Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nicole Bonnefoy.
2. Questions d’actualité au Gouvernement
M. Patrick Kanner ; M. François Bayrou, Premier ministre ; M. Patrick Kanner.
M. Jérémy Bacchi ; Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l’emploi ; M. Jérémy Bacchi.
financement de la relance nucléaire
M. Vincent Delahaye ; M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie ; M. Vincent Delahaye.
annonces du premier ministre sur l’âge légal de départ à la retraite et suites du « conclave »
Mme Raymonde Poncet Monge ; Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l’emploi ; Mme Raymonde Poncet Monge.
M. Michel Savin ; Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations ; M. Michel Savin.
difficultés rencontrées par les pêcheurs
Mme Nadège Havet ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
accompagnement des personnes en situation de handicap et journée mondiale de la trisomie 21
M. Jean-Luc Brault ; Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et du handicap.
traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine
M. André Guiol ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
menaces de taxes des états-unis et enquête antidumping chinoise sur les vins et spiritueux
M. Daniel Laurent ; M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l’étranger ; M. Daniel Laurent.
M. Saïd Omar Oili ; M. Patrick Mignola, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
suites du déplacement du ministre de l’intérieur dans le pas-de-calais
M. Jean-François Rapin ; M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur ; M. Jean-François Rapin.
difficultés d’embauche des travailleurs saisonniers
Mme Brigitte Devésa ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ; Mme Brigitte Devésa.
campagne d’affichage de la france insoumise
M. Olivier Paccaud ; M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur ; M. Olivier Paccaud.
guerre commerciale avec les états-unis
M. Franck Montaugé ; M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l’étranger.
prix de l’électricité pour les industries électro-intensives
Mme Martine Berthet ; M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
conflit en république démocratique du congo
M. Guillaume Chevrollier ; M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Suspension et reprise de la séance
3. Mise au point au sujet d’un vote
4. Communication d’un avis sur un projet de nomination
5. Exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme Émilienne Poumirol, auteure de la proposition de loi
Mme Françoise Dumont, rapporteure de la commission des lois
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l’emploi
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
6. Architectes des Bâtiments de France. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme Rachida Dati, ministre de la culture
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 13 rectifié de M. Dominique De Legge. – Retrait.
Amendement n° 4 rectifié bis de M. Jean-Baptiste Lemoyne. – Rejet.
Amendement n° 15 rectifié ter de Mme Catherine Belrhiti. – Rejet.
Amendement n° 3 de M. Jean-Baptiste Lemoyne. – Retrait.
Amendement n° 12 rectifié de M. Dominique de Legge. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 5 rectifié ter de Mme Lauriane Josende. – Rejet.
Amendement n° 7 rectifié de Mme Céline Brulin. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 6 rectifié bis de Mme Catherine Belrhiti. – Rejet.
Amendement n° 14 rectifié quater de Mme Catherine Belrhiti. – Adoption.
Amendement n° 1 rectifié bis de Mme Guylène Pantel. – Rejet.
Amendement n° 16 rectifié quater de Mme Catherine Belrhiti. – Retrait.
Amendement n° 8 rectifié de Mme Céline Brulin. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 10 rectifié bis de Mme Marie-Jeanne Bellamy. – Rejet.
Amendement n° 11 de Mme Monique de Marco. – Retrait.
Amendement n° 2 rectifié de Mme Sabine Drexler. – Retrait.
Adoption de l’article.
Intitulé de la proposition de loi
Amendement n° 18 de la commission. – Adoption de l’amendement rédigeant l’intitulé.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture
M. Pierre-Jean Verzelen, auteur de la proposition de loi, rapporteur
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert
7. Mettre fin au sans-abrisme des enfants. – Adoption d’une proposition de résolution
M. Ian Brossat, auteur de la proposition de résolution
Mme Valérie Létard, ministre chargée du logement
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Adoption, par scrutin public n° 236, de la proposition de résolution.
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Jean-Michel Arnaud,
Mme Nicole Bonnefoy.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres – ce rappel n’est pas inutile ces temps-ci… – ou de celui du temps de parole.
réforme des retraites (i)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, par lettre en date du 16 janvier dernier, vous me confirmiez « votre engagement sans ambiguïté pour que la concertation sur les retraites (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) se déroule sans totem ni tabou, pas même l’âge légal d’ouverture des droits », et ce à une seule condition : la recherche de l’équilibre financier.
Si vous vous attaquiez aux inégalités salariales entre les femmes et les hommes, au sous-emploi des seniors et à l’injustice fiscale, je vous assure, monsieur Bayrou, que cet équilibre financier serait à portée de main, y compris dans l’hypothèse où la mesure d’âge serait revue.
Or il ne se passe pas une semaine sans que vous vous immisciez dans les discussions des partenaires sociaux, qui devaient pourtant être libres. Un jour, vous parlez de « déficit caché » ; un autre, vous imposez le retour à l’équilibre financier en 2030 ; le lendemain, vous écartez en conscience toute discussion sur l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans, alors que la question est éminemment politique.
Vous opérez non pas une simple révision des termes de la discussion, mais un sabotage du dispositif que vous avez vous-même imaginé. Avec cette méthode, vous renouez avec la pratique des gouvernements précédents : vous dégradez le dialogue social ; vous contournez le Parlement ; vous méprisez les citoyens qui se sont massivement mobilisés contre cette réforme et créez un climat de défiance.
Monsieur le Premier ministre, je serai très direct : allez-vous respecter vos engagements et laisser les partenaires sociaux construire une solution, sans miner le terrain des négociations ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le président Patrick Kanner, il y a deux questions dans votre interrogation.
La première, qui est discutée très largement, est de savoir si les partenaires sociaux, organisations syndicales et représentants des entreprises, sont légitimes pour participer aux discussions autour de la problématique du financement, de l’équilibre et de l’organisation du système des retraites. Beaucoup d’observateurs et d’acteurs politiques pensent que non. Moi, je pense que oui. C’est pourquoi j’ai donné la main aux partenaires sociaux sur ce sujet.
La seconde question est de savoir si je me suis immiscé dans les débats.
Mme Raymonde Poncet Monge. C’est le cas !
M. François Bayrou, Premier ministre. Jamais. (Protestations sur les travées du groupe SER.) Je ne suis même pas venu présenter le rapport de la Cour des comptes devant les différents acteurs de la concertation.
Au début de votre intervention, vous avez fait allusion à cette polémique récente, en rappelant l’essentiel, à savoir que j’ai écrit une lettre de mission, qui a été acceptée par tous les partenaires sociaux présents autour de la table. Celle-ci disposait qu’il n’était pas possible de dégrader l’équilibre financier de notre régime de retraite.
Dans une seconde lettre, j’ai ensuite précisé qu’il fallait rétablir cet équilibre. Comme vous le savez, la Cour des comptes a démontré que celui-ci, hélas ! n’existait pas, le déficit du système s’élevant déjà à 7 milliards d’euros par an et allant croissant.
J’ai donc simplement rappelé qu’il fallait se fixer comme objectif un retour à l’équilibre en 2030, ce que tout le monde a accepté.
À la lumière de ce que je viens d’indiquer, et au vu du contexte financier et démographique, on m’a demandé si je pensais qu’un retour de l’âge de départ à la retraite à 62 ans était possible, faisable. J’ai répondu qu’à mes yeux cela ne l’était pas et que l’on ne pouvait pas à la fois supprimer la réforme des retraites et retrouver l’équilibre financier.
Mme Raymonde Poncet Monge. Vous êtes Premier ministre tout de même !
M. François Bayrou, Premier ministre. Telle est mon analyse et je suis sûr qu’elle est partagée sur beaucoup de travées et même dans l’inconscient de la plupart de ceux qui m’interrogent sur le sujet. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe SER.) Je pense que cette analyse est fondée ; j’ai d’ailleurs rencontré un certain nombre des protagonistes de cette concertation qui ont l’intention de continuer de s’impliquer.
Je le souhaite, tout comme je souhaite que l’on trouve les aménagements nécessaires à cette réforme, ainsi que l’équilibre financier indispensable à l’avenir du système de retraite et à l’équilibre de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.
M. Patrick Kanner. Mon inconscient va très bien, monsieur le Premier ministre… Je me demande en revanche si vos propos ne trahissent pas votre envie de céder au chant des sirènes que l’on entend de la place Beauvau à la place Vendôme… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous qui vous réclamez du centre droit, je me demande si vous ne dérivez pas plutôt vers l’extrême droite du centre ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Protestations sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)
Quand vous désavouez deux de vos ministres pour leur conception de la laïcité, quand vous laissez prospérer ici, au Sénat, un débat qui n’a d’autre but que de recycler des mesures d’extrême droite censurées par le Conseil constitutionnel,…
M. Aymeric Durox. C’est fini !
M. Patrick Kanner. … en laissant vos ministres les cautionner, j’estime que nous assistons à une dérive.
M. le président. Il faut conclure !
M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, nous ne vous suivrons pas sur la voie que vous tracez, celle qui conduit à dérouler le tapis rouge au RN ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
réforme des retraites (ii)
M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
M. Jérémy Bacchi. Selon le Premier ministre, « la démocratie sociale n’est pas négligeable ». Qui faut-il donc croire ? Le Premier ministre du discours de politique générale ou celui des plateaux de télévision ?
En janvier dernier, le chef du Gouvernement promettait une discussion sans « aucun tabou, pas même l’âge » de départ à la retraite ; aujourd’hui, il oppose un « non » ferme à un retour à 62 ans. Après le 49.3 parlementaire, voici le 49.3 sur la démocratie sociale ! Ni les syndicats de salariés, ni les parlementaires, ni les citoyens n’ont le droit de proposer un retour à la retraite à 62 ans avec un financement alternatif.
Sur fond de cacophonie gouvernementale, qui faut-il écouter ? Les ministres dits sociaux-libéraux, qui font mine de croire que tout est encore sur la table, ou les ministres clairement libéraux qui, eux, s’insurgent contre toute abrogation de cette contre-réforme ?
Le Premier ministre nous indique que « le contrat n’a pas changé », mais, à force de saboter les négociations, il n’y aura bientôt plus personne autour de la table pour signer un quelconque contrat.
Madame la ministre chargée du travail et de l’emploi, allez-vous une nouvelle fois agir contre les intérêts du plus grand nombre et refuser tout retour à la retraite à 62 ans ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER. – M. Guy Benarroche applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée du travail et de l’emploi.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l’emploi. Monsieur le sénateur, lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a dit qu’il fallait faire confiance au dialogue social et aux partenaires sociaux. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Mme Céline Brulin. Il l’a dit, mais il ne l’a pas fait !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Notre position n’a pas changé, les règles du jeu non plus. La légitimité des partenaires sociaux dans le champ social, notamment en ce qui concerne les retraites, est reconnue et exigeante.
La démarche que nous avons engagée, que le Premier ministre a engagée, est inédite.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ah bon ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Elle est inédite, d’abord, parce qu’elle se fonde sur un diagnostic de la Cour des comptes réputé irréfutable, qui établit que le déficit atteint aujourd’hui 7 milliards d’euros.
Elle est inédite ensuite, parce que le Premier ministre a souhaité rappeler, dans une lettre de mission envoyée aux partenaires sociaux, que le retour à l’équilibre en 2030 était une exigence sine qua non pour faire fonctionner notre régime de retraite par répartition et pour que vous aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, ou vos administrés, quand vous partirez à la retraite (M. Fabien Gay proteste.), vous puissiez bénéficier d’une pension décente.
M. Fabien Gay. Vous devriez plutôt vous préoccuper des infirmières !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Enfin, elle est inédite, parce que nous avons demandé aux partenaires sociaux d’établir un ordre du jour. Les représentants des organisations syndicales se rencontrent tous les jeudis pour discuter âge de départ, pénibilité, femmes, carrières hachées, gouvernance, épargne, retraite. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Fabien Gay. Et les 64 ans ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Les discussions doivent se poursuivre et aller à leur terme, si l’on veut réellement rétablir l’équilibre financier du régime, mais aussi corriger certains paramètres qui peuvent sembler injustes aujourd’hui – je pense notamment à la pénibilité et aux carrières des femmes. (M. François Patriat applaudit. – Protestations sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
Mme Cécile Cukierman. Vous ne les aidez pas avec cette réforme !
M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour la réplique.
M. Jérémy Bacchi. Je veux bien que l’on nous parle d’équilibre, mais le véritable projet du Gouvernement est de réduire la part des dépenses de retraite dans le PIB. La Cour des comptes le résume d’ailleurs en deux lignes, à la page 45 de son rapport : ces dépenses s’élèveront à 13 centimes par euro produit en 2045 contre 14 centimes aujourd’hui…
De telles menaces incitent les retraités à manifester, comme ce sera le cas demain, partout dans le pays. Je tiens à saluer leur mobilisation, notamment celle des professions portuaires dans le département des Bouches-du-Rhône, lesquels luttent depuis plusieurs semaines pour faire reconnaître la pénibilité de leurs métiers et leur exposition à l’amiante. Ces salariés refusent qu’on leur vole deux ans de leur vie !
Pour nous, vous l’aurez compris, 64 ans, c’est toujours non ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER.)
financement de la relance nucléaire
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Vincent Delahaye. Ma question s’adresse au ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
Monsieur le ministre, nous nous réjouissons que le conseil de politique nucléaire ait repris, lundi dernier, plusieurs constats et propositions de la commission d’enquête sénatoriale sur l’électricité.
Nous approuvons les déclarations d’intention émises à cette occasion concernant le financement des six premiers EPR 2 (réacteurs pressurisés européens de deuxième génération), la mise en place du contrat pour différence, la relance de la quatrième génération de réacteurs et des réacteurs à neutrons rapides et le renforcement de l’aval du cycle, avec une nouvelle piscine à La Hague et une optimisation du recyclage.
Mes questions sont simples, monsieur le ministre : quel est le montant estimé des investissements nécessaires à la relance de la filière dans les dix prochaines années ? Quelle serait la répartition de ces investissements entre l’État et les différents acteurs de la filière ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Marques d’ironie sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Monsieur le sénateur Delahaye, je vous remercie de cette question, qui me permet de faire un point de situation sur notre filière nucléaire, laquelle est, comme vous le savez, au cœur de notre stratégie énergétique, en cohérence avec le discours de Belfort prononcé par le Président de la République en février 2022.
Le conseil de politique nucléaire que vous avez cité a notamment permis de faire un bilan du programme de construction des six EPR 2, qui ont vocation à être mis en service à partir de 2038, et d’évoquer les enjeux industriels relatifs à ce programme.
À cette occasion, nous avons souligné la nécessité d’une maîtrise des coûts, ainsi que d’une maîtrise organisationnelle des délais de la part d’EDF dans le cadre de la mise en œuvre du projet. Nous avons également abordé – c’est l’objet de votre question – les aspects financiers du dossier.
Le financement de ce programme reposera, au cours de la phase de construction des réacteurs, sur un prêt bonifié accordé à EDF par l’État sur le modèle de chantiers déjà engagés au niveau européen et validés par la Commission européenne – comme en République tchèque, par exemple –, puis, au cours de la phase d’exploitation, sur un contrat pour différence, c’est-à-dire un contrat de rachat de l’électricité nucléaire dont les modalités sont fixées de telle sorte que le prix soit compétitif pour nos industriels et que la soutenabilité économique du modèle d’EDF soit garantie.
M. Yannick Jadot. Bien sûr !
M. Marc Ferracci, ministre. Nous avons également étudié les enjeux liés à l’aval du cycle et la manière dont nous allons traiter le combustible nucléaire.
M. Yannick Jadot. Ah !
M. Marc Ferracci, ministre. Nous avons le souci d’investir dans de nouvelles technologies permettant d’exploiter le combustible usagé, afin de clore le cycle du nucléaire, c’est-à-dire de nous rendre indépendants de l’uranium naturel que l’on trouve aujourd’hui dans des pays qui ne sont pas toujours très fiables ou stables d’un point de vue géopolitique. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Pour ce qui est de la répartition des investissements, ce programme fait l’objet d’une contribution de l’État au titre, comme je l’ai déjà dit, du prêt bonifié qu’il accorde à EDF, ainsi que de 200 millions d’euros au titre de France 2030 pour le financement des petits réacteurs modulaires. Le programme de construction de ces EPR 2 coûtera environ 70 milliards d’euros. (Moues dubitatives sur les travées du groupe GEST.)
M. Yannick Jadot. Ouh là là !
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour la réplique.
M. Vincent Delahaye. Merci, monsieur le ministre, mais je ne suis pas sûr que votre réponse nous rassure complètement… (Exclamations amusées et applaudissements sur les travées du groupe GEST.) Surtout, je crains qu’elle ne suffise pas à rassurer les acteurs de la filière, qui ont besoin de visibilité et de lisibilité.
Le Gouvernement devrait rapidement affirmer ses intentions en matière de répartition des efforts dédiés à la relance et à la mise à niveau de notre filière nucléaire. C’est absolument indispensable.
Alors que nous empruntons pour payer les salaires et les pensions des fonctionnaires, je pense que nous pourrions emprunter 10 milliards d’euros chaque année pour aider la filière nucléaire à se relancer ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST.)
M. Yannick Jadot. Mais oui, allons-y !
M. Vincent Delahaye. Ce sujet pourrait rassembler une majorité de Français dans notre pays, ce qui n’est pas si fréquent par les temps qui courent. Nous avons besoin du nucléaire, c’est vital pour notre économie, pour nos emplois et pour l’avenir de tous les Français ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
annonces du premier ministre sur l’âge légal de départ à la retraite et suites du « conclave »
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la ministre chargée du travail et de l’emploi, depuis plusieurs semaines, les déclarations se succèdent pour contraindre le débat du conclave, qui devait pourtant être préservé des pressions extérieures de l’exécutif.
Pour ne citer que ces exemples, la ministre du travail interfère dans les discussions en militant pour un âge de départ à la retraite à 65 ans et pour un système par capitalisation ; le président du Conseil d’orientation des retraites (COR) outrepasse sa fonction et trouve ce débat dérisoire en temps d’économie de guerre ; la ministre chargée des comptes publics le déclare irréaliste ; enfin, le Premier ministre lui-même révèle ses véritables intentions en excluant tout retour à la retraite à 62 ans…
On comprend mieux pourquoi le rapport de la Cour des comptes n’avait pas vocation à établir le chiffrage d’un retour de l’âge de départ à la retraite à 62 ans et pourquoi le Gouvernement a refusé de suspendre la réforme le temps de la concertation.
Vous faites en sorte que le débat soit forclos, vous méprisez une seconde fois la démocratie sociale et vous refusez la controverse sur les propositions des organisations syndicales : exit l’explosion des exonérations non compensées, les mesures pour une égalité salariale effective, les dispositions améliorant le taux d’emploi et le rendement des cotisations ! Faute de projection financière de ces paramètres sur les équilibres macroéconomiques du système, le conclave se voit imposer les conclusions qui seront tirées de ses travaux et tourne au marché de dupes.
Si vous sabotez votre propre conclave, comment comptez-vous revenir devant un Parlement qui, à partir du travail des partenaires sociaux, devait avoir le dernier mot ?
Madame la ministre, le Gouvernement doit s’engager ici, devant nous : poursuite ou non du conclave, le Parlement sera-t-il saisi des propositions et paramètres qui auraient dû y être discutés ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée du travail et de l’emploi.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l’emploi. Madame la sénatrice, le dialogue doit et va se poursuivre. Il faut maintenant laisser les partenaires sociaux travailler sereinement. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.) Il existe un ordre du jour.
La Cour des comptes a fourni un rapport sur la trajectoire financière de notre système de retraite. Elle rendra dans deux semaines un rapport sur les conséquences macroéconomiques de la réforme, notamment en termes de taux d’activité des seniors. Une telle analyse permettra de répondre à vos questions. La Cour des comptes a également satisfait l’une des demandes des partenaires sociaux, qui souhaitaient disposer des projections financières induites par un retour de l’âge de départ à la retraite à 62 ans, en plus de celles qui avaient trait à un retour à 63 ans, qui figuraient déjà, elles, dans son rapport.
Aujourd’hui, je le redis, je souhaite que les partenaires sociaux…
M. Yannick Jadot. Mais lesquels ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. … puissent réfléchir sereinement, tranquillement, aux points de l’ordre du jour qu’ils ont défini, sur lesquels ils vont travailler dès demain, et qu’ils pourront d’ailleurs compléter au cours de leurs échanges. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST.)
Nous sommes d’accord sur un point : il faut rétablir l’équilibre financier de notre système dès 2030, parce qu’un régime par répartition déséquilibré constitue une menace pour les futurs pensionnés. Il faut également corriger un certain nombre d’injustices comme les critères actuels de définition de la pénibilité, la prise en compte des carrières des femmes et des carrières hachées.
Pour le bien commun, il faut que nous puissions atteindre cet équilibre en prenant en compte à la fois les aspects financiers de la question et les réalités du marché du travail. Vous aurez ainsi toutes les réponses aux questions que vous vous posez, madame la sénatrice.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour la réplique.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la ministre, nous le réaffirmons, si vous mettez fin à votre « politique des caisses vides », qui légitime les réformes antisociales et livre notre système aux marchés et à la capitalisation, il est possible de revenir à la retraite à 62 ans. Pour une fois, ayez enfin le courage d’en débattre ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
port du voile dans le sport
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour le groupe Les Républicains. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. Monsieur le Premier ministre, le 18 février dernier, le Sénat a adopté, à une forte majorité, la proposition de loi qui prévoit l’interdiction des signes religieux et de l’exercice d’un culte lors des compétitions sportives. À cette occasion, le Gouvernement, par la voix de François-Noël Buffet, a fermement soutenu ce texte, un soutien que vous avez renouvelé hier à l’Assemblée nationale,…
M. Marc-Philippe Daubresse. Très bien !
M. Michel Savin. … ce dont je vous remercie, car il met un terme à la déplorable cacophonie régnant ces derniers jours au sein de l’exécutif.
Car, oui, la lutte contre l’entrisme religieux est une priorité ! Puisque les actes valent mieux que les paroles, que le temps passe et que le phénomène s’amplifie, monsieur le Premier ministre, ma question sera simple : quand allez-vous inscrire ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Monsieur le sénateur, je vous remercie tout d’abord d’avoir eu le courage de déposer cette proposition de loi. C’est un texte important (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et GEST.) pour réaffirmer le principe de laïcité dans notre pays, un principe qui ne souffre évidemment aucune exception.
Nous l’avons dit, il y a bien une ligne et une seule ligne au sein du Gouvernement : le soutien à cette proposition de loi telle qu’elle a été modifiée et adoptée le 18 février dernier au Sénat.
M. Jacques Grosperrin. Et la ministre des sports alors ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Cela signifie que les terrains de sport ne doivent pas favoriser l’entrisme religieux,…
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. … l’entrisme islamiste. Sur les terrains de sport, il n’y a qu’un seul maillot, celui de l’équipe ; aucun maillot politique ou religieux ne peut y être admis.
J’en viens à votre question : oui, le Gouvernement inscrira votre proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il y va de notre responsabilité collective.
Face à une telle tentative d’entrisme, il faut réaffirmer nos valeurs, dire clairement que ce n’est pas nous qui les inversons et qui empêchons la pratique sportive en rappelant fermement le principe de laïcité à l’ensemble de nos concitoyens, mais tous ceux qui imposent aux femmes de porter une tenue différente de la tenue sportive.
La liberté, c’est la laïcité. La laïcité, c’est l’émancipation, notamment celle des femmes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. Jacques Grosperrin. La gauche est absente sur ce sujet !
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour la réplique.
M. Michel Savin. Merci, madame la ministre, me voilà enfin rassuré quant à la position du Gouvernement. Je viens d’entendre votre engagement à ce que cette proposition de loi soit inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
À l’inverse de Mmes les ministres des sports et de l’éducation nationale, je rappelle l’urgence qu’il y a à légiférer sur le sujet. Il ne se passe pas un week-end sans qu’un dirigeant de fédération sportive, un président de club, un éducateur, un arbitre, voire les services de police, soient confrontés à cette réalité : le sport est devenu un espace de conquête pour l’islam politique. Une large majorité de ces acteurs souhaitent que l’État instaure un cadre clair pour faire face à cette pression religieuse.
Les signes religieux, comme le voile, n’ont rien à faire dans les compétitions sportives. Lorsqu’on participe à une compétition, on n’a pas besoin de connaître l’appartenance religieuse ou politique de son partenaire ou de son adversaire… Que les femmes qui le portent sur les terrains de sport en aient conscience ou pas, le voile est l’instrument d’un projet politique échafaudé par les architectes d’un islam radical qui se réjouissent de l’aveuglement, de la naïveté, voire de la complicité de bon nombre de dirigeants et d’élus.
Nous sommes face à un véritable enjeu de société. Ce n’est pas au sport ni à la société de s’adapter, mais bien à la religion d’évoluer. C’est la raison pour laquelle, monsieur le Premier ministre, il est urgent d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale avec l’appui sans équivoque du Gouvernement. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
difficultés rencontrées par les pêcheurs
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
Mme Nadège Havet. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Madame la ministre, fermeture du golfe de Gascogne qui équivaut dans les faits à une interdiction de travailler, menace d’interdiction de certaines techniques de pêche dans les aires marines protégées, problématique de la délimitation des zones de pêche liée au Brexit, les contraintes imposées aux pêcheurs sont nombreuses.
Ils doivent, comme nos agriculteurs, faire face aux nombreuses critiques ou pressions de la part de certaines organisations non gouvernementales. Ils ressentent un profond sentiment d’injustice et déplorent un paradoxe : notre pêche, ce sont des emplois en mer et sur terre, c’est l’identité de nombreux territoires, et notamment celle du pays bigouden dans le Finistère.
Au Guilvinec, où vous vous êtes rendue il y a quelques semaines, madame la ministre, vous avez déclaré devant les acteurs de la filière : « J’enrage que notre pays, qui possède la deuxième façade maritime mondiale, affiche un déficit de plus de 5 milliards d’euros dans sa balance commerciale sur la pêche », alors que nous avons les ressources et le savoir-faire pour y remédier. Nous partageons votre constat à 100 %.
Depuis trente ans, la pêche française a profondément évolué : quotas stricts, progrès techniques, sélectivité accrue. Oui, ces efforts ont porté leurs fruits ! Il est aussi indispensable de renforcer ce secteur, gage de notre souveraineté alimentaire. Comment comprendre que les mareyeurs soient obligés d’importer du poisson en camion ou en avion, parce qu’ils n’ont pas la matière première pour travailler, faute de bateaux pour aller pêcher ? La logique environnementale n’est pas toujours évidente. (Murmures désapprobateurs sur les travées du groupe GEST.)
Il y a dix jours, des pêcheurs bretons ont ainsi fait part de leur ras-le-bol, celui d’être pointés du doigt, d’être vus comme un problème et non comme une solution.
Madame la ministre, en juin, nous accueillerons la conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc). Quelles réponses pouvez-vous apporter aujourd’hui pour rassurer nos pêcheurs sur ces différents points ? Que prévoit le Gouvernement pour enfin rééquilibrer notre balance commerciale en matière de pêche ? Le soutien au secteur de la pêche sera-t-il un axe fort de la stratégie française au cours de l’Unoc ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Max Brisson applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice Havet, je tiens à vous rassurer tout de suite, les pêcheurs auront tout mon soutien lors de l’Unoc.
En tant que ministre de la transition écologique et de la pêche, mon rôle est de valoriser les efforts considérables de nos pêcheurs pour mettre en place une pêche durable, de les défendre contre le phénomène de la pêche illégale, qui frappe non seulement certains territoires ultramarins, mais également l’Hexagone, de m’assurer qu’ils peuvent contribuer à notre souveraineté alimentaire, ce qui, dans cette période de tensions géopolitiques, est plus que jamais essentiel, alors même que nous importons aujourd’hui 80 % des produits issus de la mer que nous consommons.
C’est l’ambition que je porte dans le contrat stratégique de filière que nous avons signé avec nos pêcheurs, sous l’égide du Président de la République et du Premier ministre, lors du dernier salon de l’agriculture.
Alors, quelles sont nos priorités immédiates et quelles actions allons-nous mener ?
D’abord, au regard de la situation dans le golfe de Gascogne, au-delà de la mobilisation réussie de mes services auprès de la Commission européenne pour obtenir, dans les meilleures conditions, une compensation juste et qui soit à la hauteur, nous entendons instruire rapidement les dossiers et travailler pour faire en sorte de réunir toutes les conditions nécessaires à une réouverture de la pêche en 2027 selon des méthodes permettant de concilier celle-ci avec la préservation de la biodiversité.
Je mène également un travail de lutte contre la concurrence déloyale. Ainsi, je serai à Bruxelles lundi prochain afin de défendre deux dossiers en particulier auprès du commissaire Costas Kadis : d’une part, aux côtés de sept autres pays, nous entendons faire valoir que la pêche ne doit pas être la variable d’ajustement dans cette négociation des accords post-Brexit ; d’autre part, dans le cadre du pacte européen pour les océans, nous voulons défendre notre vision, celle d’une lutte ferme contre la pêche illégale, lutte dont la Commission européenne est partie prenante. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
accompagnement des personnes en situation de handicap et journée mondiale de la trisomie 21
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Brault, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Jean-Luc Brault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 95 euros, c’est ce qu’il reste chaque mois à Loéline, pour vingt heures de travail par semaine. En cause, principalement : les coûts de transport que son handicap lui impose.
J’aurais pu m’arrêter là et vous poser cette simple question, madame la ministre : auriez-vous la motivation d’aller travailler vingt heures par semaine pour 95 euros par mois ? Moi, je ne l’aurais pas.
Loéline, 19 ans, porteuse de trisomie 21, a ce courage. Mais on ne peut pas se résigner à ce que la ruralité aggrave le handicap. Au contraire.
Loéline nous a déjà interpellés au sujet des jeunes travailleurs en situation de handicap le 21 novembre dernier, ici même, au Sénat, lors d’un discours très émouvant prononcé à l’occasion du DuoDay.
Les exemples absurdes abondent. En voici quelques-uns.
Une administration qui empêche le père d’un jeune porteur de trisomie 21, avec des traits autistiques, de le représenter au téléphone.
Des employeurs – et j’en sais quelque chose – qui jettent l’éponge, car trop d’interlocuteurs et trop de paperasse à remplir.
Une articulation entre les différents dispositifs qui vous incite à rester à la maison.
Des aidants, quand il y en a, qui passent parfois des heures et des heures à monter un dossier, des mois et des mois à attendre la réponse, pour essuyer finalement un refus non motivé.
Une personne récemment amputée des deux jambes qui doit attendre dix mois pour obtenir sa carte mobilité inclusion.
Enfin, des gamins sans accompagnant d’élève en situation de handicap (AESH) durant toute leur scolarité.
Madame la ministre, des absurdités comme celles-ci, chacun d’entre nous peut vous en faire remonter, et ce dans tous les domaines : emploi, logement, sport, culture, santé, école, démarches administratives, etc. On a l’impression que cela ne s’arrêtera jamais ! Les personnes en situation de handicap ne veulent pas être assistées : elles veulent pouvoir s’émanciper de leur condition et œuvrer à la vie de notre cité, comme tout le monde.
Les parents, les grands-parents, se donnent corps et âme pour ces enfants. Nous leur devons de la sérénité. Vingt ans après la loi de 2005, on en est au douzième comité interministériel du handicap (CIH) ! Il faut qu’un jour ce comité n’ait plus lieu d’exister.
M. le président. Votre question, mon cher collègue !
M. Jean-Luc Brault. Madame la ministre, nous connaissons votre engagement sincère sur le sujet, mais où en sommes-nous et où allons-nous ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ainsi que sur des travées des groupes UC et SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’autonomie et du handicap.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l’autonomie et du handicap. Monsieur le sénateur Brault, je vous remercie de votre question et je vous remercie, au travers de celle-ci, de mettre de nouveau l’accent sur les préoccupations des personnes en situation de handicap et sur les difficultés qu’elles rencontrent.
Vous avez tout à fait raison : ce qu’elles demandent, ce n’est pas d’être assistées, c’est de pouvoir vivre dignement, de pouvoir se déplacer partout, de ne pas être entravées dans leurs projets personnels et professionnels.
Je veux vous redire ici toute la détermination du Premier ministre et de l’ensemble des membres du Gouvernement à répondre à cette aspiration tout à fait légitime.
Des efforts ont été accomplis et des améliorations apportées depuis 2017. Vous avez cité les difficultés relatives au nombre d’AESH : de fait, le nombre d’enfants désormais scolarisés s’est accru, passant de 320 000 à 520 000, et l’on dénombre à ce jour plus de 80 000 AESH, chiffre qui est appelé à augmenter en raison de nouveaux recrutements. C’est une réponse parmi d’autres.
Dans le domaine de l’emploi, nous nous efforçons de faire converger autant que possible les droits des salariés et les droits des personnes en situation de handicap. Précisément, le Premier ministre a souhaité qu’un comité interministériel du handicap soit réuni le plus rapidement possible, afin que ces engagements soient réaffirmés. C’est ainsi que, le 6 mars dernier, ce CIH a été réuni, en présence de Catherine Vautrin, de l’ensemble des membres du Gouvernement ainsi que du Premier ministre, lequel a placé la simplification au cœur de ce CIH, en faisant d’elle un objectif majeur.
Dès la semaine prochaine, je réunirai une task force qui sera missionnée afin de repérer tout ce qui doit être amélioré, tout ce qui doit être supprimé, tout ce qui doit être accéléré, particulièrement le traitement des dossiers qui sont confiés aux maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).
Nous savons quelles souffrances endurent les familles. C’est pourquoi, à une échéance très courte, c’est-à-dire d’ici à la fin du premier semestre, nous entendons apporter des solutions qui se traduiront par des mesures de simplification et une plus grande efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Denise Saint-Pé applaudit également.)
traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine
M. le président. La parole est à M. André Guiol, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. André Guiol. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, Agnès Pannier-Runacher.
La France vient de ratifier, le 5 février dernier, l’accord portant sur la protection des océans au-delà des juridictions nationales.
C’est un accord historique par ses objectifs et par sa méthode.
Par ses objectifs, d’abord, puisqu’il porte sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité de l’océan global, en haute mer et dans les grands fonds, au-delà des zones économiques exclusives.
Par sa méthode, ensuite, car cet accord prévoit de compléter la Convention des Nations unies sur le droit de la mer dans le strict respect des instances déjà existantes chargées des ressources minières et de la pêche.
La conférence des Nations unies sur l’océan, qui se tiendra à Nice en juin prochain, devrait, par sa dynamique, entraîner d’autres ratifications.
Le gouvernement français s’est fortement impliqué dans l’élaboration de cet accord et le Parlement s’est prononcé unanimement pour sa ratification.
La France, qui se veut puissance d’équilibre, dispose ici d’une occasion propice pour renforcer utilement sa diplomatie d’influence dans le monde. L’ONU, qui peine à gérer pacifiquement les contentieux de notre planète, tente cependant de jouer un fort rôle fédérateur dans la protection des océans face à des pays qui en convoitent les innombrables ressources.
Cet accord souffre cependant d’être insuffisamment connu de nos concitoyens, pourtant très attachés à la protection globale des mers et des océans, tout comme l’est le département dont je suis élu, le Var.
Aussi, madame la ministre, je vous remercie de nous indiquer l’état d’avancement du processus de ratification de cet accord – au moins soixante pays doivent le ratifier pour qu’il puisse véritablement entrer en vigueur – et de nous préciser, pour mieux les faire connaître, les enjeux y afférents ainsi que la position de la France et celles des organisations onusiennes associées, telle l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), qui en est en train d’établir son code minier.
La célébration, en 2025, de l’année de la mer, sera une formidable occasion de rassembler nos concitoyens autour d’une noble cause. La France, dans sa diversité, s’y reconnaîtra. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur Guiol, je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer sur ce fameux traité BBNJ (Marine Biodiversity of Areas beyond National Jurisdiction).
Je connais votre engagement sur ce sujet important : vous avez en effet été le rapporteur, au Sénat, du projet de loi autorisant la ratification dudit accord.
Cet accord sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas d’une juridiction nationale est essentiel pour la protection de notre environnement. C’est en effet le premier accord à porter sur la haute mer, espace quasiment de non-droit, puisque, en dépit de la convention de Montego Bay de 1982, rien n’y est interdit aujourd’hui, sinon la piraterie. Et encore faut-il pouvoir maîtriser cette dernière…
La mer est pourtant notre principal puits de carbone. Elle absorbe près de 30 % du CO2 que nous émettons et capte plus de 90 % de la chaleur liée au réchauffement climatique. Sans elle, le dérèglement climatique se serait emballé depuis bien longtemps.
La mer nourrit également une très large partie de l’humanité. La protéger, c’est aussi assurer la sécurité alimentaire de demain, fixer les populations sur leurs territoires et éviter des migrations problématiques.
C’est un réservoir unique d’espèces, un patrimoine génétique encore méconnu, qui peut être source d’innombrables innovations médicales.
La mer, c’est un poumon bleu, c’est un garde-manger et un trésor scientifique.
Il était donc plus qu’urgent de protéger la haute mer. Tel est donc l’objet du traité BBNJ, qui a fait l’objet de six années de négociations difficiles à l’ONU. Grâce à la mobilisation du Président de la République et de la France, celui-ci a déjà été signé par 112 États en 2023.
Comme vous l’avez dit, nous en sommes désormais à la phase de ratification. Mon collègue Jean-Noël Barrot et moi-même ne nous épargnons aucun effort pour faire en sorte que l’ensemble des pays signataires ratifient ce traité afin de le rendre opérationnel. Dans la perspective de la conférence des Nations unies sur l’océan, que nous allons accueillir,…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. … il nous paraît en effet essentiel de promouvoir cette vision exigeante de la protection de la biodiversité en haute mer. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
menaces de taxes des états-unis et enquête antidumping chinoise sur les vins et spiritueux
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Laurent. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en tant que président du groupe d’études Vigne et vin du Sénat, et en tant qu’élu de la région délimitée de Cognac, je souhaite vous alerter de nouveau sur les menaces graves qui pèsent sur notre filière viticole.
L’annonce par Donald Trump d’une taxe de 200 % sur les vins, champagnes et spiritueux accentue une instabilité déjà préoccupante. Après les taxes de 25 % mises en place par les Américains entre 2019 et 2021, la filière, qui a toujours cherché à rester en dehors des conflits commerciaux, se retrouve une nouvelle fois en première ligne.
Cette menace est une réponse aux intentions de la Commission européenne de taxer les bourbons en représailles aux droits de douane sur l’acier et l’aluminium.
Il n’y a qu’une seule solution, impérative, monsieur le Premier ministre : Bruxelles doit retirer ces derniers de la liste. Les États-Unis étant l’un des premiers marchés à l’exportation, l’enjeu est vital.
À cela s’ajoute la crise avec la Chine, qui, en imposant des mesures antidumping sur le cognac, a provoqué un effondrement des exportations vers ce marché stratégique : celles-ci ont baissé de 70 % en février, causant des pertes estimées à 50 millions d’euros par mois.
Cette situation a des conséquences économiques et sociales désastreuses : investissements gelés, restructurations, licenciements. Pour éviter un drame économique, la filière cognac et armagnac attend des actions immédiates avant la fin de l’enquête antidumping, au début du mois d’avril.
Monsieur le ministre chargé du commerce extérieur et des Français de l’étranger, face à ces défis, il est de notre responsabilité de protéger une filière emblématique de notre patrimoine et les milliers d’emplois qui en dépendent. Quelles actions urgentes comptez-vous mettre en œuvre pour répondre à cette crise sans précédent ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur des travées des groupes INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l’étranger.
M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et des Français de l’étranger. Monsieur le sénateur Laurent, vous avez parfaitement raison : notre responsabilité, c’est de soutenir la filière viticole dans son ensemble et, au-delà, l’ensemble de la filière des vins et spiritueux face à la double menace que vous avez pointée : d’une part, les enquêtes antidumping menées par la Chine ; d’autre part, plus récemment, la guerre commerciale voulue par les États-Unis.
Concernant ce dernier point, je rappelle la position de la France : cette guerre commerciale, nous n’en voulons pas ; elle n’est bonne pour personne, à commencer par les Américains. Nous menons un dialogue constant avec eux pour continuer à les convaincre que la hausse des droits de douane n’est dans l’intérêt de personne, tout simplement en raison des effets qu’elle aurait pour nos propres exportateurs, mais aussi parce qu’elle provoquerait une hausse des prix et une baisse des marges outre-Atlantique.
Très concrètement, que faisons-nous ? En cas d’augmentation des droits de douane, nous l’avons dit, l’Europe doit savoir riposter, mais riposter intelligemment, c’est-à-dire sans mettre en danger les filières, notamment celles que vous avez évoquées.
Nous dialoguons en permanence avec la Commission européenne, avec laquelle nous avons mené des discussions au plus haut niveau. Je suis moi-même quotidiennement en lien avec Maros Sefcovic, commissaire européen chargé du commerce et de la sécurité économique.
Nous avons jusqu’au début du mois d’avril pour définir la meilleure réponse à apporter, celle qui permettra de ne pas impacter la filière des vins et spiritueux, qui dépend tant de ces exportations pour vivre.
Je veux dire un mot également au sujet de la Chine. La situation est certes très différente, mais l’enjeu est, là aussi, vital pour la filière cognac et armagnac, notamment.
Dans le cadre d’un dialogue s’inscrivant dans un agenda diplomatique, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, se rendra en Chine à la fin du mois. Là encore, nous entretenons un dialogue constant avec ce pays pour trouver la meilleure réponse à apporter à cette situation, que nous considérons pour notre part comme inacceptable et injustifiée, ces enquêtes ne permettant pas d’établir un rapport diplomatique serein.
J’ajoute que les produits en question sont retirés des espaces de vente duty free, ce qui est absolument inacceptable. Pour résumer très simplement les choses, nous poursuivrons cette bataille pour protéger la filière cognac et armagnac, et nous ne l’abandonnerons pas. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Bernard Buis et Mickaël Vallet, ainsi que Mme Évelyne Perrot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent, pour la réplique.
M. Daniel Laurent. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie d’être venu en Charente-Maritime, et je remercie également Mme la ministre de l’agriculture d’être à nos côtés demain matin. Vous l’aurez compris, nous sommes au pied du mur. Le Président de la République et le Gouvernement doivent se mobiliser pour sauver notre viticulture, dont l’économie est en péril. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe INDEP. – Mme Anne-Sophie Patru et M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)
situation à mayotte
M. le président. La parole est à M. Saïd Omar Oili, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Saïd Omar Oili. Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre des outre-mer.
Monsieur le ministre, après le cyclone Chido, qui a dévasté notre île de Mayotte, un fort élan de solidarité s’est manifesté, notamment dans l’Hexagone.
La Fondation de France évoque même un record de collecte de fonds. J’ai moi-même pu mesurer la semaine dernière en Bretagne la mobilisation très importante des collectivités locales, de la petite commune à l’échelon régional.
Les associations mahoraises se sont fortement mobilisées, tout comme les ONG ultramarines. Trois mois après le passage de Chido, la population mahoraise souffre en raison d’une pénurie de distribution des denrées de première nécessité, principalement l’eau.
Imaginez très concrètement, trois mois après une catastrophe, le quotidien d’une famille avec des enfants dont l’eau du robinet coule un jour sur trois et qui ne trouve pas de bouteilles d’eau dans les magasins, alors qu’elle vit sur le territoire français.
Et, pour couronner le tout, monsieur le ministre, l’aide humanitaire, qui est le fruit de cette mobilisation sans précédent de la société française, reste bloquée sur le port de Longoni.
J’ai été sollicité par plusieurs associations issues de l’ensemble du territoire, de la Bretagne, de la Moselle, etc., qui se désespèrent de voir ces containers bloqués, alors qu’ils contiennent des produits dont la population mahoraise a besoin.
Paradoxalement, monsieur le ministre, alors que les donateurs en numéraire bénéficient d’une réduction d’impôt, les aides directes sous forme de dons sont soumises aux droits portuaires. Cette situation est inacceptable dans notre République. Aussi, monsieur le ministre, je vous demande de prendre des mesures rapidement pour permettre l’acheminement de ces dons vers la population mahoraise en grande souffrance. (Applaudissements sur toutes les travées.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
M. Patrick Mignola, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je vous prie d’excuser l’absence du ministre d’État, ministre des outre-mer, actuellement en déplacement dans les Antilles.
Vous évoquez les difficultés d’acheminement de l’aide humanitaire vers Mayotte. À cet égard, je salue encore une fois, comme vous l’avez fait, monsieur le sénateur, l’élan de générosité témoigné à l’égard de nos compatriotes mahorais après le passage du cyclone Chido.
Aide humanitaire, denrées alimentaires, eau en bouteille : le port de Longoni est particulièrement sollicité. Son sous-dimensionnement constitue, en effet, une contrainte structurelle importante. Des investissements seront nécessaires pour augmenter ses capacités et fluidifier le transport de marchandises.
Dans l’immédiat, le préfet de Mayotte a réuni l’ensemble des acteurs de la chaîne portuaire et logistique, mais aussi de la grande distribution, pour fluidifier la sortie des containers et l’achalandage des commerces.
Le port fonctionne de manière continue de six heures trente à quinze heures, samedi et dimanche compris. Les transporteurs travaillent également le dimanche.
On ne peut pas parler d’un blocage du port. Près de 1 300 containers y sont actuellement stockés. En sortie de crise sociale, en 2024, il y en avait 7 000.
La proposition de mobiliser le pouvoir de réquisition du préfet et de s’adjoindre le concours des armées pourrait être contre-productive, car la réquisition s’inscrit dans un cadre juridique précis lié à l’urgence et à des impératifs d’ordre public, et réquisitionner reviendrait à interférer dans le flux logistique.
J’ajoute que nos militaires sont déjà mobilisés sur des missions prioritaires : reconstitution du stock stratégique d’eau, désembâclement des ravines, etc.
Sur l’acheminement des dons, je rappelle l’importance, pour les donateurs, de prévoir, autant que faire se peut, les frais dans leur intégralité, notamment transitaires ou de manutention.
Je rappelle que, à la suite de Chido, les biens destinés à l’aide aux victimes peuvent être exonérés de droits de douane et d’octroi de mer.
Je rappelle également que la TVA ne s’applique pas à Mayotte.
Je rappelle enfin que la loi du 24 février 2025 d’urgence pour Mayotte permet de faciliter les dons à destination des associations de ce département.
Monsieur le sénateur, vous êtes dans votre rôle lorsque vous remontez des difficultés de terrain, comme le fait tout aussi régulièrement votre collègue Salama Ramia, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’aide humanitaire.
Dans cette phase de reconstruction, soyez assuré de la pleine mobilisation de l’État aux côtés de nos compatriotes mahorais.
suites du déplacement du ministre de l’intérieur dans le pas-de-calais
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. Jean-François Rapin. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, monsieur le ministre d’État Bruno Retailleau, vous êtes venu à deux reprises dans le Pas-de-Calais, sur la Côte d’Opale, pour mieux appréhender la situation migratoire sur les côtes de la Manche, situation migratoire qui nécessite le déploiement d’importants moyens.
Vous avez entendu les élus, vous avez entendu les forces de sécurité, vous avez constaté les moyens considérables mis en œuvre par Frontex, vous avez aussi entendu ceux qui sauvent les migrants en mer, notamment les équipages de la marine nationale.
Lors de votre deuxième visite, monsieur le ministre, vous étiez accompagné de votre homologue anglaise, la ministre Yvette Cooper. Elle a pu vous entendre – nous entendre – lui dire que ce qui se passait là était en grande partie lié à la situation exceptionnelle et incroyable de l’emploi en Grande-Bretagne.
Monsieur le ministre, pouvez-vous indiquer à notre assemblée quelles suites les Anglais ont données à cette rencontre, après la description que nous leur avons faite de la situation sur place ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Hervé Maurey applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le président Jean-François Rapin, oui, je me suis déplacé à deux reprises dans le Pas-de-Calais. La deuxième fois, je voulais tout simplement rendre compte des engagements que j’avais pris lors de mon premier déplacement.
Précisément, j’ai détaillé, à l’unité près, les moyens supplémentaires considérables que, conformément à ces engagements, j’ai affectés à ce territoire : moyens en matière d’enquête, renforcement des effectifs de deux commissariats, dont celui de Dunkerque, par exemple.
Nous avons également obtenu que les accords de Sandhurst soient prorogés d’une année supplémentaire, soit jusqu’en 2027, afin de ne pas perdre les financements britanniques.
Voilà pour le premier point.
En deuxième lieu, je me suis toujours engagé à faire évoluer les Britanniques sur la question de l’attractivité du modèle anglais, qui reposait jusqu’à présent grandement sur le travail clandestin. Il s’est produit une petite révolution en matière de contrôle et d’inspection : le gouvernement de Keir Starmer vient de durcir la législation anglaise en adoptant un paquet législatif anti-immigration et anti-travail clandestin, ce qui a permis d’augmenter de près de 40 % les contrôles pour lutter contre le travail clandestin et, partant, le nombre des arrestations.
L’attractivité du modèle britannique est, je crois, la première cause de cette immigration massive, qui, depuis le début de l’année, a provoqué la mort de pas moins de sept personnes, je tiens à rappeler.
Enfin, puisque vous êtes le président de la commission des affaires européennes du Sénat, je veux vous dire, monsieur le sénateur, ainsi d’ailleurs que je vous l’ai souvent indiqué, que je suis convaincu que si l’on reste dans le face-à-face franco-britannique, nous ne parviendrons pas à réguler cette immigration irrégulière. La frontière entre nos deux pays n’est pas seulement une frontière entre la France et le Royaume-Uni : c’est une frontière extérieure européenne.
Par ailleurs, puisque le Brexit a démonté l’ensemble des mécanismes d’immigration, il faut patiemment les reconstruire. De fait, 30 % de l’immigration irrégulière en Europe s’agrège sur les côtes de la Manche. C’est pourquoi il faut élargir ce cadre à un cadre qui soit européen. Je m’emploie à le faire avec les États membres du groupe de Calais. Nous avançons pour mettre en place un canal de réadmission, à effet dissuasif, et un canal d’admission légale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Évelyne Perrot et M. Franck Dhersin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour la réplique.
M. Jean-François Rapin. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces précisions tant attendues. Si je vous pose cette question aujourd’hui, c’est parce que, avec l’amélioration des conditions climatiques, le nombre de traversées va augmenter, comme vous le savez bien. Ce qui importe aux élus, en particulier à ceux des zones côtières de la Manche, c’est d’éviter tous ces drames que nous avons connus et que vous avez rappelés. Je sais toute l’attention que vous portez à ce sujet et connais votre bienveillance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
difficultés d’embauche des travailleurs saisonniers
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Brigitte Devésa. Madame la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, lors du dernier salon international de l’agriculture, nous nous sommes, je crois, tous engagés à traquer les normes et les contraintes qui pénalisent les filières agricoles.
Tel est l’engagement que j’ai pris personnellement auprès des agriculteurs de mon département, les Bouches-du-Rhône.
Je suis navrée donc de constater qu’un arrêté ministériel du 3 janvier 2025 complexifie les procédures de recrutement des salariés hors Union européenne en exigeant des pièces justificatives toujours plus difficiles à fournir alors que l’on sait que des filières entières dépendent de cette main-d’œuvre.
Je citerai l’obligation de fournir une attestation sur l’honneur de l’employeur que le salarié disposera d’un logement décent, alors même que ledit salarié, par définition, n’est pas encore certain, au moment de la demande, d’obtenir l’autorisation de travail et son visa pour venir en France.
Je citerai également l’obligation de fournir la copie du contrat de travail signé par les deux parties. Compte tenu de la situation critique, un assouplissement vient d’être obtenu en urgence auprès de l’administration pour n’exiger que la seule signature de l’employeur sur le contrat.
Cependant, l’arrêté en vigueur n’a pas été modifié.
Alors que la saison de récolte de certains fruits et légumes commence dans quelques semaines, les agriculteurs du Sud-Est et d’ailleurs estiment qu’il manquera cette année potentiellement 5 000 saisonniers.
Madame la ministre, sommes-nous certains que cet arrêté valorise le travail et protège nos agriculteurs de la paperasse et du manque de salariés ? À défaut, je demanderai au Gouvernement, comme le font les syndicats agricoles de mon département – fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) et Jeunes Agriculteurs (JA) –, ainsi que le président de la chambre départementale d’agriculture, de bien vouloir revenir sur cet arrêté ministériel. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Rossignol. Des saisonniers, oui, des immigrés, non !
M. Pierre Ouzoulias. Il y a là un manque de cohérence !
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice Brigitte Devésa, bien sûr, et nous le savons, les travailleurs saisonniers sont essentiels à certaines activités, notamment la cueillette des fruits et la récolte des légumes, et de nombreuses filières en recrutent.
Mme Laurence Rossignol. Ils sont souvent immigrés !
Mme Annie Genevard, ministre. Je veux rappeler que le Gouvernement est tout entier mobilisé pour faciliter le travail des saisonniers. Ainsi, le dispositif travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi (TO-DE), qui est essentiel, a été élargi aux coopératives d’utilisation de matériel agricole (Cuma) ainsi qu’aux coopératives de fruits et de légumes.
Je rappelle également que, en 2024, le gouvernement d’alors a élargi aux métiers saisonniers la liste des métiers en tension.
De même, en 2020, mon ministère et le groupe Action Logement ont mis en place une aide financière au logement, lequel, vous le savez, est un facteur d’attractivité essentiel.
Mme Laurence Rossignol. Certains dorment dans la rue…
Mme Annie Genevard, ministre. C’est dire, madame la sénatrice, si nous sommes actifs pour soutenir le travail saisonnier, essentiel pour nos filières.
Enfin, pour en venir à l’arrêté que vous évoquez, on ne peut pas ignorer qu’il existe des abus, que des fraudes parfois graves, qui relèvent donc du pénal, sont commises et qu’il est de notre devoir de les combattre. (Mme Laurence Rossignol ironise.)
Notre pays comptant trois millions de demandeurs d’emploi, il nous appartient aussi, au côté de France Travail, de mobiliser de la main-d’œuvre saisonnière dans ce réservoir d’emploi. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa, pour la réplique.
Mme Brigitte Devésa. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Je connais votre détermination. Je voudrais simplement vous rappeler que, voilà quelques semaines, nous avons voté dans cet hémicycle la loi le projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture, qui vise précisément à libérer l’agriculture de certaines surtranspositions normatives. Deux mots clés me paraissent importants : simplification et compétitivité. Madame la ministre, mettons-les en pratique ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
campagne d’affichage de la france insoumise
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur. (Ah ! sur les travées du groupe SER.)
M. Yannick Jadot. On n’est pas au congrès des Républicains !
M. Olivier Paccaud. Pour nous tous, ici, la liberté d’expression est sacrée, et même consacrée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais, au nom de ce droit, on ne peut ni tout dire ni tout écrire. La République a ses garde-fous, ses anges gardiens législatifs.
Or, voilà quelques jours, un parti ayant pignon sur rue, pupitre à l’Assemblée nationale, micro ouvert dans tous les médias, a publié une affiche odieuse, directement inspirée de la propagande antisémite nazie, reprenant tous ses codes.
Monsieur le ministre, cette affiche émanant non pas d’un loup solitaire ou d’un déséquilibré, mais d’un parti organisé, braconnant aux confins du champ républicain et accumulant les provocations – vous venez d’ailleurs d’en être la victime, au détour d’une autre affiche –, allez-vous saisir la justice de ces faits inadmissibles qui tombent sous le coup de la loi ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Olivier Paccaud, j’ai vu cette affiche, comme beaucoup d’autres. Elle représentait deux animateurs – M. Cyril Hanouna et M. Pascal Praud.
Cette affiche avait clairement des relents antisémites. Elle a été très vite retirée, certes ; mais qui s’est excusé ? J’ai bien entendu quelques voix ; mais dans ce parti qui, comme vous l’avez souligné, est représenté à l’Assemblée nationale, qui s’est excusé ?
L’antisémitisme a muté et il revient en force. Hier, il était le fait de l’extrême droite. C’est encore le cas aujourd’hui, sans doute, mais de manière résiduelle. (Vives protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Mme Émilienne Poumirol. Il ne faut pas exagérer !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Désormais, il présente un double visage : celui de l’islamisme politique et celui d’une extrême gauche sectaire, qui utilise l’antisionisme pour attiser la haine raciste,…
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Max Brisson. Très bien !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. … la haine antisémite, en instrumentalisant souvent la cause palestinienne à des fins électoralistes.
Je me souviens d’une très belle phrase prononcée par Jankélévitch, il y a quelques décennies de cela. Ce propos avait une portée prémonitoire. Jankélévitch déclarait : l’antisémitisme – pardon, l’antisionisme –…
Mme Silvana Silvani. Ce n’est pas la même chose !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. … est « une incroyable aubaine, car il nous donne la permission d’être antisémite au nom de la démocratie ».
M. Bruno Sido. C’est ça !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Aujourd’hui, nous y sommes.
Jamais je ne céderai face à l’antisémitisme.
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Le même parti a déposé à l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à abroger – rendez-vous bien compte – le délit d’apologie du terrorisme du code pénal.
Non, je ne céderai jamais. Chaque fois que cette ligne est dépassée, je le signale à l’autorité judiciaire. Une telle vigilance me paraît indispensable. Cette violence, ces outrances, qui cachent un véritable antisémitisme…
M. le président. Il faut conclure.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. … ne sont pas qu’un poison. Ils représentent une trahison ; la trahison de l’idéal républicain et de ce qu’est, pour moi, la fraternité française – une fraternité civique…
M. le président. Monsieur le ministre d’État, il faut conclure !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. … et certainement pas religieuse. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour la réplique.
M. Olivier Paccaud. Merci, monsieur le ministre d’État.
L’antisémitisme, qui est encore plus ancien que la Bible, a toutes les couleurs de l’arc-en-ciel de la haine, le vert de l’islamisme, le brun du fascisme et le rouge sang de LFI – la France indigne, ignoble, immonde, inculte ; de ce parti qui se dit antifasciste, mais qui incarne aujourd’hui le fascisme en France…
M. Akli Mellouli. Qui sont les fachos ?
M. Olivier Paccaud. … en nourrissant la bête immonde de sa pitance méphitique. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Chers collègues de gauche, je vous ai entendus : réveillez-vous, vous qui êtes républicains ! Brisez les chaînes de la soumission électorale qui vous lient à LFI. (Exclamations sur les mêmes travées.) Amis républicains, faisons fi de LFI ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
guerre commerciale avec les états-unis
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
M. Franck Montaugé. Monsieur le Premier ministre, en écoutant les réponses que vous apportez cette après-midi aux projets de taxes douanières de M. Trump, je ne discerne toujours pas votre stratégie concrète.
Le Gouvernement doit absolument préserver dans leur intégralité les positions actuelles des entreprises françaises sur les marchés américain et chinois.
La Commission européenne est chargée de mener les négociations ; mais, dans ce cadre, quels sont les objectifs de la France pour les vins et spiritueux, les produits fermiers, l’automobile ou encore le luxe ? Quelle est votre méthode ?
L’implication directe du Président de la République dans des négociations bilatérales avec les États-Unis est indispensable. La gravité du moment l’impose.
Sur le fond, rejetez-vous en bloc les augmentations de taxes ou accepterez-vous des aménagements ? Si oui, lesquels et pour quels produits ? De telles décisions seraient nécessairement lourdes de conséquences pour nos emplois, nos entreprises et nos territoires.
Cette déclaration de guerre économique menace de mort des filières entières sur le marché américain. Certaines d’entre elles jouent même leur avenir dans leurs territoires de production. C’est typiquement le cas de la filière des vins et spiritueux. Le Gascon que je suis vous confirme ce que vous ont écrit les professionnels : l’armagnac ne se remettra pas d’une taxe de 200 %, d’ores et déjà annoncée. Au-delà des 20 % actuels, le déclin de nombreuses exploitations serait inéluctable.
Monsieur le Premier ministre, l’heure est grave. Le maintien du statu quo fiscal doit être l’objectif central et même unique de ces négociations, tout particulièrement pour les filières les plus sensibles.
La viticulture, déjà en grande difficulté pour différentes raisons, ne peut être une fois de plus la variable d’ajustement du commerce extérieur français et européen avec les États-Unis. Des milliers d’emplois sont en jeu ; il y va non seulement de la vitalité économique et sociale de nombreux terroirs, mais de l’image pluriséculaire d’excellence de la France dans le monde. (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l’étranger.
M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et des Français de l’étranger. Monsieur le sénateur Montaugé, ce fait ne vous a pas échappé : ni la France ni aucun autre pays européen n’a souhaité cette guerre commerciale. La hausse des droits de douane procède de la seule volonté des États-Unis.
Nous l’avons dit depuis le début, la priorité est de démontrer que cette guerre commerciale n’aura que des effets néfastes, non seulement pour l’Europe, bien sûr, mais aussi pour les États-Unis.
Nous continuerons de mener ce dialogue, en proposant un agenda positif à nos amis et alliés américains. Nous avons avant tout besoin de flux commerciaux mutuels en augmentation, d’investissements croisés en augmentation.
Si toutefois de nouveaux droits de douane venaient à être imposés à l’Europe, comme c’est le cas depuis quelques jours pour l’acier, l’aluminium et leurs dérivés, la Commission européenne aurait le devoir de riposter, et la France la soutiendrait en ce sens.
Vous m’interrogez précisément quant au contenu de ces mesures de rétorsion. À quels produits américains pouvons-nous appliquer une augmentation des droits de douane ? Le cas échéant, il reviendra à la Commission européenne d’en proposer la liste. Comme je l’indiquais en réponse au sénateur Laurent, nous devons être intelligents ensemble pour ne pas fragiliser nos propres filières.
Je vous garantis que nous ne laisserons pas tomber la filière des vins et spiritueux.
M. Rachid Temal. Et tous les autres secteurs ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué. Vous l’avez dit, le cognac et l’armagnac connaissent déjà de grandes difficultés sur le marché chinois. Il est de notre devoir de protéger cette filière et d’adapter en conséquence les mesures de rétorsion européennes à l’égard des États-Unis.
Nous avons quelques semaines pour mener le dialogue dont il s’agit avec la Commission européenne.
M. Hervé Gillé. Jusqu’au 7 avril !
M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué. Sur ce sujet, je travaille au quotidien avec le commissaire européen Maros Sefcovic. Au plus haut niveau, la France travaille pour que la réponse européenne ne mette pas en difficulté la filière des vins et spiritueux, pôle d’excellence pour l’export français. Vous pouvez compter sur le Gouvernement pour la défendre jour et nuit jusqu’au mois prochain, lorsque ces mesures de rétorsion seront mises en œuvre. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Martine Berthet. Ma question s’adresse à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
Monsieur le ministre, à plusieurs reprises, j’ai interrogé vos prédécesseurs sur le coût de l’électricité pour les industriels hyper électro-intensifs (HEI) ; et ma question d’aujourd’hui porte sur le même sujet, car la situation devient critique.
Le manque de visibilité, encore aggravé par l’instabilité politique et par l’augmentation des droits de douane, incite ces acteurs à déprogrammer divers investissements en France. C’est une réalité. Je pense notamment à cet industriel hyper électro-intensif de Savoie ayant son siège au Japon ; vous l’aurez certainement reconnu.
De manière générale, les représentants des industries hyper électro-intensives du consortium Exeltium me font part, plus encore que dans le passé, de leurs inquiétudes, la fin de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) étant toute proche.
Si certains ont récemment – et enfin – pu entamer avec EDF des discussions qui semblent plus sérieuses, ils attendent toujours la proposition d’un tarif, la signature ne devant pas arriver avant l’été prochain. D’autres, en revanche, continuent de se voir proposer des contrats irréalistes, n’assurant aucune compétitivité, nécessitant des avances en tête exorbitantes et offrant des volumes insuffisants.
Je rappelle que ces productions sont des matières premières pour toutes nos filières industrielles. Elles constituent, en ce sens, un élément de notre souveraineté.
Monsieur le ministre, l’État est actionnaire d’EDF à 100 %. Comment se fait-il que le Gouvernement n’arrive pas à imposer que l’on préserve 10 % de la production nucléaire historique, donc amortie, pour soutenir les HEI, en les plaçant au même niveau que leurs concurrents internationaux ?
Un cadre tarifaire compétitif et stable serait bénéfique aux industriels : ces derniers pourraient dès lors avoir une vision à long terme de leur développement, de leurs investissements de modernisation et de décarbonation. Il serait également favorable à EDF, qui sécuriserait ainsi un volume de consommation non négligeable.
Le Gouvernement va-t-il prendre le risque de voir la position d’EDF fragiliser ces filières, notre souveraineté et les emplois qui vont avec ? Bien sûr, nous avons tous conscience de la nécessité pour EDF de maintenir son propre équilibre économique ; mais que comptez-vous faire ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Madame la sénatrice Berthet, permettez-moi de vous remercier de votre question. Je connais votre engagement en faveur de notre industrie hyper électro-intensive ; nous avons d’ailleurs déjà discuté de ces questions, que ce soit au ministère ou dans cet hémicycle.
Vous le soulignez avec raison, les prix de l’électricité sont un élément absolument essentiel de notre souveraineté énergétique et industrielle.
Les industriels électro-intensifs – je pense notamment aux filières de l’acier et de la chimie – font face à des enjeux de décarbonation impliquant un effort d’électrification. De plus – vous l’avez rappelé –, ils sont à la base de filières entières. Je pense en particulier à nos industries de défense.
C’est la raison pour laquelle l’État et EDF ont signé en novembre 2023 un accord fixant un nouveau cadre, censé prendre la suite de l’Arenh au 1er janvier 2026.
En vertu de cet accord, EDF et les industriels électro-intensifs doivent conclure des contrats d’allocation de production nucléaire (CAPN), contrats à terme assortis d’une cible globale de 40 térawattheures.
Il y a quelques jours, j’ai demandé à la présidence d’EDF de me fournir un bilan de ces négociations, et je dois bien admettre que l’objectif de 40 térawattheures est très loin d’être atteint. (Mme Martine Berthet le confirme.) À ce jour, on ne peut compter que sur 12 térawattheures, lesquels ne font d’ailleurs l’objet que de simples lettres d’intention, et un seul CAPN a été signé, pour un volume modeste, représentant moins de 1 % de l’objectif total.
Dans une tribune publiée hier, un certain nombre de parlementaires m’interpellent en outre quant au lancement, par EDF, d’une enchère européenne qui n’est pas réservée aux industriels électro-intensifs. Cette enchère, ouverte à tous les acteurs, porte précisément sur les CAPN.
La démarche relève de la politique commerciale d’EDF et je n’ai pas à la commenter. J’observe néanmoins qu’elle n’exonère en rien EDF de l’accord de novembre 2023.
Les engagements pris au titre de cette politique commerciale sont absolument nécessaires à notre souveraineté, et le Gouvernement fera en sorte qu’ils soient respectés.
conflit en république démocratique du congo
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Une souveraineté territoriale bafouée, des millions de personnes déplacées, des civils massacrés et des ressources minières stratégiques : mes chers collègues, je ne vous parle pas de l’Ukraine, mais de la République démocratique du Congo (RDC) et, plus précisément, des combats qui sévissent dans le Kivu. (M. Akli Mellouli applaudit.)
Ce conflit dure depuis plus de trente ans. La cheffe de la mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) le décrit comme l’une des crises humanitaires les plus graves, les plus complexes et les plus négligées de notre époque.
Le plus grand pays francophone du monde nous alerte par l’intermédiaire de ses représentants politiques et diplomatiques, qu’a reçus notre groupe d’amitié interparlementaire France-Afrique centrale. Après Goma, en janvier dernier, Bukavu est tombé en février. Aujourd’hui, les avancées du groupe rebelle armé M23, soutenu par les forces de pays voisins, exacerbent les tensions.
Les causes du conflit sont complexes et interconnectées ; elles mêlent tensions ethniques et griefs historiques. Mais n’oublions pas non plus que les sous-sols congolais attirent les convoitises. On peut même parler d’une malédiction des ressources naturelles : l’exploitation illégale des minerais finance directement le M23, lequel extorquerait au pays jusqu’à 800 000 dollars par mois !
Jusqu’à présent, les appels au cessez-le-feu sont restés ignorés des belligérants ; et la résolution de l’ONU adoptée sur l’initiative de la France, exigeant le retrait du M23 et la fin du soutien rwandais, demeure lettre morte.
La France est certes intervenue, mais, de son côté, le Qatar a réuni hier les présidents rwandais et congolais pour une médiation, dans le prolongement des processus de paix de Luanda et de Nairobi. À l’heure où d’autres puissances internationales entendent peser sur l’avenir de l’Afrique, la France doit réaffirmer son rôle et reconstruire un partenariat fort avec ce continent. Nous avons là une responsabilité non seulement historique et diplomatique, mais aussi stratégique.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rendre compte de vos actions et de celles que mène l’Union européenne pour favoriser une paix durable dans la région des Grands Lacs et, plus largement, renforcer notre coopération avec les États africains ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe INDEP. – M. Akli Mellouli applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Guillaume Chevrollier, je vous remercie d’évoquer dans cet hémicycle la crise qui déchire actuellement la région des Grands Lacs. Je tiens du reste à saluer votre engagement en tant que président du groupe d’amitié interparlementaire France-Afrique centrale du Sénat.
Cette crise compte à n’en pas douter parmi les plus graves que connaît le monde aujourd’hui. Je pense en particulier à ses conséquences humanitaires : au total, sept millions de personnes ont été déplacées, dont un million depuis le début de l’année. S’y ajoutent plusieurs milliers de victimes civiles innocentes.
En outre – vous l’avez souligné –, l’offensive du M23, soutenue sur le sol congolais par l’armée rwandaise, menace la souveraineté de la République démocratique du Congo ; et, si elle venait à s’aggraver, cette crise pourrait provoquer l’embrasement de la région tout entière.
Face à cette situation, la diplomatie française est mobilisée sur tous les fronts.
La France agit tout d’abord aux Nations unies. Comme vous l’avez rappelé, nous avons fait adopter à l’unanimité du Conseil de sécurité une résolution condamnant les offensives du M23 et appelant au retrait des troupes rwandaises du territoire de la République démocratique du Congo.
La France agit ensuite à Bruxelles. Ainsi, nous avons fait voter lundi dernier des mesures restrictives à l’encontre de neuf individus et d’une entité responsables de violations du droit international, en particulier du droit international humanitaire.
La France agit, enfin, dans le cadre de ses relations bilatérales. Le Président de la République est en contact étroit avec ses homologues dans la région, à commencer par les présidents du Rwanda et de la République démocratique du Congo, dans le cadre des processus de médiation de Luanda et de Nairobi.
À la fin du mois de janvier dernier, je me suis moi-même rendu à Kinshasa, pour y rencontrer le président Tshisekedi, ainsi qu’à Kigali, pour y rencontrer le président Kagame. Je les ai tous deux appelés, au nom de la France, à la cessation des hostilités et à la reprise du dialogue. Plus récemment encore, un appui financier de 3 millions d’euros a été décidé, sur mon initiative, pour répondre aux besoins vitaux des populations touchées en République démocratique du Congo.
Notre intention est bien de jouer un rôle dans l’apaisement de ces tensions.
M. le président. Il va falloir conclure.
M. Jean-Noël Barrot, ministre. À cet égard, il convient de traiter les causes structurelles du conflit, et nous comptons aussi sur la mobilisation de la diplomatie parlementaire pour y parvenir. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 26 mars, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Alain Marc.)
PRÉSIDENCE DE M. Alain Marc
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour une mise au point au sujet d’un vote.
Mme Patricia Schillinger. Lors du scrutin n° 232, sur l’ensemble de la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive, M. Georges Patient souhaitait voter contre.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.
4
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des lois a émis un avis favorable, par trente-huit voix pour et deux voix contre, sur la nomination de M. Jean Maïa aux fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
5
Exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à garantir le suivi de l’exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, présentée par Mmes Émilienne Poumirol et Anne Marie Nédélec (proposition n° 751 [2023-2024], texte de la commission n° 437, rapport n° 436).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Émilienne Poumirol, auteure de la proposition de loi.
Mme Émilienne Poumirol, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je nous félicite collectivement – notamment les membres du groupe Les Républicains – d’avoir inscrit cette proposition de loi qui porte sur un sujet essentiel, la santé de nos sapeurs-pompiers, à l’ordre du jour de l’espace transpartisan de notre assemblée, que nous inaugurons.
Je tiens à remercier la coauteure de cette proposition de loi, Anne-Marie Nédélec, du travail que nous avons effectué ensemble. Nous partageons le souci d’aller plus loin, au travers de ce texte, dans la protection de la santé des sapeurs-pompiers, professionnels comme volontaires.
Protéger ceux qui nous protègent : telle a toujours été notre ambition commune. Celle-ci a présidé à la rédaction de notre rapport d’information Cancers imputables à l’activité de sapeur-pompier : protéger les soldats du feu, publié en mai 2024, comme à celle de cette proposition de loi.
Je souhaite rendre hommage à l’ensemble des sapeurs-pompiers de France, professionnels comme volontaires, qui œuvrent, au péril de leur santé, au secours de nos concitoyens. Qu’ils interviennent pour lutter contre des feux, pour effectuer des opérations de secours à la personne ou pour gérer les conséquences de catastrophes naturelles, leur rôle est essentiel.
Face aux dangers accrus auxquels les sapeurs-pompiers sont confrontés, il appartient aujourd’hui à la représentation nationale de les défendre et de reconnaître – enfin – les risques qui pèsent sur leur santé.
Je remercie, en outre, les syndicats de sapeurs-pompiers et tous les acteurs qui, depuis des années, travaillent à cette reconnaissance.
La proposition de loi que nous vous proposons d’adopter aujourd’hui constitue la première étape de cette reconnaissance, mes chers collègues. Elle a trait à la prévention et au suivi de la santé des sapeurs-pompiers.
Nous vous proposons en effet, au travers de ce texte, d’inscrire dans la loi l’obligation, pour les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), de créer des fiches d’exposition pour l’ensemble des sapeurs-pompiers. La mise en œuvre de ces dernières a d’ailleurs été concrétisée par une circulaire du mois de janvier, à la suite de la publication, en mai 2024, de notre rapport d’information, qui le préconisait. Je m’en réjouis.
Nous estimons toutefois qu’il importe aujourd’hui d’aller plus loin et de renforcer cette disposition en l’inscrivant dans la loi.
En effet, selon les médecins colonels Michel Weber et Thierry Dulion, membres de l’Association nationale des médecins des services d’incendie et de secours (Anamnesis), « l’emploi d’une fiche d’exposition n’est pas généralisé dans l’ensemble des Sdis » et « reste une initiative locale et dépendante des moyens octroyés et de la sensibilité des responsables ». En la matière, du fait de l’autonomie de gestion dont bénéficient les Sdis, il existe donc autant de politiques de prévention que de tels services.
La généralisation des fiches d’exposition, sur le modèle préconisé par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), paraît donc fondamentale. Celles-ci constitueront la preuve de l’exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR), ce qui permettra d’acter l’imputabilité d’un cancer à ladite exposition.
La France ne dispose pas, hélas ! d’études épidémiologiques concernant une telle exposition, ou plutôt de telles expositions, car aujourd’hui, nous les savons multiples.
Pourtant, dès 2003, le rapport Pourny alertait sur l’absence de données épidémiologiques et préconisait « de mettre sur pied une véritable veille sanitaire des sapeurs-pompiers s’appuyant sur une banque nationale de données (BND) fiable ». Plus de vingt ans plus tard, ni étude épidémiologique ni suivi médical coordonné n’ont été mis en œuvre.
Ce manque de données s’explique notamment par le désengagement des pouvoirs publics, au fil des ans, du financement des recherches épidémiologiques, mais également par l’influence des entreprises productrices de substances potentiellement cancérogènes. J’en appelle donc aux pouvoirs publics, ainsi qu’à vous, madame la ministre, pour engager au plus vite des études épidémiologiques sérieuses.
Cette proposition de loi ne constitue qu’une étape. Nous devons aller plus loin dans notre action, tant en matière de prévention que de reconnaissance des cancers comme maladies professionnelles, sans oublier la prise en charge de ces derniers.
En effet, seule une partie des recommandations qu’avec Anne-Marie Nédélec, nous avons formulées dans notre rapport, lequel a du reste été adopté à l’unanimité par la commission des affaires sociales, sont prises en compte dans cette proposition de loi. Permettez-moi donc de revenir sur différentes dispositions à mettre en œuvre dans les plus brefs délais, madame la ministre.
En juin 2022, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé l’activité de sapeur-pompier comme cancérogène pour l’homme et reconnu des « preuves suffisantes » pour le mésothéliome et le cancer de la vessie, ainsi que « des associations positives crédibles » pour les cancers du côlon, de la prostate, du testicule, ainsi que pour le mélanome et le lymphome non hodgkinien. Le risque d’être touché par le mélanome serait plus élevé de 58 % chez les sapeurs-pompiers que dans la population générale. Dans le cas du cancer de la vessie, ce même risque serait supérieur de 16 %.
Or notre pays connaît un retard important en matière de reconnaissance des maladies professionnelles, notamment des cancers.
Ainsi, pour les sapeurs-pompiers français, seuls deux types de cancer sont présumés imputables au service : le carcinome du nasopharynx et le carcinome hépatocellulaire – paradoxalement, le Circ ne mentionne pas le lien entre ces derniers et l’activité de sapeur-pompier. Or aucun cas n’a été à ce jour reconnu comme maladie professionnelle par la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).
Pourtant, vingt-huit types de cancer peuvent être reconnus comme maladies professionnelles chez les sapeurs-pompiers dans l’État du Nevada, aux États-Unis. Au Canada, ce nombre varie selon les provinces, allant jusqu’à dix-neuf en Ontario. Au Québec, neuf types de cancer sont présumés imputables au service, pour peu que le pompier ait effectué vingt ans de service et soit non-fumeur. Nous ne pouvons à ce jour expliquer de telles disparités avec notre pays en matière de reconnaissance de ces cancers comme maladies professionnelles.
En tout état de cause, il nous paraît essentiel que pour l’ensemble des pompiers, indépendamment de leur statut, la présomption d’imputabilité au service soit élargie aux types de cancer dont le lien avec l’activité de sapeur-pompier est reconnu par le Circ. Nous invitons donc le Gouvernement à créer un tableau des maladies professionnelles regroupant les pathologies liées aux travaux d’extinction des incendies.
Dans notre pays, ces tableaux sont établis par le Gouvernement après consultation des partenaires sociaux, selon des logiques qui ne semblent pas tenir compte de l’état des connaissances scientifiques. Ces tableaux résultant de négociations entre les partenaires sociaux, leur mode d’élaboration interroge. Les maladies professionnelles sont en effet ce que l’historien Paul-André Rosental nomme des « maladies négociées », car elles font l’objet de conflits d’intérêts entre les représentants du patronat, qui finance la prise en charge des maladies professionnelles, et les syndicats de salariés, qui luttent contre les phénomènes de sous-reconnaissance.
Ainsi, aujourd’hui, le cancer de la vessie et le mésothéliome, dont le lien avec l’activité de sapeur-pompier a été affirmé par le Circ et qui figurent dans les tableaux des maladies professionnelles, ne sont pas considérés comme directement imputables au service. La raison en est que la liste des travaux susceptibles de les provoquer n’inclut pas l’extinction des incendies. Il appartient donc aux sapeurs-pompiers eux-mêmes d’apporter la preuve du lien direct entre ces pathologies et l’exercice de leurs fonctions. C’est un comble !
Or nous savons que, dans le cadre de la lutte contre l’incendie, les sapeurs-pompiers sont exposés à des produits de combustion cancérogènes présents dans les fumées, à l’instar des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), de certains composés organiques volatils (COV), de l’amiante, des particules fines, ainsi que des substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS). A récemment été mis en lumière le cas des retardateurs de flamme : en effet, ces produits, contenus dans très nombreux objets du quotidien, dégagent des fumées hautement toxiques.
Les conséquences de la polyexposition demeurent de plus encore méconnues. Les expositions cumulées à des substances nocives sont en effet susceptibles de se potentialiser entre elles, avec des effets encore inconnus sur l’organisme. Le terme de polyexposition désigne du reste non seulement l’addition de plusieurs produits toxiques, mais aussi le cumul de ces derniers avec d’autres facteurs de risque pour la santé des pompiers, tels que le travail de nuit, le port de charges lourdes, qui provoque des troubles musculosquelettiques (TMS), etc.
Ces tableaux devront donc être régulièrement mis à jour au regard de l’évolution des connaissances scientifiques, afin de garantir aux pompiers français une protection efficace.
S’il nous faut mieux reconnaître les cancers comme maladies professionnelles, il convient également de nous attacher à les prévenir. Il existe certes une doctrine nationale de prévention, éditée par la DGSCGC, mais tous les Sdis ne se l’approprient pas de la même façon.
Mieux prévenir, c’est d’abord améliorer la consultation d’aptitude à l’embauche. Il faudrait en particulier y expliquer les risques professionnels encourus, afin que les sapeurs-pompiers s’acculturent eux-mêmes à la nécessité de les prévenir. Chaque agent deviendrait ainsi un acteur de sa propre santé.
Outre la prévention, il convient aussi de renforcer le dépistage, au travers de programmes nationaux réguliers de surveillance médicale des sapeurs-pompiers.
Le suivi post-professionnel, dont la qualité est aujourd’hui très variable du fait des difficultés rencontrées pour recruter des médecins du travail sapeurs-pompiers, doit lui aussi être renforcé. De plus, ce suivi ne concerne pas les sapeurs-pompiers volontaires, qui constituent pourtant 80 % des effectifs. Pour ces derniers, après l’arrêt de l’activité, le suivi est assuré par le médecin généraliste traitant, qui n’est pas formé aux risques spécifiques encourus par les sapeurs-pompiers. Il conviendrait donc que les Sdis proposent à l’ensemble des agents, tous les cinq ans, une visite de contrôle assurée par un médecin sapeur-pompier.
Cette surveillance contribuerait à la collecte des données épidémiologiques nécessaires à l’élaboration de mesures de prévention et de réparation par un observatoire de la santé des sapeurs-pompiers.
Nous appelons enfin le Gouvernement à prévoir une dotation exceptionnelle, afin de financer l’équipement de chaque sapeur-pompier d’une cagoule filtrante de nouvelle génération, mais également de tous les équipements de protection individuelle (EPI) dont l’efficacité en termes de protection est prouvée scientifiquement, madame la ministre.
Je l’ai dit, cette proposition de loi n’est donc qu’une première étape. Si la prévention reste une priorité, il nous faut également reconnaître l’imputabilité au service des pathologies lourdes, comme le font d’autres grandes nations. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST, RDPI et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Dumont, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que vient de prendre fin un épisode particulièrement précoce de feux de forêt dans la vallée de la Roya, et au terme d’une année caractérisée par une forte pression opérationnelle pour nos soldats du feu, il importe de rappeler que les sapeurs-pompiers font face à des risques graves, protéiformes et, surtout, omniprésents.
Je me réjouis donc que la représentation nationale se mobilise aujourd’hui afin de prendre sa part dans la protection de cette profession, dont la vocation a toujours été de protéger les autres.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est issue des constats dressés par Anne-Marie Nédélec et Émilienne Poumirol dans leur rapport d’information sur les cancers imputables à l’activité de sapeur-pompier. Je tiens donc, en premier lieu, à les remercier de leur engagement sur ce sujet.
Les travaux de nos collègues ont notamment mis à jour un risque de sous-déclaration d’ampleur des maladies professionnelles de ces agents, étayé par une observation simple : alors que le risque cancérogène des substances auxquelles ils sont quotidiennement exposés est de mieux en mieux documenté, le nombre de maladies déclarées reste particulièrement bas dans notre pays.
Voilà pourtant trois ans que le Centre international de recherche sur le cancer a catégorisé le métier de sapeur-pompier comme cancérogène pour l’homme, reconnaissant le lien entre cette activité et le mésothéliome, ainsi que le cancer de la vessie, mais également, avec des preuves plus limitées, les cancers du côlon et de la prostate, ou encore le mélanome. Selon les dernières études scientifiques, ces maladies trouveraient leur origine dans le contact quotidien des agents avec les produits de combustion des incendies, les matériaux de construction – dont l’amiante – ou encore avec les produits chimiques contenus dans les mousses anti-incendie et les retardateurs de flamme.
Ces avancées scientifiques ne semblent pas se traduire par une augmentation du nombre de déclarations de maladie d’origine professionnelle dans notre pays : de fait, seules vingt-quatre affections de ce type ont été recensées en 2023 pour les sapeurs-pompiers professionnels, soit moins de 1 % de la sinistralité pour la catégorie d’emploi concernée. En outre, aucun cancer professionnel n’a été détecté chez ces agents entre 2013 et 2025.
Le constat d’une sous-déclaration des maladies professionnelles, corroboré par ces données, est inacceptable pour quiconque connaît l’engagement et le dévouement des sapeurs-pompiers à leurs missions.
Nous ne pouvons en effet tolérer que certains agents de Sdis, malades du fait de leur activité, soient injustement privés du bénéficie du congé pour invalidité temporaire imputable au service (Citis), qui assure un maintien du revenu, ainsi que de l’allocation temporaire d’invalidité (ATI).
Par ailleurs, la sous-documentation de certains risques encourus empêchera d’alimenter de futurs travaux visant à perfectionner les équipements de protection ou à améliorer les protocoles de décontamination au sein des Sdis.
Dans leur rapport d’information, nos collègues auteures de la proposition de loi ont expliqué cette sous-déclaration par les difficultés rencontrées par les sapeurs-pompiers à démontrer le lien entre leur pathologie et les missions exercées dans le cadre de leurs fonctions. En effet, hormis pour certaines maladies figurant dans les tableaux annexés au code de la sécurité sociale, lesquelles font en conséquence l’objet d’une présomption d’imputabilité au service, il revient à l’agent d’établir que sa pathologie est essentiellement et directement causée par son activité, afin d’obtenir la reconnaissance de la maladie professionnelle.
Les difficultés de cette démonstration ne sont niées ni par les médecins ni par les Sdis. Tous reconnaissent d’ailleurs des lacunes dans le suivi de l’exposition des sapeurs-pompiers à des substances nocives pour leur santé. Lorsqu’une maladie survient plusieurs années après les expositions, de telles lacunes rendent presque impossible l’objectivation par l’agent de l’origine professionnelle de sa maladie.
L’obligation de réaliser un relevé d’exposition à des substances nocives figure pourtant dans un décret du 5 novembre 2015. Celui-ci prévoit que l’autorité territoriale réalise annuellement une synthèse relevant l’ensemble des activités potentiellement exposantes de l’agent et délivre, lorsque ce dernier quitte le Sdis, un document cumulant toutes les synthèses annuelles. Ces dossiers sont en théorie conservés pour une durée de cinquante ans.
De l’aveu même des directeurs de Sdis, cependant, ces dispositions sont aujourd’hui très imparfaitement mises en œuvre. Si certains services départementaux sont proactifs et ont adopté des dispositifs de suivi très performants, d’autres sont, hélas ! en décrochage.
Afin d’assurer un suivi homogène et rigoureux des risques encourus par les professionnels dans le cadre de leurs fonctions, le texte présenté par nos collègues prévoit donc d’inscrire dans la loi l’obligation pour le Sdis de réaliser une fiche d’exposition dès lors qu’un sapeur-pompier a, dans le cadre de ses fonctions, été au contact d’agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.
La consécration législative de cette obligation doit susciter une réelle prise de conscience des employeurs et inciter ces derniers à se conformer aux normes en vigueur au plus vite. Elle constitue également une protection supplémentaire, car la disposition ne pourra pas être amoindrie par de futures mesures réglementaires et qu’elle fera l’objet d’une vigilance accrue de la part de la représentation nationale.
Afin d’aider les directeurs de Sdis à se soumettre à cette obligation, la proposition de loi prévoit la publication de modèles nationaux de fiche d’exposition dont ils pourront se saisir afin de garantir une traçabilité, selon un modèle standardisé dans tous les départements.
En effet, comme l’expliquent clairement les services départementaux, la diversité des environnements dans lesquels les sapeurs-pompiers interviennent rend aujourd’hui particulièrement complexe un suivi exhaustif de leurs risques de contamination. Ces derniers dépendent en effet de la nature des combustions, du port ou non de certains équipements, ainsi que des missions confiées à l’agent au sein de l’équipe d’intervention.
Au fait de ces difficultés, et certainement sensible au travail sérieux et documenté de nos collègues, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises a publié, le 14 janvier dernier, des modèles nationaux de fiche d’exposition, afin d’assurer une uniformisation du suivi et, in fine, de favoriser la reconnaissance de maladies professionnelles pour les sapeurs-pompiers.
La publication de ces modèles et l’adoption du présent texte constituent donc une étape décisive afin que, partout sur le terrain, les agents se voient garantir une prise en charge dès la découverte d’une affection en lien avec leur activité.
Avant de conclure, il me tient à cœur de rappeler que les dispositions proposées au travers de ce texte demeurent indissociables de réels progrès en matière de prévention. Qu’il s’agisse de réduire l’exposition au risque, notamment par les protocoles de sécurité et le port des équipements de protection, ou de détecter au plus tôt d’éventuelles pathologies par un suivi médical renforcé, la prévention est le premier rempart contre les maladies professionnelles des sapeurs-pompiers.
Les deux leviers que sont la prévention et la prise en charge sont les conditions d’un exercice sain et juste de missions ô combien essentielles pour nos concitoyens.
Mes chers collègues, je vous demande donc d’adopter cette proposition de loi, qui constitue une garantie supplémentaire et indispensable pour la protection et la préservation de la santé des sapeurs-pompiers, professionnels comme volontaires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP et SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l’emploi. Monsieur le président, mesdames les auteures de la proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser mes collègues de l’intérieur, Bruno Retailleau et François-Noël Buffet, ainsi que le ministre de l’action publique, de la fonction publique et de la simplification, Laurent Marcangeli, qui sont tous trois pleinement investis auprès des sapeurs-pompiers de notre pays.
Le Sénat a régulièrement prouvé sa grande attention aux services de lutte contre l’incendie, en s’appuyant sur l’expérience des élus locaux qui siègent dans les services départementaux d’incendie et de secours, les Sdis.
Le Sénat le prouve encore aujourd’hui avec cette initiative transpartisane, qui prolonge le rapport d’information déposé l’année dernière par Mmes Anne-Marie Nédélec et Émilienne Poumirol, qui sont également les auteures de cette proposition de loi.
Votre texte, mesdames les sénatrices, aborde des questions graves : comment pouvons-nous mieux protéger ceux qui nous protègent ? Comment prévenir les cancers imputables à l’activité de sapeur-pompier ?
Si les pompiers sont habitués au danger, ils sont, hélas ! exposés à des risques moins visibles et moins directs que le feu : les agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, qui peuvent être à l’origine de maladies professionnelles, à commencer par des cancers.
Si de nombreux récits de malades nous touchent et nous interpellent, nous connaissons encore mal les risques médicaux auxquels les sapeurs-pompiers sont exposés. Il nous faut donc continuer de documenter l’exposition professionnelle de ces derniers. Les nombreux travaux qui sont menés par le Centre international de recherche sur le cancer et à l’étranger alertent sur les conséquences sanitaires de ces risques. Un certain nombre d’exemples étrangers ont été cités précédemment.
Du point de vue administratif, je n’ignore pas les difficultés rencontrées par les pompiers pour faire reconnaître l’origine professionnelle d’une maladie dont ils sont victimes. En effet, le nombre de reconnaissances de maladie professionnelle paraît faible, y compris pour des pathologies dont le lien de causalité avec le métier de pompier est avéré. Nous devons donc agir.
Avec ce texte, mesdames les sénatrices, vous nous invitez à renforcer la traçabilité des expositions des sapeurs-pompiers et pompiers volontaires à des agents toxiques.
Vous proposez donc d’inscrire dans le code général de la fonction publique l’obligation, pour tous les services départementaux d’incendie et de secours, de renseigner une fiche d’exposition individuelle pour les personnels exposés, soit aux agents CMR, soit aux agents toxiques cités dans les tableaux des maladies professionnelles du code de la sécurité sociale.
Concernant l’exposition aux agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, les sapeurs-pompiers, comme tous les travailleurs, sont protégés par les dispositions du code du travail, au travers du dossier médical en santé au travail et du document unique d’évaluation des risques professionnels.
L’objectif opérationnel est donc de mieux mobiliser et d’accompagner les Sdis.
Le Gouvernement partage votre préoccupation, mesdames les sénatrices : il faut rendre effective la traçabilité. Or depuis 2015, la mise en œuvre du suivi par les Sdis est très inégale, de l’aveu même de ces derniers. Pour la santé des pompiers, nous devons et nous pouvons mieux faire.
Tel est le sens de la circulaire et de la note publiées, le 14 janvier dernier, par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises. Ladite circulaire fixe un cap et fournit aux Sdis des fiches de suivi. Sa publication a été saluée par les organisations syndicales des agents des Sdis comme une avancée.
Les fiches ont été élaborées dans le cadre de l’observatoire de la santé des agents des Sdis, lequel réunit, depuis 2024, des représentants des directions et des syndicats, ainsi que des scientifiques et des médecins. Ces fiches fixent un cadre commun. Le dispositif, robuste, doit maintenant se traduire par des actes. Je sais que la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises sera très attentive à sa mise en œuvre, en particulier dans le cadre des évaluations par les corps d’inspection.
Améliorer la traçabilité nous permettra de mieux connaître l’exposition subie par les sapeurs-pompiers et d’améliorer la prévention des pathologies, comme cela a été mentionné, mais aussi de faciliter la reconnaissance des maladies professionnelles.
À cet égard, je relève un deuxième axe d’amélioration : nous devons actualiser les tableaux des maladies professionnelles pour qu’ils tiennent compte des maladies professionnelles et des cancers qui sont en lien avec la profession de sapeur-pompier, de sorte que les cancers visés soient automatiquement reconnus comme maladies professionnelles. Cette actualisation sera effectuée dans le cadre du dialogue social. Nous avons engagé cette révision avec l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui a été saisie à l’automne 2024. Plusieurs formes de cancer sont concernées. Ceux qui affectent les pompiers seront traités en priorité.
J’observe une grande convergence de vue entre les propositions que vous formulez et les initiatives prises par le Gouvernement pour mieux protéger ceux qui nous protègent : les soldats du feu. Je tiens donc à vous remercier de votre rapport d’information, qui nous a permis, avant même la discussion de cette proposition de loi, d’accélérer les travaux qui ont présidé à la rédaction de la circulaire du 14 janvier 2025. Il me semble du reste que les principales préoccupations exprimées par Mmes les auteures de la proposition de loi, ainsi que par Mme la rapporteure, reçoivent déjà ou vont recevoir une réponse.
Malgré les quelques réserves de nature technique exprimées par le Gouvernement sur le dispositif proposé, je constate que nous partageons l’objectif de mieux protéger les pompiers. Je m’en remettrai donc à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Marie-Pierre Richer applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart.
M. Joshua Hochart. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous nous apprêtons à voter aujourd’hui n’est pas une simple mesure bureaucratique supplémentaire. Elle n’est pas un banal ajustement technique de la réglementation du métier de sapeur-pompier.
Non, cette proposition de loi répond à un impératif. Elle prolonge un engagement que nous devons à ceux qui, chaque jour, mettent leur vie en danger pour protéger la nôtre. Être pompier, mes chers collègues, ce n’est pas exercer un métier comme les autres. Au-delà d’un métier, il s’agit d’ailleurs souvent d’une vocation, d’un engagement total, en vertu duquel on accepte d’affronter les flammes, les effondrements, les inondations, les explosions, les accidents de la route et tant d’autres situations de crise où chaque seconde compte, où chaque erreur peut être fatale.
Nous connaissons tous des pompiers dans nos communes, dans nos départements. Nous avons tous vu ces hommes et ces femmes partir en intervention sans savoir s’ils reviendront indemnes.
Mais ce que nous ignorons parfois, c’est que le danger ne disparaît pas une fois le feu éteint : il s’infiltre, il contamine, il ronge en silence. Les pompiers sont quotidiennement exposés à des substances hautement toxiques. Les fumées d’incendie, les particules fines, les émanations chimiques issues des matériaux brûlés contiennent des produits dont nous savons aujourd’hui qu’ils sont cancérogènes. L’amiante, les hydrocarbures aromatiques polycycliques ou les dioxines sont autant de poisons invisibles qui pénètrent les poumons des pompiers, s’accumulent dans leur organisme et les condamnent, à plus ou moins long terme, à des maladies graves, souvent mortelles.
Pourtant, jusqu’à présent, la reconnaissance de cette exposition et de ses conséquences sanitaires est restée insuffisante. Les pompiers tombés malades doivent encore trop souvent se battre pour faire reconnaître l’origine professionnelle de leur pathologie ; ils sont trop souvent contraints d’engager des démarches administratives interminables, de se soumettre à des expertises médicales contestées et de suivre un véritable parcours du combattant, indigne du service qu’ils ont rendu à notre nation.
Cette proposition de loi a un objectif simple, mais essentiel : garantir un suivi systématique et rigoureux à chaque sapeur-pompier, professionnel ou volontaire, qui a été exposé à des substances dangereuses.
L’article unique de ce texte prévoit d’ajouter dans le code général de la fonction publique un nouvel article contraignant les autorités territoriales à établir une fiche d’exposition pour chaque pompier intervenant dans des conditions présentant un risque avéré. Cette fiche, qui devra se conformer à un modèle défini par voie réglementaire, permettra de recenser précisément les substances auxquelles chaque pompier a été exposé, ainsi que les circonstances de cette exposition, et d’en assurer la traçabilité dans le temps. Il s’agit d’une avancée considérable pour nos sapeurs-pompiers.
Ce suivi ouvrira la voie à une reconnaissance plus rapide et plus systématique des maladies professionnelles liées à l’exposition aux agents toxiques. Il permettra d’anticiper les risques sanitaires, d’adapter les examens médicaux et les protocoles de soins, et surtout d’offrir aux sapeurs-pompiers touchés par la maladie une prise en charge adaptée et digne.
Cette proposition de loi constitue un premier pas, mais elle ne pourra pas être le dernier, mes chers collègues ; elle doit s’accompagner d’une réflexion beaucoup plus large sur les moyens de limiter l’exposition des pompiers à des substances dangereuses. Nous devons nous interroger sur l’amélioration des équipements de protection individuelle, sur la désinfection et le nettoyage des tenues, sur la modernisation des casernes et des véhicules pour éviter la contamination des espaces de vie. Il nous faut aussi nous pencher sur l’évolution des protocoles d’intervention pour réduire au maximum les risques liés aux fumées et aux produits toxiques.
Aujourd’hui, ce qui est en jeu, c’est avant tout une question de justice : justice pour ces hommes et ces femmes qui, en répondant à leur vocation, en choisissant de sauver des vies, ont parfois signé leur propre condamnation, sans le savoir ; justice pour ceux qui souffrent, qui se battent contre la maladie dans un silence souvent trop pesant, loin des sirènes et des hommages ; justice, enfin, pour ceux qui ne sont plus là.
Nous ne devons pas oublier que derrière ces chiffres, ces maladies professionnelles, ces cancers diagnostiqués trop tard, il y a des visages, des familles brisées, des camarades endeuillés.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte.
Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos sapeurs-pompiers, professionnels ou volontaires, affrontent quotidiennement des dangers considérables.
Leur engagement sans faille au service de nos concitoyens les expose à des risques graves, parmi lesquels figurent les maladies professionnelles, notamment les cancers. Lors d’une intervention, il arrive qu’ils inhalent des fumées toxiques, manipulent des substances chimiques dangereuses et évoluent dans des environnements hautement contaminés, ces expositions répétées pouvant emporter des conséquences directes sur leur santé.
À ce jour, la proportion des sapeurs-pompiers touchés par ces pathologies n’a, hélas ! pas fait l’objet d’une étude exhaustive en France.
En juin 2022, le Circ a classé l’exposition professionnelle des sapeurs-pompiers comme cancérogène pour l’homme. Ce classement repose sur des preuves suffisantes pour le mésothéliome et le cancer de la vessie, ainsi que sur des preuves limitées pour plusieurs autres cancers.
Seuls deux types de cancer sont actuellement reconnus comme maladies professionnelles présumées imputables au service : le carcinome du nasopharynx et le carcinome hépatocellulaire. C’est bien peu, en comparaison de pays comme le Canada ou les États-Unis, qui ont élargi cette reconnaissance. La France accuse un retard indéniable dans ce domaine.
Notons aussi que les sapeurs-pompiers rencontrent de grandes difficultés à faire reconnaître le lien entre leur pathologie et leur activité. En 2022, seulement trente et une maladies professionnelles ont été déclarées parmi les sapeurs-pompiers professionnels, un nombre, hélas ! bien en deçà de la réalité du terrain.
Face à cette situation, nos collègues Anne-Marie Nédélec et Émilienne Poumirol ont déposé une proposition de loi visant à garantir le suivi de l’exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. Cette initiative s’inscrit dans la continuité du rapport de la mission d’information du Sénat sur les cancers professionnels des sapeurs-pompiers, travail que je tiens à saluer.
L’article unique introduit dans la partie législative du code général de la fonction publique l’obligation, pour les Sdis, d’établir une fiche d’exposition dès qu’un sapeur-pompier a été en contact, dans l’exercice de ses missions, avec des substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, ou répertoriées par le code de la sécurité sociale.
Afin d’assurer une mise en œuvre homogène et exhaustive de cette mesure sur l’ensemble du territoire, il prévoit également la publication de modèles de fiche d’exposition pouvant être utilisés par les autorités territoriales.
Légiférer en la matière nous permet d’offrir aux professionnels une garantie supplémentaire de la mise en œuvre des obligations incombant aux autorités territoriales ; le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient cette démarche.
Améliorer la traçabilité des expositions permettra à nos sapeurs-pompiers de mieux défendre leurs droits et d’accéder plus facilement à une reconnaissance et à une prise en charge adaptée.
Si la traçabilité des expositions est essentielle, elle doit toutefois s’accompagner d’un renforcement des mesures de prévention.
La sécurité des sapeurs-pompiers étant une priorité constante, ces derniers disposent certes déjà d’équipements de protection individuelle conçus pour limiter les risques, mais l’évolution des connaissances sur les dangers auxquels ils sont exposés appelle la poursuite de l’amélioration des protocoles de sécurité, le renforcement de la formation et le développement d’équipements toujours plus performants afin de mieux les protéger sur le long terme. Il nous faut en faire une priorité absolue, mes chers collègues.
Avant de conclure, je tiens à rendre hommage aux 253 000 sapeurs-pompiers, professionnels et volontaires, en particulier du Sdis 59, qui, chaque jour, risquent leur vie pour sauver celle des autres. Leur engagement force le respect et mérite une reconnaissance à la hauteur de leur dévouement.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette proposition de loi. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Nédélec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Mme Anne-Marie Nédélec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans nos départements, en particulier en zone rurale, les sapeurs-pompiers sont souvent le seul recours en cas de problème. Ils couvrent l’ensemble de nos territoires avec une disponibilité totale, de jour comme de nuit, sept jours sur sept. Je tiens à leur rendre hommage.
Il était donc normal de s’intéresser non seulement à leur sécurité, mais aussi à leur santé. Je rappelle qu’un observatoire de la santé des sapeurs-pompiers a été créé en mai dernier, au moment où nous terminions notre mission d’information.
Cette proposition de loi, élaborée avec ma collègue Émilienne Poumirol, que je remercie, s’appuie sur les conclusions du rapport d’information relatif aux cancers imputables à l’activité de sapeur-pompier, que nous avons rédigé après avoir mené de très nombreuses auditions. Elle vise à rendre obligatoire la mise au point d’un modèle national de fiche individuelle d’exposition à des facteurs de risque et à rendre systématique le renseignement d’une telle fiche après chaque intervention dangereuse, en y intégrant notamment la composition des fumées.
Certes, des mesures existent pour la prévention des maladies professionnelles : médecine préventive, contrôle radiologique pulmonaire annuel ou bisannuel, etc. Depuis 2015, un suivi post-professionnel a de plus été mis en place pour les pompiers qui ont été exposés à des substances cancérogènes. Il paraît néanmoins indispensable d’accroître la surveillance médicale pendant et après l’activité de sapeur-pompier, y compris pour les volontaires.
Au regard des risques auxquels les soldats du feu sont exposés, cela paraît toutefois bien peu. Nos travaux ont confirmé nos intuitions : nos politiques de prévention ne sont à la hauteur ni des enjeux ni du dévouement des sapeurs-pompiers.
La première problématique est organisationnelle. Les Sdis étant gérés de manière autonome, il n’existe pas de coordination nationale sur la prévention des risques, ce qui entraîne des disparités dans le suivi. Nous avons constaté que le remplissage des fiches d’exposition n’était ni généralisé ni toujours satisfaisant, et qu’il n’existait pas de modèle national pour de telles fiches.
Seules deux études portant sur le sujet ont été réalisées lors des dernières décennies. Publiées en 1995 et en 2012, elles concluent à une mortalité globale plus faible chez les sapeurs-pompiers que dans la population générale.
Cela peut paraître surprenant au regard de ce qui nous occupe aujourd’hui, mais s’explique par ce que l’on appelle le phénomène du travailleur sain : les pompiers sont généralement en meilleure santé physique que le reste de la population.
Pour ce qui est de la mortalité due au cancer, la seconde étude ne notait qu’une surmortalité modérée, mais non significative, liée à certains types de cancers, alors que la première aboutissait au constat d’une mortalité supérieure pour les cancers urogénitaux, respiratoires et digestifs.
La seconde problématique, qui est la principale que nous avons rencontrée pour mener à bien nos travaux, tient à l’absence de données épidémiologiques suffisamment précises et exploitables. Cette difficulté est accrue dans un système de protection civile comme le nôtre, où interviennent massivement les sapeurs-pompiers volontaires, dans la mesure où ces derniers exercent par ailleurs une activité professionnelle susceptible de les exposer à des agents cancérogènes ou mutagènes. Un suivi fin des expositions lors des interventions se révèle donc d’autant plus nécessaire.
Si le lien entre l’exposition à des fumées potentiellement toxiques et le développement de certains cancers peut paraître intuitif, notre pays ne dispose pas de données fiables à exploiter.
Nous avons travaillé sur des recherches principalement issues d’autres pays, qui permettent certes un premier niveau d’analyse, mais qui restent difficiles à exploiter en raison de plusieurs variables : les données sont souvent partielles et les missions des pompiers comme le cadre d’intervention ne sont pas totalement analogues d’un pays à l’autre, voire d’une région à l’autre.
Le Circ a classé l’activité de sapeur-pompier comme cancérogène pour l’homme ; il considère le risque élevé pour le mésothéliome et le cancer de la vessie, et plus limité pour cinq autres cancers.
De même, la reconnaissance de ces maladies imputables au service diffère dans le monde, la France étant par exemple la seule à reconnaître le carcinome du nasopharynx et le carcinome hépatocellulaire. À titre de comparaison, au Canada, neuf cancers sont reconnus imputables au service au Québec et dix-neuf en Ontario. L’absence de données fiables demeure donc un véritable frein.
L’objectif de cette proposition de loi peut sembler peu de chose au regard des enjeux qu’emporte la reconnaissance des cancers susceptibles d’être imputés au service. Elle corrige pourtant un manque majeur de structuration des données en fournissant des outils épidémiologiques renforçant le cadre de la reconnaissance des maladies professionnelles des sapeurs-pompiers.
Je tiens à saluer le travail engagé par les ministères de l’intérieur et du travail qui, conscients des enjeux, ont déjà anticipé une partie des attendus de cette proposition de loi en rédigeant une circulaire en janvier dernier. Celle-ci précise que toutes les expositions nocives doivent être retracées dans des fiches de suivi, pour les sapeurs-pompiers professionnels comme volontaires.
En précisant le cadre de ces dispositions, notre texte contribuera à affermir le principe de leur application. Je ne doute donc pas de votre soutien, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chaque jour, nos 253 000 sapeurs-pompiers professionnels et volontaires sont en première ligne pour protéger nos concitoyens. Face aux flammes, aux émanations toxiques, aux substances dangereuses, ils risquent leur vie, mais aussi, et peut-être plus insidieusement encore, leur santé.
Si leur engagement est perçu comme héroïque, n’oublions jamais qu’ils sont avant tout des femmes, des hommes, des travailleurs qui méritent la reconnaissance et la solidarité de la Nation, lesquelles doivent se traduire par des actes concrets. Tel est précisément l’objet du texte qui nous réunit aujourd’hui.
Les risques auxquels les sapeurs-pompiers sont confrontés sont multiples : substances toxiques, hydrocarbures aromatiques polycycliques, amiante, retardateurs de flammes, PFAS… En 2022, le Circ a classé leur activité comme cancérogène pour l’homme, mettant en évidence des liens directs avec certains cancers, notamment le mésothéliome et le cancer de la vessie.
En dépit de cette réalité accablante, la reconnaissance des maladies professionnelles demeure un parcours du combattant pour ceux qui en sont victimes. Ainsi, en 2023, seuls vingt-quatre cas de maladies professionnelles ont été déclarés chez les sapeurs-pompiers, soit un taux de 0,55 % de sinistralité dans cette catégorie d’emploi, un ratio dérisoire au regard de l’exposition avérée de ces professionnels, lequel alimente la forte suspicion d’une sous-déclaration massive. Les raisons en sont connues : difficulté à obtenir la preuve de l’exposition, manque de traçabilité des interventions et, surtout, absence de reconnaissance automatique de certaines pathologies comme étant imputables au service.
Aujourd’hui encore, alors que le mésothéliome et le cancer de la vessie figurent dans les tableaux des maladies professionnelles, ils ne sont pas considérés comme directement liés à l’exercice du métier de sapeur-pompier, car la liste des travaux susceptibles de les provoquer n’inclut pas l’extinction des incendies. Il revient donc aux intéressés eux-mêmes de prouver ce lien, ce qui est souvent impossible en l’absence d’un suivi rigoureux de leur exposition.
C’est dans ce contexte que cette proposition de loi prend tout son sens, puisqu’elle instaure un suivi systématique et uniformisé de l’exposition des sapeurs-pompiers aux substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, en rendant obligatoires l’élaboration et le renseignement d’une fiche d’exposition après chaque intervention à risque, intégrant notamment la composition des fumées.
Ce dispositif, déjà encouragé par une circulaire émise par le ministère de l’intérieur en janvier dernier, doit aujourd’hui être gravé dans le marbre de la loi pour en garantir l’application effective et harmonisée sur l’ensemble du territoire.
Il s’agit d’un outil essentiel pour améliorer la prévention, faciliter la reconnaissance des maladies professionnelles et permettre une meilleure indemnisation des victimes.
Protéger ceux qui nous protègent est un impératif, mes chers collègues. Cet enjeu dépasse les clivages politiques ; depuis des années, le Sénat s’est engagé sur cette question en légiférant et en travaillant au renforcement de la sécurité et de la reconnaissance des sapeurs-pompiers. Je tiens à ce titre à saluer le travail des sénatrices Émilienne Poumirol et Anne-Marie Nédélec, qui s’inscrit pleinement dans le prolongement de cet engagement.
La mission d’information flash sur les cancers professionnels des sapeurs-pompiers menée par nos collègues a mis en lumière une réalité trop longtemps ignorée ; elle a permis de souligner avec clarté et détermination l’urgence de renforcer la protection de ces femmes et de ces hommes qui, chaque jour, risquent leur santé pour assurer notre sécurité.
Nous avons le devoir d’aller au bout de cette démarche et d’offrir aux sapeurs-pompiers un cadre protecteur à la hauteur de leur engagement, mes chers collègues. Pour toutes ces raisons, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) votera en faveur de ce texte. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi transpartisane, portée par nos collègues Émilienne Poumirol et Anne-Marie Nédélec, visant à garantir le suivi de l’exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.
Ce texte s’inscrit dans la continuité du rapport, publié en mai 2024, relatif aux cancers professionnels des sapeurs-pompiers. Dès 2017, un rapport de la CNRACL alertait sur la surmortalité des pompiers découlant de ces pathologies.
À ce jour, seuls deux types de cancers sont présumés imputables à l’activité de sapeur-pompier : le carcinome du nasopharynx et le carcinome hépatocellulaire. Nous sommes très loin des pratiques qui ont cours dans d’autres pays, puisque près de vingt-huit cancers sont reconnus aux États-Unis, douze en Australie et neuf au Québec.
Nos soldats du feu, professionnels comme volontaires, doivent apporter la preuve de la causalité professionnelle de la pathologie, une tâche ardue en raison de l’absence de fiches d’exposition aux facteurs de risque. La difficulté à obtenir des preuves d’une polyexposition et les démarches administratives complexes présidant à la demande d’allocation temporaire d’invalidité expliquent le constat d’un phénomène de sous-déclaration par les sapeurs-pompiers.
En 2022, le Circ a pourtant classé l’exposition professionnelle des sapeurs-pompiers comme cancérogène pour le mésothéliome et le cancer de la vessie, et potentiellement cancérogène pour les cancers du côlon, de la prostate, des testicules et autres.
Le présent texte a donc pour objet de rattraper notre retard vis-à-vis de ces recommandations, en adaptant notre droit afin de reconnaître l’origine professionnelle de ces maladies et d’améliorer leur prévention.
Je partage pleinement le souci de renforcer le suivi médical post-professionnel des sapeurs-pompiers, qui permettra de plus d’améliorer l’appréhension des risques.
Ce texte, amendé par la rapporteure, prend en compte les récentes évolutions réglementaires en la matière, notamment la publication, le 14 janvier 2025, par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, de modèles de fiche d’exposition. Il prévoit également l’obligation, pour les Sdis, de tenir pour chaque intervention un relevé des expositions des sapeurs-pompiers à des agents toxiques.
L’article unique inscrit dans la loi ces deux obligations indispensables pour renforcer la protection de nos sapeurs-pompiers : l’élaboration d’un modèle national de fiche d’exposition aux facteurs de risque et le renseignement d’une telle fiche comportant la composition des fumées après chaque intervention à risque. Cette évolution est conforme aux demandes exprimées par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF).
La transposition de ces dispositions dans la loi permettra de résoudre des difficultés récurrentes liées à l’autonomie de gestion des Sdis. En effet, si dans certains départements, les Sdis consignent les expositions aux facteurs de risque, le remplissage de fiches d’exposition n’est ni systématique ni généralisé.
Cette proposition de loi doit aussi être mise en regard de l’implication de nos sapeurs-pompiers dans la lutte contre le cancer.
Dans le Lot-et-Garonne, département dont je suis élu, le Sdis 47 est solidaire de l’ensemble des actions menées par la Ligue contre le cancer. Il participe à toutes les campagnes de sensibilisation et de collecte de fonds, au bénéfice notamment du cancer du sein. Je tiens à saluer cet engagement exemplaire.
Pour toutes ces raisons, soucieux d’améliorer la prévention des risques graves et la prise en compte des risques quotidiens de contamination pour nos soldats du feu, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE) votera à l’unanimité en faveur de ce texte.
Je salue l’engagement quotidien des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, illustration de ce que l’humanité peut produire de meilleur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mmes Patricia Schillinger et Émilienne Poumirol applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Martin. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pascal Martin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des sujets intimes qui touchent au cœur même de notre pacte républicain et qui doivent à cet égard trouver un écho particulier au sein de nos assemblées parlementaires.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est avant tout l’expression d’une reconnaissance qui s’adresse à ceux qui, chaque jour, veillent à la sécurité des personnes, des biens et de notre environnement : aux sapeurs-pompiers, mais aussi aux policiers, aux gendarmes et à tous ceux qui, dans l’ombre, protègent les plus vulnérables et garantissent nos libertés. Tous portent un uniforme qui symbolise bien plus qu’une fonction : un engagement, une mission, une exigence de chaque instant.
La famille des sapeurs-pompiers m’est particulièrement chère, car j’ai exercé en son sein pendant de très nombreuses années. Elle force l’admiration de tous et perpétue, jour après jour, les valeurs d’abnégation et de courage véritables, celles qui ne cherchent ni les honneurs ni les acclamations.
Nous voyons les sapeurs-pompiers braver les dangers, s’engager dans les flammes, affronter les catastrophes. Nous admirons tous la bravoure de ces femmes et de ces hommes, et nous connaissons leur dévouement sans faille.
Ce que nous voyons moins, ce que dissimule la grandeur de leur engagement, c’est l’usure que leur profession impose à leur corps : les souffrances invisibles qui s’accumulent et surgissent après des décennies, les substances toxiques et les fumées qu’ils inhalent, les particules fines qui s’insinuent dans leur peau, tous ces poisons chimiques qui s’infiltrent insidieusement dans leur organisme.
Notre législation est à cet égard en retard et manque à rendre aux sapeurs-pompiers la protection qu’ils nous accordent pourtant sans retenue.
Seuls deux types de cancers sont actuellement présumés imputables à l’exercice direct de leur profession, alors que la science établit des corrélations frappantes entre l’exposition prolongée aux substances et le développement d’autres pathologies. La charge d’établir un lien suffisant entre les missions des sapeurs-pompiers et le développement de leur maladie leur revient ensuite, contrainte supplémentaire ajoutant le poids de la preuve à celui du devoir déjà accompli.
Comment accepter, mes chers collègues, qu’après avoir affronté le feu, le péril ou l’urgence, ils doivent encore lutter seuls pour faire reconnaître leurs blessures ? Est-il acceptable de continuer d’infliger à leur dévouement sans faille l’épreuve supplémentaire du doute ? À ce stade, la gratitude, aussi sincère soit-elle, ne suffit plus si elle ne s’exprime pas par des mesures de protection effectives.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui constitue une indispensable avancée qu’il convient de saluer. Elle a pour objet l’établissement d’une fiche d’exposition obligatoire d’application nationale qui sera systématiquement renseignée par l’autorité territoriale, après chaque intervention à risque.
Ce dispositif offrira enfin une traçabilité rigoureuse des substances auxquelles nos sapeurs-pompiers sont exposés, garantissant ainsi une reconnaissance plus juste de leurs maladies professionnelles. Il s’agit là d’un changement attendu et nécessaire.
Pourtant, mes chers collègues, aussi essentielle soit-elle, cette loi, d’une certaine manière palliative, ne fait que répondre aux conséquences d’une situation déjà entachée. Il faut aller plus loin. Notre devoir ne se limite pas à reconnaître les maladies lorsqu’elles surviennent ; il est aussi, et surtout, de les empêcher d’apparaître. Ainsi, seule une politique de prévention ambitieuse sera à la hauteur de nos responsabilités et de leur engagement.
Notre premier devoir est d’assurer une protection renforcée à nos sapeurs-pompiers dès qu’ils affrontent le danger. Leurs équipements doivent être perfectionnés et leurs capacités à filtrer les substances toxiques renforcées ; les véhicules de lutte contre l’incendie, les systèmes de ventilation, chaque élément doit être repensé pour offrir une barrière plus efficace contre les particules cancérogènes.
J’ai eu l’occasion d’échanger récemment avec le directeur du Sdis de la Seine-Maritime, qui m’a fait part des différentes démarches qu’il menait en ce sens, par exemple l’équipement complet des véhicules par des kits antipollution.
Il conviendrait en outre que les méthodes d’intervention et de formation intègrent davantage la prise en compte de la prévention. Lors de l’apprentissage des sapeurs-pompiers, professionnels ou volontaires, des campagnes pourraient ainsi sensibiliser aux réflexes protecteurs tels que la mise en place de zonages pour cantonner la dispersion des polluants ou encore le recours à des techniques innovantes d’intervention qui limitent l’exposition aux toxines, à l’image de certaines expérimentations menées en Seine-Maritime.
Si le suivi médical de l’exposition à certaines substances telles que l’amiante a d’ores et déjà progressé, il doit désormais s’imposer avec la même rigueur pour toutes les autres matières toxiques, au travers de dépistages à la fois plus fréquents et plus précis.
En fin de compte, cette proposition de loi doit s’inscrire dans le cadre d’une réflexion globale.
Je tiens à saluer l’initiative de nos collègues Émilienne Poumirol et Anne-Marie Nédélec, qui nous permettent aujourd’hui d’avoir ce débat très important, et à remercier madame la rapporteure de la commission des lois de son travail précieux sur ce texte.
Mes chers collègues, nos sapeurs-pompiers ne sont pas seulement les garants de notre sécurité ; ils sont les gardiens de nos valeurs. Ils interviennent sans distinction et sans condition.
Ce texte ne concède ni faveur ni indulgence ; il rappelle simplement et sans ambiguïté à ces héros du quotidien que la Nation sait aussi protéger ceux qui la protègent.
Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera à l’unanimité cette proposition de loi, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et RDSE. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mieux protéger ceux qui nous protègent, les sapeurs-pompiers volontaires comme professionnels, tel est l’objectif la proposition de loi par laquelle nous inaugurons cet espace transpartisan.
Les sapeurs-pompiers suscitent souvent l’unanimité de nos décisions, en écho à l’attachement et à la gratitude légitimes que nos concitoyens leur manifestent ; je ne doute pas qu’il en ira ainsi aujourd’hui.
Cette proposition de loi de nos collègues Poumirol et Nédélec vise à améliorer la reconnaissance des cancers professionnels des sapeurs-pompiers, ces derniers étant particulièrement exposés aux substances toxiques dégagées par les feux – des agents cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques.
C’est encore plus vrai lors d’un incendie hors norme – et dont on souhaite qu’il le reste – tel que celui qui a emporté l’usine Lubrizol de Rouen, le 26 septembre 2019, et au cours duquel près de 10 000 tonnes de produits, dont environ 7 000 tonnes de produits dangereux, sont parties en fumée. Quelque deux cent quarante sapeurs-pompiers du département de la Seine-Maritime et des départements voisins ont alors été exposés à ces substances cancérogènes, toxiques ou irritantes.
Plus globalement, du fait des expositions qu’emportent les interventions sur les incendies, le risque pour un pompier de développer un mésothéliome est plus élevé de 58 % que dans la population générale, ce ratio s’élevant à 16 % pour un cancer de la vessie.
Le rapport d’information du Sénat a formulé dix propositions visant à renforcer l’effort de prévention des risques liés à la lutte contre les incendies et à favoriser la reconnaissance des cancers comme maladies professionnelles.
La présente proposition de loi prévoit l’inscription dans la loi de l’obligation d’élaborer un modèle national de fiche d’exposition aux facteurs de risque, obligation préconisée par ce rapport, lequel a d’ailleurs conduit la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises à émettre une circulaire rappelant les impératifs en matière de traçabilité et fournissant des modèles de synthèse annuelle d’exposition et d’attestation d’activités potentiellement exposantes.
Cette proposition de loi apporte donc une première réponse pour améliorer la reconnaissance des cancers professionnels. Elle doit être complétée par le renforcement des actions de prévention, le rehaussement des protections des sapeurs-pompiers et l’amélioration des réparations accordées aux malades.
Le suivi médical des sapeurs-pompiers doit être perfectionné, notamment par l’instauration d’un scanner annuel et obligatoire des poumons.
La mission sénatoriale souligne que « le développement d’équipements de protection individuelle adaptés aux risques se fait toujours attendre ». Elle préconise d’ailleurs le versement d’une dotation exceptionnelle aux Sdis pour acquérir des équipements de protection individuelle, notamment le nouveau modèle de cagoule filtrante, efficace contre les particules fines et les composés chimiques.
Madame la ministre, l’État devrait a minima s’engager à financer ces nouvelles protections, d’autant que cette année comme les trois prochaines années, les Sdis subiront une hausse du taux de leur cotisation à la CNRACL qui affectera leurs budgets de fonctionnement et d’investissement.
Le groupe CRCE-K votera bien évidemment cette proposition de loi et œuvrera avec vous tous, j’en suis certaine, mes chers collègues, afin de poursuivre l’amélioration de la prévention des risques cancérogènes.
En effet, au-delà de la reconnaissance des risques auxquels sont confrontés les sapeurs-pompiers, au-delà de l’ouverture des droits et des prises en charge auxquels ils doivent évidemment accéder, nous devons aussi les protéger, comme ils nous protègent au quotidien. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Anne Souyris. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer Émilienne Poumirol et Anne-Marie Nédélec, auteures de la présente proposition de loi, qui nous proposent d’inscrire dans la loi les préconisations de leur rapport sur les cancers imputables à l’activité de sapeur-pompier, ainsi que Françoise Dumont, rapporteure particulièrement investie sur ce sujet.
Je salue également l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de ce premier espace transpartisan. J’espère que l’on y verra un symbole de la reconnaissance de l’importance de la santé environnementale.
À toutes celles et à tous ceux qui mettent chaque jour leur vie en péril pour protéger celle des autres, je veux dire : merci, nous sommes à vos côtés. Pour autant, comme nous le rappelle cette proposition de loi, ces remerciements ne suffisent pas.
Exposés à des produits de combustion dangereux, les sapeurs-pompiers font face, du fait de leur activité, à des substances cancérogènes avérées et à un niveau de risque qui a conduit le Centre international de recherche sur le cancer à classer, sans ambiguïté, cette activité comme « cancérogène pour l’homme ».
Je prendrai un exemple : les PFAS, que les écologistes combattent de longue date.
Les sapeurs-pompiers étant largement exposés à ces substances dangereuses utilisées pour leurs propriétés ignifuges – elles entrent dans la composition des tenues dont ils sont équipés, mais aussi des mousses anti-incendie qu’ils utilisent – le groupe écologiste avait appelé le Sénat à interdire les PFAS dans ces mousses, du moins celles utilisées lors des sessions d’essais et d’entraînement.
Je regrette que la Haute Assemblée n’ait pas adopté notre amendement visant à instaurer cette interdiction, mais les sapeurs-pompiers étant extrêmement exposés aux PFAS, je suis certaine que nous y reviendrons.
Les Écologistes ont testé la présence de PFAS chez des sapeurs-pompiers volontaires en présence des organisations syndicales représentant cette profession : le plus jeune d’entre eux était le plus contaminé ! Et sur tous, sans exception, la présence de ces substances a été détectée.
Par ailleurs, l’Agence européenne des produits chimiques (AEPC) a proposé d’interdire les PFAS dans les mousses anti-incendie à l’horizon 2027.
Madame la ministre, vous dites faire de cette alerte une priorité. Je vous appelle donc à défendre cette interdiction au niveau européen, dès la révision, à l’autonome, du règlement européen sur l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et la restriction des substances chimiques (Reach) et, le cas échéant, à la soumettre à notre examen afin que nous puissions protéger dans les meilleurs délais les sapeurs-pompiers français de ces mousses dont la dangerosité est avérée.
S’il nous faut réduire l’exposition des sapeurs-pompiers à ces cocktails de toxiques en agissant sur la présence desdites substances dans l’environnement, nous devons également renforcer la prévention en santé de cette profession. Cette proposition de loi pose un premier jalon, et je m’en réjouis.
La médecine préventive doit également être renforcée, madame la ministre. J’avais d’ailleurs interrogé le ministre de l’intérieur sur la transmission au conseil médical du rapport de médecine préventive pour les sapeurs-pompiers.
Face au risque probable d’une sous-déclaration d’ampleur des maladies professionnelles des sapeurs-pompiers, la construction des tableaux des maladies professionnelles doit être révisée au regard des dernières connaissances scientifiques.
En France, seuls deux cancers sont reconnus comme des maladies professionnelles présumées chez les sapeurs-pompiers, ce qui est bien sûr insuffisant. Puisque nous ne pouvons pas légiférer pour chaque maladie, c’est le système dans son entier qui doit être revu. Cette proposition de loi, en améliorant le recensement des maladies, constitue un préalable.
Par ailleurs, nous demandons que l’exposition des sapeurs-pompiers aux produits toxiques soit reconnue, en vue de leur retraite, comme un facteur de pénibilité. J’espère que les discussions en cours permettront cette juste reconnaissance.
Je nous invite enfin à porter une attention particulière à la situation des femmes sapeurs-pompiers, mes chers collègues.
Lors d’une conférence que j’ai organisée au Sénat le 10 mars dernier, les scientifiques Robert Barouki et Claire Philippat ont rappelé que l’exposition à ces produits pouvait avoir des effets particuliers sur les organismes féminins. Je compte donc sur vous, mes chers collègues, pour soutenir les travaux de recherche qui nous permettront de disposer d’informations supplémentaires sur les risques spécifiques auxquels la santé des femmes sapeurs-pompiers est exposée.
En conclusion, cette proposition de loi étant utile et nécessaire, le groupe écologiste votera pour. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Hussein Bourgi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à garantir le suivi de l’exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction soumise à notre examen est le fruit d’un travail transpartisan, qui traduit notre capacité à transcender les clivages pour témoigner de notre attachement commun aux sapeurs-pompiers, ces femmes et ces hommes qui risquent leur vie au quotidien pour sauver celle des autres.
Je tiens à saluer tout particulièrement le travail, précieux et éclairant, mené par Émilienne Poumirol et Anne-Marie Nédélec sur les maladies professionnelles dont souffrent les sapeurs-pompiers.
Nos deux collègues ont mis en lumière les lacunes qui existent dans la prise en charge des risques sanitaires auxquels ces professionnels sont confrontés. Il nous appartient de remédier à cette situation.
Dès 2022, le Centre international de recherche sur le cancer a reconnu le lien entre certaines formes de cancer et l’exercice du métier de sapeur-pompier, évoquant des risques accrus de développer d’autres formes de cancer, comme ceux du côlon et de la prostate.
Les risques liés à la profession de sapeur-pompier doivent être pris en compte de manière concrète et efficace, au travers d’un suivi médical post-professionnel et d’une reconnaissance des cancers imputables à l’exercice de ce métier.
L’une des principales difficultés auxquelles nous sommes confrontés est l’absence de données scientifiques fiables sur ces risques. En 2003, le rapport Pourny recommandait déjà la création d’une véritable veille sanitaire pour les sapeurs-pompiers, notamment par la mise en place d’une banque nationale de données permettant de réaliser des études épidémiologiques.
Hélas, aujourd’hui encore, aucun réel suivi médical coordonné n’existe et les études disponibles sont souvent contradictoires, ce qui empêche une prise en charge efficace. Dans un rapport datant de 2019, l’Anses recommandait pourtant de mieux prendre en compte les risques chroniques auxquels les sapeurs-pompiers sont exposés, pendant et après leurs interventions.
Madame la ministre, mes chers collègues, il faut arrêter de lanterner et de tergiverser : ce serait irresponsable, tant juridiquement que moralement. Nous parlons de la santé, et, partant, de la vie de ces femmes et de ces hommes ! Il est urgent de mettre en place un suivi médical post-professionnel pour prévenir les risques à long terme.
La CNRACL joue à cet égard un rôle central, notamment au travers de son fonds national de prévention qui met à la disposition des employeurs publics locaux le logiciel Prorisq, dédié au suivi des risques professionnels, ainsi que des documents informatifs. Cette caisse finance en outre des études épidémiologiques qui alimentent la recherche médicale et scientifique.
Depuis 2017, les fonctionnaires bénéficient d’une présomption d’imputabilité pour toute maladie inscrite dans l’un des tableaux des maladies professionnelles, ce qui leur donne droit à des congés pour invalidité et au remboursement des frais médicaux.
Cependant, en France, seuls deux types de cancer sont actuellement présumés imputables à l’activité de sapeur-pompier. Ce risque demeure bien inférieur à celui observé dans d’autres pays, comme viennent de le rappeler plusieurs de nos collègues.
De plus, la gestion des risques est fragmentée, chaque Sdis étant autonome et agissant à sa guise. Sur une période de dix ans, la CNRACL a enregistré seulement vingt et une demandes d’ATI liées à des cancers professionnels, dont aucune n’avait été adressée par un sapeur-pompier. En 2022, seules trente et une maladies professionnelles ont été répertoriées dans ce corps de métier.
Ces chiffres faibles laissent penser qu’il existe une sous-déclaration importante, probablement due aux difficultés pour prouver l’exposition, à l’absence de prise en compte de la polyexposition, ou encore à la complexité de la procédure de demande d’ATI. Cette situation entrave la traçabilité systématique des expositions et un suivi national uniforme de celles-ci. Il est donc impératif de renforcer la prévention des risques, d’uniformiser les bonnes pratiques et de généraliser les dispositifs de suivi.
Avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je me réjouis que cette proposition de loi contribue à l’amélioration de la traçabilité des expositions. En imposant la mise en place d’une fiche d’exposition pour chaque intervention, elle favorisera l’amélioration de la protection de nos sapeurs-pompiers et facilitera la reconnaissance des maladies professionnelles.
Cette proposition de loi a donc un double objectif : améliorer le suivi médical des sapeurs-pompiers et mieux garantir la reconnaissance de leur exposition aux risques cancérogènes.
Si ce texte va dans le bon sens, il reste encore des progrès à faire. Je pense notamment à la généralisation des bonnes pratiques sur l’ensemble du territoire. Au-delà de la reconnaissance des maladies professionnelles, il est également nécessaire de renforcer la prévention des risques.
Je salue les efforts accomplis pour améliorer les équipements de protection individuelle, comme la mise au point d’un nouveau modèle de cagoule filtrante. Ces équipements ont toutefois un coût pour les Sdis. Il conviendrait que les investissements nécessaires, de même que la certification des nouveaux équipements, soient accompagnés par l’État. Nous évoquons souvent les pactes capacitaires relatifs au matériel de lutte contre les incendies ; il serait bon de nous inspirer de ce dispositif pour ce qui concerne la santé et la protection de ces professionnels.
Par ailleurs, dans une circulaire du 14 janvier 2025, le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises a rappelé aux Sdis leur obligation de tenir un relevé des expositions des sapeurs-pompiers aux agents toxiques lors de chaque intervention.
Cette circulaire comporte également un modèle national de fiche d’exposition, ce qui répond à l’une des préoccupations qui ont présidé à cette proposition de loi. L’adoption, en commission, d’un amendement tendant à tirer les conséquences de cette circulaire, permettra de ne pas perdre de temps, puisque le texte renvoie non plus à la publication d’un nouvel arrêté, mais au modèle de fiche déjà disponible.
Les sénatrices et sénateurs de mon groupe voteront cette proposition de loi. Nous nous associerons, par ailleurs, à toute démarche visant à témoigner notre reconnaissance aux sapeurs-pompiers et à accorder des moyens tant budgétaires que matériels à ces femmes et à ces hommes auxquels nous ne rendrons jamais suffisamment hommage, et qui – j’y insiste – œuvrent chaque jour sur le terrain pour sauver des vies et veiller à la sécurité de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Consommables, de la passion au poison, tel est le titre du documentaire choc réalisé par des sapeurs-pompiers du département dont je suis élue, les Alpes-Maritimes, et diffusé sur l’excellente chaîne Public Sénat. Loin du cliché des héros infaillibles, ce film immersif évoque l’enjeu de la reconnaissance des maladies professionnelles de nos sapeurs-pompiers, plus particulièrement des cancers causés par leur exposition répétée à des produits de combustion reconnus comme cancérogènes.
Ce sujet est au cœur de mes travaux et de mes interventions auprès des gouvernements successifs depuis de nombreuses années. Ceux-ci s’inscrivent dans la droite ligne de l’excellent rapport d’information de mes collègues Anne-Marie Nédélec et Émilienne Poumirol, et de cette proposition de loi, rapportée par Françoise Dumont, visant à garantir le suivi de l’exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, grâce à la mise en place d’un modèle national de fiche d’exposition. J’espère que nous la voterons unanimement, mes chers collègues.
Si un tel suivi est déjà effectué par certains Sdis de France, la généralisation du renseignement de ces fiches d’exposition est un symbole fort. Elle facilitera de plus la reconnaissance des maladies professionnelles et améliorera l’efficience du suivi sanitaire de nos soldats du feu.
Je tiens par ailleurs à saluer l’engagement du ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, qui, au travers d’une circulaire adressée aux Sdis, a instauré de manière uniforme sur l’ensemble du territoire national une traçabilité des expositions. Nous devons continuer à mener ce travail collectif pour protéger la santé de ceux qui, chaque jour, risquent leur vie pour sauver la nôtre.
À ce jour, seules deux maladies sont reconnues comme étant imputables à cette profession. Vous le savez, l’empoisonnement auquel sont exposés les pompiers ne s’effectue pas seulement par inhalation, quand ils sont au feu : l’absorption d’effluents d’incendie peut également se produire par voie cutanée, voire par ingestion, malgré les équipements de protection individuelle.
En décembre dernier, dans cet hémicycle, le Gouvernement m’avait indiqué que le ministère du travail avait entamé les démarches nécessaires à la révision des tableaux des maladies professionnelles, pour y intégrer les cancers que la recherche scientifique a d’ores et déjà reconnus comme imputables à la profession de sapeur-pompier. Vous venez de confirmer ces propos, madame la ministre. Je souhaite donc ardemment, puisqu’une telle décision relève de votre pouvoir réglementaire, que la prochaine étape soit la consécration pratique de cette évolution.
Le groupe Les Républicains votera en faveur de cette proposition de loi dont l’objet, j’en suis certaine, fera consensus au sein de cette assemblée.
En conclusion de ce propos, je tiens à rendre hommage aux 256 000 sapeurs-pompiers de France. Par leur engagement sans faille à protéger, secourir et sauver, ils incarnent les plus belles valeurs de solidarité et d’humanité. Le Sénat, j’en suis sûre, poursuivra ses travaux pour continuer à les défendre et à les accompagner à leur juste valeur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – Mme Isabelle Florennes applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à garantir le suivi de l’exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction
Article unique
Après l’article L. 813-1 du code général de la fonction publique, il est inséré un article L. 813-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 813-1-1. – L’autorité territoriale établit, pour chaque sapeur-pompier professionnel ou volontaire exposé, dans le cadre de ses fonctions, après une intervention présentant un risque d’exposition à un agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction ou figurant sur l’un des tableaux mentionnés à l’article L. 461-2 du code de la sécurité sociale, une fiche d’exposition dont le modèle est fixé par voie réglementaire. »
Vote sur l’ensemble
M. le président. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à garantir le suivi de l’exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Bravo ! et applaudissements.)
M. le président. Belle unanimité !
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Architectes des Bâtiments de France
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l’exercice des missions des architectes des bâtiments de France, présentée par M. Pierre-Jean Verzelen et plusieurs de ses collègues (proposition n° 195, texte de la commission n° 439, rapport n° 438).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, auteur de la proposition de loi et rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. Pierre-Jean Verzelen, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, examiner un texte relatif aux missions des architectes des Bâtiments de France (ABF) dans le cadre d’une niche transpartisane du Sénat, c’est une forme d’exploit, car on sait que ce sujet peut déchaîner les passions… Ce n’est possible qu’ici ! (Sourires.)
Cette proposition de loi s’inscrit à la suite de la mission d’information intitulée « Architectes des Bâtiments de France, périmètre et compétences », dont je fus le rapporteur.
J’avais proposé l’ouverture de cette mission parce que j’ai été le maire d’une commune rurale où se trouve un bâtiment classé ; j’ai donc été conduit à travailler avec les ABF, mais aussi avec les services de l’unité départementale de l’architecture et du patrimoine (Udap). À cette occasion, j’ai identifié ce sujet comme étant un bon exemple des incompréhensions qui peuvent exister entre les maires et l’État, et entre les citoyens et l’État.
Nous avons mené ce travail sous la présidence de notre collègue Marie-Pierre Monier, que je salue et remercie. Nous avons, en la matière, des expériences différentes… Comment vous dire ? Nous n’étions pas totalement alignés au début de cette entreprise. (Mme Marie-Pierre Monier sourit.) Nous avons fait en sorte de rendre le plus objectif possible un sujet, le patrimoine, qui est par nature subjectif.
Quel constat pouvons-nous faire ? Lorsque l’on se connaît et que l’on se parle, cela fonctionne. Dans une ville qui compte des services instructeurs, ou dans un village à fort enjeu patrimonial, des habitudes de travail sont prises et, globalement, cela fonctionne bien.
En revanche, dans une commune rurale où les services administratifs sont peu nombreux, lorsque le maire ne connaît pas les ABF ou n’y a pas directement accès, et lorsque l’intensité patrimoniale est – disons-le – moins évidente, alors les choses se compliquent, quelquefois sérieusement. Les réponses au questionnaire que le Sénat a envoyé à toutes les mairies de France, et qui a rencontré un grand succès, ont confirmé ce constat.
Les principaux sujets sur la table sont les suivants.
Premier sujet : le manque de prévisibilité, et donc de cohérence, des décisions rendues. Nous connaissons tous cette histoire : un avis peut changer selon les ABF, et parfois aussi lorsqu’il s’agit du même architecte, à quelques mois d’écart et dans un même secteur géographique…
Deuxième sujet : l’intensité patrimoniale n’est pas la même partout. Lorsque l’on souhaite changer ses fenêtres, les exigences ne sauraient être identiques dans le périmètre classé du château de Versailles et à 480 mètres de la tour de Crécy-sur-Serre, commune dont je fus maire…
Troisième sujet : le coût des travaux. Ce n’est évidemment pas au législateur de décider quelles matières doivent être utilisées à tel endroit, ou l’origine des produits, ou encore quelle PME doit être retenue pour faire les travaux. Pour autant, on ne peut pas faire abstraction de la réalité. Or dans les faits, les gens font parfois des travaux pour des questions esthétiques, certes, mais aussi pour améliorer la consommation énergétique du bâti, avec les moyens dont ils disposent. D’ailleurs, les questions relatives aux énergies renouvelables, à l’autoconsommation et au photovoltaïque sont revenues très souvent lors de nos échanges.
Notre mission d’information a émis vingt-quatre recommandations. Celles-ci ont été adoptées à l’unanimité des membres de la mission, elles ont été présentées à la commission de la culture le 25 septembre, puis remises à Mme la ministre de la culture en janvier dernier.
Dans le rapport de cette mission, nous proposons l’extension des périmètres délimités des abords (PDA), afin d’en finir avec la délimitation arbitraire des 500 mètres et de redessiner un « périmètre intelligent » lié à la réalité de l’intensité patrimoniale autour du site classé.
Les PDA, autorisés depuis la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dite loi LCAP, sont une avancée unanimement saluée, tant par les élus que par les ABF. Le problème, c’est qu’il s’en crée trop peu, notamment dans les communes rurales, à cause des contraintes administratives – les procédures, l’enquête publique, le recours à des cabinets d’études, etc. Tout cela prend du temps, coûte de l’argent, et c’est un frein.
Nous proposons donc de ne plus recourir à l’enquête publique. En clair, si un maire souhaite restreindre le périmètre autour d’un édifice classé, il mène un travail en lien avec l’ABF ; puis une délibération du conseil municipal entérine cette décision.
Nous proposons de rendre publics et consultables en ligne les avis rendus par les ABF. Cela s’inscrit dans un mouvement global d’amélioration de la transparence des décisions prises par l’administration. (M. Jean-Baptiste Lemoyne opine.) J’ajoute que cette mesure permettra aux pétitionnaires, comme aux ABF, de disposer, par secteur et dans le temps, de références et, le cas échéant, d’une forme de jurisprudence.
L’article 3 de la proposition de loi prévoit la création d’une commission de conciliation départementale. À peu près tout le monde est contre, sauf les élus et les pétitionnaires !
Cette commission est inspirée d’exemples réels de territoires qui se sont déjà organisés, de manière plus ou moins officieuse. L’idée est de créer, et de rendre obligatoire, un moment de dialogue et d’échanges sur les décisions qui sont rendues. Non seulement cela fonctionne, mais cela fait un malheur ! En quelques heures, une grande partie des dossiers sont réglés.
L’article 4, qui s’inscrit dans la droite ligne des travaux de la mission d’information, vise à tracer un cap, une orientation, et à mettre en avant le sujet de la réhabilitation en l’insérant dans la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture.
Il y a ce qui relève, d’une part, du pouvoir législatif, et, d’autre part, du domaine réglementaire. Il s’agit notamment de répondre à la question récurrente de l’absence d’harmonisation des décisions des ABF, en nous dotant d’un guide, d’un cadre et d’orientations nationales sur un certain nombre de sujets. Quid, par exemple, du développement des énergies renouvelables, des matériaux à utiliser, de l’origine des produits utilisés ?…
Et il y a aussi ce qui relève des bonnes pratiques. Ainsi, un ABF qui arrive dans un département doit aller à la rencontre des élus, des conseils communautaires et partager un projet de service – un document simple expliquant comment il compte travailler avec ces élus.
Nous abordons également les sujets majeurs que sont la sensibilisation des plus jeunes au patrimoine au cours de la scolarité et la formation des ABF, en particulier l’élaboration de modules sur la relation avec les maires et la manière de travailler avec eux.
Nous aurons l’occasion de revenir sur ces sujets lors de l’examen des amendements. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport, cher Laurent Lafon, monsieur le rapporteur, cher Pierre-Jean Verzelen, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui marque une nouvelle et importante étape pour la sauvegarde de notre patrimoine et la préservation de nos cadres de vie.
Pendant trop longtemps, la relation entre les architectes des Bâtiments de France et les acteurs locaux a souffert de trop d’incompréhensions. Les ABF ont fait l’objet de critiques, de reproches, parfois au détriment de l’efficacité qu’exigent nos politiques patrimoniales, auxquelles nous sommes tous très attachés.
Les ABF jouent un rôle fondamental. Ils ne sont pas seulement des techniciens ou des administrateurs, mais aussi les gardiens vigilants de notre patrimoine. Cet œil attentif qui est le leur permet d’éviter que la laideur ne dégrade notre environnement.
Ces 189 ABF, soutenus par les 741 agents des Udap, veillent sur un territoire qui couvre environ 8 % de notre pays et un tiers des logements.
Avec expertise et engagement, ils veillent à ce que chaque pierre, façade ou panorama nous rappelle ce que nous sommes et d’où nous venons. En effet, leur rôle consiste aussi à transmettre et à faire perdurer l’histoire de nos villes et de nos villages.
Partant de ces constats, la mission d’information intitulée « Architectes des Bâtiments de France, périmètre et compétences », menée sous la présidence de la sénatrice Monier, dont vous étiez déjà rapporteur, monsieur le sénateur Verzelen, a formulé vingt-quatre propositions. Elle a aussi constitué une occasion de dialoguer sur un sujet qui suscite des avis très tranchés.
La proposition de loi transpartisane que nous examinons a pour objet de concrétiser ce travail précieux. Son ambition est simple : renouveler le dialogue entre nos architectes des Bâtiments de France et les acteurs locaux.
L’article 1er vise ainsi à simplifier et à alléger les contraintes qui pèsent sur les porteurs de projet. Pour atteindre cet objectif, il est notamment proposé de généraliser les périmètres délimités des abords.
Les zones de protection automatique, dont le périmètre est fixé à 500 mètres autour de chaque monument historique, se révèlent en effet parfois inadaptées aux réalités locales. De plus, elles sont aussi synonymes de procédures longues, coûteuses et souvent infructueuses.
Généraliser le recours aux périmètres délimités des abords constitue une excellente solution, pour peu que leur mise en place soit facilitée.
À l’article 2, il est proposé d’assurer la transparence des décisions rendues par les ABF, en prévoyant leur publication systématique dans un registre national.
Depuis plusieurs années, nous sommes engagés dans un mouvement de transparence qui concerne tous les pans de l’action publique. Les décisions relatives à notre patrimoine sont des sources précieuses d’information et de prévisibilité pour tous les acteurs concernés.
Si je partage donc cet objectif d’amélioration de la transparence, la création d’un tel registre me paraît toutefois inutile. En effet, le droit à la communication des documents administratifs rend déjà possible la consultation de ces décisions dans les mairies, où le demandeur, conseillé, orienté et guidé devant ces documents, bénéficie en quelque sorte d’une explication de texte sur mesure.
En outre, la création de ce registre emporterait une charge financière et technique considérable. En effet, je le rappelle, chaque année, les ABF rendent quelque 530 000 avis et donnent quelque 200 000 conseils éclairés, notamment lors de rendez-vous en mairie ou à l’Udap.
Enfin, la publication d’un tel registre entraînerait la diffusion de certaines informations personnelles relatives aux projets de travaux, protégées par le droit applicable au traitement des données personnelles. Nous sommes tous élus locaux, et je peux vous le dire très directement : cela pourrait provoquer de la délation, voire des règlements de compte.
Dans le climat actuel, il faut en outre veiller à la protection des informations sensibles au regard de la sécurité, en tenant notamment compte des risques d’intrusion. Diffuser des informations sur des logements, c’est accroître le risque de cambriolage ou de braquage. Pour les entreprises, cela reviendrait à publier les plans de leurs locaux, et l’on peut comprendre que certaines ne tiennent pas à divulguer des secrets stratégiques.
Cette proposition de loi est aussi motivée par la volonté d’améliorer le règlement des dossiers litigieux. Le texte prévoit ainsi de créer une nouvelle commission départementale dédiée à l’examen de ces derniers, qui pourrait se réunir à la simple demande du maire.
Si l’objectif est louable, un tel dispositif paraît contradictoire avec l’ambition affichée de simplifier les procédures, ainsi que nos concitoyens le veulent et l’attendent, tout autant qu’avec la volonté de réduire le nombre d’instances administratives. Il faudrait en effet créer cent commissions nouvelles, ce qui impliquerait de mobiliser et de défrayer plus de 2 000 personnes, sans que l’efficacité de telles réunions soit garantie…
Je le rappelle, les commissions régionales du patrimoine et de l’architecture peuvent être saisies à tout moment de ces sujets, et non uniquement en cas de contentieux. Elles peuvent être jointes par visioconférence, ce qui répond à la problématique de l’éloignement, pour statuer sur des recours, mais aussi faire œuvre de conciliation.
Enfin, la proposition de loi entend faire de la réhabilitation une priorité partagée. La destruction est en effet trop souvent préférée à la réhabilitation. Il convient de remédier à cet état de fait.
Je me réjouis donc que la réhabilitation des constructions existantes soit incluse dans le champ de l’intérêt public associé à l’architecture. Ainsi, la rénovation respectueuse du bâti ancien, qui fait l’âme de nos communes, sera désormais un objectif partagé par tous les professionnels de l’architecture.
Moins de contraintes, un meilleur dialogue et une ambition commune pour la réhabilitation : voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, le sens de cette proposition de loi.
La ministre de la culture que je suis ne peut que se satisfaire de constater que la sauvegarde de notre patrimoine fait l’objet d’un consensus qui nous rassemble au-delà des clivages.
Au fond, telle est bien la vocation du patrimoine : nous rassembler autour de lieux communs et œuvrer ensemble à la transmission et à la sauvegarde de nos cadres de vie. Les ABF y contribuent au quotidien. Avec cette proposition de loi, ils savent désormais qu’ils ne sont pas seuls. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mmes Marie-Pierre Monier et Sabine Drexler applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi relative à l’exercice des missions des architectes des Bâtiments de France de notre collègue Pierre-Jean Verzelen.
Avant toute chose, je tiens à saluer l’important travail mené par celui-ci sur ce texte, mais aussi en amont, dans le cadre de la mission d’information relative au périmètre d’intervention et aux compétences des architectes des Bâtiments de France, présidée par Marie-Pierre Monier.
Cette mission d’information avait formulé vingt-quatre recommandations, dont certaines sont reprises dans la présente proposition de loi. Elle avait en particulier établi qu’une meilleure articulation des fonctions des ABF et de celles des élus locaux était nécessaire.
Au cours des dernières années, le travail quotidien des ABF a en effet connu d’importantes évolutions. Le rapport de Pierre-Jean Verzelen souligne que le nombre d’avis rendus a augmenté de 63 % entre 2013 et 2023, alors que le nombre d’ABF déployés dans nos départements n’a pas augmenté.
Créé il y a près de quatre-vingts ans, en 1946, le corps des ABF compte aujourd’hui 189 membres, aux côtés desquels œuvrent plus de 750 agents.
Chaque année, près de 500 000 dossiers d’autorisations de travaux sont soumis à leur expertise. Contrairement aux idées reçues, seulement 7 % de ces dossiers font l’objet d’un avis défavorable.
Toutefois, en raison de l’augmentation du nombre de demandes, les ABF ne disposent pas du temps nécessaire pour justifier leurs décisions en détail, ce qui peut susciter l’incompréhension des élus des communes dans lesquelles un projet est refusé.
La présente proposition de loi vise donc à fluidifier les relations entre les ABF et les élus locaux, dans une logique de progrès et d’efficacité.
Les élus locaux se voient ainsi accorder davantage de souplesse, sans pour autant revenir sur les principales prérogatives des ABF, dont l’avis conforme est en particulier maintenu, ce dont je me réjouis.
Les ABF sont sans aucun doute des acteurs clés tant pour ce qui concerne la préservation des sites protégés, l’aménagement du territoire, la valorisation de l’architecture et du patrimoine de nos territoires que pour la restauration des monuments historiques.
Il en est toutefois de même de nos élus locaux, qui gèrent quotidiennement et directement les attentes des habitants et de l’ensemble des parties prenantes à l’aménagement du territoire dont ils ont la charge.
La proposition de loi comporte quatre articles dont les objectifs sont les suivants : encourager la généralisation des périmètres délimités des abords ; assurer la publicité des décisions rendues par les ABF ; renforcer le dialogue entre les élus, les porteurs de projet et les ABF ; et enfin, ériger la réhabilitation du bâti ancien en priorité partagée par tous les acteurs concernés.
Le recours aux périmètres délimités des abords permettra notamment aux élus locaux d’adapter les limites des zones de protection des monuments historiques aux réalités locales.
Le droit actuel prévoit des restrictions des opérations d’urbanisme pour les projets inclus dans les zones de protection des monuments historiques. Par défaut, ces zones sont délimitées dans un rayon de 500 mètres autour du monument. Or ce zonage ne correspond pas toujours aux besoins effectifs, ainsi que de nombreux élus le constatent sur le terrain.
L’article 1er du présent texte vise à remédier à cette situation, en favorisant la généralisation des PDA.
L’article 2 rend obligatoire la publicité des avis rendus par les ABF et prévoit la publication systématique de leurs décisions dans un registre national accessible en ligne pour le public.
Nous saluons cette mesure qui contribue à renforcer l’acceptabilité des décisions prises par les ABF et à faciliter leur compréhension. La commission a en effet adopté un amendement visant à accompagner cette publication d’éléments précisant le contexte dans lequel la décision a été prise.
Afin de favoriser le dialogue, l’article 3 crée des commissions départementales de conciliation. Il s’agit d’une mesure clé pour fluidifier les échanges lorsqu’une demande d’autorisation recueille un avis défavorable de l’ABF.
Chargées de faciliter l’examen des dossiers litigieux en amont des procédures de recours, ces commissions seront composées de membres de droit comprenant, outre le préfet, le pétitionnaire, le maire concerné, l’ABF et les représentants des élus locaux. Le conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) ou les associations patrimoniales pourront également y être associés.
Enfin, l’article 4 modifie la loi du 3 janvier 1977 en ajoutant la réhabilitation des constructions existantes au champ de l’intérêt public associé à l’architecture.
L’enjeu est simple : inscrire dans le droit le fait que la réhabilitation relève d’un objectif partagé par tous les professionnels de l’architecture, afin d’éviter les pratiques délétères pour le bâti ancien.
Je me réjouis que le groupe Les Indépendants ait pris l’initiative d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de notre assemblée, et je salue l’équilibre que cette proposition de loi tend à mettre en place. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI. – Mme Marie-Pierre Monier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Pierre Monier applaudit également.)
Mme Sabine Drexler. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si la protection du patrimoine semble de prime abord un sujet fédérateur, lorsqu’il s’agit de parler de ses gardiens, les architectes des Bâtiments de France, quotidiennement chargés de sa protection, cette belle unité disparaît.
Nous le savons, les ABF doivent faire face à un certain nombre de détracteurs. Particuliers et élus, y compris au Sénat, perçoivent diversement le sens de leurs missions, notamment lorsque leurs expériences les conduisent à identifier les ABF à de potentiels obstacles au développement et à la modernisation de leur commune.
Il est vrai qu’avec les moyens humains dont disposent aujourd’hui les Udap, les décisions des ABF ne peuvent qu’être mal comprises et susciter incompréhensions ou frustrations.
Dans le monde entier, la France est reconnue pour la richesse et l’exceptionnelle qualité de son patrimoine bâti, fruit d’un équilibre qu’il faut maintenir entre l’héritage du passé, les évolutions du présent et les perspectives de l’avenir.
La proposition de loi de notre collègue Pierre-Jean Verzelen a précisément pour objet de préserver cet équilibre.
Je tiens à saluer ce travail, nourri des propositions issues de la mission d’information relative au périmètre d’intervention et aux compétences des architectes des Bâtiments de France, à laquelle j’ai eu la chance de participer.
Cette mission d’information est partie du constat d’une forme d’incompréhension entre les ABF et certains élus locaux ou porteurs de projets.
La variabilité et le manque de prévisibilité des avis, les coûts quelquefois importants liés aux prescriptions des ABF, et parfois, le manque de pédagogie à l’égard des porteurs de projets et le défaut d’accompagnement de ces derniers, peuvent en effet donner lieu à de fortes frictions. Le manque d’accompagnement est évidemment lié à l’augmentation de la charge de travail, notamment administrative, des architectes, alors que dans le contexte récent, les difficultés liées aux enjeux de la transition énergétique s’accumulent.
Cette mission d’information a réuni des sénateurs issus de différentes commissions et de différentes obédiences politiques, aux points de vue très éloignés les uns des autres. Certains espéraient même pouvoir, grâce à cette mission, remettre en question les principes fondamentaux de la protection patrimoniale.
Je tiens à saluer la qualité de ce travail transpartisan, qui concourra sans nul doute à faire changer le regard sur les missions des ABF.
La présente proposition de loi encourage la généralisation des périmètres délimités des abords en simplifiant leur procédure d’adoption et en donnant aux élus la possibilité de les assortir d’un règlement.
Il est également proposé de publier les avis rendus par les ABF et de créer une commission départementale de dialogue, laquelle se réunira périodiquement pour examiner les dossiers ayant reçu un avis défavorable ou un avis favorable assorti de trop lourdes prescriptions.
La proposition de loi ajoute enfin la réhabilitation des constructions au champ de l’intérêt public associé à l’architecture.
Il sera certainement utile de débattre ultérieurement de la nécessité d’associer les architectes plus en amont des projets de réhabilitation, afin de lutter contre les interventions inadaptées sur le bâti patrimonial non protégé. Celles-ci sont en effet actuellement soumises non pas à un permis de construire, mais à des déclarations préalables, certains de ces travaux pouvant toutefois se révéler catastrophiques pour la préservation des constructions concernées.
Je défendrai un amendement d’appel sur ce sujet, afin de sensibiliser le Sénat et le Gouvernement à la nécessité de prendre des mesures radicales pour mettre fin au saccage patrimonial de notre pays, qui a cours depuis l’adoption de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et Résilience. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme Marie-Pierre Monier et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, garants de l’équilibre entre développement urbain et respect de notre héritage culturel, les architectes des Bâtiments de France jouent un rôle fondamental dans la protection de nos sites patrimoniaux.
Leurs missions, bien que primordiales, suscitent parfois des interrogations relatives à leur cadre d’intervention, à l’articulation de celui-ci avec les collectivités locales et à la nécessité d’assurer la rigueur et l’efficacité de leurs décisions.
La proposition de loi que nous examinons s’inscrit dans cette perspective. Elle fait l’objet d’un large consensus, ce qui lui vaut d’être inscrite dans un espace transpartisan.
Ce texte constitue la traduction législative des recommandations formulées dans le rapport de la mission d’information relative au périmètre d’intervention et aux compétences des architectes des Bâtiments de France, qui s’est également intéressée aux politiques publiques du patrimoine.
Je salue, à cette occasion, l’excellent travail de notre collègue Pierre-Jean Verzelen, rapporteur de cette mission d’information, ainsi que les sénateurs qui y ont participé, dont mon collègue Jean-Baptiste Lemoyne.
Sur ces travées, nombre d’entre nous ont été associés aux travaux des ABF et des élus dans nos départements respectifs. Nous avons ainsi été les témoins des incompréhensions mutuelles et des frustrations que les avis rendus peuvent parfois susciter.
Il importe donc que la Haute Assemblée se saisisse une nouvelle fois de la question. Les vingt-quatre recommandations du rapport de la mission d’information adopté à l’unanimité en septembre dernier sont autant de pistes dont le Gouvernement, les parlementaires et les élus doivent désormais se saisir.
Un déplacement à l’étranger, dans un pays moins pourvu en la matière ou moins sensible à ces enjeux, suffit à mesurer la richesse historique de notre pays et à prendre conscience de notre conception du patrimoine, lesquelles tiennent grandement aux travaux des ABF.
L’ambition de la proposition de loi est ainsi de « renouveler les conditions du dialogue entre les ABF, les élus locaux et l’ensemble de nos concitoyens ».
Le texte prévoit en premier lieu de simplifier le recours aux périmètres délimités des abords des monuments historiques, afin de favoriser leur généralisation.
L’adoption de ces périmètres, créés par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, permet de modifier le contour de la zone de protection automatique des 500 mètres afin d’adapter au mieux la servitude aux réalités locales et à l’intensité patrimoniale.
Alors que les PDA sont pertinents sur le papier et qu’ils sont sollicités tant par les élus que par les ABF, leur création se heurte à des lourdeurs administratives souvent décourageantes. Seuls quelques milliers d’entre eux ont vu le jour depuis leur création, alors que l’on compte près de 45 000 monuments historiques dans notre pays.
Pour faciliter le travail des communes, notamment des plus petites, il est proposé à l’article 1er, en cas de réduction du périmètre automatique de 500 mètres, que l’enquête publique et la consultation des propriétaires de monuments historiques ne soient plus obligatoires.
Nous partageons l’objectif de permettre aux conseils municipaux de se saisir davantage des politiques de conservation du patrimoine, avec l’aval des ABF.
En revanche, notre groupe nourrit quelques réserves sur les articles 2 et 3 de la proposition de loi.
Afin de mieux faire comprendre les décisions des ABF, et d’inciter ces derniers à harmoniser davantage leurs conclusions, il est proposé de rendre leurs avis publics. Si nous souscrivons aux conclusions du rapporteur sur un certain nombre de points, il nous semble que cette solution pourrait emporter de nombreux contentieux et poser des difficultés relatives à la protection des données.
Nous craignons par ailleurs que la création d’une nouvelle commission de conciliation départementale ne se heurte aux mêmes difficultés de fonctionnement que les commissions déjà existantes, lesquelles peinent souvent à atteindre le quorum.
Enfin, alors que les besoins de rénovation énergétique des bâtiments se font plus intenses et que l’on peine à adapter les prescriptions au bâti ancien, il est proposé de modifier la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture et d’ajouter les opérations de réhabilitation au champ d’intérêt public de la profession.
L’examen en commission de l’article 4 a fait l’objet d’un réel débat, tant il peut sembler dangereux de modifier l’équilibre existant. La rédaction de la commission nous paraît toutefois juste et proportionnée.
Le groupe RDPI votera donc cette proposition de loi qui s’inscrit dans une démarche constructive et pragmatique, au service d’un patrimoine vivant et d’une action publique modernisée. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – Mme Sonia de La Provôté et M. Pierre-Antoine Levi applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Conte Jaubert. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
Mme Mireille Conte Jaubert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons est le résultat des travaux de la mission d’information relative au périmètre d’intervention et aux compétences des architectes des Bâtiments de France. Son objectif est clair : apaiser les tensions entre la préservation du patrimoine et les besoins des territoires.
En renforçant le dialogue pour concilier les enjeux patrimoniaux et environnementaux, ce texte vise à rendre l’action des ABF plus lisible et à mieux l’adapter aux réalités locales.
La mission d’information, à laquelle notre collègue Guylène Pantel a participé, a mis en évidence plusieurs points de friction qu’il nous appartient aujourd’hui de corriger.
D’abord, les avis rendus manquent de prévisibilité et varient d’un département à l’autre en raison de l’appréciation subjective des critères esthétiques.
Ensuite, les exigences formulées sur le choix des matériaux ou des techniques employées emportent des coûts parfois excessifs. S’ajoute à ces griefs un manque d’explication des décisions et d’accompagnement des élus locaux et des porteurs de projets, qui peuvent se trouver confrontés à des refus qu’ils ne comprennent pas.
Enfin, concilier protection du patrimoine et rénovation énergétique du bâti reste un défi majeur, surtout pour l’isolation des bâtiments anciens et l’installation de panneaux photovoltaïques.
Ces divers blocages appellent des réponses concrètes pour garantir la compréhension des décisions et leur meilleure adaptation aux réalités locales.
Il ne s’agit ni de déposséder les architectes des Bâtiments de France de leur rôle ni de sacrifier notre patrimoine sur l’autel de la modernité.
Il s’agit d’introduire davantage de souplesse et de concertation, afin d’adapter le cadre réglementaire aux besoins concrets des territoires.
En Gironde, par exemple, de nombreux projets de rénovation et de réhabilitation se heurtent à des refus ou à des demandes de modifications dont la motivation manque parfois de clarté.
J’en veux pour preuve l’exemple d’un projet de rénovation d’un séchoir à tabac, dont l’architecte des Bâtiments de France a demandé la modification. Bien que le département de la Gironde jouxte celui de la Dordogne, historiquement territoire de culture du tabac, il demeure un territoire viticole. Ce genre de bâtisse ne faisant donc absolument pas partie du patrimoine, pourquoi demander de modifier un tel projet, au prix de surcoûts importants ? Certaines exigences des ABF se révèlent quelques fois pour le moins surprenantes.
La présente proposition de loi, fruit d’un travail transpartisan dont le Sénat a le secret, apporte plusieurs avancées consensuelles.
Elle simplifie la procédure de création des périmètres délimités autour des monuments historiques et permet aux élus d’instaurer un règlement encadrant l’architecture et l’esthétique des constructions dans ces zones sensibles.
Ce texte prévoit par ailleurs la publication systématique des avis des ABF sur une plateforme en ligne. Aujourd’hui, ces décisions restent trop peu accessibles, ce qui alimente un sentiment d’opacité.
La création d’une commission de conciliation constitue une autre avancée significative. Trop souvent, les projets se heurtent à des refus mal compris, entraînant des recours longs et coûteux. Cette instance offrira un cadre de dialogue adapté pour aboutir à des solutions partagées.
Nous considérons néanmoins que les élus locaux doivent être pleinement associés à ces échanges. Tel est le sens de l’amendement n° 1 rectifié bis, que notre collègue Guylène Pantel défendra à l’article 3.
Mes chers collègues, l’examen de cette proposition de loi nous rappelle que la protection du patrimoine et l’innovation sont les deux faces d’une même pièce.
Ce texte modernise un cadre parfois trop rigide, tout en garantissant la transmission des trésors architecturaux qui font la richesse de nos territoires, sans remettre en cause l’avis conforme, acquis inestimable de notre droit, auquel l’ensemble de la commission de la culture est attaché.
L’histoire et l’avenir doivent coexister en bonne intelligence, grâce à une approche fondée sur le dialogue et l’adaptation, qui concilie performance énergétique et respect des identités locales.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Mireille Conte Jaubert. C’est pourquoi notre groupe apportera son soutien à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sonia de La Provôté. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte est le fruit d’un travail consensuel du Sénat. Il reprend les recommandations de la mission d’information relative au périmètre d’intervention et aux compétences des ABF, dont le rapport a été adopté à l’unanimité en septembre dernier.
Comme notre rapporteur, dont je salue le sens de l’équilibre et de l’écoute, je me réjouis de l’inscription de cette proposition de loi dans une niche transpartisane. C’est bien le signe que ce texte vise à concilier le rôle des ABF avec les demandes de souplesse et de dialogue, récurrentes dans tous nos départements.
En effet, en tant qu’élus locaux ou anciens élus locaux, nous savons que même si la relation avec les ABF n’est pas toujours un long fleuve tranquille, ceux-ci demeurent les gardiens indispensables de la qualité urbaine et paysagère de nos territoires.
Au cours de ses auditions, la mission d’information a notamment dressé ce constat alarmant : les élus locaux et les administrés ne comprennent pas le rôle des ABF. Disons-le d’emblée, les ABF doivent certainement progresser pour mieux expliquer leurs missions, accompagner et conseiller leurs interlocuteurs, bref, faire mieux sans empêcher.
Soyons-en convaincus, il faut défendre nos ABF. Parfois, leurs avis aident même les élus locaux à demander la modification de projets réglementairement inattaquables, mais esthétiquement très contestables. S’abriter derrière leur avis négatif est alors bien utile.
Mes chers collègues, soyons honnêtes. Les ABF, c’est un peu comme l’Europe : quand quelque chose ne va pas, c’est souvent de leur faute ! Il faut donc, de part et d’autre, sortir des dogmes et des postures pour que la coopération et la confiance s’installent.
Cela dit, on ne peut pas nier que les avis des ABF donnent lieu à de trop fortes tensions dont les causes sont récurrentes.
D’abord, les avis rendus manquent de prévisibilité et sont susceptibles de varier d’un ABF ou d’un département à l’autre.
Ensuite, le coût des travaux associés aux prescriptions des ABF est souvent plus élevé que celui des travaux initialement envisagés.
Il faut enfin mentionner le manque de pédagogie et de dialogue lors du rendu des avis, ainsi que la difficile prise en compte des enjeux liés à la rénovation énergétique du bâti ancien, qui place souvent les propriétaires face à des injonctions contradictoires.
Les auteurs de la présente proposition de loi souhaitent apporter des solutions, au moins partielles, à ces difficultés.
L’article 1er a pour objet de simplifier et de rendre plus souple le processus d’adoption d’un PDA pour les élus. Il vise ainsi à rendre possible l’inscription du règlement du PDA non pas dans un nouveau document, mais dans le plan local d’urbanisme (PLU) ou le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi).
Le but est de favoriser la rédaction d’un seul outil réglementaire dans lequel tout peut être inscrit, des couleurs aux matériaux, en passant par les choix opérés pour l’isolation des bâtiments.
Cela garantit la constance et la cohérence des avis dans le temps, évitant ainsi le procès trop récurrent en arbitraire. Le PDA permet d’organiser la discussion une bonne fois pour toutes, sans devoir revenir à de multiples reprises sur le sujet.
En commission, nous avons également adopté un amendement visant à assouplir le recours systématique à l’enquête publique, en supprimant celle-ci lorsque le périmètre de protection automatique est réduit.
L’article 2, quant à lui, a pour objet d’améliorer la transparence des avis rendus par des ABF, en prévoyant leur publication systématique dans un registre national numérique mis à disposition du public.
L’article 3 instaure une commission départementale chargée de l’examen collégial des dossiers litigieux et de ceux qui pourraient le devenir.
Dans sa recommandation n° 1, la mission d’information préconisait de créer une commission départementale pour favoriser la conciliation le plus en amont possible, apaiser les tensions et éviter les procédures de recours.
L’échelon départemental étant celui de la proximité et de la connaissance fine des communes, il est en mesure d’assurer la nécessaire harmonisation des décisions d’un point à l’autre du territoire.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Sonia de La Provôté. Enfin, l’article 4 ajoute la réhabilitation des constructions existantes au champ de l’intérêt public associé à l’architecture. Permettez-moi à cet égard d’insister sur les problèmes qui se posent, sur le terrain, au sujet de la rénovation énergétique du bâti à caractère patrimonial, mes chers collègues.
M. Pierre Ouzoulias. Eh oui !
Mme Sonia de La Provôté. Prendre en compte les spécificités du bâti ancien pour atteindre l’objectif de rénovation énergétique est indispensable.
Pour ne donner qu’un exemple concret, à peine caricatural, poser un bardage sur du torchis ou des colombages revient à détruire le bâti, sans tenir compte du confort d’été. Évidemment, je ne parle même pas des goûts et des couleurs !
L’ajout proposé peut nous permettre d’adopter enfin une vision patrimoniale de la rénovation thermique.
Madame la ministre, vous l’avez compris, le groupe UC soutiendra ce texte qui améliore le rôle des ABF, sans remettre en cause leurs missions.
Toutefois, je ne peux conclure sans évoquer l’un des problèmes principaux rencontrés par ce corps de métier : le manque flagrant d’effectifs dans les fameuses Udap (unités départementales de l’architecture et du patrimoine), que nous connaissons bien.
Mme Marie-Pierre Monier. Oui !
Mme Sonia de La Provôté. Plus d’ABF, c’est plus de temps sur le terrain, plus de temps pour négocier, concilier, expliquer, bref, plus de temps pour faire apprécier – voire aimer – les ABF et leurs compétences.
Or leurs conditions d’exercice n’ont cessé de se dégrader au cours des dernières années, avec des effectifs quasi stables et une charge de travail exponentielle. Cette surcharge administrative ne leur laisse pas assez de temps pour leurs tâches de conseil et d’accompagnement qui, en amont des décisions, permettraient d’assurer à celles-ci une plus grande lisibilité et une meilleure acceptabilité. Cela ne pourra se résoudre qu’en traitant la question des moyens.
Mme Marie-Pierre Monier. Tout à fait !
Mme Sonia de La Provôté. Cette discussion aura donc lieu de nouveau dans cette enceinte, à l’autonome prochain. Je vous donne rendez-vous, madame la ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la qualité de l’architecture de notre quotidien et la préservation du patrimoine bâti sont des politiques menées de longue date par le ministère de la culture. Elles constituent le fondement de son action publique et sont célébrées comme constitutives de l’identité culturelle de notre pays. Cependant, elles sont également trop souvent la source de tensions entre les élus et l’État, l’intervention de ce dernier étant parfois considérée comme une entrave à la liberté de construire.
Il existe ainsi une tension paradoxale entre, d’une part, les demandes de plus en plus nombreuses de classement au titre des monuments historiques, notamment quand il s’agit d’édifices religieux, et, d’autre part, les réticences à accepter les contraintes liées à la protection de leurs abords.
Au contact direct des élus, les architectes des Bâtiments de France tentent de gérer ce paradoxe au quotidien. Ils sont souvent tenus responsables de l’inertie ministérielle, quand il s’agit de reconnaître le caractère unique des bâtiments revendiqué par les maires, et des tracasseries bureaucratiques liées aux autorisations d’urbanisme.
Il est donc crucial de rendre hommage à leur travail, à leur dévouement et à leurs efforts sincères pour tenter de concilier les obligations imposées par une législation protectrice et les souhaits souvent contradictoires des pétitionnaires et des autorités chargées de délivrer les permis.
Soulignons-le, les maires n’ont aucun intérêt à un affaiblissement de l’avis conforme des architectes des Bâtiments de France, car cela les exposerait à des contentieux actuellement assumés par l’État.
La mission d’information, dont le rapport a été rédigé par Pierre-Jean Verzelen – je salue la qualité de votre travail, mon cher collègue –, a démontré qu’il fallait relativiser l’impression de ressentiment général contre les avis des ABF. Partout où un dialogue constructif s’est instauré entre les services des ABF et ceux de la collectivité qui sont chargés de l’urbanisme, les conflits sont rares et résolus par la négociation.
En revanche, des différends peuvent surgir lorsque les ABF peinent à assumer pleinement leur mission de conseil auprès d’élus de communes démunis face à la complexité du droit du patrimoine. Ce constat n’est pas nouveau.
Dans un rapport remis en octobre 2018 à la ministre de la culture, M. Philippe Bélaval, aujourd’hui conseiller du Président de la République, faisait cette mise en garde : « Mais le fait est que la réduction des effectifs et des moyens des Udap amène très souvent les architectes des Bâtiments de France à donner une priorité, dans la répartition de leur temps, aux avis, débouchant sur une restriction de l’exercice de leurs autres compétences. Le déséquilibre ainsi créé est fâcheux : en enfermant trop les Udap dans un rôle d’empêchement, il pèse très négativement sur l’image, non seulement des architectes des Bâtiments de France, mais aussi des dispositifs de protection eux-mêmes ; en outre, il affaiblit le rôle que le ministère de la culture est susceptible de jouer sur les territoires pour la préservation d’un cadre de vie de qualité. » Tout est dit !
Sur le fondement de cette analyse, toujours d’actualité, vous aviez, madame la ministre, proposé dans votre plan présenté en juillet 2024, intitulé Printemps de la ruralité, de renforcer les effectifs des Udap dans les départements ruraux, afin que ceux-ci disposent d’au moins deux architectes des Bâtiments de France. Il est maintenant temps de mettre ce plan en œuvre ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Marie-Pierre Monier et M. Michel Laugier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Monique de Marco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « l’architecture est quelque chose de dangereux. C’est un art socialement dangereux parce qu’imposé à tous. L’architecture impose une immersion totale. Ce n’est pas comme composer de la musique ou écrire une comédie. […] Une musique laide, on peut ne pas l’écouter ; un tableau laid, on peut ne pas le regarder, mais un immeuble laid reste là, devant nous, et nous sommes bien obligés de le voir. »
Ces quelques mots d’avertissement de l’architecte Renzo Piano justifient à eux seuls les missions des architectes des Bâtiments de France : veiller à ce que les lubies immobilières de quelques-uns ne défigurent pas les perspectives architecturales du plus grand nombre.
Pourtant, depuis quelques années, les architectes des Bâtiments de France font l’objet de vives critiques. C’était déjà le cas lors de l’examen de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. On leur reproche des décisions opaques, variables, coûteuses. Les dispositions de la proposition de loi permettront de répondre aux deux premières critiques.
Les travaux de la mission d’information sur les ABF auront permis de démystifier les conditions d’exercice de leurs compétences. Nos auditions ont en effet permis de comprendre que, au regard de l’ensemble des avis, le taux de refus est assez faible, puisqu’il s’élève à 7 %.
En outre, une décision défavorable ne fait pas totalement obstacle à un projet, car elle peut toujours donner lieu à un échange. Ainsi, en définitive, seulement 0,1 % des projets seraient refusés, ce qui conduirait à moins d’une dizaine de contentieux par an. Ce chiffre est très faible en comparaison du contentieux de l’urbanisme et de l’aménagement porté devant les tribunaux administratifs – 12 700 affaires jugées en 2024 – ou du contentieux de la construction porté devant le juge judiciaire – 33 500 affaires en 2024. C’est le signe de l’efficacité de cette procédure, fondée sur l’échange.
On sait que l’on bâtit pour des années, voire des siècles – je n’ose dire pour des millénaires –, cela mérite bien quelques discussions préalables. Gardons-nous donc de tenir les architectes des Bâtiments de France pour responsables de ces lenteurs nécessaires.
Les modifications prévues dans le texte permettent d’aboutir à un bon équilibre. Elles instaurent un peu de flexibilité, avec la généralisation des périmètres délimités des abords, et une meilleure compréhension de la « jurisprudence » des ABF, grâce à la publicité des avis.
Il est parfois également reproché aux ABF de faire obstacle à l’adaptation des bâtiments à la rénovation énergétique. C’est exact. Pourtant, il existe des exemples à l’étranger. L’Italie offre une piste intéressante pour concilier conservation, rénovation et production d’énergie renouvelable : savez-vous que des panneaux photovoltaïques ont été installés dans la maison de Cérès, sur le site de Pompéi, ainsi que dans le parc archéologique Appia Antica à Rome ? Ce qui est possible en Italie devrait l’être aussi en France, madame la ministre !
Je tiens à remercier nos collègues d’avoir pris en considération la nécessité d’inscrire la notion de réhabilitation dans la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture. Choisir de réhabiliter plutôt que de démolir permet de préserver les ressources naturelles, de réduire les déchets et les émissions de CO2 et d’optimiser l’empreinte écologique de nos milieux habités. Réhabiliter, ce n’est pas seulement rénover, restaurer et mettre aux normes ; c’est un travail subtil de transformation, par lequel l’acte architectural permet de conjuguer mémoire, performance et usage.
Aujourd’hui, la beauté de nos territoires urbains et ruraux peut être mise en danger par des constructions court-termistes. Dans la Grèce antique, les élus athéniens commençaient leur mandat par ce serment : « Je vous promets, Athéniens, de vous rendre Athènes plus belle que vous me l’avez donnée. » L’architecture participe au bien-être de nos concitoyens, renforce le désir d’appartenir à une société.
M. le président. Il faut conclure, chère collègue.
Mme Monique de Marco. En tant qu’élus, il est de notre devoir de nous entourer d’architectes dans la conception, mais aussi dans la réalisation de grands projets d’urbanisme dont nous rêvons pour nos territoires, dans l’intérêt de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre Monier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « l’architecture est le grand livre de l’humanité, l’expression principale de l’homme à ses divers états de développement, soit comme force soit comme intelligence », disait Victor Hugo.
Les architectes des Bâtiments de France, qui œuvrent au quotidien pour assurer la préservation de notre patrimoine et de notre cadre de vie, sont les précieux gardiens de ce récit commun. Il suffit, pour en avoir la certitude, de se promener dans les si belles rues d’une commune comme Figeac, exemple souvent cité de coopération efficace entre ABF et élus. Son architecture attire chaque année, dans le département du Lot, des centaines de milliers de touristes venus du monde entier.
Nous le savons, néanmoins, le rôle des architectes des Bâtiments de France a parfois suscité des débats au sein de notre hémicycle. Notre plaisir est donc encore plus grand de nous retrouver aujourd’hui, à la faveur d’un espace transpartisan, pour examiner une proposition de loi sur ce sujet.
La mission d’information qui a été menée, sur l’initiative de son rapporteur, Pierre-Jean Verzelen – je vous remercie d’avoir pris cette initiative, mon cher collègue –, et que j’ai eu l’honneur de présider est une illustration parfaite, à mon sens, des consensus auxquels peut parvenir le Sénat. Partis de positions initiales parfois divergentes, nous avons su aboutir, à l’issue d’un travail rythmé – vingt auditions, quatre déplacements, 1 500 témoignages d’élus locaux –, à des propositions communes, nourries par une approche pragmatique collant au plus près du terrain.
Il en est ressorti plusieurs mesures d’ordre législatif, encore affinées par le travail du rapporteur, qui a tenu à faire un nouveau tour d’horizon des acteurs clés concernés par leur mise en application.
L’article 1er du texte encourage la généralisation des périmètres délimités des abords. Ces périmètres, dits intelligents, créés par la loi de 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, avaient pour vocation de rationaliser la protection patrimoniale aux abords des monuments, afin de limiter l’intervention des ABF aux emplacements où la covisibilité fait consensus.
Pour passer le cap de la massification de l’application des PDA sur le territoire, cet article simplifie les procédures administratives nécessaires qui y sont associées – l’obligation de conduire une enquête publique et de consulter le propriétaire ou l’affectataire du monument historique concerné –, source de nombreuses lourdeurs administratives.
À l’issue de l’examen en commission, lorsqu’il s’est agi de définir un périmètre, le rapporteur a finalement choisi, pour des raisons de sécurité juridique et constitutionnelle du dispositif, de supprimer l’enquête publique dans l’ensemble des cas où le PDA réduit le périmètre automatique des 500 mètres autour du monument historique et de la conserver dans les cas où le PDA étend le périmètre de la protection au-delà de 500 mètres.
Afin d’améliorer la prévisibilité des décisions prises par les ABF, cet article permettra également aux élus qui le souhaitent d’élaborer un règlement du PDA en lien avec l’ABF. La rédaction initiale prévoyait que ce règlement serait autonome, dans un souci de rationalisation des outils réglementaires ; finalement, il est prévu que le règlement du PDA s’inscrira dans le plan local d’urbanisme.
L’article 2 répond au même objectif d’accroissement de la prévisibilité pour les porteurs de projet et les élus locaux, en instaurant la publicité des décisions prises par les ABF. La dématérialisation de la procédure, au cours des dernières années, facilitera du point de vue technique cette mise à disposition, qui sera accompagnée d’éléments visant à assurer leur compréhension par le plus grand nombre.
L’article 3 crée une commission de conciliation permettant un examen collégial des dossiers, afin de favoriser l’émergence de solutions concertées sur les dossiers litigieux, avant l’engagement de procédures de recours. Il s’agit de généraliser à l’ensemble du territoire national de bonnes pratiques qui existent déjà dans certains départements, où se réunissent, sur l’initiative du préfet, ABF, maires et porteurs de projet, afin de lever, par le dialogue, les difficultés rencontrées en amont de la procédure de recours.
Cette mesure a suscité de nombreuses interrogations de la part des acteurs entendus en audition, ce qui a conduit à une réécriture significative du dispositif par le rapporteur, notamment pour préciser sa composition et son articulation avec la procédure de recours.
Enfin, l’article 4 ajoute à la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture la notion de réhabilitation, afin d’intégrer celle-ci parmi les activités architecturales d’intérêt public, dans le dessein de répondre à la préoccupation de faire de la réhabilitation du bâti ancien un objectif partagé par l’ensemble des acteurs du secteur de la rénovation. C’est une dynamique déjà amorcée, qu’il convient d’encourager.
Je tiens pour conclure à souligner que, tant lors des travaux de la mission d’information que pendant les auditions préparatoires à cette proposition de loi, la problématique du manque de moyens humains et d’ingénierie dans les territoires pour préserver notre patrimoine a été abondamment soulignée. Je l’ai moi-même rappelée lors de l’examen du budget, au moment où le Sénat a adopté un amendement visant à recruter un ABF supplémentaire par département. Nous ne pouvons éluder ce sujet si nous voulons diminuer de façon significative leur charge de travail afin de leur permettre d’augmenter le temps qu’ils consacrent à leurs missions de conseil et d’accompagnement.
Les sénateurs et sénatrices socialistes voteront en faveur de ce texte, qui s’inscrit pleinement dans la continuité de la mission d’information dont il est issu : il prévoit des solutions concrètes pour faciliter la vie de nos élus sans fragiliser ce qui fait la force de notre politique de préservation du patrimoine. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Gérard Paumier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Gérard Paumier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi transpartisane, issue de la mission d’information sur les architectes des Bâtiments de France, comporte des avancées permettant de renouveler les conditions de dialogue entre les ABF, les élus locaux et nos concitoyens.
Héritiers de Prosper Mérimée et du corps des architectes ordinaires des monuments historiques créé en 1907, les ABF sont confrontés à l’inflation patrimoniale des dernières décennies et à l’élargissement progressif des espaces protégés.
À l’image du dieu Janus, ayant une face tournée vers le passé et l’autre vers l’avenir, les ABF – les « acteurs de la beauté de la France » – ont, dans la réalité quotidienne de nos territoires, le visage de la confiance pour certains maires et particuliers et celui de la méfiance pour d’autres. Dans le département dont je suis élu, l’Indre-et-Loire, qui a un riche patrimoine historique, j’ai été témoin de ces deux facettes.
D’un côté, le dialogue confiant, exigeant et permanent de notre ancien collègue sénateur Yves Dauge, alors président de sa communauté de communes rurales, avec le service départemental d’architecture a permis, au prix d’une patiente pédagogie, d’entraîner les neuf maires concernés à préserver et à protéger le patrimoine et les paysages ruraux du pays de Rabelais, théâtre des guerres picrocholines. Le résultat est le premier classement national, toujours en cours, d’un territoire géographique – la « Rabelaisie » –, berceau d’une œuvre littéraire, Gargantua et Pantagruel, symbole de l’humanisme de la Renaissance.
D’un autre côté, tout en reconnaissant le rôle majeur des ABF dans la protection du patrimoine remarquable, notamment historique, de nombreux maires regrettent un manque de dialogue et considèrent parfois l’ABF avec méfiance, comme un censeur, sans possibilité de facto de faire appel de ses décisions. Ils critiquent aussi des prescriptions – choix de matériaux, de clôtures ou de couleurs – subjectives, puisque ces choix varient d’un ABF à l’autre sur le même territoire, et pouvant entraîner des surcoûts importants pour les collectivités et les particuliers.
Cette proposition de loi contient des évolutions positives, telles que la généralisation des périmètres délimités des abords, qui permettra une approche plus fine des protections à opérer, ou la publication des décisions rendues par les ABF, afin d’objectiver en toute transparence les motivations de leurs décisions.
La commission départementale de conciliation, pour examiner les dossiers litigieux avant contentieux, marquerait le retour d’une plus grande proximité, l’appel régional actuel étant largement illusoire et peu utilisé. Si sa composition, qui devra rester limitée, est à l’image de celle de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, ses membres seront éclairés, assidus, et permettront, à mon avis, de résoudre de nombreuses difficultés.
Toutefois, ces avancées législatives ne régleront pas tous les problèmes des relations des ABF avec les maires et nos concitoyens. Il conviendrait aussi, à mon avis, comme cela a été évoqué lors de la visite de notre commission à la Cité de l’architecture et du patrimoine au palais de Chaillot, que la formation des ABF intègre un module sur la vie et la gestion locales, afin que les étudiants s’imprègnent des contraintes des maires, notamment en milieu rural.
Les guides nationaux de l’insertion architecturale et paysagère ne doivent plus être le fruit de la seule réflexion des ABF des départements, comme ce fut le cas en décembre 2024 en région Centre pour le guide relatif aux panneaux solaires. Ces guides et ces référentiels doivent être travaillés en liaison étroite avec les collectivités. Ils doivent avoir des déclinaisons départementales adaptées aux territoires et travaillées conjointement avec les services de l’État, les associations de maires et les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, qui jouent un rôle si important auprès des élus et du grand public dans de nombreux territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à l’exercice des missions des architectes des bâtiments de france
Article 1er
L’article L. 621-31 du code du patrimoine est ainsi modifié :
1° À la fin de la première phrase du premier alinéa, les mots : « enquête publique, consultation du propriétaire ou de l’affectataire domanial du monument historique et, le cas échéant, de la ou des communes concernées » sont remplacés par les mots : « consultation des communes concernées et enquête publique lorsque le périmètre dépasse la distance de cinq cents mètres à partir d’un monument historique » ;
2° Au troisième alinéa, après la première occurrence du mot : « abords », sont insérés les mots : « est soumis à enquête publique en application du premier alinéa et qu’il » ;
3° (Supprimé)
4° (nouveau) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le cadre de l’élaboration ou de la révision du plan local d’urbanisme, l’autorité compétente peut consulter l’architecte des Bâtiments de France sur les dispositions réglementaires de ce plan applicables au sein du périmètre délimité des abords et portant sur l’architecture des constructions neuves, rénovées ou réhabilitées, sur la protection du patrimoine et sur les prescriptions de nature à en assurer la conservation, la restauration et la mise en valeur, en application des articles L. 151-18 et L. 151-19 du code de l’urbanisme. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 13 rectifié, présenté par MM. de Legge, Panunzi et Karoutchi, Mme Aeschlimann, MM. Mandelli, Burgoa et Saury, Mme Dumont, MM. P. Vidal, Bouchet, Somon et Naturel, Mmes Josende et Lassarade, M. de Nicolaÿ, Mme Hybert, MM. Lemoyne et Delia, Mme Pluchet et M. Genet, est ainsi libellé :
Alinéa 2
après les mots :
consultation des communes concernées
insérer les mots :
et du propriétaire ou de l’affectataire domanial du monument historique,
La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Avant toute chose, je tiens à dire combien je soutiens cette proposition de loi, qui va dans le bon sens, celui de la simplification et de la clarification.
Pour autant, il demeure un petit souci. Ce texte est excellent, mais ses auteurs ont, selon moi, oublié un élément : prévoir la consultation, à un moment ou à un autre, du propriétaire ou de l’affectataire du monument classé. Il me semble pourtant qu’il faudrait les inclure « dans la boucle », parce que, en entretenant ces bâtiments, ils contribuent à l’attractivité du territoire et aux éventuelles retombées économiques qui en découlent.
Je crois savoir que vous allez émettre un avis défavorable sur cet amendement et sur l’amendement n° 12 rectifié, que je vais défendre dans un instant, monsieur le rapporteur, mais vous pouvez choisir entre mes deux amendements et ceux de mon excellent collègue Lemoyne la formule qui vous conviendra. Je le redis, nous sommes un certain nombre ici à être attachés au fait de mettre ceux qui gèrent ces bâtiments dans la boucle.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par M. Lemoyne, Mmes Duranton, Havet, Aeschlimann, Saint-Pé, Evren et de La Provôté, MM. de Legge, de Nicolaÿ, Henno, P. Vidal et Grand, Mme Lermytte, M. Wattebled, Mme Drexler, M. Fouassin, Mmes Sollogoub, Vermeillet et Romagny, MM. A. Marc et Théophile, Mme Perrot, MM. Rambaud, Buis, Delia et Buval, Mmes Jouve et Guidez et M. Lévrier, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
consultation des communes concernées
insérer les mots :
, information du propriétaire ou de l’affectataire domanial du monument historique
La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Cet amendement s’inscrit dans la même logique que ceux de mon excellent collègue Dominique de Legge, puisque nous avons tous les deux déposé plusieurs amendements sur le sujet.
Au travers de sa proposition de loi, notre collègue Verzelen propose d’alléger la procédure de création des PDA. Nous pouvons le comprendre, mais il nous semble qu’il faut concilier cette nécessité avec la consultation, ou à tout le moins l’information, des propriétaires du monument concerné. Tel est précisément l’objet de cet amendement, qui vise à prévoir, à défaut d’enquête publique, puisque l’article 1er supprime celle-ci, l’information des propriétaires.
Cet amendement est assez largement soutenu sur toutes les travées de l’hémicycle ; il suffit de regarder la liste de ses signataires pour s’en convaincre. Dans notre pays en 2025, on devrait être capable de procéder à cette information. Je conçois qu’il y ait des problèmes pour établir la liste des propriétaires, mais, si nous n’y arrivons pas, la France n’est pas la France.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Mes chers collègues, je vous remercie de votre soutien à ce texte.
Sur le principe, nous sommes tous d’accord ; ceux qui ont participé aux travaux préparatoires recommanderaient la consultation ou, en tout cas, l’information des propriétaires ou des affectataires.
Toutefois, dans la réalité, il y aurait beaucoup de perte en ligne en raison des nombreux bâtiments concernés par une indivision importante, dont on ne peut retrouver tous les membres. Dans ce cas, on ne peut ni les consulter ni les informer.
Bref, si nous sommes d’accord sur le fond, il y aurait en réalité, j’y insiste, trop de perte en ligne. D’ailleurs, nombre de PDA sont aujourd’hui bloqués à cause de ce sujet.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre. Je m’associe aux arguments du rapporteur.
Le PDA constitue une servitude située aux abords d’un monument classé, et le propriétaire de ce dernier n’en possède pas les abords. Il s’agit d’une servitude constituée dans l’intérêt général.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
M. Dominique de Legge. Monsieur le rapporteur, si vous êtes d’accord avec nos amendements, je ne comprends pas que vous émettiez en fin de compte un avis défavorable à leur sujet…
Je suis désolé, votre argument ne tient pas – je vous le dis en toute amitié. Vous n’allez pas me faire croire que le problème de la protection des abords des monuments historiques tient aux indivisions ! Vous savez aussi bien que moi que c’est faux.
En général, ces bâtiments sont la propriété d’une personne morale ou d’une personne physique. Ce n’est pas parce qu’il existe quelques cas d’indivisions qu’il faut supprimer la possibilité pour tous les propriétaires de s’exprimer.
Tôt ou tard, nous devrons affirmer que ce n’est pas parce que les extérieurs n’appartiennent pas à ceux qui ont la charge de l’entretien d’un bâtiment classé que ces derniers n’ont pas un avis autorisé à donner sur la protection générale du site.
Néanmoins, je retire mon amendement au profit de celui de M. Lemoyne.
M. le président. L’amendement n° 13 rectifié est retiré.
La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. J’entends bien les explications du rapporteur et de la ministre.
Nous sommes au stade de la première lecture de la première chambre saisie. Pour ma part, je crois vraiment à l’intelligence collective ; honnêtement, si nous ne sommes pas capables de concevoir un dispositif permettant d’associer les propriétaires de monument dans la démarche d’élaboration des PDA, c’est que nous ne sommes pas bons !
Adoptons l’amendement n° 4 rectifié bis – je remercie Dominique de Legge de son soutien –, qui tend à prévoir l’information des propriétaires. Nous aurons le temps d’y retravailler d’ici à la première lecture du texte à l’Assemblée nationale. Simplement, manifestons, à titre conservatoire, notre attachement à mettre les propriétaires dans la boucle ; ce n’est pas grand-chose.
Cette proposition de loi constitue un progrès considérable du point de vue de la simplification, mais ne laissons personne au bord de la route, notamment les propriétaires.
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour explication de vote.
Mme Monique de Marco. Le PDA permettra de le réduire le périmètre de 500 mètres qui existe actuellement. Quel est donc l’intérêt de consulter le propriétaire, dont le bien se situe déjà dans un périmètre restreint ? (M. le président de la commission acquiesce.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 15 rectifié ter, présenté par Mme Belrhiti, MM. Panunzi, Omar Oili, Burgoa, D. Laurent, Pointereau et Henno, Mme Evren, MM. Sido, Bouchet, Mizzon, Brisson et Klinger, Mmes Puissat, Drexler, P. Martin et Chain-Larché, MM. Savin, Favreau et J.P. Vogel, Mmes Lassarade et Aeschlimann, M. Belin et Mme M. Mercier, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Remplacer les mots :
enquête publique lorsque le périmètre dépasse la distance de cinq cents mètres à partir d’un monument historique
par les mots :
consultation du public par voie électronique
II. – Alinéa 3
Remplacer les mots :
enquête publique
par les mots :
consultation du public par voie électronique
La parole est à Mme Catherine Belrhiti.
Mme Catherine Belrhiti. Cet amendement vise à dématérialiser l’exercice de la démocratie locale. Nous vivons dans un monde numérique, dans lequel nos concitoyens attendent plus de transparence et de simplicité dans leurs interactions avec les institutions.
C’est pourquoi je propose de remplacer l’enquête publique par une consultation du public par voie électronique. Cette démarche permettrait de réduire les coûts administratifs, de renforcer la participation citoyenne et de simplifier le traitement des observations recueillies.
Avec votre soutien, mes chers collègues, nous œuvrons en faveur d’une administration plus moderne, plus proche des citoyens et plus respectueuse de leurs attentes.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 3 est présenté par M. Lemoyne.
L’amendement n° 12 rectifié est présenté par MM. de Legge, Panunzi et Karoutchi, Mme Aeschlimann, MM. Mandelli, Burgoa et Saury, Mme Dumont, MM. P. Vidal, Bouchet, Somon et Naturel, Mmes Josende et Lassarade, M. de Nicolaÿ, Mme Hybert, M. Delia, Mme Pluchet et M. Genet.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
lorsque le périmètre dépasse la distance de cinq cents mètres à partir d’un monument historique
La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour présenter l’amendement n° 3.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Défendu.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour présenter l’amendement n° 12 rectifié.
M. Dominique de Legge. Je le retire !
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Le sujet de ces amendements est similaire à celui des précédents amendements.
Nous avons constaté que, partout où ils sont mis en place, les PDA fonctionnent. La principale difficulté rencontrée réside, notamment pour les communes rurales, dans le fait de devoir assumer les procédures administratives. C’est pourquoi nous proposons de ne plus recourir à l’enquête publique quand on réduit le périmètre et de la maintenir quand on étend ce dernier, en raison d’une contrainte d’ordre constitutionnel.
J’entends votre volonté, mes chers collègues, de définir des procédures plus souples, mais celles-ci restent des procédures. Or qui dit procédure dit formalisme, ce qui peut conduire à des recours. Encore une fois, je crains que cela n’entraîne de la perte en ligne et que l’on n’atteigne pas notre objectif à tous : développer le plus possible les PDA.
La commission a donc émis un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Je retire mon amendement !
M. le président. L’amendement n° 3 est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 15 rectifié ter.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
Le I de l’article L. 632-2 du code du patrimoine est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les avis rendus par les architectes des Bâtiments de France dans le cadre de la procédure prévue au présent I, ainsi que les éléments de nature à favoriser leur compréhension, sont publiés dans un registre national gratuitement mis à la disposition du public au format numérique. »
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié ter, présenté par Mmes Josende et Joseph, MM. Frassa et Reichardt, Mme Belrhiti, M. Panunzi, Mme Ventalon, M. Burgoa, Mmes P. Martin et Dumont, MM. Michallet et Sido, Mmes Bellurot et Puissat, MM. Lefèvre et P. Vidal, Mme Evren, M. Brisson, Mme Goy-Chavent, M. Sol, Mme Canayer, MM. Belin, Rojouan et Sautarel et Mme Bellamy, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« Dans le cadre de la procédure prévue au présent I, les architectes des Bâtiments de France sont tenus de respecter leurs décisions antérieures ainsi que celles de leurs prédécesseurs à l’échelle communale et départementale, sous réserve du dernier alinéa de l’article L. 632-1 du présent code. »
La parole est à M. Laurent Burgoa.
M. Laurent Burgoa. Cet amendement, proposé par Mme Josende, s’appuie sur son expérience locale : elle a constaté qu’un même ABF peut, au fil du temps, juger différemment deux situations totalement analogues. Par ailleurs, il arrive que l’avis rendu par un ABF puisse être remis en cause par son successeur.
L’objet du présent amendement est d’apporter une véritable sécurité juridique aux avis des ABF, en limitant leur caractère subjectif et en assurant leur cohérence ainsi que leur continuité temporelle, tant à l’échelle de la commune que du département.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Nous partageons tous l’objectif qui sous-tend cet amendement. Cet objectif a d’ailleurs constitué l’angle d’attaque de notre travail : nous avons voulu améliorer la prévisibilité et rendre les avis plus cohérents.
La transparence des décisions passe par la possibilité offerte à chacun, grâce à l’article que nous examinons, de consulter les avis qui ont été rendus – il faut d’abord que le dossier soit compréhensible ! – sur les travaux dans son secteur géographique. Cette transparence permet d’établir une référence, située dans le temps, et d’élaborer en quelque sorte une jurisprudence qui peut être utilisée dans le cadre de la contestation d’une décision devant la commission de conciliation.
En l’occurrence, cet amendement me paraît un peu rigide, contraignant les ABF à s’aligner sur une décision précédente d’un de leurs collègues alors que tout change : les matériaux, les sources d’énergie, notamment renouvelables comme le photovoltaïque… J’insiste sur la rigidité de l’amendement. Par ailleurs, ni la période couverte ni les secteurs concernés ne sont précisés.
Encore une fois, même si l’amélioration de la prévisibilité et de la cohérence est tout le sens de ce que nous proposons aujourd’hui, cette mesure trop rigide ne permettra pas d’atteindre le but fixé.
L’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par Mmes Brulin et Apourceau-Poly, MM. Bacchi, Basquin et Brossat, Mme Corbière Naminzo, M. Corbisez, Mme Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume, M. Lahellec, Mme Margaté, M. Savoldelli, Mmes Silvani et Varaillas et M. Xowie, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« En cas d’avis défavorable de l’architecte des Bâtiments de France, celui-ci est tenu de proposer des solutions alternatives permettant la réalisation du projet si cela est possible, tout en respectant les exigences patrimoniales et architecturales. »
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Par cet amendement, nous proposons que l’avis négatif d’un ABF soit assorti de conseils, afin de trouver des solutions qui permettent d’aller au-delà de l’avis et d’avancer sur les projets.
Malheureusement, nous avons souvent affaire à des avis couperets qui conduisent à l’annulation de la réhabilitation d’un site ou de la requalification d’un bâtiment, lesquels deviennent de véritables verrues au sein de nos communes, parfois même aux abords immédiats d’un patrimoine très intéressant.
J’ai bien conscience que ce rôle de conseil, qui est déjà celui des ABF, nécessite, pour être mené à bien, des effectifs importants. Je rejoins les propos des collègues qui ont indiqué, à plusieurs reprises depuis le début de ce débat, le besoin de revoir à la hausse les effectifs pour accompagner les collectivités lorsqu’elles élaborent leurs projets, dans le respect du patrimoine. Je pense aux architectes des Bâtiments de France, mais il faudrait aussi parler des agents des Udap.
L’idée qu’il faudrait développer une vision globale dans les territoires qui disposent de plusieurs sites patrimoniaux remarquables sous-tend également cet amendement. Sans établir une hiérarchie qui n’aurait pas de sens, nous pouvons comprendre qu’une commune bénéficiant d’un théâtre gallo-romain et de bâtiments néogothiques cherche à conserver ce patrimoine plutôt que des maisons des ouvriers du textile, lorsque ces dernières existent dans de nombreuses autres communes du département.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Les refus sont, en réalité, assez peu nombreux : ces décisions sont en général motivées, et nous n’avons pas eu beaucoup de remontées sur ce point. La grande partie des problèmes relève des cas où l’ABF répond par un « oui, mais », assorti d’une liste de recommandations telle que l’avis est finalement reçu comme un rejet.
Aussi, madame la sénatrice, votre amendement visant à obliger les ABF à préciser les conditions de réalisation d’un projet est-il déjà satisfait. J’y insiste, sur les quelques dossiers qui font l’objet d’un refus, l’avis est motivé.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Les avis sont, bien sûr, motivés, fort heureusement ! Pour mettre tout le monde à l’aise, j’indique qu’il s’agissait d’un amendement d’appel, que je vais retirer.
Je souhaitais insister sur le rôle de conseil que doivent avoir les ABF, mais aussi les Udap, rôle que, trop souvent, ils ne jouent pas. Peut-être certains d’entre eux n’en ont-ils pas envie, mais cela s’explique souvent parce le fait qu’ils ne sont pas assez nombreux.
Vous considérez, monsieur le rapporteur, que mon amendement est satisfait. J’entends votre propos. Toutefois, vous indiquiez tout à l’heure que ce qui marche sur le papier peut en réalité ne pas fonctionner. Je vous renvoie à vos mots : en réalité, les Udap et les architectes des Bâtiments de France n’exercent malheureusement pas assez leur fonction de conseil aux collectivités.
Pourtant, des solutions sont souvent envisageables. Selon moi, certaines contraintes exigeantes sont susceptibles de donner lieu à des travaux intéressants sur le plan architectural, à condition que les communes, notamment les plus petites, qui ne disposent pas d’un architecte ou d’un urbaniste, soient accompagnées.
Mme Rachida Dati, ministre. Je comprends, madame la sénatrice, votre volonté d’interaction avec les ABF, et d’obtenir de leur part des conseils et des explications ; j’en ai parlé dans mon propos introductif.
Dans la majorité des cas, le système fonctionne bien, même si, parfois, il peut y avoir des difficultés. Aussi, je comprends l’enjeu démocratique derrière cet article, mais attention à l’excès de transparence ! Celui-ci peut conduire – je le rappelle en tant qu’élue locale – à la délation, à des règlements de compte ou à la récupération d’informations stratégiques à des fins qui ne sont pas forcément patrimoniales.
De la même manière, la création d’un nouveau registre doit être appréciée au regard de la charge financière et administrative qu’il représenterait. En effet, plus de 500 000 avis étant rendus par an, nous en aurions, en peu de temps, des millions à traiter et à gérer. Les ABF auraient donc moins le temps de recevoir les propriétaires ou les porteurs de projet, d’autant qu’ils fournissent déjà plus de 200 000 conseils par an.
Monsieur le sénateur Ouzoulias, vous évoquiez tout à l’heure les effectifs. Vous avez raison de rappeler cet enjeu. Comme je l’indiquais, là où, en ruralité, un seul architecte est présent, il y en aura bientôt un deuxième. Cette mesure commence à être déployée puisque le plan France Ruralités a vu son financement sanctuarisé et que le nombre d’agents, y compris dans les Udap, a été maintenu, voire a augmenté, malgré les contraintes budgétaires qui sont les nôtres. Par conséquent, nous ne réduisons absolument pas les effectifs ni les moyens dans ce secteur.
Je partage l’objectif qui sous-tend l’amendement n° 7 rectifié, même si, matériellement, il est compliqué à atteindre. J’y insiste, une trop grande transparence peut conduire à une utilisation qui ne serait pas forcément saine de certaines données.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, mon intervention portera sur un sujet annexe à cet article.
La discussion le montre bien, nous aurions besoin d’une gradation supplémentaire dans la procédure de classement. De fait, entre le non-classement et le classement comme monument historique, il manque un niveau intermédiaire, plus simple. Celui-ci permettrait aux élus, aux ABF et aux services de l’État d’attirer l’attention des pétitionnaires sur l’importance architecturale d’un bâtiment sans nécessairement le classer, ce classement produisant, comme vous le savez, celui des abords.
J’ai été jeune conservateur à l’École nationale du patrimoine, une époque qui commence à dater… (Sourires.) J’ai travaillé à l’époque sur ce qui était appelé la protection du troisième type. Celle-ci était partagée entre les directions régionales des affaires culturelles (Drac) et les départements, qui devaient absolument être associés. Madame la ministre, il serait très intéressant de rouvrir ce débat pour proposer autre chose aux élus que le classement aux monuments historiques.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre. Monsieur le sénateur, vous avez raison, certaines situations sont en quelque sorte intermédiaires, c’est-à-dire qu’elles ne nécessitent pas d’aller jusqu’au classement aux monuments historiques. Il est alors assez simple d’intervenir par le biais des plans locaux d’urbanisme. La protection au titre des sites patrimoniaux remarquables existe aussi – Paris est d’ailleurs fortement concerné.
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié bis, présenté par Mme Belrhiti, M. Reichardt, Mme Aeschlimann, MM. Daubresse, Paccaud et Mizzon, Mme Dumont, MM. de Legge, Lefèvre et Burgoa, Mmes Lopez et Josende, MM. Bouchet et Panunzi, Mmes Guidez et Dumas, MM. Omar Oili et Somon, Mme Drexler, MM. Sido, P. Vidal, Levi et Brisson, Mme Evren, MM. Savin, J.P. Vogel, Favreau et Allizard, Mmes Lassarade, Berthet, Jacquemet, Perrot et Chain-Larché et MM. de Nicolaÿ et Delia, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 632-2-1 du code du patrimoine, il est inséré un article L. 632-2-1-… ainsi rédigé :
« Art. L. 632-2-1-…. – La mission de contrôle des architectes des Bâtiments de France s’exerce dans le respect des pratiques et critères définis au sein d’un référentiel national élaboré par une commission, elle-même composée de représentants des architectes des Bâtiments de France, d’experts en matière d’urbanisme et d’élus locaux. »
La parole est à Mme Catherine Belrhiti.
Mme Catherine Belrhiti. Cet amendement, qui me semble essentiel, vise à harmoniser les pratiques des architectes des Bâtiments de France dans le cadre de leur mission de contrôle, par la création d’un document référentiel national, élaboré par une commission d’experts et centralisant un ensemble de critères d’intervention standardisés.
Cette initiative est une réponse à une inquiétude croissante : nombreux sont les élus et les porteurs de projet qui déplorent l’imprévisibilité et l’incohérence des décisions rendues par les ABF, lesquelles varient d’un département à l’autre. La protection de notre patrimoine commun doit répondre à des objectifs partagés.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à soutenir cet amendement qui permettra de guider les ABF dans leur mission de contrôle et d’assurer une application homogène des normes sur notre territoire.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Pas bête !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Je partage totalement, sur le fond, l’ambition qui est la vôtre, ma chère collègue. Vous devez vous dire : « Le rapporteur est sympa, il partage tout le temps nos idées, mais, à la fin, il n’est pas pour ! » (Rires.)
En premier lieu, je considère – madame la ministre, vous nous le confirmerez – que l’amendement est satisfait. En effet, le ministère est en train de travailler sur la mesure proposée.
En second lieu, s’il est positif d’avoir un tel guide, quels seront néanmoins son périmètre et son niveau de détail ? S’il s’agit de tracer de grandes lignes à l’échelle nationale, soit, mais s’il s’agit d’indiquer comment procéder dans toutes les communes de France, un problème se posera : le bâti dans l’Aisne n’est pas le même que dans la Moselle, à Biarritz, dans les Hauts-de-Seine, dans la Drôme ou en Normandie. Les réalités patrimoniales sont totalement différentes. Jusqu’à quel niveau de précision faudra-t-il donc aller dans le document ?
Même si nous partageons sur le fond son objet, nous estimons, je le redis, que l’amendement est satisfait : l’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Belrhiti, l’amendement n° 6 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Catherine Belrhiti. Je le maintiens !
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Je trouve que l’avis de Mme la ministre, pourtant appelée à donner son point de vue, mériterait un supplément d’explication. En effet, le rapporteur nous indique qu’il n’est pas possible de descendre dans le détail.
Nous ne serions pas là ce soir si nous n’étions pas des plus favorables aux ABF. Nous savons le rôle qu’ils jouent dans nos villes. Ils empêchent parfois des erreurs importantes. Nous les comprenons largement, ce qui n’est pas le cas de tous les élus, comme cela a été dit tout à l’heure.
Pourtant, nous voyons aussi se succéder des ABF aux positions très différentes. La différence entre eux est telle que nous nous demandons parfois s’il existe des lignes directrices ou une vision commune : chacun décide-t-il dans son coin de ce qu’est le beau à un moment donné ?
Madame la ministre, puisqu’il nous a été indiqué qu’un référentiel était en cours de préparation, pourrions-nous en savoir davantage ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre. Le Gouvernement prévoit la publication d’un guide et la mise à disposition de fiches, à l’échelle départementale et régionale. Ces documents prendront véritablement en compte l’hétérogénéité patrimoniale. En effet, nous ne pouvons pas mettre en place un référentiel figé, compte tenu de la diversité de nos territoires.
Je le répète : nous aurons un guide et des fiches pratiques auxquels les porteurs de projets pourront se référer. Si ces documents ne figurent pas dans cette proposition de loi, c’est parce qu’ils ne sont pas de nature législative.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre Monier. La question de fond que pose cet amendement est souvent revenue au cours des auditions : comment améliorer la prévisibilité des avis rendus par les ABF ? Je suis tout à fait d’accord avec M. le rapporteur et Mme la ministre, une doctrine nationale unique ne correspondrait pas aux situations locales. En effet, les matériaux sont différents selon les territoires et les bâtiments ne sont pas construits de la même façon. Ces divergences sont le fruit de notre histoire.
Pour assurer cette prévisibilité qui tracasse les élus – Mme Brulin en parlait aussi –, nous avons besoin de concertation. Dans toutes les villes et tous les villages disposant d’un riche patrimoine, un important travail a été réalisé en ce sens entre élus et ABF. Mais encore faut-il en avoir les moyens !
Mme la ministre a donné, à deux reprises, le nombre d’avis rendus par ABF par an. Il faut savoir que ce chiffre représente treize avis par jour ouvré. Ce n’est tout simplement pas possible ! Les ABF sont très contraints. Si nous leur donnons plus de moyens – Mme la ministre a évoqué la possibilité d’augmenter leur nombre –, le travail de concertation et de coconstruction des projets avec les élus aura lieu.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. J’ai été confronté à une telle demande en tant qu’archéologue. J’étais conservateur du patrimoine avant de travailler dans l’archéologie…
M. Max Brisson. C’est la vie de Pierre Ouzoulias ! (Sourires.)
M. Pierre Ouzoulias. … et de finir ici ! Le niveau d’exécration à l’égard des archéologues était l’équivalent de celui que connaissent les ABF. Nous nous retrouvions entre persécutés de la culture, en permanence mis au pilori ! (Nouveaux sourires.)
Les critères et les normes portent un nom : l’état de l’art, c’est-à-dire l’état des connaissances à un moment donné. Laissez-moi vous donner un exemple concret. Nous nous posons actuellement la question de la conservation des églises de la seconde partie du XIXe siècle. Celles-ci, en ciment armé et de style néogothique, n’ont pas beaucoup de valeur artistique selon l’opinion commune. Le risque est donc qu’elles disparaissent toutes et que nous n’ayons plus du tout de trace de ce qui aura été un moment fondamental de la construction des églises en France.
Il faut absolument, suivant l’état de l’art, nous adapter aux connaissances de l’époque. Un service fondamental se chargeait de ces adaptations : celui de l’inventaire général du patrimoine culturel. Il était placé sous la direction du ministère de la culture ; à présent, il dépend des régions.
Madame la ministre, les unités départementales de l’architecture et du patrimoine, les ABF et les services régionaux de l’inventaire sont-ils en lien pour analyser les potentialités patrimoniales ? J’ai le sentiment que ce lien est très faible. Les services régionaux de l’inventaire ont des pratiques extrêmement différentes : certains sont parfois très efficaces, d’autres le sont moins. Il faut donc réfléchir de nouveau aux interactions de ces acteurs.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour explication de vote.
Mme Catherine Belrhiti. La réponse que vous nous donnez, madame la ministre, me semble incomplète : vous nous annoncez des fiches à l’échelle des départements et des régions, mais on ne voit pas trop où l’on va. En ce qui me concerne, peu importe le nom que nous lui attribuons, y compris « l’état de l’art », chaque personne doit pouvoir consulter un document indiquant le schéma à suivre. Pour le moment, ce n’est pas le cas.
Voilà ce que je demande au travers de cet amendement. Il faut une référence à l’échelle nationale et que celle-ci ne soit pas trop stricte, de telle sorte que nous l’aménagions dans les départements.
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour explication de vote.
Mme Monique de Marco. Je partage les interrogations du rapporteur sur le périmètre et le niveau de détail. Plutôt qu’un guide national identique du Pays basque à la Bretagne en passant par l’outre-mer, il pourrait s’agir d’un référentiel minimal, indiquant simplement quelques consignes. Il ne peut s’appliquer exactement de la même façon à tous les territoires !
Comme je suis pour la décentralisation, et donc pour que tout ne se joue pas à Paris, je ne suis pas du tout favorable à un tel guide.
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault, pour explication de vote.
M. Vincent Louault. Je comprends les inquiétudes de mes collègues concernant cet amendement. Nous avons tous les mêmes problèmes dans nos communes : on doit utiliser la couleur RAL 2051, mais elle n’a pas exactement la bonne teinte ; les faîtes en aluminium sont autorisés jusqu’à ce que le nouvel ABF n’en veuille plus, réclamant du bois… C’est hallucinant !
J’entends, mon cher collègue, vos propos sur l’état de l’art. Je les partage totalement : l’art change en permanence. Nous pourrions parler longtemps des goûts et des couleurs… Personnellement, je n’aime pas trop le fait du prince. J’ai vu clairement les ABF s’y prêter à de très nombreuses reprises. Il est évident qu’un référentiel national n’aurait pas de sens, mais un référentiel sur l’état d’esprit de ces architectes en aurait un !
Je veux que nous avancions sur la voie du pragmatisme grâce à cette proposition de loi. Nous avons besoin de savoir quelle fenêtre installer en fonction de la zone ou du plan local d’urbanisme intercommunal. Nous avons besoin d’en arriver à cette maille ; il est évident que nous n’allons pas la fixer dans un règlement national. Nous avons besoin de pragmatisme pour que les personnes qui habitent près du château de Chenonceau, à côté de chez moi, sachent à quelle sauce ils seront mangés. Pour l’instant, ce n’est pas du tout le cas.
Je prends la parole pour qu’il reste une trace écrite de mes propos. À un moment, il faut atterrir ! Que le ministère tienne ses ABF et définisse une doctrine ou une méthode de travail ! En tant qu’ex-président de CAUE, d’agence technique départementale et d’agence départementale d’information sur le logement (Adil), je peux vous assurer que les ABF n’ont jamais voulu, durant les six ans de mon mandat, rédiger des règles par collectivité. Ils l’ont toujours refusé parce qu’ils tiennent au fait du prince.
Mme Catherine Belrhiti. Tout à fait !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre. J’entends vos propos, mais on ne peut pas parler de fait du prince. Il peut y avoir un manque de dialogue, des incompréhensions et des malentendus, mais il n’est pas possible d’appliquer cette expression aux ABF. En tant qu’élue du VIIe arrondissement, un arrondissement très patrimonial, je peux vous assurer que nous avons de nombreux échanges avec eux. Nous avons pu les faire changer d’avis et leur faire lever des réserves. Cela demande des discussions. Parfois, il faut y consacrer du temps et de l’énergie.
Un guide existe déjà pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), grâce à la direction régionale des affaires culturelles. Il porte notamment sur les énergies renouvelables. Des régions et des départements disposent donc déjà de tels référentiels et des fiches pratiques. Il faudra généraliser ces documents et peut-être davantage les institutionnaliser.
Ces documents existent, et ils ne relèvent pas du législatif. Chaque région, chaque territoire, doit garder ses spécificités grâce aux fiches pratiques et aux guides qui sont disponibles et qu’il faut, je le redis, généraliser.
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Je ne voterai pas ces amendements, suivant l’avis du rapporteur et de la ministre. Je rappelle quelques chiffres de l’excellent rapport de la mission d’information : les ABF émettent des avis favorables dans 36 % des cas, des accords avec prescription dans 50 % des cas et des refus dans seulement 14 % des cas. Ces chiffres démontrent que le système fonctionne assez bien !
L’objectif de cette proposition de loi est de simplifier. Instaurer un référentiel par voie législative alors que celui-ci est d’ordre réglementaire revient à introduire de la complexité.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 3
L’article L. 632-2 du code du patrimoine est ainsi modifié :
1° Après le I, il est inséré un I bis ainsi rédigé :
« I bis. – Sur demande de l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation, le dossier est examiné, dans un délai d’un mois à compter de la réception de l’avis de l’architecte des Bâtiments de France, par une commission de conciliation réunie par le représentant de l’État dans le département, sans préjudice des recours mentionnés au II et au III. Cette commission réunit le demandeur, l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation, l’architecte des Bâtiments de France, le représentant de l’État dans le département et des représentants d’associations d’élus. Peut y être associée toute personne désignée par le représentant de l’État dans le département, notamment le conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement ainsi que des représentants d’associations ou de fondations ayant pour objet de favoriser la connaissance, la protection, la conservation et la mise en valeur du patrimoine. » ;
2° (nouveau) À la première phrase du II, après le mot : « transmet », sont insérés les mots : « , dans un délai d’un mois à compter de la réception de l’avis de l’architecte des Bâtiments de France, ».
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, sur l’article.
Mme Jocelyne Guidez. Même si personne ici n’entend remettre en cause la protection du patrimoine par les ABF, il s’agit de réintroduire du bon sens. Cet objectif sera celui de la commission de conciliation, si l’on daigne y accorder aux maires une place centrale et décisionnelle.
À l’heure actuelle, les architectes des Bâtiments de France sont trop souvent un frein au développement économique de nos communes. Nous connaissons tous des projets qui se sont heurtés à des refus incompréhensibles. Dans le département où je suis élue, l’Essonne, une brasserie artisanale dynamisait le cœur de Janville-sur-Juine, village de 2 000 habitants. Forte de son succès, elle a voulu s’agrandir, innover et créer des emplois, jusqu’à ce que le projet soit refusé par un ABF. Celui-ci préférait garder, à la place, une ancienne station-service en ruine… Résultat : la brasserie s’apprête à quitter le village et le bassin de vie. Voilà notre patrimoine sain et sauf !
Les autorisations des ABF en matière d’urbanisme sont décidées sous le prisme de l’architecture et du patrimoine. C’est parfaitement légitime, mais ces critères ne doivent pas être les seuls. Par ailleurs, les décisions ne doivent pas se prendre sans concertation avec les élus : il est temps de faire confiance à nos maires, dont la voix est à peine entendue. Face aux avis des ABF, parfois incompréhensibles, les maires connaissent leur commune, ses réalités, son patrimoine, son environnement, ses besoins et son tissu économique, et rendent des comptes. Pour cette raison, ils doivent prendre part non pas seulement aux consultations, mais aux décisions, sans quoi les porteurs de projets baisseront les bras et quitteront les territoires.
La commission de conciliation permettrait d’éviter des blocages et de régler des dossiers litigieux en amont des recours. De fait, l’imprévisibilité arbitraire des ABF se doit d’être compensée par une mise en cohérence au moins à l’échelle départementale.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.
M. Pierre Ouzoulias. Il est fondamental, madame la ministre, de mener une réflexion sur la présence de l’État culture à l’échelle départementale. À une époque pas si lointaine, les services départementaux de l’architecture et du patrimoine (Sdap) étaient placés sous l’autorité des préfets de département, avant de migrer vers les préfets de région.
Or plusieurs inspecteurs du ministère de la culture ont montré que la fusion des régions pour en former de très grandes – je pense à la Nouvelle-Aquitaine, à l’Occitanie et au Grand Est – a éloigné les Drac des élus locaux. Ces derniers ont donc besoin d’un relais départemental.
Si la commission de conciliation permet de recréer l’antenne départementale du ministère de la culture, alors c’est une très bonne chose. Madame la ministre, il faudrait que vous nous indiquiez, si vous n’étiez pas d’accord avec ce qu’a mis en place la commission, comment rétablir un lien entre l’élu de proximité, à savoir le maire, le département et les ABF.
Par ailleurs, vous savez que la commission de la culture est très attentive aux actions des CAUE. Des synergies peuvent être mises en place entre ces derniers, les ex-Sdap et les ABF.
Je suis intimement persuadé que, dans le domaine patrimonial, le couple commune-département fonctionne bien. Il faut une proximité que les grandes régions sont dans l’incapacité d’apporter. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre. Vous avez raison, monsieur le sénateur Ouzoulias, sur l’importance de l’échelon départemental. Il faut savoir que les départements sont les premiers investisseurs, les plus engagés, dans le domaine de la culture : 12 % des dépenses culturelles sont issues des départements, contre 8 % pour les régions.
M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !
Mme Rachida Dati, ministre. Votre argument est donc pertinent.
Cela dit, les difficultés des Drac ont véritablement commencé avec la fusion des régions et la création des grandes régions.
M. Pierre Ouzoulias. Bien sûr !
Mme Rachida Dati, ministre. Nous avons renforcé le rôle des Udap.
Vous savez que tous les élus sont invités dans les commissions régionales du patrimoine et de l’architecture (CRPA), qui sont placées auprès du préfet de région. Il s’agit d’instances non seulement de recours, mais aussi de conciliation. Les élus peuvent les saisir à tout moment, et l’exigence de proximité peut être satisfaite par la visioconférence. Je l’ai constaté, cela se fait assez facilement.
Créer une nouvelle commission à l’échelon départemental supposerait donc d’en installer une centaine, ce qui représenterait, selon nos calculs, environ 2 000 membres. Ce faisant, on consommerait des ressources humaines qui ne seraient plus disponibles sur le terrain, au détriment de la souplesse qu’offre la commission régionale.
Vous avez besoin de proximité ? Vous vous réunissez par visioconférence. Vous n’en avez pas besoin ? Vous laissez les choses se décider à l’échelon régional, où peut s’exprimer une vision plus globale du patrimoine de la région, mais aussi du département.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 9 est présenté par Mme Drexler.
L’amendement n° 17 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
Le second alinéa du II de l’article L. 631-3 du code du patrimoine est complété par une phrase ainsi rédigée : « Sur demande de l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation, la commission locale peut également être consultée pour examiner un projet de travaux en amont de la demande d’autorisation et émettre un avis consultatif sur ce projet. »
La parole est à Mme Sabine Drexler, pour présenter l’amendement n° 9.
Mme Sabine Drexler. L’article 3 de cette proposition de loi prévoit la création d’une commission départementale chargée de trancher les désaccords dont elle est saisie concernant un avis émis par l’ABF.
Afin que la volonté de l’auteur de ce texte soit prise en compte au moins en partie, je propose, par cet amendement, d’élargir les compétences des commissions locales du site patrimonial remarquable (SPR), qui sont présidées par le maire ou par le président de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent, afin qu’elles puissent se prononcer sur les projets de travaux concernant leur site.
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 17.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Je reviens sur le débat qui a été lancé avant l’examen de cet article, mais qui est au cœur du sujet qui nous occupe ici.
Il existe actuellement une commission de recours régionale, la CRPA. Les personnes concernées sont généralement assez peu désireuses de se lancer dans des procédures de recours juridique : beaucoup abandonnent avant d’en arriver là. Par ailleurs, on me dit que ces CRPA fonctionnent et servent de médiateurs régionaux. Je dis, moi, qu’elles ne fonctionnent pas. La meilleure preuve en est que ni les maires ni les citoyens ne les connaissent : interrogez-les, dans vos départements respectifs ! Si vous trouvez ne serait-ce qu’une personne pour lever la main, vous aurez de la chance… Les gens ne se sont pas approprié ces structures. Mais ce défaut d’appropriation n’est pas lié à la composition de ces commissions : il est lié au fait régional,…
M. Pierre Ouzoulias. Bien sûr !
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. … qui éloigne la décision.
Certains disent : « hauteur de vue » ; je dis, moi : « dépossession ».
Grâce au fait régional, plaident les mêmes, la parole, sur ces sujets, porte plus loin ; mais elle porte si loin que plus personne n’entend rien… C’est vrai non seulement en matière de politiques culturelles, mais aussi dans d’autres domaines – mais nous ne sommes pas là pour examiner ce dossier sous tous les angles.
Pourquoi cette commission départementale ? L’idée est de réunir le maire, le pétitionnaire et des représentants d’associations d’élus, sous l’autorité – j’y insiste – du préfet de département et en présence de l’ABF.
Il s’agit de traiter le sujet, parfois fantasmé – ou non –, de la toute-puissance des ABF – l’un de nos collègues a parlé de « fait du prince ». Je sais qu’une telle obligation va leur prendre du temps et risque de ne pas leur faire très plaisir, mais l’objectif est que les ABF rendent un avis justifié et argumenté, en chair et en os, devant la personne qui en est destinataire. Autrement dit, il s’agit de remettre de l’humain dans le système.
Je suis convaincu qu’au bout du compte la création d’un tel espace de dialogue régulier entre l’ABF et ceux à qui s’appliquent ses décisions aura un effet sur la nature même des avis rendus : sachant qu’un tel espace est ouvert, il ne rendra pas ses avis tout à fait de la même façon.
Pour ce qui est de ces amendements en tant que tels, ils visent à remplacer la commission départementale par une consultation de la commission locale du site patrimonial remarquable. Le fait est que, dans les territoires concernés, la conciliation marche déjà très bien. Mais il y va, avec cet article 3, de tous les autres territoires : il s’agit de traiter le cas des zones protégées qui ne sont pas en SPR.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Gérard Paumier, pour explication de vote.
M. Jean-Gérard Paumier. Nous sommes au cœur de la proposition de loi.
Mes chers collègues, si nous ne votons pas la création de cette commission départementale, je m’excuse de le dire dans ce palais, mais il me semble que cette journée aura été une nouvelle journée des dupes. Il y a très peu de recours, soit. Pourquoi ? Parce que l’échelon de recours est éloigné et parce que les collectivités ont très peu de temps pour former un recours.
Je vous donne un exemple qui concerne la région Centre-Val de Loire, laquelle a pourtant échappé à l’élargissement : elle ne compte que six départements. Un beau jour, saisi d’une difficulté importante, le préfet a fait venir la Drac. Celle-ci a tout promis : c’était il y a deux ans, et il ne s’est rien passé…
Il me semble vraiment très important que nous disposions d’un lieu de conciliation départemental.
Comme je le disais en discussion générale, on peut admettre que cette commission sera composée d’un nombre limité de membres, qui, pour une grande part, siégeront par ailleurs dans la commission départementale de la nature, des paysages et des sites : c’est là l’assurance de faire appel à des personnes motivées qui, sous l’autorité du préfet de département ou du sous-préfet, régleront les dossiers au plus près d’un territoire qu’elles connaissent.
Le cas échéant, une véritable médiation et une véritable conciliation pourront être mises en œuvre, et les recours deviendront inutiles. À défaut d’une telle commission, en revanche, nous serons nombreux, ce soir, à être déçus.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 9 et 17.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Je me permets d’apporter rétrospectivement un élément de clarification, monsieur le président : voter pour ces amendements identiques, c’eût été se prononcer contre la création de la commission départementale. (Non ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. L’amendement n° 14 rectifié quater, présenté par Mme Belrhiti, MM. Panunzi, Omar Oili, Burgoa et D. Laurent, Mme Evren, M. Henno, Mmes Gosselin et Drexler, MM. Sido, Bouchet, P. Vidal, Mizzon et Brisson, Mme Guidez, M. Levi, Mme Romagny, MM. de Nicolaÿ et Klinger, Mmes Puissat et Perrot, MM. Savin, Favreau et J.P. Vogel, Mmes Aeschlimann, Lassarade et Chain-Larché, M. Belin et Mmes Borchio Fontimp et M. Mercier, est ainsi libellé :
Alinéas 3 et 4
Remplacer les mots :
d’un mois
par les mots :
de deux mois
La parole est à Mme Catherine Belrhiti.
Mme Catherine Belrhiti. Cet amendement vise à porter d’un mois à deux mois le délai dont dispose la commission de conciliation pour examiner le dossier après réception de l’avis de l’architecte des Bâtiments de France.
L’objectif est de garantir une réelle concertation entre les différentes parties prenantes, notamment les élus locaux, les services de l’État et les experts du patrimoine. Un délai d’un mois apparaît trop contraint au regard des enjeux soulevés par les projets concernés et de la nécessité d’une instruction approfondie.
La mise en œuvre d’un recours dans un délai d’un mois pose une difficulté au regard des délais d’instruction des autorisations d’urbanisme. Pour un permis de construire, l’architecte des Bâtiments de France dispose de deux mois pour rendre son avis, et la durée totale d’instruction est de trois mois maximum.
Créer une commission départementale de conciliation et lui donner un mois seulement pour examiner les dossiers, cela risque de ne pas être praticable, à moins d’allonger le délai d’instruction des autorisations d’urbanisme ou de créer une redondance avec les modalités du recours devant le préfet de région, auquel s’applique déjà un délai de deux mois après saisine de la CRPA.
Étendre à deux mois le délai d’examen par la commission départementale permettrait une analyse plus approfondie des dossiers tout en préservant la cohérence des délais d’instruction des autorisations d’urbanisme.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Ma chère collègue, je m’empresse de vous dire que, sur votre amendement, l’avis de la commission est favorable. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous l’avez dit, à l’heure actuelle, un pétitionnaire privé dispose d’un délai de recours de deux mois, quand les communes, elles, n’ont que sept jours. À l’article 3, nous proposons d’allonger ce dernier délai à un mois ; il s’agit ici de le porter à deux mois, ce qui mettrait le privé et la collectivité sur un pied d’égalité.
Dans l’intervalle ainsi ouvert, la commission départementale de conciliation pourra faire son œuvre.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre. Étant opposée à la création de cette commission, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par Mmes Pantel, M. Carrère et Conte Jaubert, MM. Fialaire, Laouedj, Guiol, Roux, Masset et Grosvalet, Mme Guillotin, MM. Cabanel, Gold et Bilhac et Mme Briante Guillemont, est ainsi libellé :
Alinéa 3, deuxième phrase
Compléter cette phrase par les mots :
et des personnes titulaires d’un mandat local
La parole est à Mme Guylène Pantel.
Mme Guylène Pantel. L’article 3 de notre proposition de loi tend à favoriser le règlement des dossiers litigieux, à la suite de l’émission par l’ABF d’un avis défavorable, en amont de l’engagement d’une procédure de recours. Il s’inscrit, à peu de chose près, dans l’esprit d’une autre proposition de loi, que j’avais déposée le 7 février 2024, portant création d’une commission départementale du patrimoine et de l’architecture.
La commission de conciliation introduite à l’article 3 par l’amendement adopté en commission sur l’initiative de M. le rapporteur nous paraît pleinement répondre à la nécessité d’un examen collégial et de proximité des dossiers litigieux.
Nos élus locaux, entrepreneurs, associations et particuliers nous le disent, dans les territoires, régulièrement : ils désirent un dialogue direct, constructif et réactif avec le corps des architectes des Bâtiments de France. Toutes ces personnes détiennent une expertise issue de leur quotidien, qui peut s’avérer tout à fait complémentaire avec l’expertise patrimoniale et paysagère de l’ABF.
À n’en pas douter, la mobilisation de cet outil de conciliation conduira à une transformation des projets dans l’intérêt du développement local.
Néanmoins, comme cela a été dit en commission, il serait bienvenu d’y associer les élus locaux que sont notamment les conseillers départementaux et régionaux. En effet, il arrive que ceux-ci soient en position de financeurs de projets et, en tout état de cause, ils sont souvent amenés, dans le cadre de leur mandat, à porter eux-mêmes des programmes et des politiques publiques d’ingénierie culturelle et patrimoniale.
Leur regard pouvant être utile, nous avons décidé, avec mes collègues, de déposer cet amendement qui vise à les inclure dans la commission de conciliation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Je suis défavorable à cet amendement, car il est satisfait.
Je vous renvoie, ma chère collègue, à la rédaction actuelle de l’article 3 : la commission de conciliation réunit au minimum le préfet de département ou son représentant, l’ABF ou son représentant, les représentants des associations d’élus, le pétitionnaire et le maire de la commune concernée par le dossier – voilà le bloc de base. Il est indiqué que cette liste est non exhaustive et que le préfet peut y inviter les associations patrimoniales, le CAUE, des conseillers départementaux et des conseillers régionaux.
De manière générale, ma conviction est la suivante : moins nous sommes autour de la table, mieux nous connaissons les dossiers et plus le travail est efficient.
La composition de la commission de conciliation reste pour partie à la main des préfets et la rédaction que nous avons retenue permet l’ouverture aux conseillers départementaux et régionaux.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Pantel, l’amendement n° 1 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Guylène Pantel. Oui, je le maintiens, monsieur le président : si ce que nous proposons est possible, pourquoi ne pas l’inscrire expressément dans la loi ?
M. le président. L’amendement n° 16 rectifié quater, présenté par Mmes Belrhiti et Evren, MM. Savin, Favreau, J.P. Vogel et Brisson, Mme Lassarade, M. Levi, Mme Aeschlimann, MM. Somon, Panunzi, Omar Oili, Burgoa, D. Laurent, Pointereau et Henno, Mme Gosselin, MM. Sido, Bouchet et Mizzon, Mmes Guidez et Romagny, MM. de Nicolaÿ et Klinger, Mme Puissat, M. Belin et Mmes Borchio Fontimp et M. Mercier, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cette commission de conciliation émet un avis conforme sur le projet de décision.
La parole est à Mme Catherine Belrhiti.
Mme Catherine Belrhiti. Cet amendement vise à renforcer le rôle de la commission de conciliation dans le processus décisionnel en lui conférant le pouvoir d’émettre un avis conforme sur le projet de décision.
Cette initiative s’inscrit dans une démarche claire : renforcer la concertation, la transparence et la légitimité des décisions rendues. Nous souhaitons conférer à la commission les pouvoirs dont elle a besoin pour exercer pleinement son rôle, sans lesquels elle ne serait qu’un simple instrument décoratif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Ma chère collègue, vous êtes dure avec les futurs membres de la commission !
Nous examinons cette proposition de loi dans une niche transpartisane et selon un temps de discussion contraint : nous proposons donc de créer une commission de conciliation sans remettre à plat toute l’architecture relative au traitement des dossiers litigieux ; la commission régionale du patrimoine et de l’architecture, elle, continuera d’examiner les recours juridiques.
Vous posez néanmoins une question de fond, celle de l’avis conforme.
M. Pierre Ouzoulias. Exactement !
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Je note, du reste, qu’aucun amendement n’a été déposé pour faire « sauter » l’avis conforme de l’ABF – vaste sujet…
M. Vincent Louault. Ah !
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Votre amendement, ma chère collègue, touche en vérité au cœur du problème : s’il s’agissait de créer une commission ayant le pouvoir de rendre, au terme de la procédure, un avis conforme, il faudrait au préalable traiter frontalement l’épineuse question de sa composition et des modalités par lesquelles elle arriverait à une décision – en particulier, tout devrait-il se régler par un vote ?
Ici, telle n’est pas l’idée ; la commission de conciliation que nous avons en vue doit plutôt fonctionner sur le mode suivant : « on se voit, on s’explique, on trouve une solution » !
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Catherine Belrhiti. Je retire mon amendement !
M. le président. L’amendement n° 16 rectifié quater est retiré.
L’amendement n° 8 rectifié, présenté par Mmes Brulin et Apourceau-Poly, MM. Bacchi, Basquin et Brossat, Mme Corbière Naminzo, M. Corbisez, Mme Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume, M. Lahellec, Mme Margaté, M. Savoldelli, Mmes Silvani et Varaillas et M. Xowie, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les décisions des architectes des Bâtiments de France doivent prendre en compte la nécessité de concilier la protection du patrimoine avec les objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et de réhabilitation du bâti existant. »
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Cet amendement, qui se justifie par son texte même, vise à inscrire dans la loi l’obligation pour les architectes des Bâtiments de France de rendre des décisions compatibles avec le respect de la trajectoire du « zéro artificialisation nette » (ZAN) et avec les exigences, notamment énergétiques, relatives à la réhabilitation du bâti existant.
Je vais d’emblée rassurer tout le monde : il s’agit d’un amendement d’appel.
Reste que les élus locaux ont souvent le sentiment d’être confrontés à des avis et à des injonctions contradictoires : on leur dit qu’il ne faut plus artificialiser – cet objectif, nous le partageons –, mais sans leur donner les outils qui leur permettraient, selon le jargon usuel, de « reconstruire la ville sur la ville ». C’est un problème !
Il faut que nous fassions collectivement un effort et que nous nourrissions à cet égard la réflexion des architectes des Bâtiments de France et des Udap, car on ne peut plus, au regard des objectifs que j’ai mentionnés, concevoir la préservation du patrimoine exactement de la même manière que par le passé. De fait, il y aura des emprises à reconquérir au cœur de nos villes, ce qui va nécessairement supposer de composer avec un patrimoine existant. Or, pour le moment, cette dimension n’est pas prise en compte : tel est le sens de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Vous évoquez la trajectoire du ZAN, ma chère collègue ; ce sujet a été longuement débattu hier encore. Du reste, y a-t-il encore ou non une trajectoire ? Je pose cette question sous le contrôle de notre collègue Guislain Cambier, ici présent…
Pour ce qui est de l’ABF, nous considérons que son métier est le patrimoine. Quant aux contradictions des politiques publiques – il peut y en avoir, qu’il s’agisse des énergies renouvelables, du ZAN ou du patrimoine –, c’est au préfet de région qu’il revient de les trancher, et non aux architectes des Bâtiments de France : avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 10 rectifié bis, présenté par Mmes Bellamy et Belrhiti, MM. Reichardt, Panunzi et Paccaud, Mme Aeschlimann, MM. Reynaud et Burgoa, Mme Ventalon, MM. Mouiller, Perrin et Rietmann, Mmes Demas et Dumont, MM. Sido, Pointereau et Rapin, Mmes Puissat, Gosselin et Garnier, MM. Bruyen, Somon, C. Vial, P. Vidal, Lefèvre et Belin, Mmes Gruny et Dumas, MM. Brisson, Grosperrin et Gremillet, Mmes Hybert et P. Martin, MM. Rojouan et Genet et Mme Josende, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le III de l’article L. 632-2 du code du patrimoine, il est inséré un paragraphe ainsi rédigé :
« …. – L’autorité administrative compétente pour infirmer le refus d’accord de l’architecte des Bâtiments de France est le représentant de l’État dans le département. »
La parole est à Mme Béatrice Gosselin.
Mme Béatrice Gosselin. Cet amendement a été déposé par notre collègue Marie-Jeanne Bellamy.
Afin de favoriser le règlement des dossiers litigieux en amont des procédures de recours mobilisables à l’échelon régional, l’article 3 de la proposition de loi ouvre la possibilité pour le maire de saisir une commission de conciliation à l’échelon départemental. Le texte prévoit que cette dernière, placée sous l’égide du préfet de département, rende un avis qui serait seulement consultatif. Et c’est le préfet de région qui resterait en tout état de cause compétent pour ce qui est d’infirmer le refus d’accord de l’ABF.
Aussi, dans un souci de proximité et de cohérence avec la création de cette commission de conciliation, le présent amendement a-t-il pour objet de donner compétence au représentant de l’État dans le département, soit le préfet de département, pour statuer sur les recours introduits à l’encontre des avis des ABF.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Si nous souscrivons totalement à la préoccupation que vient d’exprimer notre collègue, l’avis de la commission est néanmoins défavorable sur cet amendement.
Voici un sujet essentiel : faut-il ou non replacer les ABF sous l’autorité des préfets ?
Mme Catherine Belrhiti. Oui, il le faut !
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Je me répète, dans un texte de ce type, examiné dans le cadre d’une niche transpartisane, en un temps contraint, il n’est pas question de revoir l’architecture de l’État. Mais c’est un vrai sujet ! À titre personnel, d’ailleurs, j’y suis plutôt favorable.
Cela dit, ma chère collègue, nous faisons déjà un pas dans le sens que vous indiquez, en créant la commission départementale : cette instance est placée, précisément, sous l’autorité du préfet de département, qui est chargé de la réunir, d’y inviter membres de droit et acteurs associés et d’en piloter les travaux.
Peut-être, aux yeux de certains, ce pas est-il insuffisant. J’ai plutôt tendance à partager votre avis, mais ce n’est pas ici et maintenant que nous pourrons faire davantage.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 4
À la première phrase du deuxième alinéa de l’article 1er de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture, après le mot : « constructions », sont insérés les mots : « , leur réhabilitation ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 11, présenté par Mme de Marco, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – À la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article 1er de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture, les mots : « le permis de construire ainsi que les autorisations de lotir » sont remplacés par les mots : « les autorisations d’urbanisme ».
La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. J’ai exprimé, en discussion générale, ma satisfaction de voir introduite, par l’article 4 de la proposition de loi, la notion de « réhabilitation » à l’article 1er de la loi de 1977 sur l’architecture.
Je me suis penchée de nouveau sur cet article 1er de la loi de 1977 : il mériterait un dépoussiérage. Il y est question des « autorisations de lotir », qui n’existent plus, madame la ministre, depuis 2007 !
Pour cette raison, je propose de remplacer la mention des « autorisations de lotir » par celle des « autorisations d’urbanisme » qui, il est vrai, englobe beaucoup de choses.
Je vais retirer cet amendement d’appel : je ne veux pas centrer notre débat de ce soir sur la modification de l’article 1er de la loi de 1977. Il serait intéressant néanmoins, madame la ministre, que vous vous engagiez à revoir ce texte, qui, à la lecture, se révèle obsolète. Le permis de lotir, j’y insiste, n’existe plus depuis plus de dix ans !
Je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 11 est retiré.
L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mme Drexler, M. Brisson, Mmes Billon, Ventalon, Muller-Bronn, Gosselin, Guidez, Morin-Desailly et Belrhiti et MM. Klinger, Reichardt, Delia, Grosperrin, Savin, Milon, Belin et Chasseing, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – À la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article 1er de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture, les mots : « le permis » sont remplacés par les mots : « les autorisations ».
La parole est à Mme Sabine Drexler.
Mme Sabine Drexler. Nous ne pouvons que constater les effets pervers cumulés des législations qui ont été votées depuis 2021 – loi Climat et Résilience, ZAN, diagnostic de performance énergétique (DPE) – sur la préservation du bâti ancien.
Tel est en particulier le cas des prescriptions de travaux qui poussent de nombreux propriétaires à isoler leur bien par l’extérieur avec des matériaux inadaptés, provoquant des dégâts irréversibles sur des constructions traditionnelles, notamment celles qui comportent du bois en façade. Ces travaux, de surcroît, dénaturent l’identité visuelle du bâti ancien.
Il est donc urgent de mieux conseiller les propriétaires en amont de ce type de travaux. Je pense notamment au secteur non protégé, dont il n’est pas question dans ce texte, et je profite de l’occasion qui m’est donnée, madame la ministre, pour vous alerter : il faut absolument que les propriétaires de bâtiments patrimoniaux non protégés soient mieux conseillés afin qu’ils puissent réaliser des travaux adaptés aux spécificités du bâti.
Je propose ainsi, par cet amendement, de modifier l’article 1er de la loi de 1977 sur l’architecture, qui ne vise actuellement que les permis de construire, pour y inclure toutes les demandes d’autorisation d’urbanisme, c’est-à-dire les permis de construire, les déclarations préalables, les permis de démolir, les permis d’aménager.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Les deux amendements, l’amendement n° 11 qui vient d’être retiré et l’amendement n° 2 rectifié, portent sur un vrai sujet de fond.
Aujourd’hui, l’avis de l’ABF est obligatoire dès lors qu’une demande d’autorisation concerne un terrain situé en périmètre protégé. Hors dudit périmètre et pour ce qui est du patrimoine non protégé, vous pouvez faire à peu près ce que vous voulez, en tout cas un bon nombre de choses.
Cette question du patrimoine hors secteur protégé est une question de fond que nous devons poser.
M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Le présent texte porte sur les ABF, donc sur les zones protégées. Il n’empêche que nous avons choisi d’inscrire cette notion de réhabilitation dans la loi de 1977 sur l’architecture, car ce sujet est revenu en permanence au cours de nos travaux. Nous nous devions d’y faire droit afin d’être fidèles au travail que nous avons mené et aux propos que nous avons entendus lors des auditions.
Je comprends donc tout à fait l’esprit de ces amendements.
En revanche, je veux attirer l’attention sur les rédactions proposées : modifier l’article 1er dans le sens prévu par les amendements supposerait de modifier aussi l’article 3, c’est-à-dire, en clair, d’étendre le champ du recours obligatoire à un architecte.
Je résume, sans caricaturer : si nous allons au bout de cette logique, cela voudrait dire que, demain, le particulier qui déposerait une demande de déclaration préalable pour changer les fenêtres de sa maison dans un secteur non protégé pourrait devoir solliciter un architecte. Un architecte, c’est bien ; mais cela coûte un peu d’argent…
Je partage l’idée qu’il s’agit d’un sujet de fond ; mais tel n’est pas l’objet de cette proposition de loi, et, du reste, nous faisons déjà un pas dans la direction que souhaitaient les auteurs des amendements.
M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler.
Mme Sabine Drexler. Je retire mon amendement. En revanche, je maintiens l’alerte : j’espère que nous allons nous saisir de ce sujet, qui est un vrai sujet. J’ai parlé de conseiller les propriétaires, mais cela ne veut pas forcément dire faire appel à des architectes : les CAUE ou les architectes conseils des collectivités peuvent exercer ce rôle.
En tout état de cause, dès lors que des travaux sont envisagés en secteur non protégé, il faut absolument s’assurer qu’un conseil est fourni aux particuliers.
Mme Rachida Dati, ministre. Madame la sénatrice Drexler, les arguments que vous avancez sont parfaitement pertinents.
Simplement, ce que vous proposez dépasse le cadre de ce texte. Comme vous le savez, un travail est en cours avec le ministère du logement. Je vous le dis en toute transparence : nous devons nous mettre d’accord sur des positions communes afin d’intégrer toutes les questions que vous soulevez, qui sont, j’y insiste, vraiment pertinentes.
De mon côté, je défends vos arguments, et nous essayons de définir, avec le ministère du logement, une position intermédiaire, dans un souci d’efficacité.
Le travail interministériel est en cours : nous pourrons faire droit aux préoccupations que vous exprimez dans la future loi sur le logement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 est adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. L’amendement n° 18, présenté par M. Verzelen, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi relative à l’exercice des missions des architectes des Bâtiments de France
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. Mes chers collègues, de tous ceux dont nous aurons débattu, cet amendement n’est certes pas le plus stratégique…
Nous avons oublié de mettre au mot « Bâtiments » la majuscule qui est la sienne dans le code du patrimoine lorsqu’il est question de l’architecte des Bâtiments de France.
M. le président. En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Je commencerai par saluer notre rapporteur pour la qualité de son travail.
Nous défendons la place et le rôle des ABF, dont nous savons tout ce qu’ils apportent pour la préservation de notre patrimoine. C’est pour cette raison que nous nous sommes mobilisés ce soir, les membres de la commission de la culture étant présents en nombre dans l’hémicycle.
Il n’empêche que, selon moi, nous sommes passés à côté d’un texte qui aurait pu signifier autrement et beaucoup mieux la position du Sénat sur ce sujet : en particulier, nous sommes passés à côté de plus de proximité.
Puisque nous avions décidé, nonobstant l’avis contraire du Gouvernement, qu’une commission départementale était utile, il me semble que nous aurions pu largement accroître les compétences, le rôle et les missions de cette instance.
Nous aurions pu également donner une compétence supplémentaire au préfet de département. Le débat n’a pas eu lieu ; l’amendement, pourtant, était intéressant.
Dans cette assemblée, nous disons très souvent qu’il faut renforcer le rôle des préfets de département, qu’il faut faire revenir l’État dans le département. Las ! quand une occasion se présente, nous passons à côté.
Que Pierre-Jean Verzelen se rassure : malgré ces quelques occasions manquées, nous voterons le texte.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre Monier. Je remercie les collègues qui ont participé à la mission d’information et salue le travail effectué sur ce texte par le service de la commission de la culture.
Cette proposition de loi étant inscrite à l’ordre du jour d’une niche transpartisane, il était évident que le sujet de l’avis conforme, qui ne fait pas consensus, ne pouvait être évoqué.
La commission départementale est créée à l’article 3 : la conciliation sera bel et bien possible à l’échelon du département.
Quant à faire « redescendre » la compétence relative aux recours formés à l’encontre des avis de l’ABF en la confiant aux préfets de département plutôt qu’aux préfets de région, je n’y suis pas favorable. Ce qui ressort des débats que nous avons eus sur cette question lors des auditions, c’est qu’il vaut mieux que cette compétence soit exercée à une échelle un peu plus large.
Par ailleurs, je réitère mes propos de tout à l’heure : les auditions ont montré que les architectes des Bâtiments de France étaient des experts. On peut ne pas être d’accord avec eux, mais ils ont une connaissance du patrimoine que nous n’avons pas ici, dans cet hémicycle. Par ailleurs, il s’agit de fonctionnaires : ils sont donc indépendants. C’est aussi en cela qu’ils sont importants. Ils doivent, selon moi, toujours être présents : ce sont eux qui font du patrimoine de la France ce qu’il est.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je suis très satisfait de constater que nous avons eu aujourd’hui un débat apaisé sur la question des ABF et de l’avis conforme qu’ils rendent, ce qui n’a pas toujours été le cas par le passé.
M. Max Brisson. C’est trompeur !
M. Pierre Ouzoulias. Je me souviens aussi de discussions extrêmement houleuses sur la place de l’archéologie préventive. (Sourires.) J’ai le sentiment que la nécessité de préserver le patrimoine est enfin entrée dans les mœurs et fait à présent partie des politiques publiques défendues de façon consensuelle par l’État, les collectivités et les maires. C’est une très bonne chose.
Quoi qu’il en soit, il ne faut pas en rester là. Il importe de développer une réflexion plus générale afin de s’assurer que les outils de la protection sont bien adaptés à l’objectif qui est à présent devant nous. Qu’allons-nous faire de tout le petit patrimoine qui n’est pas classé ou inscrit, mais qui constitue très souvent l’identité propre de certains de nos villages ? Force est de constater qu’il ne bénéficie aujourd’hui d’aucune protection ou d’aucune aide de l’État.
Sans aller jusqu’à la décentralisation, qui irait sans doute trop loin d’autant que les collectivités ne veulent pas – je pense – d’une compétence supplémentaire, nous pourrions réfléchir à une meilleure interaction entre les départements pour les CAUE, les régions pour l’inventaire et les services de l’État en région, pour mieux coordonner l’activité afin qu’elle soit planifiée et réfléchie sur ces territoires qui ont tous une cohérence d’un point de vue patrimonial.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport. Je remercie tous ceux qui ont participé, certains de manière très active, à la mission d’information sur les ABF, qui a permis de déboucher sur ce texte. Je salue, en particulier, le travail de Pierre-Jean Verzelen, qui en a été le rapporteur. Il est également l’auteur de cette proposition de loi et son rapporteur pour notre assemblée.
Nous avons réussi à avancer collectivement sur un sujet qui ne faisait pas forcément consensus parmi nous. J’espère que nos efforts se traduiront dans quelques instants dans notre vote.
Ce texte comprend un certain nombre d’avancées intéressantes, qui ne sont pas forcément toutes de nature législative. En effet, j’ai noté avec beaucoup d’intérêt, par exemple, qu’au cours de la mission d’information, mais aussi après, s’était établi un dialogue entre, d’une part, Marie-Pierre Monier et Pierre-Jean Verzelen et, d’autre part, les ABF.
Ceux-ci ont bien sûr été auditionnés dans le cadre de la mission ; après la remise du rapport, le rapporteur et la présidente sont allés voir les ABF en formation. C’est un point important, car nous souhaitons aussi que le dialogue se fasse dès cette étape. Les ABF ont également souhaité entendre leurs propositions, sur lesquelles s’est instauré un véritable échange. C’est fondamental, d’autant que les discussions peuvent parfois s’avérer complexes dans certains endroits – cela n’est pas le cas dans ma propre ville où j’ai un dialogue riche et intéressant avec l’ABF.
La mise en place de ce dialogue va demander un peu de temps. Il faut l’instaurer dès la formation, et l’accompagner par la mise en place de bonnes pratiques et l’élaboration de certains documents. Ce texte s’inscrit pleinement dans cette démarche afin d’avoir un dialogue apaisé et plus constructif, dans le respect des spécificités et des savoir-faire de chacun.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, auteur de la proposition de loi et rapporteur.
M. Pierre-Jean Verzelen, auteur de la proposition de loi, rapporteur. Comme Marie-Pierre Monier, je remercie tous les élus qui ont participé à la mission d’information et aux travaux préparatoires sur ce texte, ainsi que les services de la commission.
La question de fond, et la pierre angulaire de cette proposition de loi, est de savoir comment faire vivre l’avis conforme.
Premièrement, nous avons permis aux communes, de manière extrêmement souple, ce qui a d’ailleurs été critiqué par certains, de redéfinir un périmètre afin que l’avis conforme s’applique sur un territoire accepté et compris par tous.
Deuxièmement, nous avons prévu la publication des avis des ABF dans un registre national accessible en ligne. Chacun pourra à présent connaître les avis rendus près de chez lui et s’en servir comme d’un élément de jurisprudence dans les dossiers qu’il défendra.
Troisièmement, nous mettons en place une commission départementale de conciliation pour remettre les élus autour de la table, sous l’autorité du préfet de département, afin que les ABF puissent justifier leurs choix et, le cas échéant, les revoir.
Mes chers collègues, tout cela, nous l’avons fait dans le cadre d’une niche transpartisane, en deux heures : ce n’est pas rien ! Je vous remercie donc de cette avancée, ainsi que de votre confiance. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre. Monsieur Ouzoulias, vous avez eu raison de dire que nous avons eu un débat apaisé, car nous partions de loin : souvent, les discussions parlementaires, notamment avec les élus locaux, se transforment en tribunaux contre les ABF.
J’avoue avec modestie avoir découvert ces questions en arrivant au ministère de la culture – je pense également au rôle de l’archéologie préventive et de l’archéologie aquatique.
Comme l’a souligné le président Lafon, nous avons eu un débat transpartisan, preuve qu’il s’agit d’un sujet qui nous rassemble. Nous avons en effet tous le même objectif, qui est de préserver, de restaurer, de réhabiliter et de pérenniser le patrimoine. Il s’agit d’une volonté collective et commune, qui ne fait pas débat.
Nous avons évidemment besoin de personnes pour nous aider à préserver et à restaurer notre patrimoine. Cela a été dit, les ABF nous incitent parfois à revoir notre conception et aident les porteurs de projets. Ils jouent donc un rôle de conseiller et veillent à préserver l’esthétique du patrimoine. Il est vrai que l’on ne peut détourner le regard de l’immeuble qui est devant nous : soit l’on vit dedans, soit l’on vit avec…
Nous allons bientôt avoir des débats sur le logement. Dans le cadre du projet Quartiers de demain, qui concerne les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), nous avons prévu le recours à un architecte, ce qui pendant longtemps n’a pas été le cas pour le parc social. Nous voyons d’ailleurs comment certains quartiers ont été construits…
Les avancées, évoquées par le rapporteur, ne sont pas seulement juridiques : nous avons également fait aujourd’hui des avancées culturelles sur les ABF, voire sur les archéologues. Il serait intéressant que nous puissions intégrer la protection patrimoniale dans notre réflexion sur le logement, ce serait aussi une grande avancée culturelle.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi, dont le Sénat a ainsi rédigé l’intitulé : proposition de loi relative à l’exercice des missions des architectes des Bâtiments de France.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt et une heures quarante, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Mettre fin au sans-abrisme des enfants
Adoption d’une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, visant à mettre fin au sans-abrisme des enfants, présentée par Mme Cécile Cukierman et plusieurs de ses collègues (proposition n° 157 rectifié).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Ian Brossat, auteur de la proposition de résolution.
M. Ian Brossat, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre d’une proposition de résolution qui pose une question simple : comment la France, sixième puissance économique mondiale, peut-elle tolérer que des enfants dorment dehors ?
Cette réalité insoutenable est pourtant le quotidien de milliers de familles, de mères, d’enfants et de nourrissons, contraints de survivre dans la rue, enchaînant des solutions d’hébergement précaires, temporaires et inadaptées.
Dans le XVIIIe arrondissement de Paris, dont je suis l’élu, le centre d’hébergement Suzanne-Valadon accueille des familles en détresse. Je m’y suis rendu dimanche dernier pour rencontrer ces familles – mères et enfants – qui, après des mois d’errance, y ont trouvé un toit. Mais il s’agit d’un toit temporaire.
Derrière les chiffres, il y a des visages et des regards d’enfants. Il y a Pierre-Maël, âgé de 5 ans, qui se réveille chaque nuit en pleurant, car sa chambre est infestée de souris. Pour lui, la nuit est non pas un moment de repos, mais une source d’angoisse. Il y a encore la petite Anne-Laure, âgée de 3 ans, qui n’a jamais connu la stabilité, et ignore ce qu’est un foyer sûr et durable. Ces enfants, comme tant d’autres, ne vivent pas : ils survivent.
Certains ont trouvé refuge dans des gymnases, des urgences hospitalières, des églises. D’autres dorment dans la rue, dans des abris de fortune, dans des chambres d’hôtel parfois miteuses ou des squats. Nourrissons, enfants en bas âge, adolescents : tous sont exposés à l’insécurité et à une précarité extrême.
Cette situation – nous en sommes, je le pense, collectivement convaincus – n’est ni une fatalité ni une conséquence inévitable des crises économiques. Elle est le résultat d’un manque de décisions politiques et économiques, d’une absence de volonté réelle de faire du droit au logement une priorité nationale. Nous avons aujourd’hui l’occasion d’envoyer un message fort : nous ne tolérons plus que des enfants dorment dehors.
La France aime, à juste titre, se présenter comme le pays des droits de l’homme. Nous sommes d’ailleurs signataires de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) depuis 1989. Nous la citons dans les débats internationaux, nous nous en réclamons comme d’un acquis fondamental. Or que dit cette convention ?
Son article 27 est explicite : « Les États parties reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social. » Cet engagement fait peser sur l’État, sur nous, une obligation claire, celle de garantir aux enfants un cadre de vie stable et sécurisé.
L’ONU a d’ailleurs rappelé cette exigence au travers de l’observation générale n° 21 du Comité des droits de l’enfant, qui souligne la vulnérabilité des enfants vivant dans la rue et l’impératif pour les États de mettre en place des politiques publiques adaptées et pérennes afin de faire cesser de telles situations.
Nous ne sommes clairement pas à la hauteur de ces engagements. Le dire n’est pas mettre en cause tel ou tel gouvernement, tel ou tel ministre, car force est de constater qu’il s’agit d’un échec global.
Nous ne pouvons pas nous contenter d’afficher de grands principes si, dans la réalité, nous ne garantissons pas ces droits fondamentaux aux enfants de notre pays. Car les chiffres que nous avons sous les yeux sont alarmants.
Le 19 août 2024, l’Unicef et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) ont recensé plus de 2 000 enfants sans solution d’hébergement. Ce chiffre a plus que doublé en trois ans. Parmi eux, 467 enfants avaient moins de 3 ans.
À Paris, ce sont environ 400 enfants qui dorment dehors. Dans la métropole de Lyon, ils étaient plus de 300 à la fin de l’année 2023, soit une augmentation de 40 % en un an et de plus de 200 % en deux ans, selon le collectif Jamais sans toit. Derrière ces chiffres, il y a des visages, des vies qui, souvent très jeunes, sont exposées à une extrême précarité.
Concrètement, cela signifie que des centaines de nourrissons et d’enfants dorment chaque soir dans la rue, sans protection, exposés à tous les dangers. Ces chiffres ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Ils ne prennent pas en compte les familles qui ne sollicitent plus le 115, lassées d’attendre un hébergement qui ne vient pas.
Ces enfants sont sans repères et sans protection. Ils grandissent dans la peur, l’incertitude et l’indignité. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de prendre en compte l’ensemble des conséquences du sans-abrisme des enfants.
Nous savons que le fait de vivre à la rue, même temporairement, laisse des séquelles profondes : troubles du sommeil, anxiété, stress post-traumatique – la liste est bien longue…
Le mal-logement, quant à lui, multiplie par 1,5 le risque de retard scolaire. Il a un coût pour l’État en raison des redoublements qu’il engendre. Il est de notre responsabilité d’agir sans attendre. C’est l’objectif de cette proposition de résolution que nous avons voulue transpartisane – elle a d’ailleurs été signée par des sénatrices et des sénateurs issus de l’ensemble des huit groupes qui constituent notre Haute Assemblée.
Dans cette affaire, il est surtout question d’humanité. Considérer que des enfants peuvent continuer à dormir dehors, c’est renoncer à notre propre humanité. Sur un tel sujet, nous avons besoin, à l’évidence, de dépasser les clivages politiques traditionnels, de nous rassembler, de nous unir autour d’un seul et même objectif : faire en sorte qu’il n’y ait plus d’enfant qui dorme à la rue.
Cela suppose d’abord, nous y reviendrons dans la discussion, de développer des places d’hébergement adaptées : pas de gymnases, mais des hébergements qui soient dignes ; pas de chambres d’hôtel, mais des hébergements convenant aux besoins des familles, qui doivent, par exemple, pouvoir cuisiner. Car tout cela a des conséquences sur la santé des enfants : il faut donc des hébergements dignes pour parer à l’urgence.
À plus long terme, nous avons aussi besoin de logements, qu’ils soient sociaux ou très sociaux, avec des loyers accessibles aux familles ayant des revenus extrêmement modestes.
Voilà l’ensemble des thématiques abordées par cette proposition de résolution. Notre objectif, je le redis, est clair : faire en sorte que plus aucun enfant ne dorme à la rue en France en 2025. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Baptiste Blanc. Cher Ian Brossat, je vous remercie pour cette proposition de résolution qui fait honneur au Sénat et dont je confirme l’esprit transpartisan que vous avez évoqué.
Il y a un petit peu plus de soixante ans, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, ancienne résistante, prenait la présidence de l’antenne française d’ATD Quart Monde.
Ce mouvement, créé par le père Joseph Wresinski, se donnait pour objectif, depuis 1957, de construire une société plus juste en rassemblant des hommes et des femmes désireux de s’engager en vue de mettre fin à l’extrême pauvreté.
En 1991, interrogée sur le sens de cet engagement qui se poursuivra pendant plus de trente ans, Geneviève de Gaulle-Anthonioz déclarait : « Quand j’ai découvert que les droits de l’homme, dans mon propre pays, après qu’on ait combattu pour ça, n’étaient pas respectés, parce que la misère ce n’est pas les droits de l’homme, ça m’a fait un drôle de choc. »
Ce choc est encore le nôtre aujourd’hui, et je suis heureux que cette proposition de résolution transpartisane visant à mettre fin au sans-abrisme des enfants nous permette, d’une part, d’appeler le Gouvernement à l’action – nous savons que vous êtes, madame la ministre, pleinement mobilisée sur ce sujet – et, d’autre part, de nous exprimer sur un sujet dont, trop souvent, nous détournons les yeux.
Malheureusement, comme Ian Brossat l’a rappelé, notre pays ne se distingue pas par de bons résultats : sur le sujet du mal-logement, la France accuse un retard. Si la question du sans-abrisme des enfants est au cœur de nos préoccupations aujourd’hui, je voudrais commencer par rappeler que c’est l’état du mal-logement dans son ensemble en France qui est préoccupant.
Au moins 4,2 millions de nos compatriotes sont mal logés, dont 350 000 sont sans domicile. Les 3,85 millions de personnes restantes vivent, pour les unes, dans des abris de fortune, pour les autres, dans des taudis ou dans des logements surpeuplés. Les plus chanceux auront réussi à trouver une place en structure d’accueil ou en hébergement temporaire à l’hôtel, dans les conditions décrites par Ian Brossat.
Nous ne saurions nous habituer à cette situation indigne du grand pays qu’est la France, indigne pour tout homme quel qu’il soit et d’où qu’il vienne.
Cette réalité, ce choc auquel nous devons nous confronter, n’est pas une nouveauté. Au contraire, elle s’aggrave et appelle à un réveil collectif : entre 2012 et 2014, le nombre de personnes sans domicile a augmenté de 145 %. L’incapacité à trouver des places d’hébergement d’urgence pour ces femmes et ces hommes explique en partie cette croissance préoccupante.
Certes, nous ne sommes pas restés totalement inactifs, l’augmentation du nombre de places d’hébergement de 150 000 en 2017 à 200 000 en 2023 en témoigne. Mais sur cette question nous ne saurions nous réjouir d’un résultat partiel.
Concrètement, il nous faut financer nos ambitions. Sur ce plan, on constate une surexécution chronique du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de nos lois de finances. Cette surexécution se chiffre à un montant annuel proche d’environ 200 millions d’euros. La sous-budgétisation d’un programme clé prive les opérateurs de la mission de la possibilité de mener sereinement leurs actions. Alors que le stock de places n’a cessé de croître, qu’attend-on pour pérenniser un financement cohérent avec les besoins ?
Certaines associations font ainsi part des difficultés liées à ces incohérences. Les surcoûts liés à la fermeture puis à la réouverture de places s’accompagnent d’un manque grave d’efficacité qu’il nous faut pallier. De même, des actions au profit des personnes hébergées ne donnent parfois lieu au décaissement des crédits que tardivement, voire après leur réalisation, ce qui peut mettre en péril les plus petites structures. Soyons au rendez-vous aux côtés de ceux qui s’engagent concrètement pour soutenir les plus démunis.
Au cœur de cette réalité tragique se situe la question qui nous réunit aujourd’hui : celle, peut-être plus tragique encore, du sans-abrisme des enfants.
Ici encore, le choc éprouvé par Geneviève de Gaulle-Anthonioz, que j’évoquais au début de ma prise de parole, nous étreint. Le chiffre donné par l’Unicef est clair et sans appel : à la fin août 2024, l’on recensait plus de 2 000 enfants à la rue selon le sixième baromètre sur le sujet. La lecture de ce baromètre de l’Unicef ne peut nous laisser indifférents quant à nos responsabilités : ce chiffre est en augmentation de 120 % par rapport à 2020 et, parmi ces 2 000 enfants, 467 ont moins de 3 ans. Pourquoi ceux-ci ont-ils passé la nuit du 19 août 2024 dehors ? Parce qu’ils se sont vu opposer une impossibilité d’être pris en charge.
Là encore, l’on aurait aimé pouvoir se rassurer en se disant que la France, patrie des droits de l’homme, était à la pointe de la lutte contre la pauvreté touchant les enfants. Mais non, car en Europe, la France fait, une fois de plus, figure de mauvais élève. La lecture du neuvième Regard sur le mal-logement en Europe publié par la Fondation pour le logement des défavorisés est, à ce titre, édifiante. L’on y apprend que, dans notre pays, plus de 25 % des mineurs sont en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. C’est le sixième taux le plus haut de l’Union européenne. Pire encore : en France, la part de ménages avec enfants vivant sous le seuil de pauvreté dans un logement insalubre a augmenté de plus de 40 %. Cela nous classe à l’avant-dernière place sur vingt-sept.
Nous ne pouvons tolérer que, dans notre pays, en 2025, des enfants puissent encore rencontrer ce genre de difficultés. Trop souvent invisibilisées, nous pensons que ces réalités appartiennent à un temps révolu, or elles sont pourtant bien là et elles nous appellent à agir.
Certes, ici encore, des progrès ont été réalisés : la loi de finances pour 2025 retient l’ouverture de 1 000 places pour les enfants dans le parc d’hébergement d’urgence, ainsi que 1 000 places pour les femmes proches de la maternité.
Si ces efforts sont louables et nécessaires – il importe d’ailleurs d’être aux côtés de la ministre pour la soutenir –, il nous faut poursuivre encore collectivement dans ce sens. Deux axes me paraissent ici importants à étudier, en se fondant sur les travaux réalisés par nos collègues de la délégation aux droits des femmes.
En premier lieu, il importe de mieux considérer le cas des femmes avec enfants dans le cadre de l’hébergement d’urgence en assurant à ces dernières davantage de places adaptées à leur configuration familiale, notamment en vue de leur permettre de disposer de plus d’intimité.
En second lieu, n’oublions pas le travail remarquable réalisé par les travailleurs sociaux dans notre pays : leur profession et leur statut méritent d’être revalorisés.
Enfin, je tiens à rappeler que la gestion de l’urgence ne saurait être une fin en soi. Car, pour les enfants sans abri, ce qui manque est non pas seulement le toit, mais l’accès à l’ensemble de leurs droits : l’école, évidemment, mais aussi la santé, physique comme mentale. J’appelle le Gouvernement à agir pour permettre à ces enfants et à leurs familles d’être réintégrés au mieux et au plus vite. Cela passe, notamment, par un accès à des logements pérennes à bas prix.
Mes chers collègues, les défis que notre pays rencontre actuellement sont immenses, sur le plan tant national qu’international. Mais ne commettons pas l’erreur d’oublier à cette occasion les plus vulnérables d’entre nous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution transpartisane que nous examinons aujourd’hui est, sans aucun doute, révélatrice de la situation sociale que nous connaissons actuellement. C’est aussi le signe d’une insuffisance des politiques publiques pour répondre à une évolution inquiétante du sans-abrisme.
Je ne peux que remercier vivement notre collègue Cécile Cukierman pour cette initiative qui permettra de mettre des mots sur ces situations que nous croisons tous les jours sans vraiment y prêter attention, de mettre des mots sur ces souffrances que nous tendons à banaliser, de mettre des mots sur l’indicible.
La délégation aux droits des femmes, à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, a publié un excellent rapport intitulé Femmes sans abri, la face cachée de la rue. Nous avons voulu mettre la lumière sur ces femmes, victimes d’une invisibilisation parfois volontaire pour ne pas s’exposer aux violences de la rue.
Elles seraient près de 120 000 dans nos rues. Certes, la majorité d’entre elles bénéficient d’un hébergement financé par l’État. Mais il reste celles qui n’ont comme seul toit que le ciel, parfois étoilé. Leurs enfants les accompagnent souvent. Près de 3 000 d’entre eux partagent la précarité de leurs parents chaque soir, dans nos rues.
Nous ne pouvons accepter que des enfants grandissent dans l’incertitude, la précarité et sans un foyer stable. Chaque jour passé dans la rue est un jour volé à leur enfance et à leur avenir. Nous ne pouvons nier les répercussions sur leur santé physique et mentale, leur développement ou encore leur scolarité. Aucun enfant ne mérite de vivre un tel traumatisme.
En tant que mère de famille, je resterai à jamais marquée par certaines rencontres lors des maraudes auxquelles je participe avec l’Ordre de Malte. Je revois régulièrement ces yeux d’enfants rougis par la faim, ces têtes abaissées par la honte. Mais je garde en moi, comme de précieux souvenirs, ces sourires innocents et ces gestes de reconnaissance. Ils nous rappellent l’importance d’agir.
Mes chers collègues, je vous invite à nous rejoindre au sein de la Maraude des parlementaires. Offrir trois heures de notre temps peut être plus bénéfique, avoir un impact plus fort, que de longs discours.
Les mots passent, le mal-logement et le sans-abrisme demeurent et gagnent même en ampleur. Par expérience, nous savons que personne ne peut détenir la solution. En 2022, le Gouvernement s’était engagé à ce qu’aucun enfant ne dorme à la rue. L’objectif n’a pas été atteint. Cependant, quel que soit votre positionnement politique sur ces travées, vous devez admettre que l’État a fourni des efforts considérables, mais mal récompensés, pour améliorer le parc d’hébergement.
En l’espace de dix ans, le Gouvernement a triplé les crédits consacrés à sa politique d’hébergement des sans-abri. La Cour des comptes a estimé que la stratégie retenue appréhendait surtout les besoins en matière d’hébergement d’urgence comme étant temporaires. Force est de le constater, ces besoins perdurent et s’amplifient avec le temps.
L’initiative de notre collègue Cécile Cukierman a le mérite de ramener cette question au centre du débat. Permettez-moi d’exprimer au moins un regret. Une grande partie du sans-abrisme chez les enfants est liée à des situations familiales précaires. Il est donc crucial de soutenir les familles, de leur offrir un accompagnement social adapté et d’améliorer l’accès aux services de santé, d’éducation et de protection de l’enfance.
Je rappellerai ici deux points qui figurent dans le rapport sur les femmes à la rue de notre délégation. Nous avons estimé essentiel de reconnaître les enfants sans domicile comme bénéficiaires directs de l’accompagnement psychosocial global destiné aux parents. De même, nous estimons crucial de renforcer les moyens alloués aux dispositifs de médiation scolaire, en particulier pour garantir l’inscription des enfants à l’école sans exiger un justificatif de domicile.
Nous partageons tous sur ces travées un même constat et une même ambition : mettre fin au sans-abrisme des enfants ne peut être un objectif ponctuel, cela doit être une priorité constante de tous, avec des moyens à la hauteur de l’enjeu.
Au sein du groupe RDPI, nous partageons pleinement l’objectif de cette proposition de résolution. Nous sommes convaincus qu’elle représente une étape décisive dans l’engagement que nous devons aux enfants les plus vulnérables, mais cette étape n’est pas une fin en soi.
Le vote de cette proposition de résolution confirmera notre volonté de lutter efficacement contre la tragédie du sans-abrisme, tragédie d’autant plus cruelle quand ce sont des enfants qui en sont victimes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord nos collègues du groupe CRCE-K, en particulier sa présidente Cécile Cukierman et le sénateur Ian Brossat, auteurs de cette proposition de résolution. Ce texte met en lumière une urgence sociale à laquelle nous devons répondre collectivement. Cosigné par des sénateurs issus des huit groupes, il témoigne d’une prise de conscience partagée au sein de notre assemblée.
Le RDSE est particulièrement sensible à la protection des enfants. C’est dans cet esprit que nous avions fait adopter la proposition de loi renforçant la protection judiciaire de l’enfant victime de violences intrafamiliales.
La situation que nous évoquons aujourd’hui est d’une gravité extrême. La question du sans-abrisme des enfants relève non pas d’un simple enjeu social ou budgétaire, mais bien de la dignité, des droits fondamentaux et du respect du contrat républicain.
Nelson Mandela disait : « Rien ne révèle mieux l’âme d’une société que la façon dont elle traite ses enfants. » Forts de cette conviction, nous devons agir avec détermination.
Selon un baromètre réalisé par Unicef France et la Fédération des acteurs de la solidarité, plus de 2 000 enfants se sont retrouvés sans solution d’hébergement à la fin du mois d’août dernier.
Au total, plus de 6 700 personnes n’ont pas trouvé de place en hébergement d’urgence. Cette saturation du dispositif témoigne d’un manque criant de solutions adaptées. Derrière ces chiffres, il y a bien sûr des vies, notamment celles des enfants dont le quotidien est marqué par l’incertitude et la peur.
Nous savons combien l’absence de logement stable peut être dévastatrice. D’après une étude menée par Unicef France et le Samu social de Paris, un enfant sans domicile a deux fois plus de risques de développer des troubles de la santé mentale. Comment grandir, apprendre et se construire un avenir quand on vit dans de telles conditions ?
Que dire également des 28 000 enfants qui vivent à l’hôtel, privés du cadre stable dont ils ont besoin pour grandir dignement ? Ce mode d’hébergement est non seulement coûteux, mais aussi totalement inadapté. Comment peut-on espérer qu’un enfant s’épanouisse dans un environnement aussi précaire ? Il est indispensable de privilégier des solutions de logement plus durables et mieux adaptées à la vie familiale et au développement de l’enfant.
Rappelons-le avec force : aucun enfant ne doit dormir dans la rue ! C’est une évidence.
Pourtant, malgré les engagements répétés des gouvernements successifs, la promesse n’a pas été tenue. Certes, des efforts ont été faits, portant la capacité d’hébergement à 203 000 places. Mais cela reste insuffisant face à l’ampleur des besoins.
Madame la ministre, nous connaissons votre engagement dans la lutte contre le sans-abrisme. Mais comment aller plus loin ? L’effort doit être amplifié, car les défis à relever sont immenses.
Les logiques de gestion de crise et d’urgence doivent être dépassées. La précarité n’est pas une fatalité. Des solutions existent. Le plan Logement d’abord et le pacte des solidarités constituent des avancées, certes, mais ce n’est pas suffisant.
Un des outils essentiels dans cette lutte est l’observatoire du sans-abrisme, qui doit nous permettre d’évaluer précisément les besoins et d’orienter efficacement les politiques publiques. Pourtant, cet observatoire peine à fonctionner pleinement, ce qui limite notre capacité à répondre aux besoins des plus vulnérables. Sa relance est une nécessité absolue.
Au-delà du logement, c’est tout un accompagnement global qui doit être repensé. Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies l’a rappelé : l’accès à l’éducation, aux soins, à la stabilité sociale de ces enfants doit être une priorité. Il est ici question de leur avenir : c’est aussi un enjeu de société.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe du RDSE voteront unanimement ce texte. Nous refusons de détourner le regard. Nous refusons que, chaque soir en France, des enfants soient livrés à la rue, exposés aux violences, à la précarité sanitaire et à l’angoisse du lendemain. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Ian Brossat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, lors des débats budgétaires, j’ai été rapporteur pour avis, au nom de la commission des affaires sociales, du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ». Dans le cadre de ces travaux, j’ai découvert les chiffres effrayants de la souffrance dans la rue, aujourd’hui, en France.
Ces chiffres, qui permettent de dresser un tableau relativement précis, sont produits par les opérateurs associatifs, puisque le dernier recensement des sans-abri par l’Insee remonte, il faut le souligner, à 2012.
Ils font clairement apparaître que, entre 2020 et 2024, le nombre de familles hébergées en urgence a augmenté. Le système est totalement saturé. Parmi les familles hébergées, on note une surreprésentation des familles monoparentales, ainsi qu’une forte proportion d’enfants en bas âge, puisque 29 % des enfants hébergés ont moins de 3 ans. Au sein du parc d’hébergement d’urgence, en août 2024, 75 % des personnes accueillies appartenaient à des familles.
Pourtant, l’hôtel est un lieu inadapté au développement des enfants. Il ne permet pas à ces derniers d’acquérir une autonomie, d’avoir une vie affective ou de bénéficier d’un lieu calme pour poursuivre une scolarité. De plus, selon le Samu social de Paris, 40 % des personnes hébergées en hôtel ne mangent pas à leur faim.
Ces chiffres ne tiennent pas compte des familles sans solution d’hébergement après un appel au 115, alors que 59 % des demandes non pourvues concernaient des personnes avec enfants, et ce malgré le système visant à les prioriser qui s’est installé par la force des choses.
Les familles en situation de non-recours, n’ayant pas même tenté de joindre le 115, par découragement ou par peur de se voir retirer leurs enfants, ne sont pas comptabilisées, non plus que les mineurs non accompagnés (MNA) en situation de rue, qui sont pourtant des enfants.
Face à ce constat dramatique, plusieurs remarques s’imposent.
Premièrement, si l’on doit distinguer les enfants effectivement dans la rue de ceux qui bénéficient d’un toit temporaire, il faut cependant considérer que tous sont en danger.
Deuxièmement, le programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » manque d’efficience, et une prise en charge en hébergement d’urgence n’a rien d’un parcours d’insertion.
Troisièmement, les enfants ne sont pas des statistiques, et chacun d’eux devrait pouvoir écrire son histoire de vie dans des conditions sereines.
Sur les dangers que courent les enfants sans abri ou sans domicile, le bilan est sans appel. Le logement est un facteur environnemental central, et le fait d’en être privé le confronte à des conditions de vie dégradées. Pire, le collectif Les Morts de la rue a dénombré 17 décès dans la rue de victimes de moins de 15 ans, et 36 décès de personnes âgées de 15 à 25 ans en 2023. Ses représentants soulignent une perte d’espérance de vie de plusieurs années pour tous ceux qui vivent dans la rue.
D’autres bénéficient d’hébergement d’urgence, parfois dans le long terme, parfois avec des rotations et des retours à la rue. Beaucoup intériorisent leur trouble. L’un d’eux témoigne : « Je me sens étouffé, j’ai pas beaucoup d’espace pour dépenser mon énergie, donc je suis vite en colère. »
Alors que la Convention internationale des droits de l’enfant reconnaît à chacun d’eux, sans distinction aucune, le droit de jouir du meilleur état de santé possible, la santé mentale des enfants sans domicile est systématiquement compromise dès le plus jeune âge. Ces enfants connaissent des réalités très différentes, mais sont tous confrontés à une précarité multidimensionnelle, qui touche à leurs conditions de vie, à la fois économique, sociale et administrative.
Les études montrent que les enfants sans abri en âge d’être scolarisés sont deux fois plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé mentale que les enfants logés de familles à faibles revenus.
Face à ce phénomène dramatique que l’on ne peut feindre d’ignorer, je dois souligner le maintien dans le projet de loi de finances pour 2025 à un niveau budgétaire constant du programme 177, garantissant ainsi 203 000 places d’hébergement d’urgence. On doit cependant dénoncer une sous-budgétisation chronique de ce programme, qui ne correspond non pas à une dérive des dépenses, mais au report d’un déficit ancien. Ainsi, chaque année, il manque 250 millions d’euros à la programmation initiale du budget 177.
C’est une forme d’insincérité, qui place les opérateurs du sans-abrisme dans une situation d’insécurité et de risque. Si, en décembre 2023 et en décembre 2024 – je sais que vous y avez travaillé, madame la ministre –, les 250 millions d’euros manquants ont pu finalement être affectés in extremis aux comptes de fin de gestion, il n’en reste pas moins que les associations ont annoncé ne plus pouvoir fonctionner avec un règlement incertain et a posteriori des prestations fournies. Leurs trésoreries sont mises à mal. Elles ne peuvent pas optimiser le nombre de nuitées achetées, en les mutualisant dès le début de l’année.
Un grand nombre d’entre elles risquent de disparaître et, avec elles, le dernier filet de sécurité des politiques publiques, au plus près des plus fragiles. Si une politique volontariste doit être menée sur le volet du logement, le soutien des acteurs associatifs doit par ailleurs rester une priorité.
« Le mot progrès n’aura aucun sens tant qu’il y aura des enfants malheureux », disait Albert Einstein. Il est douloureux de penser aux enfants sous les bombes, tués ou brisés par les horreurs de guerres qu’ils ne comprennent pas, aux enfants qui meurent de faim ou de soif sur des terres arides et stériles, aux enfants chahutés par des adultes sans scrupules qui, d’une manière ou d’une autre, ne les respectent pas, aux enfants malheureux d’ici ou d’ailleurs, qui quittent trop vite le temps sacré de l’enfance. N’oublions pas ces petits invisibles dans la rue ou dans les hôtels sordides, nos voisins, qui, dans le froid, le bruit, la faim et l’indifférence, étouffent en silence.
Mes travaux sur le programme 177 sont terminés. Je suis désormais engagée au sein de la mission d’information sur les politiques de prévention en santé. La conclusion est la même : l’attention portée aujourd’hui évitera les drames de demain.
Le groupe Union Centriste soutiendra cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Laurent Burgoa, Jean-Baptiste Blanc et Ian Brossat applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Nous connaissons toutes et tous ces phrases : elles forment l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, écrite il y a près de deux cent quarante ans.
Bien loin de ces mots que je ne veux pas mettre de côté, le Collectif des associations pour le logement a récemment publié des données chiffrées, recueillies pendant la nuit du 24 février dernier.
Cette nuit-là, 5 835 personnes n’avaient pas pu obtenir de place d’hébergement d’urgence par le 115 ; 1 728 enfants en faisaient partie, et 379 d’entre eux avaient moins de 3 ans. Cette nuit-là, à Paris, il faisait 4 degrés.
Un autre chiffre nous accable : en 2024, 735 personnes sont mortes à la rue. La plus jeune avait 2 mois. Ce sont 111 personnes de plus qu’en 2022. Entre-temps, il y a eu une inflation sans précédent, qui a plongé davantage de familles dans la pauvreté.
Il y a aussi eu la loi du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, dite loi Kasbarian-Bergé, qui a accéléré les expulsions. Ce texte renforce la peur de toutes ces familles, qui doivent partir d’elles-mêmes ou risquer des amendes supplémentaires, et les expose à la violence physique et psychologique d’une possible intervention policière. En vingt ans, le nombre d’expulsions locatives a augmenté de 150 %.
Derrière ces chiffres, il y a des personnes qui méritent d’avoir un toit. La France, septième puissance mondiale, doit pouvoir proposer un hébergement, et même un logement, à ces personnes, selon leurs ressources, y compris quand elles n’en ont aucune.
Laisser cette misère perdurer, c’est déshumaniser nos concitoyennes et nos concitoyens qui en souffrent, mais c’est aussi perdre nous-mêmes une large part de notre humanité.
Nous ne pouvons pas tout résoudre, et l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que j’ai cité au début de mon propos semble être un idéal bien trop souvent éloigné de la réalité. Mais tout de même, si nous ne pouvons au moins mettre à l’abri nos enfants dans notre société, alors de quoi sommes-nous capables ?
La résolution que nous présentons aujourd’hui est une promesse, et nous en avons déjà entendu d’autres.
Rappelons-nous celle du Président de la République : « La première bataille, c’est de loger tout le monde dignement. Je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois ou perdus. »
Ces mots d’Emmanuel Macron datent de juillet 2017. Depuis, nous comptons 330 000 personnes sans domicile fixe, un chiffre qui aurait dû tomber à zéro en 2017, mais qui a finalement doublé en dix ans.
Les 210 000 places d’hébergement ne suffisent donc pas, loin de là.
Alors oui, votons cette proposition de résolution. J’espère que cet espace transpartisan dans lequel nous avons collectivement souhaité la présenter saura susciter l’unanimité et convaincre le Gouvernement d’agir.
Ensuite, dès le 31 mars, fin de la trêve hivernale, et le 15 avril, fin de la trêve cyclonique à La Réunion, empêchons les expulsions sans solution de relogement, particulièrement lorsque des enfants sont concernés.
Votons, lors du budget, les crédits nécessaires pour permettre à tous les enfants d’être mis à l’abri.
Travaillons à construire davantage de logements accessibles au plus grand nombre, accessibles à tout le monde, en encadrant mieux les loyers.
Le logement doit être un droit, peut-être le premier de tous, qui ne peut être confié à un marché dans lequel 3,5 % de la population possède la moitié des logements en location. N’abandonnons pas ce droit à un marché qui laisse démunies plus de 330 000 personnes, dont 42 000 enfants ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST, RDSE et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Akli Mellouli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de saluer le travail de nos camarades communistes Cécile Cukierman et Ian Brossat pour leur excellente initiative, essentielle et même vitale pour notre cohésion sociale.
« Nous devons à nos enfants, les êtres les plus vulnérables de toute société, une vie exempte de violence et de peur. » Cette phrase de Nelson Mandela résonne avec une acuité particulière lorsque nous regardons la réalité insupportable du sans-abrisme infantile en France.
Aujourd’hui, dans la sixième puissance économique mondiale, plus de 2 800 enfants – un chiffre sous-estimé selon les représentants de l’Unicef, avec lesquels j’échangeais encore ce matin – dorment dans la rue faute de solution d’hébergement. Parmi eux, 25 % ont moins de 3 ans.
Ces chiffres, en constante augmentation, traduisent l’échec d’une politique publique incapable d’assurer un droit fondamental : celui d’avoir un toit.
Derrière ces statistiques glaçantes se cachent des visages, des destins brisés et des enfances sacrifiées. Chaque nuit, des centaines de familles confrontées à l’exclusion sociale doivent affronter l’insécurité, le froid et la peur. Les conséquences sur les enfants sont dramatiques : perturbations scolaires, troubles du développement, atteintes à la santé physique et mentale.
C’est un choix de société qui est en jeu.
Sommes-nous prêts à accepter que des enfants dorment dehors alors que la République est fondée sur des principes de solidarité et de dignité ? Sommes-nous prêts à fermer les yeux sur la détresse de celles et ceux que nous devrions protéger en priorité ?
Il est de notre responsabilité collective de refuser cette fatalité et d’agir avec détermination pour que chaque enfant ait un toit et un habitat digne.
Lors des débats sur le projet de loi de finances pour 2024, notre collègue Mathilde Ollivier avait défendu, contre l’avis du Gouvernement, un amendement visant à créer 6 000 places supplémentaires d’hébergement d’urgence. Nous l’avions voté. C’était alors un message fort envoyé par le Sénat. Malheureusement, cet amendement avait finalement été supprimé.
Mais, disons-le clairement, la simple multiplication des places d’urgence ne résoudra pas structurellement la crise du logement.
Le Gouvernement, malgré des discours empreints de compassion, a entériné en 2025 un statu quo budgétaire qui rend impossible l’objectif « zéro enfant à la rue » proclamé dès 2022. Maintenir les 203 000 places d’hébergement existantes en 2024, sans augmentation significative, revient à abandonner des milliers d’enfants à la précarité.
Cependant, le Gouvernement n’est pas le seul responsable. Osons le dire : certaines municipalités, mues par des considérations idéologiques, refusent obstinément de construire les logements sociaux nécessaires. Ces blocages locaux accentuent les inégalités territoriales et aggravent la saturation des dispositifs d’hébergement.
Refuser de construire des logements sociaux, c’est condamner des familles entières à l’exclusion. C’est aussi faire peser sur la société et les associations une charge qui devrait incomber aux pouvoirs publics. Ces derniers mois, ce sont des initiatives associatives et citoyennes qui ont pallié les défaillances de l’État, comme ces élus transformant leur permanence en centre d’accueil d’urgence. Mais cette solidarité, si précieuse soit-elle, ne peut remplacer une politique publique ambitieuse et structurée.
Il est donc impératif de prévoir la construction massive de logements sociaux et très sociaux adaptés aux besoins des familles en difficulté – je sais votre engagement sur le sujet, madame la ministre. Ce n’est qu’en offrant une solution pérenne que nous pourrons briser le cycle de l’exclusion.
Cela passe par la mise en œuvre effective du plan Logement d’abord 2. Ce plan, s’il était correctement financé et accompagné d’une programmation pluriannuelle ambitieuse, permettrait de garantir un accès durable au logement pour les familles vulnérables.
Il est temps d’accélérer la transformation qualitative du parc d’hébergement. Il faut sortir définitivement de la logique des nuitées hôtelières, trop coûteuses et inadaptées aux besoins des familles, et investir dans des solutions d’accueil dignes et durables. Nous devons également renforcer les dispositifs d’accompagnement global afin de garantir une insertion sociale et professionnelle pérenne pour ces familles.
Nous ne pouvons plus accepter que des enfants, nos enfants, soient laissés au bord du chemin. Il est temps de transformer les promesses en actes. Il est temps d’affirmer, par des mesures concrètes et des moyens à la hauteur, que la France ne tolérera plus qu’un seul enfant dorme dehors.
En 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme proclamait que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ».
Mme la présidente. Mon cher collègue, il faut conclure.
M. Akli Mellouli. Cet idéal ne doit pas rester un simple vœu pieux. Il est de notre devoir, ici et maintenant, d’en faire une réalité pour chaque enfant et chaque famille, pour l’honneur de notre République et le respect de la dignité humaine.
Nous voterons donc cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, CRCE-K et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis dans cet hémicycle pour examiner une proposition de résolution visant à mettre fin au sans-abrisme des enfants.
Nous sommes en 2025, et c’est la honte.
Cette proposition de résolution est le fruit d’une mobilisation de la Fédération des acteurs de la solidarité et d’Unicef France qui ont publié, en août dernier, la dernière version du baromètre des enfants à la rue. Je souhaite rendre hommage à l’ensemble des acteurs associatifs, aux maires et aux élus locaux qui se démènent au quotidien pour essayer de trouver des solutions.
Selon ce baromètre, à la veille de la rentrée scolaire 2024, 2 043 enfants se trouvaient sans solution d’hébergement, soit une hausse de 120 % par rapport à 2020.
Sur ces plus de 2 000 enfants à la rue, 467 ont moins de 3 ans ! Ces chiffres ne sont pas exhaustifs puisque les personnes sans abri ne font pas forcément appel au 115 ou, pire, n’arrivent pas à joindre ce numéro d’urgence. En outre, les mineurs non accompagnés sans abri et les familles vivant dans un squat ou dans un bidonville ne sont pas comptabilisés.
Cela a été dit, lors de ses vœux pour 2018, le Président de la République Emmanuel Macron déclarait s’engager à « apporter un toit à toutes celles et à tous ceux qui sont aujourd’hui sans abri ». Nous ne pouvons que constater l’échec de cet engagement.
De multiples facteurs, au-delà de l’inefficacité de l’action politique des gouvernements depuis 2017 – j’y reviendrai –, expliquent la hausse du sans-abrisme en France.
Le parc du logement social est saturé, avec 2,42 millions de personnes en attente d’attribution. Dans le même temps, les loyers du parc privé ont augmenté de 56 % en vingt ans et sont devenus inaccessibles pour de nombreux foyers.
La crise de la construction entraîne celle de la location, en agissant directement sur la diminution de la production locative tant privée que publique.
Selon l’enquête « Sans domicile » de l’Insee, de nombreux sans-abri se sont retrouvés dans cette situation à la suite d’un évènement familial, comme une séparation, un décès ou des actes de violence.
J’en viens maintenant à l’action des différents gouvernements depuis 2017 contre le sans-abrisme.
Le bilan relatif à la lutte contre le mal-logement et la perte de logement n’est pas bon. À l’occasion de l’élection présidentielle de 2022, la Fondation pour le logement des défavorisés soulignait que le logement n’avait jamais été une priorité depuis 2017. La réforme des aides personnalisées au logement (APL) s’est traduite par une réduction des aides pour de nombreux foyers, à laquelle s’est ajoutée la baisse de 5 euros au début du précédent quinquennat.
Des orientations politiques délétères ont été prises ces dernières années avec la loi de 2023 dite anti-squat et le détricotage de la loi SRU (loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains). Le fond de l’air est mauvais et, sous la pression de l’extrême droite, je crains un abandon des principes fondamentaux et juridiques de l’accueil qui ne permettent même plus de protéger des femmes enceintes et des enfants de moins de 3 ans.
Notre groupe est mobilisé depuis de nombreuses années pour tenter de faire reculer le sans-abrisme. Un travail de fond s’est ainsi engagé avec l’adoption le 24 janvier 2024 de la proposition de loi de notre collègue Rémi Féraud et du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain visant à mettre en place un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune.
La première étape nécessaire à l’élaboration d’une réelle politique de mise à l’abri des personnes à la rue, à la prévention des situations de grande exclusion et à l’insertion durable des publics concernés consiste en effet à recenser précisément les besoins dans toutes nos communes, en particulier dans le milieu rural, où des enfants sont aussi sans toit et sans visibilité.
Autre initiative récente du Sénat, le rapport d’information Femmes sans abri, la face cachée de la rue, du 9 octobre 2024, fait au nom de la délégation aux droits des femmes par mes collègues sénatrices, Agnès Evren, Marie-Laure Phinera-Horth, Olivia Richard et Laurence Rossignol.
Ce rapport constate le doublement des personnes sans abri en France, en dix ans : 330 000 en 2024, dont près de 120 000 femmes. Parmi elles, chaque soir, 3 000 femmes et autant d’enfants passent la nuit dehors. Ce rapport émet 22 recommandations importantes que le Gouvernement doit maintenant faire siennes.
Je retiens, entre autres, la recommandation n° 2, qui tend à attribuer à l’État la responsabilité de l’hébergement des femmes enceintes et des mères isolées avec un enfant de moins de 3 ans.
La recommandation n° 13 prévoit que les enfants sans domicile soient reconnus comme bénéficiaires directs de l’accompagnement psychosocial global prévu pour les parents.
Enfin, la recommandation n° 14 vise à renforcer les moyens dédiés aux dispositifs de médiation scolaire pour tous les enfants sans domicile, afin de garantir notamment leur inscription scolaire sans exigence d’un justificatif de domicile.
Je veux ici rendre hommage aux personnels de l’éducation nationale qui veillent à accueillir inconditionnellement tous les enfants, en particulier ceux qui sont confrontés à des conditions d’existence très difficiles.
En raison de l’urgence de la situation, les sénateurs socialistes voteront avec conviction la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui. Nous souscrivons aux mesures proposées, dont le principe du logement d’abord, en garantissant un hébergement inconditionnel aux personnes en situation de détresse, et l’adoption d’une loi de programmation pour l’hébergement et le logement, en portant une attention particulière aux enfants et aux familles.
L’adoption unanime par le Sénat de cette résolution est un appel à la mobilisation de tous, en particulier du Gouvernement, pour faire cesser le scandale du sans-abrisme. (M. Ian Brossat applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bourcier.
Mme Corinne Bourcier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord mes collègues qui ont tenu à mettre en lumière ce sujet si grave. Dans le Maine-et-Loire, le nombre d’enfants à la rue a diminué de 50 % entre 2023 et 2024. C’est encourageant, mais c’est encore insuffisant.
À l’échelle nationale, en revanche, leur nombre a augmenté de 120 % depuis 2020. Nous sommes malheureusement encore loin de l’objectif promis de « zéro enfant à la rue ». Sur ces 2 000 enfants, près d’un quart ont moins de 3 ans. Et, en Europe, 400 000 enfants vivraient à la rue.
Pire encore, ces chiffres sont bien loin de refléter l’ampleur de la réalité : ils ne prennent en considération que les appels au 115. Ils ne tiennent pas non plus compte de tous ceux qui vivent dans des abris tels que des squats ou des logements insalubres ou surpeuplés.
Les conséquences du sans-abrisme sont terribles, pour tous, adultes comme enfants. Mais, pour ces derniers, il revêt un caractère particulièrement injuste et révoltant, car il les prive d’un environnement sûr et stable, pilier indispensable à leur équilibre.
Un enfant sans abri, ce n’est pas qu’un problème de logement.
Le sans-abrisme des enfants a des répercussions sur leur présent et sur leur avenir. Il met en danger leur santé physique autant que mentale, ainsi que leurs capacités d’apprentissage, et compromet sérieusement leurs chances de réussite scolaire. L’absence de domiciliation peut rendre plus difficile l’inscription même à l’école.
Un enfant devrait vivre le présent avec insouciance et rêver de son avenir, et non lutter chaque jour pour le lendemain.
Un enfant qui vit dans la rue, c’est l’échec d’une responsabilité collective : celle de l’État, celle des départements et celle des parents. N’ayons pas peur des mots : faire vivre son enfant dans la rue, c’est de la maltraitance, même involontaire.
Pourtant, le nombre d’hébergements d’urgence n’a jamais été aussi élevé. Mais ces solutions seront toujours insuffisantes, car le nombre de personnes sans abri augmente lui aussi. Et elles ne sont, par définition, que temporaires. Malgré tout, à titre personnel, je pense qu’il faut continuer de proposer davantage de places d’hébergement d’urgence, car il n’est pas acceptable que 28 000 enfants vivent dans des hôtels. Ce n’est pas adapté à la vie de famille.
Mais proposer de véritables solutions implique que l’on apporte des réponses de long terme. Surtout, il importe de dégager des moyens permettant d’intervenir, en matière d’accompagnement éducatif et social des enfants et des familles, le plus en amont possible des difficultés, et d’éviter les ruptures de prise en charge.
Une fois que l’on a dit cela se pose la question des financements. Certains départements sont déjà à bout de souffle : ils ne peuvent pas faire davantage, alors qu’ils doivent déjà opérer des choix difficiles pour l’accomplissement de l’intégralité de leurs missions. Sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, le Gouvernement doit donc agir en concertation avec eux. Il faut des logements pérennes. Les enfants et leurs familles doivent avoir un toit, une vie normale.
Par ailleurs, nous sommes nombreux à entendre dire régulièrement qu’il existe un manque de logements en France – plus précisément, un prétendu manque de logements sociaux. Or, s’il y a bien une crise du logement, elle relève peut-être davantage d’une crise des prix ou de l’attractivité de certaines zones que d’un manque en tant que tel.
Pour ce qui est du logement social, comment ne pas être tenté de prendre le problème dans l’autre sens, quand on sait que 70 % des ménages français y seraient éligibles ? Ne faudrait-il pas reconsidérer les critères ouvrant droit au bénéfice et, surtout, à la rétention sur la durée d’un logement social ? Ne faudrait-il pas vérifier que ce type de logements bénéficie bien aux bonnes personnes ?
On constate que la socialisation accrue du parc immobilier est peut-être l’une des causes du problème, puisqu’elle conduit à une pénurie de logements pour celles et ceux qui en ont réellement besoin. L’observatoire du sans-abrisme doit permettre de documenter précisément ce phénomène, qui pose aujourd’hui un grave souci. Nous disposerons ainsi de chiffres objectivés et actualisés pour mieux agir.
Enfin, je souhaite profiter de l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer pour remercier toutes les associations d’aide aux sans-abri. Merci à celles et ceux qui, chaque jour, accompagnent les enfants et leurs familles.
Parce que le moindre enfant qui grandit dans la rue représente à lui seul une situation inacceptable, le groupe Les Indépendants soutiendra cette proposition de résolution. (M. Michel Masset applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Jean-Baptiste Blanc applaudit également.)
Mme Valérie Létard, ministre auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée du logement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord, permettez-moi de remercier le groupe CRCE-K d’avoir pris l’initiative de cette proposition de résolution, présentée il y a quelques instants par M. Brossat. Je tiens plus particulièrement à saluer Cécile Cukierman, qui a fait en sorte que l’on puisse en débattre et mettre ce sujet éminemment important à l’ordre du jour du Sénat.
Car, s’il est une évidence, c’est bien celle que nous ne pouvons pas laisser se développer la misère que l’on observe encore bien trop souvent dans notre pays, a fortiori quand elle frappe les enfants. Cela n’est évidemment pas digne d’une société qui se dit et se veut solidaire. La réalité du sans-abrisme est insupportable pour tous ceux qui la subissent et, en premier lieu, pour les enfants. C’est pourquoi nous devons continuer à combattre ce fléau sans relâche.
Je ne paraphraserai pas ce que chacun des orateurs a décrit méthodiquement et scrupuleusement, en livrant des témoignages qui sont tous plus touchants les uns que les autres. Le sujet est bien sûr au cœur de l’attention de tous, de vous comme des membres du Gouvernement. Je partage votre préoccupation dans un contexte que vous savez difficile – nous avons eu ce débat il y a très peu de temps.
Je rappellerai un certain nombre des solutions qui ont été construites au fil du temps par le Gouvernement, que nous continuons à mettre en œuvre et que nous ne cessons d’améliorer en grande partie grâce au travail mené, ici, au Sénat.
Vous faites en effet partie de ceux, mesdames, messieurs les sénateurs, qui ont permis de faire évoluer les choses lors de la dernière discussion budgétaire, comme le rappelait Jean-Baptiste Blanc tout à l’heure. En ces moments où il faut faire des choix, car, chacun l’a compris, l’année 2026 sera plus compliquée encore que 2025 – on ne pourra évidemment pas financer toutes les politiques à la même hauteur qu’aujourd’hui –, le rôle du Sénat, du Parlement en général, sera absolument essentiel, éminemment politique au sens le plus noble du terme.
Il s’agira d’un moment décisif : sur le fondement d’un projet qui sera proposé par le Gouvernement, il faudra choisir et établir des priorités. Très honnêtement, je pense que le sans-abrisme en est une et que cette question mérite que l’on s’y penche davantage. Pour ma part, je porterai la parole du Sénat sur le sujet, parce que je la partage, et je ne manquerai pas d’évoquer les difficultés que vous avez mentionnées.
J’ai bien noté ce à quoi vous aspiriez pour le budget initial de l’hébergement d’urgence ; j’ai entendu le constat que vous dressiez sur les 2,9 milliards d’euros consacrés à cette politique du logement, et plus précisément, sur les 200 millions à 250 millions d’euros de surexécution de crédits que vous avez déplorés. Nous avons bien en tête ces sujets. Tout ce qui permettra de poser clairement les enjeux au début de la préparation du prochain projet de loi de finances facilitera les choses. La question du sans-abrisme des enfants fait partie des débats qu’il faudra ouvrir, et dans lequel vous devrez peser.
En ce qui me concerne, je le redis, je défendrai la position que vous avez relayée ce soir au moment des discussions et des arbitrages budgétaires. Cela étant, il est certain – vous le savez tout aussi bien, si ce n’est mieux que moi – que la conjonction de nos volontés nous donnera davantage de chances d’aboutir. Les constats que vous avez mis en avant doivent nourrir notre réflexion et appeler l’attention sur la nécessité d’être au rendez-vous de la lutte contre le sans-abrisme et de la protection de nos enfants.
Depuis dix ans, des moyens importants ont été déployés pour faire face aux besoins exceptionnellement croissants en matière d’hébergement. Le parc d’hébergement d’urgence a, vous le savez, subi les conséquences des différentes crises mondiales, lesquelles ont suscité des flux migratoires importants et conduit à accroître fortement les besoins de prise en charge.
Les crédits consacrés à l’hébergement d’urgence ont triplé et atteignent 2,9 milliards d’euros cette année. L’action du Gouvernement s’articule autour de deux axes.
Le premier consiste en la mise en œuvre des plans Logement d’abord, dont l’objectif est d’accélérer l’accès au logement des ménages sans domicile, avec un accompagnement adapté lorsqu’il est nécessaire. Ces plans, mis en œuvre chaque année depuis 2017 – cette année, les crédits s’élèvent à 29 millions d’euros au total –, ont permis d’aider un nombre considérable de gens brisés par la vie à reprendre leur route ou, tout au moins, à mieux assumer les chocs successifs dont ils avaient été les victimes. L’accès et le maintien dans le logement sont un levier indispensable à l’insertion sociale et professionnelle des familles.
Faciliter l’accès au logement n’est du reste possible que si l’on agit sur le continuum. Faut-il toujours mettre plus d’argent pour l’hébergement d’urgence ? Faut-il vraiment y consacrer plus de 3 milliards d’euros ? L’idéal serait que l’on puisse, demain, renforcer les moyens en matière de construction de logements sociaux : c’est en se fixant des objectifs plus ambitieux dans ce domaine que l’on remettra de la fluidité et que l’on dégagera des solutions pour accompagner nos concitoyens en difficulté vers le logement pérenne.
C’est ce continuum en matière de logement, qui repose sur une acception bien plus large que celle de l’hébergement, qui permettra de sortir de la seule solution de l’accueil d’urgence et de réduire à terme les crédits qui lui sont alloués. C’est ainsi, en effet, que nous serons en mesure d’accompagner les personnes précaires vers le logement.
Il s’agit d’une réflexion qu’il nous faudra engager dans des délais raisonnables. C’est aussi pourquoi, cette année, nous avons souhaité redonner des capacités d’achat aux bailleurs sociaux grâce à la réduction de loyer de solidarité (RLS), dont la ponction a été diminuée de 200 millions d’euros, en plus de la baisse du taux du livret A. Un engagement a ainsi été signé avec l’Union sociale pour l’habitat (USH) pour la construction de 116 000 logements sociaux neufs et la rénovation de 120 000 autres logements, ce qui montre bien la volonté du Gouvernement d’agir sur tous les leviers.
Cette initiative montre le chemin que nous souhaitons emprunter en la matière : n’agir que sur le seul hébergement n’aurait pas fonctionné. Il faut être aussi au rendez-vous de la production de logements sociaux.
Je tiens à cet égard à saluer toutes les collectivités qui se sont inscrites dans la dynamique des quarante-six territoires engagés depuis 2017 dans les plans Logement d’abord. Face à des besoins croissants en matière d’hébergement, je reste convaincue que seule une coopération renforcée entre associations, collectivités territoriales et État permettra d’apporter des réponses concrètes et durables. Je le dis, non pas pour me défausser, mais parce que, dans une période aussi difficile, il importe que chacun se mobilise et redouble d’efforts pour réussir.
Depuis 2018, je tiens à rappeler que ce sont au total 650 000 personnes, dont 146 000 enfants, qui ont pu accéder à un logement grâce à l’essor des attributions de logements sociaux, à la création de places en intermédiation locative et au renforcement de l’accompagnement social.
Si l’objectif premier est d’accélérer les sorties vers le logement pérenne, il est aussi indispensable de développer des solutions d’hébergement pour ne laisser aucun enfant grandir à la rue ou dans un état de précarité préjudiciable à sa santé, à son éducation et, plus globalement, à son développement.
Aussi, le deuxième axe de l’action du Gouvernement consiste à garantir la mise à l’abri inconditionnelle des personnes grâce à un parc d’hébergement suffisamment étendu pour apporter une solution immédiate aux personnes en situation de grande détresse. Même s’il nous faut continuer à progresser, le nombre de places au titre de l’hébergement généraliste a augmenté de 65 % par rapport à fin 2016 et s’élève désormais à 203 000 au niveau national. Ce n’est certes pas encore totalement satisfaisant, mais vous admettrez que les progrès sont significatifs.
Par ailleurs, grâce à l’augmentation des effectifs des services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO), chargés du 115 et des maraudes, le repérage, l’évaluation et la prise en charge des personnes sans abri se sont accrus. L’objectif du deuxième plan Logement d’abord est de consolider encore davantage leur place dans l’accompagnement des personnes à la rue et, notamment, des familles.
La dernière période hivernale a fait l’objet d’une attention toute particulière. L’instruction ministérielle du 5 novembre 2024, que j’ai signée, a renforcé l’action des services de l’État en période de grand froid, en prévoyant l’élargissement des horaires des accueils de jour, l’ouverture de centres d’accueil nocturnes exceptionnels et l’intensification des maraudes pour offrir boissons chaudes, couvertures et solutions d’hébergement. À partir du 1er novembre, cette mobilisation exceptionnelle a permis aux préfets d’activer vingt-huit plans Grand froid, de renforcer les dispositifs dans cinquante-six départements et d’ouvrir près de 2 000 places supplémentaires.
Nous devons poursuivre notre mobilisation. C’est pourquoi je tiens à souligner les initiatives suivantes.
Tout d’abord, et malgré la situation budgétaire nationale, le Gouvernement a préservé, pour 2025, le parc d’hébergement au niveau de 203 000 places, ce qui n’était pas joué d’avance…
Une attention particulière sera portée aux enfants et aux femmes à la rue grâce à l’adoption d’un amendement tendant à l’octroi de 20 millions d’euros supplémentaires, défendu par votre assemblée et soutenu par le Gouvernement lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, amendement qui a donné lieu à un débat en commission mixte paritaire.
Ces crédits permettront de créer dans les prochains mois 2 000 places d’hébergement spécialisé pour les femmes victimes de violences ou à la rue avec leurs enfants, qui viendront ainsi compléter les 11 000 places existantes, ainsi que les 2 500 places pour les femmes sortant de maternité avec leurs bébés. Ces places spécialisées ont un coût à la place plus élevé que les autres, car elles impliquent un accompagnement social plus qualitatif, notamment des enfants.
J’en profite pour saluer ici l’engagement de la délégation sénatoriale aux droits des femmes sur le sujet, et plus particulièrement les travaux de la présidente Dominique Vérien, des sénatrices Agnès Evren, Laurence Rossignol, Marie-Laure Phinera-Horth et Olivia Richard. Elles ont, par leur réflexion, contribué significativement à l’action qui est la nôtre.
Ensuite, l’État maintient son engagement en faveur de l’amélioration des conditions de vie dans l’ensemble du parc d’hébergement. Le programme d’humanisation, géré par l’Agence nationale de l’habitat (Anah) et doté de 10,3 millions d’euros en 2025, a été mis en place pour réaliser des travaux d’amélioration du bâti et adapter les logements aux besoins des enfants et des familles, notamment par la création d’espaces partagés, de cuisines, ou encore d’espaces de jeu.
En outre, je tiens à insister sur le fait que l’accès à l’alimentation est un enjeu primordial pour améliorer les conditions de vie, notamment des ménages hébergés à l’hôtel. Je souhaite rappeler qu’en 2021 l’État a financé, dans le cadre du plan France Relance et de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, l’ouverture d’une soixantaine de tiers-lieux alimentaires pour les ménages et les enfants hébergés à l’hôtel, pour un total de 25 millions d’euros. La reconduction de ces espaces a été prévue dans le cadre du pacte des solidarités : elle contribue à la poursuite des initiatives autour de l’accès des familles, et notamment des enfants, à une alimentation saine et variée.
Les mesures déjà mises en œuvre et celles qui sont à venir visent à prévenir l’exposition des enfants aux situations de précarité, notamment dans la rue, car celles-ci ont ensuite de graves conséquences sur leur santé et leur développement. C’est pourquoi l’accompagnement des personnes sans abri souffrant de troubles psychiques, en particulier dans les familles avec enfants, est au cœur du dispositif « Un chez soi d’abord », qui, expérimenté depuis 2011, a prouvé toute son efficacité pour répondre concrètement à ces besoins spécifiques de prise en charge.
Je travaille en lien étroit avec mes collègues du ministère du travail, de la santé, des solidarités et des familles, dans le cadre de la grande cause nationale pour l’année 2025 de la santé mentale, pour amplifier ces initiatives, notamment en direction des enfants.
Enfin, la question du sans-abrisme, notamment celui des enfants, implique de renforcer l’approche globale et intégrée adoptée pour son pilotage. Il s’agit de déployer une véritable stratégie interministérielle mobilisant les ministères compétents et les acteurs de bonne volonté autour d’une feuille de route concrète et pragmatique.
Pour accroître notre connaissance du sans-abrisme, je mobiliserai l’Insee pour réaliser une enquête en 2025 : cette enquête, qui associera autour des services de l’État le secteur associatif, décisif par sa connaissance de la réalité des phénomènes, et les collectivités, nous permettra de disposer d’une vision claire et objectivée des besoins. Cette enquête est prioritaire, car la dernière date de 2012. Ses conclusions conduiront à la consolidation des axes de la politique structurelle que j’entends mener pour lutter contre le sans-abrisme.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement poursuit son action volontariste sur le sujet prioritaire du sans-abrisme, notamment à l’égard des enfants, afin d’y apporter des solutions concrètes, pérennes et adaptées.
Ce sera un combat ; cette cause qui m’apparaît essentielle nécessite que nous nous mobilisions tous. Une société moderne, humaine et solidaire n’abandonne pas les plus précaires, les plus fragiles que sont nos enfants à la rue. Nous devons leur venir en aide et être au rendez-vous. C’est ce que je pense sincèrement. Il faudra agir à la mesure des moyens que nous serons en mesure de dégager, des moyens que nous tâcherons de déployer le plus efficacement possible. C’est une nécessité : il y va de l’honneur de notre République ! (Applaudissements.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution visant à mettre fin au sans-abrisme des enfants
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu l’article 50 bis du Règlement du Sénat,
Vu la Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989,
Vu l’observation générale n° 21 (2017) du 21 juin 2017 du Comité des droits de l’enfant sur les enfants en situation de rue,
Vu les observations finales du Comité des droits de l’enfant du 2 juin 2023 relatives aux sixième et septième rapports périodiques de la France,
Vu l’article L. 300-1 du code de la construction et de l’habitation,
Vu l’article L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles,
Vu la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, et notamment l’article 170 définissant les objectifs et les indicateurs associés conformément à la répartition par mission donnée à l’état G annexé,
Vu la proposition de résolution n° 2046 (16e législature) du 26 décembre 2023 de M. Jean-Paul Mattei, député, et de plusieurs de ses collègues, visant à accentuer les efforts pour favoriser l’accès de tous au logement,
Vu le deuxième plan quinquennal pour le Logement d’abord (2023-2027), Agir, prévenir, construire, pour lutter contre le sans-abrisme,
Vu le rapport d’information du Sénat n° 15 (2024-2025) du 8 octobre 2024, de Mmes Agnès Evren, Marie-Laure Phinera-Horth, Olivia Richard et Laurence Rossignol, fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur « les femmes sans-abri »,
Vu la neuvième édition du rapport « Regard sur le mal-logement en Europe » de la Fondation Abbé Pierre et de la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri, présenté le 19 septembre 2024,
Vu le vingt-neuvième rapport de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-logement en France 2024, présenté le 31 janvier 2024,
Vu le baromètre des enfants à la rue 2024 de la Fédération des acteurs de la solidarité et de l’UNICEF France, présenté le 29 août 2024,
Vu le rapport Grandir sans chez-soi de l’UNICEF France et du Samu social de Paris, en collaboration avec Santé publique France, du 10 octobre 2022,
Considérant les difficultés croissantes d’accès et de maintien dans le logement dans un contexte de crise persistant ;
Estimant qu’il est nécessaire de recentrer l’hébergement sur sa fonction de réponse immédiate et inconditionnelle aux situations de détresse et de favoriser un accès plus direct au logement, conformément aux principes du « Logement d’abord » ;
Observant que les familles avec enfants représentent une part importante et croissante de la population sans-domicile ;
Déplorant les conséquences néfastes de l’absence de domicile sur l’ensemble des environnements dans lesquels évoluent les enfants, leur santé, leur développement et l’effectivité de leurs droits ;
Appelle le Gouvernement à élaborer des propositions en matière d’hébergement et de logement, incluant une attention spécifique aux enfants et aux familles ;
Invite le Gouvernement à inclure dans ces propositions des objectifs ambitieux en termes de production de logements abordables et adaptés aux besoins des familles ;
Invite le Gouvernement à engager une transformation qualitative du parc d’hébergement se traduisant, entre autres, par une transformation de l’offre actuelle de nuitées hôtelières et une adaptation du parc aux besoins spécifiques des familles ;
Demande au Gouvernement de doter les services intégrés d’accueil et d’orientation et les structures d’hébergement de financements adaptés et sécurisés pour garantir un accompagnement global, sans rupture et prenant en considération les besoins spécifiques des enfants ;
Souligne l’intérêt de relancer les travaux de l’Observatoire du sans-abrisme afin de fonder ces politiques sur une connaissance fine des besoins ;
Demande à ce que soit assurée la continuité de la prise en charge de chaque enfant entre les départements et l’État afin d’éviter toute rupture dans l’accès à un hébergement stable, aux soins, à l’éducation et à un accompagnement social adapté ;
Demande au Gouvernement de renforcer la capacité du parc d’hébergement afin que plus aucun enfant ne dorme dans la rue.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.
Je vais mettre aux voix la proposition de résolution.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 236 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 341 |
Contre | 0 |
Le Sénat a adopté à l’unanimité. (Bravo ! et applaudissements.)
8
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 20 mars 2025 :
De dix heures trente à treize heures et de quatorze heures trente à seize heures :
(Ordre du jour réservé au groupe Les Indépendants)
Proposition de loi relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues, présentée par Mme Laure Darcos et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 434, 2024-2025) ;
Débat sur le thème « Revente de billets pour les manifestations sportives et culturelles : quelles actions pour protéger les consommateurs et lutter contre les fraudes et la spéculation ? ».
À l’issue de l’espace réservé au groupe Les Indépendants et au plus tard de seize heures à vingt heures :
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
Proposition de loi visant à reconnaître le préjudice subi par les personnes condamnées sur le fondement de la législation pénalisant l’avortement, et par toutes les femmes, avant la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse, présentée par Mme Laurence Rossignol et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 432, 2024-2025) ;
Proposition de loi visant à adapter les enjeux de la rénovation énergétique aux spécificités du bâti ancien, présentée par M. Michaël Weber et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 425, 2024-2025).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-deux heures cinquante.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER