Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Guy Benarroche, Mme Catherine Di Folco.
2. Questions d’actualité au Gouvernement
impérieuse nécessité de reconnaître l’état de palestine et urgence d’un corridor humanitaire
M. Akli Mellouli ; M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; M. Akli Mellouli.
situation économique de la france
Mme Dominique Estrosi Sassone ; M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; Mme Dominique Estrosi Sassone.
tensions géopolitiques consécutives aux droits de douane américains
M. Jean-Baptiste Lemoyne ; M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
situation de l’entreprise verney-carron
M. Pierre Jean Rochette ; M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie ; M. Pierre Jean Rochette.
saint-pierre-et-miquelon face aux droits de douane américains
M. Jean-Marc Ruel ; M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
réponses française et européenne aux droits de douane américains
M. Christian Redon-Sarrazy ; M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; M. Christian Redon-Sarrazy.
situation en nouvelle-calédonie
M. Robert Wienie Xowie ; M. François Bayrou, Premier ministre ; M. Robert Wienie Xowie.
avancées sur le statut de l’élu
M. Ludovic Haye ; Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité.
professeur empêché de faire cours à l’université lumière-lyon-ii
M. Max Brisson ; Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche ; M. Max Brisson.
rapport parlementaire sur la protection de l’enfance
Mme Marion Canalès ; Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles ; Mme Marion Canalès.
Mme Micheline Jacques ; M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur ; Mme Micheline Jacques.
impact économique et budgétaire des droits de douane américains
M. Vincent Capo-Canellas ; Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics.
interdiction du téléphone portable à l’école
M. François Bonhomme ; Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche ; M. François Bonhomme.
mortalité infantile et services de maternité
M. Patrice Joly ; Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles ; M. Patrice Joly.
situation de paul maillot rafanoharana
M. Christophe-André Frassa ; M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; M. Christophe-André Frassa.
M. Franck Dhersin ; M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Suspension et reprise de la séance
3. Responsabilité de l’État et indemnisation des victimes du chlordécone. – Discussion et retrait d’une proposition de loi
M. Dominique Théophile, auteur de la proposition de loi
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 16 rectifié de la commission
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° 16 rectifié de la commission (suite). – Adoption par scrutin public n° 259.
Amendement n° 2 rectifié de M. Stéphane Piednoir. – Retrait.
Rejet de l’article.
Retrait de la proposition de loi.
4. Candidatures à deux commissions mixtes paritaires
Suspension et reprise de la séance
5. Traitement des maladies des cultures végétales par aéronefs télépilotés. – Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
M. Henri Cabanel, rapporteur de la commission des affaires économiques
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 9 de M. Daniel Salmon. – Rejet.
Amendement n° 11 de M. Daniel Salmon. – Rejet.
Amendement n° 13 de M. Daniel Salmon. – Rejet.
Amendement n° 1 rectifié de M. Jean-Claude Tissot. – Rejet.
Amendement n° 2 rectifié bis de M. Jean-Claude Tissot. – Rejet.
PRÉSIDENCE DE M. Xavier Iacovelli
Amendement n° 3 rectifié bis de M. Jean-Claude Tissot. – Rejet.
Amendement n° 4 rectifié bis de M. Jean-Claude Tissot. – Rejet.
Amendement n° 5 rectifié bis de M. Jean-Claude Tissot. – Rejet.
Amendement n° 6 rectifié bis de M. Jean-Claude Tissot. – Rejet.
Amendement n° 7 rectifié bis de M. Jean-Claude Tissot. – Rejet.
Amendement n° 12 de M. Daniel Salmon. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article 2 (suppression maintenue)
Adoption définitive, par scrutin public n° 260, de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
6. Santé mentale, grande cause du gouvernement pour l’année 2025 : quels moyens pour en faire une priorité ? – Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
Mme Marion Canalès, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
Mme Jocelyne Guidez ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Cathy Apourceau-Poly ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Anne Souyris ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Anne Souyris ; M. Yannick Neuder, ministre ; Mme Anne Souyris.
Mme Annie Le Houerou. ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Marie-Claude Lermytte ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Jean Sol ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins ; M. Jean Sol.
M. Bernard Buis ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Mireille Conte Jaubert ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Anne-Sophie Romagny ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Corinne Féret ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Corinne Féret.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Marie-Claire Carrère-Gée ; M. Yannick Neuder, ministre.
M. Simon Uzenat ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins ; M. Simon Uzenat.
M. Alain Milon ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Patricia Demas ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Patricia Demas ; M. Yannick Neuder, ministre ; Mme Patricia Demas.
M. Laurent Somon ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Anne Ventalon ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Jean-Luc Fichet, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
Nomination d’un membre de deux commissions mixtes paritaires
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Guy Benarroche,
Mme Catherine Di Folco.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
impérieuse nécessité de reconnaître l’état de palestine et urgence d’un corridor humanitaire
M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Jean-Marc Vayssouze-Faure applaudit également.)
M. Akli Mellouli. Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, à Gaza, c’est l’humanité elle-même qui s’effondre ! Jamais dans l’histoire contemporaine un peuple n’a été aussi méthodiquement isolé, affamé, bombardé, privé d’accès aux soins et aux secours !
Gaza est aujourd’hui le théâtre d’une catastrophe humanitaire totale, sans précédent, qui a été rendue possible par l’inaction de la communauté internationale et le silence complice de nos grandes puissances !
C’est la première guerre moderne durant laquelle aucun couloir humanitaire n’a été mis en place, la première guerre moderne durant laquelle des blessés graves ne peuvent être évacués, la première guerre moderne durant laquelle des enfants meurent de faim à quelques mètres d’entrepôts pleins d’aide humanitaire volontairement bloquée, la première guerre moderne durant laquelle des médecins de retour du théâtre des opérations entament des grèves de la faim pour exiger un cessez-le-feu et un corridor humanitaire.
Cette réalité interroge notre conscience collective. Quand des femmes accouchent au sol, sans anesthésie, quand des chirurgiens opèrent à la lumière des téléphones portables, sans eau, sans médicaments, quand l’odeur de la mort remplace celle de la vie, ce n’est plus une guerre, mais un effondrement moral !
Il y a plus d’un an, dans cet hémicycle, je disais déjà qu’à Gaza on ne soignait plus, on amputait. Aujourd’hui, on n’ampute plus, on enterre !
Chaque jour qui passe sans cessez-le-feu, sans aide, sans voix pour crier son désarroi face à la réalité est une trahison de nos valeurs fondamentales et de la dignité humaine !
Dans ce contexte, il est temps de passer des discours aux actes. En effet, si, comme l’affirme le Président de la République, notre pays est opposé à toute annexion de Gaza et de la Cisjordanie, la France doit soutenir le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et reconnaître sans tarder l’État de Palestine, unique levier pour imposer enfin le respect du droit international et stopper le génocide.
Monsieur le ministre, notre pays compte-t-il prendre ses responsabilités ? Entend-il exiger un cessez-le-feu immédiat, l’ouverture d’un corridor humanitaire, le respect des décisions des instances internationales ? Enfin, quand reconnaîtrez-vous l’État de Palestine ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vous auriez pu, dans le cadre de votre question, saluer la visite du Président de la République, hier, à El-Arich, à trente-cinq kilomètres de Gaza,…
M. Mickaël Vallet. Il en a parlé !
M. Jean-Noël Barrot, ministre. … pour apporter huit tonnes de fret humanitaire, se rendre au chevet des blessés palestiniens, qui sont aujourd’hui soignés en Égypte, et aller à la rencontre des acteurs humanitaires qui continuent courageusement de tenter d’apaiser les souffrances du peuple palestinien.
Vous auriez pu, dans le cadre de votre question, souligner la responsabilité très lourde, historique, du Hamas…
M. Laurent Burgoa. Très bien !
M. Jean-Noël Barrot, ministre. … quant à la situation dans laquelle se trouve plongé aujourd’hui le peuple palestinien. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
La France a bien fait passer les messages que vous souhaitez. Le Président de la République s’est ainsi entretenu avec les dirigeants des pays arabes pour qu’ils fassent pression sur le Hamas, afin que celui-ci relâche les otages encore retenus dans les tunnels de Gaza. Il s’est entretenu avec le Premier ministre israélien et le président américain pour obtenir que les hostilités puissent s’arrêter et que le cessez-le-feu entré en vigueur le 19 janvier dernier puisse reprendre. (Mme Raymonde Poncet Monge proteste.)
Au-delà de cette question, nous travaillons, comme vous le savez, avec l’Arabie saoudite à la préparation d’une conférence des Nations unies sur une solution à deux États, car nous considérons que c’est la seule option susceptible d’apporter la paix à Israël comme au peuple palestinien. Cela passera, le moment venu, par des reconnaissances collectives et croisées apportant à Israël comme à la Palestine des garanties en termes de sécurité, qui permettent aux deux peuples de vivre en paix et d’assurer la stabilité à l’ensemble de la région.
C’est dans cet esprit que nous agissons. C’est dans cet esprit que le Président de la République s’est rendu en Égypte ces deux derniers jours. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli, pour la réplique.
M. Akli Mellouli. Monsieur le ministre, quand le droit s’efface devant la force, quand la dignité humaine devient une variable d’ajustement diplomatique, c’est tout l’ordre international qui vacille ! Soyez fidèles à ce que la France a longtemps été et à ce qu’elle devrait rester ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Mickaël Vallet applaudit également.)
situation économique de la france
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, « les mots “droits de douane” sont les plus beaux mots du dictionnaire ». C’est ce que déclarait Donald Trump dans ses meetings lorsqu’il était candidat à la présidence des États-Unis.
Or, depuis quelques jours, ces mots sont le pire cauchemar de bon nombre de nos entreprises françaises et suscitent la crainte de nombreux salariés et consommateurs, bien au-delà de la volatilité actuelle des cours de la bourse.
Et pour cause, dernière étape d’une surenchère permanente, le jour J a conduit à une augmentation des droits de douane vis-à-vis de cinquante-six pays, selon une règle de calcul tirée de ChatGPT… Ainsi, l’Union européenne écope de dix points additionnels, et les droits de douane qu’elle se verra imposer atteindront un taux moyen de 21,2 %.
Certes, près des deux tiers de nos échanges ont lieu au sein du marché européen, mais de nombreux secteurs seront affectés par cette hausse des droits de douane du fait de leur dépendance au marché américain : celui-ci absorbe, par exemple, 24 % des exportations du secteur des boissons – vins, spiritueux, eaux minérales.
Monsieur le ministre, quel plan le Gouvernement envisage-t-il de mettre en œuvre pour accompagner en urgence ces secteurs ? Au-delà de l’urgence, comment ne pas s’interroger sur l’impréparation de l’Europe ? Après tout, Donald Trump ne fait que ce qu’il avait annoncé ; comment ne pas le reconnaître ? Nous, Européens, quelles mesures de prévention et quelle riposte avons-nous préparées ?
Dans un monde plus dangereux à l’Est, moins amical à l’Ouest et, souvent, non coopératif au Sud, quand allons-nous sortir de l’univers des Bisounours ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, INDEP et RDPI.)
M. Michel Savin. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la présidente Estrosi Sassone, non, nous ne considérons pas que les mots « droits de douane » soient les plus beaux du dictionnaire, puisqu’ils sont synonymes d’impôts, notamment pour les classes moyennes, et à commencer par les classes moyennes américaines, qui vont considérablement s’appauvrir à la suite des annonces faites par le président Trump. D’ailleurs, il n’y a qu’à consulter les résultats des sondages d’opinion réalisés aujourd’hui aux États-Unis pour s’apercevoir que les Américains sont parfaitement conscients de l’impact que ces décisions désastreuses vont avoir sur leur pouvoir d’achat.
Face à cette situation, nous disons bien évidemment que ces décisions sont mauvaises et nous espérons vivement qu’elles puissent être revues. Nous disons également que nous ne les avons pas provoquées et que, si le président Trump ne revenait pas dessus, nous nous tenons prêts, en tant qu’Européens, à riposter en mobilisant toute la palette des instruments à notre disposition, qu’ils soient tarifaires ou non tarifaires.
C’est du reste tout l’enjeu de la première salve de contre-mesures qui ont été adoptées au niveau européen ce matin : des droits de douane de 25 % frapperont ainsi 22 milliards d’euros d’exportations américaines vers l’Europe. La Commission européenne a également engagé un travail qui conduira à l’application d’une deuxième salve de mesures.
En attendant, le Président de la République, avec le Premier ministre et plusieurs membres du Gouvernement, a réuni les filières concernées dès jeudi dernier. Hier, c’est le ministre de l’industrie qui a convoqué le Conseil national de l’industrie ; aujourd’hui, c’est le ministre de l’économie et des finances qui consultera l’ensemble des représentants des filières, ainsi que les syndicats, sur les effets attendus de ces décisions dévastatrices par l’ensemble des parties prenantes.
Vous le voyez, le Gouvernement est pleinement mobilisé aux côtés des filières pour préparer une réponse permettant de défendre les intérêts français et européens. Plus généralement, puisqu’il nous faut répondre en Européens – c’est la Commission européenne qui exerce cette compétence –, nous préconisons le calme, la détermination et l’unité. C’est dans cet esprit que nous échangeons avec nos interlocuteurs dans les capitales européennes et avec la Commission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour la réplique.
Mme Dominique Estrosi Sassone. L’Europe doit rester le pôle de stabilité qu’elle incarne aujourd’hui, mais elle doit aussi se faire respecter. Pour cela, il faut que nous puissions nous réarmer, redevenir acteurs de l’Histoire et de notre avenir.
Permettez-moi, pour finir, de vous informer que la commission des affaires économiques que je préside, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par Cédric Perrin, et la commission des affaires européennes, présidée par Jean-François Rapin, lanceront prochainement une mission d’information pour revoir les nouveaux paradigmes du commerce international. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
tensions géopolitiques consécutives aux droits de douane américains
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Là où Donald Trump passe, le commerce trépasse ! (Marques d’approbation amusées sur diverses travées.) Depuis six heures ce matin, des droits de douane additionnels s’appliquent au monde entier ou presque. Pour la France, pour l’Union européenne, le tarif est de 20 % !
Cette guerre commerciale apporte une mauvaise réponse à un mauvais diagnostic.
Il s’agit d’un mauvais diagnostic, parce que le président Trump veut résorber de prétendus déficits commerciaux, alors qu’il ne prend en compte que les biens et pas les services, secteur dans lequel les États-Unis sont largement excédentaires.
Il s’agit d’une mauvaise réponse, parce que nos économies sont désormais totalement interdépendantes. À titre d’exemple, les entreprises françaises emploient 700 000 salariés aux États-Unis quand les entreprises américaines emploient 400 000 salariés en France.
Naturellement, les Américains seront en première ligne pour subir ce choc et perdre en pouvoir d’achat, mais les entrepreneurs français sont légitimement inquiets. La France exporte en effet pour 48 milliards d’euros aux États-Unis : du chablis bien sûr (Sourires.), du fromage, des produits de luxe, des cosmétiques, des produits pharmaceutiques…
Heureusement, l’Union européenne n’est plus l’idiot du village global, ouvert à tous les vents ; elle s’est armée et réarmée en matière commerciale.
Monsieur le ministre, plusieurs questions se posent. (M. Michel Savin ironise.) Comment ferez-vous en sorte de maintenir le dialogue avec cette administration déterminée, mais qui commence à se diviser ? Comment éviter que l’Union européenne ne devienne le déversoir des produits chinois, par exemple ? Comment accompagner nos entreprises à trouver de nouveaux débouchés ? Comment répliquer sans causer de nouveaux dommages collatéraux pour nos économies ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le sénateur Jean-Baptiste Lemoyne, vous avez eu parfaitement raison de dire ce que vous venez de dire. Je vais tâcher de répondre à vos questions.
Tout d’abord, nous faisons en sorte de maintenir le fil du dialogue au niveau du Gouvernement, puisque Laurent Saint-Martin et moi-même échangeons régulièrement avec nos interlocuteurs américains ; je le fais moi-même avec Scott Bessent dans le cadre des réunions du G7, dont la prochaine aura lieu à Washington le 22 avril. Nous dialoguons aussi avec la Commission européenne, dont c’est d’ailleurs le mandat : Laurent Saint-Martin et moi-même parlons ainsi régulièrement avec Maros Sefcovic, lequel échange tout aussi fréquemment avec Howard Lutnick, l’actuel secrétaire au commerce des États-Unis.
Ensuite, nous comptons protéger l’Union européenne en préparant une réaction très vigoureuse. Mon collègue Jean-Noël Barrot a commencé à en parler : ce matin, nous avons décidé un premier paquet de mesures qui s’appliqueront à partir du 15 avril prochain et concerneront 22 milliards d’euros d’importations de produits depuis les États-Unis. Nous travaillons avec l’Union européenne à un deuxième paquet de mesures, qui portera non seulement sur les droits de douane, mais aussi sur d’autres sanctions ou règles que nous pourrons imposer en réponse aux annonces des Américains.
Un conseil des ministres des finances de l’Union européenne se réunira par ailleurs à Varsovie en fin de semaine. Nous y proportionnerons nos exigences, afin de permettre l’ouverture de négociations, car nous souhaitons naturellement aboutir à une baisse des droits de douane.
Vous avez évoqué la question des nouveaux débouchés. Les États-Unis ne représentent que 15 % du total de nos exportations et nous cherchons à augmenter nos parts de marché ailleurs. Dans le cadre des réunions dont Jean-Noël Barrot a parlé, nous cherchons à accompagner nos entreprises, afin qu’elles s’orientent vers de nouveaux marchés. C’est du reste la raison pour laquelle j’accompagnais le Président de la République en Égypte ces deux derniers jours.
Enfin, notre objectif est le retour au libre-échange. Pour cela, nous allons dialoguer sans limite et de façon très assidue avec les Américains et avec l’ensemble de nos partenaires dans le monde – il faut veiller aux équilibres mondiaux – pour que la situation puisse revenir à la normale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
situation de l’entreprise verney-carron
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, permettez-moi d’associer mes trois collègues sénateurs de la Loire à ma question.
Monsieur le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie, Verney-Carron est le dernier fabricant français d’armes légères d’envergure industrielle. Cette entreprise située à Saint-Étienne – commune qui, au passage, fut baptisée par le passé Armeville… – se trouve aujourd’hui en grande difficulté et est menacée de liquidation judiciaire.
La ville de Saint-Étienne, par le biais d’un montage immobilier, a apporté son soutien à Verney-Carron pour un montant de 2 millions d’euros, mais il reste 1 million d’euros à trouver.
Ma question est simple : à l’heure où l’on parle quotidiennement de souveraineté, de réarmement et d’autonomie stratégique, comment se fait-il que l’État n’arrive pas à mobiliser et à injecter, directement ou indirectement, une telle somme dans une entreprise aussi stratégique ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Jean-Claude Tissot et Mme Cécile Cukierman applaudissent également.)
M. Emmanuel Capus. Excellent !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Monsieur le sénateur Rochette, vous m’interrogez sur la situation de Verney-Carron. Comme vous le savez, mes équipes et moi-même suivons le dossier de cette entreprise historique de Saint-Étienne, qui compte environ soixante salariés.
Il s’agit d’une société spécialisée dans la fabrication d’armes de prestige pour le secteur de la chasse. Chacun le sait, elle s’inscrit dans une tradition locale très importante, celui de la production d’armes dans la région stéphanoise.
En revanche, je tiens à le préciser ici, aujourd’hui, l’entreprise n’a pas de contrat stratégique en lien avec nos enjeux nationaux de défense. (Mme Cécile Cukierman proteste.) De ce point de vue, les difficultés de Verney-Carron n’ont aucune implication directe sur notre souveraineté.
Mme Cécile Cukierman. Évidemment, on y a renoncé !
M. Marc Ferracci, ministre. Cela n’enlève évidemment rien aux compétences très spécifiques et précieuses de ses salariés. L’entreprise est en grande difficulté depuis plusieurs années, résultante d’une charge de travail insuffisante et des dettes très importantes qui se sont accumulées. Cela a conduit Verney-Carron à l’état de cessation de paiements et à l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.
Dans ce contexte, notre objectif est tout d’abord de trouver une solution pérenne. Concrètement, l’État soutient financièrement l’entreprise, afin de lui laisser le temps de trouver une réponse. Cela se traduit par le gel d’un passif public à hauteur de plus de 1 million d’euros, par l’application du régime d’activité partielle à 80 % des salariés et, enfin, par le déblocage ces derniers jours du versement du crédit d’impôt recherche.
Notre objectif est ensuite de trouver, avec l’administrateur judiciaire et l’entreprise, une solution de reprise qui lui assure un avenir. Les discussions sont en cours entre l’actionnaire et divers acteurs industriels. Je serai, avec Sébastien Lecornu, particulièrement vigilant à ce que la solution qui émerge soit la plus pertinente, c’est-à-dire la plus durable, pour les salariés, le maintien des savoir-faire et le territoire.
J’ai demandé à mes équipes de resserrer les liens entre mon ministère et vous, monsieur le sénateur, ainsi qu’avec l’ensemble des élus du territoire, pour que le dialogue soit le plus fluide et le plus transparent possible dans ce dossier. Vous pouvez compter sur notre mobilisation. (MM. François Patriat et Bernard Buis applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour la réplique.
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le ministre, j’ai envie de vous croire, d’autant que l’on n’a pas bien le choix…
Vous nous dites que Verney-Carron ne fournit pas d’armes à la défense. Soit, mais elle fournit le ministère de l’intérieur aujourd’hui ! Sans compter que, si elle ne fabrique pas d’armes pour notre défense, c’est parce que notre commande publique s’est détournée des entreprises françaises et qu’elle a préféré acheter allemand ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Cécile Cukierman. Bien sûr !
M. Pierre Jean Rochette. Voilà le fond du sujet !
Les appels d’offres, c’est très bien, mais la prise en considération du seul critère du prix tue l’entreprise française. C’est ce qui se passe pour Verney-Carron. Nous espérons, bien entendu, un avenir meilleur pour cette entreprise.
Mme Cécile Cukierman. On a renoncé à notre souveraineté nationale !
M. Pierre Jean Rochette. Nous souhaitons, monsieur le ministre – et j’espère que vous allez vous engager pleinement sur ce dossier pour que l’entreprise et ses emplois restent à Saint-Étienne –, que Verney-Carron continue de fabriquer des armes à Saint-Étienne.
Que cette société soit reprise par une autre, d’accord, mais il faut que la nouvelle entreprise respecte les valeurs que notre pays défend et que notre fleuron ne tombe pas entre des mains hostiles. Cela m’apparaît d’une logique implacable, mais il n’est pas inutile de le préciser.
Monsieur le ministre, je vous le redis une dernière fois, parce que cela ne concerne pas que l’armement : la commande publique française pose problème aux entreprises françaises ; si, aujourd’hui, on ne fournit pas d’armes françaises à notre défense, c’est notamment parce que l’on a acheté à l’étranger. C’est une faiblesse qu’il faudra corriger à l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC, Les Républicains, SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ruel, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Marc Ruel. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l’étranger.
Monsieur le ministre, s’il nous fallait un exemple de l’absurdité des récentes décisions de Donald Trump, Saint-Pierre-et-Miquelon décrocherait sans doute la palme : un territoire de 6 000 habitants, répartis sur 242 kilomètres carrés, dont les exportations vers son voisin américain vont être frappées par des droits de douane de 50 %…
Cette mesure, aussi incohérente que brutale et visiblement dépassée, a surtout mis en lumière une réalité plus profonde : la vulnérabilité de mon archipel, isolé dans son bassin nord-atlantique.
Cette vulnérabilité est d’abord économique : ces tarifs douaniers étranglent nos circuits déjà fragiles, notamment la filière de la pêche. Ils renchérissent aussi le coût de la vie sur l’archipel, qui est totalement dépendant de l’acheminement maritime depuis l’Hexagone ou le Canada.
Ensuite, elle est structurelle : nos infrastructures de transport sont à bout de souffle. Les quais des ports d’État, à Saint-Pierre comme à Miquelon, menacent de s’effondrer. Et nous avons récemment appris, à l’Assemblée nationale, qu’aucun financement n’est prévu avant 2027…
Enfin, elle est géopolitique : notre positionnement stratégique est trop peu pris en compte. L’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada (Ceta) a été relancé, mais, en tant que pays et territoire d’outre-mer (PTOM), nous sommes exclus de ses bénéfices, alors même que nous sommes les plus proches voisins du Canada. En 2019, le Gouvernement avait promis un fonds d’innovation et de diversification pour en compenser les effets. Nous l’attendons toujours…
Monsieur le ministre, ma question est simple : après cet épisode, le Gouvernement entend-il redonner à Saint-Pierre-et-Miquelon son ambition et son rôle de plateforme géostratégique au service de la France et de l’Europe, et non en faire une prison d’où l’on ne pourra pas s’échapper, comme le souhaite Laurent Wauquiez, pour les individus faisant l’objet d’une OQTF (obligation de quitter le territoire français) les plus dangereux ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et SER, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et UC.)
Mon intention est claire : faire de mon archipel une base avancée et non un nouvel Alcatraz ! (Bravo ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon, décidément, le sort s’acharne !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ah, ça !
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Il y a huit jours, c’est le président Trump qui, semblant oublier que Saint-Pierre-et-Miquelon est un territoire de notre République, décide que les États-Unis appliqueront double tarif, si je puis dire, au moment d’annoncer la hausse des droits de douane américains ; et, hier, ce sont des voix qui s’élèvent pour faire de l’archipel un centre de rétention administrative…
Il convient de rappeler que tous les territoires ultramarins sont membres à part entière de la République, fussent-ils dans l’Atlantique Nord, que Saint-Pierre-et-Miquelon en est donc un membre à part entière, et que chacun doit à Saint-Pierre-et-Miquelon le respect et la considération que l’on doit à tous les territoires de la République française. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pourquoi n’est-ce pas le ministre de l’intérieur qui répond à notre collègue ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Pour commencer, je relève que, après les déclarations fracassantes dans le Bureau ovale, Saint-Pierre-et-Miquelon a été retiré du décret présidentiel introduisant les droits de douane que vous avez dénoncés.
Ensuite, je vous assure que tous les territoires de la République seront pris en compte dans les préconisations qui seront faites par la France à la Commission européenne, pour que celle-ci ajuste sa réponse et, éventuellement, sa réplique, avec, à l’esprit, la volonté d’obtenir le retrait de ces droits de douane et, en tout état de cause, celle de défendre les filières, comme l’évoquait à l’instant le ministre de l’économie et des finances.
Par ailleurs, et sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, ici, au Sénat, vous avez évoqué le Ceta : aujourd’hui, cet accord pourrait prendre une dimension différente au vu des récentes décisions prises par les États-Unis, le Canada étant un partenaire qui a exprimé son opposition à l’ouverture de cette guerre commerciale, dont tout le monde finira bien par sortir perdant.
M. Fabien Gay. On nous ressort le Ceta !
M. Jean-François Husson. On ne va pas refaire le match !
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Quant à Saint-Pierre-et-Miquelon, monsieur le sénateur, je sais que le ministre d’État, ministre des outre-mer, qui est aujourd’hui en déplacement à Mayotte, aura à cœur de poursuivre le plan spécifique qui est consacré à l’archipel. Je vous invite, si vous en êtes d’accord, à prendre contact avec lui, après que je lui aurai fait part de vos attentes sur le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
réponses française et européenne aux droits de douane américains
M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Antoinette Guhl applaudit également.)
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, les conséquences potentiellement dévastatrices des taxes annoncées par Donald Trump inquiètent à juste titre le monde économique et nos compatriotes.
Selon les économistes, la stratégie de négociation « zéro pour zéro » de la Commission européenne sera préjudiciable aux intérêts de la France et de nos filières les plus exposées : l’aéronautique, l’automobile, les vins et spiritueux notamment.
Une telle réponse profitera avant tout à l’Allemagne et à l’Italie compte tenu de leurs excédents commerciaux.
Alors, quelles options nous reste-t-il ?
Le président américain ne reviendra pas sur sa décision. Taxer les banques américaines et les Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – n’aura aucun impact positif pour notre économie, faute d’alternatives françaises et européennes crédibles et d’investissements suffisants dans le secteur des services.
La bonne réponse consiste en une relocalisation de certaines filières et en la mise en place de droits de douane ciblés, accompagnés de ce que nous demandons depuis longtemps, une stratégie de planification industrielle qui renforcera notre souveraineté et améliorera notre balance commerciale. Elle protégera aussi le marché européen et français de l’ajustement stratégique que la Chine, après la fermeture du marché américain, ne va pas manquer d’opérer pour déverser ses surcapacités sur le vieux continent.
Allez-vous défendre cette stratégie auprès de la Commission européenne, seule entité capable de protéger les Français et de permettre à la France et à l’Europe de reprendre en main leur destin économique ?
Pour une fois, soyons des pionniers en envisageant une nouvelle adaptation, et ne partons pas perdants ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vous l’avez entendu tout à l’heure de la bouche du ministre de l’économie et des finances, nous allons évidemment veiller à ce que les décisions qui ont été prises et dont nous considérons qu’elles vont appauvrir les États-Unis, leurs classes moyennes, leurs entreprises, ainsi que leurs partenaires, au premier rang desquels l’Europe, puissent être revues, sans quoi nous n’aurions d’autre choix que de riposter en mobilisant l’ensemble des instruments qui sont à notre disposition.
Je pense naturellement aux droits de douane, tels que ceux qui ont été adoptés ce matin au niveau européen – un taux de 25 % sur l’équivalent de 22 milliards d’euros d’exportations américaines vers l’Europe –, mais aussi à des mesures non tarifaires. Vous avez cité les services ; or la Commission européenne dispose, depuis 2023, d’instruments qui permettent, lorsque les intérêts européens sont en jeu, de s’en prendre, si je puis dire, ou, en tout cas, de restreindre l’accès de certaines sociétés extra-européennes aux marchés publics et l’accès de certains services au marché unique européen.
Mais vous avez raison de rappeler que nous ne devons pas nous contenter de répondre à l’administration américaine. Nous devons nous poser des questions sur nous-mêmes. Nous nous apercevrons alors que le marché unique n’a sans doute jamais été aussi important pour permettre à nos entreprises de se diversifier.
Les barrières qui se dressent entre les pays de l’Union européenne représenteraient des droits de douane d’environ 45 %. Si nous levons ces barrières, si nous approfondissons le marché unique, nous compenserons une partie de l’impact des droits de douane extravagants instaurés par l’administration Trump.
Puisque, comme vous l’avez dit, nous entrons dans une période de guerre commerciale, nous devons nous y préparer en gagnant en compétitivité et en retirant la chape de plomb qui empêche les entreprises françaises de livrer bataille à armes égales avec leurs concurrents étrangers sur les marchés internationaux.
À cet égard, les annonces faites par la Commission européenne ces derniers mois vont dans le bon sens. Désormais, il convient d’accélérer pour être en mesure non pas seulement de défendre nos intérêts, mais aussi, dans cette période de tension commerciale, de gagner des parts de marché. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour la réplique.
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le ministre, que cela soit dit, les Français n’ont pas à assumer les conséquences budgétaires du diktat américain, alors même que nos grands groupes veulent continuer, au mépris de tout patriotisme économique, d’investir aux États-Unis pour contourner les droits de douane ! Ce faisant, ils refusent explicitement de soutenir notre économie et font preuve d’une indifférence totale aux inquiétudes des Français face à la crise qui s’annonce.
Nous attendons du Gouvernement qu’il prenne les mesures nécessaires pour éviter l’effondrement de certaines filières et faire en sorte que le pouvoir d’achat des Français ne soit pas une nouvelle fois amputé par des hausses de prix. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST. – M. Fabien Gay applaudit également.)
situation en nouvelle-calédonie
M. le président. La parole est à M. Robert Wienie Xowie, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
M. Robert Wienie Xowie. Monsieur le Premier ministre, en adoptant une approche nouvelle, vous avez permis à l’ensemble des partenaires, dont le représentant du peuple colonisé, le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), d’amorcer une première phase de discussion. L’émergence d’un accord gagnant-gagnant pour nos compatriotes est attendue avec fébrilité, dans un pays que la crise a mis à genoux.
Vous avez énoncé clairement et avec force que l’accord de Nouméa constituait le socle intangible sur lequel la négociation devrait se fonder. Vous avez également confirmé à maintes reprises que le droit à l’autodétermination du peuple colonisé, le peuple kanak, était garanti par la Constitution. Ce faisant, vous avez posé un cadre et des bases de discussion pour que les partenaires aboutissent à un compromis solide.
Toutefois, une inconnue demeure, monsieur le Premier ministre : l’accès vers la décolonisation. Permettez-moi de citer un proverbe nemi du nord de la Nouvelle-Calédonie, la région du député Tjibaou : « Tu saurais où se trouve la porte si tu avais aidé à construire la case ! »
La trajectoire politique d’émancipation et d’évolution institutionnelle engagée depuis 1983 doit nous conduire à une évolution significative, au-delà de l’accord de Nouméa.
Pour achever la parenthèse coloniale en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, le processus engagé devra envisager le transfert des compétences régaliennes et indiquer un calendrier selon lequel notre droit à l’autodétermination pourra s’exercer.
Monsieur le Premier ministre, comment aboutir à une sortie de la décolonisation, ainsi que le prévoit l’accord de Nouméa, si la seule perspective est de décoloniser dans la France ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le sénateur Xowie, vous l’avez rappelé, dès son installation, le Gouvernement a décidé, sous l’autorité de Manuel Valls, ministre d’État chargé de l’outre-mer, de faire reprendre le dialogue en Nouvelle-Calédonie, qui était devenu très difficile après les événements que vous savez.
Dès le 29 janvier, j’ai écrit à toutes les formations politiques – vous avez lu le texte, vous en avez cité des passages – pour leur proposer d’ouvrir des discussions afin de trouver un accord politique susceptible de sortir le territoire du marasme dans lequel il se trouve depuis les émeutes de mai 2024.
Manuel Valls a accumulé beaucoup d’expérience et le travail qu’il conduit avec les Calédoniens offrira, j’en suis persuadé, des perspectives importantes aux habitants de la Nouvelle-Calédonie. Ceux-ci sont évidemment en première ligne.
Dès le mois de février, des réunions se sont tenues, à Paris, puis à Nouméa, où le ministre d’État s’est rendu à deux reprises. Un premier document d’orientation a été mis sur la table, puis un projet d’accord, dont toutes les parties ont commencé à discuter le 31 mars dernier.
Je considère que nous avançons collectivement, pas à pas, selon une méthode que j’ai voulue respectueuse de chacun et qui s’intègre dans une histoire marquée par les accords de Matignon-Oudinot, puis de Nouméa.
La question de l’autodétermination est évidemment centrale. Elle a été rappelée par tous les aspects du droit : elle est reconnue par les textes internationaux, dont la Charte des Nations unies, mais aussi par notre Constitution, en son article 53. Ce droit a été très souvent rappelé en tant que principe, mais les conditions de son exercice sont au cœur des discussions.
Je rappelle que trois référendums se sont déroulés. Si le troisième a donné lieu à de nombreuses discussions, ils ont tous trois conclu à une réponse négative. Conformément aux accords de Nouméa, les partis se retrouvent « pour examiner la situation ainsi créée ». Les options sont sur la table, vous les connaissez, et je sais votre aspiration à une souveraineté pleine et entière de la Nouvelle-Calédonie.
Le ministre d’État a déjà annoncé qu’il reviendrait à Nouméa à la fin du mois d’avril pour poursuivre ces discussions. Je souhaite qu’un accord soit trouvé et je le crois possible, car il est essentiel pour l’avenir des Calédoniens.
J’ai la conviction, et je suis sûr que vous la partagez, monsieur le sénateur, que sans un accord de ce type, le territoire ne pourra pas se rétablir. Nous, le Gouvernement, le devons à l’ensemble des Calédoniens, et les représentants des Calédoniens le doivent à leurs concitoyens.
L’État affirme donc qu’il se tient aux côtés des Calédoniens, aujourd’hui comme demain, quelle que soit la forme que nous trouverons collectivement – et dont nous savons tous qu’elle sera forcément originale, comme elle l’a toujours été – pour ce pays qui retient, depuis si longtemps, notre attention, notre engagement, et, si vous me permettez de le dire, notre affection. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n’est pas un pays…
M. le président. La parole est à M. Robert Wienie Xowie, pour la réplique.
M. Robert Wienie Xowie. L’État a la responsabilité de la décolonisation ; nous serons attentifs à cela. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Akli Mellouli applaudit également.)
avancées sur le statut de l’élu
M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Ludovic Haye. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce lundi, une tribune du président de l’Association des petites villes de France (APVF), Christophe Bouillon, cosignée par un collectif d’élus locaux et nationaux est parue dans le journal Le Monde pour appeler à rendre plus attractif le statut des élus.
Le constat est tristement connu : les violences contre les élus se multiplient et les démissions s’accélèrent. Selon une étude du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) publiée hier soir, près d’un maire sur deux ne se représentera pas en 2026. En zone rurale, ce chiffre s’élève à deux sur trois, contre seulement un sur quatre en zone urbaine : voilà un révélateur brutal de la fracture territoriale qui s’installe progressivement.
Pourtant, l’engagement des élus ne faiblit pas. Souvent au prix de leur vie personnelle ou professionnelle, ceux-ci ont fait le choix altruiste de servir les autres, de servir la République.
Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est temps de reconnaître pleinement cet engagement, de le sécuriser et de le valoriser. Le fait de revoir le statut de l’élu revient à accorder non pas un privilège, mais une juste reconnaissance à celles et à ceux qui font vivre nos communes, nos intercommunalités et nos territoires. Nous le leur devons.
Les élus attendent des propositions concrètes. Ils souhaitent pouvoir aménager leur temps de travail pour exercer leur mandat au service des autres, de l’intérêt général et du bien commun. Ils appellent à un renforcement de leur sécurité et à un durcissement des sanctions envers celles et ceux qui s’en prennent à eux. Ils demandent une reconnaissance plus juste de leur engagement par le biais d’une indemnisation digne et d’une adaptation cohérente du calcul de leur retraite pour qu’il tienne compte de leur choix de faire primer leur engagement citoyen sur leur carrière professionnelle.
Nous avons tenté de répondre au mieux à ces enjeux en adoptant en mars 2024 une proposition de loi d’origine sénatoriale, sur laquelle, madame la ministre, je connais votre engagement. Mais cette proposition de loi reste en suspens. Depuis, une autre proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale et Éric Woerth a remis au Président de la République son rapport sur la décentralisation. Ces textes pourraient utilement s’enrichir les uns les autres.
Madame la ministre, en cette période clé de constitution des listes électorales, à quelle date cette proposition de loi sera-t-elle inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ? Quelles mesures concrètes le Gouvernement entend-il y intégrer pour envoyer un message fort et clair à nos élus locaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur Ludovic Haye, je vous remercie de cette question, qui est bel est bien d’actualité.
En effet, il y a un peu plus d’un an, votre assemblée a adopté à l’unanimité une proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local. Je veux remercier le Premier ministre et François Rebsamen de leur engagement pour faire prospérer ce texte.
Vous l’avez rappelé, bon nombre d’élus, d’associations d’élus et de parlementaires ne cessent de réclamer, de manière très positive, que ce texte aboutisse.
Les élus locaux sont les sentinelles de la République des faiseurs. Chacun connaît l’importance de leur mission et la fragilité de l’engagement.
Sous l’autorité du Premier ministre, le Gouvernement entend faire prospérer cette proposition de loi sénatoriale, qui sera enrichie, comme vous l’appelez de vos vœux, monsieur le sénateur, des travaux de l’Assemblée nationale, d’Éric Woerth, mais aussi de Boris Ravignon et de Christian Vigouroux.
Nous sommes d’accord sur l’exigence de faciliter d’urgence l’engagement des élus et de sécuriser l’exercice, mais aussi la fin de leur mandat. Aussi le Premier ministre et le Gouvernement entendent-ils faire prospérer ce texte d’ici à la fin de la session parlementaire, car il est, me semble-t-il, temps de conclure ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
professeur empêché de faire cours à l’université lumière-lyon-ii
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Madame la ministre d’État, le 19 février dernier, à Lyon, un collectif radical a pris d’assaut la salle H.103 de l’université Lumière-Lyon II. Depuis, les provocations se multiplient : blocages, occupations, prières en plein campus, invectives publiques contre une direction accusée de racisme et d’islamophobie…
Le 1er avril, un nouveau cap a été franchi : quinze militants cagoulés ont violemment interrompu le cours du professeur Fabrice Balanche en l’injuriant, le menaçant et le traitant de sioniste et de génocidaire.
Certes, vous avez affiché votre soutien. Pourtant, la salle est toujours occupée. Les intimidations continuent. L’idéologie qui y est professée est antifrançaise, radicale et violente !
Madame la ministre d’État, nous voyons nos universités devenir des zones de non-droit. Est-ce tolérable ? Est-ce acceptable ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme Laure Darcos applaudit également.)
M. Michel Savin. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Max Brisson, mon message est clair : fermeté absolue et soutien total à l’université Lumière-Lyon II et à ses enseignants !
Il est inacceptable d’empêcher un cours de se tenir. Il est intolérable que des individus masqués et cagoulés prennent à partie et menacent un professeur en l’obligeant à quitter son amphithéâtre. Aussi, Philippe Baptiste et moi-même ne laisserons rien passer.
L’université est le creuset de la démocratie. C’est un espace de liberté d’expression, dans le cadre régi par la loi, où les débats doivent pouvoir se tenir de façon respectueuse. C’est dans cette logique que je défendrai toujours les libertés académiques et la liberté d’expression.
Vous le savez, l’université a immédiatement réagi en accordant la protection fonctionnelle au professeur concerné et en faisant un signalement au procureur de la République.
M. Stéphane Ravier. Demi-mesures !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. Une information judiciaire est ouverte et j’ai demandé que mon ministère se constitue partie civile dans cette affaire.
Philippe Baptiste et moi-même défendrons toujours la liberté d’enseigner ; nous serons toujours aux côtés de nos professeurs. J’affirme une nouvelle fois devant vous notre totale fermeté et notre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. Vous condamnez de nouveau cette agression ; fort bien ! Samedi, Jean-Michel Blanquer vous a lancé un appel à agir. Interrompre un cours est une attaque frontale contre les libertés académiques, et celui du professeur Balanche n’a pas été interrompu par hasard. Il a été ciblé : ciblé pour ses travaux sur le Moyen-Orient ; ciblé parce qu’il refuse de céder à l’intimidation intellectuelle.
Des idéologues gauchistes et islamistes l’ont pris pour cible, comme ils l’ont fait hier avec Gilles Kepel, Bernard Rougier ou Florence Bergeaud-Blackler. Jusqu’à quand laisserons-nous faire ?
Madame la ministre, il faut agir maintenant, fermement, clairement, courageusement ! Vous devez exiger l’évacuation des locaux et l’exclusion des agresseurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Alain Cazabonne et Aymeric Durox applaudissent également.) Vous devez vous porter partie civile, comme vous venez de vous y engager.
Le ministère de l’intérieur protège ses policiers ; il est temps que le ministère de l’enseignement supérieur protège ses professeurs ! Car sans liberté académique, il n’y a plus d’université ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
rapport parlementaire sur la protection de l’enfance
M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marion Canalès. Madame la ministre, hier, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance a rendu un rapport très attendu. Au total, en deux ans, 1 800 pages de rapports ont été publiées, 450 préconisations ont été formulées, des procès ont eu lieu, des travailleurs sociaux ont alerté, des enfants ont témoigné. D’autres ne le peuvent plus.
Personne ne peut ignorer l’état de la protection de l’enfance et le sort des 400 000 enfants accompagnés, parfois, protégés, mais pas toujours. L’écart entre ce qui est dit et su et la réalité de l’action est immense. Quand les lois déjà adoptées se traduiront-elles enfin par des décrets, pour certaines, et dans les faits, pour les autres ?
Seulement 30 % des enfants bénéficient du bilan de santé global, pourtant prévu par la loi de modernisation de notre système de santé de 2016 et par la loi relative à la protection des enfants de 2022.
Quand obtiendrons-nous enfin une loi pluriannuelle des moyens alloués à la protection de l’enfance pour tracer de vraies perspectives ? Qu’avez-vous fait du rapport sur le travail social ? Ne pas renforcer les métiers du lien, c’est creuser le gouffre de la protection de l’enfance. Aujourd’hui, il faut agir !
Chacun de ces 400 000 enfants est une figure républicaine à l’égard de laquelle notre responsabilité est immense. Ces enfants tiennent, parfois sous les coups, souvent sous les dominations ou le déni. Certains ne tiennent pas.
Nous leur devons une mobilisation à la hauteur de leur résistance. Pour les enfants d’aujourd’hui et de demain, peut-on sérieusement continuer de laisser le financement des solidarités dans nos départements reposer en partie sur les droits de mutation et des dynamiques de marché comme c’est actuellement le cas ?
Si je force le trait, l’offre en protection de l’enfance dans un département donné dépend du nombre d’appartements qui y sont vendus. Voilà la réalité de notre système !
Quid des enfants d’hier, qui n’ont pas trouvé la protection qui leur était due et auxquels les manquements historiques de l’État n’ont pas permis d’écrire une nouvelle page ? Prendrez-vous l’initiative de créer une commission nationale de reconnaissance de ces victimes ? ((Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – MM. Ian Brossat et Philippe Grosvalet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles. Madame la sénatrice Canalès, vous abordez différents sujets dans votre question.
Vous avez évoqué le remarquable travail qui vient d’être rendu hier par la députée Isabelle Santiago, avec laquelle j’ai eu l’occasion de m’entretenir à plusieurs reprises, comme j’ai eu l’occasion de le faire avec sa collègue Perrine Goulet, qui préside la délégation aux droits des enfants à l’Assemblée nationale.
Je souhaite travailler sur plusieurs sujets liés à l’enfance, que j’ai mis en avant pas plus tard que lundi.
Tout d’abord, je souhaite que nous publiions les décrets d’application qui doivent l’être. J’ai d’ailleurs fait publier un décret d’application de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi Taquet, il y a exactement quinze jours.
Ensuite, je discute avec les départements au sujet du financement de certaines mesures, car, comme vous le savez très bien, dès lors qu’il est question de normes d’encadrement, cela implique un financement supplémentaire. Actuellement, les départements s’engagent de façon importante sur l’aide sociale à l’enfance (ASE) et l’État les accompagne.
Aussi, j’ai établi avec Florence Dabin, vice-présidente de Départements de France et présidente du groupement d’intérêt public Enfance en danger, un plan d’action sur l’aide à l’enfance.
Premièrement, nous travaillons sur le sujet des pouponnières : nous voulons qu’aucun enfant de moins de 3 ans ne soit gardé en accueil collectif dans un délai le plus court possible.
Deuxièmement, nous souhaitons renforcer le vivier des assistants familiaux en leur permettant de travailler quand les enfants qu’ils gardent sont scolarisés.
Troisièmement, nous nous penchons sur la rémunération de ces derniers, qui est un élément important.
Quatrièmement, nous travaillons sur l’orientation professionnelle de chacun des enfants de l’ASE.
Cinquièmement, nous voulons instaurer un bilan de santé lorsqu’un enfant est dirigé vers l’aide sociale à l’enfance.
Madame la sénatrice, vous avez également fait allusion à la question des travailleurs sociaux. J’ai rendez-vous à seize heures trente avec le président du Haut Conseil du travail social (HCTS), Mathieu Klein, et le président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss), Daniel Goldberg, précisément pour travailler sur l’ensemble de ces sujets.
Enfin, en ce qui concerne le rapport de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), le Premier ministre a arbitré : nous avons prolongé cette commission jusqu’en septembre 2026 pour qu’elle continue de travailler avec l’ensemble de ses membres sous la houlette de la haute-commissaire à l’enfance Sarah El Haïry. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès, pour la réplique.
Mme Marion Canalès. Madame la ministre, je regrette que rien dans vos annonces ne concerne les enfants qui dépendent à 100 % de l’État : je pense aux enfants qui attendent des places en institut médico-éducatif (IME). En Gironde, près de 150 d’entre eux sont pris en charge par le conseil départemental.
Comme vous avez cité la présidente de la délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale, je déplore le fait que nous n’ayons pas la chance de vous auditionner dans ce cadre au Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Micheline Jacques, pour le groupe Les Républicains.
Mme Micheline Jacques. Monsieur le ministre de l’intérieur, en 2024, quelque 50 tonnes de cocaïne ont été saisies. C’est le résultat de la lutte intensive que nous avons engagée contre le narcotrafic sur notre territoire terrestre et maritime. Dans la nuit du 3 au 4 avril dernier, 830 kilos de cocaïne ont encore été interceptés. En Guyane, le dispositif d’interception des mules a fait diminuer radicalement les passages.
Toutefois, il faut voir dans ces prises le corollaire de l’augmentation de la production. Les chiffres sont alarmants et suscitent de vives inquiétudes pour les territoires français de la Caraïbe, qui sont particulièrement exposés en raison de leur position géographique.
Il y a deux semaines, une chaîne de télévision diffusait un reportage montrant, en Guadeloupe, un trafiquant, bracelet électronique à la cheville, poursuivre ses affaires illégales. Cela n’est pas tolérable.
À 900 kilomètres de Saint-Martin, et donc de la France, la capitale haïtienne, Port-au-Prince, est en proie à des gangs dont tout porte à croire qu’ils sont soutenus et financés par des cartels de drogue. Localement, l’inquiétude que nous partageons est de voir la ville tomber aux mains des trafiquants, ce qui offrirait un point de passage facilité à la drogue et aux armes. Aussi, nous ne pouvons pas rester inactifs.
La part des mineurs dans les rangs des gangs est évaluée à 30 %. Bien sûr, nous ne pouvons pas demander à l’armée d’intervenir contre des enfants. Toutefois, nos forces de police disposant d’une certaine expertise en matière de guérilla urbaine, comment pouvons-nous envisager d’aider Haïti pour ne pas laisser s’y créer un hub du narcotrafic ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice Micheline Jacques, je l’ai souvent dit, les drogues les plus dures sont désormais disponibles partout, tout le temps. Cela vaut évidemment pour nos territoires d’outre-mer.
Comme vous l’avez indiqué, les Caraïbes sont une zone de transit intermédiaire entre les pays producteurs, je pense en particulier à l’Amérique du Sud, et les pays consommateurs, situés plutôt en Europe ou en Amérique du Nord.
Vous pointez la situation d’Haïti, qui est absolument chaotique. Vous le savez parfaitement, plusieurs crises s’y emboîtent et se potentialisent : sécuritaire, politique, humanitaire. Les vulnérabilités du pays sont autant de chances pour les narcotrafiquants et pour des gangs lourdement armés et ultraviolents.
Depuis longtemps, la France se tient aux côtés d’Haïti. Nous aidons autant que nous le pouvons la force de police, qui est la seule à pouvoir résister à ces gangs. Nous le faisons à la fois par du conseil, par de la formation et par la livraison de matériel.
Pour répondre à votre question précise, nous allons accroître cette aide. C’est le sens de la rencontre entre le Président de la République et le président du Conseil présidentiel de transition haïtien le 29 janvier. Nous apporterons notre expertise et je vous informe que des éléments du Raid (recherche, assistance, intervention, dissuasion) sont actifs et conseillent les forces de police haïtienne.
Nous livrerons également du matériel, notamment des drones, et même des véhicules blindés. Nous essayons de reproduire ce qui peut ressembler à notre modèle de l’Office anti-stupéfiants (Ofast) avec l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) haïtienne.
Ce que je peux vous dire, c’est que la situation en Haïti est tellement mauvaise que la plupart des pays se sont retirés. Un seul pays, le nôtre, se tient debout aux côtés d’Haïti pour aider ses habitants dans le chaos auquel ils sont confrontés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Micheline Jacques, pour la réplique.
Mme Micheline Jacques. Je vous remercie, monsieur le ministre. Aider Haïti, c’est aussi aider les outre-mer caribéens et je sais que je peux compter sur votre détermination et sur celle de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Vincent Capo-Canellas. Ma question s’adresse à Mme la ministre chargée des comptes publics.
Madame la ministre, M. le Premier ministre a estimé ce week-end à 0,5 point de PIB les potentielles répercussions sur notre économie de l’augmentation des droits de douane annoncée par le président Trump. C’est considérable ! Sans doute est-ce une fourchette haute ; du moins pouvons-nous l’espérer…
Tout d’abord, mon groupe s’interroge, comme viennent de le faire plusieurs de nos collègues, sur l’accompagnement de nos entreprises et en particulier de la filière du vin et des spiritueux et de la filière aéronautique. Je sais que le ministre de l’économie s’apprête à recevoir les représentants de ces secteurs exportateurs dans quelques minutes.
Ensuite se pose la question de l’impact pour nos finances publiques. Comment comptez-vous faire face au choc supplémentaire que ces droits de douane induiront pour nos finances publiques, dont la situation est déjà difficile ? Se profile sans doute une croissance moindre, et même un risque de stagnation, voire, pour les plus pessimistes, de récession.
Vous avez annoncé ce matin avoir saisi le Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Quelle est, à ce stade, votre nouvelle prévision de croissance pour cette année ? Comment conserverez-vous la crédibilité nécessaire vis-à-vis des marchés financiers pour financer notre dette alors que les taux d’intérêt remontent ?
Notre objectif de revenir à un déficit de 3 % du PIB en 2029 est-il compromis ? Comptez-vous le maintenir ? Le pouvez-vous ?
Une voie est sans doute possible, voire nécessaire : stabiliser notre niveau de dépense primaire et maintenir notre effort structurel, c’est-à-dire la maîtrise de nos dépenses hors dégradation nouvelle de la conjoncture.
La conférence sur les finances publiques qui doit se tenir mardi prochain aura-t-elle pour objet de revenir sur l’objectif programmé, ou au contraire de déterminer les moyens de le respecter et de maîtriser notre trajectoire financière dans ces moments si difficiles ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Michel Savin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez tout à fait raison : plus elle durera, plus la guerre commerciale que nous livrent les États-Unis aura un impact important sur l’économie européenne et française.
Elle devrait a priori nous coûter quelques points de croissance. Je dis « a priori » parce que de nombreuses incertitudes demeurent sur l’effet de ces mesures sur l’inflation, sur le prix du baril et sur les enjeux croisés en Europe. Cela dépendra également des mesures de rétorsion que nous prendrons pour résister, mais surtout pour faire annuler ces droits de douane qui sont irrationnels, infondés et n’entraînent de la croissance ou de la prospérité nulle part dans le monde, y compris aux États-Unis.
En ce qui concerne les perspectives de nos finances publiques, le Premier ministre a fixé un cap très clair.
Tout d’abord, le désendettement ne peut souffrir aucun prétexte de renoncement. Nous tenons notre ligne et, comme vous le dites, la clé réside dans les dépenses publiques. C’est pourquoi j’ai annoncé ce matin, sous l’autorité du Premier ministre, que, compte tenu du ralentissement de la croissance – les chiffres seront communiqués dans la journée – et des aléas, nous devons ajuster notre dépense.
Nous prévoyons ainsi de réduire de 5 milliards d’euros nos dépenses publiques pour respecter notre objectif de déficit en 2025, mais également pour continuer de viser un déficit de 3 % ou moins en 2029. Pourquoi 3 % ? Parce que c’est le seuil de déficit qui nous permet de stabiliser, puis de réduire la dette.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous veillons à travailler avec vous en pleine transparence. Quoi qu’il arrive, nous devons pouvoir faire face aux risques en temps réel. Quels que soient les aléas, nous devons avoir, avec la représentation nationale comme avec les Français, une copie partagée.
Pour que les contraintes soient connues, pour que les décisions soient comprises, nous devons garantir une transparence totale. C’est tout le sens de la réunion que M. le Premier ministre a annoncée pour la semaine prochaine. Elle permettra de préciser où nous en sommes, où sont les risques, où nous allons et ce que nous faisons, en totale transparence. En effet, le Gouvernement n’est pas seul en responsabilité : c’est tout le pays qui fait face à une multiplicité de crises, auxquelles nous devons répondre. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’éducation nationale, et pour cause, elle porte sur l’école.
Madame la ministre, tout le monde observe depuis bien longtemps les effets délétères des écrans, et notamment des téléphones portables, en particulier sur les enfants et les adolescents. L’usage excessif du numérique, qui altère leur sommeil, leur attention et leur concentration, est source de décrochages multiples.
Parmi nos jeunes, personne n’est épargné. Le déluge numérique auquel ces derniers sont soumis est désormais permanent. Il est devenu un phénomène social majeur, qui contribue en grande partie à la dégradation des apprentissages et, plus largement, de la réussite scolaire.
À la rentrée de septembre 2024, une expérimentation de l’interdiction effective du téléphone portable au collège a été lancée. Mais, par définition, elle ne concerne qu’un nombre réduit d’élèves : comptez-vous généraliser cette mesure à la prochaine rentrée scolaire ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Mickaël Vallet et Alexandre Basquin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur François Bonhomme, je vous le confirme : je souhaite que la pause numérique soit étendue à tous les collèges à la prochaine rentrée.
M. Mickaël Vallet. Bravo !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. Vous avez évoqué de nombreux effets néfastes du téléphone portable. À ce titre, le Centre national du livre (CNL) dresse le constat suivant dans une récente enquête : quand un jeune passe en moyenne cinq heures par jour devant un écran, il ne passe que trois heures par semaine sur un livre.
En parallèle – le CNL le souligne également –, non seulement la pratique de la lecture baisse, mais la moitié des jeunes qui lisent font autre chose, en même temps, avec leur téléphone.
L’usage excessif des écrans est en effet préjudiciable à la réussite des élèves.
La pause numérique fait suite au rapport que la commission chargée d’évaluer les enjeux de l’exposition des enfants aux écrans a remis à la fin du mois d’avril 2024 au Président de la République. Comme vous l’avez dit, elle est expérimentée dans une centaine de collèges depuis la rentrée de 2024, et tous les retours sont très positifs. On observe notamment une amélioration du climat scolaire et le large soutien dont cette mesure bénéficie de la part des parents et des professeurs.
Évidemment, ce choix n’exclut pas tout usage du numérique : ce dernier peut être employé à des fins pédagogiques, mais il doit être encadré.
Pour la rentrée prochaine, je souhaite que les modalités de mise en œuvre de cette généralisation soient laissées à l’appréciation des chefs d’établissement, en lien avec les conseils départementaux. On pourra opter, par exemple, pour des casiers ou pour des pochettes. Le coût de cette mesure pourra être nul pour l’établissement. Au maximum, il atteindra quelques milliers d’euros.
Vous le soulignez avec raison, à l’heure où l’usage des écrans inspire de plus en plus d’interrogations, du fait de ses nombreuses conséquences néfastes, cette mesure est essentielle à la fois au bien-être et à la réussite de nos élèves. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, RDSE et UC.)
M. Mickaël Vallet. C’est plus urgent que les uniformes !
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour la réplique.
M. François Bonhomme. Madame la ministre, j’ai bien entendu votre réponse et j’y souscris assez largement. Simplement, nous sommes en 2025 ! Cela fait quinze ans que ce phénomène provoque des dégâts considérables à l’école. On ne le découvre pas ; on le répète, étude après étude.
Dans une récente enquête, le CNL souligne une fois de plus que le temps de lecture ne cesse de diminuer au profit du temps passé sur les écrans.
L’usage excessif du numérique participe de l’effondrement du niveau des élèves, régulièrement confirmé par les études tant nationales qu’internationales. Vous connaissez comme moi ses effets terribles sur la santé des élèves. Il nuit à leur sommeil comme à leur concentration, et je ne parle pas du cyberharcèlement. Je le répète, nous sommes loin de découvrir ce phénomène.
Je salue évidemment la généralisation de la pause numérique. Mais, en la matière, il va falloir faire preuve d’une grande fermeté et d’un grand courage. En outre, vous n’avez parlé que du collège : pourquoi le lycée ne bénéficierait-il pas lui aussi de cette protection ?
Toutes les salles de classe doivent être protégées des intrusions multiples auxquelles donne lieu ce flux permanent. Les phénomènes que l’on déplore au collège sont également à l’œuvre au lycée. Face à ce fléau, je vous encourage à faire preuve de volonté et de détermination : c’est le seul moyen d’obtenir des succès effectifs ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et SER. – M. Alexandre Basquin applaudit également.)
mortalité infantile et services de maternité
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Patrice Joly. Depuis plusieurs années, la mortalité infantile ne cesse d’augmenter en France, atteignant désormais des taux tout à fait alarmants. Notre pays est passé de 3,6 décès pour 1 000 naissances en 2021 à 3,9 pour 1 000 en 2023, puis à 4,1 pour 1 000 en 2024. Quel niveau faudra-t-il atteindre pour que l’on réagisse enfin ?
En 2024, 2 800 enfants ont perdu la vie avant leur premier anniversaire. Cette dégradation catastrophique frappe particulièrement les départements les plus pauvres et les départements ruraux, où en moyenne 20 % des femmes en âge d’être mères vivent à plus de quarante-cinq minutes d’une maternité.
Cette dégradation a été mise en lumière par l’Institut national d’études démographiques (Ined), qui, dans un rapport publié en décembre dernier, place désormais la France loin derrière ses voisins européens, à la vingt-troisième place sur vingt-sept.
Dans leur dernière enquête, parue en mars dernier, intitulée Le Scandale des accouchements en France, les journalistes Anthony Cortes et Sébastien Leurquin se sont attachés à identifier les causes de cette régression inacceptable pour un pays qui était encore, il y a peu, un des meilleurs d’Europe en la matière.
Les causes sont connues et dénoncées par les professionnels : d’une part, les fermetures massives de maternités, mesures à l’évidence purement budgétaires, puisque le service se dégrade ; de l’autre, la pénurie de soignants, qui persiste faute du courage politique nécessaire pour assurer une bonne répartition territoriale.
En cinquante ans, 75 % de nos maternités ont disparu : nous sommes passés de 1 369 maternités publiques en 1975 à 457 en 2024. Or ces fermetures – chacun le sait – augmentent le risque de morbidité et de complications pour la mère comme pour l’enfant.
Madame la ministre, pouvons-nous continuer à sacrifier l’accès aux soins des femmes et des enfants sous prétexte de rationalisation ? Devons-nous poursuivre la fermeture des maternités réalisant moins de 1 000 naissances par an et laisser tant de femmes accoucher sur les routes ? (Applaudissements sur des travées des groupes SER et GEST.)
Mme Marie-Pierre Monier. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles. Monsieur le sénateur Patrice Joly, le sujet que vous abordez a fait l’objet d’un travail particulièrement approfondi de la part du Sénat. À ce titre, je tiens à saluer vos collègues Annick Jacquemet et Véronique Guillotin, dont le rapport m’a été remis lundi dernier. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Jean-François Husson. Très bien !
Mme Catherine Vautrin, ministre. Ce rapport détaille les différentes difficultés que nous rencontrons en la matière.
Vous avez évoqué la mortalité néonatale en citant un certain nombre de chiffres. J’insiste sur le fait qu’il s’agit des nouveau-nés décédés entre leur naissance et leur vingt-septième jour.
Nous avons encore besoin, dans notre pays, d’une évaluation extrêmement précise des multiples facteurs expliquant ces morts. (M. Patrice Joly le concède.) C’est la raison pour laquelle j’ai décidé la création d’un registre national, grâce auquel nous pourrons analyser la cause de chacun des décès.
Nous le savons, les causes sont plurielles. Dans certains cas, l’équipement néonatal est probablement en cause. La précarité est à l’évidence un facteur aggravant. Peut-être l’éloignement de certaines maternités est-il également un sujet,…
M. Mickaël Vallet. Ah !
Mme Catherine Vautrin, ministre. … y compris pour l’accompagnement des mères.
L’augmentation de l’âge de la mère à la naissance du premier enfant explique peut-être aussi en partie la hausse de mortalité constatée. (Mme Émilienne Poumirol s’exclame.) Tous ces facteurs méritent d’être renseignés. C’est ainsi que nous pourrons apporter les bonnes solutions.
En outre – tous les gouvernements qui se sont succédé ont une part de responsabilité en la matière et il s’agit là d’un sujet éminemment transpartisan –, en matière de néonatalité, les derniers décrets datent de 1998 : ils ont grand besoin d’être actualisés. Nous allons mener ce travail. C’est l’engagement que je prends devant vous, à la demande de M. le Premier ministre. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly, pour la réplique.
M. Patrice Joly. Madame la ministre, je vous remercie de ces éléments de réponse.
Néanmoins, de manière plus générale, je m’interroge : devons-nous continuer, dans nos territoires, à être maltraités à la naissance, ignorés une fois devenus adultes, puis abandonnés lorsque nous devenons seniors et approchons de la fin de notre vie ?
Doit-on continuer à fermer les yeux sur la tiers-mondisation de notre système de santé ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christophe-André Frassa. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Cela fait aujourd’hui près de quatre ans que notre compatriote Paul Maillot, condamné à vingt ans de travaux forcés, purge sa peine dans des conditions innommables à Madagascar.
Ancien officier de la gendarmerie française, Paul Maillot est détenu par les autorités malgaches à la suite de l’affaire dite Apollo 21.
Cette affaire connaît depuis plusieurs semaines, si ce n’est plusieurs mois, un véritable retentissement médiatique. Ce dernier devient même de plus en plus fort, tant le caractère arbitraire de la détention de M. Maillot est devenu une évidence. Les Nations unies l’ont confirmé dans un récent avis en demandant sa libération immédiate.
Paul Maillot représente aujourd’hui un moyen de pression dans les relations bilatérales entre la France et Madagascar. Il ne doit pas en être l’otage. Sa double nationalité, souvent invoquée par les Malgaches pour justifier l’absence de réponse favorable à son sujet, n’est qu’un argument de façade – convenons-en.
M. Paul Maillot mérite toute l’assistance de son pays, la France, laquelle ne saurait se limiter à une simple mobilisation de principe.
Monsieur le ministre, le 24 avril prochain se tiendra à Madagascar le sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Commission de l’océan Indien (COI). La France doit saisir cette occasion. Elle doit apporter son concours à l’application de l’avis de l’ONU en demandant la libération de Paul Maillot.
Sa fille aînée, que j’ai eu l’occasion de rencontrer à de nombreuses reprises et qui se trouve cet après-midi en tribune, est éreintée par cette situation, en particulier par la responsabilité de la survie de son père, depuis la France.
Les Malgaches souhaitent rééquilibrer nos relations bilatérales : soit. Cela doit passer par le retour en France de Paul Maillot dans les plus brefs délais. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, la situation de Paul Maillot est suivie de très près par les services de mon ministère et par le Gouvernement tout entier, sous l’autorité du Premier ministre.
Les agents du consulat général de France à Madagascar ont rencontré Paul Maillot à plusieurs reprises. Le dernier de ces entretiens a eu lieu le 25 mars dernier, et le prochain devrait se tenir cette semaine.
Par ailleurs, nous entretenons un dialogue soutenu avec les autorités malgaches, dans le cadre de la coopération judiciaire qui lie nos deux pays. Les conditions de détention de Paul Maillot sont pour nous source de vives inquiétudes, et nous plaidons pour leur amélioration.
Enfin, nous restons aux côtés de la famille de Paul Maillot. Sa fille a été reçue par mon cabinet le 24 février dernier et nous veillerons à maintenir le dialogue avec les différents membres de sa famille.
C’est la mission, c’est même l’honneur du ministère des affaires étrangères de rester en soutien et à l’écoute de Paul Maillot comme de l’ensemble de nos compatriotes détenus à l’étranger, en tentant d’obtenir l’amélioration de leurs conditions de détention et leur libération. Nous sommes également aux côtés de leur famille, en leur apportant tout le soutien moral que nous pouvons leur donner. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa, pour la réplique.
M. Christophe-André Frassa. Monsieur le ministre, il est temps de faire un peu plus que du soutien moral…
M. Laurent Burgoa. Oui !
M. Christophe-André Frassa. Les autorités malgaches utilisent Paul Maillot comme un otage dans leurs relations bilatérales avec la France. Or nous avons aujourd’hui une occasion de venir au secours de notre compatriote.
M. le Président de la République et vous-même vous rendrez prochainement au sommet de la Commission de l’océan Indien. Je le répète, c’est là qu’il va falloir peser.
Il faut agir de manière tout à fait concrète : nous comptons sur vous pour que la libération de Paul Maillot soit l’un des enjeux de la rencontre entre le Président de la République et son homologue malgache. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
sort des brigades de gendarmerie créées par la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur
M. le président. La parole est à M. Franck Dhersin, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. Franck Dhersin. Ma question, à laquelle j’associe mes collègues sénateurs de la Marne et de la Haute-Loire, s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre, en 2022, le Président de la République annonçait, au titre du renforcement de la sécurité intérieure et de la présence de l’État, la création de 200 nouvelles brigades de gendarmerie. Il s’agissait de répondre à de fortes attentes en luttant contre les déserts sécuritaires, en faisant revenir durablement la force publique dans les territoires, notamment les territoires ruraux.
Nous avons salué l’ampleur de l’engagement pris : 239 créations de brigades ont finalement été actées, nombre supérieur à celui qui avait été annoncé initialement.
Comme tous les membres de cette assemblée, vous avez – je le sais – la conviction que la sécurité ne peut être à géométrie variable selon les territoires. Pourtant, plusieurs signaux d’alerte remontent du terrain.
Dans de nombreuses communes, les élus ont fait leur part du chemin : délibérations votées, crédits mobilisés, bâtiments rénovés ou du moins identifiés. Mais les effectifs attendus ne sont pas là.
Je citerai deux exemples, dans le département du Nord : la commune de Caudry, dont le maire a déjà investi 90 000 euros ; et celle de Renescure, dont le maire a quant à lui investi 40 000 euros, sans avoir pour l’instant aucune nouvelle au sujet des gendarmes promis.
Certains élus s’interrogent : les 2 000 équivalents temps plein (ETP) annoncés pour ces brigades ont-ils bien été budgétés ? Les projets sont-ils aujourd’hui gelés, voire compromis, en raison de blocages budgétaires ?
Il y a quand même un endroit où tout se passe bien : la caserne de Zuydcoote. Dès que vous le pourrez, je vous invite d’ailleurs à passer un week-end à Zuydcoote… (Sourires et exclamations.)
Pourquoi cela se passe-t-il bien là-bas ? Parce que c’est le seul endroit de France où les gendarmes sont payés par le gouvernement de Sa Gracieuse Majesté,…
M. Mickaël Vallet. Sa Gracieuse Majesté…
M. Franck Dhersin. … dans le cadre des politiques engagées face à la problématique migratoire.
Monsieur le ministre, nous avons besoin de clarté. Nos concitoyens, les élus locaux ou encore les forces de l’ordre, tous attendent que la promesse présidentielle soit tenue. Pouvez-vous nous indiquer où en est concrètement la programmation, quand les effectifs seront déployés et si tous les engagements seront honorés dans les délais annoncés ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Franck Dhersin, vous avez raison d’insister sur ces sujets. J’ai d’ailleurs récemment négocié une rallonge budgétaire avec mon homologue britannique Yvette Cooper, notamment pour déployer de nouvelles forces de lutte contre l’immigration illégale.
De même, vous avez raison de rappeler l’engagement présidentiel dont a fait l’objet le déploiement de ces 239 brigades de gendarmerie. S’y ajoute un engagement législatif : je me souviens très bien que le Sénat a voté, entre autres textes traitant de ces questions, le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi).
L’an dernier, nous avons déployé en tout et pour tout 80 brigades. Cette année, l’objectif est de 57. La priorité est accordée aux départements qui n’ont pas encore bénéficié de renforts. Nous privilégions en particulier les communes et, plus largement, les collectivités territoriales qui ont déjà investi en la matière.
La question n’est pas d’ordre strictement budgétaire, puisque nous disposons de la masse salariale. Il faudra néanmoins obtenir les autorisations de création des postes. Au total, ces 57 brigades de gendarmerie représentent 464 gendarmes.
Comme vous, je suis un enfant de la ruralité et je connais bien la gendarmerie nationale, à laquelle les Français sont attachés, à l’instar de tous les élus.
Notre gendarmerie nationale a une particularité : c’est son statut, très complémentaire de celui de la police nationale. Les gendarmes français restent des militaires, et je tiens tout particulièrement à cette spécificité.
Leur enracinement dans tous les territoires est une autre de leurs singularités. Le gendarme n’est pas seulement le soldat de la loi ; il est aussi le soldat du lieu. On ne protège bien que ce que l’on connaît bien et, comme vous, je suis très attaché à la présence de la gendarmerie dans l’ensemble des territoires. On le sait bien dans cette assemblée, plus la distance s’accroît, plus la confiance se réduit…
J’ai entendu votre question : il faut répondre aux engagements à la fois présidentiels et législatifs. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 30 avril, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de M. Loïc Hervé.)
PRÉSIDENCE DE M. Loïc Hervé
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Responsabilité de l’État et indemnisation des victimes du chlordécone
Discussion et retrait d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, de la proposition de loi relative à la reconnaissance de la responsabilité de l’État et à l’indemnisation des victimes du chlordécone, présentée par M. Dominique Théophile (proposition n° 27, résultat des travaux de la commission n° 507, rapport n° 506).
Discussion générale
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Dominique Théophile, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai l’honneur de vous demander de reconnaître la responsabilité de l’État dans les préjudices moraux et sanitaires subis par les populations de Guadeloupe et de Martinique, qui ont été exposées, pendant deux décennies, à un produit phytosanitaire toxique : le chlordécone.
Il est des scandales si profondément enracinés qu’ils traversent les décennies sans perdre leur capacité à susciter l’indignation.
En effet, de 1972 à 1992, l’État a autorisé la mise sur le marché de ce produit destiné à lutter contre le charançon de la banane, oubliant l’avertissement donné, dès 1968, par la Commission interministérielle d’étude de l’emploi des toxiques en agriculture, qui l’avait refoulé à cause de sa persistance et de sa toxicité.
En 2019, la commission d’enquête sur l’impact économique, sanitaire et environnemental de l’utilisation du chlordécone et du paraquat, emmenée par les députés Bénin et Letchimy, insistait déjà sur la « responsabilité de l’État dans une application accommodante de la législation ».
Aujourd’hui, le constat est sans appel : les Antilles occupent le premier rang mondial en termes d’incidence du cancer de la prostate. De surcroît, l’exposition au chlordécone multiplie par 2,5 le risque de récidive dudit cancer.
Cette pathologie n’est malheureusement pas la seule à affecter la population. Ainsi, une exposition chronique à la pollution rémanente par le chlordécone est susceptible non seulement de réduire la durée de la grossesse, mais également de provoquer un accouchement prématuré, ce qui peut entraîner de graves complications chez l’enfant, voire son décès.
L’exposition des parents à cette pollution rémanente est associée chez l’enfant à des troubles neurodéveloppementaux, au développement de leucémies et de tumeurs cérébrales, mais aussi à l’apparition d’une fente labio-palatine, appelée communément bec-de-lièvre, ou d’un hypospadias, une malformation sexuelle. Ces maladies et ces troubles du développement sont attestés et validés par la science.
Le cancer de la prostate lié à une surexposition au chlordécone a été inscrit, le 22 décembre 2021, au tableau des maladies professionnelles.
Une étude de cohorte, l’enquête Ti-Moun, menée depuis 2004, a permis d’observer que l’exposition chronique au chlordécone de la femme enceinte est associée de manière significative à une réduction de la durée de la grossesse. Ainsi, le risque de prématurité est accru pour les femmes présentant des concentrations de chlordécone dans le sang supérieures à 0,52 microgramme par litre.
En outre, des travaux sur le neurodéveloppement de l’enfant, publiés en 2022, démontrent qu’une exposition pré- et postnatale au chlordécone pourrait affecter le développement cognitif et le comportement de l’enfant.
Dans un arrêt récent, le 11 mars 2025, les juges de la cour administrative d’appel de Paris ont reconnu qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques, des pathologies graves sont susceptibles de se développer à la suite d’une exposition chronique au chlordécone : cancer de la prostate et sa récidive chez l’homme ; prééclampsie chez la femme enceinte ; troubles du développement chez l’enfant à naître et cancers pédiatriques.
Dans cet arrêt, la cour administrative d’appel a condamné l’État à indemniser une dizaine de requérants, qui demandaient réparation du préjudice d’anxiété subi du fait de leur contamination au chlordécone.
Ma proposition de loi vise donc à permettre à l’ensemble de la population de Guadeloupe et de Martinique d’obtenir réparation du préjudice d’anxiété subi du fait de son exposition au chlordécone sans avoir à introduire de recours devant le juge administratif. Elle a également pour objet l’obtention, par les personnes déjà malades, d’une juste indemnisation.
Pour ce faire, je propose de définir des conditions d’indemnisation et de mettre en place une autorité administrative indépendante, qui serait chargée de vérifier que lesdites conditions sont remplies et d’accorder les indemnisations sollicitées.
C’est donc à regret que j’ai appris que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable n’avait pas adopté ce texte, estimant qu’il n’était pas suffisamment équilibré.
Cet argument est difficile à entendre pour les personnes exposées au chlordécone depuis des dizaines d’années et qui le seront encore longtemps. Cela paraît d’autant plus injuste que le présent texte fixe précisément, selon le consensus scientifique international, les conditions de la réparation.
L’article 1er vise ainsi à reconnaître la responsabilité de l’État pour les préjudices causés par l’utilisation du chlordécone et subis par les populations antillaises et à fixer le principe d’une indemnisation de ces populations ainsi que l’obligation d’organiser une campagne de prévention à l’échelle nationale.
J’insiste sur la responsabilité de l’État : dans son arrêt du 11 mars dernier, la cour administrative d’appel de Paris a relevé que « l’État a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité à l’égard des requérants qui invoquent leur exposition à la pollution rémanente par le chlordécone en Martinique et en Guadeloupe ».
L’article 1er – fondamental – de ma proposition de loi est donc étayé par la jurisprudence administrative en la matière : il s’agit d’inscrire dans la loi ce que le juge a pu dégager de manière prétorienne. Ainsi, les nuances que souhaitait y introduire la commission lors de ses travaux n’avaient d’autre objet que de vider le texte de sa substance, aboutissant à une proposition de loi moins ambitieuse que les décisions de justice.
L’article 2 tend à fixer les conditions dans lesquelles les populations peuvent obtenir l’indemnisation prévue à l’article 1er en imposant au demandeur la charge de la preuve pour le lieu et la durée de séjour, ainsi que les préjudices indemnisés au titre de la présente proposition de loi.
Par ailleurs, le même article 2 prévoit que la liste des pathologies résultant d’une exposition au chlordécone, reconnues comme telles par la communauté scientifique internationale, soit fixée par décret.
Il a également pour objet de limiter le délai de recours à l’indemnisation à six ans à compter de la promulgation du présent texte ou du développement d’une pathologie liée à l’exposition au chlordécone.
Il vise enfin à permettre aux personnes ayant résidé au moins cinq ans aux Antilles françaises entre 1972 et 1992, ainsi qu’à leurs enfants, de bénéficier d’une indemnisation de leur préjudice d’anxiété.
De tels critères correspondent au consensus scientifique international en la matière, rappelé par la cour administrative d’appel de Paris, contrairement à ce qu’a indiqué la commission lors de ses travaux.
L’article 3 tend à ce que l’indemnisation soit versée sous forme de capital et déduite d’éventuelles réparations déjà perçues par le demandeur. Cette disposition permet de répondre à la critique présentée par la commission, qui s’inquiétait du fait qu’un travailleur ayant déjà bénéficié d’une réparation au titre du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) puisse de nouveau y prétendre au titre de la présente proposition de loi.
À l’article 4, je propose la création d’une autorité administrative indépendante, le Comité d’indemnisation des victimes du chlordécone (Civic), chargée d’examiner les demandes d’indemnisation présentées par les populations de Guadeloupe et de Martinique.
Cet article a aussi pour objet de créer une présomption de causalité pour la victime demandant une indemnisation si les critères fixés par le législateur sont réunis.
Sur ce point, je souhaite insister sur la nécessité pour le Civic de demeurer une autorité administrative indépendante, afin de se prémunir de tout risque d’impartialité. Un tel statut a déjà été retenu pour les victimes des essais nucléaires français, avec le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen). Il est donc parfaitement logique que le Comité d’indemnisation des victimes du chlordécone prenne cette même forme.
L’article 5 de la proposition de loi aligne le régime des indemnités perçues par les victimes de préjudices causés par l’exposition au chlordécone sur celui des indemnités perçues par les victimes de maladies ionisantes ou liées à l’amiante. Il est en effet essentiel que les indemnités versées par le Civic soient affranchies de l’impôt.
Enfin, l’article 6 donne au Civic les moyens de mener à bien sa mission de service public et prévoit la compensation budgétaire du coût de la campagne de prévention mise en œuvre à large échelle.
Tel est le texte que je soumets aujourd’hui à votre sagacité. Il a déjà reçu le soutien du Gouvernement, par la voix de notre ministre des outre-mer, Manuel Valls, en Martinique. En outre, la proposition a été cosignée par près de soixante-cinq sénateurs.
Mes chers collègues, refuser ce texte, ce serait prolonger la rémanence non plus du pesticide, mais de l’indifférence. Je souhaite que nous prenions nos responsabilités, ici et maintenant, pour réparer, pour reconnaître, pour reconstruire.
Je vous invite donc à voter cette proposition de loi en l’état, pour reconstruire la Guadeloupe et la Martinique et réconcilier les peuples guadeloupéen et martiniquais avec l’État. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, GEST, SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Nadège Havet, rapporteure de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ses Mémoires d’espoir, le général de Gaulle exprimait, avec gravité et hauteur de vue, la mission fondamentale de l’État en ces termes, désormais inscrits dans notre mémoire collective : « aussi l’État, qui répond de la France, est-il en charge, à la fois, de son héritage d’hier, de ses intérêts d’aujourd’hui et de ses espoirs de demain ».
La présente proposition de loi s’inscrit pleinement dans cette exigence de responsabilité, qui n’est pas étrangère à la République française. Cette dernière a endossé, par le passé, jusqu’aux souvenirs les plus vifs et honteux.
Ce texte vise à répondre, avec responsabilité et dignité, à une situation douloureuse : celle des dommages subis par les populations des Antilles françaises à la suite de l’utilisation prolongée du chlordécone. Je tiens à saluer très sincèrement l’engagement de son auteur, notre collègue Dominique Théophile.
Voilà plusieurs années que le chlordécone est un sujet particulièrement cher au Parlement. Ainsi, depuis le début des années 2000, pas moins de cinq initiatives parlementaires, essentiellement issues de l’Assemblée nationale, et cinq rapports d’information ont enrichi le débat public sur ce sujet si sensible.
Les travaux de notre ancienne collègue Catherine Procaccia, menés au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), méritent un hommage particulier. Elle a ainsi présenté deux rapports d’information, particulièrement denses, en juin 2009 et en février 2023, sur les répercussions du chlordécone dans les Antilles françaises. Dans le plus récent d’entre eux, il était fait état des contaminations des sols, des milieux aquatiques et de la faune et de la flore de Guadeloupe et de Martinique.
Sur un sujet voisin, qui n’est pas sans présenter des similitudes avec les enjeux soulevés par le texte que nous examinons, notre collègue Nicole Bonnefoy avait souligné, à la faveur de la mission commune d’information sur les pesticides, présidée par Sophie Primas, les difficultés environnementales et sanitaires que posait l’utilisation de nombreux pesticides. Je salue la qualité de sa réflexion, ainsi que son engagement.
Sans aborder exclusivement le cas du chlordécone, notre collègue Bonnefoy mettait ainsi en avant, sans le nommer, un besoin de reconnaissance et d’indemnisation des victimes exposées à ces substances profondément néfastes à la santé humaine. C’est d’ailleurs sur son initiative que le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides a été institué.
Ce fonds, créé par le législateur dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, apporte une réparation forfaitaire aux personnes exposées professionnellement aux pesticides et bénéficiant d’une reconnaissance de maladie professionnelle reconnue par l’assurance maladie. Il indemnise également les parents de victimes exposées in utero à des produits phytosanitaires ayant favorisé le développement de pathologies chez l’enfant.
Si j’évoquais précédemment la proximité de ce fonds avec notre sujet du jour, c’était non seulement pour dresser un parallèle indemnitaire et thématique, mais également pour souligner que ce fonds est un premier point d’entrée sur le long chemin de l’indemnisation des victimes du chlordécone. Ces dernières peuvent en effet le saisir, afin d’obtenir réparation du cancer de la prostate, reconnu depuis 2021 comme maladie d’origine professionnelle en raison d’une exposition aux pesticides.
Cette avancée, heureuse et récente, était d’autant plus nécessaire que cette pathologie est aujourd’hui la seule dont le lien causal avec l’exposition au chlordécone est scientifiquement établi, comblant ainsi un vide indemnitaire.
Lors de l’examen du texte en commission, dans le respect du gentlemen’s agreement, et selon la volonté compréhensible de l’auteur du texte, nous avons réservé le débat à la séance publique. La commission a décidé de ne pas l’adopter, sans en contester l’économie générale, ni même le bien-fondé. En effet, nous ne pouvons rester sourds aux demandes légitimes d’une population victime de cette contamination à grande échelle. Encore une fois, je veux saluer l’engagement remarquable de notre collègue Théophile.
Mes travaux préparatoires de rapporteure m’ont conduite à entendre quatorze personnes, pour un total de huit heures d’auditions, dans des temps particulièrement contraints. Partie d’une feuille blanche, mon cheminement est le résultat de l’avis d’experts, d’acteurs institutionnels et de témoignages de victimes. Sans toujours porter un regard concordant sur le contenu du texte, les personnes entendues m’ont néanmoins convaincue de la pertinence indiscutable d’un régime d’indemnisation.
Toutefois, cette initiative est perfectible. C’est bien naturel, car c’est l’essence même du travail parlementaire, tout au long de la navette, que d’enrichir et perfectionner les textes qui nous sont soumis.
Tout naturellement, la commission joue son rôle en déposant un amendement tendant à préciser la portée de la responsabilité de l’État et à la circonscrire aux dommages sanitaires. Cette précision sémantique pourrait paraître anecdotique, mais elle revêt, en droit de la responsabilité et de la réparation, une dimension fondamentale. Aux termes flous et éclectiques que sont les « préjudices moraux et sanitaires » est ainsi préférée une notion juridique sans équivoque, qui relève d’une triple condition : le caractère certain, déterminé et direct du dommage.
Nous avons également souhaité conférer au nouveau fonds un statut plus approprié que celui d’autorité administrative indépendante. Ce formalisme juridique se justifie en effet dans des situations de doute et de soupçon quant à la partialité supposée de l’autorité chargée de prendre des décisions. En l’espèce, mes auditions n’ont pas fait apparaître une telle défiance. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement à l’article 4.
Notre ancien collègue Jacques Mézard, rapporteur de la commission d’enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l’organisation, de l’activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes, avait souligné l’existence d’une « mosaïque d’autorités administratives indépendantes ». Je propose donc de ne pas alourdir cet édifice déjà volumineux.
En outre, il convient de laisser le soin au pouvoir réglementaire de déterminer l’organisme le plus approprié pour réaliser cette indemnisation. Peut-être aurait-on pu miser sur l’existant en confiant cette mission, par exemple, au fonds d’indemnisation des victimes de pesticides…
Les personnes que j’ai entendues, notamment les chercheurs et scientifiques, ont toutes insisté sur la nécessité d’approfondir la recherche sur les liens entre exposition au chlordécone et développement de pathologies. Alors que la relation entre expertise, science et prise de décision est plus que jamais prégnante, nos espérances se tournent vers la recherche. Seule la science peut valablement ouvrir un chemin crédible de réparation.
L’article 2 du présent texte pose le principe d’une indemnisation large des victimes, sur la base d’une liste de pathologies établie après décret en Conseil d’État. Cependant, si personne ne conteste le principe d’une telle indemnisation, mes travaux ont fait apparaître un besoin de temps long, afin de ne pas comprimer l’irréductible temps de la science. Or, en l’état des connaissances scientifiques, je crains que le régime de réparation proposé dans le texte ne se limite à l’indemnisation du cancer de la prostate.
J’achèverai mon propos en insistant sur l’importance de bâtir un régime d’indemnisation crédible et proportionné. Ce jalon est essentiel au rétablissement du lien de confiance qui unit la métropole à ses territoires ultramarins des Antilles. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est d’un sujet difficile et complexe, qui emporte des enjeux historiques, juridiques, sanitaires, sociaux et environnementaux, dont nous débattons cette après-midi.
Ce sujet n’est pas nouveau. Il est le fruit d’une époque et de pratiques tardivement, mais heureusement, révolues. Cependant, il reste d’une actualité brûlante, puisque nos concitoyens de Martinique et de Guadeloupe vivent chaque jour avec les conséquences et les contraintes de la pollution environnementale liée à l’épandage du chlordécone.
Les sénateurs ultramarins présents ce soir les décriraient mieux que moi, mais je suis bien conscient des difficultés induites pour les cultures, pour la pêche, pour l’accès à l’eau potable, pour l’alimentation et, bien évidemment, des risques pour la santé individuelle et collective.
En outre, ce sujet charrie beaucoup de colère, beaucoup d’émotions, beaucoup de peurs et beaucoup de défiance. Ces sentiments sont légitimes, de même que les attentes des Martiniquais et des Guadeloupéens. Votre proposition de loi, monsieur le sénateur Théophile, soulève donc des enjeux tout à fait pertinents.
L’État doit y répondre en responsabilité, c’est-à-dire sans détour, en regardant le sujet en face, en le prenant dans sa globalité, tout en envisageant ses multiples facettes.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je voudrais commencer par saluer l’engagement du sénateur Dominique Théophile, comme celui de tous les parlementaires ultramarins, qui portent l’enjeu du chlordécone avec conviction depuis des années. Votre proposition de loi marque une nouvelle étape sur le chemin de la réparation des dommages liés à l’autorisation de cet insecticide toxique.
Cette nouvelle étape porte d’abord sur la reconnaissance de la responsabilité de l’État. Au regard des homologations et dérogations accordées à cet insecticide toxique, celle-ci est établie. Elle n’est plus à démontrer et a déjà été reconnue par des décisions de justice, ainsi que par le chef de l’État lui-même dans son discours de septembre 2018, à Morne-Rouge, en Martinique.
Votre proposition de loi a vocation à inscrire cette reconnaissance dans la loi, ce que j’accueille favorablement. En effet, cette responsabilité étant pleinement assumée, il n’y a pas de difficulté à la consacrer dans notre droit et je mesure l’importance symbolique non négligeable que cela revêt.
Je vous remercie de nouveau, monsieur le sénateur Théophile, pour l’échange téléphonique musclé que nous avons eu, qui a fait prendre pleinement conscience du dossier à l’élu de l’Isère que je suis, alors que mon département est à plus de 8 000 kilomètres de votre territoire.
Dans ce cadre, la formulation proposée par Mme la rapporteure Nadège Havet, dont je salue l’important travail sur ce texte, me semble être tout à fait juste, à la hauteur des enjeux et de nature à rassembler. En effet, cette rédaction permet de bien reconnaître une responsabilité des pouvoirs publics, à une époque d’aveuglement collectif ayant conduit à continuer d’autoriser et d’utiliser le chlordécone, alors que d’autres territoires avaient cessé bien plus tôt d’y avoir recours et que les risques étaient avérés.
Graver la responsabilité assumée et établie de l’État dans le désastre environnemental qu’a été l’utilisation prolongée du chlordécone est un préalable moral, intellectuel et symbolique essentiel. Cependant, le devoir de l’État et des responsables publics d’aujourd’hui est de continuer d’agir toujours mieux, pour réparer les préjudices liés à la contamination et pour protéger la santé des habitants, tout en informant ces derniers sur les risques qu’ils encourent.
Votre proposition de loi marque également une étape essentielle pour améliorer l’indemnisation des victimes sanitaires du chlordécone. Depuis 2020, le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides a permis de dédommager les professionnels directement touchés.
L’article 2 du texte permettra de renforcer les possibilités d’indemnisation de toutes celles et de tous ceux qui subissent un dommage sanitaire. C’est, encore une fois, juste et légitime.
Pour être solide et efficace, ce nouveau régime d’indemnisation doit reposer sur des éléments probants, adossés à des considérations scientifiques, afin de prouver l’imputabilité du dommage à l’exposition continue au chlordécone.
Je salue l’important travail réalisé sur ce point par la rapporteure. La rédaction qu’elle propose permettra de mettre en œuvre concrètement ce nouveau dispositif, au bénéfice des victimes.
Un État qui prend ses responsabilités, c’est un État qui reconnaît, un État qui répare, mais c’est aussi, et j’y suis particulièrement attentif en tant que ministre de la santé, un État qui agit pour combattre la pollution au chlordécone et ses répercussions. Ainsi notre stratégie de lutte contre la pollution par le chlordécone, publiée en 2021, traduit-elle cette ambition en répondant à trois impératifs : informer, protéger et réparer par l’action.
Notre méthode repose sur la prise en compte des travaux scientifiques, sur la concertation, sur l’écoute, sur le dialogue et sur la collaboration avec tous les acteurs locaux, partenaires essentiels, mais aussi sur l’accompagnement des personnes concernées par cette pollution, car nous avons besoin de tout le monde pour sortir du risque chlordécone. Cela se traduit par des mesures très concrètes.
Premièrement, pour tous les habitants, l’État procède à des contrôles renforcés des aliments et de l’eau potable et prend en charge les surcoûts de traitement de celle-ci, là où c’est nécessaire. Il fait de même pour les analyses des sols et de sang, depuis 2021, et assure un accompagnement adapté pour comprendre et réduire l’exposition alimentaire.
Deuxièmement, pour les pêcheurs et pour les agriculteurs, des analyses des sols sont financées et des aides techniques et financières sont prodiguées – aux pêcheurs depuis 2022 et aux éleveurs de bovins depuis 2024.
Tout cela est soutenu par un budget inédit, fixé initialement à 92 millions d’euros et rehaussé à 130 millions d’euros, soit plus que la somme des trois plans précédents. En quatre ans, plus de 48 millions d’euros de fonds publics ont déjà été engagés, soit 22 millions de plus que les crédits consacrés au plan précédent, qui portait sur les années 2014 à 2020.
En tant que ministre de la santé, je compte m’appuyer sur cette mobilisation renforcée des moyens de l’État pour avancer sur deux points prioritaires.
Le premier concerne la recherche pour l’amélioration continue des connaissances scientifiques, notamment sur la santé des femmes, et la dépollution des sols. À terme, ce volet devrait mobiliser 40 % des crédits de la stratégie.
Le deuxième point porte sur le dépistage et la prévention. La présence de chlordécone dans le sang n’est pas systématiquement dangereuse et, surtout, elle est réversible par des actions portant, notamment, sur l’alimentation.
Encore faut-il pour cela connaître son taux de chlordécone et savoir quelle action mettre en place. Depuis que je suis ministre, j’accorde toujours une attention particulière à la situation sanitaire de nos outre-mer ; je serai attentif à ce que le dépistage du chlordécone devienne un réflexe en Guadeloupe et en Martinique afin d’accompagner plus vite et de manière toujours plus ciblée et personnalisée tous ceux qui en ont besoin.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, je respecte votre engagement et vous pouvez compter sur le mien pour réussir cette nouvelle étape dans l’histoire de la réparation des dommages liés au chlordécone. Il s’agit autant d’un sujet de santé publique et environnementale que d’une marque de considération pour les habitants de Martinique et de Guadeloupe. Je vous remercie et je reste à votre écoute. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Frédéric Buval. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Frédéric Buval. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte transpartisan, que notre très cher collègue Dominique Théophile nous propose d’examiner, s’inscrit dans le sens de l’Histoire, car il s’agit aujourd’hui de réparer une injustice faite à des millions de nos compatriotes depuis des décennies.
Comment ne pas entendre le cri de douleur de nos concitoyens de Martinique et de Guadeloupe, à 90 % intoxiqués dans leur chair et dans leur sang par ce pesticide rémanent, hautement toxique et cancérogène, qui empoisonne encore pour des centaines d’années les sols et les eaux des Antilles ? Comment ne pas entendre cette demande légitime de réparation d’un préjudice volontairement causé, dans l’un des derniers scandales d’État du XXe siècle ?
Entendons la déclaration de M. Emmanuel Macron, Président de la République : « La pollution à la chlordécone est un scandale environnemental, dont souffrent la Martinique et la Guadeloupe depuis quarante ans. […] Au fond, pendant des années, pour ne pas dire des décennies, nous avons collectivement choisi de continuer à utiliser la chlordécone, là où d’autres territoires avaient cessé beaucoup plus tôt. »
Il s’agit donc bien d’un scandale d’État emportant des conséquences sanitaires, économiques, sociales et politiques qui ravagent encore le quotidien de nos compatriotes antillais.
Pour rappel, le chlordécone est un pesticide organochloré utilisé dans les Antilles pour lutter contre le charançon du bananier et qui fut autorisé par l’État à partir des années 1970, et ce jusqu’en 1993.
Pendant des décennies, les sols des Antilles ont été sciemment empoisonnés. Oui, sciemment, car la toxicité du chlordécone était connue des pouvoirs publics depuis 1968, soit quatre longues années avant l’autorisation officielle accordée par l’État en 1972.
Cette autorisation, délivrée à titre dérogatoire, a été reconduite plusieurs fois par les autorités administratives et sanitaires pendant plus de vingt ans, et ce malgré la grande grève agricole de 1974 en Martinique, pendant laquelle les ouvriers ont exprimé leurs inquiétudes concernant le chlordécone, malgré l’incident survenu dans une usine en Virginie et l’interdiction du chlordécone dès 1976 aux États-Unis, malgré les alertes répétées des scientifiques concernant le chlordécone, reconnu en 1979 comme perturbateur endocrinien probablement cancérogène.
Au scandale d’État s’ajoute désormais un scandale sanitaire, car il s’avère que la Martinique détient le triste record mondial du taux d’incidence du cancer de la prostate.
Par ailleurs, cet écocide affecte également l’activité économique et sociale dans le secteur agricole et de la pêche.
Dès lors, en l’absence de réponse politique, des associations de défense des droits de l’homme se sont tournées vers la justice nationale et internationale, jusqu’à présent en vain.
Cette proposition de loi s’inscrit dans la suite des travaux législatifs menés précédemment, mais elle permet aussi des avancées en matière de reconnaissance des maladies professionnelles liées à l’exposition au chlordécone. En effet, en raison de la complexité des procédures d’indemnisation, seuls 150 dossiers ont été reçus à ce jour, pour 12 700 travailleurs en bananeraie.
Aussi, dans la lignée des recommandations du dernier rapport sénatorial sur le chlordécone, notre groupe appelle également le Gouvernement à aller plus loin, en instaurant le dépistage systématique du cancer de la prostate dès 45 ans aux Antilles ; en accordant plus de moyens pour la recherche sur la dépollution des sols et sur le « zéro chlordécone » dans l’alimentation ; en communiquant plus avec les populations des Antilles et la diaspora de l’Hexagone sur la gratuité des tests sanguins ; enfin, en améliorant la formation des professionnels de santé par la création d’un institut spécifique dédié aux soins oncologiques, notamment pour les ouvrières agricoles, dont les cancers du sein ou de l’utérus ne sont toujours pas reconnus comme maladies professionnelles.
En somme, mes chers collègues, en prenant un peu de recul, les choses sont simples : à l’instar d’autres scandales tels que le sang contaminé ou les essais nucléaires dans le Pacifique, l’État a commis une faute qui doit être réparée. Or le code civil est clair : l’auteur d’un dommage à autrui est tenu de le réparer.
Ce principe simple et républicain ne peut être plus longtemps ignoré. Aimé Césaire nous a mis en garde : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. » Aussi, faisons preuve de courage politique, de justice et d’équité en votant ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, SER et GEST. – M. Robert Wienie Xowie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, atteintes du système neurologique et reproductif, dysfonctionnements de certains organes tels que le foie, les reins et le cœur, problèmes de fertilité, naissances prématurées, malformations congénitales, risque accru de cancer de la prostate chez les hommes, difficultés et retards sur le développement moteur et cognitif, tels sont les effets du chlordécone sur la santé humaine.
En Martinique, 90 % de nos concitoyens ont des traces de ce pesticide dans leur sang, ce chiffre atteint 95 % en Guadeloupe.
Au niveau environnemental, le chlordécone pollue la faune et la flore, et cette molécule stable peut rester jusqu’à sept cents ans dans la nature.
Cette pollution a également entraîné d’importantes conséquences économiques dans les domaines de l’agriculture et de l’alimentation d’abord, avec la contamination de plusieurs milliers d’hectares de terres, notamment dans la région Sud Basse-Terre, en Guadeloupe, puis dans le secteur de la pêche, grandement impacté par la réduction de ses zones d’activité ou par les arrêtés d’interdiction visant à lutter contre l’apport de poisson contaminé.
Ce scandale sanitaire, environnemental, économique et politique, avec les lenteurs, dérogations et hésitations des pouvoirs publics vis-à-vis de la toxicité avérée de la chlordécone, a évidemment nourri une profonde défiance des populations antillaises envers l’État et l’exigence, plus que légitime, d’une reconnaissance de la responsabilité de ce dernier et de réparations pour le préjudice subi.
Le 11 mars 2025, soit dix-huit ans après le dépôt de la première plainte contre la pollution au chlordécone aux Antilles, la cour d’appel de Paris a reconnu la responsabilité partagée de l’État sur l’autorisation délivrée pour sa commercialisation et son épandage dans les Antilles. Il est désormais avéré que l’État a failli dans ses missions de contrôle, d’autorisation de délivrance, de vente et d’homologation du pesticide.
C’est pourquoi le texte présenté aujourd’hui, qui vise à reconnaître légalement la responsabilité de l’État et la création d’un régime juridique permettant à toutes les victimes, et non plus seulement aux professionnels exposés au chlordécone, de demander une indemnisation intégrale de leur préjudice, est évidemment regardé favorablement par le groupe RDSE.
Enfin, se pencher de nouveau sur le scandale du chlordécone offre l’occasion de rappeler plus largement que les produits que nous autorisons dans nos champs, dans nos pépinières, sur nos terres, mais aussi dans la construction, peuvent présenter des risques sanitaires et environnementaux lourds, dont les impacts socio-économiques sont majeurs et se déploient à long terme.
Je tenais donc sur ce point spécifiquement à rappeler le scandale de l’amiante, utilisé à grande échelle comme isolant dans les bâtiments publics, pour le logement individuel et au sein de nos collectivités. La protection de nos filières sur chacun de nos territoires passe par la mémoire des leçons du passé. Faut-il le rappeler : prudence est mère de sûreté.
Notre vote doit ainsi servir à entériner la prise de conscience par les pouvoirs publics de la pollution au chlordécone et à résorber la crise de confiance entre l’État, ses services déconcentrés, les collectivités et les associations qui alimente l’exigence de réparation pour les populations des Antilles.
C’est pourquoi la réponse de l’État doit marcher sur deux jambes, indissociables l’une de l’autre : une exigence de vérité et de clarté vis-à-vis des Guadeloupéens et des Martiniquais, et une exigence d’action concrète et ambitieuse répondant au préjudice écologique, économique et sanitaire issu de cette pollution. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne crois trahir les sentiments de personne en affirmant que chacun d’entre nous aborde la discussion du présent texte avec un certain malaise.
L’emploi du chlordécone dans les Antilles entre 1972 et 1993 est un scandale sanitaire avéré, voire un scandale d’État, tant la responsabilité de ce dernier ne fait aucun doute. Notre collègue Théophile, auteur de la proposition de loi, l’a rappelé : dès le début, l’État savait, il ne pouvait ignorer.
Les faits sont là, têtus et glaçants.
Dès 1968, la commission interministérielle d’études sur les pesticides avait explicitement exclu l’usage du chlordécone en raison de sa grande persistance et de sa toxicité.
Ce produit fut pourtant autorisé par cette même commission en 1972, alors seulement pour un an et à titre dérogatoire, pour lutter contre le charançon de la banane. Nous connaissons bien le provisoire qui dure, en voici un exemple caractéristique : d’année en année, l’autorisation fut reconduite, durant vingt ans, alors que, dans le même temps, les preuves scientifiques du danger que ce produit présentait pour la santé ne cessaient de s’accumuler, chaque fois plus accablantes.
Comment a-t-on pu reconduire l’autorisation d’usage du chlordécone alors que les États-Unis eux-mêmes, qui ne sont pourtant pas vraiment connus pour être un parangon de vertu sanitaire, n’y avaient plus recours depuis le milieu des années 1970 ? Comment a-t-on pu ignorer le rapport Snegaroff de 1977 et le rapport Kermarrec de 1980 ?
Ce qui a été toléré dans les bananeraies des Antilles n’aurait sans doute jamais été accepté dans les vergers d’Occitanie ou dans les vignobles de Bourgogne. C’est incompréhensible et révoltant.
Le résultat, c’est la catastrophe que l’on connaît : la quasi-totalité de la population de Guadeloupe et de Martinique, 90 % selon l’étude de 2014 de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), est plus ou moins contaminée à la chlordécone.
Aucun chiffre officiel ne circule quant au pourcentage du territoire contaminé, mais nous ne nous faisons pas d’illusions : le produit a été répandu pendant plus de vingt ans et il est très persistant. Il ne s’est pas arrêté au pied des bananiers.
L’Institut national de la recherche agronomique (Inra) l’a d’ailleurs explicitement déclaré : tous les milieux sont contaminés, les sols comme les eaux. Je rappelle que l’on interdit la pêche trop près des côtes pour des raisons sanitaires, que les tubercules comme l’igname ou le dachine, qui constituent une part substantielle du régime alimentaire des populations antillaises, sont des racines et sont donc contaminés.
Face à ce scandale, les dispositifs d’indemnisation existants sont largement insuffisants. Aujourd’hui, seuls les travailleurs de la banane ayant développé un cancer de la prostate, ou leurs enfants exposés in utero, peuvent être indemnisés. Et encore, les conditions d’ouverture de ces droits sont restrictives : pour les travailleurs, il faut avoir été exposé au moins dix ans au produit ; pour les enfants, il faut être atteint de pathologies particulièrement graves – troubles du système nerveux, leucémie, malformation congénitale. De plus, l’indemnisation est non pas intégrale, mais forfaitaire.
Afin de remédier à ces insuffisances notoires, pour ne pas dire choquantes, la proposition de loi de notre collègue Théophile pose le principe de la reconnaissance pleine et entière de la responsabilité de l’État et crée un régime général d’indemnisation.
Ce n’est pas la première fois que l’État choisit de créer ce type de régime : nous l’avons fait pour les victimes de l’amiante, pour celles des essais nucléaires et pour les enfants victimes de la Dépakine. À chaque fois, l’ampleur du dommage et l’évidence de la faute l’exigeaient. Pourquoi refuserions-nous cette reconnaissance aux populations antillaises ?
Pourtant, ce texte a été rejeté par notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Notre rapporteure Nadège Havet, dont je salue l’investissement sur ce dossier difficile et particulièrement épineux, a développé les arguments de la commission ayant conduit à ce rejet : argument de principe – l’État ne serait pas seul responsable, les industriels le sont aussi – ; argument scientifique – à l’exception du cancer de la prostate, il n’existerait pas de consensus liant exposition au chlordécone et autres pathologies – ; argument technique – comment articuler le fonds créé par le texte avec le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides ? comment sanctionner juridiquement le préjudice d’anxiété ? – ; enfin, évidemment, argument budgétaire – en l’absence d’étude d’impact, nous ne savons pas combien coûterait le régime d’indemnisation proposé.
Tous ces arguments peuvent s’entendre, mais ici, en métropole, et non dans les Antilles. Une chose est certaine : le statu quo n’est pas tenable, j’y insiste. Nous ne pouvons plus nous en tenir à l’existant.
La présente proposition de loi ne peut pas, ne doit pas constituer une énième tentative infructueuse d’avancer sur ce dossier. Nous ne pouvons plus continuer à empiler les propositions de loi et les rapports d’information sur le sujet.
Aussi, nous nous en remettons aujourd’hui au Gouvernement, véritable juge de paix en pareille circonstance, pour trouver une solution qui satisfasse les aspirations légitimes des populations à la reconnaissance de leur souffrance et à la réparation de leur préjudice, dans des conditions techniques, juridiques et budgétaires cadrées pour l’État.
Sur la base d’un consensus qui se dégagerait des amendements gouvernementaux, le groupe Union Centriste votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Robert Wienie Xowie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Robert Wienie Xowie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’est jamais trop tard pour reconnaître ses erreurs et pour les corriger ; c’est particulièrement vrai s’agissant du scandale du chlordécone.
Nous parlons là d’un produit que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait classé cancérogène probable en 1979 et qui a été interdit dès 1977 aux États-Unis. Pourtant, l’État français a maintenu l’autorisation de vente durant treize années encore, avant de la retirer en 1990 – enfin, pas vraiment, puisque la vente a perduré trois ans de plus là où le chlordécone était le plus utilisé, en Guadeloupe et en Martinique.
Ainsi, 77 % des travailleurs agricoles de la banane ont été directement exposés au chlordécone à l’époque où ce pesticide était utilisé. Si les professionnels sont particulièrement touchés, la réalité est que 92 % des Martiniquais et 95 % des Guadeloupéens sont contaminés, d’après les chiffres de Santé publique France.
L’exposition au chlordécone a des effets connus : un risque de naissance prématurée, des conséquences sur la croissance et le développement neurologique des enfants, et un risque augmenté de cancer de la prostate. Pourquoi, dès lors, ce qui était dangereux pour tous les autres agriculteurs ne l’aurait pas été pour les habitants de Guadeloupe et de Martinique ? Pourquoi l’interdiction a-t-elle été prononcée de manière différée entre les Antilles et l’Hexagone ?
Depuis 2020, un fonds d’indemnisation existe, mais 200 dossiers seulement ont été déposés jusqu’à présent, dont 154 ont été validés, et toutes les indemnités ne sont pas encore versées. Ce fonds est donc très insuffisant.
Son existence a pourtant justifié que certains d’entre nous rejettent le texte en commission, avec des arguments qui pourraient faire sourire s’il n’était pas question de la santé de milliers de personnes, voire de l’ensemble des populations de la Guadeloupe et de la Martinique.
Le rapport de la commission indique ainsi que « la création d’une autorité administrative indépendante – le Comité d’indemnisation des victimes du chlordécone – reviendrait à consacrer un exceptionnalisme concurrent du régime général d’indemnisation des victimes de pesticides ».
Un « exceptionnalisme » ? L’État français avait manifesté moins de scrupules lorsqu’il s’agissait de continuer exceptionnellement à vendre en Guadeloupe et en Martinique un produit dont on connaissait les conséquences sur la santé et sur l’environnement !
Cette proposition de loi doit réparer une injustice à laquelle nous ne saurions répondre par une injustice supplémentaire. Oui, nous devons reconnaître la responsabilité de l’État dans cette contamination à grande échelle et de longue durée ; oui, nous devons indemniser spécifiquement les victimes de ce scandale sanitaire.
J’ajoute que nous devons apprendre des erreurs commises à cette époque en allant plus loin, par exemple en cessant de reporter l’interdiction du glyphosate.
Ce pesticide, classé cancérogène par l’OMS depuis 2015, est toujours en vente, malgré la promesse du président Emmanuel Macron en 2017 de l’interdire dans les trois ans. Celui-ci disait d’ailleurs au sujet du chlordécone en 2018 : « Ce fut aussi le fruit d’un aveuglement collectif. D’où il faut d’ailleurs tirer la force de se battre aujourd’hui contre des logiques analogues. »
Le fonds d’indemnisation des victimes des pesticides a d’ailleurs reconnu en 2022 le lien entre le glyphosate et les malformations. Combien de personnes faudra-t-il encore indemniser pour en arrêter la vente ? La santé et l’environnement doivent être une priorité ; la justice aussi.
C’est pourquoi l’ensemble de notre groupe soutiendra cette proposition de loi relative à la reconnaissance de la responsabilité de l’État et à l’indemnisation des victimes du chlordécone. (Applaudissements sur les travées des groupes CRC-K et RDPI. – M. Victorin Lurel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cher Dominique Théophile, responsabilité pour faute, carences et négligences fautives, action tardive, manquement au devoir d’information des citoyens, insuffisante vigilance, faillite dans ses missions de contrôle, grave impéritie administrative : n’en jetons plus, la coupe de l’État est pleine ! Je l’ai remplie ainsi avec les formules contenues dans l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris et dans le rapport de Nadège Havet.
Dans la calamiteuse tragédie du chlordécone aux Antilles, la responsabilité de l’État est désormais largement admise sur le plan juridique ; il est grand temps qu’elle fasse l’objet d’une reconnaissance solennelle. Aussi est-il indispensable d’inscrire dans la loi les premiers mots de l’alinéa 1 de l’article 1er de la proposition de loi de notre collègue Dominique Théophile.
Reconnaître la responsabilité fautive de l’État n’exonère nullement les acteurs privés de leurs torts partagés. Je ne comprends d’ailleurs toujours pas pourquoi notre commission a cru lire dans cette formulation une exclusivité de la responsabilité de l’État, qui nierait toute coresponsabilité. Pour autant, je constate qu’aucune modification de la formulation initiale n’a été proposée.
Cette responsabilité oblige à la réparation du désastre humain et environnemental. Les dégâts sanitaires sont colossaux : l’Anses et Santé publique France ont détecté le chlordécone chez plus de 90 % des Guadeloupéens et des Martiniquais. Les sols et les eaux seront impactés pour plusieurs siècles.
La version initiale de cette proposition de loi pose les bases ambitieuses d’un dispositif d’indemnisation à la hauteur des dommages ; elle résulte du constat de l’insuffisance du premier geste fait en 2020 avec l’indemnisation des victimes de pesticides, fruit de la mission de contrôle menée huit ans plus tôt par notre collègue Nicole Bonnefoy.
Pour autant, les conditions de l’indemnisation en vigueur sont si restrictives que seules 178 personnes professionnellement exposées ont obtenu à ce jour une décision favorable.
Avec sa proposition, notre collègue répond à la puissante aspiration à la justice de nos compatriotes antillais. Non, nous ne saurions balayer leurs légitimes revendications en invoquant un contexte budgétaire contraint, en limitant strictement les pathologies concernées aux seuls cancers de la prostate, en rétorquant que ce serait légiférer à l’aveugle, en appelant même à faire comme pour l’amiante : légiférer avec du recul, un demi-siècle après, un demi-siècle trop tard. Oui, j’ai bien lu cela : « comme pour l’amiante ».
S’il y a eu un aveuglement, en l’occurrence, c’est celui, coupable, de ceux qui, en se masquant les yeux, ont autorisé la vente d’un produit dont la dangerosité avait été scientifiquement établie bien avant son utilisation massive en Guadeloupe et en Martinique entre 1972 et 1993.
Dès 1968 au moins, le caractère toxique et persistant du chlordécone était établi. On connaît, hélas ! cette tragique logique selon laquelle des intérêts économiques priment les droits humains et environnementaux, de l’amiante aux néonicotinoïdes, du flufénacet aux polyfluoroalkylées (PFAS). Quand tirerons-nous vraiment les leçons de ces désastres ?
Après le rejet global de ce texte en commission la semaine dernière, nous avions, hélas ! compris que son ambition serait rabotée par les amendements de la rapporteure et du Gouvernement.
S’il doit bien y avoir, contrairement à ce que préconisait le rapport, une liste de pathologies fixée par décret en Conseil d’État, le fait d’avoir vécu aux Antilles ne suffira pas, si l’on est atteint de l’une de ces maladies, pour prétendre à une indemnisation. Non, la commission et le Gouvernement exigent que la victime établisse que sa maladie est imputable à une exposition effective au chlordécone.
Cette charge de la preuve limitera fortement la capacité à obtenir réparation, tant il est difficile d’établir le lien de causalité entre maladie et exposition. Je crains fort que cette condition très stricte ne réduise le nombre de bénéficiaires à un niveau manifestement très faible, au mépris de toute justice.
L’injustice serait plus criante encore si l’amendement n° 4 rectifié, visant à exclure les ayants droit des victimes décédées, était adopté.
La commission et le Gouvernement suppriment également la réparation du lourd préjudice d’anxiété, pourtant reconnu par la cour administrative d’appel de Paris.
Enfin, à l’article 3, nous redoutons que la proposition du Gouvernement d’une réparation forfaitaire, et non plus intégrale, aboutisse à une indemnisation au rabais.
Si nous suivons le Gouvernement et la commission, il ne sera plus question d’autorité administrative indépendante, mais, surtout, les modalités garantissant le respect du principe du contradictoire dans l’examen des dossiers seront supprimées. Encore un recul !
Enfin, il ne sera plus question de financer l’indemnisation par une taxe additionnelle sur les bénéfices des industries phytosanitaires. En d’autres termes, aucun moyen supplémentaire ne viendra s’ajouter à ceux, bien maigres, dont nous disposons déjà.
Cette proposition de loi, cosignée par les membres du groupe écologiste, constitue une avancée majeure pour les victimes du chlordécone. Nous déplorons le risque de voir sa portée réduite si nous suivons le Gouvernement et la commission. Cette réparation, très verrouillée et sans commune mesure avec l’ampleur des dommages et des responsabilités, n’en aurait plus que l’apparence. Franchement, tout ça pour ça ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, CRC-K et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie notre collègue Dominique Théophile d’avoir mis en débat ce texte important et attendu.
Le chlordécone fait partie des pesticides organiques de synthèse à base de chlore, comme le lindane ou le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT). Utilisé massivement aux Antilles jusqu’au début des années 1990 contre le charançon du bananier, il a causé une pollution persistante dans les sols et dans l’eau, emportant des conséquences en termes de santé publique établies pour ce qui concerne le cancer de la prostate.
Le chlordécone a fait l’objet de nombreuses études scientifiques démontrant sa toxicité neurologique et reproductive chez l’homme et chez l’animal. Ces propriétés en font un perturbateur endocrinien, notamment pour les femmes.
Dans mon rapport sur les pesticides en 2012, j’indiquais que l’étude Karuprostate montrait très clairement que l’exposition au chlordécone multipliait par 1,8 le risque de développer un cancer de la prostate chez les hommes ayant une concentration en chlordécone dans le sang supérieure à un gramme par litre.
Le pire dans cette substance est sa longévité. Le chlordécone n’est malheureusement pas digéré par la nature. Sa structure moléculaire se dégrade en métabolites qui n’atteignent leur demi-vie qu’au bout de 46 ans et ne disparaissent totalement qu’après plusieurs centaines d’années.
Le dernier rapport de l’Opecst, en mars 2023, rend compte de la première étude Kannari, conduite en 2013 et 2014, qui démontre que le chlordécone était détecté chez plus de 90 % des adultes antillais.
Sur la base de ces prélèvements, il a été estimé que 14 % des adultes guadeloupéens et 25 % des adultes martiniquais dépassaient la valeur toxicologique de référence interne définie par l’Anses.
Si nous voulions bien entendre ces faits, documentés dans des rapports parlementaires, nous pourrions peut-être réexaminer certaines dispositions adoptées récemment par le Sénat, telle celle qui réautorise les néonicotinoïdes.
M. Victorin Lurel. Eh oui !
Mme Nicole Bonnefoy. En tant que législateur, nous avons une responsabilité évidente envers les générations futures.
Le drame du chlordécone vient nous rappeler qu’en voulant être sourds aux alertes de nos agences sanitaires et scientifiques, nous prenons des risques inconsidérés pour l’environnement et la santé humaine.
Par ailleurs, je tiens à relever l’incohérence des textes soumis à notre assemblée, cet après-midi, par le groupe RDPI. Si ce texte-ci vise à reconnaître les victimes d’un pesticide, le suivant, en revanche, réautorise l’épandage aérien de pesticides, notamment sur les bananeraies, épandage pourtant interdit depuis des années en France.
M. Victorin Lurel. C’est bizarre !
Mme Nicole Bonnefoy. Pour l’écologie, c’est un pas en avant, deux pas en arrière ! J’ai du mal à comprendre la logique.
Les sols ont une meilleure mémoire que les hommes. On récolte ce que l’on sème : ce vieil adage paysan est plus vrai que jamais, y compris en matière de produits phytosanitaires. En témoigne la persistance du chlordécone, dont on retrouve des traces dans les produits alimentaires locaux : patates douces, ignames, mais aussi crustacés et poissons, alors même qu’ils n’ont pas même été traités par ce produit.
Face à la rémanence de cette substance, le présent texte vise à reconnaître la responsabilité de l’État dans l’autorisation et l’usage du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique entre 1972 et 1993, ainsi qu’à instituer, en conséquence, un régime d’indemnisation spécifique pour les victimes.
Cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité des travaux menés ces dernières années par plusieurs parlementaires socialistes, notamment Hélène Vainqueur-Christophe, Victorin Lurel et Élie Califer.
J’ai moi-même été, en 2020, à l’initiative de la création d’un fonds d’indemnisation des victimes des pesticides. Ce fonds, qui existe aujourd’hui, représente une avancée majeure, mais il a été entaché par la volonté du Gouvernement d’en réduire la portée, puisque seules les maladies professionnelles sont éligibles à cette indemnisation et que cette dernière est forfaitaire et non intégrale.
J’ai d’ailleurs milité pour l’ouverture de ce fonds à toutes les victimes, professionnelles ou non, ainsi que pour une réparation intégrale des préjudices subis.
N’aurait-il pas été préférable d’élargir ce fonds existant de manière à en faire bénéficier toutes les victimes du chlordécone ? Je m’interroge, mes chers collègues.
Néanmoins, compte tenu du scandale sanitaire et environnemental que représente le chlordécone, nous soutiendrons l’article 1er de ce texte, qui crée un régime spécifique d’indemnisation des victimes.
Cette mesure est de nature à répondre à une situation vécue comme un scandale en Guadeloupe et en Martinique, une situation qui génère un sentiment de défiance à l’égard de l’État et de ses institutions. Ce texte permettrait de reconstruire cette confiance perdue et résoudrait les difficultés d’adhésion aux dispositifs et aux recommandations émises par les services de l’État.
Cette proposition de loi vient donc donner corps à un engagement présidentiel non tenu. Elle est, par ailleurs, conforme à un récent arrêt de la cour administrative d’appel de Paris. Celle-ci reconnaît les fautes commises par l’État, qui a autorisé la vente de ce pesticide, et demande la réparation du préjudice moral d’anxiété des personnes durablement exposées à cette pollution.
Mais c’était sans compter des amendements de dernière minute, déposés par la rapporteure et le Gouvernement, visant notamment à retirer du texte la reconnaissance par l’État des préjudices moraux, pour ne maintenir que les préjudices sanitaires, à supprimer le caractère d’autorité administrative indépendante de l’organisme chargé de l’indemnisation, et à supprimer la réparation intégrale au profit d’une réparation forfaitaire.
Cela me rappelle fortement les débats que nous avons eus lors de la création du fonds d’indemnisation des victimes des pesticides dont j’ai pris l’initiative en 2018.
Si ces amendements étaient adoptés au cours de cette séance, nous aboutirions à une version moins-disante de cette proposition de loi, ce qui serait dommageable. Cependant, je relève que le Gouvernement entend aussi maintenir la reconnaissance des victimes tant professionnelles que non professionnelles du chlordécone, ce qui constitue aussi une vraie plus-value en comparaison du fonds d’indemnisation qui existe aujourd’hui. Nos débats éclaireront notre position finale sur ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le chlordécone, c’est l’histoire d’un scandale trop méconnu dans l’Hexagone : un scandale économique, un scandale moral et sanitaire, mais aussi un scandale politique, qui montre l’abandon structurel dont sont victimes nos outre-mer depuis trop longtemps.
De 1972 à 1993, le chlordécone, insecticide efficace contre les parasites nuisibles aux cultures dans les bananeraies, a été largement utilisé dans les plantations de la Guadeloupe et de la Martinique. Cette molécule, largement diffusée après l’ouragan David de 1979, qui avait ravagé les plantations, s’est instillée dans les cours d’eau et les terres de ces îles, mais surtout dans le corps de nos compatriotes des Antilles.
On estime que près de 90 % de la population de ces territoires est contaminée par le chlordécone, perturbateur endocrinien violent qui cause de nombreux cancers, des malformations et des difficultés reproductives. Malgré une connaissance précoce de sa dangerosité, le chlordécone n’a été interdit qu’en 1993 ; en attendant, il aura, pour des décennies, si ce n’est des siècles, pollué les terres et les eaux et détruit de nombreuses vies.
Ce scandale historique illustre l’absence de toute volonté de développement autonome de nos territoires ultramarins. En effet, les productions des bananeraies représentent la principale exportation des territoires de la Guadeloupe et de la Martinique ; cette industrie agricole unique offre 10 000 emplois, autant de familles concernées par une monoculture intensive et forte consommatrice de produits phytosanitaires, colonne vertébrale de l’économie de ces îles.
Le chlordécone et ses effets sont un scandale. Comme dans de nombreux territoires, dont le mien, les pollutions héritées d’activités agricoles ou industrielles passées ou présentes représentent des drames économiques, sanitaires et sociaux trop grands. Du bassin minier du Pas-de-Calais aux bananeraies de Basse-Terre, l’État doit prendre sa responsabilité dans l’indemnisation des collectivités et, surtout, des personnes touchées par les effets de ces substances.
La tragédie du chlordécone illustre aussi, s’il le fallait encore, l’abandon structurel des territoires ultramarins. L’absence de toute politique réelle d’autonomie et de souveraineté, le faible développement de circuits économiques et productifs sains, voilà les phénomènes indirects et cachés qui entourent le scandale du chlordécone.
Quelle économie de la mer, quelle autonomie alimentaire, quelle production antillaise propre peuvent répondre aux besoins de la population ? Tout cela, l’État n’y a jamais pourvu ; il a plutôt laissé perdurer sans contrôle, avec l’aide des forces économiques qui lui sont liées, une culture de la banane assise sur la diffusion d’un poison.
Ce texte va selon nous dans le bon sens, mais nous regrettons les trop nombreux amendements dévoilés aujourd’hui. Il appartient en effet à l’État de réparer, dans les limites déjà raisonnables posées dans le texte initial, les dommages subis par les populations du fait de la diffusion massive du chlordécone.
Pour autant, nous soutiendrons ce texte.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes un certain nombre à regretter que nous n’examinions pas la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale l’année dernière sur ce sujet. Elle était certes perfectible, mais nous aurions pu l’améliorer au Sénat et ainsi gagner du temps dans la navette parlementaire.
Nous tenons à saluer vivement le travail de la rapporteure Nadège Havet, qui a dû œuvrer sur un sujet ô combien sensible.
Ce qu’il s’est passé aux Antilles apparaît aujourd’hui comme totalement inacceptable. Personne ne peut affirmer le contraire : utiliser pendant vingt ans un produit dont plusieurs rapports attestaient, dès l’origine, la dangerosité pour la santé humaine et l’environnement n’est pas excusable.
Aucun Guadeloupéen, aucun Martiniquais n’ignore ce qu’est le scandale du chlordécone, mais, pour nos autres compatriotes, de quoi parle-t-on exactement ?
Le chlordécone est un pesticide qui a été utilisé dans les bananeraies en Martinique et en Guadeloupe entre 1972 et 1993. Il permettait de lutter contre le charançon du bananier, qui sévissait alors dans les plantations.
D’une part, la terre, les nappes phréatiques et la chaîne alimentaire ont été contaminées par la molécule pour plusieurs siècles – on estime qu’elle y perdurera entre 600 et 700 ans. À l’heure où nous parlons, la population lui est toujours exposée quotidiennement.
D’autre part, l’impact sanitaire a été et est encore dramatique pour les populations. Il n’est pas seulement question des personnes qui, travaillant dans les bananeraies, ont été directement en contact avec le produit. Non, on parle de la quasi-intégralité des habitants : 92 % des Martiniquais et 95 % des Guadeloupéens, évidemment à des niveaux de contamination différents.
Quelles sont les conséquences probables de cette contamination ? Ce perturbateur endocrinien est cause de troubles neurologiques, d’infertilité, de cancers, etc. Ce sont d’ailleurs les Antilles qui détiennent le triste record du monde du taux de prévalence du cancer de la prostate : il y est plus de deux fois supérieur à celui que connaît l’Hexagone.
Les enfants exposés in utero au chlordécone sont exposés à des risques de pathologies du système nerveux, de leucémies et de malformations congénitales.
On parle donc bien de conséquences dramatiques pour des milliers de personnes, sur plusieurs générations.
On ne peut pas se dédouaner d’un phénomène qui relève non pas d’une catastrophe naturelle, mais bien d’une décision administrative, ou plutôt d’une succession de telles décisions. En effet, lorsqu’il a été autorisé pour la première fois en France en 1972, le chlordécone ne l’a été qu’à titre temporaire, pour une seule année. Cette autorisation a ensuite été renouvelée tous les ans. Même lorsque le produit a finalement été interdit en France, en 1990, une dérogation a encore été accordée pour les Antilles jusqu’en 1993 !
Même les États-Unis avaient interdit l’utilisation et la production du chlordécone dès 1976, précisément à cause de sa toxicité. En France, sa « grande persistance » et sa « toxicité » avaient été reconnues dès 1968, appréciation ensuite confirmée dans plusieurs rapports des années 1970 et 1980. Dans ces conditions, il serait difficile de ne pas comprendre et partager l’indignation et la colère des victimes.
À qui la faute ? À l’État ? Incontestablement, mais pas seulement. En effet, ce n’est certainement pas uniquement à l’État qu’a bénéficié l’usage du chlordécone aux Antilles pendant vingt ans. La responsabilité est évidemment partagée entre une multitude d’acteurs, y compris locaux.
C’est l’équilibre complexe auquel nous sommes régulièrement soumis dans le cadre de nos débats : la nécessité de préserver une économie, derrière laquelle se trouvent des emplois et des familles, l’avancée des connaissances scientifiques, et les éventuelles conséquences sur la santé et l’environnement.
La production de la banane aux Antilles est précaire. À l’instar de beaucoup de cultures hexagonales, elle est confrontée aux difficultés liées au climat, aux parasites, au non-renouvellement des générations d’exploitants et à la concurrence de producteurs étrangers qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes.
Il est, dans tous les cas, indispensable d’investir dans la recherche et l’innovation pour développer des techniques permettant des cultures toujours plus propres et durables, mais aussi – espérons ! – des techniques qui contribueront à la dépollution des sols et des eaux contaminés par le chlordécone.
Pour les victimes, qui sont des milliers de personnes, les préjudices sont évidemment réels ; quand le lien de causalité avec le chlordécone est établi, elles méritent réparation. Notre groupe, sur ce point, soutient l’esprit de ce texte. Surtout, ce scandale exige que les responsabilités – toutes les responsabilités – soient établies et reconnues.
M. le président. La parole est à Mme Annick Petrus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe RDPI. – M. Jean-François Longeot applaudit également.
Mme Annick Petrus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite d’abord saluer l’initiative de mon collègue Dominique Théophile. En déposant cette proposition de loi, il a porté haut la voix de celles et ceux que l’on n’a pas voulu entendre pendant trop longtemps. C’est un acte politique fort, un acte de justice, un acte d’espoir !
Je prends la parole aujourd’hui avec une émotion particulière, car le drame du chlordécone n’est pas un fait divers local : c’est un désastre sanitaire, écologique et humain qui a durablement marqué la Guadeloupe, la Martinique et, plus largement, la Caraïbe.
Le chlordécone, ce n’est pas une erreur : c’est un poison dont la toxicité était connue. Pourtant, son usage a été autorisé, prolongé, toléré. Ce n’est donc pas seulement une imprudence : c’est une faute !
Aujourd’hui encore, les terres sont polluées pour des siècles. L’eau, les aliments, les corps portent la trace d’une contamination invisible, mais omniprésente. Les enfants naissent avec l’angoisse héritée de leurs parents. Et, dans cette angoisse, il y a aussi le sentiment d’avoir été abandonné.
Face à cela, la reconnaissance de la responsabilité de l’État est essentielle, non pas pour raviver les blessures, mais à l’inverse pour commencer, enfin, à les panser. Elle est la condition de toute réparation, de toute réconciliation.
Je veux ici exprimer ma solidarité caribéenne. Même si Saint-Martin n’a pas connu l’usage du chlordécone, je me tiens aux côtés de nos frères et sœurs guadeloupéens et martiniquais. L’histoire de la Caraïbe est une histoire de combats communs et, dans ce combat-là, nous devons faire front ensemble.
Cette proposition de loi pose des bases nécessaires : reconnaissance, indemnisation, information, prévention. Elle ne réglera pas tout. Mais elle dit à ceux qui souffrent : la République vous voit, la République vous croit, la République vous doit !
Enfin, il nous reviendra de transformer ces paroles en actes : pour réparer, dans la mesure du possible, pour garantir que cela ne se reproduira plus et pour rendre enfin justice aux victimes de ce scandale environnemental et sanitaire.
Pour toutes ces raisons, je voterai sans réserve cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDPI, GEST et SER.)
M. Victorin Lurel. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me permets d’intervenir dans cette discussion générale en tant que président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dont vous savez qu’il a été pionnier dans l’analyse approfondie de la pollution au chlordécone.
Un premier rapport, réalisé par notre ancienne collègue Catherine Procaccia et le président d’alors de l’Opecst, Jean-Yves Le Déaut, a été publié en 2009.
Ce rapport étudiait en détail les caractéristiques particulières de cette molécule, sa grande stabilité et ses faibles possibilités de dégradation, allant jusqu’à la qualifier d’« alien chimique ». Il montrait que le chlordécone avait été largement employé sur la planète, notamment – cela a déjà été rappelé à plusieurs reprises – pour lutter contre le charançon du bananier. Il relevait également que très peu de programmes de contrôle et de recherche avaient été mis en place après son interdiction.
Or la contamination des sols, des eaux fluviales, des nappes phréatiques et des milieux marins était une réalité persistante, nécessitant, d’une part, qu’une cartographie complète et détaillée de la pollution soit établie et, d’autre part, que des recherches soient activement menées sur les méthodes de dépollution.
Parallèlement, des études épidémiologiques commençaient seulement à se mettre en place pour suivre la santé des populations les plus exposées et évaluer, par exemple, la possibilité d’une plus forte prévalence du cancer de la prostate, ou de problèmes neurologiques chez les nouveau-nés.
Quatorze ans plus tard, en 2023, un nouveau rapport de Catherine Procaccia, dont je veux saluer ici l’engagement, a permis à l’Opecst de faire un point sur les avancées des connaissances scientifiques relatives à l’impact du chlordécone, mais aussi d’évaluer l’action de l’État en la matière dans les Antilles françaises.
En conclusion de ses travaux, Catherine Procaccia formulait vingt-quatre recommandations précises et opérationnelles. Je veux en rappeler quelques-unes devant vous aujourd’hui. Elle nous invitait à repenser la communication et à en faire une priorité, en la rendant plus transparente et plus proche des réalités socioculturelles des Antilles. En outre, elle recommandait d’améliorer la chlordéconémie et d’accroître la surveillance des aliments produits et consommés.
À l’Opecst, nous sommes convaincus que la mise en œuvre de ces recommandations aurait eu une vraie portée pour les populations de Guadeloupe et de Martinique.
C’est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaiterais que vous nous indiquiez si, au cours des dernières années, certaines de ces préconisations ont pu être mises en œuvre.
J’ai déposé plusieurs amendements sur cette proposition de loi. Deux d’entre eux, malheureusement, ont été déclarés irrecevables. Je voudrais les évoquer brièvement, car, certes, les populations de Guadeloupe et de Martinique sont les premières exposées à cette pollution, mais d’autres personnes qui ont séjourné pendant plusieurs années sont également susceptibles de souffrir d’une maladie liée à l’exposition au chlordécone. Il me semblait cohérent de le mentionner.
À l’inverse, la demande de réparation pour les ayants droit me semble aller trop loin.
Je voudrais vraiment assurer tous mes collègues de Guadeloupe et de Martinique, ainsi que nos concitoyens antillais, du soutien réel et complet que les membres de l’Opecst apportent à leur combat pour faire mieux prendre en compte les conséquences de la pollution au chlordécone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela fait bientôt vingt ans que la contamination des sols de la Guadeloupe et de la Martinique fait régulièrement l’objet de rapports et de discussions.
Il était temps que notre assemblée en débatte ; je félicite à cet égard notre collègue Dominique Théophile pour son initiative.
Ce sujet constitue un véritable traumatisme collectif local, qui se double d’une incompréhension de la population face aux tergiversations politiques, s’agissant tant de la reconnaissance de la responsabilité de l’État que de la prise en charge des victimes potentielles.
Ma conviction est qu’il y a des sujets qui ne doivent pas être discutés.
Concernant la pollution des sols, qui d’autre que l’État, autorité ayant délivré les autorisations d’exploitation, pourrait être responsable ? À l’origine de la contamination, on ne trouve ni un usage détourné du produit ni une mauvaise manipulation, mais bien l’autorisation, en Guadeloupe et en Martinique, de ce qui était interdit ailleurs.
Je comprends toutefois que Mme le rapporteur ait voulu laisser la porte ouverte à une voie judiciaire d’indemnisation, qui permettra d’explorer toutes les dimensions de ce sujet, en réponse à ce qui reste un besoin au sein de la population traumatisée.
Comment comprendre, en outre, que l’on puisse s’interroger sur la responsabilité de l’État alors que, par ailleurs, l’hypersécurité sanitaire et la culture française de la surtransposition des normes étouffent nos agriculteurs, qui demandent de desserrer l’étau normatif ?
Enfin, comment comprendre que, alors que l’on connaissait l’interdiction américaine du chlordécone, celui-ci ait été autorisé outre-mer ?
Le texte qui nous est présenté pose le principe de la reconnaissance de la responsabilité de l’État et ouvre la voie à une indemnisation des victimes.
Je ne peux qu’adhérer à ces deux grands principes ; je considère que le texte initial a ouvert des pistes et suscité un débat très large. Les travaux préparatoires de l’examen en séance ont cependant permis une exploration de l’ensemble de ces pistes, qui nous permettra d’aboutir à un texte équilibré rendant effective la mise en œuvre des dispositions envisagées.
Je veux souligner l’importance de ce travail de recentrage et de concrétisation, que nous devons aux populations.
Il est indéniable que la conscience de la contamination a été une source d’appréhension et d’anxiété pour certains publics. Pour autant, l’ériger en préjudice aboutirait à une procédure novatrice complexe, qui susciterait probablement, elle aussi, une forme de méfiance à l’égard des critères d’évaluation du caractère légitime ou non de l’anxiété de la population.
La connaissance scientifique et la recherche disposent encore de marges de progression certaines. Le rapport remis en 2023 par notre ancienne collègue Catherine Procaccia sur l’impact de l’utilisation du chlordécone aux Antilles souligne bien la nécessité à la fois de poursuivre les travaux et de rétablir la confiance de la population.
L’Histoire n’est rien d’autre qu’une biographie collective, et celle du chlordécone laissera, malheureusement, une empreinte durable sur les Antilles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi.
proposition de loi relative à la reconnaissance de la responsabilité de l’état et à l’indemnisation des victimes du chlordécone
Article 1er
L’État reconnaît sa responsabilité dans les préjudices moraux et sanitaires subis par les populations de Guadeloupe et de Martinique résultant de l’autorisation de la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques à base de chlordécone et de leur usage prolongé comme insecticide agricole.
Il indemnise toutes les victimes de cette contamination dans les conditions fixées par la présente loi, que celle-ci ait eu lieu dans le cadre d’une activité professionnelle ou non.
L’État met en place une campagne de prévention sur l’ensemble du territoire national afin de mettre en avant l’existence de la chlordéconémie.
Il renforce également la prévention sanitaire de la population en mettant en place un dépistage systématique du cancer de la prostate à partir de quarante-cinq ans pour les populations de Guadeloupe et de Martinique.
M. le président. L’amendement n° 16 rectifié, présenté par Mme Havet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
préjudices moraux et
par le mot :
dommages
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Nadège Havet, rapporteure. Cet amendement vise à centrer l’alinéa 1 de cet article sur les dommages sanitaires subis par les populations de Guadeloupe et de Martinique.
La rédaction proposée, comme celle du texte initial, reconnaît la responsabilité de l’État, qui est indubitable, sans toutefois exclure la recherche future de coresponsabilités par les tribunaux saisis de demandes indemnitaires.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. Votre amendement, madame la rapporteure, a pour objet de recentrer la responsabilité de l’État sur les dommages sanitaires subis en lien avec les négligences fautives de l’État.
Soyons très clairs : l’indemnisation de ces négligences sanitaires comprend celle des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux dont l’État est responsable, dont le préjudice moral. Le juge administratif a reconnu la responsabilité de l’État pour avoir autorisé provisoirement la vente homologuée de produits à base de chlordécone et leur avoir accordé des dérogations d’utilisation.
Toutefois, comme l’a déclaré le Président de la République dès 2018 au Morne-Rouge, et comme cela a été confirmé par le juge administratif comme par le juge judiciaire, la pollution par le chlordécone est le fruit d’un aveuglement collectif qui a conduit à accepter cette situation, parce que l’État, les élus locaux et les acteurs économiques considéraient qu’arrêter le chlordécone, c’était menacer une partie des exploitations en Martinique comme en Guadeloupe.
Je suis donc favorable à cet amendement. Nous ne pourrons pas revenir en arrière, la priorité est d’aller de l’avant pour sortir du risque lié au chlordécone. Des solutions existent, cela prendra du temps, mais nous avons besoin de tout le monde.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. J’avoue être assez estomaqué par la position de notre rapporteure et de M. le ministre : ils voudraient que l’on ne reconnaisse que le préjudice sanitaire, alors même qu’une cour administrative d’appel vient de reconnaître le préjudice d’anxiété !
Il y a quatre ans déjà, je plaidais ici pour que l’on procède de manière similaire à ce qui avait été fait pour l’amiante : une fois les textes législatifs adoptés en la matière, on avait pu, par arrêté, intégrer le préjudice d’anxiété à la liste des dommages couverts. Alors, vouloir aujourd’hui restreindre ainsi le champ de la responsabilité de l’État, cela me paraît tout à fait minimaliste.
Beaucoup de textes ont été proposés sur le chlordécone ; le dernier à avoir été adopté, par l’Assemblée nationale, est celui de notre collègue député Élie Califer, qui intégrait à son dispositif les préjudices sanitaires, moraux, écologiques et économiques. Notre collègue Dominique Théophile s’est montré tout à fait responsable et réaliste : il s’en est tenu aux préjudices moraux et sanitaires. Et voici que vous entendez restreindre le texte au seul préjudice sanitaire, au motif qu’il y aurait une sorte de responsabilité collective, partagée entre les utilisateurs du produit, ses producteurs et l’État, qui l’a autorisé.
Madame la rapporteure, ce n’était pas du provisoire : ces dérogations ont tellement duré que c’est devenu quelque chose de permanent. Pour ma part, j’habite dans une zone contaminée, je me fais analyser chaque année pour savoir quel est mon taux de contamination au chlordécone. Je ne demande pas d’indemnisation personnelle, mais on ne saurait réduire la réparation à une simple histoire de contamination individuelle ni ignorer qu’il y a des contaminations qui persistent dans les sols, que nos territoires subissent encore des préjudices environnementaux, sanitaires, ou bien économiques.
Ainsi, il y a des marins-pêcheurs qui ne peuvent pas aller pêcher comme il convient. Quand j’étais ministre des outre-mer, nous avions créé les brigades bleues pour leur venir en aide ; je regrette qu’elles n’existent pratiquement plus.
On ne peut donc pas être aussi minimaliste, aussi réducteur que le proposent la rapporteure et le ministre. J’estime que notre collègue Dominique Théophile a bien travaillé et j’invite notre assemblée à rejeter cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour explication de vote.
M. Yannick Jadot. J’avoue, monsieur le ministre, avoir été surpris, voire sidéré, en vous entendant employer, à deux reprises, l’expression « aveuglement collectif ». Celle-ci laisse entendre que, au moment de la décision, on ne savait pas : pris d’enthousiasme, on aurait distribué dérogations et autorisations. Mais la science s’était déjà prononcée, les alertes étaient déjà là !
Pour ma part, le cynisme, la cupidité, le mépris pour les populations antillaises, je n’appelle pas cela une forme d’« aveuglement collectif » : j’y vois un crime, un scandale d’État. Les responsabilités sont clairement établies.
Je vous demande donc, monsieur le ministre, d’arrêter de parler d’aveuglement collectif quand il s’agit de responsabilités prises en toute connaissance de cause, au mépris de la santé des Antillaises et des Antillais.
M. Victorin Lurel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour explication de vote.
M. Jacques Fernique. Si la rédaction proposée dans cet amendement de la commission maintient à juste titre la reconnaissance de la responsabilité de l’État qui figurait dans la version initiale, elle en réduit en revanche le champ aux dommages sanitaires, en évacuant la responsabilité de l’État pour les préjudices moraux. Autrement dit, la reconnaissance du préjudice lourd d’anxiété disparaîtrait si nous adoptions cet amendement, ce qui serait un recul. C’est pourquoi nous nous y opposerons.
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, pour explication de vote.
M. Dominique Théophile. Monsieur le ministre, madame la rapporteure, j’ai du mal à trouver les mots…
La rédaction de cet amendement implique que l’ensemble de l’article 1er serait remplacé par ce seul et unique alinéa, au détriment des alinéas 2, 3 et 4, relatifs à la prise en charge de l’indemnisation des victimes et à la mise en œuvre d’une campagne de prévention, même si je reconnais que d’autres amendements tendent à réintroduire ces dispositions ailleurs dans le texte.
Par ailleurs, le remplacement de la notion de « préjudices moraux » par celle de « dommages » enlèverait tout fondement à l’indemnisation du préjudice d’anxiété subi par les populations de Guadeloupe et de Martinique.
Selon nos estimations, cela pourrait conduire à supprimer près de 80 % des indemnisations versées aux personnes exposées, qui n’ont pas encore développé de pathologie, mais ont peur d’en développer.
Pourtant, et Victorin Lurel vient de le rappeler, la cour administrative d’appel de Paris a reconnu l’existence d’un préjudice d’anxiété relatif au chlordécone, dans un arrêt qu’elle a rendu récemment, après le dépôt de la proposition de loi, laquelle a été déposée en octobre dernier.
Il est donc impératif que cette mention ne disparaisse pas du texte, sans quoi celui-ci serait nettement moins-disant que la jurisprudence.
Mes chers collègues, si nous adoptions cet amendement, le tribunal aurait pris une décision en quelque sorte « supralégale ». Le fait est déjà jugé, de manière plus avantageuse que ce qui est proposé par cet amendement.
Mes chers collègues, pour être cohérent, et s’assurer que le texte concerne ceux qui sont concernés, qu’ils soient ou non déjà atteints de pathologies, sans créer de désordre, il faut accepter de conserver la rédaction initiale de l’article 1er.
Je le répète, le fait est déjà jugé. Le texte évite de prolonger davantage la situation. Sans quoi, nous n’aurons que partiellement réglé l’affaire.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Nadège Havet, rapporteure. Mon cher collègue, je vous précise que les alinéas 2, 3 et 4 ne sont pas visés par l’amendement n° 16 rectifié, qui ne tend à modifier que le premier alinéa de l’article 1er.
M. le président. La parole est à M. Frédéric Buval, pour explication de vote.
M. Frédéric Buval. Monsieur le président, en accord avec mon groupe, je souhaite déposer un sous-amendement à l’amendement n° 16 rectifié, pour rédiger ainsi le premier alinéa de l’article 1er : « L’État reconnaît sa responsabilité dans les dommages sanitaires subis par les populations de Guadeloupe et de Martinique du fait des autorisations provisoires de vente, des homologations et des autorisations d’utilisation à titre dérogatoire accordées à des produits phytopharmaceutiques à base de chlordécone et de leur usage prolongé comme insecticide agricole. »
M. le président. Monsieur Buval, pourriez-vous préciser l’imputation de votre sous-amendement à l’amendement n° 16 rectifié ?
M. Frédéric Buval. Par ce sous-amendement, nous souhaitons que soit reconnu le préjudice d’anxiété.
M. le président. Mon cher collègue, je vous prie d’excuser ces considérations techniques, mais pour déposer un sous-amendement, il faut que celui-ci modifie le texte de l’amendement en question ; vous ne pouvez pas déposer un sous-amendement ayant pour effet de contredire le sens de l’amendement auquel il s’applique.
Mme Nicole Bonnefoy. Il faut voter contre l’amendement de la commission !
M. Frédéric Buval. Nous demandons de rétablir la prise en compte du préjudice moral et sanitaire.
M. le président. Mon cher collègue, vous pouvez voter contre l’amendement n° 16 rectifié, mais non pas le sous-amender ainsi.
M. François Patriat. Je demande la parole, monsieur le président !
M. le président. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Monsieur le président, compte tenu des difficultés que nous rencontrons, je demande une suspension de séance.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trois, est reprise à dix-huit heures sept.)
M. le président. La séance est reprise.
La parole est à M. Frédéric Buval, pour explication de vote sur l’amendement n° 16 rectifié.
M. Frédéric Buval. Monsieur le président, je renonce à déposer le sous-amendement dont il était question avant la suspension de séance.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. Monsieur Jadot, précisons le sens des mots, pour éviter toute ambiguïté.
Le « préjudice d’anxiété », c’est la crainte de développer une maladie ; le « préjudice moral », c’est la douleur morale liée au fait d’être atteint d’une maladie. Ce n’est donc pas la même chose.
L’amendement n° 16 rectifié ne vise aucunement à supprimer les alinéas 2, 3 et 4, qui sont bien maintenus.
La suppression des mots « préjudices moraux » du premier alinéa n’implique pas que ceux-ci ne seront pas réparés. Les préjudices moraux subis par les victimes seront indemnisés, puisque le champ proposé par la rapporteure est plus large.
En outre, remplacer les termes « préjudices moraux et sanitaires » par ceux de « dommages sanitaires », ainsi que le propose la rapporteure, est plus correct d’un point de vue juridique.
L’État est reconnu responsable des dommages sanitaires à l’origine des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, dont les préjudices moraux, qui seront donc réparés.
Pour synthétiser, nous reconnaissons les préjudices moraux, mais potentiellement nous ne reconnaissons pas les préjudices d’anxiété.
M. Victorin Lurel. C’est pour cela que M. Buval voulait déposer un sous-amendement !
M. Yannick Neuder, ministre. Monsieur Lurel, le préjudice moral est lié au fait d’être atteint d’une maladie, et, en pareil cas, il est reconnu ; le préjudice d’anxiété est lié à la crainte de développer une maladie, point sur lequel le Gouvernement ne suivra pas vos propositions.
Mme Agnès Canayer. Heureusement !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 16 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 259 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Pour l’adoption | 189 |
Contre | 135 |
Le Sénat a adopté.
L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Piednoir, Favreau et Savin, Mme Lassarade, M. Brisson, Mmes Lopez, Deseyne, Belrhiti et Guidez, M. Panunzi, Mmes Dumont, Evren et Richer, M. Henno, Mme Muller-Bronn, M. H. Leroy et Mme Micouleau, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Stéphane Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. Nous proposons de supprimer la campagne de prévention sur l’ensemble du territoire prévue à l’alinéa 3, car il nous semble plus pertinent de limiter cette campagne aux territoires concernés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Nadège Havet, rapporteure. La commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement sur cet amendement.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. Cet amendement a pour objet de supprimer la mise en place d’une campagne de prévention pour permettre aux personnes exposées de connaître le taux de chlordécone dans leur sang.
En cohérence avec l’amendement qui vient d’être adopté, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Monsieur le ministre, je ne comprends pas votre position.
Les personnes exposées au chlordécone peuvent se trouver partout, et ne sont pas situées sur un seul territoire. Il s’agit de réaliser une prise de sang pour toute personne qui, à un moment de sa vie, a été exposée à ce produit.
L’alinéa 3 est absolument nécessaire. Le ministre chargé de la santé devrait logiquement émettre un avis défavorable sur cet amendement, pour garantir que l’on mesure la possible contamination de toutes les personnes concernées, même si elles ont depuis changé de territoire.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Nadège Havet, rapporteure. Monsieur Piednoir, compte tenu de l’adoption de l’amendement n° 16 rectifié, qui tendait à maintenir l’alinéa 3 de l’article 1er, je vous demande de bien vouloir retirer l’amendement n° 2 rectifié.
M. Jacques Fernique. C’est logique !
M. le président. Monsieur Piednoir, l’amendement n° 2 rectifié est-il maintenu ?
M. Stéphane Piednoir. Nous ferons un geste pour saluer le travail important de Mme la rapporteure sur ce texte.
Monsieur Dantec, l’alinéa prévoit la mise en place d’une campagne de prévention afin de mettre en avant l’existence de la chlordéconémie. Elle ne vise pas à prévenir les effets sur ceux qui ont été exposés au chlordécone.
En réalité, il s’agit d’une campagne de communication et de prévention. Les Antillais, les métropolitains ou les étrangers ayant travaillé aux Antilles sont déjà bien au courant de l’existence des risques.
Conformément à ce que j’ai indiqué, je confirme le retrait de mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n’adopte pas l’article.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, mes chers collègues, compte tenu des résultats du vote précédent, je demande le retrait de ma proposition de loi de l’ordre du jour.
M. le président. Monsieur Théophile, acte est donné de votre demande de retirer de l’ordre du jour réservé au groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants l’examen de la proposition de loi relative à la reconnaissance de la responsabilité de l’État et à l’indemnisation des victimes du chlordécone.
La proposition de loi est donc retirée.
Rappels au règlement
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour un rappel au règlement.
M. Patrick Kanner. Ce rappel au règlement se fonde sur l’article 32 de notre règlement, relatif à la qualité de nos débats en séance.
Mes chers collègues, ce que nous venons de vivre est littéralement désespérant pour les populations de Martinique et de Guadeloupe.
Nous avons assisté à une sorte de mascarade. Nous aurions soutenu ce texte, à l’instar des socialistes de l’Assemblée nationale, qui ont soutenu la proposition de loi déposée par Élie Califer.
M. Didier Mandelli. Il fallait voter en faveur de l’article 1er !
M. Patrick Kanner. C’est un nouveau rendez-vous manqué pour ces populations. Je regrette que nous en soyons arrivés là. Mes chers collègues de la majorité sénatoriale – je mets de côté Mme Annick Petrus –, je vous l’assure, cette séquence sera marquée d’une pierre noire pour ces populations. J’en suis désolé. Nous aurions pu avancer.
Monsieur le ministre, c’est parce que vous n’avez pas voulu prendre vos responsabilités et que vous cherchez toujours à procrastiner que nous en sommes là aujourd’hui. Au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je le regrette solennellement.
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour un rappel au règlement.
M. Jacques Fernique. Au titre de l’article 32 du règlement, relatif à la qualité de nos débats, je regrette les conditions incroyables dans lesquelles le débat a avorté. C’est un rendez-vous manqué.
Je comprends tout à fait la décision de l’auteur de la proposition de loi. Je regrette cette issue, mais nous savons au moins comment faire pour être à la hauteur : clarifier les conditions d’obtention des indemnisations pour les victimes avérées, respecter le contradictoire et la procédure, proposer des réparations intégrales et non forfaitaires, financer l’indemnisation par une taxe additionnelle.
Mes chers collègues, monsieur le ministre, faites mieux la prochaine fois !
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour un rappel au règlement.
Mme Frédérique Puissat. Je formule ce rappel au règlement sur le fondement du même article que celui qui a été mentionné par mes collègues.
En l’occurrence, je parlerai, au nom du groupe Les Républicains, non du fond – le texte a été débattu en commission, chacun a pu s’exprimer, y compris le ministre –, mais de la forme.
La proposition de loi a été déposée ; conformément au règlement, un amendement a été adopté lors d’un scrutin public.
Ensuite, mes chers collègues, vous avez choisi de voter contre l’article 1er. Vous devez assumer votre choix. Monsieur le président Kanner, en aucun cas vous ne pouvez considérer que notre groupe est responsable de ce vote.
Chacun pensera ce qu’il souhaite de ce vote. Le Gouvernement a sa position, notre groupe a la sienne. Voilà comment les choses se sont passées.
M. Patrick Kanner. C’est vous qui avez demandé un scrutin public !
M. Stéphane Piednoir. Pas du tout !
Mme Frédérique Puissat. C’est la commission !
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour un rappel au règlement.
M. Yannick Jadot. Mon propos se fonde également sur le même article de notre règlement que celui qui a été mentionné par nos collègues.
Nos compatriotes de Guadeloupe et de Martinique ont une attente extraordinaire. Depuis tant d’années, ils expriment le besoin de réparations pour des préjudices tant sanitaires que moraux ou liés à l’anxiété.
Monsieur le ministre, vous avez fait du « en même temps ». Avec raison, vous avez rappelé que le Président de la République avait dénoncé le scandale. Toutefois, lors d’une réunion du grand débat national avec des élus d’outre-mer, lui-même doutait de la responsabilité du chlordécone dans l’apparition des cancers !
Vous conservez en permanence la même ambiguïté en ce qui concerne les pesticides : vous n’arrivez pas à trancher pour la santé au détriment des intérêts économiques.
Ce vote est l’expression du mépris par lequel vous accueillez l’angoisse, l’anxiété et les dégâts sanitaires chez nos compatriotes antillais.
Mme Frédérique Puissat. C’est vous qui avez voté contre l’article 1er !
M. Stéphane Piednoir. Vous pratiquez la politique de la terre brûlée !
M. Yannick Jadot. La politique de la terre brûlée, c’était le chlordécone !
M. le président. Mes chers collègues, acte vous est donné de ces rappels au règlement.
4
Candidatures à deux commissions mixtes paritaires
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein des commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-quatre, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Traitement des maladies des cultures végétales par aéronefs télépilotés
Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à améliorer le traitement des maladies affectant les cultures végétales à l’aide d’aéronefs télépilotés (proposition n° 273, texte de la commission n° 490, rapport n° 489).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI.)
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, chère Dominique Estrosi Sassone, monsieur le rapporteur, cher Henri Cabanel, mesdames, messieurs les sénateurs, l’utilisation des produits phytopharmaceutiques suscite dans notre société des débats légitimes autour des enjeux de santé humaine et environnementale, ainsi que de protection des cultures. Aussi, je tiens à rappeler d’office ma position. Elle est claire : il faut réduire les risques et les usages.
Cela étant, l’enjeu est en réalité le suivant : comment accompagner les agriculteurs le long de ce chemin ? En effet, les interdictions brutales nuisent à l’ensemble du monde agricole. Parmi les moyens à notre disposition, le progrès technique, notamment l’agriculture de précision, est un allié fidèle. Il permet de maintenir le niveau de protection dont bénéficient les cultures tout en réduisant considérablement les risques environnementaux et sanitaires.
Je profite donc de cette tribune pour remercier le député qui a pris l’initiative de ce texte et qui assiste à la séance en marque de soutien, Jean-Luc Fugit, ainsi que le rapporteur du Sénat, Henri Cabanel, pour leur travail.
Premièrement, mesdames, messieurs les sénateurs, je rappelle que le dispositif envisagé se fonde sur une expérimentation menée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) sur trois ans. Le constat de l’Agence est clair : « Le recours à des drones de pulvérisation est envisagé comme une alternative pouvant présenter de multiples avantages. »
Ceux-ci sont de trois ordres.
D’abord, les drones permettent une amélioration des conditions de travail. L’Anses estime que le facteur de réduction des risques pour l’utilisateur de produits phytosanitaires est de 200 sur un terrain en pente entre l’utilisation d’un drone et celle d’un chenillard. Il s’agit d’un progrès considérable.
Ensuite, les drones permettent des gains sanitaires en raison de la baisse du nombre et du volume des applications, d’un meilleur ciblage, qui préserve les populations environnantes, et d’un éloignement de la personne qui pulvérise de la zone d’épandage.
Prenons seulement l’exemple des travailleurs de bananeraie, qui luttent contre la cercosporiose noire. Ces derniers sont contraints à une pulvérisation depuis le sol vers le sommet des bananiers, laquelle les expose à des retombées de produits fongicides. Je ne parle même pas de la fatigue, de la chaleur et de l’épuisement physique liés à leur travail. Pour eux, l’usage de drones répond concrètement à une réalité professionnelle très difficile.
Enfin, l’usage de drones permet des gains environnementaux. La raison est la même : une utilisation moindre des produits de traitement.
En résumé, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons devant nous une solution concrète et scientifiquement validée. Elle permet, tout en préservant les bénéfices des produits de traitement, d’en réduire drastiquement les risques.
Deuxièmement, grâce à cette proposition de loi, cet usage serait strictement encadré.
En premier lieu, le périmètre d’utilisation du drone serait restreint aux seuls terrains en forte pente, aux bananeraies et aux cultures de vignes mères. Pour ces dernières, l’expérimentation a confirmé l’avantage manifeste des drones par rapport à une pulvérisation terrestre.
En deuxième lieu, nous limitons au travers du dispositif envisagé les applications par drone aux seuls produits présentant un risque faible pour la santé humaine, aux produits de biocontrôle ainsi qu’à ceux qui sont utilisés en agriculture biologique. Cette limitation est de nature à rassurer nos concitoyens et donc à favoriser une utilisation plus large de cette technologie.
En troisième lieu, des mesures de gestion des risques et des conditions d’utilisation strictes, notamment l’établissement de distances de sécurité dans les zones sensibles, garantiront la santé des personnes et la préservation de l’environnement.
Grâce à ces différents garde-fous, ce texte est équilibré. Nous offrons ainsi des garanties suffisantes à nos producteurs comme à nos concitoyens sur l’ensemble des points de préoccupation.
Troisièmement, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi définit une méthode robuste, fondée sur l’évaluation scientifique des avantages manifestes du drone pour la santé et l’environnement. Elle permettra d’étendre par voie réglementaire le dispositif aujourd’hui envisagé à de nouveaux types de parcelles ou de cultures. En plaçant la science au cœur du processus de décision, nous réduirons la lourdeur des procédures afférentes. Dans le même temps, nos décisions disposeront d’un fondement très légitime.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte étant source de multiples progrès, je vous appelle à le voter conforme. Nous serions ainsi en mesure d’adopter une démarche équilibrée en matière de prises de décision relatives à notre agriculture, dans la pleine maîtrise des progrès scientifiques et techniques, au bénéfice de notre production comme de la santé humaine et de la protection de l’environnement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP, RDPI et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. Henri Cabanel, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons cet après-midi, dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe RDPI, est connu de la Haute Assemblée et attendu par les agriculteurs. Conformément au droit européen et sous de strictes conditions, il s’agit d’autoriser, par le biais d’une dérogation à l’interdiction générale de pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques, l’usage de drones.
J’ai conscience que la transition entre l’examen du précédent texte – le sujet était particulièrement lourd pour nos compatriotes guadeloupéens et martiniquais – et celui-ci n’est pas forcément des plus simples. Soyons clairs : si, dans un cas, il s’agissait de reconnaître la responsabilité de l’État et d’indemniser les victimes du chlordécone, il est à présent question d’améliorer la protection des applicateurs de produits phytopharmaceutiques et même de réduire, à terme, la quantité de pesticides utilisée.
Ainsi, au travers de la proposition de loi de notre collègue député Jean-Luc Fugit visant à améliorer le traitement des maladies affectant les cultures végétales à l’aide d’aéronefs télépilotés, il s’agit de moderniser le cadre législatif applicable à l’usage de drones pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques. En cela, nous continuons notre action de « désurtransposition » de notre droit national, comme d’autres pays l’ont fait avant.
Ce sujet est loin de nous être inconnu : nous nous sommes d’ores et déjà prononcés par deux fois dans cet hémicycle sur la question des drones en agriculture. Par deux fois, le Sénat a soutenu, dans le respect du cadre européen, une évolution de notre droit en la matière.
En premier lieu, nous l’avons fait à l’occasion du vote, en mai 2023, de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, portée par nos collègues Laurent Duplomb, Pierre Louault et Serge Mérillou.
En second lieu, nous l’avons fait tout récemment à l’occasion du vote, en janvier dernier, de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, déposée par nos collègues Laurent Duplomb et Franck Menonville. À une nuance près, nous retrouvons dans le texte que nous examinons cet après-midi une mesure adoptée dans cette précédente proposition de loi, mesure qui avait fait l’objet d’un compromis entre le rapporteur Pierre Cuypers et le Gouvernement. Autrement dit, le Sénat s’est d’ores et déjà prononcé favorablement sur un dispositif quasi identique il y a trois mois.
Dans ce cadre, la commission des affaires économiques a fait le choix de suivre la vieille maxime paysanne « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » en adoptant ce texte sans modification. Du reste, tel est le souhait de l’essentiel des acteurs agricoles que j’ai entendus dans le cadre de mes auditions.
Que contient précisément cet article unique que je vous invite à adopter sans modification ?
Tout en maintenant l’interdiction de principe de la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques, il s’agit de prévoir une dérogation spécifique pour certains usages de drone, conformément à l’article 9 de la directive européenne de 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable.
Bien entendu, cet usage est encadré et limité. Nous ne parlons pas d’utiliser des hélicoptères pour arroser sans discrimination toute une zone avec des produits classés cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction !
D’abord, seuls les produits les moins dangereux pourront être épandus par drone, à savoir ceux de biocontrôle, ceux qui sont autorisés en agriculture biologique et ceux qui sont classés à faible risque.
Ensuite, seules les parcelles en pente, les bananeraies et les vignes mères porte-greffes seront susceptibles de recevoir des traitements selon ce mode d’administration. Cette limitation recoupe l’expérimentation menée dans le cadre de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim 1.
Enfin, la pratique est encadrée par les règles générales entourant tout usage de drone et de produits phytopharmaceutiques.
Notons que la seule différence entre le texte qui nous est soumis et le dispositif adopté dans le cadre de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur réside dans le pourcentage minimal de pente autorisant l’épandage par drone. Dans le cadre de l’accord global conclu avec le Gouvernement lors de la précédente proposition de loi, le pourcentage retenu par le Sénat était de 30 %. Dans le présent texte, les députés ont préféré l’établir à 20 %. Ce dernier chiffre me semble tout à fait pertinent. Il permettra naturellement à davantage d’agriculteurs de bénéficier s’ils le souhaitent de cette technique et donc de sécuriser l’intervention des applicateurs.
À ce propos, je tiens à souligner le point suivant : si passer d’un pourcentage de pente de 30 % à 20 % – l’inclinaison demeure très importante ! – permet aux agriculteurs de réduire les risques au travail, j’y suis tout à l’ait favorable. Rappelons que, en 2023 encore, la viticulture détenait le triste record d’accidents du travail graves non mortels ainsi que d’accidents du travail mortels.
Si le drone est loin d’être l’alpha et l’oméga de la sécurité au travail, il aide à réduire à la fois l’exposition aux produits phytopharmaceutiques et les risques d’accident liés à l’utilisation de machines agricoles dans des conditions difficiles. Nous pouvons tous nous accorder à dire que c’est un progrès.
En matière d’exposition des applicateurs, je ne peux pas ne pas dire un mot de la filière de la banane. Je sais que l’usage de produits phytopharmaceutiques dans les bananeraies est une question sensible, pour des raisons dont nous venons de débattre dans le cadre du précédent texte à l’ordre du jour. Force est de constater que, au travers de la présente proposition de loi, nous ne répondrons qu’imparfaitement au besoin de réduire l’exposition des applicateurs de cette filière. En effet, ils pulvérisent depuis le sol un fongicide qui ne sera pas susceptible d’être pulvérisé par drone pour atteindre les feuilles de la cime de l’arbre et ainsi lutter contre la cercosporiose noire.
Je sais que certains d’entre vous auraient souhaité adopter des dispositions spécifiques. Pour cette raison, je considère ce texte comme un point de départ : il n’épuise pas le sujet de la réduction de l’exposition des applicateurs.
J’ajoute qu’il est prévu dans le texte un mécanisme d’expérimentation de l’usage de drone sur d’autres cultures. Ces expérimentations devront faire l’objet d’une évaluation de la part de l’Anses avant, si des bénéfices manifestes pour la santé humaine et pour l’environnement sont observés, d’être pérennisées. Ce mécanisme permet de faire évoluer les règles de façon plus agile que si nous devions repasser par le Parlement, filière par filière, ce qui n’aurait naturellement aucun sens.
En conclusion, mes chers collègues, je vous invite à voter sans modification un texte équilibré, par lequel nous tenons compte non seulement des résultats positifs des expérimentations menées, mais aussi des incertitudes restantes. Même si le débat aura lieu, l’avis de la commission sur les treize amendements déposés sera, en toute logique, défavorable. Nous tenons un compromis intéressant pour notre agriculture, même s’il ne résoudra naturellement pas l’ensemble des problèmes de certaines filières. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
M. Vincent Louault. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour voter la proposition de loi de Jean-Luc Fugit, éminent député du département du Rhône. En l’adoptant, nous confirmerions ainsi notre vote de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur.
La principale différence entre le texte qui nous est soumis et le dispositif précédemment adopté réside dans le pourcentage minimal de pente nécessaire à l’autorisation de l’épandage par drone : alors qu’il était de 30 %, il est désormais établi à 20 %. Ce chiffre semble tout à fait pertinent, comme l’indiquait M. le rapporteur Cabanel. Il permettra à davantage d’agriculteurs de bénéficier de cette innovation.
Ce débat permet surtout de rappeler à quel point cette proposition de loi semble vertueuse pour l’évolution de notre agriculture et de notre sécurité alimentaire. Il est nécessaire de revenir sur la surtransposition au fondement de ce texte en permettant, comme les autres pays européens, d’utiliser l’innovation qu’incarnent les drones lorsqu’elle présente des avantages manifestes pour la santé humaine et l’environnement par rapport aux applications terrestres.
Cette technologie n’en est qu’à ses prémices, mais ce texte enverra un signal fort à la recherche et à l’innovation.
D’abord, l’innovation est ainsi mise au service de la réduction non seulement de l’exposition des opérateurs, mais aussi de la quantité globale de produits phytopharmaceutiques et d’eau utilisés.
Ensuite, elle est mise au service de l’attractivité du métier d’agriculteur par la réduction des contraintes et de la pénibilité, alors que se profile le mur du renouvellement des générations.
Enfin, l’innovation sauvera de l’arrachage des vignobles héroïques. J’en connais, dans mon département, sur certains coteaux du Beaujolais !
Comme nous le savons, ce texte a été particulièrement sujet à débat à l’Assemblée nationale. La rédaction proposée est un compromis, équilibré et proportionné : la protection tant de l’individu que de notre environnement est prise en compte. Les dispositions de ce texte permettent d’améliorer les conditions de travail sans porter atteinte à nos acquis en matière environnementale puisque son champ est circonscrit à l’épandage de produits à faible risque ou autorisés en agriculture biologique.
L’Anses conservera la responsabilité d’évaluer les avantages et les risques de cette méthode. En effet, cette levée de l’interdiction de principe ne suffit pas à autoriser les pulvérisations de produits phytopharmaceutiques par drone : il restera nécessaire d’étendre à un usage aérien les autorisations de mise sur le marché des produits concernés.
Ce garde-fou est nécessaire : pour déroger au principe général de l’interdiction de pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques, nous fondons ce texte sur une expérimentation ayant fait l’objet d’une évaluation par l’Anses. Dans le rapport en question, l’Agence a présenté des résultats mesurés.
D’après elle, si le recours à des traitements par drone paraît une « solution intéressante pour protéger les cultures des bioagresseurs » et « une alternative pouvant présenter de multiples avantages », « les performances des drones de pulvérisation apparaissent inférieures à celles de pulvérisateurs terrestres classiques ». Par ailleurs, ces essais « doivent être considérés avec précaution compte tenu du jeu de données très restreint ». Aussi, « l’analyse des données ne permet pas, à ce stade, de dégager des conclusions générales robustes compte tenu des incertitudes observées ».
En restreignant la dérogation à des produits à faible risque ou autorisés en agriculture biologique, nous prolongeons par ce texte l’expérimentation sans faire courir de risque sanitaire ou environnemental. Ainsi, nous envoyons un signal positif à la recherche et à l’innovation tout en accompagnant nos agriculteurs, dans l’attente d’une technologie qui permettra l’identification des maladies sur pied, afin de les traiter dès la première infection. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Bleunven. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit également.)
M. Yves Bleunven. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si une phrase devait résumer le texte que nous nous apprêtons à examiner, ce serait : « le progrès technique au service de la transition écologique ». Ce postulat relève de l’évidence pour bon nombre d’entre nous dans cet hémicycle. Pourtant, je sais que les débats seront une nouvelle fois nourris ce soir.
Sans revenir en détail sur l’histoire de ce texte, rappelons que le droit européen interdit l’utilisation de traitements phytopharmaceutiques aériens, mais autorise des dérogations sous certaines conditions strictes.
C’est ainsi que, en 2018, dans le cadre d’une première suite législative donnée aux États généraux de l’alimentation, nous avons autorisé, par dérogation, l’expérimentation pour trois ans de la pulvérisation aérienne de produits autorisés dans les exploitations en agriculture biologique ou faisant l’objet d’une certification haute valeur environnementale (HVE). Cette autorisation se limite aux surfaces agricoles présentant une pente supérieure ou égale à 30 %.
À l’issue de cette expérimentation, l’Anses a rendu un rapport d’évaluation et conclu que le recours à des drones de pulvérisation représente une « alternative pouvant présenter de multiples avantages » par rapport à la pulvérisation terrestre. L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) a également conclu à une plus grande efficacité de cette technique.
Toutefois, l’expérimentation étant arrivée à son terme, il n’est plus autorisé de réaliser des pulvérisations par drone en France, là où le droit européen offre des marges de manœuvre. Nous nous retrouvons donc – encore ! – en situation de surtransposition, cette fois-ci involontaire : les drones ne faisaient pas partie du débat lorsque nous avons établi cette interdiction stricte en transposant la directive SUD (Sustainable Use of Pesticides) en droit interne.
Néanmoins, ce constat regrettable étant dressé, nous devons légiférer aujourd’hui pour adapter notre droit aux évolutions législatives vertueuses. Si cette proposition de loi a eu du plomb dans l’aile à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, je rappelle que le Sénat a d’ores et déjà pris acte de l’urgence en autorisant, par deux fois, cette dérogation, à l’occasion des votes, d’abord en 2023, de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, puis, dernièrement, de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur. J’en profite pour remercier mes collègues Franck Menonville et Laurent Duplomb.
Alors, pourquoi tant d’engouement pour ces engins volants ? Eh bien, imaginez : un drone pèse moins qu’un pulvérisateur dorsal de quarante kilogrammes, ne se renverse pas sur une pente raide et, surtout, n’expose pas de la même manière les travailleurs aux produits pulvérisés. Je reprends les mots de l’Anses : « Les résultats indiquent que l’exposition de l’opérateur utilisant un drone est environ 200 fois plus faible que pour un opérateur utilisant un chenillard. » C’est donc une bénédiction pour les agriculteurs, qui gagnent en confort, en sécurité et probablement en espérance de vie.
Ces drones sont aussi écolos ! Par rapport aux autres aéronefs, ils réduisent les phénomènes de dérive, car la pulvérisation se fait beaucoup plus proche du sol. Leur précision permet de mieux cibler les traitements et de moins utiliser de produits.
Ils se montrent aussi utiles dans deux cas. D’une part, lorsque les sols sont détrempés, les drones permettent d’appliquer immédiatement les traitements, évitant ainsi la propagation rapide de ces derniers ; d’autre part, ils offrent une solution au problème du tassement du sol, notamment dans l’agriculture de conservation.
Rappelons également que la légalisation de l’utilisation de ces nouvelles technologies est un enjeu de souveraineté alimentaire puisque notre capacité à produire en dépend. Les acteurs des différentes filières sont demandeurs : à nous de leur offrir une solution pérenne et équilibrée ! Nos voisins l’ont d’ailleurs bien compris puisque l’Allemagne, l’Autriche ou encore la Belgique se sont saisies des dérogations offertes par l’Union européenne pour autoriser ces pratiques.
Par cette proposition de loi, nous posons – c’est normal ! – un cadre strict. Le texte ne concerne que trois catégories de produits : produits de biocontrôle, produits autorisés en agriculture biologique et produits à faible risque. Nous levons l’interdiction de principe seulement dans trois cas : lorsque la pente est supérieure ou égale à 20 %, pour les bananeraies et pour les vignes mères de porte-greffes, rares, mais essentielles au renouvellement des plantes.
Cela étant, si l’expérimentation permise par ce texte, qui étend les programmes de pulvérisation par drone des mêmes produits à d’autres types de parcelles et de cultures, est évaluée favorablement par l’Anses, il sera nécessaire d’étendre en conséquence le régime d’autorisation.
Sans mauvais jeu de mots, je plaide pour que nous arrêtions d’emprunter une pente décroissante et pour que nous offrions à nos agriculteurs la possibilité de mettre les nouvelles technologies, lorsqu’elles ont fait la preuve de leur efficacité environnementale, au service de leurs conditions de travail. Ce n’est ni plus ni moins que du pragmatisme !
Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste soutient évidemment cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et RDPI. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour assurer le développement durable de notre agriculture, nous avons besoin de promouvoir toutes les modernisations, donc de soutenir toutes les recherches tendant à l’optimisation des outils et des process de production, surtout quand il s’agit de limiter la consommation de produits phytosanitaires, d’économiser l’eau et de réduire au maximum les gaspillages !
C’est la raison pour laquelle nous soutenons les missions de recherche de l’Inrae, prenons en compte les expertises produites par l’Anses et soutenons les politiques publiques dont l’objectif est de pérenniser les spécificités de notre agriculture familiale en ne laissant aucune ferme sur le bord de la route.
Nous choisissons cette option, car nous savons qu’il n’y a pas de ruralité vivante sans agriculteurs !
Monsieur le rapporteur, je tiens à saluer l’excellence de votre approche. En votre qualité de professionnel de la viticulture ayant choisi la conversion au bio, vous vous montrez extrêmement sensible à la qualité des produits agricoles et à la protection de la santé des agriculteurs, mais aussi des populations qui les côtoient de près, parfois en tant que simples voisins !
Mais je tiens aussi à saluer votre engagement « culturel », si je puis dire, vous qui vous revendiquez pleinement comme héritier des philosophes des Lumières ! Merci de nous avoir rappelé combien le progrès des sciences et des techniques peut améliorer les conditions de production, soulager la condition humaine et protéger notre bien commun qu’est la nature.
Il est vrai – vous l’avez dit dans votre propos liminaire – que la mécanisation motorisée de l’agriculture est encore minoritaire à l’échelle mondiale. La traction animale reste très présente et la traction humaine, principalement assurée par des femmes, demeure utilisée dans quelques contrées du monde.
Dès lors, quand l’occasion se présente de déployer des technologies nouvelles pour servir la cause du mieux-être de l’humanité, il ne faut pas s’en priver ! Et, avec vous, j’ai envie de dire à mon tour : « Vive le progrès ! »
Mais le progrès ne vaut que par les usages qu’il procure.
Et on sait bien qu’il y a un abîme entre le silex et l’énergie cosmique. Piloter l’étincelle du silex pouvait être à la portée de chacun. Piloter l’énergie cosmique implique d’autres règles, quelques connaissances – pardonnez-moi – et quelques précautions ! Tel est aussi le cas du pilotage des drones et de leur utilisation pour épandre des produits phytopharmaceutiques.
La culture viticole étant faiblement développée en Bretagne, je me garderai bien de tout commentaire sur les avantages attendus du développement de cette pratique. Très sensible aux désastres produits par l’épandage du chlordécone – nous en avons parlé tout à l’heure –, je me garderai bien aussi de critiquer les avantages légitimes attendus de cette technique. Nous pouvons donc comprendre ce qui a motivé le dépôt de ce texte.
En revanche, ce débat me paraît un peu décalé. Il intervient dans un contexte d’obscurantisme aggravé par toute une série d’attaques contre les scientifiques, qui n’ont pas lieu, du reste, qu’aux États-Unis.
Dans un contexte où, par ailleurs, nous appelons à un effort de simplification, le degré de précision et de précaution auquel s’astreignent les auteurs de cette proposition de loi constitue en quelque sorte un aveu : l’usage dont il est question n’est ni simple ni spontané et il faudra réunir beaucoup de paramètres, difficiles à conjuguer et à coordonner ! Plus la loi s’oblige à entrer dans le détail et la précision, plus elle devient précaire et contestable.
Pourtant, il y a fort à parier que viendra très vite le temps où il vous sera reproché d’avoir été trop prudents, d’avoir par trop limité le périmètre du recours aux drones, d’avoir été trop précis dans les spécifications de cet usage. J’entends néanmoins toutes les précautions qui ont été prises.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Gérard Lahellec. Reste que – cela a été dit – la boîte de Pandore est ouverte et les imprécisions du texte sont trop importantes.
C’est la raison pour laquelle nous nous opposerons à cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi s’inscrit dans le prolongement de la loi Égalim de 2018, qui avait remis en cause le principe de l’interdiction absolue de l’épandage aérien de pesticides.
Alors que le monde agricole traverse une crise sans précédent, faute de politiques publiques garantissant des prix rémunérateurs pour nos paysans, et alors que le système de l’agrochimie altère tous les pans de notre biodiversité, il nous paraît clair, à nous, écologistes, que pérenniser l’utilisation de drones pour la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques n’était pas une priorité – c’est peu de le dire !
Si la majorité sénatoriale s’est déjà prononcée en faveur d’un dispositif quasi similaire lors de l’examen, au début de l’année, de la proposition de loi de nos collègues Duplomb et Menonville, nous estimons au contraire que l’autorisation de la pulvérisation par drone ne constitue une solution ni aux problèmes de rendement ni aux problèmes de santé des agriculteurs. Notre principal objectif est la sortie, encouragée et progressive, des pesticides de synthèse.
M. Laurent Duplomb. Et voilà !
M. Daniel Salmon. C’est clair !
Pourtant, nous ne sommes pas par principe contre les évolutions technologiques et le développement de l’agriculture de précision, à condition qu’ils permettent d’améliorer les conditions de travail des agriculteurs, dans le respect de la santé humaine et environnementale. (M. Pierre Cuypers ironise.) Mais il paraît assez évident qu’en l’espèce de telles conditions ne sont pas réunies.
Certes, mes chers collègues, vous vous limitez à autoriser les produits phytopharmaceutiques de biocontrôle et les produits autorisés en agriculture biologique, et ce sur quelques types de parcelles seulement, mais nous craignons qu’il ne s’agisse là que d’un cheval de Troie, destiné à enterrer, à terme, le principe de l’interdiction des pulvérisations aériennes ! Ayant subi un certain nombre de précédents ces dernières années, nous ne sommes pas vraiment dupes.
Le rapporteur l’a dit tout à l’heure : cette proposition de loi n’est qu’un point de départ, et on sait bien ce dont elle est le prélude. (M. Vincent Louault ironise.)
Le dispositif dont il est question est présenté comme moins néfaste pour l’environnement et pour les travailleurs, car il est en théorie plus précis. Or, en réalité, comme le souligne clairement l’Anses dans son rapport, les essais réalisés sont trop peu nombreux pour qu’il soit possible d’émettre des conclusions fiables plaidant pour la pérennisation du dispositif. Le niveau de dérive inhérent à l’utilisation de ces produits est important et l’on ne peut garantir à ce stade l’innocuité de cette pratique, sur les humains comme sur les écosystèmes. Le principe de précaution doit donc s’appliquer !
C’est pourquoi nous nous opposons à la pérennisation de cette expérimentation. Il faut au contraire, comme le recommande l’Anses, acquérir des données scientifiques supplémentaires sur tous les impacts de la pulvérisation par drone.
Par ailleurs, il aurait été plus pertinent de débattre de ces dispositions dans le cadre d’un projet de loi, c’est-à-dire d’un texte assorti d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’État – nous regrettons que tel ne soit pas le cas.
Nous nous opposons plus encore à la généralisation des essais à tous les types de cultures s’il est avéré à l’issue de l’expérimentation que cette pratique présente des « avantages manifestes » – je reviendrai sur cette formule.
Ce programme d’essais ne vise à mettre en évidence que les avantages de cette technique du point de vue de la santé humaine et de l’environnement, quand il faudrait procéder à une évaluation objective de l’ensemble des incidences au lieu de produire des données partielles et orientées.
Au travers de cette proposition de loi se pose également la question de notre modèle agricole.
M. Vincent Louault. Ah !
M. Daniel Salmon. Ce texte ouvre la voie à la généralisation de l’usage des drones, il alimente l’endettement et un système productiviste à bout de souffle…
MM. Pierre Cuypers et Laurent Duplomb. Oh là là !
M. Daniel Salmon. … et il lève peu à peu les obstacles à des usages renouvelés des pesticides, alors que les efforts devraient porter sur la recherche et le déploiement de solutions alternatives, pour engager enfin une véritable transition agroécologique.
L’usage de technologies importées crée d’ailleurs une réelle dépendance et obère notre souveraineté.
Nous conditionnerons notre vote à l’adoption des amendements de compromis que nous avons déposés,…
M. Jean-Claude Tissot. L’espoir fait vivre ! (Sourires.)
M. Daniel Salmon. … qui visent notamment à revoir les modalités de ces essais afin de mieux les encadrer et de les orienter vers la recherche scientifique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Victorin Lurel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi « nichée » dans le présent espace réservé prévoit la mise en place d’une dérogation au principe général d’interdiction de la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques.
Au passage, je suis surpris – c’est un faible mot – de la juxtaposition dans cette niche de deux textes pour le moins contradictoires.
D’une part, il est question – ou plutôt il était question – de reconnaître la responsabilité de l’État dans l’utilisation du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique. Je prends acte, au demeurant, que la majorité sénatoriale ne nous a pas permis de le faire.
Mme Frédérique Puissat. C’est ça, oui…
M. Jean-Claude Tissot. Je vous remercie de valider mes propos, ma chère collègue !
D’autre part, et c’est pour le moins surprenant, il est question de réautoriser l’épandage aérien de pesticides, comme si la réalité des scandales sanitaires du passé n’avait aucun effet sur la façon dont nous légiférons aujourd’hui.
Ce principe général d’interdiction de la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques, on le doit à une directive européenne d’octobre 2009, adaptée en droit français via la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite loi Grenelle 2.
C’est la nocivité de ces produits pour l’homme et pour l’environnement, couplée à leur mode d’utilisation, qui avait conduit à cette interdiction de l’épandage par avion, hélicoptère ou ULM.
Inévitablement, ces constats concernant l’usage des pesticides n’ont pas évolué depuis quinze ans – ce qui était vrai il y a quinze ans l’est tout autant aujourd’hui : ils résonnent peut-être même encore davantage.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi Grenelle 2, cette disposition fait régulièrement l’objet de dérogations, qui sont plus ou moins larges.
Surtout, elle est régulièrement remise en cause dans son principe même ; en attestent la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, déposée en 2023, ou, plus récemment encore, la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur.
Actuellement, une seule dérogation existe, en cas de « danger sanitaire grave ».
Les coups de boutoir constamment assénés depuis quinze ans se matérialisent dans ce texte, qui consacre la volonté d’ancrer dans la loi trois dérogations permanentes.
Les auteurs du texte s’appuient sur des rapports de l’Anses et de l’Inrae qui, faisant suite à l’expérimentation permise par la loi Égalim 1, auraient démontré que la pulvérisation aérienne par drone présente « de multiples avantages », est « plus efficace » et peut se prévaloir d’« une performance non négligeable quant à la diminution et à la maîtrise des quantités utilisées de produits ».
Je suis heureux d’observer que les rapports de l’Anses et de l’Inrae sont cités en exemple, ces institutions étant usuellement pointées du doigt dans cette chambre.
M. Vincent Louault. Oh !
M. Jean-Claude Tissot. Toutefois, mes chers collègues, je ne partage vraiment pas votre lecture de ces rapports, dont les conclusions sont en réalité très contrastées.
Ainsi, dans son rapport d’évaluation de 2022 relatif à l’expérimentation de l’utilisation de drones pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques, l’Anses estimait que « les performances d’applications par drone apparaissent plus faibles et plus variables que celles d’applications par matériel terrestre ».
Surtout, et c’est bien là le plus important, l’Anses ne donne aucun avis tranché et préconise plutôt de poursuivre les expérimentations avant d’envisager une quelconque généralisation, « dans la mesure où les études montrent des résultats pouvant présenter une forte variabilité ».
L’efficacité de cette technique est donc tout à fait discutable, ce qui est fort dommageable à l’heure d’en proposer la généralisation.
Si l’objectif du texte est de soulager les employés agricoles dans leur travail et d’améliorer les conditions de travail des paysans, je vous assure qu’il existe d’autres moyens d’y parvenir que d’arroser les champs de pesticides !
Mais je doute que là soit la véritable raison ayant présidé au dépôt de ce texte, car, comme il est souligné dans l’exposé des motifs, il s’agit surtout de préserver le « potentiel agricole » de notre pays. On en revient inévitablement, comme toujours, à la logique productiviste, commerciale et compétitive.
Nous sommes conscients qu’il existe une véritable problématique liée à la spécificité de certains territoires, et particulièrement des territoires ultramarins.
Aussi ce sujet mériterait-il que soit ouverte une réflexion spécifique pour que des aménagements puissent être trouvés, dès lors que toutes les garanties de sécurité pour l’homme et pour l’environnement seraient réunies.
Pour être tout à fait clair quant à notre position, il convient de dissocier la technique visée, d’une part, et les produits utilisés, d’autre part.
Jamais les socialistes ne refuseront le progrès, et surtout pas quand celui-ci vise à améliorer les conditions de travail. L’usage d’un drone en tant que tel ne nous pose donc pas de problème particulier.
En revanche, jamais nous ne défendrons l’usage des pesticides. Jamais nous ne dirons aux paysans : « Utilisez des pesticides ; les rendements de cette année seront meilleurs, mais dans trente ans votre santé en pâtira. »
L’enjeu n’est donc pas celui de la technologie : il y va bien de la santé des paysans, des consommateurs, des riverains, des sols, de la faune, de la flore, des milieux aquatiques.
Notre position n’a jamais changé : nous avons toujours été hostiles à l’épandage aérien de pesticides.
Il convient à cet égard de se remémorer les conclusions du rapport d’information sur les pesticides fait par ma collègue Nicole Bonnefoy en 2012 : « L’épandage aérien des pesticides est un symbole de l’agriculture intensive qui serait trop peu attentive aux dégâts environnementaux qu’elle produit. Cette technique présente en effet le risque d’exposer aux produits épandus des espaces situés à proximité de la zone d’épandage. La dérive lors des épandages aériens est d’autant plus importante que le vent est fort. »
Ce rapport, qui fut adopté à l’unanimité, prônait l’application stricte du principe de précaution, ce dont la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui semble bien éloignée.
Un mot, pour conclure, sur le droit à l’essai – c’est très important – : la disposition proposée pourrait ouvrir cette autorisation de l’épandage par drone à toutes les cultures et à toutes les parcelles s’il est avéré, à l’issue de l’expérimentation, que cette technique présente des « avantages manifestes », et ce sans qu’il soit jamais besoin de saisir de nouveau le Parlement. Voilà qui nous paraît excessivement dangereux.
En cohérence avec les positions qu’il tient depuis des années, et sans aucune hésitation, le groupe socialiste s’opposera à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – M. Christian Klinger applaudit également.)
M. Vincent Louault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant de vous parler du fond de cette proposition de loi, que nous allons soutenir, bien sûr, et voter conforme, je voudrais vous livrer ma modeste expérience : je l’ai dit en commission, aucun agriculteur n’aime l’opération qui consiste à pulvériser des produits de protection des plantes, et ce pour plusieurs raisons.
On a tendance à l’oublier, mais la manipulation et le remplissage sont extrêmement pénibles : cela n’amuse personne. Ces traitements, de surcroît, coûtent fort cher : des milliers d’euros. Les horaires sont très compliqués : il faut épandre à quatre heures du matin ou très tard le soir pour bénéficier des conditions hygrométriques adéquates. En d’autres termes, aucun agriculteur ne vous dira qu’il aime l’opération de la pulvérisation.
Il est certain que l’avenir est à l’emploi d’automates de toutes sortes, et les drones font clairement partie du tableau.
Soyons clairs ! L’objectif n’est surtout pas le retour aux épandages à l’ancienne, par hélicoptère ou par ULM, avec toute leur imprécision.
Mais ce texte ne vise pas non plus à généraliser l’usage des drones pour tous les produits et sur toutes les parcelles. Je le regrette, au demeurant, car l’application par drone, je le répète, c’est l’avenir !
Le principe général reste donc l’interdiction du traitement par aéronef. Ainsi ce texte prévoit-il trois dérogations extrêmement encadrées, pour une ouverture que certains jugeront responsable et mesurée, quand je la trouve, personnellement, minimale et sans ambition.
En réponse à certaines craintes, il convient en effet de faire quelques rappels.
Les produits concernés sont autorisés tant à l’échelle européenne qu’à l’échelle nationale, et expressément approuvés pour un usage par aéronef. Autrement dit, ils disposent d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), comme c’est le cas de tous les produits que nous utilisons en tant qu’agriculteurs – il n’y a là aucune nouveauté.
Il s’agit uniquement des produits de biocontrôle, des produits à faible risque et de ceux qui sont autorisés en agriculture biologique. Quelle ambition !…
Trois types de parcelles seulement sont concernés, et uniquement lorsque les surfaces présentent une pente supérieure à 20 % : certes, c’est mieux que 30 %, seuil que mon cher père avait cautionné… Bonjour l’usine à gaz lorsqu’il s’agira de contrôler ! En surplomb des rangs de vignes, on trouvera les copains de M. Duplomb, j’ai nommé les agents de l’Office français de la biodiversité (OFB), qui contrôleront que tout compte fait la pente est non pas de 20 %, mais de seulement 10 %… Bon courage ! (Sourires.)
L’exploitant devra disposer d’un « certificat individuel professionnel produits phytopharmaceutiques », ou Certiphyto. Mais tel est déjà le cas : cette obligation pèse déjà sur tous les agriculteurs qui utilisent de tels produits – nous voilà rassurés…
Quant à l’Anses, elle sera présente à chaque étape. Encore une fois, tel est déjà le cas pour tous les usages dont il est ici question : aucune nouveauté !
Selon l’Anses et l’Inrae, les drones ne sont certes pas la panacée, mais il s’agit d’outils de complément qui présentent de réels avantages sur deux points fondamentaux : la pénibilité et l’accidentologie. Quel viticulteur ne craint pas, au volant d’un tracteur vigneron, que son véhicule ne se renverse ? Les accidents sont légion, et il arrive qu’ils soient mortels… C’est bien la viticulture qui, à cet égard, est la plus touchée, car les rangs de vignes sont peu espacés.
Les innovations de précision dont nous sommes en train de débattre sont donc des alliées certaines de l’agriculture et de l’environnement. Elles représentent une occasion de limiter l’impact des traitements actuels sur la santé des agriculteurs, des populations et de l’environnement. Quand vous traitez des bananeraies en pulvérisant du bas vers le haut, le produit vous retombe immanquablement sur la tête. On pourra dorénavant pulvériser par drone les produits de biocontrôle ; les produits plus dangereux, en revanche, les agriculteurs continueront de se les pulvériser sur la tête ! Les exploitants seront heureux de l’apprendre…
Pourquoi donc se priver d’un usage étendu de cette technique ?
En outre, les drones de 2025 sont bien loin des avions et des hélicoptères d’hier : ils permettent d’intervenir au plus près de la culture, à la façon d’un pulvérisateur normal de tracteur, qui traite à 50 centimètres de la cible. Le drone offre exactement la même possibilité : il ne change rien, de ce point de vue, par rapport au tracteur, et il avance, du reste, à la même vitesse, à 20 kilomètres par heure. Venez sur ma parcelle : je vous mets au défi de voir la différence !
Le ciblage est fondamental pour intervenir rapidement et limiter la progression de la maladie. Je le rappelle, l’avantage du drone est qu’il permet de traiter 1 % ou 2 % seulement de la culture. Quand des pucerons cendrés menacent de ravager vos colzas en fleur, vous pouvez, grâce au drone, ne traiter qu’une partie du champ, le seul foyer d’infection, à condition d’intervenir précocement. Le drone représente donc un progrès énorme par rapport aux techniques ordinaires de traitement !
Plusieurs pays ont déjà autorisé de tels usages. Ceux qui sont ici proposés sont circonscrits et minimalistes, mais, au moins, nous avançons !
Et nous allons continuer d’avancer vers une agriculture plus vertueuse, moins dangereuse pour l’applicateur – c’est très important – et toujours plus respectueuse de l’environnement : une agriculture attractive pour les salariés, innovante et économiquement viable.
Notre agriculture est d’ores et déjà très moderne, je tiens à le rappeler : nous restons à la pointe de la modernité. Des solutions existent, parmi lesquelles comptent les drones ; utilisons-les ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. Pierre Cuypers. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis que nous examinions, pour la troisième fois depuis 2023, un texte relatif à l’usage des drones dans l’agriculture. Comme le rapporteur l’a très justement indiqué, nous nous sommes déjà prononcés à deux reprises sur ce sujet : une première fois à l’occasion de l’examen de la proposition de la loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France de nos collègues Laurent Duplomb, Pierre Louault et Serge Mérillou ; une deuxième fois à l’occasion de l’examen de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, adoptée par le Sénat il y a moins de trois mois.
J’ai eu le plaisir d’être le rapporteur de ce dernier texte ; la disposition relative aux drones ne m’est donc pas tout à fait étrangère, et le groupe Les Républicains soutiendra évidemment l’adoption de ce texte.
Cette proposition de loi reprend en effet presque mot pour mot la disposition que nous avons adoptée dans la proposition de loi de nos collègues Laurent Duplomb et Franck Menonville, un accord ayant été trouvé avec Mme la ministre, que je remercie une fois encore de son action résolue en la matière.
Il est donc logique pour nous de soutenir le présent texte, qui prévoit la possibilité de déroger à l’interdiction générale de la pulvérisation aérienne, pour un usage par drone faisant l’objet d’un strict encadrement.
En effet, les produits autorisés dans le dispositif proposé sont les produits homologués les moins dangereux, et les usages concernés se limitent à trois situations, à savoir les parcelles en pente, les vignes mères porte-greffes et les bananeraies.
L’ensemble est encadré par des dispositions réglementaires dont la charge de l’édiction reviendra notamment au ministre chargé de l’agriculture, après avis de l’Anses.
Autant dire que nous sommes loin d’une ouverture incontrôlée des vannes ! Il s’agit plutôt de tirer parti des possibilités offertes par le droit européen pour permettre à notre agriculture de faire ce qu’elle a toujours fait : s’adapter et se moderniser.
Cette modernisation se ferait d’ailleurs au bénéfice des applicateurs de produits phytopharmaceutiques, dont il est prouvé que l’exposition s’en trouverait significativement réduite – les conclusions de l’Anses en la matière sont parfaitement claires.
Elle se ferait aussi au bénéfice de l’environnement et de la réduction de l’usage des intrants. En effet, si nous pouvons d’ores et déjà localiser par drone le développement d’adventices au sein d’une parcelle, nous pourrons demain, à l’aide d’un drone et dans certaines conditions, soigner les plantes au plus près des besoins, au lieu de traiter l’ensemble d’une parcelle en utilisant un engin au sol.
La semaine dernière, à l’invitation du président du groupe d’études Agriculture, élevage et alimentation, Laurent Duplomb, nous sommes allés dans l’Oise assister à une démonstration de pulvérisation par drone d’eau sur un verger. Je puis vous assurer que, depuis les premiers développements de cette technologie voilà une dizaine d’années, les progrès réalisés, pour ce qui est notamment de la précision, ont été considérables.
M. Vincent Louault. Eh oui !
M. Pierre Cuypers. Ce n’est pas pour rien que l’usage des drones à des fins agricoles est autorisé en Suisse et que les surfaces traitées de cette façon augmentent d’année en année.
Je conclus en me réjouissant une fois encore que ce texte puisse être adopté aujourd’hui, ce qui, par effet rebond, devrait faciliter les débats qui auront lieu au mois de mai sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, en en retranchant une disposition.
Par notre vote, nous ferons donc d’une pierre deux coups : d’une part, permettre l’usage des drones dans l’agriculture et, d’autre part, accélérer les débats auxquels va donner lieu, à l’Assemblée nationale, le texte de nos collègues Laurent Duplomb et Franck Menonville, qui est lui aussi très attendu par la profession agricole et soutenu par Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si ce texte, déposé par notre collègue député Jean-Luc Fugit, a été inscrit à l’ordre du jour de notre niche parlementaire, c’est pour deux raisons : d’une part, en raison des incertitudes qui entourent la date de l’examen par l’Assemblée nationale de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculture, qui intègre la disposition dont nous débattons aujourd’hui ; d’autre part, parce que mon groupe, le groupe RDPI, a souhaité démontrer une fois de plus sa volonté de répondre aux attentes des professions agricoles, qui souhaitent l’adoption de ce texte.
Après une expérimentation menée entre 2019 et 2022 sur le fondement de la loi Égalim 1, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail a constaté, au gré de ses travaux, les bienfaits de l’épandage par drone.
Les évaluations ont montré que l’exposition aux produits phytosanitaires des opérateurs utilisant un drone pouvait être jusqu’à 200 fois inférieure à celle des opérateurs utilisant du matériel terrestre.
J’ajoute qu’un pulvérisateur à dos peut peser jusqu’à 40 kilogrammes et que chaque année on continue de déplorer le décès d’agriculteurs écrasés par leur tracteur renversé lors d’un épandage terrestre mécanique.
Par ailleurs, l’épandage par drone s’avère particulièrement utile à certains types d’environnements.
Je pense notamment aux zones dont les sols sont instables, comme les rizières, aux cultures dont les plantes sont ouvertes vers l’extérieur, à l’image des bananeraies, ou encore aux parcelles en pente forte, par exemple dans la vallée du Rhône, et notamment à Tain-l’Hermitage – je salue au passage mon collègue Gilbert Bouchet.
M. Laurent Burgoa. Très bien !
M. Bernard Buis. Je n’oublie pas non plus les vignes mères porte-greffes, qui sont quasi enterrées dans le sol.
L’Anses relève en outre dans sa note que « plusieurs essais d’efficacité conduits en Suisse ont […] montré que des traitements par drone pouvaient fournir une protection similaire à des traitements au sol […] en cas de faible pression en maladies sur vigne ».
De surcroît, les drones sont légers, rapides, manœuvrables et précis.
Autrement dit, dans certaines conditions biologiques, végétatives, climatiques et topographiques, l’épandage par drone est une solution intéressante, dont les avantages sont multiples, pour traiter plus efficacement les maladies affectant les cultures végétales et préserver la santé humaine, celle, en l’espèce, des agriculteurs.
Je rappelle également que l’autorisation d’épandage, qui s’appliquera uniquement aux environnements spécifiques précédemment cités, sera strictement encadrée et limitée aux produits phytopharmaceutiques autorisés en agriculture biologique et aux produits associés de biocontrôle. De telles opérations devront faire l’objet, de nouveau, d’une évaluation favorable de l’Anses.
Mes chers collègues, nous avons l’occasion de voter conforme un texte attendu par les professions agricoles, un texte qui n’est pas vraiment inédit, puisque ces mesures – les précédents orateurs l’ont rappelé – ont déjà été votées à deux reprises par le Sénat : en mai 2023, à l’article 8 de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, et en janvier 2025, dans la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur.
Par conséquent, notre groupe votera dans sa grande majorité pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme la présidente de la commission des affaires économiques et M. Vincent Louault applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Christian Klinger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Klinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’agriculture française est un pilier de notre économie et de notre patrimoine. Nos agriculteurs, nos viticulteurs, nos producteurs font face à des défis croissants, comme le changement climatique, la pression économique et des exigences environnementales toujours plus strictes.
Dans ce contexte, nous avons la responsabilité d’accompagner ces hommes et ces femmes qui nous nourrissent, en leur donnant accès aux outils les plus innovants. C’est précisément l’objet de cette proposition de loi, qui vise à autoriser, sous conditions strictes, l’usage des drones pour le traitement des maladies affectant les cultures végétales.
Depuis 2011, la France interdit la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques, décision motivée par la nécessité de préserver la santé publique et l’environnement.
Toutefois, cette interdiction généralisée a aussi ses limites. Certaines parcelles agricoles, notamment en zones pentues ou difficiles d’accès, ne peuvent pas être traitées efficacement par des moyens terrestres, mettant en péril les récoltes et la viabilité des exploitations.
La présente proposition de loi ne revient pas sur l’interdiction de principe. Elle vise simplement à l’adapter aux réalités du terrain, en autorisant, dans des conditions strictement encadrées, l’utilisation d’aéronefs télépilotés pour l’épandage de produits de biocontrôle et à faible impact environnemental. Il ne s’agit donc ni d’un retour en arrière ni d’une concession aux pratiques du passé : c’est bien une avancée pragmatique, raisonnée et responsable.
L’adoption de ce texte offrira plusieurs avantages majeurs à notre agriculture.
Tout d’abord, elle permettra une application plus ciblée et plus précise des traitements, réduisant ainsi l’usage global de produits phytosanitaires et limitant la dérive des substances dans l’environnement.
Ensuite, elle répondra à une demande forte des agriculteurs confrontés à des conditions topographiques complexes, notamment en zones montagneuses ou sur des cultures spécifiques, comme la banane et les vignes mères porte-greffes.
Enfin, et surtout, elle protégera leur santé.
Les expérimentations récentes menées en Alsace et en Ardèche viennent renforcer cette conviction. Les résultats sont sans appel : les drones permettent une réduction significative de l’exposition des opérateurs aux bouillies de traitement, ainsi qu’une baisse des risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles.
Parmi les secteurs qui bénéficieront directement de cette évolution, la viticulture occupe une place centrale. Nos vignobles, souvent situés sur des terrains escarpés et difficiles d’accès, sont particulièrement exposés aux maladies telles que le mildiou ou l’oïdium. Aujourd’hui, les viticulteurs doivent mobiliser des moyens lourds, coûteux et parfois dangereux pour traiter leurs vignes.
Les drones offrent une alternative plus sûre, plus efficace et plus respectueuse de l’environnement. Ils préservent la santé des travailleurs agricoles en réduisant leur exposition directe aux produits, limitent les risques de maladies professionnelles et d’accidents, tout en assurant une grande précision dans les traitements.
Depuis 2015, en Alsace, des acteurs engagés, tels que les Domaines Schlumberger, la CFTC-AGRI et la Caisse d’assurance-accidents agricoles du Haut-Rhin, ont démontré, par leur travail de terrain et leurs démarches auprès des autorités, que la technologie drone pouvait être mise au service de la sécurité des personnes.
Il est aussi essentiel de rappeler que la directive européenne de 2009 interdisant la pulvérisation aérienne visait spécifiquement les hélicoptères et les avions. C’est par surtransposition nationale que les drones ont été inclus dans cette interdiction. Une telle interprétation n’est pas suivie par d’autres pays européens, comme l’Allemagne et l’Autriche. La Suisse, quant à elle, assimile la pulvérisation par drone à une pulvérisation au sol ; c’est vers cette définition qu’il faudrait tendre.
La présente proposition de loi constitue non pas une autorisation généralisée, mais une adaptation nécessaire, encadrée et limitée à des situations spécifiques.
En la votant, nous faisons le choix du progrès raisonné, du soutien à notre agriculture et de l’innovation au service du développement durable. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à soutenir ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. - M. Vincent Louault applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à améliorer le traitement des maladies affectant les cultures végétales à l’aide d’aéronefs télépilotés
Article 1er
(Non modifié)
Le I de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime est remplacé par des I à I ter ainsi rédigés :
« I. – Sous réserve des I bis et I ter, la pulvérisation aérienne des produits phytopharmaceutiques est interdite.
« I bis. – A. – Pour lutter contre un danger sanitaire grave qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens, la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques peut être autorisée temporairement par arrêté conjoint des ministres chargés de l’environnement, de l’agriculture et de la santé.
« B. – Lorsqu’ils présentent des avantages manifestes pour la santé humaine et pour l’environnement par rapport aux applications par voie terrestre, les programmes d’application par aéronef circulant sans personne à bord de produits phytopharmaceutiques de biocontrôle mentionnés à l’article L. 253-6 et figurant sur la liste mentionnée au IV de l’article L. 253-7, de produits autorisés en agriculture biologique et de produits à faible risque au sens de l’article 47 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil peuvent être autorisés sur les parcelles agricoles comportant une pente supérieure ou égale à 20 %, sur les bananeraies et sur les vignes mères de porte-greffes conduites au sol.
« Un arrêté des ministres chargés de l’environnement, de l’agriculture et de la santé, pris après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et après consultation des organisations professionnelles et syndicales représentant les exploitants et les salariés agricoles, définit les conditions d’autorisation de ces programmes dans les conditions prévues à l’article 9 de la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable.
« I ter. – A. – Par dérogation au I du présent article, lorsqu’ils présentent des avantages manifestes pour la santé humaine et l’environnement par rapport aux applications par voie terrestre, des programmes d’application par aéronef circulant sans personne à bord de produits mentionnés au B du I bis peuvent être autorisés, dans les conditions fixées aux B et C du présent I ter, sur des parcelles et des cultures autres que celles mentionnées au B du I bis.
« B. – Les programmes mentionnés au A du présent I ter sont autorisés à titre d’essai pour une durée maximale de trois ans.
« Les essais visent à déterminer, pour un type de parcelles ou un type de cultures, les avantages manifestes de la pulvérisation par aéronef circulant sans personne à bord du point de vue des incidences sur la santé humaine et sur l’environnement par rapport aux applications par voie terrestre.
« Leurs résultats sont évalués par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
« Les évaluations sont présentées à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
« Un décret, pris après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, définit les conditions d’autorisation et les modalités de réalisation de ces essais ainsi que les modalités de transmission de leurs résultats à cette agence.
« C. – Un arrêté des ministres chargés de l’environnement, de l’agriculture et de la santé dresse la liste des types de parcelles ou des cultures pour lesquelles les résultats des essais mentionnés au B montrent que la pulvérisation par aéronef circulant sans personne à bord est susceptible de présenter des avantages manifestes pour la santé humaine et pour l’environnement.
« Pour les types de parcelles ou pour les cultures inscrites sur la liste mentionnée au premier alinéa du présent C, un programme d’application par aéronef circulant sans personne à bord peut être autorisé dans les conditions prévues au B du I bis. »
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par M. Salmon, Mme Guhl, MM. Jadot, Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Mellouli et Mmes Ollivier, Poncet Monge, Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Par ce premier amendement, nous proposons de supprimer l’article 1er. Pourquoi ? En 2022, à l’issue de l’expérimentation ouverte en 2018, l’Anses a rendu une évaluation très prudente – les choses sont beaucoup moins claires que ce que Mme la ministre a bien voulu dire tout à l’heure ! Si l’Agence a noté que l’exposition des opérateurs est très inférieure lors de l’utilisation d’un drone à ce qu’elle est lors de celle d’un chenillard, plusieurs études montrent, en revanche, que les dépôts sur les cultures présentent une variabilité supérieure après l’utilisation de drones qu’avec des matériels d’application classiques. Ainsi, la question de l’impact de la quantité des dépôts sur les cultures sur l’exposition des travailleurs se pose, selon l’Anses, non pas au moment de la pulvérisation, mais ensuite.
L’étude de l’Agence mettait encore en relief que les niveaux de contamination de mannequins placés à trois, cinq et dix mètres de la parcelle étaient quatre à six fois plus élevés après application par drone qu’elles ne le sont dans le cas d’une pulvérisation par atomiseur à dos.
L’Anses recommandait, en conclusion, d’acquérir des données supplémentaires. Contrairement à ce que j’entends, les incertitudes paraissent donc trop importantes.
Nous nous opposons plus encore à la généralisation des expérimentations sur tous les types de cultures, également prévue à cet article. En effet, cette généralisation n’a, à ce stade, fait l’objet d’aucune expérimentation ni évaluation scientifique.
Et, comme je l’ai dit lors de la discussion générale, il faut ouvrir les yeux et voir que cette expérimentation a pour vocation, demain, à généraliser l’épandage de toutes sortes de pesticides sur toutes sortes de cultures. C’est bien cela qui est en filigrane et qui adviendra dans quelques années si nous votons cet article 1er.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Cabanel, rapporteur. Monsieur Salmon, je suis naturellement défavorable à votre amendement de suppression, pour les raisons que j’ai invoquées en commission.
Je l’ai dit, nous sommes face à un texte qui me semble équilibré, entre, d’un côté, l’ouverture, dans certains contextes, de l’usage des drones en agriculture et, de l’autre, de vraies assurances que l’on ne peut pulvériser n’importe quoi à n’importe quel moment.
Je rappelle encore une fois que cette proposition de loi permettra de réduire considérablement l’exposition des applicateurs – c’est tout de même reconnu par l’Anses !
Il me semble donc important que l’on n’adopte pas cet amendement.
Vous avez pointé la dérive des pulvérisations. On peut effectivement constater qu’il y a une légère dérive, mais celle-ci sera certainement atténuée par les progrès techniques, sur les buses antidérive.
Je rappelle que les essais qui ont été menés par l’Anses ont porté sur des produits phytopharmaceutiques de synthèse. Or le compromis qui a été trouvé ne porte que sur des produits naturels et de biocontrôle.
Compte tenu de cet équilibre, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Annie Genevard, ministre. Aux arguments du rapporteur, j’en ajouterai un autre, que vous n’avez pas abordé dans votre propos, monsieur le sénateur : c’est l’amélioration des conditions de travail de l’agriculteur. Celle-ci ne compte tout de même pas pour rien dans le choix de cette technologie !
Avis défavorable.
M. Laurent Burgoa. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Bien entendu, nous ne sommes pas insensibles aux conditions de travail des opérateurs. C’est même essentiel !
Mais ce que nous mettons en avant – vous ne pouvez pas nous reprocher notre cohérence –, c’est le fait que ces épandages de pesticides sont bien souvent en lien avec un système de monoculture intensive qui apporte tout un lot de maladies. Et bien entendu, la réponse est alors le traitement et le surtraitement. En effet, quand on est dans cette logique, il convient à tout le moins d’exposer aussi peu que possible l’opérateur !
Toutefois, cet argument de protection de l’opérateur est assez contradictoire avec le fait que ces drones serviraient à répandre des pesticides peu dangereux, de biocontrôle ou autorisés en agriculture biologique.
Je le répète, regardons les choses en face et faisons tomber les masques et les faux nez ! Cet article n’est qu’un premier pas vers une autorisation, demain, de l’épandage de toutes sortes de pesticides, raison pour laquelle je maintiens, bien entendu, cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Cela ne va pas du tout améliorer les conditions de travail sous les bananiers ! Si l’on traite la canopée, donc le sommet des feuilles, il faudra toujours une pulvérisation à dos d’homme.
Si les drones seront peut-être suffisants pour la vigne, je peux vous dire qu’ils ne le seront pas pour les bananiers !
C’est la raison pour laquelle je soutiens l’amendement de notre collègue Salmon.
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par M. Salmon, Mme Guhl, MM. Jadot, Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Mellouli et Mmes Ollivier, Poncet Monge, Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Une expérimentation de l’utilisation des aéronefs télépilotés pour la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques de biocontrôle mentionnés à l’article L. 253-6 du code rural et de la pêche maritime et figurant sur la liste mentionnée au IV de l’article L. 253-7 du même code, de produits autorisés en agriculture biologique est menée sur les bananeraies, sur des surfaces agricoles plantées en vigne et présentant une pente supérieure ou égale à 30 %, pour une période maximale de deux ans, par dérogation au premier alinéa de l’article L. 253-8 dudit code.
Cette expérimentation fait l’objet d’une évaluation par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, visant à déterminer les éventuels bénéfices liés à l’utilisation de drones pour l’application de produits phytopharmaceutiques en matière de réduction des risques pour la santé et l’environnement.
Les conditions et modalités de cette expérimentation sont définies par arrêté conjoint des ministres chargés de l’environnement, de l’agriculture et de la santé, de manière à garantir l’absence de risque pour la santé et l’environnement.
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Cet amendement de repli vise à limiter la proposition de loi à la prorogation de l’expérimentation en cours.
Cette expérimentation est justement très cadrée : elle est menée sur les bananeraies et sur des surfaces agricoles plantées en vigne et présentant une pente supérieure ou égale à 30 %, afin d’obtenir des informations beaucoup plus probantes que celles dont nous disposons, puisque l’évaluation de l’Anses a conclu à un manque de données pour juger de l’efficacité réelle de cette technologie – le rapport le dit clairement.
Nous proposons donc que l’Anses dresse un nouveau bilan d’ici à deux ans. Cette durée nous paraît suffisante pour permettre la tenue d’études complémentaires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Cabanel, rapporteur. Cet amendement de nos collègues écologistes vise en quelque sorte à revenir à l’état du droit issu de la loi Égalim de 2018.
Sept ans et une évaluation de l’Anses plus tard, je pense que nous devons aller de l’avant. Et, si je suis profondément d’accord avec le principe de l’expérimentation des nouveaux dispositifs avant leur généralisation, je pense également qu’il ne faut pas avoir peur de son ombre. Il faut avancer !
En l’espèce, l’expérimentation a déjà eu lieu. Ses conclusions sont globalement positives, en dépit, je le reconnais, de quelques réserves. Cependant, celles-ci ont été levées précisément parce que l’on n’autorise que des produits de faible dangerosité.
J’ajoute que la proposition de loi prévoit également une expérimentation pour analyser les éventuels bénéfices de l’usage des drones dans d’autres contextes que ceux, très limités, qui font l’objet d’une autorisation.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Annie Genevard, ministre. Je veux rappeler que c’est en 2018 que la loi Égalim a permis que soient menées ces expérimentations. C’était il y a sept ans.
Et c’est en 2022 que l’Anses a produit son rapport. C’était il y a donc trois ans.
Aujourd’hui, nous légiférons. À un moment ou un autre, il faut bien décider. Avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Je vais reprendre l’argumentaire de notre collègue Victorin Lurel.
En effet, la pulvérisation par les drones se fait par le dessus – cela coule un peu de source ! Elle se fait sur certaines cultures lorsque le développement foliaire n’est pas important. Mais, pour certaines maladies, dues, par exemple, à des champignons qui sont sous les feuilles, elle ne fonctionne pas.
L’utilisation de drones ne va donc pas empêcher que l’on doive compléter le travail à dos d’homme pour certaines cultures.
Il est nécessaire de continuer à expérimenter pour y voir plus clair.
Je me permets de rappeler que, demain, nous examinerons les conclusions de la commission mixte paritaire sur une proposition de loi tendant à reconduire une nouvelle fois certaines dispositions de la loi Égalim – voilà un certain nombre d’années que nous les reconduisons.
Je pense qu’il faut être très prudent s’agissant d’une telle expérimentation. Je rappelle que nous venons d’examiner, en séance, un texte sur le chlordécone, dont les implications sont dramatiques.
Oui, il faut aller de l’avant, mais avec modération et en pesant véritablement tous les avantages et tous les inconvénients. Ce qu’il ne faut pas, c’est aller toujours plus loin, dans une fuite technosolutionniste. Or c’est un peu ce que nous faisons.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. L’épandage aérien a été interdit en Guadeloupe et en Martinique en 2014, après quelques hésitations et plusieurs jugements de tribunaux administratifs. Tous les avions ont alors été vendus à Saint-Domingue, qui vend des bananes ici sous le label bio…
Je sais quelque chose de cette interdiction : j’étais alors directeur de la chambre d’agriculture, et on m’a personnellement accusé d’avoir délivré l’autorisation. Je remplaçais, en somme, la commission de toxicologie du ministère de l’agriculture…
Cette expérience m’a rendu extrêmement prudent sur le sujet, d’autant plus que le texte ne permet pas de savoir exactement quels sont les produits naturels et biocontrôlés qui seront épandus – peut-être me démentirez-vous tout à l’heure. Jadis, on utilisait, entre autres, de la bouillie bordelaise ; aujourd’hui, on ne sait pas.
Je soutiens donc cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote.
M. Laurent Duplomb. Je n’avais pas prévu d’intervenir sur ce texte. Cependant, les propos qu’ont tenus tant Victorin Lurel et Daniel Salmon m’incitent à apporter quelques petites précisions pour rappeler ce qui se passe en réalité.
L’interdiction de tout épandage aérien – par drone ou autre – pour les bananes a conduit à demander aux opérateurs de traiter par le dessous, alors que la maladie commence par le dessus.
Oui, la possibilité de recourir à des drones n’arrêterait pas le traitement par le dessous. C’est vrai ! Mais c’est parce qu’on limite les produits pouvant être épandus par les drones. Si l’on avait l’intelligence de donner la possibilité d’utiliser par le dessus les produits que l’on utilise par le dessous, on n’aurait plus besoin d’intervenir par le dessous !
En réalité, l’interdiction des drones a conduit, en France, à une diminution du rendement des bananeraies de 60 tonnes à 30 tonnes à l’hectare, ce qui nous a jetés encore un peu plus dans les bras des importateurs. Et nous importons des bananes qui, pour la plupart, viennent du Costa Rica, où les traitements aériens sont autorisés pour leur culture : il y a, au Costa Rica, 46 molécules, parfois interdites en France, qui sont utilisées par cette voie.
En France, nous pratiquons neuf interventions par le dessous, avec le risque que cela implique pour l’utilisateur. Si nous passions au drone pour l’épandage des produits nécessaires pour traiter la cercosporiose des bananes, nous diminuerions encore l’utilisation des produits phyto à six passages.
Il faudrait ne pas se poser la question de l’utilisation du drone : nous devrions avoir dépassé ce stade depuis bien longtemps. Nous devrions ouvrir cette possibilité non seulement pour les produits de biocontrôle, mais aussi pour ceux que l’on utilise pour traiter les bananes par le dessous.
Ce faisant, nous diminuerions les traitements, nous importerions moins de bananes du Costa Rica, et nous protégerions réellement les utilisateurs, au-delà des seuls effets de manche.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 8 rectifié bis est présenté par MM. Tissot et Montaugé, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Stanzione et Kanner, Mmes Bélim, Blatrix Contat et Bonnefoy, M. Bourgi, Mmes Briquet, Brossel, Canalès et Carlotti, MM. Chaillou et Chantrel, Mme Conway-Mouret, M. Cozic, Mme Daniel, M. Darras, Mme de La Gontrie, MM. Devinaz, Durain et Éblé, Mme Espagnac, MM. Fagnen et Féraud, Mme Féret, MM. Fichet et Gillé, Mme Harribey, MM. Jacquin, Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Linkenheld, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel et Marie, Mmes Monier et Narassiguin, MM. Omar Oili et Ouizille, Mme Poumirol, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roiron et Ros, Mme Rossignol et MM. Temal, Uzenat, M. Vallet, Vayssouze-Faure, M. Weber et Ziane.
L’amendement n° 10 est présenté par M. Salmon, Mme Guhl, MM. Jadot, Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Mellouli et Mmes Ollivier, Poncet Monge, Senée, Souyris et M. Vogel.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 2
Remplacer les mots :
des I bis et I ter
par les mots :
du I bis
II. – Alinéas 6 à 13
Supprimer ces alinéas
La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour présenter l’amendement n° 8 rectifié bis.
M. Jean-Claude Tissot. Cet amendement revêt pour nous une importance majeure. Il s’agit de supprimer le droit à l’essai prévu par le I ter de l’article 1er, qui illustre concrètement les risques de dérive que nous dénonçons si la présente proposition de loi venait à être adoptée en l’état.
En effet, ce droit à l’essai reviendrait, concrètement, à réautoriser l’épandage aérien de pesticides en France sur tout le territoire, et ce sans jamais avoir à revenir devant le Parlement pour en débattre.
De fait, le dispositif envisagé concerne toutes les cultures et toutes les parcelles, indépendamment de la présence d’un risque majeur avéré ou de topologie particulière justifiant un tel recours.
Si le texte tente d’apporter certaines garanties en termes d’encadrement, nous savons très bien qu’il reviendra surtout à ouvrir une boîte de Pandore que nous ne pourrons jamais refermer.
Les différents textes que la majorité sénatoriale a portés ces derniers temps ne peuvent que nous donner raison : de la proposition de loi « ferme France » à celle qui vise à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, nous voyons bien que l’objectif est progressivement de supprimer toutes les réglementations, de réautoriser des pesticides interdits, de diminuer le pouvoir des opérateurs de l’État, comme l’Anses ou l’Office français de la biodiversité, et de procéder à un énorme retour en arrière sur le plan environnemental.
Certains nous répondront que seuls certains produits sont, à ce stade, concernés par cette dérogation, ou que ce droit à l’essai ne pourra être pérennisé qu’à l’issue d’une évaluation de l’Anses, ce qui est bien le minimum.
Cependant, nous considérons que le contexte politique actuel de défiance majeure à l’égard du monde scientifique et des agences fera peser bien trop de pression sur l’Anses, qui est déjà largement attaquée par ailleurs.
Nous savons très bien que toutes les filières pourront se réclamer, demain, du droit à l’essai, au gré des crises climatiques, sanitaires ou économiques pouvant les impacter.
Nous considérons également que, si les produits à moindre risque sont aujourd’hui les seuls concernés par cette dérogation, certains tenteront, demain, d’en élargir la liste dès que l’occasion se présentera.
Pour nous, ces alinéas illustrent parfaitement le risque de fuite en avant que susciterait l’adoption de la présente proposition de loi en l’état.
Nous réaffirmons donc, par cet amendement, que le principe de précaution doit primer avant tout et que l’exception ne doit pas devenir la règle.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour présenter l’amendement n° 10.
M. Daniel Salmon. Cet amendement a été très bien défendu par mon collègue Jean-Claude Tissot.
Nous décidons une généralisation alors que nous n’avons pas fait de tests sur l’ensemble des cultures. Cette fuite en avant est plus qu’inquiétante.
M. le président. L’amendement n° 13, présenté par M. Salmon, Mme Guhl, MM. Jadot, Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Mellouli et Mmes Ollivier, Poncet Monge, Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 8
1° Remplacer les mots :
avantages manifestes
par le mot :
incidences
2° Supprimer les mots :
du point de vue des incidences
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Il est assez surprenant que nous menions des expérimentations afin qu’elles nous démontrent les « avantages manifestes » de l’utilisation des drones. Autrement dit, on a déjà une idée de ce que l’on veut in fine, à savoir des conclusions positives.
Quand on mène une expérimentation, il convient de mesurer les « incidences », de déterminer le positif comme le négatif, les avantages et les inconvénients.
Cet amendement vise ainsi à remplacer l’expression « avantages manifestes » par le terme « incidences ».
Cela me semble essentiel pour que la démarche soit objective, scientifique, et non complètement orientée dès le départ en faveur de l’utilisation des drones.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Cabanel, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur les amendements identiques nos 8 rectifié bis et 10. Je répète, en effet, que l’expérimentation est une bonne méthode, encore plus lorsqu’elle est encadrée et contrôlée, comme dans le cas présent.
Je rappelle que les expérimentations pourront effectivement être menées, mais que, si les évaluations menées par l’Anses ne sont pas concluantes, elles ne seront pas pérennisées pour la culture ou la parcelle en question. Et chacun sait ici que l’Anses produit des analyses solides et indépendantes – en tout cas, je l’affirme !
Enfin, je ne pense pas que chaque nouvelle autorisation sur telle ou telle culture devrait passer par le Parlement. Si le Parlement vote la loi, pose un cadre, c’est au pouvoir réglementaire de s’assurer de l’application de ce cadre ! C’est exactement ce que fait ce texte : il pose un cadre et définit les règles.
L’amendement n° 13 vise à revenir sur la rédaction résultant des deux amendements du groupe écologiste de l’Assemblée nationale, destinés à mettre la rédaction en conformité avec le droit européen : en effet, la rédaction de l’alinéa que votre amendement vise reprend quasiment mot pour mot la condition essentielle à l’usage des drones figurant à l’article 9 de la directive européenne de 2009 sur les produits phytopharmaceutiques. Il n’est donc pas nécessaire de la modifier. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Annie Genevard, ministre. Je suis d’accord avec M. le rapporteur.
Pour ma part, je pense que la méthode par expérimentation successive est la prudence même. De ce point de vue, je comprends mal ces amendements.
Je suis donc défavorable à l’ensemble des amendements en discussion commune.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 8 rectifié bis et 10.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Tissot et Montaugé, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Stanzione et Kanner, Mmes Bélim, Blatrix Contat et Bonnefoy, M. Bourgi, Mmes Briquet, Brossel, Canalès et Carlotti, MM. Chaillou et Chantrel, Mme Conway-Mouret, M. Cozic, Mme Daniel, M. Darras, Mme de La Gontrie, MM. Devinaz, Durain et Éblé, Mme Espagnac, MM. Fagnen et Féraud, Mme Féret, MM. Fichet et Gillé, Mme Harribey, MM. Jacquin, Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Linkenheld, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel et Marie, Mmes Monier et Narassiguin, MM. Omar Oili et Ouizille, Mme Poumirol, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roiron et Ros, Mme Rossignol et MM. Temal, Uzenat, M. Vallet, Vayssouze-Faure, M. Weber et Ziane, est ainsi libellé :
Alinéa 3
1° Remplacer les mots :
Pour lutter contre un
par les mots :
En cas de
2° Après le mot :
phytopharmaceutiques
insérer les mots :
pour lutter contre ce danger
La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.
M. Christian Redon-Sarrazy. Cet amendement a pour objet de revenir à la rédaction actuelle de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime concernant le champ dérogatoire au principe général d’interdiction de la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques.
Pour les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la rédaction retenue dans le cadre de cette proposition de loi pourrait laisser planer une ambiguïté qui semble peu opportune au vu des inquiétudes que suscite par ailleurs la philosophie d’ensemble du texte.
En effet, le code rural prévoit actuellement que le principe de la dérogation à l’interdiction générale d’épandage aérien, d’une part, ne peut se déclencher qu’en cas de danger sanitaire grave et, d’autre part, concerne la pulvérisation de produits destinés à lutter contre ce danger.
Or la rédaction de la proposition de loi n’apporte pas cette dernière précision. Dans l’absolu, elle pourrait donc ouvrir la possibilité de recourir à l’épandage aérien en cas de danger sanitaire grave, même si les produits épandus n’ont pas vocation à spécifiquement lutter contre le danger identifié.
À ce titre, il semble préférable d’en rester à la rédaction actuelle de l’article L. 253-8, en vigueur depuis 2016.
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par MM. Tissot et Montaugé, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Stanzione et Kanner, Mmes Bélim, Blatrix Contat et Bonnefoy, M. Bourgi, Mmes Briquet, Brossel, Canalès et Carlotti, MM. Chaillou et Chantrel, Mme Conway-Mouret, M. Cozic, Mme Daniel, M. Darras, Mme de La Gontrie, MM. Devinaz, Durain et Éblé, Mme Espagnac, MM. Fagnen et Féraud, Mme Féret, MM. Fichet et Gillé, Mme Harribey, MM. Jacquin, Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Linkenheld, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel et Marie, Mmes Monier et Narassiguin, MM. Omar Oili et Ouizille, Mme Poumirol, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roiron et Ros, Mme Rossignol et MM. Temal, Uzenat, M. Vallet, Vayssouze-Faure, M. Weber et Ziane, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après le mot :
phytopharmaceutiques
insérer les mots :
pour lutter contre ce danger
La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Cet amendement de repli vise à bien préciser que la dérogation au principe général d’interdiction en cas de danger sanitaire grave ne peut porter que sur la pulvérisation de produits visant à lutter contre ce danger identifié.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Cabanel, rapporteur. L’amendement n° 1 rectifié est en réalité quasi rédactionnel. Étant donné que la commission a fait le choix d’adopter ce texte conforme, vous comprendrez que nous émettions un avis défavorable. Nous ne voulons pas prendre le risque d’une seconde lecture à l’Assemblée nationale qui serait incertaine, comme je l’ai expliqué dans mon propos liminaire tout à l’heure.
« Pour lutter contre un danger sanitaire grave qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens » : je considère que la rédaction proposée ne souffre aucune ambiguïté et n’appelle pas à lever un quelconque doute.
L’avis sera également défavorable sur l’amendement de repli n° 2 rectifié bis, pour les mêmes raisons.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Annie Genevard, ministre. Je partage l’avis de M. le rapporteur : il s’agit presque d’une modification de pure forme. La nouvelle formulation qui est proposée à l’alinéa 3 ne diffère que très légèrement de l’actuelle et ne change absolument rien au fond.
Avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
(M. Xavier Iacovelli remplace M. Loïc Hervé au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Xavier Iacovelli
vice-président
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par MM. Tissot et Montaugé, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Stanzione et Kanner, Mmes Bélim, Blatrix Contat et Bonnefoy, M. Bourgi, Mmes Briquet, Brossel, Canalès et Carlotti, MM. Chaillou et Chantrel, Mme Conway-Mouret, M. Cozic, Mme Daniel, M. Darras, Mme de La Gontrie, MM. Devinaz, Durain et Éblé, Mme Espagnac, MM. Fagnen et Féraud, Mme Féret, MM. Fichet et Gillé, Mme Harribey, MM. Jacquin, Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Linkenheld, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel et Marie, Mmes Monier et Narassiguin, MM. Omar Oili et Ouizille, Mme Poumirol, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roiron et Ros, Mme Rossignol et MM. Temal, Uzenat, M. Vallet, Vayssouze-Faure, M. Weber et Ziane, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer le mot :
comportant
par le mot :
présentant
La parole est à Mme Émilienne Poumirol.
Mme Émilienne Poumirol. Cet amendement vise lui aussi à lever toute forme d’ambiguïté sur les ambitions de la présente proposition de loi. Il s’agit de préciser la rédaction de l’alinéa 4 concernant la prise en compte de la pente pouvant donner lieu à des dérogations.
La rédaction actuelle prévoit que cette autorisation pourrait être donnée, à titre dérogatoire, sur des parcelles agricoles comportant une pente supérieure à 20 %. Or il est apparu que cette rédaction était sujette à interprétation, comme cela a été d’ailleurs le cas au moment des débats à l’Assemblée nationale, sans qu’une réponse très claire soit apportée en retour. En effet, le terme « comporter » pourrait laisser penser qu’une parcelle inclinée à un pourcentage inférieur à 20 %, mais comportant seulement une zone supérieure à 20 %, pourrait en bénéficier.
Nous estimons bien évidemment que ce n’est pas l’esprit de la loi et qu’il s’agit bien de viser les parcelles dont les pentes sont supérieures à un pourcentage donné, qu’il soit, d’ailleurs, de 20 % ou de 30 %. Nous proposons donc d’en rester au terme utilisé actuellement dans la législation, à savoir « présenter », tel que cela a été voté dans le cadre de la loi Égalim 1, qui a servi de base à la mise en œuvre de la première expérimentation.
C’est une petite différence sémantique, mais qui a du sens.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Cabanel, rapporteur. Le mot « comportant », introduit en séance publique à l’Assemblée nationale, ne pose pas de difficulté de nature à empêcher un vote conforme, lequel évitera de s’engager sur le chemin incertain d’une nouvelle lecture.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Annie Genevard, ministre. Je comprends le sens de votre amendement, monsieur le sénateur Tissot, mais, avec un tel raisonnement, il faudrait traiter les parcelles concernées tantôt par drone, tantôt par chenillard, selon la pente du terrain. Mettez-vous à la place de l’opérateur ! Ce n’est pas sérieux…
Les termes « comportant une pente supérieure ou égale à 20 % » qui figurent dans l’article me semblent plus adaptés à la réalité du travail de l’opérateur. (MM. Jean-Claude Tissot et Christian Redon-Sarrazy protestent.)
L’avis du Gouvernement est donc également défavorable.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par MM. Tissot et Montaugé, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Stanzione et Kanner, Mmes Bélim, Blatrix Contat et Bonnefoy, M. Bourgi, Mmes Briquet, Brossel, Canalès et Carlotti, MM. Chaillou et Chantrel, Mme Conway-Mouret, M. Cozic, Mme Daniel, M. Darras, Mme de La Gontrie, MM. Devinaz, Durain et Éblé, Mme Espagnac, MM. Fagnen et Féraud, Mme Féret, MM. Fichet et Gillé, Mme Harribey, MM. Jacquin, Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Linkenheld, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel et Marie, Mmes Monier et Narassiguin, MM. Omar Oili et Ouizille, Mme Poumirol, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roiron et Ros, Mme Rossignol et MM. Temal, Uzenat, M. Vallet, Vayssouze-Faure, M. Weber et Ziane, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer le pourcentage :
20 %
par le pourcentage :
30 %
La parole est à Mme Annie Le Houerou.
Mme Annie Le Houerou. Cet amendement est important pour le groupe SER : il s’agit d’appliquer le principe de précaution, en n’autorisant aucune dérogation en l’absence d’évaluation ou d’expérimentation menée au préalable.
Concrètement, il vise à modifier le degré minimal de pente à partir duquel une dérogation au principe d’interdiction de pulvérisation aérienne de pesticides est autorisée.
L’expérimentation issue de la loi Égalim 1 portait sur une pente supérieure ou égale à 30 %. Nous l’avons rappelé au cours de nos débats, l’évaluation de cette expérimentation a suscité de nombreuses réserves, et l’Anses a reconnu que les données n’étaient ni suffisantes ni suffisamment pertinentes pour que soit envisagée une quelconque généralisation du dispositif.
Vous venez d’indiquer, monsieur le rapporteur, que les travaux de l’Anses étaient de qualité ; aussi serions-nous bien inspirés d’entendre les réserves dont elle fait état !
Par conséquent, il semble particulièrement disproportionné et précipité de prévoir une autorisation d’épandage aérien dès que la pente est égale à 20 %.
Nous dénonçons ici, une nouvelle fois, le risque de dérive que pourrait induire cette proposition de loi si elle était adoptée en l’état. L’abaissement de ce pourcentage sans aucune étude d’impact l’illustre parfaitement. Les défenseurs de la suppression pure et simple de l’interdiction de l’épandage aérien se saisiront dès qu’ils le pourront d’un nouveau texte pour abaisser encore ce seuil ou pour prévoir d’autres régimes dérogatoires.
Dans ces conditions, il convient d’en rester au régime d’exception.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Cabanel, rapporteur. Le sujet du pourcentage de pente – 20 % ou 30 % – a donné lieu à de longs débats à l’Assemblée nationale.
Ceux qui connaissent l’accidentologie des terrains agricoles le savent, travailler avec un engin motorisé est aussi risqué sur une pente de 20 % que sur une pente de 30 %. En effet, ces pourcentages correspondent à peu près – je le dis pour que vous vous fassiez une idée, mes chers collègues – à la pente de l’escalier d’un logement d’habitation. Si l’on y ajoute des conditions climatiques difficiles, par exemple une forte pluviosité, la situation devient très compliquée.
Pour ma part, je suis soucieux de la sécurité des personnes qui appliquent les produits, un sujet essentiel que l’on n’a pas suffisamment évoqué ici. Or, de ce point de vue, il n’y a pas une grande différence entre une pente de 20 % et une autre de 30 %, surtout lorsqu’il faut passer avec un engin de plusieurs tonnes, dans des parcelles de vigne, par exemple.
La commission est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Annie Genevard, ministre. Nous avons déjà débattu de ce sujet lors de l’examen de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, de MM. Duplomb et Menonville. Il était ressorti de nos discussions que les zones pentues, que leur pente soit de 20 % ou de 30 %, étaient très accidentogènes pour les applicateurs de produits, lesquels – il faut bien s’en rendre compte ! – effectuent déjà un travail pénible. Les opérateurs portent sur le dos un pulvérisateur de 20 à 30 kilogrammes : c’est cela, la réalité du métier !
Considérant qu’il vaut mieux laisser en l’état le texte adopté par les députés, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié bis, présenté par MM. Tissot et Montaugé, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Stanzione et Kanner, Mmes Bélim, Blatrix Contat et Bonnefoy, M. Bourgi, Mmes Briquet, Brossel, Canalès et Carlotti, MM. Chaillou et Chantrel, Mme Conway-Mouret, M. Cozic, Mme Daniel, M. Darras, Mme de La Gontrie, MM. Devinaz, Durain et Éblé, Mme Espagnac, MM. Fagnen et Féraud, Mme Féret, MM. Fichet et Gillé, Mme Harribey, MM. Jacquin, Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Linkenheld, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel et Marie, Mmes Monier et Narassiguin, MM. Omar Oili et Ouizille, Mme Poumirol, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roiron et Ros, Mme Rossignol et MM. Temal, Uzenat, M. Vallet, Vayssouze-Faure, M. Weber et Ziane, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ces dispositions ne s’appliquent pas à moins d’une distance de 20 mètres des zones attenantes aux bâtiments habités ou régulièrement occupés ainsi qu’aux parties non bâties à usage d’agrément ou professionnel contiguës à ces bâtiments.
La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.
M. Christian Redon-Sarrazy. Cet amendement vise à prévoir, dans le cadre de la dérogation introduite à l’alinéa 4 de l’article 1er, l’application d’une zone de non-traitement dans un périmètre de 20 mètres autour des zones d’habitations.
Il convient de rappeler que les risques de dérive lors de l’épandage sont accrus lorsque l’on a recours à une pulvérisation par voie aérienne. Nous avions dénoncé les conséquences de ce phénomène, décrit depuis des décennies, dans le rapport d’information sénatorial de 2012 intitulé Pesticides : vers le risque zéro.
Dans son évaluation de 2022, l’Anses indique ainsi, concernant les drones : « Les conditions d’utilisation ont un impact très important sur le niveau de la dérive. En effet, le vent, le type de buse, la vitesse d’avancement du drone et la hauteur de pulvérisation sont des facteurs ayant un impact important sur la dérive. » À ce titre, il paraît donc nécessaire de prévoir, comme c’est déjà le cas dans la réglementation en vigueur depuis la fin 2019 pour un certain nombre de cas, le respect d’une distance de non-traitement à proximité des habitations.
D’aucuns affirment que ce risque de dérive est diminué lorsque l’on a recours à la technologie des drones plutôt qu’à d’autres supports de pulvérisation par voie aérienne. Cela reste à prouver !
La distance de non-traitement à moins de 20 mètres des zones d’habitation que nous proposons nous semble raisonnable. Rappelons que, à l’Assemblée nationale, la distance prévue était de 250 mètres… Vous le voyez, nous faisons preuve de modération sur ce sujet, pourtant sensible puisqu’il concerne la santé publique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Cabanel, rapporteur. J’y insiste, nous parlons ici de la pulvérisation des produits qui sont les moins dangereux. Pourquoi donc, dans ce contexte, prévoir une zone de non-traitement équivalente à celle qui est prévue pour la pulvérisation de produits pharmaceutiques classés CMR (cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction) ?
Souvenons-nous que, dans le bulletin des autorisations de mise sur le marché, l’Anses définit des conditions d’usage, parmi lesquelles figurent la distance à respecter et la prise en compte du vent. Si elle considère qu’une zone de non-traitement doit être prévue lorsque certains produits sont pulvérisés par drone, elle le précisera assurément dans ses préconisations !
Nous parlons ici de traitements, terrestres ou aériens, utilisés dans des conditions idéales, notamment lorsque le vent est faible. En revanche, les essais effectués par l’Anses l’ont été dans des conditions plus difficiles, avec un vent plus fort…
Pierre Cuypers a évoqué l’expérimentation à laquelle nous avons assisté, pour nous rendre compte du risque de dérive lors de l’application de produits. Il y avait ce jour-là un fort vent ; pourtant, nous nous sommes rendu compte, de visu, que la distance de 20 mètres que vous préconisez était loin d’être nécessaire. Il faut être raisonnable à cet égard.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié bis, présenté par MM. Tissot et Montaugé, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Stanzione et Kanner, Mmes Bélim, Blatrix Contat et Bonnefoy, M. Bourgi, Mmes Briquet, Brossel, Canalès et Carlotti, MM. Chaillou et Chantrel, Mme Conway-Mouret, M. Cozic, Mme Daniel, M. Darras, Mme de La Gontrie, MM. Devinaz, Durain et Éblé, Mme Espagnac, MM. Fagnen et Féraud, Mme Féret, MM. Fichet et Gillé, Mme Harribey, MM. Jacquin, Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Linkenheld, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel et Marie, Mmes Monier et Narassiguin, MM. Omar Oili et Ouizille, Mme Poumirol, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roiron et Ros, Mme Rossignol et MM. Temal, Uzenat, M. Vallet, Vayssouze-Faure, M. Weber et Ziane, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa pas une phrase ainsi rédigée :
Le présent alinéa ne s’applique pas sur les périmètres des espaces naturels définis aux titres II à IV du livre III du code de l’environnement.
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Avant de présenter cet amendement, je souhaite dire à notre collègue Laurent Duplomb que nous ne sommes pas opposés au vecteur technologique qu’est le drone, mais que nous sommes simplement prudents quant aux produits utilisés, même si j’ai bien entendu que ces produits seraient naturels, autorisés, bio et contrôlés…
Je précise par ailleurs que la baisse de la production de bananes est due non pas uniquement à la cercosporiose noire, mais aussi à bien d’autres causes. Je regrette donc que l’on refuse obstinément ici, en commission comme en séance publique, de revoir les dotations ; nous avons évoqué ce sujet à plusieurs reprises.
Le présent amendement vise à obtenir quelques assurances quant à la préservation des espaces naturels, définis dans le code de l’environnement, qui seront exclus du champ dérogatoire de l’interdiction générale d’épandage des pesticides. Ce serait un mauvais signal que de permettre des dérogations à cet égard !
Afin d’éviter que de telles dérives ne surviennent, nous souhaitons qu’il soit précisé clairement dans le texte que ces espaces protégés ne sont pas concernés par le champ de la dérogation envisagée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Cabanel, rapporteur. Les auteurs de cet amendement proposent une exclusion large et sans discernement de la possibilité de pulvériser des produits non dangereux par drone sur tous les espaces naturels.
Cette exclusion s’appliquerait à des zones fort différentes. En outre, qui nous dit que, dans un parc naturel comportant une forte pente, l’usage d’un drone ne soit pas la seule solution pour éviter à l’applicateur de prendre des risques ?
Mme la ministre, qui a une certaine expérience du dossier des parcs naturels régionaux, pourra utilement compléter cet avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par MM. Tissot et Montaugé, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Stanzione et Kanner, Mmes Bélim, Blatrix Contat et Bonnefoy, M. Bourgi, Mmes Briquet, Brossel, Canalès et Carlotti, MM. Chaillou et Chantrel, Mme Conway-Mouret, M. Cozic, Mme Daniel, M. Darras, Mme de La Gontrie, MM. Devinaz, Durain et Éblé, Mme Espagnac, MM. Fagnen et Féraud, Mme Féret, MM. Fichet et Gillé, Mme Harribey, MM. Jacquin, Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Linkenheld, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel et Marie, Mmes Monier et Narassiguin, MM. Omar Oili et Ouizille, Mme Poumirol, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roiron et Ros, Mme Rossignol et MM. Temal, Uzenat, M. Vallet, Vayssouze-Faure, M. Weber et Ziane, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après les mots :
pris après avis
insérer le mot :
conforme
La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.
M. Christian Redon-Sarrazy. Cet amendement vise à exiger un avis conforme, et non pas simple, de l’Anses sur l’arrêté des ministres chargés de l’environnement, de l’agriculture et de la santé mettant en œuvre le champ dérogatoire prévu à l’article 1er, en particulier pour ce qui concerne les programmes d’épandage par drones.
Pour les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, l’indépendance et l’expertise de l’Anses constituent un gage indispensable pour autoriser ce champ dérogatoire, même si nous craignons que cette agence ne subisse des pressions ; elle fait d’ores et déjà l’objet d’intimidations. Aussi, un avis simple, surtout si celui-ci devait être réservé ou négatif, constituerait une garantie bien trop faible en ce domaine.
La précision juridique que nous vous proposons, mes chers collègues, est indispensable !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Cabanel, rapporteur. Cet amendement vise à prévoir un avis conforme, et non plus un avis simple, de l’Anses pour l’autorisation d’épandage par aéronefs télépilotés.
Dans ce domaine, chacun doit rester dans son rôle. L’Anses rend un avis et, en général, les ministres en tiennent compte dans l’arrêté définissant les conditions d’autorisation des programmes d’épandage par drones. Quoi qu’il en soit, le droit européen en la matière est précis et strict, et il s’impose aux autorités, que l’avis de l’Agence soit conforme ou non.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Annie Genevard, ministre. Quiconque s’intéresse au fonctionnement de l’Anses sait à quel point l’avis de cet organisme pèse lourd dans les décisions prises en matière d’usage de produits phytopharmaceutiques.
Un avis conforme de l’Anses n’ajouterait donc pas de garantie supplémentaire, compte tenu du fonctionnement, que nous connaissons bien, de cette agence.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par M. Salmon, Mme Guhl, MM. Jadot, Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Mellouli et Mmes Ollivier, Poncet Monge, Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après le mot :
consultation
insérer les mots :
des associations agréées pour la protection de l’environnement ainsi que
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Le présent amendement vise à prévoir une consultation, par le Gouvernement, des associations agréées pour la protection de l’environnement, en plus des organisations professionnelles et syndicales représentant les agriculteurs, en vue de l’élaboration de l’arrêté définissant les conditions d’autorisation d’épandage par drones de pesticides. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission des affaires économiques rit.)
J’entends murmurer sur les travées de la droite ; pourtant, les associations environnementales ont toute leur place pour rédiger des arrêtés. (On ironise sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Aïe, aïe, aïe !
M. Daniel Salmon. L’acceptabilité des décisions, dont on parle beaucoup aujourd’hui, implique d’associer les citoyens à leur élaboration. C’est ainsi que le travail de tout un chacun pourra véritablement être reconnu !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Cabanel, rapporteur. Je comprends tout à fait la philosophie de nos collègues écologistes. Pour autant, même si l’on peut demander l’avis de telle ou telle association, celui qui prend in fine la décision, c’est le politique. (Mmes Frédérique Puissat et Pascale Gruny applaudissent.)
M. Laurent Burgoa. Bravo !
M. Henri Cabanel, rapporteur. Vous le savez, je suis un grand défenseur de la démocratie contributive, qui consiste à écouter et à consulter. Il n’en reste pas moins que la décision finale revient, dans le cadre de la démocratie représentative, aux personnes élues au suffrage universel.
Par ailleurs, je rappelle que les associations de protection de l’environnement sont autorisées à saisir l’Anses, ce qui constitue une forme de garantie.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Annie Genevard, ministre. Je tiens à rappeler que le projet d’arrêté sera soumis à la consultation du public, en application des dispositions prévues par le code de l’environnement, puisqu’il s’agit d’une réglementation à incidence environnementale. Une large consultation est donc prévue.
Les associations de protection de l’environnement sont familières de ce type de pratiques, croyez-moi ! (Mme la présidente de la commission des affaires économiques sourit.)
Mme Frédérique Puissat. Exactement !
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault, pour explication de vote.
M. Vincent Louault. Au regard de tous les amendements déposés par MM. Salmon et Tissot, je constate qu’il n’y a pas que les buses qui dérivent ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Salmon s’esclaffe.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
(Suppression maintenue)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Nous nous opposons à cette expérimentation, qui aboutira à la généralisation de l’usage des drones pour le traitement des cultures dans les années à venir ; c’est écrit en filigrane.
Pour autant, nous proposons d’autres solutions. Pour lutter, par exemple, contre la cercosporiose noire, qui atteint les bananeraies, il existe d’autres moyens que l’utilisation de pesticides, laquelle représente une fuite en avant : on le voit au Brésil, où l’on est obligé de renouveler les molécules tous les quatre ans, voire tous les deux ans, car de nouvelles maladies apparaissent…
D’autres solutions existent pour lutter contre cette maladie : en recourant à l’agronomie – j’ai entre les mains une étude réalisée sur ce sujet –, en travaillant sur la répartition spatiale des cultures, ou en plantant – mon propos ne va pas vous surprendre – des haies (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.), lesquelles permettent d’éviter la propagation des spores de la cercosporiose, avec des résultats tout à fait probants.
Il y a donc, bien entendu, des solutions de substitution aux pesticides, mais elles ne correspondent pas aux attentes d’un certain nombre d’acteurs, qui n’en voient pas l’intérêt. Il faudra, tôt ou tard, se pencher sur ce sujet, parce qu’il s’agit d’une question de biodiversité et, avant tout, de santé humaine.
Par ailleurs, madame la ministre, vous m’avez dit que l’expression « avantages manifestes » avait été adoptée par nos collègues députés. Ce n’est pas tout à fait exact : ils ont en réalité ajouté le mot « manifestes » au mot « avantages ». Il s’agissait d’un repli au repli… Cela allait donc dans le même sens que ce que je défends : lorsque l’on fait une étude, on essaie d’être le plus impartial et objectif ; on ne commence pas par dire que cette étude doit comporter des avantages manifestes !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Cabanel, rapporteur. Je souhaite revenir sur certains propos. Nous avons entendu dire, par exemple, que cette proposition de loi risquait d’être un cheval de Troie.
Je rappelle que la directive européenne, qui s’impose à nous, interdit l’utilisation de drones pour traiter les terres agricoles. Cet usage n’est autorisé que par dérogation, strictement encadrée. Il n’y a donc là aucun cheval de Troie…
J’en viens à ce qui a été dit sur l’autorisation applicable aux terrains dont la pente est supérieure à 20 %, laquelle s’applique avant tout à certains vignobles. Pour ma part, je suis partisan d’une révision du cadre de l’encépagement de notre vignoble, afin que l’on puisse planter des cépages plus résistants. Cela nous permettra de diminuer drastiquement les intrants, notamment les traitements par pulvérisation terrestre ou aérienne.
Les dérogations prévues dans le texte représentent néanmoins une avancée importante pour les vignes mères, desquelles sont retirés les greffons qui feront les souches de demain. La vigne étant une liane, les traitements par drones se feront à 60 centimètres du sol, ce qui supprimera le risque de dérive.
En ce qui concerne les bananeraies, qu’a évoquées M. Lurel, il est vrai – je l’ai dit – qu’il y a un problème dans ce domaine, mais tous les traitements qui pourront être pulvérisés par drones, notamment dans l’agriculture bio, seront préventifs.
Lorsque le mildiou atteint les vignes, même en viticulture bio, on doit le subir – et les pertes qui vont avec – jusqu’à la récolte ; les traitements ne sont que préventifs. Eh bien, il en va de même avec les bananeraies, lesquelles sont souvent atteintes par la cercosporiose noire, qui se développe sur la canopée : tous les traitements préventifs qui leur seront administrés par drones seront bénéfiques pour les plantations, et rendront le travail des applicateurs moins pénible que s’ils devaient utiliser un atomiseur.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.
M. Henri Cabanel, rapporteur. J’espère, mes chers collègues, que ce texte attendu par les agriculteurs sera adopté !
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Je tiens à remercier M. le rapporteur pour son travail.
Contrairement à ce que d’aucuns pensent, ce texte sera vecteur de progrès, car il permettra de diminuer significativement l’utilisation sur nos territoires des produits destinés à soigner les plantes. Il sera désormais possible d’intervenir sur des parcelles presque aussi petites que des timbres-poste, et non plus de manière généralisée. Ce faisant, on réduira les risques pour la santé humaine, ce qu’il ne faut pas négliger. (M. Thomas Dossus proteste.)
Je souhaite dire à notre collègue du groupe écologiste que, chaque fois qu’un paysan, où qu’il se trouve, peut éviter de traiter, il le fait !
Mme Pascale Gruny et M. Laurent Burgoa. Évidemment !
M. Daniel Gremillet. Et chaque fois qu’il est possible à un paysan de prendre des initiatives pour protéger l’environnement, par exemple en plantant des haies, il le fait aussi. C’est une chose que je réexplique en permanence…
En adoptant cette proposition, de loi, nous permettrons aux agriculteurs de travailler plus efficacement, de protéger davantage la biodiversité végétale et de diminuer de façon considérable les intrants. Pour ma part, je la voterai avec enthousiasme, parce que de son adoption découleront de l’innovation et de la créativité dans ce domaine, en vue d’atteindre nos objectifs d’efficacité, de protection environnementale et de préservation de la santé humaine. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à améliorer le traitement des maladies affectant les cultures végétales à l’aide d’aéronefs télépilotés.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 260 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 334 |
Pour l’adoption | 237 |
Contre | 97 |
Le Sénat a adopté définitivement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt-deux heures.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Santé mentale, grande cause du gouvernement pour l’année 2025 : quels moyens pour en faire une priorité ?
Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur le thème : « La santé mentale, grande cause du Gouvernement pour l’année 2025 : quels moyens pour en faire une priorité ? »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je le rappelle, l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande du débat dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
La parole est à Mme Marion Canalès, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Marion Canalès, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans quel contexte abordons-nous ce débat proposé par notre groupe ? Nous sommes en 2025, un Français sur cinq est touché par des problèmes de santé mentale, soit près de 13 millions de personnes, et 3 millions de personnes vivent avec des troubles psychiques sévères.
Les Français sont ceux qui consomment le plus d’anxiolytiques au monde. À l’occasion du Congrès français de psychiatrie et psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent en 2023, les professionnels ont constaté que 13 % des enfants et adolescents, soit 1,6 million de mineurs, présentaient un trouble psychique, mais que seulement 750 000 à 850 000 d’entre eux bénéficiaient des soins nécessaires.
Toujours pour ce qui concerne les plus jeunes, c’est-à-dire la génération des adultes de demain, un rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge indique que la consommation de médicaments visant à soigner la santé mentale a doublé chez les 6-17 ans.
Faute de prise en charge adaptée, les prescriptions de médicaments psychotropes ont explosé et 5 % de la population pédiatrique, c’est-à-dire des bébés et des tout-petits, se voient même prescrire des psychotropes.
Cette hausse des prescriptions va de pair depuis dix ans avec une baisse du nombre de places de pédopsychiatrie, en institut ou hôpital : il n’est plus possible d’assurer une prise en charge dans un délai raisonnable, puisqu’il faut attendre de six à dix-huit mois pour avoir un premier rendez-vous.
Le coût économique et humain direct et indirect des problèmes de santé mentale est évalué à 110 milliards d’euros.
C’est fort de ces constats et de ces chiffres, qui ont de quoi donner le vertige, que, le 10 octobre dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, le Premier ministre Michel Barnier érigeait la santé mentale grande cause nationale de l’année 2025.
Ce soir, je souhaite partager avec vous ce que serait ou sera la France de demain, si chacun d’entre nous s’attelle sérieusement et avec constance à cette vaste tâche : répondre aux enjeux de santé mentale. À quoi pourrait ressembler notre pays si nous avions une politique à la hauteur des enjeux ?
Je vous propose, mes chers collègues, de faire ensemble un exercice optimiste de projection. Le pessimiste voit dans toute opportunité une contrainte quand l’optimiste y voit tout simplement une opportunité. Sachons donc saisir celle-ci !
Portons-nous donc en 2040 ; les décisions ont été prises et les effets sont visibles.
Commençons par la santé mentale des jeunes. En 2040, la France a enfin rattrapé son retard et s’est hissée au niveau du Canada, car elle compte non plus 1 psychologue pour 30 000 étudiants, mais 1 psychologue pour 3 000 étudiants, et elle envisage même d’atteindre d’ici à dix ans la recommandation de 1 pour 1 500. Les étudiants vont mieux.
Nous sommes toujours en 2040 et les chiffres publiés par Santé publique France ne sont plus alarmants, comme ils l’étaient autrefois : le nombre de passages aux urgences pour geste suicidaire chez les enfants de 11 à 17 ans, qui avait augmenté de 70 % au milieu des années 2020, a fortement baissé. Les tensions aux urgences étant moindres, ce service public de première ligne a repris force et vigueur et n’est plus contraint de réguler ses accès.
Dans le Puy-de-Dôme, toujours en 2040, les 5,7 équivalents temps plein (ETP) de psychiatrie infanto-juvénile pour 100 000 enfants ne sont plus qu’un lointain et mauvais souvenir.
À l’école ensuite, il est loin le temps où l’on ne disposait que d’un poste de psychologue pour 1 500 élèves, alors même que le nombre de vulnérabilités explosait en 2025. Les enfants sont suivis, les mairies gardent leurs infirmières scolaires, voire en recrutent de nouvelles, et tout le monde va mieux.
Ainsi, alors que, en 2025, seulement la moitié des enfants et des adolescents souffrant de troubles psychiques bénéficiaient d’une prise en charge spécialisée, en 2040, toute une génération obtient une réponse acceptable, dans des délais suffisamment courts pour que les soins soient pertinents et les effets tangibles. Et les jeunes parents, qui n’avaient pas cette chance dans les années 2020, disent à leurs enfants : « Tu sais, à mon époque, tout cela n’existait pas ! »
Mes chers collègues, comment pourrions-nous parvenir à ce résultat concernant les jeunes ? En développant la prévention et les interventions précoces ; en créant dans chaque faculté trois postes universitaires de pédopsychiatrie, spécialisés l’un en soins du nourrisson, l’autre en soins de l’enfant et le troisième en soins de l’adolescent ; en ouvrant 15 000 postes de psychologue dans l’éducation nationale ; en déployant un programme massif, et surtout continu, de formation de la communauté éducative ; en développant les bureaux d’aide psychologique universitaire.
Je reprends ma projection à 2040 et je m’intéresse désormais à la démographie médicale et paramédicale. Les effets de l’ouverture du numerus clausus des années 2020, entre autres mesures d’attractivité, sont devenus réalité : la démographie médicale et paramédicale va mieux. Les projections réalisées par le ministère de la santé, il y a vingt ans, en 2021, se sont réalisées, et la remontée du nombre de psychiatres est réelle.
Alors qu’autrefois une dizaine de départements étaient dépourvus de toute offre de pédopsychiatres libéraux, plus aucun département ne connaît de désert pédopsychiatrique ; cette spécialité n’est plus sinistrée.
Comment pourrions-nous parvenir à ce résultat en matière de démographie médicale ? En revalorisant les professionnels de la santé mentale, en recréant des postes, en rouvrant des lits de pédopsychiatrie, en continuant de valoriser ces professionnels si essentiels.
Poursuivons notre projection avec l’hôpital. En 2040, l’hôpital public ne connaît plus la situation de vacance de 30 % des postes de psychiatres, comme c’était le cas en 2025, et le temps d’attente pour un rendez-vous en centre médico-psychologique (CMP), autrefois de dix-huit mois, s’est considérablement réduit. Les délais de prise en charge ne s’allongent plus pour une première consultation et les pathologies ne s’aggravent donc plus comme jadis, ce qui avait de lourdes conséquences sur la chaîne d’accompagnement.
Comment parvenir à ce résultat dans le domaine hospitalier ? En augmentant les effectifs d’internes.
Je poursuis ma projection à 2040, pour ce qui concerne les territoires. Les conseils locaux de santé mentale (CLSM) sont généralisés. Alors que les 270 CLSM existant en 2025 couvraient 20 millions de Français, mais de manière très inégale d’un point de vue territorial, ces conseils sont enfin mieux implantés dans les territoires ruraux et les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), qui ne représentaient respectivement que 5 % et 15 % des territoires couverts en 2025. Le sujet des disparités et inégalités territoriales a enfin commencé à être traité.
Comment parvenir à ce résultat dans les territoires ? En consolidant et en finançant suffisamment les CLSM et les projets territoriaux de santé mentale, et en mettant au cœur de l’offre de soins les droits des usagers et des aidants. Les centres communaux d’action sociale (CCAS), qui, dans 75 % des cas, jouent un rôle actif dans les CLSM, ont été aidés et ont pris toute leur part dans cette réussite de la politique d’« aller-vers » à destination des publics les plus éloignés et vulnérables. Leur rôle a été reconnu, leurs financements protégés.
Évidemment, mes chers collègues, vous pourrez trouver cet exercice décalé, mais je veux faire des projections optimistes sur ce grave sujet, qui touche tout le monde, d’où que l’on vienne, qui que l’on soit. Je veux croire que, ici, nous pouvons prendre ensemble des décisions de long terme qui changeront radicalement la situation de la santé mentale et donc la vie des Français. Cette ambition, je sais que nous la partageons tous ici.
Comme disait Jaurès, « le courage, […] c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ».
Je ne méconnais pas la réalité budgétaire qui est la nôtre, en 2025, mais je sais que nous devons voir loin pour les politiques de prévention, notamment en santé mentale ; nous devons prévenir pour arrêter de mal guérir.
Pour arriver à cet idéal, pour relever ce défi, il nous faut de la constance et du sérieux. Or, de la constance, nous n’en manquons pas au Sénat, et du sérieux non plus. Combien de rapports – j’attends avec impatience celui de mes collègues de la commission des affaires sociales – ont déjà tracé les contours de ce que nous devons faire, malgré les vicissitudes budgétaires ?
Investir aujourd’hui garantit d’engager moins de dépenses demain et d’améliorer concrètement la vie des Français, qui se disent tous très concernés par la santé mentale. Je le rappelle, le coût économique et humain direct et indirect des problèmes de santé mentale est évalué à 110 milliards d’euros…
Une véritable et ambitieuse loi de programmation des moyens que nous décidons d’allouer sur dix ans à la santé mentale doit être actée et appliquée avec rigueur. Sur le modèle de la loi de programmation militaire, qui a pour vocation de faire de la France une puissance d’équilibre et de garantir les moyens alloués à notre sécurité, une telle loi permettrait de faire de la France un pays où nos concitoyens retrouvent l’équilibre et la sécurité structurelle nécessaires à leur santé mentale.
Je sais que cette ambition pragmatique dépasse largement les clivages politiques. La santé mentale des Français serait gagnante, les finances publiques le seraient aussi. Faisons le pari ensemble de l’optimisme pour parvenir à la France de 2040 que je vous ai décrite ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Anne Souyris et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, la santé mentale est l’un des grands défis de notre époque. La consécration de cet enjeu comme grande cause nationale est le reflet d’une prise de conscience.
Je tiens à le mentionner d’emblée, cette prise de conscience a été notamment permise par l’engagement des parlementaires, sénateurs comme députés, issus de tous bords politiques, qui se sont largement investis sur ce sujet au cours des dernières années.
C’est pourquoi je tiens à remercier le groupe socialiste, et en particulier Marion Canalès, d’avoir inscrit ce sujet à l’ordre du jour et de nous donner ainsi l’occasion d’en débattre publiquement. En effet, je partage tout à fait l’ambition autour de laquelle nous nous réunissons ce soir : celle de nous donner les moyens de faire de cette grande cause qu’est la santé mentale une priorité.
J’ajouterai qu’il faut surtout se demander comment nous donner les moyens d’en faire une cause durable, car l’état inquiétant de la santé mentale de nos concitoyens, notamment d’une partie de notre jeunesse, nous oblige : vous l’avez dit, madame Canalès, un Français sur cinq est concerné par des troubles psychiques, notre pays est le premier consommateur de psychotropes d’Europe et le suicide reste tragiquement la première cause de décès chez les 15-35 ans.
Les besoins de soins ne cessent d’augmenter, révélant à la fois une meilleure acceptation des troubles psychiques et la nécessité d’adapter notre système de santé. En parallèle, les professionnels font face à des tensions croissantes : attractivité en berne, surcharge de travail ou encore manque de ressource médicale. Nous sommes tous concernés par ce qui représente un enjeu prioritaire de santé, indissociable de la santé globale, mais qui est aussi, plus largement, une véritable question de société.
Dans ce contexte, nous devons avoir un cap commun : faire en sorte que cette grande cause soit non pas un slogan ou un phénomène éphémère, mais un mouvement de fond. La mobilisation collective doit embarquer tout le système de santé et l’ensemble de la société.
Je l’ai évoqué d’emblée, les parlementaires prennent largement leur part dans cette démarche. En tant que ministre de la santé, je vois le nombre de propositions de loi, de rapports d’information et de débats qui portent sur ce sujet, avec des initiatives parfois très intéressantes provenant de tous les groupes.
Ici, au Sénat, on peut, par exemple, mentionner la mission d’information sur la grande cause qu’est la santé mentale menée par Jean Sol, Daniel Chasseing et Céline Brulin et qui fait directement écho à notre débat de ce soir. C’est d’ailleurs votre assemblée qui, la première, avait érigée la santé mentale, et spécifiquement celle des jeunes, en grande cause de dimension nationale, en janvier 2024, avec une résolution votée sur l’initiative de la sénatrice Nathalie Delattre.
Cet engagement parlementaire fait écho à des mentalités qui évoluent. On parle de plus en plus, et de plus en plus librement, de santé mentale dans les écoles, au travail, entre amis ou en famille. Des personnalités connues du grand public prennent aussi la parole, contribuant à supprimer le stigmate qui a longtemps pesé sur la maladie mentale. Je pense notamment à une personnalité qui a récemment révélé sa bipolarité.
Dans cette perspective et en lien avec le Parlement, la responsabilité du Gouvernement, et du ministre de la santé en particulier, est d’ancrer notre politique en faveur de la santé mentale et de la psychiatrie dans une ambition de long terme, clairement affirmée et transversale.
Tel était l’objet de mon intervention lors du conseil des ministres du 19 mars dernier, durant lequel, sur la demande du Premier ministre, j’ai présenté devant l’ensemble du Gouvernement les grandes lignes de mon action pour réussir à donner corps à cet engagement politique fort et interministériel. J’ai pu, à cette occasion, insister sur mes priorités d’action, que je vais décliner devant vous.
La première priorité est le développement de l’accès aux soins et le renforcement de la prévention.
L’investissement important des dernières années, avec une hausse de 42 %, soit de 3 milliards d’euros, du budget consacré à la santé mentale et à la psychiatrie entre 2020 et 2024, a permis de mettre en place de nombreux dispositifs de prévention et de repérage précoce ; le numéro national 3114, de prévention du suicide, les dispositifs VigilanS et Sentinelle, ainsi que la formation des médecins du travail à la détection des troubles psychiques en sont l’illustration. Ce sont autant de dispositifs qui prennent de l’ampleur et que je veux renforcer pour garantir un accès rapide aux soins psychologiques et psychiatriques.
J’entends aussi poursuivre et amplifier la montée en charge de Mon soutien psy, qui, je le rappelle, est accessible et remboursé dès l’âge de 3 ans. Ce dispositif fonctionne de mieux en mieux. Le dernier point d’étape sur ce dispositif a montré que plus de 500 psychologues supplémentaires avaient choisi de s’investir dans ce dispositif le mois dernier.
Je vous réaffirme par ailleurs mon souhait d’engager une réforme des urgences psychiatriques, afin de garantir une prise en charge adaptée dans chaque territoire et de désengorger les services hospitaliers, à la suite du rapport parlementaire qui m’a été récemment remis par les députées Sandrine Rousseau et Nicole Dubré-Chirat.
Vous le voyez, je compte bien m’appuyer sur les nombreux travaux parlementaires.
Toujours dans cette logique de mobilisation collective et transversale, j’ai demandé hier à la Commission nationale de la psychiatrie d’élaborer des propositions d’évolution de la psychiatrie de secteur pour qu’elle puisse, d’une part, mieux se coordonner avec les autres dispositifs du paysage psychiatrique comme les centres experts et, d’autre part, réduire les délais de prise en charge en centre médico-psychologique, qui sont souvent encore trop longs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que nous partageons le souhait d’ériger la santé mentale en priorité et de faire un effort particulier envers la jeunesse, pour laquelle je veux que notre investissement soit total.
Pour cela, nous allons renforcer les maisons des adolescents et les CMP infanto-juvéniles afin de répondre à la détresse psychologique croissante des enfants et des adolescents, tout en permettant une meilleure orientation dans l’offre de soins existante. Nous allons aussi porter une attention spécifique aux plus vulnérables, notamment aux enfants de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et aux familles les plus précaires.
Je veux également insister sur l’importance que j’accorde à la lutte contre toutes les formes d’addiction, une source importante de souffrance psychique, qu’elles qu’en soient les causes et les conséquences aggravantes.
J’en viens à ma deuxième priorité : la formation et l’attractivité de la psychiatrie. En effet, sans un surcroît de professionnels de santé engagés en psychiatrie, toutes les actions importantes que je viens de mentionner ne resteront que des vœux pieux.
Il est important de le rappeler, si la maladie psychiatrique fait partie de la santé mentale, elle doit aussi être envisagée comme un sujet à part entière. La « déstigmatisation » de la santé mentale ne doit pas conduire à euphémiser la gravité de ces pathologies, qui nécessitent une prise en charge médicale par des spécialistes.
Je veux donc renforcer la formation de ces spécialistes et tout mettre en œuvre pour que de plus en plus de jeunes aient envie de rejoindre cette discipline certes complexe, mais essentielle, et qui reste encore, même dans le monde médical, mal connue, mal reconnue et mal comprise.
Je souhaite en particulier permettre à plus d’étudiants en santé d’effectuer un stage en psychiatrie pendant leur cursus. Il en ira de même pour le cursus paramédical des infirmiers. Cela leur permettra de découvrir très concrètement cet univers plus tôt dans leurs études, alors que 37 % des futurs médecins avouent encore que la psychiatrie continue de leur « faire peur ».
Je sais que cette appréhension vis-à-vis de la psychiatrie s’explique en partie par plusieurs drames, y compris très récents, liés à des actes de violence commis par des patients relevant de la psychiatrie.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. Je conclus rapidement, monsieur le président.
Ces drames nous amènent à prendre des mesures fortes. Nous aurons l’occasion, comme Bruno Retailleau l’avait indiqué, de revenir sur les mesures pénales ici, au début du mois de mai, avec la proposition de loi de Philippe Pradal.
J’espère également que vous m’accorderez une majorité lorsque nous discuterons de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par la territorialisation et la formation, que j’avais déposée en tant que député, pour former plus de médecins.
Enfin, je souhaite favoriser l’engagement des paramédicaux, notamment par le développement des infirmiers en pratique avancée en psychiatrie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’aurai l’occasion de compléter mon propos lors des réponses à vos nombreuses questions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Anne-Sophie Romagny et Mireille Conte Jaubert applaudissent également.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum, y compris l’éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à une réplique pendant une minute supplémentaire ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Jocelyne Guidez.
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le ministre, la santé des personnes souffrant de troubles mentaux ou psychiatriques passe également par la garantie de leur propre sécurité. J’ajoute que changer le regard de la société sur la santé mentale ne peut se faire sans garantir la protection de tout un chacun, afin d’éviter que les exceptions dramatiques ne deviennent le prisme dominant par lequel on perçoit le sujet.
En 2011, un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) pointait déjà de graves défaillances en matière de sécurité dans les établissements psychiatriques. Ce rapport évoquait le nombre de 10 000 fugues par an chez les patients hospitalisés sans consentement, ainsi qu’une vingtaine d’homicides sur cinq ans. Il dénonçait une sous-estimation des agressions, notamment sexuelles, et une organisation sectorielle peu adaptée à la diversité des pathologies.
Or des drames récents prouvent que des failles demeurent. Il y a quinze jours, à Massy, dans l’Essonne, département dont je suis élue, une femme a perdu la vie, poussée sur les rails du RER B par un homme souffrant de troubles psychiatriques et ayant fugué d’un établissement spécialisé.
Je veux le dire avec force : il ne s’agit pas de stigmatiser les personnes malades, elles-mêmes victimes de leurs propres troubles, ni de mettre en cause les soignants, qui ne sont ni gardiens de prison ni agents de sécurité. Toutefois, il nous incombe de viser ensemble deux objectifs fondamentaux : garantir les droits et la dignité des personnes hospitalisées sans leur consentement, tout en ne renonçant pas à la sécurité de tous.
Cet homicide, comme d’autres, nous impose une feuille de route claire pour sécuriser les établissements, prévenir les fugues et protéger patients, personnel, familles et citoyens. C’était en partie l’enjeu du plan pour la sécurité des professionnels de santé publié en septembre 2023 qui, parmi quarante-deux mesures, prévoyait notamment d’améliorer la formation, de financer des dispositifs d’alerte ou encore d’inciter les collectivités à déployer des caméras de vidéosurveillance à proximité des établissements.
Monsieur le ministre, ce plan a-t-il donné lieu à un premier bilan en matière de psychiatrie ? Le Gouvernement entend-il mener de nouvelles actions pour mieux sécuriser nos établissements psychiatriques ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Guidez, vous m’interrogez sur la sécurité des établissements psychiatriques et celle de l’ensemble de nos concitoyens, à l’extérieur des établissements. Il s’agit d’un sujet bien légitime et nous avons tous à cœur de protéger les soignants et les patients.
D’abord, il faut sécuriser les infrastructures psychiatriques, afin de mieux protéger les patients. Cela implique de moderniser les unités et de prévoir une meilleure organisation des espaces, notamment pour les patients agités ou agressifs et ceux qui ont tendance à fuguer.
Ensuite, il faut renforcer les équipes spécialisées, notamment les équipes mobiles de crise ou d’après-crise, afin d’anticiper les décompensations et d’éviter les hospitalisations sous contrainte, qui sont toujours très difficiles à mettre en œuvre, notamment pour les maires. Le programme Quality Rights, soutenu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), permet de réduire les pratiques coercitives et les contentions dans les établissements et de favoriser d’autres solutions thérapeutiques.
Enfin, il faut améliorer la sécurité des soignants, que j’ai évoquée tout à l’heure à la tribune. Selon les dernières données dont je dispose, le nombre d’agressions de soignants est d’environ 24 000 par an, et ce chiffre est probablement sous-estimé. La proposition de loi de l’ancien député du groupe Horizons Philippe Pradal sera examinée ici, début mai. Elle permet de renforcer les peines pénales, de rendre obligatoire la déclaration par les établissements des agressions de soignants, de favoriser le dépôt de plainte et surtout de rendre anonyme ce dernier, afin d’éviter que le personnel ne subisse des représailles.
Ce bouquet de mesures permettra, je l’espère, de protéger nos soignants. Cela ne nous empêche pas de travailler par ailleurs avec, d’une part, le secteur libéral, pour faire porter le dépôt de plainte par un ordre ou un syndicat, et, d’autre part, les élus locaux, sur les sujets de la vidéoprotection et des polices municipales.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. La santé mentale a été élevée au rang de grande cause nationale de 2025. Il s’agit d’un grand pas en avant pour nos concitoyens, qui nous amène à nous poser la question de l’effectivité de la prise en charge des patients en France et de l’adaptation de notre système de santé à la prise en compte d’un phénomène qui est de moins en moins ignoré.
À ce propos, je salue la prise de parole salutaire et courageuse de Nicolas Demorand sur sa bipolarité et l’errance médicale et pharmaceutique que peuvent vivre les patients. Par exemple, la quétiapine est en rupture totale de stock sur le territoire national depuis plusieurs mois.
Il faut évoquer le mal-être, de plus en plus documenté, de notre jeunesse et de toute notre société. Nous le savons, les chiffres sont inquiétants : 20 % de la population est atteinte de troubles psychiques ; le nombre de suicides est de 6 000 par an, et c’est la première cause de mortalité des 16-25 ans ; un jeune sur deux montre des signes de troubles psychiques, en particulier depuis le covid-19.
La prise en charge de ces troubles est toutefois empêchée par la désertification médicale, avec ce qu’elle suppose de prévention ratée, par les ruptures d’approvisionnement en médicaments ou, plus largement, par le manque de personnel médical.
Je veux illustrer mon propos en évoquant le service de pédopsychiatrie de Lens, dont le dernier médecin, qui assurait seule la gestion de dix unités fonctionnelles, démissionne. Sans médecin, les services ne peuvent plus fonctionner pour aider nos plus jeunes. Ce sont ainsi 2 500 enfants et jeunes qui se retrouvent sans solution, sur un bassin de vie de 240 000 habitants. Or, si les troubles ne sont pas traités au plus tôt, les pathologies psychiatriques vont se cristalliser et être encore plus difficiles à traiter.
Nous considérons que le système de santé et de protection sociale doit s’appuyer sur le triptyque accompagnement-traitement-soins adaptés pour chaque patient. Quels moyens l’État entend-il mettre en place pour y parvenir ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Apourceau-Poly, les troubles bipolaires touchent environ 1 % à 2 % de la population. Vous avez évoqué les personnalités qui rendent publique leur maladie, ce qui permettra, je l’espère, de lever le voile sur ces pathologies souvent mal diagnostiquées ou diagnostiquées tardivement, avec des errances thérapeutiques aggravant la situation.
Ces pathologies très particulières, qui entraînent des troubles psychiatriques sévères, font pleinement partie de la priorité que nous donnons à la santé mentale, grande cause nationale. Aux côtés des troubles bipolaires, d’autres pathologies, comme la schizophrénie, bénéficient de centres experts labellisés par la fondation FondaMental. Ces centres offrent une prise en charge dans plusieurs champs, notamment les dépressions résistantes, les troubles bipolaires, la schizophrénie et l’autisme de haut niveau, avec des pratiques harmonisées et un référencement international.
Ensuite, il y a naturellement la question des moyens. Je le répète, notre souhait est de pouvoir former plus et mieux les professionnels médicaux et paramédicaux, ainsi que les psychologues, afin de réduire les délais de prise en charge dans les centres médico-psychologiques et de restaurer l’image de la psychiatrie. Je ne citerai qu’un chiffre à ce sujet : 60 % des étudiants considèrent la psychiatrie comme une sous-spécialité, une spécialité mal valorisée.
L’enjeu est important : si l’on veut que la situation s’améliore, il faut renforcer l’attractivité de la psychiatrie, ce qui implique notamment de faire passer les étudiants en médecine dans les services de psychiatrie.
En ce qui concerne enfin la quétiapine, vous savez sans doute que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a autorisé le remplacement de ce médicament sur la base d’un tableau d’équivalence et le recours au fractionnement à l’unité. Pour ma part, j’ai interdit aux grossistes-répartiteurs de livrer cet antipsychotique à l’étranger, pour éviter l’établissement de nouveaux traitements.
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris.
Mme Anne Souyris. En France, on prescrit plus qu’on ne guérit. Plus de 16 millions de Français ont déjà pris des médicaments psychotropes et 80 % de ces médicaments sont prescrits par des médecins généralistes, parfois sans suivi psychologique et médical adapté, malgré les graves risques de dépendance et d’effets secondaires. On estime que 20 % seulement des patients suivent une psychothérapie parallèlement à la prise d’un psychotrope.
Thérapies cognitives et comportementales (TCC), désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires (Eye movement desensitization and reprocessing, ou EMDR), thérapies interpersonnelles (TIP), tout cela ne vous dit peut-être rien et, pourtant, ces thérapies non médicamenteuses ont montré leur efficacité dans le traitement des troubles de la santé mentale. Tantôt méconnues, tantôt inaccessibles, elles sont pourtant aussi efficaces que les thérapies médicamenteuses, si ce n’est plus.
À Paris, les étudiants attendent cinq mois pour obtenir un rendez-vous dans un bureau d’aide psychologique universitaire (Bapu). Pour en décrocher un dans un centre médico-psychologique, il y a trois mois d’attente.
Alors, soigner, oui, mais avec quels moyens ? À quand une orientation systématique des patients sous psychotropes vers un professionnel de santé mentale et une psychothérapie ? À quand une généralisation sans discrimination du remboursement des séances de psychothérapie pour l’ensemble de la population, y compris en cas de troubles sévères, de risques suicidaires, de troubles des conduites alimentaires (TCA) ou de dépendance aux substances psychoactives ? À quand un remboursement de l’ensemble des séances de psychothérapie qui ont démontré leur efficacité ?
Oui, le soin psychique est un soin comme un autre !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Souyris, vous venez de souligner un paradoxe réel, qui consiste, pour résumer votre propos, en la coexistence en France d’une surmédication et d’un manque d’accompagnement humain. Parfois, notre système de soins, faute de temps et de présence médicale, prescrit en effet davantage de médicaments.
Cela étant, on n’observe pas tellement de distorsions entre l’augmentation des troubles et la hausse du nombre de prescriptions, sauf pour les benzodiazépines.
Vous l’avez dit, la France se classe au premier rang des pays européens consommateurs de psychotropes. Ce constat doit nous interpeller. C’est d’ailleurs dans cette perspective que nous avons favorisé la mise en place de Mon soutien psy et que nous avons cherché ensuite à le développer. Depuis 2022, on a enregistré près de 2,5 millions de consultations via ce dispositif ; le mois dernier, plus 500 psychologues l’ont rejoint pour une prise en charge plus humaine, plus précoce et plus accessible.
S’y ajoutent le déploiement d’équipes mobiles de soins intensifs pour développer la pair-aidance et le soutien que nous accordons au travers des groupes d’entraide mutuelle.
Il convient, bien entendu, d’aborder tous les sujets de façon équilibrée. En l’occurrence, la démédicalisation excessive n’est pas la solution, non plus que la médicalisation et, surtout, la prescription de médicaments. Il faut converger vers une approche intégrative, fondée sur l’alliance thérapeutique et le respect des droits, ainsi que sur la possibilité de renouer un lien, de rebâtir un projet, de rétablir la confiance. C’est pourquoi Mon soutien psy est totalement remboursé. C’est aussi la raison pour laquelle nous réfléchissons actuellement à un remboursement de la deuxième ligne pour les psychothérapies.
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour la réplique.
Mme Anne Souyris. J’ajoute que la consommation de médicaments psychotropes a nettement augmenté chez les enfants et les adolescents entre 2014 et 2021 : la hausse est de 62 % pour des antidépresseurs et de 78 % pour les psychostimulants, alors que la proportion de personnes suivies stagne à 20 %, ce qui montre bien qu’il existe un vrai problème en France, un problème que l’on ne parvient pas à résoudre, y compris par Mon soutien psy.
La question du remboursement systématique des psychothérapies, quoi qu’il s’y passe et quelle que soit leur durée, se pose et le dispositif Mon soutien psy n’apporte donc pas de véritable réponse. Il est absolument urgent d’agir : le nombre de jeunes ayant fait des tentatives de suicide a augmenté de 40 % ces dernières années !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. J’entends bien le sujet que vous évoquez, madame la sénatrice, mais il convient d’interpréter les chiffres que vous avez cités, même s’ils sont, dans les grandes lignes, tout à fait justes.
Je précise que nous avons, en France, une stratégie très intensive pour dépister tout un tas de troubles, notamment les troubles de l’attention chez les enfants, lesquels donnent lieu à de nombreuses prises en charge et prescriptions, en vertu notamment des recommandations de la Société française de pédiatrie. L’essor du dépistage de ces troubles a mécaniquement entraîné l’augmentation du nombre de prises en charge médicamenteuses.
Et oui, enfin, pour une réflexion sur la prise en charge des psychothérapies.
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris.
Mme Anne Souyris. J’espère que cette réflexion conduira à un remboursement automatique par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM).
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou.
Mme Annie Le Houerou. Monsieur le ministre, les populations vulnérables sont souvent victimes d’une double stigmatisation du fait de leur situation psychique et sociale. Elles sont souvent marginalisées et vivent dans une grande précarité dans nos communes.
À ce jour, 75 % des personnes sans abri présentent des troubles psychiatriques en raison de parcours complexes, de problèmes de santé mentale non détectés et non suivis. Leur accès aux soins est problématique : le manque d’accessibilité tant géographique que financière les éloigne d’une offre de soins adaptée. Les services de psychiatrie sont saturés et peinent à recruter. Les professionnels spécialisés manquent cruellement et les soignants généralistes ne sont pas formés, ou le sont peu, à la prise en charge des troubles de la santé mentale.
Ces difficultés de prise en charge se répercutent sur le quotidien des maires, démunis face aux troubles à l’ordre public provoqués par des personnes laissées sans solution. Je pense par exemple au maire de Saint-Brieuc, agressé physiquement par un homme laissé sans suivi après des prises en charge ponctuelles, et connu des services médicaux, sociaux et de sécurité de la ville.
Combien y a-t-il de maires dans cette situation ? Combien de maires ont-ils eu à gérer ce type de difficultés ? Les élus interviennent souvent en lien avec les services de police ou de gendarmerie, qui absorbent les manquements de notre système de soins, sans avoir de mesure à proposer ni d’outil adapté à mobiliser dans l’exercice de leurs compétences.
Des réponses existent : je pense aux équipes mobiles psychiatrie-précarité (EMPP), aux pensions de famille, qui ouvrent la voie à une prise en charge globale, aux groupes d’entraide mutuelle. Les moyens consacrés à tous ces dispositifs mériteraient d’être adaptés à la hauteur de chaque besoin singulier.
Les liens entre les services sociaux des collectivités locales et les services médico-sociaux doivent être resserrés ; les réponses médicales doivent être mieux coordonnées.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour que ceux qui sont déjà éprouvés dans leur quotidien par des accidents de la vie soient mieux accompagnés face à leurs problèmes de santé mentale ? Quels investissements envisagez-vous pour développer l’« aller-vers » et soutenir les maires démunis ? Comment rendre les métiers de la santé mentale attractifs pour les psychiatres, les psychologues, et, plus généralement, les soignants ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame Le Houerou, je ne sais pas si j’aurai assez de temps, dans les deux minutes dont je dispose, pour répondre à toutes les questions que vous me posez.
Tout d’abord, les publics vulnérables, comme l’ensemble des populations en difficulté d’ailleurs, font l’objet de toutes les attentions. Comme vous le savez, des projets territoriaux seront mis en place avant l’été. Nous privilégierons deux axes : le soutien aux publics les plus vulnérables et les parcours enfants-adolescents.
Ensuite, j’estime pour ma part que la question des moyens ne se pose pas tellement, dans la mesure où nous sommes avant tout limités dans notre action par le manque de ressources en professionnels de santé et la pénurie de personnel médical et paramédical.
Je ne vais pas réitérer mon propos, mais vous comprenez bien qu’il faut former plus de praticiens paramédicaux, en lien notamment avec les régions, plus d’infirmiers et d’infirmiers en pratique avancée consacrés à la psychiatrie. Je regrette vivement que l’on ait supprimé les infirmiers spécialisés en psychiatrie il y a quelques années, car cela a fortement grevé notre système. Il importe de former davantage de médecins, en espérant que, dans les nouvelles générations, certains praticiens choisiront de s’engager dans la spécialité psychiatrique, ce qui implique de les faire passer dans les services de psychiatrie – je l’ai dit – et de déstigmatiser ce type de prise en charge.
Je rappelle aussi que des docteurs juniors pourront exercer dans les territoires et qu’ils pourront prendre en charge un certain nombre de patients présentant des troubles psychiatriques. N’oublions pas non plus les 5 000 étudiants français qui suivent actuellement un cursus médical à l’étranger : si le Sénat adopte la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par la territorialisation et la formation, ce que j’espère, ces étudiants pourront réintégrer notre filière universitaire en deuxième cycle et, ainsi, être plus rapidement opérationnels et renforcer notre prise en charge des patients.
Pour ce qui est des mesures prises pour renforcer l’intérêt de cette filière, nous avons évidemment prévu d’accroître l’attractivité financière de la filière, notamment dans le cadre de la revalorisation de Mon soutien psy.
Cet ensemble de mesures devrait permettre une meilleure prise en charge, mais cela suppose, non pas une année entièrement dédiée à la santé mentale, mais plusieurs années de travail et des investissements pluriannuels.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte.
Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le ministre, le constat est alarmant et nous ne pouvons pas l’ignorer.
Selon les derniers chiffres publiés par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), le suicide est l’une des premières causes de mortalité parmi les 15-24 ans. La Mutualité sociale agricole (MSA) indique que, chez les agriculteurs, le risque de suicide est supérieur de 30 % à la moyenne des autres catégories professionnelles. D’après l’intersyndicale des internes, 21 % des internes en médecine ont eu des idées suicidaires au cours des douze derniers mois et 13 % d’entre eux consomment des antidépresseurs.
Que dire des élus ? L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) affirme que 83 % des maires estiment que le mandat qu’on leur a confié est usant pour leur santé, y compris mentale.
Soignants, aidants, professeurs, membres des forces de l’ordre, la liste est longue. Si certaines professions et catégories de la population sont plus exposées que d’autres, la santé mentale concerne chacun d’entre nous. C’est précisément la raison pour laquelle celle-ci est la grande cause nationale de l’année 2025, mais cela implique des moyens qui soient à la hauteur de nos ambitions.
On le sait, en matière de santé, notamment mentale, pour être le plus efficace, il faut toujours intervenir le plus tôt possible, ce qui suppose une action de proximité, la présence de professionnels capables de repérer, d’écouter et d’orienter.
Je pense notamment aux médecins et aux infirmières scolaires. Sur 1 800 postes budgétés en médecine scolaire, seuls 650 sont effectivement pourvus. Et 200 d’entre eux le sont par des contractuels. C’est bien trop peu pour être efficace !
Monsieur le ministre, quelles mesures concrètes comptez-vous prendre pour renforcer l’attractivité de la médecine scolaire ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Vous l’avez bien dit, madame la sénatrice Lermytte, qu’il s’agisse des élus, des agriculteurs, des différents corps de métiers et professions, tout le monde est concerné par les troubles de la santé mentale.
C’est tout le sens de l’action interministérielle que nous déployons, notamment avec Annie Genevard, ministre de l’agriculture, puisqu’un agriculteur se suicide malheureusement tous les trois jours en France. Ce travail doit également être conduit en lien avec le monde du travail, via notamment la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), avec l’éducation nationale et dans le cadre de notre politique de l’asile.
Vous venez de parler de l’éducation nationale. Il y a de notre part une réelle volonté de réarmer la médecine scolaire. En tout cas, c’est mon souhait et c’est une ambition partagée par la ministre de l’éducation nationale. Nous allons d’ailleurs lancer, dès le mois de septembre prochain, des campagnes musclées pour rappeler l’importance de la vaccination contre le papillomavirus et les méningocoques.
Nous devons également faire en sorte que certains professionnels exerçant dans notre système de soins et qui ne seraient plus totalement intéressés par une carrière à l’hôpital puissent entamer une deuxième vie professionnelle, au sein de l’éducation nationale.
Nous travaillons donc sur ce sujet, mais, encore une fois, pour pouvoir livrer bataille – pardonnez-moi cette expression – en matière de santé mentale, il faut avant tout plus de soignants, ce qui implique d’en former davantage. Cela passera certes par une hausse des moyens budgétaires, mais surtout par des efforts pour redorer l’image des professionnels de santé qui embrassent ces carrières. Il faut naturellement prévoir des mesures de revalorisation financière et salariale, mais pas seulement : il faut être capable de répondre à une quête de sens.
Je pense à cet égard que la loi relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé, que vous avez adoptée à l’unanimité ici, au Sénat, ainsi que tous les moyens dédiés à une amélioration de la qualité du travail favorisent l’engagement des professionnels de santé dans ce secteur.
M. le président. La parole est à M. Jean Sol. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Sol. Monsieur le ministre, la commission des affaires sociales mène une mission d’information, dont je suis le rapporteur avec mes collègues Daniel Chasseing et Céline Brulin, sur l’état des lieux de la santé mentale depuis la fin de la crise sanitaire.
Nos travaux ont confirmé ce que chacun de nous observe dans son département : les centres médico-psychologiques sont à bout de souffle. Alors qu’ils sont conçus comme le pivot de la prise en charge des troubles psychiques, le délai d’attente moyen pour une première consultation médicale y est de six mois et peut même atteindre parfois un an ! Les CMP sont contraints de concentrer leurs efforts sur les patients les plus sévèrement touchés et abandonnent tout espoir de faire de la prévention.
De nombreux psychiatres ou directeurs d’établissements nous ont fait part de leurs difficultés à obtenir des moyens pour leur CMP. Les agences régionales de santé (ARS) accordent en priorité des financements aux organisations particulièrement innovantes. Ces centres ne sont pas toujours innovants, mais ils ont fait leurs preuves pour ce qui est d’encourager les prises en charge et de coordonner les soins.
Pourquoi ne pas donner la priorité aux CMP, et plus particulièrement aux CMP infanto-juvéniles, dans le cadre du financement consacré à la psychiatrie ? Si la pénurie de médecins psychiatres ne peut pas se résoudre rapidement, pourrions-nous au moins accorder des crédits à des postes d’infirmiers en psychiatrie et d’infirmiers en pratique avancée (IPA) ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le sénateur Sol, je souhaite avant toute chose vous remercier de votre contribution dans le cadre des travaux de la commission des affaires sociales.
Vous avez tout dit au sujet des CMP. En effet, les délais d’attente sont insupportables. Cependant, bon nombre de territoires, dont le vôtre, ont encore la chance de disposer d’une prise en charge de ces troubles en secteur ; cette sectorisation de la psychiatrie est fondamentale.
Les CMP jouent un rôle crucial et il faut naturellement contribuer à leur réarmement. Encore une fois, ces centres ne souffrent d’aucune restriction budgétaire ; la seule limite est que nous avons besoin de plus de professionnels formés pour y travailler. C’est pourquoi aucune priorisation n’est, selon moi, nécessaire : la priorité va à tous les professionnels de santé qui veulent s’engager dans ces CMP. Ce n’est pas une question budgétaire.
Il existe par ailleurs d’autres manières d’avancer, notamment à travers les projets territoriaux de santé mentale. Je l’ai déjà dit, des mesures consacrées à la prise en charge, notamment des plus jeunes, seront ainsi décidées avant l’été.
Il n’en reste pas moins que ces délais d’attente restent insupportables. C’est la raison pour laquelle le Premier ministre entend présenter un certain nombre de propositions avant la fin du mois d’avril qui, d’une certaine façon, constituent l’une des réponses à la problématique des déserts médicaux. Ces déserts concernent la prise en charge de l’ensemble des pathologies, notamment en matière de santé mentale.
J’espère que tous les professionnels de santé que l’on parviendra à faire venir, qu’il s’agisse de nos étudiants partis pour l’étranger, de ceux qui sont issus de notre formation initiale ou continue, ou de nos jeunes docteurs, contribueront collectivement à régler les problèmes, territoire par territoire.
D’ici quelques semaines, je vais entamer un travail très fastidieux : je compte réaliser, pour tous les départements de France, intercommunalité par intercommunalité – il m’est impossible de descendre à l’échelon de la commune –, un diagnostic de notre offre de santé. Il s’agit de déterminer si cette offre existe ou non ; dans cette perspective, une analyse à l’échelon de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) me paraît judicieuse et correspondre au bon maillage territorial : on sait très bien en effet que l’on ne sera pas en mesure d’installer des professionnels de santé dans l’ensemble des communes, même si tout le monde le souhaite.
M. le président. La parole est à M. Jean Sol, pour la réplique.
M. Jean Sol. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Tout l’enjeu autour de la santé mentale, élevée au rang de grande cause nationale pour 2025, sera, à mon sens, de traduire les actions identifiées dans la feuille de route ou lors des assises en financement concret sur le terrain.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Monsieur le ministre, avant de devenir sénateur, j’ai été gestionnaire de collège pendant plus de trente-cinq ans. Je souhaite donc vous interroger sur la santé mentale des jeunes.
En effet, les données dont nous disposons sont inquiétantes. En témoignent les résultats de l’enquête nationale en collège et en lycée menée par l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), en partenariat avec le ministère de l’éducation nationale, et publiée en 2024 : entre 2018 et 2022, les collégiens et les lycéens ont subi une dégradation de leur santé mentale et de leur bien-être ; 14 % des collégiens et 15 % des lycéens présentent un risque important de dépression ; 24 % des lycéens déclarent qu’ils ont eu des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois ; 13 % d’entre eux indiquent avoir déjà fait une tentative de suicide au cours de leur vie, sachant que 3 % de ces tentatives ont entraîné une hospitalisation.
La pandémie de la covid-19 et les confinements successifs ont sans doute aggravé la santé mentale de nos jeunes.
Le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, Frank Bellivier, soulignait le 26 mars dernier devant la commission des affaires sociales du Sénat que, depuis la crise sanitaire, il ne constatait « pas de dégradation, mais [que] la situation ne s’amélior[ait] pas non plus : les indicateurs d’anxiété, de dépression, de troubles du sommeil et d’addiction restent relativement élevés, en particulier chez les jeunes ».
Face à une jeunesse en perte de repères et inquiète pour son avenir, je m’interroge sur le rôle et les moyens de l’école, un lieu de passage obligé, qui peut être celui de l’épanouissement comme celui du harcèlement. Et même si l’école ne peut pas tout, elle pèse pour beaucoup dans la construction de la personnalité d’un élève.
Alors, monsieur le ministre, comment l’école pourrait-elle devenir davantage un lieu de prévention et de sensibilisation aux enjeux liés à la santé mentale ? Au-delà des numéros d’urgence, du protocole de santé mentale dans chaque établissement et de la démarche École promotrice de santé, qui peuvent être des outils efficaces, comment le Gouvernement pourrait-il renforcer les moyens dédiés à l’école, pour que la santé mentale des jeunes demeure une grande cause dans les années à venir ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le sénateur Buis, votre question me permet de réaffirmer le rôle que nous souhaitons jouer en matière de renforcement de la médecine scolaire, laquelle est malheureusement mal en point : celle-ci se caractérise aujourd’hui par un manque de médecins ou d’infirmiers ; dans les écoles, le nombre d’élèves par professionnel de santé est beaucoup trop élevé.
Aussi, Élisabeth Borne et moi-même lancerons les assises de la santé scolaire en mai prochain, pour tenter d’augmenter le recrutement de personnels dans l’éducation nationale.
Nous disposons de plusieurs leviers, le principal étant financier, puisque les crédits alloués seront doublés d’ici à 2027. Je tiens en premier lieu à évoquer les maisons des adolescents (MDA) et des jeunes adultes, qui accueillent les 11-25 ans et leur offrent, ainsi qu’à leur entourage et leurs familles, une meilleure prise en charge ; l’enjeu est de parvenir à installer au moins une MDA dans chaque département. Il en existe actuellement cent vingt-cinq sur le territoire ; il convient de continuer à les développer.
Il faut, en second lieu, poursuivre le déploiement des projets territoriaux de santé mentale, afin d’être en mesure de mener des actions particulières en faveur des jeunes.
Nous échangeons avec les élus locaux qui ont des propositions à faire sur ces dispositifs. Daniel Fasquelle, le maire du Touquet, a justement été convié à représenter les collectivités au sein du groupe de travail – ou task force – sur la santé mentale.
M. le président. La parole est à Mme Mireille Conte Jaubert.
Mme Mireille Conte Jaubert. Monsieur le ministre, la pandémie de la covid-19 a mis en lumière une triste réalité, parfois oubliée et peu évoquée : la santé mentale de nos jeunes.
Troubles du sommeil, anxiété, isolement, décrochage, les difficultés sont nombreuses et s’accentuent face à la pression académique et aux incertitudes liées à l’avenir.
L’éducation a un rôle crucial à jouer face à cette crise. Nos établissements doivent certes rester des lieux où l’on apprend, mais ils doivent aussi accompagner les jeunes. Or les services de santé universitaire sont saturés, la médecine scolaire est sous-dotée et les délais pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste s’allongent.
Des dispositifs existent, mais ils doivent être renforcés et mieux intégrés aux parcours des jeunes.
Certes, la reconnaissance de la santé mentale comme grande cause nationale pour 2025 est une avancée importante, que je salue. Je souhaite à ce titre rappeler l’engagement de notre ancienne collègue Nathalie Delattre, notamment au travers de sa proposition de résolution visant à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale, adoptée ici même à l’unanimité.
Mais il faut aller plus loin en augmentant le nombre de psychologues dans les universités, en sensibilisant étudiants et enseignants à la santé mentale, et en garantissant un accès rapide à des soins adaptés.
Ma question est simple, monsieur le ministre : quelles mesures envisagez-vous de prendre pour faciliter l’accès des étudiants à un accompagnement psychologique au sein même de leur établissement ? Ne pas agir, c’est condamner ces jeunes à l’isolement et, parfois, au pire. L’urgence nous oblige à être au rendez-vous !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Conte Jaubert, vous évoquez la question spécifique des étudiants.
Selon leur âge, ces derniers peuvent être pris en charge dans les maisons des adolescents. Par ailleurs, comme vous le savez, Mon soutien psy a fusionné avec le programme Santé psy étudiant : ces dispositifs sont désormais accessibles à tous et remboursés dès l’âge de 3 ans.
Nous réfléchissons en outre à une feuille de route sur le sommeil, car on observe une mauvaise qualité du sommeil, notamment chez les étudiants, ainsi qu’à des rappels sur la nécessaire limitation du temps passé devant les écrans, qui seraient à diffuser au sein des établissements scolaires.
Je rappelle l’existence d’un certain nombre d’autres dispositifs : le numéro national 3114, que vous connaissez, mais également le VigilanS qui permet de suivre toute personne, et notamment les jeunes, au détour d’une tentative de suicide, et les groupes d’entraide mutuelle dont nous poursuivons le déploiement.
Toutes ces initiatives méritent d’être soutenues et amplifiées pour répondre aux besoins de notre jeunesse. Mais avant tout, je le répète, il faut former plus de professionnels et les former mieux pour prendre en charge des besoins malheureusement grandissants.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny.
Mme Anne-Sophie Romagny. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier le groupe socialiste d’avoir pris l’initiative de ce débat primordial pour le bien-être des Français et notre cohésion sociale, celui de la santé mentale.
La pandémie de la covid-19, qui nous a confinés, déconfinés, inquiétés en raison des centaines de milliers de décès qu’elle a provoqués, et qui a touché tous les pays du monde et angoissé les populations, a aujourd’hui encore des incidences sur la santé mentale des Français.
Plus particulièrement, les jeunes se sont retrouvés isolés à un âge où les contacts sociaux et les interactions concourent à la construction de leur personnalité.
L’inspection générale des affaires sociales a conduit une mission sur les jeunes de 16 à 29 ans en milieu rural. Son rapport sur la pauvreté et les conditions de vie des jeunes ruraux met en évidence la précarité de cette population et les lacunes des politiques publiques. L’éloignement géographique allonge en effet les temps de déplacement et freine l’accès à des droits fondamentaux tels que la santé ou l’emploi. L’isolement pèse aussi sur la santé mentale des jeunes ruraux.
L’Igas note que les politiques en faveur de la jeunesse ont « élargi leur champ d’attention aux transitions de la jeunesse et aux inégalités », mais observe également que « les dispositifs plus spécialisés de formation, d’accompagnement vers l’emploi ou de santé […] se concentrent quant à eux dans des agglomérations plus importantes ».
Son rapport livre une trentaine de recommandations pour lutter contre l’exclusion croissante de cette jeunesse souvent invisible, telles que la création d’un cadre prioritaire pour les jeunes ruraux vulnérables via le « zonage France Ruralités + » et le renforcement de l’accompagnement en santé mentale.
Monsieur le ministre, envisagez-vous de proposer des dispositifs complémentaires au dispositif Sentinelle, consacré au mal-être agricole ? Surtout, quelles mesures spécifiques allez-vous mettre en œuvre pour toucher les jeunes en ruralité face à des troubles qui peuvent affecter leur santé mentale ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Romagny, vous m’interrogez sur la santé mentale en ruralité.
Il est vrai que le monde rural concentre les difficultés : je pense à l’isolement, aux difficultés d’accès à certains plateaux techniques et à certaines structures d’hospitalisation.
Vous avez mentionné les agriculteurs et vous avez eu raison de le faire, car c’est une profession dans laquelle le taux de suicide est élevé. De ce point de vue, je rappelle l’existence d’Agri’écoute, derrière lequel on trouve une trentaine de psychologues qui peuvent répondre à toutes les attentes, grâce à son service d’écoute. Dans les départements – c’est le cas chez moi, dans l’Isère –, ce dispositif est parfois géré par des bénévoles qui sont souvent d’anciens agriculteurs, lesquels sont les mieux à même de prendre en charge les agriculteurs en activité dans toutes les dimensions, qu’elles soient sociales ou médicales.
Dans la ruralité, on trouve de nombreuses communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), et j’espère qu’il y en aura de plus en plus. Je souhaite qu’elles fassent elles aussi de la santé des jeunes une grande cause de leur action et de leur mobilisation.
Au risque de me répéter, j’indique de nouveau que, dans les zones rurales, il existe aussi des maisons des adolescents et un certain nombre de dispositifs spécifiques. Il n’y a pas forcément lieu d’en créer d’autres : il faut avant tout s’assurer qu’ils couvrent bien l’ensemble des territoires et qu’ils soient accessibles partout et par tous, pour tous nos jeunes, qu’ils soient des villes ou des champs. Voilà l’enjeu. Il nous faudra rattraper le retard accumulé en quelques années.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret.
Mme Corinne Féret. Monsieur le ministre, je souhaite évoquer les troubles du neurodéveloppement (TND), car une personne concernée par l’autisme, le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ou un trouble « dys », comme la dyspraxie, garde toute sa vie un fonctionnement différent, avec une façon particulière d’agir, de penser ou d’entrer en relation avec les autres. Cela représente autant de défis à relever pour préserver sa santé mentale.
Les TND sont des handicaps qui peuvent avoir des répercussions importantes sur le quotidien, non seulement de ceux qui en souffrent, mais aussi de leurs proches aidants, et en particulier leurs parents.
Je connais bien le sujet : en 2023, j’étais la rapporteure, avec mes collègues Jocelyne Guidez et Laurent Burgoa, de la mission d’information sur les troubles du neurodéveloppement, qui nous a conduits à souligner le retard pris par la France en matière de diagnostic, mais aussi de prise en charge des TND.
Ce retard est dû à un manque criant de psychiatres, de psychomotriciens, d’ergothérapeutes ou encore d’orthophonistes. Les recommandations de la mission d’information ont été reprises dans la proposition de loi visant à améliorer le repérage et l’accompagnement des personnes présentant des troubles du neurodéveloppement et à favoriser le répit des proches aidants. La loi finalement parue au Journal officiel le 15 novembre dernier prévoit notamment deux examens de détection, à 9 mois et à 6 ans, ce qui va dans le bon sens.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier la question du repérage et de la prise en charge de ces troubles chez les adultes.
Monsieur le ministre, pour que la santé mentale devienne réellement une grande cause nationale, nous devons disposer de suffisamment de professionnels de santé et de spécialistes pour faire de la psychoéducation, mais aussi et surtout pour proposer des thérapies comportementales, des groupes de parole ou encore de la remédiation cognitive.
Comment comptez-vous améliorer spécifiquement l’accompagnement des personnes atteintes d’un TND ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Féret, je vous remercie de cette question qui nous permet d’évoquer les troubles du neurodéveloppement. Ce sujet est également suivi par ma collègue Charlotte Parmentier-Lecocq, avec laquelle nous travaillons sur une stratégie de détection, d’accompagnement, de structuration des parcours et d’articulation avec le champ de la santé mentale.
Vous l’avez dit, les liens entre santé mentale et TND sont évidents dans de nombreux cas, comme les troubles du spectre autistique, les troubles du langage ou les TDAH. Les examens précoces de repérage permettent de les diagnostiquer au plus tôt, à l’âge de 9 mois et à l’âge de 6 ans.
Au-delà de la détection, il convient d’associer les maisons de l’enfant et de la famille et de mieux structurer l’offre spécialisée et coordonnée. Les centres médico-psychologiques pour enfants sont renforcés de plus de 400 ETP. De même, les centres experts, dont certains sont labellisés pour l’autisme de haut niveau, peuvent jouer un rôle plus clair dans cette filière.
Par ailleurs, des parcours intéressants comme le dispositif dit de l’article 51 (introduit par l’article 51 de la loi du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018) sur la santé protégée ou le programme Pegase (Programme d’expérimentation d’un protocole de santé standardisé appliqué aux enfants ayant bénéficié avant l’âge de 5 ans d’une mesure de protection de l’enfance), destiné aux enfants confiés à l’ASE, doivent, à terme, se diffuser plus largement.
En outre, nous avons inscrit les TND dans le programme pluriannuel dédié à la santé mentale et à la psychiatrie pour la période 2025-2030 de la Haute Autorité de santé (HAS).
Je lancerai prochainement des filières régionales de prise en charge du TDAH pour favoriser la prise en charge dans les régions.
Enfin, nous allons créer des plateformes de coordination et d’orientation, afin que les psychologues et les neuropsychologues puissent plus rapidement établir le bon diagnostic et intégrer les enfants dans un parcours plus fluide, plus lisible et aussi décloisonné que possible.
Toutefois, ces mesures sont limitées par le nombre de professionnels de santé dont nous disposons.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour la réplique.
Mme Corinne Féret. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le ministre. Comme vous venez de le réaffirmer, il est indispensable de consacrer des moyens supplémentaires aux TND, qui concernent près de deux enfants par classe. Les familles de ces enfants attendent ces efforts.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Monsieur le ministre, tout d’abord, je sais gré au gouvernement de François Bayrou d’avoir repris à son compte la décision si salutaire de Michel Barnier de faire de la santé mentale la grande cause nationale de 2025.
La santé mentale des jeunes est préoccupante, tout comme le silence assourdissant qui règne tant dans le débat public que dans les politiques de santé publique sur l’un des leviers les plus insidieux de cette dégradation : la consommation de cannabis.
Les autorités sanitaires doivent briser le tabou et montrer que le cannabis altère profondément les fonctions cérébrales en formation. Il ralentit la maturation du cerveau, dégrade la mémoire de travail et entrave les capacités d’apprentissage. Chaque jeune qui aspire à être libre – ce qui est heureux – devrait savoir que le cannabis affecte la manière même dont l’information est traitée. Le cerveau devient moins apte à trier, à hiérarchiser, à prendre du recul.
Dans un monde saturé de contenus numériques, avec leur lot de fausses informations et autres manipulations destinées à propager des thèses très dangereuses, cette fragilité cognitive rend le jeune cerveau plus vulnérable aux influences les plus nocives.
Le cannabis que l’on consomme pour être moins stressé empêche de gérer le stress, affaiblit la résilience face à l’effort, provoque une anxiété diffuse et mine la motivation. Ces effets conduisent à un repli sur soi, à une perte de confiance et à une incapacité à faire face aux exigences scolaires ou universitaires. Ainsi, des années cruciales de la vie de ces jeunes se trouvent compromises, dans l’indifférence de tous.
Enfin, le cannabis est l’un des principaux risques environnementaux de déclenchement de la schizophrénie. Derrière chaque statistique, il y a une vie brisée par une substance que certains continuent de présenter comme inoffensive.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire, dans le cadre des campagnes de communication de la grande cause nationale, pour mettre un terme à cette illusion dangereuse d’un cannabis sans conséquence aucune pour la santé mentale ?
Mme Frédérique Puissat. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Carrère-Gée, je vous remercie de rappeler tous les méfaits de la drogue en général, et du cannabis en particulier. Vous avez bien résumé les effets néfastes de la consommation de cannabis, notamment sur les fonctions cognitives supérieures.
Vous auriez pu ajouter que la consommation de cannabis accentue les risques de survenue d’accidents sur la voie publique, qui sont la première cause de mortalité et de traumatologie chez les jeunes.
En outre, la banalisation de l’usage de cannabis et le fait qu’il soit souvent coupé avec d’autres drogues aux effets encore plus importants peuvent constituer une porte d’entrée vers la consommation de drogues dures, notamment la cocaïne. (Mme Émilienne Poumirol proteste.) Outre-Atlantique, certains États des États-Unis et le Canada regrettent ainsi d’avoir légalisé le cannabis, car cela a entraîné une augmentation de la consommation de drogues dures.
Nous devons faire preuve d’une tolérance zéro vis-à-vis de la drogue en général. Si je dis oui au cannabis thérapeutique – comme vous le savez, j’ai renouvelé la lettre de couverture et prolongé les délais pour en évaluer les effets –, cela ne vaut certainement pas pour le cannabis dit récréatif, dont la consommation porte atteinte à la santé de nos jeunes de manière terrible, est accidentogène et ouvre la voie à l’usage de drogues encore plus dures.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée, pour la réplique.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Monsieur le ministre, vous engagez-vous à organiser une campagne de communication sur le sujet dans l’année ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins. Nous avons en effet la volonté de réaliser une campagne de communication sur les dangers de la drogue. Nous avons d’ailleurs établi des axes de travail avec la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), pas plus tard que cet après-midi.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. C’est parfait, merci !
M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat.
M. Simon Uzenat. Nous le voyons bien au travers des diverses interventions, la question de la santé mentale n’est plus une bombe à retardement ; elle est désormais une bombe à fragmentation, dont les dépressurisations psychologiques se sont multipliées à la faveur de la crise sanitaire, qui a agi comme un accélérateur ou un amplificateur.
Il suffit pour s’en convaincre de constater que les maladies psychiatriques sont devenues les premières affections de longue durée chez les moins de 30 ans. À cet égard, nous pouvons regretter qu’il ait fallu attendre cinq ans pour faire de la santé mentale une grande cause nationale.
Entre 2020 et 2022, 24 % des établissements psychiatriques ont été contraints de fermer de 10 % à 30 % de leurs lits, contre 5 % avant 2020. Les professionnels parlent de point de rupture des capacités d’hospitalisation. Comme vous le savez, monsieur le ministre, très peu d’étudiants ayant réussi le concours de l’internat choisissent la psychiatrie. À l’heure actuelle, 23 % des postes de psychiatre à l’hôpital public sont vacants.
Si les causes sont diverses, les professionnels évoquent avec insistance la question de la responsabilité juridique. Quelle réponse pouvez-vous leur apporter ?
Il convient d’adopter une démarche globale et coordonnée sur le modèle de ce qui a été réalisé dans la lutte contre le cancer, pour laquelle un institut national spécifique a été créé. Quelle est votre position sur le sujet ?
Comme l’ont rappelé plusieurs de mes collègues, nous sommes tous concernés par la santé mentale. Il ne faut pas oublier que les personnes âgées sont, à côté des jeunes, les autres grandes victimes de ces dérèglements.
Pour mieux les prendre en charge, il est nécessaire que les équipes médicales évoluant dans le champ de la psychiatrie se coordonnent davantage avec les autres équipes médicales. Nous avons tous vécu des expériences personnelles au cours desquelles la dimension psychiatrique de la prise en charge médicale n’a pas été prise en considération ou l’a été insuffisamment.
Par ailleurs, le lien avec les proches est un sujet fondamental pour les patients majeurs. En effet, les troubles mentaux ont des incidences sur la vie de tous les proches des patients concernés.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le sénateur Uzenat, je regrette comme vous les fermetures de lits dont souffre actuellement la psychiatrie. Au risque de me répéter, je rappelle qu’il est fondamental de former plus de soignants pour en rouvrir un maximum.
Dans 40 % des cas, l’entrée dans un parcours de soins psychiatriques se fait par la voie des urgences. Nicole Dubré-Chirat et Sandrine Rousseau m’ont remis leur rapport d’information sur la prise en charge des urgences psychiatriques et j’espère bien traduire plusieurs de leurs recommandations par des mesures réglementaires.
Je souhaite également la présence d’un référent dans tous les services d’urgence de notre pays pour prendre en charge les patients psychiatriques, qu’il s’agisse d’un infirmier en pratique avancée ou d’un médecin. Nous savons bien que lorsque les flux entre malades organiques et psychiatriques s’entremêlent, cela complique la gestion du quotidien.
J’ai bien en tête la question de la responsabilité juridique. Si les étudiants ne choisissent pas la psychiatrie et disent en avoir peur, ce n’est pas seulement à cause des tableaux cliniques des malades. Ils pensent évidemment au risque de récidive d’un patient qu’ils auraient laissé sortir d’hospitalisation. Sachant que 30 % des détenus en France souffrent de troubles psychiatriques, nous mesurons bien le degré de responsabilité que représente la remise d’une autorisation de sortie ou d’un avis psychiatrique. Les groupes d’évaluation départementaux (GED), par exemple, demandent également la présence systématique d’un psychiatre en leur sein.
Le problème de la responsabilité juridique existe donc, et il faut pouvoir en parler et l’expliquer.
Vous proposez, si je comprends bien, de créer un institut national sur le modèle de l’Institut national du cancer (Inca). Je n’y suis pas vraiment favorable. L’heure n’est pas à la création de superstructures. Mon objectif est de restaurer l’attractivité de la psychiatrie. Nous devons donner envie à notre jeunesse de s’investir dans cette filière.
M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat, pour la réplique.
M. Simon Uzenat. Il faut bien sûr former plus de soignants, mais il faut aussi donner envie à nos jeunes internes de s’orienter vers la psychiatrie. Par ailleurs, vous évoquez une forme de saupoudrage de la prise en charge, monsieur le ministre, sur laquelle je vous invite à la prudence.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Monsieur le ministre, dans la mesure où je suis le treizième à m’exprimer, vous risquez de trouver quelques répétitions dans mon intervention. Ce sera donc le cas des deux premières phrases, mais non du reste… (Sourires.)
La santé mentale a été désignée comme grande cause nationale pour l’année 2025. Ce choix répond à un enjeu majeur de santé publique. En effet, un Français sur quatre sera concerné par un trouble mental au cours de sa vie. Cette grande cause nationale s’articule autour de quatre objectifs prioritaires : la déstigmatisation ; le développement de la prévention et du repérage précoce ; l’amélioration de l’accès aux soins partout sur le territoire français ; et l’accompagnement des personnes concernées.
Ces objectifs sont non seulement louables, mais indispensables. Il convient néanmoins de ne pas rester dans l’affichage et de les traduire par des actions concrètes.
Je pense tout d’abord au déploiement d’une force de premier recours pour dépister et prévenir les troubles psychiques dès le plus jeune âge.
Ensuite, il convient de développer de nouveaux métiers et de nouvelles compétences en santé mentale et en psychiatrie, afin de recentrer le temps médical sur les prises en charge des patients complexes. En effet, il est souhaitable de traiter la question de la santé mentale comme un enjeu de santé publique pouvant toucher chacun d’entre nous, comme nous l’avons fait il y a vingt ans pour le cancer.
Enfin, nous devons structurer un pilotage de la feuille de route de la psychiatrie et de la santé mentale, à l’échelle tant nationale que locale.
Monsieur le ministre, pour répondre à ces objectifs, que partagent une grande partie des professionnels de terrain, il nous faut déployer des dispositifs pour former les professionnels de santé, pour repérer les troubles, pour financer des postes, notamment d’IPA, d’assistants médicaux ou de coordonnateurs au sein des établissements, mais également pour sensibiliser les équipes de professionnels accueillant du public.
La création de maisons des enfants, sur le modèle des maisons des adolescents, est une bonne chose pour assurer des missions de premier accueil et de prévention. La structuration de l’offre de soins en santé mentale sur le territoire doit être pilotée par les agences régionales de santé, en lien avec les collectivités territoriales.
Monsieur le ministre, alors qu’un quart de l’année est déjà écoulé, ma question est simple : quelles mesures ont été adoptées ou, à tout le moins, proposées, pour que cette année de grande cause nationale pour la santé mentale soit dotée d’un contenu réel ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le sénateur Milon, je serai aussi indulgent à l’égard des répétitions que vous le serez, je l’espère, à l’égard des réponses de votre ministre, qui, après quatre heures d’audition sur la fin de vie, les questions d’actualité au Gouvernement et l’examen de la proposition de loi relative à la reconnaissance de la responsabilité de l’État et à l’indemnisation des victimes du chlordécone, est très heureux de répondre à la treizième question de la soirée… (Sourires.)
Nous avons concentré nos efforts sur le renforcement de la première ligne, en agissant massivement sur les déterminants de santé mentale. Je pense notamment à l’exposition aux violences sexuelles durant l’enfance, aux addictions, aux discriminations, à la précarité financière…
Nous allons consolider les maisons des adolescents, la médecine générale, les CPTS et le dispositif Mon soutien psy. De même, nous souhaitons renforcer l’offre de secteurs pivots, notamment la psychiatrie générale, et nous dotons les CMP pour enfants de près de 400 postes supplémentaires.
Tous ces sujets seront évoqués au cours de la réunion du comité interministériel sur la santé mentale que j’organiserai en juin prochain. Notre objectif est d’articuler la psychiatrie surspécialisée avec la psychiatrie de première ligne et les CMP, afin de fluidifier les parcours petit à petit. Je vous donne donc rendez-vous en juin.
Au reste, je vous rappelle que l’année n’a commencé qu’en mars, après l’adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Demas. « Elle a été déclarée grande cause nationale 2025. Les acteurs de la santé mentale attendaient cette reconnaissance depuis des années, mais ils ne sauront se contenter d’une déclaration d’intention. » Voilà les propos introductifs d’une tribune publiée dans un quotidien local à l’occasion du Forum national de la santé mentale, qui se tiendra en fin de semaine dans le département dont je suis élue, les Alpes-Maritimes.
Dire que le sujet est d’importance est un euphémisme : plus de 12 millions de Français souffrent de troubles psychiques et une tentative de suicide a lieu toutes les trois minutes… Si la santé mentale a été désignée grande cause nationale, ce n’est malheureusement pas sans raison. S’en préoccuper relève de l’urgence et de la nécessité, d’autant qu’il s’agit de notre premier poste de dépenses sociales.
La rapidité du diagnostic devient centrale au regard de l’errance des patients. Face à la pénurie de psychiatres et à la désertification médicale qui s’étend, c’est-à-dire, en somme, face à la saturation de notre système de santé, il nous faut optimiser la complémentarité entre tous les professionnels de santé mentale qui se trouvent en première ligne des consultations. Ce faisant, nous améliorerons le parcours de soins.
Monsieur le ministre, comment votre feuille de route prévoit-elle de remédier à la saturation des centres médico-psychologiques, qui manquent cruellement de moyens et de personnel, notamment pour s’occuper de notre jeunesse ?
Par ailleurs, le dispositif Mon soutien psy est parfois critiqué pour ses critères d’accès et de sélection, et il est jugé peu attractif pour les psychologues. Sera-t-il significativement amélioré ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Demas, je vous remercie de votre question. Nous nous retrouverons probablement à Cannes vendredi prochain à l’occasion de la deuxième édition du Psychodon, que je viendrai inaugurer. Ce sera un bon moment, car il est important de faire remonter du terrain des idées de patients et d’associations portant sur toutes les facettes de la santé mentale. C’est précisément l’engagement de l’organisateur de l’événement, Didier Meillerand.
Depuis trois ans, les consultations réalisées dans le cadre de Mon soutien psy sont remboursées. De plus, nous avons validé un accès direct au dispositif dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. J’ai également demandé un rapport sur les patients ayant bénéficié de ce parcours pour déterminer le taux de prise en charge médicale, le taux de guérison et le taux de suicide après ce cycle.
Selon les données de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), les patients utilisent rarement les douze séances qui leur sont remboursées. Ils s’arrêtent souvent avant la fin du cycle, au bout de six à huit séances.
Jusqu’à présent, plus de 500 000 patients ont été pris en charge par les 5 500 psychologues qui sont actuellement conventionnés. Comme je l’ai déjà indiqué, 500 nouveaux psychologues ont demandé un conventionnement au cours des deux derniers mois.
Comme vous, je souhaite renforcer les moyens des CMP, qui, je le répète, ont besoin non pas de moyens financiers, mais de personnel disponible.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas, pour la réplique.
Mme Patricia Demas. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, mais j’aurais aimé obtenir des éléments sur des moyens financiers supplémentaires, car ils sont le nerf de la guerre. Il me semble qu’un ordre de grandeur des moyens à notre disposition pour mettre en application des actions est un paramètre indispensable à toute feuille de route. Pouvez-vous nous donner un tel ordre de grandeur ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. Puisque vous voulez des chiffres, madame la sénatrice, je peux vous dire qu’entre 2018 et 2026, 3,3 milliards d’euros supplémentaires auront été consacrés à la santé mentale.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas.
Mme Patricia Demas. La santé mentale est la grande cause nationale de 2025, mais elle doit le demeurer par la suite, car il s’agit d’un enjeu de société qui concerne toutes les générations et qui révèle les fractures de notre société, au-delà des fractures d’ordre psychique.
Monsieur le ministre, il faut fournir un effort collectif, en réunissant les forces vives de la Nation autour de cette cause, mais aussi un effort financier.
M. le président. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Somon. Ma question porte sur le rôle des structures locales et territoriales, ainsi que sur le rôle des élus, dans le pilotage d’une politique nationale de la psychiatrie et de la santé mentale.
La santé mentale est un enjeu majeur de notre époque. Au total, 12,5 millions de Français sont atteints de maladie mentale. Un jeune adulte sur deux présente des signes de dépression et l’on enregistre 6 000 suicides par an dans notre pays. Je le rappelle à mon tour, le suicide est la première cause de décès des 15-29 ans.
Avec plus de 23 milliards d’euros annuels, les dépenses remboursées au titre de la souffrance psychique et des maladies psychiatriques représentent le premier poste budgétaire de l’assurance maladie.
En 2021, les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie ont souligné la nécessité d’une approche holistique, articulée aux besoins des territoires.
Les structures locales – centres médico-psychologiques, hôpitaux de proximité ou encore associations de santé mentale – jouent un rôle essentiel dans l’accompagnement des patients, au plus près des réalités du terrain. Leurs équipes connaissent mieux que quiconque les besoins spécifiques des communautés qu’elles prennent en charge.
De leur côté, les élus locaux ont une responsabilité particulière. Ils sont les garants de la cohésion, du lien social et de la qualité de vie dans leur territoire. Ils ont le pouvoir d’impulser des dynamiques locales et de mobiliser les acteurs de santé. Ils peuvent plaider pour des moyens supplémentaires auprès des instances nationales, ce que nous faisons à notre tour ce soir.
Ce constat sanitaire appelle une meilleure articulation entre politique globale et déclinaisons territoriales. Ne serait-il donc pas envisageable de créer, sur le modèle du délégué interministériel à la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement, au nombre desquels figure l’autisme, un délégué interministériel à la santé mentale ? Je relève à ce titre que toutes les agences régionales de santé ne disposent pas encore de référent psychiatrie et santé mentale.
En parallèle, il convient de renforcer les projets territoriaux de santé mentale (PTSM), en chargeant les antennes départementales des ARS de les animer.
En outre, je propose la création d’un centre expert pour la santé mentale dans chaque région, structure qui favoriserait l’inclusion des patients dans la recherche.
Enfin, un centre référent d’accompagnement pour les parcours des patients et la formation des professionnels pourrait garantir un diagnostic et une prise en charge précoces, gages de meilleurs résultats thérapeutiques. Je pense notamment aux 200 000 malades psychiatriques les plus sévères : dans leur cas, une prise en charge adaptée permet de réduire de 50 % le nombre de journées d’hospitalisation.
En résumé, il est urgent de redéfinir le rôle des structures locales et des élus dans le pilotage de la politique nationale de la psychiatrie. La santé mentale de nos concitoyens en dépend.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Laurent Somon. Faisons en sorte que chaque territoire dispose des moyens nécessaires pour répondre aux défis de la santé mentale.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le sénateur Somon, vous évoquez le rôle des élus locaux : l’appel de Nantes a permis à cinq associations nationales d’élus de s’engager, notamment l’AMF et Intercommunalités de France.
Vous m’interrogez sur l’organisation territoriale qu’il convient de privilégier en la matière. Le projet territorial de santé mentale apparaît finalement comme le plus efficace, à condition qu’il soit élaboré en lien avec les conseils locaux de santé mentale ; un certain nombre de ces structures ont déjà vu le jour.
Vous suggérez la création d’un délégué interministériel, mais, dans ce domaine, nous disposons déjà d’un délégué ministériel. Je me fais fort de présenter, lors d’un prochain conseil des ministres, l’ensemble des actions que nous allons mener avec lui, en lien avec les acteurs du monde économique, notamment au titre de la RSE, ceux de la politique de la ville et ceux de l’éducation nationale.
Le ministère de la santé doit coordonner son action avec les travaux menés par l’ensemble des autres ministères compétents pour mener à bien ces politiques publiques. La santé mentale doit, comme le handicap, avoir une place dans l’ensemble des politiques que nous menons.
Un certain nombre de centres experts existent, mais il convient effectivement de les développer. Cela étant, il me semble que vous êtes, comme beaucoup, adepte de la simplification : évitons de créer encore de nouvelles catégories de structures. Mieux vaut selon moi concentrer les moyens sur les professionnels de terrain, même si, sur l’ensemble de ces sujets, je reste ouvert à la discussion.
M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne Ventalon. Selon l’Organisation mondiale de la santé, 13 millions de Français présentent un trouble psychique. Plus d’un quart de la population française consomme aujourd’hui des anxiolytiques, antidépresseurs et autres médicaments psychotropes. Les troubles psychiques sont ainsi la première cause d’invalidité, la deuxième cause d’arrêt de maladie et, avec 23 milliards d’euros en 2023, le premier poste de dépenses du régime général de l’assurance maladie.
Ces chiffres doivent nous alerter, d’autant plus que la forte dégradation de la santé mentale constatée depuis le covid-19 et les confinements successifs frappe sans distinction de milieu social ou d’âge.
Il est urgent de repenser notre approche de la santé mentale : cette dernière est aussi importante que la santé physique. Je me réjouis donc que, dès octobre dernier, le Gouvernement ait fait d’elle la grande cause nationale de 2025.
Véritable enjeu de santé publique, la santé mentale est l’affaire de tous. Elle constitue, de surcroît, une préoccupation majeure des élus locaux, qui jouent un rôle central dans ce domaine. Leur champ d’action s’étend en effet aux crèches, aux écoles ou encore aux Ehpad.
Encouragées par les ARS, diverses collectivités territoriales travaillent ainsi à la mise en place d’un conseil local de santé mentale via une approche participative, regroupant toutes les parties prenantes afin de mener des actions concertées. Toutefois, le manque de psychiatres et notamment de pédopsychiatres se révèle lourd de conséquences, et les élus peinent à mettre en œuvre ces politiques locales.
Le manque de ressources adaptées pour les enfants présentant des besoins spécifiques, les délais d’attente dans les centres médico-psychologiques ou encore les limites du dispositif Mon soutien psy l’illustrent : l’accès aux soins en santé mentale reste très dégradé.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous répondre aux carences de la psychiatrie publique ? Surtout, comment mieux accompagner les collectivités territoriales dans le déploiement des conseils locaux de santé mentale et, ce faisant, faciliter la prévention ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Ventalon, votre question est la dernière de ce débat : c’est peut-être volontairement que vous m’invitez à récapituler le travail engagé ou à venir.
Il faut renforcer la territorialisation des actions de notre ministère en s’appuyant sur les élus locaux. Départements et communes prennent de nombreuses initiatives dans ce domaine, comme l’élaboration des projets territoriaux de santé mentale et la création des conseils locaux de santé mentale. Naturellement, il convient d’encourager ces démarches.
Il faut mettre l’accent sur la formation des professionnels de santé, en lien avec les régions dans le cas des paramédicaux et à l’échelle nationale pour les médecins.
Il convient aussi de renforcer l’attractivité des différents métiers, que ce soit à l’hôpital, en ville ou dans les centres médico-psychologiques.
L’effort de déstigmatisation, qui est tout aussi essentiel, suppose plus largement un travail de vulgarisation. Ériger la santé mentale en grande cause pour l’année 2025 permet déjà de parler de tous ces sujets. Le débat de ce soir en est la preuve.
Il s’agit évidemment de politiques de longue haleine et je n’ai pas de solution immédiate à vous proposer. Toutefois – j’en suis convaincu –, si nous déployons des moyens dignes de ce nom en faveur de la formation, si l’on traite les différents sujets en prenant soin d’adopter une approche transversale et interministérielle, nous pourrons avancer de manière collective, face à ces problèmes ô combien préoccupants.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Luc Fichet, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier tous les orateurs des groupes en saluant la qualité de leurs interventions.
Nous l’avons constaté tout au long de ce débat, la santé mentale est une réalité complexe et multidimensionnelle. Elle couvre un champ extrêmement vaste, allant de la souffrance psychosociale ordinaire jusqu’aux maladies psychiques avérées, parmi lesquelles la dépression, les psychoses, les troubles liés à l’anxiété, les addictions, les tendances suicidaires, les psychotraumatismes et les troubles autistiques.
De plus, ces affections prennent aujourd’hui des formes nouvelles, notamment la souffrance au travail et les troubles liés à l’éco-anxiété.
Les souffrances mentales sont très peu connues, reconnues et soutenues. Pourtant, elles irradient. Elles ont des répercussions sur les malades comme sur leur entourage, leurs environnements familial et professionnel. Elles provoquent des inquiétudes et des incompréhensions, qui augmentent encore les souffrances subies.
Chaque année, plus de 2 millions de Français sont pris en charge par les services psychiatriques. Les troubles liés à la santé mentale représentent la première source d’arrêt de travail prolongé et 25 % des causes d’invalidité en France.
Depuis la crise sanitaire, la santé mentale des Français s’est sensiblement dégradée. En 2022, selon une enquête de Santé publique France, 24 % de nos concitoyens présentaient un état anxieux, soit 11 points de plus qu’avant la pandémie. En parallèle, 17 % d’entre eux présentaient un état dépressif – soit une augmentation de 7 points – et une personne sur dix avait des pensées suicidaires, proportion en hausse de 6 points de pourcentage.
La détérioration de la santé mentale est particulièrement sensible chez les jeunes, d’où l’importance des « chèques psy », malgré des problèmes d’accès et de pertinence du dispositif. La limitation du nombre de séances d’analyse n’a pas de sens : le soin psychique demande du temps. Ce dispositif, tourné vers le secteur libéral, ne saurait compenser les défaillances observées dans le secteur public.
La fragilisation de la santé mentale touche davantage les femmes. Selon une étude de l’OMS, 38 % des salariées sont en situation de mal-être au travail, contre 22 % des salariés de sexe masculin ; les femmes cadres sont particulièrement concernées. Dans l’ensemble, les femmes sont surreprésentées dans les secteurs où la santé mentale est au plus bas : l’administration publique, la filière de l’hébergement et de la restauration, l’hébergement médico-social et l’action sociale.
La santé mentale est le parent pauvre de notre système de santé. Depuis des décennies, les établissements de psychiatrie subissent un sous-financement chronique : selon un rapport publié par l’Igas en 2017, 60 % des lits hospitaliers de psychiatrie ont été supprimés au cours des quarante dernières années, ce qui a eu pour conséquence d’augmenter la pression sur les hôpitaux publics.
L’offre de soins est toujours plus inégale selon les territoires. Certains d’entre eux sont devenus de véritables déserts médicaux, où il est impossible de trouver un professionnel de la santé mentale.
Les causes de cette situation sont connues : salaires insuffisants, dégradation des conditions de travail, insuffisance de l’offre de formation et vieillissement des professionnels en activité. Or, depuis 2017, ni le Président de la République ni ses gouvernements successifs n’ont mesuré l’urgence d’agir pour reconstruire notre système de santé mentale ; deux feuilles de route ont certes été publiées, mais elles sont insuffisantes.
La première, qui remonte à 2018, créait la délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie. Elle détaillait, de plus, un certain nombre de mesures en faveur de la prévention et de la réinsertion, ainsi que pour les dispositifs de soins aigus ; mais les moyens sont restés gravement insuffisants.
La seconde, qui date de 2021, devait être assortie d’importants financements. On nous promettait alors 1,9 milliard d’euros, mais lissés sur cinq ans. À ce titre, on recyclait de surcroît un certain nombre de mesures, comme la création d’un numéro national de prévention du suicide, le 3114. Surtout, les moyens étaient toujours insuffisants.
Le fait d’ériger la santé mentale en grande cause nationale pour 2025 relève du symbole, mais représente aussi un appel à la mobilisation de toute la société, afin d’attribuer de nouveaux moyens financiers à un secteur en crise. Néanmoins, l’augmentation des crédits ne suffit pas s’il n’y a pas de professionnels pour prendre en charge les malades.
La santé mentale doit être abordée sous toutes ses dimensions.
Il faut prendre conscience que, bien souvent, les souffrances mentales ne sont pas palpables pour l’entourage du malade. Or l’incompréhension exprimée par l’environnement familial ou professionnel est un facteur aggravant de la souffrance.
Il est primordial de mener une réflexion globale et de travailler à une approche pluriannuelle de la santé mentale, via un projet de loi de programmation dédié. Il faut à tout prix réfléchir à un autre accompagnement de la souffrance mentale, par des institutions parfaitement adaptées à l’accueil des malades. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La santé mentale, grande cause du Gouvernement pour l’année 2025 : quels moyens pour en faire une priorité ? »
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 10 avril 2025 :
À dix heures trente :
Débat sur l’apprentissage ;
Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer la stabilité économique et la compétitivité du secteur agroalimentaire (procédure accélérée ; texte de la commission n° 524, 2024-2025).
L’après-midi :
Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, invitant à favoriser la restauration de la sécurité en Haïti afin de créer les conditions nécessaires à la mise en place d’un processus politique de sortie de crise, présentée par Mme Hélène Conway-Mouret et plusieurs de ses collègues (texte n° 900 rectifié, 2022-2023) ;
Débat sur le thème « Pour garantir la sincérité du débat public, quelle mise en œuvre des politiques françaises et européennes de régulation des plateformes en ligne ? ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures trente-cinq.)
nomination d’un membre de deux commissions mixtes paritaires
Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a présenté une candidature pour les commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Sophie Briante Guillemont est proclamée membre de ces deux commissions mixtes paritaires, en remplacement de M. Michel Masset, démissionnaire.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER