Mme Valérie Boyer. Bien sûr…

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Compte tenu de ces difficultés, le Premier ministre a décidé, à l’issue de la réunion du comité interministériel de contrôle de l’immigration du 26 février dernier, qu’une liste d’individus serait soumise aux autorités algériennes, afin que ceux-ci soient renvoyés d’urgence en Algérie, et que, à défaut d’une réponse favorable, nous réexaminerions l’ensemble des accords migratoires que nous avons avec ce pays.

Il s’agit simplement de faire appliquer le droit et de défendre nos intérêts sur le plan migratoire.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour la réplique.

Mme Valérie Boyer. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.

Aujourd’hui, nous examinons l’application de l’accord de 1968, mais je pense que la représentation nationale, de même que nos compatriotes, devraient être éclairés sur son coût.

Mme Valérie Boyer. J’y insiste : quel en est le coût précis ? J’aimerais le connaître. Que verse précisément la France aux ressortissants algériens, prestation par prestation ?

Nous avons les plus grandes difficultés à obtenir ces chiffres, et cela pose plusieurs problèmes : d’abord, le fait en soi de ne pas obtenir ces informations ; ensuite, le fait que, lorsque nous votons notamment le budget de la sécurité sociale, nous en avons besoin pour nous éclairer. En effet, on nous soumet de nouvelles règles applicables au cadre général, mais de nombreuses conventions internationales limitent leur portée et la possibilité de mener des contrôles.

Non seulement il convient de revoir ces accords, mais il faut en outre que les Français sachent combien ces derniers leur coûtent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France et l’Algérie partagent un passé douloureux, qui, plus de soixante ans après l’indépendance algérienne, continue de susciter des tensions et des incompréhensions. La colonisation française en Algérie reste un sujet de crispation entre Paris et Alger.

L’accord signé par les deux pays le 27 décembre 1968 réglemente la circulation, l’emploi et le séjour des ressortissants algériens en France. Conçu à l’origine pour faciliter l’installation de travailleurs algériens sur notre territoire, il confère aux Algériens un régime dérogatoire au droit commun. Ces derniers bénéficient notamment de facilités d’entrée et de délivrance de titres de séjour, avec des durées allant jusqu’à dix ans.

Cet accord, ciment des relations franco-algériennes, suscite aujourd’hui de sérieuses interrogations. En 1968, il répondait à un besoin économique précis et annonçait un nouveau départ commun pour la France et l’Algérie. Depuis lors, le contexte a évolué et certains événements ont engendré une véritable crise diplomatique.

En juillet 2024, l’Algérie s’est offensée du soutien exprimé par la France au plan d’autonomie marocain au Sahara occidental, territoire qui est le théâtre d’un conflit entre le Maroc et des indépendantistes soutenus par l’Algérie.

En novembre dernier, l’écrivain Boualem Sansal, critique du régime algérien, a été arrêté à Alger. Qualifié par le président Abdelmadjid Tebboune d’imposteur envoyé par la France, ce Franco-Algérien à la santé fragile est toujours incarcéré, malgré les nombreuses demandes émanant de plusieurs pays.

Enfin, le 3 février dernier, le président Tebboune a dénoncé le climat délétère entre l’Algérie et la France.

L’attitude véritablement hostile des autorités algériennes vis-à-vis de notre pays est inquiétante. Dans ce contexte, il est tout à fait légitime d’évoquer les accords de 1968. Les facilités que la France accorde depuis des décennies aux Algériens semblent être en décalage avec l’attitude de l’Algérie, dont la coopération en matière d’immigration irrégulière est très insuffisante.

Je souhaite évoquer ici le cas de l’assaillant qui a tué une personne et en a blessé d’autres le 22 février dernier à Mulhouse. Cet Algérien, arrivé illégalement sur le territoire français en 2014 et faisant l’objet d’une OQTF, est resté sur le sol français parce que l’Algérie a refusé à dix reprises de reprendre son ressortissant. (M. Akli Mellouli proteste.) Ce terroriste radicalisé et condamné plusieurs fois ne serait pas passé à l’acte sur le sol français si l’Algérie avait respecté son obligation de l’accueillir à la suite de son expulsion.

Cet exemple fait écho à une autre situation qui a fait grand bruit en janvier dernier. Il s’agit bien entendu du cas de l’influenceur algérien Doualemn, expulsé légalement par la France vers l’Algérie le 9 janvier et renvoyé d’Alger à Paris le jour même. Les autorités algériennes bafouent ouvertement leur engagement envers la France !

Nous ne pouvons pas l’accepter ; c’est pourquoi, le 26 février dernier, lors de la réunion du comité interministériel de contrôle de l’immigration, le Premier ministre, François Bayrou, a défini une ligne claire : la France ne doit pas continuer de distribuer des visas et d’accorder des facilités d’accès à son territoire aux ressortissants de pays qui ne respectent pas leurs propres obligations en matière migratoire.

M. Christian Cambon. Il a raison !

Mme Nicole Duranton. C’est pour cela qu’il a demandé aux inspections générales de la police nationale et des affaires étrangères de mener un audit interministériel sur la politique de délivrance des visas. Cette décision témoigne de la résolution et de la fermeté dont nous devons faire preuve envers les pays qui, comme l’Algérie, refusent de reprendre les ressortissants légalement expulsés du territoire français.

Pourtant, en août 2022, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune voulaient ouvrir une nouvelle ère dans les relations franco-algériennes. Ils entendaient insuffler une nouvelle dynamique partenariale entre nos deux pays, afin de faire face ensemble aux nouveaux défis globaux et aux tensions internationales.

Nous ne devons pas renoncer à toute relation avec l’Algérie. Nos deux pays doivent reprendre progressivement le dialogue pour remédier à la situation actuelle. Nous devons bien entendu maintenir une position de franchise et de fermeté. L’Algérie doit respecter ses obligations envers la France, sans quoi nous serons dans notre droit de prendre de nouvelles mesures nous permettant de respecter notre souveraineté en matière migratoire.

La conjoncture est d’autant plus dommageable qu’elle bafoue le passé que nous avons en commun. Celui-ci est complexe, marqué par des blessures encore vives, mais aussi animé par des liens humains et culturels indéniables. Acteurs d’une histoire commune, nos deux pays ont tissé des rapports étroits, notamment sur le plan mémoriel, comme en témoigne le travail mené par la commission Stora à la fin de l’année 2024.

Nos liens économiques ont également été renforcés depuis le début de la guerre en Ukraine. À titre d’exemple, les exportations algériennes d’hydrocarbures vers la France avaient augmenté de 15 % en 2023, en raison de la volonté française de réduire sa dépendance au gaz russe.

Nous devons, par la reprise du dialogue diplomatique, trouver une nouvelle manière de collaborer avec l’Algérie, sans renier nos engagements et nos principes.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Nicole Duranton. Il nous appartient de définir un cadre juste, équilibré et respectueux de la souveraineté de chacun. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Akli Mellouli applaudit également.)

M. Ahmed Laouedj. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les tensions actuelles entre la France et l’Algérie sont avant tout le fruit de surenchères politiques et médiatiques qui cherchent à capter l’attention à des fins électorales.

Je m’interroge alors : quel est le véritable objectif ici ? Faut-il raviver une guerre d’Algérie au travers de tensions artificielles pour des raisons politiciennes ? Nous devons être extrêmement vigilants face à de telles dérives.

À ce propos, permettez-moi de citer une déclaration célèbre de l’évêque d’Oran : « La France et l’Algérie n’hésitent pas à se blesser mutuellement. L’originalité de ces blessures est qu’elles sont de celles que ne peuvent s’infliger que de véritables amis. »

Le ministre des affaires étrangères a récemment déclaré : « Si un pays ne coopère pas avec les autorités françaises, je vais proposer que tous les pays européens en même temps puissent restreindre leurs délivrances de visas. » Une telle déclaration, déconnectée des réalités diplomatiques, mérite d’être mise en perspective. Elle témoigne d’une vision simpliste et unilatérale, qui oublie que les relations internationales se bâtissent sur le respect et la coopération, non sur la pression ou les menaces.

L’accord franco-algérien de 1968, dont il est notamment question ici, loin d’être un privilège, est le fruit d’une histoire partagée, marquée par des luttes, des sacrifices et des réconciliations. Il a permis à des milliers de familles de contribuer à la richesse de notre nation.

Pourtant, force est de constater que cet accord, bien qu’il ait joué un rôle crucial dans le passé, n’est plus aujourd’hui qu’une coquille vide. Les procédures de visas et de résidence des ressortissants algériens sont désormais aussi complexes que celles qui s’appliquent à n’importe quelle autre nationalité. Le débat sur sa révision est donc, en réalité, un faux débat.

L’Algérie est un acteur clé dans sa région et sur le continent africain. Elle possède des ressources propres et une politique indépendante. Il est dans l’intérêt de nos deux pays de maintenir une coopération pragmatique, en particulier dans des secteurs comme celui de la santé, des médecins algériens permettant de combler les pénuries dans les déserts médicaux. De plus, l’Algérie représente un marché important pour nos exportations et reste un partenaire stratégique en Afrique du Nord et au-delà. C’est enfin la coopération en matière de sécurité et de renseignement entre nos deux nations que nous devons préserver.

Alors, derrière cette escalade, nous le savons, il y a des stratégies électorales. Certains acteurs politiques, conscients de l’imminence des échéances électorales de 2027, cherchent à maximiser leur influence au sein de leur parti et à se poser en défenseurs de l’identité nationale. Néanmoins, cette attitude, cette volonté de jouer avec les peurs, n’est pas à la hauteur de ce que nous attendons d’une politique étrangère responsable. Cette politique de confrontation n’a que trop duré. Nous devons arrêter ce jeu dangereux qui consiste à instrumentaliser la question de l’immigration pour des raisons purement électorales. (Marques dagacement sur les travées du groupe Les Républicains.)

À ce sujet, la position du Président de la République mérite d’être soulignée. Emmanuel Macron a, enfin, pris ses responsabilités, marquant la fin de la récréation diplomatique. Il a clairement sifflé la fin du jeu en soulignant notamment que l’« on ne peut pas se parler par voie de presse », et que les relations entre la France et l’Algérie ne doivent pas être instrumentalisées à des fins politiques. Il a également rappelé que des millions de Français, nés de parents algériens, « vivent en paix, adhérant aux valeurs de la République ».

Enfin, je tiens à citer les propos de Gérard Araud, ancien ambassadeur de France aux États-Unis et ancien représentant permanent auprès des Nations unies ; il a indiqué avec clairvoyance : « Tôt ou tard, nous conclurons que la politique suivie vis-à-vis de l’Algérie nous mène dans une impasse. On fera appel aux diplomates pour réparer le gâchis. » Ces mots doivent résonner comme un avertissement.

Il est grand temps de sortir de cette impasse et de reprendre un dialogue constructif, loin des polémiques inutiles. Il est impératif que nous mettions de côté nos ambitions électorales et agissions dans l’intérêt de notre pays, mais aussi de la stabilité et de la coopération internationales. Nous avons la responsabilité de rétablir une diplomatie respectueuse, fondée sur le respect de nos engagements mutuels.

Je vous invite à reconsidérer toute approche punitive et à favoriser une diplomatie pragmatique et constructive. Nous avons la responsabilité de remettre l’intérêt national au cœur de nos décisions. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur Laouedj, vous avez mentionné la déclaration du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, au sujet de la nécessité d’avoir une politique européenne en matière de visas. Mais il est évident que nous devons nous donner, à l’échelon européen, les instruments de la maîtrise de notre immigration, dans le cadre d’une réponse collective !

C’est d’ailleurs le message porté par la France, avec la mise en œuvre du pacte européen sur la migration et l’asile, lequel permettra de réaliser une première sélection des demandeurs d’asile aux frontières de l’Union. Nous voulons renforcer les outils externes de la politique étrangère de l’Union en matière migratoire, notamment au travers de la conditionnalité de la délivrance des visas.

En effet, c’est à l’échelon européen que l’on peut être le plus efficace. On l’a vu au cours des dernières années : les politiques de restriction de la délivrance des visas font l’objet de contournements par la voie européenne, quand des ressortissants demandent un visa à l’Espagne, à l’Italie ou à l’Allemagne. Nous devons donc définir une réponse collective, au niveau européen.

Nous devons le faire pour ce qui concerne la conditionnalité de l’aide au développement et des accords commerciaux, mais également en révisant la directive dite Retour, afin d’expulser plus efficacement, grâce au renforcement de nos moyens collectifs.

C’est bien sûr cette voie que nous défendons, mais celle-ci n’est pas incompatible avec le dialogue, la diplomatie. Il s’agit simplement d’avoir les instruments nécessaires pour défendre collectivement nos intérêts, en Européens.

C’est aussi cette volonté d’avoir une Europe souveraine, maîtrisant ses frontières, qui est au cœur de la diplomatie française portée par le ministre.

M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Bitz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat public s’est emparé du sujet des relations franco-algériennes dans un contexte dramatique. Le terrible attentat de Mulhouse est en effet venu illustrer l’échec de l’État à exécuter une obligation de quitter le territoire français à l’endroit d’un ressortissant que l’on savait dangereux, en raison de l’absence de coopération de l’Algérie, mais aussi, et surtout, du non-respect par ce pays du droit international.

La détention arbitraire du franco-algérien Boualem Sansal ou encore les affaires récentes concernant les soi-disant influenceurs sont autant de signes actuels et convergents qui nous sont envoyés par le pouvoir algérien.

Le Président de la République aura pourtant essayé de renouveler nos relations avec l’Algérie. Malgré tous ses efforts, sa démarche visant à les normaliser aura largement été vaine, malheureusement.

Nous connaissons tous les vicissitudes des relations entre l’Algérie et la France. Nous savons également l’importance des liens humains entre nos deux pays : 650 000 Algériens vivent en France et 30 000 Français résident en Algérie. Les plus de 3 millions de personnes qui disposent de la double nationalité vivent très majoritairement sur notre territoire. Ces liens historiques et si spécifiques entre nos deux pays rendent, à mon sens, quelque peu illusoire une réponse commune à l’échelle européenne, sans même évoquer les contraintes de calendrier.

Je souhaite partager avec vous une conviction : la renégociation de l’accord de 1968, voire sa dénonciation en cas d’échec des discussions, est désormais nécessaire, indépendamment même de la crise du moment. Quant à l’accord de 2007, encore étendu en 2013, qui tend à dispenser de visa les détenteurs de passeport diplomatique ou de service, sa suspension me semble devoir être directement envisagée et aurait le mérite de ne concerner que les cadres du régime. Rien ne vient plus justifier une faveur de cette nature dans les circonstances actuelles.

Rapprocher la situation algérienne du droit commun en matière migratoire et de droit au séjour serait tout simplement l’expression de notre volonté souveraine de réduire les flux qui entrent sur le territoire national.

Rapprocher la situation algérienne du droit commun en matière d’accès aux droits sociaux, en particulier au revenu de solidarité active (RSA), serait une mesure de bon sens dans un contexte de crise des finances publiques et traduirait notre volonté de rendre notre pays moins attractif en matière de flux migratoires. Comme nous le savons, l’importance globale de ces derniers ne nous permet plus d’accueillir et d’intégrer les primo-entrants conformément à notre modèle républicain.

L’accord franco-algérien de 1968 a mis en place entre nos pays un régime dérogatoire au droit commun dans le domaine migratoire. Avec Muriel Jourda, nous avons rendu récemment un rapport sur les instruments migratoires internationaux. Nous avons analysé précisément l’accord international de 1968 : il est évident qu’il est globalement plus favorable à l’immigration algérienne que le droit commun, malgré les avenants de 1985, de 1994 et de 2001. Depuis 2022, nous attendons d’ailleurs la négociation d’un quatrième avenant.

Il faut garder à l’esprit que l’immigration en provenance de ce pays se distingue des autres flux par son volume. Bien loin d’être une « coquille vide », comme l’a pourtant qualifié le président Tebboune, l’accord de 1968 a entraîné la délivrance par la France de plus de 250 000 visas et de 30 000 nouveaux titres de séjour à des Algériens en 2024. Aujourd’hui, un titre primo-délivré sur dix l’est à un ressortissant de ce pays, tandis que les certificats de résidence concernant les Algériens représentent 15 % du stock global des titres valides. Nous ne pouvons donc pas prétendre réduire les flux si nous ne revenons pas sur un accord dérogatoire de cette importance.

Le Premier ministre a raison de dire que la situation est vraiment insupportable. Alors que l’immigration légale est favorisée, non seulement l’Algérie ne fournit pas le surcroît de coopération dans la lutte contre l’immigration illégale que nous pourrions légitimement attendre, mais elle ne respecte même pas ses obligations internationales.

Bien avant la reconnaissance de la détérioration de nos relations bilatérales en 2024, l’Algérie manifestait déjà sa très mauvaise volonté lorsqu’il s’agissait de reprendre ses nationaux. Ainsi, en 2023, seuls 34,9 % des laissez-passer consulaires demandés par la France avaient été accordés, avant même notre reconnaissance du Sahara occidental ! En 2024, moins de 10 % des Algériens expulsables ont pu être renvoyés dans leur pays, soit près de 3 000 personnes sur 33 754 interpellations pour infraction à la législation sur les étrangers.

Je conclurai en évoquant l’organisation de notre diplomatie migratoire.

Au cours de la mission sénatoriale qui vient de s’achever, 197 instruments internationaux ont été recensés dans le domaine migratoire. De nature, de portée et d’intérêt très variables, les accords applicables représentent une belle sédimentation, voire un joli « fouillis » – nous les avons qualifiés ainsi –, et ne forment aucunement une politique cohérente, dont nous avons pourtant besoin.

Nous avons également identifié, avant même la polyphonie gouvernementale sur l’accord de 1968, une réelle différence d’approche entre le Quai d’Orsay et Beauvau. Elle dure depuis bien longtemps et dépasse donc les actuels titulaires de ces fonctions.

Aujourd’hui, nous appelons de nos vœux une meilleure structuration de notre diplomatie migratoire, notamment un fonctionnement plus régulier du comité interministériel de contrôle de l’immigration, qui ne s’était pas réuni au niveau des ministres depuis 2023. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. J’apporterai simplement une brève précision, en lien avec ma réponse précédente : l’accord franco-algérien de 1968 ne régit pas les visas de court séjour, qui sont des visas relatifs à l’espace Schengen. Il est donc nécessaire d’avoir une réponse européenne pour prévenir les contournements des restrictions de visas que nous avons mises en place au niveau national ces dernières années.

M. le président. La parole est à M. Ian Brossat. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST. – Mme Corinne Narassiguin applaudit également.)

M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis pour débattre des accords franco-algériens en matière migratoire et, de manière plus globale, des relations entre nos deux pays.

Je le précise d’emblée : nous sommes plus que favorables à la libération de Boualem Sansal – cette question ne fait pas l’objet de débat entre nous. Aucun écrivain, aucun artiste, aucun intellectuel ne devrait être derrière les barreaux en raison des opinions qu’il défend. J’insiste : cela vaut pour chacun d’entre eux.

S’il s’agit d’affirmer qu’il n’est pas acceptable qu’un pays refuse de récupérer ses ressortissants sous OQTF, nous nous rassemblerons aussi. Le propos vaut pour l’Algérie comme pour l’ensemble des autres États.

Néanmoins, comme tout le monde le voit bien à la lumière du débat que nous avons ce soir et de celui qui se déroule – il faut bien le reconnaître – très largement dans les médias, l’enjeu est, en réalité, d’une tout autre nature. J’en veux pour preuve le contexte dans lequel s’inscrit ce débat et le fait que celui-ci est monopolisé depuis maintenant des mois par les questions migratoires.

Pour s’en convaincre, il suffit de regarder l’ordre du jour du Sénat : proposition de loi sur l’interdiction du mariage pour les personnes sans papier, proposition de loi pour allonger la durée de rétention en CRA, proposition de loi visant à remettre en cause le droit du sol à Mayotte, proposition de loi tendant à restreindre l’accès aux prestations sociales pour les étrangers en situation régulière… Autant de textes alors qu’a été votée il y a un peu plus d’un an la loi sur l’immigration qui s’est soldée – il faut bien le dire – par un fiasco tout à fait lamentable !

Nous sommes confrontés, en réalité, à une stratégie délibérée visant, d’une part, à saturer l’espace médiatique autour des enjeux d’immigration et, d’autre part, à faire disparaître des écrans les enjeux relatifs au travail, aux salaires et au pouvoir d’achat – des thèmes qui sont pourtant la première préoccupation des Français. Il a d’ailleurs fallu la niche parlementaire de notre groupe pour qu’enfin, pour la première fois depuis des mois, le mot « salaire » soit prononcé dans cette assemblée !

Au fond, l’immigration est un peu, pour un certain nombre de personnalités, une ardoise magique : elle permet d’effacer tous les autres sujets du débat médiatique. J’en veux aussi pour preuve le contexte de régulière montée des tensions avec l’Algérie. Chaque jour, des propos outranciers sont tenus, toujours plus excessifs. Je pense à M. Zemmour, qui affirmait ce week-end que « la colonisation en Algérie était une bénédiction », au fils d’un ancien Président de la République, qui appelle à brûler l’ambassade d’Algérie en France, ou à cette ancienne tête de liste aux élections européennes, qui déclarait avant-hier que l’Algérie « a du sang sur les mains ».

En somme, tout cela constitue une escalade dangereuse, fondée sur une avalanche de contrevérités et qui n’est d’aucune efficacité en matière de politique publique.

Dangereuse, d’abord, parce qu’elle attise les tensions dans un monde qui n’en a franchement pas besoin et parce qu’elle menace notre cohésion nationale : cela a été dit, 12 % des Français entretiennent un lien avec l’Algérie.

Fondée sur une avalanche de contrevérités, ensuite, parce qu’elle vise à faire croire que les accords de 1968 auraient ouvert les vannes de l’immigration algérienne, alors que ceux-ci visaient précisément à la limiter.

Sans aucune efficacité, enfin, car force est de constater que ces joutes médiatiques, qui ont cours – je le redis – depuis des mois, n’ont permis d’obtenir aucune exécution d’OQTF supplémentaire. Quand on est ministre, on est jugé sur ses résultats. En l’occurrence, cette montée des tensions a-t-elle permis d’obtenir quoi que ce soit de la part du gouvernement algérien ? Absolument rien !

Certains agitent le fait que l’Algérie surferait sur une sorte de rente mémorielle, comme vous l’avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre, au travers de cette expression qui n’est pas très belle. À la lumière de ces débats médiatiques, j’ai surtout le sentiment que, à l’heure actuelle, la haine de l’Algérie et des Algériens sert de rente électorale à des responsables politiques en manque d’imagination…

Je souhaite que ce débat permette de retrouver de la raison et de l’apaisement et qu’il soit animé par l’intérêt général, car c’est l’intérêt de la France et des Français. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST. – Mme Corinne Narassiguin et M. Ahmed Laouedj applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Akli Mellouli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, inscrire ce débat dans un contexte marqué par des manœuvres politiciennes opportunistes n’est ni sage ni responsable.

Les polémiques de ces dernières semaines ont blessé de nombreux Français ayant un lien affectif avec l’Algérie. Ces femmes et ces hommes, véritables ponts entre nos deux pays, ont éprouvé une légitime indignation. Quant aux nombreux Algériens qui vivent et travaillent en France et contribuent à la richesse de notre pays, beaucoup se sont sentis stigmatisés, instrumentalisés et méprisés. Je pense notamment aux médecins algériens – c’est la première nationalité étrangère exerçant dans les hôpitaux français – qui font fonctionner un système de santé à bout de souffle.

Obsession de l’extrême droite et désormais du Gouvernement, l’accord de 1968 cristallise toutes les tensions. Cet accord a pourtant été révisé à trois reprises : à chaque fois, Alger a répondu favorablement, permettant une collaboration constructive. Ces évolutions ont toujours eu lieu dans la discrétion, loin de toute agitation médiatique, et dans un esprit de respect mutuel.

Aujourd’hui, largement vidé de sa substance, l’accord constitue un frein aux droits des Algériens, les excluant de toutes les avancées législatives et administratives dont ont bénéficié d’autres ressortissants étrangers. Par exemple, les Algériens ne peuvent pas prétendre aux cartes « compétences et talents », instaurées en 2006, qui facilitent l’installation des travailleurs hautement qualifiés, tels que les médecins et les ingénieurs. Autre inégalité frappante : les étudiants algériens, contrairement à d’autres nationalités, sont soumis à une obligation d’autorisation de travail, compliquant considérablement leur accès à l’emploi et freinant leur insertion professionnelle.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le discours ambiant autour de cet accord de 1968 relève plus du fantasme que de la réalité. Il y a, d’un côté, la propagande politique et, de l’autre, le droit, comme l’a d’ailleurs rappelé le tribunal administratif de Melun. Quand bien même nous devrions revenir une nouvelle fois sur cet accord, optons pour la retenue, le respect mutuel et la diplomatie !

En lieu et place, le Gouvernement a choisi l’escalade verbale, l’outrance et le tapage médiatique. Ainsi, nous voyons une frange de la classe politique française, soucieuse de ses ambitions personnelles, sacrifier l’axe Paris-Alger sur l’autel de calculs électoralistes à courte vue. Cette surenchère a libéré une parole algérophobe qui se traduit par le mensonge, la menace et un négationnisme historique indigne de notre époque.

Nous assistons depuis plusieurs semaines à une dérive inquiétante. Pensant à tort que la polémique fait une politique, voire une géopolitique, des ministres affirment que la colonisation de l’Algérie aurait eu des aspects positifs, tandis que le fils d’un ancien Président de la République appelle à incendier l’ambassade d’Algérie, sans que cela émeuve outre mesure le Gouvernement. De son côté, le Premier ministre multiplie les sommations et les ultimatums.

Faisons-nous face à une « trumpisation » de la classe politique française ? Assistons-nous à la libération d’une algérophobie latente, nourrie par des clichés coloniaux et par un ressentiment anti-algérien, toujours aussi vivace dans certains esprits ? S’agit-il de donner des gages au Rassemblement national, dont dépend la survie de ce gouvernement ? Hélas, il semble bien que ces trois explications se conjuguent, révélant une dérive préoccupante dont les conséquences pourraient être durables pour les relations franco-algériennes.

J’ai toujours été engagé en faveur d’un rapprochement entre les deux rives de la Méditerranée. Je suis convaincu que l’axe Paris-Alger peut se construire sur l’exemple de l’axe Paris-Berlin. Toutefois, cette relation doit être refondée sur la vérité, la justice et le respect mutuel. Pour ce faire, il faut cesser cette reconnaissance mémorielle au compte-gouttes, dictée par les calculs politiciens du moment. En effet, l’histoire ne s’efface ni ne se maquille au gré des opportunités électorales. Elle doit être assumée dans sa globalité, avec courage et lucidité.

Clemenceau lui-même, pourtant homme de son temps, dénonçait déjà les massacres commis en Algérie en déclarant : « Nous avons rempli l’Algérie de ruines et de cendres, nous avons à répondre de milliers d’hommes massacrés. » Ce constat dressé il y a plus d’un siècle reste d’une actualité criante face aux tergiversations de notre pays sur son passé colonial. Il est temps que certains réalisent – enfin ! – que le seul bienfait de la colonisation fut la décolonisation. Ne vous en déplaise !

Mes chers collègues, nous nous approchons dangereusement du point de non-retour. Hier, nous nous sommes brouillés avec le Mali, la faute revenant, nous a-t-on dit, au gouvernement malien. Est ensuite venu le tour du Burkina Faso, du Niger, du Sénégal et du Tchad. Là encore, la responsabilité en incombait, selon certains, aux gouvernements de ces États africains. À présent, nous nous brouillons avec l’Algérie. Deux hypothèses s’imposent : soit nous sommes des génies incompris, détenant seuls la vérité face à un continent entier, soit nous avons un sérieux problème dans notre manière d’aborder nos relations avec les nations africaines souveraines.

Pendant que nous accumulons les brouilles et les malentendus, d’autres pays avancent. Conscients des mutations du monde, ceux-ci travaillent à bâtir des relations équilibrées, fondées sur le respect mutuel et le principe du partenariat gagnant-gagnant. Je ne vous parlerai pas du plan Mattei de l’Italie…

L’Algérie accueille près de 450 entreprises françaises sur son territoire tandis que plus de 6 000 autres profitent des exportations françaises vers ce marché. Dans ce battage politico-médiatique, avons-nous mesuré les répercussions potentielles sur ces entreprises et les milliers d’emplois qu’elles créent ?