Article 8
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer l'indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Monique de Marco, pour explication de vote.

Mme Monique de Marco. En conclusion, que reste-t-il du texte initial, raboté, dépouillé, réduit, et voté par scrutins publics faute de participants du côté de la majorité sénatoriale ?

Je remercie le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et en particulier Sylvie Robert, d’avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour. Il a fait l’objet, comme nous l’avons vu, d’un débat contradictoire et sera, je l’espère, une première brique en vue d’un futur texte.

Madame la ministre, vous avez parlé d’un projet de loi ambitieux qui s’appuiera sur les conclusions des EGI. Nous l’attendons avec impatience et, dans l’attente, voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. La droite sénato-gouvernementale, dans sa diversité, aura donc décidé d’amoindrir pour le moins ce texte. Nous le regrettons. Nous voterons, bien sûr, le résultat du travail tout à fait remarquable de l’auteure et rapporteure de cette proposition de loi, Sylvie Robert.

Nous n’avons cependant apprécié que moyennement certaines formes d’attaques ad hominem à son égard, monsieur Brisson. C’est comme si j’avais dit de vous, mon cher collègue, que vous étiez le porte-parole de M. Bolloré – ce que vous n’êtes sûrement pas !

Cela étant, nous pensons que ce texte est un texte de responsabilité. Je rappelle son intitulé, à savoir « renforcer l’indépendance des médias et […] mieux protéger les journalistes ». Peut-être n’était-il pas parfait, madame la ministre, mais vous auriez pu vous en saisir davantage que vous ne l’avez fait. Que vous ayez soutenu la droite sénatoriale, au cours de vos différentes interventions, n’est pas une surprise pour nous. Mais nous espérons que vous reprendrez, à votre niveau, nos réflexions et propositions, parce qu’il y a un malaise dans la presse nationale. Nul ne saurait le nier, ce que démontre encore l’audition par la commission de la culture, hier, du président de l’Arcom.

Vous avez donc amoindri le texte. Dont acte. Nous allons le voter, même en l’état. Selon l’adage sud-américain, vous pensiez nous avoir enterrés, mais vous avez oublié que nous étions des graines. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Monique de Marco applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Nous allons, bien sûr, voter les mesures consensuelles et équilibrées qui demeurent dans ce texte. Celles-ci figuraient d’ailleurs dans les conclusions de la commission d’enquête, créée à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, afin de mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France, et d’évaluer l’impact de cette concentration sur la démocratie – du moins, celles que nous avions conservées après bien des débats révélateurs de profondes divergences.

Cher président Kanner, n’y voyez aucune attaque contre la rapporteure. En effet, voilà bien longtemps que nous nous opposons sur ce sujet, en témoignent les nombreuses suspensions de séance au cours de la réunion d’adoption du rapport de la commission d’enquête, dont le rapporteur était David Assouline. Ce qui nous sépare ne correspond en rien à un rejet de la rapporteure et auteure de ce texte.

Si nous votons ce qu’il reste du texte, c’est parce qu’il s’agit du fruit d’un travail consensuel. Nous espérons – ce sera peut-être le seul point commun, ce matin, entre mes propos et ceux de Mme de Marco (Mme Monique de Marco sourit.) – que le Gouvernement se saisira pleinement des conclusions des EGI et présentera un texte consensuel et équilibré, ce que n’était pas la proposition de loi initiale de Mme Sylvie Robert, d’où notre rejet. Contrairement à vous, ce matin, nous avons cherché l’équilibre et le consensus. (Murmures sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à renforcer l’indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes.

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Sylvie Robert, rapporteure. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous remercie d’avoir contribué au débat sur un enjeu absolument essentiel pour notre démocratie.

Je crois vous avoir convaincus par des arguments qui, au-delà de l’Hexagone, concernent aussi notre situation géopolitique. Je suis, bien sûr, peinée de voir mon texte aussi amoindri. En effet, si je ne me faisais pas d’illusion sur le devenir des articles 2 et 6, l’article 1er, qui a certes une dimension symbolique – mais le symbolique est souvent politique –, ne reprenait finalement que la jurisprudence du Conseil d’État et la recommandation de l’Arcom. J’espérais que cet article portant sur le pluralisme et réécrit, en commission, avec son président, serait voté par tous. Il n’en fut rien ! Ce n’est pas à la hauteur du Sénat que d’avoir refusé, dans le contexte actuel, de voter dans le sens du pluralisme – c’est même très grave. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

J’ai ensuite appris, cher Max Brisson, que j’avais une personnalité obsessionnelle, des intentions cachées, que j’étais, disiez-vous, très habile. Je vous remercie de ce compliment… Mais arrêtons, surtout, avec de telles fixations : je ne saurais dire de quel côté l’on trouve davantage l’obsession… Aujourd’hui, l’enjeu démocratique est tel que nous devons dépasser cette question. En effet, comme vous l’avez dit, madame la ministre, ces sujets régissent notre espace public démocratique.

Madame la ministre, vous avez déploré une proposition de loi par trop réductrice. Mais ce n’est, précisément, qu’une proposition de loi ! Je m’en excuse, mais je ne pouvais pas aller plus loin. Nous aurions d’ailleurs pu en débattre bien plus que deux heures et demie, mais le temps nous est compté. (Mme la ministre en convient.)

Ce texte avait toutefois un mérite : celui de permettre l’inscription, à l’ordre du jour, de ce débat indispensable. En effet, cela fait un certain nombre d’années que, de commissions d’enquête en travaux législatifs et missions d’évaluation à l’Assemblée nationale, rien n’avance.

L’on m’a reproché une proposition de loi qui arrive trop tôt, ou trop tard. C’est pourquoi je vous le demande officiellement, madame la ministre : quand déposerez-vous, ce dont je serais ravie, un projet de loi qui ira bien au-delà – du fait même qu’il s’agira d’un projet de loi – des problématiques que j’ai abordées à mon niveau ? Agissons ! Car l’Europe agit quand la France attend, encore et encore. Des initiatives parlementaires, y compris à l’Assemblée nationale, ont été prises ; j’espère sincèrement qu’il y aura, très rapidement, une initiative gouvernementale. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Maryse Carrère applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de léducation, de la communication et du sport. Je remercie l’auteure et rapporteure de cette proposition de loi d’avoir suscité ce débat, duquel nous ne sortons pas sans rien (Mme la rapporteure manifeste son scepticisme.) : en est issu un texte qui suivra la navette parlementaire.

Tout d’abord, nous ne pouvons légiférer, aujourd’hui, sans prendre en compte les conclusions, il y a quelques jours, des EGI. Je faisais initialement partie de ceux qui, dubitatifs, ne pensaient pas que ces États généraux aboutiraient à de réelles avancées. Or force est de constater que les propositions formulées sont relativement consensuelles. Du reste, elles n’ont été critiquées sur aucune travée et sont souhaitées par la plupart des acteurs du secteur.

Je m’associe donc à la demande de notre rapporteure en me tournant vers Mme la ministre : je souhaite, moi aussi, un texte gouvernemental qui fasse la synthèse des propositions des EGI, ce qui nous permettrait d’avancer de façon calme, posée, mesurée, mais aussi efficace.

Nous observons des initiatives parlementaires, comme celle de Sylvie Robert et du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, mais aussi à l’Assemblée nationale, comme vous l’avez mentionné, madame la ministre. Toutefois, il serait utile que l’ensemble du sujet fasse l’objet d’un texte plus global.

Cela étant, la proposition de loi que nous venons de voter permet des avancées, notamment sur les points qu’a cités Max Brisson, qui avaient fait l’objet d’un vote à l’unanimité au sein de la commission d’enquête sur la concentration des médias : approfondir la loi Bloche, ou encore approfondir les droits voisins, sujet cher au Sénat et à la commission de la culture.

Tel est notre apport à la réflexion globale, mais il y en aura certainement d’autres.

La commission de la culture auditionnera, dans quelques jours, Bruno Patino, afin qu’il nous présente des résultats des EGI, dont il était chargé.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre. Tout d’abord, je voulais évidemment remercier l’auteure de cette proposition de loi. Dire qu’elle est réductrice n’est pas une critique ; simplement, le temps a manqué pour l’approfondir. Je rappelle que les conclusions des États généraux ont également été rendues après sa rédaction.

Tout cela renvoie donc à un débat plus large et plus consensuel. En effet, j’en sais quelque chose, chacun est conscient de l’enjeu démocratique de la qualité de l’information et de la liberté et du droit à l’information, fiable et certifiée, pour tous. On le constate à l’aune de la fracturation de la société française autour de ces enjeux.

Vous avez déploré qu’on dise de vous que vous étiez « obsessionnelle », madame la rapporteure. Cependant, j’ai aussi entendu dire que d’autres, siégeant de l’autre côté de l’hémicycle, étaient les télégraphistes d’un certain groupe médiatique, ce qui n’est pas non plus très agréable. (Mme la rapporteure sen défend.) Personne, ici, n’est le télégraphiste de qui que ce soit. L’enjeu nous dépasse, il est assez important pour mériter d’être porté.

Je suis très fière d’avoir consacré le principe de la protection des sources des journalistes en 2010, lorsque j’étais garde des sceaux. Il faudra, bien sûr, aller plus loin, parce qu’il y a autour de cette protection des sources un enjeu lié au numérique et aux réseaux sociaux.

Mes services ont commencé la rédaction d’un projet de loi issu des recommandations des États généraux de l’information. Nous déterminerons ensemble son calendrier, car nous devrons procéder à des consultations, les uns et les autres, pour enrichir ce texte. J’espère une adoption la plus rapide possible, mais compte tenu du calendrier parlementaire, il ne sera probablement pas examiné avant le début de l’année 2025. Nous y travaillerons tous ensemble, parce que nous avons tous à y gagner. (M. Pierre-Antoine Levi applaudit.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à douze heures cinquante-deux.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
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Dossier législatif : proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs
Discussion générale (suite)

Contribution des Ehpad privés

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs, présentée par M. Jean-Luc Fichet et plusieurs de ses collègues (proposition n° 682 [2023-2024], résultat des travaux de la commission n° 23, rapport n° 22).

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est M. Jean-Luc Fichet, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Luc Fichet, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi qui me tient tout particulièrement à cœur, laquelle vise à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs.

Je remercie mon groupe politique de me permettre de la défendre, ainsi que M. le rapporteur de la commission des finances, Bruno Belin, pour la qualité de nos échanges lors de son travail préparatoire, malgré nos divergences d’analyse.

Cette proposition de loi est le fruit de remontées de terrain. Lors de mes différentes rencontres, ce sont les élus locaux, gestionnaires d’établissement, qui m’ont fait part de leurs revendications fortes d’encadrer les superprofits des Ehpad du secteur lucratif – je parle bien de superprofits. Il ne s’agit pas d’empêcher le secteur privé, dont nous avons besoin, de faire des bénéfices, mais les profits générés dans le domaine social doivent rester raisonnables.

Depuis 2018, une loi Grand Âge est annoncée, mais, malgré l’urgence et des engagements répétés devant la représentation nationale, rien ne bouge, et l’on peut craindre que rien ne bouge dans les prochains mois. La situation financière est due à l’incurie des différents gouvernements macronistes qui se sont succédé depuis sept ans en soutenant une néfaste politique de l’offre qui a désarmé fiscalement notre pays.

L’immobilisme gouvernemental sur le grand âge se retrouve également sur un autre enjeu primordial pour nos concitoyens : les déserts médicaux. Rien n’est fait, ou si peu, pour permettre un meilleur accès des Français à la santé, en particulier dans les zones périurbaines et rurales. Cette impossibilité de résoudre les problèmes du quotidien de nos concitoyens est malheureusement le terreau du vote pour l’extrême droite, comme l’ont montré les différents scrutins de cette année.

Les maires, partout sur notre territoire, et singulièrement dans le Finistère, en tant que gestionnaires de centre communal d’action sociale (CCAS) ou d’Ehpad, sont confrontés à des situations très difficiles. Ils n’ont plus les moyens de faire fonctionner leur établissement correctement et décemment. Récemment, seize maires du Finistère et des Côtes-d’Armor ont saisi le tribunal administratif de Rennes pour exiger un vrai financement des Ehpad publics, protestant ainsi contre l’inaction de l’État.

Nous pouvons tous être d’accord sur le fait que les établissements accueillant des personnes âgées puissent se développer et être accessibles à tous dans le respect et le bien-être des résidents. Sur toutes nos travées, nous entendons les mêmes remontées du terrain, nous faisons les mêmes constats, mais jusqu’à présent, rien ne bouge vraiment.

Nous avons tous, quelle que soit notre famille politique, été choqués par les révélations sur les pratiques scandaleuses d’Orpea et sa recherche effrénée et hors contrôle de superprofits liés à l’or gris. Rappelons que la recherche de superprofits a entraîné une maltraitance scandaleuse sur nos aînés hébergés dans certains Ehpad voyous. Privation de nourriture, rationnement des changes, douche seulement une fois par semaine, personnel en sous-effectif et sous-formé : toutes les barrières morales furent enfoncées dans cette recherche scandaleuse de superprofits.

Il faut mettre un coup d’arrêt définitif à ces pratiques. Le secteur de l’hébergement des personnes âgées n’est pas un secteur comme les autres. Lors de son discours de politique générale, le nouveau Premier ministre, Michel Barnier, a lui-même évoqué la taxation des superprofits, et la commission des finances de l’Assemblée nationale vient d’orienter les débats dans ce sens. Je vous rappelle, mes chers collègues, que les Ehpad privés à but lucratif touchent de l’argent de l’État, les subventions publiques représentant environ 40 % de leur chiffre d’affaires.

En France, il n’y a pas de liberté d’installation des Ehpad : l’État agrée l’ouverture des structures en fonction des besoins des populations, et cet agrément est totalement gratuit. Il me paraît donc logique de taxer les superprofits réalisés par les Ehpad privés à but lucratif.

Le seuil de déclenchement de cette nouvelle taxation est fixé au taux de 10 % de rentabilité financière. Les données de la Banque de France et de l’Insee indiquent que, en 2021, la rentabilité financière des petites et moyennes entreprises (PME) était de 11,5 %, celle des entreprises de taille intermédiaire (ETI) était de 8,3 % et celle des grandes entreprises de 11,2 %. Une rentabilité de 10 % peut donc être considérée comme satisfaisante et suffisante pour des entreprises à vocation sociale.

Cette contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés est progressive, avec deux tranches. Pour la première, la contribution est égale à 20 % du montant de l’impôt sur les sociétés acquitté par l’Ehpad privé à but lucratif lorsque le résultat net de l’établissement est supérieur à 10 % du montant des capitaux propres de l’entreprise. Ce taux est porté à 30 % en cas de rentabilité supérieure à 15 %. Il s’agit d’envoyer un signal très politique. Il faut stopper la course effrénée aux superprofits et se consacrer au qualitatif : s’occuper du bien-être des résidents.

Lors de l’examen du texte en commission des finances, mercredi dernier, il a été soulevé que le contexte économique de 2024 n’est pas le même que celui de 2018, année de révélation du scandale Orpea.

Il semble pourtant que certaines pratiques aient toujours cours, ce qui me surprend.

Les financements octroyés aux Ehpad par les agences régionales de santé (ARS) et les départements se fonderaient quasi exclusivement sur des documents budgétaires déposés par les gestionnaires d’établissement – les états prévisionnels des recettes et des dépenses (EPRD) et les états réalisés des recettes et des dépenses (ERRD) –, sans contrôle systématique des comptes déclaratifs.

Ainsi, certains gestionnaires pourraient présenter des comptes EPRD et ERRD déficitaires, contrastant parfois avec leurs bilans fiscaux excédentaires, voire très excédentaires.

Autre source d’étonnement : lorsqu’on regarde avec attention les déclarations des EPRD et ERRD, on constate que les établissements n’y présentent pas en détail leurs charges salariales réelles.

Si les crédits alloués pour salarier le personnel ne sont pas effectivement consommés, il ne faut pas que les excédents budgétaires restent à la disposition du gestionnaire, lequel pourrait engranger des bénéfices sur le dos des résidents.

Un récent rapport de la chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine, examinant la gestion d’un groupe privé d’Ehpad, a révélé que les documents de présentation de réalisation budgétaire transmis aux tutelles n’étaient pas exhaustifs.

Autre anomalie relevée : l’application de frais de siège qui viennent majorer forfaitairement les dépenses couvertes par les financements publics – dotations dépendance et soins –, sans autorisation préalable.

Certes, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a restauré la possibilité pour les autorités de tarification de récupérer certains des financements octroyés, mais non consommés. Toutefois, les dispositions en question demeurent souvent inappliquées, à ce qu’il semble.

L’adoption de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui permettrait de fluidifier les relations entre les Ehpad publics et privés, que ces derniers aient ou non un but lucratif. Le regard changerait sur ce secteur qui ne cesse de subir les répercussions du scandale Orpea.

Des pratiques encore plus vertueuses pourraient être mises en place. Plutôt que de subir cette contribution additionnelle, les dirigeants des Ehpad privés à but lucratif pourraient faire le choix stratégique d’améliorer la situation de leurs résidents. Il s’agirait alors d’instaurer un véritable cercle vertueux, à l’opposé des craintes exprimées en commission des finances par la majorité sénatoriale.

Pour ma part, je ne crois pas du tout que les gestionnaires des Ehpad privés réduiraient les prestations offertes aux résidents en répercussion de cette contribution additionnelle. Cela serait catastrophique pour l’image et l’attractivité du secteur.

Ne nous leurrons pas : les gestionnaires privés ont pour objectif de faire du profit, et les mesures éventuelles de réduction des coûts sont d’ores et déjà prises, indépendamment de l’instauration d’une taxation additionnelle.

Le produit de cette dernière serait affecté à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Cela permettrait de garantir le financement des mesures en faveur des personnes handicapées ou des personnes âgées dépendantes.

En conclusion, je formulerai une remarque un peu plus générale.

La financiarisation du système de santé tend malheureusement à s’étendre, comme l’a récemment démontré un rapport sénatorial, et affecte également le secteur des crèches privées. Victor Castanet, déjà lanceur d’alerte sur le scandale Orpea, l’explique bien dans son dernier livre, Les Ogres.

Il est temps de faire cesser cette course aux superprofits, dont les victimes sont toujours nos concitoyens les plus fragiles : les aînés et les nouveau-nés.

Je vous appelle donc, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi. Nous enverrions ainsi un signal fort à nos concitoyens et aux élus locaux éprouvant les pires difficultés à gérer leurs structures.

Voter ce texte, c’est faire preuve de volontarisme et envoyer le signal que la France doit impérativement rester une république sociale et solidaire, ce qui passe par une lutte sans merci contre les superprofits, avatar d’un capitalisme débridé. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Belin, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie Jean-Luc Fichet d’avoir déposé cette proposition de loi, cosignée par plusieurs de ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Cela nous donne l’occasion de parler d’un sujet important : le bien vieillir, notamment au sein des Ehpad.

Le présent texte prévoit de taxer les superprofits réalisés par les Ehpad à but lucratif. Je sais que beaucoup de mes collègues, ainsi que M. le ministre, ont eu un parcours départemental et connaissent par cœur le sujet que nous évoquons aujourd’hui.

Je ferai tout de même ce rappel : en France, on compte à la fois Ehpad publics et privés, que ces derniers aient ou non un but lucratif.

Bien qu’ils soient soumis à des statuts différents, ces établissements bénéficient tous de financements publics via l’ARS, la sécurité sociale et les conseils départementaux, pour les dépenses d’hébergement, de soins ou celles qui sont liées à la dépendance.

Le présent texte entend mettre en place une taxation sur des bénéfices constitués en partie grâce à de l’argent public. Comme je l’ai indiqué en commission, je m’interroge sur la pertinence d’une telle taxe, ce à trois égards.

Premièrement, taxer une seule catégorie d’établissements, à savoir les Ehpad privés à but lucratif, pourrait être censuré par le Conseil constitutionnel – gardez-le bien à l’esprit.

Deuxièmement, le texte prévoit de cibler des résultats et des bilans qui, via les frais de siège et les prévisions d’investissement, seront adroitement habillés par les groupes gestionnaires d’Ehpad, si bien qu’ils ne correspondront plus à ce que vous attendiez.

De toute façon, la CNSA et le ministère de l’économie et des finances ont annoncé qu’il n’y aurait pas grand-chose à récupérer sur le volume imposable ou taxable.

Troisièmement, nous n’aimons pas trop créer de nouvelles taxes. Si celle que vous proposez était votée, il reviendrait aux résidents de la financer si les groupes n’en étaient pas capables eux-mêmes.

Il est un principe intangible que je suis prêt à rappeler chaque jour, s’il le faut : il n’y a que deux payeurs, le contribuable ou le consommateur. Or je crains que ce ne soit le second qui soit touché.

Cela étant, nous avons tous été choqués par le scandale Orpea. Disons-le au moins une fois : comment peut-on chercher à faire des profits sur le dos des personnes dépendantes et fragiles confiées à la puissance publique ?

La commission des affaires sociales du Sénat a illustré des cas de maltraitance qui nous ont tous choqués.

Cependant, la situation révélée par ce scandale n’est plus celle d’aujourd’hui.

D’une part, parce que la pandémie de covid-19 a causé un grand nombre de décès, y compris au sein de la génération de personnes pouvant éventuellement être accueillies dans les Ehpad à partir du début des années 2020.

D’autre part, parce que les établissements visés par le présent texte ont aujourd’hui un modèle totalement déséquilibré. Le rapport Ehpad : un modèle à reconstruire, coécrit par nos collègues Deseyne, Souyris et Nadille, l’a bien démontré.

À l’heure où nous parlons, deux établissements sur trois présentent une situation déficitaire. Même des groupes comme Medicharme ont été placés en liquidation judiciaire.

J’y insiste, la situation actuelle n’est plus du tout celle de la fin des années 2010.

Par ailleurs, nous devons faire très attention à ces partenaires que sont les groupes d’Ehpad privés, à but lucratif ou non, et les collectivités. Nous connaissons tous dans cette maison la forte responsabilité et la difficulté des collectivités, dans la mesure où un tiers des Ehpad sont soutenus par les centres communaux d’action sociale et les communes.

Les départements, eux aussi, interviennent massivement. La construction de leurs budgets dans les années à venir se fera de manière très rigoureuse. Or nous aurons besoin des Ehpad, plus qu’on ne l’imagine aujourd’hui.

Sur ce point, nous devons avoir un véritable débat avec le Gouvernement. Il y a quelques années, les programmes interdépartementaux d’accompagnement des handicaps et de la perte d’autonomie (Priac), que nous avons connus au même moment que les premiers conventionnements ou conventions tripartites, ont été asséchés par les ARS, au point qu’il n’y avait plus aucune création de places.

Le besoin de places est bien réel, d’autant que, dans les années 2030, nous devrons accueillir un volume important de personnes en état de dépendance parmi la génération née après-guerre.

Selon une estimation récente, nous aurions besoin de 100 000 places sur l’ensemble du territoire ; c’est considérable. Pourtant, nous sommes loin de les avoir créées. Qui va financer ces places ? Les collectivités en seront-elles capables ? Les rares groupes privés à but non lucratif en ont-ils l’envie, d’autant que leur répartition géographique est très ciblée ?

Aussi, les établissements privés à but lucratif devront forcément prendre leur part ; veillons donc à ne pas les pointer du doigt.

C’est la responsabilité commune du Parlement, du Gouvernement et des élus locaux, notamment ceux des conseils départementaux – j’en profite pour les saluer, car le bien vieillir est pour eux une question essentielle –, de se préoccuper de la France de 2030. Comment serons-nous capables d’accueillir une nouvelle génération nombreuse qui, pour partie, sera en situation de dépendance ?

Lors de son intervention, notre collègue Fichet a précisé que les difficultés actuelles étaient la conséquence de la multiplication des déserts médicaux. En ce domaine, nous n’allons pas en vouloir au gouvernement en place ; il n’y est pour rien. Ces déserts médicaux sont le résultat d’une mauvaise décision prise dans les années 1990, dont nous n’avons pas encore fini de payer les conséquences.

Si l’on veut bien vieillir, il faut être bien soigné et bien traité. Au-delà des déserts médicaux, on voit apparaître des déserts pharmaceutiques. Or n’oublions pas que les officines libérales sont celles qui gèrent bien souvent les pharmacies internes des Ehpad.

Vu votre expérience, monsieur le ministre, et considérant les besoins qui se profilent, votre responsabilité est de prendre toutes les mesures qui s’imposent au travers d’un texte sur le grand âge ou la santé.

La réalité, c’est que nous allons tous vieillir plus – c’est une bonne nouvelle –, mais, à l’évidence, le grand âge risque d’accroître le besoin de soins. Nous devrons donc donner aux Ehpad les moyens d’y répondre, à la fois en personnel, en équipements, en développement et en soins. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)