compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Alexandra Borchio Fontimp,
Mme Véronique Guillotin.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes suivi d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.
Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes. (M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes sont introduits dans l’hémicycle selon le cérémonial d’usage.)
Monsieur le Premier président, monsieur le rapporteur général de la Cour des comptes, c’est avec plaisir que nous vous accueillons ce matin pour notre traditionnel débat sur le rapport public annuel de la Cour.
Il s’agit d’un rendez-vous important, car il nous apporte un éclairage précieux pour l’exercice de notre mission constitutionnelle de contrôle de l’action du Gouvernement.
Vos conclusions et les orientations qui les accompagnent nourrissent également nos débats législatifs.
Je vous remercie donc de votre présence, mais aussi – je tiens à le dire – pour la qualité de la relation entre la Cour, nos commissions et le Sénat tout entier.
Comme chaque année, je donnerai la parole aux présidents de la commission des finances et de la commission des affaires sociales, puis à un représentant de chaque groupe politique, afin que le Sénat puisse s’exprimer, dans toute sa diversité, sur les observations et recommandations formulées dans ce rapport public annuel.
Monsieur le Premier président, la Cour s’est penchée cette année sur l’importance des politiques publiques en faveur de la jeunesse. L’effort de la Nation en ce domaine est aujourd’hui réel ; nous vous écouterons avec intérêt sur l’évaluation de son ampleur et de son efficacité.
En tout état de cause, il reste, vous le soulignez, des défis à relever.
Au premier rang de ces défis figurent les disparités territoriales – nous venons d’échanger à ce sujet –, qui affectent notamment les zones rurales et l’outre-mer, où la question de l’égalité d’accès aux services publics est prégnante ; notre assemblée s’en fait souvent l’écho.
Le Sénat est d’ores et déjà à la tâche sur ces questions.
Notre assemblée représente les collectivités territoriales, elles-mêmes en première ligne pour ce qui est de ces politiques ; nul doute, donc, qu’elle se saisira de votre rapport.
Monsieur le Premier président, je vous invite maintenant à rejoindre la tribune : vous avez la parole. (M. le Premier président remet à M. le président du Sénat un exemplaire du rapport public annuel de la Cour des comptes.)
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par remercier le président du Sénat des mots de bienvenue qu’il a adressés et de l’accueil qu’il a réservé, comme d’habitude, à la Cour. Ces mots et cet accueil traduisent la qualité des liens qui unissent nos deux institutions, et vous savez combien j’y suis attaché.
Comme l’un de mes illustres prédécesseurs, Philippe Séguin, aimait à le dire, la Cour se trouve à équidistance entre le législatif et l’exécutif, ce qui signifie qu’elle répond plus que volontiers aux demandes du Parlement, en particulier à celles de la Haute Assemblée. Du reste, le travail que nous réalisons avec les commissions des finances et des affaires sociales du Sénat se déroule toujours dans les meilleures conditions.
Le rapport public annuel (RPA) 2025, que je m’apprête à vous présenter, est le fruit d’un travail accompli collectivement par l’ensemble des chambres de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes.
Je tiens à remercier chaleureusement le rapporteur général de la Cour ici présent, les présidentes et présidents de chambre, les deux rapporteurs généraux de ce volumineux rapport, ainsi que toute l’équipe qui a contribué à son élaboration. Je remercie également le groupe d’experts, composé d’une dizaine d’universitaires et de chercheurs spécialistes de la jeunesse, qui a accompagné la Cour tout au long de la préparation de ce document. Le recours à des spécialistes est une innovation de cette année, que nous reproduirons : ces dix spécialistes, chercheurs, professeurs ou médecins, nous ont apporté un éclairage précieux.
La parution de notre rapport public constitue un événement annuel historique pour la Cour : nous nous prêtons à cet exercice important depuis 1832, soit quelques années seulement après la création de l’institution par Napoléon, en 1807. J’y suis donc très attaché et nos concitoyens y sont très attentifs.
Cet exercice, vous le savez, a changé de nature depuis 2022 : la Cour publie désormais tous ses rapports et, dans ces conditions, il n’était plus pertinent de publier une sorte de mélange de nos principales observations. Le rapport prend donc la forme d’une publication thématique, centrée sur une problématique choisie collégialement.
Notre choix s’est porté cette année sur le thème des politiques publiques en faveur des jeunes. C’était en quelque sorte une évidence, tant la France, comme les autres pays européens, entre dans un tournant en matière démographique. Dans ce contexte, l’action publique à destination de la jeunesse est tout à la fois une nécessité, une chance et une source d’immenses défis. Les politiques conduites en ce domaine ne sont pas seulement une réponse à des besoins immédiats ; elles sont aussi un investissement stratégique visant à bâtir une société plus résiliente, plus prospère et plus équitable.
La jeunesse n’a pas de définition juridique : beaucoup de chercheurs considèrent qu’il est très difficile de la définir en soi. Elle désigne pour chacun une période de construction de l’identité, marquée par des défis psychologiques et des basculements. Sans accompagnement, nous le savons, ces basculements peuvent être source de vulnérabilité, d’exclusion ou d’échec.
Pour ce rapport public annuel, les juridictions financières ont privilégié une tranche d’âge, celle des 15-25 ans, soit les dix années qui vont de la sortie du collège à l’acquisition de l’ensemble des droits sociaux et fiscaux, le dernier de ces acquis étant l’accès au revenu de solidarité active (RSA), à 25 ans. Aussi notre rapport ne traite-t-il ni du collège ni de l’école primaire ; mais nous aurons l’occasion de revenir prochainement sur ce dernier point en rendant public un rapport important.
Les jeunes âgés de 15 à 25 ans étaient 9 millions en France en 2024, soit 13,2 % de la population. Tournant démographique oblige, cette proportion va toutefois baisser de façon alarmante : selon l’Insee, d’ici à une dizaine d’années, elle sera inférieure à la proportion des plus de 75 ans.
Autre caractéristique, et à cet égard nous nous montrons confiants, sinon optimistes, alors que l’on nous reproche parfois d’être trop critiques : l’accès de la jeunesse à l’autonomie est globalement une réussite dans notre pays. Les jeunes achèvent leurs études en moyenne à 21 ans et demi, et plus de la moitié d’entre eux sont diplômés du supérieur, proportion supérieure à la moyenne européenne, qui s’établit à 42 %. Les jeunes Français quittent le domicile parental à 23 ans et demi, âge moyen certes plus élevé qu’il y a quelques années, mais moins élevé que chez nos partenaires européens. Surtout, l’entrée des jeunes dans la vie active est massivement réalisée à 25 ans : 88,5 % des 15-24 ans sont en études, en formation ou en emploi.
Les politiques publiques en faveur des jeunes sont un enjeu massif en matière de dépenses publiques. La Cour a calculé le montant des dépenses de l’État spécifiquement destinées aux jeunes âgés de 15 à 25 ans : nous les avons estimées à 53,4 milliards d’euros, soit 12 % du budget de l’État et 2 % du PIB ; encore faut-il préciser que ce chiffre comprend uniquement les mesures spécifiques aux jeunes et ne prend pas en compte les dépenses publiques générales ou sectorielles qui les concernent également.
Les dépenses d’éducation – cela ne surprendra personne – représentent les quatre cinquièmes de cette dépense, soit plus de 40 milliards d’euros. L’effort financier déployé pour la jeunesse est donc bien réel, d’autant que s’y ajoute bien entendu l’action des collectivités locales et des organismes de sécurité sociale, qu’il est très difficile de chiffrer isolément.
Autre défi pour l’action publique : les jeunes sont particulièrement exposés aux inégalités – vous le disiez, monsieur le président –, qu’elles soient économiques, sociales, éducatives ou territoriales, c’est-à-dire géographiques. Le taux de pauvreté des jeunes de 18 à 25 ans demeure en France de 10 %, niveau élevé quoique inférieur à celui qui est observé en Allemagne ou en moyenne dans les pays de l’OCDE.
Les inégalités territoriales ressortent aussi très fortement de notre rapport : inégalités d’accès à l’enseignement supérieur, aux transports collectifs, à la pratique sportive ou à l’emploi, selon que l’on est jeune rural, urbain, ultramarin ou résident d’un quartier prioritaire de la politique de la ville. Je citerai un chiffre, un seul, pour illustrer ces disparités : 20 % des jeunes ruraux accèdent à l’enseignement supérieur, contre 32 % des jeunes urbains, alors même que les jeunes ruraux ont de meilleurs résultats. Cela veut bien dire que les premiers sont confrontés à toute une série de blocages ou d’obstacles, qu’il convient de lever.
La pluralité de cette jeunesse pose un autre défi majeur : l’élaboration de politiques publiques efficaces et ciblées. Depuis les années 1980, avec des hauts et des bas au gré des alternances, la jeunesse a été érigée en priorité des politiques publiques. Longtemps, ces politiques ont été centrées sur l’insertion professionnelle ; s’y sont ajoutées, depuis 2009, des priorités telles que l’autonomie, l’égalité des chances et la participation à la vie publique.
Cette impulsion a conduit à la multiplication des instruments déployés : Fonds d’expérimentation pour la jeunesse, Agence du service civique, service public de l’orientation, RSA jeunes, etc. Ces politiques en faveur des jeunes manquent néanmoins d’une approche structurée et coordonnée. Leur gouvernance est fragmentée entre les très nombreux acteurs impliqués : les jeunes eux-mêmes, bien sûr, leurs familles, évidemment, mais aussi les associations, et un nombre considérable d’acteurs publics aux niveaux national et local.
Il n’existe pas d’organisation chapeautant une politique unique en faveur de la jeunesse, conçue comme un tout et qui serait à même d’en répondre devant le Parlement et les citoyens.
L’ensemble des enjeux que je viens d’énumérer se cristallisent en définitive autour de grandes questions, que nous avons traitées tout au long des seize monographies composant le rapport : qu’en est-il de la qualité de la dépense publique en faveur de la jeunesse ? Quel devrait être l’équilibre entre les mesures réservées aux jeunes, d’une part, et les politiques de portée générale auxquelles ils ont accès, d’autre part ? Quid du ciblage des dispositifs vers les jeunes les plus en difficulté ?
Cela n’a pas dû vous échapper : l’édition 2025 de notre rapport public annuel ne comporte plus de chapitre préliminaire consacré à la situation des finances publiques. Nous avons en effet décidé de décorréler ce chapitre du rapport public annuel pour le publier sous forme de rapport ad hoc : ce fut chose faite le 13 février dernier, dans le cadre d’une alerte spécifique liée à une période sensible et compliquée.
Le présent rapport est donc composé de seize chapitres thématiques correspondant à autant de monographies sur les politiques publiques en faveur des jeunes. Je précise d’emblée qu’il s’agit non pas d’une analyse exhaustive de toutes les politiques destinées aux jeunes, mais d’une image concrète des mesures qui ont été jusqu’à présent mises en œuvre, des résultats obtenus et des défis que la France doit encore relever.
Ces seize chapitres s’articulent autour de quatre prismes structurants pour l’action publique. Je n’aurai pas le temps de revenir sur chacun des chapitres – vous en faire la présentation détaillée serait inutile –, mais je vous invite chaleureusement, mesdames, messieurs les sénateurs, à les consulter et à m’interroger autant que de besoin, si vous le souhaitez, à l’issue de mon propos.
La première partie de notre rapport porte sur l’accès des jeunes à l’éducation et à la formation. Elle est elle-même composée de quatre enquêtes traitant successivement de l’orientation, de l’obligation de formation des jeunes âgés de 16 à 18 ans en décrochage, de la prévention de l’échec universitaire et de l’accès des jeunes ruraux à l’enseignement supérieur.
Je dirai quelques mots de l’orientation au collège et au lycée. Malgré l’importance de l’enjeu et malgré son coût, qui est de quelque 400 millions d’euros, cette politique ne permet pas de dépasser les déterminismes, les stéréotypes et les inégalités entre filières. La Cour préconise notamment de rendre obligatoires des modules relatifs à l’orientation dans la formation initiale des enseignants, qui sont désormais chargés de cette mission avec les régions, et d’adapter leurs emplois du temps pour qu’ils assument pleinement cette compétence.
J’aimerais également insister sur l’enquête que nous avons consacrée à l’accès des jeunes ruraux à l’offre d’enseignement supérieur. J’ai déjà dit les chiffres : nous constatons que les jeunes ruraux accèdent beaucoup moins fréquemment que les jeunes urbains à l’enseignement supérieur et que, le cas échéant, ils accèdent à une offre moins développée, davantage orientée vers les cursus courts. Et pourtant – le paradoxe est là –, leurs résultats aux examens sont meilleurs. Cela signifie que leurs difficultés d’accès proviennent non de je ne sais quelles caractéristiques sociales ou culturelles, mais bien de caractéristiques territoriales et de freins individuels, qui peuvent n’être pas sans rapport, d’ailleurs, avec certains stéréotypes.
Dans ce contexte, il est surtout nécessaire de favoriser la mobilité des jeunes ruraux vers les pôles de formation. Nous recommandons notamment de réexaminer les modalités d’attribution des bourses pour mieux tenir compte de l’éloignement géographique dans le calcul des aides.
La deuxième partie de notre rapport traite de l’aide à l’entrée des jeunes dans la vie active et l’autonomie. Il comporte lui aussi quatre chapitres qui traitent successivement de l’emploi, du logement, de la mobilité en transports collectifs et du soutien des jeunes majeurs sortant de l’aide sociale à l’enfance (ASE).
J’évoquerai brièvement la question de l’emploi. Depuis 2017, le niveau d’emploi des jeunes s’améliore, surtout grâce à l’alternance. Parallèlement, on le sait, le coût des dispositifs associés a explosé pour atteindre 7,3 milliards d’euros en 2023. Par ailleurs, des difficultés structurelles persistent : si, je l’ai dit, l’entrée dans l’autonomie est globalement plutôt réussie, plus de 10 % des jeunes ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation.
L’accès à l’emploi reste très dépendant du diplôme et les inégalités territoriales sont fortes, en particulier en défaveur des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville. La Cour recommande, comme elle l’a fait à de nombreuses reprises, de formaliser une stratégie contracyclique pour l’emploi des jeunes, mieux articulée avec le droit commun et mieux ciblée sur les jeunes les plus éloignés de l’emploi.
Nous avons aussi examiné l’accès des jeunes au logement, qui est la première condition de leur accès à la formation et à l’emploi, donc à l’autonomie. Les spécificités des jeunes en matière de logement sont nombreuses : mobilités fréquentes, recherche de petites surfaces en ville, durées limitées, revenus faibles ; elles les rendent très vulnérables.
Or la politique du logement en faveur de la jeunesse est très fragmentée. Il faut agir à l’échelle de chaque territoire, en renforçant la coordination locale et en veillant au partage d’expériences entre territoires, grâce à la désignation d’un chef de file à l’échelon national.
L’emploi comme le logement impliquent parfois une mobilité géographique importante, en particulier pour les jeunes situés dans les zones rurales ou périurbaines.
C’est pourquoi j’aimerais également vous livrer certains de nos constats sur la mobilité des jeunes en transports collectifs. Quelque 38 % des jeunes ruraux ont déjà renoncé à un entretien d’embauche en raison de difficultés de déplacement.
Les autorités organisatrices de la mobilité ont pour stratégie d’octroyer aux jeunes des réductions tarifaires, sans cibler les plus défavorisés et au prix de pertes de recettes. Or c’est non pas le prix, mais plutôt le manque d’offre, notamment dans les zones périurbaines et rurales, qui entrave la mobilité des jeunes. Nous préconisons donc d’améliorer la connaissance de ce dont ils ont besoin pour se rendre au travail, de mieux tenir compte des ressources dans l’octroi d’avantages tarifaires et de mieux coordonner l’offre entre collectivités.
J’en arrive à la troisième partie du rapport, où sont examinées les politiques de prévention à destination de la jeunesse, qu’il s’agisse d’encourager les pratiques sportives, de prévenir les addictions ou de lutter contre les mauvaises habitudes alimentaires. Le maître mot, ici, est celui d’« inégalités ».
Pour ce qui concerne le sport, les chiffres globaux sont excellents : près de 80 % des jeunes Français sont des sportifs réguliers et la France compte 16,5 millions de licenciés. On observe toutefois un très fort décrochage des pratiques sportives entre 15 et 25 ans. En outre, les politiques publiques s’adressent davantage aux jeunes déjà sportifs qu’aux profils les plus éloignés d’une pratique, comme les femmes, les jeunes en situation de handicap ou ceux qui sont en difficulté socio-économique. Ces profils devraient être les cibles d’une stratégie définie et mise en œuvre par l’État en lien avec les collectivités et les acteurs privés du sport.
Nous avons également mené une enquête sur les addictions des jeunes aux drogues et à l’alcool, enjeu crucial pour notre pays. Un jeune sur dix s’estime dépendant aux drogues ou à l’alcool et 2,6 % des jeunes déclarent consommer de l’alcool quotidiennement !
La Cour estime que les efforts de prévention ne sont pas à la hauteur des enjeux et qu’ils sont insuffisamment ciblés sur les jeunes. À cet égard, nous ne sommes tout simplement pas bons ; il suffit pour nous en convaincre de nous comparer à nos voisins européens. Les exemples des pays du Nord plaident pour adopter une approche plus volontariste et plus transversale, en mobilisant le milieu éducatif, en lançant une campagne de communication ciblée sur les jeunes et en instaurant – cette dernière proposition peut sans doute faire débat – un prix minimum de l’unité d’alcool pur dans chaque boisson.
Toujours dans le domaine de la prévention, nous nous sommes penchés sur l’obésité chez les jeunes en nous intéressant aux exemples de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française. Les conséquences sanitaires de l’obésité limitent l’avenir et réduisent l’espérance de vie des jeunes concernés. En outre, elles ne sont pas sans effet sur les budgets de la protection sociale.
Les chiffres sont spectaculaires : le taux de prévalence de l’obésité s’élève à 15 % dans l’Hexagone, à 38 % en Nouvelle-Calédonie et à 48 % en Polynésie française. Cela signifie que la politique de prévention en santé publique comporte des lacunes et qu’elle n’est pas une priorité ; nous formulons plusieurs recommandations pour qu’elle le devienne.
Dans la quatrième et dernière partie du rapport sont examinées les politiques d’apprentissage à la citoyenneté et à la vie dans la cité.
Le premier chapitre de cette partie est consacré à la journée défense et citoyenneté (JDC), qui concerne 800 000 jeunes par an pour un budget d’environ 100 millions d’euros. La JDC est soumise à de très fortes tensions : elle a d’ailleurs été raccourcie à deux heures quarante-cinq en 2024, sur une base juridique fragile. Nous montrons que ce dispositif a sans cesse été ajusté, remanié et refondu, sans que l’on parvienne à trouver un positionnement. Quant aux objectifs de cette journée, ils ont été brouillés par la pluralité des messages.
Le ministre des armées a récemment annoncé une nouvelle réforme de la JDC visant à la remilitariser. Il faudrait en profiter pour rationaliser les objectifs, le contenu et la base juridique du dispositif, au moment où il est essentiel de renforcer le lien entre les jeunes, la Nation et l’armée.
Un autre chapitre de cette dernière partie traite des jeunes et de la justice pénale.
Si la délinquance des jeunes est difficile à estimer, il est certain que ceux-ci sont surreprésentés dans la population délinquante : ils représentent 12 % de la population française, mais 26 % des mis en cause, 34 % des poursuivis et 35 % des condamnés en 2023. Or l’efficacité de la politique pénale à destination des jeunes est limitée, malgré des moyens publics estimés à au moins 2 milliards d’euros par an. Le taux de récidive chez les jeunes, s’il est stable depuis 2010, est plus élevé que dans le reste de la population.
Les outils dont dispose l’État pour comprendre ce phénomène et adapter sa politique en conséquence sont trop faibles ; ils doivent être impérativement améliorés. Il est également indispensable de déployer une action précoce à l’égard des familles et de renforcer la coopération entre acteurs.
Quelques grands enseignements, et deux idées-forces, se dégagent de ces seize coups de sonde dans les politiques publiques en faveur des jeunes.
La première de ces idées-forces, c’est que le problème tient non pas à la quantité de la dépense – la jeunesse française n’est pas abandonnée par l’État et les acteurs publics –, mais à sa qualité et à son efficience.
La deuxième, c’est qu’il est indispensable de mieux cibler les politiques publiques en faveur des jeunes, pour renforcer leur cohérence, leur efficacité et leur équité. Pour atteindre ces objectifs, la Cour a dégagé six grandes orientations.
Tout d’abord – c’est la première de ces orientations –, il faut mieux différencier les soutiens et les mesures en fonction des publics ciblés. Tous les jeunes ne disposent pas des mêmes chances. Les politiques publiques doivent réduire les inégalités en passant d’un pilotage par l’offre à un pilotage par les moyens et les résultats ; il y va de l’efficacité des finances publiques, mais aussi de leur soutenabilité.
Deuxième orientation : il faut repenser l’organisation et le contenu des parcours de formation initiale, afin de mieux préparer l’autonomie sociale et économique des jeunes.
Troisième orientation : la prévention.
Pour atteindre ces trois premiers objectifs, il nous faut commencer par renforcer la lisibilité des politiques publiques en faveur de la jeunesse. Le taux de non-recours des jeunes à leurs droits atteint en effet des niveaux très élevés. Il est donc impératif de mieux les informer et de mieux communiquer auprès d’eux sur leurs obligations envers la collectivité.
Nous avons par exemple observé chez les jeunes une très forte méconnaissance du système fiscal. Selon les résultats d’un sondage mené par la Cour, plus d’un quart d’entre eux trouvent même légitime de frauder le fisc si cela est possible ; voilà qui témoigne d’un problème fondamental d’éducation à l’entrée dans l’impôt.
Quatrième orientation : il est impératif de mieux coordonner les actions des différents acteurs publics et privés œuvrant dans ce domaine. J’évoquais, en préambule de mon propos, l’enchevêtrement des responsabilités et des compétences des très nombreux acteurs concernés. Il faut clarifier les rôles de chaque intervenant, préciser les responsabilités de chaque échelon, renforcer la collaboration à tous les niveaux.
Nous devons par ailleurs – c’est la cinquième orientation – nous doter d’outils rigoureux de suivi et d’évaluation des politiques en faveur des jeunes. Les dispositifs que nous avons examinés sont dans l’ensemble utiles, appréciés, efficaces, mais ils ne sont pas assortis d’outils de suivi et de contrôle suffisants – je pense par exemple au repérage des jeunes en décrochage scolaire âgés de 16 à 18 ans. Disposer de données quantitatives éprouvées permet en outre de détecter les risques émergents.
J’en viens à la dernière des préconisations transversales de notre rapport : il convient de doter la France d’une sorte de plan stratégique en faveur des jeunes – en un mot, de planifier.
Ce que nous apprennent ces seize enquêtes, c’est que les jeunes ont des besoins et des aspirations spécifiques dans la plupart des domaines qui relèvent de l’action de l’État : santé, emploi, éducation, inclusion sociale et citoyenne. Ces besoins et ces aspirations doivent être clairement identifiés dans une stratégie nationale distinguant, si nécessaire, différentes catégories de jeunes. Ensuite pourront – devront – être conçues des solutions adaptées et hiérarchisées, en veillant toujours à réduire les inégalités d’accès aux services publics.
Tels sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les grands messages que nous retirons de ce travail très important, pour ne pas dire colossal. Je vous invite à lire chaque chapitre : je n’ai pu qu’évoquer en quelques mots certaines des problématiques – pas toutes – qui sont traitées dans le rapport.
Au cours de l’instruction de ces seize contrôles, la Cour a pu constater l’implication sans faille de tous les acteurs chargés de l’action publique en ce domaine. Le travail que nous avons conduit donne confiance : confiance dans notre jeunesse et confiance dans l’action publique en faveur de la jeunesse.
N’oublions pas cependant que de nombreuses difficultés trouvent en réalité leur origine avant l’âge de 15 ans. Les jeunes, plus que les autres, en font l’expérience : l’égalité des droits n’est pas l’égalité des chances ; voilà précisément ce que l’action publique doit s’atteler à changer. La réussite à l’école primaire est, pour la jeunesse en devenir, l’un des prérequis les plus cruciaux : c’est là que naissent les inégalités. Nous publierons prochainement, je le disais, un rapport important sur ce sujet.
La jeunesse – nous l’avons vécue – est un moment passionnant, mais intrinsèquement délicat et parfois difficile. La plupart des politiques en faveur de la jeunesse ont intégré cette dimension. Mais se concentrer sur les problèmes rencontrés par les jeunes, ce qui est naturellement notre rôle, ne doit cependant pas faire oublier l’essentiel : l’atout formidable que représente la jeunesse française, la ressource inestimable qu’elle est.
Je conclurai en évoquant son dynamisme : nous n’avons rien à envier, sous ce rapport, à nos partenaires européens. Il arrive qu’en se comparant on se désole, mais, en l’espèce, il y a vraiment de quoi se consoler. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI, INDEP, SER et GEST.)