M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier nos collègues communistes pour ce débat qui fait suite à la publication en mars de la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, intitulée Ulysse Fret. Formons le vœu que, sous ce titre enchanteur, nous retrouvions le chemin du rail, car, pour l’heure, ce secteur se débat entre Charybde et Scylla.
Le transport de fret ferroviaire est au plus bas ; les chiffres confirment que l’activité est en berne tandis que le transport routier se taille la part du lion, avec près de 90 % des tonnes-kilomètre. La part du fret ferroviaire est ainsi passée sous la barre des 10 % du transport de marchandises.
En Nouvelle-Aquitaine, le dernier contrat de plan État-région (CPER) fait état d’une part modale excessivement faible, de l’ordre de 2,3 %. Si l’étude de vos services relève que 2023 fut une année marquée par une forte baisse imputable aux mouvements sociaux et aux prix élevés de l’électricité, elle met surtout en évidence une tendance lourde que nous ne parvenons pas à redresser, y compris dans le transport combiné rail-route.
Cette situation est un crève-cœur pour tous les Français attachés au maillage du territoire et aux infrastructures que nous voyons dépérir et dont nous constatons la sous-utilisation. Il est difficile de comprendre ce démantèlement d’un outil majeur pour la décarbonation de nos échanges commerciaux et pour la sécurisation du transport routier.
Dans le même temps, le Parlement européen a voté une révision de la directive relative aux poids et dimensions visant à permettre la circulation de mégacamions. Il est déconcertant qu’un tel gigantisme routier soit encouragé par la représentation européenne.
Nous pouvons nous interroger sur notre capacité à atteindre le doublement du trafic d’ici à 2030, pourtant inscrit dans la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et Résilience, alors que nous accusons une chute à peine quatre ans plus tard.
Monsieur le ministre, avez-vous de bonnes nouvelles à nous annoncer en la matière ?
La stratégie nationale, qui s’étale sur une période de dix ans, évoque la mise en place d’actions à gain rapide. Pourriez-vous nous préciser celles d’entre elles qui ont d’ores et déjà été identifiées ? Le Gouvernement annonçait un plan d’investissement de 4 milliards d’euros jusqu’en 2032, dont 900 millions pour l’État, en faveur du fret ferroviaire, la moitié passant par les CPER.
Cependant, les documents relatifs à la stratégie relèvent eux-mêmes le problème suivant : un CPER voté ne permet souvent pas d’identifier les lignes concernées par de potentielles modifications ; en outre, sans investissement, la pérennité des lignes capillaires n’excède pas dix ans.
Des projets emblématiques, comme l’autoroute ferroviaire Cherbourg-Mouguerre, dans les Pyrénées, sont pour autant bien spécifiés et identifiés. Je tiens également à saluer, dans un autre registre, l’intégration de projets de fret fluvial, comme celui de Damazan, un sujet qui mériterait un débat à lui seul.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser où en sont les accords de programmation des avenants aux CPER ? Disposerons-nous bientôt d’une visibilité à ce sujet ?
Enfin, nous sommes confrontés à des questions préoccupantes dans le Sud-Ouest, avec la création de la ligne nouvelle – à grande vitesse – du Sud-Ouest (LNSO) entre Bordeaux et Toulouse. Nos concitoyens s’en souviennent et s’en souviendront longtemps, car ils y contribuent financièrement alors qu’ils ne le devraient pas. Le tracé avance aujourd’hui, mais il n’a pas fait l’objet d’une véritable réflexion concernant le fret, ce qui l’exclut de notre débat.
Il me semble qu’il est temps de mettre tous les acteurs autour de la table, en particulier nos entreprises, pour nous rapprocher de leurs besoins en termes de fret et d’infrastructures de stockage.
Le Lot-et-Garonne et les départements voisins sont producteurs de matières agricoles, mais également fabricants de matériaux de construction. Nous disposons d’atouts pour développer le fret ferroviaire, par exemple sur les lignes Agen-Auch et Agen-Périgueux, au sujet desquelles je vous ai sensibilisé. Des projets viables sont d’ores et déjà sur la table, qui pourraient permettre de désengorger certaines routes, en particulier la RN 21.
Enfin, une dernière question : monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que l’État prendra sa part dans la réouverture de ces lignes et contribuera ainsi au désenclavement de cette partie du territoire, faisant de nos trois villes principales, Agen, Marmande et Villeneuve-sur-Lot, des carrefours ferroviaires incontournables ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Tout d’abord, en réponse au sénateur Masset, je tiens à réaffirmer ma position défavorable aux mégacamions. En effet, leur autorisation entraînerait une perte d’activité d’environ 25 % pour le fret ferroviaire. Je sais que certains d’entre vous ont un avis différent sur ce sujet.
M. Jacques Fernique. Pas moi, en tout cas ! (Sourires sur les travées du groupe GEST.)
M. Philippe Tabarot, ministre. Je le sais bien, monsieur Fernique : je connais votre position !
Concernant l’année 2023, marquée par d’importants défis pour le secteur du fret, je souscris à votre analyse, monsieur le sénateur. Cependant, je note avec satisfaction une amélioration de la situation en 2024, avec 33,1 milliards de tonnes-kilomètre transportées et un rebond du fret ferroviaire de 12,1 % par rapport à 2023, soit un mouvement positif.
Notre but est clair : il faut maintenir cette dynamique ascendante au cours des dix prochaines années pour atteindre l’objectif qui avait été fixé au sein de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.
Pour y parvenir, il est essentiel que le secteur se mobilise. La stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, qui comprend soixante-douze mesures concrètes, est mise en place progressivement et avec une énergie indéniable.
Le rôle de l’État sera de sécuriser les financements dans le temps, notamment grâce à la conférence de financement qui nous réunira à partir du 5 mai prochain. La loi de finances 2025 prévoit également une enveloppe globale d’aide à l’exploitation des services de fret ferroviaire et de transport combiné de 370 millions d’euros, ce qui représente un arbitrage difficile dans le contexte que nous connaissons. Il est crucial que les régions continuent également à s’engager.
Enfin, et puisque vous réclamiez l’annonce de bonnes nouvelles, j’ai le plaisir de vous annoncer en exclusivité que le service d’autoroute ferroviaire entre Cherbourg et Mouguerre va démarrer dans les prochaines semaines, la Commission européenne venant de donner son accord. Il s’agit d’une excellente nouvelle pour le développement de ce secteur, sous l’égide d’un armateur privé.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Monsieur le ministre, la loi Climat et Résilience a fixé un objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire et fluvial dans le transport intérieur des marchandises d’ici à 2030. Cette disposition, introduite dans le texte par un amendement du rapporteur de la commission d’aménagement du territoire et du développement durable, un jeune sénateur prometteur nommé Philippe Tabarot (Sourires.), est essentielle pour assurer la décarbonation du secteur du transport de marchandises, responsable de 13 % des émissions de gaz à effet de serre françaises.
Depuis lors, le fret a fait face à une série de vents contraires : grève sur les retraites en 2023, crise de l’énergie et inflation, quasi-effondrement du tunnel de la Maurienne. L’année 2023 a ainsi été marquée par un report modal inversé au profit de la route, la part du fret ferroviaire tombant à 8,9 % contre 10 % en 2022.
La ligne de la Maurienne ayant enfin rouvert le 31 mars dernier, je forme le vœu que ces difficultés conjoncturelles sont désormais derrière nous. Monsieur le ministre, le trafic a-t-il retrouvé une trajectoire de croissance l’an passé ? Quelles sont les perspectives pour l’année 2025 ?
Il nous reste maintenant à nous attaquer à des enjeux structurels pour faire de l’objectif fixé par la loi Climat et Résilience une réalité. J’ai à l’esprit, en particulier, le vieillissement du réseau ferroviaire, qui entraîne un ralentissement des circulations et une pénurie de sillons, ainsi que les difficultés rencontrées par l’activité en wagon isolé.
Le plan Ulysse Fret, réalisé par l’État, SNCF Réseau et l’Alliance 4F – pour fret ferroviaire français du futur –, souligne qu’en raison de l’âge moyen élevé des lignes utilisées par le fret, il est urgent de mener des investissements sur le réseau afin d’éviter une baisse inéluctable du trafic. Il prévoit donc d’accélérer les investissements en faveur du fret ferroviaire, pour un total de 4,5 milliards d’euros entre 2023 et 2035, concernant notamment le renouvellement des voies de service fret, les équipements de tri à la gravité, indispensables pour le marché du wagon isolé, les terminaux du fret, les outils de développement du transport combiné et l’augmentation de la capacité du réseau ferroviaire en faveur du fret.
Quel devrait être l’impact de ces investissements sur le volume du trafic ? L’objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire est-il encore atteignable d’ici à 2030 ? Ces travaux pourraient-ils emporter des conséquences temporaires négatives sur le trafic ?
Plus largement, les travaux sur le réseau ont souvent lieu la nuit pour ne pas pénaliser excessivement la circulation des trains de voyageurs. Comment concilier la nécessité d’intervenir sur un réseau vieillissant et l’exigence de ne pas causer une interruption de trafic de forte ampleur, dont le fret est souvent la première victime ?
Par ailleurs, la circulation des trains de voyageurs génère des ressources liées aux péages ferroviaires, plus élevés que ceux des trains de fret. Dans un contexte de manque de moyens sur le réseau, le gestionnaire d’infrastructures n’est donc pas incité à développer le fret. Comment répondre à cette difficulté ?
Enfin, il est indispensable que les investissements programmés en faveur du fret soient effectivement réalisés. La conférence nationale de financement des transports prévoit à ce propos un atelier consacré au verdissement du transport de marchandises. Avez-vous déjà étudié de nouvelles sources de financement que vous envisageriez de soumettre aux acteurs de la conférence ?
Considérez-vous que l’écotaxe poids lourds, qui sera bientôt mise en œuvre en Alsace, pourrait être étendue à d’autres territoires et fléchée vers le financement des transports ? Vous n’ignorez pas, monsieur le ministre, que certains poids lourds contournent les autoroutes en utilisant des voies inadaptées à leur transit, comme la RN 83, dans le Doubs, ce qui dégrade l’état de la route et est source de danger pour les usagers.
Développer le fret ferroviaire permettrait de diminuer le nombre de camions sur les routes.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Pour répondre au président Longeot, je tiens à rappeler que les années 2021 et 2022 avaient permis un redressement de la part modale du fret, tandis que l’année 2023 a été difficile pour plusieurs raisons, notamment la crise énergétique.
Je m’associe à l’hommage rendu aux cheminots, mais il me faut souligner que les mouvements sociaux, aussi justifiés fussent-ils, ont porté préjudice aux chiffres de l’année 2023.
M. Alexandre Basquin. Non, monsieur le ministre, vous ne pouvez pas avancer cet argument !
M. Philippe Tabarot, ministre. Vous ne pouvez guère le nier !
Cependant, je souhaite indiquer au président Longeot que SNCF Réseau entend faire un effort particulier pour que le fret ne soit pas relégué au second plan dans le cadre des travaux à mener ; il est pleinement intégré dans leur planification. C’est le cas, par exemple, concernant les travaux qui vont se dérouler sur la ligne Paris-Limoges-Toulouse, dont on a beaucoup parlé ces derniers mois. Contrairement aux pratiques antérieures, ceux-ci seront ainsi réalisés en journée, afin de minimiser l’impact sur le trafic de fret.
M. Jean-François Longeot. C’est bien.
M. Philippe Tabarot, ministre. S’agissant des péages ferroviaires que vous avez évoqués, je précise que, à la différence des péages relatifs au transport de voyageurs, les péages ferroviaires français demeurent parmi les plus bas d’Europe pour le fret, à 1,08 euro par train-kilomètre contre 2 euros en moyenne européenne.
Nous travaillons également à l’optimisation des sillons via les plateformes services et infrastructures, en intégrant les problématiques de travaux de nuit, comme je viens de le mentionner.
Enfin, concernant l’écotaxe, un sujet que vous suivez avec une attention particulière, vous savez que les régions frontalières peuvent désormais, grâce au travail de votre commission, mener des expérimentations.
Nos amis du Grand Est et de la Collectivité européenne d’Alsace vont ainsi y procéder. Cependant, je me dois de rappeler à certains d’entre vous combien il est regrettable que Ségolène Royale soit à l’époque revenue sur l’écotaxe. Cette mesure représentait 500 millions d’euros de recettes par an, soit 5 milliards d’euros sur dix ans, précisément la somme que nous recherchons aujourd’hui.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le ministre, depuis le vote dans cet hémicycle, le 7 décembre 2022, de la résolution pour le développement du transport ferroviaire déposée par notre groupe, ce sujet, pourtant central pour nos mobilités, notre économie et la transition écologique, est resté le parent pauvre de nos débats.
Ce n’est pas tout à fait le cas, il est vrai, puisque nous avons eu à débattre de la sécurité dans les transports ou de la restriction du droit de grève, stigmatisant les salariés du secteur !
Je salue ces syndicalistes cheminots présents ce soir dans les tribunes, qui défendent sans relâche les droits des salariés de la SNCF, des usagers, ainsi que le service public de transport ferroviaire afin qu’il retrouve la place stratégique dont le pays a besoin.
C’est de cette place que nous débattons, deux ans après les annonces d’Élisabeth Borne, alors Première ministre, qui brandissait un plan à 100 milliards d’euros d’ici à 2040, tentant de faire oublier un contrat de performance particulièrement régressif.
Depuis lors, cette nouvelle donne ferroviaire ne semble plus d’actualité pour le Gouvernement et la situation s’est aggravée. Le transport de voyageurs ne suit pas, en raison du manque d’anticipation et du mauvais état du réseau ; la SNCF applique la loi du marché et le manque d’offre allié à la forte demande conduit à des prix exorbitants au détriment des usagers, les obligeant à se rabattre vers des modes de transport plus polluants comme l’avion ou la voiture.
Alors que les transports constituent plus de 30 % de nos émissions de CO2, l’effort public pour le développement du ferroviaire, saboté par des décennies de libéralisme, n’est pas au niveau des enjeux environnementaux et des engagements pris dans le cadre des accords de Paris. C’est particulièrement vrai pour le fret ferroviaire, alors que 24 % des émissions issues des transports sont liées aux poids lourds et donc au transport routier de marchandises.
En 2021, dans la loi Climat et Résilience, le Sénat avait introduit l’objectif louable de doubler la part modale du ferroviaire d’ici à 2030. Faute de moyens financiers pour les entretenir, les lignes capillaires, qui connectent entrepôts et usines au réseau principal, accusent une moyenne d’âge de 73 ans. Un quart des voies ont été fermées ces six dernières années.
La baisse du trafic ferroviaire est significative : –19,6 % de fret conventionnel et –23,5 % de transport combiné, lorsque, chez nos voisins européens, le transport ferroviaire des marchandises poursuit sa croissance. Il gagne ainsi 22 % en Italie par rapport à 2019, 10 % en Allemagne, 2 % en Suisse.
Le plan de discontinuité décidé par le Gouvernement à la suite des injonctions de la Commission européenne a porté un coup très dur au transport ferré de marchandises.
Le 1er janvier 2025, Fret SNCF, démantelé en deux sociétés, a dû vendre du matériel roulant et abandonner vingt-trois lignes, les plus rentables, bien sûr, sur lesquelles Hexafret, successeur de Fret SNCF, ne peut plus se positionner durant dix ans. Un non-sens dans un pays qui entend se réindustrialiser !
On nous répète que cette entreprise pourrait bénéficier d’une ouverture de son capital, mais qui viendra investir dans une entreprise que l’on oblige à réduire ses parts de marché ?
Le manque de moyens alloués au transport ferroviaire de marchandises est une aberration à l’heure où nous devons, de façon concomitante, soutenir la réindustrialisation en produisant du matériel roulant ; appuyer les entreprises, pour lesquelles notre pays sera plus attractif avec un réseau de transport ferré développé ; réduire nos émissions de gaz à effet de serre ; retrouver notre souveraineté et donc limiter la place des entreprises étrangères et les financements privés ou d’États étrangers qui les soutiennent. Keolis, par exemple, est ainsi détenue à 30 % par la Caisse de dépôt et placement du Québec.
Nous le savons, le transport ferroviaire ne peut pas fonctionner sans soutien public, et la recherche de profit, tout comme l’ouverture à la concurrence du secteur, est forcément contraire à l’intérêt général. La recherche de la rentabilité maximum conduit à des suppressions d’emplois, à la dégradation des conditions de travail des salariés, à des économies sur la maintenance des infrastructures et des trains, ainsi qu’à la fermeture de guichets, voire de gares, si le chiffre d’affaires n’est pas à la hauteur souhaitée.
Nous devrions soutenir l’intermodalité en proposant un maillage au plus fin afin de réduire la présence de camions sur les routes. Ce n’est malheureusement pas le choix fait par les gouvernements successifs.
Des financements sont possibles, mon collègue l’a dit et je partage son avis. Nous savons que les premières concessions autoroutières prennent fin en 2030 et nous défendons la renationalisation de ces autoroutes en conservant une logique de péage qui pourrait nous permettre de financer la décarbonation des transports.
Ainsi, 1 milliard d’euros pourraient être alloués au ferroviaire, et 3,4 milliards d’euros aux autres modes, dont la mise en place des services express régionaux métropolitains (Serm).
La France ne peut pas continuer à afficher des ambitions climatiques sans les traduire en actes. La relance du fret ferroviaire est une urgence, une opportunité industrielle, une exigence écologique et sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Madame la sénatrice Varaillas, un certain nombre d’actions ont été menées ces dernières années sur cette question, et des moyens ont été alloués. Je soulignerai ainsi le triplement des aides à l’exploitation, avec en particulier la création d’une aide au wagon isolé, ainsi que le doublement des investissements de l’État en matière d’infrastructures.
S’agissant du plan de discontinuité du fret, la Commission européenne a ouvert, en janvier 2023, une procédure formelle d’examen sur certaines aides dont a bénéficié Fret SNCF. Je le précise d’autant plus sereinement que la décision du plan de discontinuité n’émane pas de moi, mais de l’un de mes prédécesseurs, et qu’elle était justifiée. Vous n’en êtes pas tous convaincus, mais le risque était purement et simplement la disparition de l’activité de Fret SNCF, avec un impact fort sur ses agents. L’emploi de 5 000 cheminots était en jeu !
Aujourd’hui, cette solution permet de sauvegarder ces emplois sans casse sociale, un aspect qui me semble vous tenir à cœur.
La discontinuité négociée reste proportionnée par rapport à une jurisprudence existante en la matière, celle d’Alitalia. En tout état de cause, nous avons garanti le respect de trois lignes rouges que vous partagez : préserver notre outil industriel, éviter les licenciements et prévenir tout report modal supplémentaire vers la route.
Enfin, concernant la question du financement, nous sommes également d’accord – même si nous ne le sommes pas sur la forme de la gestion des futures concessions autoroutières. Il s’agit de l’un des objectifs de la conférence de financement, qui débutera le 5 mai prochain à Marseille en présence du Premier ministre et se déroulera sur dix semaines.
J’ai ainsi souhaité qu’un des quatre ateliers soit spécifiquement consacré au transport de marchandises. Je forme le vœu qu’à l’issue de ces différents débats nous puissions aboutir à un fléchage très marqué des financements vers le transport de marchandises, de préférence en provenance de la route, notamment des autoroutes.
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Je remercie tout d’abord nos collègues communistes d’avoir permis ce temps de débat sur les conditions de la réussite de la relance du fret ferroviaire, d’autant que nous sommes en attente du rapport de synthèse du cycle sur le fret ferroviaire de notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Ce débat est opportun à la veille de cette conférence de financement dont les conclusions, particulièrement celle de l’atelier 4, indiqueront si, oui ou non, les ambitions de la France en matière d’essor du fret ferroviaire pourront être réalisées selon une trajectoire adéquate d’ici à 2040.
Monsieur le ministre, concernant cette conférence, le Gouvernement a-t-il la volonté qu’y soient établies et garanties les conditions de financement de la trajectoire d’investissement nécessaire pour l’essor du fret ferroviaire d’ici à 2040 ?
Le débat de ce soir est l’occasion de clarifier les impacts éventuels d’une loi de finances en passe d’être rabotée de façon significative, s’agissant, particulièrement, du programme 203 « Infrastructures et services de transport » qui contient notamment l’action n° 41 « Ferroviaire » et l’action n° 45 « Transports combinés ».
Qu’en est-il précisément ? Le ferroviaire, notamment le fret, est-il ou non touché par ce nouveau reflux budgétaire de l’écologie ? La stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, Ulysse Fret 2023-2032, subira-t-elle ce reflux ? La somme de 1,5 milliard d’euros supplémentaires par an d’ici à 2027 et le plan de 4 milliards d’euros pour le fret d’ici à 2032 sont-ils remis en cause ?
Ce débat offre aussi l’occasion de dresser un état des lieux de la situation actuelle du fret, avec les mauvais résultats de 2023, qui ont remis en cause le début de tendance à la hausse qui s’amorçait depuis 2021.
Il est sans doute trop tôt pour connaître les conséquences de la dislocation de Fret SNCF, effective depuis le 1er janvier, notamment un éventuel report modal inversé, mais vous disposez sans doute de données récentes pour nous indiquer où nous en sommes au regard de la trajectoire fixée par la loi Climat et Résilience. Maintenez-vous l’objectif intermédiaire de doublement, soit 18 % de part modale en 2030, ou y renoncez-vous ?
Il serait faux de considérer que l’effort à consentir pour le fret ferroviaire constituerait une charge, une mise sous perfusion coûteuse, faute de modèle économique pour ce mode de transport.
Certes, le wagon isolé nécessite par nature un soutien public pour être rentable ; certes, il s’agit de poursuivre le dispositif de prise en charge des péages dus par les opérateurs à SNCF Réseau, qui place le coût de circulation des trains de fret en France nettement en dessous de la moyenne européenne.
Pour autant, ne perdons pas de vue les formidables atouts du ferroviaire, qui le rendent si compétitif : au moins six fois moins de consommation d’énergie que le camion et neuf fois moins de carbone à la tonne transportée.
Pour que ces avantages puissent déployer tout leur potentiel, des obstacles sérieux doivent être levés. Pour bien les identifier, il convient d’élargir la focale au niveau européen. Les pays dans lesquels la part modale du fret ferroviaire se situe entre 20 % et 30 %, voire au-delà, sont ceux dans lesquels les efforts sur l’infrastructure sont les plus importants et dans lesquels un travail déterminant de rééquilibrage compétitif entre la route et le rail est mené.
Le mode routier, en effet, ne paie guère ses externalités négatives : dégradation des routes, nuisances, engorgement, accidentalité, pollution, contribution forte à l’effet de serre, et j’en oublie. Le pollueur n’est pas le payeur, tant s’en faut, et cela creuse l’écart de compétitivité avec le rail.
En tant qu’Alsacien, du Grand Est, je mesure l’écart avec nos voisins européens. L’Europe d’aujourd’hui offre un contraste saisissant entre, d’une part, l’Espagne ou l’Italie au sud qui ont basculé dans le tout-camion, à l’instar d’une grande partie de l’Europe de l’Est, et, d’autre part, la Suisse, l’Allemagne ou les Pays-Bas, où le fret ferroviaire occupe une place significative, fruit d’investissements importants dans des sillons performants et des terminaux interconnectés, et où le déséquilibre entre la route et le rail est corrigé par des taxes sur les poids lourds élevées.
Dégager de telles recettes permettrait de réaliser les investissements massifs nécessaires pour un réseau plus circulé, grâce à des modernisations telles que la commande centralisée du réseau (CCR) et le système européen de gestion du trafic ferroviaire ERTMS, ainsi que, concernant le fret, pour le maintien et la modernisation des voies de service et de triage. En effet, sans régénération de ces voies d’ici à dix ans, la moitié du trafic fret serait, au mieux perturbée, au pire interrompue.
Jusqu’à présent, la France a manqué d’une réelle volonté d’augmenter les prélèvements sur le transport routier. Pour ce qui concerne l’application de la directive Eurovignette, nous nous en tenons au minimum, alors qu’il faudrait actionner résolument les leviers du système d’échange de quotas d’émission ETS et de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).
De ce déséquilibre favorable au routier découlent les autres obstacles qui entravent l’essor du ferroviaire : la capacité insuffisante d’un réseau vieillissant, le déficit de qualité de service qui privilégie le voyageur au détriment du fret, la pénalisation du fret par la réalisation des travaux de nuit, une ponctualité défaillante pour les trains de fret et, enfin, le déficit d’organisation conduisant à la sous-exploitation de la complémentarité entre le routier et le ferroviaire, alors que le potentiel du transport combiné est si prometteur.
Comme si les difficultés à surmonter n’étaient pas suffisantes, voilà que les camions de très gros tonnage, de quarante-quatre tonnes, en transit, voire les mégacamions atteignant soixante tonnes et vingt-cinq mètres de long, nous menacent de leur impact désastreux et de leur concurrence. Le Sénat, par une résolution européenne dont j’ai été corapporteur avec Pascale Gruny, vient d’exprimer sans ambiguïté sa désapprobation, que vous affirmez partager, monsieur le ministre.
Quelles sont donc les perspectives dans ce trilogue crucial, inscrit, me semble-t-il, à l’ordre du jour du Conseil européen de juin consacré aux transports, pour que ce projet de directive révisée ne se fasse pas au détriment du fret ferroviaire ?