suffit !

Mme Anne Souyris. Ce qui est insupportable, c’est ce rapport !

Ces affabulations sont dangereuses, parce qu’elles creusent le sillon de la discrimination. Les parents qui accompagnent leurs enfants dans ces parcours difficiles, les enseignants comme les médecins prescripteurs – il y en a si peu – ne sont pas des activistes : ils essaient avec modestie et détermination d’éviter que leurs patients, élèves et enfants ne se désocialisent, ne se déscolarisent, voire ne se suicident.

Les seuls activistes, ici, ce sont celles et ceux qui propagent de fausses nouvelles par pure idéologie. Quand vous, madame Eustache-Brinio, vous avez voté contre la loi interdisant des thérapies de conversion, et même tenté de faire adopter un amendement pour exclure les personnes trans de cette interdiction, de quel côté pensez-vous que penche l’activisme ? (Mme Jacqueline Eustache-Brinio ironise.)

Rétablissons rapidement les faits, point par point. S’il y a une fameuse « épidémie », c’est bien celle des suicides, beaucoup trop nombreux, dans la communauté trans. Quelque 25 % de celles et ceux qui arrivent à la Pitié-Salpêtrière ont déjà tenté de se suicider. La liste de celles et ceux qui nous ont quittés au cours de l’année écoulée, récitée lors de la Journée du souvenir trans, nous le rappelle chaque année avec beaucoup de larmes et de colère.

Pourquoi adopter une loi qui stoppe les réussites acquises ? Quasiment plus aucun jeune de la file active du centre hospitalier de la Pitié-Salpêtrière n’attente à ses jours. L’intégralité des jeunes se rescolarise, alors que 28 % de ceux qui arrivent au centre sont déscolarisés.

Vous affirmez que nous manquons d’études. Pourtant, celles qui existent montrent que les bloqueurs de puberté et les prises d’hormones permettent aux jeunes trans de moins développer de risques suicidaires et dépressifs et favorisent une amélioration du bien-être global. C’est le seul horizon qui devrait nous guider.

La commission a réécrit une nouvelle version du texte, en désavouant au passage la proposition de loi originelle du groupe Les Républicains. Les traitements hormonaux et les chirurgies restent interdits, mais les bloqueurs de puberté sont autorisés, avec une prescription fortement retardée.

Il faudra, après la première consultation, attendre encore deux ans avant la première prise ; en tenant compte de tous les autres facteurs, ce délai sera beaucoup plus long dans la réalité : c’est donc une interdiction de facto. Chers collègues, la puberté n’attend pas.

Votre prétendue protection des jeunes trans n’est que violence, souffrance et psychiatrisation. Cette proposition de loi est dangereuse et grave pour ces jeunes, qui nous écoutent aujourd’hui. Vous l’aurez compris, les écologistes se battront contre ce texte jusqu’au bout. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly et MM. Ian Brossat et Philippe Grosvalet applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’augmentation du nombre de jeunes qui font des demandes de consultation médicale pour inadéquation entre le genre ressenti et le genre de naissance a conduit le groupe Les Républicains à déposer cette proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre.

Cette augmentation serait, selon les auteurs de la proposition de loi, la conséquence des discours de certains influenceurs, « vecteurs actuels du mal-être existentiel à l’adolescence ».

Je veux juste rappeler ici que la crise d’identité vécue par de nombreux jeunes à l’adolescence existait bien avant Instagram et TikTok. Les jeunes sont légitimement inquiets pour leur avenir – reconnaissons collectivement que nous avons largement contribué à alourdir leurs inquiétudes en leur offrant une société capitaliste, qui met à mal le vivre ensemble, les droits sociaux et l’écologie.

Pour les accompagner dans leur questionnement, il faut des moyens et des professionnels formés. Ce n’est pas au détour d’une proposition de loi, dans un article qui propose un plan national pour la pédopsychiatrie, que nous assurerons cet accompagnement.

Disons-le clairement, cette proposition de loi, issue d’un texte interne au groupe Les Républicains, utilise la protection des enfants comme paravent dans son combat idéologique contre les personnes transgenres.

Vous voulez interdire aux professionnels de santé de prescrire des substances qui, nous le savons et vous le savez aussi, ne sont quasiment pas prescrites ; vous nous l’avez rappelé vous-même, monsieur le rapporteur.

Vous voulez interdire aux professionnels de santé d’effectuer sur des mineurs des actes chirurgicaux dont nous savons qu’ils ne sont ni autorisés ni réellement pratiqués sur de tels patients ;…

M. Xavier Iacovelli. Mais non, c’est vrai !

Mme Silvana Silvani. … vous nous l’avez également rappelé tout à l’heure, monsieur le rapporteur.

Selon la Haute Autorité de santé, en 2020, seules 294 personnes de moins de 18 ans ont été prises en charge pour transidentité, soit 0,002 % des 14 millions de moins de 18 ans.

En agitant le spectre d’une flambée exponentielle, vous surfez sur les peurs et les fantasmes d’un grand remplacement par les personnes transgenres, au mépris des réalités, au mépris des pratiques médicales, mais surtout au mépris de la souffrance des intéressés et de leurs familles. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio sexclame.)

Lors des auditions, j’ai pu constater à quel point les professionnels de santé étaient mécontents de la façon dont ils ont été cités et utilisés dans votre rapport partisan et partial.

Notre collègue rapporteur Alain Milon a réussi, en commission, à modifier le texte de sorte qu’il ne soit « plus du tout un texte transphobe », selon une formule citée par l’Agence France-Presse (AFP). Au moins avez-vous l’honnêteté de reconnaître, monsieur le rapporteur, que, transphobe, le texte initial l’était.

Bravo pour le toilettage, mais il s’agit plutôt de maquillage. Ne soyons pas dupes, mes chers collègues : sous une formulation différente, le résultat est le même.

Les conditions d’accès aux bloqueurs de puberté et aux traitements hormonaux sont si strictes, aux termes de ce texte, que vous en rendez l’utilisation quasi impossible. Assumez votre objectif politique, qui consiste en réalité à interdire les parcours de transition des mineurs, mais également des majeurs.

C’est écrit noir sur blanc dans votre rapport sur la transidentification des mineurs, dont la recommandation n° 5 prévoit l’interdiction de la chirurgie de réassignation sexuelle aux personnes de moins de 25 ans – 25 ans : on est bien loin de la minorité !

Ce texte ne sera probablement pas voté à l’Assemblée nationale, mais il semble bien que votre objectif soit de marquer des points, à quelques jours des élections européennes, auprès d’un électorat traditionaliste et conservateur. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guy Benarroche. C’est vrai !

Mme Silvana Silvani. Malgré le talent du rapporteur, cette proposition de loi demeure un texte régressif, qui, j’y insiste, agite les peurs d’un grand remplacement par les personnes transgenres.

En reprenant les arguments de l’extrême droite – nous les avons entendus tout à l’heure –, vous adressez à ces personnes un message de haine, au moment même où elles subissent, rappelons-le, une explosion des violences à leur encontre.

Pour l’ensemble de ces raisons, notre groupe votera majoritairement contre ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE-K et sur les travées des groupes SER, GEST et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur un sujet aussi sensible, les débats sont bien souvent empreints d’une part d’idéologie ; quant à nous, membres du groupe RDSE, nous faisons le choix de fonder notre opinion sur la science.

Que nous dit-elle aujourd’hui ?

Loin de la « pandémie » régulièrement invoquée, les transitions médicales ne concerneraient que quelques centaines de mineurs en France. Si l’on a connu, il est vrai, une forte augmentation des consultations entre 2013 et 2020, jusqu’à un niveau qui tend, depuis lors, à se stabiliser, cette tendance s’explique probablement avant tout par le fait qu’il n’existait pas auparavant de consultations spécifiques et par la déstigmatisation qui prévaut aujourd’hui. Il n’y a donc là ni mode ni lubie, pour reprendre les termes de deux médecins spécialistes.

À l’article 1er, le rapporteur a proposé de supprimer l’interdiction des bloqueurs de puberté ; c’est une bonne chose.

Concernant les traitements hormonaux, à l’heure actuelle, l’ensemble des recommandations internationales et des sociétés savantes préconisent leur utilisation « au moment où c’est opportun pour chaque jeune ». À aucun moment ces recommandations n’introduisent de barrière d’âge en deçà de laquelle les équipes médicales ne pourraient pas administrer un traitement hormonal. Il est en effet prouvé que ces traitements permettent de réduire la souffrance et l’anxiété du jeune, parfois d’éviter le recours à la chirurgie – c’est l’un des enjeux de cette proposition de loi –, en limitant l’apparition de caractéristiques sexuelles secondaires telles que la poitrine ou la pilosité.

De nombreuses études montrent par ailleurs le peu d’effets secondaires de ces traitements ; mais, à titre personnel, je ne connais aucun traitement qui ne présente pas d’effets secondaires.

Reste la question des transitions chirurgicales de réassignation, qui ne sont pas pratiquées en France sur les mineurs, à l’exception des torsoplasties, qui demeurent exceptionnelles et sont réalisées dans des cas très particuliers.

La réalité est aussi que « l’éligibilité au traitement médical et/ou chirurgical est individualisée, validée collégialement au cours de réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP) et après plusieurs consultations » – je cite des propos reproduits dans une revue médicale parue en 2021. Il se passe en moyenne un an, sans compter les délais inhérents aux prises de rendez-vous, entre la première consultation et la première prescription, quand elle a lieu, car ce n’est pas systématique. Cet intervalle laisse, de fait, un délai de réflexion au jeune et à sa famille.

Voilà ce que nous dit à ce jour la communauté scientifique. Rien de ce que j’ai pu lire ne m’a montré une quelconque légèreté dans la prise en charge par les équipes pluridisciplinaires concernées. Rien ne m’a convaincu que le législateur devrait aujourd’hui s’emparer de ce sujet et opposer aux équipes soignantes des interdictions assorties de peines de prison et d’amendes.

J’en viens à ce qui nous est dit dans le rapport qui a conduit à la présentation de cette proposition de loi. Ce rapport, qui se situe à rebours des positions largement majoritaires de la communauté médicale et scientifique, a été corédigé par une psychologue et une pédopsychiatre toutes deux militantes d’une association qui lutte contre toute transition de genre chez les mineurs, ce qui pousse naturellement à s’interroger quant à la neutralité de ce document. Certaines personnes auditionnées dans le cadre de ce travail dénoncent même des retranscriptions partielles, voire des déformations de leurs propos.

Mme Véronique Guillotin. Toutefois, ce sujet soulève de nombreuses questions éthiques, que nous ne nions pas ni ne minimisons. Ces questions ont trait au regret et à la nature du consentement de l’enfant ; il nous faut bien sûr les examiner avec le plus grand soin, notamment parce que l’identification transgenre est moins stable chez l’enfant.

Aussi, même si l’administration de bloqueurs de puberté ou de traitements hormonaux peut être partiellement réversible, il existe des effets sur la fertilité qui doivent être pris en compte dans la décision de traiter.

Faut-il pour autant poser une interdiction de minorité, alors que ces traitements, dans la très grande majorité des cas, produisent une baisse des pensées suicidaires, de la dépression et de la phobie scolaire ? Peut-on sanctionner un médecin de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende pour des soins qu’il proposerait à un adolescent de 17 ans et demi présentant un risque suicidaire, auquel, ce faisant, il se pourrait qu’il sauve la vie ?

À ces questions, notre groupe répond par la négative. Nous sommes, vous le savez, mes chers collègues, particulièrement sensibles au problème de la santé mentale des jeunes. Nous avons fait adopter par le Sénat, au mois de janvier dernier, une proposition de résolution invitant le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale.

Pour autant, nous pensons que l’article 3, qui traite de la pédopsychiatrie, n’a pas sa place dans cette proposition de loi : la dysphorie de genre n’est plus classée dans la liste des affections psychiatriques. Le maintien de cet article entraînerait une confusion inutile et une forme de retour en arrière auquel nous ne pouvons nous associer.

En conclusion, nous considérons qu’il est préférable de confier ces jeunes particulièrement vulnérables aux bons soins des professionnels de santé compétents. Nous pensons qu’il est urgent d’attendre les recommandations actualisées de la HAS : 2025 n’est quand même pas un lointain horizon !

L’organisation des soins, c’est-à-dire la tenue de consultations spécialisées et la prise de décision en réunion de concertation pluridisciplinaire, cadre dans lequel doivent avoir lieu les primoprescriptions, nous semble répondre aux impératifs de prudence que tout le monde fait valoir et au nécessaire besoin de collégialité – je suis complètement d’accord sur ces points avec Alain Milon.

Aussi, malgré le travail d’équilibriste de notre rapporteur, qui a apporté de la nuance à la proposition de loi initiale, notre groupe défendra plusieurs amendements visant à modifier le texte en profondeur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes SER et CRCE-K. – M. Xavier Iacovelli applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laurence Muller-Bronn. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens avant toute chose à rappeler que le texte que nous examinons aujourd’hui sur le questionnement de genre chez les enfants et les adolescents est l’aboutissement d’une année de travail, consacrée à écouter l’ensemble des parties concernées. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes GEST et SER.)

Sans parti pris, loin de stigmatiser qui que ce soit, nous avons cherché à comprendre un sujet de société dans ses dimensions médicale, sociétale, affective et éducative. (Mêmes mouvements. – Mme Émilienne Poumirol et M. Thomas Dossus lèvent les bras au ciel.)

Nous avons pris cette initiative en constatant l’émergence sur le terrain de multiples questionnements, dans les familles, chez les professionnels de l’enfance et chez les professionnels de santé, qui ont été placés face à un sujet qui leur était encore trop inconnu.

D’ailleurs, si nous étions transphobes, conformément à l’étiquette que l’on a voulu nous coller, indifférents au mal-être des enfants et liberticides, alors nous aurions déposé ce texte directement, sans y consacrer le temps nécessaire à un véritable travail de fond et sans mener plus de soixante auditions.

En premier lieu, les médecins auditionnés ont bel et bien réaffirmé que la transsexualité est une pathologie…

Mme Laurence Muller-Bronn. … reconnue dès le plus jeune âge, majoritairement dans les premières années de la vie,… (Exclamations sur des travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. Ian Brossat. Mais ça va pas !

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

Mme Laurence Muller-Bronn. … et qu’il existe déjà, depuis longtemps, une prise en charge effectuée par des équipes pluridisciplinaires, qui accompagnent le mineur et sa famille dans son parcours jusqu’à l’âge adulte.

Le questionnement et le mal-être des enfants et des adolescents quant à leur identité sexuelle et aux bouleversements physiologiques qui surviennent à la puberté ont toujours existé. Et c’est le rôle des parents, des adultes et de la société entière de leur donner le temps d’évoluer et d’acquérir la maturité nécessaire pour prendre des décisions qui vont les affecter lourdement toute leur vie.

Trop souvent, du reste, l’argument de la santé mentale et des risques suicidaires, qui seraient directement liés à un questionnement de genre, occulte l’ensemble des pathologies associées et des comorbidités telles que l’anorexie, l’autisme ou les traumatismes enfouis, créés, parfois, par des abus sexuels. (Mme Mélanie Vogel se prend la tête dans les mains.)

Mme Émilienne Poumirol. C’est scandaleux !

M. Ian Brossat. Mais ça va pas, non !

Mme Laurence Muller-Bronn. En Finlande, en Suède et au Royaume-Uni, les études ont révélé que ces comorbidités sont présentes dans 70 % à 80 % des cas. Surtout, les études internationales le prouvent, 80 % des mineurs se réconcilient avec leur sexe après la puberté et, si le trouble reste,…

M. Xavier Iacovelli. Le trouble ? Quel trouble ?

M. Guy Benarroche. Ce n’est pas un trouble !

Mme Laurence Muller-Bronn. … l’adulte saura effectuer les démarches nécessaires par lui-même. (Mme Mélanie Vogel lève les bras au ciel.)

M. Xavier Iacovelli. De quelle étude, cette fois, sortent ces conclusions ?

Mme Laurence Muller-Bronn. Dès lors, dans ce genre de cas, y a-t-il nécessité médicale impérative ? Et y a-t-il réellement consentement ? Cela paraît difficile à établir pour justifier de tels traitements.

On part du principe que le mineur possède un discernement suffisant pour s’autodéterminer en matière de sexualité. Est-ce le cas ? Ce postulat, qui reconnaît l’autonomie de l’enfant dans sa vie sexuelle, n’est-il pas non seulement dangereux, mais potentiellement pervers, car il pourrait, poussé à l’extrême, justifier, mes chers collègues, le pire des crimes, qu’est la pédophilie ? (Protestations et marques dindignation sur les travées des groupes GEST, SER, CRCE-K et RDSE.)

MM. Hussein Bourgi et Yan Chantrel. Incroyable !

M. Ian Brossat. Mais on est où, là ?

M. Guy Benarroche. Au bûcher !

Mme Laurence Muller-Bronn. Les connaissances médicales actuelles nous obligent à la plus grande prudence. Nous découvrons peu à peu les effets secondaires des traitements hormonaux, tandis que les preuves de leur innocuité ne sont pas apportées. D’ailleurs, les victimes trans de l’Androcur viennent de déposer, au mois de mars dernier, une plainte contre l’État à ce sujet.

C’est ce qui a conduit plusieurs pays, qui étaient pourtant très favorables à la prescription de tels traitements, à les interdire.

Je citerai le Royaume-Uni, qui a interdit, au mois d’avril dernier, la prescription de traitements hormonaux, hormis pour les jeunes atteints de puberté précoce. La Finlande, de son côté, a dès 2020 fortement limité le recours à l’hormonothérapie, sauf pour les cas rares. La Suède a suivi cet exemple deux ans plus tard. En décembre 2023, les autorités sanitaires norvégiennes ont décidé de réserver les traitements à base d’hormones aux seuls essais cliniques. Enfin, au Danemark, des directives similaires sont en cours de publication.

En conclusion, je souhaite vivement que notre texte prospère et que le débat qui va suivre soit entendu par les parents comme par la société tout entière. Celle-ci, qu’on le veuille ou non, est traversée par ces discussions, qui ne devraient ni tomber dans l’idéologie ni la nourrir. (Plusieurs sénateurs des groupes SER et GEST frappent leur pupitre pour signaler que loratrice a dépassé son temps de parole.)

M. le président. Il faut conclure.

Mme Laurence Muller-Bronn. Notre responsabilité à l’égard de la jeunesse exige que nous soyons parfaitement conscients et informés des pratiques médicales et chirurgicales qui sont appliquées aux mineurs, particulièrement quand celles-ci sont irréversibles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Devésa et M. Stéphane Ravier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui le sujet délicat du questionnement de genre chez les mineurs, qui suscite – on le voit – de nombreux débats passionnés. Il y va de la santé et du bien-être de nos enfants, mais aussi de la responsabilité parentale.

Je voudrais, pour ouvrir mon propos, saluer l’initiative de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, qui a le mérite de mettre sur la table un sujet soulevant de nombreux problèmes éthiques et de santé publique, et remercier notre collègue Alain Milon, dont le rapport et les travaux qu’il a menés en commission permettent de proposer aujourd’hui un texte à la fois équilibré et responsable.

Précisons d’emblée que, si la prévalence de la dysphorie de genre reste faible chez les mineurs en France, le nombre de cas progresse rapidement ces dernières années, ce qui rend d’autant plus nécessaire une intervention du législateur pour encadrer les modalités de prise en charge médicale et psychologique de ces jeunes et ainsi pour mieux les accompagner.

Nous devons également tenir compte des situations personnelles qui sont régulièrement portées à notre connaissance, mais aussi des retours d’expérience émanant de pays étrangers considérés comme en avance sur le sujet du questionnement de genre. Or, en la matière, c’est l’incertitude qui prévaut.

Plusieurs études internationales récentes remettent en cause la solidité des preuves scientifiques présentées à l’appui de certains traitements prescrits. Plusieurs pays jusqu’alors assez permissifs en la matière sont en train de faire machine arrière, à l’instar du Royaume-Uni, qui a récemment décidé de limiter drastiquement les prescriptions de bloqueurs de puberté aux mineurs.

Le texte que nous avons amendé en commission encadre lui aussi strictement la prescription de ces bloqueurs de puberté. Bien qu’ils soient considérés comme réversibles, ces traitements peuvent avoir des effets à long terme sur la santé osseuse et le développement cognitif. Il est donc essentiel que les jeunes et leurs familles soient pleinement informés de leurs potentiels bénéfices comme des risques qui s’y attachent.

Bien plus préoccupants sont les traitements hormonaux de substitution, qui, en plus d’être difficilement réversibles, peuvent aussi entraîner des effets secondaires tels que des problèmes cardiovasculaires ou de fertilité.

Interdire ces traitements pour les mineurs est la voie de la sagesse. En effet, si chaque enfant mérite d’être écouté et soutenu, les décisions ayant des conséquences sur sa santé doivent toujours être guidées par l’intérêt supérieur de l’enfant, en tenant compte de son développement psychologique et de son bien-être à long terme.

Notre droit restreint à juste titre la capacité juridique de l’enfant pour le protéger contre les décisions préjudiciables ou prématurées aux conséquences graves et parfois irréversibles qu’il pourrait vouloir prendre.

Ceux qui préconisent une autonomisation de l’enfant, lui attribuant la capacité de prendre seul des décisions graves, n’en mesurent pas les conséquences : j’en veux pour preuve les nombreux témoignages de jeunes faisant état de regrets, totalement désemparés, quelques années après, lorsqu’on leur annonce qu’une « détransition » est impossible.

D’où l’importance cruciale des réunions de concertation pluridisciplinaires réunissant des spécialistes du développement psychoaffectif de l’enfant et des spécialistes de son développement somatique, sollicités avant toute décision thérapeutique importante.

Ajoutons que l’adolescence est qualifiée par les scientifiques de « période de vulnérabilité », pendant laquelle certaines décisions sont prises pour contester l’ordre établi ou pour se conformer à des modes.

La science étant encore incertaine, il importe de faire preuve de prudence et de ne pas donner à nos adolescents le sentiment qu’ils sont utilisés pour ce qui pourrait ressembler, dans certains cas, à de l’expérimentation médicale.

Parce que les connaissances scientifiques sont susceptibles d’évoluer, je salue l’amendement du rapporteur visant à inscrire dans ce texte une clause de revoyure d’ici à cinq ans, sur le modèle de celles qui figurent dans les lois de bioéthique.

Même si là n’est pas l’objet de cette proposition de loi, nous devons aussi veiller sur les personnes majeures sous tutelle qui, particulièrement fragiles, se font parfois influencer par certaines associations jusqu’au-boutistes, allant même jusqu’à couper les ponts avec leurs proches – tel est le cas, mes chers collègues, d’une personne que je suis actuellement.

Je veux enfin saluer la mise en place d’une stratégie nationale en faveur de la pédopsychiatrie, indispensable pour permettre à tous les enfants d’avoir accès à une offre de soins adaptée au plus près de leur lieu de vie.

En conclusion, mes chers collègues, nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut prêter une attention forte à nos concitoyens présentant une dysphorie de genre, parce qu’ils ont plus de mal que les autres à trouver leur place dans la société ; mais gardons-nous de faire de pareilles situations une généralité et tentons collectivement, à l’avenir, de traiter ces sujets de manière moins passionnée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai écouté avec beaucoup d’attention les orateurs qui viennent de se succéder à la tribune. Autant dans mon propos liminaire j’ai exposé la position générale du Gouvernement sans émettre d’avis à proprement parler, afin de laisser se développer les arguments des uns et des autres, autant, à l’issue de cette discussion générale, je veux dire ici de manière tout à fait solennelle que le Gouvernement est contre l’adoption de cette proposition de loi. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, SER et GEST. – M. Ian Brossat applaudit également.)

Je m’en explique.

Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe majoritaire, rien de ce que j’ai entendu – j’y insiste, rien – ne m’a convaincu que vous souhaitiez porter une quelconque attention aux arguments scientifiques.

Rien de ce que j’ai entendu ne m’a donné l’impression que vous preniez les travaux en cours, notamment ceux de la Haute Autorité de santé, comme un élément important du débat.

À l’inverse, tout ce que j’ai entendu de votre part m’a donné l’impression d’une approche totalement dogmatique, subjective, (Applaudissements sur les mêmes travées. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) dans laquelle, en définitive, les arguments médicaux et scientifiques ont peu d’importance, l’essentiel pour vous étant sans doute de marquer des points sur le plan politique.

Les sujets évoqués sont trop graves pour se laisser aller à ce type d’évidences. Je l’ai expliqué de manière étayée dans mon propos liminaire, en ces matières, la décision relève du domaine médical et scientifique sur laquelle je ne ferai jamais primer la décision politique, dont il est impératif, précisément, qu’elle soit éclairée par la médecine et par la science.

Je souhaite donc le rejet de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, SER et GEST.)

M. Xavier Iacovelli. Très bien !

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre

Chapitre Ier

Prise en charge de la dysphorie de genre chez les personnes mineures

(Division nouvelle)

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Article 2

Article 1er

I. – Après le titre III du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique, il est inséré un titre III bis ainsi rédigé :

« TITRE III BIS

« PRISE EN CHARGE DE LA DYSPHORIE DE GENRE CHEZ LES PERSONNES MINEURES

« Art. L. 2137-1. – Dans le cadre de la prise en charge de la dysphorie de genre, il est interdit de prescrire au patient âgé de moins de dix-huit ans :

« 1° (Supprimé)

« 2° Des traitements hormonaux tendant à développer les caractéristiques sexuelles secondaires du genre auquel le mineur s’identifie.

« Il est également interdit de réaliser sur un patient âgé de moins de dix-huit ans des actes chirurgicaux de réassignation de genre.

« Art. L. 2137-2 (nouveau). – Le diagnostic et la prise en charge des mineurs présentant une dysphorie de genre sont assurés dans des centres de référence spécialisés, dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé.

« Un décret pris après avis de la Haute Autorité de santé définit les conditions dans lesquelles les centres mentionnés au premier alinéa contribuent à la recherche clinique en matière de diagnostic et de prise en charge de la dysphorie de genre.

« Art. L. 2137-3 (nouveau). – Dans le cadre de la prise en charge de la dysphorie de genre, la prescription initiale de bloqueurs de puberté à un patient âgé de moins de dix-huit ans est établie, après réunion de concertation pluridisciplinaire, par un médecin exerçant dans l’un des centres de référence mentionnés à l’article L. 2137-2. Cette prescription initiale n’est possible qu’après évaluation par l’équipe médicale de l’absence de contre-indication et de la capacité de discernement du mineur. Un délai minimal de deux ans sépare la prescription initiale de la première consultation du patient dans un centre de référence.

« Au moins un médecin spécialiste en endocrinologie pédiatrique, un médecin spécialiste en pédiatrie et un médecin spécialiste en psychiatrie pédiatrique participent aux réunions de concertation pluridisciplinaire. Peuvent également y participer un psychologue, un assistant social, ainsi que les professionnels de santé impliqués dans la prise en charge du patient.

« Le patient et les titulaires de l’autorité parentale peuvent assister à la réunion de concertation pluridisciplinaire. »

II (nouveau). – Les traitements engagés avant la promulgation de la loi n° … du … visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre ne sont pas interrompus.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur. Je souhaite intervenir sur l’article 1er pour revenir sur ce qui a été dit par certains de nos collègues en discussion générale.

Monsieur Iacovelli, vous avez fait une affirmation mensongère en disant que l’interdiction inscrite à l’article 2 n’existait en nul autre domaine. Ce n’est pas vrai ; c’est même absolument faux !

Je vous livre quelques exemples : l’interruption de la grossesse sans consentement de l’intéressée est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ; quant à l’interruption de la grossesse d’autrui pratiquée après l’expiration du délai légal, elle est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, et de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende si le coupable la pratique habituellement.

Une telle interdiction existe donc bel et bien ! Encore pourrais-je évoquer le cas de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) chirurgicale, qui est autre chose que l’IVG médicamenteuse.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mis à part l’IVG, vous avez d’autres comparaisons ?

M. Alain Milon, rapporteur. En tout état de cause, c’est bien une affirmation mensongère que vous avez faite. Je tiens à le dire, l’article 2 tel qu’il a été rédigé s’inspire de ces articles du code de la santé publique relatifs à l’interruption illégale de grossesse.

M. Xavier Iacovelli. Pour une fois que l’on s’inspire de l’IVG…

M. Alain Milon, rapporteur. Madame Rossignol, vous avez raison de dire que les jeunes filles perturbées, parce qu’elles sont par exemple victimes de violences, peuvent penser à évoluer vers un autre sexe, dans la mesure où elles ont peur de devenir des femmes complètes. C’est vrai, ces situations existent ; mais, justement, le texte consacre le rôle des équipes pluridisciplinaires qui sont là pour les accueillir, discuter avec elles et les orienter vers leur genre ou vers leur sexe réel.

Mme Laurence Rossignol. Plutôt que d’interdire les traitements, interdisez le patriarcat !

M. Alain Milon, rapporteur. C’est bien la protection des mineurs…

M. Xavier Iacovelli. Ils se suicident !

M. Alain Milon, rapporteur. … et la protection des parents que nous recherchons ; et le texte tel qu’il a été adopté par la commission des affaires sociales va précisément dans ce sens, celui de la protection et des mineurs et des parents.

Pour ce qui est de la Haute Autorité de santé, il a été dit qu’elle produisait des rapports scientifiques. Or la Haute Autorité de santé ne fait pas de rapports scientifiques : elle s’inspire de tels rapports pour mettre en place des protocoles qu’elle conseille aux médecins d’adopter. En fait de science, j’ai auditionné, avec d’autres collègues, l’Académie nationale de médecine : elle recommande la prudence.

M. Xavier Iacovelli. Mais non l’interdiction !

M. Alain Milon, rapporteur. Elle recommande la prudence dans l’administration des soins et demande l’interdiction des opérations, en particulier des opérations définitives, avant l’âge de 18 ans.

Mme Silvana Silvani. Vous avez dit vous-même qu’aucune opération n’était pratiquée avant 18 ans !

M. Alain Milon, rapporteur. Or une telle mesure n’est inscrite nulle part dans la loi. Il est vrai que, jusqu’à présent, les médecins n’ont pas réalisé de tels actes, mais il n’est pas écrit dans la loi qu’ils sont interdits. Comme certains l’ont fait valoir, dès lors que l’on est docteur en médecine, on peut prescrire à un patient transgenre les traitements que l’on veut. C’est vrai, mais de quel droit le fait-on ? A-t-on les connaissances suffisantes pour le faire ? C’est parce que ces questions se posent que nous proposons d’encadrer par la loi de telles pratiques.

Enfin, pour ce qui est du taux de suicide, il est vrai qu’il est extrêmement important chez les adolescents transgenres, beaucoup plus important qu’en population générale. Mais, justement, s’il est si important, c’est ou bien parce qu’ils ne sont pas acceptés dans la société, ou bien parce qu’ils ne sont pas acceptés dans leur famille, ou bien parce qu’ils ne sont pas suivis.

Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas ce qui a été dit tout à l’heure.

M. Alain Milon, rapporteur. Ce qui est proposé dans ce texte de loi, c’est de reconnaître leur existence et, loin de toute transphobie, de faire en sorte que les équipes médicales puissent les suivre, les prendre en charge et leur donner l’espoir de trouver leur véritable identité, en les soignant ou simplement en les écoutant et en faisant de la psychologie.

Voilà tout ce que je tenais à dire à l’orée de l’examen de cet article 1er qui, à mon avis, est le plus important de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si une telle discussion, marquée par le dépôt de deux motions, a lieu ce soir, c’est qu’il existe de fait, sur ce sujet, un véritable débat de société.

Ce débat est complexe, car il touche à l’intime ; ce débat est complexe, car il y est question de mineurs ; ce débat est complexe, car, plus largement, il touche à l’éthique.

J’ai toujours, sur tous les sujets, défendu la minorité comme un temps de la vie à protéger, dans ses choix comme dans ses actes, jusqu’à défendre la minorité pénale.

Oui, ce texte soulève des questions ; mes chers collègues, j’aimerais avoir vos certitudes.

J’aimerais avoir vos certitudes, celles d’un bonheur individuel faisant fi de celui des autres.

J’aimerais avoir vos certitudes et pouvoir considérer que le choix d’un jeune lycéen ne saurait ébranler ses camarades de classe.

J’aimerais avoir vos certitudes et pouvoir affirmer que la jeunesse est uniforme, qu’elle n’est pas traversée, dans sa diversité, par des contradictions, celles qui invitent certains à sortir de la norme et d’autres à s’y réfugier pour se protéger.

J’aimerais avoir vos certitudes et pouvoir ranger les gens de notre pays dans deux cases, les transphobes et les transactivistes.

Mais, voyez-vous, mes chers collègues, je n’ai pour ma part, ce soir, qu’une certitude : ce débat reviendra, que nous le souhaitions ou non, car il dépasse le seul débat entre réactionnaires et antiréactionnaires. L’attrait du progressisme n’est pas pour moi un guide politique là où il s’agit, sur ce texte comme sur d’autres, de définir les règles communes d’une société que je souhaite profondément progressiste et émancipatrice.

À titre personnel, vous l’aurez compris, je ne voterai pas ce texte, mais je ne m’y opposerai pas : je m’abstiendrai sur l’ensemble de la proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi, sur l’article.

M. Hussein Bourgi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, certains ont cru déceler, derrière la dysphorie de genre, je ne sais quel phénomène de mode ou cheval de Troie wokiste d’associations activistes. En réalité, il n’en est rien : la dysphorie de genre existe depuis la nuit des temps. Ce que la nature a fait, nos sociétés l’ont pendant longtemps ignoré, marginalisé, psychiatrisé. Il a fallu attendre le début des années 1900 et les travaux scientifiques et médicaux du sexologue allemand Magnus Hirschfeld pour que soit documentée, définie et vulgarisée la transidentité.

M. Alain Milon, rapporteur. Tout à fait.

M. Hussein Bourgi. Mais, pendant des décennies, dans les représentations les plus populaires, y compris dans notre pays, les personnes transgenres étaient considérées comme des bêtes de foire que l’on allait voir au cabaret pour les moquer, les dévisager, les singer, parfois même pour les applaudir. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio sexclame.)

À d’autres époques, les personnes transgenres ont été marginalisées et réduites à la prostitution. Mais, depuis quelques années, elles revendiquent leur droit à être considérées comme des citoyens et des citoyennes à part entière. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains.) Et, ô surprise, il y a parmi elles des mineurs, soutenus par leurs parents et par leurs familles. Les personnes transgenres, mineures ou majeures, nous demandent tout simplement de ne plus leur infliger ni thérapies de conversion ni séances d’exorcisme. Elles nous demandent de les écouter et d’entendre leurs aspirations les plus intimes. Elles nous demandent de ne plus leur faire subir de parcours du combattant.

Mes chers collègues, cette proposition de loi risque demain, si elle est adoptée, de les lester de chaînes et de boulets ; or, vous le savez, l’instinct de survie, l’aspiration au bonheur et l’aspiration à la liberté seront toujours plus forts.

Derrière la transidentité, il y a l’humanité, celle de ces personnes qu’il faut respecter, celle aussi qui ne doit jamais nous quitter lorsque nous élaborons des propositions de loi, lorsque nous rédigeons des amendements, lorsque nous prenons la parole et lorsque nous votons. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST et sur des travées des groupes RDSE et RDPI. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l’article.

M. Bruno Retailleau. Je salue les propos mesurés de Cécile Cukierman, alors que nous ne partageons pas, je le sais, les mêmes opinions.

Au moment où s’ouvre un débat important, probablement passionné, je ne supporte pas d’entendre caricaturer la position du groupe Les Républicains ou de certains de mes collègues. Il n’y a pas, d’un côté, le camp du bien et, de l’autre, celui du mal. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Il n’y a pas, d’un côté, des transphobes et, de l’autre, des personnes pleines d’humanité !

Mme Laurence Rossignol. Un petit peu quand même…

M. Bruno Retailleau. Ce genre d’affirmation relève de l’insulte et d’une technique visant à verrouiller le débat. Nous ne sommes pas ici à l’Assemblée nationale ; nous sommes encore au Sénat.

Nous devons donc préserver la possibilité d’avoir une véritable conversation civique, d’échanger des arguments et non des invectives caricaturales !

Oui, nous avons voulu travailler ce texte, monsieur le ministre, non pas par dogmatisme, mais parce qu’il y a des problèmes. Certains pays sont en train de rétropédaler. Pourquoi n’aurions-nous pas, nous, le droit de nous interroger ?

Comme Cécile Cukierman et Laurence Rossignol, je n’ai pas de certitudes. C’est justement parce que nous n’en avons pas que nous voulons absolument préserver, par devoir de précaution et dans un souci de prudence, des mineurs qui sont mal dans leur peau, et qui ne savent pas eux-mêmes s’ils sont dans une réelle dysphorie de genre, d’une chirurgie ou d’une hormonothérapie irréversibles. Tel est l’objet de ce texte !

Je remercie Jacqueline Eustache-Brinio et le rapporteur Alain Millon d’avoir trouvé le bon équilibre, auquel nous avons consenti non par dogmatisme, mais pour faire avancer le débat. Monsieur le ministre, cessez donc de nous caricaturer ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Je pense que les éléments que j’ai apportés dans la discussion générale n’avaient rien de caricatural. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) En tout cas, vous m’avez écouté en silence. Si j’avais été dans la caricature, sans doute vous seriez-vous manifestés…

M. Bruno Retailleau. Nous sommes au Sénat !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Mon intention n’est pas de stigmatiser qui que ce soit. Ce débat…

M. Bruno Retailleau. … mérite d’être ouvert !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Bien sûr qu’il mérite d’être ouvert, monsieur le président Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Nous avons eu le courage de le faire !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. De manière balancée, j’ai reconnu dans la discussion générale que des questions se posaient concernant les mineurs. Pour autant, il nous manque aujourd’hui l’avis des scientifiques.

Je connais la sagacité d’Alain Milon et je sais qu’il a une connaissance fine de ces sujets. Je lui rappellerai néanmoins que la Haute Autorité de santé est là non pas pour produire des études scientifiques, mais pour faire la revue de toutes les études scientifiques et produire des méta-analyses. Sa vocation est de chercher le consensus et non de produire une étude de plus. Son objectif est de faire, de façon collégiale, en conformité avec son fonctionnement, la synthèse de l’ensemble des études scientifiques de manière à fixer une doctrine et à poser des repères.

Lors de mon intervention liminaire, j’ai mis l’accent sur la difficulté qu’il y aurait dans notre pays à trancher sur tous ces sujets complexes tant nous nous manquons de repères donnés par les hautes autorités scientifiques.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Il est difficile d’imaginer que la décision politique puisse prendre le pas sur l’analyse médicale et scientifique : voilà la cause que j’ai très modestement essayé de plaider, n’étant pas médecin.

Je suis totalement d’accord avec vous, monsieur le président Retailleau, ce sont des sujets qui méritent que l’on prenne le temps de la réflexion. Il s’agit d’aborder les choses non pas la main tremblante, comme lorsqu’il est question de la Constitution, mais en étant attentifs et précautionneux.

Sans doute la temporalité n’était-elle pas la bonne. J’ai écouté vos arguments. Mais la Haute Autorité de santé ayant indiqué travailler à poser un cadre sur ces sujets complexes, et après avoir écouté l’ensemble de vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, il me semble préférable d’attendre l’avis des autorités scientifiques et médicales.

S’agissant de la pénalisation de la prescription, M. le rapporteur a pris l’exemple des interruptions volontaires de grossesse (IVG) sans consentement.

Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas la même chose !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. L’intitulé à lui seul – « IVG sans consentement » – signifie bien qu’il s’agit non pas d’une prescription, mais d’un acte qui est de fait en dehors du droit et du code général de la santé publique. Il faut donc comparer ce qui est comparable.

Je le répète : adopter l’article 2, c’est ouvrir une brèche et pénaliser la prescription par principe. Je vous laisse imaginer quelle serait la réponse de l’Ordre des médecins ou de la Haute Autorité de santé… Le législateur mettrait là le doigt dans un système dangereux.

M. Daniel Salmon. Exactement !

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, sur l’article.

Mme Mélanie Vogel. Je souhaite très brièvement dire deux choses.

Premièrement, rappelons les faits. Contrairement à ce que j’ai entendu dire ici ou là, il n’y a pas plus d’hommes trans que de femmes trans. Les chiffres de la Haute Autorité de santé témoignent plutôt du contraire. Par ailleurs, il n’y a pas plus de personnes trans parmi les victimes de violence. Cela n’a aucun rapport.

Deuxièmement, M. Retailleau déteste que l’on caricature les propos des uns ou des autres, que l’on dise qu’il y aurait, d’un côté, le camp des transphobes et, de l’autre, celui du bien. La réalité, c’est qu’il y a dans cet hémicycle des personnes qui souhaitent priver les mineurs d’accès aux soins et des personnes qui ne le veulent pas ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Vous ne voulez pas les protéger !

Mme Mélanie Vogel. C’est la réalité !

Cet article aura pour effet de priver des mineurs d’accès à des soins nécessaires : voilà la ligne de démarcation entre nous dans ce débat ! (Protestations sur les mêmes travées.)

Vous dites vouloir empêcher les mineurs de faire des choix irréversibles et vous souhaitez leur laisser le temps de la réflexion. Mais je suis désolée, la puberté – cela ne se décide pas – intervient forcément avant la majorité ! Il n’y a aucun moyen de faire autrement. Ne pas donner accès aux traitements hormonaux et priver les enfants des bloqueurs de puberté aura des conséquences irréversibles ! Un enfant qui se suicide, c’est irréversible aussi ! Il n’y a pas de position de neutralité possible : soit ils ont accès aux soins, soit ils n’y ont pas accès. Dans les deux cas, c’est irréversible. Réfléchissez-y ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Xavier Iacovelli applaudit également.)

M. Laurent Burgoa. M. Iacovelli applaudit !

M. Xavier Iacovelli. Eh oui ! Cela vous pose un problème ?

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L’amendement n° 4 est présenté par Mmes Silvani, Apourceau-Poly et Brulin, MM. Brossat, Bacchi, Barros et Bocquet, Mme Corbière Naminzo, MM. Corbisez et Gay, Mme Gréaume, M. Lahellec, Mme Margaté, MM. Ouzoulias et Savoldelli, Mme Varaillas et M. Xowie.

L’amendement n° 8 rectifié est présenté par Mme Guillotin, MM. Grosvalet, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Daubet, Mme N. Delattre, M. Fialaire, Mme Girardin, MM. Gold et Guiol, Mme Jouve, MM. Laouedj et Masset, Mme Pantel et M. Roux.

L’amendement n° 32 est présenté par Mmes Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Jadot, Mmes Guhl et de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Ian Brossat, pour présenter l’amendement n° 4.

M. Ian Brossat. Cet amendement vise à supprimer l’article 1er. Les modifications apportées par le rapporteur en commission des affaires sociales pour atténuer les dispositions ses plus radicales n’obèrent en rien l’intention des auteurs de ce texte d’interdire la prise en charge des parcours de transition des mineurs.

De fait, en réservant aux services hospitaliers spécialisés la prescription aux mineurs des bloqueurs de puberté et en établissant un délai de carence de deux ans avant la primoprescription, l’article 1er porte atteinte à l’accès aux soins des personnes mineures.

En France, 11 % des jeunes accompagnés dans une transition de genre ont eu accès à des bloqueurs de puberté après un délai moyen de dix mois entre la première consultation et la mise en place du traitement, selon la Défenseure des droits.

En retardant l’accès au traitement, vous maintenez ces jeunes dans leur souffrance. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons la suppression de cet article.

M. le président. La parole est à M. Philippe Grosvalet, pour présenter l’amendement n° 8 rectifié.

M. Philippe Grosvalet. Alors qu’une grande majorité d’études soulignent les bienfaits de l’accès à un traitement adéquat pour la personne en dysphorie de genre, c’est le chemin inverse qui est proposé ici au travers de cet article, lequel vise ni plus ni moins – quoi qu’en disent ses auteurs – à supprimer la possibilité d’une transition médicale et sociale pour les mineurs.

Or il est primordial que l’intervention médicale auprès des mineurs transgenres se fasse, comme le souligne la Défenseure des droits, dans la poursuite de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cela suppose que le législateur n’entrave aucunement les possibilités offertes aux professionnels de santé de poursuivre les soins nécessaires au bien-être du mineur.

Par ailleurs, l’application d’une telle mesure peut avoir des conséquences lourdes – cela a été souligné maintes fois –, voire tragiques, sur la santé des mineurs en dysphorie de genre. Rappelons que ces personnes sont davantage discriminées, stigmatisées, que les risques de dépression, de mutilations parfois, voire de pensées suicidaires, suivies, trop souvent, hélas ! de passages à l’acte, sont accrus.

Les traitements hormonaux et, à titre tout à fait exceptionnel – comme cela a aussi été souligné maintes fois –, les opérations chirurgicales de réassignation sexuelle, qui sont très rares, constituent une voie salvatrice dans une période de vie très complexe pour la personne mineure en questionnement de genre.

De manière générale, une transition de genre doit s’effectuer dans le cadre d’un parcours de santé spécifique, avec une écoute et un accompagnement par du personnel médical formé et aguerri sur ces sujets, ainsi que l’a rappelé la Défenseure des droits dans son rapport.

C’est pourquoi nous proposons la suppression de l’article 1er.

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour présenter l’amendement n° 32.

Mme Anne Souyris. Il est identique aux précédents.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. L’article 1er a été modifié en commission, car nous avons souhaité que le ministère agrée des équipes spécialisées dans chaque région. Il en existe actuellement une quinzaine sur l’ensemble du territoire, mais qui le sait ?

Les parents d’enfants transgenres ayant besoin de soins vont généralement consulter leur médecin traitant, qui ignore la plupart du temps que le centre hospitalier universitaire (CHU) le plus proche dispose d’une équipe spécialisée. Voilà pourquoi nous demandons que le Gouvernement et les agences régionales de santé signalent ces équipes et en fassent la publicité sur internet ou autres afin que les parents ne soient pas orientés n’importe comment, comme c’est souvent le cas aujourd’hui.

Il existe à Lyon une équipe spécialisée très performante, mais qui le sait ? Personne ! Si son existence était signalée, les parents pourraient s’adresser à elle et leur enfant pourrait être très vite pris en charge. Nous voulons que les parents sachent à qui s’adresser pour que les enfants soient correctement orientés.

J’émets donc un avis défavorable sur ces amendements de suppression.

Nous avons auditionné les équipes médicales. Toutes sont formelles : à raison d’une consultation toutes les six semaines, il faut en moyenne deux ans – et non un – pour acquérir la certitude du bon diagnostic et pour commencer le traitement. Si un enfant consulte à 11 ou à 12 ans, il aura entre 13 et 16 ans au moment des traitements hormonaux. Ce que nous proposons est donc logique. C’est le fruit de nos auditions auprès d’équipes médicales spécialisées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Favorable.

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour explication de vote.

Mme Anne Souyris. À en croire M. le rapporteur, cet article viserait à répondre aux inégalités entre les territoires. Formidable ! Il importe effectivement de mettre l’accent sur la formation pour que davantage de professionnels puissent mieux accompagner ces jeunes, y compris grâce à la prescription d’hormones ou de bloqueurs de puberté. Mais ce n’est pas ce qui est proposé ici !

Si l’attente est de deux ans, c’est uniquement parce qu’il n’y a pas assez de places dans ces centres. Il ne s’agit pas de graver dans le marbre l’existant, il s’agit au contraire de permettre une égalité territoriale. C’est exactement l’inverse qui est proposé ici, voilà pourquoi nous souhaitons supprimer cet article.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4, 8 rectifié et 32.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 203 :

Nombre de votants 322
Nombre de suffrages exprimés 315
Pour l’adoption 136
Contre 179

Le Sénat n’a pas adopté.

M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 9 rectifié, présenté par Mme Guillotin, MM. Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Daubet, Mme N. Delattre, M. Fialaire, Mme Girardin, MM. Gold, Grosvalet et Guiol, Mme Jouve, MM. Laouedj et Masset, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

I. – Alinéas 4 à 7

Supprimer ces alinéas.

II. – Alinéa 10

1° Première phrase

a) Après le mot :

puberté

insérer les mots :

et de traitements hormonaux tendant à développer les caractéristiques sexuelles secondaires du genre auquel le mineur s’identifie, ainsi que la réalisation d’opérations chirurgicales de réassignation de genre

b) Remplacer les mots :

est établie

par les mots :

sont établies

2° Deuxième phrase

Remplacer les mots :

Cette prescription initiale n’est possible

par les mots :

Cette prescription initiale et la réalisation d’actes chirurgicaux ne sont possibles

La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Cet amendement de repli vise à permettre la prescription d’un traitement hormonal et les quelques cas de chirurgie qui pourraient éventuellement devoir avoir lieu en fonction de la problématique du jeune en transition, sous réserve que la décision soit prise en réunion de concertation pluridisciplinaire dans des centres spécialisés.

Il n’est pas utile d’interdire complètement la chirurgie aux mineurs, la chirurgie de réassignation sur les organes génitaux n’étant de toute façon pas réalisée dans notre pays. On ne recense que quelques cas de mammectomie sur des sujets âgés de 17 ans et demi – soit à six mois de l’âge de la majorité –, justifiés par le rapport bénéfices-risques, compte tenu du risque suicidaire.

L’idée est de réserver la décision de prescrire ces traitements aux réunions pluriprofessionnelles, non pas d’interdire la prescription. Il s’agit non pas de ralentir les quelques interventions de ce type, mais de les encadrer médicalement et de les sécuriser, d’autant qu’il s’agit de proposer des traitements à des sujets fragiles.

M. le président. L’amendement n° 17, présenté par Mmes Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéas 4 à 7

Supprimer ces alinéas.

La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Vous faites le choix aujourd’hui d’interdire les hormones masculinisantes et féminisantes pour les mineurs, ainsi que les chirurgies de réassignation de genre.

Vous agitiez, dans la version originelle de la proposition de loi, les chirurgies de réassignation sexuelle, preuve que vous ne vous êtes même pas réellement intéressés à la réalité des parcours de transition, car les opérations sur les organes génitaux sont déjà interdites avant 18 ans et la modification de cet âge n’est demandée par absolument personne.

Mais comment justifier cette interdiction, quand ces opérations sont toujours autorisées pour les personnes non-trans ? Seules les torsoplasties…

Mme Anne Souyris. … sont autorisées à partir de 16 ans.

Mme Anne Souyris. En réalité, elles sont réalisées à un âge relativement avancé, en moyenne à 18,4 ans, et ne concernent par ailleurs qu’un jeune homme trans sur cinq, suivi dans le cadre d’une transition. Nous sommes donc loin de ce que vous racontez…

Ainsi, vous souhaitez instaurer une discrimination de fait entre les personnes trans et les personnes non-trans. Aucune raison médicale ou éthique ne justifie que des traitements accessibles aux autres mineurs soient inaccessibles aux mineurs transgenres, sinon la transphobie.

Oui, quand une jeune fille fait une augmentation mammaire à 17 ans, ce qui est autorisé, il s’agit d’une chirurgie d’affirmation de genre !

Cette dichotomie dans vos prises de parole est assez problématique. Elle révèle bien une vision et un jugement des personnes trans.

M. le président. L’amendement n° 15, présenté par Mmes Rossignol et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Poumirol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

I. – Alinéas 4 à 7

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :

« Art. L. 2137-1. – Dans le cadre de la prise en charge de la dysphorie de genre, il est interdit de réaliser sur un patient âgé de moins de dix-huit ans des actes chirurgicaux de réassignation de genre.

II. – Alinéa 10, dernière phrase

Supprimer cette phrase.

III. - Alinéa 11

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Il est retiré au profit des précédents.

M. le président. L’amendement n° 15 est retiré.

L’amendement n° 41, présenté par M. Milon, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéas 4 et 7

Remplacer les mots :

âgé de moins de dix-huit ans

par le mot :

mineur

La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

M. le président. L’amendement n° 10 rectifié, présenté par Mme Guillotin, MM. Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Daubet, Mme N. Delattre, M. Fialaire, Mme Girardin, MM. Gold, Grosvalet et Guiol, Mme Jouve, MM. Laouedj et Masset, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Alinéa 10, dernière phrase

Supprimer cette phrase.

La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Cet amendement vise à supprimer l’instauration d’un délai minimal de deux ans, tout d’abord parce qu’il faut déjà six mois pour obtenir un rendez-vous pour une première consultation, ce qui porterait ce délai à deux ans et demi. Dans le cas d’une puberté qui démarrerait à 15 ou à 16 ans, cela reviendrait à interdire la prescription avant l’âge de 18 ans.

Par ailleurs, les délais fixes me posent toujours des difficultés. Un enfant de 14 ans peut-être mature trois ou six mois avant un autre. Un jeune de 18 ans peut également connaître un retard de puberté. Il est donc assez compliqué d’être en adéquation lorsque l’on fixe des limites d’âge assez précises en matière de puberté.

D’après ce que nous avons pu lire, il faut compter six mois d’attente pour obtenir un rendez-vous, auxquels s’ajoutent ensuite douze mois de réunions multiples : cela nous amène à 18 mois de manière naturelle. Voilà pourquoi il ne me paraît pas pertinent de prévoir un délai de deux ans.

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mme Muller-Bronn, M. Bouchet, Mme Joseph, M. Dhersin, Mmes F. Gerbaud, Jacquemet, Gosselin et Demas, M. Cadec, Mme Josende, MM. Panunzi et Menonville, Mme Noël, M. Naturel, Mmes Belrhiti, Sollogoub, Pluchet et P. Martin et MM. Reynaud et Saury, est ainsi libellé :

Alinéa 11

1° Première phrase

a) Après le mot :

pédiatrie

insérer les mots :

, un psychologue

b) Compléter cette phrase par les mots :

ainsi que les professionnels de santé impliqués dans la prise en charge du patient

2° Seconde phrase

Supprimer cette phrase.

La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.

Mme Laurence Muller-Bronn. Cet amendement a pour objet de prévoir dans les réunions de concertation pluridisciplinaire la présence obligatoire d’un psychologue, ainsi que des professionnels de santé impliqués dans la prise en charge du patient, au même titre que les médecins.

Monsieur le rapporteur vous avez émis un avis défavorable sur cet amendement arguant qu’il s’agissait de remplacer l’assistante sociale par un psychologue. Tel n’est pas l’objet de mon amendement, qui vise plutôt à intégrer les psychologues aux côtés des assistantes sociales et des médecins.

Une étude menée sur la consultation des jeunes à la Pitié-Salpêtrière, publiée en 2023 dans la revue Neuropsychiatrie de lenfance et de ladolescence, établit en effet un lien entre une plus grande place laissée à la parole et une prescription plus faible de traitements hormonaux. Elle montre qu’avec une prise en charge psychologique sans prescription médicamenteuse, la très grande majorité des jeunes – 80 % à 90 % d’entre eux – se réconcilie avec leur sexe de naissance.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Ces amendements visent tous à revenir sur les modalités d’encadrement de la primoprescription des bloqueurs de puberté adoptées par la commission.

L’amendement n° 9 rectifié de Mme Guillotin tend à supprimer l’interdiction de prescrire des traitements hormonaux et de réaliser des chirurgies de réassignation sur des mineurs. Il vise à soumettre ces prescriptions et ces actes au même encadrement que les bloqueurs de puberté.

L’amendement n° 17 de Mme Souyris vise à supprimer l’interdiction de prescrire des traitements et de réaliser des chirurgies de réassignation, sans prévoir un tel encadrement.

L’amendement n° 15 de Mme Rossignol, qui a été retiré, tendait à supprimer l’interdiction de prescrire des traitements hormonaux, le délai minimal de deux ans devant séparer la prescription de bloqueurs de la première consultation et les dispositions fixant la composition des RCP.

L’amendement n° 10 rectifié de Mme Guillotin vise à supprimer le délai minimal de deux ans devant séparer la prescription de bloqueurs de la première consultation en centre de référence. Certes, il faut actuellement six mois pour obtenir une première consultation dans un tel centre, mais c’est uniquement parce que les équipes ne sont pas constituées et nommées. Dès qu’elles le seront, et compte tenu du fait que seuls 200 ou 300 cas sont à traiter par an, ce délai de six mois disparaîtra obligatoirement. Le délai de deux ans demandé par les équipes me semble donc plus que nécessaire.

Enfin, l’amendement n° 2 rectifié de Mme Muller-Bronn vise à rendre obligatoire la présence d’un psychologue et des professionnels de santé impliqués dans la prise en charge du patient en RCP, et à exclure, en revanche, la présence d’un assistant social.

Il me semble que l’encadrement proposé par notre commission est le bon. Les bloqueurs de puberté, dont les effets sont réversibles, peuvent être prescrits au mineur après expiration d’un délai de deux ans permettant de s’assurer de son consentement éclairé. Les traitements hormonaux et chirurgicaux, dont les effets sont en partie irréversibles, demeurent en revanche différés à l’âge adulte.

Je pense qu’il est également nécessaire de permettre la présence d’un assistant social à la RCP : celui-ci est susceptible d’éclairer les professionnels de santé sur la situation administrative du patient. Il est par ailleurs préférable de permettre aux professionnels de santé impliqués dans la prise en charge du mineur d’y participer, sans rendre cette présence obligatoire pour ne pas alourdir l’organisation des RCP, au risque de rendre difficile leur organisation.

J’émets donc un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements, à l’exception, bien sûr, de l’amendement rédactionnel n° 41 de la commission, qui est absolument essentiel.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. En cohérence avec l’explication que je donne depuis tout à l’heure, je demande le rejet de l’ensemble de ces amendements afin de ne pas encadrer davantage les pratiques médicales liées à l’accompagnement de ces patients.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour explication de vote sur l’amendement n° 2 rectifié.

Mme Laurence Muller-Bronn. Monsieur le rapporteur, il est question de rendre obligatoire la présence d’un psychologue non pas à la place d’une assistante sociale, mais à ses côtés et à ceux des médecins.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 9 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 17.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 41.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 11 rectifié, présenté par Mme Guillotin, MM. Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Daubet, Mme N. Delattre, M. Fialaire, Mme Girardin, MM. Gold, Grosvalet et Guiol, Mme Jouve, MM. Laouedj et Masset, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Alinéa 11

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Ces réunions peuvent se tenir en visioconférence.

La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Au travers de cet amendement, je propose que les RCP puissent se tenir en visioconférence, afin de permettre une plus grande égalité territoriale.

En effet, l’éloignement de la famille ou du médecin de référence du patient par rapport au centre de référence ou au lieu où se tient la réunion peut conduire à un renoncement aux soins.

Rendre possible la participation par visioconférence pourrait quelquefois réduire l’hétérogénéité entre les territoires.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Nous sommes évidemment tout à fait favorables à ce que certains professionnels de santé puissent participer à distance aux réunions de concertation pluridisciplinaire organisées dans le cadre de la prise en charge des mineurs présentant une dysphorie de genre.

Il nous a semblé qu’il fallait sur ce point laisser les équipes s’organiser, donc ne pas interdire cette possibilité, mais ne pas non plus la rendre obligatoire.

La commission sollicite donc le retrait de l’amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Tant que la Haute Autorité de santé ne se sera pas prononcée, pour les raisons qui ont déjà été invoquées, je plaiderai contre l’encadrement des pratiques.

J’émets donc, là encore, un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 11 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme Muller-Bronn, M. Bouchet, Mmes Joseph et Demas, M. Dhersin, Mmes F. Gerbaud, Jacquemet et Gosselin, M. Cadec, Mme Josende, MM. Panunzi et Menonville, Mmes Sollogoub et Pluchet, M. Naturel, Mme P. Martin, MM. Reynaud et Saury et Mme Noël, est ainsi libellé :

Alinéa 12

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Les titulaires de l’autorité parentale assistent aux réunions de concertation pluridisciplinaire. Ils décident de la présence du patient aux réunions. »

La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.

Mme Laurence Muller-Bronn. Cet amendement a pour objet d’affirmer la nécessité pour les parents de participer aux réunions de concertation pluridisciplinaire afin qu’ils soient étroitement associés au diagnostic médical.

Les parents sont souvent désemparés, voire isolés face à l’intensité du mal-être de leur enfant et, surtout, au risque suicidaire qu’il invoque pour faire pression sur eux.

Cet amendement vise donc à les faire participer pleinement aux échanges d’informations et aux communications relatives au diagnostic au sein des RCP.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Nous sommes évidemment favorables à ce que les parents puissent assister aux réunions, raison pour laquelle la commission des affaires sociales a inscrit cette faculté dans la loi.

Toutefois, il ne nous semble ni nécessaire ni souhaitable de rendre cette présence obligatoire. Certains parents pourraient ne pas souhaiter assister à ces réunions. En tout état de cause, leur consentement demeurera obligatoire préalablement à la prescription.

Par conséquent, la commission sollicite le retrait de l’amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Défavorable.

M. le président. Madame Muller-Bronn, l’amendement n° 3 rectifié est-il maintenu ?

Mme Laurence Muller-Bronn. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié est retiré.

L’amendement n° 40, présenté par M. Milon, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 13

1° Remplacer la première occurrence du mot :

Les

par les mots :

Le I n’est pas applicable aux

2° Après les mots :

promulgation de la

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

présente loi.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Sagesse.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 40.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Article 3

Article 2

I. – Après la section 2 du chapitre Ier du titre Ier du livre V du code pénal, est insérée une section 2 bis ainsi rédigée :

« Section 2 bis

« De la prise en charge de la dysphorie de genre chez les personnes mineures

« Art. 511-14. – Le fait de méconnaître les dispositions des articles L. 2137-1 et L. 2137-3 du code de la santé publique relatives à la prise en charge des mineurs présentant une dysphorie de genre est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »

II. – Après le chapitre III du titre VI du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique, il est inséré un chapitre III bis ainsi rédigé :

« CHAPITRE III BIS

« Dysphorie de genre chez les mineurs

« Art. L. 2163-9. – Comme il est dit à l’article 511-14 du code pénal ci-après reproduit :

« “Art. 511-14. – Le fait de méconnaître les dispositions des articles L. 2137-1 et L. 2137-3 du code de la santé publique relatives à la prise en charge des mineurs présentant une dysphorie de genre est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.” »

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.

L’amendement n° 5 est présenté par Mmes Silvani, Apourceau-Poly et Brulin, MM. Brossat, Bacchi, Barros et Bocquet, Mme Corbière Naminzo, MM. Corbisez et Gay, Mme Gréaume, M. Lahellec, Mme Margaté, MM. Ouzoulias et Savoldelli, Mme Varaillas et M. Xowie.

L’amendement n° 12 rectifié est présenté par Mme Guillotin, MM. Grosvalet, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Daubet, Mme N. Delattre, M. Fialaire, Mme Girardin, MM. Gold et Guiol, Mme Jouve, MM. Laouedj et Masset, Mme Pantel et M. Roux.

L’amendement n° 14 est présenté par Mmes Rossignol et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Poumirol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 34 est présenté par Mmes Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Silvana Silvani, pour présenter l’amendement n° 5.

Mme Silvana Silvani. La proposition de loi de nos collègues Les Républicains a suscité beaucoup d’inquiétudes parmi les personnes transgenres.

Nous avons reçu de très nombreux témoignages de jeunes majeurs ayant eu recours à des bloqueurs de puberté, de parents ayant accompagné leurs enfants dans leur parcours d’affirmation de genre, mais aussi de parents dont les enfants se sont suicidés en raison de la transphobie qu’ils subissaient au quotidien.

En tant qu’humaniste, on ne peut refuser l’accès aux soins à certaines personnes ni remettre en cause le serment des médecins parce que les patients sont en questionnement de genre.

Chers collègues, en fixant une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende pour les professionnels de santé qui prescriraient des bloqueurs de puberté et des traitements hormonaux à des patients âgés de moins de 18 ans, vous condamnez les jeunes en dysphorie de genre soit à se rendre à l’étranger ou à recourir à la médecine parallèle, soit à demeurer dans leur mal-être et à subir la transphobie au lycée. Enfin, vous empêchez les médecins de faire leur travail.

Par cohérence avec notre amendement de suppression de l’article 1er, nous demandons la suppression de l’article 2.

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour présenter l’amendement n° 12 rectifié.

Mme Véronique Guillotin. Je trouve le principe des sanctions désolant.

Chers collègues, il y a parmi nous beaucoup de professionnels de santé. Vous le savez : les cas sont très individuels ! N’inscrivons donc pas dans la loi une disposition qui empêcherait les praticiens de prendre en charge tout gamin de 17 ans et demi qui aurait un souci majeur, passibles qu’ils seraient de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

C’est avec beaucoup de conviction que j’ai déposé cet amendement. Ce n’est pas parce que l’article 1er a été adopté que l’article 2 ne peut pas être supprimé.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour présenter l’amendement n° 14.

Mme Laurence Rossignol. L’amendement est défendu – il l’a fort bien été par M le ministre tout à l’heure.

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour présenter l’amendement n° 34.

Mme Anne Souyris. L’amendement est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. L’existence de sanctions pénales à l’encontre des professionnels de santé qui méconnaîtraient l’encadrement légal de la prise en charge des mineurs présentant une dysphorie de genre est à notre sens nécessaire, monsieur le ministre.

La commission des affaires sociales a d’ailleurs étendu ces dispositions pour tenir compte des modifications apportées à l’article 1er.

Lorsque le législateur a jugé nécessaire d’encadrer d’autres prises en charge médicales, il a régulièrement assorti ces encadrements de peines.

J’en donnerai deux exemples : le fait de procéder à un diagnostic prénatal sans autorisation et le fait de mettre en œuvre des activités d’assistance médicale à la procréation sans autorisation, qui sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur ces amendements de suppression de l’article 2.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. J’ai dit déjà, lors de la discussion générale, à quel point l’article 2 ouvrait une brèche. Après tout, pourquoi pas ? Mais je veux que chacun en ait conscience.

De fait, il serait inédit d’assortir de sanctions pénales la violation par les professionnels de santé de l’interdiction de prescrire – en l’occurrence, de prescrire des traitements hormonaux tendant à développer les caractéristiques sexuelles secondaires du genre auquel le mineur s’identifie.

Le seul cas dans lequel le code de la santé publique interdit une prescription aux médecins concerne les substances classées comme stupéfiants. Ce n’est pas l’exemple que vous avez pris, monsieur le rapporteur, mais c’est bien le seul exemple qui fonctionne en droit.

Ces interdictions de prescription ne font l’objet d’aucune répression, y compris lorsqu’elles concernent les stupéfiants. Je le dis de manière solennelle : ni le code pénal ni le code de la santé publique ne sanctionnent actuellement le fait, pour un médecin, de violer une interdiction de prescription.

Cela apparaît justifié par le fait que le médecin n’est libre de ses prescriptions que dans les limites fixées par la loi. Dans le cadre juridique qui s’applique à l’exercice médical, sa responsabilité civile ne peut être engagée que dans le cas où il transgresserait un interdit et commettrait une faute, et uniquement dans ce cas.

Ayez donc conscience, mesdames, messieurs les sénateurs, que, en votant cet article, vous ouvrez une brèche dans la conception de la prescription médicale qui a toujours prévalu en France. Libre à votre assemblée de le faire, mais je tenais à vous mettre en garde de manière très solennelle.

Pour sa part, le Gouvernement est favorable aux amendements de suppression.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5, 12 rectifié, 14 et 34.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 est adopté.)

Chapitre II

Mise en place d’une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie

(Division nouvelle)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Article 4 (nouveau)

Article 3

I. – Une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie est élaborée dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, puis révisée au moins tous les cinq ans, sous la responsabilité du ministère de la santé.

II. – Elle a comme objectif que tout enfant ou adolescent bénéficie, dans les meilleurs délais, des moyens lui permettant de retrouver un état de bien-être psychique contribuant à l’épanouissement de son développement, et des soins en santé mentale nécessaires. Elle inclut également un volet relatif à la formation de l’ensemble des professionnels de santé à la prise en charge des problématiques de santé mentale des enfants et adolescents et un volet relatif à la revalorisation des conditions d’exercice de la pédopsychiatrie.

III. – Elle se décline en un réseau territorial de structures pédopsychiatriques dans le cadre du projet territorial de santé mentale mentionné à l’article L. 3221-2 du code de la santé publique de manière à garantir à chaque enfant ou adolescent en souffrance psychique d’être soigné au sein de son lieu de vie ou de son lieu de soins.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, sur l’article.

Mme Laurence Muller-Bronn. L’article 3 est consacré au développement des moyens nécessaires à la prise en charge des mineurs en pédopsychiatrie, secteur aujourd’hui menacé par une pénurie majeure, comme l’indique la Cour des comptes dans son rapport de mai 2023.

Les chiffres sont alarmants : 1,5 million d’enfants et d’adolescents souffrent d’un trouble psychique, dont 600 000 à 800 000 de troubles plus sévères, selon le rapport.

Très récemment, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) a révélé dans une étude que les troubles psychiques des mineurs, particulièrement des jeunes filles, atteignent des niveaux sans commune mesure avec ceux que l’on peut observer dans la population générale adulte.

En psychiatrie, les taux d’hospitalisation pour gestes suicidaires ou auto-infligés chez les filles âgées de 10 à 19 ans a doublé une première fois entre 2012 et 2020, puis une seconde fois entre 2020 et 2022.

La Drees précise que cette envolée des hospitalisations chez les jeunes femmes ne peut être constatée ni chez les garçons ou les jeunes hommes ni chez les adultes de plus de 30 ans. Ce sujet dépasse donc largement le questionnement de genre.

Enfin, la santé mentale des mineurs doit aussi nous inquiéter en raison de la surconsommation de médicaments psychotropes chez les enfants. Les chiffres pour l’année 2021 ont explosé, la consommation d’hypnotiques ayant augmenté de 224 % !

Ces chiffres figurent dans un rapport publié par le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge en mars 2023. Le Haut Conseil y révèle que le nombre de délivrances de psychotropes chez les 0-19 ans s’est chiffré en millions en 2021. Il précise par ailleurs que toutes ces prescriptions ont été données hors autorisation de mise sur le marché et qu’elles transgressent les recommandations des agences de santé et les consensus scientifiques.

Cette médicalisation à outrance ne peut pas résoudre les troubles psychiques complexes, nous le savons. Avant d’ajouter encore des traitements chimiques incertains, le recours à la parole et à la psychothérapie devrait rester la priorité.

Enfin, au moment où l’on nous parle d’empathie, sachez que les victimes trans d’Androcur portent plainte contre l’État. Produit par le laboratoire Bayer, commercialisé depuis 1980, ce médicament a été prescrit massivement à des femmes contre l’endométriose et l’acné ou encore comme moyen de contraception, et il est donné en hormonothérapie aux personnes transgenres pour ses propriétés anti-androgéniques.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 13 rectifié est présenté par Mme Guillotin, MM. Grosvalet, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Daubet, Mme N. Delattre, M. Fialaire, Mme Girardin, MM. Gold et Guiol, Mme Jouve, MM. Laouedj et Masset, Mme Pantel et M. Roux.

L’amendement n° 16 est présenté par Mmes Rossignol et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Poumirol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Philippe Grosvalet, pour présenter l’amendement n° 13 rectifié.

M. Philippe Grosvalet. Je commencerai par faire un petit rappel historique : le mercredi 10 février 2010, un décret paraissait au Journal officiel de la République française. Pour la première fois dans le monde, un pays, la France, excluait le transsexualisme de la liste des maladies mentales. Il était signé de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, alors ministre de la santé, qui avait d’ailleurs promis cette exclusion quelques mois auparavant.

Quatorze ans plus tard, nous examinons ensemble, mes chers collègues, cet article 3, qui prévoit la mise en place d’une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie dans une proposition de loi sur les personnes en questionnement de genre.

Si important soit-il, comme le montre le fort engagement de notre groupe en sa faveur, le sujet de la pédopsychiatrie n’a absolument rien à faire dans un texte sur les mineurs en questionnement de genre.

Depuis 2010, de l’eau a coulé sous les ponts, mais certains d’entre vous restent visiblement irrigués par les mêmes idées rétrogrades, à rebours des aspirations à la tolérance et du nouveau rapport à l’identité et au genre qui émerge aujourd’hui dans notre société.

C’est au nom de cette évolution que je vous invite, mes chers collègues, à voter pour cet amendement, qui vise à supprimer l’article 3.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour présenter l’amendement n° 16.

Mme Laurence Rossignol. On se demande vraiment ce que cet article fait dans ce texte !

Bien sûr, tout le monde est favorable à une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie. D’ailleurs, le Gouvernement a tenu, la semaine dernière, des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, où M. Valletoux était d’ailleurs, je crois, le seul ministre présent. La stratégie pour la pédiatrie et la santé de l’enfant qui y a été présentée comporte un axe sur la santé mentale des enfants et des adolescents qui pourrait valoir stratégie en matière de pédopsychiatrie.

Ce que nous attendons du Gouvernement, c’est que les préconisations qui ont été faites à cette occasion soient suivies d’effets et soient mises en œuvre ! L’enjeu, aujourd’hui, est bien celui-là. Il n’est pas que le Sénat vote le principe d’une stratégie pour la pédopsychiatrie.

Pourquoi, d’ailleurs, lier celle-ci à la question des transitions des mineurs ? Pourquoi pas plutôt à celle des troubles alimentaires ou encore à celle des automutilations ? De fait, il y a mille et une raisons de définir une telle stratégie.

Nous n’avons pas trop compris ce choix. S’agit-il de montrer que le Sénat se préoccupe des enfants et des adolescents et de leur santé mentale plus largement que de la simple question des transitions ?

Mme Laurence Rossignol. S’agit-il de montrer que la question des transitions de genre relève de la psychiatrie ? Ce n’est pas clair.

Afin d’éviter tous les malentendus – il est souhaitable qu’ils soient les moins nombreux possible –, il serait bien que cet amendement soit adopté.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Pour éviter tout malentendu, madame Rossignol, je réaffirme ici que nous considérons depuis longtemps que la transition de genre n’est pas une maladie psychiatrique.

Je répète aussi à M. Grosvalet que nous ne sommes pas rétrogrades sur le sujet, bien au contraire.

Cependant, si le questionnement de genre n’est pas une maladie psychiatrique, il entraîne une souffrance importante, qui nécessite des soins et un suivi par un psychologue ou un pédopsychiatre. C’est le sens de l’article 3 de la proposition de loi.

Je souhaite rappeler quelques chiffres, que certains de mes collègues ont déjà évoqués. Selon l’étude nationale sur le bien-être des enfants (Enabee) publiée par Santé publique France l’année dernière, 13 % des enfants scolarisés en élémentaire présentaient un trouble probable de santé mentale.

Le résultat d’une enquête publiée par la Drees ce mois-ci montre que le taux d’hospitalisation pour des gestes auto-infligés, qui intègrent notamment les tentatives de suicide, des filles âgées de 10 à 19 ans a doublé entre 2012 et 2020, puis de nouveau entre 2020 et 2022.

Enfin, selon le Conseil national de l’ordre des médecins, que nous avons auditionné, le nombre de professionnels spécialisés en psychiatrie des enfants et des adolescents a baissé de 34 % entre 2010 et 2022.

Ces chiffres sont évidemment éloquents.

La commission a donc souscrit à l’objectif de faire de la pédopsychiatrie une priorité de santé publique et de permettre à tout enfant de bénéficier d’un accès aux soins psychiatriques.

Elle a adopté et précisé l’organisation de la stratégie nationale prévue par le texte, en y ajoutant un volet relatif à la formation des professionnels de santé et un autre relatif à l’amélioration des conditions d’exercice de la pédopsychiatrie.

Je dois dire ici, monsieur le ministre, qu’il sera peut-être utile, dans le cadre de la politique conventionnelle, d’étudier la manière dont l’acte de pédopsychiatrie pourrait être mieux payé que l’acte de psychiatrie tout court.

Les pédopsychiatres nous disent tous la même chose : une consultation de psychiatrie dure entre vingt minutes et une demi-heure, quand une consultation de pédopsychiatrie dure au minimum deux heures. Or elles sont payées de la même façon ! Il est donc nécessaire de revoir les conditions d’exercice de la pédopsychiatrie pour inciter les jeunes à aller vers cette spécialité. (M. le ministre délégué marque son approbation.)

La mise en place de la stratégie s’inscrit dans la continuité des conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur la santé mentale publié en décembre 2021 – j’étais à l’époque président de la commission et Philippe Mouiller faisait partie des défenseurs de cette demande sur la pédopsychiatrie –, ainsi que de la proposition de résolution présentée par notre collègue Nathalie Delattre et récemment adoptée à l’unanimité par notre assemblée.

Elle rejoint également l’un des objectifs que vous avez vous-même annoncés, monsieur le ministre, lors des assises de la pédiatrie : améliorer la réponse en pédopsychiatrie sur l’ensemble du territoire.

La commission est donc défavorable à ces amendements de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Je serai cohérent avec la position qui est la mienne depuis le début sur l’ensemble de ce texte.

Comme je l’ai indiqué en introduction de nos débats, l’annonce d’une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie n’a rien à faire dans cette proposition loi.

Cela dit, je souscris aux propos que vient de tenir M. le rapporteur sur la mobilisation commune de tous ici. Les nombreuses questions qui m’ont été posées sur le sujet lors de ma dernière audition par la commission des affaires sociales montrent bien la préoccupation du Sénat sur le besoin de réveiller le secteur de la santé mentale, notamment pour accompagner les plus jeunes.

Croyez bien que le Gouvernement s’y attelle ! Je remercie M. le rapporteur de l’avoir souligné.

Pour ce faire, nous nous inspirons évidemment des réflexions et de la mobilisation qui sont les vôtres depuis déjà longtemps, mesdames, messieurs les sénateurs.

Toutefois, il ne me semble pas approprié d’apporter une réponse à ce problème par un article dans cette proposition de loi.

J’émets donc un avis favorable sur les amendements de suppression de cet article.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Je veux simplement répondre à l’interrogation de Laurence Rossignol.

Si cet article sur la mise en place d’une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie figure dans le texte, ce n’est pas parce que nous voulons établir un lien entre celle-ci et le sujet abordé aux articles 1er et 2. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.) C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la commission a bien séparé les choses en créant des chapitres distincts. Nous avons simplement voulu profiter d’un vecteur, car les vecteurs sont rares !

Mes chers collègues, monsieur le ministre, certaines ou certains d’entre vous consultent peut-être de temps en temps un médecin scolaire. Que fait un médecin scolaire lorsqu’il a face à lui une famille avec des enfants, des adolescents, qui se scarifient, qui s’automutilent, qui menacent de se suicider ? Il essaie désespérément d’obtenir un rendez-vous avec un pédopsychiatre. Dans le meilleur des cas, on lui propose un rendez-vous trois à six mois plus tard… Concrètement, voilà ce qui se passe, monsieur le ministre.

Nous ne voulions pas laisser passer une occasion de dire ce que nous avons à dire, de répéter ce que la commission a conclu il y a plusieurs années déjà. (Mme Mélanie Vogel sexclame.) Le sujet est trop important pour que nous ne le mettions pas sur la table ! (Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)

Mme Silvana Silvani. Ce n’est pas du tout le sujet !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 13 rectifié et 16.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L’amendement n° 6 rectifié bis, présenté par Mme Devésa, M. Mizzon, Mme Guidez et MM. Canévet et Ravier, est ainsi libellé :

Alinéa 2, première phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

Elle a comme objectif de garantir à tout enfant ou adolescent l’accès aux soins nécessaires à la bonne prise en charge de sa santé mentale.

La parole est à Mme Brigitte Devésa.

Mme Brigitte Devésa. Il s’agit d’un amendement de simplification.

Selon Santé publique France, la santé mentale comprend trois composantes : la santé mentale positive, la détresse psychologique réactionnelle et les troubles psychiatriques de durée variable.

La rédaction proposée de la première phrase de l’alinéa 2, en visant la bonne prise en charge de la santé mentale, simplifie le droit proposé, tout en satisfaisant l’objectif du texte.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Avis favorable.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Je n’interviendrai pas sur le fond.

La liste pour le moins surprenante des cosignataires de cet amendement, à savoir quatre sénateurs du groupe Union Centriste et le sénateur du groupe Reconquête, me paraît être un événement suffisamment important dans cet hémicycle pour être souligné.

Il me paraît justifié que l’on interpelle l’ensemble des sénateurs du groupe Union Centriste pour leur demander si cet amendement les engage tous, comment ils vivent son existence et quel est l’avenir de leur groupe. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6 rectifié bis.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par Mme Devésa, M. Mizzon, Mme Guidez et MM. Canévet et Ravier, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Supprimer les mots

de manière à garantir à chaque enfant ou adolescent en souffrance psychique d’être soigné au sein de son lieu de vie ou de son lieu de soins

La parole est à Mme Brigitte Devésa.

Mme Brigitte Devésa. Il s’agit d’un amendement de simplification rédactionnelle.

Par définition, un réseau territorial permettra à chaque mineur d’accéder à l’accompagnement nécessaire à proximité immédiate de son lieu de vie.

Par ailleurs, en supprimant la référence au « lieu de vie » ou au « lieu de soins », le législateur ouvre d’autres possibilités, qui pourraient, dans certains cas, être plus opportunes pour les jeunes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Je comprends, madame Devésa, l’objectif de simplification visé par les auteurs de l’amendement en supprimant la mention explicite de l’objectif de soins pédopsychiatriques de proximité.

Toutefois, j’estime nécessaire de préciser que le réseau de structures territoriales doit, dans sa mise en œuvre, permettre à chacun de recevoir des soins au sein de son lieu de vie.

Cela n’empêche évidemment pas une prise en charge dans d’autres structures plus éloignées, par la suite, si la situation le nécessite.

La commission sollicite donc le retrait de l’amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.

Mme Brigitte Devésa. Je retire l’amendement, monsieur le président !

M. le président. L’amendement n° 7 rectifié bis est retiré.

Je mets aux voix l’article 3, modifié.

(Larticle 3 est adopté.)

Chapitre III

Dispositions finales

(Division nouvelle)

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 4 (nouveau)

La présente loi fait l’objet d’un nouvel examen par le Parlement dans un délai maximal de cinq ans à compter de sa promulgation – (Adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article 4 (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Ian Brossat, pour explication de vote.

M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, en écoutant nos débats, je repensais à un échange sur le pacte civil de solidarité (Pacs) entre Christine Boutin et Muguette Jacquaint, qui était à l’époque députée de la Seine-Saint-Denis. Alors que Christine Boutin s’étendait longuement sur les souffrances, disait-elle, des personnes homosexuelles, Muguette Jacquaint lui répondit en substance : « C’est à cause de vous qu’elles souffrent. »

Au fond, ce texte, je le pense profondément, ne réglera rien. Au contraire, il aggravera les difficultés et les fragilités des personnes trans mineures. C’est donc un mauvais texte, raison pour laquelle notre groupe votera contre.

J’ajouterai que, malgré tout, je suis optimiste sur l’évolution des choses. Il y a trente ou quarante ans, il y avait des oppositions à la dépénalisation de l’homosexualité. Pourtant, cela s’est fait ! Il y a eu des oppositions à la dépsychiatrisation de l’homosexualité, et cela s’est fait ! Il y a eu des oppositions violentes et agressives au Pacs, et cela s’est fait ! Il y a eu des oppositions au mariage pour tous, et cela s’est fait.

Je suis donc convaincu que le jour viendra où les personnes trans seront traitées avec une égale dignité. Ce texte n’y contribue pas, mais ce temps viendra, et je souhaite qu’il vienne vite. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.

Mme Silvana Silvani. Pour ma part, je reviendrai sur les doutes qui ont été exprimés précédemment par certaines personnes, ce qui est tout à leur honneur.

Oui, il existe des doutes sur ce sujet. On a utilisé et manipulé des données scientifiques qui ne sont pas stabilisées – nous l’avons bien vu. Nous sommes capables, les uns et les autres, d’avancer avec la même certitude des arguments et leur contraire.

On nous dit que l’article 3 de ce texte n’a rien à voir avec les articles 1er et 2, qu’il serait un peu indépendant. Soit !

Enfin, l’article 4 prévoit qu’il faudra très probablement revenir sur la présente proposition de loi, les connaissances sur ces sujets étant susceptibles d’évoluer.

Ce texte est donc un peu brouillon.

Vous disiez, monsieur Retailleau, que vous au moins aviez eu le courage d’ouvrir le débat. Soit. Mais ouvrir le débat, ce n’est pas voter une proposition de loi ! C’est très bien de commencer à cerner le sujet ; pour autant, nous ne sommes manifestement pas prêts à prendre une décision sur cette question. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Nous maintenons, bien évidemment, notre opposition à ce texte.

M. le président. La parole à M. Rémi Féraud, pour explication de vote.

M. Rémi Féraud. À l’issue de ce débat, les positions sont plus claires… Deux types d’arguments, qui ne sont pas compatibles, ont été invoqués en défense de cette proposition de loi.

J’ai ainsi entendu dire, d’un côté, qu’il n’y avait pas de certitude en la matière ; or, en pareil cas, on ne se précipite pas pour légiférer en vue d’interdire des actes ! Il a également été dit, de l’autre côté, qu’il y avait des doutes : il faudrait donc, dans ce cas également, laisser du temps au temps… En réalité, il ne s’agit pas de véritables arguments.

Cette proposition de loi traduit une vision extrêmement idéologique, fondée sur beaucoup d’ignorance, de préjugés et, malheureusement, d’intolérance. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Les arguments sont les mêmes que ceux qui avaient été invoqués contre le pacte civil de solidarité et, il y a onze ans, contre le mariage pour tous ! Il s’agit ici d’interdire et de rejeter ce que l’on ne comprend pas, ce que l’on n’accepte pas.

Mais on n’interdira pas les personnes trans, les mineurs trans ! (Mêmes mouvements.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Ce n’est pas le sujet !

M. Rémi Féraud. Avec ce texte, on leur rendra seulement la vie plus difficile, ce qui est irresponsable. Interdire ce qui existe est absolument illusoire !

Disons-le clairement, le problème, c’est non pas l’accompagnement des mineurs trans, mais la transphobie ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je ne veux pas dire par là qu’il y aurait un camp du bien et un camp du mal ; je suis, en général, assez modéré. Pour autant, cette proposition de loi contribuera non pas à protéger les mineurs, non pas à garantir le principe de précaution, comme cela a été dit, mais à alimenter une transphobie, qui est déjà extrêmement forte dans notre société.

Je ne retiendrai qu’un point positif du débat sur cette proposition de loi, dont je déplorerai, comme – je pense – toute la gauche, l’adoption : la position du Gouvernement, que je salue, et qui, après un moment de flottement, a été très claire. J’espère que son refus de laisser ce texte prospérer sera durable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour explication de vote.

Mme Mathilde Ollivier. Mme Devésa nous a dit que les jeunes trans devaient attendre…

Attendre, alors que le taux de passage à l’acte chez ces jeunes est de 30 % à 50 % ? Attendre, alors que les bloqueurs de puberté permettent une diminution de 40 % du risque de dépression et de tentative de suicide chez les jeunes ?

Vous nous parlez de l’intérêt de l’enfant. Là encore, les scientifiques sont unanimes : l’impossibilité pour les mineurs d’accéder à ces soins risque de porter gravement atteinte à leur santé.

Vous nous avez dit, monsieur Retailleau, que ce texte n’était pas dogmatique. J’ose espérer qu’outre votre propre rapport, lequel est biaisé, vous avez lu celui de la Défenseure des droits, dont sont issus les chiffres que j’ai cités !

Ce soir, je me désole des dérives réactionnaires de la droite républicaine et d’une partie de l’Union Centriste,…

M. Stéphane Ravier. Et voilà les insultes !

Mme Mathilde Ollivier. … qui cosignent des amendements et tiennent des conciliabules avec l’extrême droite de cet hémicycle, qu’ils applaudissent. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart, pour explication de vote.

M. Joshua Hochart. Comme vous pouvez vous en douter, nous voterons cette proposition de loi.

Les personnes transsexuelles ou souffrant de dysphorie de genre doivent être écoutées, entendues, soutenues moralement et aimées. Mais le sujet aujourd’hui n’est pas réellement celui-là.

Tout d’abord, nous soutenons ce texte parce qu’il va dans le même sens que celui que portent notre collègue Joëlle Mélin et le groupe Rassemblement national de l’Assemblée nationale. (Vives exclamations sur les travées des groupes RDPI et SER.)

M. Hussein Bourgi. Nous y voilà !

M. Joshua Hochart. Ensuite, sur le fond, il nous faut évidemment préciser qu’une transition définitive et irréversible est le choix d’une vie. Beaucoup d’enfants et d’adolescents peuvent traverser des phases de doute et d’incertitude et penser, parfois à tort, que la transition est la clé.

Il convient de ne pas omettre les pesanteurs politiques et idéologiques qui orientent quelquefois les choix, même au sein du cercle familial. Il faut mettre en place un accompagnement et un soutien psychologique et social qui permettront au jeune, lorsqu’il atteindra la majorité, de faire un choix de manière libre et éclairée, un choix libéré de toutes contraintes.

J’entends, à gauche de cet hémicycle, mes collègues s’insurger contre cette proposition de loi, arguant qu’elle représenterait une réelle menace pour les personnes trans et, plus largement, pour les personnes homosexuelles. Ils se cachent volontairement les yeux, en oubliant que la véritable menace pour les personnes trans et homosexuelles dans ce pays, c’est l’immigration massive et la montée de l’islam radical. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.) Oui, je sais, mes chers collègues, que vous souffrez en m’écoutant parler ! L’islam radical fait bien peu de cas de la liberté de conscience, de la liberté sexuelle et de la liberté tout court ! (Mêmes mouvements.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour explication de vote.

Mme Marie-Do Aeschlimann. Mes chers collègues, nous devrions nous réjouir d’avoir eu ce débat sur ce sujet grave et important. Je tiens, au nom du groupe Les Républicains, à remercier notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio d’avoir réalisé ce travail de recherche et de documentation pour étayer une position qui est équilibrée, et d’avoir réussi, avec le concours de notre rapporteur Alain Milon, à faire progresser cette proposition de loi pour lui donner une dimension et un sens qui permettent d’affirmer deux points.

Tout d’abord, et cela a été rappelé à plusieurs reprises par les orateurs, ce texte ne constitue en aucun cas une prise de position contre les personnes transgenres, ou celles dont les orientations, notamment sexuelles, sont différentes. Nous respectons profondément toutes celles et tous ceux dont les vues, les habitudes et les orientations sont différentes !

La finalité de ce texte est bien de protéger les enfants. Il s’agit d’éviter que des mineurs ne prennent des décisions irréversibles en recourant aux bloqueurs de puberté et à la chirurgie de réassignation sexuelle, ce qui pourrait les empêcher de changer d’avis lorsqu’ils auront atteint l’âge de la majorité.

Il est vrai que ces sujets sont compliqués et graves. Mais pour notre part, nous avons pris nos responsabilités. Je pense que nous nous rendrons compte, plus tard, qu’il fallait discuter de ce texte pour poser les problèmes tranquillement, calmement et avec responsabilité. Le groupe Les Républicains votera ce texte avec sérieux et détermination ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour ma part, j’ai perçu dans les propos du rapporteur, que je connais depuis quelques années et qui est un humaniste, non pas des arguments idéologiques ou discriminants, mais plutôt de la bienveillance à l’égard des adolescents qui recherchent leur identité, ont une transidentité, ou souffrent de dysphorie de genre. En France, le nombre de ces jeunes, qui sont peut-être mieux diagnostiqués, a beaucoup augmenté puisqu’il a été multiplié par dix depuis 2013.

Cette proposition de loi ne vise ni à nier le fait que les personnes trans ont besoin de traitements hormonaux, notamment de bloqueurs de puberté, qui leur permettent d’améliorer leur situation ni à empêcher la prescription desdits traitements. Il s’agit d’éviter certaines thérapeutiques pouvant entraîner des effets secondaires, notamment la stérilité, et des regrets.

Les adolescents, qui sont très fragiles, doivent être aidés par leur famille et bénéficier d’un meilleur accompagnement psychologique, voire psychiatrique si le médecin traitant le juge utile, mais aussi de consultations en endocrinologie dans des centres spécialisés.

Je n’ai pas voté pour l’article 2, qui porte sur un sujet très lourd ; je pense qu’il sera peut-être modifié par la commission mixte paritaire.

À l’article 3, le renforcement de la pédopsychiatrie est un objectif très important, même s’il n’a pas de rapport direct avec le présent texte. Tous les départements connaissent de grandes difficultés dans ce domaine, notamment dans les centres départementaux de l’enfance (CDE) et les maisons d’enfants à caractère social (Mecs).

À titre personnel, je voterai pour la proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.

M. Yan Chantrel. Nous voterons bien évidemment contre cette proposition de loi, un texte qui est, comme l’ont dit mes collègues, ultra-idéologique et violent à l’encontre des personnes trans.

Nous avons souligné tout au long de ce débat la désinformation et les contre-vérités contenues dans le rapport, dont il convient de rappeler qu’il émane du groupe LR, et qui sont une projection de vos fantasmes identitaires, mes chers collègues. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vous avez dit que cette proposition de loi était équilibrée. Or elle serait, si elle était adoptée, le texte le plus restrictif en Europe en la matière.

Vous en êtes responsable, monsieur Retailleau, et cela en dit long sur votre famille politique ! En effet, vous choisissez de confier systématiquement les textes qui reflètent votre vision des questions de société à des parlementaires dont les positions sont marginales sur ces sujets et qui tiennent des propos outranciers. C’est précisément ce qui crée des problèmes !

Ce débat nous montre que rien n’a changé à droite et nous rappelle quel est votre héritage, votre filiation historique. Vous avez toujours été dans le camp de la réaction : le camp de ceux qui ont voté contre la dépénalisation de l’homosexualité, qui ont combattu et voté contre le droit à l’avortement, combattu le Pacs, le mariage pour tous, et toutes les politiques émancipatrices ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Contre-vérité historique !

M. Bruno Retailleau. Et contre Robespierre ! (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Yan Chantrel. La transidentité ne se combat pas, elle s’écoute ! Il convient de l’accompagner, avec comme seule boussole le bien-être de l’enfant et de l’adolescent. C’est pour cette raison que nous voterons résolument contre cette proposition de loi rétrograde.

M. Max Brisson. C’est une réécriture historique !

M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard, pour explication de vote.

Mme Olivia Richard. Je me garderai bien de prendre la parole au nom de l’ensemble du groupe centriste, qui est divisé sur ce texte. Il me paraissait néanmoins important de faire part de mon étonnement, que certains d’entre vous partagent.

On nous a expliqué qu’il était important de débattre de cette question aujourd’hui et, dans le même temps, qu’il n’était pas grave que les adolescents attendent deux ans pour bénéficier de bloqueurs de puberté… On nous a dit aussi qu’il était impossible d’attendre durant dix-huit mois les recommandations de la Haute Autorité de santé. Je sais bien que le temps est relatif, mais tout de même !

Je n’ai pas été convaincue par certains arguments, qui ne me paraissent pas pertinents, notamment ceux qui portent sur le risque de regrets. Si l’on s’en tient aux chiffres, 1 % seulement des jeunes concernés considèrent avoir pris une mauvaise décision en entamant une transition. Par comparaison, dans le domaine de la chirurgie esthétique, dont les interventions entraînent 5 % de complications graves, le taux de regret se situe entre 10 % et 35 %. Dans ce cas, pourquoi ne pas remettre en cause l’encadrement de la chirurgie esthétique ? Je ne vois pas où est la cohérence…

Sans connaître personnellement de telles situations, je me dis, en me mettant à la place des familles confrontées à ces questionnements et à ces souffrances, qu’il vaut mieux accompagner des parents qui accueillent ces situations plutôt que d’autres qui jettent leurs enfants à la rue – on sait que cela existe… (Mme Christine Bonfanti-Dossat proteste.)

Ce sujet aurait pu être abordé sous d’autres angles, afin d’envisager un meilleur accompagnement et une meilleure prise en compte de la douleur que les uns et les autres peuvent ressentir. Mais je ne vois pas quel est l’intérêt de débattre de cette question dans l’urgence…

Je voterai contre ce texte. (Mme Anne-Sophie Romagny opine. – Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, SER, GEST et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny, pour explication de vote.

Mme Anne-Sophie Romagny. Ces débats ont effectivement été éclairants. À titre personnel, je m’étais posé beaucoup de questions…

Mes chers collègues, je souhaite vous faire part d’un message, lequel m’a profondément émue, que j’ai reçu d’un père, et qui m’aide aujourd’hui à prendre ma décision sur ce texte. Peut-être éclairera-t-il certains d’entre vous ?

Permettez-moi de vous le lire : « Aujourd’hui, la question clé pour moi est : mon enfant peut-il attendre sa majorité pour prendre en charge sa transidentité ? Franchement, je ne comprends pas comment on peut se sentir autre que son sexe de naissance, mais je peux l’entendre. Je ne comprends pas comment ça peut devenir urgent d’y faire quelque chose, mais je peux le constater.

« Je crois qu’aucun parent n’accueille la transidentité de son enfant en sautant de joie, mais aussi qu’un parent responsable se préoccupe du bien-être et du bon développement de son enfant en priorité.

« Si mon enfant pouvait attendre et gérer ça en responsabilité à l’atteinte de sa majorité, ça m’arrangerait bien, mais je crois que ce n’est pas possible et que c’est dangereux. Aujourd’hui, mon enfant va mieux. Je n’ai plus peur pour sa vie. Il rit plus. Ses résultats scolaires sont redevenus excellents. Il parle d’avenir et de projets. Est-ce trop tôt ? Peut-on se tromper ? Bien sûr qu’on peut, la vie n’est jamais certaine. Cela dit, ici, c’est quand même quelque chose de mûrement réfléchi et pesé : pas une fugue ou un décrochage scolaire à cause de trop de jeux vidéo, pas un abandon à la drogue, mais une affirmation de soi déstabilisante, mais aussi impressionnante à un si jeune âge.

« Aujourd’hui, je crois qu’interdire, c’est mettre en danger un enfant. Aucun enfant ne peut durablement se déclarer trans par effet de mode. Aucun parent n’a pour projet spontané de donner des hormones à son enfant. Ça arrive, c’est bizarre, difficilement compréhensible. Et le rôle des parents, de l’institution médicale et des pouvoirs publics est de protéger et de veiller au bien-être de ces enfants. »

J’espère que ces quelques mots pourront éclairer le débat. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour explication de vote.

Mme Mélanie Vogel. Mon intervention ressemblera quelque peu à la précédente puisque je vais vous lire le message – je m’étais engagée à le faire – que j’ai reçu de la mère d’une petite fille trans (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) :

« Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, aujourd’hui je vous écris en tant que mère inquiète pour son enfant, en lien avec d’autres familles qui ont, elles aussi, décidé d’accueillir la transidentité de leur enfant.

« Aujourd’hui je vous demande, nous vous demandons, de ne pas voter cette loi, amendée ou pas. Cette loi ne protège pas nos enfants, elle les met en danger. Négliger leur questionnement et refuser de les accompagner médicalement, c’est les condamner à l’attente, au mépris de leurs besoins et à la souffrance. Nos enfants n’ont pas besoin de cette loi. Ce dont ils ont besoin, ce sont des professionnels de santé, de l’éducation, de la justice formés à la transidentité. À celles et ceux qui n’ont pas encore bien compris les besoins spécifiques de ces enfants, ayez la sagesse de vous en remettre à nos expériences, qui ne font que confirmer l’avis de la Défenseure des droits.

« Nos enfants existent. Ils méritent de vivre dans la joie et dans l’apaisement. Ils méritent de vivre avec dignité. Si vous souhaitez vraiment les protéger, le plus important c’est de reconnaître leur existence. Aujourd’hui, le choix vous appartient entre reconnaître l’existence de nos enfants et leur permettre de vivre tel qu’ils sont, ou les condamner à des années de peur et de souffrance.

« C’est un choix qui me paraît simple, à moi qui ai décidé d’accueillir la transidentité de mon enfant et de la reconnaître dans le genre qu’elle a choisi. J’ai envie qu’elle continue à me dire, les yeux remplis de joie : “Regarde maman comme je suis belle.” Et j’aimerais pouvoir lui dire ce soir que ce sera aussi un peu grâce à vous. » (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour explication de vote.

Mme Anne Souyris. Je me demande pourquoi nous avons dû examiner une telle proposition de loi, alors même que nous ne disposons pas encore de l’avis de la Haute Autorité de santé !

Après avoir lu et décortiqué ce texte pendant plusieurs heures, on comprend très clairement qu’il est de facto porteur de discriminations, d’ailleurs pas forcément volontaires. Il prévoit en effet des interdits qui concernent non pas les cisgenres (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), mais seulement les transgenres ; de ce fait, il n’est même pas recevable, ce qui est heureux.

Ce texte est dangereux parce qu’il est ascientifique et ne part pas de la réalité que vivent les jeunes, les personnes qui les prennent en charge, les familles et les soignants.

Cette proposition de loi a sans doute été déposée pour plaire à quelques électeurs qui se sont perdus à l’extrême droite et que certains cherchent à faire revenir à droite. C’est bien dommage, car, comme cela a été dit à plusieurs reprises, des vies sont en jeu.

Les deux messages qui viennent d’être lus par nos collègues sont importants : ils montrent que si l’on prend en compte la réalité vécue par ces jeunes, alors on ne peut que voter contre ce texte, dont j’espère qu’il sera rejeté par l’Assemblée nationale. Ce serait une bonne chose pour notre démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour explication de vote.

Mme Muriel Jourda. Vous avez lu, mes chères collègues, des messages de parents dont les enfants veulent transitionner. C’était très émouvant ! Nous pourrions, quant à nous, vous transmettre des lettres de parents dont les enfants veulent détransitionner, et ce serait tout aussi émouvant…

Nous voulons tous ici protéger les enfants. Vous voulez le faire en suivant leur désir, quand nous souhaitons les protéger en questionnant ce désir suffisamment longtemps. C’est toute la différence entre nous !

Point n’est besoin de porter de jugements aussi péremptoires que ceux que vous avez exprimés ce soir ! Chacun votera en son âme et conscience… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Joshua Hochart applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Je tiens à apporter le soutien de la commission à la proposition de loi et à réagir à plusieurs propos que nous avons entendus.

Premier point : si l’on se penche attentivement sur ce texte, on constate qu’il ne nie en rien l’existence de la dysphorie de genre, mais qu’il vise à prendre en charge et à accompagner les jeunes qui souhaitent opérer une transition. Il s’agit non pas de dire que la transition de genre, c’est bien ou mal, ou de la rejeter, mais de s’interroger sur les outils médicaux d’accompagnement proposés, ainsi que sur les délais, et de prévoir l’intervention d’équipes pluridisciplinaires. Tel est le sens des amendements qu’a présentés le rapporteur.

Nous avons voulu non pas rejeter qui que ce soit, mais indiquer que des questions pouvaient se poser, dans la durée, sur des actes qui ne permettent pas de retour en arrière. Il s’agit donc plutôt d’une démarche de protection et d’accompagnement.

Nous ne nions rien, nous ne jugeons pas ; nous nous demandons simplement comment accompagner de façon consciente et responsable les jeunes qui, sur notre territoire, sont dans cette situation.

Deuxième point : il a beaucoup été question, monsieur le ministre, de la Haute Autorité de santé. Habituellement, on attend ses recommandations avant de pratiquer des actes. Ici, nous disons qu’il faut attendre son avis et suspendre la pratique d’actes dans cette attente. C’est l’inverse !

Attendons l’avis de la HAS afin de savoir quelles seront ses orientations et jusqu’où il sera possible d’aller. Dans cette attente, soyons prudents, concernant notamment des actes irréversibles.

Troisième point : nous aurons l’occasion de débattre de nouveau des points de vue des uns des autres. Le texte, sur proposition du rapporteur, prévoit en effet une clause de revoyure dans cinq ans. D’ici là, nous obtiendrons des informations et des précisions. Pour l’heure, la prudence s’impose.

Au regard de tous ces éléments, il convient de tenir des propos responsables.

Nombre d’arguments qui ont été invoqués étaient d’ordre technique, scientifique, et de bonne tenue, quelle que soit la position défendue. Mais il n’est pas besoin de se renvoyer la balle en opposant les bons et les méchants, ou les transphobes et ceux qui accompagnent les jeunes, ou encore de critiquer ceux qui n’ont qu’une visée politique !

Aujourd’hui, une question de fond est posée, et il existe différentes orientations à cet égard. L’intérêt des enfants étant en jeu, je voterai pour la proposition de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre.

J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Les Républicains et, l’autre, du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 204 :

Nombre de votants 324
Nombre de suffrages exprimés 316
Pour l’adoption 180
Contre 136

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
 

10

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 29 mai 2024 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

De seize heures trente à vingt heures trente :

(Ordre du jour réservé au groupe RDPI)

Débat sur le thème « Le contrôle des investissements étrangers en France comme outil d’une stratégie d’intelligence économique au service de notre souveraineté » ;

Proposition de loi ouvrant la possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d’assistant familial, présentée par M. Xavier Iacovelli (texte de la commission n° 618, 2023-2024).

Le soir, au plus tôt à vingt et une heures :

Débat sur le thème « La France a-t-elle été à la hauteur des défis et de ses ambitions européennes ? ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 29 mai 2024, à zéro heure vingt-cinq.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER