M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est des moments dans l’Histoire qui sidèrent le monde, des moments où chacun se souvient où il était et ce qu’il faisait.

Le vendredi 28 février 2025 est indubitablement un de ces moments où l’Histoire s’écrit au présent. Le 28 février dernier, chacun a pu constater l’effondrement, en germe depuis des années, de l’ordre international issu de la guerre froide, du multilatéralisme et du droit international. Le 28 février, chacun a pu juger du glissement de la plus vieille démocratie du monde vers l’autoritarisme et le fascisme.

Certains refusaient de le voir : ils sont tombés de leur chaise ! D’autres, dont nous faisons partie, l’annonçaient : ils ont tout de même reçu de plein fouet la violence de cette scène, tel un coup de poing dans l’estomac. Le 28 février, chacun a pleuré les valeurs de la démocratie et de la liberté, abandonnées par l’un des pays qui les avaient érigées en principe d’existence.

Permettez-moi de vous faire remarquer que les fascistes au pouvoir appliquent des politiques fascistes. La leçon vaut pour notre pays : lorsque l’on banalise les partis et les idées fascistes, lorsqu’on brocarde le droit et qu’on piétine la fraternité, on prépare l’effondrement d’une autre démocratie historique.

Les États-Unis d’Amérique seront-ils encore une démocratie en 2028 ? Quelle que soit la réponse, cela change désormais peu de choses pour l’Europe. Au mieux, Washington n’est plus notre allié ; au pire, l’Amérique nous sera hostile. Le vertige saisit en prononçant ces mots.

Cela étant, si l’humiliation du héros Volodymyr Zelensky, orchestrée par les médiocres ventriloques de Poutine, peut servir d’électrochoc à l’Union européenne, nous n’aurons pas tout perdu. L’extraordinaire dignité du président ukrainien, comme son extraordinaire courage, ainsi que celui de son peuple depuis le premier jour de l’agression russe, doit être notre boussole collective, notre boussole pour bâtir, enfin, au pied du mur – comme à notre désolante habitude –, l’Europe puissance, l’Europe à même d’assurer sa sécurité collective.

Il faut une Europe de la défense, pour la défense de ses valeurs et de ses intérêts.

Ne nous y trompons pas : ce qui est attaqué par la Russie et, désormais, par les États-Unis, c’est le principe même de l’Union européenne, à savoir une coopération entre États reposant sur le droit, la démocratie et la liberté. Ce qui est attaqué, c’est le potentiel politique et économique de l’Union.

Pour résister à la vague des impérialismes américain, chinois et russe, nous n’avons d’autre choix que d’opérer un indispensable saut fédéral. Unie, l’Europe est en mesure de peser dans le nouveau désordre mondial et peut tenter de préserver ce qui peut encore l’être du droit international. Désunie, elle est condamnée à l’impuissance, voire à la dislocation, si aucune digue ne vient s’opposer aux ambitions russes.

À tous nos compatriotes, je veux dire que nous entendons leur inquiétude face à un engrenage militaire qui semble implacable. Nous, écologistes, représentants d’une famille politique portant le pacifisme au cœur de son histoire et de son projet, affirmons que, malheureusement, aucune paix ne sera possible dans un monde régi par les rapports de force entre empires. Il nous faut consentir à ces rapports de force pour préserver notre sécurité, nos valeurs et nos idéaux. Nous avons construit l’Europe pour éviter la guerre, mais il nous faut désormais préparer l’Europe face à la guerre.

La position française, qui consiste à renforcer l’autonomie stratégique du continent, et la position historique des écologistes de bâtir une Europe de la défense trouvent aujourd’hui un nouvel écho.

Nous appelons néanmoins l’exécutif français à se garder de tout triomphalisme et à remiser notre penchant national pour la vanité, cette même vanité qui nous a conduits à croire que nous pourrions raisonner Poutine et Trump. La période commande la modestie.

Nous souscrivons à la nécessité de renforcer nos arsenaux, à l’idée d’exclure les dépenses militaires des critères de Maastricht, comme à la volonté d’un emprunt commun. Mais nous insistons sur la nécessité de communautariser davantage nos dépenses militaires, notamment nos achats, pour réaliser des économies d’échelle.

En ce sens, la première mouture présentée par la Commission européenne, qui prévoit que plus de 80 % des efforts seraient réalisés par les États, ne nous satisfait pas. Nous devons évaluer nos besoins pour les satisfaire au mieux plutôt que raisonner avec le seul et imparfait ratio budget de la défense/PIB.

Alors que l’effort national en faveur de la défense représente déjà près de 15 % du budget général et est appelé à croître, nous demandons que « l’économie de guerre » brandie par le Président de la République se concrétise sous la forme d’un patriotisme fiscal bien plus exigeant envers les plus fortunés.

Il ne sera pas supportable d’augmenter nos dépenses militaires à budget constant. Sacrifier nos services publics sur l’autel de notre défense conduirait la France au même destin électoral que les États-Unis. Développer notre arsenal militaire pour le laisser entre les mains de dirigeants fascistes est un écueil que nous devons impérativement éviter.

Ce qui vaut pour la France vaut naturellement pour toute l’Union européenne : celle-ci doit préserver et amplifier ses politiques sociales.

Nous entendons l’appel à élargir le parapluie nucléaire français au reste du continent : le débat sur cette question porte sur une composante importante de notre future architecture de défense commune. Comme le Président de la République et ses prédécesseurs, nous considérons que les intérêts vitaux de la France sont nécessairement des intérêts européens.

Toutefois, nous alertons sur la nécessité de conserver le cadre du traité de non-prolifération et de ne pas nous livrer à une course aux ogives qui serait aussi dispendieuse que dangereuse. Les futures négociations de paix avec la Russie devront réenclencher le processus de désescalade des arsenaux nucléaires.

L’autonomie stratégique européenne n’est pas qu’une question militaire. Elle ne peut être atteinte qu’en diminuant drastiquement notre dépendance aux énergies fossiles et aux engrais azotés russes, à commencer par le gaz naturel liquéfié (GNL) – dont nous sommes le premier importateur européen et sur lequel le Sénat recommande un embargo – et l’uranium enrichi par la Russie.

À ce propos, monsieur le Premier ministre, est-ce bien le moment d’encourir un incident diplomatique avec l’Algérie alors que nous cherchons à nous passer du gaz russe, qui fait couler le sang ukrainien, et du gaz azéri, qui fait couler le sang arménien ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Gilbert-Luc Devinaz et Adel Ziane applaudissent également.)

L’économie de guerre est indissociable d’une écologie de paix. Il est donc impératif de préserver le Pacte vert et de sortir les investissements écologiques des critères de Maastricht.

En outre, il nous faut poursuivre nos efforts pour mettre à bas les vecteurs de désinformation, de propagande fasciste et d’influence russe, au premier rang desquels le réseau social X.

Le défi de l’autonomie européenne est colossal, mais nous avons les moyens de nos ambitions. Pour l’heure, notre urgence est la défense de l’Ukraine. À son peuple combattant, à son peuple sous les bombes, à son peuple en exil, nous réitérons l’expression de notre plein soutien et de notre entière admiration : les Ukrainiens défendent non seulement leur liberté, mais aussi la nôtre.

Nous appelons à renforcer notre soutien militaire et financier pour compenser le désengagement américain et à le poursuivre aussi longtemps qu’il le faudra. Pour ce faire, nous suggérons de mobiliser les avoirs des oligarques russes gelés par l’Union européenne. Ne nous leurrons pas sur le triomphalisme de Poutine : la position russe n’est pas confortable et nous devons continuer de l’affaiblir, au niveau international comme national. C’est une condition sine qua non de la construction d’une paix durable.

En tout état de cause, nous exigeons qu’aucun accord de cessez-le-feu – et, a fortiori, de paix – ne soit conclu sans l’accord des représentants du peuple ukrainien et la participation de l’Union européenne.

M. le président. Il faut conclure !

M. Guillaume Gontard. Un accord de cessez-le-feu devra inclure la libération de tous les prisonniers de guerre et civils ukrainiens détenus dans les prisons russes et exiger le retour des enfants ukrainiens déportés.

Si l’Europe s’érige pour résister aux impérialismes, c’est pour faire prévaloir le droit et la paix, et pour être un point de repère et un appui pour l’ensemble du monde libre. La tâche est considérable, mais nous n’avons pas d’autre choix que de nous montrer à la hauteur ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Patrick Kanner et Pierre-Alain Roiron applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà trois ans que l’Ukraine se bat courageusement ; trois ans de luttes dans un enfer de tranchées, d’explosions d’obus et de grésillement de drones ; trois ans et un million de victimes, civiles ou militaires.

Cette guerre est pour l’Europe un retour à une dure réalité. Pendant soixante-dix ans, l’Europe et la France se sont complu dans un rêve légitime : le droit international et la protection américaine garantiraient pour toujours la paix sur le continent. L’agression russe contre l’Ukraine a brutalement déchiré ce voile de certitudes.

Trois ans plus tard, des négociations de paix semblent se dessiner, apportant leur lot non pas de soulagements, mais bien de nouvelles inquiétudes. L’est de l’Europe, trop de fois martyr, aiguise de nouveau l’appétit de la puissance impérialiste russe. Seule – ou presque –, la Pologne, chère à mon cœur, fortifie sa frontière orientale et craint légitimement l’avenir.

Aujourd’hui, les Européens regardent se décider ailleurs l’issue d’un conflit se déroulant sur leur sol. Prenant acte de la faiblesse consentie des diplomaties européennes, Trump négocie une paix au prix du racket d’une Ukraine dévastée et traumatisée, à laquelle nous réaffirmons notre soutien.

Une telle résolution du conflit apparaît particulièrement inquiétante pour la paix et la sécurité en Europe dans les années à venir. Elle entérine le droit du plus fort, la violation du droit international et le retour d’une diplomatie fondée sur la force brute et la domination des plus violents.

Trois ans plus tard, nous devons également faire le bilan de l’action du Président de la République.

Lorsqu’il va à Moscou en 2022 pour se concilier Poutine – où il se fait imposer une scénographie humiliante –, le Président de la République croit éviter la guerre. Résultat : les troupes russes attaquent l’Ukraine quelques jours plus tard.

Il se rend alors à Kiev, où il assure Zelensky du soutien de la France et de son arsenal. Résultat : le verbe « macroner » est ajouté au dictionnaire ukrainien quelques semaines plus tard, avec comme définition : « parler beaucoup, n’agir jamais ».

Plus récemment, il se déplace à Washington où il s’affirme comme le chef de l’Europe face à un président américain imprévisible, tout en affichant sa bonne entente avec celui-ci devant les caméras. Le soir même, Trump déclenche une guerre commerciale avec l’Union européenne.

La diplomatie à la Macron est un fiasco qui se résume à flatter l’ego du Président au prix d’humiliations à l’encontre de la France.

Ce conflit en Ukraine aurait dû nous amener à tirer des conclusions logiques quant à la nécessité de renforcer notre souveraineté nationale, militaire et industrielle, de développer et de protéger des infrastructures énergétiques autonomes, et de nouer des relations bilatérales, fondées non plus sur une bureaucratie internationale mais sur des liens interétatiques puissants.

Pourtant, le Président de la République fait au contraire miroiter une européanisation de notre force nucléaire qui conduirait à une relégation définitive de la France et à une perte tout aussi définitive de sa souveraineté.

M. Rachid Temal. Mensonges !

Mme Marie-Arlette Carlotti. C’est Poutine qu’il faut attaquer !

M. Christopher Szczurek. Désormais, à toute question économique ou internationale la France n’a qu’une réponse : la dette et, in fine, l’extension infinie des compétences de Bruxelles à des domaines relevant des nations, lesquelles doivent évidemment agir de manière conjointe.

Marine Le Pen a demandé dès le début du conflit que la France prenne l’initiative d’organiser une conférence sur la paix pour régler le conflit par la diplomatie.

M. Rachid Temal. Elle soutient Poutine !

M. Christopher Szczurek. Rompant avec ses principes gaulliens, la diplomatie française est allée de gesticulations en humiliations pour masquer son impuissance.

Face aux défis du monde, il n’y a qu’une seule réponse, et il n’y en a jamais eu d’autres : la souveraineté française et celle de tous les peuples européens. Nous maintenons que la paix ne se fera qu’à ce prix ! (M. Joshua Hochart applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord dire que je ne retirerais pas un mot à l’intervention du président Cédric Perrin. Le Gouvernement se joint à lui pour inviter l’Europe à suivre le chemin de l’autonomie en matière de défense. C’est d’ailleurs l’objet de la réunion des chefs d’État et de gouvernement qui aura lieu jeudi à Bruxelles.

Je salue également l’invitation qu’il vous a faite de vous saisir de ces questions qui ont été si bien abordées à la tribune, pour les diffuser au sein des territoires dont vous êtes les élus. Toutes les Françaises et les Français doivent être pleinement conscients que ce qui se joue en Ukraine emporte des conséquences très lourdes pour la vie de notre pays et de nos territoires.

Monsieur Kanner, vous avez souligné la différence qui existe entre un accord de paix et un accord de reddition. Le Gouvernement soutient un traité de paix en bonne et due forme, qui tire les leçons des erreurs du passé. Je pense notamment au protocole de Minsk : nous avons signé avec Vladimir Poutine un accord de cessez-le-feu ne comportant pas de garanties de sécurité sérieuses en ayant la faiblesse de croire qu’il s’arrêterait là. Force est de constater que ce cessez-le-feu a été violé à vingt reprises et qu’il ne l’a pas empêché de lancer une invasion de l’Ukraine à grande échelle le 24 février 2022.

Vous m’interrogez sur la participation de la France au plan massif de 800 milliards d’euros présenté aujourd’hui par la Commission européenne. La France se saisira de tous les instruments que cette dernière mettra sur la table, que ce soit la flexibilité en matière de prise en compte des dépenses militaires pour le calcul des critères de Maastricht, les facilités de prêt, ou encore l’emploi des fonds de cohésion inutilisés pour soutenir notre effort de défense.

Par ailleurs, vous avez mentionné les conséquences d’une guerre commerciale. Vous en avez sans doute vu les premières manifestations sur les marchés financiers dès cet après-midi ; aux États-Unis, une récession s’annonce déjà à la suite des premières annonces de Donald Trump.

À cet égard, notre stratégie est claire : expliquer aux États-Unis d’Amérique qu’ils ont tout à perdre à lancer une guerre commerciale contre l’Union européenne ; les dissuader de le faire en annonçant la couleur, à savoir que nous répliquerons à toute atteinte qui sera portée à nos intérêts ; contourner la guerre commerciale en établissant des relations privilégiées avec des partenaires fiables et non alignés sur la Chine ou les États-Unis.

Si vous avez déploré la réduction des moyens de la diplomatie française, vous vous souvenez certainement que l’essentiel des efforts consentis par mon ministère porte sur l’aide publique au développement. Ce n’est pas sans poser de problèmes, mais il fallait bien que le ministère de l’Europe et des affaires étrangères contribue à l’effort collectif de réduction des dépenses.

En ce qui concerne le groupe de travail sur le tribunal spécial pour le crime d’agression de la Russie contre l’Ukraine, je tiens à vous rassurer : il est sur le point d’aboutir. Nous souhaitons qu’il se réunisse une ultime fois au mois de mars, en marge d’une réunion des directeurs des affaires juridiques des ministères des affaires étrangères du Conseil de l’Europe, afin qu’un tel tribunal voie le jour.

Monsieur Cadic, dans l’optique de faire prendre conscience aux Français des répercussions de la guerre en Ukraine sur eux, vous avez mentionné l’initiative du gouvernement suédois, qui a remis à tous ses citoyens un livret sur la conduite à tenir en cas de guerre. Ce livret a été traduit en Français et je le remets sous vos yeux à M. le Premier ministre pour qu’il en fasse bon usage. (M. le ministre remet le document à M. le Premier ministre.)

Par ailleurs, vous pointez du doigt la désinformation et la propagande de la Russie, que l’on retrouve parfois sur les chaînes d’information en continu, et même dans certains des propos qui sont prononcés au sein de cette auguste assemblée – j’y reviendrai. En tout état de cause, nous devons nous préparer non seulement à nous prémunir contre la propagande russe dont nous sommes la cible, mais aussi à riposter de manière beaucoup plus offensive que nous ne le faisions jusqu’à présent. Du reste, nous le faisons déjà : la France est aux avant-postes sur cette question depuis plusieurs années.

Vous avez évoqué Jean Monnet, je citerai pour ma part, pour faire le lien avec l’intervention de M. Patriat, Robert Schuman, qui prononça une déclaration d’une minute trente secondes il y a soixante-quinze ans au quai d’Orsay, laquelle fut l’acte de naissance de ce qui deviendrait plus tard l’Union européenne. Elle commence par ces mots : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. »

Monsieur Patriat, vous rappelez, comme l’a fait le Premier ministre dans son intervention, que la Russie est devenue une menace existentielle non seulement pour l’Europe, mais pour une partie du monde. La révolution copernicienne à laquelle vous nous conviez est celle que le Président de la République appelle de ses vœux depuis 2017, et que les Européens sont en train de faire leur.

Monsieur Malhuret, face à la suspension provisoire des livraisons d’armes à l’Ukraine annoncée la nuit dernière par les États-Unis, vous appelez les Européens à sortir du déni. Ils sont de plus en plus nombreux à le faire, y compris ceux qui étaient traditionnellement les plus atlantistes.

En outre, vous pointez les fragilités des accords de Minsk qui ont, comme je l’ai rappelé, été violés de nombreuses fois et n’ont pas contraint Vladimir Poutine à mettre fin à son expansion impérialiste. L’un des objectifs de ce siècle ou, tout du moins, de notre génération sera, nous dites-vous, de vaincre les totalitarismes : vaste programme ! Mais vous avez raison, cela commence dès à présent en Ukraine.

Madame Cukierman, vous avez dénoncé pendant toute votre intervention la brutalité de Donald Trump et des États-Unis, mais vous n’avez eu aucun mot pour dénoncer celle de Vladimir Poutine, qui s’est rendu coupable de crimes de guerre en déportant des enfants ukrainiens (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, INDEP et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.),…

M. Jean-Noël Barrot, ministre. … ce qui lui vaut un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale.

Vous dénoncez régulièrement – et sans doute avez-vous raison de le faire – le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale contre Benyamin Netanyahou. Mais n’hésitez pas à rappeler celui contre Vladimir Poutine ! Au-delà de ses crimes contre les enfants, celui-ci s’est rendu coupable de multiples violations du droit international et tente de faire aboutir la plus grande annexion territoriale depuis la création des Nations unies.

Vous avez également évoqué la réunion qui s’est tenue à Istanbul au mois d’avril 2022. Il s’agissait de la première discussion de paix entre Russes et Ukrainiens et le projet d’accord ne prévoyait aucune forme de garantie de sécurité pour l’Ukraine. Voilà pourquoi l’Ukraine l’a repoussé !

J’ajoute que, au moment de la discussion de cette potentielle trêve, Vladimir Poutine avait d’ores et déjà abattu la carte qu’il s’apprête certainement à brandir de nouveau : contester la légitimité des responsables politiques ukrainiens. En effet, attendez-vous à ce qu’il conteste la légitimité de Volodymyr Zelensky qui, comme cela a été rappelé de multiples fois à la tribune, est pourtant un héros de guerre et a été confirmé à l’unanimité du Parlement ukrainien pour représenter les intérêts de son peuple.

En tout état de cause, j’invite chacun à ne pas reprendre la rhétorique du Kremlin selon laquelle cette guerre n’est due qu’à l’expansion vers l’est de l’Otan. L’Otan est une alliance défensive. En 2014, la guerre en Ukraine a été déclenchée non pas parce qu’il y aurait eu une poussée de l’Otan vers les frontières de la Russie, mais parce que le peuple ukrainien était pris d’une aspiration européenne que Vladimir Poutine n’a pas voulu laisser exister.

Madame la sénatrice, je ne peux que m’inscrire en faux contre votre proposition de faire des concessions territoriales sans aucune garantie de sécurité. Cela constituerait tout simplement une capitulation de l’Ukraine, dont le coût serait incalculable, y compris pour les intérêts français.

Madame Carrère, vous nous mettez en garde contre le changement de régime qui sera inévitablement demandé par Vladimir Poutine, comme il l’a fait à chaque fois qu’il a négocié : cela a été le cas pour la Géorgie et pour l’Ukraine, cela le sera peut-être bientôt pour la Moldavie. À cet égard, vous reconnaissez les efforts du Président de la République pour éveiller les consciences européennes.

En ce qui concerne l’initiative franco-britannique, elle n’est pas si fragile que ne le suggèrent les articles de presse. Pour preuve, je rejoindrai dans quelques instants mon homologue britannique pour évoquer les contours de cette proposition avec les autres ministres des affaires étrangères européens.

Monsieur Gontard, vous avez prononcé la phrase suivante : « Le vertige saisit en prononçant ces mots. » Le Premier ministre vous fait savoir qu’il s’agit d’un alexandrin et vous félicite de la qualité de vos propos. (Sourires. – M. Akli Mellouli et Mme Olivia Richard applaudissent.)

M. Rachid Temal. C’était la note artistique !

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Votre intervention comprenait même un autre alexandrin, mais je vous laisserai le trouver vous-même. (Nouveaux sourires.)

M. Yannick Jadot. Et il y en a d’autres !

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Vous affirmez que vouloir la paix, y compris quand on est pacifiste et écologiste, ce n’est pas vouloir la capitulation ; c’est faire preuve non pas de faiblesse, mais de force. En effet, si nous voulons résister à la poussée impérialiste de Vladimir Poutine, nous ne pouvons nous y opposer qu’avec force.

Vous soulignez l’importance de réduire notre dépendance aux énergies fossiles et aux engrais. Le 24 février dernier, à l’occasion du troisième anniversaire de la guerre d’agression russe, l’Union européenne a adopté un nouveau paquet de sanctions visant le pétrole, les navires de la flotte fantôme et les capacités de stockage en Europe ou dans les pays tiers. Toutefois, la dépendance de notre continent à ces ressources reste une très grande faiblesse. C’est pourquoi nous voulons nous en défaire grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables.

Monsieur Szczurek, vous reprochez beaucoup de choses au Président de la République, notamment d’avoir rencontré Poutine avant la guerre d’agression russe en Ukraine. Or, avant la guerre, la menace ne recouvrait pas tout à fait la même dimension… Vous reprochez également à Emmanuel Macron une supposée absence de popularité en Ukraine ; je vous invite à y aller, car vous pourrez constater qu’il y est, à certains égards, plus populaire que dans d’autres pays européens, …

M. Rachid Temal. Plus qu’en France ! (Sourires.)

M. Jean-Noël Barrot, ministre. … peut-être même qu’en France. En tenant ces propos, vous vous faites le relais de la propagande russe, ce qui est tout à fait regrettable.

Quant à la souveraineté de la France, comme celle de l’Europe, elle se joue aussi sur la ligne de front ukrainienne. Le ministre des armées Sébastien Lecornu apportera des précisions sur ce sujet, mais il est évidemment question de notre capacité de dissuasion face à la menace. Aussi, à l’échelle nationale comme européenne, nous mettrons les bouchées doubles pour apparaître pour ce que nous sommes : une puissance qui s’ignore, mais qui va se révéler. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et SER.)

(M. Pierre Ouzoulias remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)