PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Ruel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Marc Ruel. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, l’année 2024 a été particulièrement difficile et instable pour nos concitoyens ainsi que pour nos institutions. J’en veux pour preuve que nous voilà, en ce 15 janvier, en train de débattre du budget de l’année 2025, déjà entamée.

Nos territoires d’outre-mer ne dérogent pas à ces difficultés, bien au contraire. Nous pouvons d’ailleurs faire un triste constat : quatre ministres des outre-mer se sont succédé en 2024, et l’histoire retiendra que chacun d’entre eux a eu à gérer une crise.

Tout avait déjà commencé avec Mayotte et une crise de l’eau que le gouvernement de l’époque tentait de résoudre.

En mai, la Nouvelle-Calédonie s’est embrasée à la suite du projet de loi constitutionnelle que nous connaissons, laissant le territoire dans une inquiétude sociale et économique croissante.

En septembre dernier, les Martiniquais ont manifesté avec beaucoup de vigueur contre la vie chère, nous rappelant l’urgence de la problématique du coût de la vie qui touche nos concitoyens ultramarins.

Enfin, après le cyclone Chido, qui a très durement touché Mayotte, est survenue la tempête Dikeledi, à laquelle nos compatriotes mahorais ont dû faire face. Je tiens d’ailleurs à leur témoigner ici la solidarité des habitants de mon archipel.

Monsieur le ministre, en tant que Saint-Pierrais et Miquelonnais, je me réjouis de la décision du Premier ministre de nommer un ministre d’État à Oudinot. Je rappelle d’ailleurs que vous restez à ce jour le dernier Premier ministre à être venu sur notre archipel.

Nous connaissons votre abnégation et je sais pouvoir compter sur votre action concernant nos sujets locaux : l’eau et l’assainissement, le transport maritime et aérien, le déplacement du village de Miquelon, entre autres.

Nos rapporteurs, dont je salue la clarté de l’exposé et le sérieux du travail, ont rappelé les chiffres du projet de loi initial : la prévision s’élève à 2,78 milliards d’euros en autorisations d’engagement, soit une baisse de 12,52 % par rapport à l’exercice précédent. Les crédits de paiement diminuent aussi, s’établissant à 2,55 milliards d’euros, en diminution de 8,89 %.

Il y a de quoi s’étonner. Le programme « Conditions de vie outre-mer », notamment, présente une baisse plus qu’inquiétante de près de 37 % en autorisations d’engagement et de 34 % en crédits de paiement.

Monsieur le ministre, vous héritez donc dans ce projet de loi de finances pour 2025 d’une réduction significative des crédits alloués aux territoires d’outre-mer, après plusieurs années successives de hausse. Nos territoires additionnent un trop grand nombre de défis à relever : ce budget initial fortement en baisse est inacceptable.

Je resterai prudent quant à l’avenir des amendements déposés hier soir par le Gouvernement. Cependant, le RDSE salue l’effort réalisé afin de rétablir les crédits des outre-mer pour 2025 à hauteur de ceux de 2024.

Au regard des récents éléments introduits dans cette mission, notre groupe votera en faveur des amendements du Gouvernement, ainsi que de ce budget consacré aux outre-mer.

Par ailleurs, j’ai entendu le Premier ministre évoquer, dans sa déclaration de politique générale, un nouveau plan de développement et de financement dans le cadre d’un comité interministériel des outre-mer.

La méthode n’est pas nouvelle – le dialogue entre les élus est toujours une bonne chose. Cependant, nous avons pu nous rendre compte depuis trois ans qu’elle a produit peu de résultats. Pourquoi ? Parce qu’il est nécessaire de faire émerger des solutions du terrain, voulues par les populations, les associations et l’ensemble des acteurs locaux réunis partout sur nos territoires, dans nos communes et nos collectivités. Cette stratégie avait été adoptée en 2018 avec le Livre bleu outre-mer, faisant suite aux Assises des outre-mer. C’est ce que nos compatriotes demandaient à l’époque, et nous avons perdu le cap.

J’ai commencé mon propos en notant le changement récurrent de ministres des outre-mer. Mais le problème n’est pas seulement là : il réside aussi dans l’absence de continuité stratégique.

Je conclurai, monsieur le ministre, en vous interrogeant : quelle méthode comptez-vous adopter pour mener à bien le plan annoncé par le Premier ministre ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Lana Tetuanui. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – MM. Teva Rohfritsch et Marc Laménie applaudissent également.)

Mme Lana Tetuanui. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues présents, iaorana ite matahiti api ! Je vous adresse ainsi, vous l’aurez compris, mes meilleurs vœux. (Sourires.)

Après le vote de la motion de censure du 4 décembre dernier, le train « PLF 2025 » s’est arrêté brusquement sur la voie du Sénat. Espérons que, cette fois-ci, il arrivera à bon port, sans nouvelle censure – je croise les doigts…

Je voudrais avant tout saluer l’ancien Premier ministre, devenu ministre d’État chargé des outre-mer, et lui souhaiter la bienvenue au Sénat.

Je tiens également à adresser une pensée à nos compatriotes mahorais, durement éprouvés par le cyclone Chido le 14 décembre dernier. Près d’un mois après cette catastrophe, Mayotte peine à se reconstruire. L’électricité n’est pas intégralement rétablie, l’accès à l’eau potable reste difficile, la rentrée des classes se fait avec du retard et dans des conditions dégradées.

Les Mahorais nous le disent, aujourd’hui, tous les foyers sont vulnérables et la solidarité nationale, notamment au travers du déploiement de l’aide alimentaire et de la distribution en eau, doit se maintenir. Le cyclone Chido a dévasté Mayotte, mais il offre aussi la possibilité de reconstruire mieux, en s’attaquant aux racines des problèmes déjà présents avant son passage.

Le groupe Union Centriste soutiendra les démarches pour la reconstruction de Mayotte et sera très attentif à l’élaboration du projet de loi d’urgence pour Mayotte, qui sera examiné dans quelques jours.

Je me dois d’évoquer aussi la situation de nos voisins du Caillou.

En mai 2024, la Nouvelle-Calédonie a connu des émeutes d’une très rare violence. Les dégâts résultant de ces événements ont été chiffrés à près de 2 milliards d’euros, dont 400 millions concernent directement les infrastructures publiques.

Près de 800 entreprises ont été dégradées, pillées ou incendiées alors qu’une majorité d’entre elles ne sont pas assurées au titre de la garantie « émeutes et mouvements populaires ». Les dernières évaluations du PIB calédonien font état d’une contraction brutale, estimée entre 20 % et 30 % depuis le début des émeutes. Sur ce territoire, les pertes fiscales, douanières et sociales sont estimées à plus de 500 millions d’euros pour 2024.

Les collectivités territoriales peinent à faire face à leurs dépenses de fonctionnement. Un réamorçage des finances du territoire est donc nécessaire pour relancer l’économie de l’archipel, que le groupe centriste soutiendra bien évidemment. Il est également essentiel que des discussions sereines reprennent autour de son avenir institutionnel.

Pour ce qui concerne la mission « Outre-mer », et dans la continuité de nos travaux, le projet de loi de finances prévoyait une diminution de 12,5 % des autorisations d’engagement, soit 2,7 milliards d’euros, et une baisse des crédits de paiement de 9 % par rapport à la loi de finances initiale de 2024, soit une inscription de 2,55 milliards d’euros. Ce recul enregistré pour 2025 est, hélas ! regrettable, notamment pour les collectivités d’outre-mer, où les crises sociales et économiques s’enchaînent au fil des jours et où la solidarité nationale s’impose.

Néanmoins, outre ces situations d’urgence pour lesquelles les crédits de la mission sont réajustés à la hausse, nous devons rester raisonnables dans nos demandes de crédits afin de participer à l’effort national et réfléchir à une meilleure gestion de nos politiques publiques. L’accompagnement de l’État est insuffisant et les crédits européens sont sous-utilisés. Le prochain Ciom, qui avait été annoncé par votre prédécesseur, doit être l’occasion de mener cette réflexion.

Nous sommes tous conscients du retard accumulé dans nos outre-mer : dans le secteur du logement, mais aussi du point de vue de la cherté de la vie, de la pauvreté qui est plus forte, du taux de chômage qui est plus élevé, de l’accès à l’eau potable qui n’est pas assuré correctement dans de nombreuses collectivités, et de l’insécurité grandissante liée au trafic de drogue.

Le Gouvernement a bien pris conscience de ces fragilités économiques et sociales. En écoutant la déclaration de politique générale, hier, nous avons compris que nous bénéficierions d’un accompagnement spécifique et renforcé malgré le contexte financier très difficile pour toute la Nation.

Concernant plus particulièrement ma collectivité – la plus belle : la Polynésie française ! (Sourires.) –, je vous rappelle combien je m’étais opposée à l’augmentation de la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA), le coût du vol vers notre territoire étant déjà exorbitant en raison de son éloignement.

Le correctif adopté en séance au Sénat pour limiter la hausse de la taxe sur les billets d’avion en classe économique était un moindre mal pour préserver la continuité territoriale. Mais le fait de nous opposer les directives européennes me laisse perplexe : les outre-mer sont en effet des pays et territoires relevant de la législation des pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP). Ce motif d’interdiction d’exonération mériterait un examen approfondi en vue d’une dérogation, notamment face à la concurrence offensive des compagnies aériennes américaines dans notre zone Pacifique. Je tiens d’ailleurs à remercier nos collègues venus nous soutenir à l’occasion de la défense de notre amendement.

Vous aurez compris, monsieur le ministre, que le sujet de la taxe sur les billets d’avion était clos au Sénat : on n’en parle plus.

En matière de santé publique, j’ai bien noté le maintien du soutien de l’État à la politique de santé en Polynésie française à hauteur de 4 millions d’euros. Pour autant, c’est largement insuffisant. Je déplore une nouvelle fois l’absence, dans ce projet de loi de finances, de crédits pour le renouvellement de la convention relative au soutien de l’État à la politique de santé en Polynésie française. Nous savons que le Président, indépendantiste, de la Polynésie française est en ce moment à Paris, sûrement pour renégocier ladite convention…

Monsieur le ministre, cette convention si importante pour ma collectivité est-elle en voie de disparition ? Sans connaître l’avancement des pourparlers avec notre gouvernement local, nous attendons un retour de l’État dans le financement de notre protection sociale généralisée (PSG) au titre de la solidarité nationale.

Par ailleurs, j’ai relevé l’absence de crédits de paiement dans la gestion de nos contrats de convergence et de transformation 2024-2027. Le montant contractualisé est loin d’être négligeable, mais cet écran vide en matière de délégation de crédits de paiement pour 2025 m’interroge. La faute en revient-elle au pays, en l’absence de dossiers ficelés, ou est-ce dû aux méandres des couloirs parisiens ? J’attends votre réponse à cet égard.

Concernant toutes les autres dotations propres à ma collectivité, le maintien est de rigueur et n’appelle donc pas de demandes complémentaires.

Dans la seconde partie du projet de loi de finances relative aux articles non rattachés, un amendement sera présenté par mon collègue Vincent Delahaye ; je le soutiens fortement, car il traduit les termes d’une proposition de loi que j’avais déposée en août 2022 et qui visait à supprimer l’indemnité d’éloignement (IE) des fonctionnaires de l’État affectés en Polynésie française.

Il s’agit non pas ici de retirer l’indexation appliquée sur la rémunération, qui se justifie eu égard à la cherté de la vie dans nos îles, mais de supprimer cette prime d’éloignement égale au versement de cinq mois de traitement indiciaire brut à chaque séjour administratif de deux ans.

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Lana Tetuanui. Une prime d’installation d’un montant égal pour tous permettrait à l’État de diminuer ses dépenses publiques. Cette proposition vise donc à réaliser des économies.

Le groupe Union Centriste votera en faveur des crédits de la mission « Outre-mer ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Teva Rohfritsch et Marc Laménie applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, alors que le Gouvernement a été censuré, le pays réclame un changement de cap. Le peuple français et la France des outre-mer méritaient un autre budget, au moins 10 000 fois plus ambitieux.

À l’heure où la décision du dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie a provoqué un chaos politique et social, où des protestations contre la vie chère ont éclaté en Martinique et en Guadeloupe, où le cyclone Chido a dévasté Mayotte et où l’épidémie de chikungunya à La Réunion a déclenché le niveau 3 du dispositif Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) « Arboviroses », nos territoires ultramarins auraient besoin d’un soutien massif de l’État.

Nous connaissons des difficultés structurelles qui justifient des interventions spécifiques : la vie chère ; un taux de chômage supérieur à celui de l’Hexagone et un taux de pauvreté plus élevé : de 36 % à La Réunion ; de 42 % à Mayotte ; de 21 % en Martinique ; de 19 % en Nouvelle-Calédonie. Les services essentiels y sont parfois mal assurés, notamment l’accès à l’école et à la santé, l’approvisionnement en eau et en électricité ; s’y ajoute un manque criant de logements.

Alors que la mission « Outre-mer » devrait viser le rattrapage des écarts persistant entre l’outre-mer et l’Hexagone, la baisse de ses crédits traduit la totale déconnexion entre les besoins de terrain et les arbitrages du Gouvernement.

Cette baisse nous inquiète à plusieurs titres. Tout d’abord, du fait de la contraction du budget consacré à la continuité territoriale, l’État ne tient pas ses engagements pris lors du Ciom de juillet 2023.

Le programme « Conditions de vie outre-mer » connaît également une baisse considérable, puisqu’il perd plus de 30 % de ses crédits. Cette coupe touchera en premier lieu le logement, alors même que, dans les outre-mer, 80 % de la population est éligible au logement social et que les besoins en constructions neuves sont alarmants. Dans le même temps, la baisse des réhabilitations depuis 2022 ne répond pas au problème de l’insalubrité des logements.

En outre, nos collectivités territoriales, confrontées à des réalités bien différentes de celles de l’Hexagone, sont particulièrement touchées par la baisse des crédits.

Comment discuter du budget des outre-mer sans évoquer la situation de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie ?

Les souffrances sont présentes et les plaies sont encore vives, mais les accords de Nouméa n’ont jamais autant résonné dans les cœurs et les consciences. La revendication d’un peuple à son droit à l’autodétermination demeure, elle, légitime.

Huit mois après les événements du 13 mai, la crainte d’émeutes de la faim se fait ressentir chaque jour. Cette catastrophe sociale et économique est la conséquence d’une attitude totalement déraisonnable, jusqu’au-boutiste et paternaliste, mêlée à des réflexes colonialistes qui doivent disparaître.

Aujourd’hui, l’heure est à la responsabilité collective, celle de reconstruire la Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Tel est le sens des amendements déposés sur cette mission, avec l’assentiment massif des élus, indépendantistes et non-indépendantistes.

Si nous défendons un cadre conventionnel pluriannuel, nous ne sommes pas partisans d’une logique de prêt. Pourquoi ajouter de la dette à un taux d’endettement qui atteint déjà plus de 340 % ? Il faut des réponses concrètes, à la hauteur de l’urgence de la situation en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. C’est la condition d’une paix durable.

Enfin, il me faut évoquer Mayotte, qui se sent complètement abandonnée, malgré les différentes visites ministérielles. Votre loi d’urgence intervient plus de deux mois après le passage du cyclone. En attendant la reconstruction, ce que vivent les Mahorais au quotidien, c’est une situation d’urgence humanitaire faite de manques en matière d’accès à l’eau, à la nourriture, à l’énergie et aux soins.

À l’heure actuelle, nous déplorons la mort de trente-neuf personnes, qui ont été comptabilisées. Mais nous sommes solidaires de toutes les victimes sans-papiers, celles qui ont perdu la vie, celles qui ont été blessées, celles qui ne peuvent pas être soignées et celles qui continuent de mourir de faim. Notre groupe adresse ses sincères remerciements à tous ceux qui viennent en aide à toutes les victimes, quelles qu’elles soient.

Derrière les lignes budgétaires, il y a des vies humaines et l’avenir de près de 3 millions de Français en outre-mer. Les outre-mer ne peuvent être les premiers territoires à pâtir de la baisse des dépenses publiques.

La mission « Outre-mer » fait partie des missions les plus touchées par vos mesures d’austérité, qui traduisent, en creux, le manque de projets et de vision du Gouvernement dans ce domaine, ainsi que votre méconnaissance de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Catherine Conconne. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, nous tous, vous comme moi, nous pourrons dire, une fois nos missions politiques terminées, que nous avons vécu une sacrée époque !

Une époque où une instabilité institutionnelle à nulle autre pareille nourrit une défiance généralisée dans l’opinion.

Une époque où tout est aléatoire, aussi déréglé que le climat et aussi imprévisible chaque jour qui passe.

Je vous laisse imaginer à quel point cette ambiance atteint des niveaux extraordinaires dans les pays dits d’outre-mer. Il est vrai que des décennies de combats, de luttes inachevées et d’exigences pour l’égalité ont laissé des traces et des séquelles que l’on pourrait qualifier d’irréparables.

Cette course permanente de rattrapage pour des conditions de vie légitimement plus acceptables a aussi laissé une impression amère de « loin des yeux, loin du cœur », qui demeure. Même si des efforts et des progrès sont objectivement visibles, les indicateurs, que je ne rappellerai pas ici, sont alarmants. Certains de nos compatriotes vivent dans une extrême précarité et ressentent forcément une impression d’abandon.

S’il fallait évoquer, dans le peu de temps qui m’est imparti, des questions de vie chère, de prix, bien sûr, mais aussi de revenus, je parlerais, par exemple, des pensions de retraite, dont le faible niveau plonge nombre de travailleurs, aux durs métiers, dans une inextricable pauvreté. Il n’est pas juste, monsieur le ministre, que 30 % de nos compatriotes vivent en dessous du seuil de pauvreté !

J’ai obtenu à ce titre, ici même, et très officiellement du ministre de l’époque, avec l’accord de la Première ministre, la création d’une mission du Conseil d’orientation des retraites (COR) sur ce sujet. Je l’attends toujours ! Je compte sur vous pour que ses travaux aboutissent enfin.

Dans ce contexte difficile, je n’ajouterai pas d’huile sur le feu et ne pointerai pas du doigt d’éternels fautifs. L’heure est au maré rein, comme on dit chez moi, en créole, c’est-à-dire à la détermination et à la solidarité collective, indéniable, responsable, nourrie dans un dialogue mûr et mature qu’il vous appartient d’établir avec écoute et respect.

Vous devez apprendre à nous reparler ; nous devons aussi apprendre à vous reparler. Nous devons nous enrichir les uns les autres, que nous soyons élus locaux, nationaux ou représentants de l’État. Certes, en restant debout autour de nos propres valeurs politiques, mais en ayant plus que jamais pour seul objectif le progrès de nos pays.

Il faudra donner, monsieur le ministre, des signaux forts. À ce titre, la tâche sera immense. Je vous souhaite, d’ores et déjà, la bienvenue.

Nourrie comme je le suis depuis des décennies à la parole césairienne, je vous le dis : ensemble, il faut « un pas, un autre pas, encore un autre pas et tenir gagné chaque pas ».

Au vu des pas annoncés dans ce budget, rectifié, dédié à l’outre-mer, je vous annonce que, par solidarité, et toujours dans un esprit constructif et de progrès, je voterai les crédits de la mission « Outre-mer ». (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Petrus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Annick Petrus. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, les outre-mer, et particulièrement Saint-Martin, font face à des défis structurels qui appellent des réponses spécifiques et ambitieuses.

La question de la vie chère reste l’un des plus lourds fardeaux pour nos concitoyens. À Saint-Martin, les produits alimentaires sont en moyenne 47 % plus chers que dans l’Hexagone. Cela pèse lourdement sur des ménages dont le revenu médian est bien inférieur à la moyenne nationale, dans un territoire où le PIB par habitant s’élève à seulement 16 962 euros et où 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Ces chiffres traduisent une précarité économique alarmante, qui affecte non seulement le pouvoir d’achat des familles, mais aussi les perspectives de la jeunesse locale.

À cette situation difficile vient s’ajouter une nouvelle source de préoccupation : la décision de la ministre des comptes publics, Mme Amélie de Montchalin, de maintenir la hausse de la taxe de solidarité sur les billets d’avion.

Dans une récente prise de parole, elle a justifié cette décision en disant qu’il s’agissait d’une mesure de « justice fiscale et écologique », en précisant que « les 20 % des Français les plus aisés sont responsables de plus de la moitié des dépenses liées aux voyages en avion ».

Pourtant, cette mesure aura des conséquences directes sur nos territoires. Elle entraînera une augmentation significative du prix des billets d’avion, pénalisant lourdement les populations ultramarines, qui dépendent quasi exclusivement du transport aérien pour leurs déplacements.

Pour Saint-Martin, en raison de sa triple insularité, cette augmentation compromettra la continuité territoriale et aggravera encore davantage la fracture territoriale. Il sera en effet beaucoup plus difficile de se rendre à des consultations médicales en Guadeloupe ou en Martinique, de poursuivre sa scolarité après la terminale, de visiter un détenu en prison en Guadeloupe, etc.

Dans un contexte où la vie chère pèse déjà sur les familles et alors que certains territoires ultramarins connaissent des tensions sociales croissantes, cette décision est incompréhensible et risque de provoquer un effet de contagion des troubles sociaux.

Dans ce contexte tendu, il est impératif d’apporter des réponses concrètes pour soutenir les territoires ultramarins, notamment leur jeunesse.

L’éloignement géographique, les coûts liés à la mobilité et le manque de proximité culturelle et familiale rendent le dispositif actuel du RSMA peu accessible pour de nombreux jeunes Saint-Martinois. C’est pourquoi la création d’une antenne spécifique du RSMA à Saint-Martin apparaît comme une solution stratégique.

Cette antenne, qui pourrait accueillir quatre-vingts jeunes par an, permettrait de proposer des formations adaptées aux réalités économiques locales, dans des secteurs porteurs tels que le bâtiment et les travaux publics, le nautisme et l’économie bleue.

Ces formations, en lien direct avec les besoins non satisfaits des entreprises locales, offriraient des débouchés concrets tout en renforçant l’attractivité du territoire pour les investisseurs ; elles favoriseraient aussi l’esprit d’entreprise de nos jeunes.

Au-delà des apprentissages techniques, le RSMA inculque des valeurs fondamentales : discipline, respect et solidarité. Ces qualités ne favorisent pas seulement l’employabilité des jeunes, elles renforcent également la cohésion sociale dans un territoire marqué par de fortes inégalités.

Offrir un cadre structurant et valorisant à ces jeunes, c’est investir dans la stabilité sociale et économique de Saint-Martin et, plus largement, des outre-mer.

Je tiens également à rappeler que les jeunes Saint-Martinois demandent non pas un traitement de faveur, mais bien une égalité des chances. Une antenne locale du RSMA permettrait d’atteindre cet objectif, en offrant à une génération désillusionnée un avenir concret, adapté et valorisant, au sein même de leur communauté.

Cette mesure, au-delà de ses répercussions locales, est une réponse pragmatique à un enjeu national : permettre à la jeunesse ultramarine de trouver sa place.

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Annick Petrus. N’attendons pas qu’une catastrophe survienne pour que les outre-mer retiennent votre attention ! Avoir prévu, comme pour les autres territoires, un ministère de plein exercice pour les outre-mer, et qui plus est d’État, est certes une bonne chose, mais si les actes ne suivent pas, cela n’aura point d’intérêt. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Bélim. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Teva Rohfritsch applaudit également.)

Mme Audrey Bélim. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, quel aurait été le destin de la Guyane si le port spatial de l’Europe n’était pas limité à un bout de terrain, si l’État avait décidé d’en faire le territoire de l’excellence aérospatiale européenne ?

Quel aurait été le destin de La Réunion, hot spot de la biodiversité, s’il avait été décidé d’en faire le territoire de l’excellence en sciences naturelles et en volcanologie ?

Quel aurait été le destin des territoires ultramarins et de la France hexagonale si l’on avait décidé de faire des ressources et des situations géographiques de chacun des forces au service du rayonnement de la France dans tous les océans ?

La réalité de nos territoires en ce début 2025 est bien loin de cet espoir. À la suite du passage du pire cyclone depuis quatre-vingt-dix ans, Mayotte, département très fragile, est complètement dévastée. J’adresse à nos compatriotes mahorais un puissant message de solidarité au nom du groupe socialiste.

Avant cet événement dramatique, nous parlions des mouvements sociaux très importants contre la vie chère aux Antilles. Juste avant cela, nous parlions même de guerre civile en Nouvelle-Calédonie-Kanaky. Et, au-delà, tout ce dont on ne parle pas dans les médias hexagonaux : la vie chère dans tous les outre-mer, comme chez moi, à La Réunion, les problèmes de sécurité, de logement, de santé aussi. C’est pourquoi le groupe socialiste souhaite attirer votre attention sur ces sujets fondamentaux.

Nous vous proposons de renforcer les effectifs de l’Autorité de la concurrence et des directions départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DDCCRF) pour leur donner des moyens de contrôle spécifiques aux outre-mer et enfin venir à bout de ces insupportables monopoles qui empoisonnent la vie des Ultramarins.

C’est pourquoi nous vous alertons une fois encore sur la baisse de la ligne budgétaire unique, alors que les besoins en logement sont énormes et que leur coût contribue à aggraver encore la cherté de la vie.

Je vous proposerai dans les prochaines semaines, lors d’une niche du groupe socialiste, d’expérimenter l’encadrement des loyers dans les outre-mer. À Saint-Denis ou à Saint-Paul, par exemple, ils sont équivalents à ceux de Montpellier !

Mais nous devons marcher sur nos deux jambes : il nous faut à la fois réguler les loyers et construire des logements. Maintenons et amplifions nos efforts en matière de construction et de réhabilitation.

Monsieur le ministre, voyez dans mon discours non pas du pessimisme ou de la mendicité, mais comme un appel à travailler ensemble.

Il y a quelques années, vous avez dit à l’une de nos collègues alors députée, Ericka Bareigts, laquelle dénonçait des propos inadmissibles sur le fait que la France était de « race blanche », que, ce jour-là, c’était elle – une femme noire, une Réunionnaise – qui avait incarné Marianne. Nous avons la mémoire de ce moment où ces quelques mots ont ramené les outre-mer au cœur de la Nation.

Les outre-mer sont à un moment historique. Nous avons connu des années de non-considération, particulièrement depuis 2017. Cette absence de considération fait que notre sentiment d’appartenance à la France, hélas ! se fragilise et se fracture. Alors même que nous sommes Français, nous avons trop souvent cette désagréable impression de ne pas compter autant que nos compatriotes de la France hexagonale.

Monsieur le ministre, votre rôle aujourd’hui est de construire avec nous l’avenir de nos territoires et de retrouver le chemin de l’égalité réelle.

Avec nous, parce que nous connaissons nos territoires.