M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelle confiance pouvons-nous attendre des citoyens quand le Gouvernement contourne le Parlement ?

Si la dissolution nous a permis d’éviter temporairement un contournement démocratique, quid de cette proposition de loi ? Sera-t-elle un rappel à l’ordre de vos obligations légales ? Ou la première pierre d’un débat démocratique et constructif ? Madame la ministre, pouvez-vous nous éclairer sur votre logique gouvernementale ? (M. Michel Savin renchérit.)

Cette proposition de loi est tout de même un symbole.

Elle est symbolique d’un contexte politique qui va mal, où chaque camp se retranche dans ses clivages et où l’intérêt général est oublié sur fond de majorité relative.

Plus grave encore, concernant le sujet qui nous rassemble aujourd’hui, la dissolution de l’Assemblée nationale a mis à l’arrêt des pans entiers de la politique environnementale alors que l’action en matière climatique est urgente.

Ce texte faisait suite à la décision du gouvernement démissionnaire de renoncer à légiférer sur la loi quinquennale de programmation sur l’énergie, pourtant prévue par la loi Énergie-climat de 2019. C’est précisément cette décision qui est gravissime pour notre démocratie, d’autant qu’elle se répète et nous rappelle d’autres débats, celui sur l’accord économique et commercial global (Ceta), par exemple.

Qu’est-ce que cela signifie sinon que les lois ne servent à rien et que l’on peut s’y soustraire aisément ? Surtout, mes chers collègues, cela pose la question de notre rôle, de notre mandat, et plus largement des limites de la représentation nationale. Quel message cela envoie-t-il à nos concitoyens sinon que le Parlement peut être facilement contourné et les lois aussi ? C’est un signal de plus dans la crise politique et démocratique que nous vivons.

En réaction – et je salue cette initiative –, les sénateurs du groupe Les Républicains, particulièrement Daniel Gremillet, ont présenté leur propre texte, quand – il faut le signaler – les députés du groupe écologiste avaient pris la même initiative au début du mois d’avril dernier.

Composé de vingt-sept articles portant tant sur la programmation que sur la simplification, ce texte fixe enfin un cap. Certes, nous ne serons pas tous d’accord sur l’orientation à fixer, mais nous devrons en débattre, et ce dans un cadre parlementaire. Ce débat sera, je l’espère, discipliné et constructif, et le dogmatisme devra laisser la place au pragmatisme. Nous avons la responsabilité d’envoyer au secteur de l’énergie et à ses acteurs un signal politique clair pour accompagner le développement de la filière.

Néanmoins, nous allons nous heurter une fois encore à certains choix qui laissent augurer un examen complexe et houleux du projet de loi de finances pour 2025 : comment développer les énergies bas-carbone, accompagner l’électrification des usages ou inciter à des pratiques vertueuses et à des investissements verts, quand il faut également garder raison dans un objectif de préservation des finances publiques ? Tout cela ne va pas ensemble.

Les incitations et les aides seront difficilement envisageables dans un contexte de coupes budgétaires. Alors que le budget du ministère de la transition écologique a déjà été amputé de 2 milliards d’euros en février dernier, on constate une baisse draconienne des crédits du fonds vert dans le projet de loi de finances pour 2025, qui seraient réduits de 2,5 milliards à 1 milliard d’euros. Ce fonds permet pourtant aux collectivités de financer des projets vertueux pour l’environnement. Alors qu’on ajoute des obligations environnementales dans les marchés publics, on accusera ensuite les collectivités de dépenser trop !

Je rappelle que le Haut Conseil pour le climat s’est alarmé le 4 avril dernier des « dérives de calendrier » dans la publication des textes essentiels à notre trajectoire énergétique et climatique, ainsi que des reculs opérés sur le front de l’environnement, notamment pour tenter d’éteindre la crise agricole.

Notre transition écologique ne peut rester une variable d’ajustement soumise aux crises politiques, à la conjoncture économique et à la personnalité du couple exécutif.

Dans ce contexte d’urgence et face aux défis climatiques, la France a besoin d’accélérer, notamment pour atteindre ses objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050 et de réduction de 55 % de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Or les orientations énergétiques et les politiques d’adaptation du pays n’ont toujours pas été fixées. J’ai bien dit que l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre était de 55 %, comme l’a fixé le cadre européen actualisé, et non de 50 %, comme le prévoit ce texte. Je présenterai d’ailleurs un amendement à ce sujet.

Une fois encore, le manque de méthode est à déplorer. Les décisions sont prises en silo. Un peu là, moins ici : ce n’est pas ainsi que nous ferons preuve de hauteur de vue et que nous aurons une stratégie globale. Tel est vraiment notre mal français. Au lieu de nous contenter de l’à-peu-près, ne sommes-nous pas capables d’aborder les problèmes dans leur globalité, de nous fixer des objectifs en fonction des enjeux et des parties prenantes, de définir des étapes, de tenir nos engagements et, bien sûr, d’évaluer les résultats ?

La baisse de 5,8 % des émissions de gaz à effet de serre en France, en 2023, selon les données publiées par le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa), est un indicateur très positif. Cela prouve que les efforts paient. Il est urgent d’être raisonnable et de prévoir ensemble une poursuite de cette réduction, d’autant que la Commission européenne vient de rappeler à l’ordre la France au sujet des énergies renouvelables. Il est temps de nous hâter ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi Énergie-climat prévoyait en 2019 le principe d’une loi quinquennale sur l’énergie, consacrant ainsi la stratégie du Parlement dans la détermination des grandes orientations énergétiques de notre pays.

Le renoncement du Gouvernement à légiférer en la matière était préjudiciable, autant pour le pays que pour les filières qui, nous l’avons vu, souffrent d’un manque de cap. Les récentes lois d’accélération auraient eu davantage d’impact si elles avaient pu être précédées d’une véritable loi de programmation.

Dans ce contexte, le travail de notre collègue Daniel Gremillet et des rapporteurs Patrick Chauvet et Alain Cadec est d’autant plus pertinent. Il replace le Parlement au centre de la définition de la politique énergétique et porte la vision d’une économie décarbonée et compétitive.

Le groupe Union Centriste salue les propositions en matière de relance du nucléaire et de développement des énergies renouvelables. À ce sujet, je veux insister sur le fonds Chaleur, madame la ministre, notamment sur le bois énergie que vous n’avez pas cité et qui assure pourtant un rôle crucial dans la transition énergétique de la France. Je le rappelle, en matière de chaleur, le bois énergie est la première source d’énergie renouvelable, plébiscitée par les Français.

Je salue les propositions de nos collègues visant à améliorer l’efficacité énergétique et à soutenir les interconnexions, ainsi que la flexibilité du système électrique. En effet, la politique énergétique doit servir notre économie et la réindustrialisation de notre pays.

Entre 2021 et 2024, le prix moyen de l’électricité payé par les entreprises industrielles s’est accru de 67 %. Ce phénomène s’observe dans les mêmes proportions dans l’ensemble des pays européens. Cela confirme que, à court terme, l’énergie est bien un coût qu’il faut absolument maîtriser pour maintenir la compétitivité et la réindustrialisation de nos entreprises et de nos territoires. À ce titre, la proposition de loi prévoit de réduire les coûts des réseaux de distribution et de transport d’électricité.

À long terme, nous le savons, le prix de l’énergie est un signal de la compétitivité structurelle d’une économie. Et c’est là que le bât blesse pour l’ensemble des pays européens : les coûts de l’électricité resteraient en moyenne supérieurs de 40 % à ceux des États-Unis, de la Chine ou encore de l’Inde d’ici à 2050. Je salue les travaux de la commission d’enquête portant sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050, présidée par notre collègue Franck Montaugé, dont le rapporteur était Vincent Delahaye.

Ce texte, enfin, poursuit une stratégie engagée dans les années 1970 et confirmée lors du conseil de politique nucléaire de février dernier, dite de fermeture du cycle. Celle-ci est d’autant plus urgente que la commission d’enquête a lancé l’alerte sur le fait que les stocks d’uranium pourraient se raréfier dans les années 2060. Grâce à la fermeture du cycle, l’ambition est précisément de faire en sorte que, par le retraitement des combustibles dès aujourd’hui, la France dispose demain de suffisamment d’énergie pour des centaines d’années avec des réacteurs de quatrième génération.

Ainsi, l’annonce de la prolongation de l’exploitation des usines de retraitement des combustibles de La Hague et de Marcoule tout comme la poursuite du projet d’enfouissement des déchets dans le cadre du centre industriel de stockage géologique (Cigéo) doivent permettre à la France de renforcer sa maîtrise du cycle aval du combustible.

Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Daniel Gremillet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici réunis après de longs mois, voire de longues années, d’atermoiements de la part des gouvernements précédents, qui refusaient en réalité le débat global sur les questions énergétiques que, sur toutes les travées, nous avons été nombreuses et nombreux à exiger et à réclamer, parfois même en nous agaçant.

Nous avons vu le Gouvernement avancer projet de loi par projet de loi, découpant notre politique énergétique par petits bouts : un petit texte sur les énergies renouvelables, un petit autre sur l’accélération du nucléaire. À un moment donné, il fallait pourtant bien avoir une vision globale, mais le Gouvernement le refusait.

Certes, il faut le dire et Daniel Gremillet l’a rappelé, Mme Pannier-Runacher, en décembre 2023, avait prévu un texte global. Mais il y eut le remaniement ministériel. Le « petit Mozart de Bercy » et son nouveau ministre de l’industrie et de l’énergie Roland Lescure ont décidé d’enterrer le texte, ce dernier allant même jusqu’à expliquer dans une interview au journal Le Figaro qu’il n’y aurait plus de débats sur les questions énergétiques faute de majorité à l’Assemblée nationale et que toutes les mesures seraient prises par voie réglementaire.

C’est dans ce contexte que notre collègue Daniel Gremillet a décidé, avec la droite sénatoriale, de présenter une proposition de loi pour provoquer le débat, et je l’en félicite parce qu’il a mené un travail sérieux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Ce débat devait avoir lieu, ici, au lendemain des élections européennes. Mais patatras ! Le président de la République a décidé la dissolution, ce qui a entraîné des élections législatives dont on connaît le résultat : les perdants sont devenus les gagnants, les gagnants sont devenus les perdants, les ennemis d’hier sont devenus des amis… (Sourires.)

Madame la ministre, je vous pose la question : ce texte, qui visait à ce que nous ayons un débat, est-il devenu un projet de loi gouvernemental ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST et RDSE.) Parce que ce n’est plus du tout la même chose !

Par exemple, même si mon intention n’est pas de dire que le travail n’a pas été sérieusement mené, on ne peut pas décider dans le cadre d’une proposition de loi de construire six, huit, quatorze ou vingt EPR. Pourquoi ? Encore une fois, je suis favorable à la relance du nucléaire, mais pour prendre une telle décision, il faut un projet de loi avec une étude d’impact et l’avis du Conseil d’État. Ce n’est donc pas la même chose que trancher ce débat en deux jours dans le cadre d’une proposition de loi. Tout le monde le sait, ici, même la droite sénatoriale.

De plus, ce texte est, en réalité, devenu caduc, et je vais m’en expliquer. Daniel Gremillet propose, par exemple, que l’on construise quatorze EPR2 et quinze SMR. Il prévoit même six EPR2 supplémentaires, pour un total de vingt EPR2 à terme. C’est très bien, mais il faudra que l’énergéticien EDF ait une capacité d’investissement pour y parvenir. Or le Gouvernement, soutenu par la droite sénatoriale et par la Macronie, prévoit dans le projet de loi de finances pour 2025 de transformer la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité (Crime) en une taxe sur les capacités de production, de sorte que cela représentera 3 milliards d’euros de taxe pour EDF. Je vous le dis, nous voterons contre, et j’espère que nous serons nombreux à le faire.

Madame la ministre, il y a là une première incohérence. Soit le Gouvernement veut relancer le nucléaire, mais il faut alors qu’il donne la capacité à EDF de le faire, soit il considère qu’il faut en réalité « taper » les énergéticiens. Je vous proposerai, pour ma part, un amendement dans la cadre du projet de loi de finances visant à instaurer une taxe sur les acteurs alternatifs pour « taper » la rente de ceux qui ne produisent rien. Nous pourrons peut-être nous mettre d’accord là-dessus.

Deuxième incohérence, les auteurs de la proposition de loi veulent électrifier les usages – et je les soutiens –, mais le Gouvernement fait un autre choix dans le projet de loi de finances en prévoyant d’augmenter la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) et de rehausser la TVA sur la partie abonnement des factures d’électricité de 5,5 % à 20 %.

Madame la ministre, vous allez alourdir la fiscalité sur l’électricité alors qu’au sein même du Gouvernement vous ne parvenez pas à vous accorder pour augmenter la fiscalité sur le gaz !

M. Fabien Gay. Vous allez donc pénaliser davantage l’électricité que le gaz bien que vous affichiez la volonté d’électrifier les usages. Mettez-vous d’accord et revenez nous dire ce que vous voulez vraiment faire !

Troisième problème, quand allons-nous débattre de l’après-Arenh (accès régulé à l’électricité nucléaire) et du nouveau calcul des tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRVE) ? Le véhicule législatif ne peut pas être le projet de loi de finances (PLF) – on nous l’a répété un certain nombre de fois. Le problème, madame la ministre, c’est que votre gouvernement a décidé de l’inscrire dans le PLF pour 2025.

Quatrième problème, on sait qu’une politique globale doit pouvoir s’appuyer sur les collectivités territoriales. Mais votre gouvernement a décidé une nouvelle ponction de 5 milliards d’euros sur les collectivités. (M. Stéphane Piednoir sexclame.)

M. Daniel Salmon. C’est plus encore !

MM. Michel Savin et François Bonhomme. Ça va changer !

M. Fabien Gay. Comment pourront-elles mener des politiques ambitieuses en matière écologique ?

Cinquième problème,…

M. le président. Il faut conclure.

M. Fabien Gay. Tout le monde m’interrompt ! Vous ne voulez pas débattre, mes chers collègues ? (Sourires.)

En commission, j’avais fait adopter un amendement – certains de ceux qui étaient présents alors sont désormais ministres – visant à faire vivre le projet d’Ecocombust à la centrale de Cordemais. Cela figure dans le texte, madame la ministre, à l’article 8.

M. le président. Veuillez conclure ! Vous avez dépassé votre temps de parole.

M. Fabien Gay. Mais EDF a décidé de ne pas en tenir compte. Quel est l’avis de votre gouvernement et de la droite sénatoriale sur ce sujet ? Allez-vous dire que vous êtes contre cette mesure, alors que vous étiez pour au mois de juin dernier ?

M. le président. Concluez !

M. Fabien Gay. Quand vous aurez résolu toutes ces incohérences, nous pourrons commencer à avoir un débat sérieux. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Michel Savin. Voilà un modéré !

M. Yannick Jadot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer le travail de Daniel Gremillet, d’Alain Cadec et de Patrick Chauvet.

Ce texte est utile, car, comme nous l’avons dit dès le début, notre pays a impérativement besoin d’une programmation de l’énergie. Les retards accumulés depuis maintenant plus d’un an sont dramatiques. Ils démontrent le désintérêt des gouvernements successifs pour le sujet et leur mépris pour le Parlement.

Les conséquences sont bien évidemment dramatiques pour le climat. La France est l’un des pays qui se réchauffent le plus au monde, soumis au retrait-gonflement des argiles, aux pertes agricoles, aux inondations, aux canicules, aux feux de forêt… À l’approche du débat budgétaire, nous devons nous rappeler que le coût de l’inaction, demain, sera beaucoup plus élevé que le coût de l’action, aujourd’hui.

L’enjeu est aussi celui de notre souveraineté. La guerre en Ukraine a démontré combien notre dépendance, et trop souvent notre complaisance, vis-à-vis des régimes pétroliers nous coûte cher.

Notre économie est touchée. Notre mix énergétique, vous le savez, dépend majoritairement des énergies fossiles, que nous importons pour plus de 100 milliards d’euros chaque année. Je le redis, tout cela nous coûte extrêmement cher.

En outre, pour revenir sur la question de la concurrence, tant que nous dépendrons d’énergies fossiles que nous ne produisons pas, notre énergie coûtera beaucoup plus cher que dans le reste du monde.

Notre responsabilité est donc de décarboner massivement. En effet, puisque notre trajectoire climatique nous impose d’électrifier de plus en plus nos usages et nos modes de production, il nous faut déployer rapidement des énergies décarbonées.

Nous saluons l’objet de cette proposition de loi qui est de rappeler le Gouvernement à ses obligations, y compris européennes. La France s’est fixé pour objectif de baisser de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre et elle s’est engagée au niveau européen à atteindre une part de 44 % d’énergies renouvelables dans son mix énergétique d’ici à 2030. Il faut respecter ces engagements.

Nous saluons aussi l’inscription dans le texte de la sortie des énergies fossiles avec des objectifs renforcés pour 2030, d’une meilleure information du consommateur et des objectifs ambitieux en matière de rénovation thermique. Mais soyons sérieux ! Compte tenu des coups portés au budget de la rénovation thermique, les objectifs affichés ne seront pas tenus.

En revanche, cher Daniel Gremillet, sans surprise, nous divergeons sur les priorités. En effet, vous donnez la priorité absolue au nucléaire. Rappelons tout de même que, sur ce point, les dispositions de cette proposition de loi dépassent largement le périmètre de la loi quinquennale ou de la programmation pluriannuelle. Notre objectif a été fixé à l’horizon 2035. Or il n’y aura pas un EPR2 en service à cette date. De plus, comme l’a dit Fabien Gay, le texte n’a donné lieu à aucune étude d’impact et n’a pas fait l’objet d’un avis du Conseil d’État.

Reconnaissons-le, dans cet hémicycle, vous avez une passion pour les EPR. Et toute passion porte une part d’irrationalité. La vérité sur le nouveau nucléaire, c’est que l’EPR de Flamanville a douze ans de retard et représente un surcoût de 16 milliards d’euros. Même surcoût pour Hinkley Point ! Quant aux EPR2, personne ne peut en déterminer le prix aujourd’hui puisque leur design n’est pas encore finalisé. Mais on sait qu’il sera d’au moins 13 milliards d’euros par tête de pipe, sans avoir le début d’une idée pour le financer.

Franchement, comment donc sérieusement imaginer de construire quatorze EPR2, quinze SMR et peut-être six EPR2 de plus avant 2035 ? Ce n’est pas sérieux !

En réalité, que l’on soit pour ou contre ces EPR2, ils ne seront pas opérationnels avant cette échéance. D’ici 2035, si l’on souhaite développer des solutions décarbonées, il faut déployer les énergies renouvelables. Cette question est partiellement abordée dans le texte, mais il faut reconnaître que ses auteurs sont un peu frileux sur l’éolien et le photovoltaïque, alors même que, partout dans le monde, ce sont les énergies qui se développent le plus vite.

En 2030, l’éolien et le solaire fourniront plus de la moitié de l’électricité dans dix pays européens, parmi lesquels figurent la quasi-totalité de nos voisins : je pense aux Britanniques, aux Allemands, aux Belges ou encore aux Espagnols. Il est temps que la France respecte ses engagements européens et « mette le paquet » pour atteindre ces objectifs.

Nous devons travailler en priorité à améliorer notre politique industrielle. Le nucléaire existant a besoin de compétences, de savoir-faire et, incontestablement, d’usines, car chacun sait que nous en avons encore pour des décennies.

En revanche, madame la ministre, c’est bien beau de parler de pactes éolien et solaire, mais la réalité, c’est que le Gouvernement abandonne les entreprises dans les territoires. Vous souvenez-vous du rachat d’Alstom ? C’était à l’époque où Emmanuel Macron était ministre de l’économie…

M. François Bonhomme. C’est fini !

M. Yannick Jadot. Sachez que General Electric s’apprête à licencier 60 % de son personnel en Loire-Atlantique !

M. le président. Mon cher collègue, vous dépassez allègrement le temps de parole qui vous est imparti…

M. Yannick Jadot. Je conclus, monsieur le président : il nous faut réfléchir à notre politique industrielle, parce que notre souveraineté énergétique en dépend.

Madame la ministre, nous attendons du Gouvernement qu’il dépose un texte nous permettant de tenir nos engagements européens et de mener à bien la transition énergétique dont nous avons tellement besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Fabien Gay applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau.

M. Jean-Jacques Michau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’article L. 100-1 A du code de l’énergie prévoit qu’« avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, une loi détermine les objectifs et fixe les priorités d’action de la politique énergétique nationale pour répondre à l’urgence écologique et climatique ».

Cette loi de programmation, prévue par la loi Énergie-climat de 2019, consacre la primauté des politiques sur les techniciens dans le secteur stratégique de l’énergie.

Or, depuis 2019, aucun gouvernement n’a mis à l’ordre du jour un tel projet de loi, qui doit permettre à la France de répondre concrètement aux défis de la transition énergétique et à l’urgence climatique. Notre groupe, comme d’autres d’ailleurs, a dénoncé à de multiples reprises ce renoncement gouvernemental. Le Parlement se trouve ainsi dessaisi d’enjeux primordiaux pour l’avenir de notre pays. Nous sommes face à un déni démocratique.

Madame la ministre, permettez-moi de vous présenter mes félicitations républicaines pour votre nomination. Il est aujourd’hui de votre responsabilité de présenter un véritable projet de loi lançant le débat parlementaire et démocratique sur la stratégie énergétique de la France sur le long terme, en cohérence avec nos engagements internationaux et européens.

La proposition de loi de nos collègues du groupe Les Républicains que nous examinons ce soir a donc toute sa légitimité dans le contexte actuel.

Pour autant, ce texte ne permet d’atteindre que partiellement les objectifs de programmation de la loi Énergie-climat. C’est ainsi que la question des moyens financiers nécessaires pour atteindre ces objectifs n’est pas abordée.

Quelles sont les raisons qui poussent à choisir tel scénario de mix plutôt qu’un autre ? Quel scénario est-il préférable de retenir pour notre pays au regard du coût moyen actualisé de chaque composante du mix, des enjeux de performance des filières industrielles, des objectifs d’indépendance et de souveraineté nationale, de l’effet prix sur les consommateurs et des considérations géopolitiques ?

Durant la discussion du texte, nous défendrons un certain nombre d’amendements déclinant les grandes orientations que défendent les sénateurs socialistes dans le domaine de l’énergie et qui s’inspirent du scénario N03 de RTE. Le Gouvernement présentera, lui aussi, des amendements qui tendent sans doute à souligner certaines faiblesses du texte, dont les auteurs affichent pourtant de fortes ambitions. Pour nous, il est difficile d’en juger sans étude d’impact…

La présente proposition de loi porte sur des sujets beaucoup plus vastes. Alors que l’on vient de légiférer, il y a quelques mois seulement, sur la simplification et l’accélération des procédures dans le domaine de l’énergie nucléaire et des énergies renouvelables, le texte prévoit de nouveau de modifier les nouvelles mesures de simplification : ce point fera l’objet de l’un de nos amendements.

Il comporte aussi de nombreuses mesures qui, pour certaines, auraient mérité un examen plus poussé : cela montre, encore une fois, la nécessité d’une étude d’impact… Ainsi, quelles sont les implications des nouvelles mesures relatives au partage territorial de la valeur prévu par la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables ?

Les nouveaux dispositifs visant à faciliter l’investissement des collectivités territoriales dans les projets d’énergies renouvelables auraient, eux aussi, dû être évalués.

D’autres dispositions emportent mon adhésion, comme celles qui contribuent à soutenir l’hydroélectricité, tant la petite que la grande. Il est impératif – vous l’avez dit, madame la ministre – de sortir enfin du contentieux européen qui pèse sur les perspectives de la filière hydroélectrique.

Le texte contient d’autres mesures positives, notamment celles qui tendent à renforcer la protection du consommateur, en matière de prix notamment.

Pour conclure, quelques jours après la présentation des orientations budgétaires du projet de loi de finances pour 2025, je tiens à affirmer mon opposition à ce que le secteur de l’énergie soit plus particulièrement mis à contribution pour renflouer les caisses de l’État.

Le projet d’un relèvement très sensible de la taxe sur l’électricité au-delà de son niveau d’avant-crise me semble particulièrement préoccupant, en particulier pour les foyers les plus modestes. Dans la même logique, il est à craindre que la perspective d’une contribution exceptionnelle sur les dividendes d’EDF ait des répercussions sur les classes populaires et moyennes, un sujet sur lequel nous reviendrons au cours des débats sur le projet de loi de finances pour 2025.

Soyez assurée que les sénateurs socialistes seront pleinement mobilisés pour faire valoir leurs propositions ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Fabien Gay applaudit également.)