M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous allons bien sûr voter cette proposition de résolution, mais sans aucune illusion, car une résolution n’arrêtera jamais la guerre…
Je tiens d’emblée à dire à ma collègue Nicole Duranton que je ne suis pas tout à fait d’accord avec elle, non pas à propos de la proposition de résolution en elle-même, mais au sujet des origines de cette crise en mer Rouge.
Vous nous expliquez, ma chère collègue, que, depuis le 7 octobre 2023, les Houthis se sont mis à interdire le passage des navires qui, d’une manière ou d’une autre, auraient un lien avec Israël. Or, en réalité, les causes de ces attaques sont à chercher dans la guerre civile au Yémen entre, d’une part, le gouvernement officiel, légitime, soutenu par l’Arabie saoudite et l’Égypte et, d’autre part, les rebelles chiites houthis soutenus, quant à eux, par l’Iran, une guerre qui a provoqué des centaines de milliers de morts.
Résultat des courses : les Houthis ont commencé à se livrer à ce qui se pratiquait depuis le XIXe siècle au niveau du détroit de Bab el-Mandeb, c’est-à-dire des actes de piratage.
Les Houthis sont des pirates, mes chers collègues, qui nous signifient tout simplement que, si nous voulons commercer et faire passer nos navires, il va falloir payer…
Mme Valérie Boyer. Exactement !
M. Roger Karoutchi. Du reste, l’argent récolté par les rebelles sert à payer les armes que l’Iran leur livre : la boucle est bouclée et le cercle infernal s’est enclenché.
Téhéran fournit des armes en contrepartie des rançons tirées de ces actes de piratage, tout en dissimulant cela, depuis un an, derrière un prétendu soutien aux mouvements palestiniens, alors que chacun sait bien que ce type d’opérations préexistait au conflit israélo-palestinien et n’avait, par définition, aucun lien avec celui-ci.
Nous avons donc affaire à des miliciens dont la stratégie, non seulement nuit à la libre circulation des navires, mais s’apparente à une rébellion contre le gouvernement officiel.
Cette proposition de résolution est intéressante, si bien que, je le redis, nous allons la voter.
Pour autant, je serais tenté de dire que, si l’on veut vraiment couper les deux têtes de l’hydre, il faut manier plusieurs haches ! Car, en réalité, l’une de ces deux têtes se trouve à Téhéran, et sûrement pas au Yémen !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Roger Karoutchi. Aussi, si ce texte est bienvenu, il va de soi que l’action diplomatique et militaire de la France doit davantage se concentrer sur l’Iran, comme l’a d’ailleurs déclaré à plusieurs reprises, et à juste titre, le ministre des affaires étrangères. Notre pays appelle en effet l’Iran à cesser de soutenir, de quelque manière que ce soit, ses « proxy », que ce soit le Hezbollah, le Hamas ou les Houthis, ces trois « H » qui sont en réalité à la solde de Téhéran et contribuent au désordre politique, militaire, diplomatique de l’ensemble de la région.
Sommes-nous capables de négocier des accords renforçant l’unité et la solidarité, ainsi que la paix dans la région ? Je n’en suis pas sûr, mais, en tout cas, cette initiative, cet appel à ce que la France soit plus ferme à l’égard des Houthis est à saluer.
À cet égard, Jean-Pierre Grand a bien fait de rappeler que la marine française contribue à ce combat, même si – soyons francs – ce sont surtout les Américains et les Britanniques, qui œuvrent pour détruire les installations des Houthis, avec l’aide ponctuelle de l’aviation israélienne pour que ces derniers cessent de s’imaginer qu’ils pourront continuer à envoyer indéfiniment des missiles sur l’État hébreu.
Oui, il faut tout faire pour que les Houthis arrêtent de bloquer le détroit et de se livrer à des actes de piratage, qui n’ont d’autre objet que de leur permettre de s’armer contre le gouvernement officiel de Sanaa.
Oui, il faut faire en sorte que la situation se rétablisse, mais ne nous faisons pas trop d’illusions : tant que nous ne parviendrons pas à un accord, qui ne peut que résulter du rapport de force que nous aurons établi avec Téhéran, il y aura des Houthis, il y aura le Hezbollah et le Hamas et, par conséquent, il y aura la guerre dans toute cette région. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP, UC et RDPI.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au préalable, permettez-moi de remercier notre collègue Nicole Duranton pour l’ensemble de son travail et cette proposition de résolution, ainsi que le président de notre groupe, François Patriat, l’ensemble des membres du groupe RDPI, qui ont souhaité l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de notre espace réservé, et les quarante-deux cosignataires du texte, dont le président Claude Malhuret et la présidente Maryse Carrère.
C’est évidemment à tort que les sujets abordés par notre collègue peuvent sembler éloignés du quotidien de nos concitoyens et des Européens, car il y va non seulement de la sécurité régionale au niveau du golfe d’Aden et de la mer Rouge, mais aussi de la stabilité au Proche et Moyen-Orient, de la sécurité des routes maritimes et, donc, du commerce mondial et de l’approvisionnement des entreprises comme des particuliers qui, un jour, pourraient faire face à des ruptures de stock.
La situation en mer Rouge et les actions menées par les Houthis nous rappellent que ces crises persistent et ne datent pas d’hier – Roger Karoutchi vient de le dire. En vérité, elles ne font que prendre de nouveaux visages au travers de l’hybridation des menaces et du développement d’armes low cost.
Revenons à l’horreur des massacres du 7 octobre 2023, ce jour où l’inhumanité a fauché une partie de l’humanité. S’est ensuivie la nouvelle guerre menée par Israël contre le Hamas.
Les Houthis sont alors entrés en scène en utilisant leurs missiles et leurs drones et en menant des assauts héliportés contre des navires constituant des proies faciles. Depuis lors, le détroit de Bab el-Mandeb porte bien son nom de « Porte des Pleurs ».
Résultat : les rebelles sont parvenus à optimiser leurs actions et, donc, leur « reconnaissance » internationale, à telle enseigne que certains pays renoncent à faire traverser la zone par – tenez-vous bien – leurs bâtiments militaires ! Le ministre allemand de la défense a ainsi annoncé il y a quinze jours qu’une frégate éviterait le secteur pour rentrer en Europe à l’issue d’un exercice dans la zone indo-pacifique.
Cela montre bien que l’importance stratégique des détroits n’a d’égale que leur vulnérabilité. L’Histoire nous l’a enseigné et le présent nous invite à une vigilance extrême – je pense au détroit de Taïwan, en particulier.
Les dirigeants du mouvement houthi ont fait le lien entre leur action et la guerre à Gaza. Ainsi, en février dernier, Mohammed Ali al-Houthi a conditionné le sauvetage des cargos à l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza. Ces mêmes dirigeants ont également fait le lien entre les agissements des rebelles et le théâtre d’opérations libanais, lorsqu’un missile a été tiré sur l’aéroport David-Ben-Gourion au lendemain de l’élimination d’Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah.
Mais gardons-nous, comme Roger Karoutchi nous y a invités – et même si mon appréciation diverge quelque peu de celle de notre collègue –, de faire des Houthis de simples exécutants de commanditaires extérieurs et de l’Iran. Nous observons un alignement d’intérêts, une coopération, mais il existe aussi une dynamique propre à ce mouvement, qui résulte de la création de l’État yéménite lui-même – j’y reviendrai.
Dans l’exposé des motifs de sa proposition de résolution, notre collègue Nicole Duranton évoque « le spectre d’un embrasement et d’une généralisation du conflit au Proche-Orient et au-delà ».
En ce qui concerne le Yémen, le mouvement houthi n’a pu y émerger comme force politique puis militaire, dans les années 1990, que parce que les gouvernements de l’époque ont refusé de reconnaître les spécificités de la minorité zaydite, au nord-ouest du pays. Celle-ci s’est alors muée en force politique ayant une visée nationale.
Résultat : c’est aujourd’hui le peuple yéménite qui trinque, puisqu’il se trouve dans une situation humanitaire déplorable.
Seule une authentique voie fédérale permettrait au Yémen de se stabiliser, mais cela supposerait aussi que les États voisins de la région renoncent à instrumentaliser tel ou tel acteur de la scène politique yéménite. Nous en sommes loin, hélas ! quand on voit lesdites puissances déployer un nouveau « grand jeu » de la Libye au Yémen en passant par le Soudan.
Pour ce qui est de la crise au Proche-Orient, les voies et moyens pour en sortir sont bien connus : il faut mettre en œuvre la fameuse solution à deux États et garantir la sécurité d’Israël. Hélas ! force est de constater que, chaque jour qui passe, on s’en éloigne : il n’est qu’à écouter le ministre israélien Bezalel Smotrich, qui souhaite l’annexion de la Cisjordanie, ce qui est, j’y insiste, inacceptable et irresponsable.
On est bien loin de la résolution 242 des Nations unies qui appelait au retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés au lendemain de la guerre des Six Jours. Ce sont ces mêmes Nations unies qui, en 1947, en adoptant la résolution 181, avaient pourtant fait en sorte qu’un « rêve vieux de deux mille ans [devienne] une réalité », pour reprendre un commentaire figurant sur la page commémorant cet événement sur le site de l’ambassade d’Israël en France.
Je crains que les événements actuels ne nourrissent une soif de revanche des générations palestiniennes à venir, qui ne serait à l’avantage de personne.
Dans ce monde où les crises sont à la fois permanentes et multiples, Français et Européens doivent muscler leur jeu, non seulement en matière de défense, ce à quoi la France s’emploie avec sa loi de programmation militaire (LPM) et en renforçant sa présence dans la zone – je me réjouis que notre partenariat avec Djibouti ait été renouvelé –, mais aussi en matière de diplomatie des mers et des océans, car nous disposons du deuxième espace maritime au monde et devons, à ce titre, défendre la liberté de navigation – c’est du reste dans cet esprit que notre pays accueillera dans quelques mois, à Nice, la prochaine conférence des Nations unies sur l’océan.
Mes chers collègues, c’est à la lumière de tous ces éléments que je vous invite plus que jamais à vous réunir autour de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. François Patriat. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis novembre 2023, les attaques houthies contre les navires marchands se sont intensifiées et se caractérisent par un recours accru aux drones et aux missiles.
L’un des incidents les plus graves a consisté en la capture du pétrolier Galaxy Leader, dont les vingt-cinq membres d’équipage sont toujours retenus en otage.
Au début de mars, le cargo Rubymar a aussi été la cible de plusieurs missiles : il a coulé au large des côtes yéménites, relâchant dans les eaux des milliers de tonnes de carburant et d’engrais. Cette attaque et la pollution qu’elle a engendrée ont eu un impact évident, non seulement sur l’écosystème marin du détroit, mais aussi, évidemment, sur les communautés de la côte yéménite, dont beaucoup dépendent de la pêche.
D’autres attaques ont également touché deux villes égyptiennes en octobre 2023, faisant six blessés.
Enfin, de nombreux missiles ont ciblé Israël, faisant un mort et plusieurs blessés à Tel-Aviv, en juillet dernier.
Ces attaques ont mis le Yémen, l’un des berceaux de notre civilisation, sur le devant de la scène internationale.
Je souhaiterais attirer votre attention, mes chers collègues, sur le fait que ce conflit en mer Rouge s’inscrit dans une histoire plus large, celle du Yémen et celle du sud de la péninsule arabique dans son ensemble.
Depuis 2014 et l’insurrection menée par les rebelles houthis, qui formaient à l’origine une communauté ethnique, idéologique, puis religieuse, le Yémen est en effet en proie à un conflit particulièrement meurtrier.
Le mouvement rebelle a fini par prendre la voie des armes à la suite de l’assassinat de son leader en 2004. Dix ans plus tard, en septembre 2014, les Houthis, toujours en conflit avec le gouvernement, ont lancé une insurrection qui a scindé le pays en deux, et qui a contraint les autorités officielles à se retrancher dans le nord-est du pays, abandonnant d’ailleurs la capitale, Sanaa.
Ce conflit, marqué par de très nombreuses interventions d’acteurs régionaux, dont l’Arabie saoudite et l’Iran, a provoqué l’une des plus graves famines que le monde ait connues depuis un siècle, selon les Nations unies.
En effet, comme souvent, ce sont les civils qui paient le prix fort de ce terrible conflit. Les enfants, tout particulièrement, vivent un cauchemar depuis que la guerre civile a éclaté en 2014 : 5 millions d’enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition au Yémen, ainsi que 1,3 million de femmes enceintes et allaitantes. J’ajoute que 70 % de la population a besoin de l’aide humanitaire.
Au total, l’ONU estime que plus de 11 000 enfants ont été tués ou gravement blessés, quand 4 000 d’entre eux ont été enrôlés par les milices houthies.
Les attaques récentes contre les civils et les navires marchands passant dans le détroit de Bab el-Mandeb s’inscrivent dans ce contexte. Leurs conséquences sont connues : 75 % des exportations européennes transitaient par ce détroit avant novembre 2023 ; sept des dix principales compagnies maritimes internationales ont cessé d’emprunter cette route.
Depuis février dernier, l’Union européenne a lancé une mission de protection des routes maritimes dans la péninsule, à laquelle la France participe.
La présente proposition de résolution nous invite à soutenir les efforts sécuritaires de notre pays pour préserver nos intérêts face à une escalade incontrôlable dans la région, mais aussi à promouvoir les efforts diplomatiques visant à trouver une solution politique au conflit au Yémen.
Nous pensons en effet que la seule réponse militaire n’est pas une option. La preuve en est qu’elle n’a pas permis jusqu’à présent de résoudre cette grave crise. Elle n’a pas non plus permis de rétablir la stabilité en mer Rouge.
La France doit donc jouer un rôle plus actif, afin de poser les fondements d’une solution durable à ce conflit, laquelle doit impérativement garantir la souveraineté de tous les États de la région, ce qui implique la mise en œuvre d’une stratégie concertée et la multiplication des échanges avec nos partenaires européens et régionaux, Djibouti au premier chef.
Le groupe du RDSE votera cette proposition de résolution, qui rappelle que l’issue politique est essentielle pour sortir le Yémen et la région de l’impasse. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Akli Mellouli, Jean-Pierre Grand et Roger Karoutchi applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. François Bonneau. (M. Laurent Somon et Mme Valérie Boyer applaudissent.)
M. François Bonneau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la mer Rouge est une voie de passage stratégique pour le transport des marchandises, notamment les produits énergétiques, entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique.
Depuis novembre 2023, dans un contexte marqué par les affrontements entre Israël et le Hamas, la région est fortement déstabilisée par les exactions menées par la milice rebelle houthie. Depuis lors, plus de 150 incidents ont été rapportés : on dénombre notamment quatorze navires touchés par un missile ou un drone et dix-huit navires détournés par des pirates somaliens.
Le trafic en mer Rouge représente près de 13 % du trafic mondial, environ 30 % du trafic des conteneurs et 21 % du trafic énergétique. Depuis le début des attaques houthies, ce trafic a été divisé par deux.
Le Conseil de sécurité de l’ONU a publié le 1er novembre dernier un rapport nous alertant sur le fait que la milice houthie devenait progressivement « une puissante organisation militaire ». La rébellion disposerait désormais de 350 000 combattants, soit dix fois plus qu’il y a dix ans. Cette augmentation est à mettre au crédit d’une campagne de recrutement inédite, ainsi qu’à celui d’un puissant soutien extérieur, comme chacun le sait.
De quels leviers la France dispose-t-elle pour répondre aux défis que représente le renforcement inédit de cette milice, compte tenu notamment des conséquences humanitaires qu’entraîne ce conflit ? Ces attaques mettent en péril la vie de nombreux civils, notamment sur les navires, et constituent une entrave à la liberté de navigation et au droit international.
Le 19 février 2024, l’Union européenne a lancé l’opération Aspides, une opération qui a un double objectif : protéger le trafic maritime et contribuer à la liberté de navigation dans la région. Vingt et un États membres participent à cette mission ; trois d’entre eux – dont la France – mobilisent dans ce cadre des bâtiments de premier rang.
Monsieur le secrétaire d’État, le mandat de l’opération Aspides court jusqu’au mois de février 2025. Alors que plus de 15 % des navires transitant par la mer Rouge demandent protection et que la situation dans la région reste extrêmement tendue, pourriez-vous nous indiquer quelles sont les discussions engagées au niveau européen pour poursuivre cette opération ? Le regroupement des opérations Atalante, Agénor et Aspides est-il envisagé ?
Notre groupe votera évidemment cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 8 octobre 2023, au lendemain des attaques terroristes du Hamas contre l’État israélien, que nous condamnons fermement, Washington a déployé en Méditerranée orientale un groupe aéronaval visant à dissuader l’Iran de toute intervention directe.
Les actes de piraterie des Houthis pour rançonner les navires commerciaux en mer Rouge ont commencé le même jour. Les États-Unis ont alors pris l’initiative de créer une coalition internationale, afin de bombarder, sans mandat, les positions houthies et de protéger les navires commerciaux passant dans ce secteur.
L’Union européenne lancera une opération similaire, sous mandat onusien, à l’exception près que cette intervention n’aura pas vocation à bombarder le Yémen.
Avec près de 190 attaques depuis la fin de 2023, les Houthis restent aujourd’hui capables de mener de nouveaux assauts.
Nous aurions pu, forts de l’expérience de la sale guerre menée par l’Arabie saoudite qui, armée par la France en violation totale des traités interdisant toute exportation d’armement, se casse les dents depuis plus d’une décennie sur ces rebelles houthis, prévoir sans grande difficulté l’échec d’une approche militaire au Yémen.
C’est du reste pourquoi nous émettons une première réserve sur cette proposition de résolution : d’un côté, elle invite notre pays à contribuer à la désescalade ; de l’autre, elle encourage une approche belliciste, en soutenant une coalition militaire vouée à l’échec, qui déstabilisera encore davantage la région.
De notre côté, nous plaidons pour la force de la diplomatie : nous pensons au trop grand nombre de victimes résultant de cette sale guerre au Yémen.
Comme les auteurs de cette proposition de résolution, nous savons que la mer Rouge voit transiter 12 % du trafic mondial, dont 75 % des exportations européennes. Les attaques entraînent un allongement de quelques jours du temps d’acheminement de nos conteneurs et tendent à rogner les marges de nos grands industriels européens.
C’est vrai, et cela pose question.
Comme les auteurs de cette proposition de résolution, nous pensons que chaque conflit armé est un désastre, d’abord humain, mais aussi écologique. Les armes tuent directement, mais aussi indirectement en empoisonnant pour des dizaines, voire des centaines d’années, l’environnement.
Par exemple, la sale guerre que mène Poutine en Ukraine a déjà fait plus de 300 000 morts des deux côtés, mais elle a aussi rayé de la carte plus de 100 000 mètres carrés de forêts, qui ont été ravagées par des incendies, et provoqué l’enfouissement dans les sols de milliers de mines remplies de métaux lourds, qui contamineront les nappes phréatiques durant plusieurs décennies.
Pour autant, et c’est sur ce point que porte notre plus grand désaccord, le texte fait totalement l’impasse sur la question qui déstabilise actuellement la région et perturbe grandement cette route commerciale : je parle des crimes de guerre et du risque plausible de génocide commis en ce moment même, à Gaza, par Netanyahou et son gouvernement d’extrême droite.
Il s’agit d’un véritable massacre : des dizaines de milliers de morts et de blessés, des destructions entières de bâtiments,…
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est vrai !
M. Fabien Gay. … sur un territoire qui subit déjà, depuis vingt ans, un triple blocus, pourtant contraire au droit international.
Si nous souhaitons, comme vous, mes chers collègues, que la paix triomphe au Yémen, et partout dans le monde, nous la voulons aussi pour les peuples israélien et palestinien. Nous demandons que s’applique enfin le droit international en Israël, ce qui implique l’arrêt de la colonisation.
Cela étant, nous ne sommes pas naïfs et savons que le régime théocratique iranien instrumentalise le conflit et soutient des groupes terroristes partout dans la région.
Seule une solution politique permettra de faire reculer l’usage de la force, de rétablir la confiance entre les États et de marginaliser les groupes paramilitaires qui gangrènent cette zone.
Là encore, la France doit œuvrer à faire entendre sa voix pour imposer un cessez-le-feu immédiat, contribuer à l’ouverture d’un couloir humanitaire, à la libération des otages détenus par le Hamas et des prisonniers politiques palestiniens, et au respect du droit international en reconnaissant, enfin, l’État de Palestine.
Nous estimons que cette proposition de résolution rate sa cible : on ne peut s’émouvoir qu’une route commerciale soit perturbée du fait des tensions dans une région sans chercher à résoudre l’ensemble des problèmes qui s’y posent.
Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons.
M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli. (Mme Hélène Conway-Mouret applaudit.)
M. Akli Mellouli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires considèrent, eux aussi, qu’il est urgent de mettre fin aux attaques ciblant les navires commerciaux dans les eaux de la mer Rouge et du golfe d’Aden. De même, nous condamnons toutes les attaques, d’où qu’elles viennent, quelles qu’elles soient, et défendons tous les peuples opprimés. Nous apporterons donc notre soutien à cette proposition de résolution.
En tant que vice-président du groupe sénatorial d’amitié France-Yémen, je saisis cette occasion pour évoquer les origines profondes des crises qui secouent la région, tout particulièrement le Yémen.
Soyons lucides. Depuis 2014, ce pays est plongé dans le chaos par une guerre civile meurtrière. Nourri de rivalités internes exacerbées par certaines puissances régionales, le conflit a causé des souffrances humaines inimaginables : à ce jour, on déplore plus de 400 000 morts et près de 200 000 réfugiés.
Cette guerre oppose les rebelles houthis, soutenus par l’Iran, au pouvoir central, appuyé par l’Arabie saoudite et sa coalition. On retrouve, en toile de fond, la rivalité historique entre ces deux puissances régionales.
Les superlatifs sont, hélas ! insuffisants pour décrire la catastrophe humanitaire qui accable le Yémen aujourd’hui. Selon l’Unicef, 70 % de la population a besoin d’une aide humanitaire et 17 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire. En outre, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 17,8 millions d’habitants vivent sans accès à l’eau potable, sans installations sanitaires décentes ou, plus largement, dans des conditions d’hygiène insatisfaisantes.
Les infrastructures essentielles ont atteint un point de rupture. Les réseaux d’eau et d’électricité cèdent et l’écrasante majorité des familles en sont réduites à survivre ; seule l’aide humanitaire leur évite, pour l’heure, de sombrer dans la famine.
La jeunesse yéménite n’est pas épargnée : plus de 4,5 millions d’enfants, soit 40 % des enfants du pays, ne vont plus à l’école. Quel avenir envisager pour cette génération ? Comment éviter que le désespoir ne forme le terreau de conflits futurs ?
Aujourd’hui, alors que nos intérêts économiques sont touchés, l’attention internationale s’est réveillée. Mais n’oublions pas que, pendant près de dix ans, l’Occident a répondu par un silence assourdissant aux appels de détresse du peuple yéménite.
La communauté internationale a une responsabilité en la matière. Il est impératif de se poser les bonnes questions pour éviter que la situation, déjà catastrophique, ne dégénère totalement.
Ainsi, comment justifier certaines frappes de la coalition occidentale sur le territoire yéménite ? Ces dernières ne risquent-elles pas d’aggraver une situation qui est déjà explosive ?
Un nouveau seuil de tension a été franchi avec l’opération militaire israélienne au Liban. Cette intervention, si elle se poursuivait, aggraverait indéniablement l’instabilité de zones maritimes déjà très fragilisées.
Mes chers collègues, la région est devenue une véritable poudrière. Seule une approche diplomatique globale, prenant en compte les conflits enchevêtrés au Moyen-Orient, et particulièrement la question palestinienne, peut garantir une paix durable.
J’y insiste : la paix dans la région passera nécessairement par une résolution du conflit israélo-palestinien fondée sur le respect mutuel et le droit international. C’est à cette condition que nous pourrons espérer un avenir pacifié pour les peuples du Moyen-Orient.
Enfin, si la France veut jouer un rôle digne de ce nom dans cette crise, elle doit veiller à rester impartiale et juste. Elle doit s’engager de manière inébranlable en faveur de la justice et de la dignité humaine, sans parti pris, pour rester fidèle aux principes du droit international.
Nous aspirons à une paix véritable, fondée sur le respect et la coopération entre tous les acteurs. Forts de cette conviction, nous apportons notre soutien à cette proposition de résolution, en espérant qu’elle contribue à tracer la voie d’une paix durable. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI. – Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe RDPI.)
Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier les auteurs de cette proposition de résolution, à commencer par Nicole Duranton. Leur texte contient un message politique fort, d’apaisement et de solidarité, dans un contexte géopolitique très préoccupant pour la région.
De plus – j’y reviendrai –, le détournement du commerce maritime international affecte gravement une économie mondiale déjà très fragilisée.
Ce n’est pas la première fois que cette région du monde attire notre attention. La dernière crise de piraterie dans la Corne de l’Afrique, et plus particulièrement dans le golfe d’Aden, remonte aux années 2008 à 2012. Elle découlait principalement de la déstabilisation de la Somalie, État failli s’il en est.
À l’époque déjà, une réponse internationale avait été apportée à cette menace contre la libre circulation. En 2008, l’Union européenne a lancé l’opération Atalante, à laquelle notre pays a pris toute sa part. En parallèle, de 2009 à 2016, l’Otan a conduit l’opération Ocean Shield, dont les résultats se sont révélés concluants : l’éradication des actes de piraterie a permis de réorienter les missions de l’Otan vers la lutte contre les trafics d’armes et de stupéfiants.
En guerre depuis 2014 et sans gouvernance depuis la trêve négociée par l’ONU en 2022, le Yémen est aujourd’hui à l’origine d’une nouvelle déstabilisation du commerce maritime mondial.
Les Houthis ont choisi leur camp dans la guerre entre Israël et le Hamas. Toutefois, leur position n’est plus le fruit d’une volonté de prédation économique ; elle résulte d’une logique politique.
Les attaques lancées en novembre 2023 ont entraîné une diminution drastique du passage des grandes compagnies d’armateurs, comme la CMA CGM et MSC. Elles ont malheureusement mis fin au passage de Hapag-Lloyd et Maersk.
Dès décembre 2023, la France s’est engagée contre ces attaques, et deux coalitions de nature différente ont été créées pour y répondre.
La première est de nature offensive : c’est l’opération Gardiens de la prospérité, lancée en ce même mois de décembre 2023 et rassemblant vingt pays sous l’égide des États-Unis.
La seconde est de nature défensive : c’est l’opération Aspides, engagée en février 2024, dont le mandat est d’intercepter les assauts et d’escorter les navires commerciaux entre le golfe d’Aden et la mer Rouge. Formée sur l’initiative de l’Italie, elle réunit les marines de sept États européens, dont trois ont un bateau présent sur place : la Grèce, l’Italie et la France. Notre pays a fait le choix politique de s’impliquer activement dans cette coalition, laquelle a déjà fait ses preuves. Non seulement 300 escortes ont été menées à bien, mais un certain nombre de drones aériens et maritimes ont pu être détruits, ainsi que des missiles balistiques.
Mes chers collègues, j’en viens au volet économique, en espérant vous convaincre de la nécessité de renforcer cette mission.
Les différents États participants et, au-delà, l’Union européenne tout entière doivent accroître leur effort budgétaire : la contribution de 8 millions d’euros est bel et bien inférieure aux besoins.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, puisque le détroit voit passer 40 % du commerce maritime mondial, soit 12 % du commerce mondial total. Il s’agit majoritairement de biens provenant d’Asie et d’hydrocarbures des États du Golfe, transportés, chaque année, par 20 000 navires prenant la route de l’Europe.
Le détournement du trafic par l’Afrique affecte particulièrement les ports européens de la Méditerranée. L’Italie, dont le commerce dépend à 54 % des voies commerciales maritimes, a perdu 9 milliards d’euros en 2024. En Grèce, Le Pirée a connu une baisse de 15 % de son activité : de ce fait, il a perdu son rang de premier port méditerranéen.
De leur côté, Russes et Chinois préfèrent dorénavant les voies ferroviaires aux voies maritimes.
Les États riverains de la mer Rouge sont eux aussi touchés. Je pense en particulier à l’Égypte, le canal de Suez représentant 7 % à 8 % du PIB de ce pays. Les armateurs font désormais le tour du continent africain, saturant les ports d’Afrique du Sud. L’augmentation des frais de transport fait exploser le coût du container, lequel atteint désormais 1 000 à 5 000 euros, cependant que les assureurs ont doublé leurs tarifs.
Cette situation a également un lourd impact environnemental. Je pense à cet égard aux navires coulés. Heureusement, comme le rappellent les auteurs de cette proposition de résolution, le pétrolier Sounion a pu être remorqué en août dernier : ainsi a-t-on évité qu’il ne coule. Entre août et septembre, ce navire transportant 1 million de barils ne s’en est pas moins consumé. C’est seulement cette semaine qu’a commencé le transfert de son carburant à bord d’un autre pétrolier.
Au-delà des dégâts matériels, n’oublions pas que les vies des marins eux-mêmes sont menacées. En août 2024, on estimait à une centaine le nombre de navires attaqués. De surcroît, les vingt-cinq marins du pétrolier Galaxy Leader sont toujours retenus en otages.
Enfin, je tiens à rendre un hommage appuyé à la marine française, acteur exemplaire dans la région grâce à la présence permanente de ses navires. Je pense notamment à la frégate qui, le 22 août dernier, a évité qu’un second drone chargé d’explosifs ne frappe le Sounion, alors à la dérive. Ces hommes et ces femmes, qui s’engagent à bord des bateaux comme à quai, contribuent à notre sécurité et permettent à l’économie mondiale de tenir malgré tout.
Mes chers collègues, notre discussion met en lumière les défis géopolitiques et économiques que soulèvent les menaces pesant sur la liberté de circulation maritime.
Elle nous permet également de réaffirmer notre position avec force : la France, résolument solidaire de ses partenaires européens et internationaux, continuera de répondre présent pour restaurer la stabilité dans cette région essentielle à l’équilibre mondial. Cet engagement passe non seulement par son soutien militaire, mais aussi et surtout – les précédents orateurs l’ont rappelé – par son action diplomatique, en vue de désamorcer durablement les tensions et de trouver une issue pacifique à cette crise.
C’est pourquoi les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI. – Mme Sophie Briante Guillemont et M. Akli Mellouli applaudissent également.)