M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Akli Mellouli. Dans le nouvel ordre international qui se dessine, il ne suffit plus, monsieur le ministre, d’imposer, de sermonner ou de mépriser. Il faut écouter, comprendre et construire des alliances solides.
M. le président. Concluez !
M. Akli Mellouli. Si nous persistons à voir l’Afrique comme un théâtre où nous seuls dictons les règles du jeu, nous ne ferons que précipiter notre déclassement. Le monde change, les rapports de force évoluent et il serait temps d’adapter notre logiciel diplomatique avant qu’il ne soit trop tard. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K. – Mme Corinne Narassiguin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur Mellouli, de tels sujets méritent apaisement et sérénité.
Le Président de la République est celui qui s’est le plus investi dans la reconnaissance de l’histoire et des mémoires, mobilisant des historiens comme Benjamin Stora, que nous avons évoqué précédemment. Il a voulu engager un dialogue sincère et respectueux, rappelant, pas plus tard que ces derniers jours, la nécessité de respecter nos compatriotes d’origine algérienne ou les binationaux franco-algériens qui ne doivent pas être pris en otage.
Néanmoins, le Gouvernement a aussi raison de vouloir défendre nos intérêts. Pour ce faire, nous défendons notre politique migratoire, nous nous dotons de moyens d’expulser les individus qui, faisant l’objet d’OQTF, n’ont pas vocation à rester sur notre territoire et nous faisons respecter par l’Algérie les conventions qu’elle a signées, en particulier, comme je l’ai souligné tout à l’heure, dans le cadre des accords de 1994. Il est tout à fait naturel d’avoir une discussion sur la renégociation de l’accord de 1968, déjà révisé à trois reprises.
Notre pays pourrait s’accuser de tous les maux en matière diplomatique, et entrer dans le jeu de l’autoflagellation. Toutefois, je vous rappelle que la diplomatie, ce sont aussi des rapports de force, des jeux d’intérêt et, parfois, des ingérences.
À ce titre, vous avez cité quelques théâtres africains au Sahel, en particulier le Mali et le Burkina Faso. Dans ces pays, les troupes françaises se sont engagées pour assurer la sécurité et pour lutter contre le terrorisme à la demande des gouvernements. Des juntes militaires, souvent soutenues par la Russie de Vladimir Poutine, sont désormais installées au pouvoir. Les milices Wagner ont joué leur rôle, et on a assisté à une désinformation, parfois massive, contre notre pays, contre notre présence et contre nos troupes, lesquelles méritent notre soutien et notre respect.
Alors ne mélangeons pas tout : sachons reconnaître nos torts, mais aussi nos adversaires géopolitiques, à commencer par la Russie, qui s’en prend directement à nos intérêts.
M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli, pour la réplique.
Mon cher collègue, puisque vous avez déjà largement dépassé votre temps de parole, je vous accorde trente secondes.
M. Akli Mellouli. Monsieur le président, c’est de la censure ! (Exclamations amusées sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Monsieur le ministre, nous sommes d’accord : le problème est non pas que nous revendiquions et défendions nos intérêts, mais que nous acceptions que d’autres pays fassent la même chose !
Défendre nos intérêts doit passer par le dialogue : nous ne parviendrons à négocier ni par l’invective, ni par l’injure, ni par le mépris. Nous ne servirons pas notre cause, toute bonne soit-elle, en cherchant à humilier un partenaire ! Il est normal que nous ayons des désaccords. Il faut les évoquer, mais pas selon cette méthode. Ne tombons pas dans les débats de caniveau, qui n’honorent ni la France, ni l’Algérie, ni les pays africains en général !
Ce qui nous honorerait, c’est de retrouver la raison et d’avoir des échanges diplomatiques marqués par un respect mutuel. Voilà l’objectif, qui a d’ailleurs été rappelé par le Président de la République et auquel je souscris. Vous avez raison, monsieur le ministre : nous ne sommes pas là pour nous flageller. Mais si nous ne regardons pas la réalité en face, nous ne réussirons pas à faire évoluer nos relations. Il faut changer de paradigme !
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me tiens devant vous en éprouvant un sentiment d’urgence républicaine. En effet, les événements récents entre la France et l’Algérie nous plongent dans une crise sans précédent.
Celle-ci va, à mon sens, bien au-delà de tensions de nature diplomatique : nous faisons face à une situation qui est devenue, disons-le, insoutenable. Nous sommes presque à un point de rupture dans les relations entre nos deux pays, car nous devons faire face à une série de dérives qui atteignent le cœur de notre cohésion nationale, notre sécurité et notre souveraineté, comme d’autres l’ont déjà dit.
D’un côté, un terroriste algérien sous OQTF, présenté quatorze fois aux autorités de son pays d’origine, qui a semé la mort à Mulhouse, de l’autre, la souffrance de l’intellectuel franco-algérien Boualem Sansal, qui se meurt dans les geôles du régime d’Alger tout simplement parce qu’il est un peu trop libre ou qu’il aime trop la France : ces deux tragédies récentes illustrent, en réalité, un problème bien plus large et bien plus profond. Ces drames sont, en fait, les symptômes d’un échec massif de la gestion de nos flux migratoires.
Cette crise trouve en l’Algérie l’un de ses aspects les plus visibles. En 2025, plus de 2,5 millions de personnes d’origine algérienne vivent en France, un nombre en constante augmentation. En 2024, 250 000 visas ont été accordés aux ressortissants de ce pays, dont 30 000 nouveaux titres de séjour. Ces chiffres ne font qu’accentuer une situation déjà critique, car, dans le même temps, 33 000 Algériens ont été contrôlés en situation irrégulière en France en 2023, dont seuls 3 000 ont fait l’objet d’une procédure d’éloignement. Ce décalage entre réalité des contrôles et mise en œuvre des expulsions illustre bien l’inefficacité de notre politique actuelle.
Mon propos n’est pas de stigmatiser le peuple algérien, qui, comme nous tous, aspire à la paix et à la prospérité. La source du problème, à laquelle il faut s’attaquer, est le régime algérien, régime autoritaire qui a failli à ses responsabilités en laissant prospérer une immigration incontrôlée et en ne régulant pas les flux sortant de son pays. C’est à eux qu’il faut demander des comptes !
Pour cela, comme l’a indiqué le ministre de l’intérieur, il nous faut adopter une réponse graduée en commençant par des mesures individuelles. D’abord, il faut identifier les ressortissants algériens les plus dangereux pour les expulser vers leur pays d’origine dans les meilleurs délais. Ensuite, il ne faut pas s’interdire de s’interroger sur le bien-fondé des accords de 1968 et de 2007. En outre, nous ne pouvons pas non plus faire l’économie d’une réflexion sur l’automaticité de la délivrance des visas. Chaque visa délivré devrait, à mon avis, correspondre à l’expulsion effective d’un ressortissant sous OQTF. Enfin, la réflexion pourrait se porter sur la suspension des flux financiers des Algériens de France vers l’Algérie ou sur l’aide au développement.
En tout état de cause, nous devons démontrer au régime algérien que la France ne peut plus ouvrir sa porte à ceux qui veulent abuser de notre générosité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Olivia Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet dont nous débattons est sensible pour la sénatrice représentant les Français établis hors de France que je suis. Je remercie mon collègue Olivier Bitz d’avoir accepté que nous partagions le temps de parole alloué à notre groupe.
Le front diplomatique auquel le ministre d’État, ministre de l’intérieur appelle de ses vœux est un oxymore, car la diplomatie consiste à négocier la paix par le dialogue. Le contre-exemple américain nous le confirme. Pourtant, nous comprenons aisément les raisons de l’ire du ministre, que beaucoup partagent sur ces travées. L’actualité nous a encore montré le peu de cas que le régime algérien fait des accords qui nous lient.
Il faut, sans aucun doute, négocier un quatrième avenant à l’accord franco-algérien, lequel favorise l’immigration familiale au détriment de l’immigration économique, scientifique ou culturelle : seules 10 % des premières demandes de titre de séjour effectuées par les ressortissants algériens le sont pour des raisons économiques. En outre, ceux-ci ne peuvent bénéficier de titres pluriannuels, comme les passeports talents. Enfin, la renégociation de l’accord a déjà été actée par les dirigeants algériens comme français en octobre 2022, ainsi que l’a rappelé hier le Président de la République.
Jean-Noël Barrot, qui a la responsabilité de la relation globale entre nos pays, a rappelé qu’il fallait avoir des objectifs clairs à l’égard des Algériens : nous voulons un dialogue exigeant afin de faire avancer nos sujets de préoccupation. Cet espace de dialogue est indispensable pour préserver la coopération dans des domaines essentiels pour nous.
D’abord, je pense au terrorisme et aux trafics, notamment de drogue.
Ensuite, je pense au renseignement, dans un contexte de tensions sécuritaires avec les pays du Sahel, avec lesquels l’Algérie partage 2 700 kilomètres de frontières.
Enfin, je pense aux migrations. Notons que, en 2024, entre les réadmissions et les laissez-passer consulaires, les éloignements vers l’Algérie ont été proportionnellement deux fois plus nombreux que ceux vers le Maroc. Or, comme pour Boualem Sansal, l’unilatéralisme clôt par définition la coopération.
L’Algérie doit rester un partenaire économique ouvert aux exportations françaises, lesquelles représentent 4,5 milliards d’euros par an, un chiffre en nette baisse. Ce pays est notre deuxième fournisseur de gaz naturel et notre quatrième fournisseur de pétrole. Les marchés que nous perdons, la Russie, la Chine ou d’autres pays européens les gagnent !
Chaque matin, Radya Rahal, présidente du conseil consulaire à Alger, m’envoie, comme à Olivier Cadic, les gros titres de la presse algérienne. Après s’être interrogés sur une désescalade ce week-end, ces médias soulignent ce matin la cacophonie des gouvernants français.
En Algérie, plus de 30 000 Français sont inscrits au consulat. Quelque 400 entreprises françaises sont installées là-bas. Régulièrement, Mme Rahal m’indique les inquiétudes de la communauté française à Alger, les répercussions de la situation actuelle sur nos relations économiques et la crainte de mesures de réciprocité contre nos ressortissants. Il est nécessaire de toujours rappeler les conséquences de nos déclarations pour nos compatriotes établis à l’étranger. Mes chers collègues, il faut certes établir un dialogue exigeant, mais aussi aller vers un nécessaire apaisement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Ahmed Laouedj et Akli Mellouli applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne ferai pas ici le rappel des multiples révisions ou tentatives de révision dont a fait l’objet l’accord entre la France et l’Algérie. Malgré ces révisions ou tentatives de révision, qui n’ont pas toujours été suivies d’effets, l’accord bilatéral de 1968 conserve son caractère spécifique, en tant qu’il permet aux ressortissants algériens de bénéficier d’un statut dérogatoire au droit commun des étrangers.
Les autorités algériennes continuent de considérer cet accord comme un droit acquis hérité de l’histoire. Or cette situation ne semble plus acceptable aujourd’hui. Une politique migratoire plus restrictive est réclamée par nos compatriotes et semble s’imposer.
En 2024, la France a délivré 336 000 titres de séjour et enregistré près de 160 000 demandes d’asile, soit près de 500 000 entrées sur notre territoire. Dans le contexte de tensions migratoires que nous connaissons, l’accord franco-algérien, signé il y a plus de cinquante ans, apparaît désormais anachronique.
En matière d’immigration, nous devons par ailleurs harmoniser le droit français avec le droit européen en tendant vers une plus grande cohérence. Or le régime dérogatoire actuel fait obstacle à cette volonté de régulation et de fermeté. Je citerai par exemple l’accès à un certificat de résidence de dix ans après seulement trois ans de séjour, contre cinq ans pour d’autres nationalités, ou encore les conditions d’admission au titre du regroupement familial, qui sont assouplies sans réelle vérification stricte des conditions d’intégration.
Enfin, la question la plus conflictuelle est le manque de coopération – c’est une litote ! – de l’Algérie dans la délivrance des laissez-passer consulaires, compromettant le retour dans leur pays des Algériens qui se trouvent sous le coup d’un arrêté d’expulsion ou d’une OQTF. Ce point, qui est l’objet de tensions gouvernementales chroniques entre Paris et Alger, a de nouveau fait l’actualité récemment, avec le raccompagnement avorté de l’influenceur Doualemn en janvier dernier. Plus grave encore, un ressortissant algérien a tué un homme et blessé cinq personnes dernièrement à Mulhouse ; cet homme, présent illégalement en France depuis 2014, sortait de prison où il avait effectué une peine pour apologie du terrorisme. Nous avons appris, depuis, que ce meurtrier avait été présenté dix fois sans succès aux autorités algériennes.
Aussi, face à l’intransigeance des autorités algériennes en matière de laissez-passer consulaires, la France doit-elle instaurer un rapport de force. Cela peut passer par une remise en cause de l’accord de juillet 2007 qui vise à faciliter les déplacements officiels de courte durée pour les détenteurs de passeports diplomatiques ; cela peut aussi signifier restreindre, voire bloquer, la quantité de visas délivrés, comme l’a préconisé François-Noël Buffet.
Le rapport de force peut enfin passer par la dénonciation ou la renégociation de l’accord de 1968. Une telle dénonciation unilatérale semble justifiée juridiquement ; elle est en tout cas possible en s’appuyant sur la convention de Vienne sur le droit des traités, Bruno Retailleau ayant jugé l’accord franco-algérien « exorbitant » et « obsolète ». Il s’agit de ramener les Algériens au droit commun, de limiter l’immigration et d’obliger enfin Alger à reprendre ses ressortissants sous OQTF.
Le Premier ministre, s’exprimant officiellement, a donné à l’Algérie « quatre à six semaines » pour coopérer, sous peine de réexaminer l’accord, voire de le dénoncer. Le Président de la République, de son côté, a fait preuve d’une moindre clarté : il a affirmé qu’il ne dénoncerait pas de manière unilatérale les accords de 1968, arguant qu’un tel acte risquerait d’« envenimer inutilement les relations avec l’Algérie ». Il a préféré concentrer son attention sur l’avenant de 1994, suggérant que des ajustements étaient possibles.
La dénonciation de cet accord est pourtant une condition nécessaire de la reconstruction d’une relation avec l’Algérie, sur la base, évidemment, d’une nouvelle – d’une réelle – réciprocité. Ces différences entre les positions respectives du Président de la République et du Premier ministre suscitent des interrogations sur la position officielle de la France ; elles nous affaiblissent, en tout cas, s’agissant de notre capacité à imposer un accord.
Il est temps de sortir de cinquante ans de rente mémorielle ; il est temps de sortir des atermoiements et des propos déplorant l’état de nos relations avec l’Algérie, et surtout avec son gouvernement, qui a pris tout un peuple en otage. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais tâcher de me montrer synthétique : beaucoup d’éléments ont été évoqués au cours du débat et je sais les risques qu’il y a à faire attendre le sénateur Karoutchi, mais aussi à le laisser parler en dernier… (Sourires.)
Du fait d’une histoire partagée qui a créé des liens complexes mais profonds entre nos deux pays, l’Algérie est le premier pays d’immigration en France. C’est aussi, après la Chine et le Maroc, le troisième pays auquel nous accordons le plus grand nombre de visas. Il est donc bien naturel, dans un moment où les pouvoirs publics, sur la demande de nos concitoyens, s’attachent à mieux contrôler les flux migratoires, d’évoquer sans tabou la question des accords franco-algériens relatifs à la circulation des personnes. Et je voudrais remercier les sénateurs qui ont pris l’initiative d’organiser aujourd’hui ce débat.
Je crois toutefois important de distinguer deux problématiques, comme je l’ai fait tout à l’heure lors du débat.
La première est celle des reconduites dans leur pays de ressortissants algériens ayant fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français. À cet égard, l’Algérie relève pour l’essentiel du droit commun, précisé par le protocole du 28 septembre 1994 portant accord de coopération en matière de délivrance des laissez-passer consulaires, et non d’un accord dérogatoire.
Nous rencontrons, pour procéder à des éloignements, des difficultés significatives, qui ne sont malheureusement pas propres à l’Algérie. En 2024, je le mentionnais, 41 % seulement des laissez-passer consulaires demandés à Alger ont été délivrés dans les délais utiles. Ce chiffre, bien qu’en augmentation, reste bien sûr insuffisant. Les conséquences de ces difficultés peuvent être dramatiques, comme nous l’avons constaté avec l’attentat de Mulhouse, commis par un ressortissant algérien déjà condamné, radicalisé, et dont nous avions demandé l’éloignement à plusieurs reprises, en vain, aux autorités algériennes.
Plus récemment, dans un contexte de tensions bilatérales renforcées, nous avons été confrontés à des difficultés spécifiques concernant des ressortissants algériens disposant de documents d’identité en règle, mais dont les autorités algériennes ont néanmoins refusé le retour, en violation, une fois de plus, du protocole que j’ai cité.
Compte tenu de ces difficultés, le Premier ministre François Bayrou a décidé, à l’issue de la réunion du 26 février dernier du comité interministériel de contrôle de l’immigration, qu’une liste d’individus serait soumise aux autorités algériennes afin que ceux-ci soient renvoyés d’urgence en Algérie, et qu’à défaut de réponse favorable nous réexaminerions l’ensemble des accords migratoires que nous avons avec ce pays.
Une fois de plus, il n’y a dans notre diplomatie aucune naïveté : il y a de la fermeté et de la clarté pour faire entendre nos intérêts, renégocier ces accords et faire respecter nos objectifs de politique migratoire.
Voilà qui m’amène à la deuxième problématique, celle des accords bilatéraux en matière de circulation de personnes.
Le principal est bien sûr l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, un accord qui suscite beaucoup de débats et d’interrogations.
Il faut faire à cet égard plusieurs rappels. En proportion de sa population, et comparée à ses voisins, l’Algérie n’a pas plus de ressortissants disposant d’un titre de séjour valide en France. Si cet accord était dénoncé pour revenir au droit commun, il ne faudrait pas s’attendre à une baisse automatique du nombre d’immigrés algériens, compte tenu de ce que l’on observe, par exemple, pour le Maroc ou la Tunisie.
En revanche, il est vrai, vous l’avez mentionné, mesdames, messieurs les sénateurs, que cet accord facilite l’immigration familiale au détriment de l’accueil de talents, d’étudiants ou de professionnels. Il est également moins exigeant que le droit commun en matière de vérification de l’intégration des immigrés. Il ne correspond donc ni aux exigences du temps présent ni à ce que sont aujourd’hui nos intérêts migratoires.
En outre, comme l’a exposé la mission d’information de votre commission des lois sur les accords internationaux conclus par la France en matière migratoire, le maintien de ce régime de faveur semble d’autant moins justifié qu’il ne s’accompagne pas d’une coopération satisfaisante dans le champ de la lutte contre l’immigration irrégulière.
La position du ministère est en conséquence de plaider pour une renégociation qui aurait, je le disais tout à l’heure, un triple objectif : rapprocher le régime s’appliquant aux Algériens du droit commun, notamment en matière d’immigration familiale ; introduire des dispositifs attractifs pour les profils les plus dynamiques ; renforcer les exigences républicaines d’intégration, qu’elles soient linguistiques ou civiques. Une telle renégociation n’aurait rien de nouveau, puisque l’accord a déjà été modifié à trois reprises, en 1985, en 1994 et en 2001.
En 1994, par exemple, nous avons rendu obligatoire la présentation d’un passeport et d’un visa pour les Algériens souhaitant se rendre en France. Vous le voyez, on a donc su faire évoluer de façon significative le cadre dont il est question.
Cela a été dit, le comité intergouvernemental franco-algérien de haut niveau avait d’ailleurs convenu, lors de sa session d’octobre 2022, de réactiver le groupe technique bilatéral de suivi de l’accord en vue de l’élaboration, le moment venu, d’une quatrième renégociation.
J’ai mentionné aussi tout à l’heure – c’est un point important – l’accord du 10 juillet 2007, révisé en 2013, qui prévoit l’exemption réciproque de visa de court séjour pour les titulaires d’un passeport diplomatique ou de service.
Nous avons pris, sur la base de cet accord, des mesures restrictives, en durcissant sa mise en œuvre, et notamment en réduisant ou en appliquant des critères plus contraignants à la délivrance de visas diplomatiques aux représentants de la nomenklatura algérienne.
Notre objectif n’est pas de faire peser ce différend sur la population algérienne ou sur la population franco-algérienne ; il est, bien sûr, de faire respecter nos intérêts, de faire entendre nos exigences et d’assumer le rapport de force avec les représentants de la nomenklatura.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai essayé de vous exposer de façon factuelle ce que sont nos intérêts migratoires dans nos rapports avec l’Algérie et la manière dont nous faisons valoir nos priorités.
Comme l’a dit et redit le Président de la République il y a encore quelques jours, un travail de fond exigeant doit être engagé avec « un sens du réel et une culture du résultat », avec pour seule boussole l’intérêt de la France et des Français.
Nous n’aurons, et nous n’avons, aucune difficulté à assumer des rapports de force là où c’est utile et à utiliser la large palette d’instruments dont nous disposons à cet effet, loin des polémiques ou de la rente mémorielle dont notre pays a été l’objet.
Nous ferons entendre la voix de la France et des Français.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans aucune situation la relation entre ancien pays colonisateur et ancien pays colonisé n’est facile. S’y joue nécessairement, en effet, l’héritage des aspects très négatifs de la colonisation. Reste qu’il n’y a pas, dans la colonisation, que des aspects très négatifs ; et nous sommes loin, en ce qui concerne l’Algérie, de pouvoir parler de « centaines d’Oradour-sur-Glane ».
Il faut savoir mesure garder dans l’analyse, et – je le dis très simplement – même l’émir Abdelkader, alors installé à Damas, et dont la smala avait été prise en 1843, avait fait une très belle lettre, après la mort du maréchal Bugeaud, dénonçant les excès et les exactions, mais reconnaissant en ce dernier un grand militaire.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. Voilà qui n’empêche pas ensuite, après la décolonisation, de faire le bilan – positif, négatif, bref le bilan !
Quel est le problème aujourd’hui ? Il n’est pas de savoir qui peut faire ce bilan de manière objective. Évidemment, des deux côtés de la Méditerranée, on n’a pas forcément les mêmes analyses, même si, pour ma part – je vous le dis, mes chers collègues –, je n’ai pas trouvé le débat tel qu’il a lieu en Algérie beaucoup plus modéré que ce que vous appelez le débat « tendu » en France. À écouter certains ministres algériens parler de la France, c’est même le moins que l’on puisse dire : leurs propos relèvent quasiment de la provocation, voire de l’insulte.
Chaque État est libre, et c’est heureux, de gérer ses affaires, de gérer la manière dont il envisage la politique migratoire. La France n’a pas à faire de commentaires sur les politiques migratoires de l’Algérie, du Maroc ou de la Tunisie à l’égard des populations subsahariennes, par exemple. Or, chacun le sait, on ne peut pas dire que ces politiques soient toujours très respectueuses des droits de l’homme, de l’humanité, de tout ce que l’on veut. Dans des pays qui sont y compris des pays amis, l’immigration subsaharienne n’est pas facilement acceptée et fait même l’objet d’un rejet assez brutal.
La France a la maîtrise – c’est normal – de sa politique migratoire. Des accords ont été conclus avec l’Algérie. Je ne reviens pas sur tous ces ressortissants algériens sous OQTF dont elle n’accepte pas le retour, mais, dès lors que l’Algérie ne respecte pas ces accords, il n’y a pas pléthore de possibilités.
En tout état de cause, je demande au gouvernement français de se montrer un tant soit peu uni dans sa manière de s’exprimer : ça peut aider !
Que le Président de la République, le Premier ministre et le ministre de l’intérieur adoptent le même vocabulaire, ça peut aider – il doit bien y avoir le téléphone, quand même, dans leurs bâtiments respectifs ! (Sourires.) Je m’adresse à eux : ayez le même discours et dites la même chose, parce que rien n’est pire que de laisser supposer aux gouvernants algériens que les dissensions internes au gouvernement français pourraient leur permettre de poursuivre à l’égard de notre pays une politique qui ne soit pas une politique d’équilibre.
Il n’y a pas pléthore de possibilités, disais-je : les choses sont simples. Soit les accords sont respectés, l’Algérie reprend ses ressortissants sous OQTF, la France fait valoir ses règles et il n’y a pas de sujet – on continue ; soit ce n’est pas le cas, pour des raisons diverses – ce n’est pas la peine d’y revenir –, et, le cas échéant, soit on révise les accords de 1968 et les modifications qui y ont été apportées depuis lors, soit on les annule pour négocier autre chose.
Mais la relation d’État à État ne saurait se fonder sur l’idée que l’ancienne puissance coloniale a forcément tort, parce qu’elle est l’ancienne puissance coloniale, et l’ancienne puissance colonisée forcément raison, même si elle ne respecte pas les accords, parce qu’elle est l’ancienne puissance colonisée…
Il faut malgré tout qu’un certain équilibre soit respecté ! Je connais beaucoup de responsables algériens en France qui – on me pardonnera de le dire ainsi – sont les premiers à faire état de la tendance naturelle du gouvernement algérien à donner dans l’« anti-France » afin de ressouder autour de lui la population, alors qu’il se trouve contesté par le Hirak, contesté par les intellectuels, contesté par les Kabyles, en un mot : contesté. Le plus simple, quand on veut refaire l’unité, c’est de s’en prendre à la nation colonisatrice… C’est ce qui s’est passé aussi, d’ailleurs, au Mali, au Burkina Faso ou dans d’autres États.
Pour ma part, je n’appelle ni à la fermeté ni à la facilité. Faites respecter la France, faites respecter les accords internationaux, et tout ira bien. Si l’Algérie respecte les accords, très bien ; si l’Algérie ne les respecte pas, la France, elle, se fera respecter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)