M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Anne Souyris. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, vous êtes toutes et tous contaminés ; nous sommes toutes et tous contaminés par les substances per- et polyfluoroalkylées.

Ces polluants éternels, dangereux pour notre santé et extrêmement persistants dans l’environnement sont partout : ustensiles de cuisine, textiles, cosmétiques, farts de ski, eaux, air, mousses anti-incendie. Ils sont partout, mais il y a une bonne nouvelle : avec ce texte, nous pouvons en finir, couper le robinet et réparer les dégâts de quatre-vingts années de pollution.

Nous pouvons en finir avec les PFAS, auxquels 100 % de la population française est exposée et qui seraient responsables de pathologies touchant 2 millions de nos concitoyennes et concitoyens.

Nous pouvons agir pour la santé environnementale. Oui, c’est pour la santé environnementale, autrement dit pour réconcilier l’homme, sa santé et celle de notre planète, qu’avec Jacques Ferrique et le groupe écologiste nous avons décidé d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat.

En 1974, René Dumont, premier candidat écologiste à l’élection présidentielle, brandissait un verre d’eau. Ce faisant, il nous alertait : l’eau est un bien précieux.

Cinquante ans plus tard, l’eau est toujours un bien en danger : de plus en plus rare, sa qualité est désormais menacée par les PFAS.

Hier, l’eau, avec René Dumont ; aujourd’hui, le scandale Nestlé Waters, qui fait l’objet d’une mission flash menée par notre collègue Antoinette Guhl.

Je le répète, il y a une bonne nouvelle : avec cette proposition de loi, nous pourrons protéger l’eau et l’environnement des rejets industriels qui les contaminent. Nous pourrons protéger notre santé des polluants présents dans nombre de produits de consommation.

Quand Nicolas Thierry, dont je salue le long et valeureux combat, a déposé cette proposition de loi, on lui a dit, comme on le dit aux écologistes : « Jamais tu ne parviendras à faire adopter ce texte. » C’était compter sans la mobilisation spectaculaire des citoyennes, des citoyens et des scientifiques, qui ont convaincu les députés, avec succès, de la nécessité de voter ce texte.

Le rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, que je salue également, l’a rappelé : il est impossible aujourd’hui de balayer d’un revers de main une loi sur les PFAS.

Non seulement cette proposition de loi a été adoptée à l’Assemblée nationale, mais nous savons qu’ici, au Sénat, une majorité peut se dégager pour envoyer ce puissant message du Parlement français : la sortie des PFAS est annoncée.

Bien sûr, le combat contre ces composés ne s’arrêtera pas aujourd’hui. En France, il conviendra, si nous la votons en première lecture au Sénat, de faire aboutir cette proposition de loi avec une deuxième lecture. Les écologistes seront mobilisés pour que le processus législatif aille à son terme et que ce texte soit appliqué afin d’interdire progressivement, mais résolument, les PFAS. Il s’agit de réparer, traiter les dégâts et préparer l’avenir avec les acteurs concernés, industriels et collectivités territoriales.

En Europe, ensuite, et non pas d’abord, monsieur le ministre, le combat devra se poursuivre : avec le Danemark, qui a interdit en 2020 les PFAS dans les emballages alimentaires ; avec les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède et la Norvège, qui ont déposé en 2023 une demande d’interdiction de ces substances. La France peut aujourd’hui rejoindre cette dynamique européenne pour protéger la population.

M. Christophe Béchu, ministre. C’est fait !

Mme Anne Souyris. Il nous faudra réviser le règlement Reach pour couper à jamais le robinet des polluants éternels. Autant dire que le chantier est colossal et que le chemin sera long, mais nous pouvons aujourd’hui envoyer un signal fort : c’est parti ; c’est irréversible ; nous irons jusqu’au bout pour protéger la santé et l’environnement. La France aidera l’Europe à aller dans le bon sens. Voilà le message !

Oui, nous pouvons en finir avec la civilisation des toxiques. Avec les territoires, avec les collectivités, avec les industries qui s’adaptent, nous pouvons sortir des PFAS. Le moment est venu de montrer à tout le monde que c’est possible : votons un texte ambitieux ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mmes Marie-Claude Varaillas et Mireille Jouve applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, protéger la population des risques, comme l’envisagent les auteurs de cette proposition de loi, est une ambition qui doit guider notre action. Comme élus, il nous revient d’éviter les catastrophes, particulièrement les catastrophes sanitaires, en évaluant les probabilités qu’elles se produisent.

Nous connaissons trop les conséquences du manque d’anticipation : rappelons-nous le covid-19 et la pénurie de dispositifs de protection au début de la pandémie. Nous avons aussi connu ce type de situation avec l’amiante et le chlordécone, deux substances qui ont causé de nombreuses victimes avant que les pouvoirs publics ne se saisissent de la question.

Permettez-moi d’évoquer mon territoire, le Pas-de-Calais, avec son bassin minier. Je vous y invite, monsieur le ministre, pour constater les conséquences des pollutions par le plomb, le mercure, le cadmium, le zinc, rejetés par centaines de tonnes depuis l’ancienne usine Metaleurop, ainsi que les dégâts causés à notre nappe phréatique par le perchlorate d’ammonium provenant des munitions utilisées lors de la Première Guerre mondiale. Comme je l’ai indiqué à M. le rapporteur, dépolluer notre nappe phréatique coûterait bien plus cher que les 2 millions d’euros évoqués pour les PFAS.

Ce sont aujourd’hui ces polluants éternels qui sont au cœur des inquiétudes partagées par les scientifiques, les citoyens et, aujourd’hui, les parlementaires dans cet hémicycle.

Les substances chimiques polluantes sont nombreuses ; en évaluer les risques revient à comparer les bienfaits qu’elles apportent aux dommages qu’elles peuvent causer.

Les PFAS sont des ingrédients qui peuvent sembler magiques, avec leurs propriétés antitaches, antiadhésives, déperlantes… Bref, une solution miracle face aux problèmes que rencontre le secteur industriel pour produire des objets du quotidien utiles à toutes et à tous.

Ainsi, on retrouve ces substances dans les ustensiles de cuisine, dans les vêtements imperméables, dans les lentilles de contact et dans bien d’autres produits encore.

Le problème est que l’on en retrouve aussi dans les organes, dans le sang, dans l’eau, l’air et les sols et que, loin de rendre l’organisme plus résistant, les PFAS y développent des cancers.

La solution miracle a donc des limites, à savoir notre santé et notre environnement : il s’agit de ne pas les franchir afin de toujours protéger la population. Qui peut dire qu’un antiadhésif vaut mieux qu’une maladie, alors même qu’il existe des solutions de remplacement ? L’application de ces dernières obligerait sans doute les industriels à revoir leurs marges, mais celles-ci représentent bien peu en regard du coût induit pour l’assurance maladie.

Nous vantons régulièrement le mérite des entrepreneurs français, des innovations qu’ils permettent, de la French Tech, du concours Lépine, du salon de l’industrie. On ne compte plus les milliards d’euros investis dans le crédit d’impôt recherche pour que les entreprises développent de nouveaux produits. Aussi, je veux faire confiance aux capacités des industriels, qui doivent pouvoir s’appuyer sur des solutions de substitution existantes ou en développer de nouvelles, en évitant cette fois-ci de tout miser sur des substances cancérogènes, même si je suis persuadé qu’ils ne connaissaient pas les risques des PFAS à l’origine.

S’il y a des conséquences sur l’emploi, alors nous voulons qu’elles soient positives. C’est le sens d’un amendement que nous défendrons tout à l’heure.

Supprimer les PFAS signifie qu’il faudra produire différemment dans les secteurs concernés. Des formations seront nécessaires, de même qu’il faudra modifier les emplois tout au long de la chaîne de production, de la conception jusqu’au produit fini.

Cette proposition de loi est l’occasion de mieux faire en ciblant principalement le secteur industriel.

L’agriculture, qui n’est pas mentionnée dans le texte, n’est pas protégée non plus. Les PFAS y sont employés pour stabiliser des substances utilisées par certains exploitants comme les pesticides ou les engrais.

Les ventes ont plus que triplé depuis 2008 et sont en constante augmentation, ce qui démontre bien que la prise de conscience quant aux dangers de ces polluants éternels est encore lointaine. Il faudra d’autres lois pour préserver notre santé et celle de nos agriculteurs, de même que notre environnement.

Monsieur le ministre, soyons dans l’anticipation ; ne bottons pas en touche en comptant sur l’Union européenne pour régler le problème. Compte tenu de l’avancée que ce texte représente, le groupe CRCE-K votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour l’examen d’un texte qui engage notre responsabilité dans la protection de la santé des Français.

Il m’importe de vous faire part de quelques réflexions, auxquelles je ne vous demande pas d’adhérer.

Nous vivons dans une société qui souffre de ses paradoxes. Si je voulais être plus sévère et employer de grands mots, je parlerais de sa schizophrénie. Qui que nous soyons, riches ou pauvres, retraités ou salariés, chômeurs ou étudiants, nous sommes tous des consommateurs.

« La consommation est la seule fin et la seule raison d’être de toute production. » Les Trente Glorieuses ont fait de cette phrase d’Adam Smith dans Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations une réalité qui organise nos sociétés.

Nous souhaitons tous le mieux, le plus, au fil de nos besoins, des modes, des suggestions publicitaires. Et pour y répondre, les industriels ont usé de substances chimiques assurant à certains produits de la stabilité, de la résistance à l’eau, à la chaleur, des propriétés antitaches ou antiadhésives, etc. Ainsi, pour nos petits travaux, nous exigeons une peinture couvrante, sans odeur, avec un séchage rapide ; pour la cuisine, nous privilégions les casseroles qui n’attachent pas. Et nous pensions naïvement, comme Alain Souchon, « Que le bonheur, c’est d’avoir / De l’avoir plein nos armoires », ou des vêtements qui ne froissent pas…

Soyez rassurés, mes chers collègues, je ne vous imposerai pas la litanie des ustensiles de cuisine, des produits cosmétiques, des emballages, des batteries en lithium pour nos chers téléphones, ordinateurs portables et voitures ou encore des mousses anti-incendie qui contiennent ces substances.

Nous réalisons aujourd’hui que ce que nous pensions être mieux pour nous faciliter la vie est un plus pour la pollution et un inquiétant moins pour la qualité de notre environnement.

Sont ainsi répertoriés pas moins de 4 500 composés chimiques, appelés scientifiquement les per- et polyfluoroalkylées, ou polluants éternels, utilisés par l’industrie : ils sont toxiques, persistants dans l’eau, dans l’air, dans le sol, dans la chaîne alimentaire et donc dans nos corps.

D’ailleurs, si les premiers cas de pollution aux PFAS révélés dans les années 1990 ne permettaient pas une analyse poussée, force est de constater qu’aujourd’hui personne ne remet en cause leur effet sur la santé humaine : augmentation des risques de lésions hépatiques, de maladies thyroïdiennes, d’obésité, de problèmes de fertilité et de cancers.

Nous consommons, contaminons, polluons collectivement et, dans le même mouvement, nous prenons conscience des conséquences de nos comportements.

De nombreuses études scientifiques et universitaires témoignent de la progression chez les jeunes d’une écoanxiété, c’est-à-dire de la peur chronique d’une catastrophe environnementale.

Je salue et remercie donc Nicolas Thierry, député de Gironde, pour son heureuse initiative parlementaire, qui nous bouscule dans nos certitudes, nous impose de prendre du recul et nous confronte à nos responsabilités.

Certes, l’on peut regretter un certain affadissement du texte ainsi que les suppressions intervenues tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, mais il est temps d’inverser les données, « d’aller à l’idéal et de comprendre le réel », comme le clamait Jaurès, afin de traduire dans nos textes cette prise de conscience environnementale.

Je dis oui à l’interdiction de fabrication, d’importation, d’exportation et de mise sur le marché de certaines catégories de produits à compter du 1er juillet 2026 ; oui à l’interdiction de fabriquer, d’importer, d’exporter et de mettre sur le marché tout produit textile contenant des PFAS à compter du 1er janvier 2030 ; oui au contrôle sanitaire de la qualité des eaux potables ; oui à une trajectoire nationale de réduction progressive des rejets aqueux de PFAS ; oui au plan d’action pour le financement de la dépollution des eaux destinées à la consommation.

Il est grand temps de se rendre compte que le coût de l’inertie, de l’inaction et de l’indécision sera toujours plus élevé que celui de l’interdiction de ces polluants.

Alors, malgré les affadissements et suppressions, le groupe RDSE apportera sa voix à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et GEST. – M. Hervé Gillé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Saïd Omar Oili.

M. Saïd Omar Oili. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi est particulièrement importante pour la santé humaine et notre biodiversité. Je me félicite que ce sujet soit repris au Sénat.

Autant le dire d’emblée, je pense que personne sur nos travées ne se positionne aujourd’hui en faveur des produits dangereux. Le débat que nous devons avoir ne doit pas opposer ceux qui sont pour les produits dangereux à ceux qui sont contre, ni ceux qui sont pour l’industrie à ceux qui sont contre : il s’agit plutôt de réfléchir à un mode d’action adéquat et pragmatique pour faire face à ce danger.

Nous le savons, les PFAS rassemblent aujourd’hui plus de 4 000 composés chimiques, largement répandus dans notre quotidien en raison de leurs propriétés antiadhésives, imperméabilisantes et thermorésistantes.

Toutefois, plusieurs scientifiques ont mis en évidence le large éventail des effets néfastes de ces substances, allant de maladies bien identifiées à des réactions plus subtiles de notre organisme. Il est donc nécessaire et urgent de se saisir du sujet et de légiférer pour commencer à structurer une vraie politique publique. C’est en ce sens que nous soutenons l’esprit de ce texte.

Néanmoins, la rédaction de la proposition de loi issue des travaux de l’Assemblée nationale était inefficace et contre-productive en ce qu’elle interdisait tous les PFAS dans certains usages, plutôt que certains PFAS réellement dangereux dans tous les usages.

Comme sur d’autres sujets tout aussi importants – je pense, par exemple, à l’agriculture –, nous ne pouvons légiférer de manière isolée à l’échelon national, hors Union européenne.

Nous ne pouvons imposer du jour au lendemain une interdiction globale de tous les PFAS sur l’ensemble du territoire, comme le prévoyait l’article 1er bis A, ni imposer des délais aussi rapprochés d’interdiction pour nos industries textiles ou cosmétiques, comme le prévoyait l’article 1er, sans mettre en place des règles similaires ou des clauses miroirs à l’échelle européenne. À défaut, nos industries françaises souffriraient d’une concurrence déloyale, alors même que nous importerions, dans le cadre du marché unique, des produits contenant des PFAS. Ces substances finiraient donc tout de même par se retrouver sur notre sol.

Nous ne ferions que pénaliser les entreprises françaises sur le fondement d’arguments démagogiques sans exclure ces composés du territoire. À l’heure où il n’est question que de renforcer notre souveraineté, je crois que nous avons tous pris conscience de ces risques.

Ainsi, c’est de manière raisonnable que notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a maintenu certaines exceptions, comme pour les ustensiles de cuisine, pour laisser le temps à certaines industries d’opérer une transition sans se précipiter.

C’est en suivant ce même raisonnement que notre commission et son rapporteur, dont je salue les travaux, sont revenus sur un certain nombre de mesures, tout en gardant la volonté d’agir sur le sujet et en prévoyant des interdictions proportionnées.

En commission, l’adoption de deux amendements a permis de supprimer l’article 1er bis A, qui prévoyait l’interdiction des PFAS sur l’ensemble du territoire français, et de préciser que les interdictions de produits contenant ces composés, prévues à l’article 1er de la proposition de loi, ne s’appliqueraient pas aux concentrations inférieures ou égales à une valeur résiduelle définie par décret.

J’y insiste, nous ne pouvons traiter ce sujet selon une approche franco-française. Il faut laisser le temps aux autorités sanitaires européennes de mener des études. Ne procédons pas à des prétranspositions ; attendons plutôt les résultats des recherches de l’Echa sur l’ensemble des PFAS avant de prendre des mesures d’interdiction prématurées.

Encore une fois, ce sujet doit être traité urgemment, car il y va de notre santé, mais de manière collective et documentée à l’échelle européenne.

Pour conclure, si la méthode prônée par l’Assemblée nationale n’est pas la bonne, celle de notre commission nous paraît aller dans le bon sens en posant des bases d’interdiction raisonnées. C’est pourquoi le groupe RDPI votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé. (Mme Monique de Marco applaudit.)

M. Hervé Gillé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « imaginons que ce qui fait mourir tous ces animaux, c’est quelque chose qui est dans l’eau du robinet ». Cette phrase, certains d’entre vous la connaissent : elle est issue du film Dark Waters, qui raconte la contamination aux perfluorés d’une ville aux États-Unis.

Cette phrase, c’est la face immergée de l’iceberg que constituent les polluants éternels, les PFAS, ces polluants chimiques dont nous savons tout et si peu à la fois.

Pour bien appréhender une catastrophe sanitaire et environnementale, il nous faut franchir plusieurs obstacles.

D’abord, l’indescriptible : les PFAS sont aussi difficiles à prononcer qu’invisibles à l’œil humain, comme certains cancers à lente progression et à l’issue fatale.

L’omniprésence, ensuite : leur présence est généralisée dans tous les milieux, que ce soit l’eau, l’air ou les sols. Je pense ici au travail d’Atmo France sur les rejets atmosphériques, l’inhalation étant l’une des principales voies de contamination. Mon collègue Alexandre Ouizille y reviendra.

La persistance, en outre : la durée de vie de ces polluants chimiques est bien supérieure à la nôtre et constitue une bombe à retardement pour les générations futures.

La dangerosité, enfin : ces polluants affectent nos corps, favorisent les cancers, altèrent la fertilité. L’ensemble de la chaîne alimentaire est contaminé.

Il y a plus de PFAS aujourd’hui dans notre environnement qu’hier et il y en aura plus demain par un effet cumulatif, car ce sont des polluants quasi permanents. L’enjeu de la réduction à la source est donc essentiel.

Il faut lever ce voile de l’ignorance. J’ai une pensée pour mon collègue girondin Nicolas Thierry, qui a déposé cette proposition de loi à l’Assemblée nationale, aux associations, aux agences de l’eau, à Atmo, aux agences régionales de santé que nous avons auditionnées pour comprendre l’ampleur du drame qui se joue devant nous lentement, mais avec certitude.

Le texte qui nous est aujourd’hui proposé est une première brique fondamentale pour construire progressivement un programme d’action ambitieux et réaliste pour lutter contre les PFAS, préserver la qualité de nos eaux, de l’air et de nos sols.

Après un vote unanime à l’Assemblée nationale, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a été moins ambitieuse, puisqu’elle subordonne l’application du texte à l’adoption de nombreux décrets, ce qui nuit à la transparence et à la bonne lisibilité de la loi.

Ensuite, le signal envoyé par le Gouvernement, qui renvoie la balle à l’Union européenne et n’a pas soutenu cette proposition de loi, est préoccupant. La France a du retard. Certains pays ont déjà appliqué une norme plus stricte que ce que l’Europe envisage de mettre en œuvre à partir de 2026. Le Danemark, les Pays-Bas, la Suède et la Flandre ont tous une norme inférieure ou égale à 4,4 nanogrammes par litre pour les quatre PFAS les plus présents. Les États-Unis vont plus loin : pour six PFAS, la norme va de 1 à 4 nanogrammes par litre.

Vous l’aurez compris, l’enjeu de la pollution de l’eau est primordial. Curieusement, si la proposition de loi traite de la question de l’eau du robinet, rien ne semble prévu pour l’eau en bouteille, qui représente pourtant 50 % de l’eau que nous buvons.

Une eau minérale naturelle est censée se distinguer, selon la législation européenne, par sa « pureté originelle ». Les critères de nature à objectiver cette qualité ne reprennent cependant pas la contamination aux PFAS. À l’heure où la France, comme d’autres pays européens, est traversée par le scandale Nestlé Waters, il est urgent de mettre fin à cette différence de traitement, qui tend à stigmatiser l’eau du robinet et à entretenir une vaste tromperie du consommateur.

L’anticipation industrielle face à une directive européenne, qui arrivera de toute façon à échéance plus ou moins lointaine, est la meilleure position à adopter. Certains industriels l’ont bien compris et mettent en avant leurs produits sans PFAS.

Certaines techniques de traitement, comme l’osmose inverse et le charbon actif, sont en cours d’évaluation, mais elles sont particulièrement coûteuses pour les syndicats de traitement. Les financements des agences de l’eau ne sont pas dimensionnés aujourd’hui pour y faire face.

Pour la métropole de Lyon, dont cinq communes ont été concernées par une pollution de l’eau aux perfluorés, la mise en place de filtres et le contournement pour diluer l’eau potable et la rendre sans danger pour les habitants ont coûté 6 millions d’euros : nous sommes face à une bombe à retardement pour les collectivités, le coût de la dépollution étant immense.

Monsieur le ministre, il nous faut réfléchir collectivement à la meilleure façon d’accompagner les collectivités.

Il faut donc réduire les PFAS en amont comme en aval du processus industriel. Lutter contre les PFAS et lancer les premiers programmes de prévention, de limitation et de santé environnementale prévus dans cette proposition de loi exigera des moyens de l’ordre de 2,4 millions d’euros. Très sincèrement, ce montant semble dérisoire en regard de l’ampleur du problème que nous allons devoir traiter.

Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), l’intégralité du territoire national est concernée par ces pollutions ; la question de la responsabilité est donc cruciale.

Le principe pollueur-payeur est régulièrement rappelé par un grand nombre de membres du Gouvernement – il est toujours intéressant, de ce point de vue, de citer le cas du bassin d’Arcachon, qui a donné lieu à jurisprudence… Dans cet esprit, il nous faut accompagner les collectivités.

Les programmes régionaux de santé environnementale élaborés par les agences régionales de santé sont encore largement insuffisants ; il faut que s’y exprime une ambition plus forte pour caractériser les conséquences de ces pollutions et, par conséquent, déterminer les priorités territoriales.

Les collectivités ont toute légitimité à bénéficier d’accompagnements et de soutiens spécifiques pour éviter qu’elles ne soient stigmatisées et laissées sans solutions.

Aujourd’hui, mes chers collègues, nous avons la possibilité d’agir pour notre santé et celle de nos enfants, pour aujourd’hui et pour l’avenir. Ce texte est un compromis transpartisan, il n’est ni révolutionnaire ni déséquilibré. C’est une première brique essentielle de notre responsabilité collective. Soyons au rendez-vous ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, GEST et RDSE. – M. Jean-Luc Brault applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Damien Michallet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Damien Michallet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi soumise aujourd’hui à la chambre des territoires est tout à fait singulière, et ce à plusieurs égards.

Tel qu’il est arrivé dans notre chambre, au vu du périmètre qu’avait retenu l’Assemblée nationale, ce texte, censé protéger, pouvait tuer, de trois façons différentes.

C’est d’abord d’un point de vue sanitaire qu’il pouvait tuer. En effet, en s’affranchissant totalement de notre écosystème partagé qu’est l’Europe, les auteurs de cette proposition de loi avaient oublié que les PFAS ne s’arrêtent pas aux frontières. Leur objectif, louable, était de protéger la santé de nos concitoyens ; mais en choisissant d’agir seuls, sans concertation internationale, ils ont abouti à un texte qui cochait à peu près toutes les cases de la loi inapplicable.

Ensuite, il pouvait tuer toutes nos industries – je dis bien : toutes ! Avec l’article 1er bis A, dès l’entrée en vigueur du texte, nos entreprises, qu’elles soient productrices, utilisatrices, ou simplement détentrices de PFAS, se seraient vu appliquer une norme destructrice, qui aurait tué des milliers d’emplois, directs et indirects.

Enfin et surtout, mes chers collègues, ce texte tuait, par son silence, nos collectivités, qui ont la responsabilité de la distribution et du traitement des eaux. À aucun moment cette proposition de loi, dans sa configuration initiale, ne regardait les élus en face. Je pense ce matin à tous les élus confrontés aux PFAS dans nos territoires, je pense à mon département de l’Isère, à la commune de Chasse-sur-Rhône, à la communauté de Vienne Condrieu Agglomération, à toutes les collectivités du bassin rhodanien, enfin, qui se trouvent responsables, presque coupables, mais surtout bien seules. Et nous, membres de la chambre des territoires, nous devrions laisser faire ?

Grâce au travail du rapporteur, que je salue sincèrement, et de la commission, dans l’attente du vote du Sénat tout entier, nous sommes parvenus, non sans difficultés, à supprimer de cette proposition de loi tout le dogme omniprésent dans l’esprit du texte initial.

Sur le fond, lorsqu’il est question des PFAS, il est important de souligner que les dimensions environnementales, économiques, industrielles, sociales, sanitaires et financières du problème doivent impérativement être traitées de manière globale.

Or l’ensemble de ces éléments nous indique, sans concession, que cette problématique doit faire l’objet d’un travail supranational, à l’échelle européenne, voire peut-être mondiale. Tout nous indique avec force que la qualité et l’opérationnalité de l’interdiction internationale constituent la solution adaptée, pertinente, souhaitable et efficace.

Le bon sens à lui seul impose l’idée d’une réglementation européenne. Si nous devons avancer, c’est en bonne intelligence avec nos partenaires européens, pour que chaque entreprise de l’Union applique les mêmes règles et soit soumise aux mêmes obligations et aux mêmes sanctions.

Je sais que, depuis quelques années, sinon plus longtemps encore, monsieur le ministre, on cherche en France une forme de légitimité, que l’on croit parfois trouver dans la « surcréativité », que nous nommons pour notre part « surtransposition ». Mais avec ce texte, dans sa forme initiale, on créait un nouveau concept : la « pré-surtransposition ».

J’entends dire que l’Europe serait trop lente et qu’il serait nécessaire, dès à présent, d’agir. Mais avec ce texte, mes chers collègues amis des lettres, on s’amuse des classiques, on s’apprête à rejouer les fables de La Fontaine : l’Europe, lente, avance à pas de tortue sur la réglementation des PFAS ; la France, rapide comme un lièvre, se précipite, puis tergiverse, s’arrête. Mais enfin, est-il seulement nécessaire de rappeler la morale si chère à nos souvenirs d’enfance ?

Alors, y a-t-il urgence à agir ? Bien sûr ! Mais il faut agir en toute transparence et bien dire que l’interdiction des PFAS pose un défi majeur à notre économie, et à raison ! La bonne volonté française ne pourra ni empêcher les industries de notre territoire de supporter le coût de la transition ni dissuader nos partenaires européens de continuer d’exporter ces substances vers notre pays. Quelles assurances avons-nous quant à la mise en place d’un contrôle efficace des importations de ces entreprises ? Il n’y en a aucune.

Enfin, et c’est peut-être ce qui me chagrine le plus, la proposition de loi initiale se concentrait exclusivement sur l’amont du problème. Nous constations à regret que, face à cette situation urgente, ce texte ne contenait aucune piste concrète pour aider nos collectivités. Abandonner ainsi nos territoires à leur propre sort est tout simplement, pour nous sénateurs, inacceptable !

C’est pour cette raison que le rapporteur, soutenu par le groupe Les Républicains, a entrepris de modifier ce texte de manière à demander le concours de l’État pour l’organisation de la dépollution des eaux de consommation. Monsieur le ministre, c’est maintenant que nous avons besoin de vous : accompagnons les collectivités locales !

Ce texte est aujourd’hui soumis à notre assemblée, mais dans sa version modifiée par le travail de la commission. En définitive, nous ne pourrons soutenir cette proposition de loi que dans ces termes : sécuriser nos habitants, sauver nos entreprises, accompagner nos territoires. Telle est l’ambition du groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Jocelyne Antoine applaudit également.)