M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe INDEP.)

Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, si Montherlant disait de la jeunesse qu’elle est le temps des échecs, il me semble qu’il serait excessif d’appliquer cette affirmation aux conclusions du rapport annuel de la Cour.

En effet, votre bilan des politiques publiques en faveur de la jeunesse n’est pas celui d’un échec complet. Il y a eu quelques réelles avancées, comme la hausse de 6 points du taux d’emploi des jeunes depuis 2017, le succès des politiques de mobilité ou encore la réduction de plus de treize mois des délais de jugement des mineurs.

Toutefois, pour nourrir l’action du législateur, nous devons nous concentrer sur les dysfonctionnements que la Cour met en avant.

Du rapport, je retiens en premier lieu que les politiques en faveur des jeunes illustrent la perte d’efficience qui résulte de la multiplicité des structures administratives. Ce sujet est au cœur des travaux de la commission d’enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l’État, dont la création a été demandée par le groupe Les Républicains.

L’orientation scolaire illustre parfaitement les doublons et l’enchevêtrement des compétences qui caractérisent trop souvent notre organisation administrative.

Depuis la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, les régions bénéficient d’une compétence d’information sur les formations et parcours à l’encontre des publics scolaires.

Toutefois, l’animation de cette compétence demeure du ressort de l’État. Si certaines régions ont créé une agence régionale de l’orientation, la répartition de ses missions avec celles de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (Onisep) demeure largement imparfaite, nuisant à la qualité de l’information. Ainsi, 25 % des lycéens se disent insatisfaits des informations reçues pour s’orienter. Régions de France a d’ailleurs mis en avant ce sujet lors de son audition par notre commission d’enquête.

L’accompagnement des jeunes vers l’emploi nous fournit un second exemple. L’État alloue près de 765 millions d’euros par an aux missions locales pour remplir cette mission ; or, dans le même temps, France Travail consacre 4 700 équivalents temps plein (ETP) à l’accompagnement des jeunes demandeurs d’emploi. En fin de compte, comme le rapporteur général l’a souligné, malgré 7,3 milliards d’euros de dépenses publiques allouées à l’emploi des jeunes, le taux de chômage de ces derniers reste de 3 points supérieur à la moyenne européenne.

L’enchevêtrement des compétences, au-delà de la perte d’efficience, fait naître un autre problème : celui de la difficulté d’évaluer et de quantifier les politiques publiques.

Monsieur le Premier président, vous estimez qu’il en va ainsi des aides à l’accès des jeunes au logement. La multiplicité des acteurs dont dépendent les financements et le choix d’une approche par sous-populations cibles au détriment d’une approche globale rend impossible la mesure précise de l’investissement public ainsi que l’efficacité des actions menées.

De ce défaut d’évaluation découle un autre point saillant que je dégage de la lecture du rapport : celui, dans bien des cas, de l’insuffisance du ciblage des dispositifs, qui concourt à la culture du saupoudrage.

Tel est particulièrement le cas en matière d’aides à l’alternance. Monsieur le Premier président, vous appelez de vos vœux un recentrage de ces aides sur les publics vers lesquels elles sont les plus efficaces, à savoir les jeunes les moins qualifiés. Ainsi que le rapporteur général l’a rappelé, le groupe Les Républicains a plaidé en ce sens lors de l’examen du dernier projet de loi de finances.

Il en va de même du pass Culture, qui représentait 210 millions d’euros de dépenses pour l’État en 2023, sans aucun ciblage. Les inégalités sociales en matière d’accès à la culture demeurent. En outre, la qualité des actions financées n’est pas contrôlée, ce qui a favorisé l’apparition d’actions opportunistes, comme la création d’associations expliquant comment bénéficier des financements du pass Culture…

C’est la raison pour laquelle notre groupe avait soutenu la réduction de 125 millions d’euros des crédits de ce dispositif dans le projet de loi de finances pour 2025.

En somme, monsieur le Premier président, votre rapport fournit une fois de plus un éclairage bienvenu. Néanmoins, alors que l’inefficience des structures administratives est abordée à plusieurs reprises, aucune recommandation n’est formulée sur ce sujet.

Monsieur le Premier président, au terme de ces travaux et de tous ceux que les différentes chambres de la Cour des comptes mènent depuis de nombreuses années, avez-vous identifié des perspectives de rationalisation des organismes et de clarification des compétences, notamment en matière d’orientation, d’accompagnement vers l’emploi ou encore d’aide au logement ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier président de la Cour des comptes, pour répondre aux intervenants.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Ma réponse sera extrêmement brève et pourrait presque tenir en un seul mot : merci.

Je remercie la Haute Assemblée d’organiser ce débat autour du rapport public annuel de manière systématique, à la différence de l’Assemblée nationale. La Cour s’honore de partager ainsi ce moment avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je vous remercie de vos réactions et de vos interrogations. Dans l’ensemble, elles me semblent témoigner de la pertinence de notre rapport public annuel, même si, ainsi que Mme Lavarde l’a indiqué, nous pouvons aller plus loin pour formuler diverses propositions. Nous aborderons de nouveau ces sujets, sous d’autres formes, dans les temps qui viennent.

C’est toujours avec un grand intérêt que nous travaillons avec le Sénat, en particulier avec les commissions des finances et des affaires sociales. Nous le ferons avec le même plaisir et avec responsabilité l’année prochaine. La situation financière et la gestion de nos politiques publiques méritent toujours l’attention du législateur. Nous demeurons à votre service pour aider à améliorer la qualité de la gestion des finances publiques.

Je ne ferai donc que peu de remarques.

Le président de la commission des finances a souligné que, cette année, nous présentions le rapport public annuel de la Cour après avoir présenté un autre rapport sur la situation des finances publiques, début 2025. Il faudrait que la Cour délibère, mais j’envisage volontiers de reconnecter la remise de ces deux rapports et d’avancer d’un mois la remise du rapport public annuel. Si nous avons présenté il y a un mois notre rapport sur la situation des finances publiques, c’était pour répondre à une alerte au sujet de laquelle nos données sont assez précieuses.

Mesdames, messieurs les sénateurs, quelques mots au sujet de la situation des finances publiques, dont vous avez parlé. L’Insee a en effet publié ce matin le chiffre exact du déficit de 2024, qui s’établit à 5,8 % du PIB.

Selon le point de vue, ce chiffre est soit meilleur, soit moins mauvais que celui qui était prévu. Il faut se satisfaire des améliorations tout en se gardant d’une forme de relâchement ou de satisfaction, quelque peu déplacée.

En effet, notre voisin espagnol vient d’annoncer que son déficit s’établit à 2,8 %. En quelques années, l’Espagne, à la faveur d’une croissance bien plus élevée que la nôtre, est revenue en deçà de la limite prévue par les traités européens.

Nous nous engageons à aller vers cet objectif, en adoptant une trajectoire devant nous amener à un déficit de 3 % en 2029. Avec un déficit de 5,8 % en 2024, l’objectif pour 2025 devient peut-être plus aisé à atteindre, mais il faut rester vigilant.

La situation de la France dans la zone euro reste dégradée, en raison tant du déficit que du niveau de notre dette. Un autre chiffre publié ce matin par l’Insee a été peu commenté : la dette publique française a dépassé les 3 300 milliards d’euros à la fin de 2024.

Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez convaincus que la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques, que je préside ès qualités de Premier président de la Cour des comptes, joueront pleinement leur rôle pour rappeler à vos côtés qu’il faut de bonnes finances publiques pour mener de bonnes politiques publiques, comme Mendès France le suggérait il y a déjà fort longtemps.

J’en reviens au rapport public lui-même. Deux orateurs ont cité la même phrase de Pierre Bourdieu, selon laquelle la jeunesse n’est qu’un mot. Cela m’a donné envie de convoquer Foucault et de dire qu’elle est non seulement un mot, mais aussi des choses. Elle correspond à des situations très différentes, très inégales, que nous devons traiter.

Les deux observations fondamentales de notre rapport me semblent partagées sur toutes les travées de cet hémicycle. Le rapport est en effet plutôt optimiste et confiant, mais il pointe naturellement les échecs et les dysfonctionnements, les points que nous devons améliorer. De manière générale, il convient de changer la qualité de la dépense publique, ce qui concerne en particulier les politiques publiques en faveur de la jeunesse.

Comme nous, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez été frappés par différents éléments abordés dans le rapport. J’ai en particulier noté les propos de M. Patient sur la situation spécifique des outre-mer, que nous traitons au travers du cas de la prévention de l’obésité en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

Nous effectuons également d’autres travaux au sujet de l’outre-mer, par exemple sur l’enseignement supérieur. La nécessité de cibler les politiques publiques pour lutter contre les inégalités reste le fil rouge de notre rapport.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la Cour des comptes travaille toujours avec le Sénat non seulement par responsabilité, mais aussi avec un grand plaisir. Je vous donne d’ores et déjà rendez-vous pour nos auditions habituelles auprès de vos commissions, mais aussi pour la présentation du rapport public annuel 2026, dont le thème intéressera la Haute Assemblée, puisque nous consacrons cette année nos travaux à la question de la cohésion sociale et territoriale. (Applaudissements.)

M. le président. Merci à tous pour ce débat, et merci pour la qualité de nos relations.

Nous en avons terminé avec la présentation du rapport public annuel de la Cour des comptes, et nous donnons acte du débat qui s’est ensuivi.

Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes.

(M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes sont reconduits selon le cérémonial dusage.)

3

Démissions d’un vice-président et d’un secrétaire du Sénat

M. le président. Par lettres en date du 19 mars 2025, j’ai été informé par M. Dominique Théophile, vice-président du Sénat, et par Mme Patricia Schillinger, secrétaire du Sénat, de leur souhait de démissionner de leurs fonctions respectives à compter du 31 mars 2025 à minuit.

En conséquence, nous pourrions procéder à leur remplacement mardi 1er avril à quatorze heures trente.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

4

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 1er avril 2025 :

À quatorze heures trente et le soir :

Désignation d’un vice-président en remplacement de M. Dominique Théophile et d’un Secrétaire du Sénat en remplacement de Mme Patricia Schillinger ;

Proposition de loi visant à clarifier les obligations de rénovation énergétique des logements et à sécuriser leur application en copropriété, présentée par Mme Amel Gacquerre (procédure accélérée ; texte de la commission n° 479, 2024-2025) ;

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la stabilité économique et la compétitivité du secteur agroalimentaire (texte de la commission n° 485, 2024-2025) ;

Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement » (texte de la commission n° 487, 2024-2025).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures cinquante.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER