M. Michel Canévet. Il est défendu.

Mme la présidente. L’amendement n° II-1416 rectifié, présenté par MM. Canévet, Delahaye et Cambier, Mme O. Richard, M. Folliot et Mme Jacquemet, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt

 

32 000 000

 

32 000 000

Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation

dont titre 2

 

13 000 000

 

13 000 000

Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture

dont titre 2

 

3 300 000

 

3 300 000

Allègements du coût du travail en agriculture (TODE-AG)

 

 

 

 

TOTAL

 

48 300 000

 

48 300 000

SOLDE

- 48 300 000

- 48 300 000

La parole est à M. Michel Canévet.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. Sur l’amendement du Gouvernement, qui a en effet été transmis tardivement, la commission des finances a émis un avis défavorable, bien qu’elle approuve la volonté de réduire certaines dépenses publiques.

La méthode consistant à appliquer un coup de rabot homogène ne nous paraît pas opportune, en particulier sur cette mission qui, plus que d’autres encore, mérite un ciblage opéré avec discernement.

Mes chers collègues, je profite de l’examen de ce premier amendement pour insister sur la nécessité que nous nous montrions collectivement responsables. Certains amendements qui seront défendus par la suite sont gagés sur plusieurs centaines de millions d’euros. On peut évidemment se faire plaisir en les votant, mais leur adoption ferait tomber d’autres amendements bien plus raisonnables, émanant de tous les groupes politiques, et sur lesquels la commission des finances a parfois émis un avis favorable. Évitons donc d’adopter des amendements au montant disproportionné : cela serait contre-productif.

Sur les amendements nos II-1412 rectifié et II-1416 rectifié, l’avis de la commission est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos II-1412 rectifié et II-1416 rectifié ?

Mme Annie Genevard, ministre. Je demande à M. Canévet de bien vouloir les retirer au profit de mon amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.

M. Thomas Dossus. Je profiterai de cette explication de vote pour réagir aux propos de Mme la ministre. Dans les circonstances actuelles, il faut faire attention à ce que l’on dit, en particulier sur cette mission.

Madame la ministre, vous dites que nous allons payer le coût de la censure ; je rappelle qu’un certain nombre de permanences de parlementaires ont été dégradées pour ce motif même, et les élus concernés ont reçu peu de soutien de la part du Gouvernement. Il faut donc remettre les choses en perspective : pourquoi en sommes-nous arrivés là ?

Le principal responsable de la censure, c’est le Premier ministre précédent, Michel Barnier, qui, responsable devant le Parlement, n’a pas su le convaincre et a préféré discuter avec l’extrême droite, ignorant tout un pan de l’hémicycle à l’Assemblée nationale.

Par ailleurs, la situation financière justifierait selon vous le double recul que constituent ce budget et cet amendement. Mais cette situation ne vient pas de nulle part : nous avons assez de mémoire pour garder en tête, en particulier, les réductions d’impôt accordées aux plus fortunés. Un rapport de la Cour des comptes, publié cette semaine, établit que les errements de la politique fiscale locale, qualifiée d’« antiredistributive », nous coûtent 40 milliards d’euros chaque année. De ce côté de l’hémicycle, en tout cas, nous ne sommes pas responsables de l’impasse budgétaire dans laquelle nous sommes !

Je vous invite donc, madame la ministre, à faire attention aux mots que vous utilisez, car ils sont inflammables.

J’ajoute que vous faites le choix de sacrifier la transition, ce qui ne nous coûtera que plus cher dans les années à venir…

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Madame la ministre, je vous ai attentivement écoutée. Si l’on peut entendre vos arguments, que dira-t-on des nôtres ? En réalité, ces 285 millions d’euros retranchés aux crédits de la mission représentent autant d’espérance en moins pour la profession, et notamment pour les agriculteurs qui ont à affronter les difficultés liées aux épizooties ou aux phénomènes climatiques – je pense en particulier aux viticulteurs, mais toute la profession est concernée.

On ne saurait donc relativiser cette baisse en la rapportant aux masses budgétaires des concours publics à l’agriculture, qui sont certes importantes – vous avez évoqué le chiffre de 25 milliards d’euros. On ne peut pas se contenter de ce que vous nous avez dit : en tout cas, je suis convaincu que les agriculteurs qui ne seraient pas aidés à traverser les difficultés auxquelles ils sont confrontés ne le comprendraient pas.

Je ne dis pas cela pour vous embêter : ce n’est pas une position politique que j’exprime, c’est un ressenti de terrain – un simple constat. Les agriculteurs en difficulté, vous les aidez par ailleurs, par certaines mesures, mais ils méritent d’être davantage entendus et soutenus, y compris moralement.

Enfin, vous intégrez la PAC, à juste titre ou non, dans la masse budgétaire destinée à l’agriculture. Or la PAC mériterait elle aussi d’être revue dans le sens d’une meilleure prise en compte de l’effort agroécologique. Cette politique agricole commune, dans sa forme actuelle, est surannée. Elle doit être réformée de fond en comble. Il y a là, devant nous, un chantier immense. Je compte sur le ministère et sur l’ensemble du Gouvernement…

Mme la présidente. Monsieur Montaugé, je vous invite à conclure.

M. Franck Montaugé. … pour qu’ils suivent les résolutions que nous avons prises à cet égard dans cette assemblée.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Tissot. L’amendement que vous avez déposé, madame la ministre, pose problème tant sur le fond que sur sa forme.

D’une part, sur la forme, nous avons pris connaissance de cet amendement il y a trois heures. Il s’agit d’un coup de rabot de 300 millions d’euros : autrement dit, vous faites fi du travail parlementaire, que vous connaissez pourtant aussi bien que moi, et en particulier de celui qui est réalisé en commission et qui, en l’espèce, s’est fait dans l’ignorance de cette nouvelle coupe. Cette méthode revient à mépriser – j’y insiste – le travail des parlementaires que nous sommes, ce qui est regrettable et dommageable.

D’autre part, sur le fond, vos explications relèvent presque de la malhonnêteté intellectuelle. L’opération, dites-vous, serait quasiment neutre. Mais vous oubliez de dire que ce budget a déjà fait l’objet d’un coup de rabot de 300 millions d’euros sous le gouvernement Barnier (Mme la ministre remue la tête en signe de dénégation.), auquel s’ajoute donc cette baisse de 285 millions d’euros. Au total, cela fait –600 millions d’euros pour la mission « Agriculture » ! « Neutre », dites-vous ? Il faudra m’expliquer pourquoi…

Je trouve en outre très anormal que vous preniez 2023 pour année de référence, en faisant fi de l’année 2024, au prétexte que les crédits auraient été, pour cet exercice, trop importants par rapport à ceux de l’année précédente. Prenez donc pour référence l’an 2000, tant que vous y êtes : il est certain qu’à cette aune les crédits pour 2025 pourront être considérés comme en hausse !

Nous voterons évidemment contre cet amendement, mais je tenais à vous dire, madame la ministre, que nous ne sommes pas tout à fait dupes.

Les missions que nous avons examinées hier et ce matin – « Sport », « Culture », etc. – font toutes l’objet d’un coup de rabot. Nous nous y attendions un peu, mais non dans de telles proportions !

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.

M. Daniel Salmon. Madame la ministre, peut-on continuer à faire de la politique ainsi ? La méthode du Gouvernement est extrêmement méprisante à l’endroit de notre travail.

La déclaration de politique générale que le Premier ministre est venu faire devant nous a brillé par sa vacuité. De nombreuses consultations ont eu lieu ; à la clé : quasiment rien. Et, aujourd’hui, au moment d’examiner les crédits de cette mission, nous constatons qu’il a été décidé d’une amputation, sans que l’on sache ni quand, ni comment – sans doute pendant la nuit, au détour d’un couloir… –, ni sur quels critères : après le rabot, les coupes à la hache !

Comme l’a dit mon collègue Franck Montaugé, ces millions que l’on supprime, ce sont des politiques publiques qui disparaissent, et des agriculteurs dont les difficultés vont encore s’aggraver. Depuis des années, les gouvernements qui se succèdent – à un rythme d’ailleurs de plus en plus intense ! – se disent tous à l’écoute des agriculteurs. « Nous sommes là, nous vous avons entendus », entend-on inlassablement. Mais, au bout du compte, il n’y a qu’une absence de cap ! Les agriculteurs ont besoin de lisibilité pour se projeter et construire des alternatives. Mais, pour cela, il faut des moyens. Et, des moyens, on peut en trouver ! Chaque jour nous vous faisons des propositions de recettes.

Nous avons besoin de politiques dignes de ce nom, car, pour l’heure, nous nous enfonçons dans une crise de plus en plus profonde. Nous aurons bientôt l’occasion d’y revenir : quel modèle d’agriculture voulons-nous pour demain ?

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville, pour explication de vote.

M. Franck Menonville. Je veux revenir sur la comparaison des crédits pour 2025 avec ceux de 2023. Le budget 2024 était en hausse de près de 1 milliard d’euros par rapport au budget 2023. Aussi, puisque l’addition de la baisse initiale et de ce nouveau coup de rabot aboutit, pour l’exercice en cours, à une diminution globale du budget de l’agriculture de 600 millions d’euros, le budget 2025 se retrouve assez proche du budget 2023.

Seulement, en 2023, le volet forestier, et notamment l’aide au renouvellement forestier, était rattaché aux missions « Investir pour la France de 2030 » et « Plan de relance », pour 250 millions d’euros. Si l’on veut comparer ces deux budgets, il faut donc réintégrer ces lignes budgétaires dans les crédits alloués en 2023 au ministère de l’agriculture. Depuis le PLF pour 2024, en effet, il est prévu de pérenniser l’inscription de ce volet au sein du budget dudit ministère.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.

M. Guillaume Gontard. Je veux revenir sur la méthode.

Quelques heures avant l’examen de la mission « Agriculture », comme cela a déjà été le cas hier pour les missions « Aide au développement » ou « Sport », nous découvrons de nouveaux amendements qui ont pour objet de sabrer les crédits, sans concertation ni discussion, et, surtout, sans la moindre ligne politique !

Quelles sont vos priorités ? Quelles sont vos orientations ? Il me semblait pourtant que, s’il y avait bien une priorité, c’était précisément la question agricole !

Sur toutes les chaînes de télévision et de radio, on vous entend répéter, à juste titre, qu’il y a une crise agricole et qu’il faut y répondre. Et pourtant, comme pour toutes les autres missions, vous sabrez en supprimant 284 millions d’euros de crédits – cela paraît invraisemblable !

En découle une autre question, qui a trait à la démocratie. Vous avez fait le choix de poursuivre l’examen d’un budget qui a été censuré. Vous faisiez d’ailleurs partie du gouvernement censuré, madame la ministre. Pourquoi a-t-il été censuré ? Parce que, justement, ses orientations n’étaient pas bonnes ! Or on nous demande de repartir du même projet de budget, et nous nous retrouvons dans l’impossibilité d’agir sur les recettes ! Comment pouvons-nous faire notre travail de parlementaires ?

C’est bien là le fond de la question : si vous refusez de donner des moyens à l’agriculture, au sport, à l’aide au développement, ce qui serait pourtant nécessaire pour éviter d’aller dans le mur – derrière ce budget totalement austéritaire, en effet, ce sont des lendemains très difficiles qui s’annoncent ! –, c’est tout simplement parce que vous ne voulez pas toucher aux recettes.

Vous parlez de compromis et de responsabilité. Soyez donc responsables : penchez-vous sur les recettes ! Les entreprises du CAC 40, je le rappelle, ont reversé 100 milliards d’euros à leurs actionnaires en 2024.

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote.

M. Laurent Duplomb. Madame la ministre, c’est une question bien difficile que celle-ci, pour de multiples raisons. La forme, il est vrai, n’est pas à la hauteur de l’enjeu : on aurait pu anticiper. Mais, en réalité, au regard de l’instabilité dans laquelle nous sommes, personne ne peut établir à l’avance un budget tenable.

Franck Menonville l’a dit : entre 2023 et 2024, le budget de la mission a été accru de 900 millions d’euros. À l’époque, on disait que c’était de la « com’ ». Ce n’était pas totalement faux, puisqu’une très grande partie de ces crédits n’ont pas été utilisés…

Lorsque nous avons rédigé notre rapport, la baisse pour 2025, par rapport à l’exercice 2024, était de 6,5 % en crédits de paiement, soit 300 millions d’euros. Cette baisse, nous l’avons acceptée. Par la suite, un amendement « Barnier » a été déposé pour diminuer l’enveloppe de 98 millions d’euros supplémentaires. Et, aujourd’hui, voilà qu’un amendement « Bayrou » nous est présenté, visant à supprimer de nouveaux crédits, en sorte que la baisse atteigne au total 284 millions d’euros, sans compter la réduction des crédits du Casdar. C’est cela, la réalité.

J’avoue qu’en la circonstance je suis bien en peine d’appeler à un vote très clair, « pour » ou « contre » – il est très rare que cela m’arrive…

M. Franck Montaugé. Il faut voter contre !

M. Jean-Claude Tissot. Laisse-toi aller, cher collègue ! (Sourires.)

M. Laurent Duplomb. Voter contre cet amendement, c’est ne pas accepter de dire que tout le monde doit faire des efforts. (Ah ! sur des travées du groupe SER.)

M. Laurent Duplomb. S’il faut faire des efforts, et il le faut, faisons-les intelligemment, en supprimant tout ce qui emmerde les paysans, toutes les contraintes administratives qui pèsent sur l’agriculture, ou plutôt qui la surchargent ! (MM. Franck Montaugé et Jean-Claude Tissot sexclament.)

Mme la présidente. Monsieur Duplomb, je vous invite à conclure.

M. Laurent Duplomb. Si l’argent est bien orienté, je ne suis pas défavorable à ces baisses de crédits. Le tout est que les engagements pris par le Gouvernement en matière agricole…

Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue.

M. Laurent Duplomb. … soient tenus, et notamment que les fameux 450 millions d’euros demandés aillent bien dans la poche des agriculteurs !

Mme la présidente. Monsieur Duplomb, votre temps de parole est écoulé.

La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.

M. Henri Cabanel. Je ne pense pas qu’il y ait, dans cet hémicycle, des collègues naïfs à propos de la situation dans laquelle nous sommes. J’ai entendu mes collègues de la majorité sénatoriale revenir sur les projets de loi de finances pour 2023 et 2024 ; pourtant, ils ne les ont pas votés, ces deux textes ayant été rejetés par notre assemblée. Nos collègues siégeant de l’autre côté de l’hémicycle, eux, ont beau jeu de s’étonner de la méthode, que nous avons suffisamment dénoncée.

On sait bien – les membres du RDSE, en tout cas, le savent – que des négociations ont été menées. Depuis la reprise de la discussion du projet de loi de finances, le même schéma se répète exactement pour toutes les missions : des amendements sortent du chapeau à la dernière minute et l’on nous propose des coupes rases…

Nous ne sommes pas naïfs. Ne soyez pas hypocrites, ni les uns ni les autres ! Nous savons comment cela se passe. Les négociations se font – malheureusement ! – en dehors du Parlement ! Il faut le dire.

Pour autant, compte tenu de l’ampleur des enjeux, et puisque nous partageons la volonté de réduire l’endettement du pays, nous devons faire des efforts.

Madame la ministre, ces efforts doivent-ils être supportés par les uns et par les autres dans des proportions équivalentes ? Concernant l’agriculture, je me pose la question.

Je l’ai dit lors de la discussion générale : nous manquons d’une stratégie à moyen et long terme, qui nous engage dans le temps ! C’est important.

Aussi, mon groupe s’abstiendra sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.

M. Michel Canévet. Sur cette mission comme sur toutes les missions, j’ai déposé des amendements de réduction des crédits, et plus exactement de réduction des dépenses de fonctionnement. En effet, il me semble absolument primordial que chacun participe à l’effort de réduction des déficits publics, car il serait inenvisageable que l’on reporte indéfiniment la charge de la dette sur les générations futures. Il est temps que nous prenions des mesures pour éviter que cette dette ne s’alourdisse au point de rendre totalement impossible, à l’avenir, la mise en œuvre de politiques publiques…

Dans sa réponse à la déclaration de politique générale du Premier ministre, mercredi, dans cet hémicycle, le président du groupe Union Centriste a rappelé que le progrès, dans notre pays, ne rime pas nécessairement avec un surcroît de dépenses publiques et, surtout, d’impôts. Cela est singulièrement vrai dans le cas de la mission « Agriculture ». En effet, comme l’a évoqué Laurent Duplomb, nous avons sans doute beaucoup à faire pour réduire les contraintes et les normes administratives de toutes sortes, qui empêchent l’agriculture de prospérer dans notre pays.

Nous avons des atouts agricoles ! Mais, pour des raisons diverses, nous opposons tant de contraintes au développement de l’agriculture et tant d’obstacles à la recherche de la souveraineté alimentaire, à laquelle, pourtant, nous tenons tant ! Prenons donc les choses en main. La première action à mener est bien la réduction des contraintes de toutes natures qui empêchent les agriculteurs de gagner leur vie et de surmonter les défis que nous leur demandons de relever. Commençons par faire ce travail, avant de réclamer toujours plus de crédits !

M. Laurent Duplomb. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat, pour explication de vote.

M. Simon Uzenat. D’abord, sur la méthode, il n’y a de notre part aucune hypocrisie. Vous étiez membre du précédent gouvernement, madame la ministre. Vous connaissiez le budget que vous avez choisi de reprendre. Vous aviez donc tout loisir de proposer cet amendement à temps pour qu’il puisse être, à tout le moins, examiné en commission.

Ensuite, nous en avons ici la démonstration : ceux qui prétendent que l’on peut faire plus avec moins mentent aux Français ! (M. Michel Canévet ironise.) Oui, il faut des moyens pour l’action publique. Oui, il faut de la justice fiscale. L’impôt n’est pas la solution magique, mais mettre à contribution celles et ceux qui, ces dernières années, ont bénéficié des suppressions d’impôt qui ont conduit à l’endettement de notre pays est une mesure de bon sens, tout simplement. Cette mesure doit pouvoir bénéficier aux agriculteurs et à des millions de nos concitoyens qui se trouvent aujourd’hui dans la précarité.

Les préoccupations que j’ai en vue, nous ne les partageons peut-être pas tous, mais elles sont incontournables, qu’il s’agisse du revenu des agriculteurs, de la planification écologique ou du renouvellement des générations. Certes, il y a un travail à faire sur les normes, mais n’oublions pas ces sujets essentiels !

Pour atteindre ces objectifs que vous semblez partager, madame la ministre, il faut une volonté politique, à l’échelle nationale comme à l’échelle européenne – et force est de constater que l’on est très loin du compte. Mais il faut aussi des moyens financiers ! Vous pouvez continuer à faire de grands discours devant les organisations représentatives des agriculteurs et promettre le Grand Soir avec le projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole. La réalité, c’est que les moyens financiers ne sont pas au rendez-vous – cet amendement le démontre.

En définitive, vous n’ouvrez la porte qu’à une seule solution : encore et toujours, la réduction des moyens, ce qui revient à la réduction de l’ambition politique et au laisser-faire généralisé, au détriment même de nos agriculteurs.

Nous voterons évidemment contre cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Louault, pour explication de vote.

M. Vincent Louault. Madame la ministre, j’ai parlé de refus d’obstacle : nous y sommes !

L’avantage de votre démarche, c’est que, les sénateurs étant forcés au fond du terrier, ils commencent à se parler entre eux, tous groupes confondus, et finissent par se mettre d’accord – et le résultat ne va pas forcément vous plaire ! (Sourires.)

Avant cela, chacun faisait cavalier seul : vous faisiez face, en quelque sorte, à 348 principautés de Monaco. Désormais, nous échangeons beaucoup, passant de travée en travée ; c’est totalement nouveau.

Votre méthode n’est pas très glorieuse, madame la ministre. Si nous avions été prévenus plus tôt, nous aurions pu participer à l’effort, car il est nécessaire – nous sommes tous d’accord, du moins du côté droit de l’hémicycle. Mais, dans ces conditions, nous le refusons. L’alerte est donnée, désormais, et il va se passer pour la mission « Agriculture » la même chose que pour la mission « Sport » : si vous vous retournez, vous ne verrez pas le moindre bras levé en faveur de votre amendement !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée, pour explication de vote.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Je ne crois pas faire offense à la ministre en votant, à titre personnel, contre un coup de rabot si puissant, et présenté si tardivement, sur un budget qui concerne des professionnels dont beaucoup se trouvent en grande difficulté ; je m’y opposerai d’autant plus volontiers que cet amendement opère, de surcroît, totalement à l’aveugle, frappant tous les programmes indistinctement.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Annie Genevard, ministre. Tout d’abord, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux rappeler le contexte dans lequel nous nous trouvons. La France est dans une situation extrêmement difficile, vous le savez. Nous sommes au bord de la crise financière ; notre déficit est considérable ; il nous faut absolument y répondre, budgétairement, financièrement.

M. Jean-Claude Tissot. C’est votre bilan ! Nous n’y sommes pour rien !

Mme Annie Genevard, ministre. Vous êtes tous des parlementaires responsables. Vous savez le risque que la France encourt si elle ne tient pas ses comptes.

La question est donc : les restrictions budgétaires qui sont proposées dans ce budget compromettent-elles le soutien que nous apportons à nos agriculteurs et la politique agricole que conduit le Gouvernement ?

Sur ce point, il m’importe de rappeler quelques chiffres. Je donne deux exemples : près d’un demi-milliard d’euros d’allégements de charges sont prévus au bénéfice de nos agriculteurs ; un demi-milliard d’euros, de même, est consacré à l’assurance récolte contre les aléas climatiques.

Lorsque j’ai défendu ce budget pour la première fois, sous le précédent gouvernement, tout le monde, y compris les agriculteurs, s’accordait à dire que l’essentiel en avait été préservé. Les deux exemples que je viens de vous donner montrent que les crédits mobilisés sont susceptibles de répondre à la détresse que connaissent certains de nos agriculteurs dans certaines régions de France.

Si tel n’était pas le cas, je peux vous dire qu’ils l’auraient fait savoir à haute voix. Or vous n’avez pas observé de mécontentement des agriculteurs sur ce sujet particulier.

La donne a-t-elle changé dans la proposition budgétaire que je vous présente aujourd’hui ? Non : la donne n’a pas changé. Nous avons pris l’engagement de maintenir les allégements de charges sociales et fiscales qui avaient été inscrits dans la première mouture du budget, pour près de 500 millions d’euros. Nous avons maintenu le budget de l’assurance récolte. Nous avons protégé les grandes orientations de la politique agricole, que j’ai rappelées tout à l’heure. À ceux qui s’inquiètent de savoir si l’environnement sera sacrifié sur l’autel de la responsabilité budgétaire, je dis non : au contraire, dans la répartition des crédits que j’opérerai, je veillerai à protéger ce qui garantit l’avenir de l’agriculture.

Il faut donc examiner la situation avec une forme d’honnêteté intellectuelle – car il n’y a aucune malhonnêteté intellectuelle de ma part ! J’en viens d’ailleurs à un argument supplémentaire.

Le budget 2024 a été totalement atypique. C’est la raison pour laquelle les rapporteurs ont replacé le budget 2025 dans la perspective des deux précédents, celui de 2023 et celui de 2024.

Pour 2024, une augmentation considérable des budgets agricoles avait été décidée, en faveur de la planification écologique. Or ce budget n’a pas été, tant s’en faut, totalement utilisé. Aussi, lorsque Gabriel Attal a bâti le budget qu’il a transmis à Michel Barnier, les crédits non consommés ont en effet été ponctionnés. S’y ajoute la présente diminution de crédits, mais, comme cela a été dit, le projet de budget pour 2025 est identique au budget réalisé en 2024.

M. Jean-Claude Tissot. Il s’agissait de projets pluriannuels !

Mme Annie Genevard, ministre. Vous avez raison de les évoquer, monsieur le sénateur. Parmi ces projets pluriannuels, je citerai : le plan Protéines ; le plan agriculture climat Méditerranée ; le fonds hydraulique ; le plan de souveraineté pour la filière fruits et légumes, très important à mes yeux ; le Parsada, qui doit nous préparer à la sortie des produits phytos, parce que telle est la réalité du chemin sur lequel nous sommes engagés. Tous ces projets, je veux pouvoir les poursuivre.

J’en viens aux questions de forme, dont je comprends qu’elles aient pu éveiller en vous des susceptibilités, mesdames, messieurs les sénateurs. J’ai été parlementaire et, même chargée d’une mission ministérielle, je le suis toujours. Je comprends votre irritation, mais ne restez pas bloqués sur ces questions de forme ! Vous savez combien la situation est atypique, difficile : elle nous impose à tous d’énormes efforts, y compris, pour ce qui vous concerne, l’acceptation de la rapidité avec laquelle nous vous avons proposé ces modifications budgétaires.

Je prends l’engagement de tenir compte de tout ce que vous m’aurez dit dans le cadre de ce débat sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », lorsque le temps sera venu d’opérer les répartitions de crédits au sein des différentes missions budgétaires. Soyez persuadés que votre travail ne sera pas ignoré, et encore moins méprisé.

Telles sont les raisons pour lesquelles, tout en remerciant ceux d’entre vous qui, à l’instar de M. Duplomb voilà quelques instants, ont exprimé leur soutien, je vous invite vivement à vous ranger derrière ce que propose le Gouvernement au travers de l’amendement n° II-2102.

Si nous ne le maîtrisons pas, ce budget pourrait connaître, demain, des ponctions beaucoup – beaucoup ! – plus importantes. Nous limitons la casse, j’ose le dire en employant cette expression quelque peu triviale. (Nous voilà rassurés ! sur les travées du groupe GEST.)