compte rendu intégral

Présidence de M. Loïc Hervé

vice-président

Secrétaires :

Mme Sonia de La Provôté,

Mme Patricia Schillinger.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Transformation d’un groupe de travail en commission spéciale

M. le président. Le projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité ayant été déposé au Sénat, le groupe de travail sur ce texte, dont les membres ont été nommés en séance le 5 juin dernier, peut être transformé en commission spéciale, conformément à la décision de la conférence des présidents réunie le 10 juin 2024.

Il n’y a pas d’opposition ?

Il en est ainsi décidé.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer l'indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes
Article 1er

Indépendance des médias et protection des journalistes

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la discussion de la proposition de loi visant à renforcer l’indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes, présentée par Mme Sylvie Robert et plusieurs de ses collègues (proposition n° 741 [2023-2024], texte de la commission n° 21, rapport n° 20, avis n° 16).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi et rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi, rapporteure de la commission de la culture, de léducation, de la communication et du sport. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Albert Camus, dans son Hommage à un journaliste exilé, en référence à Eduardo Santos, ancien président de la Colombie et ancien directeur de El Tiempo, qui avait refusé que son journal devienne un canal de propagande du gouvernement, expliquait : « La presse libre peut sans doute être bonne ou mauvaise, mais assurément, sans la liberté, elle ne sera jamais autre chose que mauvaise. » Il poursuivait : « Avec la liberté de la presse, les peuples ne sont pas sûrs d’aller vers la justice et la paix. Mais sans elle, ils sont sûrs de n’y pas aller. Car il n’est fait justice aux peuples que lorsqu’on reconnaît leurs droits et il n’y a pas de droit sans expression de ce droit. »

Il est une constante dans l’histoire : une presse libre a toujours suscité l’inquiétude des pouvoirs, singulièrement des pouvoirs autoritaires.

La France, pays politique par essence, n’échappe pas à cette règle : elle entretient une relation longue, passionnée, parfois tumultueuse avec la presse et les médias. Ainsi, le Premier consul Napoléon Bonaparte rétablit la censure dès sa désignation, le 17 janvier 1800 ; de même, la première ordonnance de Saint-Cloud signée par Charles X en 1830 suspend la liberté de la presse pour une période indéfinie, cause directe de sa chute.

C’est l’un des honneurs de notre République d’avoir adopté la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, jamais remise en cause depuis cette date, mais au contraire consolidée et constamment adaptée aux enjeux modernes.

Pour le dire très simplement, la liberté de la presse est toujours un combat ; elle n’est jamais acquise et ses premiers serviteurs, les journalistes, paient parfois un lourd tribut en son nom.

Aujourd’hui, nous sommes parvenus à un moment charnière où nous avons à la fois suffisamment de recul pour jauger la situation des médias et de l’information grâce aux nombreux travaux conduits ces dernières années, mais aussi l’obligation d’agir dans les pas de l’Union européenne.

Cette dernière a parfaitement intégré que la liberté, l’indépendance et la préservation des médias représentaient une question majeure, hautement sensible et vitale pour nos démocraties. Or elles traversent une zone de turbulences, secouées par la prolifération de la désinformation, qui mine littéralement notre débat public et qui nécessite que l’éducation aux médias soit d’urgence érigée au rang de grande cause nationale ; secouées aussi par les campagnes d’ingérence étrangère qui instrumentalisent l’information et jouent sur l’effet réseau des plateformes pour nous déstabiliser ; secouées enfin par la polarisation à outrance des débats.

Il appartient donc au législateur, alors que le paysage médiatique a profondément évolué, sans perdre en importance, de sauvegarder la liberté de la presse et des médias et de mieux protéger les journalistes.

Tel est l’objet de la proposition de loi que j’ai l’honneur de défendre devant vous aujourd’hui et que mon groupe, que je remercie, a choisi d’inscrire à notre ordre du jour réservé à l’orée de notre session ordinaire. Je ne prétends bien entendu pas résoudre en quelques articles un sujet virtuellement inépuisable et qui met littéralement en jeu notre contrat social. Nous cherchons cependant, avec ce texte, à tirer quelques enseignements des nombreux travaux que le Sénat, mais également l’Assemblée nationale, a consacrés aux médias.

Cette discussion est importante aujourd’hui. On m’a beaucoup objecté que ce texte n’arrivait pas au bon moment, qu’il serait inscrit trop tôt à notre ordre du jour par rapport aux conclusions des États généraux de l’information (EGI), aux décisions de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), à de futurs textes – on nous en annonce toujours de nouveaux ! –, ou bien trop tard pour restaurer une confiance sérieusement ébranlée envers les médias. J’entends ces arguments.

Il me semble pourtant que la situation justifie une réflexion urgente et, plus encore, la mise en œuvre de mesures adaptées.

Le constat est en effet implacable : dans nos sociétés, la presse et les médias traditionnels souffrent et menacent, pour certains, de s’effondrer, comme le souligne chaque année le rapporteur pour avis des crédits de la presse, notre collègue Michel Laugier.

Or une presse qui s’effondre entraîne avec elle la possibilité d’un débat public qui, pour être passionné, doit demeurer serein et reposer sur des faits. Nous en avons des exemples sur les deux rives de l’Atlantique. Ce que je qualifierais de conversation publique est maintenant dominé par le fracas des déclarations péremptoires, des fausses informations, des ingérences étrangères hostiles. Je vous renvoie à ce propos au travail – parfois angoissant – de la commission d’enquête que nous avons menée sur le sujet.

Les causes de cette situation sont diverses : la multiplication des supports d’information a contribué à la dilution des sources fiables, perdues au milieu d’un flot ininterrompu de faits non vérifiés et de propos haineux ; le modèle économique des médias en général, de la presse écrite en particulier, souffre énormément de la captation des ressources publicitaires par les grands acteurs du numérique ; enfin, la segmentation toujours plus poussée des publics conduit à l’émergence non pas de médias partagés entre tous, mais d’un média pour chacun, nous enfermant parfois dans des bulles de filtres.

Les défis sont donc nombreux et protéiformes, à tel point que l’on pourrait être tenté de baisser les bras. Ce que traduit ma proposition de loi, c’est le refus d’un tel abandon : ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il ne faut rien faire, bien au contraire.

Le texte que nous examinons cherche à esquisser certaines solutions à des problèmes identifiés de longue date.

Les trois premiers articles de la proposition de loi traitent de la régulation dans le secteur audiovisuel. La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication offre un cadre, que beaucoup trouvent suffisant.

Je profite cependant de l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer pour réaffirmer la nécessité de réformer en profondeur ce texte, qui date d’une époque où il n’existait que cinq chaînes de télévision. Le rafistolage auquel nous nous livrons chaque année pour la compléter ne suffit plus en 2024, alors que les fréquences se comptent par dizaines et que le numérique se développe.

Plus modestement, nos ambitions ont été de prendre en compte et d’inscrire dans la loi, à l’article 1er, la jurisprudence du Conseil d’État du 13 février 2024 qui a contraint l’Arcom à faire évoluer ses pratiques.

L’article 2 vise à offrir de nouveaux outils aux régulateurs pour réagir plus vite en cas d’atteinte grave et manifeste à la vie démocratique de la Nation.

L’article 3 traite des comités d’éthique et de déontologie issus de la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, dite loi Bloche. Il convient de faire de ces instruments des leviers efficaces pour améliorer non seulement l’éthique, mais également la confiance en l’information livrée par les médias.

L’article 4 vise le même impératif : il tend à améliorer la visibilité et le contenu des chartes de déontologie dans la presse écrite.

Je ne m’étendrai pas sur l’article 5, qui relève de la compétence de la commission des lois. Je tiens cependant à adresser mes remerciements sincères à notre collègue rapporteure Lauriane Josende, qui a adopté une approche très constructive. Je forme le vœu, madame la ministre, que nous en reparlions, et que vous preniez l’engagement devant nous de traiter enfin dans sa globalité la question du secret des sources, pendante depuis 2016 et qui nous met en porte-à-faux vis-à-vis de l’Union européenne.

L’article 6 instaure un droit d’agrément des rédactions sur le choix de leur directeur. Je n’ignore pas que cette disposition a suscité, et suscite encore, le débat. J’entends les arguments des uns et des autres, avancés durant nos auditions et en commission. Il ne s’agit en aucun cas, ni de ma part ni de celle des journalistes qui demandent à en bénéficier, d’une marque de défiance envers les propriétaires des titres. Une entreprise de presse sera d’autant plus performante qu’il régnera de la confiance entre ses parties prenantes. Je pense que cette piste mérite réellement d’être étudiée.

Enfin, l’article 7 traite des droits voisins des éditeurs et des agences de presse, un sujet cher au cœur de notre ancien collègue David Assouline, présent dans nos tribunes et que je salue très chaleureusement pour son engagement jamais démenti en faveur d’une presse libre et indépendante. Les négociations n’ont en effet progressé qu’à coups d’injonctions et d’amendes colossales de l’Autorité de la concurrence, pour un montant de 750 millions d’euros, tout de même. Cinq ans après l’adoption de la loi du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, il est temps de tirer les enseignements d’une négociation déséquilibrée entre les parties prenantes.

Mes chers collègues, tel est donc le contenu initial de notre proposition de loi.

J’en ai été désignée rapporteure par la commission et j’ai cherché à mener un travail approfondi sur le texte. Pour des raisons de calendrier, nous avons dû l’examiner en un peu plus d’une semaine. Je tiens à remercier les collègues qui se sont associés aux seize auditions que nous avons menées tambour battant la semaine dernière. Ce temps limité a malgré tout donné l’occasion aux parties prenantes de faire valoir leurs points de vue et leurs préoccupations. Dans l’exercice de cette fonction, j’ai évolué sur plusieurs points et ainsi amélioré le texte.

À l’article 1er, nous avons adopté un amendement de réécriture plus fidèle à la décision du Conseil d’État du 13 février 2024, en mentionnant notamment de manière explicite la liberté éditoriale dont doivent bénéficier les chaînes de télévision. Nous sommes parvenus à un point d’équilibre, qui a le mérite de souligner qu’il appartient au législateur de fixer l’interprétation de la loi.

La commission a complété et amélioré très significativement les articles 3 et 4, qui traitent de la question de la déontologie et de l’éthique. Les comités d’éthique des chaînes seront rendus plus transparents et plus accessibles, leur indépendance comme les qualifications de leurs membres seront validées par l’Arcom. Ces mesures reprennent en grande partie les travaux de la commission d’enquête sur la concentration des médias en France, qui a vu dans ces comités un garde-fou efficace, mais qu’il convenait de revivifier.

Nous avons également assuré une meilleure diffusion des chartes de déontologie issues de la loi Bloche de 2016 et je renouvelle le souhait, que nous partageons tous, qu’elles puissent être généralisées à l’ensemble de la presse écrite. Ce chantier, je le sais, demeure ouvert.

À l’opposé, il nous a paru opportun de ne pas conserver le contrôle de conformité par le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), dont ce n’est, à l’évidence, pas la mission. Pour autant, nous souhaitons, selon une formule entendue durant une audition, lui confier le rôle de « chartothèque » afin qu’il serve de base de référence à la profession.

Enfin, la commission a considérablement renforcé l’article 7 sur les droits voisins. Nous avons précisé le contenu du décret qui doit fixer les éléments à transmettre et confié à l’Autorité de la concurrence le soin d’assurer le respect de ces dispositions par une procédure dont elle a la maîtrise.

Madame la ministre, mes chers collègues, ce texte ne manque pas d’ambition. J’insiste sur la nécessité dans laquelle nous nous trouvons d’agir, et vite, car le temps médiatique est infiniment bref. Chaque jour, les médias ploient un peu plus, et avec eux le débat démocratique. Agir relève donc de notre responsabilité à tous.

Madame la ministre, vous aurez l’occasion, durant notre discussion, de prendre des positions, voire, je le souhaite, des engagements devant notre assemblée. Soyez certaine que nous les attendons, que nous les entendrons, et que, sur toutes les travées, nous ferons valoir nos exigences. Nous serons au rendez-vous ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa, en remplacement de Mme Lauriane Josende, rapporteure pour avis.

M. Christophe-André Frassa, en remplacement de Mme Lauriane Josende, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des lois est saisie pour avis avec délégation au fond de l’article 5 de cette proposition de loi.

L’objectif initial de cet article était triple : étendre le champ des immunités pénales en matière de secret des sources ; inclure dans le périmètre de cette protection tous les journalistes, y compris ceux qui exercent leur profession sans rémunération de manière ponctuelle ; et faire également bénéficier de cette protection les directeurs de publication et tout collaborateur d’une rédaction amenés à prendre connaissance d’informations permettant de découvrir une source.

L’article 5 prévoyait également de soumettre tout acte de procédure tendant à lever le secret des sources au juge des libertés et de la détention (JLD). Il visait enfin à augmenter le quantum de peine applicable en cas d’atteinte au secret des sources. Ces dispositions reprenaient en partie celles qui avaient été proposées dans le cadre de la loi Bloche de 2016 et censurées par le Conseil constitutionnel.

Notre régime de protection du secret des sources découle de la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes qui a réformé l’article 2 de la loi de 1881 et le code de procédure pénale. Ce texte a mis le droit français en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a consacré le secret des sources comme l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse.

Si elle est consacrée par le droit interne, la protection du secret des sources n’a pas valeur constitutionnelle en elle-même. L’immunité accordée à certaines personnes dans le cadre d’enquêtes ou de procès pour protéger les sources doit être proportionnée au regard de l’objectif constitutionnel de recherche des auteurs d’infractions et au droit à un procès équitable. C’est parce qu’elles ne respectaient pas cet équilibre que les dispositions de la loi de 2016 ont été censurées par le Conseil constitutionnel.

Aujourd’hui, deux éléments d’actualité doivent nous conduire à nous pencher de nouveau sur la protection des sources.

Le premier est le rendu des conclusions des États généraux de l’information du 12 septembre dernier, qui appelle notamment à une clarification des exceptions prévues au secret des sources.

Le second est l’adoption du règlement européen du 20 mars 2024 sur la liberté des médias, qui est entré en vigueur partiellement depuis le 7 mai 2024 et sera progressivement mis en place jusqu’au 8 août 2025. Ce texte conduira nécessairement à des évolutions législatives, notamment parce qu’il prévoit une extension des personnes protégées et la mise en place de nouvelles procédures de protection.

C’est donc au regard de ces principes et de cette actualité que la commission des lois a examiné l’article 5. Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, elle a jugé que l’extension de la protection du secret des sources aux collaborateurs de rédaction était disproportionnée.

Par ailleurs, de manière constante, elle s’est opposée au transfert au juge des libertés et de la détention de la compétence sur les actes de procédure relatifs au secret des sources. Cette mission, qui ne relève pas du cœur des compétences des JLD, est assurée de manière efficace par les juges d’instruction et il serait malvenu d’alourdir encore la procédure pénale à l’heure où l’on souhaite plutôt la simplifier.

Enfin, l’alourdissement des peines en matière d’atteinte au secret des sources n’améliorera pas la protection dont ces dernières font l’objet.

Il est donc apparu, pour des raisons tant de constitutionnalité que d’opportunité et de cohérence de la procédure pénale, que ces différents points ne pouvaient être conservés.

À l’inverse, l’extension de la protection du secret des sources à tous les journalistes exerçant leur profession dans le cadre fixé par le code du travail et au directeur de publication est apparue proportionnée et conforme à l’évolution tant de la jurisprudence que du droit européen. La rapporteure de la commission, Lauriane Josende, en accord avec l’auteure de la proposition de loi, a donc soumis à la commission, qui l’a adoptée, une nouvelle rédaction de l’article 5, ne conservant que l’extension de la protection des sources à tous les journalistes exerçant leur profession conformément au code du travail et aux directeurs de publication.

Au-delà de ces dispositions, plusieurs sujets relatifs à la protection du secret des sources demeurent en suspens. Ils appellent, madame la ministre, un projet de loi pour tirer les conséquences du règlement européen sur la liberté des médias, mais aussi de la directive contre les procédures bâillons du 11 avril 2024, un sujet qui n’est pas abordé dans cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le président, monsieur le président Laurent Lafon, monsieur le vice-président Christophe-André Frassa, madame la rapporteure Sylvie Robert, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous allons examiner aujourd’hui porte sur deux sujets essentiels dans notre démocratie, vous l’avez tous rappelé : l’indépendance de nos médias et la protection des journalistes.

Nous partageons les mêmes objectifs, ne laissons pas subsister de malentendu à ce sujet : il n’y a pas de démocratie ni de débats publics équilibrés sans une information fiable, de qualité et sans pluralisme des idées. L’information est un bien public qu’il faut préserver.

La prédominance des réseaux sociaux et le fonctionnement obscur des algorithmes marginalisent de plus en plus le travail des journalistes et un sentiment de défiance ou de rejet s’installe chez certains de nos concitoyens dans le contexte que nous connaissons. Il les expose aux manœuvres de désinformation menées par des intérêts privés ou par des puissances étrangères. L’intelligence artificielle accentue ces risques, même si elle ouvre aussi de nouvelles possibilités. Les sujets sont donc nombreux.

Ce constat a conduit le Président de la République à prendre l’initiative des États généraux de l’information. Il nous fallait nous interroger sur la manière dont l’information est produite et diffusée face aux évolutions profondes de la mondialisation et du numérique et rechercher un nouveau modèle préservant le droit des citoyens d’accéder à une information fiable, pluraliste et de qualité. Cet exercice nous permet de susciter une prise de conscience collective.

Les travaux ont été d’une très grande qualité, et, pour avoir reçu Christophe Deloire bien avant leur conclusion, ils me sont apparus comme gigantesques. Les sujets étaient multiples et le résultat est à la hauteur des enjeux de l’information.

L’organisation a été confiée à un comité de pilotage indépendant qui a fait travailler de nombreux professionnels, des chercheurs et des citoyens. Ces États généraux de l’information ont été l’occasion de contributions, de rencontres et de débats sur l’ensemble du territoire.

Le résultat est une réflexion d’une très grande qualité. Il permet au pouvoir public de disposer d’une feuille de route ambitieuse, qui s’appuie sur quinze recommandations, pour préserver le droit à l’information à l’échelle de la France et de l’Europe. Celles-ci couvrent des sujets très divers : les programmes scolaires, la lutte contre les ingérences étrangères, la labellisation des producteurs d’information, le partage des recettes publicitaires.

Il s’agit d’un véritable plan d’action qui vise à apporter une réponse complète aux enjeux auxquels est confronté le monde de l’information. À mon sens, toutes les recommandations issues de ce travail colossal méritent que l’on s’y attarde.

Votre proposition de loi traite de sujets essentiels, mais elle n’aborde pas, par exemple, l’éducation aux médias ou la visibilité des contenus des médias, sujets importants pour notre démocratie ; elle aborde la question du modèle économique des médias traditionnels, mais uniquement sous l’angle des droits voisins, ce qui est assez réducteur. Je souhaite d’ailleurs saluer le travail de votre ancien collègue parlementaire, le député Laurent Esquenet-Goxes, qui avait déposé une proposition de loi sur ce sujet très important.

Les États généraux de l’information ont été l’occasion de mobiliser des citoyens et des professionnels pour aboutir à des propositions très équilibrées. Ce travail doit être pris en compte dans sa globalité. Si nous entendons élaborer un texte législatif, il nous faut considérer toutes ces recommandations.

Nous avons, en outre, besoin d’approfondir l’analyse, sur certains points, comme le contrôle des concentrations, un sujet majeur, absent de cette proposition de loi, ou la protection du secret des sources, qui a fait l’objet d’une censure constitutionnelle en 2016. Dès lors, le regard du Conseil d’État sera très utile pour sécuriser juridiquement un tel texte.

J’avais fait adopter en 2010 la loi sur la protection du secret des sources. En reprenant les débats de l’époque, nous avons pu confirmer que nous étions alors allés aussi loin que possible, en menant un travail de conviction en direction de toutes les familles politiques.

Aujourd’hui, le sujet mérite d’être réévalué, mais il faut le faire globalement, sans rester au milieu du gué, comme cela me semble être le cas aujourd’hui, car personne ne serait alors satisfait. Ne légiférons pas aujourd’hui en nous contentant de considérer qu’il nous faudra remettre l’ouvrage sur le métier dans quelques semaines ou dans quelques mois.

Le règlement européen sur la liberté des médias nous impose de réexaminer notre droit concernant la protection du secret des sources, comme sur d’autres sujets liés aux médias, et ce, avant le 8 août 2025. Dès lors, nous devons nous garder de multiplier les textes sur les médias.

Votre proposition de loi, madame la rapporteure, me semble arriver quelque peu à contretemps. Elle a été déposée avant la restitution des États généraux de l’information et n’en tire donc pas toutes les conséquences ; elle n’anticipe pas non plus l’entrée en vigueur prochaine du règlement européen sur la liberté des médias.

Je partage, certes, les objectifs de ce texte, ainsi que certaines de ses dispositions, notamment celles qui concernent les chartes déontologiques et les comités d’éthique dans les entreprises du secteur de la presse et de l’audiovisuel, ces propositions devançant d’ailleurs certaines recommandations des États généraux de l’information.

Pour autant, à mon sens, nous devons avoir une approche plus globale sur ces sujets et je souhaite, à cette fin, m’appuyer sur les travaux de l’ensemble des parlementaires, comme ceux des députés Violette Spillebout et Jérémie Patrier-Leitus.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’information est un bien commun. Il nous faut aboutir ensemble à une réponse équilibrée et aussi transpartisane que possible afin de relever les défis ambitieux que nous ont soumis les États généraux de l’information.

Je souhaite que nous puissions nous appuyer sur tous les travaux, y compris les vôtres, pour élaborer ces dispositions à partir d’un travail commun, qui sera très utile ; mais il nous faut apporter une réponse plus complète à la question du droit à l’information. Nous la construirons ensemble et nous en discuterons à l’occasion d’un prochain débat parlementaire, avec la contribution de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Laugier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Max Brisson.

M. Max Brisson. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, si vos intentions sont louables à l’heure de la désinformation, madame la rapporteure, je m’interroge néanmoins, à l’instar de Mme la ministre, sur la temporalité de cette proposition de loi, alors que les États généraux de l’information viennent à peine de rendre leur rapport. C’est un fait : ce texte arrive trop tôt ou trop tard. Mes interrogations portent surtout sur ses objectifs, affichés ou cachés.

Ainsi, l’article 1er prévoit de sanctuariser dans la loi la décision du Conseil d’État jugeant que le contrôle du pluralisme devait s’appliquer à tous les participants au programme, y compris les chroniqueurs, les animateurs et les invités. Cependant, pour prendre une telle décision, le juge ne s’est-il pas appuyé sur le droit existant ? N’est-ce pas sur cette base qu’il a enjoint à l’Arcom de prendre une nouvelle délibération ? Celle-ci a obtempéré et un équilibre a été trouvé. La situation est aujourd’hui apaisée et les craintes exprimées, y compris dans cet hémicycle, n’ont plus lieu d’être.

Dès lors, madame la rapporteure, pourquoi chercher à raviver le débat ? Est-il réellement nécessaire de légiférer sur une décision jurisprudentielle du Conseil d’État ? La légitimité d’une telle décision ne vous paraît-elle pas suffisante en elle-même ? Ne nourrissez-vous pas un autre dessein ? Ce travail semble révéler une conception singulière du rôle du juge administratif, alors que celui-ci, rappelons-le, est compétent pour interpréter la loi et créer du droit en s’appuyant sur elle.

L’article 2 suscite tout autant de réserves. Il renforce le pouvoir de sanction de l’Arcom en introduisant la notion d’atteinte grave et manifeste à la vie démocratique de la Nation.

Mes chers collègues, de quelle légitimité disposerait une autorité publique indépendante pour juger d’une telle atteinte ? Sur quels critères ce jugement reposerait-il ? Sur une simple interprétation ? Sur un contexte politique ? Ma conception de l’État de droit et de la souveraineté nationale m’interdit de me résoudre à attribuer le pouvoir de suspendre le droit d’antenne sur le seul fondement d’une interprétation subjective et d’un contexte politique ambiant.