M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le travail de la commission mixte paritaire ne modifie pas fondamentalement les appréciations que nous avions portées ici sur le texte initial.

En effet, nous regrettons le retrait de plusieurs des dispositions envisagées par l’Assemblée nationale en première lecture, qui visaient à une meilleure corrélation entre le prix de rémunération d’un produit à la ferme et le prix de vente au consommateur. Certes, le coefficient multiplicateur, qui vise à permettre un meilleur retour de la valeur ajoutée à la ferme, n’est pas un mécanisme aisé à mettre en œuvre, car il peut se révéler lourd, voire dissuasif, comme cela a été rappelé précédemment.

Cependant, l’hypothèse d’un tel mécanisme, parfois décrié, suscitant souvent du mépris et une certaine condescendance, nous paraît d’autant moins décalée que les dispositifs envisagés aujourd’hui aux États-Unis ne sont rien d’autre qu’une forme de protectionnisme autoritaire et unilatéral. Si je dis cela, c’est parce que je pense que nous ne devons rien nous interdire et n’exclure aucun des mécanismes de régulation qui permettraient une meilleure et plus juste rémunération des producteurs. Ce sera l’un des objectifs prioritaires de la loi Égalim 4, sur lequel nous serons vigilants.

Je le dis avec d’autant plus de conviction que, aujourd’hui même, les entreprises du secteur de l’abattage et de la découpe parlent déjà de crise pour décrire leur situation. Elles sont toutes victimes du recul de l’offre, au point que, par exemple, le site de Sablé-sur-Sarthe – celui de Charal – se voit transformé en plateforme logistique.

Si nous avions entendu un peu plus tôt la détresse des éleveurs et leurs difficultés à dégager un revenu, la situation serait peut-être un peu différente. Il faut donc faire très attention, car lorsqu’une exploitation réduit son cheptel, il n’y a que très rarement un retour en arrière. Comme le disait récemment un éditorialiste dans une publication agricole : « On ne tue les vaches qu’une fois. »

Tant qu’il y avait des bêtes pour faire tourner les abattoirs, les capitaines d’industrie pouvaient mener leur barque sans trop se préoccuper des producteurs. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Pour autant, il n’est pas dit que tous les éleveurs tireront profit de l’augmentation des prix découlant de la relative pénurie de bêtes destinées à la production de viande ! En effet, les trésoreries des éleveurs sont exsangues et, par conséquent, ce sont des viandes importées qui risquent de déferler dans nos assiettes.

Par ailleurs, alors qu’on attendait du SRP+10 un effet de ruissellement jusqu’au producteur, rien ne nous permet d’affirmer qu’il s’est pleinement réalisé. Mais il est vrai qu’en ne prolongeant pas cette disposition, nous prendrions assurément le risque d’une nouvelle offensive visant à réduire les prix à la production. À notre avis, il faut éviter que la rémunération des agriculteurs redevienne la variable d’ajustement des négociations entre supermarchés et industriels.

Au regard de ces considérations, soucieux de prendre en compte le caractère conclusif de la CMP et d’éviter une nouvelle pression sur les prix pour les producteurs, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Daniel Gremillet applaudit également.)

M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je vais mettre aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi visant à renforcer la stabilité économique et la compétitivité du secteur agroalimentaire.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Je remercie de nouveau les rapporteurs Anne-Catherine Loisier et Daniel Gremillet de leur engagement constant, ainsi que Mme la présidente de la commission des affaires économiques et l’ensemble des membres de la commission mixte paritaire.

Cela a été dit, les rédactions des deux chambres comportaient un certain nombre de divergences. Le consensus est à porter au crédit des membres de la CMP, qui ont travaillé dans un esprit de responsabilité, à quelques jours seulement de la date de fin des expérimentations.

Je me réjouis également que le texte prévoie un temps suffisamment long pour offrir de la lisibilité et de la stabilité à tous les acteurs. Ces derniers auront ainsi une vision jusqu’au 15 avril 2028, même si les échéances électorales intermédiaires ne permettront pas nécessairement d’aborder ces questions avec toute la sérénité requise.

Pour conclure, il nous faudra profiter de cette période, j’en ai pris l’engagement, pour nous documenter, obtenir des éléments qui nous ont manqué, comme chacun l’a rappelé. Ainsi, nous pourrons objectiver la mesure et apporter une réponse étayée par des informations plus précises et chiffrées, de la part de l’ensemble des acteurs. La loi Égalim 4 sera également l’occasion de revoir l’ensemble des dispositifs.

Je demeure, bien entendu, à votre disposition.

Article 2 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la stabilité économique et la compétitivité du secteur agroalimentaire
 

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Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat.

Mme Frédérique Puissat. Lors du scrutin public n° 259, Mme Micheline Jacques souhaitait voter contre.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures quinze, est reprise à quatorze heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, invitant à favoriser la restauration de la sécurité en Haïti afin de créer les conditions nécessaires à la mise en place d'un processus politique de sortie de crise
Discussion générale (fin)

Restauration de la sécurité en Haïti

Adoption d’une proposition de résolution

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de résolution invitant à favoriser la restauration de la sécurité en Haïti afin de créer les conditions nécessaires à la mise en place d’un processus politique de sortie de crise présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mme Hélène Conway-Mouret et plusieurs de ses collègues (proposition n° 900 rectifiée, [2022-2023]).

Discussion générale

Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de résolution. (Applaudissements.)

Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de résolution. Je tiens tout d’abord à vous remercier, monsieur le ministre Barrot, de votre présence en séance, au vu de votre agenda. Il est très important que vous soyez là, votre présence est très appréciée.

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis de porter enfin devant vous cette proposition de résolution invitant à favoriser la restauration de la sécurité en Haïti, afin de créer les conditions nécessaires à la mise en place d’un processus politique de sortie de crise. Un long intitulé, pour une belle ambition.

Nous avions travaillé à la rédaction de ce texte il y a plus de dix-huit mois, déjà convaincus de l’urgence de la situation et de l’absolue nécessité de mobiliser davantage la communauté internationale pour venir en aide à ce pays avec lequel nous avons noué, au fil de l’histoire, une relation unique.

Comment qualifier l’urgence, lorsqu’elle se prolonge si longtemps, que les cris et les pleurs du peuple haïtien ne transpercent plus le mur des médias, et que nous semblons comme accoutumés au désespoir ?

Par le vote de cette proposition de résolution et l’expression des représentants de tous les groupes politiques au cours de notre débat aujourd’hui, nous dirons que le Parlement, donc la France, n’oublie pas.

Depuis des mois, le groupe d’amitié France-Caraïbes du Sénat, que j’ai l’honneur de présider, a mené des auditions, accueilli des conférences, travaillé avec le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, avec l’ambassadeur de France à Port-au-Prince et l’ambassadeur d’Haïti à Paris, dont je salue la présence dans nos tribunes pour suivre nos discussions.

J’ai échangé avec le président du conseil présidentiel de transition haïtien Leslie Voltaire, lors de sa venue à Paris le 29 janvier dernier. Nous avons aussi rencontré la délégation haïtienne à l’occasion du dernier sommet de la Caricom, la Communauté caribéenne, en février 2025, dans le but d’alimenter notre réflexion et de déterminer les axes d’action prioritaires pour accompagner Haïti à la mesure de ses besoins actuels et des exigences de l’histoire qui nous unit.

Je remercie l’ensemble de mes collègues qui ont contribué à cet important travail et cosigné cette proposition de résolution, en particulier les présidents des groupes politiques, qui ont tous accepté de s’associer à cette démarche. D’une même voix, nous demandons un engagement fort de notre pays et de la communauté internationale en faveur de la restauration de la sécurité en Haïti, condition indispensable à toute sortie de crise politique durable dans ce pays frère, meurtri et épuisé, mais digne et résilient.

Nous le devons à ce peuple qui, peut-être plus que tout autre, a fait siens les idéaux universels portés par les Lumières. La quête de liberté, le respect de la dignité humaine, la lutte contre l’oppression sont autant de valeurs que nous avons en partage et qui nous obligent mutuellement, créant entre nos deux pays un lien indéfectible qui traverse les siècles. L’humanité du peuple haïtien, blessé et malmené par tant de violence, nous invite à réagir.

N’oublions pas que la France est aussi un pays caribéen, et que nos territoires d’outre-mer sont aux premières loges du désolant spectacle de l’effondrement d’Haïti. Si nous ne réagissons pas fortement, nous savons que nous nous mettons en danger pour l’avenir. La violence ne pourra pas éternellement être circonscrite à ce qu’on appelait la perle des Antilles, que nous souhaiterions voir retrouver tout son lustre.

Je rappelle quelques chiffres, derrière lesquels se cachent autant de vies humaines, de destins brisés. Les gangs armés ont pris le contrôle de pans entiers du territoire, notamment à Port-au-Prince. Ainsi, plus de 80 % de la capitale serait désormais sous leur domination. Ces groupes se livrent à des affrontements sanglants ; ils contrôlent l’accès aux routes, aux ports, aux quartiers. Ils ont même fermé l’aéroport pour un temps et commettent enlèvements, viols collectifs, assassinats ciblés et extorsions.

Les violences ont fait des milliers de morts : pour la seule année 2024, au moins 5 601 personnes ont été tuées, 2 212 blessées et 1 494 kidnappées. Ce sont des chiffres de temps de guerre. Et pourtant, ce conflit ne dit pas son nom.

Parce qu’il n’y a pas de limite à l’horreur, les violences sexuelles sont désormais utilisées comme des armes. En recourant aux viols collectifs, c’est la soumission des communautés qui est recherchée, c’est l’espoir d’une reconstruction qui est anéanti.

Dans ce pays, qui est aussi victime d’une série noire de catastrophes naturelles – rappelons les 280 000 morts ayant suivi le séisme de 2010, ainsi que les destructions et pertes humaines causées par les ouragans qui s’abattent régulièrement sur l’île –, la violence vient aggraver la crise humanitaire.

Là aussi, les chiffrent donnent le tournis : on compte un million de déplacés internes, soit 9 % de la population ; près de la moitié de la population est en insécurité alimentaire ; la recrudescence du choléra fait des dizaines de victimes, en particulier chez les enfants de moins de 5 ans ; 80 000 personnes sont infectées par le VIH, alors que seuls 28 % des établissements d’hospitalisation sont pleinement opérationnels.

Le défi humanitaire est immense, et la France participe à une coalition des volontaires, notamment au travers des 16 millions d’euros d’aide humanitaire versés en 2024. Cependant le désengagement américain rebat les cartes de la solidarité internationale. Il nous oblige à revoir et à accentuer notre effort aux endroits où l’urgence est la plus absolue. Haïti fait partie des priorités. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous garantir que le budget consacré à l’aide humanitaire sera préservé, voire augmenté ?

La restauration de la sécurité est un enjeu majeur au cœur de la crise multidimensionnelle que traverse Haïti. Sans avancée décisive dans ce domaine, c’est tout le fonctionnement démocratique, économique et social du pays qui se trouve empêché.

Une première étape a été franchie avec la résolution du 2 octobre 2023 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui autorise la constitution et le déploiement d’une mission multinationale d’appui à la sécurité. Le Kenya a pris la tête de cette force, et un an et demi plus tard, un millier de policiers étrangers sont présents sur le terrain : 750 policiers kenyans, 150 militaires guatémaltèques, 75 militaires salvadoriens et 25 policiers de Jamaïque, des Bahamas et du Bélize. Mais ce déploiement est trop lent, les forces policières sont sous-équipées et elles ne parviennent pas à enrayer les violences, malgré le courage exceptionnel de leurs hommes, que je tiens ici à saluer.

L’un des obstacles majeurs est le financement de la mission, qui repose aujourd’hui uniquement sur les contributions volontaires des États. Ainsi, sur les 110 millions de dollars versés par les États membres depuis la création de la mission, le Canada apparaît comme le premier contributeur, à hauteur de 63 millions de dollars, suivi par les États-Unis, à hauteur de 15 millions de dollars. La part de la France s’est élevée à 8 millions d’euros en 2024.

À cela s’ajoutent les autres aides, versées directement par les États sans passer par le fonds onusien. Ainsi, les États-Unis de l’administration de Joe Biden avaient engagé plus de 300 millions de dollars en fonds et en équipements destinés à la mission multinationale, dont des dizaines de véhicules blindés. La France a, elle, consacré 2 millions d’euros en 2024 au soutien à la police nationale haïtienne et aux forces armées d’Haïti, car le renforcement des capacités locales est une condition indispensable à l’émergence de solutions pérennes.

Au regard de l’ampleur de la tâche à accomplir, de la poussée des gangs depuis la fin de l’année 2024 et de l’incertitude qui pèse sur la pérennité des contributions américaines, la communauté internationale n’a d’autre option que d’accentuer son effort.

S’il n’existe pas de majorité au sein du Conseil de sécurité des Nations unies pour avancer vers une véritable opération de maintien de la paix, comme le demande le gouvernement de transition haïtien, il nous faut réfléchir à des solutions de remplacement qui permettront de répondre au besoin de sécurisation des financements. La proposition du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies d’avancer vers un format hybride en créant un bureau de soutien de l’ONU permettrait de financer directement, sur budget onusien, toute la logistique liée à la mission internationale, notamment pour le logement, la nourriture, le transport et les communications.

Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, si la France appuiera l’adoption rapide de la proposition du secrétaire général de l’ONU ? Au-delà de cette réflexion de fond, quel sera le montant de la contribution française à la mission multinationale en 2025 ?

Mes chers collègues, nous avons aujourd’hui un devoir de fraternité, une responsabilité partagée. Car Haïti, terre de fierté et de douleur, a plus que jamais besoin d’un partenaire ambitieux dans sa vision et constant dans son engagement. Dans les temps d’incertitude qui s’ouvrent, sachons être à la hauteur de l’histoire qui nous lie. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et INDEP.)

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat lance cet après-midi une nouvelle alerte face au drame humain, sécuritaire, politique, environnemental, économique et social qui se joue dans le pays le plus peuplé des Caraïbes ; une nouvelle alerte qui traduit aussi notre capacité collective à adopter, au-delà de nos appartenances politiques respectives, des positionnements qui rassemblent l’ensemble des sensibilités républicaines représentées dans cet hémicycle.

Je veux, à cet égard, saluer l’initiative défendue par ma collègue Hélène Conway-Mouret, auteure de cette proposition de résolution, laquelle s’inscrit dans le prolongement de son engagement de longue date en faveur de la restauration de la sécurité en Haïti.

Haïti, un pays avec lequel la France partage des liens intimes, tissés au fil d’une histoire commune, une histoire aux pages teintées de lignes sombres, trop longtemps tue ; des liens étroits, cultivés à travers une langue partagée et à travers une relation récemment restaurée. Je rappelle d’ailleurs que la première visite officielle d’un chef d’État français depuis l’indépendance du pays, en l’occurrence François Hollande, a eu lieu il y a à peine une décennie, en mai 2015.

Haïti, deuxième État indépendant du continent américain, marqué par les séquelles de la colonisation et de l’esclavage, est l’une des premières voix de la liberté, de l’indépendance et de l’abolition.

Haïti est un État avec lequel la France a depuis plusieurs années engagé une coopération étroite, que nous devons à présent renforcer, à la fois en termes d’appui sécuritaire et d’aide humanitaire, tant la situation sur place est accablante et le contexte international propice à l’enlisement du pays dans la pluralité des crises auxquelles il est confronté.

Il y a une semaine, à Mirebalais, commune située au nord-est de la capitale de Port-au-Prince, les gangs armés, qui contrôlent deux des dix départements du pays, soit 50 % de la population, confirmaient qu’ils n’ont d’autre stratégie que de propager le chaos et le déchaînement de la violence.

Le tableau est glaçant : un assaut contre un établissement pénitentiaire, 529 détenus évadés, des policiers en sous-effectif fuyant le commissariat, des morts, des blessés parmi la population locale, contrainte de se réfugier dans les communes voisines, des autorités débordées et des bandes criminelles sur le point de prendre le contrôle de nouveaux territoires et de s’emparer d’infrastructures clés. Ce nouvel affrontement confirme que l’île est au centre d’un cataclysme sécuritaire, comme en témoignent les 5 601 personnes tuées en 2024. L’auteure du texte l’a rappelé dans son propos introductif.

Au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je veux à cet instant avoir une pensée pour la population haïtienne, touchée par l’assassinat de son président Jovenel Moïse en juillet 2021, puis par une crise ravivée par la démission en mars 2024 du Premier ministre Ariel Henry ; une population victime d’assassinats, de viols collectifs, d’enlèvements et de pillage ; une population marquée à jamais par les terribles séismes de janvier 2010 et d’août 2021.

Nous avons également une pensée pour nos compatriotes installés en Haïti, ainsi que pour les équipes de l’ambassade de France, contraintes de fermer les services d’accueil du public depuis le 20 mars dernier, comme ce fut déjà le cas durant trois semaines en novembre 2024, en raison des affrontements de rue qui ont lieu à quelques encablures de nos installations.

Face à l’ampleur de la crise, la tenue de ce débat témoigne d’une véritable prise de conscience. La proposition de résolution soumise à notre examen confirme combien il est urgent de venir en aide à la population haïtienne et de restaurer la sécurité dans le pays, préalable indispensable à la reprise d’un processus politique de sortie de crise permettant de restaurer les institutions et de préparer l’avenir. L’accord politique pour une transition pacifique et ordonnée, conclu le 3 avril 2024, fait d’ailleurs de la sécurité une priorité.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : avec un membre d’une force civile ou militaire pour mille habitants, les effectifs sont structurellement insuffisants, ce qui crée un rapport de force favorable aux gangs.

Dans ce contexte, nous nous associons pleinement à l’appel lancé par notre collègue Hélène Conway-Mouret visant à conforter le soutien de la France au déploiement de la mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) de la police nationale haïtienne, mise en place en 2023 sous l’égide des Nations unies. Cette mission compte à ce jour un millier de membres de forces de l’ordre.

La France a été au rendez-vous de l’appui à la sécurité. Elle a mobilisé au total dix millions d’euros l’an dernier, en soutien à cette mission multinationale, à la police nationale haïtienne ainsi qu’aux forces armées insulaires. Face à l’aggravation de la crise, il convient désormais d’aller plus loin et d’accentuer notre effort.

Mes chers collègues, ce texte est aussi un appel au sursaut humanitaire, un appel à agir plus vite et plus fort en faveur du million de femmes, d’hommes, mais aussi de nouveau-nés et d’enfants déplacés du fait de la violence des gangs : 13 % d’entre eux sont entassés au sein des 142 camps de déplacés, souvent dans des abris de fortune. Entre mi-février et mi-mars, plus de soixante mille personnes ont été au cœur de ces mouvements, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) de l’ONU.

Face à la détérioration des conditions de vie de la population haïtienne, nous demandons une amplification du soutien de la France en termes d’aide humanitaire et alimentaire. En effet, 5,6 millions de personnes, soit près de la moitié de la population, se trouvent actuellement en situation d’insécurité alimentaire.

Nous alertons également sur le risque pesant sur les personnes les plus vulnérables, susceptibles d’être recrutées demain par les gangs dont elles sont aujourd’hui les victimes. La promesse d’une vie meilleure au sein de ces bandes criminelles conduira mécaniquement à une spirale incoercible de violences. Là aussi, il est urgent d’agir, particulièrement au sein des camps de déplacés, qui pourraient bientôt être privés d’eau, de nourriture et de soins.

En 2024, la France a été au rendez-vous de l’aide humanitaire, en mobilisant 16 millions d’euros et en finançant la construction de cantines scolaires dans neuf départements sur les dix que compte le pays. Cela représente 80 000 repas par jour, il faut le souligner.

De solidarité, il a également été question l’an passé avec la mobilisation de 2 millions d’euros pour aider les sites accueillant les personnes déplacées et de 2 millions d’euros supplémentaires pour soutenir les Haïtiens renvoyés de la République dominicaine. Depuis octobre 2024, ils seraient 200 000 à avoir été confrontés à cette situation. Ce chiffre est préoccupant à l’heure où les États-Unis multiplient eux aussi les procédures de renvoi.

En matière d’aide humanitaire, nous devons à tout le moins poursuivre nos efforts et maintenir les crédits alors que les besoins financiers sont estimés à 908 millions de dollars en 2025, soit une augmentation de 35 % par rapport à 2024.

Sur ce double volet de la sécurité et de l’aide humanitaire, la France doit demeurer au rendez-vous et à la hauteur des enjeux, à l’heure où la reconfiguration géopolitique en cours aura bientôt pour effet collatéral une réduction de l’aide des États-Unis. Jusqu’à présent, le soutien de Washington était massif. Les Américains finançaient 60 % de l’aide humanitaire et, exemple concret, 90 % des moyens de la lutte contre le sida. Ce soutien était essentiel pour les 80 000 personnes infectées par le virus.

Pour ces raisons, et eu égard aux liens étroits tissés avec Haïti, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera naturellement cette proposition de résolution.

Monsieur le ministre, je saisis l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer pour renouveler les alertes que nous avons déjà lancées concernant les conséquences de la réduction des crédits consacrés à l’aide publique au développement. Si celle-ci ne représente que 1 % du budget total de l’État, elle supporte à elle seule 10 % des coupes budgétaires en 2025, après une première réduction en 2024.

Défendre l’aide publique au développement, c’est choisir l’investissement de long terme, c’est avoir la conviction que la prospérité et la stabilité des nations sont indissociablement liées, c’est agir concrètement et résolument en faveur des programmes vitaux pour la santé, pour l’éducation, pour l’assainissement, pour l’agriculture et pour le soutien aux droits des femmes.

La situation en Haïti impose à la France d’emprunter un autre chemin ; le principe de fraternité l’appelle à agir face aux défis mondiaux de la pauvreté, des inégalités et de l’insécurité, fidèle à ses valeurs de fraternité et de solidarité et à l’esprit des Lumières, inscrites au cœur de son ADN. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le travail accompli par notre collègue Hélène Conway-Mouret, auteure de cette proposition de résolution, ainsi que par ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Voilà maintenant un peu plus d’un an que le Premier ministre Ariel Henry a démissionné de sa fonction de chef de l’État haïtien par intérim, après avoir passé deux ans et demi à gouverner un État à la dérive, à la suite de l’assassinat du président Jovenel Moïse. Haïti est aujourd’hui considéré comme un État failli ; l’autorité n’y existe plus, le droit a disparu. Ne subsiste désormais que la loi du plus fort.

Les gangs s’y disputent le territoire en raison de la profusion d’armes à feu et leurs affrontements font de nombreuses victimes, tant au sein des bandes armées que parmi les civils. Hélas, ils prennent également la population pour cible et commettent des crimes atroces. L’ONU a ainsi indiqué que 4 239 personnes ont été tuées au cours des dix-huit derniers mois. Ce chiffre témoigne de l’ampleur du chaos, mais aussi des moyens considérables dont disposent ces groupes criminels.

Ces gangs enlèvent des civils, les torturent et parfois les assassinent. Les viols, y compris collectifs, se multiplient et le sort réservé aux filles et aux femmes est particulièrement alarmant. Certaines sources font même état de traite d’enfants. La communauté internationale ne peut laisser faire cela.

Ces drames n’épargnent aucun Haïtien. Durant le seul mois de mars, plus de 60 000 personnes ont été déplacées. Les forces de l’ordre locales, quant à elles, dépassées et démoralisées, basculent parfois du côté des gangs. Ainsi, Jimmy Chérizier, tristement célèbre, est passé de policier à chef de gang ; il a participé à des massacres, ainsi qu’à des attaques de prisons ayant conduit à l’évasion de près de 4 000 prisonniers.

Face à cette situation, de nombreux Haïtiens fuient vers l’État voisin de Saint-Domingue. Cette dynamique migratoire engendre des tensions croissantes avec la République dominicaine, où des manifestations hostiles aux migrants haïtiens se sont produites.

Haïti est devenu un enfer à ciel ouvert, livré aux mains de bandes armées. Ce chaos intervient après plusieurs catastrophes naturelles, tremblements de terre, ouragans, ayant considérablement affaibli la population ainsi que les institutions du pays, et provoqué un très grand nombre de victimes.

La communauté internationale s’accorde sur la nécessité d’agir. Une mission multinationale d’appui à la sécurité est en cours. Nous rendons hommage à l’engagement de ces forces, composées majoritairement d’éléments originaires du Kenya, qui risquent chaque jour leur vie pour tenter de restaurer l’ordre.

Alors que la situation est loin d’être sous contrôle, les États-Unis, deuxième bailleur de cette mission, ont récemment annoncé la suspension de leur financement, infligeant un coup dur à une opération déjà fragile.

Nos collègues soumettent aujourd’hui à notre vote une proposition de résolution afin que cette tragédie ne tombe pas dans l’oubli et que des moyens soient mis en œuvre pour remédier à la situation. Tous les présidents de groupe de notre assemblée ont cosigné cette proposition, témoignage de notre unanimité sur ce sujet, dont le volet humain est fondamental.

Il est souvent dit que la sécurité est la première des libertés ; Haïti en offre une démonstration tragique. Pour la population, le danger est permanent. Tant que la sécurité ne sera pas rétablie, la situation humanitaire ne s’améliorera pas et l’économie demeurera paralysée.

La France contribue déjà à la MMAS à hauteur de plusieurs millions d’euros ; elle concourt également à la formation des forces de l’ordre haïtiennes. Cet engagement indispensable doit être poursuivi, mais le maintien de la mission elle-même devra sans doute être réexaminé après le gel du financement américain.

Parallèlement aux efforts de maintien de l’ordre, la communauté internationale devra renforcer le soutien logistique, médical et humanitaire, car restaurer la sécurité ne suffira pas. Il faudra également aider Haïti à reconstruire un tissu social, économique et institutionnel.

Au cours de la reconstruction, il faudra veiller à créer les conditions d’une paix durable et à soutenir un renouveau politique fondé sur des processus démocratiques robustes. L’urgence aujourd’hui est au retour à l’ordre. Des moyens à la hauteur de la catastrophe doivent être engagés si nous entendons l’enrayer.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera à l’unanimité cette proposition de résolution urgente, dont le volet humain est fondamental, en formant le vœu qu’elle contribue à améliorer la situation. (Applaudissements.)