M. le président. La parole est à M. Alexandre Basquin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Alexandre Basquin. « Nous sommes les nouveaux esclaves d’aujourd’hui ». « C’est un algorithme qui décide pour nous ». Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ces témoignages de chauffeurs Uber d’Armentières, dans le Nord, publiés dans le journal La Voix du Nord en 2023, montrent à quel point le statut des travailleurs des plateformes numériques est fragile, précaire et absolument pas protecteur.

En 2023, selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), ce sont 600 000 travailleurs indépendants qui ont utilisé une plateforme numérique en France au titre de leur emploi principal. Un nombre qui a été multiplié par trois en six ans.

Cette situation ne concerne pas uniquement les chauffeurs Uber : il y a aussi les secteurs de l’hôtellerie, des services à la personne, des services de dépannage, et j’en passe.

Cette nouvelle organisation du travail, fondée essentiellement sur le management algorithmique, impose toujours plus de flexibilité, une fragmentation des tâches et une pression forte pour produire plus rapidement.

Le seul objectif des plateformes est la rentabilité ! La rentabilité à tout prix, et à tous les prix. Les premières victimes sont les travailleurs eux-mêmes. Il s’agit de ne pas mésestimer leur souffrance au travail, car oui, souffrance il y a.

Ce capitalisme de plateforme est pervers, insidieux, sans scrupule et sans honte. Il contient bien trop de zones grises, notamment en ce qui concerne les conditions de travail. Il pousse les travailleurs dans une forme de subordination et de dépendance extrême. Il les isole, avec une délégation quasi totale aux algorithmes des prises de décision.

Rappelons tout de même que, en France, c’est bien Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, qui a ouvert grand les portes à ces nouvelles organisations.

Après un intense travail de lobbying et d’influence du groupe américain, il a facilité l’installation d’Uber en France, avec son lot de dérégulations, comme l’a révélé l’affaire des Uber Files. Ces dérégulations poussent des centaines de milliers de travailleurs dans la plus grande des précarités, sous le seul diktat du profit.

D’ailleurs, et pour ne prendre que cet exemple, on constate une véritable prédation d’Uber sur le travail de ses chauffeurs. Uber dont la capitalisation boursière a dépassé les 150 milliards de dollars…

Dans le même temps, les travailleurs, eux, doivent payer la totalité de leurs cotisations de retraite, de chômage et de maladie. Cette situation inique doit évoluer pour le bien de ces travailleurs.

C’est d’autant plus nécessaire quand on sait qu’ils travaillent également la nuit, les week-ends et les jours fériés pour subvenir à leurs besoins, au détriment de leur vie privée et familiale, sans parler de la pénibilité physique et du stress au travail.

Les promesses d’autonomie et d’enrichissement n’ont pas été tenues. Dans ces conditions, nous comprenons et soutenons les actions collectives des travailleurs pour contraindre les plateformes numériques à les embaucher comme salariés.

Un cadre clair doit être adopté. Il s’agit ni plus ni moins de leur donner une protection identique à celle des salariés traditionnels.

En 2024, un accord a été trouvé au sein des institutions européennes sur une directive plus favorable aux travailleurs des plateformes : ces derniers pourront désormais contester leur statut d’indépendant et demander plus facilement à être requalifiés en salariés. Nous sommes ici face à un enjeu hautement politique et profondément social !

Aujourd’hui, madame la ministre, le Gouvernement se grandirait en acceptant de transposer cette directive. Au contraire, s’il refuse, il se rendra complice et même coupable du maintien de ces travailleurs dans la plus grande précarité.

Mes chers collègues, cette proposition de résolution en appelle à notre responsabilité collective. C’est pourquoi je vous invite, dans notre grande et belle diversité, à la soutenir. N’oublions pas que, derrière ces textes, il y a des femmes, des hommes, bref, de l’humain. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)

M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mathilde Ollivier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui arrive à un moment particulièrement important. Le 24 avril 2024, le Parlement européen a adopté une directive historique sur les droits des travailleurs des plateformes, soutenue par un large spectre politique.

La question posée aujourd’hui est simple : comment allons-nous transposer ce texte ? Mark MacGann, ancien dirigeant d’Uber devenu lanceur d’alerte, pointait récemment devant l’Assemblée nationale un paradoxe particulièrement saisissant : comment la France, pays de la sécurité sociale, du Smic, des congés payés et de la couverture maladie universelle (CMU) peut-elle aujourd’hui être en première ligne pour vider de son sens cette directive européenne ?

Les chiffres sont accablants : 55 % des travailleurs de plateformes gagnent moins que le salaire minimum horaire net du pays où ils exercent et 41 % de leur temps de travail ne sont même pas rémunérés. Ils doivent financer eux-mêmes leurs propres outils de travail – vélo, téléphone, voiture, assurance – , sans accès à l’assurance chômage ni à la couverture des accidents du travail.

Les tribunaux ne s’y sont pas trompés. De la Cour de cassation reconnaissant le lien de subordination avec Uber en 2020 jusqu’au conseil de prud’hommes de Lyon en 2023, en passant par la condamnation de Deliveroo en 2022, la justice, quand elle est saisie, confirme systématiquement la réalité de la subordination. Cependant, ces procédures s’éternisent – plus de 17 mois en moyenne ! –, et engorgent les tribunaux.

La directive européenne offre une réponse équilibrée. Elle harmonise les règles, tout en respectant la diversité des plateformes. Elle offre des garanties minimales essentielles, sans remettre en cause les bienfaits économiques éventuels.

Elle est aussi bienvenue pour les finances publiques : la Commission européenne estime que sa mise en œuvre permettrait à la France de percevoir entre 328 millions d’euros et 780 millions d’euros de recettes annuelles supplémentaires. À l’heure où l’effort budgétaire est érigé en priorité nationale, comment ne pas soutenir sans délai cette proposition de bon sens ?

Notre groupe soutient donc cette proposition de résolution, qui appelle à une transposition ambitieuse, avec des mesures concrètes : l’établissement d’une présomption de salariat pour les travailleurs soumis au contrôle des plateformes ; le renforcement significatif des moyens de l’inspection du travail ; une véritable régulation des données personnelles et une transparence totale des systèmes de surveillance automatisés ; la mise en place de procédures de recours effectives ; une protection réelle contre les représailles.

Comment peut-il encore en être autrement ? L’enjeu est considérable. Aujourd’hui, ce sont 28,3 millions de travailleurs européens qui sont concernés – un chiffre qui pourrait atteindre 43 millions en 2025.

L’enjeu est aussi fiscal : comment accepter que ces plateformes, certes déficitaires, mais soutenues par d’importants fonds d’investissement, s’affranchissent du financement de notre protection sociale ? Nous ne pouvons laisser ces entités malmener nos économies, nos travailleurs, nos recettes fiscales et plus encore.

Dans un contexte de dette publique préoccupante, ces pratiques d’évasion fiscale menacent non seulement le financement de nos services publics, mais aussi la pérennité même de notre modèle social et du modèle européen.

Il s’agit non pas simplement d’encadrer un nouveau modèle économique, mais de faire respecter en France et dans l’Union nos principes fondamentaux de protection sociale et de justice fiscale. Nous en avons grand besoin.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Monique Lubin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je salue au nom du groupe socialiste l’initiative de Pascal Savoldelli et du groupe CRCE-K ayant conduit à l’inscription à notre ordre du jour de cette proposition de résolution tendant à l’application en droit français de la directive européenne relative à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques.

Nous nous réjouissons d’autant plus de cette initiative que notre groupe, grâce à Olivier Jacquin, avait déposé en octobre 2024 une proposition de résolution soutenant l’amélioration des conditions de travail des travailleurs de plateformes, notamment par la transposition de la directive européenne dont il est question aujourd’hui.

Nous le savons tous, cette directive est moins-disante que ce qu’elle aurait dû être. À ce titre, nous ne pouvons que déplorer l’activisme à Bruxelles du Président de la République, qui a permis en décembre 2021 d’édulcorer la proposition initiale de la Commission européenne.

Toutefois, cette directive a le mérite d’exister : il faut la transposer rapidement en droit français, voire la surtransposer. En France, selon la Dares, les emplois de plateforme représentaient en 2023 l’activité principale de 2 % des travailleurs.

La jurisprudence a déjà ouvert dans notre pays la voie à une requalification de certains travailleurs des plateformes. Le 4 mars 2020, la Cour de cassation a ainsi confirmé la requalification en contrat de travail de l’activité d’un chauffeur de véhicule de transport avec chauffeur (VTC) employé par Uber.

Le 6 juillet 2022, la Cour d’appel de Paris a condamné Deliveroo France pour travail dissimulé et harcèlement moral en raison de ses pratiques managériales.

La directive qui est l’objet de la présente résolution prend acte de cette réalité. Elle a pour objet d’améliorer les conditions de travail et la protection des données à caractère personnel dans le cadre du travail via une plateforme.

Elle définit tout d’abord des notions clés, telles que « travailleurs de plateformes » ou « plateforme de travail numérique ».

Elle établit ensuite une présomption légale de relation de travail avec une charge de la preuve qui repose désormais sur la plateforme.

Elle est encore marquée par une volonté d’apporter plus de transparence dans l’utilisation des algorithmes par les plateformes de travail.

Elle tend enfin à imposer aux plateformes-employeurs les mêmes responsabilités en matière de santé et de sécurité au travail que tout autre employeur.

Parmi les lacunes de ce texte, je relève la marge très importante laissée aux États dans les modalités de mise en œuvre de ses dispositions, notamment en ce qui concerne la structuration de la présomption de salariat. C’est une source d’inquiétude, bien que la directive impose de s’appuyer sur les définitions nationales du salariat et de la subordination.

Nous nous inscrivons donc pleinement dans la démarche du groupe CRCE-K et nous voterons la présente proposition de résolution. Au-delà des impératifs de délai, nous ajoutons qu’il faut aussi impérativement surtranscrire la directive. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre économie et nos emplois se sont grandement transformés ces dix dernières années.

Transports par VTC, livraisons à domicile, petits travaux et services à la personne ne sont que quelques exemples de secteurs qui ont connu une évolution notable. Nous nous sommes habitués à voir ces nouveaux travailleurs dans l’espace public.

Les travailleurs des plateformes numériques occupent pour la plupart leur emploi en tant qu’indépendants, à temps partiel ou à temps complet, comme seul emploi ou comme emploi complémentaire.

M. Pascal Savoldelli. C’est le paradis ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Marie-Claude Lermytte. Leur statut varie effectivement, mais nous nous concentrons aujourd’hui sur ceux qui n’ont pas le statut de salarié.

Certains de ces travailleurs sont particulièrement attachés à leur statut de non-salarié, car celui-ci leur offre plus de liberté et d’indépendance et leur permet d’arrondir leurs fins de mois avec quelques heures de travail.

M. Pascal Savoldelli. Ah oui ? J’aimerais bien les rencontrer…

Mme Marie-Claude Lermytte. Les autres sont bien souvent des salariés déguisés des plateformes numériques, il faut bien le reconnaître.

La justice française a essayé d’endiguer le phénomène des faux indépendants en requalifiant certains contrats, mais, face à l’ampleur du phénomène, il fallait que le droit change.

C’est justement l’objet de cette directive européenne. Elle met en place de nouvelles règles pour mettre fin au faux travail indépendant. C’est là la principale avancée de ce texte.

Par ailleurs, elle impose que les plateformes ne puissent plus traiter certains types de données personnelles et que les employés ne puissent plus être licenciés sur la base d’une décision prise par un algorithme.

M. Pascal Savoldelli. On ne peut pas être licencié quand on n’a pas de contrat de travail !

Mme Marie-Claude Lermytte. Nous avons deux ans pour transposer cette directive, mes chers collègues. Aussi, je vous invite à observer la plus grande prudence.

Légiférer en premier, c’est souvent servir de fusible et être très vite rattrapé, puis dépassé. Les plateformes se sont toujours adaptées très vite aux normes en vigueur. C’est le propre de l’ubérisation.

L’Espagne a légiféré en premier avec sa fameuse loi Riders, adoptée en 2021, qui a imposé une présomption d’emploi aux plateformes. Quelles en ont été les conséquences ?

Une partie des riders espagnols, c’est-à-dire des coursiers à vélo, ont été salariés. Une autre partie a perdu son emploi en raison, notamment, de la décision de Deliveroo de quitter le marché espagnol.

D’autres entreprises, comme Uber Eats, ont choisi de sous-traiter en embauchant des livreurs via des sociétés intermédiaires, c’est-à-dire de contourner la loi.

Enfin, de nombreux riders espagnols, après avoir été salariés, ont tenté de redevenir indépendants, déçus par le salariat qui entraîne une imposition des revenus, donc une baisse du net disponible, et la fin de la liberté dans l’organisation du travail.

Précurseurs, les Espagnols ont connu les avantages, mais aussi les inconvénients de leurs décisions. En France, nous avons choisi d’agir en Européens, c’est-à-dire d’harmoniser les pratiques, pour que la norme soit la même partout.

Nous attendions donc cette directive et nous aurons à la transposer dans le délai imparti, en observant ce que font nos voisins pour nous en inspirer. Il nous faudra évidemment laisser derrière nous cette mauvaise habitude française de surtransposer les directives européennes.

Nous devrons avoir à l’esprit que la transposition de cette directive sans déstabiliser un modèle économique qui concerne des milliers d’emplois en France sera un exercice périlleux. La fragilisation de cette économie touchera tout d’abord les travailleurs eux-mêmes, puis les consommateurs, pour qui les prix pourraient augmenter.

Sur un tel sujet, la plupart des groupes de cet hémicycle pourraient être au diapason, mais votre proposition de résolution nous indique le contraire.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les sénateurs du groupe Les Indépendants ne s’associeront pas à cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)

M. Pascal Savoldelli. On avait compris !

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)

Mme Frédérique Puissat. Monsieur le président, madame la ministre, cher Pascal Savoldelli, auteur de cette proposition de résolution, la proposition de résolution qui nous est présentée aborde un sujet qui a souvent mobilisé le législateur, en France comme dans d’autres pays : les conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques.

J’en profite pour remercier Brigitte Devésa d’avoir cité Catherine Fournier, avec laquelle j’avais réalisé un rapport sur le sujet voilà quelques années. Nous ne l’oublions pas.

Monsieur Savoldelli, évoquant dans votre exposé des motifs la nature de la directive, issue d’un accord conclu entre le Parlement et le Conseil de l’Europe le 8 février dernier et qui vise à améliorer les droits des 28 millions de travailleurs des plateformes numériques de l’Union européenne, vous parlez d’un « compromis équilibré ». Nous aurons l’occasion d’en discuter.

Quoi qu’il en soit, convenons que le développement des plateformes soulève principalement deux problèmes : le statut de leurs travailleurs, qui ont des profils divers, et les modèles des plateformes, qui sont tout aussi divers.

Enfin, dans un marché concurrentiel, convenons qu’il faut se poser la question de l’échelon pertinent pour aborder ces sujets.

Vous soulignez que « ce nouveau modèle économique permet aux plateformes de s’affranchir du financement de la protection sociale », brossant un tableau quelque peu obscur des conditions de travail de ces travailleurs indépendants et évoquant la nécessité de stabiliser les processus, afin de désembouteiller les juridictions. Fort de cette analyse, vous demandez au Gouvernement de transposer en urgence et de façon « ambitieuse » la directive européenne.

Si nous pouvons partager certains de vos constats, notamment la nécessité de sécuriser les dispositifs concernés et la pertinence de l’échelon européen, notre groupe est en désaccord avec vous sur plusieurs points.

En ce qui concerne tout d’abord les conditions de travail des salariés de cette forme de travail intermédié, nous considérons, et sans doute y a-t-il là une divergence d’approche entre nous, que l’émergence des plateformes numériques peut être une chance.

Elle a offert à de nombreux travailleurs parfois éloignés du marché du travail la possibilité d’exercer une activité professionnelle. Elle a également permis à des salariés de compléter leur temps de travail et d’améliorer leur pouvoir d’achat. Même si elle n’est pas parfaite, cette forme de travail indépendant doit donc être encouragée en raison du potentiel d’emplois qu’elle représente.

Pour autant, nous sommes d’accord, cette forme d’activité peut être source de précarité sociale pour les « travailleurs concernés ». J’insiste sur cette expression, car je tiens à distinguer ces travailleurs des personnes qui sous-louent des comptes et dont l’activité peut s’apparenter à un travail dissimulé ou illégal condamnable. C’est aussi malheureusement ce dont souffrent ces modèles. Notre groupe avait d’ailleurs proposé de supprimer les possibilités de sous-location de comptes.

Pour les « salariés réels », la possible précarité sociale est à relier, j’y insiste, aux lacunes de la protection sociale de tous les travailleurs indépendants, notamment des auto-entrepreneurs, qui ne sont pas obligatoirement couverts contre les accidents du travail, qui ne disposent pas d’une véritable assurance contre le risque de chômage et qui, souvent, ne cotisent pas aux caisses de retraite.

C’est à travers ce prisme des travailleurs indépendants, qui est plus large que celui des travailleurs des plateformes, que la majorité du Sénat a travaillé dès 2016, puis en 2019 et en 2021, pour aboutir à la création de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (Arpe). Vous en avez d’ailleurs parlé, mon cher collègue, en faisant un constat quelque peu sévère, que Mme la ministre pourra peut-être contester après moi.

Il ne s’est pas seulement agi des « 10 centimes d’euros » que vous avez évoqués, monsieur Savoldelli. Onze accords ont été conclus depuis 2022 et d’autres accords devraient être trouvés dans le cadre du cycle 2024 entre les représentants des plateformes et ceux des « salariés », ou en tout cas des auto-entrepreneurs.

M. Pascal Savoldelli. Ce ne sont pas des salariés !

Mme Frédérique Puissat. J’ai bien précisé que je mettais le terme entre guillemets.

Nous ne partageons donc pas la tonalité catastrophiste de votre exposé des motifs. En ce qui concerne la directive européenne, dont votre résolution demande la transposition, elle permettrait de franchir une étape importante en fixant une présomption légale de salariat. La charge de la preuve serait inversée par rapport au droit existant en France.

Aujourd’hui, notre groupe s’interroge sur l’opportunité d’une résolution ayant pour objet de transposer cette directive européenne « au plus vite, sans attendre le délai de deux années, et de la façon la plus ambitieuse ». En effet, cela revient à faire l’impasse sur le dialogue social qui est nécessaire pour définir, notamment, les critères caractérisant un contrat de salarié. Madame Ollivier, ce délai de deux ans nous permettra également de mesurer au mieux l’impact financier de la transposition.

Par conséquent, le groupe Les Républicains est défavorable à l’adoption de cette résolution. Nous vous donnons rendez-vous le 2 décembre 2026 pour la mise en œuvre de cette directive européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, madame la ministre, mon cher collègue Pascal Savoldelli, mes chers collègues, le 14 octobre dernier, le Conseil de l’Union européenne a approuvé la directive relative aux travailleurs des plateformes numériques.

Le compromis trouvé par les États membres, au terme de plusieurs années de négociations, marque une avancée réelle pour les droits des travailleurs qui y ont recours. La proposition de résolution déposée par le groupe CRCE-K, que nous examinons aujourd’hui, nous donne, pour la première fois, l’occasion de le reconnaître et de le saluer.

Alors que le nombre des travailleurs des plateformes ne cesse de croître dans l’Union européenne – ils seraient 43 millions cette année –, les Vingt-Sept se devaient d’harmoniser les règles en vigueur au sein des États membres. C’est chose faite, même si le travail de transposition ne fait que commencer dans l’ensemble des pays de l’Union.

La directive adoptée fixe ainsi pour la première fois des règles de gestion algorithmique, en garantissant davantage de transparence en matière de surveillance ou de protection des données personnelles et en interdisant les décisions automatiques.

Elle rééquilibre par ailleurs le pouvoir de négociation des travailleurs en instituant une obligation légale de présomption de salariat, inversant la charge de la preuve aujourd’hui en vigueur.

Elle devrait permettre un recul des abus et une plus grande sécurisation du statut d’emploi pour chaque travailleur, avec plus de droits sociaux, sans limiter pour autant les avantages et les possibilités que le travail sur plateforme peut offrir.

Au cours de ces négociations, la France a maintenu une position constante. Elle n’a eu de cesse de dire que, au-delà de cette directive, les avancées les plus significatives seraient obtenues par le dialogue social entre les plateformes et les représentants des travailleurs.

Nous le réaffirmons avec force, ce dialogue fonctionne. Il a permis d’obtenir des avancées concrètes ces dernières années. Je pense au revenu minimal par course, à l’évolution des modalités de rupture ou à la liberté de choix des courses.

J’en viens au texte qui nous réunit aujourd’hui.

Entendons-nous bien, si notre groupe se félicite de l’adoption de cette directive, nous ne pourrons malheureusement pas soutenir la proposition de résolution portée par nos collègues du groupe CRCE-K.

Principal objet de désaccord entre nous, vous proposez de transposer « sans attendre » et « de la façon la plus ambitieuse » la directive européenne sur les travailleurs des plateformes, faisant courir le risque d’une transposition hâtive, voire d’une surtransposition, une pratique dont nous sommes coutumiers en France.

Un dialogue a été amorcé par les États membres, afin de sécuriser l’interprétation à donner à ses dispositions. Au vu de la complexité de la directive, un travail précipité présenterait un risque en matière tant de sécurité juridique que de cohérence avec les orientations européennes. (M. Pascal Savoldelli proteste.)

Il ne laisserait en outre pas le temps de mener les concertations nécessaires avec l’ensemble des parties prenantes, notamment sur le sujet de la protection des données personnelles.

Le délai fixé pour transposer la directive dans le droit national est de deux ans. Ce n’est pas un hasard. Laissons donc au Gouvernement, comme au Parlement, le temps de travailler.

À ce titre, l’exemple espagnol que vous citez doit être considéré avec précaution. La loi Riders créant une présomption de salariat est en effet loin d’avoir atteint ses objectifs en raison de trop nombreux effets de bord. Il nous semble qu’un travail commun avec les États membres pour garantir des interprétations cohérentes du texte permettrait d’arriver à un résultat plus abouti.

Pour ce qui concerne la possibilité d’édicter dans la loi des critères de subordination et de créer une aide juridictionnelle au profit des travailleurs, ainsi que vous le proposez, je rappellerai deux choses.

En premier lieu, il est déjà possible pour un travailleur d’agir en justice pour demander au juge de requalifier son contrat commercial en contrat de travail. La justice a ainsi procédé à de nombreuses requalifications ces dernières années, lorsqu’elle a constaté un lien de subordination.

En second lieu, les travailleurs indépendants peuvent d’ores et déjà recourir à l’aide juridictionnelle de droit commun. Je ne vois pas pourquoi l’on devrait déroger au droit commun en la matière.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, tout en vous remerciant une nouvelle fois d’avoir soumis au débat ce sujet très important, je suis au regret de vous confirmer – vous l’aurez déjà compris – que le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants ne soutiendra pas cette proposition de résolution.

M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.

M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le combat contre le travail qui rend pauvre est au cœur de la matrice des socialistes et, plus généralement, de la gauche, en France, en Europe et dans le monde entier.

Alors que, depuis cent cinquante ans, le mouvement social n’a eu de cesse de s’organiser pour donner des droits à ceux qui n’en ont pas et des protections à ceux qui en sont dépourvus face au capitalisme vorace, voilà que le libéralisme profite d’une nouvelle révolution pour mettre à mal notre État social.

Oui, la plateformisation du travail, avec la boîte noire algorithmique qu’elle porte au cœur de sa matrice, est un cheval de Troie contre notre modèle social français et européen !

Oui, la bataille pour la requalification des livreurs à vélo et des chauffeurs de VTC est un combat sociétal, plutôt que sectoriel ; il est un énième arbre cachant la forêt de la précarité et de l’exploitation des plus fragiles.

Cette proposition de résolution s’inscrit dans la longue liste des initiatives, françaises et européennes, de gauche, visant à reconnaître, voire à conquérir, des droits sociaux pour les travailleurs qui en ont le plus besoin.

Madame la ministre, votre politique de protection des plateformes, plutôt que de leurs travailleurs, qui est menée depuis bientôt huit ans, doit cesser !

Alors que, depuis la crise sanitaire et les confinements, les habitants des grandes villes, ainsi que, de plus en plus, ceux des villes moyennes, utilisent à l’excès les plateformes de livraison de repas, la requalification de ces travailleurs, que l’on disait alors « de deuxième ligne », s’impose.

Madame la ministre, la directive européenne issue des efforts de Nicolas Schmit doit être appliquée dans sa version la mieux-disante. Les plateformes doivent être transparentes dans leur fonctionnement et leurs relations avec les travailleurs, en commençant par les algorithmes qu’elles utilisent.

Nous voterons bien sûr ce texte de nos collègues communistes, mais nous posons déjà les jalons de la suite du combat.

Madame la ministre, pourquoi continuez-vous d’entretenir l’Arpe ? Ce pseudo-dialogue social n’a aucun sens et ne peut être la solution ! Nous n’avons eu de cesse de le dire lors des débats sur les fameuses ordonnances Mettling, et les chauffeurs de VTC l’ont également exprimé par leur vote.

Madame la ministre, il est temps de lutter contre l’exploitation des plus précaires qui sévit aujourd’hui. Nous ne sommes plus au temps des étudiants qui faisaient des livraisons à vélo pour compléter leurs fins de mois. De sous-compte en faux contrat, ce sont des milliers de travailleurs sans papiers qui sont aujourd’hui esclaves de nos applications. Donnez donc à l’Urssaf et à l’inspection du travail les moyens de contrôler efficacement les plateformes, et régularisez les travailleurs !

Madame la ministre, alors que la France reste un phare pour les droits des travailleurs et des plus fragiles dans le monde, elle ne peut continuer à être l’Eldorado du capitalisme de plateforme, qui met à mal cent cinquante ans de progrès social. Il faut reprendre le flambeau de la conquête des droits sociaux et de la protection des plus précaires ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)