Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est déjà le cas !
M. Michel Barnier, Premier ministre. Nous proposerons des peines de prison courtes et immédiatement exécutées pour certains délits ; nous allons réviser les conditions d’octroi du sursis et limiter les possibilités de réduction ou d’aménagement de peines ; en outre, nous allons prévoir un recours accru aux travaux d’intérêt général (TIG), aux amendes administratives et aux amendes forfaitaires délictuelles.
Pour réaffirmer le rôle dissuasif de la sanction, nous allons construire des places de prison et reprendre un certain nombre de chantiers de manière plus volontariste, là aussi en simplifiant certaines règles, qui bloquent tel ou tel projet. Mais cela suppose de trouver des emprises foncières et des collectivités acceptant d’accueillir une prison sur leur territoire.
Il s’agit d’un chantier de très grande ampleur. À ce titre, nous devons aussi diversifier les solutions d’enfermement ou de surveillance effective en fonction du profil de la personne détenue et de la peine prononcée, notamment pour les mineurs délinquants. Voilà pourquoi je suis favorable à la création d’établissements spécifiques pour courtes peines.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le dis et je le répète calmement et clairement : pour le Gouvernement, assurer la fermeté de la politique pénale, c’est aussi faire respecter l’État de droit, les principes d’indépendance et d’impartialité de la justice, auxquels je suis profondément attaché.
En matière de sécurité – nous en parlerons plus avant avec les ministres de la justice et de l’intérieur –, je suis soucieux que tous les dépositaires de l’autorité publique, que toutes celles et tous ceux qui concourent au service public soient partout et toujours protégés et respectés.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Michel Barnier, Premier ministre. Ce ne fut pas toujours le cas ces dernières années.
Voilà quelques jours, j’ai appelé le maire de Saint-Brieuc, sauvagement agressé la semaine dernière et près d’être tué. Il me disait son souci de la protection et du respect, mais me parlait aussi de l’importance de parvenir, dans nos territoires, à se reparler les uns aux autres, sans aller jusqu’à l’agression ou à la violence. Je suis très sensible à ces sujets, que vous portez, pour beaucoup d’entre vous, depuis longtemps.
Je souhaite maintenant évoquer, à l’approche du terme de mon intervention, la question de la maîtrise de l’immigration. Je veux que nous abordions ce grand sujet avec, là encore, dignité et fermeté, en regardant les faits avec lucidité : nous ne maîtrisons plus de manière satisfaisante notre politique migratoire. De ce fait, nous ne sommes plus en mesure de remplir nos objectifs d’intégration. Nous échouons donc des deux côtés, ce qui ne peut durer. Sans idéologie, sans accepter aucune polémique, j’ai déclaré hier, dans un élan d’utopie, que la question de l’immigration devrait être un sujet d’intelligence nationale.
Nous nous efforcerons d’aller sur ce chemin, en travaillant plus efficacement et en proximité, pour que les demandeurs d’asile obtiennent rapidement une décision. Nous proposerons aussi de faciliter la prolongation exceptionnelle de rétention des étrangers en situation irrégulière, afin de mieux exécuter les obligations de quitter le territoire – l’actualité, tragique, montre combien ce point est important.
Nous allons renforcer le contrôle de nos frontières. Le très important pacte européen sur la migration et l’asile, auquel M. Darmanin a consacré beaucoup d’énergie, a été adopté récemment. Il faut l’appliquer sans délai, mais aussi le compléter en renforçant les moyens de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), qui doit retrouver sa mission première de garde-frontière de l’Union européenne. Aussi longtemps que nécessaire et là où ce sera nécessaire, nous rétablirons les contrôles à nos propres frontières, dans le respect des règles européennes, à l’exemple de ce que l’Allemagne vient de décider.
Nous allons intensifier le dialogue avec les pays d’origine et de transit. Mon gouvernement ne s’interdira pas de conditionner davantage l’octroi de visas à l’obtention de laissez-passer consulaires, dont nous avons besoin pour les reconduites à la frontière. Nous allons également poursuivre, avec les pays concernés, les discussions sur des accords bilatéraux, parfois très anciens, qui ne correspondent plus aux réalités.
C’est en mettant en œuvre toutes ces mesures avec fermeté et dignité que nous serons en mesure de mieux intégrer celles et ceux que nous choisissons d’accueillir chez nous et que nous ne parvenons plus à recevoir dignement. Il s’agit d’ouvrir plus rapidement l’accès à un titre de séjour, à l’apprentissage de notre langue, à un logement ou à un emploi.
J’ai évoqué hier un dernier chantier, sur lequel il y aurait beaucoup à dire : celui de la fraternité, dont notre pays a tant besoin. Cette question commande de résoudre nombre d’inégalités – je pense, par exemple, aux personnes en situation de handicap –, de soutenir les familles, toutes les familles, de tisser davantage de liens entre les générations, de lutter contre la pauvreté, d’encourager le bénévolat, la vie associative, qui est au cœur du lien social dans notre République, de même que la création et la diffusion culturelle comme la valorisation, du plus petit village aux plus grandes villes, du patrimoine qui nous est cher.
Je souhaite ensuite dire un mot d’un sujet très grave, sur lequel beaucoup d’entre vous travaillent ou sont prêts à travailler : celui de la fin de vie.
M. Michel Barnier, Premier ministre. Je sais l’engagement de nombreux parlementaires, sur toutes les travées, les débats graves et parfois personnels qui ont lieu, au-delà des étiquettes politiques. C’est dans le respect de cette diversité d’opinions et en prenant en compte la gravité de ce sujet que nous reprendrons la discussion, à l’Assemblée nationale puis au Sénat, sur le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, en concertation avec les soignants et les associations, au début de l’année prochaine. Nous poursuivrons ainsi le cours de ce débat important, dans la sérénité.
Sans attendre, nous continuerons de développer l’accès aux soins palliatifs, qui seront renforcés dès 2025.
M. Jean-François Husson. Très bien !
M. Michel Barnier, Premier ministre. Je ne peux conclure ce propos sans évoquer nos outre-mer. J’ai souhaité suivre personnellement ces sujets, en liaison avec le nouveau ministre des outre-mer, placé auprès du Premier ministre. Nous avons besoin d’une volonté politique forte, durable, de considération, de suivi à Paris pour relever des défis très nombreux. Nous le ferons en privilégiant le dialogue avec les élus et les acteurs économiques et sociaux dans ces territoires, en respectant les diversités, les spécificités et la culture de ces derniers.
On trouve, dans les outre-mer, des handicaps structurels, mais aussi des projets, des chances, des opportunités qui n’intéressent pas que ces territoires – recherche, espace, biodiversité –, mais qui profitent à toute la collectivité nationale. Nous travaillerons avec eux, dans cet esprit, avec un accompagnement renforcé de l’État : soutien financier, ingénierie, soutien aux relations internationales dans leur bassin régional. Cela doit se traduire par des contrats pluriannuels, là où ils n’existent pas encore, qui seront garantis et mis en œuvre au quotidien par les services locaux et centraux de l’État.
Le comité interministériel des outre-mer (Ciom), qui se réunira au premier trimestre de l’année prochaine, sera préparé en lien étroit avec l’ensemble des élus de ces territoires. Nous y déciderons des mesures concrètes.
Je souhaite aussi évoquer la Nouvelle-Calédonie, dont les sénateurs Xowie et Naturel sont élus. Les députés Metzdorf et Tjibaou nous ont interpellés tout à l’heure, à l’Assemblée nationale. Je confirme, clairement et solennellement, notre engagement à faire face à l’urgence économique et sociale en Nouvelle-Calédonie, où près de 25 % de la capacité de production de l’économie a été détruite – 25 % ! Il faut reconstruire, redémarrer, préserver ou retrouver l’emploi tout en retissant du lien social et politique. Nous nous engagerons rapidement, aux côtés des acteurs politiques et économiques.
J’examine aussi les conditions de prolongation sur les prochaines semaines des aides d’urgence mises en place en mai dernier. De nouvelles mesures de soutien aux populations en difficulté doivent aussi être mises en œuvre : il s’agit de reconstruire une grande partie de l’économie après cette période difficile.
Je tiens enfin à vous remercier, monsieur le président, ainsi que la présidente de l’Assemblée nationale, d’avoir accepté tous deux de conduire sur place et dans un bref délai une mission de concertation. Cette mission de dialogue, d’écoute et de considération devrait nous permettre d’engager des discussions sur l’avenir institutionnel de ce territoire en tenant compte des opinions de tous les acteurs locaux.
Outre ces enjeux économiques et sociaux, devront être abordés l’organisation et les compétences des pouvoirs locaux, la composition du corps électoral et son élargissement pour les prochaines élections provinciales, ainsi que différents autres sujets de nature institutionnelle.
Je mesure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le chemin qui est devant nous pour atteindre l’ensemble des objectifs que je viens d’évoquer. L’objet d’une telle déclaration n’est pas de traiter de tout. Je vais maintenant vous écouter et j’essaierai de vous répondre – les ministres ici présents tiendront également compte de vos propos.
Il s’agit de faire bien, pas forcément de faire tout ou beaucoup. Je ne ferai pas de promesses, il n’y aura pas de miracles. Ne comptez pas sur moi, compte tenu de la situation budgétaire que nous connaissons, pour raconter n’importe quoi.
Je ne ferai pas autre chose que dire la vérité. Devant une telle situation, deux attitudes sont possibles : celle du fatalisme, qui revient à baisser les bras, et celle du volontarisme, qui consiste à reconnaître les réalités et à les expliquer aux citoyens, au peuple, qui sont capables de les comprendre, je le sais, quand ils croient et respectent ceux qui leur parlent, puis à modifier, à transformer et à avancer. Tel est mon état d’esprit.
Nous avons besoin d’un partenariat serré et solide entre les forces politiques. Nous avons besoin d’un nouveau dialogue social, avec les forces syndicales – je les ai toutes rencontrées depuis mon arrivée à Matignon – et professionnelles.
Le moment doit inviter chacune et chacun à s’inscrire dans une volonté de coopération. Cette culture du compromis, un peu nouvelle dans notre pays, vous la connaissez bien dans les collectivités territoriales – vous n’avez pas attendu le Gouvernement pour la pratiquer. On la connaît aussi très bien à l’échelon européen, où faire un compromis n’est pas se compromettre ! (M. Pascal Savoldelli s’exclame.) Nous ne venons pas tous du même endroit, nous n’allons pas tous dans la même direction, mais, pour un temps et sur certains sujets, nous nous mettons d’accord.
Commissaire européen pendant dix ans, j’ai notamment travaillé sur la question de la régulation financière, après une crise qui avait détruit des millions d’emplois, afin de reconstruire quelques règles, de remettre un peu de morale et de responsabilité chez des banquiers et d’autres acteurs financiers qui n’en avaient pas beaucoup et qui se croyaient tout permis, parce qu’on leur avait tout permis après trente ans d’un grand vent d’ultralibéralisme.
J’ai construit ce cadre à travers quarante et une lois de régulation : aucune d’entre elles n’aurait pu passer sans compromis entre le parti socialiste européen, le parti populaire européen, les verts, les libéraux et, parfois, les communistes. Personne n’y a perdu son âme ni sa différence, et nous avons réussi.
Je sais que cette culture n’est pas nouvelle au Sénat, mais elle est encore improbable à l’Assemblée nationale. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Je vais m’efforcer de la construire.
Je suis très heureux, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, de m’être exprimé devant vous. Je vais maintenant vous écouter, car ici l’on sait s’écouter et se respecter, l’on sait trouver des compromis tout en gardant ses différences et l’on sait enfin que l’effet du suivi et de l’évaluation est aussi important que l’effet d’annonce. Tel est l’esprit du Gouvernement et de son Premier ministre. (Applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Dans le débat, la parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains – nous le félicitons pour son élection, hier, à la présidence de son groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, en écho à vos propos, mes premiers mots concerneront la situation internationale.
La France devra agir pour la paix et la sécurité face à la montée des tensions au Moyen-Orient. Nous ne pouvons oublier ni nos deux compatriotes encore otages du Hamas, ni tous les autres otages, ni ceux qui ont succombé à la barbarie des terroristes. Nous ne pouvons pas non plus rester aveugles à la souffrance des populations civiles israélienne, libanaise et palestinienne. Sous votre impulsion, je suis certain que notre pays restera fidèle à son histoire, à ses valeurs, à sa tradition diplomatique et à ses alliés.
Monsieur le Premier ministre, en acceptant de conduire le Gouvernement de la France, vous avez accepté l’une des missions les plus éminentes de la République. Dans la période la plus incertaine et certainement la plus difficile de notre histoire récente, vous avez jaugé non pas l’abîme, mais la façon d’entamer un difficile chemin de crête.
Monsieur le Premier ministre, vous avez fait le choix d’assumer cette responsabilité, comme ces maires qui s’engagent dans leur commune quand la situation semble insoluble et les bonnes volontés introuvables. Sur toutes les travées de cette assemblée, de ceux qui partagent vos vues à ceux qui s’y opposent, je sais que chacun connaît et salue votre sens de l’État et de l’intérêt général.
Vous avez évoqué la gravité de l’instant ; j’y adjoindrai la solennité du moment. Nul dans cet hémicycle n’ignore les circonstances qui nous ont collectivement conduits à ce moment. Notre vie institutionnelle, notre économie, notre modèle social : tous sont au carrefour de notre destin. Si nous ne voulons pas, demain, subir les bouleversements engendrés par le monde, c’est à nous, aujourd’hui, de tout changer.
Par leurs suffrages, les Français ont exprimé une idée claire : ils souhaitent tout autant un changement de cap qu’un changement de méthode. Cette méthode, c’est celle qui a guidé tout votre parcours politique. Ce besoin d’écouter en associant, de toujours chercher le meilleur compromis possible en considérant chaque partie prenante – le citoyen comme le parlementaire, le représentant des corps intermédiaires comme l’élu local. Cette méthode consiste à dire le réel, sans détourner le regard, mais avec le courage d’agir en conséquence, sans faiblesse, sans artifice ou faux-semblant, avec pour seule boussole le souci de l’efficacité et la volonté de servir l’intérêt supérieur de la Nation.
À propos de boussole, vous me permettrez de rappeler l’hommage que vous avez rendu ici même, le 28 avril 2009, à l’ancien président du Sénat, René Monory. Vous aviez alors salué chez lui « l’ouverture d’esprit comme méthode et le bon sens comme boussole ». Monsieur le Premier ministre, gardez ce cap !
Dans la période qui s’annonce, vous aurez la lourde tâche de tenir la barre avec fermeté. Face au tumulte, les enjeux qui engagent le destin de notre pays seront vos seuls guides. Il n’est plus temps d’égrener un chapelet de mesures : nous vous remercions d’avoir dégagé de grandes priorités. Il vous faudra agir vite, car, après tant d’atermoiements, c’est désormais l’urgence qui commande.
Vous n’êtes comptable de rien devant cette situation ; vous allez pourtant devoir apporter des réponses à tout. De même, la majorité sénatoriale – je pense notamment aux observations de notre rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson – a toujours mis en garde et tenté d’infléchir les choix budgétaires qu’elle considérait comme néfastes. Toujours, elle a proposé des alternatives. Elle n’en sera pas moins responsable. Nous aurons bien le temps, mes chers collègues, de nous occuper du bilan ; notre devoir immédiat est de nous attaquer aux solutions.
Collectivement, nous savons pouvoir nous appuyer sur l’un des enseignements de la Ve République : rien n’est perdu tant que la volonté, la clairvoyance et la ténacité s’en mêlent. En 1958, la France voyait son rang international contesté. Ses finances publiques étaient exsangues, son économie en panne et sa compétitivité disqualifiée. Il a fallu l’impulsion singulière du général de Gaulle pour provoquer ce sursaut collectif et remettre sur les rails un pays redevenu conquérant et gourmand de son avenir.
Vous l’avez démontré au cours de vos nombreux chantiers, notamment lors de la difficile négociation du Brexit : vous incarnez ce rejet de la fatalité, ce refus du renoncement. Puissiez-vous cultiver cette qualité, tant les chantiers qui attendent votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, sont nombreux.
Le redressement du pays passe avant tout par l’indispensable maîtrise de notre endettement. Avec la charge des intérêts, nous enregistrons cette année un détournement de fonds budgétaires supplémentaire de 50 milliards d’euros. Ce mur vers lequel nous avançons irrémédiablement nous prive des marges de manœuvre nécessaires à l’instauration des réformes indispensables pour l’avenir de notre pays, tout en l’affaiblissant aux yeux de ses partenaires internationaux. Pis : cette dette étant majoritairement détenue par des acteurs étrangers, elle constitue une menace intolérable pour notre souveraineté.
Nous en sommes conscients : vous héritez d’une situation en passe de devenir incontrôlable, qui imposera de prendre des mesures d’urgence. Néanmoins, nous devons prendre garde à certaines mesures de court terme. Nous ne rétablirons pas durablement nos finances publiques en entamant le consentement à l’impôt de nos concitoyens ou en chamboulant une énième fois le régime fiscal des entreprises, au risque de décourager les investisseurs dans l’Hexagone.
Les choix budgétaires devront être clairs dès cette année : dans un pays champion du monde de l’impôt et tenu à bout de bras par ses forces vives, l’assainissement durable de nos comptes ne peut advenir qu’avec une dépense publique plus rationnelle et, surtout, plus efficace. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
Une augmentation de la pression fiscale n’est jamais une solution. Le risque d’affecter une croissance déjà fragile est grand. Nous veillerons à ce que les mesures prises en la matière aient un caractère exceptionnel et temporaire, sans conséquences sur nos classes moyennes.
Monsieur le Premier ministre, il ne peut y avoir de progrès social sans équité fiscale. Comme le souligne la formule consacrée, « à force de sacrifier l’essentiel à l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel ».
L’essentiel, pour les Français, est d’avoir un travail et de pouvoir en vivre dignement. À cet égard, je tiens à avoir une pensée particulière pour nos paysans et nos agriculteurs, (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) qui incarnent mieux que quiconque l’âme de cette France qui travaille, qui a le goût de l’effort pour subvenir aux besoins collectifs sans compter ni les heures ni les sacrifices.
L’hiver dernier, tous nous ont fait passer un message : ils veulent pouvoir vivre de leur travail sans stigmatisation ni entrave. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
L’essentiel, c’est encore notre sécurité, celle de nos enfants. Lentement, mais sûrement, l’autorité de l’État s’est peu à peu étiolée. Aujourd’hui, la violence sous toutes ses formes se propage. Si nous n’y prenons garde, c’est la cohésion de notre nation et la sérénité de notre démocratie qui se trouveront un jour irrémédiablement fracturées dans les urnes et dans la rue.
Bruno Retailleau, notre nouveau ministre de l’intérieur, auquel je veux rendre hommage (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Huées sur des travées des groupes SER et GEST.), souhaite assumer cette politique de fermeté au travers du rétablissement de l’ordre et de la reprise de nos frontières : enfin !
Monsieur le Premier ministre, nous croyons profondément que la sécurité est la première des libertés, le premier des droits que l’État doit garantir à ses citoyens et la première des conditions pour une société apaisée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Dans ce domaine, votre tâche sera ardue. Vous aurez à prendre des mesures concrètes et immédiates, mais également à agir sur le temps long en vous attaquant aux causes qui ont permis à cette situation de prospérer. Ce n’est qu’à ce prix que nous rétablirons la confiance dans l’ordre républicain et rendrons à tant de nos concitoyens ce dont ils sont privés : la tranquillité.
À ce stade de mon propos, je me dois d’aborder l’avenir de nos collectivités territoriales. Si la France a connu bien des régimes depuis deux cents ans, une seule entité n’a jamais été remise en cause : la commune (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.), parce qu’elle constitue la cellule de base de la démocratie et la patrie du quotidien.
Nos élus locaux se sont souvent sentis déboussolés, parfois découragés devant l’empilement de normes et un partage de responsabilités trop flou.
Face à cela, nous plaidons pour plus de liberté communale. Réaffirmée et facilitée, cette liberté doit permettre aux élus communaux et intercommunaux d’être les acteurs du destin de nos territoires, condition essentielle pour redonner du souffle à notre démocratie locale. Aussi, les orientations que vous venez de présenter, monsieur le Premier ministre, sont ici agréablement reçues.
Il ne s’agit pas, bien sûr, de satisfaire les sénateurs impliqués de longue date sur la question des compétences en matière d’eau et d’assainissement, sur celle du statut de l’élu ou encore sur celle du ZAN. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Comme vous l’avez souligné, il s’agit plutôt de simplifier la vie des collectivités territoriales et de ceux qui les font vivre.
À ce propos, comment ne pas évoquer l’iniquité flagrante que constituent les déserts médicaux ? Le droit de se faire soigner ne peut plus être une option qui dépend de son lieu de résidence.
Là aussi, le sujet est complexe et les slogans ne changeront rien pour ceux de nos concitoyens qui voient s’éloigner les soins et s’allonger les mois d’attente avant une consultation. Nous observons que ce phénomène touche aussi bien nos villes que nos campagnes.
Parallèlement à celle de la santé, permettez-moi d’évoquer la question cruciale du logement, qui déterminera aussi la cohésion de notre société. Comment pourrait-il en être autrement entre des normes rigides, les diagnostics de performance énergétique (DPE) qui conduisent à exclure des centaines de milliers de logements du parc privé et des injonctions contradictoires réclamant aux élus de construire des logements tout en leur interdisant de bâtir pour respecter l’objectif ZAN ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Cette crise, monsieur le Premier ministre, n’est ni surprenante ni inéluctable, pas plus que ne le sont les autres difficultés que rencontre notre pays.
Nous devrons veiller collectivement à la préservation de notre école. C’est sans doute la clé de voûte de notre pacte républicain. Il n’y a pas de savoir sans transmission ni de promesse d’ascenseur social sans une école qui permette à chacun d’atteindre l’excellence.
M. Max Brisson. Très bien !
M. Mathieu Darnaud. Je voudrais également saluer l’attention toute particulière que vous avez souhaité porter à la santé mentale, en l’érigeant en cause nationale pour 2025.
Monsieur le Premier ministre, nous ne pouvons parler de l’avenir de la France sans évoquer la situation de nos outre-mer, trop souvent perçus comme les catalyseurs des maux de notre société. Vous avez choisi de désamorcer la crise en Nouvelle-Calédonie : c’est sans doute une sage décision, mais il nous faut désormais aller plus loin.
Faute de nous attaquer aux causes économiques et sociales qui nourrissent les frustrations, des Antilles au Pacifique, en passant par la Guyane, nous laissons couver les crises de demain.
Toutefois, ces crises, elles non plus, ne sont pas inéluctables. Il faudra alors oser, et nous savons pouvoir compter sur notre ministre des outre-mer, François-Noël Buffet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Monsieur le Premier ministre, le Sénat s’est penché sur chacun de ces sujets. Je vous invite donc à piocher à volonté dans ses travaux : comme le dit souvent le président Larcher, ils sont libres de droits.
Ayant rappelé cette ambition, vous trouverez toujours dans le groupe Les Républicains du Sénat un aiguillon et un allié.
Nous ne nous arrêtons pas à ceux qui misent sur l’échec : s’ils veulent censurer le retour à l’ordre public, qu’ils l’assument ; s’ils s’opposent à la simplification pour les agriculteurs, pour les élus de proximité, pour la construction de logements, qu’ils l’indiquent clairement aux Français !
M. Pascal Savoldelli. Et les élections ?
M. Mathieu Darnaud. Dans cette période, nous devons réaffirmer la pertinence du bicamérisme, et je veux saluer le rôle déterminant de Gérard Larcher comme président du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Pour conclure, sachez, monsieur le Premier ministre, que nous ne doutons pas de votre volonté. Votre parcours politique, de la Savoie à Matignon, parle pour vous. Votre attachement à la France et votre expérience sont les meilleurs gages de notre réussite.
Vous avez aujourd’hui le courage de tenir un discours de vérité, esquissant les voies qui permettront de rendre à notre pays, à nos concitoyens, les moyens de maîtriser leur destin.
Tant que vous arpenterez cette ligne de crête, aussi périlleuse soit-elle, vous nous trouverez à vos côtés, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes GEST et CRCE-K.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, qui aurait pu croire, au soir du 7 juillet dernier, que vous seriez aujourd’hui dans cet hémicycle, monsieur le Premier ministre ?
M. Mickaël Vallet. Alexis Kohler !
M. Patrick Kanner. Et qui aurait pu croire que vous seriez copieusement applaudi par la droite sénatoriale, jusqu’alors si prompte à critiquer la politique d’Emmanuel Macron ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)
Depuis votre nomination, j’ai l’impression étrange que nous sommes entrés dans un monde parallèle, totalement déconnecté des réalités et des aspirations des Français. Quand je vous regarde, mesdames, messieurs les ministres, je vois la combinaison des perdants.
Non, pas une seconde je n’aurais cru m’adresser à vous dans ces conditions. Nulle naïveté de ma part, seulement droiture et respect de la démocratie ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Oui, j’ai sincèrement espéré que le Président de la République entendrait les trois principaux messages que nos concitoyens ont clairement exprimés lors des élections législatives : aspiration à une politique de gauche, avec le Nouveau Front populaire (NFP) arrivé en tête des suffrages (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) ; refus massif de la politique d’Emmanuel Macron ; rejet de l’extrême droite, au travers d’un front républicain solide.
Pourtant, nous voilà gouvernés par un exécutif de droite, sommé de poursuivre la politique menée depuis sept ans par Emmanuel Macron et adoubé par l’extrême droite.
Oui, je suis en colère ! Pas à votre encontre, monsieur le Premier ministre : vous ferez ce que vous pourrez. Pas contre vos ministres : s’ils ne sont plus démissionnaires, ils sont déjà probablement intérimaires. Ma colère est celle de ces millions de Françaises et de Français, qui voient leur vote balayé d’un revers de main…