Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Marie-Pierre Richer, M. Mickaël Vallet.
2. Hommages à Claude Huriet et à Jean-François Picheral, anciens sénateurs
3. Questions d’actualité au Gouvernement
accord commercial avec le mercosur
M. Laurent Duplomb ; Mme Sophie Primas, ministre déléguée chargée du commerce extérieur et des Français de l’étranger.
blackout énergétique en guadeloupe le 25 octobre 2024
M. Dominique Théophile ; M. François-Noël Buffet, ministre auprès du Premier ministre, chargé des outre-mer.
stratégie de désenclavement du département de la loire
M. Pierre Jean Rochette ; M. François Durovray, ministre délégué chargé des transports ; M. Pierre Jean Rochette.
Mme Mireille Jouve ; Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation ; Mme Mireille Jouve.
avenir de la fonction publique
Mme Laurence Rossignol ; M. Guillaume Kasbarian, ministre de la fonction publique, de la simplification et de la transformation de l’action publique ; Mme Laurence Rossignol.
poids des marchés financiers sur la politique budgétaire de la france
M. Éric Bocquet ; Mme Laurence Garnier, secrétaire d’État chargée de la consommation ; M. Éric Bocquet.
Mme Anne-Sophie Patru ; M. Othman Nasrou, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur, chargé de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations.
réponse du gouvernement à l’appel des élus locaux en première ligne face au narcotrafic
M. Guillaume Gontard ; M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. André Reichardt ; M. Othman Nasrou, secrétaire d’État chargé de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations ; M. André Reichardt.
Mme Annie Le Houerou ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Annie Le Houerou.
fusion des aides aux collectivités
M. Laurent Somon ; Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation.
4. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
5. Questions d’actualité au Gouvernement (suite)
taux de mercure dans les boîtes de thon
Mme Élisabeth Doineau ; Mme Laurence Garnier, secrétaire d’État chargée de la consommation.
simplification et réduction du nombre d’agences de l’état
Mme Pauline Martin ; M. Guillaume Kasbarian, ministre de la fonction publique, de la simplification et de la transformation de l’action publique.
accords commerciaux extérieurs
M. Serge Mérillou ; Mme Sophie Primas, ministre déléguée chargée du commerce extérieur et des Français de l’étranger ; M. Serge Mérillou.
M. Stéphane Piednoir ; M. Gil Avérous, ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative.
Mme Françoise Dumont ; Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet
6. Candidature à une délégation sénatoriale
7. Prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée chargée de la famille et de la petite enfance
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure de la commission des affaires sociales
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 4 rectifié bis de M. Philippe Mouiller. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 9 rectifié bis de Mme Guylène Pantel. – Retrait.
Adoption de l’article.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales
Rejet de l’article.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales
Adoption de l’article.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales
Rejet de l’article.
Amendement n° 2 rectifié bis de M. Raphaël Daubet. – Retrait.
Intitulé de la proposition de loi
Adoption, par scrutin public n° 26, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure
Suspension et reprise de la séance
8. Charte des services publics. – Rejet d’une proposition de loi constitutionnelle
Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi constitutionnelle
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois
M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice
Clôture de la discussion générale.
Rejet, par scrutin public n° 27, de l’article.
Rejet, par scrutin public n° 28, de l’article.
Tous ses articles ayant été rejetés, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Dominique Théophile
9. Plan budgétaire et structurel national à moyen terme et orientation des finances publiques. – Débat organisé à la demande de la commission des finances
M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances
M. Claude Raynal, président de la commission des finances
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales
10. Ordre du jour
Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Marie-Pierre Richer,
M. Mickaël Vallet.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Hommages à Claude Huriet et à Jean-François Picheral, anciens sénateurs
M. le président. C’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris lundi dernier le décès de notre ancien collègue Claude Huriet, sénateur de Meurthe-et-Moselle de 1983 à 2001, qui siégea au sein du groupe de l’Union centriste des démocrates de progrès, puis de l’Union Centriste, et qui fut questeur du Sénat.
Ce médecin de formation, professeur agrégé à la faculté de médecine de Nancy, était un grand humaniste. Pionnier, il s’impliqua dans des sujets qui demeurent d’actualité : la lutte contre le cancer, les greffes ou encore les questions de bioéthique.
Il créa ainsi le centre d’hémodialyse de Nancy, où il réalisa les premières transplantations rénales. Il présida l’Institut Curie jusqu’en 2013 et siégea notamment au Comité international de bioéthique de l’Unesco entre 2002 et 2006.
Au Sénat, il s’investit tout naturellement dans les questions de santé et de bioéthique au sein de la commission des affaires sociales, dont il fut le vice-président.
Nous nous souvenons bien sûr de la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales – une loi qui porte son nom, ainsi que celui de notre ancien collègue Franck Sérusclat.
Il fut également rapporteur de la loi du 28 mai 1996 portant diverses mesures d’ordre sanitaire, social et statutaire, qui a notamment défini les thérapies géniques et cellulaires, ou encore de la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme.
Au nom du Sénat tout entier, je veux assurer sa famille et ses proches, ainsi que le président et les membres du groupe Union Centriste, de notre sympathie.
C’est aussi avec une grande tristesse que nous avons appris le 12 octobre dernier le décès de notre ancien collègue Jean-François Picheral, qui fut sénateur des Bouches-du-Rhône jusqu’en 2008.
Médecin radiologue de profession, il siégea au conseil général des Bouches-du-Rhône et fut élu maire d’Aix-en-Provence en 1989.
Durant ses deux mandats de maire, Jean-François Picheral a contribué au lancement de projets structurants pour sa ville, comme la requalification du cours Mirabeau ou encore l’implantation de la gare TGV sur le plateau de l’Arbois.
Élu sénateur en 1998, Jean-François Picheral fut secrétaire de la commission des affaires culturelles et vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé.
Il fut à l’origine de la proposition de loi dite Français par le sang versé, qui devint la loi du 29 décembre 1999 modifiant les conditions d’acquisition de la nationalité française par les militaires étrangers servant dans l’armée française. Ce texte permet à tout étranger engagé dans les armées françaises ou blessé au combat, notamment aux légionnaires, de devenir français de plein droit, s’il le souhaite, sur proposition du ministre de la défense.
Il voyait dans le service sous nos drapeaux une preuve incontestable de l’attachement porté à notre pays et aux valeurs démocratiques qui fondent la société française. Son action, je dois le dire, a contribué à tisser ce lien si particulier qui existe entre le Sénat et la Légion étrangère, lien que nous ressentons notamment, chaque 13 juillet, dans le jardin du Luxembourg.
Au nom du Sénat, je salue la mémoire d’un homme engagé pour son territoire et ses habitants, et j’adresse mes condoléances les plus sincères à sa famille et à ses proches.
En ces semaines de commémoration, je tenais à rendre hommage à ces deux anciens collègues, qui ont beaucoup apporté à notre assemblée.
3
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
J’excuse l’absence de M. le Premier ministre, qui ne peut être présent parmi nous aujourd’hui. Au nom de notre assemblée tout entière, je lui exprime notre sympathie et lui adresse tous nos vœux.
Lors de notre échange téléphonique, il m’a confirmé qu’il participerait, le jeudi 7 novembre, à dix heures trente, à la séance de commémoration du quatre-vingtième anniversaire de la réunion de l’Assemblée consultative provisoire organisée ici même, au Palais du Luxembourg.
Mes chers collègues, je compte sur votre présence pour nous souvenir de ce moment qui, après l’épisode de l’assemblée d’Alger, à la Libération, a marqué le renouveau de notre vie parlementaire.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif, au cours de nos échanges, au respect des uns et des autres et à celui du temps de parole.
accord commercial avec le mercosur
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. C’est sans doute une première dans l’histoire du Sénat, mais l’actualité et la menace sans précédent qui pèse sur les agriculteurs français la justifient : cette question s’adresse non pas au Gouvernement, mais au Président de la République. (Exclamations.)
Je m’adresse donc aujourd’hui directement à Emmanuel Macron. (Murmures sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. Rachid Temal. Il n’est pas là pour vous répondre…
M. Laurent Duplomb. En effet, au début de cette année, au beau milieu des manifestations agricoles et avant les élections européennes, c’est lui qui assurait que les négociations avec le Mercosur étaient suspendues.
C’est encore lui qui s’engageait à ce que cet accord ne soit pas conclu sans clauses miroirs, ces dispositions dont on parle tant, mais qui n’existent toujours pas. (M. Rachid Temal s’exclame.) Elles n’existent pas plus dans cet accord, d’ailleurs, que dans le Ceta (accord économique et commercial global) que nous avons rejeté sur ces travées pour cette même raison, mais aussi parce qu’il ouvrait la voie à la validation de l’accord avec le Mercosur, comme nous le dénoncions déjà.
C’est enfin lui qui détient aujourd’hui le pouvoir de bloquer l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur.
En effet, malgré une large désinformation sur ce sujet, la France détient encore à ce jour un droit de veto pour faire tomber cet accord. Comme l’a confirmé dans la presse Mme la ministre Primas le 22 octobre dernier, les textes sont clairs : les accords d’association comme celui qui a été négocié avec le Mercosur sont des accords mixtes, qui nécessitent une approbation à l’unanimité des États membres au Conseil de l’Union européenne.
M. Fabien Gay. Et au Parlement !
M. Laurent Duplomb. Si nous savons bien que la Commission européenne entend contourner ce veto en scindant l’accord pour isoler son volet commercial, aucune décision officielle n’a été prise à ce jour. La France est donc parfaitement légitime pour s’opposer à une telle manœuvre, faire valoir ses droits et conserver sa capacité de blocage.
Pourquoi donc, monsieur le Président de la République (Exclamations.), ne réagissez-vous pas face à l’attitude méprisante de la Commission européenne envers les agriculteurs, mais aussi envers la France ?
Pourquoi n’exercez-vous pas le veto qui vous revient de plein droit ?
M. le président. Il faut conclure !
M. Laurent Duplomb. Enfin, combien de temps encore allez-vous nous contraindre, nous, représentants élus du peuple français, à regarder périr nos agriculteurs et nos entreprises, en acceptant que cette Commission européenne outrepasse ses droits et piétine la démocratie ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, GEST et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du commerce extérieur et des Français de l’étranger.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée du commerce extérieur et des Français de l’étranger. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cher Laurent Duplomb, comme vous le voyez, je ne suis pas le Président de la République, en tout cas pas encore ! (Rires.)
Je vous remercie de cette question : elle m’offre l’occasion de vous dire à quel point le Premier ministre et le Gouvernement tout entier sont mobilisés pour démentir les bruits qui courent sur un accord potentiel avec le Mercosur.
Depuis 2019, les négociations entre l’Union européenne et les pays du Mercosur n’ont pas beaucoup évolué. Nous nous opposons à cet accord.
Tout d’abord, nous tenons à ce que l’accord de Paris en constitue un élément essentiel. Cela signifie que, en cas de violation de l’accord de Paris, l’accord pourrait être suspendu, et cela par chacune des deux parties, de chaque côté de l’Atlantique.
Ensuite, nous souhaitons que cet accord d’association soit pleinement aligné avec les compétences des États membres. Il ne doit pas être scindé en deux et les Parlements doivent être consultés à son sujet.
Enfin, nous souhaitons que cet accord soit en phase avec la nouvelle politique de l’Union européenne, qui concilie commerce et développement durable. À cet égard, les normes vétérinaires et phytosanitaires devront être alignées.
Nous connaissons les raisons de la colère des agriculteurs, et cet accord avec le Mercosur en est probablement l’étendard. C’est la raison pour laquelle nous n’accepterons pas, en l’état, sa conclusion.
J’en appelle d’ailleurs, comme je viens de le faire à l’Assemblée nationale, à la mobilisation de tous : nous avons besoin de chacun d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour convaincre nos collègues députés européens, les associations environnementales (M. Yannick Jadot s’exclame.) et les agriculteurs des pays concernés qu’un autre accord est possible avec le Mercosur.
Je vous remercie par avance de votre soutien. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et INDEP.)
blackout énergétique en guadeloupe le 25 octobre 2024
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Dominique Théophile. Ma question s’adresse à M. le ministre auprès du Premier ministre, chargé des outre-mer.
Monsieur le ministre, la Guadeloupe a été récemment plongée dans une crise d’une gravité sans précédent. Un blackout total de près de quarante-huit heures, provoqué par l’arrêt brutal des moteurs de la centrale EDF PEI de la Pointe Jarry, a laissé 230 000 foyers et leurs habitants sans électricité ni lumière, livrés à eux-mêmes dans une nuit interminable.
Dans cet instant suspendu, nos concitoyens ont vécu la peur, l’angoisse et l’insécurité. Des pillages, des saccages et des actes de vandalisme se sont multipliés dans les rues de Pointe-à-Pitre, malgré le couvre-feu décrété par le préfet de Guadeloupe. Certains sont allés, impunément, jusqu’à utiliser une pelle mécanique pour détruire une bijouterie en plein centre-ville.
Imaginez, monsieur le ministre, des familles, des enfants terrifiés, des malades en détresse dans des hôpitaux fonctionnant grâce à des générateurs d’urgence à l’autonomie incertaine.
Cette situation chaotique a cruellement exposé des failles dans la sécurisation de nos sites stratégiques et la vulnérabilité de nos territoires face aux tensions sociales et aux crises énergétiques.
Ce drame interroge : comment, en 2024, des citoyens peuvent-ils être ainsi abandonnés, sans défense, dans le noir et l’impuissance ?
Je condamne sans concession ces actes de sabotage. Aucune revendication ne saurait légitimer de telles actions, quels que soient les griefs des parties. Il est impératif de retrouver le chemin du dialogue et d’entamer des négociations respectueuses de l’intérêt général.
Aussi, monsieur le ministre, ma question est simple : quelles mesures seront prises pour garantir que de telles structures d’intérêt public ne soient plus jamais menacées et que de tels événements ne puissent plus se reproduire ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des outre-mer.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du Premier ministre, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur Théophile, je m’associe à vos propos sur les moments extrêmement difficiles qu’ont vécus nos compatriotes guadeloupéens. Au-delà des effets de la disparition de la lumière, ces violences sont proprement inadmissibles.
Dans une moindre proportion, il faut savoir que nos compatriotes de Martinique et de La Réunion ont connu, pour des raisons différentes, des situations similaires.
Je voudrais rappeler les conditions dans lesquelles EDF a été mise en difficulté à Jarry. Un accord social était sur le point d’aboutir entre les salariés et la direction. Malheureusement, des salariés qui se trouvaient à l’intérieur de l’entreprise – il n’y a jamais eu d’intrusion forcée, je tiens à le dire – ont procédé à l’arrêt des moteurs.
Vous avez raison : les conséquences de cet acte ont été terribles. J’irai même plus loin : certaines personnes ont pu être mises en grand danger du fait de l’absence d’électricité. Les auteurs d’actions collectives de cette nature devraient d’ailleurs y réfléchir et mesurer, au-delà de l’action elle-même, quelles conséquences celle-ci peut entraîner.
Nous avons œuvré tout au long du week-end dernier pour que des discussions s’ouvrent entre les salariés et la direction d’EDF. Nous y sommes parvenus.
Je rappelle que le préfet a immédiatement réquisitionné le personnel pour rétablir l’électricité et que, par ailleurs, le procureur de la République a engagé des poursuites. Une plainte a été déposée par EDF et une information judiciaire devrait être engagée.
La réalité des faits est que les dégâts ont été causés depuis l’intérieur de l’entreprise. Il faut tout de même faire très attention à ce que l’on fait !
Nous veillons désormais à ce que le calme revienne et à ce que les discussions entre les opérateurs privés aient lieu dans de bonnes conditions. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
stratégie de désenclavement du département de la loire
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le ministre, toute la France le sait : Lyon ne peut pas se passer de Saint-Étienne ! (Sourires.)
La proximité de ces deux aires urbaines donne lieu à des échanges considérables : 20 000 personnes voyagent chaque jour sur la ligne ferroviaire Saint-Étienne-Lyon, et les échanges économiques entre les deux villes sont importants, quand ils ne sont pas englués en raison d’une autoroute A47 malheureusement régulièrement saturée.
Il s’agit d’un sujet non pas local, mais bien national, qui concerne deux métropoles françaises ayant un lien fort et fragile à la fois.
Depuis les récentes inondations, notre département est au ralenti. La vie des Ligériens est perturbée et notre économie affectée.
Après l’abandon du projet d’autoroute A45, le remède miracle n’a pas été trouvé, et les mesures compensatoires n’ont pas permis de relever le défi de la mobilité entre Saint-Étienne et Lyon.
Monsieur le ministre, j’en appelle à votre sollicitude – vous connaissez parfaitement le sujet – pour réunir autour de la table les opérateurs et les collectivités locales et proposer aux Ligériens un nouveau schéma de mobilité, autour de nouveaux itinéraires et de nouveaux modes de transports.
Vous avez parfaitement su le faire dans votre département de l’Essonne, où vos cars express sont une franche réussite. L’enjeu est important pour les Foréziens. Toute la Loire vous écoute. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. François Durovray, ministre délégué auprès de la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, chargé des transports. Monsieur le sénateur, permettez-moi tout d’abord d’avoir une pensée pour les habitants des départements du Rhône et de la Loire qui ont été exposés aux intempéries voilà une quinzaine de jours et qui continuent d’en subir les conséquences.
J’exprime également ma reconnaissance envers les agents du service public, de l’État et de la SNCF, qui sont encore à pied d’œuvre pour restaurer le plus rapidement possible les circulations routières et ferroviaires.
Le Gouvernement est pleinement mobilisé sur la question de la régénération des infrastructures ferroviaires et routières, mais aussi de leur adaptation au changement climatique.
À la demande du Premier ministre et de la ministre Catherine Vautrin, j’organiserai, au début de l’année prochaine, une conférence sur le financement des mobilités. Celle-ci permettra, je l’espère, de mettre davantage en adéquation les moyens avec les besoins, dont nous savons combien ils vont croissant.
Au-delà, il faut évoquer les autres possibilités de mobilité, non seulement en cas de situation exceptionnelle comme celle que nous avons vécue, mais aussi de façon permanente.
Nous devons réfléchir à la façon dont nous pouvons massifier l’usage de la route, en mettant plus de personnes dans moins de véhicules.
C’est tout l’enjeu du plan Cars express, que j’ai l’intention de présenter au début de l’année 2025 et qui doit mobiliser l’ensemble des collectivités locales aux côtés de l’État.
J’espère que les débats qui se dérouleront dans les assemblées à l’automne déboucheront sur des solutions juridiques et financières permettant de créer des lignes de cette nature.
Il s’agit d’une solution rapide à mettre en œuvre, peu coûteuse et écologique. Les lignes de cars express pourraient relier des métropoles au destin commun, comme Saint-Étienne et Lyon,…
Mme Cécile Cukierman. C’est la ligne la plus fréquentée de France !
M. François Durovray, ministre délégué. … mais aussi des villes de moindre importance à travers le pays. (M. Bernard Jomier manifeste son ironie.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour la réplique.
M. Pierre Jean Rochette. Je vous remercie, monsieur le ministre. Nous aurons l’occasion d’en reparler, car nous devons aborder ces questions de façon plus approfondie et matérialiser ces projets.
Au nom des habitants et des élus de la vallée du Gier et du Pilat, je veux remercier les membres du Gouvernement qui se sont déplacés rapidement sur les lieux des inondations : le Premier ministre Michel Barnier, les ministres Agnès Pannier-Runacher et Nicolas Daragon, ainsi que vous-même, monsieur le ministre des transports. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
À elle seule, la solidarité nationale ne résout pas tous les problèmes, mais quand elle s’exprime de cette façon, elle met du baume au cœur, et nous en avons besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)
plan marseille en grand
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Mireille Jouve. Madame la ministre, le plan Marseille en grand, estimé à 5 milliards d’euros et lancé en septembre 2021 par le Président de la République, apportait une réponse forte de l’État à des carences anciennes, ainsi qu’à des retards importants dans le développement des services structurants pour la population de l’agglomération marseillaise : écoles, transports, logement ou encore sécurité.
Le 21 octobre dernier, la Cour des comptes et la chambre régionale des comptes ont rendu public un rapport de 180 pages sans concession, qui a mis le feu aux poudres – je ne vous apprends rien.
Je ne céderai ni à la critique facile, ni à la petite phrase tendant à railler les uns et les autres, ni même à la tentation de compter les points – à quoi bon ?
J’alerte simplement sur les défis que pose un tel plan. Marseille, ville que l’on aime ou que l’on déteste, est une porte d’entrée de l’Europe depuis la Méditerranée. Ce positionnement stratégique nous impose une obligation de résultat dans l’exécution d’un plan dont la Cour des comptes elle-même souligne le caractère indispensable.
Ne gâchons donc pas notre chance de voir la deuxième ville de France se redresser. La renaissance de cette cité profitera à tous et rejaillira sur l’ensemble des communes du département, sur la région et sur la France.
Aussi, madame la ministre, ma question est simple : suivrez-vous la préconisation judicieuse de la Cour des comptes relative à la création d’une superstructure de gouvernance pour accompagner, malgré les temps difficiles, le versement des 5 milliards d’euros promis par le Président de la République ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation.
Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation. Madame la sénatrice Mireille Jouve, vous avez raison : au travers du plan Marseille en grand, le Président de la République entend apporter des réponses aux besoins de la deuxième ville de France. Ceux-ci sont criants dans de nombreux domaines, comme le transport, le logement et l’école.
Bien qu’il ait été publié le 21 octobre dernier, le rapport que vous mentionnez a été réalisé au second semestre de l’année 2023. Il offre donc une photographie de l’année 2023. J’y insiste, car, dix mois plus tard, de nombreuses actions ont heureusement été menées.
Je tiens notamment à saluer l’engagement des services de l’État autour du préfet Mirmand, mais également celui d’un certain nombre d’élus, qui ont permis de débloquer 90 % des crédits.
Six premières écoles ont ainsi été livrées à la dernière rentrée scolaire et quatre le seront avant la fin de cette année. En matière de transport, les premiers engagements se concrétisent. J’en discutais, pas plus tard que ce matin, avec ma collègue Valérie Létard : au total, plus de 600 millions d’euros sont mobilisés dans le secteur du logement à Marseille. Et je sais combien, dans cette ville plus qu’ailleurs, il y a des réponses à apporter dans ce domaine.
Madame la sénatrice, une coordination se met en place, sous la conduite du Premier ministre, avec l’ensemble des services de l’État et des élus, qu’il s’agisse de la région, du département, de la métropole ou de la ville de Marseille.
M. Mickaël Vallet. Tout de même !
Mme Catherine Vautrin, ministre. Nous allons tous dans le même sens, et c’est ainsi que nous apporterons des réponses aux difficultés quotidiennes des Marseillais. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour la réplique.
Mme Mireille Jouve. Madame la ministre, la sacralisation des financements et une superstructure de gouvernance : voilà ce qu’attendent les communes des Bouches-du-Rhône, qui n’ont pas les reins assez solides pour soutenir solidairement la ville-centre du département. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
avenir de la fonction publique
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Grégory Blanc applaudit également.)
Mme Laurence Rossignol. Monsieur Guillaume Kasbarian, vous êtes ministre de la fonction publique et de l’action publique.
On pourrait donc imaginer que votre priorité soit le service public, son efficacité, son excellence et son déploiement dans tous les territoires.
M. François Patriat. C’est le cas !
Mme Laurence Rossignol. On pourrait imaginer que votre objectif soit de faire en sorte qu’il y ait un enseignant devant chaque classe – croyez-moi, dans le Val-de-Marne, le département dont je suis l’élue, nous sommes très loin du compte ! (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
On pourrait imaginer que votre mission soit de recruter des soignants pour les hôpitaux, des professeurs pour les collèges, des AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) pour les écoles, des cadres territoriaux pour les collectivités.
On pourrait imaginer que votre souci soit que les policiers ne se suicident plus et que les magistrats ne meurent pas d’épuisement en pleine audience.
On pourrait imaginer que votre ambition soit de redonner aux Français le goût d’entrer dans la fonction publique.
On pourrait imaginer que votre exigence soit d’assurer aux fonctionnaires l’estime et le respect des usagers, ce qui leur assurerait la sécurité au travail.
Or, depuis votre prise de fonction, vous n’avez que le mépris à la bouche ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Comme si notre société n’était déjà pas assez divisée ! À coups de fake news sur les arrêts maladie et les prétendus privilèges, à coups de comparaisons mensongères entre les salariés du privé et ceux du public, vous essayez de faire porter sur les fonctionnaires la responsabilité de la dégradation des services publics que vous avez consciencieusement organisée depuis 2017, vous et les gouvernements successifs que vous avez soutenus. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Aussi, ma question est simple, monsieur le ministre : êtes-vous là pour détruire la fonction publique (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), l’offrir au privé et éteindre derrière vous les lumières de la République ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la fonction publique, de la simplification et de la transformation de l’action publique.
M. Guillaume Kasbarian, ministre de la fonction publique, de la simplification et de la transformation de l’action publique. Madame la sénatrice Rossignol, je n’ai jamais eu le moindre mépris pour les fonctionnaires de notre pays.
Je vous remercie d’ailleurs de votre question, qui me permet de saluer leur travail et de remercier les 5,7 millions d’agents qui s’engagent au service des Français. Leur travail est admirable au quotidien. (Marques d’ironie sur les travées du groupe SER. – Mme Céline Brulin s’exclame.)
Je partage évidemment tous les objectifs que vous avez cités : renforcer l’attractivité des métiers de la fonction publique, offrir un service public de qualité (M. Mickaël Vallet s’exclame.) ou encore améliorer les relations entre l’administration et l’usager.
Il est vrai que, parmi les différents sujets que ce large portefeuille m’amène à traiter, il y a également celui de l’absentéisme.
Les données dont nous disposons sont préoccupantes : le nombre de jours d’absence dans la fonction publique est passé de 43 millions voilà quelques années à 77 millions aujourd’hui, soit une hausse de 80 %.
M. Pascal Savoldelli. Le Gouvernement a bien été absent pendant un long moment !
M. Guillaume Kasbarian, ministre. En outre, le nombre de jours d’absence des agents de la fonction publique – 14,5 par an, contre 8 il y a quelques années – est beaucoup plus élevé que celui des salariés dans le privé, qui s’élève à 11,5 par an.
Face à cette dérive, je me dois, vous en conviendrez, madame la sénatrice, de prendre des décisions. Nous ne pouvons laisser dériver l’absentéisme. Parmi les priorités légitimes que vous avez citées, nous devons aussi traiter cette question et y apporter des solutions.
J’ai présenté, au nom du Gouvernement, un plan de lutte contre l’absentéisme dans la fonction publique. Il comporte deux mesures de responsabilisation qui vont dans le sens d’un alignement sur le régime du privé : le relèvement d’un à trois du nombre de jours de carence et la baisse du taux de la prise en charge à 90 %. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Toutefois, ce plan contient aussi, madame la sénatrice, des mesures d’accompagnement en matière de conditions de vie au travail, d’ergonomie des postes et de lutte contre les risques psychosociaux.
Ce plan, c’est aussi une lutte contre la bureaucratie, qui pénalise parfois les agents eux-mêmes (Nouvelles protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.) et qui rend leur travail difficile.
Enfin, ce plan vise à améliorer la protection fonctionnelle.
Comme vous le constatez, madame la sénatrice, nous travaillons sur tous les fronts pour améliorer les services publics et, en effet, lutter contre l’absentéisme dans notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour la réplique.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le ministre, nous parlons non pas d’absentéisme, mais d’arrêts maladie !
L’absentéisme, c’est le terme que l’on utilise pour les élèves qui sèchent le lycée ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Huées sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) En l’occurrence, nous parlons de fonctionnaires en arrêt maladie.
Les fonctionnaires, vous les aimez tellement que vous proposez de retirer chaque mois 320 euros bruts à chacun de ceux qui auront un arrêt maladie de cinq jours. Qu’est-ce que vous les aimez ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Salutations à un sénateur
M. le président. Avant de lui donner la parole pour une question d’actualité au Gouvernement, je souhaite saluer notre collègue Éric Bocquet.
Sénateur du Nord depuis 2011, il a décidé de démissionner de ses fonctions à compter du 1er novembre prochain, afin de « laisser la place à une nouvelle génération », comme il me l’a lui-même dit et écrit.
Je le remercie de son engagement au sein du bureau du Sénat, en tant que secrétaire, et au sein de la commission des finances, dont il a été l’un des vice-présidents et un membre reconnu et, je dois le dire, apprécié.
Il a contribué à de très nombreux travaux du Sénat sur des sujets financiers et fiscaux, en particulier en tant que rapporteur de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales.
Je lui souhaite le meilleur pour la suite, à Marquillies – une commune que je connais bien désormais ! Et je tiens à le remercier d’avoir contribué à valoriser un produit laitier de mon département natal, en Normandie… (Sourires.)
Mes chers collègues, je vous livre le message qu’il nous adresse à tous : il souhaite que le Sénat « poursuive le combat incessant pour nos communes, premier échelon de la République, si utile dans des temps si incertains ».
Voilà un objectif que nous pouvons tous, je le crois, partager. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent longuement.)
poids des marchés financiers sur la politique budgétaire de la france
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
M. Éric Bocquet. Je vous remercie, monsieur le président. Vous êtes un très bon chauffeur de salle ! (Sourires.)
Ma question était destinée à M. le ministre de l’économie et des finances, mais elle s’adresse globalement à l’ensemble des membres du Gouvernement.
Je commencerai par faire un petit retour sur l’histoire de notre pays. Le 28 octobre 1966, se tenait une conférence de presse du général de Gaulle, alors Président de la République. Interrogé par un journaliste sur la chute de la bourse en cette fin d’année 1966, le président eut cette formule devenue célèbre : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille. »
Le débat budgétaire est largement engagé au Parlement. Sur mon chevet de droite, j’ai le journal économique Les Échos… et sur celui de gauche, bien sûr, l’excellent journal L’Humanité. (Sourires.) Or le 9 octobre, Les Échos titraient : « La France et l’Italie sous la surveillance des marchés et des agences de notation. » Le lendemain, deuxième lame : « Budget 2025 : Michel Barnier se lance dans la bataille politique sous l’œil des marchés financiers. »
Madame Laurence Garnier, vous êtes membre du Gouvernement, mais je vous pose cette question très simple : est-ce bien vous qui gouvernez encore ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargée de la consommation.
Mme Laurence Garnier, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargée de la consommation. Monsieur le sénateur Bocquet, tout d’abord, c’est un honneur pour moi que de répondre à votre dernière question d’actualité au Gouvernement, après treize années d’exercice passionné de votre mandat sénatorial.
Chacun connaît ici vos combats – le président Larcher les a d’ailleurs rappelés – contre l’évasion fiscale, la fraude fiscale et les paradis fiscaux, qui constituent évidemment des enjeux essentiels de notre pacte républicain.
Vous posez la question de la souveraineté française. Je voudrais vous rappeler quelques éléments qui me semblent importants concernant la structuration de notre dette. Celle-ci est quantitativement élevée, mais elle possède un atout majeur : elle est structurée de manière qualitative, car elle repose sur une base extrêmement large. Les investisseurs qui prêtent à la France sont nombreux : des assureurs, des banques, des investisseurs privés, des banques centrales, etc. Cela représente un atout pour notre pays.
La vaste majorité des prêteurs de la France viennent de la zone euro. Un quart d’entre eux sont des investisseurs français. Les trois quarts de notre dette sont achetés soit par des Français, soit par des investisseurs européens. Le dernier quart est prêté par des investisseurs étrangers : des Suisses, des Britanniques, des ressortissants de pays européens qui n’appartiennent pas à la zone euro ou encore des ressortissants de pays situés dans le reste du monde.
En termes de souveraineté, il faut le rappeler, n’avoir qu’un seul prêteur présente des risques importants. Au contraire, avoir de nombreux prêteurs constitue un véritable atout.
Je voudrais enfin rappeler, puisque vous avez cité le général de Gaulle, qu’un titre de dette ne donne aucun droit sur la conduite de la politique de la France. Un tel titre n’est pas une action. Il donne un seul droit à l’investisseur : celui d’être remboursé.
Tels sont les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance, tout en vous remerciant, au nom de l’ensemble du Gouvernement, de votre engagement au cours de vos treize années de mandat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour la réplique.
M. Éric Bocquet. Madame la secrétaire d’État, voilà des décennies que nous subissons le chantage à la dette publique. L’an prochain, cette dette va encore s’aggraver, puisque vous allez emprunter 306 milliards d’euros.
La France versera aux marchés financiers privés la coquette somme de 55 milliards d’euros. Cette situation ressemble furieusement à de la dette perpétuelle. Le poids des marchés sera encore supérieur l’année prochaine. La République est chez Cofidis ! (Sourires sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Voilà des décennies que les gouvernements s’ingénient à désarmer fiscalement l’État. En supprimant des impôts, nous avons ainsi perdu des centaines de milliards d’euros, qui nous manquent aujourd’hui pour rééquilibrer le budget. Et voilà cinquante ans que cela dure !
Il est grand temps de redonner à la République sa souveraineté fiscale et budgétaire. La dette, c’est le revolver de la finance qui met en joue les populations.
Mesdames, messieurs les ministres, je laisse à votre sagacité cette citation de John Adams, qui fut le deuxième président des États-Unis : « Il y a deux manières de conquérir et d’asservir une nation : l’une est par les armes, l’autre est par la dette. » (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
lutte contre le narcotrafic
M. le président. La parole est à Mme Anne-Sophie Patru, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Sophie Patru. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre, le samedi 26 octobre au matin, des rafales de tirs d’armes à feu ont été entendues dans le quartier de Maurepas, à Rennes. Alors que des individus ont été vus armés dans la matinée, un homme de 29 ans, connu des services de police, quitte, plus tard dans la soirée, le quartier en voiture, emmenant son fils de 5 ans. La suite, nous la connaissons tous : dans la périphérie rennaise, à dix minutes de ma commune de Pleumeleuc, une course-poursuite s’amorce, des coups de feu éclatent, les assaillants prennent la fuite.
L’enfant est touché à deux reprises à la tête. Son pronostic vital est toujours engagé. Il s’agit, j’y insiste, d’un enfant de 5 ans… Nos pensées vont évidemment à sa famille.
Cette fusillade marque un nouveau palier dans la violence et l’horreur suscitées par le narcotrafic. Les narcotrafiquants ont désormais un coup d’avance sur les responsables politiques, et cela en dépit du travail quotidien et exceptionnel des forces de l’ordre et de la justice, auxquelles il faut rendre hommage.
Les travaux sur les moyens d’endiguer ce fléau ne manquent pas. Je souhaite particulièrement saluer la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic de nos collègues Jérôme Durain et Étienne Blanc. Celle-ci constitue une pierre importante pour adapter notre procédure pénale et renforcer les moyens de lutte contre le narcotrafic.
La guerre à mener est transpartisane ; nous devons la conduire tous ensemble. Sinon, l’image qui risque de s’imposer dans l’opinion est celle d’un pays jalonné par les faits divers liés au trafic de drogue, tant dans nos villes que dans nos campagnes.
Aussi, pouvez-vous nous préciser combien de temps la CRS 82 sera présente en renfort dans notre département d’Ille-et-Vilaine ? Et comptez-vous annoncer, le 8 novembre prochain, la création d’un parquet national consacré à la lutte contre le narcotrafic, comme le préconisent nos collègues ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur, chargé de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations.
M. Othman Nasrou, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur, chargé de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations. Madame la sénatrice, le drame que vous évoquez est une tragédie absolue. Je veux, à mon tour, avoir une pensée émue pour cette très jeune victime, innocente, dont le pronostic vital, comme vous l’avez dit, est toujours engagé. Je veux aussi avoir une pensée pour sa famille, pour ses proches, pour ce territoire que vous connaissez bien.
L’idée qu’un enfant de 5 ans soit blessé par balle, dans un règlement de compte sur fond de narcotrafic dans notre pays, est pour nous tous totalement insoutenable ! (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Cette tragédie montre malheureusement combien le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a eu raison de dénoncer les ravages du narcobanditisme dans notre pays – j’irai même jusqu’à parler, dans ce cas précis, de narcobarbarie.
Je veux redire notre détermination à engager tous les moyens dont nous disposons pour lutter contre ce fléau. À cet égard, la proposition de loi déposée par les sénateurs Blanc et Durain constitue une base de travail tout à fait intéressante.
Le ministre de l’intérieur a immédiatement dépêché la CRS 82 sur le terrain. Cette unité restera présente le temps qu’il faudra pour assurer la sécurité et la tranquillité des habitants.
Le nouveau préfet du département et de la région, Amaury de Saint-Quentin, suit la situation de très près. Je vous annonce que le ministre de l’intérieur lui-même se rendra à Rennes ce vendredi 1er novembre, pour faire le point sur la situation.
Enfin, madame la sénatrice, si vous me le permettez, je veux rappeler, comme le ministre de l’intérieur l’a déjà fait, qu’il existe un lien entre la consommation de drogue et le développement de ces réseaux mafieux. Il faut le dire clairement : aujourd’hui, dans notre pays, acheter de la drogue, c’est armer les trafiquants de drogue. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.) Voilà la réalité !
Je vous prie de croire, enfin, que le ministère de l’intérieur, agissant la main dans la main avec le ministère de la justice, sera pleinement mobilisé pour lutter contre ce fléau. Ce combat prendra du temps, mais je suis certain que nous le gagnerons. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
réponse du gouvernement à l’appel des élus locaux en première ligne face au narcotrafic
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Comme ma collègue vient de le rappeler, samedi dernier, à Rennes, un enfant de 5 ans a été touché à la tête lors d’une fusillade. Quatre jours auparavant, un jeune de 15 ans avait été tué par balle dans le centre-ville de Grenoble. Au début du mois d’octobre, un corps calciné a été retrouvé à Marseille.
Ces drames, liés au trafic de drogue, terrifient les habitants. Depuis les petites communes jusqu’aux métropoles, le trafic s’est généralisé, tout comme la violence qu’il suscite. Les habitants exigent la sécurité, et ils y ont droit. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Si nous saluons l’action de la police pour protéger nos concitoyens et lutter contre le trafic, la stratégie actuelle est un échec. La commission d’enquête du Sénat sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a rappelé que les opérations « place nette », qui ont mobilisé 50 000 agents, ont obtenu des résultats plus faibles que les opérations de police de pilonnage habituelles.
Pis, le ministre de l’intérieur se défausse sur les communes et pointe du doigt, sans apporter de solution concrète, les élus locaux. Ces derniers, qui sont en première ligne, n’hésitent pourtant pas à prendre des décisions fortes, à l’image de la maire d’Échirolles, Amandine Demore, qui a courageusement fait évacuer l’immeuble Le Carrare pour y démanteler un point de deal et mettre en sécurité les habitants.
Cet exemple montre que la coordination avec les élus locaux, loin des polémiques stériles, donne des résultats. Le ministre de l’intérieur leur doit de la transparence sur le nombre des policiers nationaux déployés, que souhaite connaître la mairie de Rennes.
À Grenoble, les postes supprimés par Nicolas Sarkozy viennent juste d’être rétablis, mais il en faudrait 110 de plus. Dans le Rhône, il en manquerait 500, et la ville de Lyon doit saisir la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) pour connaître les effectifs réels. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Monsieur le ministre, écoutez les élus locaux. France urbaine et les maires ne cessent de vous alerter. Il n’y a pas une, mais des réponses. Au lieu de diviser, fédérez. Au lieu de vous agiter, agissez ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Les enjeux de sécurité, de justice, de politique de la ville, de prévention, de santé et d’insertion ne s’opposent pas ; ils se complètent. Allez-vous enfin aborder cette question dans sa globalité, être transparent sur votre action, donner des moyens aux collectivités et faire confiance aux acteurs de terrain ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord excuser l’absence du Premier ministre. J’ai l’honneur de le représenter devant vous aujourd’hui et de répondre en son nom.
La criminalité organisée prend une ampleur inquiétante. Jamais elle n’a fait peser une menace aussi grave sur nous tous. C’est vrai au niveau international comme au niveau européen, à l’échelle du pays comme à celle de nos territoires, ainsi que vous venez de le rappeler. De plus en plus de villes sont touchées, y compris dans la profondeur du pays, loin des zones frontalières, portuaires ou aéroportuaires où cette criminalité prenait traditionnellement appui.
La criminalité organisée est un défi pour tous les élus de la République, quel que soit leur niveau ou leur champ de compétences. Nous devons tous être mobilisés.
Le Gouvernement s’est saisi de la question dès sa prise de fonction. Celle-ci constitue l’une des priorités assumées par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale, que j’ai eu l’occasion de lire en son nom devant vous.
En tant que garde des sceaux, c’est le premier chantier que je souhaite mener à bien, car, je le sais, un grand nombre de mesures concernent la justice. Celle-ci doit avoir à sa disposition plus de leviers pour lutter efficacement contre ce fléau. Et il y a urgence.
Nous ne partons pas de rien. Des réflexions ont été menées au sein de mon ministère, parallèlement à celles de votre commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France, dont Jérôme Durain était le président et Étienne Blanc le rapporteur, laquelle a ouvert des perspectives très riches. (M. Jacques Grosperrin manifeste son impatience.)
La proposition de loi qui en découle comporte de nombreuses pistes, que mes services examinent en ce moment même, en lien avec le ministère de l’intérieur, afin que nous puissions avancer tous ensemble dans l’intérêt du pays.
Vous le savez, je travaille en lien étroit avec le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, car les mesures à prendre concernent nos deux ministères.
Nous devons agir en complémentarité, non en opposition. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.) La réponse passera forcément par un renforcement des moyens de l’État. Il faudra associer étroitement les élus locaux, qui ont évidemment un rôle central à jouer pour que cette lutte multidimensionnelle soit efficace.
Avec le ministre de l’intérieur, j’ai annoncé ici même, depuis ce banc, que nous nous rendrions ensemble à Marseille le 8 novembre prochain, pour présenter un certain nombre de mesures contre la criminalité organisée.
Nous devons bien sûr être pleinement mobilisés contre ce fléau. Je veux vous assurer, en tout cas, mesdames, messieurs les sénateurs, de la détermination du Gouvernement à mener ce combat et à lui apporter une réponse efficace et ferme. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
directive retour
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Le ministre Bruno Retailleau a conclu hier au Maroc un accord sur le retour des déboutés du droit d’asile vers ce pays. Pour sa part, lors du Conseil européen qui s’est tenu il y a quelques jours, la présidente de la Commission, Mme von der Leyen, a annoncé qu’une nouvelle directive Retour allait prochainement voir le jour.
En tant que rapporteur du pacte européen pour la migration et l’asile pour notre commission des affaires européennes, j’estime que ces informations sont de la plus haute importance.
En effet, les données publiées par Eurostat nous apprennent que, en 2023, près de 490 000 étrangers en situation irrégulière ont reçu l’ordre de quitter le territoire des États membres de l’Union européenne. Pourtant, seuls 90 000 d’entre eux ont fait l’objet d’un éloignement effectif. Cela signifie donc que, l’année dernière, moins de 20 % des décisions d’expulsion ont été exécutées en Europe…
Ces chiffres envoient naturellement un signal délétère. Ils confirment que poser le pied sur le sol européen, c’est quasiment recevoir l’assurance de pouvoir s’y maintenir, quand bien même une décision de justice ordonnerait le contraire. Ces chiffres renforcent chez nos concitoyens le sentiment que les États ont réellement perdu le contrôle de la situation.
La politique de retour engage l’efficacité de l’ensemble de la politique migratoire, mais elle constitue l’un des angles morts du pacte sur la migration et l’asile, tel qu’il a été adopté à Bruxelles. Les performances de la France la placent malheureusement loin du peloton de tête des pays européens en matière d’éloignement.
Les discussions qui vont s’ouvrir dans l’Union européenne doivent donc être vues, selon moi, comme un moyen pour aider notre pays à faire de nouveau respecter ses frontières, comme les actes de son administration et les décisions de sa justice.
Monsieur le ministre, ma question est donc simple. Comment la France entend-elle entrer dans ces nouvelles négociations et quelles seront ses lignes de force ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur, chargé de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations.
M. Othman Nasrou, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur, chargé de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations. Monsieur le sénateur, vous avez très bien décrit la situation.
Les lignes ont enfin bougé au niveau européen. Lors de la réunion du dernier conseil Justice et Affaires intérieures, à laquelle ont assisté le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau et l’ensemble de ses homologues européens, nous avons vu combien les lignes avaient bougé sur la nécessité de maîtriser les flux migratoires.
Bien malin celui qui aurait pu distinguer les positions d’un ministre social-démocrate de celles d’un ministre conservateur… Tous ont indiqué qu’il était nécessaire de maîtriser les flux migratoires et exprimé la même volonté politique d’y parvenir.
Au moment où nos concitoyens manifestent parfois un manque de confiance dans leurs institutions, il faut bien comprendre que celles-ci sont minées par le sentiment d’impuissance publique.
Je veux vous réaffirmer, mesdames, messieurs les sénateurs, que le ministre de l’intérieur est déterminé à maîtriser les flux migratoires, conformément à la feuille de route tracée par le Premier ministre lui-même.
La révision de la directive Retour constitue une excellente nouvelle. La présidente de la Commission européenne a indiqué qu’elle serait à l’ordre du jour des travaux du premier semestre de 2025.
Le ministre de l’intérieur présentera un certain nombre de sujets, qui méritent d’être examinés, tels que le délai incompressible dont dispose un étranger en situation irrégulière pour quitter le territoire en cas de départ volontaire, ou encore le fait qu’un étranger doive obligatoirement donner son accord pour être reconduit dans un pays où il est pourtant légalement admissible. Tels sont les points qui devront être examinés.
Nous le devons à nos concitoyens, qui attendent que nous assurions une réelle maîtrise des flux migratoires. Le ministre de l’intérieur est déterminé à continuer à faire bouger les lignes au niveau européen. Nos concitoyens nous le demandent, nous le ferons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour la réplique.
M. André Reichardt. Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais vous signaler l’inefficacité du fichier AGDREF (Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France), dont le coût s’élève à 1 milliard d’euros, alors que nous cherchons à faire des économies.
De même, le soutien aux associations d’aide aux migrants mériterait assurément une évaluation approfondie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
plfss – accès aux soins
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Annie Le Houerou. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la santé et de l’accès aux soins.
Madame la ministre, hier, les personnels de santé et du secteur médico-social se sont mobilisés sur leur lieu de travail pour demander un plan d’urgence d’accès aux soins pour tous et toutes.
Les hôpitaux estiment qu’une augmentation de 6 % de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) est nécessaire, mais vous ne leur proposez dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale que la moitié de ce taux ; cela compense seulement l’augmentation des cotisations retraite et l’inflation, et rien de plus.
Alors que les acteurs du secteur du grand âge considèrent qu’une enveloppe de 1,4 milliard d’euros est nécessaire pour simplement assurer la survie des structures d’accompagnement de nos aînés, l’augmentation des crédits de 6 % que vous proposez, qui est fléchée vers la création de nouveaux postes, est bien insuffisante pour rassurer les maires et les élus des départements. Ceux-ci attendent, comme nous, des crédits pour répondre à l’urgence, mais aussi le dépôt de la loi de programmation prévue dans la loi portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l’autonomie, dite loi Bien vieillir, adoptée l’an passé.
Les professionnels de santé qui exercent dans nos hôpitaux nous disent qu’ils sont épuisés physiquement et moralement. Aucune perspective ne se dessine au terme de laquelle seraient garantis des ratios adaptés à une bonne prise en charge entre le nombre des soignants et celui des patients.
En raison du manque d’investissement dans notre service public de santé, celui-ci se financiarise : les soins coûtent toujours plus cher, au détriment de la qualité du service aux patients.
Notre système de santé publique s’effondre sous nos yeux : délais d’attente qui s’allongent pour les rendez-vous, prises en charge tardives, trajets à rallonge, alors que les services de proximité ferment.
Madame la ministre de la santé, vous êtes aussi chargée de l’accès aux soins. Le coup de rabot que vous assénez dans le PLFSS pour 2025 ne met-il pas à mal le principe même de notre sécurité sociale, selon lequel chacun doit contribuer en fonction de ses moyens et bénéficier en fonction de ses besoins ? Et que répondez-vous au cri d’alarme des soignants et des patients, que nous relayons au nom des élus locaux et des citoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, je trouve vos propos quelque peu excessifs… (Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. Franck Montaugé. Ils traduisent la réalité !
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. En effet, l’Ondam augmentera en 2025 de 9 milliards d’euros, ce qui représente une progression considérable. Et depuis 2019, la hausse est de 60 milliards d’euros.
Chaque année, les orientations sur les dépenses de santé prévoient une hausse des crédits, et c’est encore le cas en 2025. L’Ondam hospitalier, quant à lui, se situera autour de 109 milliards d’euros, alors qu’il était de 80 milliards d’euros en 2017.
Nous avons progressivement augmenté toutes les dépenses de santé, non pour le plaisir, mais pour faire face aux besoins liés notamment au vieillissement et au développement des maladies chroniques et de longue durée. Les besoins de santé des Français augmentent, et il est logique que nous travaillions à les satisfaire.
Vous avez parlé de l’accès aux soins. C’est pour moi une priorité, aussi bien à l’hôpital qu’en médecine de ville et dans toute l’organisation qui se met en place progressivement depuis quelques années autour des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et des services d’accès aux soins (SAS).
Nous sommes en train de construire toute une architecture, qui est budgétée dans l’Ondam. Elle vise à garantir un accès aux soins de premier recours, l’accès aux soins de deuxième recours étant assuré à l’hôpital grâce aux consultations de spécialistes.
Non, il n’y a pas de coup de rabot sur l’Ondam.
Mme Émilienne Poumirol. Mais les personnels se mobilisent !
M. Mickaël Vallet. Cela couvre l’inflation, et c’est tout !
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. Il nous appartient d’utiliser cet argent le mieux possible, au service de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour la réplique.
Mme Annie Le Houerou. Non, madame la ministre, tout ne va pas si bien !
Le service public de la santé a besoin de perspectives pour être attractif. Un plan d’urgence et une loi de programmation pour l’hôpital public et le secteur médico-social sont nécessaires.
Au lieu de cela, le Gouvernement préfère faire payer ceux qui contribuent au service public, en ciblant d’abord les fonctionnaires, qu’ils travaillent à l’hôpital ou ailleurs, en mettant les retraités à contribution et en précarisant les étudiants et les plus vulnérables, qui n’auront pas les moyens de payer une assurance privée. Et votre PLFSS ne prévoit rien non plus pour la santé mentale ni pour la prévention. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
fusion des aides aux collectivités
M. le président. La parole est à M. Laurent Somon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Laurent Somon. Madame la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, M. le Premier ministre nous a demandé de faire beaucoup avec peu et en partant de presque rien, sinon l’héritage d’un large endettement. Le défi est colossal, mais il n’est pas seulement d’ordre financier si l’on veut parvenir aux fins que nous nous assignons : assurer le désendettement de notre pays sans obérer ni son attractivité ni sa croissance, et sans oublier les plus fragiles.
Compte tenu de ces exigences, le soutien aux collectivités, qui sont des acteurs de proximité et qui dispensent des services du quotidien, revêt une importance capitale.
Elles représentent seulement 8 % de l’endettement et 60 % de l’investissement public en France. Si l’on veut, dans l’intérêt de ce dernier, leur permettre de garder une épargne brute suffisante et éviter le recours à un endettement plus important, l’aide de l’État est nécessaire : elle passe par la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) et par le fonds vert, même s’il a été annoncé que ses crédits diminueront.
Lors des crises précédentes, telles que la crise de la covid-19, la hausse de l’inflation ou des situations particulières comme la reconstruction de Notre-Dame de Paris, le Gouvernement a su trouver les voies et moyens pour accélérer les investissements et relancer la commande publique, notamment grâce à une réduction des normes et à une simplification du circuit de décision. Voilà une méthode qui mériterait d’être reproduite dans les circonstances que nous connaissons.
Comme l’indiquait déjà la Cour des comptes dans un rapport de 2021, il est nécessaire de « simplifier le paysage des collectivités et des administrations publiques, les procédures et les normes, et de mieux évaluer et contrôler ».
L’architecture définie par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) repose sur des programmes verticaux conçus pour mettre en œuvre des politiques nationales, qui s’appuient sur les moyens inscrits dans des programmes ; on peut citer les actions en faveur de la transition écologique ou de la politique de la ville, les programmes Action cœur de ville ou encore Villages d’avenir.
Cependant, comme le soulignaient Charles Guené et Claude Raynal dans leur rapport d’information Entre contraintes budgétaires et priorités de l’État : quel rôle des dotations d’investissement pour les collectivités territoriales ?, paru en juillet 2022, cette architecture présente des contraintes pour la mise en œuvre de la décentralisation des crédits budgétaires dans une perspective territoriale.
La fongibilité des dotations d’investissement en une seule enveloppe à disposition des services déconcentrés de l’État au niveau départemental permettrait de soutenir l’investissement, ce qui constitue une urgence : les mises en chantier seraient accélérées, ce qui serait profitable aux entreprises locales et à l’emploi.
Madame la ministre, envisagez-vous également de faire plus vite avec moins en partant d’une nouvelle organisation des moyens de l’État dans les territoires ? Et si oui, laquelle ?
Êtes-vous favorable à la suppression des agences surnuméraires et à la fongibilité des fonds d’investissement, afin que la ventilation des crédits soit accélérée, au plus près des territoires, en lien avec les élus locaux, et devienne plus souple pour les services déconcentrés de l’État chargés de leur gestion ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation.
Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Laurent Somon, je vous remercie de votre question, qui montre bien la nécessité d’un accompagnement des collectivités locales.
Vous avez bien voulu rappeler l’importance des dotations de l’État, mais je voudrais tout d’abord préciser, en ce qui concerne le fonds vert, qu’il est essentiel de prendre en compte la consommation des crédits : en 2023, celle-ci s’est élevée à 1,7 milliard d’euros, et il ne sera pas possible d’atteindre en 2024 l’enveloppe de 2,4 milliards d’euros qui était prévue, en raison du gel de crédits opéré en début d’année.
Pour 2025, il sera très important, quand nous travaillerons sur ces sujets, de partir du montant effectivement consommé en 2024, car c’est cette réalité qui est à la base de la confiance entre les acteurs locaux, d’une part, et l’État, d’autre part.
Ensuite, en ce qui concerne la simplification, je souscris tout à fait à vos propos : il est compliqué, notamment pour un maire rural, de monter un dossier, que ce soit pour la DSIL, la DETR ou le fonds vert.
Pour autant, on ne peut pas changer tout cela du jour au lendemain. Je souhaite travailler avec l’ensemble des associations d’élus, sur la base du rapport Ravignon, qui a notamment mis en avant les difficultés liées au surcroît de normes. Décidons ensemble ce qui doit être supprimé, envisageons la norme comme un coût plus que comme un gain et transformons les conclusions ce rapport en réalité !
C’est ainsi que nous pourrons dégager les marges de manœuvre qui nous permettront de mieux accompagner les élus partout sur le territoire. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je suis heureux de saluer en votre nom la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation du groupe d’amitié Allemagne-France du Bundesrat, conduite par la présidente du groupe d’amitié, Mme Anke Rehlinger, qui sera présidente de cette assemblée à compter de vendredi prochain – nous lui souhaitons le meilleur dans ses fonctions ! (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent.)
La délégation est accompagnée par notre collègue Ronan Le Gleut, président du groupe interparlementaire d’amitié France-Allemagne. (Applaudissements.)
Par leur dialogue régulier, le Sénat et le Bundesrat apportent une contribution importante à la relation entre la France et l’Allemagne, ainsi qu’au lien de nos deux pays avec la Pologne dans le cadre du triangle de Weimar des secondes chambres.
Cette rencontre fait suite à la visite de la présidente du Bundesrat, Mme Manuela Schwesig, au mois de mai dernier. Nous nous sommes rendus ensemble aux célébrations du 79e anniversaire de la victoire du 8 mai 1945, ainsi qu’au mémorial de la Shoah ; ce fut un moment particulièrement fort.
J’ai moi-même été invité à prendre la parole à Bonn devant le Président de la République fédérale et les ministres-présidents des Länder. C’était le 7 septembre dernier, à l’occasion du 75e anniversaire du Bundesrat, dans l’enceinte où a été adoptée la Loi fondamentale allemande et où s’est tenue la première session de la Chambre haute.
Ce moment de commémoration était également tourné vers l’avenir, pour réaffirmer notre ancrage européen commun et, plus que jamais, la pertinence du couple franco-allemand.
Pour prolonger cet élan, les commissions des affaires européennes de nos deux chambres ont tenu des réunions conjointes à Stuttgart et à Strasbourg.
À l’agenda des discussions de cette rencontre, nos groupes d’amitié ont retenu plusieurs sujets d’actualité, dont les frontières et l’immigration, ou encore la coopération en matière d’intelligence artificielle – autant de défis d’intérêt commun. Nous réfléchissons par ailleurs au développement de nouveaux partenariats décentralisés innovants.
Permettez-moi, madame la présidente, chère Anke Rehlinger, de vous dire combien je me réjouis de nos rencontres à venir. (Applaudissements.)
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Questions d’actualité au Gouvernement (suite)
M. le président. Nous reprenons les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
taux de mercure dans les boîtes de thon
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
Mme Élisabeth Doineau. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État, chargée de la consommation.
Depuis quelques jours, nous sommes tous inquiets, en tant que consommateurs, des résultats d’une enquête menée par une ONG sur le mercure qui serait très présent dans le thon. En moyenne, nous consommons environ 4,9 kilogrammes de thon par individu et par an.
Qui n’a jamais ouvert une boîte de thon ? (Sourires.) En tout cas, l’ONG Bloom a ouvert 148 boîtes de thon de marques différentes dans cinq pays. Nous savions déjà que le méthylmercure, un dérivé du mercure, était présent dans les océans, si bien que le premier résultat de cette enquête n’est pas surprenant : 100 % des boîtes en contenaient !
Cependant, il est important de le noter, dans 57 % de ces boîtes, la teneur en mercure est supérieure à celle qui est autorisée pour les autres poissons. De plus, une boîte sur dix excède les valeurs limites fixées pour le thon frais.
Le mercure, notamment ce dérivé, est un métal très toxique, classé cancérigène par le Centre international de recherche sur le cancer. Il peut créer des problèmes rénaux, cardiovasculaires ou immunitaires. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) indique également que sa présence chez la femme enceinte expose le fœtus à des effets préjudiciables, notamment pour ce qui concerne son cerveau et son système nerveux en développement.
La dangerosité n’est donc plus à prouver. Il faut protéger les consommateurs.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Élisabeth Doineau. Aussi, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État, chargée de la consommation.
Mme Laurence Garnier, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargée de la consommation. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, qui, à la suite de la publication d’une enquête par deux associations – Bloom et Foodwatch –, relaie un certain nombre de préoccupations des consommateurs français.
Je voulais tout d’abord excuser ma collègue ministre de l’agriculture, Annie Genevard, qui a la charge de ces sujets et qui, dès cette publication, a pris le dossier à bras-le-corps.
Dans la question que vous soulevez, il y a en réalité deux problèmes.
Tout d’abord, celui des contrôles sanitaires qui sont réalisés par les services du ministère de l’agriculture. Ces derniers vérifient que le danger est bien pris en compte par les plans de maîtrise sanitaire des exploitants, que des autocontrôles sont réalisés et que toutes les mesures de correction sont mises en œuvre lorsque l’on constate des taux supérieurs à la réglementation.
Ensuite, se pose le problème de la réglementation. Il est important de rappeler que les teneurs maximales en mercure sont fixées par une réglementation à l’échelle européenne. Elles sont déterminées de manière à assurer la sécurité des denrées alimentaires qui sont mises sur le marché.
Ces teneurs maximales sont fixées en fonction d’une base de données qui sont régulièrement suivies et évaluées par l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Rappelons aussi que ces taux sont spécifiques à chaque espèce de poisson.
Le Gouvernement sera attentif aux deux aspects que je viens d’évoquer : les contrôles et la réglementation.
À ce stade, madame la sénatrice, nous attendons que les deux ONG nous communiquent de manière détaillée les éléments de leur enquête. Nous porterons alors le sujet plus loin, s’il y a lieu, en particulier au niveau européen.
Soyez en tout cas assurée de la mobilisation totale du Gouvernement sur ce sujet.
simplification et réduction du nombre d’agences de l’état
M. le président. La parole est à Mme Pauline Martin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pauline Martin. Ma question s’adresse à M. le ministre de la fonction publique, de la simplification et de la transformation de l’action publique.
Monsieur le ministre, quel bonheur de prendre la parole et d’avoir quasiment l’assurance de faire l’unanimité au sein de cette noble assemblée !
Ademe, Anact, ANA, ANCT, Anru, ANSP, Anses, agences de l’eau, Afpa, Arec, ARS, EPF, IGN, Inspé, OFB et autres comités Théodule… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) On en décompte entre 438 et 1 200 ! C’est dire si les gouvernements successifs s’en sont désintéressés.
Ces organismes emploieraient plus de 450 000 personnes et coûteraient plus de 80 milliards d’euros en 2023, contre 50 milliards d’euros en 2012, soit une augmentation trois fois plus rapide que l’inflation (Protestations sur les travées du groupe SER.), tout en excellant dans l’engraissement des cabinets d’études. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Il y a un véritable engouement pour les agences ! Et cela vaut aussi pour les collectivités, friandes de GIP, de SEM ou d’agences de développement qui se concurrencent.
« Réfléchir aux agences, c’est réfléchir à l’État », nous disaient les auteurs du rapport annuel du Conseil d’État en 2012. Douze ans plus tard, réfléchir ne suffit plus.
Au moins cinq agences sont chargées de l’agriculture et de l’alimentation. Dans le domaine de la biodiversité et de l’environnement, ces entités opèrent souvent indépendamment, mais sur les mêmes sujets. Et j’en passe !
Mes collègues qui sont noyés dans les acronymes reconnaîtront peut-être le Cerema, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, au cahier des charges improbable, coûteux et inapplicable. (Nouvelles exclamations.)
À l’heure où votre ministère fait naître une lueur d’espoir – j’insiste sur l’effectivité de la simplification et de la transformation de l’action publique –, il est nécessaire, indispensable et urgent qu’un état des lieux soit réalisé, afin de rationaliser et de regrouper cette débauche de bonne volonté.
À l’aune d’une stricte sobriété budgétaire et d’un énième projet de loi de simplification, nous avons bien entendu vos engagements et ceux du Premier ministre.
Aussi, monsieur le ministre, quelle est votre capacité à faire bouger les lignes, et dans quel délai ? Lorsqu’il y a une volonté, il y a un chemin. Quel est le vôtre ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la fonction publique, de la simplification et de la transformation de l’action publique.
M. Guillaume Kasbarian, ministre de la fonction publique, de la simplification et de la transformation de l’action publique. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, qui me permet de saluer le travail de tous les sénateurs sur la question de la simplification administrative.
Il y a quelques jours, vous avez voté, à une large majorité, le projet de loi de simplification de la vie économique. C’est un texte intéressant, qui a vocation à être examiné rapidement à l’Assemblée nationale. Il contient notamment une disposition permettant d’aller plus loin pour supprimer des comités.
Je soutiens pleinement l’objectif de rationalisation pour les différents comités existants – on les appelle parfois « comités Théodule » –,…
M. Didier Marie. L’Ademe n’est pas un comité !
M. Guillaume Kasbarian, ministre. … mais aussi pour les agences. Le Premier ministre a pris des engagements pour diminuer de 10 % le nombre d’opérateurs et d’agences dans les quatre ans qui viennent.
M. Hussein Bourgi. Ils seront remplacés par McKinsey !
M. Guillaume Kasbarian, ministre. Je vois, madame la sénatrice, que vous voulez aller plus loin, mais soyons conscients que cet exercice n’est pas nouveau et qu’il doit être mené de manière continue.
La loi de 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi Asap, dont j’étais le rapporteur, prévoyait déjà bien des mesures : la fusion du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle et du Haut Conseil de l’égalité, la suppression du Conseil supérieur de la mutualité, du Conseil stratégique de la recherche, de la commission chargée d’apprécier l’aptitude à exercer les fonctions d’inspecteur général, du comité national de la gestion des risques en forêt, de l’observatoire des récidives, etc.
Mme Audrey Linkenheld. Tout ça ne fait pas une politique publique…
M. Guillaume Kasbarian, ministre. Il s’agit d’un travail continu. Madame la sénatrice, vous pouvez compter sur l’ensemble du Gouvernement pour être à vos côtés dans votre ambition d’aller le plus loin possible dans la rationalisation des entités de l’État. Nous avons besoin de donner de la clarté à l’action publique, aussi bien au niveau national qu’au niveau local.
Nous serons donc pleinement mobilisés pour aller le plus loin possible dans le projet de loi que j’ai mentionné, mais aussi par voie réglementaire, avec pour objectif de simplifier la vie des Françaises et des Français. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
accords commerciaux extérieurs
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Serge Mérillou. Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée, chargée du commerce extérieur et des Français de l’étranger.
L’accord entre l’Union européenne et le Mercosur implique des centaines de milliers de tonnes de viande bovine, de volaille, de maïs, de sucre, tout cela produit avec des substances phytosanitaires interdites chez nous et moyennant une déforestation massive, un dumping social et un non-respect de nos critères de qualité. Autant de raisons de redouter cet accord, qui pourrait être entériné dès novembre prochain.
En France, ce traité suscite une opposition quasi unanime depuis 1999. Il menace notre économie agricole déjà fragile, notre souveraineté alimentaire et nos principes environnementaux. Sans réciprocité, sans clauses miroirs environnementales et sanitaires, les conséquences seraient désastreuses pour une agriculture française en détresse.
Notre pays doit se faire entendre. Nos agriculteurs ne peuvent payer le prix de l’affaiblissement du Président de la République sur la scène internationale ! Un fonds d’indemnisation, sorte de cache-misère, ne réglera rien. La France ne peut accepter les manigances de la Commission européenne, qui tente de scinder cet accord pour faciliter son adoption.
Aussi, quelles mesures comptez-vous prendre pour faire entendre la voix de la France ? Le Gouvernement usera-t-il de son droit de veto pour s’opposer à cet accord ? Comptez-vous lancer le débat au Parlement comme le demandait mon collègue Jean-Claude Tissot en janvier dernier, et dans quel délai ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée, chargée du commerce extérieur et des Français de l’étranger.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée du commerce extérieur et des Français de l’étranger. Monsieur le sénateur Serge Mérillou, c’est la quatrième fois que je réponds à cette question sur l’accord avec le Mercosur ; je le fais avec beaucoup de détermination et de respect tant ce sujet préoccupe l’ensemble des parlementaires.
Nous sommes déterminés à ne pas accepter cet accord dans les conditions actuelles, parce qu’il ne remplit pas les conditions que nous avons posées : respect de l’accord de Paris, lutte contre la déforestation, cohérence avec la nouvelle politique de l’Union européenne en matière de développement durable et de relations commerciales.
La déforestation est un sujet très important pour nous : il serait paradoxal que le règlement communautaire qui vient d’être approuvé et qui entrera en vigueur à partir de la fin 2025 ne soit pas applicable à l’accord avec le Mercosur.
Ce texte doit respecter la parole et la compétence des États et ne pas être scindé en deux. Pour y parvenir, nous avons besoin d’une expression forte de tous les parlementaires, que ce soit à l’Assemblée nationale, au Sénat ou au Parlement européen.
Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour multiplier les contacts avec nos homologues européens. Je reviens du Brésil, où j’ai rencontré à la fois mes collègues européens et ceux des États du Mercosur, pour expliquer avec humilité, mais détermination, la position de la France et les raisons pour lesquelles notre pays s’oppose à cet accord.
Nous aurons besoin, le cas échéant, du soutien des parlementaires comme de celui de la société civile. Comme je l’ai mentionné précédemment, les agriculteurs européens et les ONG doivent se mobiliser pour qu’ensemble nous nous opposions à cet accord. C’est une question de citoyenneté !
Vous le voyez, nous avons un plan qui mobilise tout le monde et nous vous demandons votre soutien. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, pour la réplique.
M. Serge Mérillou. Madame la ministre, ouvrez le débat au Sénat, engagez la France dans la négociation d’accords bilatéraux intégrant les questions de changement climatique et de durabilité des modes de production ! Les relations commerciales doivent respecter le principe gagnant-gagnant.
Surtout, ne ratifiez pas l’accord avec le Mercosur, ne sacrifiez pas ces filières sur l’autel d’un libre-échange dérégulé ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Éric Bocquet et Jacques Fernique applaudissent également.)
port du voile dans le sport
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Ma question s’adresse à M. le ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative.
Des experts indépendants de l’ONU ont récemment considéré que l’interdiction du port du hijab dans les compétitions sportives en France était discriminatoire et devait être annulée.
Outre que ces mêmes experts n’évoquent jamais l’emprise religieuse pouvant peser sur les jeunes femmes musulmanes qu’ils entendent protéger, une telle exigence va évidemment à l’encontre de nos principes républicains, en premier lieu la neutralité et la laïcité, ces fruits de notre histoire ayant abouti à la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État.
En juin dernier, votre prédécesseure, monsieur le ministre, rappelait que le port de signes ou de tenues à caractère religieux était proscrit pour les athlètes de l’équipe de France participant aux jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, en cohérence avec la règle 50 de la Charte olympique.
Un an plus tôt, le Conseil d’État avait jugé que les règlements des fédérations de football et de basket-ball relatifs à la neutralité vestimentaire au niveau amateur étaient proportionnés et adaptés au contexte sportif.
On le voit, un important édifice juridique a été bâti dans notre pays, mais une consolidation s’impose face à la multiplication des faits communautaires et des dérives séparatistes.
Dans cet état d’esprit, en tant que rapporteur de la proposition de loi, déposée par Michel Savin, visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport, j’ai soutenu la démarche conduisant à étendre cette interdiction aux compétitions départementales, régionales et nationales. Mais l’examen de cette proposition de loi a été interrompu par la dissolution.
Monsieur le ministre, comptez-vous réaffirmer les propos du Premier ministre, qui, dans son discours de politique générale, indiquait qu’il n’y aurait « aucun accommodement sur la défense de la laïcité » ? Et comment prévenir toute remise en cause de ce principe fondamental, y compris par des experts déconnectés des fondements de notre République ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative.
M. Gil Avérous, ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le sénateur, la loi de 1905 prévoit un principe de neutralité, qui se traduit par l’interdiction de manifester des convictions et opinions religieuses pour les agents de l’État, des collectivités et de toutes les personnes morales chargées d’une mission de service public.
Le Conseil d’État, dont la jurisprudence fait évidemment foi dans notre pays, reconnaît que les fédérations sportives délégataires sont chargées d’une mission de service public et que, à ce titre, les équipes de France et les agents des fédérations participent à l’exécution du service public et sont donc soumis au principe de neutralité.
Concernant les compétitions internationales, telles que les jeux Olympiques et Paralympiques, chaque fédération internationale est chargée de fixer les règles qui s’appliquent aux disciplines relevant de sa compétence.
En France, s’agissant des membres des équipes nationales, nous restons attachés à l’application stricte du principe de neutralité.
Pour la pratique hors équipe de France, il revient à chaque fédération de déterminer, via son règlement et sous le contrôle du ministère, les spécificités de sa discipline et les règles qui régissent ses compétitions et ses manifestations. Certaines fédérations ont fait le choix, dans des conditions limitées et pour certaines compétitions, d’adopter des règlements limitant le port de signes politiques et religieux.
S’agissant des autres licenciés, les règlements fédéraux de la Fédération française de basket-ball et de la Fédération française de football sont conformes à notre cadre juridique.
C’est ce qu’a jugé le Conseil d’État dans sa décision du 29 juin 2024, dans laquelle il a confirmé qu’il était adapté et proportionné, pour les fédérations sportives, de prévoir, pour le bon déroulement des compétitions et manifestations qu’elles organisent ou autorisent, l’interdiction du port de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse.
En l’état du droit, il revient donc aujourd’hui aux fédérations de déterminer au regard de leur situation spécifique les règles nécessaires pour faire primer les principes de la République sur toute autre considération.
Je proposerai donc qu’un travail soit engagé avec les acteurs institutionnels et le mouvement sportif, afin d’examiner les suites qu’il serait souhaitable de donner à la proposition de loi que vous avez évoquée visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport.
intempéries dans le var
M. le président. La parole est à Mme Françoise Dumont, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Dumont. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques.
Madame la ministre, plusieurs événements climatiques ont récemment frappé la France, laissant de nombreuses victimes et beaucoup de dégâts derrière eux. Dans le département du Var, dont je suis élue, la situation a été très difficile ce week-end. Plus de vingt-cinq communes ont été affectées, plusieurs centaines d’habitations et de commerces ont été touchés et plus de cinq cents foyers ont été temporairement privés d’électricité dans l’ensemble du département, en particulier à Saint-Raphaël.
Le vendredi 25 octobre dernier, M. le Premier ministre a annoncé le déblocage, en 2025, de 75 millions d’euros pour le fonds Barnier, portant ainsi ce dernier à 300 millions d’euros, tout en rappelant que nous devons faire face à une situation d’extrême urgence sur le plan budgétaire.
Madame la ministre, il arrive souvent que les lois environnementales ne prennent pas en compte la réalité du terrain. Or, pour limiter les dégâts et les risques pour les personnes, il faut faire plus en matière de prévention et d’anticipation du risque.
Nous savons le faire, mais les contraintes législatives et normatives empêchent souvent la pleine réussite de ces projets. Ce qui vise à la survie de l’homme doit être priorisé. Voilà le cap qui devrait nous inspirer, nous, le législateur, et vous, le Gouvernement.
Madame la ministre, sur quelle base avez-vous fixé la somme de 75 millions d’euros ? Seriez-vous prête à en augmenter le montant, si le coût des dégâts était finalement bien supérieur, comme on peut s’y attendre ? Envisageriez-vous d’assouplir les règles d’accès au fonds Barnier, afin de répondre à la répétition des événements dans certains territoires ?
Quelles mesures de simplification entendez-vous mettre en place pour permettre aux élus locaux de faire davantage de prévention en matière de gestion des cours d’eau et des forêts, pour mettre enfin la protection des humains au centre des priorités ?
Peut-on envisager, enfin, la départementalisation des Dreal (directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement) pour certains territoires concernés par les risques d’incendie et d’inondation ? Cela a été demandé par des préfets pour assurer une gestion au plus près du terrain. Ce sujet me paraît majeur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation.
Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser ma collègue Agnès Pannier-Runacher, qui représente actuellement la France à la COP16 sur la biodiversité de Cali.
Je tiens tout d’abord à apporter le soutien du Gouvernement à tous les sinistrés et à adresser nos remerciements aux services mobilisés, ainsi qu’aux élus locaux.
Je sais combien leur engagement est précieux lors du type d’événement que vous avez évoqué. Au cours du mois d’octobre, la France a connu des événements climatiques graves chaque semaine, et les élus ont toujours été présents pour répondre aux besoins de nos concitoyens.
Le Premier ministre a présenté à Lyon, la semaine dernière, le troisième plan national d’adaptation au changement climatique. Ce document comporte plusieurs éléments clés.
Premièrement, c’est un plan systémique. Comme nous l’avons tous compris, le changement climatique est désormais une réalité. Nous devons planifier et accélérer les changements, notamment pour protéger les populations.
Deuxièmement, c’est un plan ciblé et opérationnel, qui contient 51 mesures. Vous me demandez si nous pouvons aller plus loin financièrement. Je rappelle, madame la sénatrice, que les 75 millions d’euros que le Gouvernement a dégagés sont des crédits supplémentaires, ce qui est significatif dans le contexte budgétaire actuel.
Troisièmement, la priorité est donnée au fonds vert et à l’accompagnement des collectivités via la mission d’adaptation. Ce plan est fédérateur.
En ce qui concerne la départementalisation que vous évoquez à propos des Dreal – nous pourrions aussi parler de l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie –, cette proposition mérite d’être examinée, madame la sénatrice. Travaillons ensemble pour apporter les réponses les plus efficaces possible !
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mercredi 6 novembre, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Candidature à une délégation sénatoriale
Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la délégation sénatoriale aux entreprises a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
7
Prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein par l’assurance maladie (proposition n° 653 [2023-2024], texte de la commission n° 67, rapport n° 66).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et de l’égalité entre les femmes et les hommes, chargée de la famille et de la petite enfance. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes rassemblés cet après-midi afin d’examiner la proposition de loi visant la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein par l’assurance maladie, adoptée par l’Assemblée nationale le 16 avril 2024.
Je remercie la ministre Geneviève Darrieussecq de son implication sur ce sujet. Actuellement retenue à l’Assemblée nationale pour l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), elle vous prie de bien vouloir excuser son absence.
En France, le nombre de nouveaux cas de cancers détectés est estimé à 1 200 par jour sur une année. Un Français sur vingt est concerné, soit deux fois plus qu’il y a trente ans.
Les cancers représentent aujourd’hui la première cause de décès prématurés en France, la première cause chez l’homme et la deuxième chez la femme, les cancers les plus fréquents étant ceux de la prostate, du sein, du côlon-rectum et du poumon.
En France, une femme sur huit développe un cancer du sein au cours de sa vie. En 2023, près de 61 000 nouveaux cas ont été détectés. Il s’agit du premier cancer chez les femmes, mais également le premier tous types de cancers confondus. En 2021, 12 600 décès ont été enregistrés. Il s’agit de la première cause de décès par cancer, même si le nombre de décès a connu une baisse de 1,3 % par an entre 2011 et 2021.
Dans la majorité des cas, le développement d’un cancer du sein prend plusieurs mois ; lorsqu’il est détecté tôt, il peut être guéri dans neuf cas sur dix et les séquelles peuvent être réduites.
Trois programmes de dépistage organisé ont été mis en œuvre, avec des tests et des examens gratuits pour les cancers localisés. Ainsi, chaque année, 9 millions de dépistages des cancers sont réalisés en France. Le Gouvernement souhaite poursuivre dans ce sens, car dépister précocement, c’est augmenter considérablement les chances de guérison.
Il faut rappeler à toutes les femmes qu’il est crucial qu’elles participent aux programmes de dépistage. Pour ce qui concerne le cancer du sein, il leur est recommandé de faire un dépistage, pris en charge à 100 % par l’assurance maladie, à partir de 50 ans, tous les deux ans.
Vous le savez, certaines femmes présentent un risque plus élevé que d’autres de développer un cancer du sein, du fait d’antécédents familiaux ou personnels. Pour ces femmes, des modalités spécifiques de dépistage ont été définies par la Haute Autorité de santé (HAS), comme des mammographies à fréquence plus rapprochée.
Ces mesures font partie des plans Cancer, pour lesquels l’État a mobilisé depuis 2004 des moyens considérables afin de réduire significativement le poids des cancers dans le quotidien des Français. La stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030 a apporté de nouveaux moyens budgétaires.
Cette stratégie fixe des objectifs inédits et évolutifs : diminuer de 60 000 par an le nombre de cancers évitables à l’horizon de 2040 ; réaliser 1 million de dépistages supplémentaires d’ici à 2025 ; réduire de deux tiers à un tiers la part des patientes souffrant de séquelles cinq ans après un diagnostic ; améliorer significativement le taux de survie des cancers de plus mauvais pronostic d’ici à 2030 ; mieux accompagner les conséquences des cancers et des traitements sur la qualité de vie des personnes en minimisant les séquelles.
Et les résultats sont là : plus de trois quarts des actions prévues dans la feuille de route 2021-2025, financée à hauteur de 1,7 milliard d’euros, commencent à porter leurs fruits.
Le cancer du sein est au cœur de cette stratégie. L’objectif est de favoriser une détection précoce et ainsi de mieux prendre en charge et d’augmenter les chances de guérison, d’améliorer l’efficacité et la rapidité du parcours de dépistage, grâce à la mise à niveau du parc de mammographes, tout en facilitant le développement d’outils innovants.
De nombreuses actions de prévention sont aussi menées – elles sont particulièrement visibles en ce mois d’Octobre rose. Près de 20 000 cancers du sein pourraient être évités chaque année ; aussi notre action pour la prévention est-elle indispensable : c’est une priorité du Gouvernement.
L’assurance maladie, les agences régionales de santé (ARS) et les centres régionaux de coordination des dépistages des cancers (CRCDC) se mobilisent avec divers partenaires de terrain pour proposer à toutes les femmes éligibles de réaliser un dépistage du cancer du sein.
La présente proposition de loi prévoit la prise en charge, dans leur intégralité, des soins liés au traitement du cancer du sein par l’assurance maladie ainsi que de l’ensemble des soins et dispositifs prescrits, dont certains soins de support.
Nous comprenons et nous partageons les intentions de ses auteurs, mais nous appelons à mesurer les implications de la mise en œuvre de ce texte. Son adoption en l’état conduirait ainsi à rendre inapplicables le forfait journalier hospitalier, le ticket modérateur, la participation forfaitaire et les franchises sur les soins consécutifs à un cancer du sein ou à un parcours de soins global. De même, elle entraînerait la mise en place d’un régime différencié pour une pathologie spécifique, ce qui remettrait en cause un principe fondamental, celui de l’équité de notre système de santé. L’exonération totale des frais de santé pour les patientes atteintes d’un cancer du sein pourrait entraîner une rupture d’égalité entre les patientes atteintes de cette pathologie et ceux qui souffrent d’autres maladies, y compris d’autres cancers. Notre système de santé doit continuer d’être équitable et indifférencié.
Le président Mouiller a déposé un amendement à l’article 1er, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir, qui vise à limiter largement un tel risque de rupture d’égalité.
Ce texte pose également d’autres problèmes, notamment en termes de faisabilité technique. En outre, il aurait pour effet de créer des effets de bord sur les autres cancers et les autres affections de longue durée (ALD).
Je le rappelle, notre système actuel de prise en charge du cancer du sein vise d’ores et déjà à limiter le reste à charge pour les patientes.
Le cancer du sein est reconnu comme une affection de longue durée. Ce statut permet une prise en charge à 100 % du ticket modérateur par l’assurance maladie pour tous les soins en lien avec cette ALD, selon le tarif de remboursement fixé par la sécurité sociale.
Les patientes bénéficient également d’une dispense d’avance de frais, à l’exception des dépassements d’honoraires, qui peuvent être pris en charge par les complémentaires santé.
Nous réaffirmons notre volonté de plafonner les dépassements d’honoraires pour toutes les consultations ou interventions prévues dans le parcours de soins des patientes traitées pour un cancer du sein. Tel est l’objet de l’article 1er bis, que nous soutenons.
De plus, deux mécanismes protecteurs existent aujourd’hui pour limiter les restes à charge des personnes en ALD devant s’acquitter des participations forfaitaires et des franchises : le plafonnement annuel à 50 euros et une exonération de ces frais pour les personnes les plus précaires, bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (C2S).
Les organismes complémentaires peuvent prendre en charge, pour les assurés couverts par un contrat responsable, le forfait journalier hospitalier, qui s’élève à 20 euros par jour en hôpital ou en clinique et à 15 euros par jour dans le service de psychiatrie d’un établissement de santé, ce qui représente plus de 95 % des contrats.
La prise en charge intégrale des prothèses capillaires, dans un panier de soins défini, est en cours de mise en œuvre. Pour favoriser l’équité en termes d’équipement et d’accès à des soins adaptés, des travaux sur l’application réglementaire des dispositions prévues en loi de financement de la sécurité sociale sont actuellement menés. L’objectif est d’améliorer les spécifications techniques des produits et de permettre ainsi une meilleure qualité, un meilleur confort et de réduire le reste à charge.
Enfin, un forfait de 180 euros permet de prendre en charge des bilans diététiques, fonctionnels, motivationnels ou encore des consultations psychologiques, dans le cadre du parcours de soins des patients traités pour un cancer.
Afin d’apporter une réponse globale aux femmes touchées par un cancer du sein, nous avons déposé un amendement visant à avancer le parcours post-cancer à la phase de traitement actif, quand cette prise en charge n’est possible aujourd’hui qu’en phase de rémission.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous reconnaissons les difficultés spécifiques auxquelles font face les patientes atteintes d’un cancer du sein, mais cette proposition de loi, si elle était adoptée en l’état, entraînerait des inégalités injustifiées.
En revanche, et le Gouvernement est engagé en ce sens, nous devons continuer de travailler à des solutions équitables pour tous les patients atteints de maladies graves. Il s’agit de mieux prévenir la maladie et de la diagnostiquer plus tôt, de mieux accompagner et de mieux prendre en charge les patientes. Nous devons également soutenir le développement d’innovations thérapeutiques afin notamment d’améliorer le pronostic de ces maladies. Notre action doit être globale si nous voulons améliorer le bien-être des patientes et favoriser leur guérison.
Aussi, le Gouvernement émettra aujourd’hui un avis de sagesse positive sur cette proposition de loi, compte tenu des adaptations qu’il faudrait y apporter au cours de la navette parlementaire et de l’importance du sujet. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, selon la Ligue contre le cancer, le montant du reste à charge des patientes atteintes d’un cancer du sein varie en moyenne entre 1 500 et 2 300 euros. Cette pathologie figure parmi les plus coûteuses pour les assurées. De tous les cancers, il est celui qui expose le plus souvent à un reste à charge.
Il s’agit en outre du cancer féminin le plus répandu : on estime qu’une femme sur huit sera touchée par cette maladie au cours de sa vie. En 2023, 700 000 femmes vivaient en France avec un cancer du sein, traité ou en traitement, ce nombre étant en constante augmentation.
Si le vieillissement de la population en est l’un des premiers facteurs – 80 % des cancers se développent après 50 ans –, il faut également prendre en considération l’exposition accrue à des agents cancérogènes dans l’alimentation et l’environnement, qui pourraient expliquer notamment la forte incidence du cancer du sein dans les Antilles.
Cet exemple démontre que les femmes ne sont pas égales face au risque du cancer et que leur exposition varie selon leur lieu de vie, mais également, et c’est un facteur particulièrement important, selon leurs conditions de travail. L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a ainsi récemment mis en lumière que le travail de nuit augmentait de 30 % le risque d’avoir un cancer du sein.
Si certaines formes de cancers du sein, à l’instar des triples négatifs, sont associées à des pronostics plus défavorables, le taux de survie moyen atteint 90 % pour les cas pris en charge à temps.
C’est l’occasion pour moi de rappeler l’importance déterminante du dépistage et de saluer la campagne Octobre rose, qui a déjà permis de sauver de nombreuses vies et qui permettra d’en sauver encore tant d’autres. À cet égard, je me réjouis de vous voir si nombreuses et si nombreux, mes chers collègues, à arborer le ruban rose cet après-midi.
On ne peut, je pense, rester insensible face au cancer du sein. Nous connaissons toutes et tous des proches, des membres de nos familles, des administrés, qui ont eu à affronter cette maladie et qui nous ont raconté les délais angoissants, les traitements éprouvants et, peut-être, le reste à charge, qui est vécu, aux dires de certaines, comme une double peine.
La proposition de loi que nous examinons ce jour, déposée par l’ancien député Fabien Roussel et adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, a pour objet de renforcer la prise en charge des soins, des traitements et des frais liés à un cancer du sein.
C’est un objectif louable, qui fédère par-delà les clivages politiques. Je tiens à cet égard à saluer les discussions constructives que nous avons eues en commission et qui témoignent de notre préoccupation sincère et partagée.
Pour répondre à la question du reste à charge lié à un cancer du sein, il convient d’abord d’en comprendre les causes.
Les assurées atteintes de cette maladie relèvent du régime des affections de longue durée, comme tous les patients atteints d’une tumeur maligne. Cela leur ouvre droit à une prise en charge renforcée grâce à une exonération du ticket modérateur sur tous les actes en lien avec le cancer du sein.
La chimiothérapie, la radiothérapie, la mammectomie et même la reconstruction mammaire sont dès lors prises en charge à 100 % de la base de remboursement de la sécurité sociale. Toutefois, le régime des ALD n’évite pas tout reste à charge : la participation forfaitaire, la franchise médicale ou les forfaits en établissements de santé subsistent, par exemple, de même que le ticket modérateur pour des soins sans lien avec l’ALD.
À cela s’ajoutent les dépassements d’honoraires, notamment ceux qui sont pratiqués lors d’une chirurgie reconstructrice. Non remboursés par l’assurance maladie et souvent mal remboursés par les complémentaires santé, ils représentent le poste de reste à charge le plus important. Ils s’élèvent en moyenne à 1 391 euros et peuvent, dans certains cas, atteindre 10 000 euros et provoquer un renoncement financier aux soins.
Si les dépassements d’honoraires sont proscrits dans les établissements sans but lucratif, dans certains déserts médicaux les patientes n’ont d’autre choix que de se tourner vers des établissements de santé à but lucratif, ce qui les expose à de lourds restes à charge.
Sur ma proposition, la commission des affaires sociales a renforcé la portée juridique de l’article 1er bis. Dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, cet article prévoyait qu’une attention particulière devait être portée, lors des négociations conventionnelles, aux dépassements d’honoraires pratiqués dans le cadre du traitement d’une ALD, notamment d’un cancer du sein.
Désormais, cet article prévoit que les dépassements d’honoraires relatifs à des actes chirurgicaux de reconstruction mammaire consécutifs à la prise en charge d’un cancer du sein peuvent être plafonnés dans le cadre des négociations conventionnelles. Il revient désormais aux syndicats de médecins de fixer le plafond de ces dépassements. Cette mesure, qui n’entraîne aucun surcoût pour l’assurance maladie, permettra de réduire considérablement le plus gros poste de reste à charge des patientes ; je me félicite donc de cette avancée notable.
Les assurées doivent également supporter le coût de soins et de prestations qui ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale. Il en va ainsi des soins de support, qu’il s’agisse de la consultation d’un psychologue, d’un diététicien ou de la pratique d’une activité physique adaptée (APA). L’efficacité de ces soins pour éviter les rechutes et accroître le taux de survie fait pourtant l’objet d’un large consensus scientifique, notamment dans les cas de cancer du sein.
Le recours à ces soins, sauf pour les patientes qui bénéficient de l’offre de soins de support d’un centre de lutte contre le cancer – encore faut-il en avoir un à proximité –, représente un coût substantiel. Certes, il existe bien un forfait, mais il n’est, hélas ! accessible qu’aux patientes en post-traitement. En outre, son montant, de 180 euros, ne permet pas un suivi dans la durée.
Un amendement du président Mouiller, soutenu par le Gouvernement, vise, d’une part, à ouvrir ce forfait aux patientes en traitement actif d’un cancer et, d’autre part, à créer un parcours spécifique au cancer du sein : il s’agit d’une excellente initiative, qui améliorera très concrètement tant les conditions de prise en charge des malades que leur qualité de vie.
Il faut également prendre en compte la problématique des accessoires et des très mal nommés « soins de confort », lesquels sont coûteux, mais cruciaux pour la santé et le bien-être des patientes.
Ainsi, pour les accessoires, il faut compter 60 euros pour un mamelon en silicone, 70 euros pour chaque soutien-gorge postopératoire et à peu près la même somme pour des soutiens-gorge adaptés au port d’une prothèse mammaire amovible, ce montant devant bien sûr être multiplié par trois ou quatre pour disposer des rechanges nécessaires, le tout n’étant, à ce jour, pas remboursé. La demande de rapport formulée à l’article 1er ter a le mérite d’attirer notre attention sur ces coûts incompressibles.
Je pourrais aussi longuement m’étendre sur la liste et le coût des soins de confort : crèmes relipidantes pour apaiser les effets secondaires de la chimiothérapie, patchs pour masser les cicatrices et strips pour les protéger, vernis pour prévenir la chute des ongles, autant de postes de dépenses qui n’ont rien de superflu ou de confortable. Croyez-moi, toutes les assurées concernées préféreraient s’en passer.
Dans ces conditions, l’article 1er de la proposition de loi vise à rendre inapplicables aux patientes traitées ou suivies pour un cancer du sein la plupart des postes de reste à charge : participation forfaitaire, franchise médicale, ticket modérateur et forfaits en établissements de santé.
Il prévoit, en outre, une prise en charge intégrale de l’ensemble des soins et dispositifs prescrits dans le cadre d’un cancer du sein, ce qui comprend notamment les soins de support, les prothèses capillaires et le renouvellement des prothèses mammaires.
Je le sais, certains sur ces travées estiment qu’en réservant aux seuls patients atteints d’un cancer du sein un régime de prise en charge favorable, incluant des dépenses pesant sur tous les assurés présentant une pathologie lourde, cet article contreviendrait au principe constitutionnel d’égalité. C’est la raison pour laquelle le président de la commission des affaires sociales a déposé un amendement visant à renforcer la prise en charge des seules dépenses propres au cancer du sein et à créer un forfait pour les soins et dispositifs non remboursables et spécifiques à cette pathologie.
J’ai eu l’occasion de le dire, je n’estime pas que ce texte soit incompatible avec le principe d’égalité, puisque je pense que la nécessaire amélioration des conditions de prise en charge du cancer du sein aurait pu constituer un premier pas avant l’extension progressive du dispositif à d’autres pathologies.
Pour autant, mes chers collègues, j’entends vos doutes. Notre seule boussole doit être l’intérêt des patientes, lequel passe par la sécurisation juridique du dispositif afin de nous assurer que les avancées prévues puissent effectivement entrer en vigueur. Les amendements du président Mouiller, s’ils limitent la portée du dispositif, sont loin de le vider de sa substance. Ils permettent même de fluidifier sa mise en œuvre, notamment en ce qui concerne le remboursement des sous-vêtements adaptés. Ces mesures répondent, je le crois, aux préoccupations et aux attentes des patientes.
Alors que le reste à charge des assurées traitées ou suivies pour un cancer du sein atteint aujourd’hui un niveau insoutenable pour une majorité d’entre elles, cette proposition de loi et les amendements que j’ai évoqués prévoient des mesures aussi utiles que nécessaires pour alléger ce fardeau. Aucun patient ne devrait se retrouver en difficulté financière du fait de sa maladie ou, comme c’est trop souvent le cas pour les femmes atteintes d’un cancer du sein, avoir à renoncer à des modalités thérapeutiques pour des raisons financières. C’est là, me semble-t-il, l’essence même du droit constitutionnel à la santé, issu du préambule de la Constitution de 1946.
En ce mois d’Octobre rose, montrons que le Sénat peut, dans un esprit transpartisan qui l’honorerait, répondre présent pour renforcer la protection et la prise en charge des malades du cancer du sein. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Solanges Nadille. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Solanges Nadille. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues : 700 000, soit le nombre de femmes françaises qui, en 2023, ont été diagnostiquées d’un cancer du sein au cours de leur vie. Avec 61 000 cas par an, il s’agit de la forme de cancer la plus répandue, devant celui de la prostate. C’est aussi le cancer qui entraîne, encore aujourd’hui, le plus de décès chez les femmes.
La présente proposition de loi est particulièrement d’actualité, alors qu’Octobre rose touche à sa fin.
Vous le savez, les personnes diagnostiquées d’un cancer du sein sont placées sous le régime de l’ALD auprès de leur caisse primaire d’assurance maladie. Ce régime donne droit à une exonération du ticket modérateur, c’est-à-dire à une prise en charge à 100 % par la sécurité sociale des actes en rapport avec l’affection en question. Les chimiothérapies, radiothérapies et mastectomies sont ainsi intégralement prises en charge dans la limite des bases de remboursement, tout comme la chirurgie reconstructrice et la pose d’implants ou, dans certains cas, l’achat de la plupart des prothèses externes.
Le reste à charge demeure néanmoins très important. Il est estimé entre 1 300 et 2 500 euros en moyenne par la Ligue contre le cancer. Il touche plus des trois quarts des patientes, soit davantage que tout autre type de cancer. Cela s’explique par différents facteurs, à commencer par les dépassements d’honoraires liés à des opérations de reconstruction mammaire ou à l’achat de certains dispositifs médicaux comme les perruques. Ces dépenses ne sont pas un luxe, elles répondent à un besoin vital : pour les femmes atteintes du cancer, c’est le moyen de ne plus porter dans leur chair les stigmates de la maladie en restaurant l’image qu’elles ont d’elles-mêmes.
Le reste à charge élevé est source de dilemmes pour de nombreuses malades. Certaines doivent faire des choix douloureux : près de 15 % des patientes qui renoncent à une reconstruction mammaire le font pour des raisons financières ; d’autres renoncent aux prothèses capillaires, dont la prise en charge – pour celles qui sont jugées convaincantes – repose en grande partie sur les complémentaires santé.
Il faut ajouter à cela qu’une ALD est souvent synonyme de baisse des revenus. Beaucoup de malades basculent dans la pauvreté et une personne sur trois perd son emploi dans les deux ans qui suivent le diagnostic.
Par ailleurs, n’oublions pas que le cancer du sein est aussi source de profondes inégalités territoriales. La vulnérabilité à la maladie est, par exemple, accrue dans les territoires ultramarins, en raison d’une offre de soins insuffisante, de diagnostics tardifs ou de difficultés de prise en charge. Ainsi, en Guadeloupe, la survie après cinq ans chez la femme est de 79 %, contre 88 % dans l’Hexagone, alors même que l’incidence de ce cancer demeure moins élevée. Pour nombre de patientes, recevoir des soins se fait au prix d’un séjour très coûteux en métropole. Je tiens personnellement à saluer les personnes et associations qui facilitent l’accueil de ces femmes.
Ces inégalités s’étendent également aux facteurs de risque. En Guadeloupe comme en Martinique, il existe ainsi une forte suspicion de lien de causalité entre l’exposition au chlordécone et le cancer du sein. Je rappelle que ce lien a été établi pour le cancer de la prostate.
L’adoption de ce texte changerait donc radicalement la vie des femmes atteintes en outre-mer comme dans l’Hexagone.
Sa version actuelle pose néanmoins plusieurs difficultés, notamment sur la question de la rupture d’égalité – nous avons été nombreux à le souligner. Nous soutiendrons donc l’amendement du président de la commission des affaires sociales à l’article 1er, qui vise à recentrer le dispositif proposé sur les frais spécifiques au cancer du sein, notamment ceux qui sont consécutifs à une mammectomie ou une tumorectomie.
Nous soutiendrons également les amendements à l’article 1er bis qui tendent à inclure les patients en traitement actif pour un cancer dans le cadre du parcours de soins global et à déployer un parcours de soins spécifique et renforcé pour les assurés atteints d’un cancer du sein.
Comme vient de le souligner Mme la ministre, un certain nombre de questions restent néanmoins en suspens, à commencer par la faisabilité technique et les potentiels effets de bord que ces mesures pourraient provoquer sur les autres ALD.
Sous réserve de l’adoption des amendements du président Mouiller, le groupe RDPI votera ce texte à l’unanimité.
Cette proposition de loi ne règle évidemment pas tout et pose des questions en matière d’égalité devant la maladie. Nous estimons qu’il faudra aller plus loin en se penchant sur l’ensemble des cancers et des autres ALD, par la mise en place de meilleurs contrôles sur le reste à charge et le dépassement d’honoraires. Nous sommes prêts à travailler avec vous, madame la ministre, pour avancer sur ces sujets. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – Mme Anne Souyris et M. Laurent Burgoa applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce mois d’Octobre rose qui s’achève marque le vingtième anniversaire de la généralisation du dépistage organisé du cancer du sein. Cet anniversaire et cette proposition de loi sont l’occasion de rappeler que ledit dépistage sauve des vies, mais que son taux de réalisation n’atteint toujours pas 50 %, malgré les efforts de l’État et des collectivités territoriales.
La première édition des trophées de l’Institut national du cancer (Inca), dont j’ai eu le plaisir de présider le jury, mettra à l’honneur des initiatives intéressantes de collectivités territoriales. La remise des prix, à laquelle vous êtes tous invités, aura lieu lors du prochain Congrès des maires de France.
La présente proposition de loi prévoit le remboursement intégral par l’assurance maladie, hors dépassements d’honoraires, des soins et dispositifs prescrits dans le cadre du traitement du cancer du sein.
S’il s’agit du cancer le plus meurtrier chez les femmes, l’un des plus mutilants aussi, et le plus répandu, ce qui justifie pour certains un traitement particulier, cette proposition de loi, en l’état, pose un vrai problème de rupture d’égalité. Comment expliquer à un patient atteint d’un autre cancer que sa prothèse capillaire ne sera pas prise en charge à 100 %, qu’il devra régler sa participation forfaitaire, sa franchise médicale ou son forfait hospitalier ?
L’amendement n° 4 rectifié bis de Philippe Mouiller a pour objet de recentrer le texte sur des soins et dispositifs spécifiques au cancer du sein : tatouage médical de l’aréole et du mamelon, renouvellement des prothèses mammaires ou encore sous-vêtements adaptés au port d’une prothèse mammaire amovible. Le dispositif proposé constitue un bon compromis : s’il ne va pas aussi loin que la version initiale, il rétablit le principe d’égalité entre les patients, ce qui permettra au texte d’être adopté.
L’amendement n° 5 rectifié bis de Philippe Mouiller et l’amendement n° 8 du Gouvernement sont identiques : ils visent à élargir la prise en charge des soins de support avant la fin de la phase de traitement actif et à déployer un parcours spécifique pour les patients atteints d’un cancer du sein, ce qui est une réelle avancée. Nous les voterons.
L’activité physique adaptée étant mentionnée dans ces soins de support, j’en profite pour rappeler que j’ai fait adopter l’an dernier, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, un amendement devenu l’article 42, qui tendait à expérimenter la prise en charge de l’activité physique adaptée par le fonds d’intervention régional (FIR) pour tous les patients atteints de cancer. Madame la ministre, nous attendons toujours le décret d’application…
Je tiens à remercier Cathy Apourceau-Poly et le groupe CRCE-K d’avoir mis à l’ordre du jour cette proposition de loi, qui a le mérite de mettre en lumière le reste à charge subi par un tiers des patientes, évalué entre 1 300 et 2 500 euros.
Le premier poste de ces restes à charge concerne les dépassements d’honoraires dans les actes de chirurgie reconstructrice.
L’article 1er bis tend à remédier à ce problème en intégrant le plafonnement desdits dépassements dans le champ de la négociation conventionnelle. L’objectif est louable, et j’en comprends l’esprit ; toutefois, madame la ministre, ne faut-il pas craindre des effets pervers, à l’instar du contrat d’accès aux soins (CAS) du secteur 2 et de l’option de pratique tarifaire maîtrisée (Optam) ? Je rappelle que certains chirurgiens ne réalisaient plus les actes, ce qui a réduit l’accessibilité et entraîné une envolée du reste à charge pour certains patients. Je souhaite que vous nous apportiez des précisions sur cette question lors de l’examen de cet article.
Un autre sujet a été soulevé, celui du remboursement des prothèses capillaires. Il paraît anormal qu’une perruque d’entrée de gamme soit remboursée à hauteur de 350 euros et qu’une perruque de classe 2 ne le soit qu’à hauteur de 250 euros. L’amendement que nous avons déposé sur ce point n’a pas été jugé recevable ; reste un amendement d’appel, qui tend à demander un rapport sur cette question. Cette difficulté ne semble pas insurmontable, par exemple au travers de la mise en place d’un forfait.
Notre groupe votera ce texte dans la rédaction issue des travaux de la commission. Son adoption aura un effet positif sur le reste à charge des patientes atteintes de cancer du sein, tout en préservant une égalité de traitement avec les autres patients, ce qui est important. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Alain Milon applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne-Sophie Romagny. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en plein Octobre rose et alors que nous célébrons les 20 ans du dépistage généralisé du cancer du sein, nous nous exprimons sur la prise en charge des soins pour les patientes. Je remercie sincèrement notre rapporteure, Cathy Apourceau-Poly, pour la qualité de ses travaux. Le coût de la maladie pour une femme est un aspect encore trop peu évoqué.
Je viens vous parler, à mon tour, des 700 000 femmes qui, en 2023, étaient ou ont été victimes du cancer du sein ; de ces femmes dont le monde s’effondre lors du diagnostic ; de ces femmes, mères ou épouses qui se battent pour leur vie et pour la survie de leur foyer ; de ces femmes qui suivent des traitements lourds aux conséquences onéreuses ; de ces femmes qui guérissent et pour lesquelles la vie ne sera plus jamais comme avant. Le cancer du sein, le plus meurtrier chez les femmes, emporte avec lui chaque année 12 000 mères, sœurs ou amies. J’ai une pensée toute particulière pour elles et pour leur entourage.
Aider et soutenir les malades physiquement, psychologiquement et financièrement constitue le cœur de notre système de protection sociale.
En commission, nous avons relevé que les prestations médicales et soins de supports, remboursés par l’assurance maladie, n’étaient pas toujours adaptés au quotidien des patientes.
Tout d’abord, la répartition inégale de l’offre de soins sur le territoire et les délais d’attente peuvent avoir des conséquences significatives sur les traitements. À titre d’exemple, le coût d’une chirurgie reconstructrice varie grandement et peut dissuader certaines femmes d’y recourir. Cette situation n’est pas acceptable. C’est la raison pour laquelle la commission a adopté l’amendement de la rapporteure, à l’article 1er bis, visant à plafonner les dépassements d’honoraires.
Puis, dans le but de réduire le reste à charge pour les patientes, l’article 1er prévoit une prise en charge intégrale de l’ensemble des soins et dispositifs prescrits dans le cadre d’un cancer du sein, ce qui inclut notamment les soins de support, les prothèses capillaires et le renouvellement des prothèses mammaires.
Il y a un enjeu indéniable autour de la prise en charge des malades et de l’accompagnement des femmes dans cette épreuve. Cependant, il convient d’apporter quelques nuances en ce qui concerne la prise en charge intégrale des soins jugés spécifiques au cancer du sein, comme ceux qui sont liés à une mammectomie ou à une tumorectomie, et des soins communs dispensés aux patients atteints d’autres formes de cancer.
En prévoyant une prise en charge intégrale des prothèses capillaires uniquement pour les assurés atteints d’un cancer du sein et en excluant l’ensemble des autres assurés confrontés à une alopécie consécutive à une chimiothérapie, non seulement nous serions à l’origine d’une inégalité contraire aux principes fondamentaux de notre Constitution, mais nous ignorerions aussi les avancées en cours.
Madame la ministre, je sais que vos services travaillent sur le sujet. Pourriez-vous nous préciser l’état d’avancement de ce que j’appellerai le « 100 % prothèse capillaire » ? Quels seront les délais de mise en œuvre ?
Les amendements déposés par le président Mouiller visent à recentrer le dispositif sur la prise en charge de dépenses propres au cancer du sein. Cela concerne, par exemple, la prise en charge intégrale des actes de tatouage médical de l’aréole et du mamelon pour les assurées ayant choisi de ne pas effectuer de reconstruction chirurgicale de cette zone, ou encore le renouvellement des prothèses mammaires. En effet, nous ne pouvons accepter que les femmes concernées subissent la double peine de la maladie et du reste à charge des dispositifs médicaux mal compensés par les complémentaires santé.
Enfin, je regrette profondément que la question du dépistage n’ait pas été évoquée. Si les résultats des campagnes de dépistage ne cessent de s’améliorer, nous peinons à dépasser un taux de participation de 50 %. Plusieurs raisons l’expliquent, comme le manque de temps ou le caractère désagréable de l’examen. Mais le frein réel ne serait-il pas la peur du résultat et de la découverte de la maladie ? Le dépistage pourrait pourtant éviter des traitements lourds, douloureux et coûteux.
Le groupe Union Centriste a parfaitement conscience des enjeux de ce texte. Nous le voterons donc, sous réserve de l’adoption des amendements du président Mouiller. Si cette proposition de loi ne concerne que la prise en charge des soins liés au traitement du cancer du sein, nous avons bon espoir qu’elle constitue la première étape d’un renforcement général des conditions de prise en charge des malades du cancer dans notre pays.
Vous l’aurez compris, nous formulons le vœu que l’amélioration des conditions de prise en charge puisse concerner tous les patients, afin d’éviter toute iniquité entre malades. Je pense notamment au cancer colorectal, qui est le deuxième cancer le plus fréquent chez la femme après le cancer du sein. En 2023, toutes populations confondues, presque 50 000 nouveaux cas de cancers du côlon ou du rectum ont été diagnostiqués, et 17 117 personnes en sont décédées. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Céline Brulin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, durant tout le mois d’octobre, nous avons porté le ruban rose, marché, couru, nagé, assisté à des conférences, vendu ou acheté des fleurs, des gâteaux… Et tant d’autres initiatives encore ont mobilisé des dizaines de milliers de nos concitoyens !
Je voudrais commencer par remercier chaleureusement tous ceux – et le plus souvent toutes celles – qui, de la plus grande ville au plus petit village, déploient des trésors d’imagination et d’énergie pour sensibiliser au dépistage du cancer du sein, recueillir des fonds et apporter de la solidarité aux malades. Merci pour eux et pour elles. (Applaudissements.)
En ce 30 octobre, nous pouvons adopter un texte permettant une meilleure prise en charge des traitements du cancer du sein par l’assurance maladie. Cette proposition de loi dont l’initiative revient à notre collègue Fabien Roussel et le groupe de la Gauche démocrate et républicaine à l’Assemblée nationale. Elle est particulièrement pertinente, puisque plus des trois quarts des patientes – le cancer du sein affecte également des hommes, mais dans des proportions beaucoup plus faibles – sont exposées à des restes à charge très importants. C’est beaucoup plus que pour d’autres cancers, et j’y vois une rupture d’égalité.
On pense souvent que le régime des ALD, qui prend en charge, entre autres, les malades d’un cancer, consiste en un remboursement à 100 %. L’examen de cette proposition de loi a démontré que tel n’est pas le cas : on estime que les dépenses non couvertes pour les femmes souffrant d’un cancer du sein atteignent entre 1 300 et 2 500 euros en moyenne.
Pour les participations forfaitaires et les franchises médicales, qui ont doublé l’an dernier et dont le Gouvernement ne cesse de nous dire que leur évolution n’affecterait pas les malades en ALD, le plafonnement à 50 euros peut conduire à un reste à charge annuel de 100 euros. De nombreuses malades disent subir une double peine : la maladie et son coût financier.
Il faut agir sur les deux volets, en améliorant la prévention et l’éducation à la santé, y compris en agissant sur la santé environnementale ou sur les conditions de travail, et en faisant en sorte que notre système de solidarité, qui prend en charge les risques de la vie, couvre mieux les victimes de maladies.
Ces propos sont à méditer, alors que s’engage le débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, et alors que le Gouvernement, madame la ministre, envisage de réduire la part remboursée aux patients par la sécurité sociale sur les consultations médicales ou les transports sanitaires.
Je salue le travail de notre collègue Cathy Apourceau-Poly, qui a fait adopter en commission un amendement visant à plafonner les dépassements d’honoraires, très fréquents dans la chirurgie de reconstruction. Il y a dix ans, un rapport avait déjà montré que le reste à charge moyen pour une reconstruction mammaire était de 1 391 euros. C’est sans doute bien plus encore aujourd’hui, surtout lorsque les dépassements d’honoraires en lien avec une intervention chirurgicale après une mastectomie peuvent atteindre jusqu’à 10 000 euros. Il n’est pas acceptable qu’une personne qui a combattu la maladie et se trouve enfin sur le chemin de la rémission renonce à une telle intervention, faute de moyens, si elle en éprouve le besoin.
Ce problème avait d’ailleurs été soulevé par notre collègue Catherine Deroche, dont la proposition de loi visant à fournir une information aux patientes sur la reconstruction mammaire en cas de mastectomie avait montré que les dépassements d’honoraires constituaient le premier poste de reste à charge pour les femmes.
À ces frais de santé s’ajoutent les soins dits de support, qui mériteraient, eux aussi, une meilleure prise en charge, comme l’a souligné la rapporteure.
Je crois que l’adoption de cette proposition de loi serait une belle conclusion de cet Octobre rose, résultant d’une initiative de la Ligue contre le cancer, et une réelle avancée pour toutes les victimes de cancer du sein. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, INDEP et GEST, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris.
Mme Anne Souyris. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si j’en crois les petits rubans roses portés ici et là par les femmes, mais aussi par quelques hommes, nous avons été nombreuses et nombreux à participer à Octobre rose, un mois dédié à la sensibilisation au cancer du sein.
Nous sommes aujourd’hui le trentième jour d’octobre ; en un mois, une femme menstruée a dû dépenser de 10 à 15 euros pour l’achat de serviettes, de tampons ou encore d’antidouleurs. Cette même femme, si elle est sous contraception, devra dépenser entre 1,88 et 14 euros par mois pour une plaquette de pilules contraceptives. Ajoutons qu’elle risque d’être davantage confrontée à la pauvreté, avec une carrière plus hachée et plus précaire que ses homologues masculins. Petite remarque : la recherche sur sa santé sera, avec constance, sous-financée, et ses particularités bien peu prises en considération en comparaison des affections dont les hommes sont atteints. Cette même femme aura une chance sur huit d’être touchée par le cancer du sein, ce qui entraînera pour elle, en moyenne, 1 300 à 2 500 euros de dépenses supplémentaires dans l’année.
C’est pour cette femme, mais surtout pour la population française tout entière, que je salue le travail réalisé dans l’élaboration de cette proposition de loi. Je tiens aussi à remercier ma collègue rapporteure, Mme Cathy Apourceau-Poly, pour son travail.
Exemption du reste à charge des forfaits et franchises, prise en charge intégrale des soins et dispositifs prescrits, des prothèses capillaires ou encore des prothèses mammaires : cette proposition de loi, qui sera, je l’espère, votée par les deux chambres en première lecture, crée un précédent essentiel pour les femmes, leur santé et leur situation économique, mais aussi un modèle à pérenniser pour la prise en charge de tous les autres cancers et ALD, à la veille de l’examen du budget de la sécurité sociale.
Nous regrettons le dépôt de l’amendement n° 4 rectifié bis, qui vise à enlever une partie du reste à charge et dont l’adoption amoindrirait la portée de cette proposition de loi. Non, les malades ne devraient jamais avoir à renoncer à des soins ; ils ne devraient non plus jamais voir leur niveau de vie diminuer ou devoir conserver un travail par dépit, aux dépens de leur santé, parfois de leur vie, en raison de frais induits par leur état de santé.
Nous parlons aujourd’hui des femmes atteintes d’un cancer du sein. Plus généralement, quand on voit le Gouvernement s’interroger sur la baisse des remboursements aux personnes en ALD, cette proposition de loi doit nous éclairer et nous permettre de revenir dans le bon sens. Nous comptons sur vous, madame la ministre.
Toutefois, même si cette proposition de loi est essentielle pour les femmes atteintes du cancer du sein, elle ne saurait se substituer à des politiques de prévention primaire. Si Octobre rose est un outil de sensibilisation et de lutte contre la stigmatisation intéressant pour le dépistage et l’accompagnement des femmes atteintes d’un cancer du sein, ce n’est toujours pas une politique de santé publique globale. Nous faisons pourtant face, en France, à une explosion des cas de cancer depuis trois décennies. Notre pays détient en effet le triste record de l’incidence de cancers du sein dans le monde. Il faudra nous atteler un jour aux causes. Mais quand ?
Nous avons des pistes : environ quatre cancers du sein sur dix seraient attribuables au mode de vie, aux expositions professionnelles et à l’environnement en France métropolitaine, avec en première cause l’alcool. En effet, 15 % des cancers du sein seraient dus à la consommation d’alcool régulière, même modérée. Quant à la pollution de l’air, elle pourrait être responsable de 1 700 cas de cancer du sein chaque année, d’après une étude de l’Inserm de 2022. Le benzopyrène et le polychlorobiphényle, par exemple, feraient respectivement augmenter le risque de cancer du sein de 15 % et de 19 %. Je pense encore au chlordécone, que Solanges Nadille vient d’évoquer.
Cette proposition de loi constitue un élément clé pour améliorer les conditions de vie de toutes les patientes et pour éviter les renoncements aux soins. Cependant, pour sauver plus de vies, ce modèle devra impérativement s’articuler avec un investissement dans la prévention primaire et une politique de recherche et d’information concernant les risques environnementaux. Pour ce faire, je compte sur notre commission et sur vous, madame la ministre. (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Corinne Féret. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky d’avoir inscrit à l’ordre du jour de son espace réservé la proposition de loi visant la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein par l’assurance maladie.
Le cancer touche chaque jour près de 1 200 personnes. Un Français sur vingt est concerné, soit deux fois plus qu’il y a trente ans. Le cancer du sein représente 33 % des diagnostics de cancer dans la population féminine. En 2023, près de 61 000 nouveaux cas ont été détectés, ce qui en fait le cancer le plus fréquent chez les femmes.
Oui, le cancer du sein est le cancer des femmes, même si 1 % des diagnostics concernent les hommes. L’an dernier, la Caisse nationale de l’assurance maladie recensait plus de 700 000 femmes vivant avec cette maladie. Parmi elles, beaucoup expriment la crainte de ne pouvoir assumer les dépenses non prises en charge, dont le niveau est variable, mais qui s’élèvent à plusieurs centaines d’euros, voire bien davantage. La charge financière moyenne consécutive à un cancer du sein serait comprise entre 1 300 et 2 500 euros.
L’attente est donc immense pour venir à bout de cette injustice, qui est d’ailleurs en totale contradiction avec le statut protecteur des ALD.
En pratique, tous les obstacles financiers du parcours de soins sont loin d’être levés. Plusieurs études ont identifié les principales dépenses à l’origine d’un reste à charge : médicaments peu ou pas remboursés, dépassements d’honoraires, forfaits et franchises, frais de transport, soins de support, cette dernière appellation englobant des produits tels que des crèmes, des activités physiques adaptées, des séances d’ostéopathie ou de suivi psychologique, qui sont pourtant indispensables. Ces soins font partie intégrante du parcours de soins et ne sont ni secondaires ni optionnels ; ils apportent même un peu de confort.
C’est là un angle mort de notre système de protection sociale. Selon la Ligue nationale contre le cancer, plus de la moitié des femmes de moins de 40 ans atteintes d’un cancer du sein craignent pour leur budget et doivent faire des choix. Ainsi, 15 % des patientes qui renoncent à une reconstruction mammaire le font pour des raisons financières. De même, la prise en charge des prothèses capillaires et perruques repose en partie sur les complémentaires, ce qui entraîne une répercussion financière non négligeable.
De telles situations sont d’autant moins acceptables qu’une ALD est souvent synonyme de baisse des revenus. Peu de personnes atteintes d’un cancer parviennent à maintenir leur niveau de vie ; la maladie peut même les faire basculer dans la pauvreté.
Toujours selon la Ligue nationale contre le cancer, une personne sur trois perd son emploi dans les deux ans qui suivent le diagnostic. Il nous revient d’intervenir ; la maladie est en elle-même suffisamment éprouvante.
Autre injustice : tout est mieux pris en charge lorsque l’on est suivi dans un centre de lutte contre le cancer (CLC), ce type d’établissement proposant fréquemment un accès gratuit à certains soins de support. Malheureusement, tel n’est pas systématiquement le cas dans les autres établissements de santé, ce qui est source de grandes inégalités territoriales.
Comment peut-on accepter que des femmes malades se privent de soins nécessaires pour des motifs financiers ?
En ce mois d’Octobre rose, je tiens à dire aux 700 000 femmes atteintes d’un cancer du sein : nous sommes à vos côtés, nous vous soutenons !
Nous voterons bien évidemment pour le texte dont nous sommes saisis aujourd’hui. Cela permettra d’avancer sur la question de la prise en charge du cancer du sein. C’est un premier pas.
Mais nous serons aussi d’une extrême vigilance lors du prochain examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. À nos yeux, les efforts de réduction des coûts doivent non pas se faire au détriment des personnes malades, mais être axés sur de meilleures politiques de prévention.
L’augmentation des franchises risque d’être vue comme une double peine par les Françaises atteintes d’un cancer du sein. Certaines pourraient même tout bonnement renoncer à leurs soins.
Pour conclure, je veux évoquer l’accès aux soins. Là encore, de trop nombreuses femmes rencontrent des difficultés pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste ou sont soumises à des délais trop longs pour réaliser des radios, des scanners, des mammographies. C’est inacceptable ! C’est une question de santé publique, mais aussi, pour certaines d’entre elles – j’ose le dire ! –, de vie ou de mort.
Toutes les inégalités que subissent ces femmes sont injustes quand la maladie, déjà, est injuste. (L’oratrice, saisie par l’émotion, interrompt son propos quelques instants.) C’est la double peine, et nous ne pouvons l’accepter. (Applaudissements et marques d’encouragement lancés par Mme Cécile Cukierman et repris par l’ensemble des sénatrices et des sénateurs.)
Je vous invite donc à voter la présente proposition de loi. Je m’associe aux propos de Mme la rapporteure, que je me permets même de reprendre : notre seule boussole est l’intérêt de celles qui sont touchées par le cancer du sein. Nous soutiendrons les amendements déposés par le président de la commission des affaires sociales. Il y va de notre responsabilité. Nous devons adresser un signal très fort à toutes ces femmes. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bourcier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Corinne Bourcier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le cancer, et plus précisément le cancer du sein, est un sujet qui me touche familialement, comme il nous touche tous. Il est aujourd’hui très rare de ne pas être ou de ne pas avoir été concerné plus ou moins directement par ce type de cancer.
Je parlerai beaucoup des femmes dans mon intervention, car elles sont très majoritaires parmi les victimes du cancer du sein, mais je souhaite rappeler que 1 % des personnes atteintes sont des hommes.
Madame la rapporteure, chère Cathy Apourceau-Poly, vous l’avez très bien souligné, mais on ne le répétera jamais assez : le cancer du sein est la première cause de mortalité par cancer chez la femme. C’est aussi le type de cancer le plus fréquent en Europe et dans de nombreux pays. Chaque année en France, plus de 60 000 nouveaux cas sont diagnostiqués et l’on sait que 20 000 d’entre eux pourraient être évités. Sur ce point, la période 2022-2023 est malheureusement marquée par une légère diminution du dépistage par rapport à la période précédente.
Nous le savons, l’une des principales causes du non-recours au dépistage est la crainte de la maladie. Il est parfois plus facile pour certaines de rester dans l’ignorance que d’affronter la peur d’un diagnostic redoutable. Et c’est sur cela que la prévention devrait, selon moi, être axée, sachant que 90 % des femmes traitées à temps d’un cancer du sein en guérissent. Il faut donc absolument parvenir à ancrer dans les mentalités qu’il n’y a pas à redouter un dépistage en ce qu’il y a peu à craindre si la maladie est détectée suffisamment tôt.
Malheureusement, pour beaucoup de femmes, les difficultés à bénéficier d’un diagnostic précoce résultent non pas d’un manque d’information ou de sensibilisation à la prévention, mais des difficultés d’accès aux soins dans leur territoire.
Les moins chanceuses doivent alors entamer une lutte contre une maladie qui leur coûte beaucoup : physiquement, psychologiquement, socialement, professionnellement et aussi financièrement.
Pourtant, sur ce dernier aspect, on ne peut pas dire que rien ne soit fait par notre système de protection sociale. Le cancer du sein est reconnu comme une affection de longue durée, régime permettant une prise en charge plus avantageuse des soins pour le patient, notamment au travers de l’absence de ticket modérateur.
Cependant, beaucoup de frais restent tout de même à charge. C’est le cas de certaines franchises ou de certains forfaits que la présente proposition de loi, dans sa version actuelle, vise à supprimer, ce qui poserait alors question au regard des autres pathologies graves. Il reste également les nombreux soins dits de support, mais ô combien nécessaires, et dont le texte suggère la prise en charge intégrale.
Par ailleurs, dans la plupart des cas, le cancer n’est pas une maladie invisible. Même si c’est loin d’être l’unique signe du traitement de cette affection, on pense en premier lieu à la perte des cheveux, des cils et des sourcils.
Sur ce point, je souhaite rappeler l’aberration que constitue la prise en charge actuelle d’une prothèse capillaire : elle devient nulle si le prix d’achat dépasse les 700 euros, ce qui est justement le cas de la plupart des prothèses de qualité acceptable. Nous espérons que le texte permettra d’accélérer les travaux déjà en cours sur cette question.
À titre personnel, je souhaiterais que davantage de moyens soient mobilisés en faveur d’une prévention encore plus poussée, plus technique.
Le débat arrive au bon moment. En cette période d’Octobre rose, de nombreuses actions sont menées. Je remercie toutes les associations et structures en lien avec cette opération de sensibilisation.
Il est impossible de ne pas soutenir l’esprit de la présente proposition de loi, qui tente d’adoucir, autant que cela soit possible, le rude combat que doivent mener les personnes atteintes d’un cancer du sein. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains. – Mme la rapporteure applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le cancer du sein est – cela a été rappelé – le cancer le plus fréquent en France. L’âge médian des femmes au moment du diagnostic est de 64 ans. Cette affection représente la première cause de mortalité chez les femmes, mais c’est aussi le cancer qui, dépisté tôt, a l’un des meilleurs taux de survie, soit 88 %.
Ces éléments statistiques objectifs justifient effectivement que l’on s’interroge sur une meilleure prise en charge des soins liés au traitement du cancer du sein. Comme l’a souligné notre collègue rapporteure, le cancer du sein, considéré comme une ALD, bénéficie de ce fait d’une prise en charge intégrale des frais de santé liés à l’affection : chimiothérapie, radiothérapie, mastectomie, chirurgie reconstructrice, pose d’implants et achat de la plupart des prothèses externes.
Cette énumération témoigne de l’effort substantiel réalisé au titre de la solidarité nationale. Mais si l’effort est substantiel, il est insuffisant, puisqu’il ne permet pas de financer l’intégralité des dépenses occasionnées par la maladie. C’est vrai, mais je pose la question : de quelles dépenses parlons-nous ? S’agit-il de dépenses devant relever de l’assurance maladie ? Il s’agit bien ici de faire peser sur celle-ci des dépenses, certes nécessaires, mais qui concernent les conséquences du traitement et qui ne relèvent pas de la santé stricto sensu.
Permettez-moi de rappeler que, depuis décembre 2020, les soins oncologiques de support font partie intégrante du parcours de soins des patients atteints du cancer. Ils sont remboursés par l’assurance maladie. Bien entendu, leur montant est plafonné et, sans doute, limité. Toutefois, ces soins contribuent à une prise en charge globale du patient.
Mes chers collègues, vous le savez comme moi, les choix sanitaires sont opérés dans un système qui doit prendre en considération les ressources disponibles. Or nous débuterons dans quelques jours l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale ; nous mesurerons alors les contraintes budgétaires auxquelles nous devrons apporter des réponses en responsabilité.
Je peux partager votre souhait d’offrir aux patientes une prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein. Mais je rappelle que nous avons deux types de financeurs en France : l’assurance maladie obligatoire (AMO) et l’assurance maladie complémentaire (AMC). Or je regrette que la proposition de loi n’évoque à aucun moment la contribution financière de ces complémentaires santé dans un domaine qui me semble ressortir de leurs attributions.
Une autre dimension fait largement défaut dans le texte : l’absence de référence au développement des dispositifs de prévention et à leur mise en œuvre effective.
La prévention est l’alpha et l’oméga de toute politique de santé. Nous disposons désormais, pour les radiographies des seins, de logiciels d’intelligence artificielle, qui rendent possibles les diagnostics prédictifs.
Dans une récente loi de bioéthique, nous avons également mis en place les tests ADN, notamment post mortem, qui permettent d’indiquer à certaines femmes que leurs mères ont eu un cancer d’origine génétique et qu’elles-mêmes sont donc soumises à un risque à surveiller.
Ces nouvelles technologies et ces innovations doivent être développées et mises au service de la lutte contre le cancer du sein… et des autres cancers.
À côté de la prévention, il y a la sensibilisation – vous en avez parlé, madame la rapporteure. De ce point de vue, Octobre rose est une réelle réussite, car institutions, associations et particuliers se sont approprié le message et le promeuvent souvent dans une approche festive. Selon la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR) : « Octobre rose est bien plus qu’une campagne de sensibilisation. […] En mobilisant la société dans son ensemble, Octobre rose offre un message d’espoir et de solidarité pour un avenir où le cancer du sein n’est plus une menace pour la santé des femmes. »
Prévention et sensibilisation doivent être incluses dans cette prise en charge intégrale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tout n’est pas si rose en ce mois d’octobre.
Derrière cette douce couleur, associée au bonheur et à l’optimisme, se cache une réalité tragique : chaque année, 60 000 nouveaux cas de cancer du sein sont détectés en France, et 12 000 femmes en meurent. En d’autres termes, toutes les quatre-vingts minutes, celle qui s’est battue des mois, voire des années, perd le combat contre la maladie.
Je ne puis m’exprimer sur le sujet sans rendre tout d’abord hommage aux soignants, à l’engagement des collectivités, mais aussi au tissu associatif et à ses bénévoles. Je pense à la Ligue contre le cancer et à toutes les associations qui œuvrent dans nos départements respectifs pour le bien-être des patientes et qui récoltent des dons en faveur de la recherche.
En tant que rapporteure pour avis des crédits de la recherche, je veux souligner que nos chercheurs ont impérativement besoin de davantage de moyens pour mieux cibler les facteurs de risque.
À Antibes Juan-les-Pins, comme dans de nombreuses communes de France, nous avons couru, pédalé, nagé et même « régaté », grâce à SOS Cancer du sein, pour sensibiliser au dépistage.
Notre engagement est également symbolisé par ce ruban rose, qui fleurit sur notre poitrine chaque début d’automne pour rappeler l’essentiel : la prévention.
Et pourtant, il reste encore tant à faire. En 2023, le taux de participation au dépistage a chuté. Pire, il est en baisse, et ce depuis dix ans.
Dans un discours de 2006, le président Jacques Chirac alertait déjà sur le faible taux de dépistage des femmes soit par manque d’information, soit par peur irrationnelle associant dépistage et maladie.
Alors, parfois, le rose vire au rouge : celui de la colère face aux inégalités d’accès aux soins, notamment dans les territoires ruraux. Cette colère, nous devons la comprendre, mais nous devons surtout y répondre. Saluons ainsi les belles initiatives entreprises dans nos territoires, à l’image du « bus rose » du centre hospitalier de Menton, qui sillonne les vallées pour faciliter le dépistage.
La présente proposition de loi passe sous silence cet enjeu pourtant crucial, ce que je regrette, car elle vise un autre objectif : faire en sorte que l’assurance maladie prenne en charge à 100 % les soins liés au traitement du cancer du sein.
Malgré le dispositif des ALD, les patientes subissent encore des restes à charge particulièrement lourds, constituant ainsi une forme de double peine, qui s’ajoute à la charge émotionnelle, thérapeutique et sanitaire provoquée par la maladie.
De plus, la question du remboursement de certaines dépenses liées aux soins de support, par exemple, ou à l’acquisition d’accessoires postopératoires, comme les soutiens-gorge compressifs, coûteux, mais indispensables, revient sans cesse. Je me réjouis donc que ce texte l’aborde.
Deux autres sujets, que l’on ne peut plus occulter, sont également traités. Il s’agit, d’une part, de l’accompagnement des familles monoparentales pour la garde de leur enfant durant leur traitement et, d’autre part, du fait que les microentrepreneurs peuvent perdre leurs revenus lorsqu’on leur diagnostique un cancer.
Si je salue les travaux de Mme la rapporteure sur ces diverses thématiques, je tiens néanmoins à attirer votre attention sur une autre question, qui, comme le dépistage, n’a pas été évoquée dans le texte : l’égal accès des patients aux tests moléculaires.
Bien qu’améliorant l’efficacité des traitements tout en limitant les effets secondaires, lesdits tests laissent un reste à charge de près de 50 % aux établissements de santé prescripteurs. Si certains arrivent à en assumer le coût, d’autres ne peuvent tout simplement pas les financer, renforçant ainsi le sentiment d’un système de santé à plusieurs vitesses. Là encore, il faudra certainement que le législateur s’empare de la question.
Le groupe Les Républicains soutiendra naturellement la présente proposition de loi. Pour que celle-ci soit plus juste et – presque – parfaite, nous souhaitons l’adoption des amendements du président Philippe Mouiller visant à rendre les mesures proposées plus équilibrées et plus égalitaires. Il s’agit de recentrer la prise en charge sur les spécificités liées au cancer du sein et d’écarter la création de potentielles inégalités avec les patients frappés par d’autres cancers. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Corinne Bourcier et M. Saïd Omar Oili applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous associons à tous les témoignages et à l’ensemble des propos qui ont été tenus durant dans cette discussion générale. La volonté de trouver les meilleures solutions afin d’atténuer le difficile parcours des femmes atteintes d’un cancer pour atteindre la rémission et la guérison nous est commune.
Je me réjouis que, grâce au travail mené sous l’égide de M. le président de la commission des affaires sociales et de Mme la rapporteure, nous puissions parvenir à un texte équilibré permettant la sécurisation juridique de l’accompagnement et de la prise en charge des soins pour ces femmes.
Madame la sénatrice Guillotin, le décret d’application des dispositifs relatifs aux activités sportives adaptées est en cours de finalisation. Il doit être adopté d’ici à la fin de l’année – le cahier des charges est quasiment terminé – pour, nous l’espérons, un déploiement en 2025.
Le plafonnement des dépenses d’honoraires, dont il est question à l’article 1er bis, fait aujourd’hui l’objet de discussions, notamment avec les syndicats de médecins dans le cadre de la convention médicale, afin que les praticiens se conforment aux contraintes fixées par la loi. Le ministère travaille ainsi pour garantir le respect des objectifs de plafonnement que le Parlement votera, je l’espère, aujourd’hui.
Madame la sénatrice Romagny, le remboursement des prothèses capillaires est bien évidemment un enjeu fort. Nous le savons, il existe une réelle inégalité entre les femmes qui ont des prothèses capillaires traditionnelles et celles qui recourent à des prothèses capillaires avec des cheveux naturels. Le décret est en cours de validation. Il est soumis à la Haute Autorité de santé, qui doit rendre son avis dans les jours à venir. Des discussions commenceront ensuite avec le Comité économique des produits de santé (CEPS) sur les modalités de mise en œuvre et d’application, afin de réduire le reste à charge des patientes atteintes de cancer ou d’alopécie. Le décret, qui est prévu pour la fin d’année, sera intégré dans le 100 % Santé.
Madame la sénatrice Féret, l’accès aux radiologues pour le dépistage des femmes atteintes de cancer du sein est effectivement un sujet. Les délais sont beaucoup trop longs. L’assurance maladie, l’Institut national du cancer et le ministère travaillent actuellement pour les réduire, autour de trois axes : d’abord, augmenter le nombre des radiologues agréés pour pouvoir réaliser ces dépistages ; ensuite, dématérialiser la deuxième lecture, afin d’accélérer le processus ; enfin, intégrer l’intelligence artificielle – le sénateur Milon y a fait référence – pour une plus grande efficacité dans les dépistages.
Madame Alexandra Borchio Fontimp, une disposition du projet de loi de financement de la sécurité sociale étend le complément mode de garde de 6 ans à 12 ans pour les familles monoparentales, ce qui leur ouvrira une aide supplémentaire pour pouvoir entamer les parcours de soins.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein par l’assurance maladie
Article 1er
(Non modifié)
Le titre VI du livre Ier du code de la sécurité sociale est complété par un chapitre XI ainsi rédigé :
« CHAPITRE XI
« Dispositions applicables aux personnes bénéficiant d’un traitement du cancer du sein, de soins consécutifs à un cancer du sein ou d’un parcours de soins global à l’issue d’un traitement du cancer du sein
« Art. L. 16-11-1. – I. – Dans le cadre d’un traitement du cancer du sein, de soins consécutifs à un cancer du sein ou d’un parcours de soins global défini après le traitement d’un cancer du sein mentionné à l’article L. 1415-8 du code de la santé publique, ne sont pas applicables :
« 1° Le forfait journalier mentionné à l’article L. 174-4 du présent code ;
« 2° La participation de l’assuré mentionnée au I de l’article L. 160-13 ;
« 3° La participation forfaitaire mentionnée au II du même article L. 160-13 ;
« 4° La franchise mentionnée au premier alinéa du III dudit article L. 160-13.
« II. – (Supprimé)
« III. – Les soins et les dispositifs prescrits, les prothèses capillaires et le renouvellement des prothèses mammaires, dans le cadre prévu au I du présent article, sont pris en charge intégralement par les organismes d’assurance maladie. Ces soins comprennent notamment les soins de support, lesquels sont définis par décret, après consultation des associations représentatives des patients et de celles représentatives des professionnels de santé.
« IV. – Les modalités d’application du présent chapitre sont précisées par décret en Conseil d’État.
« Art. L. 16-11-2. – Le médecin oncologue fournit au patient des informations détaillées sur les soins de support disponibles dans la région du patient et l’invite à consulter l’annuaire des soins de support oncologiques de la région. Ces informations sont communiquées lors de la consultation précédant le début du traitement. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Valente Le Hir, sur l’article.
Mme Sylvie Valente Le Hir. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, la femme que je suis, avant la sénatrice, appelle votre attention.
Je ne souhaite pas évoquer ma santé. Néanmoins, que je le veuille ou non, je porte la parole de nombreuses femmes touchées par le cancer du sein. Comme une femme sur huit, j’ai traversé cette épreuve. Le mois d’octobre a marqué une mobilisation de nombreux acteurs contre le cancer du sein.
Dans le département de l’Oise, dont je suis élue, j’ai pu participer et soutenir de nombreuses actions. J’ai ressenti une véritable adhésion, tous publics et tous âges confondus.
Je suis également membre d’un club de femmes atteintes par le cancer du sein, où nous pratiquons l’aviron et participons à des épreuves sportives nationales et internationales. Cette pratique est encouragée et prescrite par le monde médical. La maladie éloigne, isole, fragilise. Aussi, dans ce combat quotidien, il est essentiel de créer du lien, de savoir que l’on n’est pas seule, de bénéficier de l’expérience d’autres femmes. Encourager et être soutenue sont des remèdes indispensables pour faire face aux traitements et à leurs effets secondaires.
Les regards et les mentalités évoluent et nous devons continuer à informer pour toujours mieux dépister.
Cette maladie touche tout le monde, à tout âge : le malade, mais aussi son entourage, les aidants ainsi que les proches. C’est pourquoi je soutiens la présente proposition de loi visant la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein par l’assurance maladie.
Évidemment, il n’est pas question de prioriser les maladies. Cependant, j’estime que ce texte constitue une avancée en ce qu’il permettra aux femmes concernées de se sentir reconnues et soutenues.
Nous savons que le cancer est un frein pour trouver un emploi et recourir à un emprunt. Si nous pouvons soulager les contraintes matérielles des personnes atteintes d’un cancer, nous aurons déjà fait un grand pas pour les aider à guérir.
Enfin, je voudrais saluer mon collègue Olivier Paccaud. Le cancer du sein n’a pas été un obstacle à sa décision de m’inviter à mener campagne à ses côtés, l’an dernier, pour siéger ensemble au sein de cet hémicycle. Rares sont ceux qui ont un tel courage. Permettez-moi donc, au travers de cette prise de parole, de lui adresser publiquement un grand merci ! (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani, sur l’article.
Mme Silvana Silvani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de Fabien Roussel pointe fort justement le sujet sensible du cancer du sein et son coût financier pour les personnes qui en sont atteintes.
Je voudrais pour ma part insister sur un élément concernant les facteurs de risque de développement d’un cancer.
Dans son rapport du mois de juin 2023 sur la santé des femmes au travail, la délégation aux droits des femmes du Sénat avait mis en exergue les conséquences du travail de nuit sur le risque de cancer du sein. Selon les études, le risque de cancer du sein augmente de près de 30 % en cas de travail de nuit chez les femmes non ménopausées. Ce risque augmente encore davantage chez les femmes ayant travaillé de nuit plusieurs fois par semaine sur une longue durée. Ainsi, le risque de cancer est deux à trois fois plus élevé pour les femmes qui ont travaillé plus de deux nuits par semaine pendant plus de dix ans. L’exposition croissante des femmes aux horaires atypiques de travail entraîne des conséquences néfastes pour leur qualité de vie, mais aussi pour leur santé.
Cette proposition de loi est donc indispensable pour les infirmières, les aides à domicile, les agents d’entretien – j’en oublie certainement, et j’espère qu’elles m’en excuseront –, qui subissent non seulement des conditions de travail extrêmement difficiles, mais aussi des risques de développer des cancers supérieurs à la moyenne et, in fine, un reste à charge financier particulièrement injuste.
Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par M. Mouiller, Mme Lassarade, MM. Darnaud, Bouchet et Pellevat, Mmes V. Boyer et Billon, MM. Chaize et Brisson, Mme Lavarde, M. Favreau, Mme Loisier, M. Cuypers, Mmes Borchio Fontimp et Dumas, MM. Bruyen et Michallet, Mme Estrosi Sassone, MM. Médevielle, Cigolotti et J.P. Vogel, Mmes L. Darcos, Gosselin, Goy-Chavent et Josende, MM. Milon, Houpert, Bazin, Levi et D. Laurent, Mmes Malet, Belrhiti, Berthet, Valente Le Hir et Guillotin, MM. Menonville et Karoutchi, Mmes Phinera-Horth et Lopez, M. Savin, Mmes Eustache-Brinio et de La Provôté, MM. Lefèvre, Grand et Chatillon, Mmes Schalck et Dumont, M. Hugonet, Mmes Gruny et M. Mercier, MM. Capo-Canellas et de Legge, Mme Doineau, M. Khalifé, Mme Lermytte, MM. Reichardt et Piednoir, Mmes Guidez, Aeschlimann, Demas, Micouleau, Muller-Bronn, Puissat et Richer, MM. Sol, Chasseing et P. Martin, Mme P. Martin, MM. Panunzi et Cadec, Mmes Evren, Di Folco, Imbert et Perrot, MM. Saury, Reynaud et Paul, Mme Sollogoub, MM. Kern, Perrion, Chevalier, Longeot, Klinger et J.B. Blanc, Mme F. Gerbaud, MM. Sido et Szpiner, Mmes Devésa et Romagny, MM. Paccaud, Verzelen, Belin, A. Marc, Paumier, Mandelli et Henno, Mmes Deseyne et Bonfanti-Dossat et MM. Burgoa et Rojouan, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 4 à 8
Supprimer ces alinéas.
II. – Alinéa 10
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
« III. – Sans préjudice des II et III de l’article L. 160-13, les soins et dispositifs prescrits et remboursables sont pris en charge intégralement par les organismes d’assurance maladie dans la limite des tarifs servant de base au calcul des prestations prévues à l’article L. 160-8 lorsqu’ils présentent un caractère spécifique au traitement du cancer du sein ou à ses suites.
« Les soins et dispositifs mentionnés au premier alinéa du présent III, qui comprennent notamment les actes de dermopigmentation de la plaque aréolo-mamelonnaire réalisés par des professionnels de santé mentionnés aux livres Ier à III de la quatrième partie du code de la santé publique dûment formés, les sous-vêtements adaptés au port de prothèses mammaires amovibles et le renouvellement des prothèses mammaires, sont définis par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, après consultation des associations représentatives des patients et des organisations syndicales représentatives des professionnels de santé concernés.
III. – Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 16-11-…. – Il est institué, pour les personnes traitées ou ayant reçu un traitement pour un cancer du sein, et bénéficiant du dispositif prévu au 3° ou au 10° de l’article L. 160-14 du code de la sécurité sociale, un forfait finançant des soins et dispositifs non remboursables présentant un caractère spécifique au traitement du cancer du sein et à ses suites, sur prescription médicale.
« Le montant du forfait mentionné au premier alinéa est défini par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. Les soins et dispositifs mentionnés au premier alinéa sont définis par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, après avis de la Haute Autorité de santé, de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. L’arrêté peut comporter des critères d’éligibilité au forfait pour chaque soin et dispositif, ainsi qu’une base forfaitaire maximale déterminée. Ces critères peuvent notamment porter sur des spécifications techniques, des normes relatives à la composition ou à la qualité visant à assurer la non-toxicité des produits pour la santé et l’environnement, et sur les modalités de distribution. »
La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Cet amendement vise à recentrer le dispositif.
En commission, lorsque nous avons commencé à travailler et à analyser la proposition de loi issue de l’Assemblée nationale – je salue d’ailleurs la qualité du travail de Mme la rapporteure –, nous avons souhaité nous associer à la démarche, mais nous avons perçu qu’une difficulté juridique, voire de principe risquait d’apparaître en cas de prise en charge complète des soins pour les seules personnes concernées par le cancer du sein.
Après discussions avec Mme la rapporteure ainsi qu’avec les membres du groupe politique à l’origine de la proposition de loi, et après négociation avec le Gouvernement, nous avons choisi de centrer le dispositif sur les seuls soins spécifiques au cancer du sein.
Je le précise, les membres des groupes de la majorité sénatoriale, qui pensaient dans un premier temps s’abstenir, se sont ralliés à cette solution et ont très largement cosigné le présent amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. La commission émet un avis favorable sur cet amendement.
À titre personnel, je ne considère pas que cette proposition de loi soit en contradiction avec le principe d’égalité. En effet, je considère ce texte comme un premier pas pour améliorer le quotidien des patients atteints d’un cancer du sein, qui permettra d’alléger la charge financière dont ils doivent s’acquitter, avant d’envisager une extension progressive du dispositif à d’autres pathologies associées à de forts restes à charge.
Pour autant, il est important de prendre en considération le risque que plusieurs d’entre vous ont pointé durant la discussion générale, mais aussi en commission. Notre seule boussole doit être l’intérêt des patients, ce qui exige de sécuriser le dispositif d’un point de vue juridique pour que les avancées prévues entrent effectivement en vigueur.
Certes, la rédaction de cet amendement circonscrit la proposition de loi, mais elle est loin de la vider de sa substance. Elle permet même de fluidifier son application au service des patientes, en particulier en ce qui concerne les accessoires non remboursables par la sécurité sociale.
Je crois possible de trouver, ici au Sénat, un accord transpartisan pour reformuler ainsi l’article 1er, afin de répondre aux attentes légitimes des patientes. Je me réjouis que nous dépassions les clivages pour parler d’une seule voix dans l’objectif de renforcer la protection et la prise en charge des femmes atteintes d’un cancer du sein.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Le Gouvernement émet un avis de sagesse extrêmement positive. (Sourires.)
Nous saluons l’avancée que constituera l’adoption de cet amendement pondéré du président Mouiller. Elle répondra à une préoccupation que nous partageons tous, pour des raisons dont nous avons largement débattu durant la discussion générale.
Toutefois, nous aimerions aplanir quelques difficultés techniques au cours de la navette parlementaire. Tout d’abord, la liste des dispositifs médicaux qui feront l’objet d’un remboursement intégral mérite d’être affinée. Je pense en particulier aux sous-vêtements adaptés au port de prothèses mammaires, qui figurent déjà dans la liste des produits et prestations.
Ensuite, vous prévoyez un forfait spécifique pour que l’assurance maladie prenne en charge des soins et des dispositifs qui ne sont actuellement pas remboursés : d’une part, l’efficacité de certains d’entre eux n’est pas démontrée ; d’autre part, le prix de vente de ces soins n’étant pas encadré, nous devons nous prémunir d’une éventuelle augmentation tarifaire qui serait défavorable aux patientes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Nous voterons cet amendement et les deux amendements identiques suivants, car ils sécurisent cette proposition de loi. Comme l’a fort bien dit la rapporteure, nous devons cette avancée aux femmes victimes du cancer du sein.
Je trouve juste et légitime de débattre des potentielles ruptures d’égalité ; nous devons veiller à ne pas créer des régimes différenciés pour des pathologies spécifiques. Nous ne pourrons pas le faire dans le cadre de cette niche parlementaire, mais je rappelle que la sécurité sociale a précisément été créée dans une optique d’universalité qu’illustre bien la célèbre formule d’Ambroise Croizat : chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins.
Sauf que, d’exonérations en exemptions de cotisations, de déremboursements en franchises médicales, ce caractère universel a été peu à peu mis à mal. Nous avons tous donné des exemples de traitements pour lesquels le reste à charge est très important. Il l’est encore davantage pour les patients atteints d’un cancer du sein.
Outre les avancées concrètes que son adoption apportera aux femmes, je souhaite que cette proposition de loi amène chacun d’entre nous à réfléchir à ce qu’il souhaite faire de notre système de protection sociale. Nous devons préserver, et même améliorer son caractère universel, faute de quoi chaque pathologie finira par faire l’objet d’une réponse spécifique. Dans le contexte économique actuel, il me semble particulièrement fécond de faire de l’universalité notre boussole commune. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Corinne Féret applaudit également.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 5 rectifié bis est présenté par M. Mouiller, Mme Lassarade, MM. Darnaud, Bouchet et Pellevat, Mmes V. Boyer et Billon, MM. Chaize et Brisson, Mmes Lavarde et Loisier, MM. Favreau et Cuypers, Mmes Borchio Fontimp et Dumas, MM. Bruyen et Michallet, Mme Estrosi Sassone, MM. Médevielle, Cigolotti et J.P. Vogel, Mmes L. Darcos, Gosselin, Goy-Chavent et Josende, MM. Milon, Houpert, Bazin, Levi et D. Laurent, Mmes Malet, Belrhiti, Berthet, Valente Le Hir et Guillotin, MM. Menonville et Karoutchi, Mmes Phinera-Horth et Lopez, M. Savin, Mmes Eustache-Brinio et de La Provôté, MM. Lefèvre, Grand et Chatillon, Mmes Schalck et Dumont, M. Hugonet, Mmes Gruny et M. Mercier, MM. Capo-Canellas et de Legge, Mme Doineau, M. Khalifé, Mme Lermytte, MM. Reichardt et Piednoir, Mmes Guidez, Aeschlimann, Demas, Micouleau, Muller-Bronn, Puissat et Richer, MM. Sol, Chasseing et P. Martin, Mme P. Martin, MM. Panunzi et Cadec, Mmes Evren, Di Folco, Imbert et Perrot, MM. Saury, Reynaud et Paul, Mme Sollogoub, MM. Kern, Perrion, Chevalier, Longeot, Klinger et J. B. Blanc, Mme F. Gerbaud, MM. Sido et Szpiner, Mmes Devésa et Romagny, MM. Paccaud, Verzelen, Belin, A. Marc, Paumier, Mandelli, Courtial et Henno, Mmes Deseyne et Bonfanti-Dossat et MM. Burgoa et Rojouan.
L’amendement n° 8 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – L’article L. 1415-8 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après le mot : « personnes », sont insérés les mots : « recevant ou » ;
2° Au troisième alinéa, les mots : « Un dispositif spécifique est proposé pour » sont remplacés par les mots : « Des dispositifs spécifiques sont proposés pour les cancers du sein et ».
La parole est à M. Philippe Mouiller, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié bis.
M. Philippe Mouiller. Nous avons travaillé avec le Gouvernement pour rendre cette proposition de loi opérationnelle et nous assurer qu’elle ne se cantonne pas à un vœu pieux.
À cet effet, cet amendement a deux objets. Le premier est de créer un parcours spécifique pour les soins de support dans le cadre du traitement contre le cancer du sein. Le second est d’inclure dans le parcours de soins global, jusqu’à présent réservé aux patients post-traitement, tous les patients en traitement actif pour un cancer.
Non seulement nous apportons des précisions techniques pour rendre opérationnelle cette proposition de loi, mais nous en élargissons aussi le champ, grâce au soutien du Gouvernement, que je remercie. Ainsi, nous permettons à davantage de patients atteints d’un cancer de bénéficier des soins de support.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée, pour présenter l’amendement n° 8.
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Le président de la commission des affaires sociales a parfaitement défendu cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. Comme je l’ai rappelé lors de la discussion générale, un vaste consensus scientifique existe sur l’efficacité thérapeutique des soins de support – diététique, psychologie, activité physique adaptée –, qui renforcent l’adhésion aux thérapies et sont associés à une réduction de la mortalité.
Il était donc nécessaire que le Parlement se saisisse du sujet de l’accès aux soins de support, tant sur le plan financier que sur le plan territorial, puisque de nombreuses disparités existent entre les départements. C’est tout l’objet de l’article 1er.
Toutefois, la rédaction de cet article, à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale, prévoit le remboursement de prestations de professionnels non conventionnés, qui sont parfois insuffisamment contrôlés, ce qui pose d’importantes difficultés de mise en œuvre opérationnelle. En l’adoptant tel quel, ce texte pourrait n’entrer en vigueur qu’à l’issue d’un long délai, ce qui reporterait le renforcement de la prise en charge des soins de support.
C’est pourquoi les auteurs de ces amendements identiques proposent d’inclure les soins de support dans le parcours de soins global après le traitement d’un cancer et d’élargir le champ de celui-ci aux patients en traitement actif afin d’accélérer le déploiement de ce dispositif bienvenu et très attendu par les patients atteints d’un cancer.
Ma seule réserve concerne le montant du forfait, qui s’élève à 180 euros : c’est insuffisant pour couvrir une prise en charge des patients sur la durée. J’invite donc solennellement le Gouvernement à relever ce montant, défini par voie réglementaire.
La commission émet un avis favorable sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 rectifié bis et 8.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 9 rectifié bis, présenté par Mme Pantel, M. Bilhac, Mme M. Carrère, MM. Gold et Grosvalet, Mme Guillotin et MM. Guiol, Laouedj, Masset et Roux, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif à la prise en charge des prothèses capillaires, sans prix limite de vente au public.
La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Je vais retirer cet amendement, qui était un amendement d’appel sur le tarif de remboursement des prothèses capillaires. Il semble anormal, alors que les prothèses de classe 1 font l’objet d’un remboursement intégral et celles de classe 2 d’un remboursement de 250 euros, que celles de classe 3, dont le prix excède 700 euros, ne soient nullement remboursées.
Vous nous avez annoncé, madame la ministre, qu’un décret était en préparation ; je retire donc cet amendement dans l’attente de cette publication.
Mme la présidente. L’amendement n° 9 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par Mme Pantel, M. Bilhac, Mme M. Carrère, MM. Gold et Grosvalet, Mme Guillotin et MM. Guiol, Laouedj, Masset et Roux, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport visant à encadrer la pratique du tatouage tridimensionnel définitif de la plaque aréolo-mamelonnaire pour les femmes ayant subi une mastectomie ainsi que les modalités de sa prise en charge.
La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Cet amendement a fait l’objet d’une légère incompréhension ce matin en commission.
Après avoir subi une mastectomie, la reconstruction de la plaque aréolo-mamelonnaire est l’ultime étape de la prise en charge de la patiente. Elle consiste en général soit en une greffe, soit en une dermopigmentation. Ces techniques sont douloureuses, n’offrent pas toujours un résultat satisfaisant et sont souvent, dans le cas de la dermopigmentation, temporaires.
Il existe une autre option non médicale, le tatouage tridimensionnel, qui permet une reconstruction définitive, esthétique et personnalisée de l’aréole et du mamelon. Celle-ci aide la patiente à se réapproprier son nouveau sein. Elle mobilise du matériel et des compétences plus artistiques que médicales.
Les témoignages d’hommes et de femmes ayant eu recours à cette technique sont très positifs et La Ligue contre le cancer et de plus en plus de grands centres de lutte contre le cancer y sont favorables et la recommandent.
Toutefois, cette pratique nécessite un encadrement pour s’assurer que le geste soit bien réalisé. Une fois cet encadrement mis en place, sous quelque forme que ce soit – un contrôle, une formation, une accréditation… –, nous pourrions aligner la prise en charge de cette technique sur celle des techniques médicales. Cela ne coûterait pas plus cher, d’autant qu’aucune retouche n’est nécessaire une fois le geste réalisé.
Faute d’avoir trouvé d’autre moyen pour que nous nous saisissions de cette question, j’ai déposé cet amendement, qui vise à demander un rapport. Il s’agit d’éviter le développement anarchique de nouvelles techniques et d’améliorer la prise en charge des patientes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. À titre personnel, je suis favorable à cet amendement par lequel vous soulevez une véritable question sur une technique innovante et insuffisamment encadrée, à savoir le recours au tatouage définitif tridimensionnel de l’aréole et du mamelon.
Néanmoins, la commission a pour habitude de rejeter les demandes de rapport et émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement, dont nous pensons qu’il est en partie satisfait.
Vous souhaitez que le Gouvernement remette au Parlement un rapport visant à encadrer la pratique du tatouage tridimensionnel définitif de la plaque aréolo-mamelonnaire pour les femmes ayant subi une mastectomie. Or les patientes qui ne souhaitent pas recourir à une technique chirurgicale de reconstruction mammaire peuvent déjà bénéficier d’une dermopigmentation, c’est-à-dire un tatouage médical de l’aréole. Ce geste doit être réalisé par des professionnels de santé formés à ces techniques, que ce soit un chirurgien au bloc opératoire ou une infirmière ou un dermatologue en ambulatoire.
Si cette technique est prise en charge par l’assurance maladie, des tatoueurs professionnels ont développé en parallèle le tatouage artistique et non médical, dit tridimensionnel. Pour des raisons de sécurité et de qualité des soins, il n’est pas souhaitable d’élargir la prise en charge de cette technique à des structures non habilitées, les tatoueurs qui la pratiquent n’ayant pas reçu de formation médicale.
Par ailleurs, dans le cadre de la stratégie décennale de lutte contre les cancers, l’Institut national du cancer et le ministère de la santé et de la prévention étudient les apports de la socio-esthétique en vue d’une intégration au panier des soins de support. Aussi, un rapport complémentaire ne semble pas utile à ce stade.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Mouiller, président de la commission. Je ne suis pas un grand spécialiste du sujet, mais nous voyons bien que nous avons affaire à deux techniques distinctes.
La première est la dermopigmentation, qui n’est actuellement prise en charge que lorsqu’elle est réalisée par des professionnels mentionnés au livre Ier de la quatrième partie du code de la santé publique. En adoptant l’amendement n° 4 rectifié bis, nous venons d’élargir la prise en charge aux professionnels mentionnés aux livres Ier à III pour tenir compte de l’évolution des métiers, notamment dans le domaine de l’imagerie médicale.
La seconde, le tatouage tridimensionnel, n’est pas réalisée par des professionnels de santé et ne fait pas l’objet d’agréments garantissant la sécurité sanitaire des patients qui y recourent. Un rapport ne semble pas à même de remédier à ces deux difficultés : il serait plus efficace de lancer des travaux auprès de l’administration pour reconnaître et encadrer les métiers qui pourraient faire l’objet d’une prise en charge.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.
Article 1er bis
1° (nouveau) Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
Après le 10° de l’article L. 162-5, il est inséré un 10° bis ainsi rédigé :
« 10° bis Les conditions dans lesquelles peuvent être plafonnés les dépassements d’honoraires relatifs à des actes chirurgicaux de reconstruction mammaire consécutifs à la prise en charge d’un cancer du sein ; »
2° (Supprimé)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marianne Margaté, sur l’article.
Mme Marianne Margaté. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la question des dépassements d’honoraires est centrale.
Nous le savons tous, elle est à l’origine d’une véritable inégalité d’accès aux soins, qui est ressentie à juste titre comme une injustice. Il est déjà éprouvant d’être malade, cela l’est d’autant plus lorsque l’on voit ses revenus diminuer.
Cet article ouvre à la négociation conventionnelle le plafonnement des dépassements d’honoraires relatifs à des actes de reconstruction mammaire. Nous souhaitons que de telles négociations aboutissent rapidement. Nous vous remercions par avance, madame la ministre, de bien vouloir y veiller.
Par ailleurs, nous espérons que cette disposition sur un acte très précis, lié au cancer du sein, ouvre la voie au plafonnement de dépassements d’honoraires bien trop élevés dans le traitement d’autres pathologies. (Mme Céline Brulin applaudit.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er bis.
(L’article 1er bis est adopté.)
Article 1er ter
(Non modifié)
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la possibilité d’une prise en charge intégrale par la sécurité sociale de soutiens-gorge ou de brassières et de maillots de bain adaptés au port de prothèses amovibles après une intervention chirurgicale dans le cadre d’un traitement du cancer du sein.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Cet article prévoit la remise d’un rapport sur l’éventuelle prise en charge de soutiens-gorge adaptés au port de prothèses amovibles.
Cette demande de prise en charge étant dorénavant satisfaite, je vous demanderai de ne pas adopter cet article.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er ter.
(L’article 1er ter n’est pas adopté.)
Article 1er quater
(Non modifié)
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la possibilité du versement, aux personnes bénéficiant d’un traitement du cancer du sein ou de soins consécutifs à un cancer du sein ou d’un parcours de soins global à l’issue d’un traitement du cancer du sein, d’une indemnité de garde d’enfant lorsqu’elles ont la responsabilité d’enfants mineurs.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Cet article prévoit également une demande de rapport, cette fois sur les familles monoparentales. Cela ne me semble pas s’inscrire dans le thème de la proposition de loi ; aussi, je vous demande de nouveau de rejeter cet article.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er quater.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l’article.)
Article 1er quinquies
(Non modifié)
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la prise en charge du cancer du sein, sur son coût et sur la perte de revenus qu’il engendre pour les travailleurs ayant le statut d’autoentrepreneurs.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Il s’agit une nouvelle fois d’une demande de rapport.
Mes chers collègues, je vous alerte sur le fait que nous nous exposons au risque que ce texte soit rejeté par l’Assemblée nationale, parce que nous aurons ajouté des demandes de rapports qui n’ont rien à voir avec le sujet.
Nous sommes parvenus à un consensus sur plusieurs points. Il serait dommage de mettre en danger notre travail en parasitant le texte pour des rapports que nous n’obtiendrons jamais. Si nous n’avons pas déposé d’amendements de suppression, c’est que nous comptions sur la conscience collective pour ne pas prendre un tel risque.
J’entends que l’on dépose un amendement visant à demander un rapport pour mettre en lumière un sujet que nous n’avons pas traité et en débattre dans l’hémicycle, comme vient de le faire Véronique Guillotin, mais pas que l’on ajoute au texte des litanies de demandes de rapport, au risque de mettre en péril une proposition de loi qui comporte des mesures consensuelles !
Je n’ai rien contre un rapport sur la perte de revenus qu’engendre le cancer du sein pour les travailleurs ayant le statut d’auto-entrepreneurs, mais ce n’est pas le bon véhicule législatif pour ce faire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président de la commission des affaires sociales, je vous ai écouté avec grand intérêt, mais je vous rappelle que ce texte résulte également des travaux de l’Assemblée nationale, où s’est exprimée une même volonté de rassembler et de fédérer.
Nous avons tous deux – et vous aussi, madame la ministre – une longue expérience parlementaire ; nous savons pertinemment que les demandes de rapport sont parfois le seul outil aux mains de l’élu pour se faire entendre sur un sujet et s’assurer qu’il soit traité.
Vous avez raison, monsieur le président, bien souvent, nous n’obtenons pas les rapports que nous demandons, ce qui en fait hurler certains et en satisfait d’autres. Mais il convient de faire valoir que les répercussions de certaines pathologies excèdent largement la santé et se font sentir dans la vie économique et sociale des malades.
Je comprends votre appel à ne pas retenir ces demandes de rapport pour que le texte prospère à l’Assemblée nationale, mais je tenais à expliquer pourquoi nous les avions formulées.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er quinquies.
(L’article 1er quinquies n’est pas adopté.)
Après l’article 1er quinquies
Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par MM. Daubet et Bilhac, Mme M. Carrère et MM. Gold, Grosvalet, Guiol, Laouedj, Masset et Roux, est ainsi libellé :
Après l’article 1er quinquies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant :
1° L’impact financier et organisationnel de la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein ;
2° Les conditions et modalités d’une extension progressive du dispositif aux autres cancers et affections de longue durée ;
3° Le calendrier prévisionnel de déploiement d’une telle extension.
La parole est à M. Raphaël Daubet.
M. Raphaël Daubet. Après avoir entendu les prises de position qui viennent d’être exprimées et compte tenu du fait que des amendements visant à limiter la rupture d’égalité ont été adoptés, je retire cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié bis est retiré.
Article 2
(Non modifié)
La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services – (Adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié bis, présenté par M. Mouiller, Mme Lassarade, MM. Darnaud, Bouchet et Pellevat, Mmes V. Boyer et Billon, MM. Chaize et Brisson, Mmes Lavarde et Loisier, MM. Favreau et Cuypers, Mmes Borchio Fontimp et Dumas, MM. Bruyen et Michallet, Mme Estrosi Sassone, MM. Médevielle, Cigolotti et J.P. Vogel, Mmes L. Darcos, Gosselin, Goy-Chavent et Josende, MM. Milon, Houpert, Bazin, Levi et D. Laurent, Mmes Malet, Belrhiti, Berthet, Valente Le Hir et Guillotin, MM. Menonville et Karoutchi, Mmes Phinera-Horth et Lopez, M. Savin, Mmes Eustache-Brinio et de La Provôté, MM. Lefèvre, Grand et Chatillon, Mmes Schalck et Dumont, M. Hugonet, Mmes Gruny et M. Mercier, MM. Capo-Canellas et de Legge, Mme Doineau, M. Khalifé, Mme Lermytte, MM. Reichardt et Piednoir, Mmes Guidez, Aeschlimann, Demas, Micouleau, Muller-Bronn, Puissat et Richer, MM. Sol, Chasseing et P. Martin, Mme P. Martin, MM. Panunzi et Cadec, Mmes Evren, Di Folco, Imbert et Perrot, MM. Saury, Reynaud et Paul, Mme Sollogoub, MM. Kern, Perrion, Chevalier, Longeot, Klinger et J. B. Blanc, Mme F. Gerbaud, MM. Sido et Szpiner, Mmes Devésa et Romagny, MM. Paccaud, Verzelen, Belin, A. Marc, Paumier, Mandelli, Courtial et Henno, Mmes Deseyne et Bonfanti-Dossat et MM. Burgoa et Rojouan, est ainsi libellé :
Remplacer les mots :
la prise en charge intégrale des soins liés
par les mots :
à améliorer la prise en charge des soins et dispositifs spécifiques
M. Philippe Mouiller. Cet amendement vise simplement à adapter le titre de cette proposition de loi aux amendements que nous venons d’adopter.
Je profite de cette prise de parole pour remercier le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky de nous avoir permis d’avoir ce débat en commission et en séance publique.
Nous voyons bien que ce sujet nous préoccupe tous, sur toutes les travées. Je vous remercie, madame la rapporteure, de votre travail et de votre écoute, qui nous ont permis de trouver un terrain d’entente pour obtenir des avancées immédiates et de nous faire prendre conscience que d’autres questions restent à traiter.
Je remercie également le Gouvernement d’avoir soutenu cette proposition de loi, que nous avons renforcée d’un point de vue financier et opérationnel afin que les dispositifs qu’elle comporte soient appliqués rapidement. Nous verrons le sort que lui réservera l’Assemblée nationale, mais le texte issu du Sénat est resserré juridiquement, il répond à de réels besoins, il est soutenu par tous les groupes politiques et applicable dans les meilleurs délais. Il réunit, me semble-t-il, toutes les conditions pour prospérer.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. Favorable, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Le Gouvernement émet un avis très favorable sur cet amendement, qui précise clairement le périmètre de ce texte.
Comme vous, monsieur le président, je me félicite de l’équilibre auquel nous sommes parvenus pour garantir le caractère opérationnel des dispositifs de la proposition de loi, dans l’intérêt de toutes les femmes qui luttent contre le cancer du sein.
Mme la présidente. En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Corinne Féret, pour explication de vote.
Mme Corinne Féret. Mes chers collègues, je me réjouis de la qualité de nos débats : nous avons su faire les pas nécessaires pour converger, tous autant que nous sommes, dans l’intérêt supérieur des femmes. Désormais, nous sommes tous en mesure de voter cette proposition de loi.
J’ai une pensée pour l’ensemble des soignants qui accompagnent les femmes. Je n’oublie pas non plus les associations, très nombreuses dans nos départements, qui leur apportent un soutien extrêmement précieux. Je leur adresse un salut tout particulier.
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour explication de vote.
Mme Frédérique Puissat. Beaucoup d’orateurs se sont déjà exprimés sur le fond, en termes techniques et parfois avec émotion. Pour ma part, je tiens simplement à souligner la qualité du parcours législatif qu’a suivi ce texte.
Cette proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale et examinée par nos collègues députés avant d’arriver au Sénat, où elle a été travaillée avec beaucoup d’intelligence par notre rapporteure. Mme Apourceau-Poly en a mesuré à la fois les atouts et les limites. Ainsi, ce texte a pu être adopté en commission, ce qui a permis ainsi la poursuite de son parcours législatif.
En amont de la séance publique, M. le président de la commission des affaires sociales et Mme la rapporteure ont mené un important travail avec le Gouvernement. Madame la ministre, permettez-moi de vous en remercier : nous aboutissons à un texte opérationnel, qui devrait recueillir l’assentiment de la grande majorité de nos collègues – peut-être même sera-t-il voté à l’unanimité.
Aujourd’hui, la qualité du travail législatif est bel et bien au rendez-vous. Je tiens d’autant plus à le souligner que ce n’est, hélas ! pas toujours le cas. Bientôt, nombre de nos concitoyens pourront mesurer l’importance de ce texte. (M. Laurent Burgoa applaudit.)
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi, dont le Sénat a ainsi rédigé l’intitulé : proposition de loi visant à améliorer la prise en charge des soins et dispositifs spécifiques au traitement du cancer du sein par l’assurance maladie.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 26 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 341 |
Contre l’adoption | 0 |
Le Sénat a adopté à l’unanimité. (Applaudissements.)
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. Mes chers collègues, je tiens à vous remercier de votre participation à ces débats, ainsi qu’aux nombreuses auditions organisées. Je salue à mon tour toutes celles et tous ceux qui se mobilisent pour Octobre rose : je pense aux membres des associations ainsi qu’aux soignants et aux maires, qui sont à l’origine de nombreuses manifestations dans nos communes.
De même, je pense évidemment aux élus du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) à l’Assemblée nationale, au sein duquel Fabien Roussel et Yannick Monnet ont pris l’initiative de déposer cette proposition de loi.
Aujourd’hui plus que jamais, il faut mettre l’accent sur la prévention. Malheureusement, 50 % des femmes ne font toujours pas de dépistage. Ce simple chiffre prouve la nécessité de nouvelles mesures incitatives – Mme Guillotin a insisté sur cet enjeu –, il ne s’agit en aucun cas d’imposer une quelconque obligation en la matière.
Vous le savez, j’aurais souhaité que cette proposition de loi aille beaucoup plus loin.
J’aurais notamment voulu que le reste à charge soit moins élevé, qu’il s’agisse de la participation forfaitaire, de la franchise médicale ou du forfait en établissement. Nombre de femmes doivent également acquitter d’importants frais de transport, que ce soit en campagne ou en région parisienne – certaines d’entre elles sont convoquées à sept heures du matin pour des séances de chimiothérapie, ce qui leur pose bien sûr des problèmes de déplacement. Je pense à la fois aux femmes seules, aux mères, pour qui la garde d’enfants n’est pas toujours évidente.
Madame la ministre, je vous remercie de vos annonces, notamment quant au remboursement des prothèses capillaires. Nos interlocuteurs ont insisté sur ce point tout au long de nos auditions. (Mme Véronique Guillotin acquiesce.)
Une prothèse capillaire est remboursée intégralement jusqu’à 350 euros. Lorsque son prix se situe entre 350 à 700 euros, le remboursement est limité à 250 euros. Quant aux prothèses coûtant plus de 700 euros, elles ne font l’objet d’aucun remboursement. Au cours de nos auditions, de nombreuses femmes nous ont certifié que les prothèses de moins de 350 euros, voire de 700 euros, étaient extrêmement difficiles à porter, pour ne pas dire insupportables.
Si ces perruques ne sont pas mettables, c’est aussi parce qu’elles ne ressemblent à rien. Souvent, les malades doivent donc choisir un modèle de plus de 700 euros. Dans ces conditions, on comprend que le régime actuel de remboursement s’apparente à une aberration : j’espère que vous le réviserez rapidement, madame la ministre. C’est un enjeu pour les femmes atteintes d’un cancer du sein et, au-delà, pour toutes les personnes suivant une chimiothérapie. (Mme la ministre déléguée acquiesce.)
De nombreux sujets restent en instance. Si nous sommes tous égaux face à la maladie, laquelle peut frapper chacun d’entre nous à un moment ou un autre, nous ne sommes pas tous égaux financièrement. C’est une réalité. Beaucoup d’ouvrières et d’agricultrices nous ont fait part des difficultés financières qu’elles ont éprouvées lorsqu’elles ont dû interrompre leur activité professionnelle.
En ce sens aussi, j’aurais souhaité que nous allions plus loin. Cela dit, il faut se féliciter que cette proposition de loi ait été votée, qui plus est à l’unanimité.
Je pense à ces femmes atteintes d’un cancer du sein qui, demain, pourront bénéficier d’un forfait annuel de 180 euros au cours de leurs traitements, somme que, jusqu’à présent, elles ne perçoivent qu’après leur guérison. Bien plus, c’est une avancée pour toutes les personnes atteintes d’un cancer. Prothèses et soutien-gorge adaptés feront l’objet d’un forfait spécifique, à l’instar des soins de support, comme les crèmes ou les vernis.
Cette proposition de loi contient des avancées certaines ! (Applaudissements.)
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures quarante-deux.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
8
Charte des services publics
Rejet d’une proposition de loi constitutionnelle
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, de la proposition de loi constitutionnelle instaurant une Charte des services publics, présentée par Mme Cécile Cukierman, M. Ian Brossat et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 760 [2023-2024], résultat de travaux n° 64, rapport n° 63).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi constitutionnelle.
Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi constitutionnelle. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous, élus du groupe CRCE-K, avons fait le choix d’inscrire à l’ordre du jour de nos travaux en séance publique l’examen d’une proposition de loi constitutionnelle instaurant une Charte des services publics.
Contrairement à ce que j’ai pu entendre, il ne s’agit pas de faire un « coup politique ». Il s’agit au contraire, pour nous, de répondre à une exigence politique au sens élevé du terme. L’enjeu, c’est bien notre capacité à vivre ensemble, à faire cité, car nous souhaitons que la cité puisse répondre aux besoins de chacune et de chacun.
C’est une exigence politique, car, depuis de trop nombreuses années, chacun d’entre nous dresse le même constat, que ce soit dans cet hémicycle ou, semaine après semaine, dans son département : celui de la dégradation, de la fermeture, parfois de la privatisation de nombre de nos services publics.
On a pu chanter à des oreilles complaisantes les louanges de cette privatisation, mais ce n’était rien d’autre que le chant des sirènes, tant les conséquences de cette politique se sont révélées catastrophiques pour des usagers réduits au rang de consommateurs. J’y reviendrai.
Le résultat, c’est une France morcelée, fracturée, divisée – au fond, peu importent les termes. Dans tous les cas, le constat est le même, celui d’une France où les oppositions sont de plus en plus vives, que ce soit dans nos outre-mer, dans nos campagnes, dans nos territoires périurbains ou dans nos quartiers populaires.
Dans un tel contexte, nous affirmons notre volonté de constitutionnaliser le développement des services publics et l’accès à ces derniers.
Les services publics constituent notre bien commun, un bien commun partagé ; ils sont le patrimoine de ceux qui n’ont rien. La contribution des uns et des autres ne saurait dépendre de leur usage individuel des services publics. Par ce biais, la cité assure une répartition pour donner à chacun ce dont il a besoin.
Ces biens essentiels, si nombreux, relèvent à la fois des autorités régaliennes et des pouvoirs locaux, qui plus est depuis la décentralisation. C’est la sécurité et la santé, dont on parle beaucoup et souvent. C’est l’école. En vertu de notre Constitution, c’est aussi le travail, car, dans notre République, il convient d’accompagner chacune et chacun vers lui. Ce sont les déplacements – rappelons à ce titre que 75 % des usagers des transports express régionaux (TER) se déplacent soit pour travailler, soit pour se former. C’est bien entendu le logement. C’est également la culture et le sport, dont je ne saurais oublier les différents services publics.
Bien sûr, cette liste n’est pas exhaustive – je n’ai d’ailleurs pas l’intention de faire un inventaire à la Prévert. Cette brève énumération a pour seul but de rappeler la vocation du service public : permettre à chacun de devenir pleinement citoyen, au sein de la République.
Il faut encore y ajouter les services publics à venir, que nous ne pourrons pas définir ce soir, mais qui existeront dans dix ou vingt ans. D’autres, à l’inverse, existaient hier, puis se sont estompés sous l’effet des évolutions de la société.
Les collectivités territoriales jouent nécessairement un grand rôle pour innover, expérimenter, mettre en œuvre et généraliser les nouveaux services publics. On l’a constaté à maintes reprises au cours des dernières décennies. À cet égard, nous pourrions évoquer les crèches, les centres de loisirs ou encore les colonies de vacances.
Les colonies de vacances sont nées de la volonté d’un certain nombre d’élus, désireux que tous les enfants, quelle que soit leur condition sociale, connaissent ce moment merveilleux que sont les vacances, que tous les enfants puissent sortir de leur environnement et de leur quotidien et, ce faisant, devenir pleinement les citoyens de demain.
Évidemment, je rends hommage à ces maires, bien souvent communistes, qui, malgré les difficultés, ont su instaurer ces services publics aujourd’hui présents dans toutes les collectivités territoriales. C’est à leur force de volonté que nous devons ces créations.
Mes chers collègues, je vous entends déjà me demander : pourquoi cette charte ? La question nous a déjà été posée en commission des lois et je tiens à vous rassurer d’entrée de jeu : loin de moi l’idée de plagier le président Jacques Chirac. Je ne m’y risquerai pas, n’ayant d’ailleurs pas sa taille… (Sourires.)
Souvenons-nous toutefois du discours que Jacques Chirac a prononcé à Nantes, à l’occasion de l’ouverture des premières assises de la Charte de l’environnement, au moment où il installait la commission chargée d’élaborer cette dernière. Il dénonçait alors « une quête effrénée du profit », qu’il jugeait responsable du naufrage du Prestige, lequel faisait suite à celui de l’Erika.
Aujourd’hui, c’est pour éviter le naufrage social et démocratique de notre pays que nous voulons mettre à l’abri de cette « quête effrénée du profit » les services publics dans leur ensemble.
Oui, nous affirmons le primat de l’intérêt général sur les logiques libérales, dont procède la course aux privatisations.
Oui, nous dénonçons la concurrence dite libre et non faussée, qui oppose entre eux les services, les travailleurs et les producteurs de notre pays.
C’est cette fameuse concurrence qui a cassé le service public de l’énergie. Grâce à elle, nos concitoyens paieraient l’énergie moins cher : c’est en tout cas ce que l’on nous promettait. Les deux dernières années ont prouvé le contraire. Face à la flambée des prix de l’énergie, il a fallu recourir au budget de l’État pour déployer divers dispositifs de solidarité.
S’il s’agit d’éviter un naufrage social et démocratique, c’est parce que les services publics font partie intégrante de notre histoire commune : celle de la République française.
En développant les services publics, nous combattons l’individualisme. En les préservant, nous canalisons la colère, le refus, l’isolement et le repli sur soi de nombre de nos concitoyens ; ces réflexes qui, aujourd’hui, forment le terreau du populisme et de l’extrême droite.
Comme beaucoup, nous avons été sidérés par les résultats des élections européennes et du premier tour des élections législatives anticipées. Nous sommes stupéfaits que tant de nos concitoyens se sentent désormais exclus de la République et que ce sentiment se renforce. Nous voulons aussi rassurer les agents de ces services publics, qui se trouvent en première ligne.
Quand le service public est fragilisé, quand il dysfonctionne, ces agents sont les premiers à subir les agressions verbales, parfois même physiques dont se rendent coupables des usagers en colère.
Mes chers collègues, le dépôt de cette proposition de loi constitutionnelle est le fruit d’un choix mûrement réfléchi, que nous avons fait collectivement au mois de juillet dernier.
À ce moment-là, personne ne savait qui serait nommé Premier ministre, pas même l’actuel titulaire du poste. Je le répète, nous avons cherché non pas à faire un coup politique, mais bien à apporter une réponse politique.
Nous proposons d’inscrire le droit aux services publics parmi nos droits fondamentaux, comme d’autres, en leur temps, ont voulu inscrire le développement durable dans notre Constitution.
Si nous avons opté pour une charte, c’est parce qu’il n’était pas question pour nous de toucher au préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : trop souvent, on cherche à remanier ce texte pour lui donner une teinte plus libérale et non pour asseoir la République sociale qui est la nôtre.
Nous n’avons pas cherché à introduire de vagues références au service public ici ou là, éparpillés dans quelques articles de loi, afin de nous donner bonne conscience. Nous avons écrit un texte cohérent, traduisant une vision d’ensemble.
Je ne méconnais pas les incidences budgétaires et normatives d’un tel choix. Reste que nous sommes trop bien placés, dans nos départements respectifs, pour constater tout ce qui ne va pas et pour ne pas en tirer les conséquences.
J’entends les critiques et je suis prête à les accepter. Cela étant, en treize ans de vie parlementaire, j’ai vu passer beaucoup de propositions de loi assez mal écrites et amendées en conséquence. J’ai même vu adopter un certain nombre de textes relativement fragiles, dans l’espoir que le débat parlementaire les améliore…
Bien sûr, j’anticipe l’issue de cette discussion – je suis sans illusion à cet égard –, mais, mes chers collègues, je vous invite tout de même à voter ce texte de réconciliation, ce texte qui nous permet de faire société, ce texte grâce auquel nos concitoyens retrouveront tout le sens du consentement à l’impôt.
Tel est le but de cette proposition de loi constitutionnelle : que le mot « égalité », inscrit au fronton de toutes nos mairies, redevienne une valeur concrète pour tous les citoyens de la République française. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle présentée par Cécile Cukierman, présidente du groupe CRCE–Kanaky, et plusieurs de ses collègues vise à instaurer une charte proclamant un ensemble de principes et de normes relatifs aux services publics, et à inclure ce texte dans le préambule de la Constitution.
Avant d’entrer dans le détail de cette proposition de loi constitutionnelle, je tiens à formuler ce rappel : l’état des services publics, leur déploiement territorial et leur performance sont des enjeux qui nous engagent tous et à propos desquels le Sénat n’a de cesse d’intervenir. J’en veux pour preuve le vote, la semaine dernière, dans cet hémicycle, de la proposition de loi organique d’initiative sénatoriale visant à préserver notre service public audiovisuel en réformant son financement.
Aussi, je salue la volonté du groupe CRCE-K de placer une fois de plus les services publics au cœur de nos débats.
Le texte que nous examinons aujourd’hui se distingue des derniers travaux sénatoriaux sur le sujet. Il s’agit de réviser la Constitution pour protéger nos services publics et leurs usagers.
Le projet de constitutionnaliser le service public n’est pas nouveau. Il a été défendu par des personnalités politiques de différents bords, à diverses époques, mais sans jamais aboutir.
Tout d’abord, je rappelle que la norme constitutionnelle n’est pas muette à ce sujet. Dès 1946, le préambule de la Constitution a mentionné les services publics, ainsi que le rôle de l’État dans leur mise en œuvre. Par la suite, le Conseil constitutionnel a reconnu l’existence de « services publics constitutionnels ». Il a également relevé ces exigences constitutionnelles que sont les principes d’égalité, de continuité et de neutralité dans la mise en œuvre du service public.
Dès lors, la question est la suivante : dans quelle mesure de nouvelles dispositions constitutionnelles permettraient-elles concrètement de renforcer la qualité des services publics pour nos concitoyens ?
Si la commission des lois a unanimement reconnu l’enjeu majeur que constitue la lutte contre la dégradation des services publics, elle n’a pas adopté cette proposition de loi constitutionnelle, au motif qu’elle n’est pas en mesure de transformer la situation réelle des services publics dans les territoires.
En effet, l’inscription de cette charte dans la Constitution pourrait priver les pouvoirs publics de leur capacité à agir pour faire évoluer les services publics. Elle pourrait ainsi aboutir à un regrettable immobilisme de ces derniers.
Alors que le législateur dispose aujourd’hui d’un pouvoir discrétionnaire pour créer tel ou tel service public, selon les besoins et les évolutions de la société, la charte proposée énumère limitativement des domaines d’intervention.
La définition d’un périmètre strict a fait l’objet de réserves lors de l’examen du texte en commission.
Certains des domaines d’intervention du service public définis par la charte ont semblé hasardeux, à l’image notamment du « développement personnel » de la Nation.
De plus, dès lors qu’il serait inscrit dans la Constitution, ce périmètre deviendrait immuable : la création d’un service public en dehors de ce cadre deviendrait ainsi juridiquement impossible.
En conséquence, l’adoption de ce texte priverait les pouvoirs publics de la possibilité de déployer des services publics dans de nouveaux domaines, comme ce fut le cas ces dernières années pour accompagner l’essor du numérique.
L’instauration par la charte d’un devoir de sauvegarde des services publics renforcerait par ailleurs la « pétrification » du service public, lequel ne pourrait plus évoluer en fonction de nouveaux enjeux d’intérêt général.
En parallèle, la charte impose une modification profonde du mode de gestion des services publics, laquelle ne serait pas sans conséquence sur la libre administration des collectivités territoriales. Elle exige en effet de l’État qu’il garantisse « la préservation et le fonctionnement pérenne de l’ensemble des services publics locaux », ce qui s’apparente à une tutelle de sa part sur les collectivités territoriales. Nous ne pouvons évidemment pas y souscrire.
De manière plus contraignante encore, la charte restreint drastiquement la possibilité pour les gestionnaires publics de recourir à une délégation de service. Ce mode de gestion étant omniprésent à l’échelle des collectivités territoriales, les élus locaux seraient très certainement les premiers à pâtir d’un tel manque de souplesse dans la gestion des services publics.
Enfin, alors que l’on ne cesse de rappeler l’urgence de simplifier les normes, la constitutionnalisation de cette charte risque d’entraîner une multiplication regrettable des contentieux, par l’ajout, au sommet de la hiérarchie des normes, de dispositions imprécises relevant d’un registre plus politique que juridique.
L’introduction de concepts inédits en droit suppose une déclinaison législative ou réglementaire : c’est le seul moyen de rendre de telles notions applicables. Toutefois, en procédant ainsi, l’on risque de complexifier encore le cadre juridique que doivent respecter les gestionnaires publics.
La majorité des valeurs introduites par la charte découle pourtant des principes d’égalité, de continuité et de neutralité, que la Constitution protège d’ores et déjà.
On peut donc estimer que la norme suprême présente aujourd’hui un équilibre satisfaisant. Elle protège des valeurs fondamentales pour nos services publics tout en laissant au législateur le soin de prendre les mesures nécessaires au déploiement concret de ces principes constitutionnels.
La commission a également noté un certain nombre de problèmes de conformité au droit de l’Union européenne.
Dans leur exposé des motifs, les auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle prétendent en effet se soustraire au cadre normatif européen applicable aux services publics. Comme nous l’avons rappelé en commission, une telle volonté est vaine, étant donné la primauté du droit de l’Union européenne.
En outre, rien n’indique que la réglementation européenne aurait un réel effet délétère sur la qualité des services publics concernés.
L’inquiétude ressentie dans les premières heures de la construction européenne quant à la préservation du modèle de service public à la française s’est dissipée, le dialogue des juges et le développement des normes ayant permis la conciliation des exigences des deux ordres juridiques.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission a jugé que la constitutionnalisation de cette charte ne serait pas en mesure d’améliorer la situation effective des services publics en France.
Elle a notamment estimé que la préservation de ces derniers se concrétisera non pas par le désengagement des pouvoirs publics que pourrait engendrer d’une telle charte, mais, bien au contraire, par la mobilisation du législateur et des élus de terrain en faveur du déploiement fin, égal et continu de nos services publics sur les territoires.
La commission propose donc de ne pas adopter cette proposition de loi constitutionnelle. Néanmoins, je tiens de nouveau à remercier nos collègues du groupe CRCE-K de la réflexion nécessaire à laquelle ils nous engagent.
M. Pascal Savoldelli. Heureusement que nous sommes là !
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Je suis par ailleurs certaine que notre institution conservera ce sujet au cœur de ses priorités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, madame le rapporteur, madame la sénatrice Cécile Cukierman, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’est-ce que le service public ?
C’est l’idée que certains besoins appellent une réponse qui ne peut être tributaire de l’initiative privée. C’est l’idée que ces mêmes besoins doivent, au contraire, être pris en charge, autant que nécessaire, par la collectivité tout entière.
Parce qu’ils sont essentiels, parce qu’ils sont à la fois la garantie du vivre ensemble et un levier pour mettre en place des politiques publiques, ou parce qu’ils ne peuvent pas ou ne doivent pas dépendre du jeu de l’économie de marché, c’est à la collectivité publique de veiller à leur prise en charge.
En France, la notion de service public s’est construite concomitamment – ce n’est bien sûr pas le fruit du hasard – à la conception de l’État moderne.
Autrefois défini par ses prérogatives de puissance publique et, selon la conception wébérienne, par son monopole de l’usage légitime de la force, l’État s’est construit au XXe siècle comme le garant d’un compromis social qui garantit à tous l’accès à certains services de base : les services publics.
La notion de service public revêt des significations multiples. Elle désigne des entités sociales dont les particularités les distinguent des entreprises privées. C’est également une notion juridique qui commande l’application de règles spécifiques. Il s’agit, avant tout, d’un principe révélant le rôle fondamental que jouent certaines activités pour la cohésion de notre société.
En vérité, les services publics sont porteurs de différentes incarnations, selon que l’on se situe du point de vue de l’usager, des agents, des opérateurs économiques, du juriste ou de l’autorité politique.
L’éminent professeur de droit public Marcel Waline jugeait ainsi avec humour qu’« il est plus facile de récupérer le mercure échappé d’un vieux baromètre que de saisir la notion de service public ».
La doctrine universitaire s’est bien essayée à trouver une définition du service public. Celle qui est la plus communément admise est attribuée à Gaston Jèze. Selon lui, les services publics sont « les besoins d’intérêt général que les gouvernants, dans un pays donné, à une époque donnée, ont décidé de satisfaire par le procédé du service public ».
Dans cette définition, l’intention des gouvernants est déterminante : c’est elle que les critères jurisprudentiels chercheront à identifier.
Devant le Conseil d’État, Corneille, commissaire du gouvernement, concluait d’ailleurs : « La notion de service public est une notion en quelque sorte subjective ; elle dépend, pour la plus grande part, de l’intention de l’autorité chargée d’organiser le service. »
C’est donc une notion révélant le point d’équilibre de notre cohésion sociale, qui varie dans l’espace et dans le temps et structure les choix collectifs.
Certains de ces services publics sont aisément identifiables. Ils sont consacrés par nos textes constitutionnels depuis la Révolution de 1789 et constituent l’identité même de notre République. Il en est ainsi de l’éducation : de « l’instruction publique » du constituant de 1791 à « l’enseignement public gratuit et laïc » du préambule de la Constitution de 1946.
Il en est de même de l’assistance et de la santé : des « secours publics » considérés comme « dette sacrée » en 1793, à « l’assurance fraternelle » envers les « citoyens nécessiteux » de la IIe République, jusqu’aux principes de la sécurité sociale posés par le constituant en 1946.
La majorité des services publics apparaissent et disparaissent au gré des évolutions de la société et des choix collectifs. Ils ne sont alors pas consacrés par la Constitution, mais ressortissent au pouvoir législatif ou réglementaire.
Deux constantes caractérisent cependant le service public dans sa longue histoire : en premier lieu, une expansion continue de son périmètre ; en second lieu, une évolution, voire une reconfiguration de son régime juridique, avec l’essor des modes de gestion privée du service public.
Aujourd’hui, les services publics sont confrontés à de nouveaux défis et porteurs d’une formidable capacité de projection de notre société. Identifiés par le Conseil d’État dans son rapport public pour l’année 2022, intitulé L’Usager, du premier au dernier kilomètre : un enjeu d’efficacité de l’action publique et une exigence démocratique, ils requièrent une plus grande proximité de l’action publique, ainsi que du pragmatisme et de la confiance.
Eu égard à son histoire et à ses enjeux, est-il bien opportun d’ériger le service public au rang constitutionnel ? Par ailleurs, les modalités choisies sont-elles adaptées ?
Je ne le pense pas.
D’abord, la notion de service public, aussi essentielle soit-elle à l’organisation de notre vie en société, n’a pas sa place dans la Constitution. Ensuite, la charte qui est proposée déstabilisera, à plusieurs égards, l’organisation et le fonctionnement actuels de nos services publics.
À mes yeux, il n’est pas opportun d’ériger au rang constitutionnel une définition du service public.
Aujourd’hui, le service public recouvre les activités identifiées comme telles par le législateur et le juge administratif, selon une jurisprudence bien établie. Celle-ci permet de ne pas figer la notion, mais, au contraire, de l’adapter au mouvement constant dont les services publics sont l’objet, pour répondre aux attentes de la société.
La jurisprudence du Conseil d’État a défini le service public de manière casuistique, en recherchant toujours l’intention du législateur ou du pouvoir réglementaire, qu’elle soit expresse ou implicite.
Procédant à une systématisation de sa jurisprudence, le Conseil d’État a finalement dégagé trois critères d’identification d’une activité de service public.
Il s’est d’abord attaché à vérifier le caractère d’intérêt général de l’activité, par nature évolutif et fortement lié à un contexte historique, politique, économique ou social donné.
Il a ensuite examiné son lien avec la puissance publique, toute activité de service public étant sinon assurée par l’administration, du moins exercée sous son contrôle.
Il a enfin recherché, dans certains cas spécifiques, l’existence de prérogatives exorbitantes du droit commun dont le gestionnaire disposerait pour assurer le fonctionnement de l’activité.
Cette approche jurisprudentielle a permis d’éviter deux écueils : une approche trop restrictive du champ des services publics, cantonnés aux seuls services publics régaliens ou traditionnels ; à l’inverse, une approche trop extensive englobant toutes les activités d’intérêt général.
Le critère de l’intérêt général a permis d’adopter une approche casuistique et souple du champ des services publics.
Quelques exemples célèbres le démontrent.
En 1916, le Conseil d’État estimait que le théâtre n’était pas une activité d’intérêt général. Toutefois, au gré des évolutions de la société, et selon certaines circonstances de temps et de lieu, cette même activité a pu recevoir la qualification d’activité d’intérêt général.
De même, en matière économique, l’intervention des personnes publiques s’est progressivement affirmée, non d’un bloc, mais avec nuance, afin de respecter le principe de la liberté du commerce et de l’industrie.
Le critère de l’intérêt général ne suffit pas à saisir la notion de service public. Le critère organique de la maîtrise de la puissance publique et sa manifestation concrète, le cas échéant prolongée par l’octroi de prérogatives de puissance publique, sont apparus comme indispensables pour encadrer le champ du service public, qui est avant tout une activité pensée et organisée comme telle par les pouvoirs publics.
C’est cette intention que recherche le juge administratif dans le silence des textes, à l’aide des critères que je viens d’évoquer.
À cette conception souple et casuistique, faisant du service public une notion relative et contingente, la présente proposition de loi constitutionnelle prévoit de substituer une définition unique au plus haut niveau de la hiérarchie des normes.
Elle compléterait ainsi le préambule de la Constitution : ainsi, son premier alinéa renverrait à la Charte des services publics, comme il renvoie déjà à la Charte de l’environnement.
En raison d’un renvoi à des termes identiques, il est tout à fait probable que le Conseil constitutionnel reconnaisse une valeur constitutionnelle à la Charte des services publics.
La définition du service public que celle-ci contient s’imposerait en droit interne devant toutes les juridictions. Idem pour tous les principes d’organisation et de fonctionnement qu’elle énonce.
Ce faisant, elle romprait avec l’état du droit à deux égards.
D’une part, elle élèverait au rang constitutionnel la notion de service public, qui est aujourd’hui une notion le plus souvent de niveau législatif, voire réglementaire.
D’autre part, elle graverait dans le droit positif une définition qui, jusqu’à présent, n’existait qu’au travers de critères d’identification élaborés par la jurisprudence.
L’opportunité d’un tel rehaussement me paraît discutable.
En effet, l’inscription de cette charte dans la Constitution figerait la définition du service public, ainsi que ses modalités d’organisation et de fonctionnement.
Elle conduirait ensuite le Conseil constitutionnel à encadrer l’action du législateur dans un domaine où le choix politique est primordial.
En effet, c’est à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il appartient de déterminer, avec vos collègues députés, ce que doit être le champ de l’action publique d’aujourd’hui et de demain.
C’est à la loi, que vous vous employez à construire ici, de fixer les règles de fonctionnement du service public et de répondre à l’ensemble des questions que pose aujourd’hui le service public : quel service rendu à l’usager ? Quelles exigences pour l’administration ? Quelles garanties pour le public ?
Demain, avec une Charte des services publics, c’est au juge constitutionnel qu’il appartiendrait de déterminer si la loi apporte à ces questions des réponses conformes aux principes qu’elle énonce et à la définition du service public qu’elle grave.
En la matière, nous pensons préférable que le Parlement conserve toute latitude, de manière responsable et sous le contrôle vigilant de nos concitoyens.
Je le souhaite d’autant plus que certains des principes énoncés par cette charte sont incompatibles avec l’état de notre droit, d’abord parce que la définition retenue me semble à la fois imprécise et extensive.
Selon le préambule de cette charte, « toute activité qui concerne le développement social, culturel, éducatif, économique et personnel de la société tout entière a vocation à constituer un service public » et l’article 1er dispose que « les services publics concernent les activités indispensables à la réalisation et au développement de la cohésion sociale », sans que l’on sache comment ces deux définitions s’articulent.
C’est donc une conception essentialiste du service public, indépendante des circonstances locales et des besoins de la population, que cette charte propose.
Le droit raisonnerait non plus en termes de besoin local ou national, de circonstances de temps et de lieu, mais par catégories d’activités. Cela constituerait une rupture majeure avec la conception française du service public.
De cette définition, on constate également que le critère organique a disparu. Ainsi, les activités dites de service public seraient non plus seulement celles qui sont assumées ou organisées par les pouvoirs publics, mais toute activité entrant par son objet dans le champ défini.
Cela me semble bien sûr inconcevable, surtout si l’on se réfère à une définition aussi accueillante que celle qui est proposée.
Cette charte comporte également des risques pour les services publics eux-mêmes.
En effet, si elle énonce en son article 2 des principes régissant le service public qui semblent conformes au droit en vigueur, elle décline par ailleurs des règles de fonctionnement probablement incompatibles avec l’organisation actuelle des services publics.
En particulier, elle revient de manière radicale sur la possibilité de recourir aux personnes privées pour l’exécution du service public, sauf « nécessité impérative motivée ».
Cette disposition est contraire à l’état du droit, qui repose sur un principe de libre gestion s’imposant à l’ensemble des services publics, excepté certaines activités régaliennes dites non délégables.
Elle est également profondément contraire à l’organisation de certains services publics historiques. Je pense bien sûr à la sécurité sociale qui, faut-il le rappeler, est gérée à l’échelon local par des organismes et des personnels de droit privé.
N’oublions pas les collectivités, en particulier les communes, qui, bien souvent, se trouvent dans l’obligation de recourir à des personnes privées pour assurer les services publics qu’elles n’ont pas les moyens de faire fonctionner.
Enfin, cette charte assigne à l’État des obligations excessives.
« L’État garantit la préservation et le fonctionnement pérenne de l’ensemble des services publics locaux ou nationaux », énonce l’article 4. On croit lire que le champ des services publics serait immuable et intangible. Pourtant, la jurisprudence administrative, pleine de sagesse, concilie depuis toujours le principe de continuité à celui de mutabilité des services publics.
Cette impression est renforcée à la lecture de l’article 6, qui fait obligation aux gouvernants de « prévenir et de limiter les atteintes aux services publics, qu’ils soient administratifs ou industriels et commerciaux », ou de l’article 7, qui institue un droit de participation des usagers et des agents.
De manière générale, il me semble essentiel que le législateur conserve toute latitude pour définir le périmètre des services publics, ainsi que l’étendue et les modalités du service rendu aux usagers.
En effet, ces questions touchent au cœur des prérogatives du Parlement : prévoir les principes d’organisation des services publics, déterminer les droits des usagers et définir les orientations budgétaires qui en découlent.
Vouloir contraindre les choix exercés en la matière par un texte constitutionnel est une idée contre-productive, voire périlleuse.
Aujourd’hui, les services publics de notre pays sont confrontés à de nouveaux défis. Plus que jamais, ils sont à la fois plébiscités et critiqués. Leur coût, leur efficacité, leur proximité et leur accessibilité sont autant de questions qui se posent de manière très concrète, service par service, et appellent des réponses pragmatiques.
Le temps n’est pas venu de chercher à enrichir notre bloc de constitutionnalité par cette déclaration de principes qui, me semble-t-il, n’aurait d’autre effet que de venir contrarier la liberté d’action future.
Je tiens toutefois à saluer l’ambitieux travail accompli par les rédacteurs de cette proposition de loi constitutionnelle, manifestement inspirés par une haute idée du service public, que je partage profondément – vous le savez.
Le service public est l’engagement de ma vie auprès de nos concitoyens, comme élu, comme magistrat, comme président d’autorité administrative indépendante et, aujourd’hui, comme ministre.
C’est cet attachement même à l’idée du service public et le souci que nous partageons tous de les faire vivre et de les préserver qui m’amène, mesdames, messieurs les sénateurs, à exprimer l’avis défavorable du Gouvernement sur cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Michel Masset. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’apparition du service public en France est d’abord issue d’un constat dressé en 1871 par le tribunal des conflits : les droits de l’État dans l’exercice d’une activité profitable à tous ne peuvent être les mêmes que ceux des personnes privées.
En écho à cette interprétation, le préambule de la Constitution de 1946 mentionne le champ des services publics nationaux : la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs, l’instruction, la formation professionnelle et la culture.
Les services publics ne sont pas figés, ils évoluent au gré des besoins du temps et de la société.
Pour ma part, je suis attaché à la définition qu’en donne le grand Jaurès : « Le service public est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. »
Le professeur Léon Duguit faisait du service public un devoir des gouvernants, « parce que l’accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale ».
Ciment de notre solidarité, ferment de notre société et serment républicain, le service public matérialise très concrètement notre ambition collective à vivre ensemble. À cet égard, la fragilisation que nous constatons dans de nombreux domaines atteint dans certains territoires un degré insupportable.
Vous connaissez, mes chers collègues, l’effet désastreux qu’entraîne la fermeture d’une classe ou d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou bien le regroupement de centres hospitaliers ou de maternités. Ces décisions, bien souvent verticales, sont vécues comme un arrachement et marquent le déclin irrémédiable d’un État qui se défait.
J’ai l’habitude de dire que nos services publics sont l’eau et le sang de l’édifice républicain.
Dans une société fracturée, mondialisée, au sein d’un ensemble bringuebalant, le service public est un phare qui nous astreint à tracer la meilleure des voies menant à l’épanouissement de tous et à dresser un rempart contre le fanatisme et l’ignorance.
Le service public est un cri de ralliement, symbole des droits économiques et sociaux par lesquels l’État ne s’interdisait plus d’agir. Au contraire, il s’appuyait sur ces droits dits de deuxième génération, dont le but est d’assurer la dignité de l’individu, pour se mettre au service des citoyens.
Le critère du service public est autant l’intérêt général que la solidarité sociale. C’est la mise en commun des richesses d’une nation au profit de chaque individu. C’est l’outil le plus efficace de redistribution et de justice.
La dimension territoriale de cette justice est incontournable, mais la réduction des ressources pilotables des collectivités a grandement amputé les marges de manœuvre des élus de proximité.
Cette tendance s’est accompagnée d’un désengagement, voire d’un abandon de l’État aux conséquences délétères sur la qualité de vie des citoyens.
De même, le fossé s’est creusé entre la puissance publique et la Nation, dont certains membres trouvent un refuge prétendument légitime dans des discours simplistes et populistes : ils entretiennent d’abord les différences et évitent d’identifier ce qui crée du sens commun.
Si elle semble nécessaire, cette proposition de loi constitutionnelle ne peut être adoptée par notre assemblée en l’état. En effet, les conséquences juridiques identifiées par Mme le rapporteur dépassent la volonté des auteurs.
La consécration de lois du service public est une bonne chose. Certaines d’entre elles – l’égalité, la laïcité et la continuité du service public – ne sont d’ailleurs pas étrangères au droit constitutionnel.
Dans leur pluralité, les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen sont partagés et une grande majorité d’entre eux s’abstiendront. Toutefois, tous se montrent favorables à engager des discussions sur un sujet aussi essentiel aux yeux de tous. C’est pourquoi je remercie Cécile Cukierman d’avoir ouvert ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Olivia Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Olivia Richard. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier chaleureusement le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky et sa présidente, Cécile Cukierman. Cette initiative parlementaire nous offre un débat toujours utile sur les services publics français. Je dis « français » et non « en France », car nos services publics ne s’arrêtent pas à nos frontières.
Pour les Français de l’étranger, les services publics sont une manifestation tangible du « faire nation » ; c’est d’autant plus essentiel que ceux-ci ne vivent pas sur le territoire de la République. Les services diplomatiques et consulaires sont ce morceau de France qui rattachent à la patrie, ce lien indéfectible qui résiste à la distance.
L’idée d’une « Charte des services publics » est très intéressante. La méthode employée rappelle celle du président Jacques Chirac en 2005, lorsque la Charte de l’environnement a été créée.
Néanmoins, quelle plus-value l’inscription d’un tel dispositif dans notre bloc de constitutionnalité apporte-t-elle, surtout en ce qui concerne l’accès aux services publics ?
Mes chers collègues, nous avons constitutionnalisé le droit de recourir à une interruption volontaire de grossesse (IVG) il y a quelques mois seulement. Je suis intimement convaincue qu’une telle mesure était indispensable pour réaffirmer la liberté de la femme à disposer de son corps, sans qu’aucun retour en arrière soit désormais possible. Le contexte à la fois national et international rendait cette démarche indispensable.
Concernant notre attachement au service public, le contexte n’est pas le même ; non pas que tout aille pour le mieux, mais la réponse adéquate n’est pas un texte constitutionnel, qui plus est celui qui est proposé à notre examen.
Nous aurions pu imaginer plutôt un texte de liberté, comme la charte des services publics adoptée par le Maroc en 2021. Celle-ci édicte l’ensemble des règles qui régissent le service public dans ce royaume et, contrairement à cette proposition de loi constitutionnelle, elle décline les grands principes des services publics sans mettre de freins aux acteurs chargés de les mettre en œuvre. C’est une charte qui fixe des objectifs sans figer dans le marbre les moyens pour les atteindre. Un texte de cette nature aurait été, à mon avis, plus opportun.
Je reviens rapidement sur les arguments plus techniques avancés par Mme le rapporteur, que le groupe Union Centriste partage. Ils sont au nombre de trois : une définition trop large du service public, qui nécessite surtout de la souplesse ; une remise en cause des délégations de service public, pourtant indispensables ; l’atteinte à la libre administration des collectivités territoriales, puisque l’État se voit confier la responsabilité de garantir la préservation et le fonctionnement pérenne de l’ensemble des services publics locaux.
Pour autant, l’examen de cette proposition de loi constitutionnelle nous donne l’occasion de réaffirmer notre attachement aux services publics. Je saisis cette occasion pour évoquer plus particulièrement l’administration outre-frontière et ce qu’elle représente pour nos 3 millions de compatriotes qui vivent à l’étranger.
Les Français de l’étranger sont un laboratoire de modernisation de nos services publics. Ils sont les pionniers de dématérialisations innovantes qui peuvent être pertinentes pour tous les Français.
Par exemple, ils ont été les premiers à expérimenter le vote par internet dès 2003, avec un succès certain : lors des élections législatives de 2024, le vote par internet a représenté plus de 75 % des suffrages au premier tour, dépassant les 90 % dans certaines circonscriptions. Il a ainsi permis une participation inédite des élections essentielles.
La numérisation de nombreux services aux usagers, dont les Français de métropole bénéficient quelques années plus tard, commence chez les Français de l’étranger. Je pense en particulier à la procédure de renouvellement du passeport entièrement dématérialisée et au certificat de vie.
Alors que les prises de rendez-vous étaient presque devenues impossibles au sortir de la pandémie de covid-19, il est aujourd’hui plus rapide de refaire un passeport dans certains consulats que dans une mairie française ! C’est remarquable et j’adresse mes sincères remerciements à toute l’administration consulaire.
Toutefois, ces innovations utiles et nécessaires restent un défi : la fracture numérique frappe nos compatriotes autant à l’étranger que dans l’Hexagone – elle est sans doute encore plus prégnante hors de nos frontières.
Aussi, il est primordial de garantir une égalité d’accès aux services publics à tous les Français, fussent-ils à l’étranger. À cet égard, nous ne pouvons que déplorer l’impossibilité pour de nombreux Français de l’étranger d’utiliser FranceConnect ; cela leur est fatal, si j’ose dire.
Après vingt ans de réduction des effectifs du Quai d’Orsay et de nos emprises françaises à l’étranger, le Président de la République s’était engagé, à l’occasion des assises de la diplomatie parlementaire et de la coopération décentralisée, à augmenter de 700 équivalents temps plein (ETP), dont l’entrée en fonction est étalée jusqu’en 2030. On peut déjà se satisfaire du recrutement de 75 ETP pour le prochain exercice budgétaire ; leur contribution est indispensable.
Dès lors que des moyens décroissants ne permettent pas de répondre à une demande croissante, la situation est intenable pour les agents consulaires. Nous serons donc vigilants à ce que la nécessaire prudence budgétaire ne conduise pas à oublier notre service public à l’étranger.
En conclusion, l’adoption de cette proposition de loi constitutionnelle ne garantira pas qu’un agent se tienne devant chaque citoyen. Le débat est davantage budgétaire et la période y est propice. Gageons que nous serons nombreux à défendre, amendement par amendement, l’importance du service public au cours des prochaines semaines.
Le groupe Union Centriste ne votera pas cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Ian Brossat. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, Cécile Cukierman a déjà présenté les ambitions qui sous-tendent cette proposition de loi constitutionnelle.
Au fond, de quoi s’agit-il ? Il s’agit tout d’abord de partir d’un constat que nous partageons unanimement ici, puisque nous parcourons tous le territoire : celui de l’ampleur de l’hécatombe, d’un recul massif des services publics à la fois dans les grandes métropoles et dans les zones rurales.
Notez que 33 % des maternités françaises ont fermé leurs portes en vingt ans, et même les trois quarts en cinquante ans.
On déplore également la fermeture de 17 000 écoles en l’espace de quarante ans. Un tiers des bureaux de poste a disparu depuis 2010. Quelque 1 200 fermetures de trésorerie et de centre des finances publiques sont également survenues depuis 2009.
Cette réalité, chacun la regrette, semaine après semaine, mois après mois. Toutefois, nous ne pouvons pas nous en tenir à ce simple constat. Il ne suffit pas de proclamer que nous sommes attachés au service public et que nous souhaitons le défendre : il faut agir.
J’insiste, les mots ne suffisent pas ; autrement, ce ne sont que des mots creux.
Si nous vous suggérons d’adopter une charte assurant la défense des services publics et l’inscription de cette notion dans la Constitution, c’est précisément pour sortir d’une hypocrisie désormais bien connue.
En même temps que l’on déplore l’état de l’hôpital public, on continue à fermer des services hospitaliers.
En même temps que l’on regrette la baisse du niveau des élèves – à juste titre –, on supprime par milliers des postes d’enseignant, une trajectoire que vient malheureusement confirmer le projet de loi de finances pour 2025.
En même temps que l’on pointe du doigt – à juste titre encore – la délinquance des mineurs, on réduit les effectifs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
La charte que nous proposons vise à sortir de ces vains mots, de cette posture, de cette hypocrisie qui s’exprime malheureusement trop souvent.
Cécile Cukierman a rappelé ce principe qui, je l’espère, anime votre action : nous considérons que les services publics sont indispensables pour répondre aux besoins fondamentaux des populations. Comme on le répète souvent, ils sont « le patrimoine de ceux qui n’en ont pas ».
Oui, les services publics sont indispensables pour se soigner, pour s’instruire et pour satisfaire tant d’autres besoins essentiels à chacun. Ils sont aussi fondamentaux pour assurer la cohésion nationale et faire vivre le principe d’égalité inscrit au fronton de nos mairies.
Ils ne sont pas simplement le patrimoine de ceux qui n’en ont pas, ils sont aussi celui que nous avons en commun, celui qui donne à chacun le sentiment de faire quelque chose ensemble. Il nous paraît donc nécessaire de les défendre.
Ils sont en outre partie intégrante de notre identité nationale, de ce qui fait notre fierté d’être Français. Longtemps, lorsque nous discutions avec des gens venus d’autres pays, le service public était l’un des éléments qui nous rendaient fiers : la force de l’hôpital public tel qu’il est conçu en France ou celle de la sécurité sociale, qui suscitait chez beaucoup une forme d’admiration.
Oui, les services publics sont essentiels et nous souhaitons qu’ils puissent faire leur entrée dans la Constitution. Tel est le sens de la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd’hui.
J’ai bien évidemment entendu les objections avancées ce soir ; certains de mes collègues se disent eux aussi très attachés aux services publics, mais ne sont pas en mesure de voter ce texte. Je forme le vœu que cet attachement se voie dans les semaines qui viennent, à l’occasion du débat budgétaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à M. Grégory Blanc.
M. Grégory Blanc. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je remplace aujourd’hui mon collègue Guy Benarroche, malheureusement empêché.
Le 10 octobre 2024, la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse a annoncé vouloir supprimer pas moins de 4 000 postes d’enseignants.
Ce que certains appellent « réforme des services publics » s’apparente dans les faits, à l’image de l’exemple que je viens de citer, à des suppressions de moyens humains qui, bien souvent, se traduisent par des transferts de compétences.
Au final, ces dernières années, le fonctionnement des services publics s’est complexifié et est devenu, pour les citoyens, moins humain, moins efficace et moins efficient, notamment en matière de cohésion sociale.
Sous couvert de simplification, de dématérialisation, d’externalisation et d’optimisation des procédures, nous faisons aujourd’hui les frais de ces politiques d’inspiration néolibérale et des coupes budgétaires qui les accompagnent.
Si les grands débats autour de l’hôpital public en sont un exemple probant, il existe aussi des atteintes plus subtiles, aux effets moins visibles. Ainsi, France Services, que l’on qualifie si poliment de « guichet multiservices », devient un point de contact fourre-tout : les agents y sont censés maîtriser 200 procédures. Comment est-ce humainement possible ?
Il en va de même de l’accueil dans les préfectures. Dans l’immense majorité des cas, il est désormais impossible de pousser la porte d’une préfecture sans avoir préalablement pris un rendez-vous en ligne, par exemple pour demander le renouvellement d’un titre de séjour. De telles règles apparaissent comme draconiennes pour certaines personnes et font obstacle, entre autres, à des régularisations.
C’est pourquoi nous avons toujours soutenu et continuerons à défendre le droit à un accueil physique dans les services publics. Je souhaite que le Sénat ait prochainement l’occasion de se saisir de cette question primordiale.
À l’heure où la moitié la plus pauvre de la population ne détient que 8 % du patrimoine, les services publics sont essentiels pour permettre la redistribution des richesses. Je tiens à reprendre à mon compte cette formule déjà citée : oui, les services publics constituent le patrimoine commun de tous ceux qui en sont dépourvus.
Pourtant, il ne passe pas un jour sans que leur coût supposé soit pointé du doigt, comme s’il fallait encore réduire la fortune de ceux qui n’ont rien ou ont si peu. Or, en s’attaquant aux services publics, on s’en prend aux promesses fondatrices de notre République.
Voilà pourquoi nous saluons l’initiative du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky d’inscrire les services publics dans notre bloc constitutionnel. En effet, hormis une référence marginale au neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, nos textes constitutionnels ne les mentionnent pas.
Au-delà du seul effet symbolique, l’inscription d’une charte des services publics dans la Constitution présenterait l’avantage de donner aux juridictions constitutionnelles et administratives de nouveaux fondements plus aisément mobilisables pour les protéger. Celles-ci pourraient dès lors intervenir pour prévenir la suppression illicite de services publics et garantir leur fonctionnement équitable, notamment en matière d’égalité d’accès.
Toutefois, comme l’a fait remarquer la commission, cette charte, telle qu’elle est proposée par le groupe CRCE-K, présente quelques imprécisions juridiques qui en affaiblissent malheureusement la portée. Ce n’est guère surprenant, tant la définition juridique du service public est un exercice périlleux.
Il n’en demeure pas moins que leurs retombées sont réelles. Le texte énumère notamment ce qui relève des services publics. Si nous souscrivons à l’intention de ses auteurs en la matière, cette rédaction pose problème, car une telle liste positive n’est jamais exhaustive. Ainsi, les réponses à l’urgence climatique en étant absentes, les outils développés dans ce domaine ne sauraient relever des services publics.
Malgré ces difficultés sur lesquelles nous souhaitons alerter, nous partageons pleinement la volonté du groupe CRCE-K de renforcer nos services publics. C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutiendra ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, on ne peut que saluer une initiative qui, une fois n’est pas coutume, tend à constitutionnaliser un élément majeur du pacte social français, qui fait partie de notre identité nationale depuis la IIIe République et qui a été réaffirmé continuellement par la suite.
La République s’est honorée en favorisant la prise en charge des besoins élémentaires de tous, notamment des plus démunis, dans l’objectif de renforcer toujours plus l’égalité, la fraternité, ainsi que la cohésion sociale et territoriale. Ce projet fédérateur constitue indéniablement un idéal qu’il faut s’efforcer de concrétiser toujours davantage et qui participe au patrimoine culturel et social de notre République.
D’ailleurs, les présidents François Mitterrand et Jacques Chirac ont successivement évoqué la constitutionnalisation de notre conception française du service public, faisant ainsi écho à l’attachement profond dont celui-ci fait l’objet.
De fait, on ne peut que se réjouir de cette volonté de protection et de mise à l’honneur, alors que les services publics ont souffert d’un déficit de considération et d’un certain mépris depuis les années 1990, dans un contexte inquiétant de délitement, qui favorise l’abandon de larges pans de la société et fabrique la chaîne du vote extrémiste. Nous pouvons tous partager cette analyse.
L’examen de cette proposition de loi constitutionnelle a le mérite de poser les termes d’un débat nécessaire. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail de qualité mené dans le cadre de son passage en commission et le rôle du rapporteur dans la transparence des auditions et de nos travaux.
Pour autant, cela n’élude pas la question des propositions contenues dans ce texte, lesquelles risquent d’emporter des conséquences négatives sur les services publics. Si nous pouvons nous faire plaisir en inscrivant un principe dans la loi, la question qui doit nous guider, comme législateurs, est celle des effets positifs d’une telle démarche sur les problèmes qu’elle entend traiter, sur lesquels nous sommes d’accord.
La notion de service public est peu présente dans la Constitution, mais elle est en réalité protégée par une jurisprudence à la fois stable et évolutive qui a permis de dégager le socle des lois de Rolland.
Le Conseil d’État a consacré des critères du service public, à même de le protéger efficacement. Par ailleurs, dans plusieurs de ses décisions, le Conseil constitutionnel a également validé certains principes, comme celui de la continuité.
Or plusieurs points de la charte qui est proposée sont susceptibles de mettre à mal ce socle fondamental, sans pour autant garantir l’efficience et la proximité des services publics au plus grand bénéfice de nos concitoyens.
Ainsi, plusieurs aspects importants du texte nous posent problème.
La définition du service public à l’article 1er de la charte, très large et imprécise, induit un risque d’insécurité juridique et, surtout, de réduction de la marge de manœuvre des pouvoirs publics, en particulier du législateur, dans l’organisation de celui-ci.
L’article 3 pourrait se révéler dommageable pour le déploiement territorial des services, puisque sa rédaction risque d’aboutir à une réduction considérable du recours au mode de gestion délégué, alors même que l’auteure de ce texte a cité toute une série d’exemples caractéristiques de la délégation de service public.
L’article 4 pourrait quant à lui porter atteinte au principe même de libre administration des collectivités territoriales, qui constitue également un principe fondamental.
Enfin, la charte est supposée offrir une protection par rapport au droit européen. Or, indépendamment du fait que ce dernier s’impose au droit français, rappelons qu’il reconnaît déjà le principe du service public, notamment via le protocole n° 26 sur les services d’intérêt général du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il serait donc préférable de garantir cela à l’intérieur du texte européen, puisque ce dernier est supérieur au droit français, plutôt que d’insérer des mentions dans la Constitution.
En l’état, au-delà de l’objectif de réaffirmation de la place des services publics, que nous partageons, cette proposition de loi constitutionnelle ne paraît pas en mesure de répondre efficacement et de manière concrète à ces difficultés. Cela est d’autant plus regrettable qu’il existait sans doute un chemin pour y parvenir, nous en avons discuté avec Cécile Cukierman. Cela supposait une refonte totale du texte, qui plus est l’insertion d’éléments très simples dans le préambule de la Constitution.
Ne souhaitant pas remettre en cause le fondement de la démarche, mais ne pouvant souscrire à une solution qui, finalement, aboutirait au contraire de ce qui est recherché, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jean Rochette. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre Jean Rochette. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « toute activité qui concerne le développement social, culturel, éducatif, économique et personnel de la société tout entière a vocation à constituer un service public » : le groupe CRCE-K nous propose aujourd’hui d’inscrire sa vision du service public dans le préambule de la Constitution. Nous respectons et comprenons cette idée, et nous saluons l’auteure de ce texte, Cécile Cukierman, mais nous considérons que celui-ci n’est pas adapté à une entrée dans notre loi fondamentale.
Lors des crises sociales de ces dernières années, des « bonnets rouges » aux « gilets jaunes », nous avons souvent entendu sur le terrain des revendications qui peuvent se résumer ainsi : moins d’impôts, plus de services publics !
Cette formule n’est contradictoire qu’en apparence : 43 % de la richesse nationale produite chaque année dans notre pays est captée par des prélèvements obligatoires. Dans le même temps, nous ne pouvons que constater la dégradation de nombreux services publics : l’hôpital, bien entendu, mais également la justice, les forces de l’ordre et même la défense.
Heureusement, le Parlement a récemment adopté plusieurs lois de programmation mettant un terme à ces dynamiques baissières. Il faudra néanmoins beaucoup de temps pour que celles-ci produisent pleinement leurs effets et que nos concitoyens ressentent ces évolutions.
Environ la moitié des prélèvements obligatoires est affectée à des transferts sociaux, ces sommes sont donc finalement redistribuées aux Français. Si cela est évidemment bienvenu pour ceux qui en bénéficient, c’est autant d’argent qui ne sera pas investi dans les services publics. Il reste pourtant fort à faire en la matière.
J’interpellais ainsi cet après-midi le Gouvernement sur la nécessaire amélioration des infrastructures de transport dans le département dont je suis élue, la Loire, comme ailleurs. Sans un effort en la matière, c’est tout le tissu économique d’un territoire qui est condamné.
Durant des décennies, le périmètre de l’action de l’État s’est progressivement étendu, jusqu’à atteindre le point que nous connaissons aujourd’hui : trop d’impôts, pour des services publics trop peu satisfaisants.
L’État ne disposant pas de moyens illimités, il est contraint de faire des choix. Nous sommes convaincus qu’il doit se concentrer d’abord sur les missions qu’il est le seul à pouvoir assurer : les missions régaliennes. Il doit ensuite procéder aux investissements structurants pour notre pays. Le reste doit évidemment être laissé au secteur privé. Sans cela, nous continuerions à subir un État qui en fait trop et qui ne peut donc bien faire.
Frédéric Bastiat nous met en garde : « Les finances publiques ne tarderont pas d’arriver à un complet désarroi. Comment pourrait-il en être autrement quand l’État est chargé de fournir tout à tous ? Le peuple sera écrasé d’impôts, on fera emprunt sur emprunt ; après avoir épuisé le présent, on dévorera l’avenir. » Nous devons éviter d’en arriver là.
Attaché au renforcement des services publics régaliens dans notre pays, le groupe Les Indépendants – République et Territoires suivra les avis de la commission des lois et du Gouvernement. Par conséquent, il ne votera pas cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens, en préambule, à saluer le travail remarquable du rapporteur, Catherine Di Folco, et à remercier notre collègue Cécile Cukierman et son groupe de la présentation de ce texte, qui porte sur un sujet primordial pour l’ensemble des Français.
Nous sommes unanimes dans cet hémicycle à considérer que la République ne se résume pas au suffrage universel ou à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et que nos services publics font partie du patrimoine commun de tous les Français, qu’il s’agisse de l’éducation, de la santé ou encore de la mobilité.
Nous y sommes donc très attachés et, du reste, nous partageons certaines des préoccupations des auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle, notamment quant à la présence des services publics dans les zones rurales. S’interroger sur la place des services publics au sein même de notre loi fondamentale est donc une démarche parfaitement louable et une initiative qui ne saurait être balayée d’un revers de main.
De surcroît, on peut saluer – sans pour autant parler de plagiat – la méthode employée. Elle a déjà été largement éprouvée, puisqu’elle est directement inspirée de l’initiative du président Chirac en matière d’environnement. La singularité de la Charte de l’environnement tient au fait qu’elle ne modifie en rien le bloc de constitutionnalité, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, non plus que le préambule de la Constitution de 1946, mais qu’elle vient s’adosser à la Constitution par une disposition lui conférant une valeur constitutionnelle.
Mes chers collègues du groupe CRCE-K, vous avez repris la même idée en adossant à la Constitution une nouvelle charte, celle des services publics, qui occupent une place essentielle dans notre République et viennent conforter le patrimoine de ceux de nos compatriotes qui en sont dépourvus.
Avant d’aborder plus en détail le contenu même du texte, je reviendrai très brièvement sur l’état actuel du droit. Les grands principes régissant le service public sont, de nos jours, dispersés dans plusieurs textes constitutionnels et législatifs, ainsi que dans une très abondante jurisprudence.
La base constitutionnelle la plus marquante et la plus explicite est sans aucun doute le neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946. Pour autant, sa formulation s’est révélée si complexe à appliquer que le Conseil constitutionnel en a produit une interprétation très restrictive.
C’est donc essentiellement sur l’abondant travail des juges constitutionnels et administratifs, entamé au début du XXe siècle, que repose une bonne partie de l’équilibre du service public en France.
L’armature législative initialement assez limitée n’a donc pas constitué un obstacle au développement de la conception française du service public. Tout au contraire, elle lui a assuré une certaine forme de flexibilité et d’adaptabilité qu’une constitutionnalisation précoce aurait sans doute beaucoup plus limitée.
C’est sur cette flexibilité que ce texte tend à revenir très largement.
Pour autant, nous restons très sceptiques sur le contenu même de cette proposition de loi constitutionnelle. Il est vrai que certains principes y sont gravés dans le marbre, comme la neutralité, l’égalité, l’adaptabilité, la continuité ou encore l’accessibilité. Cela relève bien évidemment de l’évidence.
Cette charte porte néanmoins une conception beaucoup trop figée et une définition très imprécise des services publics – M. le garde des sceaux l’a souligné avant moi. Ainsi, la formule selon laquelle « les services publics concernent les activités indispensables à la réalisation et au développement de la cohésion sociale » est, vous en conviendrez, difficile d’application, car beaucoup trop large.
Par ailleurs, en établissant comme principe général que le seul mode de gestion d’un service public est son exercice direct par la personne publique, vous rigidifiez le système et vous remettez indirectement en cause la capacité d’action des pouvoirs publics en matière de gestion des services publics.
Une telle évolution est susceptible de toucher tout particulièrement l’échelon local, même si je peux en comprendre la philosophie sous-jacente : par cette disposition constitutionnelle, vous posez en quelque sorte les limites de la privatisation de grands services publics tels que l’armée, la justice, la police, la monnaie ou les prisons. En d’autres termes, existe-t-il des limites à la privatisation ?
Il est vrai que les efforts déployés par le secteur privé, encouragés parfois par l’Union européenne, pour coloniser le cœur de l’État, ou tout au moins y établir des protectorats, donnent à la question une saveur toute particulière.
Pour autant, je vous renvoie à ce que le Conseil constitutionnel a jugé dans quatre décisions rendues à propos de projets de loi de nationalisation et de privatisation de 1986 à 1996 : il existe des services publics dont « l’existence et le fonctionnement [peuvent être] exigés par la Constitution ». Ces décisions marquent donc l’ébauche d’une éventuelle nouvelle catégorie de services publics, dont le contenu constituerait une réserve à la compétence du législateur : certains services publics existeraient de par la Constitution, de telle sorte que le législateur ne pourrait ni les amputer ni, plus certainement encore, leur retirer leur caractère de service public.
Enfin, cette charte intègre le fait que l’État doit être le garant ultime du fonctionnement et du financement des services publics. Cela ouvrirait incontestablement une brèche dans le principe de libre administration des collectivités territoriales en permettant une forme de tutelle de l’État sur celles-ci.
En guise de conclusion, permettez-moi d’élargir mon propos au-delà de cette seule proposition de loi constitutionnelle.
Il est parfaitement légitime et souhaitable d’inscrire nos principes les plus fondamentaux dans le marbre de la Constitution. J’appelle toutefois votre attention sur le risque d’une inflation constitutionnelle trop importante, qui pourrait emporter des conséquences délétères. En agrandissant toujours plus le sommet de la pyramide de la hiérarchie des normes, nous courons le risque d’engendrer une forme d’impuissance des niveaux inférieurs, à commencer par celui qui relève du pouvoir législatif, c’est-à-dire le nôtre.
Que dire, en outre, d’une Constitution toujours plus bavarde ? Ses principes ne seraient-ils pas en quelque sorte sans cesse confrontés les uns aux autres et in fine hiérarchisés par l’unique arbitre en la matière : le juge constitutionnel ? Leur solennité s’en trouverait nécessairement dévalorisée.
On comprend mieux, dès lors, la formulation de Montesquieu : on ne peut toucher à notre loi fondamentale que « d’une main tremblante » – doublement tremblante !
Vous l’aurez compris, cette proposition de loi constitutionnelle a le mérite de lancer une réflexion, mais nous craignons fort que le choix de constitutionnaliser les principes fixés dans cette charte n’aboutisse en définitive à un désordre et à une paralysie juridique préjudiciables au bon fonctionnement du service public.
Ainsi, pour toutes les raisons évoquées préalablement, il ne nous semble pas que ce texte puisse être adopté en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Salama Ramia.
Mme Salama Ramia. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la préservation des services publics est une question essentielle. Elle constitue un axe fondamental des priorités défendues par le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), qui a toujours soutenu les initiatives législatives allant dans le sens des services de proximité.
La notion de service public dépasse largement la simple organisation d’infrastructures ou de moyens humains. Elle incarne les valeurs et les principes d’égalité, de solidarité et de justice sociale qui sont les piliers de notre République.
Avoir accès aux services publics, c’est pouvoir jouir de nombreux droits fondamentaux, tels que le droit à la santé, au logement, à l’éducation ou à l’hébergement d’urgence.
Lorsque le service public faillit, c’est la cohésion nationale elle-même qui se fragilise. Ce constat revêt une importance particulière en outre-mer, où la continuité territoriale et l’accès aux services publics constituent des besoins impérieux. Nos territoires ultramarins connaissent des réalités géographiques et économiques spécifiques qui appellent des réponses sur-mesure pour garantir l’égalité républicaine.
Dans l’ensemble de notre territoire, des services accessibles et de qualité sont indispensables, non seulement pour accompagner les Français dans leur vie quotidienne, mais également pour bâtir une République plus solidaire.
Dans ce contexte, la constitution du réseau France Services offre un exemple concret de solution rapprochant le service public des Français. Les 2 840 espaces recensés répondent aux besoins des zones rurales et périurbaines, redonnant vie à des territoires parfois dépourvus d’infrastructures adaptées et offrant un accompagnement de proximité.
La Cour des comptes en a récemment dressé un bilan plus que positif : le nombre de demandes traitées est passé de plus de 1 million en 2020 à près de 9 millions en 2023, preuve que l’État est capable d’innover pour mieux servir nos concitoyens.
En intégrant une charte des services publics au bloc de constitutionnalité, la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd’hui entend mieux préserver et assurer un fonctionnement pérenne de l’ensemble des services publics.
Je comprends l’intention des auteurs de ce texte et salue leur travail pour soumettre ce sujet au débat. Cependant, le véhicule législatif et la rédaction choisis ne nous semblent pas servir leurs objectifs. Ils risquent au contraire de perturber significativement l’organisation des services publics, déjà bien établie, et reposant principalement sur la jurisprudence du Conseil d’État.
En effet, le champ retenu à l’article 1er de la charte supprime le critère organique inhérent au service public. Il ne permet plus d’identifier l’organisme, public ou privé, chargé de la mission de service public, c’est-à-dire la personne qui l’assume, alors que ce critère constitue l’essence même de la construction de notre droit. La définition proposée paraît à la fois trop rigide et trop large, au risque d’accroître de manière incertaine le domaine d’intervention des pouvoirs publics.
En ces termes, cela serait de nature à compromettre la gestion efficace des services publics par les collectivités et les pouvoirs publics.
De la même manière, ériger une définition des services publics au niveau constitutionnel peut limiter la souplesse de ces derniers et complexifier leur adaptation aux réalités économiques qui évoluent constamment. C’est grâce à cette faculté d’adaptation que, sans attendre une révision constitutionnelle, les langues régionales ont pu faire leur entrée dans les services publics, comme à Mayotte.
Enfin, en imposant à l’État d’être le garant du fonctionnement pérenne des services publics, l’article 4 expose les collectivités territoriales à un risque de contrôle accru de la part de l’État, mettant en péril le principe de libre administration consacré par l’article 72 de la Constitution.
Si l’accès de tous à des services publics de qualité est un objectif naturellement partagé, il est délicat de modifier la Constitution de cette manière, au risque de diluer son caractère fondamental et de l’exposer à des révisions opportunistes.
Je tiens ici à rappeler mon attachement, ainsi que celui du groupe RDPI, au service public et aux valeurs qu’il incarne. Nous avons à cœur de maintenir un service public de qualité, proche des usagers, et au plus près de la réalité des territoires.
En l’état, ce texte ne permet malheureusement pas d’atteindre les objectifs annoncés. C’est pourquoi nous y serons défavorables. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi constitutionnelle initiale.
proposition de loi constitutionnelle instaurant une charte des services publics
Article 1er
Le premier alinéa du Préambule de la Constitution est complété par les mots : « et dans la Charte des services publics. »
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.
M. Pascal Savoldelli. J’ai entendu les objections de nos collègues des différents groupes – Union Centriste, Les Républicains, Les Indépendants, etc. Reste que, chers collègues de la majorité sénatoriale – et c’est d’ailleurs vrai également pour vous, monsieur le garde des sceaux –, vous avez oublié de préciser que vous aviez décidé de réinventer le service public, ce qui rend notre débat de ce soir particulièrement utile !
Vous évoquez un nouveau management public. Vous voulez que l’idéologie managériale, avec les critères de gestion de l’entreprise privée, s’applique au service public. M. Le Rudulier a d’ailleurs eu l’honnêteté de dire qu’il y avait trop de rigidité dans notre texte et qu’il fallait confier cela au privé.
Je le répète, et d’ailleurs tout le monde l’a dit, les méthodologies de gestion du service public reposent sur l’intérêt général, qui est multidimensionnel et supérieur à l’intérêt de l’entreprise. L’entreprise a toute sa place – ce n’est pas la question ! –, mais elle repose sur le taux de rentabilité interne et le retour sur investissement.
Si nous avons déposé cette proposition de loi constitutionnelle, c’est pour montrer que laisser le management privé s’immiscer dans le management public est contraire à trois principes. Je souhaite particulièrement appeler votre attention sur ce point, monsieur le garde des sceaux.
D’abord, le principe d’égalité : le contrat sera une source autonome du droit de la fonction publique, ce qui introduira une concurrence entre les modes de recrutement, de formation et de gestion des droits et obligations.
Ensuite, le principe d’indépendance : l’agent recruté par contrat n’est tenu qu’au respect des règles posées par celui-ci dans le cadre de sa mission et pendant la durée du contrat.
Enfin, le principe de responsabilité : le contractuel n’a pas de comptes à rendre autres que ceux qui correspondent à son champ d’activité.
Le service public est donc mis à mal dans son essence même, dans son ADN, que vous êtes nombreux à avoir rappelé ici.
Par ailleurs, il existe trois risques : ceux d’une confusion des finalités, d’un risque de conflits d’intérêts et d’une captation de l’action publique par le privé.
Si nous avons souhaité constitutionnaliser la charte, c’est parce que nous pensons que le service public est l’expression d’un effort collectif solidaire, qui s’apprécie sur un temps long. Je suis membre de la commission des finances, mais on ne peut pas juger le service public à l’aune d’une annualisation budgétaire. C’est impossible ! Il faut avoir l’audace de prendre le risque de concevoir le service public sur le long terme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Mes chers collègues, je vous invite fortement à relire les comptes rendus des débats qui ont eu lieu lors de l’adoption de la Charte de l’environnement. Ils sont éloquents.
Finalement, à l’exception du groupe socialiste, qui tient aujourd’hui le même discours que celui qu’il a alors tenu, les positions des uns et des autres ont évolué. Pourtant, qui viendrait aujourd’hui remettre en cause l’existence de cette charte et son utilité ? Qui oserait dire qu’elle est trop contraignante ?
À mon tour d’insister, à la suite de Pascal Savoldelli, oui, il s’agit d’un choix politique ! Sommes-nous, oui ou non, capables d’assurer à long terme, indépendamment des colorations politiques des gouvernements à venir, la pérennité de l’accès aux services publics et leur développement ? Voulons-nous remettre en cause le modèle à la française au nom de la liberté individuelle ? Cette liberté – choisir de travailler ou de garder un enfant ou un parent âgé en difficulté, choisir où faire ses études parce que l’école publique est en crise, choisir de se soigner ou non – n’est en fait fondée que sur la richesse : cela ne relève pas de la liberté individuelle !
Cette casse des services publics oppose les gens – je l’ai souligné lors de la discussion générale. Elle conduit nos concitoyens à s’affronter, par jalousie : il y a celui qui fait un effort et celui qui n’en fait pas, celui qui agit et celui qui subit. C’est cela qui nourrit le terreau de l’extrême droite.
Je termine en évoquant le consentement à l’impôt. Le sujet fait actuellement débat à l’occasion de la discussion du projet de loi de finances, que nous examinerons bientôt dans cet hémicycle.
Voulons-nous, oui ou non, réconcilier les Français avec le consentement à l’impôt ? J’y suis favorable, ce qui ne signifie pas que les plus pauvres devront payer plus d’impôts demain. Personne ne dit cela – pas de caricatures entre nous ! Nous payons des impôts, parce que l’État nous protège et nous sécurise. C’est à cette question que nous devons répondre avant toute chose.
Le sujet est en tout cas très intéressant. Il nous permettra de décider de ce que voulons offrir aux Français demain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 27 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 262 |
Pour l’adoption | 34 |
Contre | 228 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 2
La Charte des services publics est ainsi rédigée :
« Le peuple français,
« Considérant :
« Que toute activité qui concerne le développement social, culturel, éducatif, économique et personnel de la société tout entière a vocation à constituer un service public et à être défendue comme tel ;
« Que le service public est le vecteur de l’intérêt général, qui exige le dépassement des intérêts particuliers, afin de s’imposer à l’ensemble de la Nation ;
« Que le service public est le socle de notre contrat social. Il est à la fois le fondement et la limite du pouvoir des gouvernants. Dès lors, leurs prérogatives ne sont que la contrepartie de leur obligation d’œuvrer pour le lien social, à la réalisation et au développement de la solidarité nationale, en prenant en charge les activités d’intérêt général indispensables à la vie collective ;
« Que l’État, expression et garant de l’intérêt général, est historiquement en charge des fonctions collectives pour concrétiser cette volonté d’équité sociale ;
« Que le service public permet d’assurer une répartition équitable des richesses produites et l’accessibilité aux biens essentiels et, le cas échéant, de remédier à la défaillance de l’initiative privée.
« Proclame :
« Art. 1er. – Les services publics concernent les activités indispensables à la réalisation et au développement de la cohésion sociale. Ils concilient le progrès social, la protection de l’environnement et le développement économique.
« Art. 2. – Le service public est régi selon les principes d’égalité, de continuité, de neutralité, d’adaptabilité et d’accessibilité. En découle un principe de proximité en vertu duquel un service public, qu’il soit dématérialisé ou non, doit impérativement proposer un accueil physique de proximité et accessible pour tous les usagers.
« Art. 3. – La personne publique assure directement le service public qu’elle a créé. À titre d’exception, une personne privée peut se voir déléguer la gestion d’un service public, en cas de nécessité impérative motivée.
« Art. 4. – L’État garantit la préservation et le fonctionnement pérenne de l’ensemble des services publics locaux ou nationaux. Pour ce faire, les financements publics doivent être suffisants afin de garantir leur bon fonctionnement et assurer la gratuité ou une tarification juste et équitable.
« Art. 5. – Les services publics assurés par les collectivités territoriales à la suite d’un transfert de compétences par l’État doivent être strictement et durablement compensés. Ces transferts financiers doivent être compatibles avec les principes d’autonomie financière et de libre administration.
« Art. 6. – Les gouvernants ont le devoir de prévenir et de limiter les atteintes aux services publics, qu’ils soient administratifs ou industriels et commerciaux. Une évaluation sociale, environnementale et économique doit être préalable à toute modification du périmètre d’un service public.
« Art. 7. – Les agents et les usagers du service public disposent de droits et de pouvoirs leur permettant d’évaluer les missions à remplir et les moyens institutionnels, humains et financiers à mobiliser, afin de garantir le bon fonctionnement des services publics.
« Art. 8. – La présente Charte inspire l’action européenne et internationale de la France. »
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle, dans la mesure où les deux articles qui la composent auraient été supprimés.
Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je vous rassure, mes chers collègues, c’est la dernière fois que je m’exprime sur ce texte. (Sourires.)
Si le CRCE-K, qui est un groupe politique de gauche, a déposé cette proposition de loi constitutionnelle, c’est parce que celle-ci s’inscrit dans la suite des combats politiques émancipateurs qui ont fait les grandes heures de la gauche française. Ces combats, nous en sommes convaincus, doivent être défendus et rester d’actualité pour ne pas s’affaiblir.
Je suis surprise des positionnements des uns et des autres, mais pas tant que cela finalement au regard de ce qui s’est passé durant les dernières décennies. Je me félicite que nous ayons choisi ce véhicule législatif – une proposition de loi constitutionnelle –, car, le pire en politique, c’est de beaucoup promettre, de vivement s’opposer, sans rien mettre en œuvre. On ne peut pas, à certains moments, défendre le service public et, à d’autres, engager des privatisations. Nous devons, je le crois, avoir une cohérence collective.
C’est d’ailleurs pour cela, et vous l’avez évoqué, monsieur le garde des sceaux, que nous avons débattu de la question de savoir si les services publics étaient constitutifs de notre société, de notre vision de la démocratie. Si tel est le cas, il faut les sortir du giron parlementaire pour les constitutionnaliser. Nous pourrions presque avoir un débat de philosophie politique en la matière !
Nous voterons l’article 2 en regrettant de ne pas avoir su rassembler davantage. Nous en prenons acte et nous vous donnons rendez-vous au budget pour défendre les services publics, afin que personne ne puisse s’offusquer de la fermeture ou de la dégradation de tel ou tel service public dans son territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article 2.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 28 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 262 |
Pour l’adoption | 34 |
Contre | 228 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Les deux articles de la proposition de loi constitutionnelle ayant été successivement supprimés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi constitutionnelle instaurant une Charte des services publics n’est pas adoptée.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Dominique Théophile.)
PRÉSIDENCE DE M. Dominique Théophile
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
9
Plan budgétaire et structurel national à moyen terme et orientation des finances publiques
Débat organisé à la demande de la commission des finances
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des finances, sur le plan budgétaire et structurel national à moyen terme et sur l’orientation des finances publiques.
Dans le débat, la parole est à M. le ministre.
M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de m’exprimer pour la première fois à cette tribune et d’avoir l’honneur d’ouvrir, au nom du Gouvernement, le débat sur les orientations économiques et financières de notre pays.
Ce débat a lieu sur la base du plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT) ce qui constitue une nouveauté. Ce plan s’inspire des nouvelles règles macroéconomiques et budgétaires européennes. Son but est de tracer une perspective sur plusieurs années, afin de prévoir une trajectoire équilibrée qui tienne compte des questions financières, en particulier des finances publiques, économiques et de croissance.
Je vous prie d’excuser l’absence du ministre chargé du budget et des comptes publics, Laurent Saint-Martin, qui est retenu à l’Assemblée nationale par l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
Je vous remercie par ailleurs d’avoir permis que ce débat se tienne à un autre moment que celui auquel il était prévu. Je me réjouis, monsieur le président de la commission des finances, que nous puissions poursuivre ce soir la discussion que nous avons entamée dans votre commission, sur votre invitation.
Je commencerai par retracer rapidement les perspectives économiques et le cadre macroéconomique. La croissance mondiale devrait s’élever à 3,2 % en 2024 et à 3,4 % en 2025. Elle s’explique notamment par l’assouplissement monétaire engagé par les banques centrales américaine et européenne. La succession de chocs que nous avons connus – chocs économique et financier, pandémie de covid-19, invasion de l’Ukraine – continue de provoquer des effets sur les économies mondiales.
La croissance de la zone euro – 0,8 % en 2024 – est au ralenti. Elle devrait devenir plus dynamique et atteindre 1,4 % en 2025, mais rester encore loin de celle des États-Unis, par exemple, qui atteint près de 3 %.
Dans le contexte de sortie de crise pandémique, économique et financière, on peut dire que la croissance de la France demeure stable. Vous le savez, celle-ci atteindra au troisième trimestre de cette année le double des deux trimestres précédents, pendant lesquels elle était de 0,4 %, portant notre acquis de croissance à 1,1 % en 2024, ce qui constitue un élan pour les prochains mois et pour l’année prochaine.
Selon nos estimations, la croissance devrait s’établir à 1,1 % en 2025 ; nous aurons, je n’en doute pas, des débats sur ce sujet. Néanmoins, toujours d’après les estimations de mon ministère, la composition de cette croissance devrait évoluer : elle serait davantage tirée par la consommation des ménages et par un regain d’investissement des entreprises.
Dans les conditions économiques que nous connaissons, l’assouplissement des crédits, avec la poursuite de la baisse des taux, le retour à la normale de l’inflation – d’après nos prévisions, elle devrait être de 1,8 % pour l’année 2025 – et le soutien public renouvelé à l’économie devraient permettre, à moyen terme, à la croissance française, selon nos hypothèses de trajectoire, d’atteindre 1,4 % en 2026, puis 1,5 % en 2027 et en 2028.
Je ne m’étendrai pas, car nous avons eu l’occasion de les évoquer à plusieurs occasions, sur les fondamentaux qui permettent d’espérer un tel niveau de croissance : le soutien à l’apprentissage et à l’emploi, la réforme des retraites et ses effets progressifs, ainsi que les éventuelles futures réformes de l’assurance chômage. Je note aussi la progression du taux d’emploi, qui n’a jamais été aussi élevé depuis qu’il a été mesuré pour la première fois par l’Insee en 1975.
Outre la situation économique, il nous faut évidemment évoquer la situation des finances publiques. La dette colossale de notre pays, qui serait de 3 300 milliards d’euros à la fin de l’année 2024 selon nos estimations, crée évidemment une situation problématique. Elle est le résultat – je ne le rappellerai pas à cette assemblée – d’un demi-siècle de déficits successifs. La dernière fois que notre budget a été équilibré, c’était en 1974 ! Je tenais à mentionner ces quelques repères qui me paraissent éloquents.
Depuis 1974, notre dette a augmenté de presque 100 points de PIB. À titre indicatif, entre 1991 et 1996, après la crise du système monétaire, elle a crû de 23 points de PIB ; entre 2008 et 2013, pendant la crise financière, elle a augmenté de 25 points de PIB ; entre 2019 et 2024, elle a connu une hausse de 15 points de PIB.
Je n’ai pas non plus besoin de rappeler à quel point ce niveau de dette affecte à la fois notre souveraineté, notre crédibilité et notre capacité à aborder l’avenir, et ce très directement.
En effet, 50 milliards d’euros sont versés chaque année – ils le seront donc en 2024 – pour les seuls intérêts de la dette : cela représente un euro sur huit de notre budget. Cette charge de la dette risque de devenir le premier poste de dépense dans les toutes prochaines années, devant l’éducation, la défense ou la transition écologique.
La dette a également un impact direct sur notre capacité de financement. L’écart de taux de financement avec l’Allemagne augmente : il est actuellement de près de 0,8 %, contre 0,5 % au début de l’année. Le taux de financement à dix ans du Portugal est désormais plus faible que le nôtre.
Je crois que nous sommes d’accord pour dire que cette situation ne peut pas durer. Pour le dire en un mot, nous devons dès aujourd’hui faire des efforts difficiles pour ne pas avoir à faire demain ou après-demain des efforts douloureux, comme ce fut le cas chez d’autres partenaires européens.
Laurent Saint-Martin et moi vous avons d’ores et déjà proposé, dans le projet de loi de finances pour 2025, de ramener le déficit public sous les 5 % l’année prochaine, soit – c’est important de le rappeler – un effort de 60 milliards d’euros par rapport à la tendance, c’est-à-dire par rapport à la croissance spontanée de nos dépenses publiques.
Cet effort est constitué pour les deux tiers – soit 40 milliards d’euros – d’économies, c’est-à-dire de réduction de dépenses fiscales et sociales, et pour un tiers – soit 20 milliards d’euros – de contributions fiscales qui seront, je le redis, ciblées, temporaires et exceptionnelles.
L’objectif du PSMT est de passer sous la barre des 3 % de déficit en 2029. Il correspond à un engagement pris dans le cadre des traités européens, mais également, à quelques points de pourcentage près, au solde à partir duquel nous stabilisons notre dette, en d’autres termes, celui à partir duquel nous pouvons avoir un horizon de désendettement.
Si l’on suit la trajectoire, notre dette commencera à décroître à partir de l’année 2028. Le budget pour 2025 est la première pierre de la stratégie de politique économique qui est déclinée dans le PSMT, dont les délais d’élaboration ont été retardés en raison du contexte de la nomination du gouvernement du Premier ministre Michel Barnier.
Le premier pilier du PSMT est la soutenabilité et l’efficacité de la dépense publique. Je rappelle que celle-ci représente 57 % de la richesse nationale de notre pays. Dès l’année prochaine, nous fusionnerons les opérateurs publics qui ont des activités proches et nous moderniserons notre système de santé, notamment pour lutter contre la fraude.
D’autres propositions ont été formulées pour améliorer l’efficacité de la dépense publique. Les nombreuses revues de dépenses dont nous disposons, qui ont d’ailleurs souvent été fournies par votre assemblée, doivent nous permettre d’aller en ce sens.
Laurent Saint-Martin et moi-même souhaitons poursuivre ce travail, en lançant une première revue complète de dépenses pour supprimer au moins 5 milliards d’euros de dépenses qui n’auraient pas de caractère prioritaire entre 2025 et 2027. Je précise que cette revue portera aussi sur les niches fiscales et sociales. Nous disposons en effet de nombreux éléments montrant qu’elles sont soit incompatibles avec certains de nos objectifs de politique publique, notamment en termes d’emploi ou de transition écologique, soit relativement inefficientes.
Pour ce faire, l’ensemble des administrations publiques seront mobilisées. Elles devront présenter chaque année un rapport qui détaillera leurs résultats, donc l’impact budgétaire de leurs actions. Avec Laurent Saint-Martin, je souhaite associer les parlementaires que vous êtes, si vous en êtes d’accord, à cette recherche de transparence et d’efficacité de la dépense publique.
Je l’évoque ici, même si cela n’est pas écrit stricto sensu dans le PSMT : il est important, et même impératif, que nous suivions mieux et beaucoup plus régulièrement l’évolution de la dépense publique afin de mieux anticiper l’ensemble des prévisions. Ce suivi doit aussi être fait au cours même d’une année, et pas seulement d’une année sur l’autre, qu’il s’agisse des dépenses de la sphère locale, de la sphère sociale ou de celles de l’État, eu égard aux récents développements que nous avons connus et que vous avez, en toute légitimité, soulignés.
Chacun sait à quel point il est difficile de réduire la dépense publique et d’assumer une hausse temporaire des prélèvements, même celle-ci est ciblée et exceptionnelle. Je le dis ici en amont du débat budgétaire que nous aurons, nous instruirons toutes les propositions de baisse de dépenses qui permettront d’éviter des augmentations d’impôts et les retiendrons chaque fois que cela sera possible. Il me paraît important de prendre cet engagement.
Le deuxième pilier du PSMT est la transition écologique et énergétique. Je le rappelle, les émissions de CO2 ont baissé de 25 % entre 1990 et 2022, et de 5,8 % en 2023. Néanmoins, pour atteindre l’objectif de l’accord de Paris en 2050, la route est encore très longue, et notre capacité à associer nos partenaires européens et internationaux sera extrêmement importante.
C’est tout l’intérêt du plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc) que le Premier ministre Michel Barnier a souhaité poursuivre et intensifier, grâce, à la fois, à l’entrée en vigueur d’un certain nombre de dispositifs, par exemple la loi Industrie verte (loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte), et au verdissement de la commande publique. Nous devons également poursuivre certains chantiers, comme le plan France 2030.
D’autres éléments ont été évoqués par le Premier ministre, par exemple l’amélioration du financement des projets industriels qui ont besoin, en France comme en Europe, de capitaux privés et publics pour se développer, ce qui permettra de renforcer notre souveraineté.
Pour asseoir et renforcer cette souveraineté industrielle, le PSMT prévoit le développement de l’ensemble des énergies décarbonées, au premier rang desquelles l’énergie nucléaire, qui constitue l’une de nos forces, avec des EPR2 (Evolutionary Power Reactor 2), mais aussi de nouveaux types de réacteurs nucléaires innovants, et les énergies renouvelables.
Il faut aussi réussir à faire baisser la demande, en faisant des efforts de sobriété et de rénovation énergétique dans tous les secteurs, à commencer par le domaine public.
Le troisième pilier du PSMT concerne la réindustrialisation, dans le cadre de l’agenda de compétitivité français et européen. En effet, cet agenda de réformes doit poursuivre cette tendance, en plus de servir à la décarbonation de notre économie.
Telle était l’ambition du Premier ministre, lorsqu’il a annoncé la création d’un livret d’épargne dédié à l’industrie. J’aurai l’occasion de donner prochainement des précisions sur la forme et les modalités que prendra ce livret, qui doit être déployé dans les tout prochains mois.
Je veux mentionner ici l’agenda fixé par le Premier ministre en matière de simplification. En effet, si la compétitivité-prix et la compétitivité-coût restent essentielles, la compétitivité réglementaire ne l’est pas moins et la coordination de l’ensemble des États est désormais indispensable, à l’heure où certains partenaires extra-européens pratiquent le dumping réglementaire.
À l’échelon national, comme Michel Barnier s’y est engagé, nous simplifierons la vie quotidienne des entreprises et leurs relations contractuelles. De nombreuses normes seront supprimées et les droits des très petites entreprises et des petites et moyennes entreprises seront progressivement rapprochés de ceux des particuliers. Les collectivités territoriales disposant de compétences en matière de développement économique seront associées à cette stratégie, de manière que les efforts de simplification et de réindustrialisation qu’il faudra mener fassent l’objet d’une concertation avec celles et ceux qui les assumeront au quotidien, en particulier les communes, les intercommunalités et les régions.
Cette contribution au dynamisme de l’économie doit nous permettre de soutenir l’emploi et le niveau de vie des Français. Nous maintiendrons, je le redis, les politiques en faveur de l’apprentissage et nous veillerons à améliorer notre taux d’emploi, qu’il s’agisse de l’insertion dans l’emploi des plus jeunes ou bien de l’emploi des seniors que nous encouragerons, dans le cadre du chantier que le Premier ministre a lancé, en concertation avec les partenaires sociaux, à la suite de la récente réforme des retraites.
Cette stratégie de dialogue avec les partenaires sociaux est le signe que nous devons rétablir la confiance : non seulement celle entre l’État et les citoyens, mais également la confiance des entreprises dans le système public et dans la capacité du Gouvernement à déployer des efforts en faveur de la simplification, de la compétitivité et du soutien à l’innovation et à l’industrie.
Au moment de vous présenter ce plan budgétaire et structurel à moyen terme, il me paraît important d’aborder la question de la crédibilité et de la transparence de nos prévisions. Tout d’abord, je tiens à saluer le professionnalisme des équipes du ministère que j’ai l’honneur de diriger. Ensuite, je veux dire avec beaucoup de simplicité et d’humilité que vous nous avez légitimement interpellés sur l’ampleur des écarts récents qui ont été constatés entre les prévisions budgétaires et leur exécution.
J’aurai l’occasion, dans les prochains jours, de préciser le plan d’action pour le renforcement de la transparence des outils de suivi des comptes publics dont j’ai annoncé le lancement lors de mon audition par votre commission des finances et qui devrait permettre d’améliorer ces prévisions.
Je rappelle que celles-ci s’inscrivent dans un contexte d’incertitude radicale qui concerne également l’ensemble de nos partenaires. L’Allemagne a ainsi constaté un décalage d’une ampleur similaire à celui de notre pays pour ce qui concerne ses prévisions de dépenses et de recettes – à hauteur d’environ 12 milliards d’euros –, avec un écart d’un point entre le taux de croissance prévu et sa croissance réelle. Cela doit nous encourager à faire un suivi non seulement plus régulier, mais aussi plus « contesté », au bon sens du terme, en travaillant et en échangeant davantage avec les économistes et l’ensemble des parties prenantes, pour mieux comprendre la situation et améliorer ainsi nos prévisions.
J’aurai donc l’occasion de vous présenter des pistes de réflexion en ce sens dans les prochaines semaines, de vous les soumettre et de vous y associer, si vous le souhaitez.
En conclusion, j’insiste sur le fait que nous voulons retrouver un niveau de déficit satisfaisant, qui nous permette de stabiliser notre dette. C’est une priorité non seulement budgétaire, mais aussi politique, parce que le Premier ministre en a pris l’engagement. C’est un gage de confiance que nous voulons donner à nos concitoyens, qui s’interrogent légitimement et régulièrement sur l’utilisation de l’argent public, c’est-à-dire de leurs contributions. C’est aussi la condition sine qua non qui nous permettra de libérer l’investissement, d’encourager l’emploi, de développer nos entreprises et de continuer à rester crédibles en Europe.
Dans un contexte européen d’instabilité et de croissance faible, c’est en portant l’ambition d’un agenda pour la compétitivité et la croissance que la France pourra conserver une voix forte au service de notre modèle politique et démocratique. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais vous présenter mon analyse du plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT) qui doit être transmis d’ici à demain à la Commission européenne.
Le PSMT constitue l’engagement de la France auprès de nos partenaires européens, un engagement non pas abstrait comme l’est la loi de programmation des finances publiques (LPFP), mais très concret, car encadré par un certain nombre de sanctions.
Dans la mesure où la France est soumise à une procédure pour déficit excessif depuis le mois de juillet dernier, le fait de ne pas mettre en œuvre de trajectoire de correction des dépenses nettes, qui garantit que le déficit public soit ramené sous les 3 % du PIB dans le délai prévu, pourrait se solder par une mise en demeure. Et, à défaut d’une action suffisante pour répondre à celle-ci, notre pays ferait l’objet de sanctions, à hauteur de 1,5 milliard d’euros tous les six mois. Cette trajectoire de correction des dépenses nettes, censée garantir le rétablissement du solde public, figure précisément dans le PSMT.
Ce plan est une sorte de fusion du programme de stabilité (PStab) et du programme national de réformes, dans lequel la France définit ses objectifs budgétaires, ses réformes et ses investissements prioritaires pour une période de quatre à cinq ans. Il est donc composé d’un scénario macroéconomique sous-jacent à la trajectoire de finances publiques.
Issu de la réforme des règles budgétaires européennes combinée dans une directive et deux règlements du 29 avril dernier, le PSMT qui nous est présenté constitue le premier document de ce genre. Les anciennes règles sont donc désormais caduques.
L’indicateur central n’est plus le solde structurel, mais un indicateur qui est réellement à la main des gouvernements, ce qui constitue un progrès : l’indicateur de dépenses primaires nettes. Ces dernières correspondent aux dépenses publiques diminuées des dépenses d’indemnisation du chômage, des mesures nouvelles en recettes, des dépenses cofinançant des programmes de l’Union européenne et de la charge de la dette.
La trajectoire de dépenses nettes doit être telle que le ratio de la dette par rapport au PIB prévu soit bien orienté à la baisse à la fin de la période d’ajustement et que le déficit prévu soit ramené sous les 3 %.
Du fait, en particulier, de la demande de nos partenaires allemands ont été ajoutés des garde-fous supplémentaires qui s’appliqueront aux pays faisant l’objet d’une procédure pour déficit excessif et, donc, à la France. Il s’agit, d’une part, de la réduction du ratio de la dette par rapport au PIB à hauteur d’un point par an, en moyenne, en sortie de procédure pour déficit excessif et, d’autre part, d’un minimum d’ajustement budgétaire, tant que le déficit structurel n’atteint pas 1,5 % du PIB.
J’en viens au PSMT 2025-2029 proprement dit. Son objectif est de ramener la dette publique sur une trajectoire descendante et le déficit public sous les 3 %, à l’issue d’une période d’ajustement dont on espère qu’elle pourra être allongée de quatre ans à sept ans.
La liste des réformes et investissements que présente le Gouvernement dans ce document, nécessaire pour appuyer sa demande de prolongation de la période d’ajustement, correspond pour l’essentiel aux récentes réformes engagées par les précédents gouvernements et à celles qu’il a lui-même reprises : la réforme des retraites, la réforme de l’assurance chômage, le verdissement de l’économie via les lois relatives à l’accélération de la production d’énergies renouvelables et à l’industrie verte, la simplification de la vie économique par la loi du même nom, ou encore la refonte des allégements généraux de cotisations sociales.
On y trouve au total peu d’informations sur les actions qui restent à entreprendre. Espérons toutefois que l’effort sera suffisant pour justifier une prolongation de la période d’ajustement, autour de laquelle est fixée la trajectoire.
Cette trajectoire de dépenses nettes, sous-jacente au PSMT, est différente de la trajectoire de référence de la Commission européenne communiquée en juin dernier, notamment parce que, à ce moment-là, la prévision de déficit public pour 2024 était bien inférieure à celle qui prévaut aujourd’hui. Ainsi, le niveau minimal d’ajustement structurel primaire requis selon les hypothèses de la Commission européenne s’élevait, pour une période d’ajustement de sept ans, à 0,6 point de PIB potentiel par an. Il devra, en réalité, compte tenu de la dégradation de notre situation budgétaire, être au minimum de 0,76 point de PIB par an entre 2025 et 2031, soit environ 23 milliards d’euros.
La trajectoire de dépenses nettes finalement retenue dans le PSMT suppose une stabilité des dépenses primaires nettes en 2025, puis une augmentation annuelle de 1,4 % de celles-ci entre 2026 et 2028, avant une hausse de 1,9 % en 2029. Elle correspond à un ajustement structurel primaire moyen de 0,78 point de PIB sur la période, ce qui est significatif.
Cet ajustement est concentré sur l’année 2025, à hauteur de 1,4 point de PIB, puis diminuera en 2026 avant d’augmenter légèrement les années suivantes. Le PSMT ne prévoit donc pas autre chose qu’un ajustement continu, année après année, pour enfin rééquilibrer nos comptes publics. Si l’allongement de la période d’ajustement de quatre ans à sept ans est accepté, il n’y a, selon nous, pas de raison que le PSMT soit rejeté par les autorités européennes et que celles-ci nous demandent un plan révisé.
Comme je le disais en introduction, le PSMT s’accompagne d’un scénario macroéconomique sous-jacent.
Tout d’abord, j’observe que la prévision de croissance potentielle du Gouvernement, qui s’élève à 1,2 % pour la période 2024-2028, puis à 1 % ensuite, est plus prudente que celle qui avait été mise en avant dans le cadre du programme de stabilité pour 2024-2027. Le chiffre désormais retenu est en accord avec le scénario des conjoncturistes, puisque la croissance à long terme de la France serait de 1,2 % par an selon le consensus des économistes et le Fonds monétaire international (FMI). Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), dans l’avis qu’il a rendu le 9 octobre dernier sur le PSMT, estime ainsi que ce nouveau scénario de PIB potentiel, quoique encore un peu optimiste, est désormais « raisonnable ».
Plus conservatrice que les précédentes, cette prévision débouche toutefois sur un scénario de croissance effective qui peut paraître optimiste, avec certes une croissance de 1,1 % en 2025, mais une augmentation par la suite à 1,4 % en 2026 et à 1,5 % en 2027 et 2028. L’assouplissement de la politique monétaire engagé cette année, qui devrait se poursuivre l’an prochain, peut bien sûr y contribuer, mais la réduction continue du déficit public sur cette période devrait à l’inverse modérer les perspectives de croissance.
Toutefois, les prévisions de croissance nominale du Gouvernement, qui prennent en compte l’inflation et qui sont celles qui comptent le plus pour déterminer le solde public, paraissent raisonnables.
Si l’indicateur de dépenses primaires nettes est central dans le PSMT pour apprécier l’effort réalisé par un État membre, il ne faut pas perdre de vue que l’objectif de ce plan est de placer chaque pays sur une trajectoire viable de finances publiques. Le PSMT 2025-2029 s’accompagne donc d’une trajectoire de déficit public et d’une trajectoire d’endettement.
Je me félicite du regain de rigueur qui a présidé, en la matière, à l’exercice. À la différence du PStab présenté en avril, les hypothèses présentées ici me semblent cohérentes et crédibles. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles ne traduisent pas une situation quelque peu alarmante, mais elles constituent autant d’arguments pour engager un redressement rapide de nos finances publiques.
Le PSMT prévoit une trajectoire de réduction du déficit public sur la période 2025-2029 : après un effort franc en 2025, puisque le déficit public passerait de 6,1 % du PIB à 5 % du PIB, celui-ci se poursuivrait les années suivantes, avec une petite respiration en 2026, année lors de laquelle le déficit passerait à 4,6 %, puis une réaccélération en 2027 et 2028 avant d’atteindre 2,8 % en 2029.
Je regrette que nous ne puissions pas respecter nos engagements dès 2027, comme le prévoyait initialement la LPFP, dont l’examen nous avait donné l’occasion de chercher à établir une trajectoire plus exigeante. Mais dans les conditions budgétaires actuelles, et n’en déplaise à l’ancien ministre de l’économie et des finances qui se plaisait à répéter, encore début septembre, que l’objectif des 3 % était atteignable dès 2027, ce ne sera pas le cas.
La dérive des années 2023 et 2024 a fait dérailler la trajectoire de la dette publique française : même avec les efforts importants qui nous sont présentés, celle-ci augmenterait progressivement jusqu’en 2027 pour atteindre 116,5 % du PIB, soit un niveau jamais atteint depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ! Cela doit tous nous alerter.
Par ailleurs, étant donné le poids désormais plus que significatif de notre dette – vous l’avez qualifiée il y a quelques instants de « colossale », monsieur le ministre – et le risque qu’elle fait courir à notre souveraineté du fait de son accroissement et du signal négatif que cela donne à nos prêteurs, je pense qu’il est temps d’engager une réflexion sur le financement hors marché d’une part de notre dette publique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons ce soir du plan budgétaire et structurel à moyen terme de la France pour les années 2025 à 2029. Si la commission des finances a demandé la tenue d’un tel débat, c’est qu’il s’agit d’un document essentiel et stratégique.
Je veux tout d’abord souligner que, compte tenu de l’importance du document, les conditions dans lesquelles le Parlement en est saisi sont problématiques. Si je salue le fait que le Haut Conseil des finances publiques a pu donner son avis sur le PSMT, alors que les textes n’étaient pas mis à jour pour le rendre obligatoire, je déplore en revanche que, en dépit de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), qui prévoit la transmission du document au Parlement quinze jours avant sa présentation aux institutions européennes, celui-ci n’ait fait l’objet que d’une transmission à titre provisoire le 20 octobre dernier, avant la présentation du document en conseil des ministres le 23 octobre.
Certes, monsieur le ministre, vous n’êtes qu’en partie responsable de cette dérive du calendrier. Selon les règles européennes, il aurait même fallu présenter le PSMT aux institutions européennes avant le 20 septembre ! Il n’en demeure pas moins que la loi organique n’a, une fois de plus, pas été respectée, et que c’est le Parlement qui en fait les frais une fois encore.
Mais le plus grave, au fond, c’est que, d’un côté, le Parlement examine des lois de programmation des finances publiques avec attention, en menant un travail minutieux, alors même que la trajectoire des finances publiques qui y figure n’a manifestement d’autre valeur que déclaratoire, et que, de l’autre, il reçoit à la hâte, de sorte qu’il doit l’examiner rapidement, un document qui, pour le coup, nous engage réellement, et qui va contraindre fortement la trajectoire des finances publiques pour les années à venir. Un débat, c’est mieux que rien, mais convenez que ce n’est tout de même pas grand-chose…
Ce document est particulièrement engageant, car la France fait l’objet, depuis le mois de juillet dernier, d’une procédure pour déficit excessif, ce qui signifie que le Conseil de l’Union européenne lui adressera prochainement une recommandation visant à mettre en œuvre une trajectoire de correction de ses dépenses nettes qui garantisse que le déficit public soit rapidement ramené sous les 3 % du PIB. Ou bien le PSMT satisfait les exigences de Bruxelles, ou bien il faudra prendre des mesures de redressement supplémentaires.
Par ailleurs, le PSMT est contraignant, car le non-respect des engagements qu’il comporte placerait la France sous la menace de sanctions financières, lesquelles s’élèvent à 0,05 % du PIB par semestre – le rapporteur général vient de l’indiquer.
Enfin, je rappelle que le PSMT devrait contenir une liste d’investissements et de réformes destinés à justifier un allongement de la période d’ajustement de quatre ans à sept ans. Cette période est celle au terme de laquelle le déficit public doit être ramené sous les 3 % du PIB, et au terme de laquelle le ratio d’endettement doit être placé sur une trajectoire descendante d’un point de PIB en moyenne chaque année, garde-fou supplémentaire que l’on doit à nos partenaires allemands.
Chaque année, un rapport annuel d’avancement doit être adressé à la Commission européenne pour faire le point sur la liste de ces investissements et réformes et vérifier qu’elles sont mises en œuvre. Autant dire que cette liste est d’une importance déterminante. Pourtant, à ce stade, le document présenté nous paraît bien pauvre…
En ce qui concerne la trajectoire des finances publiques qui nous est soumise, il y a peut-être un mieux par rapport au programme de stabilité, mais prévoir à partir de 2026 un taux de croissance entre 1,4 % et 1,5 %, tout en maintenant un ajustement de 0,6 point à 0,7 point de PIB par an, me paraît bien optimiste.
Je veux bien admettre que l’assouplissement de la politique monétaire engagé en juin dernier, et qui devrait se poursuivre encore quelque temps, permettra de relancer l’investissement, et que la baisse de l’inflation relancera la consommation. Tout cela est plausible, mais c’est faire un peu rapidement l’impasse sur les effets récessifs du redressement budgétaire qui nous attend.
Ne nous y trompons pas : la situation de nos finances publiques est critique – nous y reviendrons lors de l’examen du prochain projet de loi de finances –, de sorte que la contrainte européenne et la procédure pour déficit excessif ne suffisent pas, à elles seules, à démontrer la nécessité d’un redressement. Faut-il moins de dépenses, plus de recettes, et quel niveau fixer ? C’est un choix politique qui reste à définir et dont nous débattrons prochainement.
Quoi qu’il en soit, pour redonner à l’action politique ses lettres de noblesse et pour engager de nouvelles et nécessaires politiques publiques, il nous faut des comptes publics en équilibre. C’est un fait indiscutable.
Durant les trente dernières années, les seules fois où un redressement a été opéré, c’était sous Lionel Jospin, entre 1997 et 2002,…
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Cela ne nous rajeunit pas !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. … et au début du quinquennat de François Hollande, grâce à l’action déterminée de son gouvernement. Je vous laisse méditer ce point d’histoire… (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Grégory Blanc et Marc Laménie applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales. (Mme Frédérique Puissat applaudit.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour débattre du projet de plan budgétaire et structurel national à moyen terme, le fameux PSMT – nouveau sigle, auquel nous devrons nous habituer –, tant attendu.
En avril dernier, lors de l’examen du programme de stabilité, j’avais exprimé ma perplexité, alors que le Gouvernement n’indiquait pas ce qu’il prévoyait de faire concrètement pour respecter sa trajectoire.
S’agissant du PSMT, nous sommes dans une situation analogue, en particulier pour ce qui est des finances sociales.
Il était sans doute difficilement évitable qu’il en aille autrement, dans la mesure où nous avons déjà du mal à nous mettre d’accord sur les mesures à prendre dans le cadre du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale. On conçoit aisément qu’un document programmatique ne puisse, aujourd’hui, documenter précisément les mesures à prendre d’ici à 2031.
Je remarque toutefois que, même dans les grandes lignes, le projet de PSMT aborde très peu le sujet des finances sociales. Quand l’expression « administrations de sécurité sociale » apparaît, ce n’est que pour les années 2024 et 2025, pas au-delà. En particulier, ce projet ne précise pas comment l’effort sera réparti entre les différentes catégories d’administrations publiques.
C’est un recul par rapport au contenu actuel des programmes de stabilité, qui détaillent les prévisions en matière de besoins de financement pour chaque catégorie d’administrations publiques, et ce pour chaque année de la programmation.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale est lui aussi très vague sur ce qui doit se passer après 2025, pour ce qui est de la sécurité sociale. Il comporte bien, conformément aux dispositions organiques, une programmation à moyen terme, laquelle est d’ailleurs très préoccupante – nous aurons l’occasion d’en reparler dans les prochaines semaines –, puisqu’elle prévoit une augmentation continue du déficit de la sécurité sociale, qui atteindrait 20 milliards d’euros en 2028.
Toutefois, comme chaque année, cette programmation n’en est pas vraiment une. Il s’agit plutôt d’une sorte de projection à politiques inchangées, qui ne prend en compte que les mesures déjà prévues et qui témoigne d’un certain volontarisme concernant l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) et la croissance du PIB.
Le projet de PSMT prévoit, pour l’ensemble des administrations publiques que, après un ajustement structurel primaire de 1,6 point de PIB – soit près de 50 milliards d’euros – en 2025, cet effort serait de 0,7 point ou 0,8 point de PIB – soit environ 25 milliards d’euros – chaque année jusqu’en 2029. Je vois mal comment cet effort supplémentaire pourrait ne pas concerner en partie la sécurité sociale.
Dans ces conditions, ne faudrait-il pas modifier l’annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale, en intégrant un certain quantum de mesures de redressement chaque année ? Je ne fais que poser la question, monsieur le ministre. Nous aurons l’occasion d’en discuter lors de l’examen de ce texte.
Il deviendrait possible, dès lors qu’il y aurait de nouveau des perspectives de retour à l’équilibre de notre régime de sécurité sociale, de réaliser de nouveaux transferts de dette sociale à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades). Ces nouveaux transferts devront être réalisés tôt ou tard, me semble-t-il, alors que la sécurité sociale ne peut s’endetter qu’à court terme.
Nous ne pouvons pas jouer avec la pérennité de notre système de protection sociale. Nous ne pouvons pas nous contenter de la trajectoire financière inquiétante annexée au projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ce débat aura au moins eu le mérite de le rappeler.
La Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne doivent prochainement se prononcer sur le PSMT. Nous sommes, en réalité, sous la surveillance de l’Union européenne. Nous sommes aussi sous la surveillance des marchés financiers. Mais nous sommes, avant tout, sous la surveillance des Françaises et des Français, à qui nous devons d’être à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Patricia Schillinger, M. Marc Laménie et M. le rapporteur général de la commission des finances applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Frédérique Puissat et M. Marc Laménie applaudissent également.)
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, autant le dire tout de suite, je doute quelque peu que ce plan budgétaire rassure vraiment nos partenaires européens et les agences de notation sur l’évolution de la situation financière de notre pays.
Monsieur le ministre, vous n’êtes pas en cause, mais les ministres passent, Bercy reste. (M. le ministre sourit.) Si vos intentions sont bonnes et si nous souscrivons aux mêmes objectifs que vous, la méthode proposée par votre ministère pour équilibrer les comptes publics de notre pays n’est, en revanche, pas la bonne.
En effet, vous êtes dans le virtuel : vous fondez toute votre communication sur l’effort colossal que nous aurions à accomplir pour faire passer notre déficit de 7 % à 5 % du PIB. Or je n’ai rien trouvé dans tout ce que j’ai pu lire qui permettrait de valider un tel déficit tendanciel. Le Haut Conseil des finances publiques, dont j’apprécie les travaux et la méthodologie, s’est lui-même dit incapable de juger de la pertinence de ce taux de 7 %. Comment le serions-nous davantage ?
Il faut savoir regarder la réalité en face. Voilà des années que je demande que l’on distingue, dans le budget de l’État, les dépenses exceptionnelles et les dépenses courantes, car sans cela il est difficile de se prononcer sur l’évolution de nos finances publiques. De ce point de vue, vous nous avez fourni un document intéressant, qui permet de comparer les budgets des missions de l’État, c’est-à-dire les budgets des ministères, entre 2019 et 2025.
Monsieur le ministre, savez-vous de combien ces budgets ont augmenté ? De 100 milliards d’euros en six ans ! Si l’évolution des dépenses des ministères n’avait fait que suivre l’inflation – ce qui est déjà bien, car, dans les collectivités territoriales, la hausse des dépenses reste inférieure à l’inflation –, nous aurions fait 33 milliards d’euros d’économies. Vous rendez-vous compte, monsieur le ministre ?
Par conséquent, pour trouver des économies, il suffirait de n’augmenter le budget des missions que de la moitié du taux d’inflation, par exemple. M. Savoldelli ne pourrait pas parler d’« austérité », comme il le fait souvent, car les dépenses continueraient d’augmenter, mais dans une proportion inférieure à ce qui a été décidé dans le passé.
J’en viens à présent aux retraites – c’est un peu devenu mon dada… Celles-ci représentent un quart des dépenses publiques de notre pays, soit la moitié de notre déficit et la moitié de notre dette. Or, dans le document que vous nous avez transmis, monsieur le ministre, savez-vous combien de pages sont consacrées à ce sujet ? Trois pages sur deux cent dix-huit pages !
J’ai voté la réforme des retraites d’avril 2023 et je considère qu’elle va dans la bonne direction, mais soyons honnêtes : elle ne règle que 10 % à 20 % du problème. Il faut avoir le courage de le dire, ceux qui veulent la remettre en question sont des irresponsables et nous devons au contraire amplifier cette réforme, en revoyant notamment le système de retraite de la fonction publique. En effet, le déficit des retraites, c’est avant tout celui des régimes publics, qui représentent 80 % à 90 % du problème. Il faudra donc avoir le courage politique – rien n’est moins sûr – de rouvrir ce chantier de la réforme des retraites.
Quant au nucléaire, un sujet qui vous tient à cœur, monsieur le ministre, le projet de PSMT ne lui accorde que quatorze lignes sur deux cent dix-huit pages.
Le Gouvernement prétend qu’il veut relancer le nucléaire en favorisant la création de nouveaux EPR2 (Evolutionary Power Reactor 2). En réalité, il prévoit certes d’investir un milliard d’euros dans les petits réacteurs modulaires (PRM), c’est-à-dire dans le nouveau nucléaire, mais pas un centime dans l’ancien.
Pour rappel, le rachat par l’État des parts détenues par les actionnaires minoritaires au capital d’EDF a coûté 10 milliards d’euros. Voilà une entreprise très endettée, qui affiche des résultats en dents de scie, et à qui l’État demande aujourd’hui d’investir des dizaines de milliards d’euros – sans doute entre 70 milliards et 80 milliards d’euros – dans les EPR2, alors que, dans le même temps, celui-ci lui annonce que sa contribution sera nulle dans les cinq prochaines années…
J’espère me tromper, monsieur le ministre, mais une telle situation ne me semble pas raisonnable : sur un sujet aussi majeur que l’énergie décarbonée et le nucléaire, un actionnaire unique doit investir bien davantage !
Pour expliquer l’envolée de nos dépenses publiques, il faut, selon moi, incriminer les lois de programmation que nous avons adoptées – même si, à titre personnel, je ne les ai pas votées – sans prévoir aucun financement.
Madame la rapporteure générale, dans le cadre du Ségur de la santé, nous avons augmenté de 13 milliards d’euros les rémunérations des professionnels du secteur. En vérité, ce sont 13 milliards des 16 milliards d’euros du déficit actuel de la sécurité sociale qui n’ont pas été financés. Cela n’est pas responsable ! Quand on décide d’augmenter le salaire de certains personnels, il faut soit disposer des financements idoines, soit trouver des sources d’économies. En l’espèce, l’État s’est mis lui-même en difficulté.
D’un côté, les dépenses continuent d’augmenter – le Gouvernement prévoit 6 milliards d’euros de dépenses supplémentaires en 2025 par rapport à ce que prévoyait la loi de finances rectificative pour 2024 ; de l’autre, les recettes risquent d’être inférieures aux prévisions.
À cet égard, vous me semblez bien optimiste, monsieur le ministre : l’exécutif table, par exemple, sur une augmentation de 6 milliards d’euros du produit de l’impôt sur le revenu en 2025. Or je ne suis pas convaincu que les rémunérations de nos compatriotes aient augmenté dans ces proportions.
Au total, d’après vos hypothèses, les recettes fiscales devraient progresser de 37 milliards d’euros. Alors que nous souhaitions tous n’augmenter les impôts qu’à la marge, tout en réduisant significativement les dépenses, c’est en réalité l’inverse qui se profile. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) le souligne fort justement : 70 % des recettes résulteront d’augmentations d’impôts quand 30 % seulement de celles-ci découleront de réductions de dépenses. Il nous faut absolument inverser cette répartition.
À cet égard, j’espère que le prochain débat budgétaire nous permettra d’identifier des pistes d’économies. Sachez, monsieur le ministre, que vous nous trouverez toujours à vos côtés pour explorer ce type de solution. Il a été question récemment de la lutte contre l’absentéisme dans le secteur public : je suis évidemment favorable à l’extension du délai de carence à trois jours dans la fonction publique.
Nous devons poursuivre dans cette voie : ayons le courage de diminuer la dépense publique sans céder, chaque fois que la situation nécessite un redressement des finances publiques, à la tentation d’une hausse de la fiscalité, fût-elle exceptionnelle !
Comme chacun le sait, augmenter les impôts peut avoir des effets récessifs. Nombre d’entreprises, notamment dans le secteur des services à la personne, craignent déjà de devoir procéder à des licenciements ou liquider leur société.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous en conjure, faisons porter nos efforts davantage sur la dépense et un peu moins sur les impôts ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au risque de vous surprendre, je tiens en préambule à féliciter M. le ministre pour la qualité de ce document. (Sourires.)
M. Michaël Weber. Oh ! Oh !
M. Pascal Savoldelli. Une telle qualité se faisait plutôt rare ces dernières années. Or vous nous présentez un plan budgétaire et structurel à moyen terme suffisamment complet pour nourrir un débat éclairé.
Sur le fond, en revanche, l’autosatisfaction du Gouvernement est de rigueur, pour ne pas dire d’austérité (Sourires.), et ce dès les premières lignes : « Les réformes menées ces dernières années pour répondre aux défis structurels de la France portent leurs fruits en ayant amélioré l’attractivité de la France, la compétitivité de nos entreprises, et soutenu le dynamisme sur le marché du travail et nos performances à l’exportation. Les crises mondiales successives ont mis en lumière la capacité de résilience de l’économie française […]. »
Cette autosatisfaction de l’exécutif est une constante : elle consiste à se réfugier derrière les crises – certaines sont bien réelles, d’autres quelque peu fantasmées –, afin de dissimuler des choix politiques qui sont tragiques pour nos finances publiques.
Je m’arrêterai un instant, monsieur le ministre, sur les résultats que vous revendiquez en matière de politique industrielle à grand renfort de communication.
La France – croyez bien que les communistes le regrettent – n’est plus un pays industriel. Si l’on se réfère à la part de la valeur ajoutée industrielle dans le PIB, notre pays occupe, avec un taux de 13,4 %, la vingt-quatrième place sur vingt-sept en Europe. Seuls Malte, Chypre et le Luxembourg sont derrière nous.
La part de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée est passée de 15 % en 1995 à 10 % en 2017 puis à 9,5 % en 2022.
En 2017, les emplois industriels représentaient 20 % de l’emploi total ; ils n’en représentaient plus que 19 % en 2022. Seuls 5 % des emplois créés depuis 2017, soit 101 600 emplois, sont des emplois industriels.
La moyenne annuelle de notre production industrielle a diminué de 4,66 %, tous secteurs industriels confondus, par rapport à 2015.
Pire encore, si le nombre d’emplois dans l’énergie dite verte augmente, 70,4 % des sous-divisions de l’Insee correspondant à une activité industrielle ont vu le nombre des emplois diminuer entre 2017 et 2022.
Certes, pour 2022 et 2023, vous avancez le chiffre de 377 créations nettes d’entreprises productives. Ces entreprises sont toutefois cantonnées à quelques secteurs d’activité et sont faiblement pourvoyeuses d’emplois.
Voilà la réalité des chiffres. Elle est à mettre en regard des dépenses consenties au nom de la prétendue compétitivité et de la politique de l’offre.
Au total, les baisses de l’impôt sur les sociétés et des impôts de production, ainsi que les baisses de cotisations sociales sur les salaires – notamment via le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) – s’élèvent, hors niches fiscales, à 52,9 milliards d’euros chaque année depuis le début du quinquennat du président Emmanuel Macron. Et elles sont pérennes !
Permettez-moi de citer de nouveau un court passage de votre document, monsieur le ministre : « Ces efforts se matérialisent aujourd’hui, en témoignent la dynamique de réindustrialisation en cours et l’attractivité renouvelée de l’économie française pour les investisseurs étrangers. »
Parlons vrai : il est temps de cesser de brader notre souveraineté et notre modèle social à grand renfort de cadeaux fiscaux. En supposant que toutes les baisses d’impôts et de cotisations décidées par le Gouvernement le soient dans le but de créer des emplois dans l’industrie, la création d’un emploi coûte 406 923 euros aux finances publiques !
Admettez-le, les résultats sont mauvais ! Et puis, le capital est subventionné, voire assisté ! (Sourires.)
Alors que certains secteurs comme le luxe, avec des groupes tels que LVMH, Chanel ou Kering, ont pleinement profité de la mondialisation et renforcé leur position au sein du capitalisme français, l’industrie a connu, de son côté, un effondrement spectaculaire, conséquence directe de la désindustrialisation qu’ont favorisée les gouvernements successifs. En un peu plus de vingt ans, la part de l’industrie dans l’économie française, hors agroalimentaire, est passée de 33 % à seulement 14 %.
Pour rattraper son retard, l’Union européenne devra engager des investissements massifs et sans précédent. Mario Draghi estime ainsi que l’Europe devra emprunter 800 milliards d’euros aux marchés financiers. Évidemment, ce sont ces mêmes marchés qui définiront les taux – pourquoi s’embêter ? – et qui, ainsi, renforceront leur emprise sur les économies des États européens, dont la France.
À côté de la fable industrielle, il y a la fable budgétaire, celle qui nous enjoint de réduire notre déficit public à hauteur de 5 % du PIB dès 2025.
S’il est vrai que le pacte de stabilité et de croissance contraint la France et pèse sur ses choix budgétaires, en altérant – au passage – sa souveraineté, il faut savoir que Bruxelles n’appelle qu’à une réduction de 0,5 point de notre solde structurel, quand le Gouvernement souhaite un effort structurel plus de deux fois supérieur, équivalent à 1,2 point de PIB.
Une telle violence n’est pas prescrite par le médecin européen : l’ordonnance émane de votre gouvernement, monsieur le ministre. Ce zèle n’appelle pas seulement un effort sans précédent ; il provoquera une hémorragie inédite et injustifiée, au point que je ne suis pas sûr que le pays se relèvera de ces coups de boutoir.
Le Gouvernement, quant à lui, recourt à une formule de communication visiblement travaillée, puisqu’il évoque un « effort partagé ». (MM. Jean-Raymond Hugonet et Stéphane Le Rudulier s’en amusent.) J’admets que c’est une formule assez tendre et compatissante, voire unitaire, mais force est de constater que, pour l’heure, ce sont les classes populaires, les classes moyennes et les collectivités territoriales qui sont le plus largement mises à contribution pour redresser les finances publiques.
Monsieur le ministre, vous pourrez compter sur la détermination du groupe communiste pour faire changer les choses lors de la discussion du prochain projet de loi de finances.
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc.
M. Grégory Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage le constat de mon collègue Pascal Savoldelli : le plan du Gouvernement est très bien documenté, du moins jusqu’en 2025…
Mais ensuite ? Vacuité, voilà le terme adéquat pour évoquer ce document de plus de deux cents pages, dont quelques-unes seulement comportent réellement des éléments relatifs à la trajectoire pluriannuelle de nos finances publiques pour la période 2025-2029.
Vos projections ne sont au mieux, monsieur le ministre, qu’une littérature floue, notamment en ce qui concerne les perspectives de croissance ou les réformes à conduire à compter de 2026. Cela méritait d’être dénoncé à la tribune du Sénat.
Le Haut Conseil des finances publiques l’a lui-même reconnu en des termes certes plus diplomatiques. Bref, il n’y a dans ce document rien de clair sur le devenir des comptes de la Nation ni sur les réformes à conduire.
C’est d’autant plus fâcheux que cet exercice qui consiste à débattre de la trajectoire financière de notre pays pourrait être utile, au moment où l’on ne parvient plus à se parler ni à bâtir un horizon commun.
Les lois de programmation pluriannuelle sont des outils de mise en perspective pensés par les pères de la loi organique relative aux lois de finances et par l’Europe. Or vous décrédibilisez l’exercice, monsieur le ministre, en ajoutant du discrédit à celui dont souffrent déjà la LPFP et le programme de stabilité.
Pour rappel, la LPFP, votée en décembre 2023, est devenue caduque un mois après son adoption ; le programme de stabilité 2024-2027, débattu en avril 2024, l’a été dès l’été.
Au-delà de la faiblesse des informations fournies dans le PSMT, un élément à lui seul témoigne de la caducité de ce qui nous est soumis : les perspectives d’évolution de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Alors même que tout est fait aujourd’hui pour faire évoluer les véhicules individuels et les chaudières, vous prévoyez en effet une hausse d’un milliard d’euros du produit de cette taxe.
Certes, une partie de cette augmentation découle de la reprise de fonds affectés à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) mais, à l’heure où la Chine connaît un ralentissement sans précédent et amorce une transformation significative de son parc automobile, les observateurs – au premier rang desquels la Banque mondiale – estiment que, de la hausse de 1,2 milliard de barils des capacités de production pétrolière, il devrait résulter une baisse de 10 % du prix du pétrole.
Comment pouvez-vous, dans ce contexte d’électrification du parc automobile et de baisse des prix, prévoir une hausse des recettes de la TICPE ? La transition écologique s’impose à nous : elle implique une mutation de notre système fiscal, y compris parce qu’elle aura des effets sur l’assiette de certains impôts.
Votre majorité, qui réunit libéraux et conservateurs, a certes cessé de promouvoir la stabilité fiscale – un slogan cher au Président de la République –, mais force est de reconnaître qu’après avoir baissé les impôts de 62 milliards d’euros vous n’aviez pas d’autre solution que de les augmenter.
En l’absence de réformes de notre infrastructure fiscale, vous ne ferez toutefois qu’ajouter de la gravité à la gravité ; vous creuserez les inégalités et détruirez encore davantage la cohésion nationale dans une France inadaptée au réchauffement climatique.
Dans votre document, vous auriez pu évoquer un certain nombre de réformes fiscales. Les entreprises, les citoyens, les acteurs économiques ont besoin, certes, de financements, mais surtout de lisibilité pour s’adapter aux mutations. Ils ont besoin non pas d’un pilotage par à-coups, mais de perspectives.
Les collectivités doivent financer les deux tiers de l’investissement public destiné à favoriser la transition écologique. Or, d’un côté, vous leur demandez de s’endetter pour le faire et, de l’autre, vous le leur reprochez – voire vous les en empêchez, en prenant des mesures qui affectent leur épargne…
Dans un tel contexte, comment ferez-vous pour respecter les engagements que nous avons pris dans le cadre de l’accord de Paris, et que le Gouvernement réaffirme pourtant dans ce document ?
En somme, votre plan, c’est du pur « en même temps » : vous y dites tout et son contraire. Ce document n’est crédible ni pour le parlementaire que je suis, ni pour le Haut Conseil des finances publiques, ni, comme cela a été souligné par mes collègues il y a quelques instants et relevé par la presse ces derniers jours, pour les agences de notation.
Mais il y a plus grave encore, monsieur le ministre : comment voulez-vous, dans ces conditions, que la parole de la France soit entendue ?
La parole de la France, ce n’est pourtant pas rien : bien plus que nos chars Leclerc ou nos canons Caesar, il nous faudra assainir nos finances publiques si nous voulons gagner en crédibilité. Il nous faudra surtout transmettre à nos partenaires européens un plan budgétaire sérieux, qui ne devienne pas caduc un mois après sa présentation.
La crédibilité et la confiance supposent le respect d’autrui. Or, avec le document que vous nous soumettez, vous frôlez l’insincérité.
Par manque de crédibilité, la France perd en influence. Nous avons pourtant besoin que notre pays soit respecté pour faire évoluer les règles européennes. Monsieur le ministre, prenez-vous l’engagement de faire voter une loi de programmation des finances publiques rectificative ?
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’ont souligné les précédents orateurs, on nous a tout de même trompés !
Pendant sept longues années, monsieur le ministre, nous avons entendu votre prédécesseur nous dire que tout allait bien, qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter, et que nous pourrions bientôt ramener notre déficit public sous la barre des 3 % du PIB, voire approcher les 60 % d’endettement.
Cela n’a pas été le cas. En mars dernier déjà, l’excellent rapporteur général de notre commission des finances évoquait, s’agissant du programme de stabilité 2024-2027, « une dérive budgétaire annoncée ». Il formulait alors un certain nombre de propositions que le Gouvernement n’a pas entendues.
Aujourd’hui, on nous présente dans des conditions quelque peu surréalistes un document fort volumineux. Est-il tout à fait achevé ? Le dialogue avec notre commission des finances est-il finalisé ? Je l’ignore.
En tout état de cause, ce plan exige davantage de la part des Français que ce qu’induisent les contraintes budgétaires européennes. On nous demande de prendre part à une course de vitesse lestés d’une lourde charge sur le dos…
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne partage pas certains des points de vue que je viens d’entendre, celui du ministre, naturellement, au premier chef, mais également celui de mes collègues qui considèrent que nous n’en faisons pas assez.
En marge de la dernière réunion de la commission des finances, mon collègue Vincent Delahaye, qui vient du reste de faire un excellent discours, fidèle à sa ligne politique, me reprochait le manque de pertinence de mon analyse, au motif que, selon lui, le PSMT n’est pas « austéritaire ».
M. Vincent Delahaye. En effet, il ne l’est pas !
M. Victorin Lurel. Or j’ai beau le lire et le relire : ce plan est terriblement austéritaire, je dirai même substantiellement, significativement austéritaire ! L’austérité est au cœur du projet qui nous est soumis ; c’est une évidence et cela a été, me semble-t-il, très largement démontré.
Le Haut Conseil des finances publiques lui-même n’a pas pu se prononcer avec assurance sur ce document, compte tenu des approximations et de l’incertitude qui l’entourent.
Vos prévisions en matière de croissance, votre hypothèse concernant une réduction du déficit de la balance commerciale et de la balance des paiements, celle d’une reprise de la consommation des ménages qui résulterait d’une hausse du pouvoir d’achat des Français, ne sont en effet, monsieur le ministre, que pure spéculation.
Ma boule de cristal est peut-être aussi fêlée que la vôtre, mais il n’est qu’à voir l’environnement économique international et européen pour douter de vos projections. Nous faisons face à un véritable mur de financement qu’il va nous falloir franchir.
Force est toutefois de reconnaître un certain courage à ce gouvernement, puisqu’il réclame aux Français un effort considérable, équivalent à 1,4 point de PIB, et ce dès 2025. L’Europe n’en exigeait pas tant !
En agissant ainsi, vous escomptez trois avantages. Premièrement, vous pariez sur le fait qu’en sortant au plus vite de la procédure de déficit excessif dont elle fait l’objet la France aura moins d’efforts à fournir sur la période 2029-2031. C’est un faux calcul : un effort considérable de 0,6 point, voire de 0,78 point de PIB restera nécessaire au titre de l’ajustement structurel primaire et de l’indispensable réduction de notre endettement.
Deuxièmement, en demandant cet important effort aux Français, vous cherchez à rétablir notre crédibilité budgétaire et la confiance dans notre pays et, peut-être, à faire plaisir aux agences de notation.
Troisièmement, vous pensez engranger quelques dividendes et constituer des réserves pour anticiper une crise à venir.
Cela peut se défendre, mais pourquoi vouloir aller aussi vite ? Ne peut-on pas demander le même effort, mais à un autre rythme, en faisant en sorte qu’il soit plus équitable et mieux ciblé ? Vous, vous préférez demander beaucoup dès le départ, au risque de provoquer un repli qui aura des effets récessifs, et même austéritaires – je le dis à l’intention de mon collègue Delahaye.
Ce risque est documenté et étayé par de nombreux instituts, qu’il s’agisse du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) par la voix de Mme Delatte, que nous avons auditionnée, de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), de l’institut Avant-garde, ou encore de l’institut Bruegel.
Selon les économistes, les effets induits par le plan du Gouvernement seraient considérables. Ainsi, une économie de 10 milliards d’euros entraînerait une telle baisse de l’activité économique que notre déficit primaire ne baisserait en réalité que de 5,6 milliards d’euros, tandis que 15 000 emplois seraient supprimés. Et encore, il faudrait calculer le coût social de l’austérité que vous imposez.
Le même effort pourrait être mieux réparti pour répondre à un impératif de justice fiscale.
M. le président. Il faut conclure !
M. Victorin Lurel. C’est tout le sens du contre-budget que le groupe socialiste vous présentera lors du prochain débat budgétaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Grégory Blanc applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier les commissions des finances et des affaires sociales du Sénat pour l’organisation de ce débat, qui porte sur un champ très vaste et qui nous permettra, notamment, d’évoquer nos trois fonctions publiques – fonction publique d’État, territoriale et hospitalière –, dont les problématiques sont étroitement liées.
Les masses financières dont nous parlons sont considérables, qu’il s’agisse du budget de la sécurité sociale ou de celui de l’État. Ces budgets sont comparables, puisqu’ils dépassent tous deux allégrement les 800 milliards d’euros, mais le déficit du régime général de la sécurité sociale est beaucoup plus faible que celui de l’État, puisqu’il s’établit à un peu moins de 20 milliards d’euros.
Voilà cinquante ans que la France n’a pas connu une situation d’excédent budgétaire. Depuis 1974, l’État oublie de se comporter en bon gestionnaire. Sur les quinze dernières années, les exercices 2018 et 2019 ont été les seuls au cours desquels notre déficit est passé sous la barre des 3 %. Chaque Français qui naît aujourd’hui hérite d’une dette de l’ordre de 44 000 euros.
Depuis un demi-siècle, nous avons perdu le sens de la dépense publique et les gouvernements, les uns après les autres, ont oublié collectivement qu’une bonne gestion publique doit s’inspirer du bon sens.
Nous sommes désormais à un tournant essentiel de notre stratégie budgétaire. Le redressement des finances publiques n’est plus une option, mais une absolue nécessité.
Le plan budgétaire et structurel à moyen terme qui nous est présenté incarne une volonté de transformation et de résilience. Pour en garantir le succès, un impératif s’impose : la dynamique de notre dépense publique ne peut pas excéder celle de nos recettes publiques.
Le bon sens impose d’abord d’équilibrer ces dépenses et ces recettes, comme tentent de le faire chaque jour nos concitoyens.
Imagine-t-on une seule seconde nos compatriotes se comporter comme le fait l’État ? Pensez-vous vraiment, mes chers collègues, qu’un foyer préférera emprunter pour financer son train de vie plutôt que d’investir dans son logement, alors qu’il en aurait les moyens ?
Bien sûr, les coups durs et les aléas de la vie peuvent justifier de s’endetter à très court terme, mais aucun père, aucune mère de famille, ne se comporte ainsi dans la durée.
Équilibrer ses comptes et emprunter pour investir : voilà le comportement habituel de chaque Français. Tel est le bon sens que l’État a abandonné au cours des dernières décennies.
En effet, celui-ci emprunte pour financer son fonctionnement au quotidien et sacrifie, au passage, les investissements d’avenir. En d’autres termes, nous aliénons l’avenir de nos enfants pour payer les errements du passé.
Cette addiction à la dépense publique crée un cercle vicieux : nous empruntons toujours plus pour rembourser les dettes précédentes, tout en continuant à dépenser plus que nous gagnons. Résultat : nous empruntons pour rembourser nos emprunts.
En voulant tout faire, tout le temps, l’État oublie de se concentrer sur ses missions les plus importantes. Nombre de concitoyens estiment ainsi que les services publics auxquels ils ont accès ne sont pas au niveau des impôts qu’ils paient.
Les missions que les Français attendent de l’État sont multiples : celles qui touchent au régalien d’abord, avec la justice, la sécurité, l’armée et l’éducation de nos enfants ; celles qui garantissent la pérennité de notre modèle social, ensuite, avec une santé accessible à tous, des retraites pour nos aînés et une protection pour les plus fragiles d’entre nous ; celles, enfin, qui contribuent aux investissements dans nos infrastructures, notamment dans la nécessaire transition écologique et dans les technologies qui contribuent au progrès humain.
Cet équilibre dans la gestion des finances publiques n’est pas un idéal inaccessible. Treize des vingt-sept pays de l’Union européenne, soit près de la moitié d’entre eux, ont affiché un déficit inférieur à 3 % du PIB en 2023. Les Pays-Bas sont presque à l’équilibre, et trois États – Chypre, l’Irlande et le Portugal – dégagent même un excédent budgétaire.
Vous comprenez, mes chers collègues, qu’il y va de l’image de la France. Dans ces conditions, ces pays peuvent regarder leur avenir avec sérénité, quand nous regardons la fin du mois la ceinture à la main, mais sans trous supplémentaires pour la serrer…
Ce plan budgétaire et structurel à moyen terme vise à remettre la France sur les rails de son histoire. En se fixant comme objectif de ramener le déficit sous les 3 % du PIB en 2029, le Gouvernement souhaite insuffler du bon sens dans sa gestion des finances publiques. Il tourne ainsi le dos, progressivement, à cinquante années de déficit non maîtrisé.
La revue des dépenses annoncée par le Gouvernement permettra, à condition d’être suffisamment ambitieuse – nous y veillerons, monsieur le ministre –, de renforcer les bonnes dépenses publiques et d’alléger l’État de celles qui ne le sont pas.
Nous ferons ainsi en sorte que chaque euro d’impôt, de taxe, de cotisation ou de prélèvement, fruit du travail des Français et des Françaises, soit pleinement utilisé au service de leur bien-être.
M. le président. Il faut conclure !
M. Marc Laménie. C’est uniquement de cette manière que nous pourrons, nous aussi, regarder notre avenir avec sérénité, et emprunter pour investir là où sont les besoins. Et ils sont nombreux ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et SER. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme de la gouvernance économique européenne, adoptée en avril 2024, prévoit que le Gouvernement transmette cet automne à la Commission européenne un plan budgétaire et structurel à moyen terme visant, notamment, à placer la dette publique sur une trajectoire soutenable.
Une trajectoire soutenable… Après les échanges que nous avons eus dans cet hémicycle depuis quelques mois, j’hésite à convoquer Molière, ou bien le plus grand d’entre tous les sénateurs, Victor Hugo.
Le Premier aurait pu dire : « Ah, qu’en termes galants, ces choses-là sont mises ! ». Mais j’ai bien peur que le second eût dit : « Ô ministres intègres ! Conseillers vertueux ! Voilà votre façon de servir… ». Vous connaissez la suite !
On n’emploie malheureusement plus cette langue, mais la comédie des mots demeure un exercice d’actualité, ce document en fournissant une preuve tangible.
Alors qu’avec mes collègues membres de la commission des finances nous nous évertuons à réfléchir à la répartition la plus équitable possible des 60 milliards d’euros d’économies qui doivent permettre d’inverser les effets délétères de sept années d’incurie budgétaire, je ne vous cacherai pas que l’exercice auquel nous nous livrons ce soir relève de la boule de cristal ou du bonneteau, selon que vous préférez la caravane ou le parapluie. (Sourires.)
En effet, comment apprécier le réalisme de la trajectoire pluriannuelle figurant dans ce PSMT ? Sans mauvais jeu de mots, quel crédit peut-on apporter à ce document, alors que les facteurs de la croissance au-delà de 2025, tout comme les hypothèses sur lesquelles il repose concernant les revenus des ménages et des entreprises, ne sont absolument pas détaillés ?
Quels sont les réformes et les investissements que notre pays s’engagerait à mettre en œuvre pour bénéficier d’une extension de quatre ans à sept ans de la période d’ajustement budgétaire ?
Comment la France entend-elle réduire son déficit public à l’horizon 2029 ? Faut-il croire en l’amorce d’une décrue du ratio de la dette par rapport au PIB en 2028, alors que l’on connaît l’incertitude qui entoure les prévisions en matière de déficit public ?
Il est indispensable de disposer des réponses à ces questions pour apprécier le réalisme de la fameuse trajectoire.
Certes, me direz-vous, l’évaluation de la croissance potentielle, ainsi que le nouveau scénario d’évolution du produit intérieur brut potentiel sont désormais raisonnables. De même, on peut admettre qu’en décalant de deux ans la date prévue pour le retour du déficit sous le seuil des 3 % du PIB – elle passe de 2027 dans le programme de stabilité à 2029 dans le PSMT –, le Gouvernement gagne en crédibilité, ce que je tiens à saluer.
Cela étant, ce PSMT, qui est le premier de son genre, nous montre à quel point la technostructure, sous l’ardente férule des ronds-de-cuir bruxellois, rivalise d’ingéniosité pour tenter de nous faire prendre des vessies pour des lanternes !
La réalité crue, c’est que l’évolution de la dette est plus que préoccupante.
La réalité crue, c’est que l’annonce d’une amorce de la décrue du ratio de dette en 2028 est affectée par l’incertitude qui entoure les prévisions en matière de déficit public.
La réalité crue, c’est que la France va demeurer, avec la Grèce et l’Italie, le plus mauvais élève de l’Union européenne.
La réalité crue, c’est que, sous l’effet de la remontée des taux, la charge des intérêts de la dette de l’État devrait s’élever à 46,3 milliards d’euros en 2024 et à 72,3 milliards d’euros en 2027, alors qu’elle était de 39 milliards d’euros en 2023.
La réalité crue, c’est que la quasi-totalité de l’impôt sur le revenu payé par les contribuables français ne servira plus qu’à rembourser les intérêts de la dette.
La réalité crue, c’est que les marges de manœuvre pour faire face à un choc conjoncturel qui surviendrait dans les années à venir sont extrêmement réduites.
La réalité crue, enfin, c’est que la soutenabilité à moyen terme des finances publiques appelle des efforts immédiats et soutenus dans la durée. Dans ce domaine, l’indicateur de dépenses primaires nettes est un élément central et incontournable du PSMT.
Non seulement la France devra impérativement respecter la trajectoire de son plan budgétaire et structurel à moyen terme, tout en continuant de financer les investissements prioritaires, mais elle devra, dans le même temps, veiller à ne pas affecter son potentiel de croissance. Et ça, c’est une autre histoire !
Mes chers collègues, charité bien ordonnée commence par soi-même : je vais donc, pour ma part, commencer par économiser le temps de parole à cette tribune, afin de préserver nos nerfs et de ne pas attenter à notre insondable dynamisme, alors même que nous entrons de plain-pied dans un tunnel budgétaire qui s’annonce pour le moins particulier cette année.
Monsieur le ministre, nous travaillerons sérieusement à vos côtés pour dégager des économies ; encore faudrait-il qu’elles soient justes et équitables pour notre pays, qui ne peut plus supporter la langue de bois ni – je n’emploierai pas le terme de « mensonges » – l’insincérité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de l’orientation des finances publiques et du plan budgétaire et structurel à moyen terme de notre pays.
Ce plan est crucial pour poser les bases d’une gestion des finances publiques durable dans un contexte incertain. Les crises récentes ont mis à rude épreuve ces finances, et il est impératif que nous reprenions le contrôle de la situation budgétaire.
À ce stade, je tiens à souligner que le groupe RDPI souscrit pleinement à l’objectif de redressement des comptes publics. La croissance de la dette publique, qui atteindra bientôt 114,7 % du PIB, est préoccupante. L’aggravation des déficits compromet notre souveraineté économique et notre crédibilité internationale.
Le plan qui nous est présenté prévoit de ramener le déficit sous la barre des 3 % du PIB d’ici à 2029. Il nous faudra impérativement nous y tenir. Étaler l’effort jusqu’en 2029 est une décision pragmatique, qui permet de lisser les ajustements, sans étouffer la croissance économique ni fragiliser les services publics essentiels.
Nous avons tous conscience que pour réaliser les 60 milliards d’économies prévues, nous devrons faire preuve de détermination et de méthode.
Cela dit, cette trajectoire doit impérativement être accompagnée de mesures destinées à garantir que l’effort ne se fasse pas au détriment des plus vulnérables.
M. Victorin Lurel. Eh oui !
Mme Patricia Schillinger. Nous devons absolument éviter d’affaiblir les services publics dans les territoires ruraux, ainsi que dans les territoires ultramarins, où la fracture territoriale est déjà trop marquée. (M. Victorin Lurel acquiesce.)
Nos concitoyens, où qu’ils se trouvent, doivent continuer à bénéficier d’un accès aux soins, à l’éducation et à la sécurité. Dans de nombreux territoires, la question des déserts médicaux est devenue un problème majeur, et le département dont je suis élue, le Haut-Rhin, ne fait pas exception.
Il est donc crucial que la réduction des dépenses n’aggrave pas ces inégalités.
Le Sénat est la maison des territoires. Aussi, je me dois d’aborder la question des collectivités locales, qui seront appelées, elles aussi, à prendre leur part dans l’effort de réduction des dépenses ; en responsabilité, elles l’assumeront.
Toutefois, si la réduction du déficit public exige une mobilisation collective, à laquelle les collectivités locales ne sauraient se soustraire, il nous appartient de veiller à ce que l’effort reste supportable. Il est essentiel que les départements, qui sont au cœur des solidarités, les régions, dans leur rôle de soutien majeur à la vie économique, et bien sûr, les communes, piliers du maintien de la cohésion sociale, puissent conserver une capacité d’action suffisante pour continuer à conforter le dynamisme de nos territoires et à répondre aux besoins quotidiens de nos concitoyens.
Le Sénat prendra garde à ce que l’effort demandé n’entame pas la qualité des services publics de proximité ni la vitalité de nos territoires.
Je souhaite également insister sur la nécessité d’approfondir l’évaluation continue des politiques publiques, car trop d’angles morts nuisent encore à l’efficacité des dépenses.
La revue annuelle des dépenses est cruciale pour identifier des économies structurelles et améliorer la qualité des services rendus.
Le succès du PSMT repose sur notre capacité à mieux dépenser, et pas seulement à moins dépenser.
Dans ce contexte budgétaire contraint, il est néanmoins primordial de continuer à investir dans des secteurs stratégiques pour l’avenir. Deux axes doivent rester au cœur de notre stratégie : la transition écologique et la réindustrialisation.
Le plan prévoit des investissements massifs pour accélérer la décarbonation de notre économie. Cet engagement est indispensable, non seulement pour répondre à l’urgence climatique, mais aussi pour renforcer la compétitivité de nos entreprises dans une économie de plus en plus axée sur le développement durable. La France doit se positionner en leader européen de l’économie verte, ce qui suppose un soutien sans faille aux énergies renouvelables, à la rénovation énergétique, ainsi qu’à la décarbonation de l’industrie.
La réindustrialisation, quant à elle, est essentielle. Elle permettra de recréer des emplois durables dans nos territoires. Notre pays pourra ainsi retrouver sa capacité productive et son autonomie industrielle.
L’emploi reste une priorité absolue, au cœur de la relance. Les réformes récentes ont abouti à des résultats encourageants : le taux de chômage, par exemple, est historiquement bas.
Toutefois, pour maintenir cet élan, nous devons renforcer l’accompagnement vers l’emploi des jeunes et des personnes éloignées du marché du travail.
Si la transformation de Pôle emploi en France Travail représente une avancée notable, la réforme de l’assurance chômage demeure une priorité. Il revient désormais aux partenaires sociaux de parvenir à un nouvel accord, qui tienne compte à la fois de l’impératif de réaliser des économies et des besoins d’un marché du travail en pleine transformation.
En matière de retour à l’emploi, je rappelle que plus d’un million de travailleurs demeurent encore sous le seuil de pauvreté. Si le travail reste une protection contre la pauvreté, il est également important qu’il soit rémunérateur. Aussi, il ne faut pas relâcher nos efforts pour que celui-ci paie et pour que l’emploi soit synonyme de sécurité économique et de reconnaissance.
Enfin, je tiens à rappeler que les efforts demandés doivent être équitables. Le plan prévoit ainsi une contribution temporaire des grandes entreprises et des ménages les plus aisés. Cela va dans le bon sens. Il est impératif que ceux qui bénéficient le plus de la croissance économique participent de manière proportionnée à l’effort collectif. Il y va de la justice sociale et de la cohésion de notre société.
Le chemin qui nous attend est semé d’embûches, monsieur le ministre. Je suis toutefois convaincue que nous pouvons atteindre nos objectifs. Pour cela, il nous faudra faire preuve de détermination, mais aussi, à plus long terme et au-delà des simples ajustements comptables, de courage politique. Nous devrons oser nous poser la question difficile d’une réforme structurelle et profonde de l’État.
Le plan que nous examinons aujourd’hui constitue un premier pas vers un nécessaire redressement budgétaire. Il nous faut, cependant, rester vigilants et maintenir un équilibre fragile entre les exigences de sérieux budgétaire et de réalisation des investissements indispensables pour l’avenir de notre pays.
M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet.
M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aborde ce débat avec toute l’incrédulité et la prudence qui siéent aux exercices de planification. Les prévisions sont certes nécessaires, mais on sait bien qu’elles ne se réalisent que rarement…
Néanmoins, la première qualité que l’on doit reconnaître à votre scénario, monsieur le ministre, c’est certainement son réalisme, a fortiori si on le compare à la trajectoire que nous promettait le précédent gouvernement.
Un objectif de déficit de 3 % du PIB en 2029, un effort budgétaire d’ampleur, la maîtrise de la dépense publique, le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale : tout cela semble raisonnable et rassurant.
Malgré tout, j’identifie deux faiblesses sur lesquelles je veux attirer votre attention.
La première concerne les perspectives macroéconomiques, et notamment la croissance, qui devrait atteindre, selon vos hypothèses, environ 1,2 % dans les années à venir. La lucidité commande d’avoir à l’esprit les signaux d’alerte qui émanent des remontées de terrain.
Les indicateurs économiques de l’Insee dans le département dont je suis élu, le Lot, par exemple, sont encourageants. Mais il serait imprudent d’ignorer les indices qui laissent augurer un risque de retournement de la situation.
Je pense d’abord à la profonde dégradation des bilans économiques des exploitations agricoles, qui menace directement l’économie rurale.
De même, des tensions de recrutement pèsent sur l’industrie et l’artisanat et conduisent à un repli volontaire des carnets de commandes. Ces difficultés à recruter freinent terriblement l’activité économique.
La consommation des ménages souffre, aux dires des commerçants, de fragilités que ne montrent pas les chiffres. Là se situe peut-être le facteur le plus inquiétant : la défiance dans laquelle baignent notre économie et notre société. La France traverse une triple crise de confiance : démocratique, économique et fiscale.
Ces constats suggèrent que la trajectoire proposée relève, au fond, d’un pari sur l’avenir plutôt que d’un plan garanti.
La seconde faiblesse de ce scénario porte sur les réformes destinées à consolider ces perspectives. La croissance ne se décrète pas. Nous devons dépasser l’arithmétique budgétaire et impulser une stratégie courageuse et ambitieuse.
Un choc d’investissement public serait, à mes yeux, un levier pertinent pour relancer l’économie et répondre aux défis de demain. Les investissements publics ont un effet multiplicateur avéré : ils stimulent l’activité économique bien au-delà des montants engagés.
Les collectivités territoriales, en tant que premiers investisseurs publics, jouent un rôle central dans cette dynamique. Pourquoi ne pas nous saisir complètement de cet outil ?
M. Victorin Lurel. Elles sont matraquées !
M. Raphaël Daubet. Toujours dans le département du Lot, cette année, l’enveloppe de subventions dont disposait Mme la préfète n’a malheureusement permis de soutenir que la moitié des projets prêts à être engagés par les communes. Cela signifie que la moitié des projets de construction d’écoles, de crèches, de logements, de maisons de santé est tombée à l’eau.
La maîtrise de la dépense publique ne devrait pas porter sur les dotations d’investissement. Au contraire, nous devons donner plus de marges de manœuvre financières et réglementaires à l’échelon local.
Un autre levier à notre disposition consiste à faire de la recherche et de l’innovation la colonne vertébrale de notre croissance économique. À l’échelle européenne, la France se classe douzième en la matière. Cela doit nous interpeller.
Enfin, dernier levier, il faut redynamiser le secteur du logement, notamment social. Les effets attendus seraient nombreux sur l’activité économique, le pouvoir d’achat et la mobilité des travailleurs.
Monsieur le ministre, nous partageons votre volonté de redresser nos finances publiques, mais ne confondons pas rigueur et renoncement. L’histoire nous enseigne que les nations qui sortent grandies des crises sont celles qui ont su concilier responsabilité budgétaire et audace dans l’investissement.
La France a besoin d’un nouveau souffle, d’une vision qui dépasse les simples équilibres comptables. Les projets sont là, les besoins sont criants, les élus locaux sont prêts. Ne laissons pas la prudence d’aujourd’hui hypothéquer notre capacité à construire demain !
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons ce soir du plan budgétaire et structurel à moyen terme qui doit être transmis à la Commission européenne avant le 31 octobre. Ce plan sera analysé à l’aune de la soutenabilité de la dette et sera ensuite soumis à l’approbation du Conseil de l’Union européenne en décembre.
Notre débat s’inscrit dans un contexte particulier.
D’une part, la France fait l’objet d’une procédure pour déficit excessif depuis le mois de juillet dernier ; son déficit public s’élèvera sans doute, rappelons-le, à plus de 6,1 % du PIB cette année.
D’autre part, dès le mois de janvier 2025, les nouvelles règles du pacte de stabilité et de croissance nous imposeront de réduire notre dette de 1 point de PIB par an, tant que celle-ci sera supérieure à 90 % du PIB, comme c’est le cas actuellement en France, et de ramener notre déficit sous le seuil des 3 %, sans compter la marge de résilience de 1,5 point de PIB.
Dans ce contexte, la France a opté pour un plan d’ajustement allongé de quatre ans à sept ans. Celui-ci doit être accompagné d’un plan de réformes et d’investissements destiné à soutenir la croissance et les priorités de l’Union européenne.
Nous saluons cette demande de prolongation, tant l’effort demandé est important. Ce PSMT vise à ajuster le précédent programme de stabilité : il reporte à 2029 le retour à un déficit sous la barre des 3 %, ce qui est absolument nécessaire pour que la trajectoire soit soutenable.
Le plan prévoit ainsi un ajustement structurel primaire d’ampleur, de l’ordre de 0,78 point de PIB potentiel chaque année, ce qui représente un montant de 23 milliards d’euros par an – un tel objectif n’a jamais été atteint.
En contrepartie du délai supplémentaire de trois ans que le Gouvernement sollicite, la Commission européenne attend de nouvelles réformes. Or, monsieur le ministre, vous nous soumettez ici un catalogue de mesures qui ont en grande partie déjà été prises, avec les brillants résultats que l’on connaît…
Comment comptez-vous expliquer à la Commission européenne que cette politique passée, qui nous a conduits droit dans le mur, est précisément celle qui nous sortira du marasme ?
Le Haut Conseil des finances publiques a du reste reconnu, dans l’avis qu’il a rendu, qu’il n’était pas en mesure d’évaluer le réalisme de cette trajectoire en l’absence d’éléments concrets.
En réalité, le cœur du débat réside, me semble-t-il, dans le rythme du redressement. À quel tempo devons-nous avancer ?
Les économistes s’accordent sur un point : il est préférable de lisser l’effort plutôt que d’imposer un choc dès la première année. Un ajustement brutal de 60 milliards d’euros en 2025 risquerait de provoquer une récession, qui impliquerait, elle-même, des coupes encore plus drastiques.
L’OFCE estime qu’un tel ajustement réduirait la croissance de 0,8 point de PIB. Même le Fonds monétaire international (FMI) vous met en garde contre le risque de tuer la croissance en sacrifiant les investissements d’avenir.
Monsieur le ministre, sans réévaluation de votre calendrier, vous exposez notre pays à de graves difficultés ; ce sont notamment les investissements d’avenir qui seront sacrifiés sur l’autel de ces ajustements précipités.
L’urgence n’est pas seulement budgétaire, elle est aussi écologique. Souvenons-nous que Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz estimaient dans leur rapport qu’il faudrait dépenser 34 milliards d’euros de plus chaque année pour réussir la transition écologique. Nous en sommes très loin !
S’il existe une dette irréversible, c’est bien la dette écologique, et chaque investissement repoussé dans ce domaine, chaque engagement reporté, nous rapproche du point de non-retour.
En conclusion, monsieur le ministre, la Commission européenne aura bien du mal à croire en votre stratégie, tant en ce qui concerne la temporalité de l’effort que les réformes proposées, qui ne font que récapituler des mesures déjà prises par les gouvernements successifs ou figurant dans les précédents projets de loi de finances.
Ce plan témoigne de la grande légèreté du Gouvernement face aux enjeux financiers et économiques considérables auxquels nous sommes confrontés. Il est donc impératif de revoir le ciblage et la trajectoire des efforts pour ne pas hypothéquer notre avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général applaudit également.)
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, débattre de la trajectoire des finances publiques de la France n’a jamais été aussi important, dans le contexte de dégradation budgétaire que nous connaissons tous.
Les Français se posent beaucoup de questions. Ils se demandent notamment comment nous en sommes arrivés là. Monsieur le ministre, comment peut-on accepter collectivement que le Premier ministre ait découvert au mois de septembre dernier, peu après sa nomination, une situation budgétaire bien plus dégradée que ce qu’avait annoncé…
M. Victorin Lurel. Dissimulé !
M. Stéphane Le Rudulier. … votre prédécesseur ?
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir alerté le Gouvernement : je salue à cet égard le travail remarquable du rapporteur général de notre commission des finances qui, depuis plusieurs mois, s’en inquiète.
Aujourd’hui, nous ne pouvons plus nous contenter de bonnes paroles. Il s’agit de savoir quelles mesures structurelles, parce qu’il s’agit bien de cela, nous pourrions mettre en œuvre dans les prochains mois et les prochaines années, pour tenir une trajectoire vertueuse et revenir sous la fameuse barre des 3 % de déficit en 2029, afin que les instances européennes nous accordent un délai supplémentaire.
Ayons le courage de regarder la réalité en face. Permettez-moi de rappeler quelques chiffres, non pas pour remuer le couteau dans la plaie, mais pour montrer que nous avons perdu le contrôle de nos finances publiques depuis de nombreuses années.
Le déficit devrait s’établir autour de 6,1 % du PIB cette année, quand les prévisions tablaient sur un déficit de 4 %…
Notre dette publique s’élève à 3 228 milliards d’euros, ce qui représente 112 % du PIB, alors qu’elle n’était, en des temps qui ne sont pas si lointains, que de 14,5 % sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Elle a augmenté de 1 000 milliards d’euros depuis 2017, et elle frôlera la barre des 115 % du PIB l’an prochain.
M. Victorin Lurel. Sarkozy avait fait 600 milliards d’euros de dette !
M. Stéphane Le Rudulier. La charge de la dette explose : elle a atteint le niveau record de 54 milliards d’euros en 2024, et elle continuera d’augmenter pour s’établir à 72 milliards d’euros en 2027. Le pire, c’est qu’en 2026, les crédits dédiés au paiement de la charge de la dette, c’est-à-dire des intérêts, constitueront le premier poste de dépenses de l’État…
Nous sommes donc confrontés à une véritable crise budgétaire. Face à cette situation dramatique, nous devons sortir des guerres idéologiques et partisanes – c’est le rôle du Sénat. Cherchons, au-delà de la colline, des solutions pérennes. J’ai, très modestement, quelques pistes à vous soumettre.
Au-delà des annonces conjoncturelles, dont on débattra lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, il convient de réaliser des réformes structurelles.
Nous pourrions nous inspirer de la renaissance française de 1958, aux débuts de la Ve République, à l’époque où de Gaulle résumait la situation financière de la France d’une phrase : « En somme, l’alternative, c’est le miracle ou la faillite. » Voilà qui restitue bien, me semble-t-il, l’ambiance que l’on connaît aujourd’hui. Le « miracle » fut alors possible grâce à une thérapie de choc reposant sur la baisse massive des dépenses publiques. Inspirons-nous de ce modèle.
Cet après-midi, mes collègues du groupe Les Républicains ont formulé un certain nombre de propositions. Nous avons notamment parlé des agences de l’État – on en recense près de 1 200 –, qui ne coûtent pas moins de 80 milliards d’euros à notre pays. Il est sans doute possible de réaliser des économies en procédant à des fusions et en en rationalisant le fonctionnement.
La relance passera également par le lancement d’un nouvel acte de la décentralisation, une nouvelle étape intelligente, reposant sur la responsabilité des élus et des collectivités territoriales. De ce point de vue, une réforme de la fiscalité locale s’impose ; celle que le Président de la République avait annoncée en 2017, à l’occasion du congrès des maires, au moment où il a supprimé la taxe d’habitation, n’a jamais vu le jour. Elle est pourtant nécessaire.
Pour conclure, je mentionnerai d’un mot un enjeu essentiel, celui de la simplification et du poids des normes : ces dernières doivent redevenir opérationnelles et claires.
En tout état de cause, monsieur le ministre, nous sommes parvenus au carrefour de notre destin national !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Antoine Armand, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais m’efforcer de répondre de la manière la plus précise possible à l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés, même si la variété des interventions rend l’exercice difficile.
Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, vous avez repris le mot « colossal » pour qualifier notre dette. Cela me donne l’occasion de compléter mon propos introductif : j’ai dit tout à l’heure que celle-ci s’élevait à 3 300 milliards d’euros, alors que j’aurais dû en parler en évoquant son ratio par rapport au PIB. En effet, ce qui importe, c’est notre capacité à produire de la richesse pour rembourser cette dette.
Je tiens dès à présent à faire une différence claire entre un budget d’effort ou de rigueur – choisissez le terme qui vous paraît le plus adéquat – et un budget d’austérité. C’est factuel : un budget dont les dépenses augmentent au total de 0,4 % en volume, c’est-à-dire hors inflation, autrement dit un budget qui repose sur une dépense publique stabilisée, ne peut pas être présenté comme un budget d’austérité.
En tant que ministre de l’économie et des finances d’un pays endetté à hauteur de 3 300 milliards d’euros, je regrette que nous n’arrivions pas à faire baisser les dépenses publiques dès l’année prochaine, car nous avons réellement besoin de réduire rapidement notre endettement.
J’espère que le débat parlementaire permettra de nous engager sur cette voie, mais le fait est qu’on ne peut pas parler d’un budget d’austérité – je le redis – quand les dépenses de la sphère sociale augmentent de 2,7 %, quand aucun des principaux postes budgétaires de l’État ne baisse et quand les crédits consacrés à la transition écologique ou aux armées augmentent, tant en valeur qu’en volume. En parlant d’austérité, on transforme le sens des mots !
Comme l’a souligné le rapporteur général de la commission des finances et comme certains l’ont d’ailleurs déploré, l’effort que nous voulons produire l’année prochaine est supérieur à celui que nous demande la Commission européenne. C’est pour nous un enjeu de crédibilité, parce que nos déficits filent.
Si nous vous proposons une trajectoire difficile – certains en ont parlé avec malice –, avec un effort marqué dès l’année prochaine et non reporté à plus tard, et que nous allons plus loin que les demandes de la Commission européenne, c’est pour être en mesure d’investir dans les armées, dans la transition écologique, dans la sécurité, dans l’éducation, plutôt que de simplement rembourser la dette. Il faut que l’écart de taux avec l’Allemagne diminue.
À la suite du rapporteur général, je précise que, même si nous réussissons à faire repasser notre déficit sous les 3 % en 2029, le sujet de la dette ne sera aucunement clos. Les règles européennes prévoient effectivement que la dette doit continuer à baisser. Voyez nos voisins allemands : alors que leur taux d’endettement est presque deux fois inférieur au nôtre, les débats politiques se focalisent sur la suite de la trajectoire de désendettement.
Monsieur le président de la commission des finances, je ne reviens pas sur le « point d’histoire » que vous avez mentionné à la fin de votre intervention : on ne peut que partager votre propos, les chiffres le démontrent.
Comme vous, je regrette les délais d’élaboration et de transmission de ce PSMT : j’en prends naturellement ma part, mais cela est aussi dû au contexte politique.
Je voudrais revenir sur deux points que vous avez évoqués.
Tout d’abord, ce plan ne reprend pas l’intégralité du programme gouvernemental de réformes porté par le Premier ministre, tout simplement parce que les membres du Gouvernement sont en train de construire leur feuille de route. Le cadrage global a été annoncé lors de la déclaration de politique générale du Premier ministre et ces orientations seront précisées dans les prochaines semaines.
De ce fait – je réponds ainsi à certaines des préoccupations que vous avez exprimées –, tout n’est pas documenté dans ce plan. Il serait d’ailleurs prétentieux de le prétendre tant l’effort à fournir dans les prochaines années est important.
Ensuite, malgré nos désaccords, je crois que nous pouvons quand même partir des mêmes constats. On peut naturellement débattre des prévisions de croissance pour l’année prochaine, mais il me semble qu’on peut s’accorder sur le fait que la plupart des prévisionnistes n’anticipent pas de récession.
En revanche, il est vrai que l’on peut avoir une approche différente sur l’effet récessif des décisions que nous vous proposons. Mon ministère et certains prévisionnistes ont des avis divergents sur ce point.
En effet, nous estimons, en premier lieu, que les dynamiques internes de la croissance seront différentes l’année prochaine : cette année, la croissance était plutôt portée par les exportations ; nous pensons qu’en 2025 la consommation et l’investissement des entreprises joueront un rôle plus important. Cette analyse explique aussi notre position sur la partie recettes du budget. Nous pensons donc, contrairement à certains analystes qui estiment que l’épargne continuera de croître, que la croissance sera davantage tirée par la consommation.
En second lieu, les efforts que nous proposons en termes de prélèvements obligatoires sont ciblés sur des catégories qui, du fait de leur situation économique, sont les moins sujettes à cet effet récessif : les personnes qui gagnent plus de 250 000 euros par an pour un célibataire, plus de 500 000 euros pour un couple ; les grandes entreprises qui sont bénéficiaires et dont le chiffre d’affaires dépasse 1 milliard d’euros, soit environ quatre cents groupes.
Pour autant, et je le dis avec beaucoup d’humilité, je suis tout à fait d’accord pour remplacer tout ou partie de l’effort ainsi demandé par une diminution des dépenses. En effet, je ne crois pas que la solution soit d’augmenter les impôts dans un pays qui a déjà le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé au monde. Nous ne sommes pas la première puissance mondiale et nous ne sommes donc pas en situation de donner des leçons à toute la planète !
Madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, je partage l’idée selon laquelle le PSMT évoque insuffisamment la sphère sociale, même si, en particulier à la page 86, le document donne un certain nombre d’indications. Ce plan structurel souffre peut-être d’un léger manque de concertation interministérielle. J’espère que nous pourrons faire mieux dans les années à venir.
Comme vous, je pense qu’il faut regarder en face la question de la dette sociale. Certains régimes de sécurité sociale sont à l’équilibre et même, parfois, excédentaires. Ainsi, dans beaucoup de branches, les cotisations suffisent à financer les prestations, ce qui est au fondement de notre modèle d’inspiration bismarckienne. Il nous faut préserver ces régimes qui fonctionnent, même si nous devons avoir un agenda global de réduction de la dépense sociale.
Monsieur le sénateur Delahaye, vous avez évoqué la réforme des retraites et je suis certain que cette question continuera de nous occuper…
La vérité commande de dire que nous ne sommes pas au bout du sujet en ce qui concerne les régimes publics. On ne peut pas prétendre vouloir faire baisser durablement la dépense publique si l’on ne s’intéresse pas à un enjeu qui représente chaque année des dizaines de milliards d’euros. N’y voyez aucune stigmatisation ou logique d’austérité, mais nous consacrons presque 40 % de notre budget au remboursement de la charge de la dette et au paiement des pensions des anciens fonctionnaires, alors même que nous sommes nombreux à penser qu’il devrait être davantage tourné vers l’investissement. On ne peut donc pas s’arrêter là et affirmer qu’il n’y a rien à faire. Je sais que le Sénat a conduit des travaux à ce sujet et je me propose d’en parler très prochainement avec les parlementaires concernés.
Je ne vais pas revenir trop longuement ce soir sur la question du nucléaire, mais je veux simplement préciser qu’il faut faire la différence entre les investissements dans le nouveau nucléaire, qui doivent faire l’objet de schémas de financement spécifiques en lien avec l’État et la Commission européenne, et la maintenance du parc existant, qui doit être financée par l’opérateur EDF sur ses fonds propres. Ne nous y trompons pas, l’État sera bien là pour accompagner un effort d’investissement particulier réalisé à sa demande.
Monsieur le sénateur Savoldelli, on peut débattre sur la nature de la réindustrialisation, mais on ne peut pas dire que notre pays ne s’est pas réindustrialisé. Certes, la part de l’industrie dans le PIB n’a pas progressé, mais c’est parce que l’activité des autres secteurs a progressé plus vite que l’activité industrielle. D’ailleurs, le nombre d’emplois a progressé en net dans l’industrie.
Cela ne signifie pas que tout va bien. Beaucoup de dossiers nous préoccupent à différents endroits du territoire, mais il n’y a aucun sectarisme à reconnaître que, depuis 2016, notre pays crée des emplois industriels, ce qui n’était plus arrivé depuis les années 1990. Il ne s’agit pas d’en tirer une gloire particulière, mais c’est un réel progrès.
Il est vrai aussi – cela a été dit à plusieurs reprises – que les évolutions ne sont pas les mêmes dans toute l’industrie : les études économiques montrent que certains secteurs vont progresser quand d’autres vont décliner. On ne peut pas, d’un côté, appeler à la transition écologique et numérique et, de l’autre, s’étonner que certaines industries perdent des emplois. Quand une usine a des difficultés ou ferme, il faut d’abord regarder le dossier sous ce prisme.
Vous avez mentionné le rapport de Mario Draghi ; on pourrait aussi parler des rapports d’Enrico Letta ou de Christian Noyer, dont je partage assez largement les conclusions.
Mais je dois vous avouer une chose : quand, lors des réunions du conseil Compétitivité, je prends la parole pour défendre la nécessité de financer des investissements, privés et publics, à l’échelle communautaire, j’ai de bonnes raisons de penser que certains de mes homologues s’interrogent à ce moment-là sur le niveau de la dette publique française… Si nous voulons être crédibles dans ce type de débat, nous devons avoir des finances publiques comparables à celles de nos partenaires. Quand on est le troisième pays le plus endetté de l’Union européenne, il est délicat d’appeler à ce que celle-ci prenne le relais en termes d’investissements. Nous devons faire notre part du chemin !
Enfin, vous avez parlé de la « violence » de l’ajustement structurel : comment pouvez-vous parler d’austérité ou de violence, alors que la dépense publique augmente ? (Exclamations sur les travées du groupe SER.) Je le redis, la dépense sociale augmentera de 2,7 % en 2025 ! Si vous pensez qu’il s’agit d’austérité, cela signifie que nous n’avons pas le même référentiel.
M. Thierry Cozic. C’est pourtant ce que pensent 75 % des Français !
M. Antoine Armand, ministre. Monsieur le sénateur, les enquêtes d’opinion ne masquent pas la réalité de l’évolution de la dépense publique dans notre pays.
M. Victorin Lurel. Nous n’avons pas la même conception de l’austérité !
M. Antoine Armand, ministre. On ne peut pas tout arrêter à chaque fois que quelqu’un se plaint du fait qu’on réalise telle ou telle économie. D’ailleurs, nous tenons certainement là une partie de l’explication de l’augmentation de nos déficits… Nous ne pourrons jamais réduire les déficits publics et la dette – 3 300 milliards d’euros, je le rappelle – si nous parlons d’austérité, alors que les dépenses augmentent.
Monsieur le sénateur Blanc, vous vous êtes étonné de notre prévision concernant la TICPE, mais cela rejoint ce que je disais à propos des anticipations que nous faisons sur les composantes de la croissance l’année prochaine : si la consommation et l’investissement des entreprises croissent, la consommation énergétique croît également, de même que les recettes de la TICPE.
M. Grégory Blanc. Donc, vous ne respectez pas l’accord de Paris ! CQFD !
M. Antoine Armand, ministre. L’accord de Paris fixe une perspective jusqu’en 2050 et là nous parlons d’une hypothèse de croissance pour 2025 ! Je pense que nous sommes tous suffisamment de bonne foi pour distinguer le respect de l’accord de Paris et l’évolution sur une année des recettes tirées de la TICPE.
Par ailleurs, vous avez dit que la France était inadaptée au changement climatique.
M. Grégory Blanc. Sur le plan fiscal !
M. Antoine Armand, ministre. Vous avez en effet évoqué la fiscalité environnementale, et je vous rejoins sur ce point. Cependant, il n’a échappé à personne dans cet hémicycle qu’il est particulièrement difficile de réformer les dispositifs d’incitation fiscale dans ce domaine. La priorité du Gouvernement est de rétablir nos finances publiques et nous n’allions pas nous lancer, quelques jours après notre entrée en fonction, dans une sorte de chamboule-tout fiscal. Pour autant, Agnès Pannier-Runacher et moi-même ne comptons pas laisser ce dossier en jachère.
En ce qui concerne notre adaptation au changement climatique, je dois vous dire, sans fierté particulière, que nos partenaires européens regardent le plan que nous avons présenté avec intérêt. Nous parlons bien d’un plan d’adaptation et non d’atténuation, et c’est le premier de ce type en Europe. Les événements catastrophiques des derniers jours ont démontré, s’il en était besoin, l’importance de l’adaptation. Nous devrons naturellement trouver des financements et c’est ce que nous faisons, puisque le budget de la transition écologique est en hausse. On ne peut donc pas dire que nous ne nous préparons pas.
Monsieur le sénateur Lurel, vous nous reprochez d’obliger les Français à prendre part à une course de vitesse, et vous semblez estimer que nos efforts pour faire sortir rapidement notre pays de la procédure de déficit excessif dont il fait l’objet risquent de ralentir sa croissance.
Mais là encore, je vais vous faire une confidence : je ne crois pas que beaucoup de nos partenaires pensent qu’un pays comme le nôtre, qui a 3 300 milliards d’euros de dette, 6 % de déficit, un budget en déséquilibre depuis 1974, le niveau de dépenses publiques parmi les plus élevés de l’Union européenne, le taux de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés au monde et qui va mettre sept ans au lieu de quatre pour faire revenir son déficit en dessous des 3 % du PIB, aille trop vite !
À partir de 2026, nous serons le seul pays européen dont le déficit sera supérieur à 3 % de son PIB. Je le redis, peu nombreux sont les pays qui se disent que nous allons trop vite… Je crains même que nous n’allions pas assez vite.
Le rythme que nous vous proposons permettra justement de parvenir à un équilibre entre, d’une part, cette nécessité de réduire nos déficits et notre dette et, d’autre part, le risque que vous évoquez d’abîmer la croissance et l’importance de préserver certains budgets comme celui de la transition écologique.
Monsieur le sénateur Laménie, vous avez parlé de sérénité : il est en effet difficile d’être serein avec ce niveau de déficit et de dépenses publiques.
Vous avez aussi parlé d’une revue des dépenses publiques. C’est un marronnier de la politique française : nous disposons d’énormément d’éléments, de rapports et d’analyses en la matière. Je pense par exemple à CAP 2022, un exercice transpartisan qui avait été lancé en 2017. À partir de là, la question est de savoir si nous réussirons à trouver un consensus.
Au fond, je considère qu’il serait préférable de sortir le plus vite possible de la logique du rabot, mais cela implique que nous fassions des choix difficiles. Car je veux le dire très clairement et sans langue de bois : il va être très difficile de faire baisser la dépense publique, ce ne sera ni agréable ni – j’en ai bien peur – très populaire.
Nous devrons faire des choix sur les missions que l’État exerce, en tenant compte de la situation des finances publiques. Est-ce que l’État doit intervenir en toute matière ou doit-il se concentrer sur les missions régaliennes – le soutien aux investissements, l’éducation, la santé, la sécurité, la lutte contre l’immigration illégale… –, dans les domaines où nos compatriotes attendent que nous agissions en priorité ?
Je crois que nous devons regarder comment nos partenaires font et peut-être devrons-nous travailler autrement qu’aujourd’hui sur certains sujets. Si nous ne réduisons pas les dépenses publiques de cette manière, nous serons sans cesse confrontés à la logique du rabot qui est souvent à la fois inefficace et injuste – le président de la commission des finances, les rapporteurs généraux et l’ensemble des sénateurs le savent bien.
Nous devons donc mener une revue des dépenses mission par mission – je serai à l’écoute de toutes les propositions –, et pas seulement de manière globale, en ayant le courage de nous dire que, dans les cinq prochaines années, nous n’aurons plus les moyens de faire telle ou telle chose. Et c’est tout le contraire d’un aveu de faiblesse !
Par exemple, plusieurs sénateurs ont évoqué la question des agences et des opérateurs de l’État. Je suis le premier à dire qu’il est indispensable de bouger en la matière. C’est évidemment une question d’efficacité, parce qu’il arrive que des agences aux doctrines contradictoires soient en concurrence sur un même secteur.
Mais ne croyez pas que la simple fusion de plusieurs agences ou la rationalisation du travail de plusieurs d’entre elles nous fera faire beaucoup d’économies : nous y gagnerons peut-être un peu sur les fonctions support, mais ce ne sera pas massif. Ce qui est déterminant, c’est de décider que l’une des missions qu’elles exercent ne relève plus de la sphère publique et, donc, d’un financement public. Sur un tel sujet, il sera difficile d’éviter des débats douloureux…
Monsieur le sénateur Hugonet, comme vous avez des lettres, vous avez su lire derrière les chiffres…
Vous avez déploré le fait qu’il y ait de l’incertitude et il est vrai que je vous ai présenté une trajectoire, pas un plan garanti. Il ne faut pas oublier que nous devons respecter le principe d’annualité budgétaire.
Plus largement, le monde est confronté, comme mes partenaires et moi-même en avons fait le constat aux récentes assemblées générales de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, à deux incertitudes radicales : le niveau de la croissance mondiale pour les deux ou trois prochaines années ; les chocs à venir.
J’ajoute que les économistes de tout bord s’accordent à dire que la crise de la covid-19 a fait perdre au monde, de manière pérenne, au moins un point de PIB, parce que, même quand on a, comme en France, beaucoup protégé le pays, les structures productives ont été durablement affectées.
Vous avez également mis en avant l’importance de l’indicateur de dépenses primaires nettes : nous considérons que c’est un indicateur très important. Si l’on réfléchit autrement, on ajuste perpétuellement la recette à la dépense, ce qui conduit à des dépenses publiques et à des prélèvements obligatoires extrêmement élevés. Ce phénomène n’est pas en soi problématique, mais il le devient quand on ne réussit pas à pousser la croissance au-delà des 1 % de PIB et que le taux de satisfaction dans les services publics reste faible. Quand on ajoute à cela l’augmentation de la charge de la dette, on aboutit à un réel problème de crédibilité.
Voilà les raisons pour lesquelles le Premier ministre a fixé comme objectif la réduction des déficits et de la dette. De ce point de vue, j’estime que j’ai la chance d’appartenir à un tel gouvernement.
Madame la sénatrice Schillinger, vous avez évoqué la question des inégalités territoriales, celle des déserts médicaux et de l’accès aux services publics.
Il est vrai que les inégalités se sont beaucoup trop accrues ces dernières années – c’est l’élu d’un territoire rural, mais aussi de montagne, qui vous le dit – et qu’en réduisant les dépenses nous avons parfois perdu le lien avec les habitants.
C’est pourquoi nous pouvons nous féliciter que le Premier ministre ait décidé de créer un ministère du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, qu’il ait particulièrement mis l’accent, notamment devant cette assemblée, sur les maisons France Services et les services publics de proximité et qu’il ait approuvé la préservation des enveloppes budgétaires qui leur sont consacrées.
Par ailleurs, je continuerai de soutenir nos efforts, y compris budgétaires, en faveur de la décarbonation de l’industrie – j’imagine que nous en reparlerons lors de l’examen du projet de loi de finances. C’est ainsi que nous préparons la compétitivité de demain.
En ce qui concerne l’emploi et les salaires, le projet du Gouvernement est évidemment perfectible, mais la réforme qui s’inspire des travaux d’Antoine Bozio et d’Étienne Wasmer est importante.
Le dispositif actuel d’allégement de cotisations sociales incite de fait les entreprises à ne pas augmenter les salaires, ce qui crée un phénomène de trappe à bas salaires. C’est mauvais de tout point de vue : pour les salariés qui n’arrivent pas à combler les besoins essentiels de leur famille – se loger, se nourrir, se déplacer, etc. –, mais aussi pour la croissance, puisque ce système ne favorise ni l’investissement ni l’amélioration de la qualification des employés.
C’est pourquoi nous devons avancer dès aujourd’hui sur ce sujet, même si nous devons aussi prendre du temps et faire attention à ce que cela ne pèse pas excessivement sur le coût du travail.
Monsieur le sénateur Daubet, je ne vais pas dire que je ne partage pas vos inquiétudes sur les signaux faibles que nous détectons de toute part, que ce soit dans l’agriculture ou dans l’industrie. En fait, si nous n’arrivons pas à trouver des marges budgétaires dans les toutes prochaines années pour soutenir l’innovation et la croissance et pour faire baisser le coût du travail, ces signaux deviendront plus forts…
C’est plus largement un sujet européen sur lequel Michel Barnier m’a demandé de travailler avec les États membres de l’Union et les institutions communautaires. Nos partenaires asiatiques ou américains, qui sont aussi des concurrents, ont depuis longtemps une autre vision des relations commerciales et de la politique industrielle. Nous ne sommes pas dans un monde idéal d’ouverture et de libre-échange non faussé. L’Europe doit sortir de sa naïveté en la matière pour prendre en compte la dimension hostile et agressive des pratiques commerciales internationales.
Je me réjouis d’ailleurs que la Commission européenne, notamment inspirée par la France, ait fixé des droits de douane de 35 % sur les importations de véhicules électriques en provenance de certains pays asiatiques. Ce n’est pas rien ! La Commission a démontré de manière totalement indépendante que ces pays versaient des subventions massives à leur industrie, alors même que nous nous battons en Europe pour que notre parc automobile s’oriente vers l’électrique sans que cela pèse trop lourdement sur notre industrie, en particulier sur les sous-traitants qui ne doivent pas sortir abîmés de cette phase de transition.
Vous le voyez, nous devons travailler sur ces sujets à la fois au niveau national et au niveau européen.
En tout cas, je ne peux qu’aller dans votre sens quand vous évoquez la nécessité des réformes et, comme je le disais, nous présenterons des propositions de fond pour rééquilibrer les choses entre fonction publique et secteur privé, réévaluer les missions exercées par l’État ou améliorer la qualité de la dépense publique.
Madame la sénatrice Blatrix Contat, si nous mentionnons dans ce document des réformes passées, ce n’est pas par glorification de notre action, mais parce qu’elles auront des effets macroéconomiques dans les années à venir sur le taux d’emploi ou les finances publiques – je pense évidemment à la réforme des retraites ou à celle de l’assurance chômage. C’est d’ailleurs pour cela que nous les avons faites !
En outre, il est clair que nos partenaires européens regardent tout cela avec attention et qu’ils sont notamment très vigilants à ce que nous ne remettions pas en cause des réformes qui sont bonnes pour les finances publiques et le taux d’emploi des seniors.
Je ne reviens pas sur la question du rythme – j’en ai parlé –, mais je veux insister sur le fait que nous devons absolument montrer que nous sommes capables de produire un effort important dès l’année prochaine. La crédibilité de la France en Europe est en jeu.
Monsieur le sénateur Le Rudulier, je reprends à mon compte votre inquiétude sur la perte de contrôle de nos finances publiques. Cela doit nous alerter sur un point : au-delà des chiffres eux-mêmes, ce qui est important, c’est la méthode. Je ne veux évidemment pas comparer la France à une entreprise, mais quelle entreprise ayant un tel niveau de déficit et de dette ne regarderait pas de manière très attentive ses dépenses ?
Nous devons donc – je pense bien sûr au Gouvernement, mais aussi à la représentation nationale, aux économistes ou aux experts – regarder en permanence et au plus près l’évolution de nos dépenses publiques pour les garder sous contrôle et être capables de réagir en cours d’année, si le besoin s’en fait sentir. C’est là encore une question de crédibilité.
Vous avez dit que nous devions regarder au-delà de la colline. En tant que montagnard, je parlerai plutôt de la montagne, mais le fait est que nous devons avoir une conscience claire du mur d’investissement qui se dresse devant nous pour la transition écologique.
L’écosystème français de l’innovation est puissant, mais l’honnêteté commande de dire que les États-Unis et certains pays asiatiques vont encore plus vite que nous, en particulier en matière d’intelligence artificielle ou d’énergies décarbonées. Il est donc très important de soutenir ce secteur, comme le font tous les pays innovants dans le monde, par des dispositifs publics offensifs.
Cela nécessite de faire des économies et de supprimer les doublons, ce qui fait le lien avec ce que vous avez dit sur les agences.
Je conclurai en évoquant la question de l’équilibre territorial. Nous disposons, avec les rapports d’Éric Woerth et de Boris Ravignon, des outils nous permettant de remettre à plat les déséquilibres que nous connaissons, en particulier en termes de fiscalité, et de mieux mettre en œuvre le principe de libre administration des collectivités locales. Passons des rapports aux actes !
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le plan budgétaire et structurel national à moyen terme et sur l’orientation des finances publiques.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 5 novembre 2024 :
À neuf heures trente :
Questions orales.
À quatorze heures trente et le soir :
Explications de vote puis vote sur la deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à améliorer le repérage et l’accompagnement des personnes présentant des troubles du neuro-développement et à favoriser le répit des proches aidants (texte de la commission n° 97, 2024-2025) ;
Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale (texte de la commission n° 86, 2024-2025) ;
Trois conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié :
Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République d’Arménie, d’autre part, et de l’accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et l’Ukraine, d’autre part (procédure accélérée ; texte de la commission n° 687, 2023-2024) ;
Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Indonésie relatif à la coopération dans le domaine de la défense (procédure accélérée ; texte de la commission n° 722, 2023-2024) ;
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État indépendant de Papouasie-Nouvelle-Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces (texte de la commission n° 602, 2023-2024) ;
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (texte de la commission n° 724, 2023-2024) ;
Proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes, présentée par Mme Marie Mercier et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée ; texte de la commission n° 99, 2024-2025).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale
Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a présenté une candidature pour la délégation aux entreprises.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Mireille Conte Jaubert est proclamée membre de la délégation aux entreprises.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER