Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes invités à voter le report au 30 novembre 2025 des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, alors que ces élections prévues le 12 mai 2024 avaient déjà été reportées au 15 décembre de la présente année.
Après l’annonce par Michel Barnier de l’abandon du dégel du corps électoral, voté par le Parlement au printemps dernier, la République française est encore sur le reculoir. Elle fait preuve de faiblesse. Ces élections auraient dû avoir lieu en 2024. Si, aujourd’hui, leur report est inéluctable, il est inacceptable que nous ayons attendu cinq longs mois pour commencer à nous en inquiéter.
Pendant cinq mois, l’État a été aux abonnés absents. Élections européennes, scrutins des législatives, jeux Olympiques, absence de gouvernement… Depuis le mois de mai, la Nouvelle-Calédonie a été oubliée et les Français calédoniens abandonnés aux émeutes et à la violence des séparatistes.
Qu’on en juge : en cinq mois, 5 églises catholiques et plus de 1 500 lieux publics ont été incendiés ; près de 700 entreprises ont été saccagées ; un tiers de la gendarmerie mobile de notre pays a été mobilisé sur place. Pendant cinq mois d’émeutes, il y a eu 13 morts, 2 gendarmes tués, 2,2 milliards d’euros de dégâts et 24 000 salariés mis au chômage.
Nous avons ainsi subi cinq mois d’une guerre civile en France, alimentée par des pays en guerre ouverte contre nos intérêts. Il faut cesser de craindre les représailles des séparatistes porteurs de la haine de la France et faire appliquer notre droit !
Souhaiter la paix ne doit pas rimer avec s’incliner. C’est l’ordre qui apporte la paix, et l’ordre est légitime grâce à la démocratie. Cette démocratie a confirmé la Nouvelle-Calédonie comme française par trois référendums successifs. L’État doit en assurer l’exercice par la bonne tenue des élections provinciales, au plus vite.
On ne négocie pas avec les tueurs de gendarmes, les racistes antiblancs, les incendiaires d’églises et les pilleurs. On les met hors d’état de nuire !
Les élections doivent avoir lieu au plus tôt, avant la fin de l’hiver. Les repousser d’un an, c’est abandonner une fois de plus les Français calédoniens. C’est abandonner l’avenir de la France dans l’Indo-Pacifique.
Nous ne laisserons pas les dislocateurs de notre pays gagner du terrain en brandissant les arguments de la liberté et de l’autonomie, quand ils sont soutenus par le Front international de libération des colonies françaises créé avec le soutien de Bakou. Le régime de l’autocrate Aliev n’a eu que faire de l’autonomie de l’Artsakh ni de la liberté des Arméniens, alors qu’il détient encore vingt-trois otages. De Stepanakert à Nouméa, les partisans de ce régime ont du sang sur les mains. Il est grand temps de nous faire respecter !
Les renoncements successifs de l’État sont des compromissions inacceptables avec les pires ennemis de notre pays, qui, eux, ne s’arrêteront pas. Bakou a déjà réclamé l’indépendance de la Polynésie et de la Corse, après celle de la Nouvelle-Calédonie. En Martinique, maintenant, au travers des soulèvements de ces derniers jours, nos services sentent le souffle chaud de l’Azerbaïdjan.
Cessons donc la politique des grands pas en arrière : avançons vite vers le retour de l’ordre public et démocratique sur le sol calédonien, qui est et qui restera français !
Mme Cécile Cukierman. Le temps des colonies, c’est terminé !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons aujourd’hui nous prononcer sur le report des élections des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, et ce moment a comme un air de déjà-vu.
Huit mois après avoir adopté le projet de loi organique visant à reporter ces élections, nous pourrions aisément regretter d’en être au même point qu’en février 2024. Pourtant, rien ne serait plus éloigné de la réalité, car nous sommes loin, très loin de la situation précédente.
Ce qui n’a certes pas changé depuis février dernier, c’est la nécessité de reporter ces élections. En revanche, ce qui a fondamentalement changé depuis lors, c’est la raison pour laquelle elles doivent être reportées.
Il y a huit mois, leur report était indispensable pour laisser aux parties prenantes la possibilité de trouver un accord sur la composition du corps électoral ou, dans le cas contraire, afin de laisser au Parlement le temps nécessaire à l’examen du projet de loi relatif au dégel du corps électoral. Adopté en mai, celui-ci est désormais enterré.
Aujourd’hui, la raison est tout autre et, indiscutablement, beaucoup plus dramatique. Le report est désormais indispensable, car la situation sur le territoire calédonien rend tout simplement impossible la tenue d’élections pour le moment.
Depuis six mois, des événements tragiques se sont produits. Tragiques pour les Calédoniens, tragiques pour la Nouvelle-Calédonie et, même si de nombreux Français n’en ont malheureusement pas suffisamment conscience, tragiques pour la France.
Depuis le mois de mai dernier, sur le Caillou, treize personnes sont décédées et la situation sécuritaire est loin d’être apaisée. Des patrouilles de quartier s’organisent encore dans certaines zones, afin de protéger les habitants des violences et les maisons des dégradations. Des centaines d’habitations ont déjà été incendiées. J’en profite pour rendre hommage aux forces de l’ordre, qui font ce qu’elles peuvent.
Plus de 700 entreprises ont été dégradées ou détruites et plus d’un millier d’autres en subissent les conséquences indirectes. Le chiffre d’affaires de celles qui n’ont pas été détruites s’est effondré, et le chômage a explosé dans le territoire. Tout cela dans le contexte d’une crise du nickel sans précédent pour l’archipel.
Les recettes fiscales et sociales des collectivités se sont écroulées, rendant impossible pour elles d’honorer leur rôle pour le versement de certaines prestations. De nombreuses infrastructures publiques ont été détruites ou gravement endommagées.
Le montant global des dégâts est estimé à plus de 2 milliards d’euros. Une grande partie du personnel médical et soignant a quitté le territoire, alors que les Calédoniens sont confrontés depuis longtemps déjà à de grandes difficultés d’accès aux soins. Le départ d’une partie de la population ne va pas s’arrêter. En un mot, la situation économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie est catastrophique.
Dans un tel contexte, comment imaginer la tenue d’élections ? Comment envisager de faire campagne alors que l’accès à certaines zones de l’archipel est toujours extrêmement difficile ? La réponse est évidente : les élections doivent, une fois de plus, être reportées, cette fois à la fin 2025. Mais d’ici là, qu’est-ce qui attend la Nouvelle-Calédonie ? Quelle est la perspective ?
La Nouvelle-Calédonie doit se reconstruire et nous devons l’accompagner. Nous ne pouvons pas laisser tomber nos concitoyens et nous ne devons pas les abandonner aux forces étrangères, telles que l’Azerbaïdjan qui souffle sur les braises, dans ce territoire comme dans tous les outre-mer d’ailleurs.
Afin que ce report soit utile, il faut que le Gouvernement mette à profit ce temps supplémentaire pour rétablir la situation sécuritaire, économique et politique.
Premièrement, le problème des émeutes du quartier de Saint-Louis doit être réglé de façon définitive, et il faut mettre en place un dispositif garantissant l’ouverture des routes et la bonne tenue du scrutin à venir, en prévoyant la présence d’observateurs de l’État dans tous les bureaux.
Deuxièmement, les compagnies d’assurances devront assumer les remboursements et les réassurances.
Troisièmement, nous devons chercher des solutions pragmatiques afin d’essayer d’apaiser les désaccords sans naïveté ni complaisance, notamment avec les leaders de la cellule de coordination des actions sur le terrain (CCAT) et tous ceux qui ont cassé, pillé et brûlé.
Ce qui se passe aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie est observé aux quatre coins de la planète, dans les outre-mer, dans les banlieues et par les puissances étrangères. Sous peine de légitimer toutes les exactions commises, le Gouvernement ne doit faire preuve d’aucune faiblesse.
Parce que des circonstances exceptionnelles l’exigent, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE, UC et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Naturel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Georges Naturel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier – une fois n’est pas coutume ! – le président Kanner, qui a déposé cette proposition de loi organique.
En juillet dernier, j’avais eu l’occasion de rencontrer plusieurs collègues, ici, au Sénat, et je les avais alertés sur la situation catastrophique de la Nouvelle-Calédonie et sur l’urgence qu’il y avait à s’en préoccuper. Mais personne ne l’a fait, et je vous dirai pour quelles raisons.
Je veux ensuite remercier M. le ministre de nous avoir rendu compte de son récent déplacement en Nouvelle-Calédonie. En effet, il est important d’aller dans le territoire pour se rendre compte de la catastrophe qui s’y déroule.
Le sujet que nous abordons aujourd’hui n’est pas simplement une question de dates. Il est éminemment politique. En mars dernier, face à une situation déjà fragile, nous avons dû nous résoudre à reporter les élections des assemblées de province et du congrès, initialement prévues en mai 2024, car il fallait préalablement redéfinir le corps électoral provincial. C’est dans cet esprit que notre assemblée a alors adopté, à une très large majorité, le projet de loi organique visant à reporter ces élections au plus tard au 15 décembre 2024.
Il nous est aujourd’hui proposé de reporter de nouveau les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, en fixant cette fois-ci la nouvelle date butoir au 30 novembre 2025.
Pourquoi ce nouveau report est-il indispensable ? Pour deux raisons principales, selon moi. Premièrement, depuis le 13 mai dernier, la Nouvelle-Calédonie a été ébranlée par une vague de violences et d’exactions sans précédent – plusieurs de mes collègues l’ont dit. Des émeutes ont secoué la société calédonienne jusqu’en son cœur, laissant des plaies profondes dans son tissu social et économique, je dirais même humain.
Aujourd’hui, je me tiens devant vous à cette tribune pour porter la voix d’un territoire de la République profondément meurtri, où la paix civile demeure fragile, où l’économie est à terre, où la sécurité n’est pas encore totalement restaurée, où le couvre-feu est toujours en vigueur depuis près de six mois et où l’urgence est non plus seulement d’organiser des élections, mais de restaurer la possibilité même d’un débat démocratique apaisé.
Deuxièmement, l’État a été aux abonnés absents durant plus de cinq mois. Si des renforts considérables de gendarmes mobiles et de CRS ont été envoyés sur place pour rétablir l’ordre et si des crédits budgétaires importants ont été redéployés sur la Nouvelle-Calédonie, il faut reconnaître qu’aucune initiative politique majeure n’a été prise par l’État depuis le début des émeutes.
Les campagnes des élections européennes, puis législatives, un gouvernement démissionnaire, l’organisation des jeux Olympiques à Paris et la trêve estivale ont eu raison de l’implication politique de l’État dans le dossier calédonien.
La proposition de loi organique qui nous est soumise reconnaît cette réalité. Il ne s’agit ici non pas de repousser indéfiniment l’échéance électorale, mais bien de donner à la Nouvelle-Calédonie le temps nécessaire pour que ses forces vives puissent se relever, pour que les acteurs politiques et sociaux puissent envisager un avenir où des projets et des visions s’affrontent dans l’arène électorale et non dans la rue.
Organiser des élections provinciales dans les délais prévus, c’est-à-dire avant le 15 décembre prochain, est en effet inenvisageable. La situation économique est calamiteuse. L’investissement des entreprises et des acteurs économiques est au point mort. Les services publics sont sous tension permanente.
Dans un tel contexte, comment peut-on raisonnablement imaginer mener une campagne électorale digne de ce nom ? Comment des candidats pourraient-ils porter des projets clairs et fédérateurs, alors même que les fondements de notre société sont ébranlés ?
Le congrès de la Nouvelle-Calédonie a admis cette impossibilité, hier, en donnant à ce nouveau report de date d’élections un avis favorable à la quasi-unanimité. Mais si la réalité de la situation nous commande de différer ces élections, il ne nous est pas permis de les reporter indéfiniment.
La Nouvelle-Calédonie a besoin de stabilité politique pour se reconstruire et pour engager, enfin, les réformes indispensables à son redressement économique. Le Conseil d’État, dans son avis du 26 décembre 2023, nous a rappelé l’impérieuse nécessité de respecter le cadre démocratique, en fixant un délai maximal de dix-huit mois pour organiser de nouvelles élections provinciales.
Il serait donc souhaitable que ces élections aient lieu au premier semestre 2025, dans un délai permettant de préparer un débat non seulement de fond, serein et constructif, mais qui ne s’entremêlerait pas avec les autres échéances électorales majeures anticipées pour les mois à venir.
Je pense ici aux élections municipales de mars 2026, mais également, sans vouloir m’avancer outre mesure, à une possible instabilité parlementaire qui pourrait conduire à des échéances électorales anticipées à l’échelon national. Je n’ignore pas que la période est incertaine et que nos concitoyens aspirent avant tout à la clarté et à la stabilité.
Il est de notre responsabilité de veiller à ce que ces élections provinciales se tiennent dans les meilleures conditions possible, sans précipitation, mais aussi sans atermoiement excessif.
La Nouvelle-Calédonie ne peut plus attendre. Elle a besoin d’une gouvernance légitime et forte pour affronter les défis qui sont les siens. Reporter les élections au-delà du premier semestre 2025 risquerait de compromettre ce fragile équilibre que nous tentons de préserver.
Je souhaite ici, à cette tribune, rappeler l’importance de la responsabilité du Parlement et du Gouvernement dans la résorption de la crise que connaît aujourd’hui la Nouvelle-Calédonie.
Je veux insister devant vous, mes chers collègues, sur l’impérieuse nécessité d’une implication forte de l’État pour sortir de cette crise. Force est de constater que nous avons beaucoup de mal, nous, les Calédoniens, à définir ensemble un avenir commun sans l’intermédiaire de l’État.
En effet, les acteurs politiques locaux, indépendantistes et non-indépendantistes, ne parviennent plus à discuter ensemble de l’avenir institutionnel. Comment pourraient-ils dès lors négocier un nouveau projet statutaire, alors que les indépendantistes refusent de s’asseoir à la table des négociations ? Nous ne pouvons donc pas attendre indéfiniment que la situation se résolve d’elle-même.
Les accords de Matignon, signés en 1988, après les événements de 1984 et de 1985 et après le drame d’Ouvéa, l’auraient-ils été sans l’implication personnelle très forte du Premier ministre de l’époque, Michel Rocard ? La réponse est non !
L’État doit donc jouer un rôle actif et redevenir ce partenaire qui assure l’équilibre entre les différentes forces politiques du territoire, tout en apportant un soutien financier massif pour permettre à la Nouvelle-Calédonie de se relever économiquement.
Votre déplacement sur place, il y a quelques jours, était attendu, monsieur le ministre, et je vous en remercie.
J’approuve la proposition du Premier ministre de confier aux présidents des deux assemblées une mission de concertation et de dialogue. Je suis heureux d’apprendre que cette mission se concrétisera du 9 au 14 novembre prochain, dans le cadre du déplacement en Nouvelle-Calédonie du président du Sénat et de la présidente de l’Assemblée nationale.
Aussi, il ne s’agit pas simplement de fixer une date, mais bien de prendre la mesure d’une situation historique.
Il nous appartient de veiller à ce que la Nouvelle-Calédonie puisse retrouver un cadre démocratique apaisé et de faire en sorte que, lorsque nos concitoyens seront appelés aux urnes, ils le soient dans des conditions qui leur permettent de choisir sereinement leurs élus.
Dans ces conditions, mes chers collègues, je vous invite à accueillir favorablement cette proposition de loi organique et à l’adopter à la majorité la plus large possible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Saïd Omar Oili applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Salama Ramia. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Laurence Harribey applaudit également.)
Mme Salama Ramia. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur une proposition de loi organique visant à reporter les élections du congrès et des assemblées provinciales de la Nouvelle-Calédonie, au plus tard, au 30 novembre 2025. Initialement prévues le 12 mai 2024, elles avaient été repoussées une première fois au 15 décembre 2024.
Ce report est, à mon sens, non seulement nécessaire, mais aussi indispensable au regard de la situation actuelle dans l’archipel.
Pourquoi un nouveau report ? Les événements dramatiques qui ont secoué la Nouvelle-Calédonie au cours des derniers mois, notamment les violences et les émeutes qui ont fait treize victimes, dont certaines parmi les forces de l’ordre, démontrent que les conditions d’organisation de nouvelles élections ne sont pas réunies.
Ces troubles ont plongé l’archipel dans une crise profonde, de nature à la fois politique, économique et sociale, dont la Nouvelle-Calédonie ne s’est pas encore relevée. Ce constat est notamment celui du comité interinstitutionnel calédonien, qui a présenté son plan pluriannuel de reconstruction auprès de l’État.
Dans son avis du 25 janvier 2024, le Conseil d’État a encadré ce report, en consentant la possibilité de fixer une nouvelle échéance électorale au plus tard en novembre 2025. Il a jugé que ce calendrier, bien qu’il soit inhabituel, ne suscitait aucune réserve juridique, car il permettait de garantir que l’ensemble des textes et des réformes indispensables pourraient être adoptés avant l’organisation des élections.
Cette flexibilité est essentielle pour laisser aux acteurs le temps de trouver un compromis et de stabiliser la situation sur le terrain. Cela nous permet d’agir dans un cadre légal défini, tout en laissant le temps nécessaire à la résolution des tensions qui pèsent encore sur la Nouvelle-Calédonie.
Aujourd’hui, près de cinq mois après le début de cette crise, la Nouvelle-Calédonie reste marquée par les violences et les désordres sociaux. Des mesures de maintien de l’ordre, dont un couvre-feu prolongé jusqu’au 4 novembre, témoignent de l’instabilité qui persiste.
Du point de vue économique, les dégâts sont colossaux : 6 000 emplois ont été perdus et des infrastructures vitales, comme des écoles, des routes ou des hôpitaux, ont été détruites. Dans un tel contexte, organiser des élections serait irresponsable. Au-delà des aspects logistiques, la crise de confiance des différentes composantes de la société est grave, de sorte que l’organisation d’un scrutin risquerait de raviver les tensions.
Aussi, le report des élections permettrait de créer un espace de dialogue nécessaire à la reconstruction, à l’apaisement et au rétablissement d’un climat politique serein. Nous devons saisir cette occasion pour laisser aux parties le temps de trouver un nouvel équilibre institutionnel qui soit acceptable par tous.
Mes chers collègues, ce report est non pas un choix politique, mais un impératif de stabilité et de responsabilité. Organiser des élections dans l’urgence, sans garantir un climat de confiance, serait non seulement hasardeux, mais aussi dangereux pour la paix et pour la démocratie en Nouvelle-Calédonie.
C’est pourquoi je vous invite à voter en faveur de cette proposition de loi organique. Il y va de l’avenir d’un territoire qui a besoin de temps pour se reconstruire et retrouver le chemin du dialogue et de la réconciliation.
Notre responsabilité est de soutenir cette transition dans un esprit de sérénité et de cohésion nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite avant tout adresser toutes mes pensées aux habitants de la Nouvelle-Calédonie, notamment à ceux d’entre eux qui sont endeuillés, ainsi qu’aux nombreuses personnes touchées par la pauvreté ou traumatisées par le déchaînement de violence de ces derniers mois.
Entre les mois de mai et de juin 2024, près de 700 entreprises ont été incendiées, pillées ou vandalisées. Des écoles, des locaux techniques, des médiathèques et des infrastructures médicales sont partis en fumée. Au bout du compte, plus de 6 000 de nos concitoyens sont privés d’emploi, et plusieurs milliards d’euros seront nécessaires à la reconstruction du Caillou.
Malgré les fortes tensions politiques suscitées par les émeutes, le gouvernement néo-calédonien a proposé une feuille de route sur trois ans pour repenser le système économique, social et institutionnel de l’archipel. C’est une bonne chose.
Nous saluons aussi les efforts de l’État pour sauver l’économie néo-calédonienne. La prise en charge totale de la remise en état des bâtiments scolaires et la prolongation du financement du chômage partiel sont essentielles pour relancer la vie locale et, indirectement, renouer le dialogue.
En dépit de ces initiatives, la société néo-calédonienne reste marquée par de fortes inégalités. Le haut de l’échelle sociale n’a jamais cessé d’être européen, alors que le bas de celle-ci reste kanak et océanien. Avancer de nouveau vers le destin commun envisagé dans les accords suppose de s’attarder, enfin, sur les disparités trop fortes entre les communautés.
Le plan de reconstruction qui a été annoncé doit s’inscrire dans un processus interministériel et associer plus particulièrement les services de l’éducation nationale. Nous souhaitons en effet qu’un intérêt particulier soit porté à la jeunesse néo-calédonienne, sans laquelle rien ne sera possible.
Depuis Nouméa, nous constatons que l’école s’est massifiée sans se démocratiser. Les réseaux scolaires et universitaires se sont densifiés sans prendre en compte la culture kanake. Peu de place est laissée à l’enseignement de l’histoire des peuples premiers, ce qui réduit fortement la probabilité qu’un projet éducatif local, commun et émancipé de la tutelle métropolitaine émerge.
Dès lors, le retour à la paix civile est conditionné à celui de la paix sociale. Je tiens à souligner l’ardente obligation de bâtir un avenir commun pour les Néo-Calédoniens.
Dans ce contexte extrêmement tendu, mes chers collègues, nous devons de nouveau prendre la décision de reporter l’élection des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. Cela ne fait aucun doute.
La présente proposition de loi est désirée par une majorité des forces politiques locales, qui se sont d’ailleurs exprimées en ce sens mardi dernier au cours d’une séance plénière du congrès.
Dans ces conditions, le RDSE est bien entendu favorable à un tel report. Je rappelle d’ailleurs que mon groupe était partagé lors du vote du projet de loi constitutionnelle, certains d’entre nous ayant pressenti les fortes tensions que ce texte risquait de créer. D’ici à la nouvelle échéance, nous devons mettre à profit ce temps supplémentaire pour reprendre le cours des négociations.
Le Conseil d’État a estimé que le dépôt d’un projet de loi constitutionnelle portant modification du régime électoral du congrès et des assemblées de province visait un but d’intérêt général suffisant pour permettre au législateur d’agir. Si cet avis n’est pas contraignant, il donne malgré tout une assise au possible dégel du corps électoral. Il faut en être conscient.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, nous attendons des réponses de votre part. (M. le ministre délégué acquiesce.) Nous notons déjà votre ferme volonté d’engager des discussions avec l’ensemble des parties, ainsi que votre engagement d’être à l’écoute. Votre récent déplacement dans la région a montré que l’idée d’une gouvernance partagée autour d’une indépendance en partenariat était souhaitée au-delà même du camp indépendantiste.
L’examen de la présente proposition de loi organique nous donne l’occasion de rediscuter de la place que doit occuper l’État dans les négociations. Il faudra absolument que les discussions s’inscrivent dans un cadre global si l’on veut parvenir à la mise en œuvre d’un projet sociétal juste et équitable.
Il faut que tous les Calédoniens puissent retrouver leur place sur le Caillou. Nous y veillerons, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Jean-Yves Roux applaudit également.)
Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral calédonien, le président du groupe Union Centriste, Hervé Marseille, avait pris date à cette même tribune.
Il avait qualifié ce texte de « solution “partielle et unilatérale” qui, au lieu d’aiguillonner le dialogue entre les différentes parties prenantes », comme le ministre de l’intérieur et des outre-mer l’affirmait en commission, contribuerait « au contraire à aggraver les tensions ». Il suggérait en conséquence de « nous interroger sur la temporalité envisagée pour l’examen de ce texte ».
Tout comme d’autres groupes politiques, nous n’avions pas été entendus dans cette assemblée. La Nouvelle-Calédonie en a payé le prix. Après trente-six années de paix, cette collectivité s’est une nouvelle fois enfoncée dans une spirale de violence. Depuis le 13 mai 2024, treize personnes ont perdu la vie lors des émeutes ; on a dénombré plusieurs centaines de blessés et 3 000 émeutiers ont été interpellés. Un couvre-feu est toujours en vigueur aujourd’hui.
La situation économique et sociale, déjà fragilisée par la crise du nickel, est dramatique. On recense 2,2 milliards d’euros de dégâts, 700 entreprises incendiées ou saccagées, 10 000 emplois détruits et 20 000 salariés admis au bénéfice du chômage partiel, qui prendra fin le 31 décembre prochain. Dans le secteur privé, un salarié néo-calédonien sur trois est au chômage. C’est dire l’ampleur du désastre.
Preuve de la gravité de la crise, l’hôpital, qui avait toujours été préservé, a lui aussi fait l’objet de blocages, ce qui a mis la continuité des soins sur le territoire en grand danger. Le médipôle de Dumbéa a enregistré une diminution de 15 % de ses effectifs depuis le début des émeutes, une baisse qui risque de s’aggraver. Pour les médecins, le recul atteint jusqu’à 30 % des effectifs dans certaines spécialités.
Dans le nord de l’île, la situation est encore plus préoccupante, puisque l’on constate une baisse de presque 33 % des personnels et que le centre hospitalier de la province Nord ferme des lits.
Monsieur le ministre, durant votre déplacement en Nouvelle-Calédonie il y a quelques jours, vous avez déclaré que l’État financerait la reconstruction des infrastructures publiques. (M. le ministre délégué acquiesce.) Si ces annonces sont accueillies avec satisfaction, elles ne sont pas à la hauteur de la situation.
Le 28 août dernier, le congrès a lancé un cri d’alarme qui n’a toujours pas été entendu. Les formations politiques néo-calédoniennes ont voté à la quasi-unanimité une résolution appelant à l’adoption d’un plan de reconstruction et d’accompagnement de la Nouvelle-Calédonie par l’État pour la période 2024-2029, afin d’éviter la mort économique et sociale du pays.
Cette résolution s’appuie sur trois principes mis en œuvre par le Gouvernement de la République au lendemain du cyclone Irma, qui avait ravagé les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy : la compensation financière des pertes fiscales et sociales subies par les collectivités et les régimes sociaux ; le financement des régimes de chômage partiel et total ; enfin, le soutien aux entreprises, que ce soit en termes de trésorerie ou sous la forme d’incitations fiscales à la reconstruction.
C’est un appel à la solidarité nationale qui a été lancé par tous les élus indépendantistes et non indépendantistes du congrès de la Nouvelle-Calédonie. Le 25 septembre dernier, une délégation transpartisane a d’ailleurs été reçue à ce sujet par le président du Sénat et l’ensemble des présidents de groupe de notre assemblée.
Si cet appel au secours n’est pas entendu, ce sont plusieurs dizaines de milliers de Néo-Calédoniens, dépourvus de tout revenu, qui se retrouveront en recherche d’emploi sur un marché du travail inexistant, et ce dès le premier semestre 2025, une situation qui ne peut que déboucher sur des émeutes de la faim constitutives d’une véritable insurrection sociale.
Or, à ce jour, le projet de loi de finances pour 2025 ne prévoit qu’une seule mesure spécifique pour la Nouvelle-Calédonie : la possibilité de contracter un prêt de 500 millions d’euros auprès de l’Agence française de développement (AFD), afin de rembourser à l’État les avances dont elle a bénéficié en 2024. C’est un véritable acte d’abandon de cette collectivité française du Pacifique.
C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, nous serons attentifs à ce que les principes, ainsi que le financement du plan quinquennal d’accompagnement et de reconstruction de la Nouvelle-Calédonie proposé par le congrès soient pris en compte dans le prochain projet de loi de finances.
Comme l’a annoncé le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale, il n’est pas possible, dans ce contexte politique, économique, social et sécuritaire que les élections provinciales se tiennent en décembre 2024. C’est pourquoi la proposition de loi organique que nous examinons aujourd’hui prévoit de les reporter au plus tard le 30 novembre 2025.
Nous nous félicitons que le Premier ministre ait décidé de la création d’une mission de concertation et de dialogue conduite par la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat.
Comme l’avait recommandé le Sénat dans son rapport sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, le vote de ce texte doit permettre aux différentes formations politiques néo-calédoniennes d’ouvrir une nouvelle page et de reprendre le chemin du dialogue sous l’égide de l’État, afin de favoriser l’émergence d’un consensus global dans le prolongement de la lettre et de l’esprit des accords de Matignon et de Nouméa.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SER. – M. Michel Masset applaudit également.)