Les conclusions alarmantes que nous avons tirées de la mission d'information menée l'an dernier nous ont conduits à formuler onze recommandations, puis à déposer le présent texte, reprenant celles d'entre elles qui relèvent du domaine législatif.

Nous avons ensuite procédé à des auditions de suivi des interlocuteurs rencontrés au printemps dernier. Nous avons ainsi pu mettre à jour notre diagnostic et enrichir cette proposition de loi.

Mon corapporteur a été parfaitement clair, et je ne répéterai pas ses propos. Je souligne simplement que notre texte apporte une réponse au phénomène dont notre mission d'information a fait son constat majeur : le développement d'un climat d'antisémitisme dans les établissements considérés.

Cette forme nouvelle de l'expression antisémite passe notamment par des actes du quotidien comme les tags, les mises à l'écart ou la répétition de plaisanteries douteuses. Elle prend également une forme politique, via le thème ambigu de l'antisionisme.

Ce climat d'antisémitisme est très difficile à combattre. Non seulement l'on peine à le repérer, mais, s'il est possible de sanctionner des actes, il est bien plus ardu de combattre une atmosphère.

Face à une telle situation, le cadre législatif et réglementaire laisse les établissements relativement désarmés. Faute de dispositifs unifiés de sensibilisation, de signalement et de prévention, faute également d'un cadre disciplinaire adapté et d'une coopération avec les services judiciaires, la réponse apportée au phénomène se révèle très hétérogène.

Or, malgré le retour au calme que l'on peut observer dans la plupart des établissements, cette atmosphère tend à s'enraciner par le biais d'une certaine banalisation des discours antisémites, qui n'est d'ailleurs pas propre à l'université. (Mme la ministre acquiesce.)

La réponse que nous proposons d'apporter à ces formes nouvelles et diverses de l'expression antisémite est, elle aussi, multiple. Elle repose sur trois piliers : l'éducation, la prévention et la sanction.

Avant d'en venir au détail de ces mesures, j'apporterai quelques précisions quant au champ retenu.

Le présent texte portait initialement sur la lutte contre l'antisémitisme, associé au racisme. Nous l'avons étendu en commission à la lutte contre les discriminations, les violences et la haine. Nous avons retenu cette rédaction au terme d'une réflexion approfondie sur la manière dont le combat contre l'antisémitisme doit s'articuler aux luttes déjà menées contre d'autres formes de violence et de haine.

Nous ne prétendons pas, en effet, remettre en cause ou concurrencer les actions déployées par les établissements, qui concernent souvent le racisme ou les violences sexistes et sexuelles (VSS). Au reste, les dispositions de notre proposition de loi s'inscrivent dans un cadre législatif traitant de la lutte contre les discriminations dans leur ensemble, cadre que nous n'entendons évidemment pas supprimer.

C'est pourquoi, pour tous les articles du présent texte, nous avons retenu une rédaction d'équilibre reconnaissant, dans le combat contre le racisme, les discriminations, les violences et la haine, une place particulière à la lutte contre l'antisémitisme.

L'article 1er crée ainsi une formation obligatoire à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans les établissements du service public d'enseignement, et ce de l'école au supérieur. Ce faisant, l'on disposera d'une chaîne de formation tout au long du parcours éducatif.

Bien entendu, nous n'ignorons pas que les maquettes de formation consacrent déjà divers enseignements à ces thématiques. En inscrivant une telle obligation dans la loi, nous souhaitons assurer leur pérennité.

Monsieur le ministre, j'appelle votre attention sur deux éléments, à nos yeux particulièrement importants, du contenu de ces enseignements : premièrement, la nécessité de s'appuyer sur la définition opérationnelle de l'antisémitisme fixée par l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA) ; et, deuxièmement, l'utilité de faire intervenir des acteurs associatifs spécialisés. Le Sénat s'est d'ailleurs déjà prononcé en ce sens.

Parce que l'éducation et la sensibilisation constituent le premier vecteur du combat contre la haine, la commission a étendu cette obligation de formation aux établissements privés du supérieur. Elle a également institué une obligation de formation pour les acteurs universitaires se trouvant en première ligne de cette lutte, parmi lesquels les élus étudiants, les référents « antisémitisme et racisme » et les membres des sections disciplinaires.

L'article 2 porte sur les dispositifs de lutte et de signalement des établissements. En l'état actuel, la loi n'impose que la création d'une mission « égalité entre les hommes et les femmes ». En pratique, de nombreux établissements se sont dotés de missions « égalité et diversité », dont le périmètre d'action est plus large. En parallèle, ils ont désigné des référents compétents pour la prévention et le traitement des actes antisémites et racistes, ainsi que des VSS.

De l'absence d'obligations unifiées résultent toutefois de grandes disparités entre établissements. Rien ne permet aujourd'hui de garantir que les étudiants juifs en difficulté trouvent un interlocuteur auquel s'adresser. (Mme la ministre le confirme.)

Nous souhaitons donc généraliser les missions « égalité et diversité », en étendant leur champ d'intervention à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les violences, les discriminations et la haine. En outre, nous proposons la désignation systématique, en leur sein, d'un référent dédié à la lutte contre l'antisémitisme et le racisme. Les missions « égalité et diversité » auront également l'obligation de déployer un dispositif de signalement garantissant l'anonymat des victimes et des témoins.

Enfin, l'article 3 adapte la procédure disciplinaire à la poursuite des actes de haine, de discrimination et de violence.

Telle qu'elle est définie par le code de l'éducation, ladite procédure est aujourd'hui centrée sur la fraude académique, à laquelle s'ajoute « tout fait de nature à porter atteinte à l'ordre, au bon fonctionnement ou à la réputation de l'université ». Cette formulation est appréciée de manière diverse par les établissements : dès lors, on ne peut garantir que tous les faits d'antisémitisme fassent l'objet de poursuites.

Nous souhaitons donc ajouter les actes d'antisémitisme et de racisme, ainsi que les faits de violence, de discrimination et d'incitation à la haine, aux motifs permettant d'engager une procédure disciplinaire.

La commission a également adopté le principe de l'information des victimes de tels actes.

De plus, nous examinerons dans quelques instants deux amendements dont l'adoption enrichirait considérablement cet article, notamment par la création d'une nouvelle voie disciplinaire.

Bien évidemment, ces différents dispositifs ne produiront leurs effets que si les responsables d'établissements s'en emparent, en s'attachant à les rendre visibles et en leur donnant les moyens de fonctionner. À ce titre, les recommandations que nous avons formulées en juin dernier restent toutes d'actualité. Monsieur le ministre, nous comptons sur votre appui pour favoriser leur application.

Mes chers collègues, cette proposition de loi résulte du travail considérable et de l'engagement sans faille de notre commission, sur un sujet qui ne devrait plus faire débat en 2025.

Avec le présent texte, fruit de ce travail, je souhaite que nous replacions les principes républicains au cœur du fonctionnement des établissements d'enseignement supérieur. Ces derniers doivent redevenir le lieu du débat, de l'ouverture humaniste et du dépassement des préjugés. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. « Des jeunes gens antisémites, ça existe donc, cela ? Il y a donc des cerveaux neufs, des âmes neuves, que cet imbécile poison a déjà déséquilibrés ? Quelle tristesse, quelle inquiétude, pour le XXe siècle qui va s'ouvrir ! » Ainsi s'exprimait Émile Zola dans sa Lettre à la jeunesse, écrite en 1897.

Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, l'auteur de l'immortel « J'accuse… ! » constatait alors avec amertume que le XXe siècle ne serait pas affranchi de l'antisémitisme, y compris dans les universités.

Malheureusement, l'antisémitisme n'a pas disparu depuis. En 2025, certains étudiants français peuvent craindre de se rendre en cours. Ils peuvent hésiter à aller à l'université, parce qu'ils sont juifs.

Tout acte antisémite est insupportable et doit être condamné. Il est d'autant plus odieux quand il survient à l'université, dont il fracasse toutes les promesses, toutes les valeurs et toutes les assises : le respect de chacun, l'éthique du débat, le refus de l'exclusion et les libertés académiques.

L'université doit rester le lieu du débat, y compris sur les sujets difficiles, par exemple – je ne cite évidemment pas ce sujet au hasard – la situation à Gaza. Mais l'université ne peut tolérer ni l'invective, ni l'essentialisation, ni l'assignation identitaire.

Depuis ma nomination comme ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la jeunesse, j'ai été alerté à ce sujet à de très nombreuses reprises.

Bien sûr, l'université est le lieu d'une lutte informationnelle. Au milieu du tapage ambiant, je souhaite redire mon opposition à toute instrumentalisation de l'université à des fins purement politiques.

Pour ce qui est des actes antisémites, la situation de l'université est malheureusement claire. Au moins cinquante actes proprement antisémites ont été relevés. Il s'agit principalement de tags, mais il s'agit aussi d'insultes et parfois de violences physiques. C'est évidemment trop – beaucoup trop.

Les données dont nous disposons viennent confirmer celles du ministère de l'intérieur, mais je n'ignore pas le problème du sous-signalement. La prévention et l'accompagnement doivent faire l'objet d'un travail dédié, afin que tout acte antisémite soit identifié, signalé et sanctionné.

Dès mon arrivée au ministère, j'ai donc reçu les présidents d'université pour leur faire part de ma détermination à agir contre ce fléau. Je leur ai rappelé ma ligne. Elle est claire : c'est la tolérance zéro face à l'antisémitisme, en dehors de toute polémique.

Dans le même temps, j'ai pris soin d'écouter ces responsables, et leurs retours sont unanimes. Tous constatent l'atmosphère pesante que subissent les étudiants juifs. Ils souhaitent être mieux accompagnés dans le traitement des situations auxquelles ils font face ; ils souhaitent savoir ce qui se passe lorsqu'ils font un signalement et lorsqu'ils portent plainte ; ils souhaitent, enfin, que l'on réfléchisse au dispositif disciplinaire en vigueur dans les universités.

En parallèle, j'ai longuement reçu les représentants de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF). Ils ont évoqué devant moi un « antisémitisme d'atmosphère » pour décrire l'ambiance de certains établissements. J'ai pu mesurer leur attente de réponses claires.

Face à cette situation, j'ai voulu agir vite.

J'ai saisi M. le garde des sceaux, afin que les signalements transmis par les universités au titre de l'article 40 du code de procédure pénale soient mieux pris en compte : une circulaire de politique pénale transmise aux parquets à la fin du mois de janvier dernier traduit cette préoccupation.

Nous travaillons à l'amélioration de la coordination entre universités et services de l'État à l'échelle locale : j'ai saisi le ministre de l'intérieur en ce sens.

En outre, je sais que les présidents d'université, recteurs et directeurs de composantes sont engagés pour agir plus efficacement, car ils sont en première ligne. Pour ma part, je leur ai demandé instamment de jouer tout leur rôle.

Naturellement, la solution passera aussi par la recherche et la formation, cœur d'activité des universités. Dans cet esprit, nous lancerons un programme de recherche spécifique sur l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur.

J'ai aussi l'ambition d'instituer, avec la contribution de toutes les communautés académiques, une formation systématique sur ce sujet.

Enfin, j'ai confirmé la mission confiée par mon prédécesseur au recteur Khaled Bouabdallah et à Pierre-Arnaud Cresson, spécialiste des questions de contrôle interne et de gouvernance, afin d'explorer le sujet disciplinaire.

Tous ces efforts sont nécessaires, mais ils ne seront pas suffisants.

Monsieur le sénateur Bernard Fialaire, monsieur le sénateur Pierre-Antoine Levi, merci du travail que vous avez mené.

Vous avez tout d'abord pris soin d'objectiver la situation, au travers du rapport présenté en juin dernier. C'est un document important, et j'ai pris toute la mesure de ses conclusions. Vous appelez en particulier à améliorer la détection des actes antisémites, à prévenir les dérives, à poursuivre et sanctionner les auteurs des actes incriminés : sur chacun de ces points, vous pouvez compter sur mon ministère pour agir.

Vous avez ensuite rédigé le présent texte, dont je soutiens résolument l'ambition. Il reflète les préoccupations des nombreuses parties prenantes que vous avez pris le temps d'auditionner.

Cette proposition de loi porte ainsi la voix des présidents d'université. Les dispositions de plusieurs amendements vont également dans ce sens : je pense notamment à l'amendement n° 1 rectifié du sénateur Stéphane Piednoir, lequel vise à donner aux sections disciplinaires les moyens de remplir sereinement et efficacement leur mission.

Je serai particulièrement attentif à ce que les dispositions proposées entraînent un véritable changement sur le terrain, et j'espère que le Sénat soutiendra l'ensemble de ces mesures. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. « Dire que je suis juif est devenu un risque. Ma judaïté est prétexte à des moqueries permanentes. Je suis devenu une cible. »

« En l'espace de deux jours, j'ai reçu une centaine de messages d'insultes, de menaces. »

« C'est très fort de se faire traiter de génocidaire quand on vient de fêter ses vingt ans. »

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, ces mots insupportables, nous les avons entendus lors des assises de lutte contre l'antisémitisme, que j'ai relancées la semaine dernière en présence d'Élisabeth Borne – vous y avez d'ailleurs pris part, monsieur le rapporteur.

Des lycéens et des étudiants ont décrit le climat pesant qui, malgré l'engagement des professionnels de l'éducation nationale, malgré les efforts de la communauté universitaire, s'installe dans nos établissements scolaires comme dans l'enseignement supérieur. Une minorité d'agitateurs de haine parvient à y rendre l'atmosphère irrespirable.

Ils nous ont raconté comment, dans leurs lycées, sur leurs campus, des insultes deviennent des habitudes, des blagues deviennent des agressions, des remarques du harcèlement et des silences des complicités.

Depuis les attaques terroristes du 7 octobre 2023 en Israël, au cours desquelles quarante-deux de nos compatriotes ont perdu la vie, assassinés parce qu'ils étaient juifs, nous avons eu à affronter un regain massif d'actes antisémites.

Bien plus qu'une convulsion, nous sommes menacés par un « réenracinement ». Car l'histoire de l'antisémitisme est d'abord celle d'une obsession qui traverse le temps, les régimes et les frontières. L'antisémitisme épouse les angoisses propres à chaque époque, les fractures spécifiques à chaque société, et c'est ainsi qu'il se perpétue. Il mue, mute et se renouvelle.

Aujourd'hui, on nous dit qu'il serait possible de haïr Israël sans haïr les juifs. Mais que voit-on en réalité ? On constate une obsession maladive contre l'existence même d'un État, à mille lieues de la critique légitime de la politique d'un gouvernement. Y a-t-il un autre pays dans le monde, un seul, qui fasse l'objet d'une pareille obsession ? Non, il s'agit seulement et toujours d'Israël.

L'antisionisme et la haine décomplexée d'Israël sont devenus les masques modernes de la haine anti-juive. S'ils s'expriment aujourd'hui encore, alors même que nous assistons à l'écœurante propagande du Hamas sur le rapatriement des corps des deux plus jeunes otages au monde, avec la dépouille de leur mère. Jamais nous ne pardonnerons à ceux qui ont justifié, qui ont excusé, qui ont osé parler de résistance ou qui ont préféré arracher les affiches sur lesquelles se trouvaient ces visages innocents.

Dans ce contexte, nos universités n'ont pas été épargnées par cette vague de haine. Nous faisons face à une difficulté majeure : il n'existe pas encore de système efficace de remontée des signalements, rendant impossible un recensement précis et fiable des actes antisémites.

Je sais que vous avez fait, messieurs les rapporteurs, de l'identification des actes antisémites une priorité : vous avez raison. Nous le savons, les chiffres existants ne sont qu'une fraction de la réalité de ce que vivent les étudiants.

Au-delà des chiffres, au-delà des actes, il y a aussi un antisémitisme plus insidieux, impossible à quantifier, alimenté par l'extrême gauche et l'islam radical, un antisémitisme d'atmosphère.

Celui qui pousse des étudiants juifs à cacher leur identité et leur culture, à retirer leur étoile de David, à éviter certains sujets de conversation de peur d'être immédiatement suspectés.

Celui qui crée un climat où l'on comprend, sans qu'on ait besoin de le dire, qu'il vaut mieux se taire, qu'il vaut mieux disparaître.

Face à l'antisémitisme, il n'y a pas de « oui, mais ». Il n'y a ni compromis acceptable ni ambiguïté possible. Antijudaïsme, antisémitisme, antisionisme : face à toutes les formes de haine anti-juive, il n'y a pas d'indifférence possible. La réponse de la République est un refus en bloc, total et absolu.

C'est tout le sens de l'engagement du Président de la République, du Premier ministre et de l'ensemble du Gouvernement. C'est tout le sens des Assises de lutte contre l'antisémitisme que nous avons relancées. C'est tout le sens du mandat que j'ai confié aux deux groupes de travail.

Le premier, composé de magistrats, d'avocats et d'universitaires, se penchera sur la question de la définition de l'antisémitisme dans ses formes contemporaines et sera chargé de proposer des évolutions de notre arsenal juridique et législatif pour garantir une sanction plus efficace : à chaque acte, l'État doit répondre ; à chaque insulte, à chaque attaque, l'État doit sanctionner.

Le second, consacré à l'éducation et composé d'enseignants, de recteurs et présidents d'universités et de la direction générale de l'enseignement scolaire, aura pour mission d'identifier les leviers pédagogiques et les actions de responsabilisation indispensables pour éduquer nos enfants, adolescents et jeunes adultes, sensibiliser leurs parents et enseignants, à l'école comme dans l'enseignement supérieur.

Ils auront deux mois pour formuler des propositions opérationnelles. La présente proposition de loi pourrait nous offrir le support adéquat pour les y insérer au cours de la navette. C'est pourquoi le Gouvernement y est évidemment très favorable.

Je connais l'engagement sincère et de longue date contre toutes les formes de haine anti-juive des deux corapporteurs, qui ont aussi été à l'origine d'un rapport remarquable sur la diffusion de l'antisémitisme à l'université depuis les attaques du 7 octobre 2023. Je les en remercie.

Cette proposition de loi et les amendements adoptés en commission visent à apporter des réponses claires et concrètes en matière de formation et de sensibilisation, de prévention et de signalement, de procédure disciplinaire et de sanction.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes à un moment de vérité pour nos universités, mais surtout pour notre démocratie. Nous ne pouvons pas fermer les yeux, laisser prospérer la haine et trahir nos principes fondamentaux. Au contraire, nous devons dire avec force que la République ne cédera pas. Cette proposition de loi marque une nouvelle étape dans notre combat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu'au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'antisémitisme n'est pas un racisme comme les autres, il sévit depuis plus de deux mille ans.

Pour le combattre, il faut tenter d'expliquer cette pérennité funeste qui lie dans le temps des événements comme la destruction du temple juif d'Éléphantine en Égypte en 410 avant notre ère, l'anathème lancé par l'apologiste chrétien Justin de Naplouse au IIe siècle contre le « peuple déicide », l'antisémitisme racial d'Édouard Drumont et de Maurice Barrès, et le crime absolu de la Shoah.

Dans son ouvrage, David Nirenberg montre qu'il est un « pilier de la pensée occidentale », parce qu'il a donné de tout temps « un cadre théorique puissant permettant de donner un sens au monde ».

Combattre l'antisémitisme exige de considérer avec lucidité et honnêteté l'histoire de notre pays et de ses supposées racines judéo-chrétiennes. Louis IX, canonisé sous le nom de Saint Louis de France, et dont la statue orne notre hémicycle, organisa en 1240 une controverse publique au sujet du Talmud. Deux ans plus tard, le Talmud fut déclaré « livre infâme » et un autodafé de vingt-quatre charrois de Talmuds fut organisé place de Grève. En 1269, le même roi imposa à tous les hommes juifs de son royaume de porter une rouelle jaune sur leurs vêtements.

Napoléon Bonaparte, dont le buste décore notre hémicycle, prit trois décrets pour soumettre le culte juif à sa loi. Il précisait ainsi son intention : « je souhaite arracher plusieurs départements à l'opprobre de se trouver vassaux des Juifs », ma volonté est « d'atténuer, sinon de guérir la tendance du peuple juif à un si grand nombre de pratiques contraire à la civilisation et au bon ordre de la société dans tous les pays du monde ».

L'antisémitisme n'est pas un racisme comme les autres, parce que, comme le démontre François Rachline, « le racisme est un rejet de l'autre, l'antisémitisme le refus d'une éthique ». Ses résurgences sont les symptômes d'une crise profonde qui ébranlent nos conceptions humanistes et universalistes et affaiblissent le projet républicain.

L'idéal d'une République formée de citoyennes et de citoyens égaux par leurs droits est déconsidéré par des revendications qui réduisent l'individu à ses origines supposées, revendiquées ou subies.

La lutte contre les discriminations est conduite non plus au nom de l'égalité, mais par l'affirmation victimaire des identités particulières. Ainsi que le souligne François Rachline, « sous prétexte de révolutionner les relations au sein d'un pays, cette posture idéologique aboutit à une sorte de vitrification de la société ».

Comme par le passé, l'université est traversée par ces conflits idéologiques. Ils sont aujourd'hui exacerbés par les drames internationaux, en l'occurrence par le pogrom du 7 octobre et la guerre de Gaza.

L'université aurait dû être le lieu de la confrontation rationnelle et apaisée des opinions ; elle a été le théâtre d'anathèmes violents, d'exclusions politiques et d'ostracismes idéologiques dont les étudiants juifs ont été les premières victimes.

L'augmentation avérée et sans précédent des expressions antisémites sur les campus est accablante, douloureuse et irrémissible. J'ai honte d'avoir appris que neuf étudiants juifs sur dix se sentent menacés par un antisémitisme manifeste ou latent, qui tend à les exclure de l'université.

Certes, cette proposition de loi ne changera pas les mentalités. Au-delà de ses ajouts législatifs utiles, elle vise à réaffirmer notre soutien à tous les étudiants juifs qui se sentent menacés. Chers frères et sœurs en humanité, la République ne vous oublie pas ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mathilde Ollivier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis quelques années, notre pays fait face à une montée des paroles et des actes racistes et antisémites. C'est un climat de haine et de rejet qui affecte directement notre vivre ensemble.

Entre octobre 2023 et mars 2024, France Universités a recensé soixante-sept actes antisémites, soit deux fois plus que durant l'année universitaire 2022-2023.

Par ailleurs, les échanges avec les étudiants juifs montrent que la libération de la parole est difficile sur le sujet.

Manifestations d'hostilité matérielles, tags, messages insultants sur des conversations en ligne, exclusions de groupes de sociabilité : le climat d'antisémitisme se présente sous diverses formes, qui s'avèrent particulièrement complexes à quantifier.

Face à ces actes et au sentiment d'impuissance, face à des recours disciplinaires longs et laborieux, de nombreux étudiants juifs renoncent à dénoncer ces comportements ou à étudier dans certaines universités.

L'enseignement supérieur n'est pas extérieur à la société. De fait, les universités ne sont pas épargnées par cette résurgence des violences racistes et antisémites, qui doit nous alerter toutes et tous. L'université, lieu d'apprentissage et d'ouverture, ne saurait devenir un espace de peur et d'exclusion.

Dans le contexte tendu des attaques du Hamas du 7 octobre 2023, des otages israéliens encore retenus par ce groupe terroriste, des crimes contre l'humanité commis à Gaza, prenons garde à ne pas tomber dans les amalgames.

Les mots ont un sens et, comme le disait Camus, « Mal nommer les choses, c'est ajouter aux malheurs du monde. Ne pas les nommer, c'est nier notre humanité. »

Les juifs de France ne doivent pas être assimilés à la guerre et aux crimes du gouvernement israélien. Relativiser les crimes commis envers des juifs et des Israéliens, c'est ne pas reconnaître aux juifs le statut de victimes.

Se battre pour un État palestinien, en reconnaissant le droit à la sécurité et à la souveraineté d'Israël dans le cadre des résolutions adoptées par l'ONU, ce n'est pas être antisémite. Lutter contre ces amalgames, c'est lutter contre la montée de l'antisémitisme et du racisme.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutient l'ensemble des dispositions de cette proposition de loi qui visent à renforcer les outils de prévention, de détection et de sanction des actes antisémites et racistes dans l'enseignement supérieur.

Nous nous satisfaisons de la suppression, en commission, de la mesure visant à conférer aux présidentes et présidents d'université un droit d'accès aux messageries privées, lequel doit demeurer une prérogative de l'enquête judiciaire.

Toutefois, nous restons attentifs à ce que le texte combatte bien l'ensemble des formes d'antisémitisme, de racisme et de discrimination, qui doivent être abordées non pas de manière séparée, mais de façon conjointe pour pouvoir les affronter efficacement. Dans un objectif de clarté, de transparence et de cohérence avec le contenu du dispositif, nous souhaitons modifier l'intitulé de la proposition en y ajoutant la référence au racisme, qui est bien présente dans le reste du texte.

Nous pensons également que la présente proposition de loi ne couvre pas suffisamment la problématique de l'accès aux droits des étudiantes et des étudiants. En ce sens, nous défendrons un amendement tendant à prévoir que les établissements assurent aux étudiants, aux enseignants et aux membres du personnel une information sur l'existence des dispositifs de lutte contre l'antisémitisme, consolidés par la présente proposition de loi.

Enfin, je remercie les rapporteurs de leur travail et de leur écoute sur ce texte. Les auditions ont été nombreuses et les débats sereins. Continuons sur cette lancée dans l'hémicycle en n'obstruant pas ce débat par des sous-entendus ou des discours hostiles envers le monde universitaire, ses directions et son personnel, voire directement à l'encontre des étudiants engagés sur les campus. Je ne reviendrai pas ici sur le triste spectacle que notre commission a offert au cours de l'audition des responsables d'universités dans le cadre des travaux de la mission d'information.

Le Sénat doit rappeler son attachement à la liberté académique des universités et à l'article L. 811-1 du code de l'éducation, aux termes duquel les étudiantes et étudiants « disposent de la liberté d'information et d'expression à l'égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels ».

Vous l'aurez compris, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que nous avons jusqu'à seize heures cinq pour terminer l'examen de ce texte.

Si nous voulons tenir nos objectifs et adopter cette proposition de loi, je vous invite dès à présent à faire preuve de concision.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. David Ros. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. David Ros. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a une semaine, jour pour jour, le 13 février dernier, j'assistais à Sainte-Geneviève-des-Bois, aux côtés de son maire, Frédéric Petitta, de Mme la préfète, de députés et d'élus locaux de l'Essonne, au triste dix-neuvième anniversaire de la mort d'Ilan Halimi. Voilà dix-neuf ans, le « gang des barbares », comme il se dénommait lui-même, torturait et tuait Ilan, uniquement parce qu'il était juif.

Dix-neuf ans, cela peut paraître loin de nous ; pourtant, dix-neuf ans après ces événements tragiques, on constate, hélas ! que l'antisémitisme ne reste jamais très loin de nous.

Les attentats terroristes du Hamas du 7 octobre 2023 ont ainsi démontré à quel point l'antisémitisme reste tapi dans l'ombre. Il resurgit mécaniquement, nourri des ressorts de la haine, de la jalousie, de la bêtise humaine et de l'ignorance.

Plus grave encore, il est alimenté par certains, qui occupent pourtant des fonctions publiques de premier plan, uniquement à des fins partisanes et électoralistes. C'est une plaie insupportable et un risque majeur pour notre République. Comme le notait à juste titre Frantz Fanon : « quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l'oreille, on parle de vous ».

Au cours de la cérémonie de commémoration de Sainte-Geneviève-des-Bois, les lauréats du jury Halimi, présents aux côtés de la présidente Émilie Frèche, démontrèrent tout l'intérêt et la force du travail collectif mené sur la question de l'antisémitisme au travers du prisme de l'histoire de ce drame mortel ou encore de la Shoah.

Que ces élèves soient en classe de troisième, de terminale en lycée technologique ou encore issus du milieu universitaire, leur travail, leur réflexion, quelle que soit leur histoire, leur statut social, leur religion, leur ont permis collectivement, au travers de leurs échanges, de dépasser leurs préjugés et les vérités imposées, notamment sur les réseaux sociaux.

Une élève de la classe de troisième, lauréate, concluait par la phrase suivante : « Si nos idées, nos religions peuvent nous éloigner les uns des autres, le savoir doit nous réunir ! »

S'il y un endroit, monsieur le ministre, vous le savez bien, qui incarne la transmission des connaissances, la réflexion et le savoir, c'est bien le monde de l'enseignement supérieur, en particulier les universités. Il a donc été particulièrement choquant de constater l'explosion des actes d'antisémitisme au sein de l'enseignement supérieur ces derniers mois.

Le hasard du calendrier permet aujourd'hui l'examen de cette proposition de loi, une semaine après la tenue des Assises de lutte contre l'antisémitisme, que vous avez relancées, madame la ministre, en présence d'Élisabeth Borne. L'inscription de cette proposition de loi à notre ordre du jour arrive donc fort à propos.