Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Belin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Belin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui à la fraternité internationale !
Évoquer Haïti, c’est avant tout témoigner d’un attachement jamais démenti à ce pays, où j’ai eu la chance de me rendre à l’occasion de huit missions entre 2009 et 2018, notamment quelques semaines avant, puis quelques semaines après, le séisme du 12 janvier 2010.
J’ai vu alors Haïti amorcer une longue descente aux enfers, précipitée par l’incurie et par l’impuissance politique face à l’embolie née de la faiblesse des institutions, ainsi que par la violence intérieure, responsable de la gangrène imposée au pays par des gangs sans autre légitimité que celle que la peur confère aux peuples contraints de survivre au jour le jour.
En Haïti, rappelons-le, un habitant dispose en moyenne de 1 dollar par jour pour vivre, dans un pays sans avenir.
Il s’agit d’un pays failli, dans lequel l’unité d’usage monétaire, le dollar haïtien, né du souvenir de l’occupation américaine entre les deux guerres, n’existe pas légalement et où l’unité légale, la gourde, exprime à elle seule tout le poids qui pèse sur le pays. Haïti est le carrefour de toutes les misères, de toutes les violences.
C’est aussi une géographie et une histoire qui nous parlent ; une histoire commencée avec la France dès le début du XIXe siècle : souvenons-nous de 1804, de Toussaint Louverture, de la première République proclamée, de ce seul État francophone des deux Amériques.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. Bruno Belin. C’est également une géographie, proche de nos Antilles, située au carrefour de tous les trafics qui nous préoccupent au quotidien : la marijuana venant de Jamaïque, la cocaïne de Colombie.
Cette géographie et cette histoire nous obligent, c’est pourquoi je me suis associé dès le début à la proposition de résolution de notre collègue, car elle porte une espérance essentielle.
Je salue la présence de l’ambassadeur dans nos tribunes ; je salue surtout votre présence, monsieur le ministre, qui témoigne de l’engagement de la France au travers de cette proposition de résolution.
Oui, cette proposition de résolution porte en elle une espérance, qui en évoque une autre, celle que nous avons pu concrétiser, au milieu des années 2010, dans la ville de Marigot, au sud-est d’Haïti, sur les hauteurs de Macary. Une école y a été créée, portant le nom d’une jeune fille française originaire du canton dont je suis moi-même issu : Fanny Lefèbvre. Je lui dédie aujourd’hui cette intervention en pensant à Haïti.
Vive Haïti ! (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Buval.
M. Frédéric Buval. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution a pour ambition de donner une impulsion politique en faveur d’une intervention internationale et d’un soutien accru à Haïti, afin de rétablir la sécurité face aux violences et aux actes de barbarie commis envers la population civile par les gangs. Cette volonté, portée par notre diplomatie parlementaire, apparaît essentielle au regard de la situation chaotique dans laquelle Haïti est aujourd’hui plongé.
Ce pays des Caraïbes traverse l’une des pires crises de son histoire, marquée par une instabilité politique persistante, par une insécurité grandissante et par une catastrophe humanitaire alarmante. Déjà fragilisé par des décennies de troubles politiques et de catastrophes naturelles, il fait désormais face à une détérioration sans précédent de ses conditions de vie.
Les gangs armés contrôlent de vastes zones, notamment 80 % de la capitale, Port-au-Prince, où les enlèvements, les violences, les viols et les affrontements sont devenus monnaie courante. La population vit dans la peur constante et les forces de l’ordre, insuffisamment équipées et parfois corrompues, ne parviennent pas à rétablir l’ordre.
La situation humanitaire est tout aussi dramatique. La pauvreté touche plus de 60 % de la population, et l’accès aux biens et aux services essentiels tels que l’eau potable, l’éducation et les soins de santé restent très limités. L’insécurité alimentaire atteint des niveaux critiques, près de la moitié des Haïtiens vivant en situation de sous-alimentation. Plus de 60 000 habitants ont été déplacés en un mois dans la capitale, tandis que plus d’un million de personnes ont dû quitter leur lieu de vie dans le pays, un chiffre qui a triplé en seulement une année.
Depuis plus de deux siècles, la France porte une dette historique envers ce peuple martyr, à qui elle a imposé le paiement d’une indemnité massive de 150 millions de francs-or en échange de la reconnaissance de son indépendance.
Cette somme exorbitante, équivalant à environ 21 milliards de dollars actuels, représentait à l’époque une indemnisation des colons pour la perte de leur outil de travail, autrement dit les esclaves. Une telle dette était indigne de la France et son paiement a entraîné un retard considérable dans le développement d’Haïti.
Ce lourd héritage nous oblige aujourd’hui à ne pas rester indifférents au sort d’Haïti, pays plongé dans une crise sans précédent dont il ne pourra sortir sans la solidarité internationale, notamment celle de la France.
De surcroît, la situation actuelle constitue une menace pour la stabilité et la sécurité de toute la région caraïbe, dans laquelle la France a une responsabilité particulière.
Cette crise a en effet des répercussions majeures, en particulier en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane. Ces territoires partagent des liens historiques et culturels forts avec Haïti et sont confrontés à une hausse significative de l’immigration haïtienne, tant légale qu’irrégulière.
Cette augmentation des flux migratoires met les capacités d’accueil et d’accompagnement des autorités locales sous pression. Les préfectures des Antilles doivent gérer un nombre croissant de demandes d’asile, alors même que leurs services administratifs sont déjà saturés. Les centres d’hébergement d’urgence se trouvent souvent débordés et les municipalités doivent faire face à la hausse des besoins en logement, en éducation et en soins pour ces nouveaux arrivants.
Les systèmes de santé en Guadeloupe et en Martinique sont pourtant déjà fragilisés par des pénuries de personnel et des difficultés budgétaires ; les écoles locales, en particulier dans les quartiers où s’installent majoritairement les Haïtiens, sont saturées et doivent faire face à des défis linguistiques et pédagogiques, certains enfants ne maîtrisant pas suffisamment le français ou nécessitant une remise à niveau scolaire.
Face aux difficultés de nos territoires ultramarins, la France a certes mis en place plusieurs dispositifs, mais ceux-ci demeurent malheureusement insuffisants au regard de la gravité de la situation.
Pour le peuple haïtien, nous devons agir afin d’aider au rétablissement de la sécurité et de faciliter une transition démocratique. Cette proposition de résolution allant dans ce sens, le groupe RDPI la soutiendra naturellement. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.
Mme Sophie Briante Guillemont. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur l’ambassadeur, mes chers collègues, Haïti est un pays brisé. Pays le plus pauvre des Amériques, il se trouve confronté, depuis des décennies, à une crise politique, économique, sociale et sécuritaire sans précédent, à laquelle viennent s’ajouter séismes, ouragans et épidémies. Ainsi, l’histoire récente d’Haïti est le récit d’une longue descente aux enfers.
Cette situation n’est pas le fruit du hasard. À l’issue d’une longue révolte, Haïti proclame son indépendance le 1er janvier 1804, devenant ainsi la première République noire. Pourtant, cette indépendance ne fut reconnue par la France qu’au terme du paiement d’une dette colossale imposée à ce petit État des Caraïbes. Haïti ne s’en est acquittée qu’en 1883 pour le principal et jusque dans les années 1950 pour les intérêts.
Selon certaines évaluations, certes controversées, mais régulièrement évoquées, ces paiements à la France auraient coûté à Haïti entre 20 milliards et 110 milliards d’euros en perte de croissance, montants que certains qualifient sans hésitation de véritables rançons.
Si l’on ajoute à cela l’occupation du pays par les États-Unis au début du XXe siècle, la corruption successive de ses dirigeants et les catastrophes naturelles, l’on comprend mieux pourquoi Haïti, perle des Antilles, figure désormais parmi les pays les plus pauvres du monde.
La misère qui y sévit est un terreau fertile ayant permis la généralisation de l’insécurité. Aujourd’hui, il est impossible de vivre à Port-au-Prince sans y être reclus et sans éprouver la peur constante d’y perdre la vie.
Depuis plusieurs années, des gangs font régner la terreur partout en Haïti : plus de 5 000 homicides ont été recensés l’an dernier, soit 1 000 de plus qu’en 2023. À ces meurtres s’ajoutent des actes de violence innommables contre la population, dont des crimes sexuels, désormais systématiques, des enlèvements et des pillages.
Le pays est plongé dans une profonde instabilité politique depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, événement ayant accéléré la dégradation sécuritaire. La démission forcée du Premier ministre Ariel Henry l’année dernière n’a pas permis d’enrayer ce chaos politique et la spirale de la violence.
Les gangs contrôlent désormais une large partie du territoire, dont 85 % de la capitale, Port-au-Prince. Si la sécurité constitue l’une des priorités du Conseil présidentiel de transition, celui-ci peine cependant à asseoir sa légitimité auprès des Haïtiens, confrontés à une situation humanitaire intolérable.
Les chiffres sont alarmants : on recense plus d’un million de déplacés internes et, selon les ONG présentes sur place, la moitié de la population souffre d’insécurité alimentaire. Autrement dit, Haïti est plongé dans une véritable crise humanitaire.
Dans ce contexte, l’arrêt brutal de l’aide des États-Unis risque de précipiter le pays dans une crise encore plus grave. En 2024, ceux-ci ont en effet accordé 400 millions d’euros d’aide à Haïti, finançant 17 % du budget national, dont des programmes vitaux. Désormais, les ONG et les associations locales se voient contraintes de fermer.
Je rappelle par ailleurs que 900 de nos compatriotes environ résident encore en Haïti. Nous avons perdu entre un tiers et la moitié de la communauté française en quelques années ; beaucoup de ses membres ont dû fuir dans des conditions particulièrement difficiles et coûteuses : l’accès à l’aéroport étant restreint, le moyen le plus sûr de quitter le territoire est l’hélicoptère, solution malheureusement hors de portée pour nombre d’entre eux.
L’ambassade de France elle-même a été contrainte de fermer à plusieurs reprises et reste fermée à ce jour, jusqu’à nouvel ordre, ce qui emporte des conséquences évidentes sur les services consulaires. À cet égard, je tiens à saluer son action remarquable ainsi que celle de notre marine nationale, qui ont permis d’évacuer en mars 2024 plus de 200 personnes, Français et Européens résidant en Haïti, contraints de tout quitter.
Le lycée français Alexandre-Dumas ferme lui aussi régulièrement. Lorsqu’il reste ouvert, alternant cours en présentiel et en distanciel, les enseignants, le personnel et les élèves doivent improviser au jour le jour. Je tiens ici à souligner particulièrement leur engagement.
Pour nos compatriotes comme pour les Haïtiens, mais également pour l’ensemble des pays de la région, à commencer par la République dominicaine voisine, la restauration de la sécurité dans le pays constitue donc un enjeu vital. Tel est précisément l’objet de la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui ; je remercie notre collègue socialiste de l’avoir présentée.
Sortir Haïti de la crise dans laquelle le pays est plongé nécessitera un effort international considérable. Un premier pas a certes été engagé avec la mission menée par le Kenya, mais celle-ci reste insuffisante, pour ne pas dire décevante. Il convient désormais de passer à la vitesse supérieure en renforçant la police nationale haïtienne et en organisant un retour durable à la paix. Un embargo sur les armes ainsi qu’une lutte efficace contre leur trafic doivent être instaurés immédiatement, car Haïti n’en produit pas.
Après cette réponse sécuritaire, devenue inévitable compte tenu du degré de violence atteint, devra nécessairement venir une réponse politique. Que ferons-nous des 15 000 hommes membres des gangs, dont près de la moitié sont mineurs ? Est-il réellement possible de les réintégrer dans la société haïtienne ?
À l’heure où les États-Unis se replient sur eux-mêmes, il est essentiel que la communauté internationale utilise tous les moyens à sa disposition pour accompagner Haïti et l’aider à sortir de l’engrenage de la violence. La France, de par l’histoire qui la lie à ce pays, doit être motrice dans ce déploiement.
Le groupe du RDSE votera évidemment cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Perrot.
Mme Évelyne Perrot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma chère Hélène Conway-Mouret, merci de nous permettre, cet après-midi, d’évoquer la situation d’un pays en grande souffrance.
Les défis auxquels Haïti se trouve confronté sont multiples et interconnectés, touchant à la sécurité, à l’économie, à la politique, mais aussi, bien sûr, à l’humanitaire. Le pays, déjà éprouvé par des catastrophes naturelles dévastatrices telles que les séismes de 2010 et de 2021, peine à se relever.
Haïti est actuellement en proie à une insécurité croissante, principalement imputable à la violence des gangs. Selon les dernières informations disponibles, 85 % de la zone métropolitaine de Port-au-Prince se trouvent sous contrôle de ces groupes armés.
Entre janvier et septembre 2024, au moins 3 600 personnes ont été tuées et 750 000 autres contraintes de fuir leur domicile. Cette violence a conduit à l’isolement terrestre, maritime et même aérien de Port-au-Prince, après que des tirs de gangs sur des avions de ligne américains ont entraîné la fermeture de l’aéroport et la suspension des liaisons aériennes.
La situation humanitaire est également désastreuse. Plus de la moitié de la population, soit 5,5 millions de personnes, souffre d’insécurité alimentaire aiguë ; 2 millions de personnes se trouvent en situation d’urgence alimentaire et près de 6 000 vivent dans des conditions de famine. La malnutrition, répandue notamment chez les enfants, emporte des conséquences dévastatrices sur leur développement et leur avenir. L’accès aux soins de santé se trouve gravement compromis, la moitié seulement des établissements médicaux de la capitale demeurant pleinement opérationnels.
Depuis le début de l’année 2025, plus de 40 000 enfants ont été forcés de quitter leur foyer en raison de l’escalade des violences, et nous ne sommes que le 10 avril ! Les enfants sont particulièrement vulnérables, les violences sexuelles dont ils sont victimes ayant augmenté de 1 000 % entre 2023 et 2024. En outre, le nombre d’enfants recrutés dans les rangs des groupes armés est en hausse de 70 %.
Sur le plan économique, Haïti fait face à des défis immenses. Selon la Banque mondiale, plus de 64 % de sa population vit avec moins de 3,65 dollars par jour. La crise sécuritaire et l’instabilité politique rendent difficile l’accès aux ressources essentielles, en premier lieu alimentaires, pour une grande partie de la population.
Le processus politique demeure fragile et les institutions publiques sont en ruines. L’instabilité politique s’est aggravée depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021, plongeant la nation dans un vide institutionnel préoccupant.
La dernière élection présidentielle et les dernières élections législatives remontent à 2016, et le Parlement haïtien n’est plus opérationnel depuis janvier 2020. Les tensions entre le Conseil présidentiel de transition et le Premier ministre ont conduit à des changements fréquents dans le gouvernement d’Haïti, compliquant encore plus la situation politique.
La corruption et l’impunité sont omniprésentes, ce qui complique encore davantage la résolution de la crise. Les efforts de la police nationale haïtienne et de la mission multinationale d’appui à la sécurité mandatée par le Conseil de sécurité des Nations unies n’ont pas réussi à enrayer la violence. L’État perd inexorablement du terrain face aux gangs, qui étendent leur contrôle et imposent leur propre loi dans de nombreuses zones.
La communauté internationale a un rôle crucial à jouer pour aider Haïti à sortir de cette crise. Tel est l’objet de la proposition de résolution transpartisane que nous examinons aujourd’hui. Il est en effet impératif d’accélérer le déploiement de la MMAS et de s’assurer que des mécanismes de conformité aux droits de l’homme sont pleinement en place.
Ce déploiement est d’une impérieuse nécessité au regard de la situation humanitaire du pays et du poids des gangs. Il nous faut en effet accentuer la coopération policière entre la France et Haïti, notamment en faveur de la formation des policiers, mais aussi pour l’acheminement d’armes adaptées à la lutte contre les gangs.
L’accord signé à Kingston il y a un peu plus d’un an, le 11 mars 2024, est un bon début. Il a acté la mise en place du Conseil présidentiel de transition, dont la principale mission est l’installation d’un nouveau chef d’État d’ici au mois de février 2026, dans moins d’un an.
La proposition de résolution appelle enfin à mener une action déterminée pour assurer un acheminement rapide et sécurisé de l’aide humanitaire en Haïti. Cette dernière est vitale pour la population, comme en témoignent les chiffres que j’ai cités au début de mon intervention.
C’est donc tout naturellement que le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation en Haïti est dramatique, nous en convenons tous.
Faute de moyens suffisants et d’un appareil institutionnel stable, l’État haïtien peine à assurer la sécurité de sa population. Les gangs armés, profitant du vide laissé par des institutions affaiblies, exercent une emprise très inquiétante sur de larges pans du territoire et sur une part toujours croissante de la société. Face à cette détérioration, le Gouvernement haïtien a sollicité en octobre 2022 l’appui d’une force multinationale, une initiative qui a été ensuite validée par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Une majorité des membres de notre groupe soutient le principe de ce déploiement, guidée par la conviction que chaque citoyen a droit à la sécurité et à la dignité.
Toutefois, ce soutien ne doit pas nous dispenser d’un examen lucide et rigoureux du contexte. L’approche exclusivement sécuritaire qui s’exprime dans ce texte, de même que dans les documents annexes transmis aux membres du groupe d’amitié France-Caraïbes, risque de réduire une crise profondément politique à une seule urgence humanitaire.
L’histoire récente d’Haïti montre que les interventions armées étrangères, quoiqu’elles soient souvent motivées par de bonnes intentions, ont rarement permis de stabiliser durablement le pays. Plus d’une dizaine de missions se sont succédé en trente ans, sans parvenir à enrayer la spirale de l’instabilité. Leur échec tient souvent au caractère partiel de l’analyse faite des causes de la crise haïtienne.
Il est essentiel de le souligner, l’insécurité est non pas une cause, mais une conséquence. La crise actuelle est le fruit d’un enchevêtrement de facteurs : effondrement institutionnel, corruption systémique, inégalités sociales criantes, absence de perspectives économiques et persistance d’une élite politique et économique exerçant un contrôle informel sur les rouages de l’État. Plusieurs rapports, dont certains émanent des Nations unies, mettent d’ailleurs en lumière les liens très étroits entre certains groupes armés et des figures influentes de cette élite.
Dans ce contexte, une force internationale agissant sans véritable feuille de route politique ni coordination avec des acteurs légitimes risque de renforcer un statu quo déjà largement rejeté par la population. En effet, le gouvernement en place depuis juillet 2021, non élu, ne bénéficie d’aucune légitimité démocratique et apparaît de plus en plus comme un exécutif soutenu seulement par l’extérieur.
Le risque est grand qu’une telle mission, au lieu de renforcer les institutions, ne fasse qu’affermir une police décriée pour sa corruption et ses connivences supposées avec les gangs. L’expérience passée, notamment l’épidémie de choléra introduite par des Casques bleus et les cas documentés d’abus commis par ces mêmes troupes, appelle à une vigilance extrême, d’autant que les victimes de ces précédentes missions attendent toujours justice et réparation.
La seule issue durable à la crise haïtienne passe par un processus politique inclusif et souverain. À cet égard, l’accord de Montana, élaboré par un large éventail d’organisations de la société civile haïtienne – syndicats, églises, associations de défense des droits humains, mouvements féministes – constitue une initiative sérieuse. Il propose une transition de rupture avec les pratiques actuelles, en vue d’élections libres et crédibles, et le rétablissement des trois pouvoirs de l’État.
Enfin, il est urgent d’ouvrir un débat international sur la dette d’Haïti, à commencer par la dette dite de l’indépendance, imposée par la France au XIXe siècle, qui a lourdement entravé le développement du pays. Toute stratégie d’aide internationale devrait intégrer l’annulation complète des dettes actuelles, mais aussi la reconnaissance de cette dette historique.
En conclusion, nous ne pouvons nous contenter d’une réponse armée. Il faut une vision globale, respectueuse de la souveraineté du peuple haïtien et construite en partenariat avec les forces vives du pays. La sécurité, certes, mais jamais au détriment de la démocratie ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, RDSE et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation d’Haïti est catastrophique sur tous les plans.
Elle l’est, tout d’abord, en matière socio-économique : Haïti est le pays le plus pauvre des Amériques depuis des décennies, et 36 % de la population survivent avec moins de deux dollars par jour. Le pays est régulièrement frappé par des catastrophes naturelles, avec de très forts séismes, en 2010 et en 2021, des ouragans et des inondations.
À chaque catastrophe, les morts se comptent par milliers et les services publics se retrouvent en lambeaux. La santé des Haïtiens s’en trouve très dégradée : la mortalité infantile et maternelle reste élevée, la faim est omniprésente et le choléra fait des ravages.
Face à une telle crise humanitaire, la vie politique haïtienne connaît un chaos total. Depuis 2020, le pouvoir législatif a cessé de fonctionner, avec la fin du mandat de l’ensemble des députés, puis des sénateurs.
L’année suivante, le président haïtien Jovenel Moïse a été assassiné, dans un contexte de guerre des gangs, de trafic de drogue et de corruption généralisée. Plusieurs millions de dollars étaient ainsi cachés dans la chambre du président Moïse. Depuis deux ans, il n’y a plus aucun élu en fonctions en Haïti ; la légitimité du Premier ministre par intérim, Ariel Henry, nommé quarante-huit heures avant ce meurtre, est extrêmement faible.
L’État haïtien est donc en déliquescence totale. Mais la nature a horreur du vide. Sans État, ce sont les mafias qui prennent le relais, assurant une sécurité toute relative en contrepartie d’un racket de la population. De nombreux groupes armés se disputent le territoire et s’affrontent pour le contrôle du trafic de drogue vers les États-Unis.
La violence est endémique : l’an dernier, plus de 5 600 personnes ont été tuées, plus de 2 200 blessées et près de 1 500 kidnappées. Port-au-Prince, la capitale, détient ainsi le macabre record de la ville la plus violente au monde. Un million d’Haïtiens ont dû fuir leur logement face à ce climat de terreur.
Soyons clairs : cette situation ne peut plus durer. Le règne des gangs et le dénuement des Haïtiens méritent toute l’attention de la communauté internationale.
La résolution adoptée le 2 octobre 2023 par le Conseil de sécurité des Nations unies, qui a donné naissance à la mission multinationale d’appui à la sécurité, est un premier pas positif. Comme souvent dans l’histoire d’Haïti, la France et les États-Unis ont été les plus actifs dans ce processus. Les États-Unis apportent notamment à la MMAS un soutien financier, logistique, de renseignement, de personnel et de matériel militaire.
Toutefois, l’histoire des relations d’Haïti avec la France et les États-Unis est si tragique que ces deux nations ont perdu toute légitimité pour prétendre résoudre les problèmes de l’ancienne Saint-Domingue.
Longtemps sous domination française, la perle des Antilles s’est libérée du joug de l’esclavage à partir de 1791, puis est devenue indépendante en 1804. Cette libération, portée par Toussaint Louverture et les Jacobins noirs, a envoyé un message d’espoir au reste du monde colonisé et nous a rappelé que la Révolution française n’est pas complète si elle ne s’applique pas aussi aux esclaves et aux colonies.
Malheureusement, la France monarchiste de Charles X obligea ensuite les esclaves à rembourser leurs anciens maîtres, en menaçant Port-au-Prince de la flotte royale. Cet épisode honteux de l’histoire française, dont nous commémorerons dans quelques jours le bicentenaire, est totalement oublié chez nous. Il ne l’est pas en Haïti, qui a consacré 80 % de son budget au remboursement de cette dette illégitime pendant cent vingt-deux ans.
Depuis lors, le soutien de la France et des États-Unis à la dynastie des Duvalier, de sanguinaires dictateurs qui ont ruiné le pays pour s’enrichir, a achevé de plomber notre réputation sur place. La France a également hébergé le fils Duvalier, dit Baby Doc, durant vingt-cinq ans, alors même qu’il était recherché pour crimes contre l’humanité. Avec un tel passif, autant dire que la population haïtienne n’attend pas grand-chose de la France ! Il est donc positif que la MMAS, chargée de rétablir la sécurité en Haïti, ait été placée sous le commandement du Kenya.
Au travers de cette résolution, nous affirmons notre soutien à cette initiative, nécessaire pour mettre un terme au règne des gangs et permettre la bonne distribution de l’aide humanitaire.
Néanmoins, comme nous l’ont rappelé les précédentes missions des Nations unies déployées sur place, nous devrons rester vigilants pour faire en sorte que les forces kenyanes ne commettent pas d’exécutions sommaires, comme le craignent les observateurs.
L’histoire de nos relations avec Haïti nous invite à rester humbles et à apporter une aide utile à ce pays. C’est justement ce que permet cette proposition de résolution ; je tiens à en remercier notre collègue Hélène Conway-Mouret. Par ce texte, nous enverrons un message de soutien fort au peuple haïtien, qui en a cruellement besoin.
C’est dans cet esprit que nous avons joint nos signatures à cette proposition de résolution et que nous la voterons. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, CRCE-K, RDPI et INDEP.)