M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après Christian Bilhac, rapporteur spécial de la commission des finances, j’ai l’honneur de vous présenter l’avis de la commission des lois sur les programmes 164 et 165, qui financent respectivement l’activité des juridictions financières, essentiellement la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes, et des juridictions administratives, c’est-à-dire le Conseil d’État, les cours administratives d’appel, les tribunaux administratifs, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) ou le tribunal du stationnement payant, nouveau nom de la commission du contentieux du stationnement payant.
La commission a émis, en décembre dernier, un avis favorable à l’adoption de ces crédits.
À titre personnel, mon avis est défavorable. Pourquoi ?
L’activité de ces juridictions est en hausse constante et rien ne permet aujourd’hui de penser qu’elle devrait baisser dans les années à venir.
Certes, les crédits de paiement affectés à ces programmes apparaissaient en hausse, en tout cas jusqu’à la dernière coupe proposée par le Gouvernement : aujourd’hui, si je ne me trompe, monsieur le ministre, c’est 7,3 millions d’euros qu’il nous est demandé d’ôter à la mission « Conseil et contrôle de l’État », sans qu’on sache d’ailleurs où ces sommes seront prises, sur quoi exactement le rabot va porter, ce qui rend compliqué d’émettre un avis.
Malgré tout, on peut considérer que des hausses de crédits ont été prévues pour ces juridictions, mais elles sont beaucoup moins importantes que celles qui avaient été envisagées à l’origine, en particulier pour les juridictions administratives. Les sommes prévues ne permettent donc pas de couvrir les différents besoins, pourtant connus, de ces juridictions.
Les juridictions financières ont mis en œuvre un projet stratégique intitulé « JF 2025 », qui a donné des résultats satisfaisants et démontré leur capacité d’évolution. En témoignent la division par deux du délai de publication des travaux d’examen de la gestion, la mise en place du nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics, l’amorçage de la mission d’évaluation des politiques publiques confiée aux chambres régionales des comptes ou encore l’ouverture citoyenne permise par la mise en place récente de deux plateformes. L’effort de tous les personnels de ces juridictions est permanent ; elles tiennent grâce à eux.
Dès lors, diminuer de nouveau les crédits nous paraît délicat. Je défendrai d’ailleurs sur ce point, au nom de la commission des lois, un amendement visant à améliorer le suivi des juridictions financières.
J’en viens aux juridictions administratives. Leur activité est toujours aussi soutenue. On relève ainsi une hausse de 6,1 % des saisines contentieuses des juridictions administratives non spécialisées entre 2022 et 2023. Rien ne permet de penser que cet accroissement d’activité va cesser, bien au contraire. Là encore, c’est le professionnalisme et l’engagement des magistrats et des personnels des juridictions administratives qui permettent d’obtenir des résultats satisfaisants pour notre démocratie : le nombre d’affaires en stock, s’il augmente, croît moins rapidement que les nouvelles saisines.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur pour avis !
M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis. La Cour nationale du droit d’asile a mis en œuvre sa territorialisation ; nous y sommes favorables.
Malgré cette activité soutenue, les juridictions administratives et financières vont participer, bon gré mal gré, à l’objectif de réduction de la dépense publique. Nous espérons toutefois que les créations d’emplois prévues ne seront que reportées et non annulées.
Cela étant dit, la commission des lois est favorable à l’adoption des crédits de ces programmes.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE.)
M. Michel Masset, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Direction de l’action du Gouvernement », malgré sa diversité, contribue, quoique de manière contrastée, à l’effort budgétaire national.
Les crédits de la mission subissent ainsi une baisse de 14,8 millions d’euros à périmètre constant, soit une diminution de 1,4 % en euros courants et de 3,1 % en euros constants, après prise en compte de l’inflation.
Je tiens par ailleurs à saluer la gestion exemplaire du budget annexe « Publications officielles et information administrative » par la direction de l’information légale et administrative (Dila). Grâce à une maîtrise rigoureuse des dépenses et à une optimisation judicieuse des investissements, son excédent prévisionnel devrait doubler en 2025, passant de 15 millions à 30,5 millions d’euros.
La mission « Direction de l’action du Gouvernement » s’articule autour de trois axes majeurs.
Premièrement, cette mission est fortement marquée par le soutien à l’accès aux droits et à la transparence de l’information. Dans cette perspective, la France poursuivra sa politique d’ouverture des données publiques, laquelle la place au premier rang des pays européens.
Une deuxième ligne, plus diffuse, exprime l’importance du numérique, et ce à deux titres. D’une part, la régulation des plateformes numériques devient un enjeu crucial à la suite de l’entrée en vigueur du paquet législatif européen relatif aux services numériques. D’autre part, la coordination de la politique numérique de l’État s’intensifie, avec la mise en œuvre de la feuille de route de la direction interministérielle du numérique.
Je tiens, à cette occasion, à souligner le rôle stratégique de l’intelligence artificielle, dont les outils en cours de déploiement offrent des perspectives significatives de compétitivité et de productivité dans tous les secteurs de l’économie comme dans les services publics. La première phase de la stratégie nationale pour l’intelligence artificielle a permis à la France de se positionner comme un acteur clé à l’échelle internationale. Cet élan doit impérativement être poursuivi et amplifié pour éviter un décrochage et des retards en la matière.
Enfin, troisième axe majeur de cette mission, les initiatives destinées aux collectivités locales et aux élus, bien qu’encore trop limitées, méritent d’être amplifiées au travers du plan Transformation numérique des territoires, qui vise à accélérer la numérisation de l’action publique dans tous les territoires ; je pense tout particulièrement aux territoires ruraux.
La commission des lois a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission en l’état initial du projet de loi de finances. Toutefois, au vu des délais contraints, elle n’a pas pu se réunir pour discuter de l’amendement gouvernemental tendant à diminuer ses crédits de quelque 42 millions d’euros.
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE.)
Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le temps nous est compté pour cette discussion générale, alors même qu’il y est question de trois missions : « Pouvoirs publics », « Conseil et contrôle de l’État » et « Direction de l’action du Gouvernement ».
Face à ce programme relativement dense, je veux saluer les travaux et la clarté des présentations de nos rapporteurs. Même si tous les sujets abordés méritent d’être débattus, je souhaiterais m’attarder en particulier sur la mission « Pouvoirs publics », qui comprend notamment le budget de la Présidence de la République, ceux de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que celui du Conseil constitutionnel. Ces budgets nous imposent, si ce n’est de la pédagogie, au moins d’éviter les écueils démagogiques que l’on peut parfois rencontrer.
Chacun ici est conscient du contexte : la dépense publique est particulièrement mise en question. Il est donc tout à fait évident que l’augmentation des crédits de cette mission aurait été difficile à justifier auprès de nos compatriotes, d’autant que le Gouvernement ne cesse de déposer de nouveaux amendements d’annulation de crédits, parfois massifs, sur certaines missions essentielles.
Je tiens donc à saluer la décision de la Présidence de la République, de notre président Gérard Larcher et de la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet de refuser l’augmentation des dotations initialement prévue pour cette année.
Néanmoins, certains postes de dépenses posent question et mériteraient davantage de transparence ; je pense notamment aux dépenses liées aux activités présidentielles, dont les frais de réception.
Certains de nos collègues auront plus d’ambition encore, puisqu’ils proposeront une réduction supplémentaire de ces budgets. Je pense en particulier à l’amendement que défendra mon collègue Henri Cabanel tout à l’heure. Même si je n’y suis pas favorable, car la démocratie – en particulier une démocratie de qualité – a forcément un coût, je comprends cette position. Elle marque une prise de conscience du sentiment de déconnexion que connaissent nos compatriotes vis-à-vis de la classe politique.
J’aimerais également évoquer le budget du Conseil constitutionnel. Il s’établit pour 2025 à 16,8 millions d’euros environ, en baisse de 6 % par rapport à l’exercice précédent. Cette coupe s’explique en grande partie par l’enveloppe exceptionnelle qui lui avait été accordée l’an passé pour des travaux d’ampleur.
Mais je voudrais aller au-delà de ces chiffres. Lorsque l’on compare le budget de notre Conseil constitutionnel à celui de ses équivalents européens, on constate des différences parfois colossales. La Cour constitutionnelle italienne dispose ainsi d’un budget de 65 millions d’euros, avec 44 greffiers et 222 agents au total. Le Tribunal constitutionnel espagnol compte 210 agents, pour un budget de 28 millions d’euros.
Le Conseil constitutionnel français affiche de son côté un personnel de 87 équivalents temps plein (ETP), en excluant les neuf membres du Conseil. Nous sommes donc loin de nos voisins européens, alors même que le Conseil se transforme peu à peu en véritable cour constitutionnelle, en particulier depuis la mise en place de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Il faudra donc, à un moment donné, que le Conseil puisse bénéficier de moyens en adéquation avec l’importance de ses missions, en particulier pour favoriser la qualité de ses décisions.
Pour ce qui concerne les deux chambres parlementaires, comme l’a souligné le rapporteur spécial, le refus annoncé des hausses de dotations pour cette année va accroître les déficits de ces institutions, risque de poser des difficultés pour le financement des dépenses, surtout en matière d’entretien du patrimoine historique, et aura un impact important sur les fonds de réserve de ces institutions.
Mais j’irai plus loin : doter le Parlement de moyens, c’est le mettre en mesure de jouer pleinement son rôle de contre-pouvoir face à l’exécutif. C’est lui permettre d’assurer ses missions constitutionnelles sans les brader. Or l’attrition continue des ressources du Parlement pèse sur la capacité d’action des députés et des sénateurs.
Oui, nos compatriotes attendent que leurs représentants et les élus soient exemplaires, surtout en matière de dépense publique. Mais les Français veulent aussi une législation de bonne qualité. Ils attendent des parlementaires qu’ils puissent contrôler et évaluer efficacement l’action du Gouvernement.
Voilà pourquoi je rejoins en dernière analyse la position de notre rapporteur spécial et son inquiétude pour le modèle de financement de nos institutions.
Les membres du groupe du RDSE voteront en faveur des crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Olivier Cigolotti et Teva Rohfritsch applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Olivia Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits dont nous débattons ce matin financent un grand nombre d’actions.
Je ne reviendrai pas sur les éléments qui ont déjà été portés au débat. Permettez-moi simplement de saluer l’engagement des rapporteurs spéciaux et pour avis. Je pense en particulier à Olivier Cadic, non que les autres rapporteurs aient démérité ; simplement, j’ai moins l’occasion de parler de cybersécurité avec eux, alors qu’avec Olivier Cadic, c’est tout le temps ! (Sourires.)
Cela étant dit, je souhaite revenir pour une minute, de manière générale, sur l’exercice auquel nous nous livrons. Je souscris aux observations déjà formulées, notamment par les rapporteurs, sur les moyens alloués à nos actions.
Alors que les deux chambres du Parlement ont annoncé dès l’automne dernier, par la voix de leurs présidents et de questeurs, un effort notable de participation à la réduction de la dépense publique, il nous faut souligner l’insuffisance des conditions dans lesquelles nous exerçons nos missions constitutionnelles.
Ainsi, dans cet hémicycle, nous examinions hier les crédits de la mission « Action extérieure de l’État ». Le Gouvernement avait déposé, la veille seulement, un amendement tendant à les réduire de plus de 25 millions d’euros supplémentaires, conformément à sa démarche sur toutes les missions. Cet amendement a été adopté. Il devenait alors curieux, pour ne pas dire schizophrénique, de continuer la discussion en examinant des amendements visant à rehausser telle ou telle ligne budgétaire ; cela n’avait aucune cohérence.
Vous me direz que le temps consacré à cette mission en séance publique nous aura au moins permis de sensibiliser le ministre de l’Europe et des affaires étrangères aux préoccupations, trop peu souvent évoquées, des Français de l’étranger. Certes, mais le temps restreint laissé au débat et la quantité d’amendements à examiner dégradent cela aussi.
L’examen du budget de la France est un exercice ardu, qui nécessite un minimum de temps et de moyens humains. Je regrette sincèrement les conditions dans lesquelles nous nous y employons. Je nous revois, dans cet hémicycle, en décembre dernier, débattre des crédits de la justice, alors que nous savions pertinemment que le Gouvernement serait censuré dès le lendemain. Et voici que nous reprenons nos travaux presque par surprise, là où nous nous étions arrêtés, mais avec des protagonistes différents, des agrégats qui ont changé et des amendements gouvernementaux qui changent la donne à la dernière minute.
Dans son passionnant avis sur ces crédits, notre collègue Éric Kerrouche déplore « l’attrition continue des ressources de la démocratie parlementaire ». La capacité d’action des parlementaires, écrit-il, « dépend en grande partie des moyens humains dont ils disposent pour mener leurs travaux de législation et de contrôle ». Le rapporteur pour avis appelle enfin à « ne pas refuser le coût de la démocratie parlementaire, essentiel à un fonctionnement équilibré de notre régime politique, notamment pour contrebalancer les moyens d’expertise de l’exécutif ». Ces propos rejoignent ma conviction profonde que la réussite d’un mandat dépend d’un travail d’équipe et que ces moyens doivent être renforcés.
Cela étant dit, je veux aborder rapidement trois sujets.
Le premier est le contentieux du stationnement payant. Voilà un an, j’étais nommée par la commission des lois rapporteure d’une proposition de loi relative à ce contentieux, issue de l’Assemblée nationale. Après une dizaine d’auditions, constatant la complexité de ce réel problème, j’avais obtenu le retrait du texte de notre ordre du jour.
Le rapporteur pour avis de notre commission sur ces crédits, qui n’a malheureusement pas jugé utile d’échanger avec moi sur ce sujet, semble regretter ce retrait, comme il relève que la commission du contentieux du stationnement payant (CCSP) est aujourd’hui submergée par un nombre de recours impossible à résorber.
Résumons autant que faire se peut : 40 % des recours devant la CCSP contre un forfait de post-stationnement (FPS) portent seulement sur la majoration dudit FPS, au motif que ce dernier n’avait pas été reçu. Voyez-vous, mes chers collègues, l’interconnexion des fichiers entre la juridiction administrative et l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai), qui adresse les FPS, quoique prévue par un arrêté de 2018, n’a toujours pas été mise en œuvre.
Mme Nathalie Goulet. Eh non !
Mme Olivia Richard. L’Antai, qui ne dispose pas des effectifs nécessaires pour répondre aux milliers de demandes que lui adresse la CCSP, ne le fait pas. Cela conduit à donner droit à l’usager, qui est ainsi incité à contester à nouveau.
Dépassée, la juridiction administrative avait souhaité que le législateur rétablisse, en l’encadrant, l’obligation d’acquitter le FPS avant de pouvoir le contester. En l’absence d’interconnexion des fichiers, cela pose néanmoins la question de la capacité à rembourser les usagers qui gagneraient leur recours. Sur ce point, mes auditions m’avaient permis de comprendre que, trop souvent, le Trésor public ne serait pas en mesure d’y procéder simplement, notamment parce que les collectivités délèguent le recouvrement des FPS à des prestataires privés. Il y a trop d’intervenants, qui ne sont jamais d’accord entre eux : on ne saurait donc résoudre si simplement un problème aussi complexe. Il faut certes plus d’ETP, mais cela ne suffira pas !
Le deuxième sujet que je voudrais évoquer est le financement du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), dont les rapports nous alertent régulièrement sur l’état de la société. Chacun sait l’importance des travaux du HCE, aujourd’hui présidé par l’ancienne ministre Bérangère Couillard, qui a remplacé à ce poste Sylvie Pierre-Brossolette, dont je salue le travail et l’engagement.
J’ai eu bien de la peine à trouver les crédits du HCE au sein des missions que nous examinons. Une ligne indique bien qu’il est rattaché aux services du Premier ministre, mais sans préciser le montant qui lui est alloué. Je sais que les locaux, les ETP et les autres moyens de fonctionnement du Haut Conseil sont pris en charge par d’autres, mais je n’ai pas pu trouver par qui, pourquoi ni à quel niveau. Cet exemple dit beaucoup de l’opacité des documents auxquels nous avons accès. En tout état de cause, les travaux du HCE nous sont précieux et je suis favorable à ce que ses moyens soient a minima clarifiés et sanctuarisés.
Enfin, je me souviens de ma première intervention à cette tribune, lors de l’examen du budget pour 2024 : j’y évoquais le coût de la vie démocratique française à l’étranger. Permettez-moi de souligner à nouveau l’anomalie que représente le caractère purement consultatif des mandats des conseillers des Français de l’étranger, pourtant élus au suffrage universel direct. Le mille-feuille électoral n’a pas davantage de sens. Tout cela appelle une réforme de bon sens.
Cela étant dit, le groupe Union Centriste votera en faveur des crédits de ces missions. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces missions consacrées à l’action de l’État, des AAI, du Gouvernement et des assemblées parlementaires peuvent donner lieu à beaucoup de populisme : des voix diront que tout cela – la démocratie, en fin de compte – ne sert à rien et qu’il faudrait réduire à néant tous ces crédits.
Pour ma part, je suis en désaccord avec cette appréciation, et ce pour trois raisons.
En premier lieu, je veux rappeler, pour prendre l’exemple de nos assemblées, qu’il n’est pas question dans ces budgets que d’élus. Ces crédits payent aussi les fonctionnaires parlementaires, dont je salue le dévouement quotidien et le professionnalisme. Il s’agit également de nos collaborateurs et collaboratrices. Or, comme tout un chacun, comme chaque salarié dans notre pays, ces fonctionnaires et assistants parlementaires subissent de plein fouet l’inflation. Et il faudra bien, un jour ou l’autre, que chacun de ceux qui travaillent dans cette maison soit revalorisé !
Deuxièmement, nous sommes dans un moment de bascule. Si nous ne le prenons pas comme tel, nous allons être emportés, nous-mêmes et notre régime démocratique. Ce qui est en train de se nouer est une grande alliance des réactionnaires, des « néo-fascistes 3.0 » ; ce diagnostic est peut-être le seul point où je me trouve d’accord avec le président Macron. De Milei à Meloni, d’Orban à Trump, le capital a choisi : finie la social-démocratie, fini l’ordo-libéralisme, place aux alliances réactionnaires, d’extrême droite, pour le grand capital désireux de continuer son œuvre destructrice, d’accaparer et de suraccumuler des profits au détriment du vivant et de la planète !
M. Akli Mellouli. Très bien !
M. Fabien Gay. Si nous ne regardons pas cela en face, alors nous serons emportés. Oui, ils feront la promotion de l’AFD (Alternative für Deutschland) en Allemagne, de Nigel Farage en Angleterre, de Marine Le Pen et Éric Zemmour ici.
Face à cette menace, je suis loin d’appeler à baisser les bras. Non, je ne me résous pas à ce que nous entrions dans l’ère de la post-vérité ou des vérités alternatives, où les grands complotistes de tous ordres prennent place dans le débat politico-médiatique pour cracher leur haine des autres, des femmes, des homosexuels, des étrangers… Il nous faut retrouver – ici, au Parlement – une confrontation saine des idées par le débat démocratique. Or le débat démocratique, cela a un coût. Il faudra donc, dans notre diversité, qu’on lui consacre les moyens nécessaires.
J’en viens à mon troisième et dernier argument. Mes chers collègues, pardonnez-moi, mais nous nous trouvons quand même dans un moment surréaliste ! On a repris les débats budgétaires comme s’il ne s’était rien passé dans le pays. Pourtant, si le gouvernement de Michel Barnier a été censuré, ce n’est pas à cause de M. Barnier lui-même : c’est la sanction de la politique menée depuis sept ans !
Nous vivons une grave crise démocratique. Un président, tout seul, a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale. Un président, tout seul, a décidé – ne vous en déplaise, mes chers collègues – de ne pas respecter le vote populaire. Et il persiste ! Après la censure de Barnier, Bayrou ! Après la censure – car il sera censuré ! – de Bayrou, continuera-t-on de ne pas respecter le vote populaire ?
Je le dis avec force, il va nous falloir réoxygéner notre démocratie, à tous les étages, faire revivre la cité, parce que nous ne pouvons pas, en tant qu’élus, où que nous siégions, regarder sans rien faire quand 50 % de nos concitoyens délaissent les urnes parce qu’ils ne croient plus que le vote peut chanter les choses. Il faudra redonner du pouvoir d’action aux salariés dans l’entreprise. Il faudra remettre sur l’établi la question démocratique. Il n’y aura pas de changement radical de société, pour la paix, pour la justice sociale, fiscale et écologique, sans une démocratie renouvelée, et tout cela coûtera de l’argent !
C’est pour toutes ces raisons que nous voterons contre les crédits de ces missions. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui des crédits alloués au fonctionnement des institutions de la République.
Alors que le Gouvernement acte une baisse nette des dotations de la Présidence de la République ; alors qu’un amendement de nos questeurs acte la baisse des dotations du Sénat, de l’Assemblée nationale et de Public Sénat ; alors que le Gouvernement a déposé un amendement tendant à réduire de 7,3 millions d’euros les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l’État », ce qui affectera la Cour des comptes, le Conseil d’État, les juridictions administratives et le Conseil économique, social et environnemental ; alors que nous discutons, de manière générale, d’un budget de l’État qui, par les coupes qu’il impose à des fonctions vitales de notre société, des pouvoirs publics aux services publics, de la protection sociale à notre diplomatie, un budget qui réduit notre capacité à agir, un budget qui, par son refus coupable, dans lequel le Gouvernement persiste, d’investir dans l’avenir que représente la transition écologique, dans l’adaptation à la crise climatique, nous condamne à subir des coûts individuels et collectifs beaucoup plus importants dans les années à venir ; alors que nous discutons, dis-je, d’un budget qui se trompe d’économies, qui transfère vers les budgets à venir des coûts environnementaux, sociaux et politiques considérables, je sais qu’il est très tentant d’affirmer que les pouvoirs publics eux-mêmes, qui imposent ces coupes, doivent, eux aussi, faire des efforts.
Mais on ne saurait amoindrir l’erreur que l’on commet envers les autres en s’ajoutant à ses victimes ! Cela ne la rend en rien moins grave, bien au contraire.
M. Akli Mellouli. Bravo !
Mme Mélanie Vogel. En France, le Parlement est gravement et structurellement sous-financé. J’ai passé dix ans au Parlement européen, ce qui me permet de vous citer un chiffre : la seule enveloppe destinée aux collaborateurs des députés européens s’élevait, en 2024, à 29 557 euros par mois et par député.
Ces crédits ne sont pas un coût pour le Parlement européen : il s’agit d’une ressource précieuse ! Ils rendent possible l’embauche d’équipes solides, assez nombreuses, expérimentées, correctement rémunérées. Ils permettent d’attirer les meilleurs au service du plus important : la fabrique de la loi, le contrôle de l’exécutif, la démocratie parlementaire, l’intérêt général. Ils rendent le Parlement européen plus fort, mieux à même de bâtir une expertise et une position de négociation indépendantes vis-à-vis de la Commission et du Conseil. Bref, ils servent la démocratie.
Tant que nous persisterons dans le choix de sous-doter ce qui nous rend forts, nous resterons un Parlement structurellement faible. Je ne saurais m’y résoudre ! Sans compter que ces déficits de moyens engendrent d’autres coûts. Le décès de Moussa Sylla, à l’Assemblée nationale, a tragiquement montré les conséquences de l’externalisation des services, qui nuit à la sécurité et à la dignité des agents. Cela ne peut plus durer !
Ces considérations valent aussi pour le budget de la Présidence de la République. Bien sûr, on peut s’interroger sur telle ou telle dépense. Mais, du fait de la baisse des réserves, en faisant la course à celui qui coupera le plus dans le fonctionnement des pouvoirs publics, on mettra toujours à mal le pouvoir et le public !
C’est encore la même chose pour Public Sénat. Franchement, à l’heure où Donald Trump vient de prendre le pouvoir aux États-Unis, où Elon Musk fait un salut nazi, où la liberté de la presse est partout menacée, où les fake news minent nos démocraties, où l’emprise des intérêts privés sur les médias sert un projet antidémocratique, contre nos propres valeurs, l’audiovisuel public, qui accomplit un travail remarquable – c’est tout spécialement vrai de Public Sénat –, est un rempart qu’il faut renforcer et non menacer.
Oui, la démocratie parlementaire a indéniablement un coût, mais ce coût est infiniment faible par rapport à celui de son absence. Réduire les moyens du Parlement ou de la Présidence de la République, réduire les moyens des pouvoirs publics, ne nous économisera rien.
Oui, nous devons bien évidemment réfléchir à la répartition des ressources, notamment entre l’exécutif et le Parlement, et à la transparence de leur utilisation, mais cela ne saurait se faire au détriment de l’efficacité et de la solidité de notre système démocratique.
C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)