Sommaire
Liaison autoroutière entre Castres et Toulouse
Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Intitulé de la proposition de loi
PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché
Produits du bois et responsabilité élargie du producteur dans le secteur du bâtiment
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Modification de l'ordre du jour
Lien de confiance entre la police et la population
Rejet d'une proposition de loi
proposition de loi tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population
Limitation du recours au licenciement économique
Rejet d'une proposition de loi
Mise au point au sujet de votes
Présidence de M. Alain Marc
vice-président
Secrétaires :
Mme Nicole Bonnefoy,
Mme Catherine Di Folco.
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Liaison autoroutière entre Castres et Toulouse
Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse, présentée par M. Philippe Folliot, Mme Marie-Lise Housseau et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 452, texte de la commission n° 585, rapport n° 584).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Folliot, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
M. Philippe Folliot, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est des moments où les peuples ont rendez-vous avec l'Histoire, avec leur histoire. Il en est de même des territoires.
Aujourd'hui est un jour important pour l'ensemble du bassin Castres-Mazamet et pour le sud du Tarn, car, au travers de la proposition de loi que Marie-Lise Housseau et moi-même vous soumettons, nous entendons répondre à une attente particulièrement forte de l'ensemble des acteurs de ce bassin d'emploi et, plus généralement, de ce territoire.
Je commencerai par rappeler les diverses particularités qui nous ont conduits à la situation actuelle.
L'agglomération de Castres-Mazamet fait partie d'un département de nature bicéphale, le Tarn. Pendant longtemps, les villes d'Albi et de Castres ont du reste été opposées. Aujourd'hui, elles s'inscrivent dans une logique de complémentarité à laquelle nous souscrivons complètement.
Pendant de nombreuses années, on a cherché à désenclaver tous les bassins d'emploi de l'ancienne région Midi-Pyrénées. Le désenclavement d'Albi par rapport à Toulouse a fait l'objet d'un consensus départemental. En raison de sa singularité, tel ne fut pas le cas de la communauté d'agglomération de Castres-Mazamet : même si celle-ci est plus peuplée qu'un certain nombre de départements voisins, tels que l'Ariège, le Lot et le Gers, et bien que la ville de Castres elle-même soit plus peuplée que les préfectures de Foix, d'Auch et de Cahors, elle n'a été désenclavée que par petites touches.
À tel point que, en 2010, avec Jean-Louis Borloo, alors ministre de l'écologie, chargé des transports, nous étions arrivés au constat qu'au rythme des engagements de l'État vis-à-vis de ce bassin d'emploi il faudrait attendre 2070 pour que l'agglomération de Castres-Mazamet achève son désenclavement… Il s'agit pourtant de la seule agglomération française de 100 000 habitants à ne disposer ni d'autoroute, ni de gare desservie par le TGV, ni d'aéroport international.
C'est la raison pour laquelle le projet d'une autoroute a été lancé en 2010. Mais, comme les choses prennent du temps dans notre pays, il s'est écoulé une quinzaine d'années entre cette décision et aujourd'hui. Plusieurs étapes importantes ont été franchies. Je pense notamment au débat public auquel des milliers de personnes ont participé et dans le cadre duquel près des deux tiers d'entre elles ont exprimé leur envie de voir ce bassin désenclavé et ont approuvé le projet.
Des décisions importantes ont été prises. En 2019, la loi d'orientation des mobilités, dite LOM, a conféré au projet d'autoroute entre Castres et Toulouse le statut de projet d'intérêt général national. En 2021, la plus haute juridiction administrative de notre pays, le Conseil d'État, a validé l'utilité publique de cet itinéraire.
Ce projet a fait l'objet de multiples recours. S'il s'agit d'un droit dans notre démocratie, constatons que, jusqu'au mois de février dernier, la juridiction administrative les avait tous rejetés et avait autorisé la poursuite du chantier à pas moins de quatorze reprises.
Aujourd'hui, nous nous trouvons dans une situation qui, à certains égards, est quelque peu ubuesque. Le 27 février dernier, le tribunal administratif de Toulouse a en effet ordonné l'arrêt des travaux, ce qui a eu d'importantes conséquences sur le plan social – du jour au lendemain, 1 000 personnes ont perdu leur emploi –, ainsi que pour les décideurs économiques de ce bassin d'emploi, qui sont privés de perspectives d'investissement.
Ce jugement a également eu des conséquences pour les riverains. L'arrêt des travaux a laissé une balafre de cinquante kilomètres sur le territoire, et les habitants de certains villages sont empêchés de rentrer chez eux ; je pense au village de Saint-Germain-des-Prés, qui est coupé en deux.
Par ailleurs, nous ne pouvons pas ignorer l'impact financier de cette décision judiciaire : le coût de l'arrêt des travaux s'élève à 5 millions d'euros. Plus 200 000 euros par jour ! Au vu de la situation de nos finances publiques, est-il acceptable de laisser faire les choses et de gaspiller ainsi l'argent public ?
Rappelons aussi qu'il existe un consensus politique départemental assez exceptionnel autour de ce projet. (Exactement ! au banc des commissions.) Qu'ils soient du nord ou du sud, de gauche, de droite ou du centre, la quasi-totalité des élus du département sont favorables à ce projet : (Rires ironiques sur les travées du groupe GEST.) l'unanimité des conseils départementaux, les deux intercommunalités traversées par l'autoroute, quatre parlementaires sur cinq, le président du conseil départemental et la présidente du conseil régional.
C'est un véritable pacte tarnais qui soutient ce projet !
De nombreux élus du département voisin, la Haute-Garonne, également concerné par la construction de l'autoroute, y sont favorables, de même que beaucoup d'élus du reste de la région Occitanie. Je les en remercie.
Au travers de cette proposition de loi de validation, nous accomplissons notre travail de parlementaires. Nous nous efforçons en effet de proposer une porte de sortie, afin que nous puissions mettre fin à cette situation ubuesque et stopper cette gabegie.
Je ne vais pas vous lire l'exposé des motifs que ma collègue Marie-Lise Housseau et moi-même avons soigneusement écrits. Ils reprennent tous les éléments propres à la situation et justifient, point par point, la constitutionnalité du texte. À cet égard, nous avons veillé à ce que les cinq critères dégagés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel soient rigoureusement respectés.
Au-delà de ces éléments financiers, politiques et territoriaux, c'est un cri du cœur que je veux pousser devant vous, celui d'un territoire qui fait face à un certain nombre de difficultés, notamment une démographie en berne et des pertes d'emploi, en plus des obstacles liés à son enclavement historique.
Il n'empêche qu'il s'agit d'un territoire qui se bat, qui a envie de s'en sortir, qui n'accepte pas l'inéquité territoriale. Il refuse que des décideurs se trouvant très loin, dans de grandes métropoles ou agglomérations – qui, elles, disposent de tous les moyens pour être connectées au monde extérieur –, nous donnent des leçons de morale. (Absolument ! au banc des commissions.) Nous n'acceptons pas qu'ils nous disent, finalement, que ce projet n'est bon ni pour nous ni pour l'environnement.
La construction de l'autoroute est déjà achevée à 70 %. Arrêter un projet aussi avancé est une pure ineptie, y compris sur un plan environnemental ! Il y a un certain nombre de mesures de compensation environnementale pour lesquelles nous nous sommes battus – Marie-Lise Housseau y reviendra tout à l'heure. Or celles-ci sont stoppées à l'heure actuelle.
Compte tenu de ces enjeux, de la volonté qui est la nôtre, de l'objectif visé et de la situation que nous subissons, il nous paraît essentiel d'apporter une réponse politique. Dans notre pays, les décisions relatives au devenir des infrastructures doivent revenir aux élus qui détiennent leur légitimité du suffrage universel, et à personne d'autre ! C'est le fondement de la démocratie !
Aussi, mes chers collègues, nous espérons que vous serez nombreux à soutenir et à voter cette proposition de loi, tant attendue par un territoire, par un bassin d'emploi, par un département et, à certains égards, par le pays tout entier. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDSE. – M. le président de la commission et M. Laurent Somon applaudissent également.)
M. Franck Dhersin, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin afin d'examiner la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse, déposée par nos collègues Philippe Folliot et Marie-Lise Housseau, et cosignée par une centaine d'entre nous.
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a approuvé cette initiative législative, qui vise à répondre à une situation inédite mettant en péril des intérêts publics : la mise à l'arrêt, à seulement quelques mois de son achèvement, du vaste chantier de l'A69, une infrastructure structurante que les habitants du sud du Tarn attendaient depuis trente ans.
Cette interruption fait suite à l'annulation, le 27 février dernier, par le tribunal administratif de Toulouse, des deux autorisations environnementales dont faisait l'objet le projet d'A69, au motif que celui-ci ne répondrait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM), condition pourtant requise pour l'obtention de la dérogation « espèces protégées ».
J'ai bien conscience que la démarche et le calendrier d'examen de ce texte suscitent des interrogations juridiques (Marques d'approbation sur les travées du groupe GEST.), auxquelles j'ai porté une attention particulière, d'abord, parce que cette proposition de loi vise à valider un acte administratif ayant été annulé par le juge administratif, ensuite, parce qu'une procédure d'appel est en cours, à la demande de l'État, qui a également sollicité un sursis à exécution de la décision du tribunal administratif de Toulouse.
Ces interrogations, qui touchent au principe de séparation des pouvoirs, appellent deux remarques préliminaires.
D'une part, les législateurs que nous sommes n'ont en aucun cas vocation à se substituer au juge administratif devant lequel une procédure est en cours. C'est clair !
M. Ronan Dantec. Bravo !
M. Franck Dhersin, rapporteur. L'objet de la proposition de loi qui nous est soumise est ciblé : si elle valide l'autorisation environnementale du projet d'A69, en tant qu'il répond à une RIIPM, elle ne saurait fermer le droit au recours à l'encontre de cet acte administratif, et d'autres motifs pourront toujours être invoqués devant le juge pour la contester.
D'autre part, comme j'ai eu l'occasion de le rappeler en commission, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le principe de séparation des pouvoirs proscrit toute validation législative portant sur un acte ayant déjà été annulé par une décision de justice devenue définitive.
Or tel n'est pas le cas, puisque l'annulation a été ordonnée en première instance et qu'un appel est en cours.
Bien sûr, nul ne peut préjuger de l'analyse du Conseil constitutionnel en cas de saisine. Néanmoins, il me semble que l'intervention du législateur est, en l'espèce, légitime pour répondre à une situation exceptionnelle, dont les conséquences peuvent se révéler particulièrement dommageables pour le sud du Tarn, comme pour les pouvoirs publics.
En premier lieu, le projet d'A69 présente des atouts majeurs pour le territoire de Castres-Mazamet, d'un point de vue démographique, socio-économique et en matière de sécurité routière. Il s'inscrit dès lors dans le cadre de la politique nationale d'aménagement du territoire et de lutte contre l'enclavement et la désertification.
Le bassin de vie de Castres-Mazamet est le seul bassin d'Occitanie de cette importance situé à plus d'une heure du réseau autoroutier, du réseau de TGV et de Toulouse. En conséquence, sa population est à l'écart des grands équipements de la capitale régionale, à commencer par le centre hospitalier universitaire, l'aéroport international de Toulouse-Blagnac, les universités et grandes écoles.
Il faut en effet une heure dix pour rejoindre Toulouse depuis Castres via la route nationale 126 (RN 126). Cela place cette ville dans une situation très défavorable par rapport aux autres agglomérations situées à des distances équivalentes, voire inférieures de la capitale régionale, mais qui sont reliées au réseau autoroutier.
L'A69 mettrait ainsi les habitants de Castres sur un pied d'égalité avec ceux d'Albi et de Montauban, en leur faisant gagner entre vingt-cinq et trente-cinq minutes pour se rendre à Toulouse : ce n'est pas rien !
Compte tenu de cette situation d'enclavement, l'agglomération de Castres-Mazamet, contrairement aux dix agglomérations reliées à Toulouse par une autoroute, est la seule à avoir régulièrement perdu des habitants entre 1968 et 2021.
M. Philippe Folliot. C'est vrai !
M. Franck Dhersin, rapporteur. Ce manque d'attractivité est d'autant plus dramatique pour le sud du Tarn que sa population est vieillissante. En effet, les personnes de plus de 60 ans y représentent plus du tiers des habitants.
Ce contexte pénalise tout particulièrement l'activité économique du territoire : Castres-Mazamet est la seule agglomération dans laquelle le taux d'emploi a stagné entre 2010 et 2021, alors qu'il a progressé dans les bassins équivalents de la région, à l'instar du Grand Montauban – plus 14 points –, de Gaillac-Graulhet – plus 6 points – et de l'Albigeois – plus 6 points également–, ces trois agglomérations ayant l'avantage d'être reliées à Toulouse par les autoroutes A62 et A68.
Les entreprises et les établissements publics du territoire, comme le centre hospitalier intercommunal de Castres-Mazamet, sont en outre confrontés à des difficultés structurelles pour attirer des cadres et travailleurs qualifiés depuis Toulouse, compte tenu des mauvaises infrastructures de desserte existantes.
Le projet d'A69 répond enfin à des impératifs de sécurité routière – ce n'est pas rien ! De 2010 à 2020, 11 morts et 120 blessés, dont 65 personnes hospitalisées, ont été à déplorer sur la RN 126. Les reports de trafic des véhicules légers et des véhicules lourds vers l'A69 auront des effets positifs sur la sécurité routière, non seulement pour les usagers de la future autoroute, mais aussi pour ceux de la RN 126, qui sera déclassée en route départementale (RD).
J'ajouterai que, par sa nature même et son ampleur, le projet d'A69 dépasse l'échelle strictement locale. Dès lors que cette autoroute a vocation à rejoindre le domaine routier national, elle présente, en application du code de la voirie routière, un intérêt national et européen – je le précise.
L'ensemble des motifs d'intérêt général précédemment invoqués avaient en outre conduit le législateur à reconnaître le caractère structurant de ce projet dans le cadre de la LOM, dont l'exposé des motifs avait recensé l'A69 parmi les « grands projets routiers » devant être engagés dans les cinq ans.
Par ailleurs, l'abandon du projet d'A69 aurait des répercussions négatives pour le sud du Tarn et mettrait en péril des intérêts publics majeurs.
Tout d'abord, le chantier a été interrompu à un stade très avancé : les travaux sont réalisés à 80 % concernant l'A680, tandis que 54 % des volumes de terrassements et 70 % des ouvrages d'art sont déjà réalisés sur l'A69. À ce jour, les dépenses engagées s'élèvent à 300 millions d'euros pour l'A69, soit près de 70 % du coût prévisionnel, et atteignent 90 millions d'euros pour l'A680, soit 90 % du coût total envisagé.
La résiliation du contrat de concession de l'A69 impliquerait d'indemniser le concessionnaire, la société Atosca, à hauteur du coût des travaux déjà réalisés, soit 250 millions d'euros. En outre, elle supposerait une remise en état des terrains,…
M. Ronan Dantec. Tout à fait !
M. Franck Dhersin, rapporteur. …opération complexe dont le coût représenterait un montant supplémentaire au moins équivalent.
Du reste, il est très probable que le concessionnaire demande à être indemnisé pour les coûts engendrés par l'interruption du chantier, qui dépassent déjà largement la dizaine de millions d'euros.
Ensuite, l'abandon du projet aurait des retombées socioéconomiques fâcheuses pour l'agglomération de Castres-Mazamet. Elles sont d'ailleurs déjà perceptibles depuis l'interruption du chantier, qui mobilisait près de 1 000 salariés, des centaines d'intérimaires et 67 contrats de sous-traitance. Plusieurs entreprises qui intervenaient sur le chantier risquent de déposer le bilan ou d'être confrontées à des difficultés sévères de trésorerie.
De nombreuses entreprises et collectivités territoriales sont en difficulté, parce qu'elles avaient investi en anticipant, légitimement, la mise en service imminente de cette infrastructure. Des investissements importants pour le territoire ont d'ailleurs dû être brutalement stoppés, et on ne peut que craindre que les entreprises qui misaient sur l'amélioration de la liaison avec Toulouse ne décident de quitter le territoire.
En outre, et de manière assez préoccupante, l'abandon du projet serait préjudiciable pour l'environnement. La résiliation du contrat de concession conduirait à remettre en cause les mesures de compensation environnementale qui étaient prévues (Protestations sur les travées du groupe GEST.), alors même que les travaux, et les atteintes à l'environnement qui en découlent, sont déjà en très grande partie effectifs. Il y aurait donc certainement des pertes nettes de biodiversité. (M. Ronan Dantec rit.)
M. Philippe Folliot. Bien sûr !
M. Franck Dhersin, rapporteur. La destruction des ouvrages déjà construits aurait elle-même un impact sur l'environnement qu'il convient de prendre en compte. En cas d'arrêt définitif du projet, un nouveau dispositif de compensation devra donc être recherché, au prix d'un travail lourd, complexe et assurément coûteux.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Évidemment !
M. Franck Dhersin, rapporteur. En tant que parlementaires, nous ne pouvons pas non plus faire abstraction de l'impact politique qu'aurait pour le territoire de Castres-Mazamet un abandon définitif du projet, en raison des fortes attentes qu'il suscite. Surtout que ces dernières étaient sur le point de se concrétiser, compte tenu de l'avancement du chantier…
Au cours des auditions que j'ai menées, on m'a fait part du sentiment d'abandon et d'incompréhension profonde de la population locale face à une situation ressentie comme un immense gâchis humain, technique et financier.
J'ajoute que 400 hectares de terres agricoles ont fait l'objet d'une procédure d'expropriation pour mener à bien ce projet. Pour les centaines d'agriculteurs ayant vu leur exploitation amputée, un arrêt définitif du chantier constituerait une double, voire une triple peine, ces parcelles n'étant plus exploitables en l'état. Rétablir leur potentiel agronomique nécessiterait, là encore, des moyens colossaux s'inscrivant dans le long terme.
Voilà, mes chers collègues, l'ensemble des raisons qui ont conduit la commission à apporter son soutien à cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions. – Mme Marie-Laure Phinera-Horth applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Laure Phinera-Horth applaudit également.)
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, cher Jean-François Longeot, monsieur le rapporteur, cher Franck Dhersin, mesdames, messieurs les sénateurs, je me présente aujourd'hui devant vous dans un contexte particulier. En tant que ministre des transports, je suis naturellement attentif aux enjeux que soulève le projet d'autoroute Castres-Toulouse, actuellement examiné par la cour administrative d'appel de Toulouse.
Car, oui, l'État a fait appel pour confirmer la réalisation de cette infrastructure.
Nous avons des arguments à faire valoir pour valider la raison impérative d'intérêt public majeur de cette liaison autoroutière. Je souhaite ici en développer les points principaux, même si mes propos vous sembleront probablement quelque peu redondants après les excellentes interventions de l'auteur de la proposition de loi et du rapporteur.
Aujourd'hui, le bassin d'emploi de Castres-Mazamet, avec environ 50 000 emplois et 132 000 habitants, est le seul bassin de cette importance qui n'est pas relié à la métropole toulousaine par une infrastructure autoroutière à deux fois deux voies aménagée ou en cours d'aménagement.
Il s'agit aussi du seul bassin de plus de 100 000 habitants en France à n'être desservi ni par une autoroute, ni par une gare TGV, ni par un aéroport international.
Les conséquences de cette situation sont durement ressenties sur le terrain. Le bassin de Castres-Mazamet est en décrochage par rapport aux agglomérations comparables de la région Occitanie, eu égard à la dynamique d'activité et de création d'emploi, à la croissance démographique et au vieillissement de la population. Rassurez-vous, monsieur le président Longeot, je ne pense pas forcément aux plus de 60 ans, d'autant que je sais que vous n'appréciez pas beaucoup cette référence… (M. le président de la commission s'esclaffe.) Et puis, à 60 ans, on n'est pas vieux, monsieur Dhersin ! (Sourires.)
Nier cette réalité est irresponsable, d'autant que l'attractivité du bassin toulousain n'est plus à prouver : Toulouse est devenue la troisième ville de France. Il faut donner à ce territoire les moyens d'accompagner cette évolution. (M. François Bonhomme opine.)
Ce projet d'autoroute est également un projet de territoire soutenu par les collectivités locales et les parlementaires, notamment dans le cadre du présent texte, mais aussi par le monde économique local. J'ai pu moi-même le constater en me rendant sur place, où j'ai vu de mes propres yeux l'état du chantier en cours.
L'objectif principal de cette autoroute est donc clair : désenclaver et accompagner le développement du bassin de Castres-Mazamet, et ce dans mon département d'origine, département que je connais et que j'aime.
En outre, ce projet offre un gain en termes de sécurité, avec un itinéraire cinq fois plus sécurisé que celui de la RN 126, tout en respectant les normes les plus récentes sur le plan environnemental : protection de la ressource en eau ; préservation de la biodiversité ; réglementation relative aux nuisances sonores et à la qualité de l'air, etc.
Au-delà de ce texte, la décision de justice rendue en février dernier et la jurisprudence relative à l'A69 doivent collectivement nous faire réfléchir à la meilleure manière de sécuriser juridiquement les grands projets d'infrastructures. Quoi que l'on puisse penser de cette autoroute, cela doit nous pousser à réagir pour éviter qu'une telle situation se reproduise à l'avenir.
Comment comprendre qu'une autoroute, dont la déclaration d'utilité publique (DUP) avait été validée après le rejet des recours devant le Conseil d'État, puisse voir son autorisation environnementale annulée pour défaut de raison impérative d'intérêt public majeur ? Comment accepter qu'après avoir été réalisé aux deux tiers ce projet puisse s'arrêter du jour au lendemain ?
Tel est précisément l'objet de l'amendement que nous avons déposé sur le projet de loi de simplification de la vie économique, et qui vise à caractériser le plus en amont possible des projets la raison impérative d'intérêt public majeur. J'espère que cette mesure sera adoptée par l'Assemblée nationale, lorsque cette dernière reprendra l'examen du texte, et qu'elle sera conservée dans le cadre de la commission mixte paritaire.
Au travers de cette proposition de loi, le soutien du Parlement à la réalisation de l'A69 sera, je l'espère, réaffirmé. Je rappelle que ce projet avait déjà été reconnu comme opération prioritaire d'aménagement du territoire dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités.
Il appartient en effet au Parlement d'exercer pleinement les prérogatives que lui confère notre Constitution, dans le respect de l'État de droit. Aussi, je tiens à saluer le travail réalisé par les parlementaires concernés par cette autoroute. Votre implication et votre engagement confirment ce que j'ai déjà évoqué : c'est un projet de territoire défendu et souhaité par l'immense majorité des acteurs locaux.
Néanmoins, dans le cadre de la séparation des pouvoirs, je ne souhaite interférer ni dans la procédure juridictionnelle en cours ni dans le travail parlementaire. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST.) Dans ce contexte juridictionnel spécifique, le Gouvernement s'abstiendra de prendre position sur cette proposition de loi, laissant au Parlement l'entière liberté de ses travaux.
Le Gouvernement a défini un axe de travail clair pour les jours et les semaines qui viennent : obtenir le sursis à exécution, puis un jugement favorable en appel, pour que le chantier puisse reprendre au plus vite et être achevé.
M. Philippe Folliot. Très bien !
M. Philippe Tabarot, ministre. Si nous ne pouvons qu'accueillir positivement un vote favorable de votre part, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a vocation à agir via la voie judiciaire pour obtenir gain de cause, pour faire valoir cette juste cause. Aussi, nous nous en remettons à la sagesse du Sénat sur cette proposition de loi, ainsi que sur les amendements qui seront discutés aujourd'hui.
La conviction du Gouvernement de la nécessité d'achever la construction de cette autoroute n'est plus à prouver. Il se rangera donc au vote de votre Haute Assemblée sur la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité et l'amendement de suppression de l'article unique, déposés par le groupe écologiste, lesquels mettraient tous deux fin à l'examen de ce texte.
Notre position sera identique concernant l'amendement du rapporteur. En revanche, nous émettrons un avis défavorable sur l'amendement par lequel le sénateur Dantec propose d'intituler ce texte : « Proposition de loi visant à empiéter sur la compétence du juge administratif pour se prononcer sur la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse ». Cet amendement est en effet quelque peu excessif et provocateur – ce qui est très rare chez le sénateur Dantec ! (Sourires.) – envers les auteurs du texte, son rapporteur et le Gouvernement. (M. Ronan Dantec lève les bras au ciel.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes appelés à vous prononcer sur un texte important pour nos territoires. Le Gouvernement, tout en respectant pleinement l'indépendance de la justice, continuera à défendre ce projet d'autoroute par la voie juridictionnelle, dans les jours et les semaines à venir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après une série de sept décisions favorables entre 2010 et 2023, le jugement ahurissant du tribunal administratif de Toulouse, rendu en février 2025, soulève les plus vives inquiétudes.
La mobilisation qui l'a précédé, ainsi que les nombreuses contestations et recours nous invitent à réfléchir sur la faisabilité des futurs grands projets. Aujourd'hui, les autoroutes A69 et A680 sont concernées ; demain viendra le tour de la ligne à grande vitesse (LGV) Bordeaux-Toulouse, dont les opposants ont fait savoir qu'ils souhaitaient que la justice s'inspire de la décision contestée.
Mme Monique de Marco. En effet !
M. Pierre Médevielle. Que pourrons-nous entreprendre à l'avenir ? Plus aucun chantier d'ampleur, plus aucun projet d'envergure ne sera possible.
M. Philippe Folliot. Hélas !
M. Pierre Médevielle. Pourquoi pas plus d'usines, plus d'industries, plus d'agriculture ? Voulons-nous des champs de ruines, comme le souhaitent les « écolos-bobos » ? (Exclamations sur les travées du groupe GEST. – Sourires sur les bancs des commissions et du Gouvernement.)
La protection de l'environnement et de la biodiversité est certes fondamentale, mais le développement économique et social, l'attractivité de nos territoires, la circulation et les échanges le sont tout autant. Ne les opposons pas !
Le régime de la dérogation espèces protégées, issu de la directive européenne de 1992, interdit la destruction d'espèces animales ou végétales et de leurs habitats. L'autorisation d'y déroger doit dès lors répondre à des conditions strictes, et c'est aux seuls juges, dont nous ne remettons évidemment pas en cause l'indépendance, qu'il appartient de réaliser cette balance des intérêts. De ce difficile exercice d'appréciation dépend l'avenir de grands projets structurants.
Cela étant, depuis l'affaire du « mur des cons », nous sommes en droit de nous interroger sur l'éventuelle dimension politique de telles décisions !
M. Franck Dhersin, rapporteur. C'est dit !
M. Pierre Médevielle. Dans le cadre de ce projet, des mesures compensatoires ont été prévues, des millions d'euros ont été investis dans la préservation de l'environnement, et des expertises de terrain ont été menées.
Cette infrastructure autoroutière, ce sont également 300 millions d'euros de dépenses déjà engagées, des travaux quasiment terminés et des emplois futurs ; elle est par ailleurs synonyme de dynamisme et de désenclavement d'un territoire. L'arrêt du chantier induit des coûts économiques, sociaux et environnementaux considérables.
En l'état, 200 000 euros ont été nécessaires pour sécuriser le site ; 1 000 emplois sont à l'arrêt ; il faut indemniser les concessionnaires, pour un coût journalier de 200 000 euros. Cela tombe bien : nous en avons les moyens !
Que dire aux habitants, aux entreprises et aux collectivités qui ont investi ? C'est toute la crédibilité de l'État qui est en jeu !
La présente proposition de loi adresse un message fort à un territoire qui attend ce projet depuis des années. Il ne s'agit pas de remettre en cause l'indépendance de la justice ; la séparation des pouvoirs est garantie par le respect des décisions de justice, qui bénéficient de l'autorité absolue de la chose jugée. Ce n'est pas l'objet de ce texte.
Une autre question se pose : qui doit décider en matière de développement économique, touristique et social d'un territoire ? Des juges complètement hors sol (Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.)…
M. Ronan Dantec. C'est cela !
M. Pierre Médevielle. … ou des élus responsables, connaissant parfaitement les besoins de leur bassin de vie ?
Le bassin économique de Castres-Mazamet s'est construit grâce à des pionniers très attachés à leur terroir, qui ont surmonté les handicaps de l'enclavement. Aujourd'hui, nous savons que, sans infrastructures de transports jouant le rôle de catalyseur, ces bassins de vie sont voués à disparaître.
Qu'il me soit permis, à cet instant, d'avoir une pensée pour Pierre Fabre, pionnier de l'industrie pharmaceutique, qui a tant fait pour ce département et qui aurait aimé voir cette autoroute.
M. Philippe Folliot. Très bien !
M. Pierre Médevielle. Nous refusons d'entendre que ce projet ne serait soudainement plus adapté aux attentes actuelles, sous prétexte qu'il repose sur des bilans socioéconomiques réalisés il y a quelques années. Le Conseil d'État a d'ailleurs reconnu son utilité publique en 2021, en se fondant sur les mêmes bilans.
Le seul élément que nous pouvons entendre est la nécessité de faire évoluer le cadre juridique pour l'avenir, sans quoi les mêmes causes produiront les mêmes effets.
M. Philippe Folliot. Malheureusement !
M. Pierre Médevielle. Si le rôle du juge est de vérifier que l'action de l'administration répond bien à une raison impérative d'intérêt public majeur, nous pouvons, de notre côté, nous interroger sur le déroulement global du processus : et si la déclaration d'utilité publique (DUP) valait autorisation environnementale ?
Cela permettrait d'éviter un certain nombre d'écueils, à commencer par le décalage temporel entre les études, la DUP et la réalisation effective du projet, mais aussi la multiplicité des recours qui s'acharnent à retarder des projets majeurs.
Si la DUP valait autorisation environnementale, nous pourrions aller plus vite et, surtout, sécuriser nos projets. Lorsqu'une décision est prise, qu'elle suive son cours ! Ne prenons pas les territoires en otage !
Il nous faut impérativement revenir à une position cohérente. Ce projet transpartisan, comme l'a rappelé Philippe Folliot, est un projet de territoire défendu par les habitants, les entreprises et les élus, qui le considèrent comme vital. Respectons la volonté profonde de tous les acteurs.
Les mots me manquent face à tant d'absurdités. Cessons d'être hors sol et déconnectés des réalités locales.
M. le président. Il faut conclure.
M. Pierre Médevielle. Ce revers n'est pas une fatalité. Votons cette proposition de loi pour montrer que nous avons retrouvé la raison. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi qu'au banc des commissions.) Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, disons-le tout net : cette proposition de loi revêt un caractère crucial pour l'avenir de notre territoire et pour l'équilibre de l'aménagement régional.
Rappelons ici que la question du désenclavement du sud du Tarn est très ancienne ; déclarée d'utilité publique par décret en 2018, cette liaison autoroutière est en fait en gestation depuis plusieurs dizaines d'années. Elle doit offrir aux habitants et aux entreprises une infrastructure moderne, sûre et efficace, constituant un axe essentiel pour le développement économique de cette partie du Sud-Ouest.
Malheureusement, le 27 février dernier, le tribunal administratif de Toulouse a annulé les arrêtés préfectoraux des 1er et 2 mars 2023 relatifs à cette liaison autoroutière, et, donc, l'autorisation environnementale – qualifiée d'illégale – de déroger à l'interdiction de destruction d'espèces protégées aux noms aussi émouvants qu'évocateurs : le trèfle écailleux, la mousse-fleurie, également dénommée crassule mousse, plante charnue aux délicats reflets carmin, la nigelle de France, aux reflets bleus et à la tige cannelée, ou encore la fritillaire pintade, à ne pas confondre avec la fritillaire impériale, dont le bulbe frêle est globuleux… (Sourires.)
Et ce, malgré l'engagement des aménageurs à respecter et à déplacer en des terres favorables toutes ces espèces végétales.
Il y a de quoi s'interroger au regard du long et lourd contexte juridique dans lequel cette décision a été prise.
Rappelons que ce jugement fait suite à une déclaration d'utilité publique du projet autoroutier A69 en 2017 et en 2018, que les recours contre cette DUP ont été rejetés par le Conseil d'État le 5 mars 2021 ; s'en sont suivies plusieurs ordonnances de référé prises par le juge du tribunal administratif de Toulouse, rejetant la suspension des travaux en cours.
Au bout de quatre ans de processus, alors que 60 % du chantier a déjà été réalisé, qu'au surplus 300 millions d'euros de financement public et privé ont été investis et que les entreprises et leurs personnels sont mobilisés, ce jugement de première instance gèle de manière ubuesque le chantier et risque d'en compromettre l'achèvement.
Heureusement, monsieur le ministre, l'État a légitimement fait appel de cette décision, et nous espérons qu'un sursis à exécution sera prononcé par la juridiction administrative le 21 mai prochain.
Oui, le cas de l'A69 doit amener le législateur à faire évoluer la loi pour mieux concilier à l'avenir les impératifs incontournables de sécurité juridique et de protection de l'environnement.
Pour l'heure, le chantier de l'A69 est à l'arrêt, comme les milliers de personnes qui y travaillent. Abandonner cette réalisation dans sa phase finale n'est pas envisageable.
Le Sénat entend aujourd'hui prendre ses responsabilités et sécuriser ce projet. Face à ce blocage juridique, la présente proposition de loi prévoit de valider rétroactivement les deux autorisations environnementales délivrées par les représentants de l'État. Je félicite le rapporteur pour son travail sur ce texte, fruit d'un effort collectif et d'un large engagement.
Certains évoquent l'existence de solutions alternatives ou la nécessité de moderniser les infrastructures existantes, bien que les études et les concertations menées depuis plus de vingt ans ont prouvé le contraire.
Je ne minore pas les inquiétudes exprimées, notamment sur le plan environnemental. Ce projet a déjà fait l'objet de nombreuses études d'impact, de consultations et de mesures compensatoires, comme en témoignent les autorisations environnementales délivrées en 2023. Notre responsabilité collective est d'intégrer aujourd'hui la transition et le souci écologiques, sans sacrifier l'équilibre territorial.
Le texte apporte enfin une réponse à ceux qui tentent de faire échouer ce projet pour des raisons purement idéologiques. Ce sont toujours les mêmes associations, qui s'autoproclament écologistes et sont trop subventionnées par les collectivités publiques, qui sont à la manœuvre ; ce sont ces activistes et autres rebelles institutionnels, dont on entend régulièrement parler, comme ce fut le cas lors de la mise en place de « zones à défendre » (ZAD) sur les sites de Notre-Dame-des-Landes, de Sainte-Soline, de Sivens, ou encore sur le chantier en cours de la LGV entre Bordeaux et Toulouse.
Le chantier de l'A69 a même suscité – quel honneur ! – la venue d'une icône médiatique, Greta Thunberg (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.), réussite marketing à la figure pouponne de la lutte pour le climat, pur produit des adultes consentants et jamais assez repentants à son égard, comme le secrétaire général de l'ONU en son temps, ou certains chefs d'État, tous penauds et prompts à faire acte de contrition devant elle.
Que penser lorsque des adultes responsables, ministres et chefs d'État, s'inclinent et se couvrent la tête de cendre devant cette jeune adolescente, gourou médiatique qui fait la leçon à tout le monde ?
C'est un spectacle affligeant, pitoyable, que de voir le monde adulte, dont le devoir est de défendre la vérité et de faire preuve de courage, se prosterner devant la version la plus gnangnan (Rires sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.) de la propagande et de l'infantilisme climatique.
Et quand les gogos ne sont pas suffisamment nombreux, c'est dans les prétoires que l'activisme se poursuit, par la multiplication des contentieux.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Absolument !
M. François Bonhomme. Et quand cela ne fonctionne pas, ces associations radicales légitiment l'action violente de militants extrémistes, au nom de ce qu'ils appellent la désobéissance civile, qui n'est que l'autre nom du mépris de la majorité silencieuse. Ils en viennent même à théoriser le déchaînement de la violence contre les forces de l'ordre.
En octobre 2023, nombre de ces défenseurs du vivant autodésignés, en bons militants pacifistes, allaient manifester leur désaccord contre l'A69 en se munissant de barres de fer, de disqueuses, de casques, de pioches, de masques à gaz, de bidons d'essence et de boules de pétanque : le parfait attirail du manifestant cool et pacifique ! (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Mes chers collègues, au-delà des clivages, nous entendons défendre ici une certaine idée de l'intérêt général, le droit au transport, la politique d'aménagement de nos territoires, notamment des territoires les plus excentrés des métropoles.
Aussi, je vous invite à voter en faveur de cette proposition de loi pour que la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse soit enfin reconnue pour ce qu'elle est : un projet d'avenir, porteur d'espoir et de progrès économique pour notre région.
Pour l'ensemble de ces raisons, notre groupe votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je le dis d'emblée, le groupe RDPI est favorable à cette proposition de loi déposée par nos collègues du Tarn, Philippe Folliot et Marie-Lise Housseau, texte qui a également recueilli le soutien des députés tarnais Philippe Bonnecarrère et Jean Terlier. (M. Philippe Folliot et Mme Marie-Lise Housseau applaudissent.)
La présente proposition de loi revêt en effet une importance stratégique pour ce territoire.
Lorsque le chantier de l'A69 a été brusquement interrompu il y a quelques semaines, la présidente socialiste de la région Occitanie, Carole Delga, a rappelé avec clarté et responsabilité ce que beaucoup d'élus, d'habitants et d'entreprises de terrain savent depuis longtemps : cette autoroute est nécessaire. Elle a affirmé sa volonté de défendre l'intérêt général, qui ne saurait être réduit à des oppositions ponctuelles ou idéologiques.
M. Philippe Folliot. Très bien !
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Elle a ainsi déclaré : « Je continuerai d'être aux côtés des habitants et des entreprises du sud du Tarn qui ont besoin de cette liaison rapide, qui la soutiennent très largement, car elle est nécessaire au désenclavement du bassin de Castres-Mazamet. » La présidente Delga a raison, le désenclavement de ce territoire répond à une exigence d'équité territoriale et de dynamisme économique.
Ce lundi, nous évoquions ici même l'enjeu du désenclavement médical, notamment dans les zones rurales. Aujourd'hui, c'est la question de la mobilité, indissociable de l'accès aux soins, à l'emploi et aux services, que nous abordons. Elle est tout aussi essentielle.
Le soutien à ce projet est aussi celui de l'État, un soutien constant et transpartisan. Dès 2014, sous la présidence de François Hollande, l'État a déclaré l'utilité publique de ce projet autoroutier, qui concerne un linéaire de 53 kilomètres sur les 12 000 kilomètres du réseau national, destiné à relier Castres à Verfeil, au nord-est de Toulouse, où la future autoroute se connectera au périphérique via l'A680. Cette décision a permis d'engager les procédures administratives, techniques et foncières nécessaires au lancement du chantier.
Depuis lors, les gouvernements successifs n'ont cessé de confirmer leur engagement en faveur de cette infrastructure, qui a bénéficié de toutes les validations nécessaires. Cette position est partagée par les élus du Tarn, mais également par ceux de la Haute-Garonne, qui mesurent pleinement l'enjeu régional du projet. Aujourd'hui, le Sénat pourrait à son tour exprimer un soutien clair.
Pourtant, le 27 février 2025, le tribunal administratif de Toulouse a décidé l'annulation de l'autorisation environnementale de l'A69 et de l'A680. Ce jugement a eu pour effet l'arrêt immédiat du chantier, provoquant l'incompréhension d'une majorité d'acteurs locaux et économiques.
Monsieur le ministre, vous avez pris vos responsabilités.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Vous avez fait appel de cette décision devant la cour administrative d'appel de Toulouse, et vous avez demandé la suspension de son exécution afin de permettre une reprise rapide des travaux. L'examen de cette demande interviendra d'ailleurs dans les prochaines semaines.
Pour autant, le temps presse : chaque mois de retard est un mois de désenclavement reporté, un mois de croissance ralentie pour les entreprises locales, un mois d'attente pour les usagers de la route.
Permettez-moi d'avoir une pensée particulière pour mes compatriotes du Maroni, en Guyane, qui attendent depuis des décennies, avec espoir, la réalisation d'une route essentielle qui leur permettra enfin d'accéder plus aisément aux soins, à l'éducation et à une vie quotidienne digne et normale. J'en discuterai du reste avec vous très bientôt, monsieur le ministre, comme je l'ai déjà fait avec vos prédécesseurs.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Face à l'ancienneté du projet qui nous intéresse aujourd'hui, lancé il y a plus de vingt-cinq ans, soutenu par les majorités successives, mais ayant pâti de retards cumulés, ce texte vise à valider directement, par la loi, les arrêtés préfectoraux portant autorisation environnementale de la liaison autoroutière.
Il est notamment proposé de reconnaître la raison impérative d'intérêt public majeur, nécessaire à la réalisation de ces infrastructures. C'est ce que soutiendra notre groupe, j'y insiste.
La situation actuelle est incompréhensible pour nos concitoyens, qui ne peuvent concevoir qu'un projet soutenu de longue date puisse être remis en cause du jour au lendemain. Nous devons en tirer des leçons pour l'avenir en assurant plus de stabilité, de lisibilité et de sécurité juridique aux grands projets d'infrastructure publique. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le chantier de l'autoroute A69 reliant Toulouse à Castres est à l'arrêt, à la suite d'une décision de justice. Je tiens d'emblée à rappeler notre attachement à l'État de droit, garant de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance de la justice.
M. Ronan Dantec. Très bien !
M. Christian Bilhac. Néanmoins, nous sommes confrontés à une situation qu'il convient de débloquer, car la suspension du chantier coûte chaque jour 180 000 euros à l'État. Si, dans la suite logique de cette suspension, devait être décidée la démolition des ouvrages déjà réalisés à 80 %, le coût pour l'État, c'est-à-dire pour le contribuable, serait bien supérieur à un milliard d'euros. Quel gâchis quand on connaît l'état de nos finances publiques !
M. Pierre Jean Rochette. Parfaitement !
M. Christian Bilhac. D'un côté, cette décision de justice s'appuie sur des conclusions fort négatives et sur une enquête publique qui ne l'est pas moins, puisqu'elle assure que la preuve qu'aucune alternative routière n'était meilleure n'a pas été apportée ; de l'autre, ce projet est soutenu par la quasi-totalité des élus locaux : les parlementaires, la présidente de région, les conseillers départementaux, les maires, etc.
M. Ronan Dantec. Non, pas tous les maires !
M. Christian Bilhac. Dans un tel contexte, il paraît judicieux de favoriser l'aboutissement de ce chantier.
À l'avenir, il conviendra de garantir le droit des citoyens d'intenter un recours en justice, car il s'agit d'un droit fondamental dans notre République, mais il faudra aussi raccourcir les délais des procédures.
Dans un monde en perpétuel mouvement, il est inexplicable qu'il faille attendre trente ans pour mener à bien l'élargissement d'une route nationale en une deux fois deux voies. Rendez-vous compte : la décision d'en faire une autoroute a été prise il y a quinze ans ! Il est inconcevable de continuer ainsi, alors que la Chine réalise ce type d'infrastructures en un mois. Je ne souhaite certes pas que nous adoptions le même fonctionnement que les Chinois, mais il me semble qu'il est possible de trouver un juste milieu entre les deux.
La logique veut que nous terminions ce chantier, car l'impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui engendre un gaspillage d'argent public qui doit cesser, et ce malgré l'erreur qu'a commise l'État d'autoriser le lancement des travaux avant que tous les recours soient purgés.
Le pragmatisme doit en tout cas nous conduire à faire évoluer la loi pour mieux concilier l'impératif de sécurité juridique et les réalités du terrain.
Prenons le cas de l'Hérault. Il y a quelques jours, nous débattions ici du mix énergétique : dans mon département, la moitié de la production éolienne est bloquée à la suite de recours des défenseurs des oiseaux – la moitié !
Autre exemple, le contournement nord de Montpellier, projet lancé également il y a plus de trente ans, ne s'achèvera que dans les deux ou trois ans à venir à cause des dizaines et des dizaines de recours qui ont été intentés ! Et je ne parle même pas du contournement ouest de Montpellier, absolument indispensable, qui est lui aussi suspendu à de possibles recours.
Il y a peu, nous avons aussi débattu du fret ferroviaire, du ferroutage, et tout le monde ici s'est accordé à dire qu'il s'agissait d'une bonne idée.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Exactement !
M. Christian Bilhac. Je suis héraultais, je vois passer des milliers de camions sur l'autoroute A9. Alors, permettez-moi de poser cette question : si l'on décide de mettre en place la liaison ferroviaire entre l'Espagne et Paris, ou le nord-est de la France, combien de temps cela prendra-t-il ? Cinquante ans ? Parce qu'entre la libellule que l'on trouvera à un endroit, le lézard un peu plus loin et la chauve-souris encore ailleurs (Sourires.), le ferroutage ne sera pas mis en œuvre avant au moins trente ans, alors que ce mode de transport est indispensable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et protéger l'environnement.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. C'est le bon sens même !
M. Christian Bilhac. Ceci étant dit, le groupe du RDSE votera majoritairement en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC, ainsi qu'au banc des commissions. – M. Laurent Somon applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Lise Housseau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu'au banc des commissions. – M. Laurent Somon applaudit également.)
Mme Marie-Lise Housseau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a presque trois mois, le 27 février 2025, la décision du tribunal administratif de Toulouse, qui a annulé les autorisations environnementales de l'A69 à dix mois de la mise en service de cette autoroute, qui devait relier Castres à Toulouse, a provoqué un véritable séisme, une onde de choc dans le Tarn et la Haute-Garonne, et, plus largement, dans la France entière.
Car chaque département peut être concerné par un projet d'infrastructure routière, ferroviaire, ou par un équipement plus modeste conçu dans l'intérêt public, et se retrouver sous le coup d'une annulation.
Au-delà du cas particulier de l'A69, au-delà, donc, de la situation inédite à laquelle nous devons faire face aujourd'hui, il me semble que le législateur devra sans tarder se pencher sur l'indispensable conciliation entre protection de l'environnement et sécurisation juridique des grands projets. Des pistes existent, et notre collègue Franck Dhersin n'a pas manqué de les évoquer dans son rapport.
Le texte que nous examinons aujourd'hui ne concerne que l'A69, un projet vieux de trente ans qui a donné lieu à un débat public en 2009-2010, qui a été reconnu d'intérêt public majeur par la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM), une reconnaissance confirmée par le Conseil d'État en 2021.
Ce projet n'est pas un caprice : il répond à un réel besoin de désenclavement, de développement économique et de sécurité routière.
M. Philippe Folliot. Tout à fait !
Mme Marie-Lise Housseau. Il est par ailleurs voulu et soutenu par une large majorité de citoyens, d'acteurs économiques et sociaux, de collectivités et d'élus de toutes tendances politiques, de la région Occitanie, présidée par la socialiste Carole Delga, à la communauté d'agglomération Castres-Mazamet et à la métropole de Toulouse, présidées par les divers droite Pascal Bugis et Jean-Luc Moudenc, en passant par le conseil départemental du Tarn, présidé par le socialiste Christophe Ramond, sans oublier de nombreux maires et parlementaires, dont les deux députés du Tarn, Philippe Bonnecarrère et Jean Terlier, qui défendront ce texte à l'Assemblée nationale. Citons également nos collègues de Haute-Garonne Alain Chatillon, Brigitte Micouleau et Pierre Médevielle.
M. Philippe Folliot. C'est vrai !
Mme Marie-Lise Housseau. De plus, le chantier de l'A69 a été préparé collectivement à travers l'élaboration d'un projet de territoire qui a réuni tous les maires riverains, le département et les services de l'État. J'y ai moi-même participé pendant deux ans en tant que maire de Sorèze, un bourg situé à sept kilomètres de l'un des échangeurs de l'autoroute.
Enfin, ce projet est trop avancé pour être arrêté : trop d'argent a été dépensé ; aucun retour à l'état antérieur n'est possible.
La présente proposition de loi vise à valider les arrêtés des préfets du Tarn et de la Haute-Garonne des 1er et 2 mars 2023 portant autorisation environnementale, comme l'a si justement détaillé le rapporteur dans le cadre ses travaux.
Elle remplit les cinq conditions imposées à un texte de validation : le respect des décisions ayant force de chose jugée, le respect du principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions, une portée de la validation strictement définie, la non-méconnaissance par l'acte validé de règles ou principes de valeur constitutionnelle, et l'existence d'un motif impérieux d'intérêt général justifiant cette validation.
Si celui-ci est voté, ce texte redonnera espoir aux habitants, aux entreprises et aux élus du bassin de Castres-Mazamet, ancien bassin industriel, qui aspire aujourd'hui à une renaissance autour de nouvelles activités comme la chimie fine, l'agroalimentaire ou le tourisme.
Dans le cas contraire, les dommages seront irrémédiables, sur les plans tant économique que psychologique pour ce département qui se sent humilié, méprisé et nié dans ses choix de développement.
Pensez-vous que, pour attirer de nouvelles entreprises, de nouveaux investisseurs, de jeunes médecins et de nouveaux habitants, un bassin de vie gagne à être désenclavé ?
M. François Bonhomme. Et ce n'est pas le seul !
Mme Marie-Lise Housseau. Pensez-vous qu'une autoroute est moins accidentogène qu'une route nationale bordée de platanes qui traverse des villages ?
Pensez-vous que nous préserverions mieux l'environnement en mettant en œuvre les seize millions d'euros de compensation environnementale, plutôt qu'en abandonnant ce chantier à la friche, après plus de deux ans de travaux ?
Pensez-vous, au vu de l'état désastreux de nos finances publiques, que les sommes nécessaires à l'arrêt définitif de l'A69, probablement plusieurs milliards d'euros, ne pourraient être plus utilement dépensées ?
Enfin, ne pensez-vous pas qu'à l'heure où la défiance de la population à l'égard de nos institutions atteint des sommets, un tel fiasco achèverait de nous décrédibiliser ?
M. Ronan Dantec. Eh si !
Mme Marie-Lise Housseau. C'est parce qu'à toutes ces questions notre groupe Union Centriste répond sans hésitation par l'affirmative qu'il votera avec assurance et détermination pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, et RDSE. – M. Laurent Somon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous connaissons tous la situation de l'A69. Celle-ci constitue un cas d'école et le restera. Les élus s'en souviendront longtemps à ce titre.
Comment un projet validé par l'État, bénéficiaire d'une déclaration d'utilité publique, peut-il finalement se trouver à l'arrêt du fait de l'annulation d'autorisations environnementales qui, dans un premier temps, avaient été accordées ?
Sur le fond, nous aurions préféré, comme notre collègue Christian Bilhac, que la liaison Castres-Toulouse puisse se faire via l'amélioration de la ligne ferroviaire. Le développement de la voiture individuelle comme du transport routier de marchandises est en effet contraire à nos objectifs en matière de réduction d'émissions de CO2. C'est mon côté « développement durable » ! (Sourires.)
Nous comprenons toutefois l'enjeu de désenclavement et l'intérêt économique qu'il y a à réduire la durée du trajet entre Castres et Toulouse, et, partant, à faciliter la liaison entre ces deux communes.
La proposition de loi dont nous débattons ce matin ne vise pas le fond du projet, même si elle reconnaît l'intérêt public majeur de cet axe autoroutier. Et pour cause : les travaux sont aujourd'hui interrompus et les autorisations environnementales annulées, alors que 45 % des terrassements sont déjà réalisés, que 70 % des ouvrages d'art sont construits et que près de 300 millions d'euros ont déjà été engagés.
Une telle situation et la présente proposition de loi, qui vise à y remédier, montrent que nous avons de véritables difficultés à régler : il nous faut en effet soit changer la loi afin de préciser la définition de l'intérêt public majeur et d'adosser sa reconnaissance à la déclaration d'utilité publique, soit ne pas changer la loi et veiller à ce qu'aucun chantier ne démarre avant que tous les recours soient purgés. C'est d'ailleurs ce qui est demandé aux citoyens français lorsqu'ils déposent une demande de permis de construire, car cela permet d'éviter des démolitions et des coûts inutiles.
En ce qui concerne l'A69, on pourrait chercher à savoir à la demande de qui et par qui le démarrage des travaux a été autorisé, alors même que la totalité des recours n'étaient pas purgés.
M. Ronan Dantec. Très bonne question !
M. Jean-Pierre Corbisez. Ce qui est certain, c'est que nous ne devons pas procéder à du cas par cas législatif, ce qui serait non seulement chronophage pour nous, parlementaires, mais aussi, comme l'a souligné notre collègue Philippe Folliot, source d'iniquité entre les projets et entre les territoires.
Mon groupe et moi-même sommes très attachés à la séparation des pouvoirs fondateurs de notre République, ainsi qu'au respect du pouvoir judiciaire, lequel a rendu une décision contre laquelle l'État fait désormais appel. On ne peut pas dire qu'un juge est hors sol…
Si la décision du tribunal administratif peut s'entendre, elle arrive très tardivement et elle risque d'être lourde de conséquences pour les finances publiques, alors même que le projet est déjà bien engagé et que plusieurs collectivités locales – cela a été rappelé – en sont parties prenantes.
Telles sont les raisons pour lesquelles, à titre personnel et comme ma collègue Marie-Claude Varaillas, je voterai cette proposition de loi. Mon groupe, en revanche, votera majoritairement contre, pour les raisons précédemment exposées.
M. Ronan Dantec. Cela me rassure !
M. Jean-Pierre Corbisez. J'appelle toutefois à ne pas poursuivre la fuite en avant.
Le 21 mai prochain, si la cour d'administrative d'appel accorde un sursis à exécution de l'annulation de l'autorisation environnementale et que, dans l'attente de la décision du tribunal au fond, le chantier peut théoriquement reprendre, j'estime qu'il sera malgré tout plus sage d'attendre la décision définitive pour reprendre les travaux, afin de ne pas courir le risque d'un gaspillage supplémentaire d'argent public. Au sein de cette assemblée, qui s'est toujours montrée particulièrement attentive à la dépense publique, il est de notre devoir d'y veiller, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».
Nous examinons aujourd'hui une proposition de loi qui entend contourner deux décisions de justice en accordant un blanc-seing politique à un projet destructeur, la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse.
Il arrive que des décisions de justice déplaisent. C'est la vie démocratique. Ce n'est pas un problème, c'est même une preuve de bonne santé.
Aujourd'hui, nous débattons de la frontière entre le législatif et le judiciaire, et de la légitimité d'un Parlement à se substituer aux juges à une semaine de leur prise de décision. Pire, le législateur crée un précédent grave. En tentant d'influencer une cour de justice à quelques jours de son audience, le Gouvernement, lui, perturbe le cours du droit.
Cette proposition de loi répond non pas à une urgence ni même à une nécessité sociale ou environnementale indiscutable, mais à une forme d'entêtement. Surtout, elle fait primer une volonté politique sur l'État de droit, en bafouant le jugement rendu par le tribunal administratif de Toulouse le 27 février 2025.
Les magistrats ont en effet estimé que le projet « ne répond pas à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens des dispositions du c) de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ». Ces dispositions sont claires : une atteinte aux espèces protégées ne peut être tolérée qu'en présence d'un intérêt économique ou social majeur.
Le juge motive sa décision point par point – aucun critère de dérogation n'est éludé, les critères étant cumulatifs. Je vous en donne lecture, mes chers collègues : « les bénéfices d'ordre social que le projet litigieux est susceptible d'apporter, lesquels sont, somme toute limités, ne sauraient caractériser une raison impérative d'intérêt public majeur » ; « les motifs économiques avancés pour justifier un tel projet ne sauraient caractériser l'existence d'une raison impérative d'intérêt public majeur » ; « les motifs de sécurité avancés ne sauraient davantage caractériser l'existence d'une raison impérative d'intérêt public majeur ».
M. Franck Dhersin, rapporteur. Plus de vingt morts !
M. Jacques Fernique. Vous avez bien entendu : social, économique, de sécurité. C'est bien plus large, mon cher collègue François Bonhomme, que quelques chiroptères ou autres libellules. (M. François Bonhomme rit.)
Que fait notre rapporteur ? De fait, cher Franck Dhersin, vous balayez d'un revers de la main l'avis du tribunal, et ce sans produire d'analyse environnementale ni d'étude économique détaillée. Vous affirmez sans vraiment démontrer, vous avancez sans vraiment prouver.
À la rigueur juridique du tribunal, vous opposez des justifications politiques vaguement ébauchées, si peu argumentées et à peine assumées.
Et puis, nous découvrons que les mesures de compensation environnementale prendront fin une fois les travaux terminés. C'est un comble ! Autrement dit, on détruit, on compense tant bien que mal et, dès que le bitume est coulé, la nature peut se débrouiller seule. Ce n'est pas seulement inefficace, c'est irresponsable ! Allez donc voir sur le terrain, dans le département dont je suis élu, en Alsace, l'état actuel accablant des compensations du grand contournement ouest de Strasbourg.
Que dire, par ailleurs, de l'argument économique ? Aucune étude sérieuse ne démontre que cette autoroute favorisera le développement durable des territoires traversés.
Alors oui, l'État, censé incarner la puissance publique et la neutralité de la justice, a choisi de commencer les travaux avant même que le recours ne soit purgé. C'est une entorse grave au principe de séparation des pouvoirs. Faut-il vraiment importer le modèle trumpiste de mépris des contre-pouvoirs ? (M. François Bonhomme ironise.)
Quant au coût supposé d'un arrêt des travaux, nous avons encore une fois été mal informés, voire trompés. En réalité, ce projet coûte déjà cher en biodiversité, en argent public, en crédibilité démocratique.
Pourquoi une telle proposition de loi ? Pour gagner quelques mois, selon les mots mêmes des promoteurs du texte. Quelques mois, alors que ce projet est en gestation depuis plus de quinze ans ! C'est un texte à visée occupationnelle pour les politiques que nous sommes et un signal adressé aux partisans de l'autoroute.
Notre époque a fait de la simplification et du détricotage ses mots d'ordre. Vous y ajoutez les atteintes à l'État de droit, mes chers collègues.
En validant cette proposition de loi, vous créez un dangereux précédent. Vous instaurez les conditions pour que, demain, n'importe quel projet contesté en justice puisse passer en force.
Je reviendrai enfin sur le gentleman's agreement en vertu duquel les textes examinés dans le cadre de niches parlementaires sont soit des textes spécifiques dont l'objet, restreint, est relativement consensuel, soit des textes d'affirmation politique qui n'ont pas vocation à aboutir. Or ce texte par lequel vous tentez de contourner la loi n'est ni l'un ni l'autre. C'est une première, quasi historique.
Cette proposition de loi ne pouvant pas relever de notre gentlemen's agreement, nous avons déposé une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Hervé Gillé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi aux implications profondes tant sur les plans économique, financier et juridique que dans le domaine institutionnel.
Il ne s'agit pas ici d'un débat pour ou contre l'A69. Ce n'est pas un débat sur la pertinence ou la non-pertinence d'une infrastructure ni sur la réalité des attentes locales. C'est un débat sur le respect de l'État de droit, sur la place du juge dans notre démocratie et sur les limites qu'impose notre Constitution au pouvoir législatif lui-même.
M. Guy Benarroche. Absolument !
M. Ronan Dantec. Tout à fait !
M. Hervé Gillé. Ce texte comporte un article unique visant à valider rétroactivement deux arrêtés, l'un interdépartemental, l'autre préfectoral, qui ont été suspendus par le juge administratif en février dernier, au motif que le projet de liaison autoroutière Castres-Toulouse ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur, condition indispensable à toute dérogation au régime de protection des espèces et habitats protégés.
Cette décision du tribunal administratif n'est pas isolée. Elle s'inscrit dans le cadre très clair posé par le code de l'environnement transposant la directive européenne 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive Habitats.
Le droit est clair : lorsqu'un projet porte atteinte à des espèces protégées, trois conditions strictes doivent être réunies pour que l'État puisse accorder une dérogation : l'absence d'alternatives, la préservation de l'état de conservation des espèces et, surtout, la démonstration d'une raison impérative d'intérêt public majeur.
M. Philippe Folliot. C'est ce qu'on a fait !
M. Hervé Gillé. Or le juge – et c'est son rôle – a estimé que cette dernière condition n'était pas remplie en l'espèce, malgré la déclaration d'utilité publique prononcée en 2018, laquelle a été confirmée par le Conseil d'État en 2021.
Le juge a opéré une distinction entre utilité publique et intérêt public majeur, lesquels relèvent de deux procédures différentes. Une telle distinction est conforme au droit.
La présente proposition de loi entend contourner cette décision de justice en validant a posteriori, par la loi, des autorisations administratives devenues illégales. Est-ce le rôle du Parlement de se substituer au juge lorsque l'on n'est pas satisfait d'une décision de justice ? Est-ce notre rôle de créer un précédent en validant rétroactivement un acte administratif suspendu, alors même que des recours sont en cours d'instruction ?
Sauf report éventuel, la cour administrative d'appel de Toulouse devrait se prononcer le 21 mai prochain. Nous verrons bien.
Le calendrier d'examen de cette proposition de loi, présentée en urgence, avant même que la justice ait terminé son travail, envoie un message trouble, celui d'un Parlement qui interviendrait pour sauver un projet juridiquement en difficulté, au mépris du principe de séparation des pouvoirs.
Sur le fond, le texte soulève d'importants risques constitutionnels. Dans une décision du 5 mars dernier, le Conseil constitutionnel a clairement rappelé que l'intérêt public majeur ne peut être reconnu par la loi que pour certains projets spécifiques, notamment les projets relevant de la souveraineté nationale ou de la transition écologique, les projets de production d'énergies renouvelables ou nucléaire ou des projets comme la reconstruction de Notre-Dame de Paris. Nous en sommes loin ! En tout état de cause, les projets d'infrastructures routières ne relèvent pas de cette catégorie.
Si elle était adoptée, cette proposition de loi pourrait donc être censurée par le Conseil constitutionnel, ce qui créerait encore davantage de confusion juridique, d'incertitude et d'instabilité pour l'ensemble des parties prenantes du projet.
À ceux qui évoquent les coûts de suspension du chantier, les risques d'indemnisation ou encore les inquiétudes économiques, je réponds clairement que ces inquiétudes sont légitimes. Mais ce risque n'a été créé ni par le droit ni par le juge. Il est la conséquence de la décision de commencer les travaux avant l'épuisement des recours. La prudence aurait dû prévaloir. Or la responsabilité d'une telle précipitation ne peut pas être reportée sur le Parlement.
Le Gouvernement devrait du reste être à l'origine de cette initiative. Je tiens à saluer votre position courageuse, monsieur le ministre : vous n'en avez rien fait ! Vous laissez au Parlement le soin de le faire, sans vous positionner. Il faut reconnaître que cela interroge.
M. Hervé Gillé. Au stade où en est ce chantier, un retour en arrière serait lourd de conséquences. Sans doute faudra-t-il donc le poursuivre.
Cette affaire montre la nécessité de réfléchir de manière apaisée et constructive à une amélioration de la sécurité juridique des projets, pour l'ensemble des parties prenantes. Lors de l'examen du projet de loi de simplification de la vie économique, il avait été proposé que la raison impérative d'intérêt public majeur puisse être reconnue plus tôt, dès le stade de la déclaration d'utilité publique, pour éviter que les projets ne soient arrêtés en plein chantier. Ce débat légitime est devant nous. Il nous revient de le rendre possible, mes chers collègues, et ce à plus forte raison que, n'ayant pas défini clairement cette raison impérative d'intérêt public majeur, nous avons laissé au juge le soin d'en apprécier le périmètre. Nous sommes donc les premiers fautifs.
Certains collègues estiment que les juges seraient hors sol. Si l'on me propulsait juge administratif, je serais particulièrement hors sol, car je méconnaîtrais mon sujet ! Les juges administratifs, eux, connaissent leur sujet, et c'est parce que nous n'avons pas défini clairement dans la loi la notion de raison impérative d'intérêt public majeur qu'il leur est revenu d'en apprécier le périmètre !
Plutôt que la présente proposition de loi, monsieur le rapporteur, nous devrions donc examiner une proposition de loi visant à clarifier la notion de raison impérative d'intérêt public majeur et à qualifier les projets qui en relèvent ou non le plus en amont possible, de manière à éviter les recours successifs.
M. Franck Dhersin, rapporteur. C'est ce que nous faisons !
M. Hervé Gillé. En l'occurrence, l'État est responsable, car il a volontairement mobilisé la raison impérative d'intérêt public majeur pour tenter d'accélérer les procédures, ce qui a ouvert la porte à de nouveaux recours et à de nouvelles interprétations juridiques.
Pour toutes ces raisons, le groupe SER, dans sa grande majorité, ne prendra pas part au vote. Si nous pouvons entendre et comprendre les intérêts des parties prenantes à ce projet, nous estimons en effet que toute procédure parlementaire visant à fragiliser l'État de droit est avant tout un signe de fragilité politique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par MM. Dantec, Fernique, Benarroche et G. Blanc, Mme de Marco, MM. Dossus et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse (n° 585, 2024-2025).
La parole est à M. Ronan Dantec, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme Jacques Fernique vient de le rappeler, « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Or nul ne connaît mieux la Constitution qu'un sénateur, puisque celui-ci fait toujours sienne la phrase que le président Larcher aime à rappeler, selon laquelle « il ne faut toucher à la Constitution que d'une main tremblante » !
Je ne sais pas si la main des auteurs de cette proposition de loi a tremblé au moment de l'écrire ou de la déposer. Il me paraît qu'à tout le moins ils ne devaient pas avoir en tête l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui est le socle de la Constitution de 1958, comme cela est précisé dans la première phrase de son préambule.
Comme l'indiquait Hervé Gillé, la question qui nous est posée ce matin n'est pas la suivante : « Êtes-vous pour ou contre le doublement de la route existante entre Toulouse et Castres par une autoroute payante ? » Mais bien celle-ci : « Sommes-nous respectueux des principes mêmes de la Constitution ? »
En toute liberté, et de manière très étayée dans son délibéré, le tribunal administratif de Toulouse a considéré, par deux jugements en date du 27 février 2025, que deux projets, parmi lesquels la création d'un axe autoroutier entre Castres et Toulouse, ne répondaient pas à une raison impérative d'intérêt public majeur, telle que la loi la définit, et a donc annulé les deux autorisations environnementales de ces projets.
Pour étayer sa décision de ne pas retenir la qualification de raison impérative d'intérêt public majeur – on ne le souligne pas suffisamment –, le tribunal administratif s'est référé à la définition des infrastructures prioritaires introduite par la proposition de loi sénatoriale visant à faciliter le désenclavement des territoires, votée à la quasi-unanimité par le Sénat en 2019, qui précise qu'« aucune partie du territoire français métropolitain continental [ne doit être] située soit à plus de cinquante kilomètres ou de quarante-cinq minutes d'automobile d'une unité urbaine de 1 500 à 5 000 emplois, d'une autoroute ou d'une route aménagée pour permettre la circulation rapide des véhicules ».
Castres étant, selon Waze, à 48 kilomètres de l'A68, et une vitesse de 63 kilomètres par heure étant aujourd'hui accessible à la plupart des véhicules, cette liaison ne satisfait donc pas aux critères d'une infrastructure prioritaire tels que le Sénat les avait définis.
Je ne doute pas que, pour forger leur conviction, les juges du tribunal administratif ont tenu compte de cette définition, par laquelle, un an après la déclaration d'utilité publique de 2018, les sénateurs, dans leur sagesse légendaire et à la quasi-unanimité, ont exclu la liaison Castres-Toulouse du périmètre des infrastructures prioritaires. De nombreux sénateurs d'Occitanie – je dispose de la liste – défendaient alors ce texte.
Aussi, il paraît délicat d'affirmer aujourd'hui que le Sénat doit inscrire dans la loi que ce projet répond à une raison impérative d'intérêt public majeur, quand un grand nombre de sénateurs, dont certains soutiennent aujourd'hui la présente proposition de loi, pensaient l'inverse six ans plus tôt.
Pensez-vous vraiment que, dans de telles conditions, le Conseil constitutionnel jugera qu'il s'agit finalement d'un motif d'intérêt général impérieux, mes chers collègues ? Je ne crois pas, du reste, que ce caractère impérieux ait été justifié à ce stade – je crois même que le mot n'a pas encore été prononcé –, mais je ne doute pas que notre collègue Rochette le fera dans un instant. J'attends son intervention avec intérêt.
M. Pierre Jean Rochette. Oui, j'arrive !
M. Ronan Dantec. Nous ne sommes qu'au début d'un festival de trouvailles législatives à faire sursauter dans leur tombe les pères de la Constitution et à faire saliver d'envie tous les avocats spécialistes du droit constitutionnel.
Prenez par exemple l'utilisation de la loi de validation pour tenter d'effacer des tablettes la décision du tribunal administratif, mes chers collègues.
Historiquement, une loi de validation a pour objet de prévenir l'annulation, par le juge administratif, de certaines décisions entachées d'un vice de forme mineur, et, donc, d'éviter une annulation aux conséquences disproportionnées. En l'occurrence, nous avons passé le stade de la prévention…
On détourne donc le principe même de la loi de validation en intervenant après la première décision du tribunal administratif, sur un sujet qui – ce n'est rien de le dire – ne fait pas consensus.
De nombreux maires du territoire – j'en ai aussi la liste – ont toujours manifesté leur refus de ce projet. C'est un dossier qui divise politiquement, nous le savons. Utiliser une loi de validation, prévue par le législateur comme un texte consensuel pour régler des difficultés spécifiques, crée de manière évidente un très grave précédent.
Cela veut-il dire, monsieur le rapporteur – votre avis nous intéresse –, que, dès qu'un projet sera annulé par le tribunal, le Parlement déposera aussitôt une loi de validation ? On voit bien la fuite en avant qui se profile et l'engorgement du Parlement qui s'ensuivra.
Ce n'est pas sérieux, mes chers collègues.
Monsieur le rapporteur, sur quelles lois de validation de même importance vous êtes-vous appuyé pour considérer qu'il ne s'agissait pas, en l'espèce, d'un détournement du principe même des lois de validation, lequel est pourtant clairement précisé par le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision du 14 février 2014 ?
De plus, et surtout, une loi de validation doit, par principe, respecter la Constitution, notamment l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et, partant, le principe de séparation des pouvoirs. Telle est à mes yeux la question majeure : intervenir, à quelques jours d'une décision de justice, par une loi de rectification d'urgence, n'est-il pas constitutif d'une grave remise en cause du principe socle de l'article 16 de notre loi fondamentale ?
Dois-je rappeler, par ailleurs, que l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme interdit toute ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice ?
Il ne manquerait plus qu'un sénateur prétende que les juges administratifs sont hors sol ! (Sourires.) Heureusement, personne n'a rien dit…
Ces questions nous taraudent, mes chers collègues, et nous aurions pu interroger le rapporteur sur les sentiments que suscitait chez lui cette urgence à convoquer le Parlement, mais ce n'est plus nécessaire, car il nous a déjà répondu.
En proposant, par l'amendement n° 4, d'introduire les termes « sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée », M. le rapporteur, que je salue, nous a déjà répondu que, face au méga-problème qui se présente à lui, il tente de colmater la brèche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. François Bonhomme. C'est du mauvais esprit !
M. Loïc Hervé. Ce n'est pas le cas !
M. Ronan Dantec. Des esprits mal intentionnés pourraient voir, dans une telle proposition, une forme de fébrilité, voire de bricolage législatif, mais, pour ma part, j'estime que votre honnêteté vous honore, et je vous en remercie, monsieur le rapporteur. (Sourires.)
M. Franck Dhersin, rapporteur. Je ne me prends pas pour un juge constitutionnel, moi !
M. Ronan Dantec. Certains opposants à l'A69 m'en voudront peut-être de lancer l'alerte de la sorte. En tout état de cause, chers défenseurs de cette autoroute payante, si vous voulez éviter d'alerter le Conseil constitutionnel pour rien, ne mettez pas vous-mêmes des phrases d'excuse dans le texte. C'est un peu comme si Maradona, après avoir éliminé l'Angleterre d'un but de la main, était allé voir l'arbitre pour lui dire : « Tu as vu ? J'ai triché, mais c'est la main de Dieu ! » (Rires et applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Loïc Hervé. C'est clair !
M. Ronan Dantec. Je ne suis pas certain que la cour administrative d'appel aujourd'hui et, demain, le Conseil constitutionnel, apprécieront l'intervention de la main, même tremblante, du Sénat. Vous me pardonnerez cette métaphore footballistique, qui, sur ce projet situé en pays de rugby, n'était sans doute pas du meilleur goût, mes chers collègues ! (Sourires.)
Voulez-vous d'autres arguments juridiques ? Savez-vous par exemple que le Conseil constitutionnel refuse les lois de validation totale ? Si la cour d'appel voulait se montrer chafouine après cette intervention du pouvoir politique – qui n'a, heureusement, pas qualifié sa décision d'ubuesque (Sourires.) –, pourrait donc évoquer d'autres motifs pour maintenir l'annulation de l'autorisation environnementale. J'espère que l'on vous a informés de cette petite difficulté supplémentaire, mes chers collègues.
Comme il me reste un peu de temps, je ferai enfin un peu de publicité pour le bassin économique de Castres-Mazamet. (Sourires.)
Je citerai tout d'abord le document de référence que constitue le jugement du tribunal administratif : « le bassin de Castres-Mazamet ne saurait être qualifié, sur le plan du dynamisme démographique, comme étant en situation de décrochage. […] Si le bassin de Castres-Mazamet est le seul de cette importance à ne pas être relié à la métropole toulousaine par une infrastructure de type autoroutière, il résulte de l'instruction qu'il dispose de tous les services des gammes de proximité et intermédiaire, d'un centre hospitalier, de formations primaires à universitaires, d'équipements de tourisme, d'hypermarchés, de laboratoire de recherches, notamment, qui lui permettent une certaine autonomie. […] Dans ces conditions, le bassin de Castres-Mazamet dispose de services et d'équipements de qualité, qui, s'ils ne sont pas du niveau de ceux offerts au sein de la métropole toulousaine, ne sont toutefois pas, sur un plan qualitatif, significativement moindres. »
Sans la campagne de dénigrement systématique orchestrée par les partisans de l'autoroute A69 dont ce bassin d'emploi fait l'objet, on aurait presque envie d'y vivre ! Mais il faut dire qu'avec autant de promoteurs, ce territoire n'a pas besoin d'ennemis ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Protestations sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Folliot. C'est scandaleux !
M. Ronan Dantec. Bien que seule une route départementale aussi peu goudronnée que les ribines des courses cyclistes du Tro Bro Leon relie Castres à la civilisation toulousaine, il ne semble pas, au vu des chiffres de l'Insee, que cette commune soit en situation d'effondrement économique et démographique. Nous voilà donc rassurés !
M. Philippe Folliot. Quelle honte !
M. Ronan Dantec. En bref, en rejetant tout de suite ce texte dangereux et mal ficelé, nous gagnerons du temps, de l'énergie et de la sérénité ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, contre la motion.
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien entendu, je m'opposerai à cette motion déposée par les sénateurs du groupe écologiste, et, pour ce faire, je répondrai de manière très factuelle, en quatre points, aux arguments avancés par ses auteurs.
Ces derniers affirment premièrement que, par cette proposition de loi, il serait procédé à un détournement de la fonction des lois de validation, lesquelles ne viseraient en principe que des motifs d'annulation de minime importance, tels que des vices de forme.
Si, traditionnellement, les lois de validation ont en effet été fréquemment utilisées pour prévenir des annulations résultant de vices de procédure, il est tout à fait admis qu'elles puissent porter sur des motifs de fond. La jurisprudence du Conseil constitutionnel compte d'ailleurs de nombreux exemples de cet usage des lois de validation, y compris en matière de projets d'infrastructures.
Une disposition de validation relative à la déclaration d'utilité publique du projet de tramway de Strasbourg avait par exemple été adoptée dans la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale. Le juge administratif avait alors prononcé l'annulation de cette déclaration d'utilité publique pour des motifs tenant notamment aux insuffisances pointées dans le travail de la commission d'enquête publique.
S'agissant du motif d'intérêt général devant justifier l'intervention du législateur, il va de soi que le juge constitutionnel examine avec une exigence renforcée les dispositions de validation relatives à des motifs de fond. J'y reviendrai ultérieurement, mais il me semble qu'en l'espèce la robustesse de ces motifs est bien démontrée.
De manière plus générale, le recours à des lois de validation est une pratique courante qui permet, dans certains cas particuliers et à condition de respecter strictement les exigences fixées par la Constitution, de conforter la sécurité juridique de situations déjà constituées et de prévenir les conséquences dommageables d'annulations contentieuses.
Le deuxième argument des auteurs de la présente motion a trait à l'articulation de cette proposition de loi avec la procédure juridictionnelle en cours.
Le texte proposé n'a nullement pour but d'influer ou de faire pression sur le dénouement du litige devant le juge d'appel, comme le soutiennent les auteurs de la motion, que ce soit au fond ou dans le cadre du sursis à exécution sollicité par l'État.
Comme cela a été rappelé, le législateur ne saurait substituer son analyse à celle du juge d'appel, et j'estime qu'il est en l'occurrence pleinement dans son rôle, puisqu'il s'efforce de prévenir la mise en péril d'un intérêt public majeur en cas d'arrêt définitif du projet d'A69, d'une part, et de concilier la protection et la mise en valeur de l'environnement et le développement économique et le progrès social, d'autre part.
La réalisation du projet d'A69 s'inscrit en outre pleinement dans le cadre fixé par le législateur dans la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM).
J'ajoute que si la disposition en cause neutralise le motif tiré de l'absence présumée de raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) du projet d'autoroute A69, l'autorisation préfectorale dont il fait l'objet demeure attaquable devant le juge administratif pour tout autre motif, y compris les deux autres conditions exigées par le code de l'environnement au titre de la dérogation « espèces protégées ». Le contrôle juridictionnel de l'acte validé demeure donc possible, comme l'exige la jurisprudence constitutionnelle.
Enfin, le Conseil constitutionnel n'interprète pas le principe de séparation des pouvoirs comme proscrivant par principe le recours à des lois de validation lorsqu'une annulation a été prononcée en première instance. En effet, sa jurisprudence est constante : ce principe interdit au législateur de remettre en cause des décisions de justice ayant force de chose jugée. Or ce n'est pas le cas de cette proposition de loi.
Je reviens à la décision du Conseil constitutionnel relative au chantier du tramway de Strasbourg : la disposition en cause a finalement été censurée au motif que sa portée était trop large et que les motifs d'intérêt général invoqués étaient insuffisants, et non pas parce qu'une procédure d'appel était pendante.
Troisièmement, comme le soulignent les auteurs de la motion, seuls d'« impérieux motifs d'intérêt général » peuvent justifier le recours à une loi de validation. Or, en l'espèce, ces motifs sont bien démontrés, tant du point de vue des bénéfices attendus du projet qu'au regard des conséquences dramatiques qu'emporterait son abandon définitif pour l'intérêt général.
Ces motifs sont avant tout d'ordre démographique. Nous ne sommes pas tous d'accord sur la question, mais, pour ma part, j'ai plutôt tendance à croire les sénateurs qui vivent sur le territoire concerné.
M. Philippe Folliot. Merci !
M. Pierre Jean Rochette. Le chantier de l'autoroute A69 est un projet structurant. Il répond à un objectif de développement équilibré et de désenclavement du sud du Tarn et produira des effets bénéfiques sur le long terme.
Le phénomène de métropolisation est connu : les métropoles telles que Toulouse exercent une forte attraction. Les territoires dits périphériques ont donc besoin de leur être raccordés.
Comme l'a souligné le rapporteur, le sud du Tarn est lésé par le manque de fiabilité et de rapidité des infrastructures de transports desservant actuellement Toulouse. Il faut une heure dix pour rejoindre la capitale régionale en voiture depuis Castres via la RN 126. Certains prétendent réaliser ce trajet beaucoup plus vite ; je les invite à respecter les limitations de vitesse – et je sais de quoi je parle ! (Sourires.)
Ce temps de trajet place la population de Castres à l'écart des grands équipements toulousains. Il en résulte un décrochage démographique du bassin de Castres-Mazamet, qui ne s'observe pas dans les autres pôles de cette région, notamment Albi, Montauban et Gaillac, lesquels disposent de solutions de mobilité fiables et régulières depuis et vers la métropole. (M. Philippe Folliot surenchérit.)
Naturellement, les entreprises et les établissements publics de Castres-Mazamet pâtissent également de cet enclavement, qui engendre d'importantes difficultés de recrutement. Chacun sait que les problèmes de mobilité sont un frein à l'emploi.
Comme l'a rappelé un précédent orateur, le projet d'A69 répond également à des impératifs de sécurité : entre 2021 et 2024, dix-huit accidents ont causé la mort de six personnes sur la RN 126. Je rappelle que 60 % des accidents de la route ont lieu sur le réseau hors agglomération. Seuls 8 % des accidents interviennent sur les autoroutes, qui sont plus sécurisées et plus sécurisantes.
Mes chers collègues, les conséquences d'un arrêt définitif du chantier de l'A69 seraient dramatiques à la fois pour le territoire de Castres-Mazamet et pour les pouvoirs publics. L'indemnisation d'Atosca s'élèverait à 500 millions d'euros. J'espère que nous n'aboutirons pas à cette extrémité, mais le coût total d'un tel arrêt pourrait ainsi atteindre le milliard d'euros. Dans le contexte actuel, je vois mal comment nous pourrions justifier auprès de nos concitoyens que nous nous apprêtons à dilapider une telle somme pour mettre fin à un projet qui est déjà réalisé à plus de 80 %… (M. Thomas Dossus s'exclame.)
Au-delà de ses répercussions sur nos deniers publics, un arrêt de ce projet aurait des conséquences socioéconomiques très préjudiciables. (Protestations sur les travées du groupe GEST.) Écoutez-moi, mes chers collègues, il y a des choses intéressantes !
M. Ronan Dantec. Enfin ! (Sourires.)
M. Pierre Jean Rochette. Le territoire de Castres-Mazamet se prépare à accueillir cette infrastructure depuis des années. Je rappelle que ce projet répond à une demande des élus locaux et que ce n'est pas une décision parisienne… Les acteurs du territoire, publics comme privés, ont lourdement investi en conséquence.
Pour les acteurs économiques qui misaient sur l'amélioration de la connexion avec Toulouse, l'arrêt du chantier constituerait une véritable perte de chances, a fortiori à seulement quelques mois de son achèvement. Cela fragiliserait l'attractivité économique du territoire ; surtout, cela remettrait en cause le maintien du tissu économique existant. En effet, il est malheureusement prévisible que de nombreuses entreprises quitteraient Castres-Mazamet au profit de territoires voisins mieux desservis.
Quatrièmement, la reconnaissance par la loi de la raison impérative d'intérêt public majeur à laquelle répond un projet n'est pas inédite : le législateur a déjà adopté ce type de disposition en 2023 dans le cadre de la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables et dans celui de la loi relative à l'industrie verte.
Dans sa décision du 5 mars 2025, le Conseil constitutionnel a admis la possibilité de reconnaître la raison impérative d'intérêt public majeur indépendamment de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, dans la mesure où la réduction de l'incertitude juridique pesant sur certains projets constitue « un objectif d'intérêt général » et où cette reconnaissance ne concerne que des projets précisément identifiés et revêtant une importance particulière.
En l'espèce, ces critères semblent bien respectés : il s'agit d'une mesure ciblée, qui vise à préserver un projet d'importance nationale, que ce soit par sa nature, par ses dimensions ou par les enjeux qu'il revêt pour l'aménagement du territoire.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, je vous invite à rejeter massivement cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, ce qui nous permettra de poursuivre l'examen de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. Franck Dhersin, rapporteur. Bravo !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Franck Dhersin, rapporteur. Mes chers collègues écologistes, en défendant cette motion, vous souhaitez mettre fin à l'examen de cette proposition de loi. (Marques d'approbation sur les travées du groupe GEST.) Jusqu'ici, je suis sûr d'avoir tout bien compris.
Comme l'a très justement rappelé notre collègue Pierre Jean Rochette , ce texte ne constitue pas un détournement de la pratique des lois de validation et, contrairement à ce que vous indiquez, il ne vise pas à faire pression sur le dénouement judiciaire de l'appel et de la demande de sursis à exécution qui sont en cours.
Vous nous accusez de nous prendre pour le juge administratif ; tâchez de ne pas vous prendre pour le juge constitutionnel ! Les lois de validation ne sont pas une entorse à l'État de droit. Cette pratique est à la fois reconnue par le Conseil constitutionnel et rigoureusement encadrée par sa jurisprudence, et ce depuis 1980 !
Le juge constitutionnel a défini cinq conditions, sur lesquelles je ne reviendrai pas, pour apprécier la conformité d'une loi de validation à la Constitution.
M. Ronan Dantec. Justement, revenez-y, car il y a un sujet !
M. Franck Dhersin, rapporteur. Or il me semble, comme l'expose le rapport de la commission, que ces cinq conditions sont bien respectées en l'espèce.
M. Philippe Folliot. C'est vrai !
M. Franck Dhersin, rapporteur. Il nous appartient, en tant que législateurs, de répondre à un double impératif. D'une part, nous nous devons d'améliorer, grâce à l'A69, la desserte du bassin de Castres-Mazamet depuis Toulouse dans un objectif d'équité territoriale. « Équité territoriale » : ces mots ont-ils un sens pour vous ? D'autre part, il nous faut éviter le préjudice pour l'intérêt général d'une mise à l'arrêt définitive de ce chantier de grande ampleur, qui était très proche d'être achevé et pour lequel des moyens considérables ont déjà été engagés.
La commission émet donc un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Tabarot, ministre. En plus de donner mon avis sur cette motion, je répondrai à quelques points soulevés lors de la discussion générale.
Tout d'abord, je tiens à souligner la compétence de mes anciens collègues auteurs de ce texte, Philippe Folliot et Marie-Lise Housseau, qui connaissent très bien le droit et qui sont compétents sur ces questions.
M. Thomas Dossus. Et nous non ?
M. Philippe Tabarot, ministre. De même, les députés Jean Terlier et Philippe Bonnecarrère, qui défendront le texte à l'Assemblée nationale, sont des juristes reconnus. Je tiens à rappeler que ce dernier était reconnu comme une figure importante de la commission des lois du Sénat et l'un des meilleurs juristes de cette assemblée jusqu'à récemment. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe UC. – Protestations sur les travées du groupe GEST.)
M. Loïc Hervé. Bravo !
M. Philippe Tabarot, ministre. Ensuite, si nous devions attendre la fin de tous les recours pour engager un chantier, la situation deviendrait impossible : les gens en déposeraient en permanence et l'autorisation environnementale deviendrait caduque avant que le Conseil d'État n'ait pris l'ultime décision au bout de plusieurs années. En l'occurrence, les habitants du sud du Tarn attendent l'autoroute depuis trente ans !
Monsieur Dantec, je ne veux pas croire que nos débats soient de nature à influencer les magistrats de la cour administrative d'appel de Toulouse.
M. Guy Benarroche. On tente de les influencer !
M. Ronan Dantec. Bien sûr…
M. Philippe Tabarot, ministre. Je précise qu'hier le rapporteur public du Conseil d'État a demandé de rejeter l'une des autres nombreuses requêtes des opposants au projet d'A69 qui concerne notamment la durée de la concession.
Monsieur Gillé, il est assez extraordinaire de vous entendre m'accuser de ne pas me positionner sur le sujet, alors que votre groupe ne prendra pas part au vote ! (Rires sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Daniel Gueret. Bravo !
M. Philippe Tabarot, ministre. Du reste, nous ne parvenons toujours pas à comprendre votre position sur le fond du projet.
M. François Bonhomme. On est perdus ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Tabarot, ministre. De Faure à Delga et de Delga à Faure, il ne faudrait pas que d'autres considérations viennent troubler votre positionnement sur le sujet…
Je suis en revanche d'accord avec vous sur un point : le législateur n'a pas été suffisamment clair sur la définition de la raison impérative d'intérêt public majeur. Le Gouvernement tâchera de clarifier les choses lors de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de simplification de la vie économique.
Si la décision du 27 février dernier n'est pas ubuesque, la situation qu'elle a créée l'est bel et bien. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis de sagesse défavorable sur cette motion.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour explication de vote.
Mme Marie-Claude Varaillas. Mon collègue Jean-Pierre Corbisez ayant indiqué que je voterai pour cette proposition de loi, il me semble important d'apporter quelques explications.
La juridiction administrative a déjà annulé à plusieurs reprises une décision administrative nécessaire à la réalisation de travaux d'infrastructure. Toutefois, ces décisions sont généralement intervenues alors que le projet en était au stade de la déclaration d'utilité publique, et rarement au moment où les travaux sont sur le point de s'achever, comme c'est le cas de l'A69.
Ce dossier me remémore bien sûr l'annulation par la cour d'appel de Bordeaux de l'arrêté de la préfète de la Dordogne autorisant la réalisation des travaux d'aménagement du contournement du village de Beynac-et-Cazenac, sur le territoire des communes de Castelnaud-la-Chapelle, Vésac et Saint-Vincent-de-Cosse, arrêté qui avait pourtant fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique.
La cour avait alors enjoint au département de la Dordogne de procéder à la démolition des travaux déjà réalisés et de remettre les lieux en état. Les coûts de ces opérations ont été respectivement évalués à 40 millions d'euros et à plus de 20 millions d'euros. (MM. François Bonhomme, Philippe Folliot et Laurent Somon renchérissent.)
Comme vous, mes chers collègues, je suis très attachée à la séparation des pouvoirs. Ce fut mon métier toute ma vie. Mais je pense que nous avons le devoir de faire évoluer la loi, car, derrière ces situations quelque peu inédites, il y a l'argent des contribuables. Or, dans un contexte plus que contraint, nous sommes comptables des derniers publics.
M. Philippe Folliot. Très juste !
Mme Marie-Claude Varaillas. Alors que des chantiers en cours ont dû être arrêtés, il devient évident que la raison impérative d'intérêt public majeur doit intervenir plus tôt dans la vie des projets et, en tout état de cause, avant le lancement des travaux. De plus, les critères d'application de cette notion issue du droit européen n'ont pas été suffisamment précisés pour encadrer la décision du juge.
Enfin, je ne doute absolument pas de la nécessité de réduire l'artificialisation des sols pour préserver, notamment, l'agriculture – et je m'y emploie. Toutefois, nos départements ruraux sont amenés à résoudre des problèmes de sécurité routière, ce qui implique des déviations. C'est ce qui s'est passé pour Beynac-et-Cazenac, qui fut, en son temps, classé « plus beau village de France »…
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Claude Varaillas. Par ailleurs, ils doivent se projeter en matière de développement économique, sauf à ce que nous considérions qu'ils soient condamnés à n'être rien de plus que le poumon des métropoles.
M. le président. Veuillez conclure !
Mme Marie-Claude Varaillas. Ces territoires ruraux, qui sont en première ligne pour engager la transition écologique, entendent légitimement rester innovants et attractifs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gueret, pour explication de vote.
M. Daniel Gueret. La présente proposition de loi vise à reconnaître clairement la raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) du projet de liaison autoroutière entre Castres et Toulouse, après l'annulation par le tribunal administratif de Toulouse des autorisations environnementales délivrées.
Cette annulation, fondée sur l'absence de RIIPM, a brutalement interrompu un chantier dont 60 % des travaux étaient déjà réalisés, pour un investissement de près de 300 millions d'euros.
Pourtant, compte tenu de la nécessité d'améliorer l'accessibilité et la sécurité routière de ce bassin, mais aussi de renforcer l'attractivité économique du sud du Tarn, ce projet a fait l'objet d'un soutien massif et constant des collectivités locales, des acteurs économiques et de la population.
Ce texte vise non pas à contourner le droit, mais à remédier à une insécurité juridique qui met en péril un projet d'intérêt général dont le Conseil d'État a déclaré l'utilité publique et la loi d'orientation des mobilités (LOM) a reconnu le caractère prioritaire. Il s'agit de garantir la cohérence de l'action publique et de respecter la volonté démocratique qui s'est exprimée localement par le biais de nombreux votes et marques de soutiens.
Enfin, refuser d'examiner ce texte, ce serait ignorer des enjeux de désenclavement, de développement territorial et de sécurité routière qui concernent directement des milliers d'habitants et d'entreprises de la région Occitanie.
M. Philippe Folliot. Très bien !
M. Daniel Gueret. Il n'est nullement question de nier les enjeux environnementaux, mais il importe de trouver un équilibre entre la protection de la biodiversité et la nécessité de répondre à l'intérêt général dans un cadre légal et transparent.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. Nous appelons à un débat parlementaire serein et responsable sur le fond de ce texte essentiel pour l'avenir des territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Tout d'abord, je tiens à m'adresser aux sénateurs du territoire concerné par le chantier de l'A69 : si vous ne voulez pas de l'avis des parlementaires issus des grandes métropoles, ne présentez pas de proposition de loi devant le Parlement ! Nous sommes des élus nationaux, et il est normal que nous défendions notre position sur les textes qui nous sont soumis.
Monsieur le rapporteur, vous n'avez pas détaillé les cinq critères qui justifient une loi de validation, et pour cause : vous ne le pouvez pas, car ce texte ne les remplit pas !
Mes chers collègues, vous n'avez eu de cesse de nous appeler à faire preuve de crédibilité. Mais comment être crédibles en tant que parlementaires en piétinant aussi radicalement la séparation des pouvoirs ? Comment être crédibles en lançant de si coûteux travaux sans attendre que les recours soient purgés ? Le fait accompli n'est pas une politique crédible !
Par ailleurs, les conséquences financières que vous répétez vouloir éviter sont le fait des promoteurs qui ont lancé ce chantier à marche forcée.
Enfin, nous vous entendons régulièrement regretter l'affaissement de l'autorité et sa remise en cause permanente dans notre société. Pourtant, en tenant, en tant que législateurs, des propos extrêmement durs envers les juges, vous affaiblissez gravement la parole politique, l'État de droit et la République.
Je vous appelle donc, mes chers collègues, à voter cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, pour explication de vote.
M. Serge Mérillou. Ce texte dépasse le seul projet d'infrastructure autoroutière qui nous intéresse aujourd'hui. Il cristallise un difficile équilibre entre deux exigences fondamentales de notre République : d'un côté, la justice environnementale ; de l'autre, le respect de la parole des élus locaux, la continuité de l'action publique et la reconnaissance des territoires ruraux comme parties prenantes du destin national. Ces deux impératifs ont pour dénominateur commun le respect de l'état de droit.
La notion de raison impérative d'intérêt public majeur, issue de la directive européenne dite Habitats, nous invite à assurer cet équilibre. Il ne s'agit pas d'opposer les défenseurs de l'environnement aux élus de terrain comme s'ils représentaient deux France inconciliables. Il s'agit de trouver le point d'équilibre, celui où la République tient parole et tient ensemble.
Dans bien des territoires – comme, Marie-Claude Varaillas l'a rappelé, à Beynac-et-Cazenac, en Dordogne –, l'incompréhension est forte. Il s'y propage la lourde impression que tout projet d'infrastructure d'ampleur et ses millions d'euros d'investissement sont voués à des contentieux intarissables, systématiquement défavorables et sans égard pour les habitants ni pour ceux qui les représentent. Ce sentiment d'abandon nourrit la défiance et creuse le lit des populismes.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Absolument !
M. Serge Mérillou. Oui, ce texte peut en effet apparaître comme le dernier sursaut d'une République qui aménage ses territoires plutôt que de les figer. À nous de faire en sorte qu'il ne soit pas un simple baroud d'honneur et qu'il envoie un signal à ceux que nous n'avons pas le droit d'oublier ! À nous de modifier la loi – c'est notre mission ! – et de préciser et d'encadrer cette notion de raison impérative d'intérêt public majeur pour ne pas la laisser à la seule appréciation du juge.
M. Philippe Folliot. Très bien !
M. Serge Mérillou. « Une chose n'est pas juste parce qu'elle est loi ; mais elle doit être loi parce qu'elle est juste. » Vous l'aurez compris, cette phrase n'est pas de moi, elle est de Montesquieu.
Je voterai en faveur de la proposition de loi, mais je ne prendrai pas part au vote sur cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Monsieur Dossus, vous n'avez manifestement pas lu le rapport, car toutes les réponses à votre question s'y trouvent.
Monsieur Dantec, vous êtes président depuis 2019 du mouvement politique Ensemble sur nos territoires, dont l'un des principaux objectifs est de « s'appuyer sur les dynamiques territoriales et les élus locaux, socle de notre démocratie ». Les élus du Tarn apprécieront… (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Ronan Dantec. Quel rapport ?
M. Franck Dhersin, rapporteur. En février 2015, le journal Libération vous a consacré un portrait dans lequel vous déclariez que « le monde entier ne pense pas comme Paris ou Nantes », et qu'il fallait « savoir écouter ce que disent les autres » territoires. « Moi, je suis plutôt dans la position du médiateur », affirmiez-vous également.
M. Ronan Dantec. C'est ce que je fais !
M. Franck Dhersin, rapporteur. Dommage que vous ne jouiez pas ce rôle aujourd'hui !
Le 18 décembre 2024, devant le Conseil économique, social et environnemental (Cese), vous déploriez le fait que l'« on ne [faisait] pas confiance aux territoires sur leur capacité à mettre en cohérence l'ensemble de leurs politiques publiques ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Aïe aïe aïe !
M. Franck Dhersin, rapporteur. Vous concluiez de la sorte : « On sent la volonté de fliquer les territoires. » (Oh ! sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Je regrette que vous n'agissiez pas en conséquence.
Monsieur Fernique, onze morts et cent vingt blessés, ce n'est pas rien ! Par ailleurs, je rappelle que quatorze juges ont validé ce projet d'A69. Un seul a dit non !
Monsieur Gillé, on sent le PS pour le moins gêné aux entournures. Est-ce le rôle du Parlement de légiférer ? Bien évidemment ! Le temps de la contestation contre les projets est permanent. En ce qui nous concerne, notre main n'a pas tremblé ; en revanche, la langue du PS semble quelque peu liée… (Rires sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Mes chers collègues, gardons les pieds sur terre et posons-nous les bonnes questions.
J'ai la chance d'être le sénateur d'un territoire bien desservi, par des lignes à grande vitesse et par une autoroute.
Moi qui bénéficie d'infrastructures qui fonctionnent correctement, de quel droit me permettrais-je de dire à des élus de territoires mal desservis que je ne suis pas d'accord avec eux ? De quel droit me permettrais-je de leur dire qu'ils n'ont qu'à se débrouiller ? De quel droit me permettrais-je de leur dire, en égoïste que je suis, que je n'ai aucun problème pour me déplacer et qu'ils auront beau pleurer, cela ne changera rien ? De quel droit me permettrais-je de leur dire que si leur économie va mal et que leurs habitants quittent les territoires, eh bien, ma foi, ce n'est pas très grave ? (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
M. Ronan Dantec. C'est l'inverse !
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Je vous prie de me laisser parler ! Je n'ai interrompu personne !
Au-delà de la question juridique que nous essayons de traiter, la commission que je préside s'intitule « commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ». Si nous voulons mettre fin à la méfiance de nos concitoyens à notre encontre, nous devons être capables d'aménager nos territoires tout en respectant l'environnement.
Je ne peux pas concevoir que l'on nous demande d'ajouter des délais aux délais. J'entends beaucoup d'entre vous déplorer le fait que certains maires de leur circonscription ont mis deux mandats pour réaliser un simple projet. Je ne dis pas que nous devons aller aussi vite que la Chine, mais entre la vitesse de la Chine et la lenteur dont nous faisons preuve, il y a de la marge !
Aujourd'hui, nous mettons tout en œuvre pour que rien n'avance. Nous avons certes adopté un projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, mais j'ai le sentiment que nous nous sommes trompés de pédale et que nous sommes en train d'appuyer sur la pédale de frein ! Tout est caution à ce que l'on ne fasse rien et que l'on n'avance plus dans ce pays. Et cela, je le regrette franchement ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Franck Dhersin, rapporteur. Bravo !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 280 :
Nombre de votants | 276 |
Nombre de suffrages exprimés | 276 |
Pour l'adoption | 32 |
Contre | 244 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Bravo !
M. le président. Je rappelle que la discussion générale a été close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission
proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre castres et toulouse
Article unique
Sont validés l'arrêté interdépartemental des préfets de la Haute-Garonne et du Tarn du 1er mars 2023 portant autorisation au titre de l'article L. 181-1 et suivants du code de l'environnement concernant la liaison autoroutière de Verfeil à Castres – A69 et l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 2 mars 2023 portant autorisation environnementale au titre de l'article L. 181-1 du code de l'environnement de mise à 2x2 voies de l'A680 entre Castelmaurou et Verfeil en tant qu'ils reconnaissent une raison impérative d'intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, au projet de liaison autoroutière entre Castres et Toulouse.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par MM. Dantec, Fernique, Benarroche et G. Blanc, Mme de Marco, MM. Dossus et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Au vu de la faiblesse des arguments qui ont été opposés à notre motion sur le fond, cet amendement de suppression de l'article unique me semble d'autant plus justifié.
Contrairement à ce qu'a affirmé le rapporteur, aucune analyse n'étaye le fait que les critères établis par la jurisprudence du Conseil constitutionnel seraient remplis.
Par ailleurs, vous êtes nombreux à avoir argué du motif économique. Le rapporteur ayant omis de le faire, je vous signale que ce motif n'est pas considéré comme un motif impérieux par le Conseil constitutionnel…
Notre collègue Rochette a beau dire que le projet de tramway de Strasbourg a été annulé pour un vice de forme, c'est la première fois qu'une proposition de loi de validation se positionne sur le fond et non sur un vice de procédure. Nous sommes totalement en dehors des clous !
Le débat a démontré la faiblesse insigne de l'argumentaire juridique justifiant cette proposition de loi. De ce point de vue, le Sénat a fait son œuvre en éclairant le débat public et en soulignant le peu d'arguments juridiques qui nous étaient opposés.
En outre, le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur des questions environnementales. Il a considéré que ce projet n'était pas viable, car il aurait mieux valu améliorer la route actuelle qu'en construire une nouvelle, et surtout pas par le biais d'une concession !
Ce projet est le résultat de la faillite des discussions entre l'État et les élus locaux. Ces derniers n'ayant pas réussi à convaincre l'État de financer intégralement les travaux, ils ont choisi de passer par une concession privée. Au bout du compte, il faudra payer 16 euros le trajet entre Castres et Toulouse, ce qui veut dire que nombre d'habitants continueront d'emprunter la nationale sur laquelle ils circulent aujourd'hui ! Cette autoroute ne changera donc rien au caractère accidentogène du trajet.
Voilà les arguments avancés par le tribunal administratif pour remettre en cause le motif d'intérêt public majeur ! Il ne s'agissait pas de protéger des chauves-souris ou des plantes rares ; vous vous trompez !
Vous avez voulu masquer la faillite du dialogue entre l'État et les élus du territoire. Or, étant, comme l'a indiqué le rapporteur, le président d'un mouvement nommé Ensemble sur nos territoires, j'y suis particulièrement sensible ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Franck Dhersin, rapporteur. Avis défavorable, monsieur le président.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par M. Dhersin, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Au début
Insérer les mots :
Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée,
La parole est à M. le rapporteur.
M. Franck Dhersin, rapporteur. En vertu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le législateur ne peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé qu'à la condition que cette modification ou cette validation respecte les décisions de justice ayant force de chose jugée.
En l'espèce, cette condition est implicitement remplie : les deux autorisations environnementales dont fait l'objet le projet de l'A69 ont été annulées en première instance et un appel est en cours. Par précaution, il convient néanmoins de mentionner expressément la réserve tenant au respect des décisions de justice passées en force de chose jugée.
Mes chers collègues, j'ai à cœur de respecter le Conseil constitutionnel : respectons-le tous. En particulier, gardons-nous de nous exprimer à sa place avant qu'il n'ait pris sa décision.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Laurent Burgoa. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. M. le rapporteur nous propose à présent d'écrire dans la loi ce qui s'impose à nous tous, comme s'il avait besoin de se rassurer lui-même : ce réflexe, tout de même assez étrange, est à mon avis de l'ordre du psychanalytique. (Sourires sur les travées du groupe GEST. – Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Franck Dhersin, rapporteur. Pas plus dans mon cas que dans le vôtre !
M. Ronan Dantec. Il faudra en parler à un professionnel. (Nouveaux sourires.)
Toutefois, ce qui me semble le plus intéressant – et c'est aussi de l'ordre du psychanalytique –, ce sont les silences de M. le rapporteur. J'observe notamment que, depuis le commencement de ce débat, il n'a pas dit un mot de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH).
Avec cet amendement, il se contente de rappeler que, la procédure judiciaire étant en cours, l'affaire n'est pas définitivement jugée, et que l'on peut donc intervenir. Je répète qu'une telle précision est absolument superfétatoire, puisqu'elle ne fait que rappeler la loi ; et, quoi qu'il en soit, ce n'est pas le sens de la Convention européenne des droits de l'homme.
Je suis étonné que ni M. le rapporteur ni M. Rochette n'ait mentionné ce point, qui a toute son importance : la Convention européenne des droits de l'homme interdit toute ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice. Le législateur ne peut donc pas s'immiscer dans le processus délibératif lui-même. Or cette proposition de loi constitue bien une intervention politique cherchant à influer le cours de la justice, y compris en remettant en cause l'intégrité du juge, précédemment qualifié d'« hors sol », sa décision étant quant à elle déclarée « ubuesque ». De tels procédés contreviennent totalement à l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH.
Sans faire durer éternellement les débats, peut-être pourrait-on rectifier le présent amendement afin de citer également la Convention européenne des droits de l'homme. Dès lors, ces dispositions seraient bel et bien consolidées ; mais ce n'est évidemment pas le cas…
Nous devons donc nous préparer à une longue période de contentieux supplémentaires grâce à l'intervention volontariste du Sénat !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Monsieur Dantec, si je n'ai pas cité la Convention européenne des droits de l'homme, c'est parce qu'elle renvoie à des motifs impérieux d'intérêt général, exactement comme la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Cette précision vaut pour la première comme pour la seconde ! Il n'est donc pas nécessaire d'ajouter une telle mention.
M. Ronan Dantec. Je vous parle d'ingérence !
M. le président. Je mets aux voix l'article unique, modifié.
(L'article unique est adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par MM. Dantec, Fernique, Benarroche et G. Blanc, Mme de Marco, MM. Dossus et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi visant à empiéter sur la compétence du juge administratif pour se prononcer sur la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse.
La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Chers collègues de la majorité sénatoriale, il s'agit là d'un amendement de cohérence, que je présente somme toute pour vous aider. (Sourires sur les travées du groupe GEST.)
Le Sénat est clairement en train de faire de la politique politicienne, d'adopter une posture (Protestations sur les travées du groupe UC.), en passant des messages qui n'ont strictement rien à voir avec le fond même de la décision rendue par le tribunal administratif.
Les élus locaux ne sont pas parvenus à obtenir de l'État un investissement direct en faveur de l'amélioration de la liaison existante. Il a donc fallu passer par une concession, ce qui coûte très cher à tout le monde.
Selon vous, mieux vaut camoufler cet échec en le mettant sur le compte des écolos… Mais il faut appeler un chat un chat : nous sommes face à un texte de posture.
Loin de moi l'idée de faire un procès d'intention ou même d'exercer une quelconque pression, même légère, sur qui que ce soit : pour ma part, je respecte l'indépendance de la justice. Je propose simplement un titre permettant de « potentialiser » au mieux l'effort politique que traduit cette proposition de loi.
Pour une raison qui m'échappe, Franck Dhersin est allé chercher certaines de mes déclarations anciennes ; mais, finalement, j'en suis assez fier. Le mouvement Ensemble sur nos territoires reçoit rarement une telle publicité dans notre hémicycle ! (Sourires sur les travées du groupe GEST.) Plusieurs de nos collègues présents en séance ce matin en sont d'ailleurs membres, et je tiens à les saluer. Il s'agit d'un mouvement à la fois écologiste et social particulièrement attaché aux territoires.
Je pourrais vous parler de bien des routes, en particulier de nombreuses voies express, qui n'ont jamais fait l'objet du moindre contentieux. Je pense notamment aux axes financés par le plan routier breton (PRB) : nous étions tous d'accord pour en reconnaître la nécessité.
Si le projet dont nous parlons mobilise tant de personnes contre lui, c'est tout simplement parce qu'il est aberrant. Resteront sur la route nationale tous ceux qui n'ont pas les moyens de payer 16 euros une autoroute privée qui, au passage, sera en partie financée par l'État.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Franck Dhersin, rapporteur. Quand les écologistes soutiennent d'importants projets nantais d'infrastructures, leurs associations fétiches se gardent évidemment de les attaquer…
Je me sens tout à fait cohérent avec moi-même en émettant un avis défavorable sur cet amendement. (M. Daniel Gueret rit.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Tabarot, ministre. Défavorable sans sagesse ! (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour explication de vote.
M. Philippe Folliot. Mon cher collègue Dantec, on pourrait vous répondre sur le ton de l'humour ; mais, pour ma part, je parlerai avec une extrême gravité.
On ne peut opposer, dans cet hémicycle, des sénateurs vertueux, respectueux de l'État de droit, et des sénateurs cherchant en fait à s'en affranchir.
Les propos que vous avez tenus au sujet de ce territoire constituent, pour nous, une forme d'insulte…
M. Ronan Dantec. Pourquoi ?
M. Philippe Folliot. Ils sont une insulte envers les auteurs de cette proposition de loi ; une insulte envers le président du conseil départemental du Tarn, Christophe Ramond ; une insulte envers le président de la communauté d'agglomération de Castres-Mazamet, Pascal Bugis ; une insulte envers le président de la communauté de communes Sor et Agout, Sylvain Fernandez ; une insulte envers le président de Toulouse Métropole, Jean-Luc Moudenc ; une insulte envers la présidente de la région, Carole Delga ; une insulte envers nos collègues députés, qu'il s'agisse de Jean Terlier, présent dans nos tribunes, ou de Philippe Bonnecarrère.
À l'évidence, vous nous méprisez ! Vous méprisez les habitants de ce territoire…
M. Jean-Pierre Corbisez. Ces polémiques ne servent à rien !
M. Philippe Folliot. Vous méprisez celles et ceux qui, là-bas, se battent depuis des décennies pour leur désenclavement.
Un tel mépris nous insupporte : vous devriez faire preuve de plus de modestie dans vos jugements.
Je le répète, on ne peut pas laisser entendre que, face aux sénateurs vertueux que vous seriez,…
M. Jean-Pierre Corbisez. Il est temps de voter !
M. Philippe Folliot. … siégeraient sur nos travées je ne sais quels sous-sénateurs,… (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. C'est vous qui le dites !
M. Philippe Folliot. … opposés à l'État de droit. Cette caricature n'est pas acceptable !
Pour notre part, nous nous battons pour ce territoire. Nous nous battons pour l'intérêt général. Nous nous battons pour que ce pays ne soit pas mis sous cloche. Nous nous battons pour le développement économique et social. Nous nous battons pour les 1 000 personnes qui ont perdu leur emploi à la suite de cette décision, et pour lesquelles vous n'avez eu ni un mot ni une pensée ! (Nouvelles protestations.)
M. Guillaume Gontard. C'est n'importe quoi !
M. Philippe Folliot. Vos propos et vos sous-entendus sont proprement inacceptables ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Franck Dhersin, rapporteur. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Monsieur Folliot, on ne peut effectivement pas opposer « sénateurs vertueux » et « sous-sénateurs ». Ce texte fait tout simplement l'objet d'un débat politique : nous nous y opposons par conviction, sans mépriser personne, mais en avançant des arguments de droit.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, quand j'ai été élu sénateur, il y a cinq ans, l'humanité traversait une grave crise climatique. Nous allions dans le mur. On émettait trop de gaz à effet de serre, on dévorait beaucoup trop de terres agricoles et d'espaces naturels en les bétonnant. Mais nous avions pris des engagements mondiaux et mis en œuvre un certain nombre de stratégies, parmi lesquelles la stratégie nationale bas-carbone. Nous cherchions, à l'époque, à éviter la moindre tonne de CO2 supplémentaire.
Aujourd'hui, j'apprends avec joie que tous ces efforts sont derrière nous ! Visiblement, on peut tout recommencer comme avant, construire de nouvelles autoroutes, bitumer à tout-va des espaces naturels et agricoles.
En outre, depuis le début de mon mandat, on ne cessait de nous mettre en garde : le budget de la France allait dans le mur, notre dette battait sans cesse de nouveaux records et il fallait chercher des économies partout. Or le recours formé a révélé une information majeure, et c'est aussi l'une de ses vertus : les pouvoirs publics – je suis heureux de l'entendre ! – vont prendre en charge un tiers du péage de cette autoroute. Il faudra prévenir le rapporteur général de la commission des finances qu'il n'a plus à se faire de souci : visiblement, les caisses sont de nouveau pleines, puisqu'on peut se permettre pareille dépense…
Enfin – cela m'inquiète un peu plus –, je constate, alors que mon mandat approche de son terme, que la séparation des pouvoirs n'est plus qu'une illusion. De fait, il suffit de connaître quelques parlementaires pour tenter de contourner une décision de justice.
Prenez garde, mes chers collègues : les réalités physiques de cette véritable catastrophe qu'est le changement climatique sont en train de nous rattraper, et les générations futures vous jugeront.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Chers collègues de la majorité sénatoriale, j'ai comme l'impression que vous perdez votre sang-froid…
Pour revenir au fond du débat, je citerai un autre des éléments sur lesquels le tribunal administratif a fondé sa décision, à savoir les hypothèses de fréquentation de cette autoroute, que l'Autorité de régulation des transports (ART) elle-même a pu qualifier d'optimistes – n'est-ce pas, monsieur le ministre ?
Je vous renvoie au compte rendu de la commission d'enquête parlementaire sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute A69 en date du 2 mai 2024 : ces hypothèses paraissent très en deçà des seuils justifiant la construction d'une autoroute à deux fois deux voies.
Hors abonnement, la liaison autoroutière Castres-Toulouse coûtera environ 16 euros. Ce prix élevé est de nature à relativiser les estimations issues de l'étude de trafic.
Monsieur Folliot, soyez bien certain que je n'insulte personne. En revanche, depuis deux heures, vous pratiquez en quelque sorte l'insulte à rebours en refusant le vrai débat de fond.
Vous n'avez pas réussi à convaincre l'État, alors que beaucoup d'élus locaux préféraient que l'on améliore la liaison actuelle, ce qui était la logique même.
Évidemment, cette autoroute n'est pas rentable. Elle sera même encore moins rentable que ce qui était prévu : nous sommes face à un très mauvais usage de l'argent public.
À cet égard, je reprends ma casquette de président d'Ensemble sur nos territoires. Ce débat est éminemment politique et, en la matière, vous faites une erreur politique. Ce qui importe, c'est que ces millions d'euros – nous parlons de sommes considérables ! – aillent aux services du bassin Castres-Mazamet.
Cette autoroute ne fera que renforcer les mouvements pendulaires vers Toulouse. Vous allez aggraver encore la dévitalisation du territoire ! (M. Philippe Folliot manifeste son désaccord.)
C'est moi qui défends le territoire de Castres-Mazamet,…
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Mais c'est merveilleux ! (Sourires sur les travées du groupe UC.)
M. Ronan Dantec. … c'est moi qui indique où est son avenir, pas vous ! Pour votre part, vous vous efforcez de faire entrer cet avenir dans des cadres anciens et dépassés ! Les villes moyennes, c'est nous qui les défendons, pas vous, avec de tels projets d'autoroutes ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jean-Pierre Corbisez. Maintenant, votons !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Lise Housseau, pour explication de vote.
Mme Marie-Lise Housseau. Monsieur Dantec, nous aurions bien sûr été ravis d'obtenir des autoroutes gratuites, comme vous en avez en Bretagne,…
M. Daniel Gueret. Absolument !
Mme Marie-Lise Housseau. … mais c'était impossible ! Le plan routier breton date d'il y a plus de cinquante ans : à l'époque, la raison impérative d'intérêt public majeur n'existait pas. Sans doute le plan routier breton n'a-t-il pas fait non plus l'objet d'études environnementales.
M. Daniel Gueret. Voilà !
Mme Marie-Lise Housseau. Nous devons faire avec les règles existantes. J'y insiste, nous avons tenté d'obtenir la gratuité de cette autoroute ; mais notre département n'est pas riche – il n'est, au titre de ses revenus, qu'en soixante-treizième position des départements français. Nous n'avions pas les moyens de rendre cet axe gratuit. Si nous avons opté pour la concession, c'est parce que nous n'avions pas d'autre choix.
Certes, 16 euros, c'est cher, mais c'est le tarif aller-retour. Pour accomplir le même parcours, le billet de train coûte 18 euros par personne, et une voiture peut transporter toute une famille.
J'y ajoute un autre argument. Il se trouve que mon mari avait une entreprise d'ébénisterie. Comme vous le savez sans doute, c'est un secteur où les accidents du travail sont fréquents. Des doigts, voire des mains, sont parfois coupés. Tous les menuisiers-ébénistes de la région le savent : en cas d'accident, ils doivent tout de suite mettre le doigt sectionné ou la main coupée dans une poche plastique, puis partir à Purpan, de l'autre côté de Toulouse. En pareil cas, gagner vingt minutes, c'est primordial !
Ne serait-ce que pour l'accessibilité des soins, nous avons besoin de cette autoroute.
Vous revenez avec insistance sur le prix du trajet : eh bien, on fait avec ce que l'on a. Je vous signale, de plus, que les abonnés bénéficieront de tarifs spécifiques, à l'instar des véhicules électriques. Enfin, le département, la région et les communautés de communes vont participer pour faire baisser le montant du péage.
Je vous en prie, laissez-nous vivre ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Monsieur Dantec, l'A69 voit passer 14 000 véhicules par jour. L'A28, entre Rouen et Alençon, en totalise 8 900 par jour. Sur l'A79, portion de la route Centre Europe Atlantique (RCEA), c'est 11 000 à 13 000 véhicules par jour ; sur l'A66, 12 300 véhicules par jour ; sur l'A837, 11 800 véhicules par jour ; sur l'A77, 10 900 véhicules par jour – je pourrais vous citer bien d'autres exemples encore !
En l'occurrence, les estimations dépassent de loin la fréquentation de bien des autoroutes déclarées d'utilité publique et exploitées aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre. Monsieur Dantec, je confirme les chiffres fournis à l'instant par M. le rapporteur.
En outre, le tarif que vous mentionnez ne correspond pas à la réalité. Demain, si le chantier peut être mené à son terme, le prix réel sera de 6,5 euros, selon l'avenant conclu par les différentes collectivités territoriales concernées.
M. Ronan Dantec. C'est un gouffre financier !
M. Philippe Tabarot, ministre. Non, monsieur le sénateur : le gouffre financier ne viendra que des recours intentés par vos amis. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Franck Dhersin, rapporteur. Absolument !
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour explication de vote.
M. Patrick Chaize. Bien sûr, dans un tel débat, chacun doit défendre ses idées. Mais je m'étonne que l'on s'arc-boute aujourd'hui sur des éléments de nature juridique.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Tout à fait !
M. Patrick Chaize. Pourquoi ? Tout simplement parce que ces travaux sont déjà réalisés à hauteur de 60 %. On ne peut plus faire comme si l'on pouvait tout effacer pour tout recommencer – ou alors, il faut nous donner la méthode…
Mes chers collègues, soyons pragmatiques. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Franck Dhersin, rapporteur. Bravo !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 281 :
Nombre de votants | 290 |
Nombre de suffrages exprimés | 285 |
Pour l'adoption | 252 |
Contre | 33 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante,
est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Anne Chain-Larché.)
PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
2
Produits du bois et responsabilité élargie du producteur dans le secteur du bâtiment
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi visant à retirer les produits du bois de la responsabilité élargie du producteur produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (PMCB), présentée par Mme Anne-Catherine Loisier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 242, texte de la commission n° 592, rapport n° 591).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la proposition de loi.
Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la responsabilité élargie du producteur (REP) pour les produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (PMCB) s'appuie sur un système d'écocontributions, qui finance le tri, la collecte et la valorisation des déchets issus dudit secteur. Ces contributions visent à responsabiliser les producteurs quant aux répercussions environnementales des matériaux utilisés et à favoriser de meilleures performances en matière de tri, de collecte, de recyclage ou de réemploi.
Soumise aux écocontributions depuis 2023, l'industrie française du bois fait donc face à des surcoûts. Or ceux-ci sont d'autant moins compréhensibles que les bénéfices environnementaux du bois, que ce soit en matière de stockage de carbone ou de performances de valorisation, ne sont pas pris en compte. Le bois est ainsi soumis aux mêmes contraintes que des matériaux plus polluants.
La France est le seul pays européen à avoir intégré le bois-construction dans une telle filière REP. Mais à l'heure où notre pays manque de logements et où la réindustrialisation est le mot d'ordre général, cette surtransposition pénalise nos entreprises et renchérit les coûts de construction. Elle dégrade la compétitivité de la France en matière d'exportations sur un marché international du bois au niveau duquel nos proches voisins sont particulièrement offensifs. Elle détériore également notre balance commerciale, déjà déficitaire. D'ailleurs, entre 2022 et 2024, les services des douanes notent un recul de 20 % des exportations de bois-construction.
Les montants des écocontributions bois prévus par la REP PMCB évoluent de manière exponentielle. Ils sont ainsi passés de 7,6 euros par tonne de bois, chiffre de 2023 retenu par la commission, à 24 euros en 2025, selon les éco-organismes. Sans refondation de la filière et sans solidarité entre les producteurs de matériaux, ce montant pourrait même atteindre 85 euros par tonne en 2030.
Pour toutes ces raisons, madame la ministre, vous vous êtes emparée, à juste titre, de ce dossier et avez proposé un moratoire, ce que je salue. (Mme la ministre opine du chef.) Cependant, la suspension de l'abattement sur le bois, dans le cadre dudit moratoire, est un mauvais signal.
En effet, la trajectoire actuelle des écocontributions est insoutenable, comme nous le savons tous, pour les entreprises concernées. Or ces dernières tirent toute la filière. La situation est injuste au regard des performances des autres matériaux et discriminatoire pour notre industrie, alors que celle-ci est en concurrence avec celle de nos proches voisins européens.
La filière bois dégage 30 milliards d'euros de valeur ajoutée, soit 1 % de notre PIB, ce qui n'est pas négligeable en ces temps de disette financière, et 77 milliards d'euros de chiffre d'affaires, essentiellement liés à la production industrielle. Si le bois-construction était maintenu dans une REP, il devrait alors absolument être tenu compte de ses performances de valorisation, actuellement bien supérieures à celles des autres matériaux, ainsi que des avantages environnementaux induits par sa nature biosourcée.
Selon le rapport de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) de juillet 2024, sur environ 8,7 millions de tonnes de déchets bois produits chaque année, 7,4 millions de tonnes, soit 80 %, sont collectées et recyclées. Un taux comparable n'est observé que pour le seul acier. En outre, 5,8 millions de tonnes sont déjà valorisées par recyclage matière ou par valorisation énergétique. Enfin, 1,6 million de tonnes sont exportées, ce qui suscite des interrogations, vers la Belgique, l'Italie, l'Allemagne, et même la Suède.
La valorisation du bois-construction en fin de vie est donc parmi les plus performantes, parce que ce matériau s'inscrit déjà dans une bioéconomie circulaire dynamique. Il n'est en fait pas un déchet, mais une matière première de plus en plus convoitée par les panneautiers, par exemple, lesquels utilisent de plus en plus de matériaux recyclés, mais aussi par les industriels qui cherchent à se décarboner. N'oublions pas non plus les 8 millions de foyers français qui se chauffent au bois, première énergie renouvelable (EnR) en France.
Comment ignorer le rôle déterminant du bois dans la lutte contre le changement climatique et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), sa capacité à capter le CO2 durant sa croissance et à le stocker jusqu'à la fin de sa vie, en l'occurrence dans le bâtiment ? Ainsi, chaque mètre cube de bois utilisé dans la construction permet de stocker une tonne de CO2 pendant toute la durée de vie de l'édifice. Utiliser plus de bois, c'est donc soutenir une filière essentielle, qui stocke 87 millions de tonnes de CO2 au total chaque année, soit environ 20 % des émissions annuelles de notre pays.
Étant biosourcé, le bois présente un impact carbone plus faible que celui des autres matériaux, dans la mesure où il consomme bien moins d'énergie lors de sa transformation. Utilisé dans la construction, il se substitue à des matériaux à haute intensité carbone, réduisant ainsi l'impact global des bâtiments.
Tel est le sens de l'ambition de la réglementation environnementale 2020 (RE2020) et du plan ambition bois-construction 2030, qui visent à favoriser les matériaux biosourcés dans la construction, notamment pour se rapprocher de nos voisins allemands, qui ont plus de 22 % de bois dans leurs constructions résidentielles quand la France plafonne à 7 %...
Afin de corriger les déséquilibres qui affectent actuellement la filière REP PMCB, il est nécessaire d'introduire des abattements en fonction des performances de valorisation, comme nous en avons posé le principe avec le rapporteur, Bernard Pillefer, que je salue pour son travail et son écoute.
Je vous propose de préciser par amendement ce principe de solidarité entre matériaux, et de récompenser les plus performants par un système de bonus-malus. Le ministère de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en fixerait, par décret, les modalités et l'équilibre pour les éco-organismes. Cet abattement a vocation à diminuer au fur et à mesure de l'amélioration de la performance des autres matériaux.
Parallèlement, il est pertinent d'introduire un principe d'écomodulation en fonction de la nature même des matériaux biosourcés, afin d'inciter à leur usage. Dans la perspective du « zéro émission nette » en 2050, je vous propose donc d'introduire par amendement un mécanisme de nature à « favoriser les produits meilleurs pour l'environnement » et à « réduire le prix des produits vertueux », objectifs consacrés la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi Agec. Là encore, le ministère en fixerait les modalités par décret.
En conclusion, mes chers collègues, votre soutien est déterminant. Ajuster l'écocontribution du bois-construction, c'est soutenir une bioéconomie locale performante aux multiples bénéfices pour la transition écologique et énergétique. Prendre en compte la nature biosourcée des matériaux de construction, tels que le bois, dans le calcul des écocontributions, c'est favoriser des matériaux à faible impact carbone et œuvrer en faveur de la stratégie nationale bas-carbone.
Nous ne sommes qu'au début de ce débat, puisque le moratoire commence. Je souhaite, madame la ministre, mes chers collègues, que les discussions qui s'engagent permettent véritablement de trouver un équilibre qui préserve l'avenir à la fois des industries de la filière forêt-bois et notre économie, tout en prenant en compte les enjeux de valorisation des déchets, d'économie circulaire et de stratégie bas-carbone. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Marc Laménie et Michel Masset applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Marc Laménie, Michel Masset et Jacques Fernique applaudissent également.)
M. Bernard Pillefer, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis heureux de m'exprimer, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, sur la proposition de loi visant à retirer les produits du bois de la responsabilité élargie du producteur produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment, déposée par notre collègue Anne-Catherine Loisier, que je salue.
Le bois constitue une véritable richesse pour la France. Il s'agit d'une ressource de proximité, renouvelable, recyclable, valorisable et qui stocke le carbone. La filière bois est au cœur de la transition écologique et industrielle de notre pays, et joue un rôle stratégique pour nos territoires. Elle contribue pleinement à leur vitalité économique, au travers de l'implantation de nombreuses scieries et d'un réseau particulièrement dense d'artisans du bois.
En outre, le bois constitue un atout pour la décarbonation de nombreux secteurs, en particulier le bâtiment, secteur qui nous préoccupe aujourd'hui à l'occasion de l'examen de cette proposition de loi. La part du bois dans les matériaux de construction doit considérablement augmenter si nous souhaitons respecter l'ambitieuse trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixée pour le secteur du bâtiment à l'horizon 2030.
Enfin, au sein du secteur du bâtiment, le bois est un bon élève en matière d'économie circulaire : il s'agit de l'un des matériaux de construction les plus collectés et valorisés. Dans le cadre général de la gestion des déchets du bâtiment, il tire la moyenne de la classe vers le haut, si vous permettez cette métaphore scolaire à l'ancien enseignant que je suis. (Sourires.)
La présente proposition de loi traduit une préoccupation légitime des professionnels de la filière du bois-construction. Le contexte est le suivant : à l'horizon 2027, la totalité du coût de traitement des déchets du bâtiment sera transférée à ceux qui mettent en marché les produits du secteur.
Cependant, nous constatons avec inquiétude une montée en charge rapide et déséquilibrée de la contribution financière appliquée au bois-construction par les entreprises agréées pour le traitement de ces déchets. Ainsi, son montant par tonne est aujourd'hui, en moyenne, plus élevée pour le bois-construction que pour des matériaux concurrents moins vertueux sur le plan environnemental. La situation est paradoxale : on pénalise, au nom de l'environnement, un matériau durable.
Une fois ce constat sectoriel posé, je souhaite élargir le propos et rappeler les caractéristiques du cadre général de la gestion des déchets du bâtiment. Celui-ci, créé en 2020 par la loi Agec, entre progressivement en vigueur depuis janvier 2023. C'est un dispositif jeune comparé, par exemple, au cadre de la gestion des déchets de l'ameublement, entré en vigueur il y a dix ans, désormais arrivé à maturité et ayant atteint son rythme de croisière. En ce qui concerne les déchets du bâtiment, l'embarquement est plus récent et connaît, en particulier pour le bois, de nombreux flottements…
Ce cadre général porte un nom technique : la filière à responsabilité élargie du producteur produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment. Si le sigle « REP PMCB » peut paraître abstrait, il est la traduction d'un principe très concret, celui du pollueur-payeur : celui qui met sur le marché un produit destiné à devenir un déchet assume le coût de sa gestion.
Ce dispositif, attendu de longue date par les élus locaux, aura à terme des conséquences opérationnelles souhaitables pour nos communes et leurs groupements chargés du service public de traitement des déchets. En effet, chaque année, les dépôts sauvages de déchets issus du secteur du bâtiment coûtent près de 400 millions d'euros aux collectivités territoriales.
Au-delà de cet aspect financier, ces dépôts sont aussi à l'origine de très vives tensions locales. Mes auditions m'ont permis d'entendre la colère des élus locaux, bien souvent démunis face à la mauvaise gestion des déchets du bâtiment. Nous avons ainsi tous en mémoire le drame de Signes en 2019, lorsque le maire de la commune a perdu la vie alors qu'il tentait de faire respecter l'interdiction de tels actes.
Le cadre créé en 2020 vise notamment à lutter contre ce fléau en structurant un maillage de points de collecte sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones rurales.
J'en viens maintenant à la proposition de loi qui nous est soumise. La démarche initialement proposée par son auteure avait le mérite de la simplicité : elle prévoyait d'exclure le bois-construction du cadre général de traitement des déchets du secteur, le dispensant ainsi de toute obligation de contribuer au financement de la gestion des déchets issus de ses produits.
Toutefois, il m'est apparu, au fil de mes travaux, qu'une sortie pure et simple du bois de la filière REP PMCB ne semblait adaptée ni pour les collectivités territoriales ni pour l'économie circulaire en général.
En particulier, l'exclusion du bois, qui, selon l'Ademe, représente 10 % des matériaux retrouvés dans les dépôts sauvages de déchets du bâtiment, risquerait de fragiliser le maillage des points de dépôts de proximité, au détriment de la protection du cadre de vie, de l'environnement, des équipements stratégiques que constituent les déchèteries publiques et, plus largement, des finances publiques locales.
Par ailleurs, en matière d'économie circulaire, le bois est certes un bon élève, mais il a encore des progrès à faire, notamment en matière de recyclage, comme le montrent les dernières statistiques de l'Ademe.
De surcroît, ce retrait porterait atteinte au principe même de la responsabilité élargie du producteur. Si l'on commence à accepter des exemptions pour un matériau, en l'occurrence le bois-construction, comment refuser, demain, les demandes de retrait d'autres matériaux, comme les ont déjà formulées certains professionnels pour le métal ou le plâtre ? Cela pourrait même avoir des conséquences sur les autres filières REP, qui réclameraient une exemption similaire. Le principe pollueur-payeur ne peut fonctionner que s'il est appliqué de manière universelle et cohérente.
Tout au long de mes échanges avec l'ensemble des parties prenantes, j'ai été guidé par le souci de trouver le juste équilibre et de préserver l'équité entre les uns et les autres. Ma conviction est la suivante : pour tendre vers l'économie circulaire, qui est celle du XXIe siècle, il existe un chemin entre le statu quo et les dysfonctionnements actuels du système, d'une part, et l'exclusion totale du bois-construction de la filière REP PMCB, d'autre part. C'est ce chemin que je vous propose d'emprunter aujourd'hui.
Le texte que nous avons adopté à l'unanimité en commission substitue à l'exclusion proposée initialement des alternatives permettant de mieux proportionner les contributions financières aux performances environnementales du bois, tout en renforçant la lutte contre la fraude aux contributions.
Ainsi, l'article 2 instaure un mécanisme de répartition des charges entre les filières des différents matériaux de construction, au bénéfice de celles qui sont les plus performantes en termes de valorisation des déchets, parmi lesquelles celle du bois.
Le dispositif est simple et équitable : sur le plan quantitatif, le bois-construction contribue plus que les autres matériaux à l'atteinte des objectifs environnementaux de la filière REP ; par conséquent, sur le plan financier, sa contribution sera réduite.
La consécration législative de ce mécanisme de répartition a pour objet de le sécuriser juridiquement et d'en assurer l'application. Elle permet également de protéger le mécanisme d'éventuels revirements réglementaires, dans un contexte de hausse prévue des contributions, liée à la montée en charge de la filière à responsabilité élargie du producteur.
Quant à la fraude aux contributions financières, elle fragilise l'acceptabilité par les producteurs du cadre de gestion des déchets, en créant une concurrence déloyale : les fraudeurs, qui n'assument pas le coût du dispositif, sont favorisés par rapport aux entreprises qui remplissent leurs obligations. L'article 3 prévoit ainsi deux dispositifs visant respectivement à favoriser la communication entre administrations, pour mieux cibler les contrevenants, et à permettre un meilleur recouvrement des contributions des entreprises établies hors de France.
Le dispositif d'équilibre que je vous propose d'adopter aujourd'hui vise un objectif crucial : celui de l'acceptabilité et de la robustesse de l'ensemble du système. Nos objectifs ambitieux en matière d'économie circulaire rendent nécessaire l'adhésion de tous les acteurs.
Enfin, je souhaite saluer la qualité de ma collaboration, tout au long de mes travaux préparatoires, avec l'auteure de la proposition de loi, notre collègue Anne-Catherine Loisier, et l'esprit d'écoute réciproque qui m'a permis d'enrichir le texte sans en trahir l'esprit. Je souhaite également remercier les membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, qui ont adopté cette proposition de loi à l'unanimité, ce dont je me réjouis. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Jacques Fernique et Michel Masset applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, monsieur le président Longeot, monsieur le rapporteur Pillefer, madame la sénatrice Loisier, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui pour discuter d'un sujet important pour le secteur du bâtiment et pour nos collectivités : celui de la filière à responsabilité élargie des producteurs pour les produits et matériaux de construction du bâtiment.
Lors de sa création, en 2022, l'objectif de la REP PMCB était clair : améliorer la valorisation des déchets et, surtout, lutter contre les dépôts sauvages, lesquels, vous le savez, sont un fléau.
Un fléau financier pour les collectivités, tout d'abord, qui dépensent 400 millions d'euros par an pour gérer ces dépôts. Un fléau écologique, ensuite, compte tenu de leur impact sur notre environnement. Un fléau en matière d'ordre public, enfin, car, derrière ces déchets abandonnés, c'est une économie parallèle qui prospère. Personne n'a oublié ici le décès, en 2019, de Jean-Mathieu Michel, maire de Signes, renversé par une camionnette dont le conducteur venait d'être pris en flagrant délit de dépôt sauvage.
La création de cette filière REP répondait donc à une nécessité forte. Depuis, elle a permis l'ouverture de plus de 6 000 points de reprise gratuits pour les déchets du bâtiment, ce qui est une avancée indéniable.
Ce chiffre ne doit toutefois pas masquer les dysfonctionnements, que vous avez été nombreux, mesdames, messieurs les sénateurs, à déplorer. Ils ont d'ailleurs conduit mes services à modifier cinq fois le cadre réglementaire de la filière, rien que pour l'année 2024 !
Pourtant, le compte n'y était toujours pas, et cette filière REP était jugée trop coûteuse par les producteurs qui la financent et insuffisamment efficace par les professionnels du bâtiment qui doivent en bénéficier. C'est pourquoi, le 20 mars dernier, j'ai annoncé la refondation complète de cette filière pour 2026.
Là encore, l'objectif est clair : revenir aux priorités initiales du dispositif, c'est-à-dire lutter contre les dépôts sauvages, améliorer la valorisation des déchets et encourager l'écoconception et le réemploi.
Cette refondation est, bien évidemment, menée en étroite concertation avec l'ensemble des parties prenantes. En outre, afin de laisser le temps à cette concertation de se dérouler dans un cadre serein, j'ai décidé qu'elle s'accompagnerait d'un moratoire sur certaines dispositions prévues pour 2025, lesquelles étaient à l'origine de difficultés particulières pour l'ensemble des acteurs.
La filière bois, en particulier, qui joue un rôle important dans le stockage du carbone, fait face à des barèmes élevés et difficiles à absorber compte tenu de ses équilibres économiques. Ce paradoxe exige une action corrective. Je suis pleinement mobilisée pour faire évoluer ce volet dans le cadre de la refondation plus large de la filière.
Toutefois, je vous le dis clairement : la sortie pure et simple du bois de la REP PMCB n'est pas la bonne solution. Cela ferait courir de nombreux risques aux collectivités ; cela nuirait aussi à l'équilibre de la filière et à l'environnement, et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, ce retrait fragiliserait tout le système de la REP, y compris au détriment de la filière bois. Vous le savez, la responsabilité élargie du producteur repose sur les principes de mutualisation des moyens et d'économie d'échelle à partir de flux massifiés. La sortie du bois priverait donc la filière des moyens mobilisés grâce à la REP, et l'affaiblirait en lui faisant perdre la cohérence d'une solution globale.
Deuxièmement, cela entraînerait une perte significative de financements pour les collectivités locales. La raison en est que, aujourd'hui, les déchets bois sont les plus collectés en volume. Le soutien apporté à ce titre aux collectivités représente déjà 9 millions d'euros par an, et pourrait atteindre 18 millions d'euros à terme. Aussi, supprimer le bois de la REP priverait les communes de cette ressource, tout en leur imposant, en parallèle, une réorganisation des déchèteries, à leurs frais.
Troisièmement, cette suppression pourrait susciter un renouveau des dépôts sauvages. En effet, le mécanisme de la REP PMCB a permis de simplifier le dépôt des déchets, grâce à une collecte mutualisée pour l'ensemble des matériaux couverts par la filière. En exclure le bois, qui constitue 10 % des matériaux retrouvés dans les dépôts sauvages, c'est faire peser un risque réel de recrudescence de ces pratiques illégales.
Vous l'avez compris, je suis défavorable à cette suppression. Elle constituerait un recul préoccupant pour la protection de notre cadre de vie, la préservation de nos équipements publics et, plus largement, les finances de nos collectivités locales. C'est pourquoi je salue le travail de la commission, et en particulier celui de M. le rapporteur Pillefer, que je remercie pour son choix responsable de revenir sur cette sortie du bois de la REP PMCB.
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut rien faire, bien au contraire. Je partage les conclusions de la commission quant à la nécessité de réviser le mécanisme pour organiser une montée en charge plus progressive, efficace, organisée, soutenable et lisible pour les parties prenantes, en particulier les acteurs de la filière bois-construction.
S'agissant plus précisément de certains amendements qui ont été déposés, je souhaite apporter quelques éléments de réflexion, non sans vous avoir remerciée au préalable, madame la sénatrice Loisier, de nous permettre de débattre de ce sujet important.
Vous proposez, par l'amendement n° 6 rectifié bis, que les réductions de charges applicables à un secteur puissent être compensées par des augmentations de charges pour les matériaux moins bien collectés et valorisés, le tout en prévoyant que cet équilibre soit défini par voie réglementaire. Je m'en remettrai à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
Autre enjeu, la nécessité d'agir plus fermement contre la fraude aux contributions. Je comprends, bien évidemment, le message que vous souhaitez adresser aux professionnels du bois-construction, que l'évolution à la hausse des écocontributions inquiète, notamment du fait de la concurrence entre certains matériaux.
Néanmoins, inscrire aujourd'hui dans la loi des mesures précises, alors que je viens de lancer une concertation avec tous les acteurs de la filière des produits et matériaux de construction, ce serait manquer de respect aux professionnels du bâtiment comme à ceux de la gestion des déchets. Je me suis engagée à avancer avec eux, en défendant une vision globale du dispositif REB PMCB, au-delà de la problématique propre à la filière bois-construction.
Je présiderai une réunion d'arbitrage à visée conclusive fin juin. Elle sera suivie de consultations, cet été, sur les projets de textes réglementaires issus de ces travaux. Le temps de la concertation est indispensable pour refonder une filière PMCB plus juste, plus efficace, capable de corriger ses défauts, afin d'être mieux acceptée de tous.
Soyez certains, mesdames, messieurs les sénateurs, de ma pleine mobilisation pour que cette refondation aboutisse dans les meilleures conditions au service de la transition écologique, des filières professionnelles concernées, et ce dans une approche économique, ainsi que de nos collectivités locales. (Mme Jocelyne Antoine, MM. Michel Masset et Jacques Fernique applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gueret. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. Daniel Gueret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les filières à responsabilité élargie du producteur partent du principe selon lequel les producteurs sont responsables du financement ou de l'organisation de la prévention et de la gestion des déchets issus des produits en fin de vie. Elles sont donc la traduction législative du principe pollueur-payeur.
La loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi Agec, a d'ailleurs permis de porter à vingt-cinq le nombre de ces filières. Celles-ci jouent un rôle essentiel dans la réduction de l'impact environnemental des produits, en favorisant le réemploi, la réutilisation, le recyclage ou encore la réparation.
Pour autant, quatre ans après l'entrée en vigueur de la loi Agec, la mise en place de certaines de ces filières soulève encore de nombreuses difficultés. C'est pourquoi la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable s'est saisie du sujet en lançant une mission d'information sur l'application de cette loi. Les travaux de nos collègues rapporteurs Marta de Cidrac et Jacques Fernique sont en cours. Je suis certain que leur rapport, attendu d'ici l'été prochain, permettra de rétablir la confiance dans l'économie circulaire.
Depuis plusieurs semaines, les acteurs de la filière bois nous alertent sur les difficultés posées par la filière REP PMCB, en vigueur depuis mai 2023. Ils s'inquiètent, en particulier, de la trajectoire ascendante du montant de l'écocontribution, qui menace l'avenir de certaines entreprises. Ce montant est d'autant moins acceptable qu'il est plus élevé que pour des matériaux concurrents moins vertueux.
La version initiale du texte que nous examinons aujourd'hui tendait à retirer, purement et simplement, les produits du bois de cette filière REP. Si les inquiétudes des professionnels sont légitimes, cette solution paraissait extrême et posait de nombreuses difficultés opérationnelles. Il était donc important d'étudier les solutions alternatives.
C'est pourquoi je me réjouis que les travaux de la commission et de son rapporteur aient permis d'aboutir à un texte équilibré et consensuel. Il ne s'agit plus d'exclure le bois-construction de la filière REP PMCB, mais de réajuster la répartition de l'effort financier. Le texte modifié par la commission tend ainsi à une répartition plus juste, tenant compte de la performance des matériaux.
Vous l'aurez compris, le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui un texte très important pour la filière bois et pour la filière REP du bâtiment.
Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi visait à exclure les produits du bois de la filière REP PMCB. Si nous pouvons entendre les arguments de l'auteure du texte et les difficultés de la filière bois, liées notamment aux incertitudes commerciales et au niveau de leur écocontribution, une exclusion pure et sèche de la filière bois enverrait un mauvais signal et représenterait une régression profonde pour l'économie circulaire. Elle constituerait un signal d'abandon à l'endroit de ceux qui œuvrent au quotidien pour faire vivre une économie circulaire durable.
Rappelons-le, le bâtiment, pilier de l'économie française, demeure l'un des plus grands producteurs de déchets de notre pays. Aussi, s'il nous incombe d'améliorer et de renforcer la filière REP du bâtiment, cela doit passer non pas par l'exclusion de certains produits, mais par une meilleure articulation entre les producteurs et les éco-organismes.
Cette responsabilité élargie, nous l'avons collectivement adoptée pour répondre à une nécessité : faire en sorte que ceux qui mettent des produits sur le marché prennent part, financièrement et structurellement, à la gestion de la fin de vie de ces produits. Ce n'est pas un luxe, c'est une exigence d'écologie et de justice, que nous comprenons tous ici.
De plus, pour répondre aux préoccupations de la filière bois, le Gouvernement a déjà entrepris des démarches visant à faire évoluer le cadre réglementaire, afin de dégager des gains pour les producteurs et de rétablir une équité entre les produits de construction en bois issus de scieries principalement fabriqués en France et les produits en bois préfabriqués, souvent issus de l'importation.
Au-delà de ces mesures, madame la ministre, vous avez annoncé pour la filière PMCB « la mise en place d'un moratoire visant l'application de certaines dispositions devant entrer en vigueur à partir de 2025 ». Une concertation a été engagée à cet effet avec les parties prenantes en avril dernier ; cela va dans le bon sens.
Le bon sens, c'est ce qui a présidé à l'examen du texte en commission : nous avons considéré qu'une sortie pure et simple des produits bois de la filière REP soulèverait de nombreuses difficultés.
D'une part, le financement de la gestion des déchets de bois incomberait alors exclusivement aux collectivités territoriales, responsables du service public de gestion des déchets. Cela risquerait de fragiliser tout le système de collecte de déchets, qui repose aujourd'hui sur près 6 400 points de reprise gratuite repartis sur l'ensemble du territoire, y compris dans les outre-mer.
D'autre part, permettre à une catégorie de producteurs de se soustraire à ses obligations environnementales serait ouvrir la boîte de Pandore. Une telle décision conduirait inéluctablement d'autres producteurs, soumis à d'autres difficultés, à demander leur sortie de la filière REP : ils ne comprendraient pas cette différence de traitement.
Une fois ces réserves exprimées, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants tient à saluer le travail effectué par le rapporteur Bernard Pillefer, dont la rédaction mesurée et équilibrée apporte une réelle qualité au texte.
L'article 2 de la proposition de loi vise ainsi à inscrire dans la loi un mécanisme de juste répartition de l'effort financier au profit des matériaux les plus performants en matière d'économie circulaire. Cette mesure, qui devait entrer en vigueur en janvier dernier, permettra d'inciter les producteurs à recycler davantage, tout en étant récompensés.
Quant à l'article 3, il vise à mieux lutter contre la fraude aux écocontributions, en autorisant les agents de la direction générale de la prévention des risques (DGPR), de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), des douanes et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) à échanger des informations pour renforcer le cadre des contrôles menés par ces administrations. Ces éléments vont dans le bon sens et laissent entrevoir un texte raisonnable.
Pour ces raisons, le groupe RDPI votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu'au banc des commissions. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset.
M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en France, la filière bois représente 417 000 emplois directs et 28 milliards d'euros de valeur ajoutée. En plus de contribuer à la vitalité de nombreux territoires, comme le Lot-et-Garonne, elle constitue une ressource renouvelable, dont le développement et la valorisation sont nécessaires pour le respect de notre trajectoire de réduction des émissions de carbone dans le secteur du bâtiment, d'ici à 2030.
Pourtant, alors qu'il est indispensable de soutenir le développement d'une filière bois, force est de constater que celle-ci est pénalisée par le poids croissant des écocontributions auxquelles elle est soumise dans le cadre de la gestion de ses déchets.
L'application du principe du pollueur-payeur devait faciliter la lutte contre les dépôts sauvages, améliorer la valorisation des déchets, encourager l'écoconception des produits du bâtiment, en plus de favoriser les produits les plus vertueux pour l'environnement tout en réduisant leurs prix.
Or elle est devenue source d'incohérences et d'inquiétudes, faussant grandement la concurrence entre le bois et les autres matériaux de construction, pourtant moins vertueux du point de vue environnemental. On se retrouve ainsi dans une situation paradoxale : au nom de la défense de l'environnement, on pénalise un matériau des plus durables.
Le texte que nous examinons tend à répondre aux différentes alertes, légitimes, des acteurs de cette filière. À cet égard, je salue les travaux réalisés en commission, qui ont répondu au besoin d'équité et d'acceptabilité du cadre général de la responsabilité élargie du producteur.
Cette position équilibrée permet d'éviter une sortie pure et simple du bois destiné à la construction d'un cadre général en plein déploiement. Une telle solution aurait présenté de nombreuses difficultés, en particulier pour les collectivités territoriales et le système public de gestion des déchets, sur lesquels aurait reposé l'intégralité du financement de sa gestion.
Ce texte améliorera l'atteinte des objectifs environnementaux ambitieux fixés à la filière REP, car il introduit un mécanisme de juste répartition de l'effort financier, au profit des matériaux des plus performants. De plus, il favorise la lutte contre la fraude aux contributions pour les professionnels qui remplissent leurs obligations.
À ce jour, il demeure des marges de progrès : 40 % du gisement de déchets soumis à une REP échappent encore à la collecte, et 50 % de ces déchets ne sont pas recyclés. Le texte doit donc constituer la première pierre d'un travail plus important, permettant de répondre aux défaillances dans le pilotage des filières REP par les pouvoirs publics. Les travaux de la mission d'information du Sénat sur l'application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec) pourront être très éclairants de ce point de vue.
Il convient à ce sujet de noter que le pouvoir de sanction n'est quasiment jamais mobilisé, à l'égard tant des éco-organismes manquant leurs objectifs que des metteurs sur le marché fraudeurs. En effet, la gouvernance des éco-organismes privilégie le niveau des écocontributions plutôt que l'atteinte des objectifs et entre en contradiction directe avec la priorité donnée à la durabilité, au réemploi et à la réparation des produits mis sur le marché.
Pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE porte un regard favorable sur ce texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Antoine. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jocelyne Antoine. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier notre collègue Anne-Catherine Loisier, auteure de cette proposition de loi, initialement intitulée proposition de loi visant à retirer les produits du bois de la REP PMCB.
Ce texte a une vertu majeure : il nous oblige à réfléchir à ce dispositif réglementaire national qui ne découle d'aucune obligation communautaire, la France étant le seul pays d'Europe à avoir mis en place une REP pour les matériaux de construction.
Je tiens à remercier le rapporteur, Bernard Pillefer, de la qualité de ses auditions, de la pertinence de son analyse et de sa recherche permanente d'équilibre tout au long de ses travaux.
Le secteur du bâtiment constitue, après celui des travaux publics, la principale source de production de déchets en France. La loi anti-gaspillage de 2020, dite loi Agec, a démultiplié le nombre de REP pour bon nombre de biens et de produits.
Depuis 2023, elle impose en particulier l'application d'écocontributions aux produits et matériaux de construction du bâtiment, afin de financer leur gestion et leur inclusion dans des circuits de valorisation, de recyclage et de réemploi. Parmi les matériaux de construction du bâtiment, le bois occupe une place à part. En effet, il présente des avantages environnementaux uniques et il offre des performances exemplaires de valorisation en fin de vie.
Toutefois, le niveau de la contribution financière fixée pour chaque type de matériau par les éco-organismes suscite de nombreuses interrogations. En ce qui concerne le bois de construction, filière plus exemplaire que la moyenne, la situation semble paradoxale, puisque les barèmes qui lui sont appliqués sont plus élevés que ceux des matériaux moins vertueux ; les chiffres ont été rappelés par les précédents orateurs. Ferait-on payer davantage les bons élèves que les mauvais ?
À plusieurs reprises, les gouvernements successifs ont tenté de résoudre ce problème, mais, Mme la ministre l'a rappelé, le compte n'y est toujours pas. Ainsi, la REP PMCB est aujourd'hui très pénalisante pour la filière bois, le niveau de l'écocontribution étant perçu comme injuste.
La proposition de loi excluait, dans sa rédaction initiale qui comprenait un article unique, le bois de construction de la filière REP PMCB, dispensant ainsi ce matériau de toute contribution. Toutefois, une sortie pure et simple du bois du dispositif ne semble pas opportune, ni pour les collectivités territoriales ni pour l'économie circulaire en général.
En effet, exclure le bois affecterait le maillage des points de collecte et, plus largement, pénaliserait les finances locales, car le financement de la gestion des déchets de bois de construction relèverait alors des seules collectivités territoriales, chargées du service public de gestion des déchets.
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable n'a donc pas retenu l'option de la sortie pure et simple du bois-construction de la filière REP PMCB ; elle a adopté à l'unanimité la proposition du rapporteur Bernard Pillefer consistant à inscrire dans la loi un mécanisme de juste répartition de l'effort financier au profit des matériaux les plus performants en matière d'économie circulaire, en visant particulièrement le bois de construction.
Elle a par ailleurs adopté deux autres amendements, tendant notamment à favoriser la lutte contre la fraude aux écocontributions. Ces propositions, motivées par un souci d'équité, vont dans le bon sens. Le groupe Union Centriste votera donc pour ce texte ainsi rééquilibré.
Il reste toutefois plusieurs points qui inquiètent les acteurs du secteur : le niveau de contribution fixé pour chaque type de matériau par les organismes agréés et le dispositif de reprise sans frais, à l'origine de bon nombre de maux rencontrés par la filière. Ces sujets ne sauraient être traités dans la présente proposition de loi, mais ils demeurent ouverts.
La commission a constitué en décembre 2024 une mission d'information sur le bilan de l'application de la loi Agec. Par ailleurs, après l'annonce par Mme la ministre de la mise en place d'un moratoire sur les mesures de la filière REP PMCB, l'administration conduit actuellement une vaste consultation des acteurs, afin de rétablir d'ici à l'été prochain un dispositif réglementaire visant à obtenir des améliorations sur les points que nous soulevons.
Nous espérons que cette étude aboutira et qu'elle permettra de corriger la distorsion de concurrence induite par la REP entre matériaux vertueux et matériaux non vertueux d'un point de vue environnemental. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu'au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la transition écologique ne peut être pensée indépendamment de l'aménagement du territoire, de l'emploi local et de la valorisation des ressources naturelles.
Lorsqu'il est utilisé dans la construction, le bois permet d'allier développement local, performance écologique et création d'emplois non délocalisables. Il est donc essentiel de mobiliser pleinement cette filière d'avenir.
Le texte qui nous est présenté aujourd'hui pour rééquilibrer la REP PMCB au profit du bois s'inscrit dans cette démarche, même s'il nous faudra faire beaucoup plus pour répondre à l'immense défi que nous devons relever.
En effet, le secteur du bâtiment représente près de 25 % de nos émissions de CO2, en incluant sa conception et sa durée de vie, avec la consommation énergétique qui l'accompagne. Ce secteur peut donc être grandement amélioré, non seulement pour réduire le nombre de passoires thermiques, mais également pour produire des logements de manière plus écologique.
Alors que 2,7 millions de demandes de logements sociaux restent non satisfaites, il nous faut construire et rénover davantage, dans le respect de nos engagements en matière de réduction des émissions de CO2 et avec le souci que n'entrent pas en contradiction l'urgence sociale et l'urgence climatique, dont les victimes sont toujours les plus précaires.
L'utilisation du bois comme matériau de construction est à privilégier pour plusieurs raisons. D'abord, un mètre cube de bois stocke environ une tonne de CO2 : c'est un matériau naturel qui capte du carbone au lieu d'en produire. Ensuite, la transformation du bois est moins émettrice que celle d'autres matériaux, comme le béton et l'acier. Enfin, le bois est un très bon isolant, qui permet de réduire la consommation d'énergie.
Ce matériau vertueux est pourtant sous-utilisé aujourd'hui dans la construction. Il représente 8 % à 10 % du marché global de la construction neuve en France. Cela dit, cette part est non négligeable, sachant que la filière forêt-bois emploie 440 000 personnes en France, dont environ 60 000 pour le seul secteur de la construction.
En Dordogne, dont près de la moitié de la surface est couverte par la forêt, le potentiel est particulièrement concret. Le conseil départemental l'a bien compris, qui engage depuis plusieurs années une politique volontariste de soutien à la filière via la valorisation des essences locales, le développement de circuits courts, l'installation de réseaux de chaleur et l'accompagnement des entreprises et des collectivités dans leurs projets de construction ou de rénovation.
La construction en bois présente un grand intérêt, mais elle exige de notre part un soutien affirmé en faveur de ce matériau, comme de ceux qui sont les plus performants écologiquement. Le levier présenté dans la proposition de loi pour soutenir des constructions plus écologiques est celui de la responsabilité élargie des producteurs et des écocontributions versées pour la gestion, le traitement et le recyclage des déchets.
Comme le rapporteur l'a rappelé, le bois de construction est en effet aujourd'hui plus pénalisé par l'écocontribution que d'autres matériaux : en moyenne, celle-ci s'élève à 7,6 euros par tonne, contre 5 euros pour les autres déchets de la même catégorie.
Au travers de ce texte, il nous est proposé d'alléger les charges de collecte et de valorisation des matériaux les plus performants, en compensant cet allégement par une augmentation des charges des matériaux moins performants. Cette mesure est de nature à améliorer la compétitivité des matériaux les plus écologiques ; c'est ce que nous devrions toujours avoir en tête pour que le moins cher économiquement ne nous coûte pas plus cher écologiquement.
Pour ces raisons, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky soutiendra ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et des travées du groupe UC, ainsi qu'au banc des commissions. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la mort en 2019 de Jean-Mathieu Michel, maire de Signes, alors qu'il tentait de s'opposer à un dépôt sauvage, a été un électrochoc, comme vous l'avez rappelé, madame la ministre. Ce tragique événement a pesé en faveur de la mise en place de la filière REP produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment, dans le cadre de la loi Agec.
En effet, ce sont nos élus locaux qui sont les premiers concernés : les déchets du bâtiment constituent la principale source de dépôts sauvages. L'Ademe a d'ailleurs indiqué que les déchets issus du bois de construction représentaient 10 % du volume des dépôts sauvages. C'est donc un enjeu fort pour nos collectivités, avec un coût de l'ordre de 400 millions d'euros par an pour ces dernières, d'autant que nombre de ces déchets se retrouvent, sans tri adapté ni prise en charge par les éco-organismes, dans nos déchèteries publiques.
La filière REP PMCB est toute jeune, elle n'est pas encore mature, et les coûts de gestion de ces déchets sont pour le moment fortement affectés par le déploiement des points de collecte. Cette montée en charge inquiète fortement le secteur du bois.
C'est cette évolution envisagée des écocontributions qui crispe certains acteurs et qui a conduit la Fédération nationale du bois à adopter une position abrupte, radicale – une position d'affichage, disons-le –, afin que le bois sorte du système de responsabilité élargie du producteur, qu'il n'« écocontribue » plus aux éco-organismes et que la collecte et la valorisation des déchets du bois reviennent au régime empirique existant avant la loi Agec.
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a désigné Marta de Cidrac et moi-même rapporteurs d'une mission d'information sur cette loi, afin de permettre au Sénat de mesurer les effets de celle-ci, les difficultés et les réussites de sa mise en œuvre, face aux enjeux capitaux que représente le déploiement de l'économie circulaire. C'est essentiel pour assurer notre souveraineté industrielle. L'économie circulaire repose sur l'écoconception, la durabilité, la collecte rigoureuse des déchets, le réemploi, la valorisation, le recyclage. Notre travail est en cours ; diagnostic et recommandations commencent à prendre forme.
Nous pouvons d'ores et déjà dire que l'approche étroite qui motive la volonté de sortir le bois de la REP fait l'impasse sur des défis majeurs. (Mme Anne-Catherine Loisier s'exclame.)
Je pense d'abord à la nécessité de contrer, de résorber, la forte concurrence des importations illégales de bois, souvent issues de la déforestation, illégale elle aussi.
Je pense ensuite à la nécessité de contrer, de résorber, la part considérable de mises sur le marché frauduleuses de produits en bois qui n'écocontribuent pas ; comme le dit la Fédération nationale du bois elle-même, on enregistre par exemple 65 % de fraude pour la catégorie 2.
Je pense encore à la nécessité de contrer, de résorber, les pratiques néfastes qui perdurent ; on peut même parler de l'irresponsabilité de certains producteurs. Il reste 300 000 tonnes de déchets qui partent en brûlage sur les chantiers ou sont laissés dans des dépôts sauvages, lesquels, je l'ai indiqué, sont payés par les contribuables et pourrissent la vie des élus.
Je pense enfin à la nécessité d'améliorer la valorisation du bois. Certes, celle-ci est déjà largement développée, s'agissant d'un matériau vertueux naturellement renouvelable et biodégradable ; toutefois, la valorisation énergie, c'est bien, mais point trop n'en faut. C'est la valorisation matière, à forte valeur ajoutée, qu'il convient de développer en priorité.
Autrement dit, la REP et les éco-organismes ont vraiment du boulot à faire pour améliorer les stratégies industrielles, qui présentent des enjeux de souveraineté, afin que les flux de matière soient positifs pour nos territoires et pour l'Europe.
La commission a donc eu tout à fait raison de suivre l'avis très pertinent et constructif du rapporteur en faisant évoluer ce texte, afin d'ouvrir des pistes d'adaptation, d'amélioration, confortant la cohérence de la REP, tout en prenant mieux en compte les spécificités positives du bois.
Il s'agit, en clair, d'évoluer vers des critères d'écocontribution favorisant les matériaux les plus vertueux et les mieux valorisés, de renforcer la lutte contre la fraude, de mieux réguler les importations – qui doivent être effectivement intégrées à la REP, conformément à la réglementation, et y contribuer –, et de garantir une plus grande équité entre les matériaux du bâtiment – PVC, aluminium, bois, béton –, afin que les matériaux plus durables et plus vertueux ne soient pas pénalisés, bien au contraire.
En améliorant ainsi ce texte, nous évitons aussi de court-circuiter le travail de concertation et d'adaptation collective engagé,…
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jacques Fernique. … avec la perspective de refondation et le moratoire qui est en cours. (Marques d'impatience sur les travées des groupes UC et Les Républicains.) C'est par l'adaptation de la REP que la régulation, la traçabilité, la collecte, le réemploi et le recyclage progresseront.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michaël Weber. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Michaël Weber. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs décennies, la filière bois fait face à des difficultés économiques majeures, qui affectent directement de nombreux territoires ruraux dans lesquels le bois est la principale source d'activité et d'emploi.
La France est le quatrième pays européen le plus boisé. Pourtant, la filière bois française est largement déficitaire et la qualité écologique de nos forêts tend à se dégrader. En effet, la transformation du bois français se fait de moins en moins sur notre territoire ; en l'espace de soixante ans, nous avons perdu 90 % de nos scieries.
En l'absence de débouchés rémunérateurs, le bois brut part massivement vers l'export et nous revient sous la forme de produits manufacturés importés.
Il est impossible de concevoir une économie forestière rentable et vertueuse sans la relocalisation de toute la chaîne de valeur du bois. Pour sortir la filière de l'impasse, nous devons soutenir sa restructuration, en reconnectant les enjeux, en amont, par la gestion durable de la ressource forestière, mais également en aval, avec la transformation du bois au profit d'une économie locale.
Au vu de cette fragilité structurelle de la filière bois, qui peine à rester compétitive face à des produits moins vertueux, la mise en œuvre récente de la filière bâtiment de la REP a des conséquences que nous ne pouvons pas ignorer.
Si un rééquilibrage financier de la REP paraît en effet nécessaire, pour ne pas pénaliser les matériaux les plus vertueux et soutenir la filière française, exclure purement et simplement le bois de la REP PMCB, comme le prévoyait la rédaction initiale du texte, n'est pas envisageable.
La responsabilité élargie du producteur est une application concrète du principe du pollueur-payeur. Ce mécanisme est la traduction de nos ambitions en faveur d'une économie circulaire et d'une justice environnementale. Sans lui, le coût de la prise en charge des déchets serait supporté par les collectivités et les contribuables.
Quand nous savons que le secteur du bâtiment représente plus du quart des déchets produits en France, nous comprenons la nécessité que soient mieux assurés la collecte, le tri, le recyclage et la valorisation des déchets de chantier, bois compris, sans que soit asphyxiée une filière déjà en tension.
La version plus équilibrée du texte, adoptée par la commission sur proposition du rapporteur, qui instaure un abattement de la contribution financière du bois sans cibler ce matériau directement, va dans le bon sens. Toutefois, elle ne fait qu'anticiper les évolutions réglementaires suspendues par le moratoire sur la REP décidé par le Gouvernement, qui consistaient justement en de tels ajustements.
La commission a fait le choix de renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de définir la liste des produits pouvant bénéficier de cette réduction. Nous regrettons à cet égard une rédaction parfois vague, qui n'encourage pas clairement l'utilisation de produits plus durables, ce qui est pourtant l'objectif affiché des écomodulations.
Outre les performances de collecte et de valorisation du produit en fin de vie, il serait pertinent d'ajouter le critère de performance environnementale, en considérant la durabilité du matériau sur l'ensemble de son cycle de vie. Les matériaux biosourcés, comme le bois, ont des qualités écologiques indéniables. Pour autant, la durabilité d'un produit en bois ne va pas de soi ; elle dépend de la bonne gestion des forêts et de la chaîne d'approvisionnement.
La certification d'une gestion forestière durable, le choix d'une provenance locale de la matière première, l'utilisation d'essences autochtones nécessitant moins de traitement chimique, sont autant de moyens concrets pour garantir la réelle qualité environnementale d'un produit bois. A contrario, un produit en bois qui contribuerait à la déforestation et à la destruction d'écosystèmes, et dont la valorisation résiderait simplement dans son brûlage, ne pourrait pas être qualifié de durable.
L'Ademe est compétente pour émettre un avis sur les critères de performance environnementale qui seront retenus pour l'application d'un éventuel abattement. C'est le moyen le plus sûr pour garantir que cet abattement profite en priorité aux matériaux les plus vertueux et à une production locale et durable. Tel est l'objet des amendements que le groupe SER défendra. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier le groupe Union Centriste, notamment l'auteure de cette proposition de loi, d'avoir déposé ce texte important.
La loi Agec a étendu la responsabilité du producteur et des industriels dans la gestion de leurs déchets, en créant de nouvelles filières à responsabilité élargie et en consacrant ainsi le principe du pollueur-payeur. Nous sommes peut-être le seul pays au monde à avoir étendu ce principe à la filière des produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment, mais nous ne pouvons oublier que celui-ci constitue la principale source, à hauteur de 15 %, de production de déchets.
Nous devons également poursuivre la lutte contre les dépôts sauvages de déchets du bâtiment – je pense en particulier au dramatique accident qui a déjà été évoqué et a beaucoup touché les élus locaux de proximité –, source de coûts importants pour les collectivités locales, d'accidents et de nuisances environnementales.
Pour toutes ces raisons, il est impératif d'assurer la prévention, par une gestion organisée de ces déchets. Ce n'est pas à l'opérateur final de supporter seul le coût de la collecte, du tri, du recyclage et de la valorisation. Chacun doit participer ; c'est le principe du pollueur-payeur.
Pour autant, ces mesures ne doivent pas pénaliser nos filières. Or c'est le cas pour le bois. J'apporte mon modeste témoignage à cet égard, le département des Ardennes, que j'ai l'honneur de représenter, faisant partie des départements forestiers et compte nombre de forêts, domaniales, communales ou privées. En effet, le coût de gestion des déchets est bien plus élevé pour le bois de construction que pour d'autres matériaux, comme le béton ou l'acier. Les écocontributions sont plus importantes ; en outre, elles doivent continuer d'augmenter.
Cette situation est paradoxale, d'autant que la loi Agec fait la promotion de ce matériau pour la construction. Le bois, qui présente des avantages écologiques incontestables – il est biosourcé et renouvelable, stocke du carbone, et est moins énergivore – se trouve ainsi moins bien loti que d'autres matériaux, pourtant moins vertueux.
Depuis l'an dernier, le cadre réglementaire a été adapté à deux reprises. D'une part, l'arrêté du 20 février 2024 a eu pour objet de mettre sur un pied d'égalité les bois français et d'importation par l'introduction d'un abattement de 20 %, applicable aux bois frais de sciage au fort taux d'humidité ; d'autre part, un arrêté, désormais suspendu, contenait un mécanisme de répartition des charges.
Mon groupe soutient la rédaction de la commission, car elle constitue un prolongement de ces textes. En effet, le mécanisme prévu par le second arrêté, à savoir un abattement de 50 % des contributions, est inscrit directement dans la présente proposition de loi. Cette mesure permettra que l'écart entre écocontributions, selon les différents matériaux, soit contenu et que le bois reste donc compétitif.
De plus, mon groupe est opposé à l'exclusion pure et simple du bois de la filière REP PMCB. La loi anti-gaspillage date seulement de février 2020 et cette filière n'est pleinement effective que depuis 2023. Les coûts de déploiement des points de reprise de déchets sont élevés, mais la mise en place d'une filière REP prend du temps. Le législateur ne peut demander à nos filières de s'adapter puis rétropédaler. Exclure le bois est donc prématuré.
Par ailleurs, il serait fort dommage d'introduire des exceptions au principe pollueur-payeur. N'ouvrons pas la boîte de Pandore ! Le bois-construction est un matériau qui doit être pris en charge au sein d'une filière REP, trié et recyclé. Même si le processus est long, la valorisation me paraît très importante.
Enfin, mon groupe soutient totalement les mesures, ajoutées par la commission, de lutte contre la fraude aux écocontributions : ce combat est permanent et il n'est pas des plus simples.
La première est le renforcement de la coopération entre les différentes autorités : celles-ci sont nombreuses, aussi faut-il vraiment partager les pratiques.
La seconde est l'obligation pour les personnes non établies en France de désigner un mandataire, chargé d'assurer le respect de leurs obligations relatives au régime de REP. Ainsi, les matériaux entrant en France seront soumis aux mêmes règles que ceux produits sur notre sol.
Dans ce combat, mon groupe sait pouvoir compter sur l'ensemble des services de l'État et des partenaires, ainsi que sur vous, madame la ministre. Il est donc favorable au texte issu des travaux de la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie tout d'abord notre collègue Anne-Catherine Loisier pour ce texte. La France a la chance de disposer de massifs forestiers, et d'entreprises et d'artisans qui mettent en valeur le bois, qui est un matériau essentiel au secteur de la construction. Toutefois, une chance peut parfois devenir un handicap : c'est le cas en l'occurrence.
Je remercie ensuite M. le rapporteur pour son travail. Il a tracé la voie à suivre. Madame la ministre, j'ai entendu vos propos : il faut effectivement corriger ce handicap, qui pénalise nos entreprises et l'utilisation du bois.
D'ailleurs, l'expression « pollueur-payeur » ne me semble pas des plus appropriées pour ce matériau. En effet, le bois est naturellement peu pollueur ! Nos forêts sont bien plus vertueuses que sources d'inconvénients s'agissant des défis environnementaux auxquels fait face notre société. Pour autant, le secteur du bois ne doit pas ne pas contribuer à la REP.
Le handicap qu'il subit actuellement provient d'une distorsion de concurrence par rapport à d'autres matériaux de construction. Il faut résoudre ce problème, qui est à la fois national, se constatant partout sur notre territoire, et européen, comme l'a très bien relevé l'auteure du texte.
J'habite dans les Vosges, un département très proche de la frontière ; je vois le nombre important de charpentes provenant d'Allemagne, parfois faites à partir de bois prélevé dans mon propre département ou dans le Doubs : ce matériau est transformé dans le pays voisin et n'est donc pas soumis aux mêmes règles. Il est nécessaire de revoir l'écoparticipation !
Il faut donc replacer la question dans son contexte : c'est la raison pour laquelle j'ai salué le travail accompli par M. le rapporteur. Au regard du défi énergétique, il faut non seulement continuer à utiliser le bois dans la construction en raison de sa contribution performante à la captation et au stockage de CO2, notamment par les charpentes, mais aussi assurer son recyclage.
La forêt française représente une chance absolument phénoménale : saisissons-nous-en pour préserver l'emploi dans nos territoires et notre savoir-faire national dans le secteur du bois-construction ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Favreau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gilbert Favreau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite exprimer mon plein soutien à la proposition de loi visant à rééquilibrer la filière à responsabilité élargie du producteur des produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment au profit des produits du bois.
Rappelons-le : la REP, instituée par la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, repose sur le principe juste et nécessaire, celui du pollueur-payeur. Elle a permis des avancées réelles dans la structuration des filières de traitement des déchets du bâtiment.
Toutefois, une bonne idée, aussi vertueuse soit-elle, doit être adaptable. Le cas du bois-construction, à l'heure actuelle injustement pénalisé dans la filière REP PMCB, en est une illustration flagrante.
Je vous donnerai un exemple issu du département où je suis élu, les Deux-Sèvres. Une scierie locale, exemplaire sur le plan environnemental, valorisait jusqu'à récemment sa sciure de bois en la revendant à des fabricants de granulés. Cette matière était non pas un déchet, mais une ressource utile, au sein d'une économie circulaire, locale et durable. Désormais, avec l'intégration rigide du bois à la REP PMCB, cette entreprise se retrouve contrainte de payer pour évacuer un sous-produit qu'elle valorisait auparavant. C'est un contresens économique, écologique et territorial !
J'étais favorable à l'exclusion totale du bois de la REP. La commission a choisi, à l'issue de ses travaux, de prévoir une modulation des écocontributions. Ainsi, les matériaux dont le taux de collecte et de valorisation est supérieur à la moyenne, comme le bois, bénéficieront d'un abattement, reconnu par la loi.
Je tiens à soutenir les amendements portés par notre collègue Anne-Catherine Loisier : leur adoption permettrait de renforcer le dispositif.
Le premier vise à encadrer précisément le mécanisme de modulation des écocontributions, en garantissant que l'abattement accordé aux matériaux les plus performants, comme le bois, soit réellement équilibré et appliqué. Cette mesure de bon sens permet de reconnaître les efforts de cette filière vertueuse. J'ai cru comprendre que ce point recueillait l'unanimité.
Le second tend à introduire une écomodulation spécifique pour les matériaux biosourcés renouvelables, comme le bois, en tenant compte de leur capacité à stocker du carbone et de leur faible empreinte environnementale. C'est une reconnaissance bienvenue de leur contribution au respect de nos objectifs climatiques, en cohérence avec la stratégie nationale bas-carbone. Je conçois que l'évaluation de cette « récompense » soit difficile à mettre en place : un texte réglementaire sera nécessaire.
Étant du même avis que le Gouvernement, je vous invite à voter cette proposition de loi.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Gilbert Favreau. À mon sens, c'est ainsi que nous construirons une filière à la fois responsable, performante et au service de l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à rééquilibrer la filière à responsabilité élargie du producteur des produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment au profit des produits du bois
Article 1er
(Supprimé)
Article 2 (nouveau)
Avant le dernier alinéa du I de l'article L. 541-10- 23 du code de l'environnement, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« Pour les produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment relevant d'une même catégorie définie par voie règlementaire, les éco-organismes appliquent un abattement sur les contributions financières versées par les producteurs à l'éco-organisme pour les produits composés majoritairement de matériaux dont la performance de collecte et de valorisation est supérieure à la performance moyenne de l'ensemble des déchets de la catégorie dont ils relèvent.
« La performance de collecte et de valorisation d'un matériau est définie comme le ratio entre les quantités collectées et valorisées et les quantités mises sur le marché.
« En cas de pluralité d'éco-organismes agréés, ce mécanisme s'applique au niveau de la catégorie concernée, avec un équilibrage entre les éco-organismes pour garantir l'équilibre global de la filière. »
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet, sur l'article.
M. Michel Canévet. Le Sénat examine aujourd'hui une proposition de loi importante. Dans la filière du bâtiment, le bois est un matériau qui est recyclé, réutilisé et amplement valorisé. Il importe donc que la structuration du secteur ne soit ni trop complexe ni trop lourde, pour faire valoir les atouts du bois.
En ce qui concerne la filière REP des matériaux du bâtiment, je tiens à saluer votre décision, madame la ministre, de mettre en place un moratoire car, sur le terrain, les opérateurs se plaignaient de la manière dont les choses avaient été engagées. L'organisation d'une filière REP doit se traduire par la mise en place d'opérations de réutilisation, de recyclage et de récupération ; or il est demandé aux opérateurs de payer à cet effet sans qu'un réel service leur soit rendu. Ce n'est pas acceptable.
Je tiens à appeler l'attention du Gouvernement sur la céramique, incluse dans la filière des matériaux du bâtiment. Par-delà la construction, elle est utilisée dans l'agroalimentaire, pour la préparation de plats ou, dans le secteur de la charcuterie, de pâtés. Actuellement, Citeo, qui est chargé du recyclage, ne veut pas mettre en place de filière dédiée.
Pourtant, la céramique utilisée pour cet usage mérite d'être valorisée : elle s'apparente alors à un produit employé pour la maison. À mon sens, il serait donc plus judicieux qu'elle soit assimilée à la céramique pour les bâtiments, laquelle peut être valorisée à fin de réutilisation. Ce serait une décision empreinte de bon sens parce que la céramique n'est pas un matériau à usage unique, au contraire !
J'incite donc le Gouvernement, madame la ministre, à prendre en compte la réalité des usages de la céramique, peut-être en confiant son traitement à Ecomaison, et à faire en sorte que le recyclage se développe sur le territoire national, à l'exemple de ce qu'a pu faire la commune de Fouesnant ces derniers jours.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Je ne veux pas interrompre le débat, mais je vous rappelle, mes chers collègues, que, si nous voulons nous prononcer sur l'ensemble de ce texte, il nous faut procéder au vote au plus tard à seize heures.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 3, présenté par M. M. Weber, Mmes Bonnefoy et Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Gillé, Jacquin, Omar Oili, Ouizille, Uzenat, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Après la première occurrence des mots :
la performance
insérer les mots :
environnementale telle que définie au premier alinéa de l'article L. 541-10- 3,
II. – Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Les critères de performance environnementale font l'objet d'un avis de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.
La parole est à M. Michaël Weber.
M. Michaël Weber. Je serai le plus bref possible parce que je suis moi aussi attaché à ce que ce texte soit voté.
Il s'agit essentiellement, comme évoqué durant la discussion générale, de préciser par cet amendement et par le suivant la rédaction du texte sur un certain nombre d'éléments.
Mme la présidente. L'amendement n° 5, présenté par M. M. Weber, Mmes Bonnefoy et Bélim, MM. Fagnen, Gillé, Devinaz, Jacquin, Omar Oili, Ouizille, Uzenat, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Pour chaque catégorie définie dans les conditions prévues au premier alinéa, ces critères de performance font l'objet d'un avis de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.
La parole est à M. Michaël Weber.
M. Michaël Weber. Il est défendu.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Pillefer, rapporteur. S'agissant de l'amendement n° 3, l'abattement prévu à l'article 2 repose sur la performance de collecte et de valorisation. Ces indicateurs quantitatifs ont le mérite d'être simples et mesurables, ce qui est important. Ils se fondent sur deux données facilement chiffrées et documentées par l'Ademe : les quantités collectées et valorisées, et les quantités mises sur le marché.
Je comprends l'intérêt d'introduire un indicateur de performance environnementale multifactoriel qui prendrait en compte les nombreuses dimensions de l'économie circulaire. En pratique, cela conduirait toutefois à complexifier excessivement le dispositif et à en réduire la lisibilité, en passant de deux critères facilement mesurables à plusieurs critères.
En ce qui concerne l'amendement n° 5, l'article 2 définit précisément les critères de l'abattement lié aux performances de collecte et de valorisation du matériau : ils se fondent sur le ratio entre les quantités collectées et valorisées, d'une part, et les quantités mises sur le marché, d'autre part. Ces différentes données étant établies par l'Ademe à partir des déclarations annuelles des éco-organismes, il paraît redondant de prévoir un avis supplémentaire de l'Agence.
La commission émet un avis défavorable sur ces amendements.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Pour apporter une précision concernant l'amendement n° 3, je vous assure, monsieur le sénateur Weber, que la modulation de l'écocontribution en fonctions de la durabilité et de l'écoconception des matériaux répond à votre préoccupation. Le mécanisme de l'abattement vise, quant à lui, à prendre en compte la performance de la collecte et de la valorisation.
Concernant l'amendement n° 5, je n'ai rien à ajouter à votre propos, monsieur le rapporteur, si ce n'est que je vous remercie de souligner la compétence de l'Ademe sur ce sujet, parmi d'autres.
Le Gouvernement demande le retrait de ces amendements ; à défaut, l'avis sera défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 3.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 5.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par M. M. Weber, Mmes Bonnefoy et Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Gillé, Jacquin, Omar Oili, Ouizille, Uzenat, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Après les mots :
de collecte
insérer les mots :
, de recyclage
II. – Alinéa 3
Après le mot :
collectées
insérer le signe et le mot :
, recyclées
La parole est à M. Michaël Weber.
M. Michaël Weber. Par cet amendement, un abattement sur les écocontributions serait accordé en fonction de la performance de recyclage. En effet, dans le texte actuel, il est uniquement fait référence à la performance de la collecte et de la valorisation.
Nous avons bien conscience que la notion de recyclage pourrait paraître à certains comme faisant partie intégrante de la valorisation. En d'autres termes, il s'agit de ne pas faire l'amalgame entre recyclage et valorisation. Il semble pertinent que le terme de recyclage figure pleinement comme l'un des critères de performance pouvant donner lieu à un abattement sur les écocontributions.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Pillefer, rapporteur. Le terme de valorisation, présent dans le texte, englobe deux modes de traitement : la valorisation énergétique et la valorisation matière, c'est-à-dire le recyclage. Les critères prévus par la proposition de loi pour le mécanisme de répartition des charges prennent donc déjà en compte la matière recyclée. Toutefois, il ne paraît pas souhaitable d'en faire un critère distinct.
La part du bois recyclé doit augmenter, nous en convenons tous. Conformément à la hiérarchisation des modes de traitement des déchets, nous devons privilégier le recyclage sur la valorisation énergétique. En 2023, 89 % des déchets du bâtiment non inertes valorisés ont été recyclés. Pour le bois, le taux de recyclage parmi les déchets valorisés s'élève à 53 %, selon les données de l'Ademe.
Toutefois, comparer le taux de recyclage du bois avec celui d'autres matériaux ne tiendrait pas compte de la spécificité de cette ressource. De fait, la valorisation énergétique occupe une place historique prépondérante pour le bois.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Même avis.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 2.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. L'amendement n° 6 rectifié bis, présenté par Mme Loisier, MM. Gremillet et Duplomb, Mme Belrhiti, MM. Menonville, Lemoyne et J.P. Vogel, Mmes Guidez, Herzog et Vérien, M. Canévet, Mme Sollogoub, MM. Mizzon et Bacci, Mmes Romagny, Pluchet et P. Martin, M. Bitz, Mme Jacquemet, MM. Favreau, Haye, Chauvet et Cuypers et Mmes Bellurot et Billon, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L'abattement sur les contributions financières des matériaux les plus performants est compensé par une augmentation des contributions financières pour les matériaux les moins performants. Le montant de cet abattement est défini par voie règlementaire.
La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Cet amendement a pour objet de compléter les modalités de l'abattement pour performance instauré par M. le rapporteur, en introduisant un principe de solidarité entre matériaux, sous la forme d'un bonus-malus.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Pillefer, rapporteur. Cet amendement, qui a été rectifié, reçoit un avis favorable de la commission.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Comme je l'ai indiqué lors de la discussion générale, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié bis.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Après l'article 2
Mme la présidente. L'amendement n° 7 rectifié, présenté par Mme Loisier, MM. Gremillet et Duplomb, Mme Belrhiti, MM. Menonville, Lemoyne et J.P. Vogel, Mmes Guidez, Herzog et Vérien, M. Canévet, Mme Sollogoub, MM. Mizzon et Bacci, Mmes Romagny, Pluchet et P. Martin, M. Bitz, Mme Jacquemet, MM. Favreau, Haye, Chauvet et Cuypers et Mme Bellurot, est ainsi libellé :
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le I de l'article L. 541-10-23 du code de l'environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les contributions financières versées par les producteurs à l'éco-organisme pour les produits et matériaux biosourcés renouvelables qui permettent le stockage du carbone sur la durée bénéficient d'une minoration, en raison de leur exemplarité environnementale. Le montant de cette minoration est défini par décret. »
La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Cet amendement vise à introduire un second critère d'écomodulation fondé sur la nature biosourcée des produits, dont le bois. Il s'agit de réellement prendre en compte la plus-value du bois en soumettant ce matériau à une écocontribution d'un coût réellement moins important que celui payé pour les matériaux plus polluants.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Pillefer, rapporteur. Le bois est un produit biosourcé renouvelable qui stocke le carbone. Il constitue, en ce sens, un matériau vertueux ; nous en convenons tous ! Pour cette raison, j'ai proposé, à l'article 2, un abattement sur les écocontributions qui concernent ce matériau.
En ce sens, madame Loisier, votre amendement est donc satisfait : créer une nouvelle minoration de l'écocontribution taillée sur mesure pour le bois ferait vraisemblablement doublon avec l'abattement déjà prévu et complexifierait le droit applicable à la REP PMCB.
Je rappelle enfin que l'objet du texte est le bois-construction et rien que le bois-construction ! L'écocontribution pour ce matériau est traitée au travers de l'article 2, tandis que le moratoire mis en place par Mme la Ministre permettra de se pencher sur les autres matériaux biosourcés.
Les conclusions de la mission d'information sur l'application de la loi Agec, dont Marta de Cidrac et Jacques Fernique sont rapporteurs, pourront alimenter les travaux en la matière. Aussi, je vous invite, ma chère collègue, à vous cantonner à l'objet de cette proposition de loi, à savoir le bois-construction.
La commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, l'avis sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour explication de vote.
Mme Anne-Catherine Loisier. J'entends les arguments de M. le rapporteur, que je remercie pour son travail. Néanmoins, l'amendement voté en commission visant à introduire un abattement pour performance portait sur tous les matériaux.
Mon amendement tend à reconnaître la singularité du bois et à mettre en avant les produits biosourcés, dans le cadre d'une stratégie favorisant l'écoconception, au travers de l'écomodulation. Cet amendement est tout à fait dans l'esprit de la loi Agec.
De la même manière que l'abattement pour performance, l'abattement relatif aux matériaux biosourcés viserait tous les matériaux rentrant dans la catégorie. Par ailleurs, un décret de vos services, madame la ministre, précisera les modalités de mise en œuvre de mon amendement, s'il est adopté.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 7 rectifié.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 2.
Article 3 (nouveau)
La section 2 du chapitre Ier du titre IV du livre V du code de l'environnement est ainsi modifiée :
1° Le III de l'article L. 541-9 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les agents de la direction générale de la prévention des risques et de ses services déconcentrés, les agents habilités en application de l'article L. 541-9-7, les agents des douanes et les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sont autorisés, pour les besoins de leurs missions de contrôle prévues au présent III, à se communiquer, sur demande ou spontanément, tous les renseignements et les documents détenus ou recueillis dans l'exercice de leurs missions respectives. » ;
2° L'article L. 541-10-9 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu'une personne non établie en France est soumise au principe de responsabilité élargie du producteur en application de l'article L. 541-10 ou en application du premier alinéa du présent article, elle désigne, par mandat écrit, une personne physique ou morale établie en France en tant que mandataire chargé d'assurer le respect de ses obligations relatives au régime de responsabilité élargie des producteurs. Cette personne est subrogée dans toutes les obligations découlant du principe de responsabilité élargie du producteur dont elle accepte le mandat. – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi, dont la commission a ainsi rédigé l'intitulé : proposition de loi visant à rééquilibrer la filière à responsabilité élargie du producteur des produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment au profit des produits du bois.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinquante-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Modification de l'ordre du jour
Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, M. Mathieu Darnaud, président du groupe Les Républicains, a demandé le remplacement du débat sur le thème « Quel cap énergétique pour la France ? », inscrit à l'ordre du jour du mardi 27 mai, par un débat, sous forme de discussion générale, sur le thème : « Quelles réponses apporter à la crise du logement ? ».
Y a-t-il des oppositions ?
Il en est ainsi décidé.
4
Lien de confiance entre la police et la population
Rejet d'une proposition de loi
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population, présentée par Mme Corinne Narassiguin, M. Jérôme Durain et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 54, résultat de travaux n° 588, rapport n° 587).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Corinne Narassiguin, auteure de la proposition de loi. (M. Jérôme Durain applaudit.)
Mme Corinne Narassiguin, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis très heureuse de présenter aujourd'hui au Sénat cette proposition de loi dont l'objet est certes ambitieux, mais réaliste et nécessaire : rétablir le lien de confiance entre la police et la population.
J'ai participé à la mission d'information transpartisane relative aux émeutes qui ont suivi la mort de Nahel Merzouk. Si j'ai partagé globalement les constats dressés, j'ai éprouvé un profond désaccord sur l'analyse des causes de ces émeutes et, surtout, les recommandations. En effet, la multiplication des petites frustrations ou petits incidents, comme des contrôles d'identité réguliers, fait partie du quotidien de certains jeunes. Elle mine la confiance dans la police et alimente un fort sentiment d'injustice et de relégation.
Rappelons-nous : en novembre 2005, Bouna Traoré et Zyed Benna rentrent d'un match de foot et décèdent tragiquement dans un transformateur électrique après avoir pris la fuite par peur d'un contrôle d'identité. En 2015, dix-huit jeunes déclarent avoir subi, durant deux ans, des contrôles quotidiens et humiliants dans le XIIe arrondissement de Paris, toujours par les mêmes policiers. En 2017, trois jeunes qui rentrent d'un voyage scolaire à Bruxelles sont les seuls du train à être contrôlés à la gare du Nord.
Chaque jour, dans de nombreux quartiers de notre République, des mineurs de 8, 10 ou 12 ans sont contrôlés sans raison apparente. J'insiste sur ce « sans raison apparente », car le seul motif récurrent est bel et bien leur couleur de peau. À l'heure actuelle, en France, les jeunes hommes entre 18 et 25 ans perçus comme noirs ou arabes connaissent une probabilité vingt fois plus élevée que le reste de la population de subir un contrôle.
Alors que, chaque année, 32 millions de contrôles d'identité de piétons sont réalisés, qui parmi vous, mes chers collègues, en a déjà vécu un sur la voie publique ? Probablement aucun d'entre vous ou très peu, alors que, statistiquement, un sur deux aurait dû être contrôlé.
Ces chiffres et ces constats clairs et précis, établis par la Défenseure des droits comme par la Cour des comptes, permettent d'en arriver à une conclusion sans appel : actuellement, dans notre République, des personnes se font contrôler par les forces de l'ordre sur le fondement de leur couleur de peau. Comme élus de cette République, nous ne pouvons pas accepter cette situation ; nous ne pouvons pas accepter que des citoyens se sentent exclus et mis au ban de notre société car « ils n'ont pas l'air français ».
Le contrôle d'identité est bien le symbole et le point de cristallisation, parfois même l'élément déclencheur, d'une relation abîmée entre une partie de la population et les forces de l'ordre. Depuis 2005, rien n'a changé dans cette relation. Pire encore, elle s'est même dégradée, car les politiques n'ont rien fait. Je prends bien évidemment ma part de responsabilité. Au pouvoir de 2012 à 2017, les socialistes ont promis la mise en place du récépissé et ne l'ont pas fait. C'était une erreur.
Je considère aussi que de nombreuses choses ont évolué ces dernières années : il est indéniable que la loi doit être modifiée. Deux éléments nouveaux sont en particulier à souligner.
Premièrement, la justice reconnaît l'existence de contrôles discriminatoires. La Cour de cassation, le Conseil d'État, la Cour européenne des droits de l'homme : toutes ces institutions judiciaires ont reconnu cette pratique. L'État français a été condamné pour faute lourde à ce titre.
L'ONU et le Conseil de l'Europe, pas plus tard qu'en février 2025, ont appelé la France à mettre en place un dispositif permettant la traçabilité des contrôles d'identité.
Deuxièmement, ce sont maintenant les forces de l'ordre elles-mêmes qui reconnaissent qu'il y a un problème avec les contrôles d'identité et la législation en vigueur.
Selon une étude du Défenseur des droits publiée le 27 février 2024, 39,2 % des policiers et gendarmes interrogés jugent les contrôles d'identité « peu voire pas efficaces » pour garantir la sécurité d'un territoire. Ce chiffre élevé est le signe d'une perte de sens de cette mission, voire du côté contre-productif de cet acte pour de nombreux agents de la force publique.
Le chiffre avancé par la Cour des comptes – 47 millions de contrôles d'identité réalisés chaque année – montre le caractère extrêmement chronophage de ces actes qui constituent souvent une perte de temps pour les forces de l'ordre.
Marie-France Monéger-Guyomarc'h, ancienne directrice de l'inspection générale de la police nationale (IGPN) de 2012 à 2018, a déclaré il y a quelques mois dans la Revue française d'administration publique : « Je suis persuadée qu'il faut modifier la loi sur le contrôle d'identité. Finalement, on met les policiers en danger en leur demandant d'appliquer une loi qui est d'une complexité telle que rares sont ceux – moi la première aujourd'hui – qui sont capables d'expliciter les quatre cas du contrôle d'identité. Il faut repenser le contrôle d'identité qui n'est plus accepté socialement et développer d'autres modes d'intervention. Tenir un territoire par les seuls contrôles d'identité n'a aucun sens et met les policiers en danger. La question est très difficile, il faut avoir le courage politique de la poser. »
Le rapport du comité d'évaluation de la déontologie de la police nationale (CEDPN) a mis en lumière des pratiques de contrôle d'identité souvent abusives et discriminatoires, particulièrement dans certains quartiers. Il a formulé comme recommandations l'annonce systématique des motifs de contrôle et l'utilisation des caméras-piétons.
Les choses changent, la société évolue, mes chers collègues, il n'y a que sur une partie des travées de cet hémicycle que certains ne veulent pas voir cette réalité.
Mme Audrey Linkenheld. Ils ne sont d'ailleurs pas là !
Mme Corinne Narassiguin. Je tiens à rappeler ici mon attachement au travail exemplaire de nos policiers et gendarmes, très souvent mis à mal par un manque criant de reconnaissance et de moyens, comme par une hostilité croissante de la part d'une partie de la population.
Le travail de patrouille des agents est rendu de plus en plus difficile ; il conduit à des violences et à des agressions envers les forces de l'ordre qui ne sont pas acceptables.
C'est une réforme bien plus profonde de l'action des forces de l'ordre qu'il faudrait mener. Il semble essentiel de revenir à une forme de police de proximité qui travaillerait à la prévention en dialoguant régulièrement avec les habitants, plutôt qu'à la répression sur le mode constant de l'urgence.
La formation des forces de l'ordre devrait également être revue. Mais tout cela ne peut se faire par une proposition de loi dans le cadre d'une niche parlementaire.
Aussi, j'ai décidé de me concentrer sur ce problème criant des contrôles d'identité avec un objectif : plus aucun contrôle d'identité ne doit avoir lieu sans raison. Que proposons-nous donc au travers de cette proposition de loi ?
L'article 1er vise à inscrire dans la loi de façon explicite l'exigence de critères excluant toute discrimination pour procéder à un contrôle d'identité. Le rapporteur avance que le droit existant suffit. Or cette interdiction apparaît uniquement dans la partie réglementaire du livre Ier du code de la sécurité intérieure. Elle a donc moins de valeur qu'une disposition législative. Je souhaite également ajouter dans la loi que ce contrôle doit être motivé et susceptible de recours.
L'article 2 vise à modifier les alinéas 7 et 8 de l'article 78-2 du code de procédure pénale. Pour les réquisitions écrites du procureur de la République, il vise à instaurer l'exigence d'une demande motivée du représentant de l'État dans le département, du préfet de police de Paris ou du procureur. Aujourd'hui, ces réquisitions sont en réalité très souvent rédigées par la police elle-même, puis validées par le procureur.
Autre élément très problématique dans notre droit : les contrôles dits « administratifs » qui permettent de contrôler une personne « quel que soit son comportement […] pour prévenir une atteinte à l'ordre public ».
Tous les spécialistes du sujet le disent : ces contrôles administratifs laissent une trop grande place à l'arbitraire. Aussi, je propose de les autoriser uniquement pour assurer la sécurité d'un événement, d'une manifestation ou d'un rassemblement exposé à un risque d'atteinte grave à l'ordre public.
L'élément central de la proposition de loi est l'instauration d'un dispositif d'enregistrement et de traçabilité des contrôles d'identité. Concrètement, il s'agit d'un récépissé mentionnant le fondement juridique et les motifs justifiant le contrôle d'identité, les suites qui peuvent y être données, l'identité de la personne contrôlée, la date, l'heure et le lieu du contrôle, le matricule, le grade et le service de l'agent ayant procédé au contrôle.
Enfin, la proposition de loi précise que les contrôles d'identité doivent être enregistrés systématiquement par les caméras mobiles.
Il est nécessaire de permettre à une personne qui considère avoir eu sans raison plusieurs contrôles d'identité dans la même semaine, et parfois plusieurs fois par jour, de déposer un recours et d'engager une procédure judiciaire. Pour cela, il lui faut des preuves : cela passe par la traçabilité via un récépissé en cas de contrôle, mais aussi par l'enregistrement vidéo.
Aujourd'hui, les personnes contrôlées n'ont aucune preuve de leur contrôle afin d'effectuer un recours : 94 % des contrôles n'ont aucune suite judiciaire. Monsieur le rapporteur, il semble évident que c'est le manque de preuves qui explique le faible nombre de signalements.
Face à ces faits de discrimination reconnus et documentés, face à nos propositions constructives qui découlent de nombreuses heures d'auditions, la droite du Sénat nous dit : « Circulez, il n'y a rien à voir ! » Le rapporteur ose affirmer que les discriminations relèvent avant tout d'un ressenti.
Certains sont même allés jusqu'à nous accuser d'être anti-police ! C'est un comble quand on sait que la proposition de loi vise aussi à sécuriser les policiers dans la pratique de leur métier. Pourquoi un policier qui fait bien son travail devrait-il s'inquiéter de donner un récépissé, lui qui délivre quotidiennement des amendes, ou de devoir enclencher sa caméra-piéton ?
Mes chers collègues, ce sujet méritait bien plus qu'un débat caricatural et dogmatique. Toutes ces personnes, tous ces jeunes, que je croise chaque jour dans mon département de la Seine-Saint-Denis méritent bien plus que les réponses hors sol que nous avons commencé à entendre en commission.
C'est à ces jeunes que je pense en cet instant. Je ne veux plus que la première interaction qu'ils aient dans leur vie avec la police soit un contrôle d'identité. Je ne veux pas qu'ils aient cette vision de la République. Je ne veux pas que des jeunes grandissent et se construisent dans la peur de ces contrôles !
C'est pour ces jeunes, ces enfants et ces futurs parents que je vous propose aujourd'hui de réformer la pratique des contrôles d'identité afin de lutter partout sur nos territoires contre les discriminations qui sont une brèche dans le contrat social au fondement de notre République.
L'ordre républicain ne vaut que s'il repose sur la liberté, l'égalité et la fraternité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Bonhomme, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par notre collègue Corinne Narassiguin et le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vise, selon son intitulé, à « rétablir le lien de confiance entre la police et la population ». Pour ce faire, les quatre articles qui la composent tendent à opérer un renforcement de l'encadrement des contrôles d'identité.
Je précise immédiatement que la commission des lois n'a pas adopté ce texte, qui nous a semblé comporter d'importer écueils juridiques, techniques, politiques, voire philosophiques.
Tout d'abord, l'intitulé même de la proposition de loi nous est apparu problématique. La commission ne partage pas le postulat selon lequel le lien de confiance entre les forces de l'ordre et la population aurait besoin d'être rétabli en France.
Dans leur très grande majorité, nos concitoyens soutiennent l'action de nos policiers et gendarmes, au service de leur sécurité. Les données sont connues, mais il est toujours bon de les rappeler.
D'abord, les études d'opinion indiquent que près de trois quarts de la population a confiance dans les forces de l'ordre ou éprouvent de la sympathie pour elles. Respectivement 79 % et 85 % de nos compatriotes ont également une « bonne opinion » des policiers et des gendarmes ! Peu de professions peuvent se targuer d'un tel niveau de popularité...
Par ailleurs, l'enjeu complexe du lien de confiance entre les forces de l'ordre et la population ne saurait se réduire à la seule question des contrôles d'identité ; cela serait même quelque peu hasardeux et véhiculerait des représentations biaisées.
Sur le fond, ensuite, la commission ne partage pas les présupposés qui fondent la proposition de loi. Celle-ci semble remettre en cause l'efficacité même des contrôles d'identité.
M. Jérôme Durain. Oui !
M. François Bonhomme, rapporteur. Au contraire, notre commission entend rappeler qu'il s'agit d'un outil indispensable aux forces de l'ordre pour le bon exercice de leurs missions lourdes et difficiles.
À la demande de la Défenseure des droits, toujours prompte à s'emparer de ces questions,…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et pour cause : c'est sa mission !
M. François Bonhomme, rapporteur. … la Cour des comptes, saisie par ses soins, avait indiqué dans un rapport que le dispositif des contrôles d'identité occupe une « place centrale dans les actions de la police et de la gendarmerie nationales relevant de la sécurité publique ».
J'ajoute qu'interroger l'efficacité des contrôles d'identité considérés isolément n'a pas grand sens et suscite quelques biais, car l'efficacité de l'opération doit être appréciée dans son ensemble. Pour juger du contrôle d'identité, il faut l'apprécier selon le contexte. Il existe des situations très différentes qui peuvent amener à y avoir recours, selon le cadre dans lequel il s'inscrit, par exemple, en matière d'interpellation de délinquants ou encore de saisie de stupéfiants.
Par ailleurs, je trouve particulièrement problématique de jeter une suspicion de principe, par nature, sur le dispositif des contrôles d'identité, comme le font les auteurs de cette proposition de loi, en instaurant et même en suscitant – mais peut-être est-ce pour mieux la dénoncer ? – une forme de présomption de discrimination à l'égard des contrôles d'identité dans leur ensemble.
C'est pourtant le raisonnement qui sous-tend la proposition de loi, ses auteurs semblant considérer que les contrôles d'identité, s'appuyant sur des études ou des avis plus ou moins partiaux ou militants, seraient par nature discriminatoires – donc contraires à la loi – et « généralisés » ou « systémiques ».
Or les données à notre disposition sont sans appel. Ces chiffres doivent être resitués par rapport aux quelque 47 millions de contrôles d'identité recensés par la Cour des comptes en 2021, car le nombre de signalements transmis aux inspections générales ou à la Défenseure des droits est tout à fait infime.
En 2024, ce nombre s'élève à vingt-neuf pour l'inspection générale de la police nationale et à quatre-vingts pour l'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). Huit seulement alléguaient une discrimination, les autres portant sur les conditions de l'interpellation – par exemple « on m'a mal parlé » ou « on m'a mal reçu ».
Quant à la Défenseure des droits, pourtant très chatouilleuse au travers de son réseau de plus de 600 délégués territoriaux, son rapport annuel d'activité ne mentionne qu'un seul cas. Il ne s'agit évidemment pas de nier le phénomène du non-recours, qui peut être réel en la matière, comme partout ailleurs. Il n'en demeure pas moins que, en gardant un ordre de grandeur de 47 millions de contrôles d'identité par an, les signalements concernent précisément 0,00007 % des contrôles… Un tel pourcentage ne saurait caractériser – c'est une litote – un phénomène de discriminations généralisées !
J'ajoute qu'en 2023 six associations avaient voulu exercer une action de groupe sur les contrôles d'identité jugés discriminatoires et avaient saisi le Conseil d'État. Celui-ci, dans sa décision, a explicitement écarté l'existence d'un caractère « généralisé » ou « systémique » des contrôles d'identité.
Vous le voyez, cette proposition de loi est tout à fait malvenue, pour ne pas dire contre-productive, car elle entretient artificiellement l'idée que certaines catégories de population feraient l'objet d'une discrimination de principe.
Ne confondons pas tout. Il peut certes arriver ponctuellement que certains contrôles aient un caractère discriminatoire. Les possibilités, le cas échéant, pour les signaler et les sanctionner existent, aussi bien sur le plan disciplinaire que sur le plan pénal.
En revanche, considérer les contrôles discriminatoires comme systémiques me semble totalement malvenu pour nos forces de l'ordre, eu égard à la lourdeur et la difficulté de leur tâche. Celles-ci sont formées, encadrées, soumises à des contrôles, à des signalements via des plateformes dédiées. Elles ne sont pas non plus à l'abri de poursuites des procureurs, qui peuvent recevoir des plaintes pour discrimination.
La police comme la gendarmerie se sont d'ores et déjà pleinement engagées dans la lutte contre toutes les dérives. Le sujet fait l'objet d'une attention particulière dans la formation initiale et continue des agents, avec le concours d'associations spécialisées, mais également des services de la Défenseure des droits.
Au-delà de cette divergence d'approche, la commission a constaté que la proposition de loi présentait d'importantes limites. Certaines dispositions sont purement déclaratoires, tandis que d'autres restreindraient de manière quasi rédhibitoire les possibilités pour les forces de l'ordre de procéder à des contrôles d'identité.
La recherche d'améliorations réside dans la modification non pas de la législation, mais plutôt des pratiques. À cet égard, la Cour des comptes a formulé plusieurs recommandations concrètes dont nous pouvons nous inspirer.
Cette présentation générale étant faite, j'en viens au détail des quatre articles, qui ont été rejetés par la commission.
L'article 1er tend à réaffirmer, à l'article 78-1 du code de procédure pénale, l'exigence de motivation des contrôles d'identité, leur caractère non discriminatoire, l'impératif du respect de la dignité des personnes contrôlées, ainsi que leur droit au recours. Ces exigences sont déjà garanties en l'état du droit, si bien que le dispositif est à la fois redondant et inutilement proclamatoire.
L'article 2 vise, en premier lieu, à conditionner la mise en œuvre des contrôles d'identité « judiciaires » sur réquisition du procureur de la République à une demande préalable du préfet. En second lieu, il tend à restreindre significativement le champ des contrôles d'identité « administratifs », en autorisant les forces de l'ordre à les mener aux seules fins d'assurer la sécurité de grands événements particulièrement exposés à des risques de sécurité.
Cet article pose des difficultés importantes d'ordre tant juridique qu'opérationnel : d'une part, il crée une confusion entre les cadres judiciaire et administratif ; d'autre part, il induit une restriction excessive de l'action des forces de l'ordre. Pour ces raisons, la commission ne l'a pas retenu.
Afin de renforcer la traçabilité des contrôles d'identité, l'article 3 tend à prévoir la remise systématique d'une attestation à la personne ayant fait l'objet d'un contrôle. Il s'agit là du fameux « récépissé », un temps soutenu par le gouvernement du président François Hollande. Celui-ci avait finalement abandonné cette idée, pour de bonnes raisons. Permettez-moi donc de faire miens les arguments avancés à l'époque par Bernard Cazeneuve pour s'opposer à ce récépissé, car ils sont encore valides aujourd'hui.
D'un point de vue opérationnel, la délivrance systématique d'un récépissé alourdirait fortement la procédure de contrôle, sans que la plus-value de ce document pour la personne contrôlée apparaisse de manière évidente.
La possession d'un tel récépissé n'exonérerait de fait en rien son détenteur de contrôles postérieurs, ne serait-ce que parce qu'il faudrait alors vérifier la concordance entre son identité et celle qui figure sur l'attestation.
Par ailleurs, il peut arriver que la multiplication des contrôles en un temps et un lieu donnés puisse être jugée opportune. Elle peut tout à fait être dictée par les nécessités d'une enquête judiciaire ou la préservation de l'ordre public.
D'un point de vue technique, le récépissé supposerait ensuite nécessairement la création d'un fichier de masse. Ne serait-ce pas disproportionné au regard de l'objectif visé ? Compte tenu de ces éléments, il me semble plus pertinent de privilégier les pistes d'aménagements techniques existantes, notamment la modification de l'architecture du fichier des personnes recherchées. Il s'agirait d'introduire un « bouton » qui permettrait, lors de chaque consultation effectuée en mobilité, de préciser si celle-ci est opérée dans le cadre d'un contrôle d'identité ou non. Ce faisant, la traçabilité des contrôles serait systématisée. Là encore, M. le ministre pourra nous préciser les choses.
Enfin, l'article 4 vise à prévoir une activation systématique du dispositif des caméras-piétons. La jurisprudence constitutionnelle invite davantage à encadrer les hypothèses de captation qu'à les systématiser. Par ailleurs, un tel dispositif se heurterait à des contraintes matérielles liées aux capacités de stockage.
Mes chers collègues, vous l'aurez compris, la commission ne partage ni l'esprit de cette proposition de loi ni les mesures qu'elle prévoit. Nous vous invitons donc à la rejeter ou, le cas échéant, à adopter les amendements de suppression qui sont été déposés à bon escient par certains de nos collègues.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je dois reconnaître aux rédacteurs de cette proposition de loi ainsi qu'à ceux qui la soutiennent une certaine constance.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C'est aimable !
M. Michaël Weber. Mais est-ce bon signe ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Après les textes déposés par Éliane Assassi au Sénat en décembre 2016 et par Éric Coquerel à l'Assemblée nationale en décembre 2017, nous devons de nouveau examiner une proposition de loi visant à lutter contre les contrôles d'identité dits « abusifs ».
L'objet de ce texte, si l'on s'en tient à son intitulé, est de rétablir la confiance entre la police et les Français. Je dois dire, avec beaucoup de sympathie, à l'auteure de cette proposition de loi que son texte est de nature à laisser entendre que les contrôles réalisés par nos services de police sont régulièrement, pour ne pas dire systématiquement, orientés, voire douteux : en clair, il s'agirait de contrôles « au faciès ».
Je ne peux que contester, en tant que ministre auprès du ministre de l'intérieur, mais aussi dans un cadre beaucoup plus large, un tel point de vue !
Au vu de la charge importante de nos services de police, il peut arriver que certains intervenants ne se comportent pas bien. Néanmoins, ils sont parfaitement identifiés, et font l'objet de poursuites ainsi que de sanctions.
Madame Narassiguin, on ne saurait prétendre aujourd'hui que nos compatriotes n'ont pas confiance dans les services de police. Votre analyse s'appuie directement sur les résultats d'une étude du Défenseur des droits de 2012, qui avait été confiée au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip).
Sans entrer dans le détail, ce rapport établissait que le type de mesures que vous préconisez poserait un problème quasiment constitutionnel puisqu'il faudrait – pour lutter contre un nombre si peu important de cas, comme l'a souligné M. le rapporteur – établir des fichiers tenant compte des origines ethniques ou raciales,…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pas du tout !
M. François-Noël Buffet, ministre. … ce que la France s'interdit de faire !
Une étude de l'Ifop (Institut français d'opinion publique) de septembre 2024 a établi que 71 % de nos compatriotes avaient spontanément un sentiment positif sur la police, qu'ils éprouvaient de la sympathie, mais aussi de la confiance. Globalement, 79% des Français affirmaient dans cette étude avoir une bonne opinion de la police et 85 % avaient une bonne opinion de la gendarmerie.
Je n'insisterai pas davantage sur les raisons pour lesquelles nos compatriotes sont satisfaits et ont confiance dans leur police. Je ne citerai pas non plus la liste des affaires qui n'ont fait que renforcer cette confiance. Il n'en demeure pas moins que nous devons aborder le fond de ce texte. Le Gouvernement y est-il favorable ? La réponse est non.
M. Michaël Weber. Quelle surprise !...
M. François-Noël Buffet, ministre. Je comprends que vous ne soyez guère surpris !
Ce refus n'est pas simplement proclamatoire, il repose sur un certain nombre d'analyses.
À l'article 1er, l'indication selon laquelle le contrôle doit exclure les discriminations prévues et réprimées par le code pénal est, nous semble-t-il, juridiquement superfétatoire dans la mesure où ces infractions peuvent déjà être reprochées aux policiers et aux gendarmes, comme à n'importe qui d'ailleurs, si les éléments constitutifs sont réunis, comme pour toute infraction. La possibilité de contester le comportement anormal d'un policier est donc tout à fait ouverte.
De même, la précision selon laquelle le contrôle d'identité « doit être mis en œuvre dans le respect de la dignité des personnes » est redondante avec ce que prévoit déjà le code de la sécurité intérieure, qui tient compte de ces éléments.
À l'article 2, l'exigence de motivation des demandes de l'autorité administrative susceptibles de précéder les réquisitions du procureur ne vise pas tant à modifier le cadre juridique des contrôles d'identité sur réquisition qu'à les rendre plus identifiables, et donc plus critiquables.
À l'article 3, vous prévoyez la délivrance d'un récépissé, dont l'objet réel est de déterminer l'identité du contrôleur et la motivation du contrôle. Vous avez regretté que ce projet n'ait pas abouti sous la présidence de François Hollande, mais peut-être s'est-il lui-même rendu compte qu'une telle mesure ne serait pas efficace ou qu'elle serait extrêmement complexe à mettre en œuvre. Quoi qu'il en soit, les choses ont aujourd'hui évolué puisque la loi en vigueur impose déjà de rendre visible le référentiel des identités et de l'organisation (RIO) des agents. La taille de ce numéro d'identification que porte chaque agent sur son uniforme sera d'ailleurs bientôt agrandie.
D'autres dispositions apparaissent en outre contrevenir à l'ambition affichée par les auteurs du texte. Ainsi, l'obligation d'enregistrer systématiquement les contrôles d'identité qui figure à l'article 4 reviendrait paradoxalement à autoriser une collecte généralisée et discrétionnaire d'images par les agents compétents, causant ainsi une atteinte plus grande aux droits et libertés des personnes, notamment au droit au respect de la vie privée – c'est un point non négligeable.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement suivra la commission et émettra un avis défavorable à l'adoption de la proposition de loi. Néanmoins, je ne voudrais pas terminer cette intervention sans préciser deux points.
Premièrement, l'inspection générale de la police nationale fait aussi son travail d'enquête et ne laisse rien passer, comme cela a été parfaitement documenté, y compris par le Sénat. Lorsqu'elle est saisie, les enquêtes sont menées jusqu'à leur terme et les sanctions sont prises chaque fois que cela s'impose.
Deuxièmement, le ministère de la justice, chaque année, fait établir un bilan annuel sur les contrôles d'identité, qui peut être consulté. Cela démontre que le Gouvernement et le garde des sceaux veillent avec précision à ce que les règles de droit qui sont applicables aujourd'hui soient parfaitement respectées.
Malgré l'avis défavorable que le Gouvernement émet, je ne voudrais pas laisser croire que nous soyons indifférents aux situations qui ne respectent pas les règles et qui conduisent à contrôler parfois abusivement un certain nombre de personnes. À chaque fois que le cas se produit, des sanctions sont prises, mais il faut aussi dire que de tels abus ne sont pas un principe de fonctionnement de notre police, dont chacun s'accorde à saluer aujourd'hui l'engagement face à des difficultés extrêmement importantes.
Pour voir nos forces de l'ordre à l'œuvre de plus près depuis le mois de janvier dernier, je peux témoigner que le rappel des règles, s'agissant de l'usage d'armes à feu mais aussi des conditions dans lesquelles sont effectués les contrôles d'identité, occupe une place importante dans la formation de nos agents.
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Salama Ramia.
Mme Salama Ramia. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi dont l'intention peut sembler louable, celle de rétablir la confiance entre la police et la population, mais dont la traduction législative soulève de profondes réserves, tant sur le constat que sur le fond.
Avant tout, j'aimerais rappeler que les forces de l'ordre exercent leurs missions dans un cadre juridique et déontologique déjà dense, complexe et très contraignant. Le code de procédure pénale, les chartes déontologiques et les éclairages progressifs de la jurisprudence encadrent strictement les pratiques qui relèvent de la compétence des forces de l'ordre. Ce cadre existe, il fonctionne. Lorsqu'il est mal appliqué, ce sont les pratiques qu'il faut corriger, pas systématiquement la norme.
Car, oui, des dérives existent, et la justice judiciaire comme la justice administrative l'ont reconnu à plusieurs reprises. La dernière décision marquante est celle du Conseil d'État du 11 octobre 2023, qui a reconnu la réalité de certains contrôles d'identité discriminatoires.
Ces faits doivent être condamnés avec fermeté. Ils le sont par la justice, par les inspections générales, par les autorités hiérarchiques. C'est précisément parce que l'État de droit fonctionne que ces décisions ont pu être rendues.
Confondre dérives individuelles et défaut systémique du cadre juridique est, à notre sens, une erreur. Le Conseil d'État, dans sa décision, a clairement écarté le caractère systémique ou généralisé des contrôles discriminatoires, comme le soutenaient les associations requérantes. Ce rappel montre que le système fonctionne, que la dérive est non pas la règle mais l'exception, et qu'elle doit être traitée comme telle par les voies existantes.
Permettez-moi, à ce titre, d'aborder l'article 2, qui vise à instaurer diverses dispositions pour durcir les motivations permettant de procéder à un contrôle d'identité. Le dispositif prévoit, notamment, de restreindre le champ des contrôles d'identité dits administratifs en augmentant le degré de gravité exigé pour effectuer ce contrôle, passant donc à « un risque d'atteinte grave à l'ordre public ».
Cette modification du seuil d'intervention ne constitue pas une simple précision juridique : elle transforme profondément la nature même de cette pratique, en la vidant de sa substance préventive. Elle peut d'ailleurs constituer une régression par rapport à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui reconnaît la sauvegarde de l'ordre public comme une nécessité, dans la vie démocratique, pour l'exercice des libertés.
Le contrôle d'identité est un outil essentiel du travail des forces de l'ordre et constitue leur premier levier d'action. Il est au cœur de la prévention, de la lutte contre la délinquance et de la recherche d'infractions. C'est un levier opérationnel qui doit rester disponible et dont il faut pouvoir user avec discernement, mais sans entraves superflues.
Je m'étonne également du constat qui est fait ici de la relation entre la population et sa police. Contrairement à ce que le texte semble suggérer, le lien de confiance n'est, à nos yeux, pas rompu. Une enquête publiée en juillet 2023, à la suite des émeutes urbaines, a révélé que 77 % des Français avaient une bonne image de la police, et qu'un quart en avaient même une très bonne image. Ces chiffres ne traduisent pas un divorce !
Le lien entre la police et la population ne se décrète pas. Il se renforce, notamment par la confiance que les législateurs que nous sommes doivent accorder à ceux qui veillent sur notre sécurité.
En somme, cette proposition de loi part d'un constat contestable, prévoit des réponses inadaptées et risque, in fine, de produire l'effet inverse de celui qui est recherché, en affaiblissant la légitimité de la police, en alourdissant son action et en semant le doute là où nous attendons, au contraire, de la clarté et du soutien.
Dans ces conditions, mes chers collègues, le groupe RDPI votera contre ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset.
M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le lien de confiance associant la police et la population est indispensable à la vie en société. Les forces de l'ordre républicaines protègent les citoyens, à tout moment et sur l'ensemble du territoire.
Je souhaite ici rendre hommage à l'engagement de ces femmes et de ces hommes qui, quotidiennement, sont animés par leur mission de protéger et de servir la Nation.
L'honneur de cet engagement oblige les policiers et les gendarmes à une grande responsabilité dans l'exercice de leurs fonctions. Parce qu'ils sont les représentants de la loi, une partie de la promesse d'égalité devant le droit repose sur eux.
Comme le constate l'auteure de la proposition de loi, nombreuses sont les institutions publiques et les organisations associatives qui interpellent la puissance publique sur l'encadrement des contrôles d'identité.
Je me contenterai de citer à mon tour la décision de 2023 du Conseil d'État, qui reconnaît que les contrôles d'identité discriminatoires ne sont pas des « cas isolés ».
Malheureusement, cette situation, si elle est connue des personnes discriminées, demeure difficilement saisissable pour les pouvoirs publics.
En effet, la Cour des comptes déplore un manque de contrôle judiciaire, ainsi qu'une absence totale de traçabilité : il est impossible de connaître précisément le nombre ou les motifs des contrôles d'identité.
Ainsi, tant pour les victimes de discriminations que pour les forces de l'ordre, parfois injustement pointées du doigt, le cadre légal pourrait être insuffisamment protecteur.
Si, comme le rappelle M. le rapporteur, notre droit prévoit un certain nombre de dispositions interdisant tout acte discriminatoire, l'établissement de la vérité est rendu parfois difficile.
Je tiens à rappeler que la présentation de ces faits ne vise en aucun cas à stigmatiser le travail de nos forces de l'ordre : il s'agit de conforter leur protection juridique et d'améliorer l'exercice quotidien de leurs missions.
Cependant, la réalité nous oblige à ne pas balayer d'un revers de main la proposition de notre collègue, mais, au contraire, à examiner dans le détail des solutions qui pourraient améliorer une situation étayée par des rapports sérieux et indéniables.
Le rapporteur relève que le cœur des dispositions proposées pose des difficultés. Si l'adoption de la proposition de loi entraînerait sans nul doute des changements importants dans le quotidien de nos policiers, elle s'inspire de mécanismes déjà éprouvés au Royaume-Uni pour les récépissés de contrôle, voire préconisés par différentes inspections générales pour ce qui concerne la systématisation de l'enregistrement vidéo des contrôles.
Je souhaite que nos discussions nous permettent de renforcer notre modèle de police, qui s'inscrit dans la liberté, l'égalité, la fraternité et la proximité. Soyons lucides : la distance entre police et population ressentie dans certains territoires éloignés de la République est réelle, et parfois renforcée par les discriminations. Acceptons que notre modèle d'ordre républicain soit toujours perfectible !
Le groupe du RDSE, partagé sur la proposition de loi, réservera son vote à l'issue des débats. (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Corinne Narassiguin, ainsi que M. Ian Brossat, applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Sophie Patru. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Sophie Patru. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie nos collègues Corinne Narassiguin et Jérôme Durain de nous permettre aujourd'hui de rouvrir ici un vieux débat, qui a agité maintes fois nos arcanes parlementaires et les sphères médiatiques. Je les en remercie, car il concerne un sujet évolutif, celui du contrôle d'identité abusif, qui serait l'une des raisons de ce que certains jugent comme un éloignement entre la police et les citoyens.
Bien que l'intention des auteurs du texte soit louable, je ne partage pas le constat, tout à fait critiquable, qui apparaît dès l'intitulé de la proposition de loi : il serait nécessaire de « rétablir le lien de confiance entre la police et la population », car cette confiance aurait disparu.
Or, selon une étude récente de l'Ifop, 71 % des Français ont confiance dans les forces de l'ordre ou éprouvent pour elles de la sympathie. Ce chiffre montre clairement que, dans leur majorité, nos concitoyens soutiennent l'action de nos policiers et gendarmes, qui sont au service de leur sécurité.
Aussi, je mets tout de suite fin au suspense, s'il y en avait un : le groupe Union Centriste suivra la position de la commission des lois et votera contre ce texte.
En effet, l'excellent travail de notre collègue rapporteur, François Bonhomme, a souligné que les exigences de motivation des contrôles d'identité et d'absence de caractère non discriminatoire sont déjà garanties par le droit existant. Par conséquent, la réaffirmation de ces exigences dans la proposition de loi est redondante. Les contrôles d'identité sont déjà strictement encadrés par des garanties juridiques solides pour prévenir les risques de discriminations et de pratiques discrétionnaires. Le cadre juridique et déontologique de l'action des policiers et des gendarmes est complet et efficace.
L'adoption de la proposition de loi restreindrait excessivement le recours aux contrôles d'identité, outil indispensable pour nos forces de l'ordre. La commission a exprimé, à juste raison, des préoccupations quant à l'impact négatif que cette restriction pourrait avoir sur l'efficacité des missions de police, en matière tant de prévention des troubles à l'ordre public que de recherche des auteurs d'infractions.
L'introduction d'un dispositif de récépissé pour les contrôles d'identité alourdirait considérablement la procédure de contrôle, sans apporter de bénéfices clairs pour les personnes contrôlées, alors que nos policiers s'insurgent déjà régulièrement de la dimension administrative trop poussée de leurs tâches. Nous risquerions ainsi de détourner les agents de leurs missions principales et de les lester d'une charge administrative inutile.
La création d'un fichier de masse pour la traçabilité des contrôles d'identité soulève aussi des questions de proportionnalité et de respect des libertés publiques.
Quant à l'activation systématique des caméras-piétons lors des contrôles d'identité, elle se heurte à des contraintes matérielles et juridiques, notamment en termes de capacités de stockage et de respect de la jurisprudence constitutionnelle.
En parallèle, il est important de reconnaître l'importance des défis auxquels nos policiers sont confrontés actuellement.
Rennes, dans mon département, a récemment été le théâtre de plusieurs incidents violents impliquant la police. Le vif émoi qu'a provoqué la course-poursuite entre trafiquants de drogue, au cours de laquelle un enfant a été touché de deux balles dans la tête, ou encore l'énième fusillade intervenue très récemment en pleine journée dans un restaurant du quartier de Villejean illustrent bien les dangers auxquels habitants et forces de l'ordre sont confrontés quotidiennement. Ces risques doivent nous inciter à limiter les contraintes de nos policiers plutôt que d'en ajouter.
En conclusion, cette proposition de loi n'est pas nécessaire et pourrait même être contre-productive. Il est essentiel de continuer à soutenir et à protéger nos forces de l'ordre, tout en travaillant à des solutions pragmatiques et opérationnelles pour renforcer la confiance et la collaboration entre la police et la population.
Il ne s'agit pas de nier l'éventualité que certains comportements individuels de policiers ou de gendarmes soient inadaptés, voire discriminatoires. Mais, lorsqu'elles sont révélées, ces dérives sont aujourd'hui sanctionnées, comme M. le ministre François-Noël Buffet a pu l'indiquer tout à l'heure : le droit positif le permet déjà !
Outre qu'il fait planer un doute généralisé à l'encontre de nos forces de l'ordre, le dispositif que vous nous proposez, chers collègues socialistes, serait inefficace et ne permettrait nullement de garantir que les rares cas de discriminations disparaîtraient.
Le groupe Union Centriste votera donc contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi de nos collègues socialistes, portée par Corinne Narassiguin, pose, au fond, deux questions.
Première question, existe-t-il, dans notre pays, des contrôles aux faciès ? La réponse est oui.
Les faits sont têtus, connus, chiffrés, sourcés. Ils ont été évoqués tout à l'heure : selon le Défenseur des droits, les jeunes hommes entre 18 et 25 ans perçus comme noirs ou arabes connaissent une probabilité vingt fois plus élevée que le reste de la population de subir un contrôle d'identité.
Le Conseil d'État a reconnu, à son tour, en 2023, l'existence de pratiques de contrôles d'identité discriminatoires, qui ne sont pas des cas isolés.
Derrière ces chiffres, il y a des réalités au quotidien. Je peux en témoigner personnellement : lorsque, avant d'être élu, j'étais enseignant au lycée Jean-Jacques Rousseau de Sarcelles, je n'ai pas été contrôlé une seule fois sur la ligne du RER D, que j'ai pourtant empruntée tous les jours durant des années, alors que mes élèves faisaient l'objectif de contrôles systématiques quand ils se rendaient à Paris.
On peut faire semblant que cette réalité n'existe pas. On peut faire semblant que personne n'est concerné par les contrôles au faciès. Mais, de fait, ils existent !
Traditionnellement, dans un certain nombre de débats, la droite sénatoriale reproche à la gauche une culture du déni. En l'occurrence, sur ce sujet, je n'ai pas le sentiment que le déni soit de notre côté !
Donc, à la question « les contrôles au faciès existent-ils ? », la réponse est oui. Et, j'y insiste, ce constat s'appuie sur des chiffres et des statistiques.
Seconde question, l'existence de contrôles au faciès pose-t-elle problème ? Oui, je pense qu'elle pose problème dans la République.
Vous nous répondez, mes chers collègues, que les Français ont majoritairement confiance dans leur police – j'ai entendu cet argument à de nombreuses reprises. C'est vrai ; toutes les statistiques le prouvent. Vous l'avez évoqué, monsieur le rapporteur, la police inspire confiance à plus de 70 % des Français. C'est une autre réalité.
Ces deux réalités se contredisent-elles ? Absolument pas. Les Français peuvent, dans leur grande majorité, avoir confiance en la police, et une minorité d'entre eux peut subir des contrôles au faciès. Or, je le dis ici, cette situation pose un problème de cohésion sociale, de cohésion nationale.
Lorsqu'une partie de nos compatriotes subissent des contrôles au faciès, ces discriminations liées à leur couleur de peau, c'est la société dans son ensemble qui doit s'interroger. Les Français n'en sont peut-être pas tous conscients, mais cela ne veut pas dire pour autant que ce n'est pas un problème. Donc, oui, nous devons traiter cette question.
La proposition de loi comporte un certain nombre de mesures. J'y reconnais aussi un certain nombre d'exigences qui avaient été portées par Éliane Assassi dans une proposition de loi déposée en 2016, notamment la création d'un récépissé de contrôle d'identité.
Nous y sommes toujours favorables – on ne pourra pas dire que nous ne sommes pas cohérents. J'entends bien que la majorité sénatoriale, elle, n'y est pas favorable, mais, on aura beau tourner le problème dans tous les sens, les contrôles au faciès existent, et il est important que nous puissions agir.
C'est la raison pour laquelle notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER. – M. Michel Masset applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte vise à renforcer la confiance que notre population doit avoir dans sa police. C'est un objectif de longue date pour notre groupe.
Loin des clichés dont nous affuble parfois – pour ne pas dire souvent, voire très souvent – l'autre partie de l'hémicycle et les membres des derniers gouvernements,…
M. François Bonhomme, rapporteur. Cela commence bien…
M. Guy Benarroche. … notre position est claire : la police doit être respectée dans son action. Vous avez bien entendu, monsieur le rapporteur ! (M. le rapporteur sourit.)
Ce sont non pas les erreurs ou les errements de quelques-uns qui posent problème, mais l'incapacité systémique d'y remédier.
Nous avons déjà, à plusieurs reprises, notamment lors de l'examen de la Lopmi (loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur) ou de la loi Sécurité globale (loi pour une sécurité globale préservant les libertés), exprimé notre position sur le récépissé de contrôle d'identité.
L'encadrement des pratiques en matière de contrôle d'identité doit évoluer.
Actuellement, les officiers de police judiciaire (OPJ) et les agents de police judiciaire (APJ) peuvent inviter toute personne à justifier de son identité sur la voie publique dans un cadre préventif et administratif, quel que soit le comportement de cette personne, pour prévenir une atteinte à l'ordre public.
Le défaut de statistiques officielles sur les caractéristiques des personnes contrôlées a longtemps empêché de démontrer ce que constataient un grand nombre de nos concitoyens.
Il n'en va plus de même depuis la décision rendue par le Conseil d'État le 11 octobre 2023 : ce dernier y a procédé à de nombreux rappels, notamment qu'« un contrôle d'identité effectué selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, constitue une discrimination directe ».
Évoquant « un rapport du Défenseur des droits de 2019 selon lequel, notamment, les jeunes hommes "perçus comme noirs ou arabes" ont vingt fois plus de probabilité d'être contrôlés que la moyenne des individus, ainsi qu'un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance du 28 juin 2022 […] s'inquiétant de la persistance de contrôles discriminatoires et de comportements abusifs de la part des forces de l'ordre françaises », le Conseil d'État va beaucoup plus loin, estimant que, « compte tenu de l'absence de traçabilité administrative des contrôles d'identité effectués sur le territoire et de l'impossibilité qui en résulte de déterminer leur nombre et leurs motifs, l'ensemble des témoignages et rapports produits, notamment les études réalisées par le Défenseur des droits, permet de tenir pour suffisamment établie l'existence d'une pratique de contrôles d'identité motivés par les caractéristiques physiques, associées à une origine réelle ou supposée, des personnes contrôlées, qui ne peut être regardée comme se réduisant à des cas isolés ».
Les faits sont là, et, comme nous l'avons toujours dit, nier cette réalité, ce n'est pas aider et soutenir la police,…
M. Jérôme Durain. C'est vrai !
M. Guy Benarroche. … dont l'immense majorité de membres effectue son travail avec engagement, courage et probité.
Cependant, les contrôles au faciès existent et ne sont pas, hélas ! des cas isolés.
Monsieur le rapporteur, le Conseil d'État balaie les arguments qui nient la réalité de contrôles discriminatoires en s'appuyant sur le faible nombre de plaintes : « un rapport du déontologue du ministère de l'intérieur de juillet 2021 » montre « que ces données ne permettent pas de rendre compte de l'ampleur des contrôles d'identité susceptibles de recevoir une telle qualification, en raison notamment de la difficulté à en établir la preuve et de la résignation ou du manque d'information des victimes ».
Le terme « confiance », dans l'intitulé de la proposition de loi, nous paraît majeur. Les dispositions du texte pour rétablir, maintenir ou augmenter cette confiance, au travers notamment de la mise en place d'un système d'enregistrement et de traçabilité, de récépissés ou bien encore de l'enregistrement systématique par les caméras mobiles des policiers, nous semblent importantes.
Elles permettront à la fois de donner des moyens à la police, qui, trop souvent pressurée par sa direction, est encouragée dans une pratique aussi chronophage qu'inutile, et de faire savoir à l'ensemble des citoyens que leur droit à ne pas être stoppés et contrôlés de manière arbitraire, parfois répétitive et souvent discriminatoire, est mieux garanti quand ils le font valoir auprès des instances concernées.
Notre groupe votera ce texte, qui va dans le bon sens et lui permet d'exprimer une nouvelle fois sa demande constante que soient opérées les modifications nécessaires. J'en rappellerai trois : réformer l'IGPN ; modifier la doctrine du maintien de l'ordre dans les manifestations ; mieux former les forces de l'ordre. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jérôme Durain. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chaque jour, dans nos rues, nos quartiers et nos villes, des femmes et des hommes en uniforme veillent à notre sécurité et au maintien de l'ordre. Ils interviennent dans des situations souvent complexes, parfois dangereuses, toujours essentielles.
La police de la République est un pilier de notre pacte démocratique et républicain. Elle protège les faibles, fait respecter la loi et incarne l'autorité légitime de l'État.
Mais, aujourd'hui, nous le savons, notre police manque de moyens. Elle est sursollicitée, parfois épuisée. Elle doit répondre à des urgences toujours plus nombreuses, avec des effectifs et des ressources qui, eux, ne sont pas illimités.
Dans ce contexte, chaque action compte. Chaque décision doit viser à renforcer l'efficacité de la mission première de la police : protéger la population et faire respecter les droits de tous.
À cet égard, il est temps d'ouvrir un débat lucide, serein et républicain, et il est tout à l'honneur des parlementaires de notre groupe, au premier rang desquels Corinne Narassiguin, que de nous le proposer, sur la manière dont sont employées les forces de l'ordre, notamment sur la pratique des contrôles d'identité, qui interroge de plus en plus de nos concitoyens.
Soyons clairs : il ne s'agit pas ici de remettre en cause le travail des policiers. Ce travail, nous le connaissons ; nous le respectons. Il est difficile, parfois ingrat, mais indispensable. Il ne s'agit pas non plus d'ignorer les réalités du terrain, où la vigilance est de mise. Les exemples récents d'agressions contre les forces de l'ordre parlent d'eux-mêmes.
Mais il faut entendre ce que disent certains Français, ceux qui, parfois, se sentent contrôlés non pas pour ce qu'ils font, mais pour ce qu'ils sont.
Cela pose une double question : d'efficacité d'abord, de justice ensuite.
Sur l'efficacité, de nombreuses études, y compris des rapports produits par la police elle-même, montrent que la majorité des contrôles d'identité ne débouchent sur aucune procédure. De plus, 40 % des policiers et gendarmes s'interrogent sur l'utilité de ces contrôles, puisqu'il n'y a ni infraction constatée ni délit relevé.
C'est la raison pour laquelle nous devons mettre en place une traçabilité des contrôles d'identité, laquelle permettrait de suivre les 32 millions de contrôles effectués par la police, afin d'établir si l'ensemble de ces contrôles a une réelle utilité.
Dans un contexte où chaque heure de présence policière est précieuse, où chaque patrouille compte, peut-on encore se permettre d'allouer autant de temps à une pratique dont l'utilité opérationnelle peut sembler, parfois, marginale ? Ne faut-il pas, au contraire, redéployer les moyens humains correspondants vers des missions plus efficaces – lutte contre les trafics, présence sur les points de deal, protection des victimes de violences ou encore actions de prévention auprès de la jeunesse ?
L'idée de ce que propose Corinne Narassiguin n'est pas de supprimer la totalité des contrôles d'identité : c'est d'en restreindre le caractère massif, qui entraîne forcément des dérives.
C'est là que réside le cœur de notre proposition : réaffecter une partie des ressources aujourd'hui mobilisées pour des contrôles d'identité massifs et parfois arbitraires vers des missions de proximité, d'écoute, d'action concrète, là où la police est attendue, là où elle est utile.
Cette réforme n'est pas simplement une question de stratégie : c'est aussi, profondément, une question de justice.
En effet, lorsque certains citoyens se sentent constamment suspectés et surveillés, ils finissent par douter de l'impartialité de l'institution qui les contrôle. Cette situation abîme le lien de confiance entre la population et sa police. Elle crée de la défiance, de la distance, parfois de la colère, et cette colère finit par être exploitée, conduisant à une fracture hémorragique entre la population et la police.
Or, sans la confiance, il n'y a pas d'ordre républicain durable. J'ajoute que, pour des questions de sécurité et de qualité des relations avec la population, la police doit être irréprochable ; car on ne saurait lutter contre la délinquance si on n'est pas irréprochable. Nous le savons : la majorité des policiers le sont, mais cela ne doit pas empêcher toute remise en question, comme M. le rapporteur semble vouloir le proposer.
Je m'éloignerai d'ailleurs du discours que j'avais préparé pour réagir à ce que M. le rapporteur a dit au début de son propos. Je trouve navrant que, dans un débat d'une telle importance, on nous oppose des sentiments, des opinions, des sondages. Les sources dans lesquelles nous puisons, ce ne sont pas des sondages Ifop montrant que les Français sont d'accord avec la police !
Du reste, nous sommes nous aussi très globalement d'accord avec celle-ci : nous faisons partie des 75% à 80 % de gens qui trouvent qu'elle fait bien son travail. Mais ce n'est pas le sujet ! On nous reproche d'être d'affreux militants parce que nous considérerions que la police ne fait pas bien son travail. Ce n'est pas le cas !
On connaît la marotte de François Bonhomme contre la Défenseure des droits, qui serait obsessionnelle, et ses 600 délégués.
M. François Bonhomme, rapporteur. J'en conviens ! (Sourires.)
M. Jérôme Durain. Nous connaissons ce discours. Mais, dans cette affaire, les militants, ce n'est pas nous ! Le fait que nous proposions ce texte suffit à attester de notre fidélité profonde à l'idéal républicain : nous voulons éviter qu'une partie de la population n'ait l'impression d'avoir des droits amoindris.
Parmi nos sources, il y a le Conseil d'État, lequel dit que les contrôles discriminatoires ne sont pas des cas isolés et qui rappelle à l'État et à son ministre l'obligation d'identification des policiers. Il y a la Cour des comptes, qui s'étonne de ne pas être capable de pouvoir dénombrer ces contrôles d'identité. Il y a l'IGPN, à savoir une émanation de l'institution policière elle-même, qui, missionnée par les ministres sur le sujet, reconnaît qu'il y a un problème entre la police et la population.
Les propositions que nous faisons sont simples : tracer, enregistrer – au moyen des caméras-piétons –, permettre les recours.
De fait, le dernier argument que nous devons réfuter est celui qui consiste à dire qu'il n'y a pas de problème puisque les gens ne se plaignent pas. Or comment déposer plainte contre un contrôle discriminatoire dont on est victime si l'on n'a pas les moyens de prouver que l'on a été contrôlé ?
Ce que nous proposons aujourd'hui, c'est un texte éminemment républicain, qui vise à conforter les missions de la police, à réaffirmer que les policiers soient des citoyens parmi les citoyens, à mieux assurer la sécurité et les droits de tous dans la République. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population. Le sujet est particulièrement sensible.
Les mesures de ce texte posent d'importants problèmes. En cela, nous rejoignons la position du rapporteur, François Bonhomme, que je remercie, ainsi que de ses collègues de la commission des lois. En effet, à l'heure où nos forces de l'ordre ont plus que jamais besoin de soutien, ce texte paraît, d'une certaine manière, particulièrement malvenu.
Selon un rapport de la direction générale de la police nationale paru en octobre dernier, ce sont en moyenne 23 membres des forces de l'ordre qui sont agressés chaque jour en France. Ce chiffre nous interpelle. Ces faits révoltants, inacceptables, font écho aux nombreuses violences dont sont victimes ces personnes dévouées et engagées que sont nos policiers, nos gendarmes et l'ensemble de nos forces de sécurité, sans oublier les sapeurs-pompiers.
Or, en s'en prenant aux forces de l'ordre, c'est à notre contrat social que l'on s'attaque.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui ne constitue pas forcément une réponse adaptée au regard de la situation. Par sa philosophie même, elle tend à poser une présomption de discrimination à l'encontre de nos forces de l'ordre.
Les chiffres du rapport de la commission parlent d'eux-mêmes : sur les 4 856 signalements reçus par l'inspection générale de la police nationale en 2024, seuls 29 concernaient des propos discriminatoires tenus lors de contrôles d'identité, ce qui représente moins de 1 % des signalements.
En 2023, le Conseil d'État a d'ailleurs explicitement écarté l'idée que les contrôles d'identité discriminatoires auraient un caractère généralisé ou systémique.
Les actes d'une minorité d'agents ne devraient jamais conduire à jeter l'opprobre sur l'ensemble de nos forces de l'ordre, qui, au quotidien, travaillent dans des conditions très difficiles pour assurer notre protection à tous.
Au-delà du symbole, les mesures prévues dans le texte ne sont adaptées ni aux réalités du terrain ni aux véritables enjeux des contrôles d'identité.
Il est notamment prévu d'inscrire dans la loi l'obligation de motiver chaque contrôle d'identité, afin d'exclure les discriminations. Ce dispositif est plus incantatoire que réellement utile, pour ne pas dire qu'il est redondant avec le droit existant.
La proposition de loi vise par ailleurs à mettre en place un récépissé de contrôle d'identité, dont un double serait remis à l'intéressé. Ce document mentionnerait, entre autres, le fondement juridique et les motifs qui justifient le contrôle. Une telle mesure alourdirait inutilement les procédures, car rien ne prouve qu'elle permettrait de mieux lutter contre les discriminations.
De plus, sa mise en œuvre concrète interroge. Elle créerait une charge administrative supplémentaire pour les agents, au détriment de l'exercice efficace de leurs missions. Au regard de ces contraintes matérielles, le Gouvernement s'était déjà opposé à une telle mesure en 2016.
Les auteurs de ce texte proposent également que les contrôles d'identité soient systématiquement enregistrés par des caméras mobiles. Là encore, d'importantes difficultés techniques se posent, notamment en matière de stockage des données.
Pour autant, il est indéniable que les contrôles d'identité soulèvent plusieurs questions, que ce soit du point de vue de leur efficacité ou de leurs modalités de mise en œuvre. Si la proposition de loi n'apporte pas de réponses adaptées, elle nous interroge sur un sujet d'importance, sur lequel nous devrons, à terme, nous pencher, en particulier pour améliorer les conditions de travail de nos forces de l'ordre.
En définitive, le groupe Les Indépendants ne soutiendra pas cette proposition de loi, bien que nous reconnaissions l'importance de ce sujet et que nous respections l'initiative du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Nous veillerons toujours à éviter que quiconque ne subisse de discriminations, cela va de soi. Mais nous ne pouvons pas voter en faveur d'un texte dont l'adoption alourdirait inutilement le travail déjà bien complexe que doivent mener nos policiers et nos gendarmes. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Olivier Henno applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il est des mots qui claquent comme des serments républicains.
Confiance, police, population : ce sont trois piliers du pacte social qui, depuis la Révolution, lie l'ordre républicain à la liberté des citoyens. Et ce sont ces trois mots qu'entendent réconcilier les auteurs de cette proposition de loi.
Toutefois, derrière cette intention se cachent une défiance insidieuse envers nos forces de l'ordre, un soupçon généralisé, une mécanique de suspicion qui ne dit pas son nom.
M. Jérôme Durain. C'est faux !
M. Stéphane Le Rudulier. Ne nous y trompons pas, mes chers collègues : ce texte, sous couvert de rétablir la confiance, l'érode totalement.
Mme Audrey Linkenheld. Mais non !
M. Stéphane Le Rudulier. Il sème le doute, il fracture et bureaucratise jusqu'à la mission même de nos forces de l'ordre : protéger nos concitoyens.
C'est vrai, il existe une tension dans certains quartiers ; c'est vrai, des injustices ont parfois été commises, et nous devons les reconnaître. Mais la réponse adéquate n'est certainement pas de placer nos forces de l'ordre sous la contrainte permanente d'un formulaire ou d'un récépissé, ou encore sous le regard d'une caméra brandie comme un contre-pouvoir systématique.
Est-ce cela, la République ? Une société où l'on soupçonne ses serviteurs avant même de leur faire confiance ? Une démocratie où l'on contrôle le contrôleur, sans jamais interroger les causes profondes de la défiance ?
En réalité, cette proposition de loi vise à créer une rupture de confiance, non pas entre la police et la population, mais entre l'État et ses propres agents.
Le récépissé de contrôle d'identité n'est pas une avancée : c'est une stigmatisation. Il transforme chaque acte de sécurité en geste suspect. Il envoie un message implicite, mais limpide : « Nous ne vous faisons pas confiance. »
On évoque la dignité des personnes contrôlées, et c'est légitime. Mais qu'en est-il de la dignité des policiers et des gendarmes ? Qu'en est-il de ces hommes et de ces femmes qui, chaque jour, chaque nuit, assurent notre sécurité, parfois au péril de leur vie, et qui seraient désormais invités à justifier chaque intervention comme s'ils étaient les accusés permanents d'un procès sans fin ? (M. Jérôme Durain s'exclame.)
Que dirons-nous aux policiers de Marseille, qui affrontent des zones de non-droit ? Leur dirons-nous que, désormais, avant de contrôler un suspect, ils devront sortir un formulaire et leur identifiant et cocher des cases, comme s'il leur fallait demander pardon d'exister ? Ce n'est pas cela, l'autorité républicaine. Ce n'est pas cela, l'honneur du maintien de l'ordre ! (M. Guy Benarroche proteste.)
Et que penser de ce fameux article 4, qui impose l'enregistrement systématique des contrôles ? Allons-nous faire de chaque patrouille une opération de surveillance inversée ? Qui contrôle qui ? Où est la frontière entre la transparence légitime et la défiance institutionnalisée ?
Mes chers collègues, ce texte se trompe de cible.
La vraie fracture, ce n'est pas celle qui oppose la police et la population ; c'est l'effondrement de l'autorité dans une société où la violence progresse, les trafics se banalisent et les uniformes sont pris pour cible.
C'est là que le lien est rompu : quand les serviteurs de l'État sont agressés, blessés, parfois tués, pour avoir simplement voulu faire respecter la loi !
Vous évoquez la discrimination : parlons-en. La discrimination doit être combattue, sans relâche. Mais la réponse à des cas isolés ne peut pas être la généralisation de la suspicion. La République avance non pas à coups de généralités culpabilisantes, mais grâce au discernement et à l'équilibre entre sécurité et liberté. En vérité, cette proposition de loi reflète une forme de renoncement – à l'autorité, à l'universalité républicaine, au soutien envers ceux qui incarnent la loi.
Or, je vous le dis, sans respect envers la police, il n'y a pas de respect envers la loi ; dès lors, il n'y a ni liberté, ni égalité, ni fraternité. Seuls demeurent le désordre, la violence et le ressentiment.
Nous croyons tous, ici, au respect dû à la population, quelle que soit son origine. Mais respectons aussi ceux qui nous protègent. La police est un pilier, pas un problème. Elle est un rempart, pas un risque. Elle est une autorité républicaine, pas une menace.
Alors, mes chers collègues, ne créons pas une nouvelle ligne de fracture. Ne cédons pas à la facilité des bons sentiments, qui affaiblissent in fine la République dans ce qu'elle a de plus sacré : son autorité légitime.
Le lien de confiance ne se décrète pas à coups de lois de soupçon. Il se construit sur la reconnaissance, la formation, la proximité et le respect mutuel. Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera contre ce texte. Cette position ne reflète aucun dogmatisme de notre part, mais seulement notre attachement profond à une République d'équilibre, de responsabilité et de courage. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Henno et Marc Laménie applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai écouté avec grande attention les interventions des différents orateurs.
Comme le ministre François-Noël Buffet l'a indiqué, le Gouvernement ne soutiendra pas cette proposition de loi. Cependant, cette position n'est la traduction d'aucun dogmatisme, ni davantage d'un rejet des motivations qui sous-tendent ce texte.
Nous ne faisons pas de procès d'intention aux uns ou aux autres. Au contraire, cet hémicycle, dans son ensemble, fait bien souvent la preuve de son soutien à la police, comme les Français démontrent le leur dans la société.
Néanmoins, les mesures prévues par les trois premiers articles du texte figurent déjà dans le droit commun. Concernant les dispositions des articles 2 et 3, en particulier, les services de police et le ministère de l'intérieur ont engagé un processus continu d'amélioration des pratiques de la police à l'égard de l'ensemble des Français, dans leur diversité.
Ensuite, des sanctions pénales et administratives sont prévues par notre droit actuel. Utilisons les outils qui sont d'ores et déjà à notre disposition.
Enfin, la proposition d'instituer un récépissé a tout de la fausse bonne idée.
Une telle mesure rallongerait le déroulement du contrôle d'identité. Monsieur le sénateur Durain, j'ai bien compris que vous souhaitiez diminuer le nombre de contrôles. (M. Jérôme Durain opine.) Mais, en attendant, les contrôles seraient d'autant plus longs à réaliser.
En outre, recueillir des informations concernant l'origine ou la couleur de peau de la personne qui fait l'objet d'un contrôle risquerait de provoquer des tensions qu'il faut certainement éviter.
Mme Corinne Narassiguin. Je n'ai jamais dit cela !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée. Par ailleurs, pour prouver le caractère discriminatoire de certains contrôles, nous devrions renseigner le fichier des récépissés. Cela reviendrait à enregistrer des informations telles que la couleur de peau des personnes contrôlées, ce qui est totalement contraire à l'esprit et au texte de notre droit. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Ne protestez pas : j'ai le droit d'exprimer la position du Gouvernement !
Ainsi, si nous sommes opposés à l'ensemble de cette proposition de loi, nous faisons preuve d'un esprit d'ouverture quant aux motivations de ses auteurs.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population
Article 1er
Le second alinéa de l'article 78-1 du code de procédure pénale est complété par trois phrases ainsi rédigées : « Ce contrôle d'identité doit être motivé et exclut toutes discriminations, telles que définies aux articles 225-1 à 225-4 du code pénal. Il doit être mis en œuvre dans le respect de la dignité des personnes. Il est susceptible de recours. ».
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain, sur l'article.
M. Jérôme Durain. Je veux revenir sur la motivation qui sous-tend cette proposition de loi.
Le dernier orateur de la discussion générale, M. Le Rudulier, a cru voir dans ce texte l'expression d'une défiance à l'égard des forces de l'ordre, une loi de soupçon. Ce n'est pas du tout le cas !
Je le répète : le groupe socialiste et Corinne Narassiguin, la première signataire de ce texte, ne cherchent qu'à assurer l'efficacité de l'action de la police. Quelque 47 millions de contrôles sont effectués chaque année, dont 15 millions sur la voie routière. Mais qu'en est-il des 32 millions restants, d'après une estimation au jugé de la Cour des comptes ?
On ne sait même pas ce que fait la police ! Quelle usine, dans ce pays, ne connaît pas le nombre de pièces qu'elle produit ? Quel artisan ignore le nombre d'objets qu'il fabrique dans la journée ? Aucun ! Et nous accepterions que la police ignore le nombre de contrôles qu'elle réalise ?
Il est aberrant que des agents publics ne puissent pas être évalués au regard de leurs actions. Cela n'est en rien une forme de défiance à leur égard. Seulement, quelles sont leurs missions prioritaires ? Que font-ils ?
Autre sujet : la motivation des contrôles. Tout le monde la demande !
Rappelons le cadre : le rapport Vigouroux préconise de « préciser, par voie de circulaire publique […] élaborée après concertation avec l'ensemble des acteurs concernés, les conditions de réalisation des contrôles d'identité de façon à veiller à ce qu'ils respectent les principes généraux définis dans le code de déontologie de la police et de la gendarmerie. » Ce n'est pas nous qui le disons !
En outre, dans la proposition n° 51 du rapport, il est suggéré de « veiller à mieux circonscrire les contrôles, en les ciblant et en les limitant dans le temps et dans l'espace ».
Enfin, dans la proposition n° 52, il est préconisé d'« exiger que soient communiqués verbalement les motifs des contrôles d'identité aux personnes contrôlées ».
Je le rappelle, le rapport Vigouroux a été commandé par Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti !
Par ailleurs, le CEDPN recommande d'« imposer, a minima dans une instruction dédiée, que les motifs qui ont conduit au contrôle d'identité soient systématiquement et obligatoirement annoncés à la personne contrôlée » et de « rendre obligatoire, dans l'instruction du directeur général de la police nationale […], l'activation […] de la caméra-piéton ».
Cette demande émane des policiers, de ceux qui les encadrent et des personnes chargées de réfléchir à la déontologie de la police, et non d'affreux apparatchiks ou d'horribles gauchistes ! Leur seule volonté est que la police travaille bien, dans l'intérêt de tous et dans le respect des droits, pour assurer la protection des populations.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Adel Ziane, sur l'article.
M. Adel Ziane. Certains disent que le débat sur la proposition de loi de ma collègue Corinne Narassiguin traduit une forme de déni. Au contraire : avoir ce débat, c'est refuser de céder à la facilité.
Le rapporteur a rappelé, en s'appuyant sur des sondages, que les Français soutiennent leur police nationale, laquelle est chargée d'une mission difficile. Au Sénat, nous réaffirmons régulièrement notre soutien.
On entend qu'il n'y aurait nul besoin de rétablir le lien de confiance entre la population et la police car celui-ci ne serait pas rompu. Mais on ne peut pas déplorer un sentiment de défiance envers l'autorité de l'État, comme le font certains ici, tout en niant cette rupture de confiance !
Réparer cette relation de confiance est aussi nécessaire pour assurer l'autorité de l'État. Ce lien est abîmé. En 2005, Corinne Narassiguin l'a rappelé, Zyed et Bouna avaient fui un contrôle de police parce que leurs parents leur avaient pris leurs pièces d'identité de peur qu'ils ne les perdent.
Le rapport d'information de François-Noël Buffet, sur les émeutes de 2023 a confirmé que ces tensions s'étaient aggravées et que les contrôles d'identité étaient toujours au cœur du malaise.
L'engagement d'une réflexion sur les contrôles d'identité grandirait la police nationale et renforcerait la transparence et la légitimité de son action. Jérôme Durain l'a dit : 32 millions de contrôles d'identité sont réalisés chaque année. Par ce texte, nous souhaitons aussi redonner du sens au travail des policiers, car les premiers concernés sont en effet interrogatifs. Près de 40 % d'entre eux jugent peu ou pas efficaces ces contrôles d'identité, d'après une étude du Défenseur des droits.
Enfin, la proposition de loi est le reflet du travail d'évaluation que nous devons mener en tant que parlementaires. Et cette évaluation est une demande de l'institution policière elle-même.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains. (« Ah ! », sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ils sont minoritaires !
Mme la présidente. Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 282 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 115 |
Contre | 225 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, l'article 1er est supprimé.
Article 2
L'article 78-2 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le septième alinéa est ainsi modifié :
a) La première phrase est ainsi rédigée : « Sur demande motivée du représentant de l'État dans le département ou, à Paris, du préfet de police, ou, de sa propre initiative, le procureur de la République peut, sur réquisitions écrites, instituer un périmètre au sein duquel, pour une période de temps déterminée, l'identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, aux fins de recherche et de poursuites d'infractions qu'il précise. »
b) Sont ajoutées deux phrases ainsi rédigées : « Un rapport annuel établi par le ministère de la justice sur la base des données transmises par les procureurs de la République, indique, pour chaque ressort, le nombre de réquisitions prononcées et refusées, les périmètres retenus, les périodes de temps déterminées, les infractions poursuivies, le nombre de personnes ayant fait l'objet d'un contrôle d'identité sur ce fondement et les motifs ayant justifié ce contrôle. Ce rapport est rendu public et ses données sont rendues accessibles dans un format ouvert et librement utilisable. »
2° Le huitième alinéa est ainsi rédigé :
« L'identité de toute personne peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour assurer la sécurité d'un événement, d'une manifestation ou d'un rassemblement exposé à un risque d'atteinte grave à l'ordre public à raison de sa nature et de l'ampleur de sa fréquentation. Le contrôle peut s'opérer dans le périmètre du lieu exposé à ce risque et à ses abords. L'étendue et la durée des contrôles sont adaptées et proportionnées aux nécessités que font apparaître les circonstances. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, sur l'article.
Mme Corinne Narassiguin. Cet article tend à modifier l'article 78-2 du code de procédure pénale, qui fait l'objet de nombreux débats parmi ceux qui s'interrogent sur l'efficacité des contrôles d'identité et sur la manière de les réaliser.
L'ancienne directrice de l'IGPN a mis en cause cet article. Il est tellement mal écrit et d'une portée si large qu'il laisse une très grande place à l'arbitraire, ce qui met finalement en danger les policiers.
Mon intention est donc de clarifier l'article 78-2 du code de procédure pénale et de restreindre la possibilité d'effectuer des contrôles d'identité. L'objectif est d'instaurer un cercle vertueux. Actuellement, le contrôle d'identité est l'instrument principal d'interaction entre la police et la population. Pour inciter un groupe de jeunes un peu bruyants qui dérangent le voisinage à rentrer chez eux, à aller ailleurs ou à se calmer, il est tout à fait possible de concevoir un rapport moins agressif et conflictuel que celui qu'instaure le contrôle d'identité. Formons la police à opter pour d'autres moyens d'interaction, tout en obtenant les mêmes résultats.
L'article 2 vise à rendre transparente l'utilisation des contrôles d'identité et à réduire la capacité des policiers à effectuer ces contrôles. Nous devons interroger l'utilité de cette pratique et trouver d'autres moyens pour permettre aux policiers d'être plus efficaces dans leurs actions quotidiennes.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 4 rectifié est présenté par M. Haye, Mme Guidez, MM. Bonneau et Canévet, Mmes Billon, Gacquerre et Patru, M. Levi, Mmes Romagny, Perrot, Herzog et de La Provôté et M. Cambier.
L'amendement n° 6 rectifié bis est présenté par Mme Belrhiti, MM. Paccaud, Piednoir, Reichardt, Bouchet, Sido et Meignen, Mmes P. Martin et Gosselin, MM. Rojouan, Lefèvre, Milon et Brisson et Mme Aeschlimann.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Ludovic Haye, pour présenter l'amendement n° 4 rectifié.
M. Ludovic Haye. Le recours aux réquisitions écrites par le procureur de la République fait l'objet d'une procédure claire et cohérente, conforme aux exigences de l'État de droit.
L'introduction, à l'article 2, d'une exigence supplémentaire de demande motivée du préfet de police ou du procureur de la République complexifie inutilement une procédure qui nécessite réactivité et efficacité.
Cette complexification va à rebours de l'objectif affiché de simplification de l'action publique. Elle introduit une contrainte supplémentaire, quand nous devrions chercher à alléger les procédures pour gagner en efficacité et en agilité.
Par ailleurs, chacun ici mesure la responsabilité considérable qui pèse déjà sur les épaules des préfets de police et des procureurs de la République, dont l'objectif est le même que le nôtre : assurer la sécurité de nos concitoyens et maintenir l'ordre public.
Cet amendement vise donc à supprimer l'article 2, de façon à réaffirmer notre confiance dans notre procédure et nos agents.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour présenter l'amendement n° 6 rectifié bis.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Il est défendu.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Bonhomme, rapporteur. Ces amendements tendent à supprimer l'article 2, qui constitue une restriction considérable de la capacité des policiers et des gendarmes – même si ces derniers ne sont pas mentionnés dans le titre de la proposition de loi – à réaliser des contrôles d'identité dans le cadre de la prévention des troubles à l'ordre public.
En effet, les contrôles seraient limités à certaines circonstances : événements, manifestations ou rassemblements.
Outre le fait qu'elles sont définies de façon floue, ces circonstances ne permettent pas d'épuiser les risques de troubles à l'ordre public dans leur intégralité. Je pense notamment aux zones d'affluence touristiques, aux transports, aux abords des institutions ou à d'autres sites sensibles.
Par ailleurs, cet article, en prévoyant que les réquisitions du procureur tendant à la réalisation des contrôles d'identité puissent être faites à la demande des préfets, risquerait de complexifier la procédure et, surtout, de brouiller les pistes entre le cadre judiciaire et le cadre administratif.
Enfin, l'article prévoit la publication annuelle de données sur les réquisitions des procureurs, comportant notamment leur périmètre et leur durée. Outre la charge administrative considérable supplémentaire que cela représenterait pour les parquets, cette mesure pose un autre problème : la divulgation de telles données pourrait apporter des informations très précieuses aux délinquants sur les méthodes des enquêteurs.
Pour l'ensemble de ces raisons, la commission émet un avis favorable sur ces amendements de suppression.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Sophie Primas, ministre déléguée. Le Gouvernement émet un avis favorable sur ces amendements de suppression.
Premièrement, la modification apportée par cette proposition de loi aux contrôles d'identité sur réquisition du procureur de la République est susceptible de créer une confusion entre les régimes judiciaire et administratif de contrôle d'identité.
Le cadre judiciaire concerne la recherche et la poursuite d'infractions. Ces missions relèvent exclusivement de l'autorité judiciaire. L'autorité administrative n'a aucune compétence sur celles-ci. On peut même se demander si la mesure qui nous est proposée ne représente pas une atteinte à la séparation des pouvoirs.
Deuxièmement, concernant les contrôles d'identité de la police administrative, l'article 2 restreint la possibilité pour les forces de l'ordre d'effectuer des contrôles aux seules fins d'assurer la sécurité d'un événement, d'une manifestation ou d'un rassemblement exposé à un risque d'atteinte grave à l'ordre public en raison de sa nature ou de son ampleur. Comme l'a indiqué le rapporteur, une telle restriction paraît largement excessive eu égard aux nécessités opérationnelles des forces de l'ordre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.
Mme Corinne Narassiguin. Ces dernières années, les contrôles sur réquisition sont devenus de plus en plus fréquents, probablement depuis que l'État a été condamné pour des contrôles administratifs, lesquels sont la porte ouverte à l'arbitraire.
La réalité, c'est que, dans beaucoup de cas, les préfets de police et les commissaires de police rédigent eux-mêmes les réquisitions et se contentent de demander au procureur sa signature.
L'objectif de cet article est d'appeler chacun à prendre ses responsabilités. Si le préfet de police de Paris estime nécessaire un contrôle par réquisition dans un espace et un temps limités, dans un objectif défini de lutte contre la délinquance, il pourra en faire officiellement la demande au procureur. Celui-ci devra ensuite valider la réquisition. Il lui sera en outre toujours possible de délivrer des réquisitions sur sa propre initiative – cela ne change pas.
Cette responsabilisation est nécessaire, car nous constatons des abus dans le recours aux contrôles sur réquisition.
Le rapport prévu par cet article s'inscrit dans la même logique : l'objectif est de nous assurer de l'atteinte des objectifs fixés. Aujourd'hui, nous ne disposons d'aucune donnée sur la réalité des contrôles. Sont-ils utiles ? Le mécanisme est-il fonctionnel ? Les actions dont nous chargeons la police sont-elles efficaces ?
Je le répète : les contrôles administratifs sont une porte ouverte à l'arbitraire et, donc, aux discriminations. Pendant les jeux Olympiques, en Seine-Saint-Denis, il y avait des policiers partout. Mais la population était très contente et tout se passait très bien, parce qu'il n'avait pas été demandé aux policiers de contrôler à tout va. Les rapports étaient bienveillants. C'est la preuve que nous sommes capables de faire autrement.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 rectifié et 6 rectifié bis.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 283 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Pour l'adoption | 206 |
Contre | 118 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l'article 2 est supprimé.
Article 3
I. Après l'article 78-2-2 du code de procédure pénale, sont insérés des articles 78-2-2-1 et 78-2-2-2 ainsi rédigés :
« Art. 78-2-2-1. – Toute personne dont l'identité est contrôlée en application des articles 78-2 et 78-2-2 se voit remettre une attestation qui mentionne :
« 1° Le fondement juridique et les motifs justifiant le contrôle d'identité, ainsi que, le cas échéant, les suites qui lui sont données ;
« 2° L'identité de la personne contrôlée ;
« 3° La date, l'heure et le lieu du contrôle ;
« 4° Le matricule, le grade et le service de l'officier ou de l'agent de police judiciaire ayant procédé au contrôle.
« Art. 78-2-2-2. – Après avoir été anonymisées, les données collectées sur le fondement de l'article 78-2-2-1 sont rendues accessibles dans un format ouvert et librement réutilisable. »
II. Un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, détermine les modalités d'application du présent article.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, sur l'article.
Mme Corinne Narassiguin. L'article 3 vise à instaurer les récépissés de contrôle d'identité.
Je ne comprends pas le reproche qui nous est fait sur ce point. Certains estiment que l'idée serait saugrenue car nous souhaiterions procéder à un fichage, en enregistrant notamment la couleur de peau ou l'ethnie de la personne contrôlée. J'ai relu le texte, pour m'assurer que la rédaction ne prêtait pas à confusion : rien, dans cet article, ne laisse entendre une telle idée – sauf à penser qu'un policier pourrait considérer que le fait qu'une personne soit noire ou arabe est un motif justifiant le contrôle d'identité ! Dans ce cas, il y aurait un problème… (Mme la ministre déléguée se récrie.)
Je suis personnellement opposée aux statistiques ethniques. Je ne propose évidemment pas de procéder à un fichage ethnique : cela serait contraire à tous les fondements républicains.
Par ailleurs, les objections d'ordre technique qui sont faites à la mise en place des récépissés sont assez fallacieuses. Nous sommes confrontés à une véritable surabondance d'amendes forfaitaires délictuelles – un problème différent de celui dont il est question aujourd'hui. Or les policiers sont tout à fait capables, quand cela est nécessaire, d'enregistrer les coordonnées de la personne interpellée et les motifs de l'amende. Ils devraient donc pouvoir le faire lors d'un contrôle d'identité.
Les modalités précises seraient définies dans un décret, après un avis conforme de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) déterminant si l'identité doit uniquement figurer sur le récépissé envoyé à la personne contrôlée ou si elle doit également être stockée par la police.
Ces modalités ne sont pas définies dans la proposition de loi, car, j'y insiste, il serait préférable qu'elles soient précisées dans un décret pris après avis de la Cnil. Soyons raisonnables : la mise en place de ces récépissés est, d'une part, tout à fait possible et, d'autre part, absolument nécessaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel, sur l'article.
M. Yan Chantrel. Depuis le début de cette discussion, on assiste à une forme de minoration de ce sujet fondamental que sont les contrôles au faciès de la part de la majorité sénatoriale et du Gouvernement.
D'ailleurs, cette minoration est telle que le ministre de l'intérieur n'a pas daigné participer en personne à ce débat au sein du Parlement, préférant des réunions liées au congrès de son parti... Or le sujet essentiel dont nous traitons mine le pacte social et républicain ! Tel est le premier déni gouvernemental.
Quand on est attaché à la police et à la sécurité publique, alors on éradique les contrôles au faciès et on agit en ce sens !
Puisque vous niez ce problème, nous nous proposons de partager avec vous de nombreux témoignages. J'évoquerai, par exemple, le cas de l'un de nos compatriotes d'origine tunisienne, qui est désormais parlementaire : il m'a confié que durant ses études à Sciences Po Paris, il avait été contrôlé – il a fait le décompte – 300 fois en un an (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'exclame.), et ce sans aucun motif, et que ces contrôles s'étaient accompagnés de brimades, d'humiliations, de sacs renversés.
Pouvez-vous imaginer quel sentiment ces contrôles répétés font naître chez un jeune qui n'a commis aucun délit ? Car le seul délit était sa simple présence dans l'espace public !
J'aimerais que le Gouvernement condamne fortement de tels faits en agissant, comme l'ont fait les pays – le Royaume-Uni, l'Espagne, le Canada ; renseignez-vous ! – qui ont mis en place un récépissé similaire à l'attestation prévue à l'article 3.
La politique qui a été mise en place au Canada n'est pas compliquée : s'il est procédé à un contrôle, il faut justifier celui-ci. Et un contrôle ne peut être justifié qu'en cas de commission d'un délit ou d'intention avérée de commettre un délit.
C'est en agissant profondément en la matière que nous pourrons faire société,...
Mme la présidente. Merci, mon cher collègue.
M. Yan Chantrel. ... en ayant une police qui agit en faveur de la sécurité publique ; mais cela, vous ne le soutenez pas ! (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Catherine Conconne applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, sur l'article.
M. Guy Benarroche. J'espère que le rapporteur donnera un avis défavorable sur les amendements de suppression déposés sur cet article. Cela signifiera que l'auront convaincu, non pas nos interventions, mais les arguments qui ont été développés – je le rappelle – par le Conseil d'État, la Commission européenne et le Défenseur des droits, lesquels estiment nécessaire de connaître a minima le nombre de contrôles effectués, les motifs pour lesquels ils ont été réalisés, ainsi que leur efficacité.
Nous demandons que soient apportées des réponses aux questions suivantes, finalement assez simples : combien de contrôles sont-ils effectués ? Sont-ils motivés par des raisons précises ? Sont-ils efficaces ? Rendent-ils service à la police et aux citoyens ? Permettent-ils d'obtenir des renseignements ?
On nous rétorque, tout d'abord, non pas que ces interrogations ne sont pas pertinentes, mais que les policiers sont d'ores et déjà suffisamment attaqués... Comme si la mise en place de récépissés pouvait causer une augmentation des attaques contre la police !
On nous répond, ensuite, qu'il n'est pas possible techniquement de mettre en œuvre cette mesure. Comme si nous n'avions pas l'habitude, dans notre pays, de recueillir des données et de les traiter ! Aujourd'hui, la police, la justice et la gendarmerie sont capables de recueillir et de traiter des données correctement sans être, de ce fait, pénalisées ou gênées dans leur travail.
Si le présent article pouvait avoir pour effet de réduire le nombre des contrôles qui ne servent à rien, ce que les statistiques permettraient de prouver, alors la police gagnerait du temps et son action serait beaucoup plus efficace.
Mme la présidente. La parole est à M. Adel Ziane, sur l'article.
M. Adel Ziane. Je souhaite insister sur le caractère vertueux et efficace de la mesure prévue à l'article 3.
Le droit à l'information introduit par cet article, au travers de la mise en place du récépissé, ne peut que renforcer le lien entre la police et la population, dans la mesure où ce document éclairera la personne contrôlée sur la portée légale d'une procédure qu'il peut considérer comme injuste.
Loin d'aller à l'encontre de la simplification, cette mesure y participe en permettant d'encadrer les contrôles d'identité, et donc en limitant les contrôles abusifs, inutiles et chronophages, comme l'a rappelé Yan Chantrel. Il s'agit de concentrer l'action policière là où elle est réellement nécessaire – un objectif régulièrement évoqué par nos collègues.
Moins de contrôles injustifiés – le chiffre de 32 millions de contrôles effectués chaque année a été cité –, cela signifie une charge de travail moins lourde pour les agents, davantage de temps pour lutter efficacement contre la délinquance, et une action publique plus lisible et plus juste.
Par ailleurs, concernant la protection des données, l'article 3 prévoit qu'un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Cnil, déterminera les modalités d'application dudit article. La Cnil étant saisie, le risque est donc limité.
Il convient enfin de rappeler qu'en 2023 le Conseil d'État avait reconnu que les contrôles d'identité discriminatoires existaient en France, et que cette situation ne se résumait pas à quelques cas isolés. Ce constat lucide est partagé par des milliers de nos concitoyens.
Face à cette réalité, il faut redire que le récépissé de contrôle est un outil de transparence, qui peut être numérique, permettant de documenter des pratiques, de responsabiliser les agents, de protéger nos concitoyens mais aussi les policiers contre des accusations infondées. Il s'agit non pas d'une contrainte, mais d'une garantie !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sur l'article.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. L'instauration de l'attestation de contrôle d'identité est un sujet que je défends depuis bien longtemps.
Alors, je vous écoute depuis le début de cette discussion, mes chers collègues, et je vous regarde.
J'ai entendu le récit absolument effrayant, rapporté par Yan Chantrel, de ce compatriote d'origine tunisienne, qui est désormais l'un de nos collègues parlementaires, lequel a été contrôlé 300 fois en une seule année... Et je me demande, en vous regardant, quand, pour la dernière fois, vous avez été contrôlés par la police.
Tous autant que vous êtes, vous n'avez pas dû faire l'objet d'un tel contrôle depuis fort longtemps, peut-être depuis votre jeunesse – ce dernier point me concerne également –, un âge où des personnes peuvent avoir une apparence dérangeante...
Je suis frappée par le fait que le pouvoir d'État ne sait pas comment imposer un certain nombre de règles à la police, contrairement à ce qui a pu être le cas dans le passé : dans les années 1980, avec l'introduction de l'article 78-2 du code de procédure pénale, et donc de l'encadrement pénal du contrôle d'identité, qui n'existait pas auparavant ; mais aussi sous le gouvernement de François Hollande, avec la mise en place du RIO puis des caméras-piétons. Et cela s'est arrêté là !
Comme vous ne vous sentez pas capables de proposer un dispositif plus clair, vous êtes dans le déni et vous prétendez que ce problème n'existe pas. Je me demande si ce n'est pas là le sujet le plus grave...
Il est vrai que l'absence des deux ministres de l'intérieur interroge, même si nous sommes ravis de retrouver au banc du Gouvernement notre ancienne collègue Sophie Primas, dont je sais qu'elle a parfois mal au ventre avant le conseil des ministres ; peut-être est-elle plus détendue lorsqu'elle se trouve parmi nous ? (Sourires.)
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je suis quelque peu consternée par votre position, mes chers collègues.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 1 rectifié quinquies est présenté par Mme Aeschlimann, MM. Bruyen, Bouchet, Rapin et Meignen, Mme Borchio Fontimp, M. Naturel, Mme Drexler, MM. Klinger, Panunzi, H. Leroy et J.P. Vogel, Mme Lassarade, MM. Levi et Saury, Mme Bellurot et MM. Savin et Courtial.
L'amendement n° 3 rectifié bis est présenté par M. Haye, Mme Guidez, MM. Bonneau et Canévet, Mmes Billon, Gacquerre, Patru, Romagny et Perrot, M. J.B. Blanc, Mme de La Provôté et M. Cambier.
L'amendement n° 7 rectifié ter est présenté par Mme Belrhiti, MM. Paccaud, Piednoir, Reichardt et Sido, Mmes P. Martin et Gosselin et MM. Rojouan, Lefèvre, Milon et Brisson.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour présenter l'amendement n° 1 rectifié quinquies.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Le présent amendement vise à supprimer l'article 3, qui instaure l'obligation de remettre un récépissé à toute personne faisant l'objet d'un contrôle d'identité.
La délivrance systématique d'un tel document allongera de manière significative la durée de chaque contrôle, ce qui dissuadera mécaniquement les forces de l'ordre d'en réaliser, au détriment de l'efficacité de leur action sur le terrain, en particulier dans les quartiers où la délinquance, petite et moyenne, mine le quotidien des habitants.
De plus, dans un contexte de forte attente de nos concitoyens en matière d'autorité et de sécurité, à laquelle le Sénat s'efforce de répondre, il serait incompréhensible que le législateur choisisse d'alourdir les contraintes pesant sur les forces de l'ordre et d'entraver leur action, plutôt que de les soutenir dans leur mission.
En outre, la mesure proposée contribue à nourrir la défiance à l'égard des forces de l'ordre, ce qui est contraire à l'ambition affichée par les auteurs de cette proposition de loi.
Enfin, je souhaite rebondir sur le débat que nous venons d'avoir. J'ai discuté la semaine dernière de cette proposition de loi avec mes deux fils, qui sont âgés respectivement de 21 et 23 ans. L'un d'eux a été contrôlé deux fois l'an dernier. Faut-il en déduire quelque chose ?...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Qu'il s'en est bien sorti ! (Mme la ministre déléguée rit.)
Mme Marie-Do Aeschlimann. Il s'en est en effet bien sorti parce qu'il se comportait bien, qu'il n'avait rien à se reprocher et qu'il a présenté ses papiers d'identité ! (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C'est cela, oui...
Mme Marie-Do Aeschlimann. Cela me semble répondre à votre interrogation. Il arrive à tout le monde d'être contrôlé (On le nie sur les travées du groupe SER.) ; il suffit de s'y plier de la bonne façon. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ludovic Haye, pour présenter l'amendement n° 3 rectifié bis.
M. Ludovic Haye. L'instauration d'un récépissé de contrôle d'identité entraînerait une charge administrative considérable et contre-productive. En effet, le temps de travail effectif des agents serait mobilisé au détriment de leur mission première de terrain, sans gain évident en termes de respect des droits ou de transparence. Et je rappelle que les contrôles d'identité sont d'ores et déjà strictement encadrés.
Par ailleurs, la création systématique de récépissés, notamment sous forme numérique, qu'il s'agisse de SMS ou de courriels, soulève des interrogations légitimes quant à la protection des données personnelles.
Dans ces conditions, il apparaît plus opportun de supprimer cet article, afin de préserver l'efficacité des forces de l'ordre et d'éviter d'alourdir inutilement les dispositifs existants.
Mme la présidente. L'amendement n° 7 rectifié ter n'est pas soutenu.
Quel est l'avis de la commission ?
M. François Bonhomme, rapporteur. Ces amendements identiques visent à supprimer l'article 3, qui contient le principal dispositif de cette proposition de loi : la création d'un récépissé.
Tout d'abord, l'objectif de traçabilité visé dans cet article pose des difficultés importantes, voire insurmontables. En effet, cette mesure alourdirait considérablement les procédures administratives, et affaiblirait les capacités opérationnelles de la police et de la gendarmerie – elle aussi concernée – puisque celles-ci devraient potentiellement délivrer 47 millions de récépissés.
Ensuite, sur le plan technique, ce dispositif supposerait nécessairement de créer un fichier de masse recensant toutes les personnes contrôlées. On peut s'interroger sur la proportionnalité de cette mesure au regard de l'objectif.
Enfin, cet objectif pourrait être atteint au travers de divers moyens techniques sans que le législateur ait à intervenir, comme l'ont rappelé la Cour des comptes et le CEDPN. Il suffirait, ainsi, d'ajuster l'architecture du fichier des personnes recherchées (FPR) afin de tracer la consultation dudit fichier réalisée dans le cadre d'un contrôle d'identité.
Je souhaite également répondre à nos collègues qui sont intervenus : M. Chantrel, qui nous a reproché de minorer le problème, M. Durain qui a affirmé que tout le monde réclamait ce récépissé – c'est évident !... –, et Mme de La Gontrie, qui a évoqué un déni généralisé de notre part.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que plusieurs débats ont eu lieu sur ce sujet, ici et à l'Assemblée nationale, lorsque vous étiez aux affaires !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ils portaient seulement sur la caméra-piéton et le RIO !
M. François Bonhomme. Les faits sont têtus : lorsque vous étiez majoritaires, vos ministres de l'intérieur successifs et le groupe socialiste avaient abandonné cette idée.
Ainsi, Manuel Valls avait dit clairement à l'Assemblée nationale, quand il était ministre de l'intérieur, que ce dispositif n'apportait pas de solution concrète au problème des contrôles au faciès. Il avait même ajouté que l'existence de tels contrôles n'était pas une question de formation, de déontologie ou de paperasserie, et conclu en qualifiant cette proposition de « mesure gadget ». Tout était dit !
Le dispositif proposé, s'il n'appelle pas, à mon avis, de nouveaux débats, entretient a contrario la confusion des esprits et la victimisation contre laquelle vous dites vouloir vous battre !
L'avis est donc favorable sur ces amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Sophie Primas, ministre déléguée. Le Gouvernement a le même avis que la commission, pour les raisons qui viennent d'être exprimées.
Je souhaite revenir sur le sujet de la collecte d'informations, que j'ai évoqué précédemment et qui ne figure pas, bien sûr, dans cette proposition de loi.
Je réagissais alors aux interventions des orateurs qui se sont succédé lors de la discussion générale. J'ai entendu MM. Benarroche et Brossat parler de « contrôles au faciès » susceptibles d'entraîner des discriminations. Selon moi, les implications du dispositif proposé, en termes de collecte d'informations, ne sont ni souhaitables, ni constitutionnelles, ni dans l'esprit de la loi. (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Corinne Narassiguin le contestent.)
Vous avez dit, monsieur Chantrel, que des dispositifs similaires existaient dans d'autres pays, notamment en Espagne et en Grande-Bretagne. Or, justement, ces pays pratiquent la collecte d'informations ethniques, ce que, pour notre part, nous refusons – et vous aussi, si j'en crois vos propos, madame Narassiguin. Vous avez fait référence à des mentalités et à des outils qui diffèrent des nôtres !
La police n'agirait pas, selon vous, pour lutter contre les discriminations. J'estime, pour ma part, qu'elle le fait. Il existe dans le droit positif des outils qui permettent d'y procéder, qui sont utilisés et continuellement améliorés dans cet objectif.
Considérant que l'article 3 doit être rejeté, le Gouvernement émet un avis favorable sur les amendements identiques nos 1 rectifié quinquies et 3 rectifié bis.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Il est bizarre que vous invoquiez, pour défendre ces amendements de suppression de l'article 3, des arguments qui ne sont pas cohérents.
Tout d'abord, vous dites que la police et la gendarmerie devront potentiellement contrôler 47 millions de personnes, qu'il faudra donc faire des récépissés dans tous les sens et que cela ne sera pas gérable...
Vous considérez donc par principe qu'il convient, dans le cadre de certaines lois et pour certains faits, d'établir un contrôle généralisé de la population – vous le mettez d'ailleurs en place régulièrement –, mais qu'en l'occurrence ce n'est pas possible, car cela reviendrait à contrôler le travail de la police ; c'est ce que vient de dire M. Bonhomme.
Or il s'agit non pas, selon nous, de contrôler le travail de la police, mais de faire en sorte que la police puisse mieux travailler !
Réaliser 47 millions de contrôles n'est pas logique, car ceux-ci sont motivés non par des faits réels, mais par des a priori – pour ne pas parler de contrôles au faciès.
Instaurer la remise d'un récépissé permettra à la police de mieux travailler, de disposer de statistiques et de réduire drastiquement ce chiffre de 47 millions de contrôles d'identité. Sur ce plan, en effet, notre pays doit être champion du monde !
Ensuite, nous vous avons entendu dire que ces contrôles étaient utiles dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic. Or je puis dire, pour l'avoir vécu sur le terrain – je ne suis pas le seul – que les services qui travaillent dans ce domaine et mènent des enquêtes sur le terrain demandent très souvent que l'on réduise le nombre de contrôles d'identité effectués dans la rue, car ceux-ci leur nuisent. En effet, les personnes ne sont pas contrôlées au motif qu'elles pourraient commettre telle ou telle action,...
Mme la présidente. Merci, mon cher collègue.
M. Guy Benarroche. ... mais en fonction de ce qu'elles sont en apparence !
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.
Mme Corinne Narassiguin. Le groupe socialiste a organisé aujourd'hui un colloque sur ces questions, en introduction duquel ont témoigné deux personnes qui sont à l'origine de recours ayant abouti à la condamnation de l'État pour faute lourde en raison de contrôles discriminatoires, dits aussi contrôles au faciès. Ces faits sont donc bien établis ! Je précise que les contrôles au faciès n'ont certainement pas pour objectif d'enregistrer l'origine ethnique de personnes en vue de les ficher.
Ces deux personnes nous ont expliqué qu'elles avaient pu porter plainte du fait d'un concours de circonstances. Elles étaient en effet, dans le cadre d'une sortie scolaire, accompagnées par leur enseignante, laquelle a contacté un avocat qui a bien voulu les défendre pro bono. Cette convergence assez exceptionnelle a permis qu'une telle procédure aboutisse.
En effet, en temps normal, si l'on est contrôlé de manière abusive par la police, on ne porte pas plainte auprès de la police, et ce d'autant moins que l'on ne dispose pas d'un récépissé prouvant que l'on a été contrôlé de cette façon.
Ces récépissés sont utiles pour prouver l'existence de contrôles discriminatoires et répétés, et pour permettre aux personnes ayant fait l'objet de ces contrôles de porter plainte.
Ils sont utiles, aussi, pour fournir des statistiques, car nous avons besoin de savoir si ces contrôles sont efficaces, et de disposer de données permettant d'évaluer la qualité et l'utilité du travail des policiers.
Les policiers eux-mêmes sont en souffrance : ils ont besoin de retrouver le sens de leur travail, des missions qui leur sont confiées. Ils veulent mener des actions utiles !
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.
M. Jérôme Durain. Je veux témoigner de mon inquiétude sur la question sécuritaire et sur ce que le pays traverse : je ne suis pas certain que les effectifs budgétaires que nous avons choisi de consacrer à ces politiques suffisent à endiguer une menace qui est d'une extrême gravité.
Nous sortons de l'examen de la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et nous avons documenté les périls que fait peser sur la Nation la criminalité organisée sous toutes ses formes. Je vais donc le dire de manière un peu bestiale : nous avons besoin de policiers qui fassent du boulot utile, plutôt que d'aller emmerder les gamins.
Lorsqu'un jeune dit qu'il a été contrôlé cinq fois dans sa commune par des policiers qui connaissent son identité, mais qui la lui redemandent, je considère – pardon de le dire – qu'il ne s'agit pas là d'un travail utile à la sécurité de notre pays.
Nous allons bientôt revenir sur ce sujet, non parce que les socialistes veulent absolument en parler, mais parce qu'il s'impose à nous. Il va donc falloir que, sur certaines travées, l'on clarifie sa position : soit l'on est dans le déni en disant que ce problème n'existe pas ou qu'il est marginal, alors même qu'il est documenté dans de très nombreuses études, soit l'on considère – et on l'a entendu dire – que les personnes qui sont contrôlées ont forcément quelque chose à se reprocher.
Il faudra travailler sur cette question, car le déni ne produit pas de bonnes politiques publiques. Quant à la suspicion jetée sur une partie de la population, elle ne fonctionne pas non plus. Nous allons donc prendre rendez-vous pour réfléchir de nouveau sur le récépissé. Il est dommage de ne pas étudier ce sujet plus avant dès maintenant, parce qu'il est particulièrement intéressant !
Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat, pour explication de vote.
M. Ian Brossat. Je partage les propos de mes collègues.
Tout d'abord, nous pourrions nous accorder ici sur le fait qu'il n'y a sans doute rien de pire que d'expliquer à des gens que ce qu'ils vivent tous les jours n'existe pas !
M. Ian Brossat. Le fait est que des milliers de jeunes hommes et de jeunes femmes subissent tous les jours des contrôles au faciès. Vous pouvez faire semblant de croire que cela n'existe pas et mettre la tête dans le sable, mais c'est une réalité, qui nécessite que soient mises en place des politiques publiques adaptées.
Ensuite, vous nous dites qu'avec le récépissé on risque de mettre le doigt dans l'engrenage des statistiques ethniques... Or le seul responsable politique qui s'est prononcé au cours des derniers mois en faveur des statistiques ethniques, c'est Bruno Retailleau ! Il disait ainsi le 19 janvier, sur BFM, qu'il y était favorable, mais ajoutait dans la foulée : « à condition qu'elles n'engendrent pas de la discrimination positive ». (Rires sur les travées du groupe SER.) On se demande bien ce qu'elles seraient susceptibles d'engendrer dans ce cas...
Ce n'est donc pas de notre côté qu'il faut chercher les partisans des statistiques ethniques ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Bonhomme, rapporteur. Ce sujet étant le cœur du dispositif, je souhaite rebondir sur certains propos.
Vous avez évoqué, madame Narassiguin, la condamnation de l'État dans un cas de contrôle d'identité. Vous auriez pu dire, aussi, que la justice avait fonctionné en prononçant des sanctions. Il ne s'est pas rien passé !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. L'État a été condamné !
M. François Bonhomme, rapporteur. Parler de « déni » à partir d'une seule situation ayant donné lieu à condamnation, eu égard au volume des contrôles effectués, cela procède, me semble-t-il, d'une extrapolation abusive ! (Mme Corinne Narassiguin ironise.)
Vous avez déploré, par ailleurs, que l'on ne puisse pas porter plainte en cas de contrôle abusif. Je rappelle qu'il existe d'autres voies de recours et de signalement que le dépôt de plainte !
Que faites-vous de la capacité de discernement et d'appréciation des policiers et des gendarmes, qui bénéficient d'une formation initiale et continue, et qui, aux termes du code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale, prêtent serment ?
Que faites-vous des plateformes de signalement existantes ?
Que faites-vous du Défenseur des droits ?
Que faites-vous, enfin, du référent qui existe dans chaque compagnie de gendarmerie, lequel est généralement un ancien gendarme qui dispose de l'expérience et du discernement nécessaires ?
Je ne vois donc pas de quel déni vous parlez !
Enfin, il est possible en dernière instance de saisir directement, pour signaler des faits de discrimination, le procureur de la République, qui sera juge de l'opportunité des poursuites.
Dans ces conditions, entretenir, comme vous le faites, l'idée qu'il existerait un déni de notre part revient à ne pas dévoiler l'entièreté du problème – mais peut-être est-ce votre objectif ?...
J'ajoute que tout contrôle d'identité est, par principe, une levée de doute, et donc une prérogative des policiers et des gendarmes, qui sont formés pour cela. Cet outil indispensable vise, dans le cadre de leur mission de préservation de la sécurité publique, à prévenir tout trouble à l'ordre public. Il convient donc de s'en tenir à une position équilibrée.
Par ailleurs, j'ai oublié tout à l'heure de citer Bernard Cazeneuve, qui ne saurait être soupçonné de dérives droitières caractérisées. En 2017, avant de quitter ses fonctions de Premier ministre, il avait donné un avis défavorable à des amendements allant dans votre sens, et ce pour les raisons que je viens d'invoquer !
Mme Corinne Narassiguin. Il a eu tort !
M. François Bonhomme, rapporteur. Il disait ainsi que l'adoption d'un tel dispositif entraînerait de potentielles dérives car, en cas de création d'un nouveau fichier, certains individus auraient recours à divers faux documents pour échapper aux contrôles.
On court après le sujet... Faisons confiance à la capacité d'appréciation et de discernement de nos forces de sécurité !
M. Jérôme Durain. C'est un boulot pour l'opposition !
Mme la présidente. La parole est à M. Adel Ziane, pour explication de vote.
M. Adel Ziane. Il me semble que l'on rate la cible de ce débat en refusant de parler de l'efficacité de ces contrôles.
Puisque nous en sommes, monsieur le rapporteur, à faire de l'archéologie politique et à parler de doctrine, voire de posture, de notre police nationale, nous pouvons remonter encore davantage dans le temps.
Mme Aeschlimann a évoqué une situation vécue dans sa famille. Pour ma part, j'ai subi de nombreux contrôles dans ma jeunesse, pour une raison qui m'échappe... (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Je me souviens qu'en 1998, sous le gouvernement de Lionel Jospin, avait été instaurée la « police de proximité » – une expression employée pour la première fois par Charles Pasqua en 1995. (Mme Christine Lavarde s'impatiente.)
Puisque nous évoquons nos glorieux aïeux, je rappelle que M. Pasqua avait posé la première pierre de cet édifice avec la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité : « Il importe que la police retrouve toute sa place dans la cité. Renouant avec la tradition républicaine, elle doit redevenir une police de proximité, présente sur la voie publique, plus qu'une police d'ordre. »
Nous souhaitons interpeller nos collègues, au cours de ce débat, en préconisant une approche fondée sur la présence, l'écoute et la prévention, et sur des policiers visibles, connus dans les quartiers, qui agissent avec discernement pour désamorcer les tensions. Il s'agit là d'une police du lien, et non de la confrontation.
Malheureusement, cette démarche a été brutalement interrompue en 2003, lorsque Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, a voulu tourner la page d'une police dite « sociale ». Le résultat, dont nous sommes en train de parler, a été la rupture assumée avec le terrain, une vision strictement répressive, la montée d'un sentiment d'abandon et la rupture du lien de confiance – pas seulement dans les quartiers, il faut en prendre conscience ! – entre la police et la population.
Tel est l'élément que je souhaitais apporter, monsieur le rapporteur, à l'archéologie politique que vous avez déroulée.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié quinquies et 3 rectifié bis.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 284 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 224 |
Contre | 117 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l'article 3 est supprimé.
Article 4
Le premier alinéa de l'article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée : « L'enregistrement audiovisuel de leur intervention est obligatoire lorsqu'ils envisagent de procéder à un contrôle d'identité dans les conditions prévues aux articles 78-2 et 78-2-2 du code de procédure pénale. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, sur l'article.
Mme Corinne Narassiguin. L'article 4 vise à instaurer l'obligation d'utiliser une caméra mobile lors des contrôles d'identité.
Les policiers ont aujourd'hui la possibilité de se servir d'une caméra-piéton lors d'un contrôle d'identité, mais on leur donne l'option de le faire uniquement lorsque les choses se passent mal.
La situation est la suivante : très peu de recours sont exercés contre les contrôles abusifs en l'absence de remise de récépissé, donc de preuve du contrôle. Et lorsque l'on souhaite obtenir, dans le cadre d'un recours, l'enregistrement vidéo, on explique que la caméra n'a pas été déclenchée, qu'elle n'a pas fonctionné, que la batterie était à plat ou que les images n'ont pas été conservées...
Il convient donc d'inscrire dans la loi l'obligation d'enregistrer en totalité le contrôle d'identité : dès lors qu'un policier ou un gendarme décidera d'effectuer un contrôle, il devra déclencher sa caméra, avant même de s'approcher de la personne concernée. Ainsi, la totalité de l'interaction sera enregistrée, ce qui permettra de protéger, également, les policiers.
La relation entre les forces de police et la population s'est détériorée. Des jeunes sont parfois contrôlés cinq fois en l'espace d'une seule semaine, quand ce n'est pas dans une même journée, si bien qu'il peut arriver qu'ils soient exaspérés et qu'ils adoptent des comportements agressifs à l'égard des policiers.
Si ces derniers accomplissent très bien leur travail et se comportent bien, il faut que cela puisse être enregistré, y compris pour les protéger eux-mêmes. L'enregistrement vidéo sert donc à la fois à les protéger, je le redis, et à détecter les contrôles abusifs.
Nos collègues de droite viennent de rejeter la mise en place d'un récépissé. Nous nous replions donc sur un autre dispositif, celui des caméras-piétons, pour assurer la traçabilité des contrôles d'identité, ce qui est d'ailleurs un engagement de la France auprès du Conseil de l'Europe.
Mme la présidente. La parole est à Mme Colombe Brossel, sur l'article.
Mme Colombe Brossel. Il est très désarmant de voir la mécanique qui se met en place devant nos yeux. La droite sénatoriale n'a pas voulu du récépissé – dont acte ! Toutefois, la stratégie consistant à défendre des amendements de suppression sur chacun des articles la conduit à voter contre des dispositifs, souvent de bon sens, dont elle a elle-même demandé la mise en œuvre !
Notre collègue Corinne Narassiguin l'a rappelé à l'instant, l'activation d'une caméra-piéton par les policiers et les gendarmes lors des contrôles d'identité est la meilleure manière d'assurer leur protection.
Avant de me rendre en séance, j'ai relu les arguments qui ont été développés au cours de débats parlementaires récents par nos collègues de l'Union Centriste et du groupe Les Républicains, notamment en faveur de la possibilité pour la police des transports de disposer de caméras-piétons.
De nombreuses questions écrites ont été posées par les sénateurs de droite pour demander l'extension des dispositifs d'enregistrement vidéo, que ce soit pour les agents des centres pénitentiaires ou les pompiers, l'augmentation du nombre de caméras-piétons ou encore la poursuite de l'expérimentation dans les transports.
J'ai lu attentivement les arguments invoqués par la droite pour rejeter la présente proposition de loi. Hormis le fait qu'un dispositif d'enregistrement vidéo ne serait pas conforme à la jurisprudence constitutionnelle, « il se heurterait à des contraintes matérielles difficilement surmontables, en particulier s'agissant du nombre de caméras nécessaires et des capacités de stockage requises ».
Il se trouve que ces arguments n'ont pas été beaucoup développés par nos collègues du centre et de la droite lorsqu'ils demandaient l'extension du périmètre ou du champ des métiers concernés par les dispositifs d'expérimentation.
Je vous appelle à rester sérieux, mes chers collègues. Vous ne voulez pas voter pour cette proposition de loi, soit ! Mais ne faites pas semblant de trouver des arguments raisonnables lorsque vous votez déraisonnablement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l'article.
M. Patrick Kanner. Je tiens à remercier nos collègues de droite, car ils m'ont fait rajeunir de huit ans. (Mme la ministre déléguée rit.) En effet, nous avions eu les mêmes débats lors de l'examen de la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté.
Bien que vous ayez voté contre ce texte, nous avons avancé. Nous avons notamment lancé, avec Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'intérieur, l'expérimentation des caméras-piétons. Elle a été officiellement mise en œuvre par un décret du 25 avril 2017. L'objectif poursuivi a été rappelé par mes collègues : il s'agissait de sécuriser la relation entre les citoyens et la police dans le cadre de ses missions de contrôle.
Je poserai une question très simple à Mme la ministre et à ses amis du « socle commun » : que s'est-il passé depuis 2017 ? L'expérimentation que je viens d'évoquer a-t-elle été évaluée ? Avez-vous donné aux policiers les moyens nécessaires pour qu'ils disposent d'outils qui soient à la fois de qualité – on peut penser au développement de l'intelligence artificielle – et en nombre suffisant ?
J'entends vos remarques sur le récépissé ; nous avions eu les mêmes discussions il y a huit ans. Néanmoins, à l'époque, il existait un consensus sur l'utilisation des caméras-piétons, leur systématisation et leur finalité.
Selon moi, un policier qui sort de sa voiture doit enclencher immédiatement sa caméra-piéton, sous peine de sanctions, sans quoi la relation de confiance avec les citoyens ne peut être assurée.
C'est une solution que nous devons envisager, mes chers collègues, même si j'ai bien compris que nous n'allions pas vous convaincre aujourd'hui. L'objectif est qu'il n'y ait plus aucun contrôle au faciès parmi les dizaines de millions de contrôles effectués chaque année. Un contrôle aux faciès, c'est un contrôle de trop !
J'espère au moins que la droite sénatoriale se montrera bienveillante à l'égard de l'article 4, même si elle demande un vote par scrutin public.
Mme la présidente. L'amendement n° 5 rectifié, présenté par M. Haye, Mmes Guidez et Herzog, MM. Bonneau et Canévet, Mmes Billon, Gacquerre et Patru, M. Levi et Mmes Romagny, Perrot et de La Provôté, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le premier alinéa de l'article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsqu'ils envisagent de procéder à un contrôle d'identité dans les conditions prévues aux articles 78-2 et 78-2-2 du code de procédure pénale, l'enregistrement audiovisuel de leur intervention est réalisé sauf contrainte technique ou danger imminent. »
La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Je pense que nous partageons tous l'ambition de la vérité, de la confiance et de la protection. Ce sont des points essentiels auxquels concourent très efficacement les enregistrements vidéo, pour toutes les forces de sécurité, quelles qu'elles soient.
Le dispositif de caméras mobiles est d'ailleurs généralement bien accueilli par les policiers et les gendarmes, qui y voient un moyen de se protéger contre les violences dont ils peuvent être la cible.
Cependant, dans certaines situations, il peut être extrêmement difficile, voire impossible d'utiliser une caméra, si tant est que tous les agents en soient équipés : je pense aux contrôles non anticipés, aux pannes techniques ou même à l'attention que peut parfois faire naître la simple activation d'un enregistrement vidéo. C'est un vrai problème, qui est loin d'être évident.
Voilà pourquoi il convient de privilégier une formulation plus souple qui incite à l'usage de la caméra autant que possible – encore une fois, il ne s'agit ni d'interdire ni de contraindre à utiliser ce genre de dispositif dans toutes les situations –, en tenant compte de la complexité et de la réalité du terrain.
Cela permettrait de préserver la finalité du dispositif, tout en évitant d'exposer les forces de l'ordre à une insécurité juridique injustifiée en cas de non-enregistrement motivé par des circonstances objectives.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Bonhomme, rapporteur. Je comprends naturellement l'intention poursuivie par notre collègue. Il souhaite préciser les conditions de mise en œuvre du dispositif prévu à l'article 4, qui prévoit en l'état l'activation systématique de caméras-piétons lors des contrôles d'identité.
Néanmoins, cet amendement ne permettrait pas de lever l'ensemble des difficultés.
En effet, sur le plan juridique, l'obligation d'enregistrer une intervention pourrait créer de nouvelles fragilités de procédure, dans le cadre des suites judiciaires données aux contrôles.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Lesquelles ?
M. François Bonhomme, rapporteur. Le fait de ne pas déclencher de manière systématique un enregistrement pourrait être invoqué pour annuler une procédure judiciaire.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Absolument pas !
M. François Bonhomme, rapporteur. Bien sûr que si ! J'insiste, une systématisation créerait ce genre de fragilité.
Par ailleurs, il faut prendre en compte un autre élément, qui n'est pas d'ordre juridique : l'activation des caméras individuelles n'est pas toujours synonyme de désescalade. Dans certains cas, elle peut au contraire envenimer les tensions.
Encore une fois, il est préférable de s'en remettre au discernement et à l'appréciation des forces de sécurité, qui sont formées pour affronter des situations critiques. En effet, ce sont elles qui sont amenées à exercer des contrôles dans des conditions particulières, dans certains quartiers.
M. Patrick Kanner. Il faut un cadre !
M. François Bonhomme, rapporteur. Faisons-leur confiance et évitons de faire peser une suspicion permanente sur la nature des contrôles, conduisant à reprocher aux forces de l'ordre un usage déréglé ou dévoyé de leurs pouvoirs.
Mme Cathy Apourceau-Poly. C'est pourtant souvent le cas !
M. François Bonhomme, rapporteur. Il est tout à fait paradoxal de vouloir lutter contre un risque de dérive, tout en l'alimentant de façon indirecte par de telles suspicions.
Du reste, je vais vous proposer une cure de jouvence supplémentaire, monsieur Kanner : ce n'est pas huit ans en arrière qu'il faut remontrer, mais treize ans. Encore une fois, je ne sais toujours pas pourquoi vous ressortez cette proposition de loi, alors que les différents ministres de l'intérieur issus de vos rangs ont systématiquement renoncé à la mettre en œuvre ! (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C'est faux, nous avons instauré les caméras-piétons et le RIO !
M. François Bonhomme, rapporteur. Il y a une singularité dans votre démarche que je ne m'explique pas.
Pour l'ensemble de ces raisons, la commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Sophie Primas, ministre déléguée. J'exposerai rapidement les raisons pour lesquelles le Gouvernement s'oppose à l'article 4 et à cet amendement.
Nous estimons que cet article présente un risque constitutionnel. En effet, par une décision du 20 mai 2021 relative à la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, le Conseil constitutionnel a considéré que l'absence d'enregistrement permanent et le conditionnement du déclenchement de la caméra à des circonstances précises permettaient d'exclure un usage généralisé et discrétionnaire des caméras.
Or l'article 4 risque de porter une atteinte généralisée aux libertés individuelles, qui sont pourtant défendues par votre groupe, monsieur Kanner, comme par l'ensemble de cette assemblée.
L'amendement n° 5 rectifié va dans le même sens, si bien que le Gouvernement en demande le retrait. À défaut, il émettra un avis défavorable.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ça ne tient pas la route…
M. Ludovic Haye. Je retire mon amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L'amendement n° 5 rectifié est retiré.
Mes chers collègues, je vais mettre aux voix l'article 4.
Je vous rappelle que, s'il n'était pas adopté, il n'y aurait plus lieu de voter sur l'ensemble de la proposition de loi dans la mesure où les quatre articles qui la composent auraient été supprimés. Il n'y aurait donc pas d'explications de vote sur l'ensemble.
Dans ces conditions, quelqu'un demande-t-il la parole pour expliquer son vote sur l'article 4 ?
La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote sur l'article.
Mme Corinne Narassiguin. Je pressens que l'article 4 va être rejeté et qu'il n'y aura pas d'explications de vote sur l'ensemble ; voilà pourquoi je m'exprime dès maintenant.
Je veux remercier les collègues qui ont été présents pour l'examen de ce texte, quels que soient les rangs dont ils sont issus. Certes, il n'y a pas eu vraiment de surprise, mais ces discussions nous ont tout de même éclairés sur le travail qu'il nous reste à accomplir pour continuer à avancer et à faire vivre ce débat.
Monsieur le rapporteur, si nous revenons aujourd'hui à la charge, alors que les promesses qui ont été faites par le passé n'ont pas été tenues, c'est aussi parce que le besoin est encore plus criant maintenant. Je l'ai dit lors de la discussion générale, le problème s'est aggravé et il n'y a toujours pas de solution satisfaisante.
La gauche, lorsqu'elle était au pouvoir, avait commencé à mettre quelques dispositifs en place, tels que le RIO et l'expérimentation des caméras-piétons. Toutefois, ils restent très insuffisants, alors que les preuves s'accumulent sur la réalité des discriminations.
De nombreuses recommandations sont formulées non seulement par le Défenseur des droits, le Conseil national des barreaux (CNB) ou le Syndicat de la magistrature, mais aussi au sein même de la police, par l'IGPN notamment.
Tout le monde souhaite une République qui fonctionne bien et une police républicaine digne de porter ce nom, pour que tous ceux qui vivent au sein de la République s'y sentent pleinement chez eux. Notre débat d'aujourd'hui s'achève, mais ce n'est que partie remise. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – M. Michel Masset applaudit également.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 4.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 285 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Pour l'adoption | 123 |
Contre | 202 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Les quatre articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés par le Sénat, je constate qu'un vote sur l'ensemble n'est pas nécessaire, puisqu'il n'y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population n'est pas adoptée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Limitation du recours au licenciement économique
Rejet d'une proposition de loi
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la discussion de la proposition de loi visant à limiter le recours au licenciement économique dans les entreprises d'au moins 250 salariés, présentée par M. Thierry Cozic et plusieurs de ses collègues (proposition n° 230, résultat de travaux n° 583, rapport n° 582).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Thierry Cozic, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Thierry Cozic, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter cette proposition de loi visant à limiter le recours au licenciement économique dans les entreprises d'au moins 250 salariés. Je tiens à remercier mon groupe qui, collectivement, a rendu possible la présentation de ce texte en séance.
Celui-ci vise à mieux encadrer la distribution de dividendes par les groupes se prévalant de difficultés économiques.
Par ce choix, les socialistes du Sénat ont choisi d'affirmer haut et fort que le marché ne peut plus tout et que la souveraineté industrielle de notre pays ne se brade plus.
Par ce choix, mon groupe a aussi décidé de mettre un terme à une contradiction que nos concitoyens ne comprennent plus et n'admettent plus : laisser de grands groupes profitables distribuer des dividendes significatifs, alors que, dans le même temps, ils ferment des sites rentables.
En outre, notre groupe a souhaité protéger nos salariés, tributaires de logiques financiarisées prédatrices qui poussent au moins-disant social permanent pour rémunérer un capital devenu insatiable.
Le présent texte vise aussi à conditionner et à encadrer les près de 200 milliards d'euros d'aides publiques généreuses qui sont versées aux entreprises chaque année.
Cette proposition de loi n'intervient pas à n'importe quel moment. Elle intervient à un moment critique pour notre économie, au moment où Michelin, Auchan, Sanofi, General Electric, Valeo, Saunier Duval, Vencorex ou MA France ferment certains de leurs sites. Et que dire d'ArcelorMittal !
La litanie des groupes procédant à des plans sociaux est vertigineuse.
À cet égard, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) évalue le nombre de destructions nettes d'emplois à plus 140 000 en 2025. Rien qu'en 2024, près de 66 000 dépôts de bilan ont été enregistrés, soit 30 % de plus qu'en 2019. C'est un record !
Ces mauvais chiffres interviennent au moment où la tectonique des plaques de l'économie mondiale est en sérieux mouvement, surtout depuis la prise de fonction du 47e président américain. Les dirigeants de nos pays européens ressemblent parfois à des croisiéristes indisposés par la houle, les mains arrimées au bastingage. Ni libre-échangiste ni réellement protectionniste : la stratégie de M. Trump est avant tout « transactionnaliste ».
Tel est le monde dans lequel notre pays évolue désormais. Notre continent se trouve pris entre les deux feux de la guerre commerciale sino-américaine. En apparence, il n'a que de mauvais choix comme options : soit il perdure dans une illusoire et très unilatérale alliance avec l'oncle Sam, soit il se jette dans les bras de l'Empire du Milieu, qui entend bien faire de notre continent le déversoir du surplus de production qu'il n'aura pu écouler sur le marché américain.
Nous devons aussi être critiques vis-à-vis des conséquences du néolibéralisme sur notre pays. Il a clairement créé l'éviscération de notre base industrielle ; il a fait disparaître la logique d'investissement public qui avait guidé le projet français dans l'après-guerre ; il a exclu les travailleurs des bénéfices de la croissance.
Mes chers collègues, le politique doit reprendre la main sur l'économique. Alors que le Gouvernement parle d'austérité et que les tensions géopolitiques montent d'un cran, le fait que l'on atteigne 100 milliards d'euros de dividendes et de rachats d'actions cette année illustre la déconnexion croissante de nos marchés.
Il nous faut le dire, le capitalisme financier dont ces groupes sont l'émanation ne vit plus sur la même planète que nous. En à peine deux décennies, à coup de rachats, de fusions et de délocalisations, ils sont devenus des monstres. Rien qu'en 2023, trente-huit groupes du CAC 40 ont réalisé un chiffre d'affaires cumulé de 1 749 milliards d'euros, soit plus que le PIB de l'Espagne !
Ces groupes évoluent dans un environnement financiarisé qui leur est favorable. Plus que la généreuse politique de l'offre, c'est la politique d'attractivité qui leur est destinée. Tout est fait pour favoriser des taux de profit élevés qui garantissent des rendements importants de capital, susceptibles d'attirer les investisseurs étrangers.
Les réformes n'ont cessé de s'additionner en ce sens depuis huit ans : baisse de la fiscalité sur les sociétés, suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), flat tax sur les revenus du capital, fiscalité allégée pour les expatriés étrangers.
Une telle débauche de moyens pourrait au moins avoir des résultats concrets et tangibles sur l'emploi. Or il n'en est rien. En dépit des autosatisfecit du Président de la République, l'emploi dans l'industrie française a chuté, passant de 16,4 % à 15,5 % depuis 2017.
En revanche, il est une chose qui n'a pas baissé, ce sont les dividendes, +46 %, et les opérations de rachats d'actions, +286 %.
Nos concitoyens ne peuvent plus comprendre qu'une entreprise comme Michelin décide de supprimer 1 254 emplois, tout en reversant, l'année passée, 1,4 milliard d'euros de dividendes à ses actionnaires. Il y a là une contradiction qui défie la logique économique la plus élémentaire. En 2019, chez Michelin, un euro sur cinq de profit était dirigé vers les actionnaires. En 2023, c'était un euro sur deux.
Il est désormais clair que la rémunération du capital obère les salaires et l'investissement et nous jette dans une course au moins-disant social que seuls les salariés paient en bout de chaîne.
Alors, qu'on ne vienne pas nous dire que l'article 1er a un effet spoliateur ! Il vise logiquement à interdire aux entreprises d'au moins 250 salariés d'avoir recours au licenciement économique quand, dans l'année écoulée, elles ont distribué des dividendes, des stock-options ou des actions gratuites ou procédé à des opérations de rachat d'actions.
Comment croire que cet article détournerait les investisseurs de notre pays, alors que, en 2024, on y a consacré 100 milliards d'euros pour des dividendes et des rachats d'actions, soit un record historique en Europe ?
Ce n'est pas un hasard si le nombre de plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) connaît une hausse constante depuis 2022 et qu'il a notamment crû de 30 % entre 2023 et 2024. Pourtant, en 2022, 25 % des entreprises ayant procédé à ces plans affichaient une rentabilité positive.
Nous vivons un moment de transformation économique qui exige de se positionner dans un marché ouvert et concurrentiel de plus en plus soumis aux logiques prédatrices. Laisser faire, c'est continuer à éventrer notre industrie.
Enfin, au travers de cette proposition de loi, nous entendons non seulement agir sur la redistribution du capital, mais aussi sur l'allocation des ressources publiques de la production.
Ainsi, l'article 2 interdit tout versement d'aides publiques pour trois ans en cas de licenciement économique qualifié d'abusif. Il prévoit également le remboursement de ces aides, lorsque le licenciement pour motif économique est jugé sans cause réelle et sérieuse.
La commission d'enquête sénatoriale lancée sur l'initiative de nos collègues communistes montre que les aides publiques aux entreprises sont désormais hors de contrôle. Les subventions directes, les dégrèvements fiscaux et les niches sociales représentent 300 milliards d'euros d'aides publiques versées chaque année aux entreprises. Ce montant est trois fois plus important que dans les années 2000.
En 1980, nous subventionnions les entreprises privées à hauteur de 10 milliards d'euros par an, contre au moins 200 milliards d'euros en 2024.
Le capitalisme du XXIe siècle est définitivement globalisé et financiarisé. In fine, il déstabilise les chaînes de production de notre pays.
La rentabilité des marges n'étant pas suffisante, les grands groupes recourent à des PSE reconnus comme abusifs. Ce faisant, ils délocalisent dans les pays de l'Est, alors même qu'ils ont bénéficié de généreuses aides publiques.
Cette situation, là aussi contradictoire, doit cesser. Tel est le sens de l'article 1er.
Je sais que cette assemblée toute entière est concernée par le combat pour la souveraineté de notre industrie et la protection de nos salariés.
Mes chers collègues, il y a deux jours, un journaliste me faisait part des maigres chances que notre proposition de loi soit adoptée, estimant que nous l'avions surtout déposée pour le symbole. Je lui ai répondu qu'il avait tort, car, aujourd'hui, nous ne pouvons plus nous satisfaire de symboles. Nous avons besoin de concret : nos salariés le demandent et en appellent à notre protection.
Nous devons interroger la reconfiguration des rapports entre capitalisme financier et démocratie, d'autant que nous savons combien le sentiment de divorce entre les deux nourrit les pires populistes.
« La fatalité, c'est l'excuse des âmes sans volonté », disait Romain Rolland. Je me reconnais pleinement dans cette citation : en matière économique, il n'y a pas de fatalité, et l'histoire est faite de choix.
Aujourd'hui, vous avez le choix, mes chers collègues. Soit vous maintenez le statu quo et vous laissez des groupes financiers continuer à traiter nos salariés comme des charges à rationaliser, soit nous changeons enfin les choses et nous envoyons un signal fort aux grands groupes. Ils comprendront ainsi que la rentabilité du capital ne peut plus se faire sur le dos des salariés.
La France n'est pas à vendre, pas plus que ses salariés. Cette proposition de loi a au moins le mérite de le dire franchement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Monique Lubin, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Thierry Cozic entend limiter le recours au licenciement économique dans les entreprises d'au moins 250 salariés. La multiplication des PSE, qui n'épargne pas un seul de nos départements, appelle à une action rapide et déterminée du législateur pour éviter certains abus provenant souvent de grands groupes.
Avant d'en venir aux dispositions de la proposition de loi, permettez-moi de rappeler brièvement le cadre légal actuel et ses failles. Le licenciement pour motif économique permet une rupture du contrat de travail pour des circonstances qui sont extérieures au salarié : les « raisons économiques ».
Progressivement, ces critères qui légitiment le licenciement ont été précisés par le juge, puis codifiés par le législateur. Ils sont aujourd'hui au nombre de quatre.
Commençons par le critère le plus commun, puisqu'il a été invoqué par 46 % des entreprises ayant engagé un PSE en 2024, celui des difficultés économiques rencontrées par l'entreprise. Ces difficultés sont définies par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique de l'entreprise : baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, perte d'exploitation, dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation.
Suivent des raisons plus générales qui correspondent aux mutations technologiques se traduisant par une transformation de l'emploi ou encore un critère touchant à la réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité. Ce dernier critère, offrant plus de souplesse, est particulièrement invoqué par les entreprises de plus de 250 salariés.
Reste enfin la condition tenant à la cessation définitive d'activité.
Depuis l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, dite Macron, ces causes de licenciement sont appréciées au niveau du secteur d'activité commun à l'entreprise au sein du groupe sur le seul territoire national et non de l'ensemble du groupe. Ainsi, un groupe de dimension européenne ou mondiale peut être fortement rentable, tout en licenciant pour motifs économiques dans un de ses établissements français.
Dans les entreprises de plus de cinquante salariés, la procédure des licenciements économiques concernant plus de dix salariés fait intervenir un PSE, dont l'objectif est de limiter les destructions d'emploi en prévoyant des actions en vue du reclassement interne et externe des salariés ou favorisant la reprise de toute ou partie des activités de l'entreprise. En pratique, toutefois, les PSE validés ou homologués par l'administration aboutissent à un licenciement pour 63 % des salariés concernés.
Nous assistons à une hausse inquiétante du nombre de PSE et de licenciements économiques en France : selon les informations de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), le nombre de PSE a augmenté de 30 % de 2023 à 2024, et déjà cent vingt-neuf procédures ont été déclenchées entre le 1er janvier et le 28 février 2025.
Le constat est sans appel : plus de 77 000 emplois risquent d'être supprimés au titre des PSE validés en 2024 et les prévisions de l'Insee indiquent que cet étiage devrait être dépassé en 2025. Or nous savons qu'il est beaucoup plus ardu pour un travailleur de retrouver une activité dans un bassin d'emplois sinistré à la suite d'un PSE.
Dans ce contexte difficile, le code du travail, allégé par les réformes de 2016 et de 2017, s'avère inadapté pour caractériser les difficultés économiques justifiant le recours aux licenciements. Certaines attitudes des entreprises paraissent ainsi intolérables, mais sont pourtant légales en l'état du droit ; certaines opérations, notamment d'ordre financier, choquent l'opinion publique et les salariés quand elles sont réalisées par les entreprises dans un temps proche de licenciements collectifs.
Des organisations syndicales entendues lors des auditions ont souligné que la capacité à distribuer des dividendes, parfois de façon massive, ou à poursuivre un programme d'actionnariat salarié en faveur des dirigeants, peut légitimement être considérée comme signalant l'absence de difficultés économiques réelles. Ces opérations devraient donc naturellement faire obstacle au recours à un licenciement économique.
Cette logique peut être étendue à d'autres critères, à commencer par le fait d'avoir bénéficié d'aides publiques telles que le crédit d'impôt recherche (CIR), voire d'exonérations de cotisations patronales, consenties afin de soutenir la compétitivité.
Permettez-moi d'appeler votre attention sur quelques exemples, sans volonté de stigmatiser, qui accréditent le constat selon lequel le droit du travail doit être renforcé.
Le groupe Michelin a annoncé un PSE tendant à la suppression de 1 254 emplois sur les sites du Maine-et-Loire et du Morbihan, après avoir versé 1,4 milliard d'euros à ses actionnaires en 2024.
De même, Sanofi entend supprimer plus de 330 postes, alors que le groupe a bénéficié de plus de 100 millions d'euros de crédit d'impôt recherche, a versé près de 4,04 milliards d'euros de dividendes en 2023 et a procédé à 600 millions d'euros de rachat d'actions.
Enfin, plus récemment, les salariés d'ArcelorMittal ont appris l'entrée en négociation d'un PSE concernant 637 emplois, alors que l'entreprise a distribué en moyenne chaque année 200 millions d'euros de dividendes à ses actionnaires durant les dix dernières années.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui entend précisément répondre à ces incohérences.
L'article 1er interdit le recours au licenciement économique pour les entreprises d'au moins 250 salariés qui ont, durant leur dernier exercice comptable, procédé à une distribution de dividendes ou à une opération d'attribution d'actions gratuites ou de rachat d'actions. Le recours au licenciement économique serait également rendu impossible lorsque, dans les mêmes bornes temporelles, l'entreprise aurait réalisé un résultat positif, bénéficié du CIR ou des allégements généraux de cotisations patronales.
L'article 2 prévoit en conséquence une sanction pour l'employeur qui aurait procédé à un licenciement économique jugé injustifié, en le privant de certaines aides publiques, comme le CIR ou les allégements dégressifs de cotisations sociales. Il s'agit ainsi de dissuader les entreprises de procéder à des licenciements sans cause réelle et sérieuse, alors que le plafonnement des indemnités de licenciement par les ordonnances Macron de 2017 a réduit le risque encouru pour les employeurs fautifs.
Les contempteurs de cette proposition de loi ne manqueront pas de crier à l'administration de l'économie et à l'interdiction des licenciements économiques.
Permettez-moi de répondre par avance à quelques critiques. Il ne s'agit nullement d'administrer les entreprises. Une telle disposition, concernant le licenciement économique, a existé en France, mais ce texte ne revient pas au droit antérieur à la loi du 3 juillet 1986 relative à la suppression de l'autorisation administrative de licenciement, qui concernait ces motifs économiques. À titre personnel, j'étais d'ailleurs favorable à ce dispositif d'autorisation préalable.
Il ne s'agit pas non plus d'interdire ces licenciements. Cette proposition de loi ne nie pas l'importance, pour les entreprises qui rencontrent de réelles difficultés, de pouvoir procéder à des licenciements et de ne pas s'entêter dans une activité condamnée à être non rentable ; elle cible les seules entreprises non vertueuses, afin d'opérer une mise en cohérence, voire une moralisation de leurs actions.
Les opérations financières concernées peuvent répondre à des besoins des entreprises ou être utilisées au bénéfice des salariés. Pour autant, dès lors qu'une entreprise les met en œuvre, convenons que l'on ne saurait considérer qu'elle rencontre des difficultés économiques.
Plus fondamentalement encore, l'encadrement proposé relève d'une forme de justice.
De même que les bénéfices font l'objet d'un partage de la valeur au sein de l'entreprise, les risques d'une activité économique doivent être supportés équitablement par les salariés et par l'actionnariat en cas de plan de redressement. Or lorsqu'un PSE est mené conjointement à une distribution de dividendes pour les actionnaires, les efforts sont répartis de manière manifestement déséquilibrée.
Cet encadrement permettrait également de limiter les cas, certes rares, dans lesquels le licenciement économique est utilisé comme un levier pour accroître à court terme la valorisation financière de l'entreprise, sans lien avec une activité économique pérenne, c'est-à-dire les licenciements boursiers au sens strict.
L'intérêt de cette proposition de loi est donc réel et la mise sous condition qu'elle propose est équilibrée. Les licenciements économiques resteront possibles et seuls les excès de certains groupes seront empêchés.
Bien entendu, les mécanismes prévus ne permettront pas de répondre à l'ensemble des enjeux soulevés par la recrudescence des PSE. Il ne s'agit que d'une pierre dans le chantier de rééquilibrage du droit du travail en faveur de la protection des salariés.
Pour l'ensemble de ces raisons, j'ai proposé à la commission des affaires sociales de soutenir cette proposition de loin, mais elle ne l'a pas adoptée, sa majorité considérant qu'il était nécessaire que les entreprises puissent s'adapter aux évolutions économiques afin de rester compétitives. À titre personnel, je forme le vœu que nos débats de ce jour aboutissent à une issue différente. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée est saisie d'une proposition de loi du sénateur Thierry Cozic et de ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain qui vise à limiter le recours au licenciement économique dans les entreprises d'au moins 250 salariés.
Deux mesures sont prévues : d'une part, l'interdiction de procéder à un licenciement économique pour les entreprises ayant versé des dividendes, attribué des actions gratuites ou procédé à des rachats d'actions, ces trois pratiques traduisant, pour les auteurs, l'absence de difficulté économique ; d'autre part, l'obligation de remboursement des aides publiques en cas de licenciement abusif sanctionné par le juge.
Même si notre taux d'emploi reste à un niveau historiquement haut, même si notre taux de chômage est l'un des plus faibles depuis quarante ans, il est vrai que la situation de l'emploi est plus tendue.
Les licenciements économiques, qu'ils soient effectués dans le cadre ou en dehors d'un PSE, l'expliquent largement, mais ils ne constituent que la partie la plus visible de la situation de l'emploi. Moi-même, en tant que ministre du travail, et vous, dans vos départements, nous sommes confrontés aux conséquences de ces suppressions d'emploi sur la vie des salariés et de leurs familles, ainsi que sur celle de nos territoires.
En 2024, 665 PSE ont été lancés, contre 511 en 2023, signe que la situation économique se tend. Cette hausse de 30 % doit conduire à une appréciation nuancée de la situation au regard du nombre de dossiers ouverts en 2020 à la suite de la crise sanitaire ou en 2009 – 245 dossiers – à la suite de la crise financière.
Les 665 PSE de 2024 représentaient près de 77 000 ruptures prévisionnelles de contrats, contre 55 000 en 2023. Ces deux chiffres doivent toutefois être rapprochés des créations nettes d'emploi sur ces deux années, qui s'élèvent à 107 000 en 2024 et à 262 000 en 2023.
Il convient donc de prêter attention, en examinant la situation de l'emploi, aux flux d'entrée et de sortie. Les PSE en constituent souvent la partie la plus visible, mais des créations d'emploi interviennent toujours en parallèle. Ainsi, en 2024, les PSE ont été beaucoup évoqués, à juste titre, mais dans le même temps, les créations nettes d'emplois se sont élevées à 107 000.
À ces difficultés, vous proposez de répondre par des restrictions qui ne seraient applicables qu'aux grandes entreprises, lesquelles se verraient interdire le recours aux licenciements économiques lorsqu'elles auraient distribué des dividendes, attribué des actions gratuites ou procédé à un rachat d'actions dans l'année qui précède.
Les auteurs de la proposition souhaitent également sanctionner les licenciements abusifs, en obligeant les entreprises condamnées à rembourser certaines aides publiques : le crédit d'impôt recherche (CIR) et les allégements généraux dégressifs qui se sont substitués au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) depuis 2019.
Sur cette question, si je ne partage pas l'approche des auteurs, je suis très attentive, avec Catherine Vautrin, aux travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, pilotée par les sénateurs Olivier Rietmann et Fabien Gay.
Mme Pascale Gruny. Très bien !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. La conditionnalité des aides publiques fait débat depuis plusieurs années, tout particulièrement depuis la création du CICE en 2013, dont ni le Gouvernement ni le législateur n'avaient souhaité conditionner réellement le versement.
Aujourd'hui, la proposition de sanctionner des entreprises qui sont contraintes de licencier, alors qu'elles se trouvent en difficulté, semble inadaptée.
Sur le fond, en prévoyant le remboursement des allégements généraux, ce texte expose à l'incertitude un très grand nombre d'entreprises qui bénéficient aujourd'hui d'allégements de cotisations patronales qu'il est difficile de considérer comme une subvention.
Je souhaite vous rappeler le résultat d'une étude de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) publiée à la fin de l'année dernière, qui compare la structure de financement de la protection sociale et la part des cotisations patronales et salariales dans le PIB : les cotisations patronales en France, même après allégements généraux, représentent 10 % du PIB, contre 7 % en Allemagne et dans la moyenne de l'Union européenne.
Autre difficulté, le CIR a pour objectif de soutenir les dépenses de recherche et développement des entreprises ; il semble dès lors étrange de le conditionner a posteriori à un objectif d'emploi.
Il est fait mention, dans cette proposition de loi, de moralisation. Il est vrai que certains comportements sont choquants et que certaines méthodes sont indignes. Pouvons-nous pour autant y répondre par une mesure générale rigidifiant le droit du travail applicable à tous et modifiant les critères d'appréciation des difficultés économiques qui, seules, justifient le recours aux licenciements économiques ?
Le code du travail prévoit déjà un dispositif suffisant pour éviter, sous le contrôle du juge, les licenciements économiques abusifs.
Les auteurs considèrent que la distribution de dividendes, l'attribution d'actions gratuites ou le rachat d'actions apporteraient, au fond, la preuve de l'inexistence de difficultés économiques, de la mauvaise foi et donc de l'illégitimité des licenciements économiques.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Oui, et c'est le cas !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Or le dividende est le revenu du capital, c'est-à-dire de l'investissement, alors que notre économie et nos entreprises en ont plus que jamais besoin. Le travail et les travailleurs ont besoin du capital. Rappelons-nous la phrase du chancelier Helmut Schmidt : « les profits d'aujourd'hui sont […] les emplois d'après-demain ». Nous avons besoin d'investissements pour stimuler l'emploi.
M. Thierry Cozic. Il faut investir pour cela, pas distribuer !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. La décision de licencier est rarement un jeu pour les entreprises. La notion de difficulté économique est clairement définie dans le code du travail et il serait contre-productif d'introduire aujourd'hui des critères matériels qui manquent de pertinence.
Le code du travail encadre fortement les licenciements économiques, notamment lorsque ceux-ci s'inscrivent dans un PSE, et le contrôle de l'administration est réel. Le droit du licenciement a été assoupli par la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi Travail, puis par les ordonnances de 2017, mais cet assouplissement n'a donné lieu à aucune dérive.
Pour éviter des abus, il serait contre-productif d'édicter des règles générales qui s'appliqueraient à tous et contraindraient toutes les entreprises. La réglementation du licenciement vise à limiter la destruction d'emplois, mais elle peut aussi limiter la création d'emplois, notamment la création d'un emploi stable en contrat à durée indéterminée (CDI).
Si nous voulons limiter les destructions, nous devons aussi être attentifs à la création d'emplois, comme l'indiquent les exemples que j'ai avancés concernant le nombre d'emplois détruits par les PSE, alors que le solde net de créations d'emplois reste positif.
L'année 2025 pourrait être plus difficile que 2024. La faiblesse de la croissance et les nombreuses incertitudes vont emporter des conséquences sur les entreprises, qui vont moins créer d'emplois et en détruire plus.
Les services du ministère sont mobilisés pour apporter les meilleures réponses, pour veiller à la qualité des PSE et pour permettre aux entreprises de faire face aux difficultés sans nuire à l'emploi, notamment grâce au dispositif de l'activité partielle de longue durée (APLD) rebond, que vous avez voté en début d'année dans le cadre du projet de loi de finances.
Les PSE ne comportent pas que des licenciements économiques ; ils sont souvent mixtes, ou phasés avec des départs volontaires. L'objectif est de privilégier la continuité salariale et professionnelle, en protégeant les salariés et en mobilisant les dispositifs adaptés.
C'est pourquoi, avec Catherine Vautrin, nous avons demandé aux partenaires sociaux de se remettre autour de la table pour une négociation interprofessionnelle visant à changer de braquet et à simplifier, à rendre beaucoup plus opérationnels, les dispositifs de transition et de reconversion, qui sont utiles et qui seront fortement mobilisés dans la période qui vient.
Si la négociation aboutit à un bon compromis, son résultat pourrait être intégré dans le projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social, qui sera débattu en juin prochain.
D'autres actions peuvent être menées. Nous devons continuer, dans le cadre des PSE, à « challenger » les directions sur les plans de revitalisation, comme nous avons pu le faire avec Michelin ; les dispositifs d'information donnés aux comités sociaux et économiques (CSE) quant aux aides publiques disponibles doivent également être améliorés ; enfin, il faut poursuivre les discussions sur la question des compétences, au niveau des branches comme des entreprises.
Vous le voyez, nous disposons de nombreux outils, qui sont certes perfectibles, pour répondre aux conséquences des licenciements économiques. Nous y travaillons actuellement avec les partenaires sociaux.
Ces outils doivent nous permettre de faire face aux difficultés, de préférence à l'introduction dans notre droit du travail de nouvelles rigidités contre-productives, lesquelles n'existent pas dans d'autres pays, notamment d'Europe du Nord, qui ont réussi à concilier une base industrielle forte avec un niveau de protection sociale élevé.
Il me semble donc que nous pouvons faire mieux avec les dispositifs existants plutôt que d'introduire de nouvelles mesures qui nous pénaliseraient tous. (Mme Pascale Gruny applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset. (M. Jean-Luc Brault applaudit.)
M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le contexte économique est marqué par une multiplication des plans sociaux.
Au deuxième trimestre 2024, plus de 20 300 licenciements pour motif économique ont été recensés par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), une hausse de 5 % par rapport au trimestre précédent.
Paradoxalement, une étude de l'Insee indique que près de 25 % des entreprises concernées affichent une rentabilité nette positive. Cette situation n'est pas satisfaisante.
Nous observons un décalage croissant entre la situation financière des entreprises et les motifs invoqués pour licencier. Ancien chef d'entreprise moi-même, j'avoue mon étonnement vis-à-vis de ces licenciements brutaux qui déstabilisent des bassins d'emplois pourtant prospères.
Surtout, les entreprises concernées bénéficient parfois d'un soutien public important par le biais de subventions ou de crédits d'impôt. En effet, les aides publiques aux entreprises ont atteint un niveau record, bien que leur évaluation précise soit apparemment difficile. À la faveur de la commission d'enquête en cours, nous pouvons toutefois les estimer à plusieurs dizaines de milliards d'euros par an. La question de la conditionnalité de ces aides publiques est donc au cœur des préoccupations.
Il faut chercher à évaluer l'efficacité de chaque euro d'argent public injecté dans l'économie, car, si les moyens de la nation finissaient dans les mauvaises poches, ces investissements ne devraient pas être reconduits, voire devraient être récupérés.
Le texte de notre collègue Thierry Cozic avance des solutions, qui restent à évaluer. Il s'agirait ainsi, sous le contrôle de l'inspection du travail, d'interdire aux entreprises de plus de 249 salariés de procéder à des licenciements économiques si, au cours du dernier exercice comptable, celles-ci ont eu un résultat net ou d'exploitation positif, ont bénéficié d'aides publiques ou ont affecté leur bénéfice hors de la production.
J'émettrai un bémol concernant la prise en compte du résultat net. Il aurait été souhaitable de ne viser que les résultats très importants, et non juste à l'équilibre, et de tenir compte de la conjoncture économique.
L'article 2 sanctionne l'employeur qui aurait procédé à un licenciement économique jugé injustifié, en le privant, pour une durée maximale de trois ans, de certaines aides publiques, comme le CIR ou les allégements de cotisations sociales.
Là encore, il faudra prendre en compte le contexte de la crise économique, indépendante de la volonté du chef d'entreprise. J'ai notamment à l'esprit des cessations d'activité ou des mutations technologiques, voire l'avènement de nouveaux métiers.
Les bénéficiaires du système de soutien à l'économie peuvent être choqués par la cupidité de certains acteurs hors de contrôle. Pour être clair, il ne s'agit pas d'affecter la liberté des PME ou des entreprises en difficulté, mais, au contraire, de renforcer l'efficacité de nos investissements collectifs, de nous assurer du patriotisme économique des entreprises qui fonctionnent bien et, surtout, d'éviter d'injustes drames sociaux.
Accordons-nous sur l'objectif de préservation de notre outil productif, qui garantit le maintien sur notre sol d'une main-d'œuvre qualifiée reconnue pour son savoir-faire, dont elle assure la transmission. Je suis bien conscient, à ce titre, que le Sénat attend avec impatience les conclusions de la commission d'enquête sur les aides publiques aux grandes entreprises que nous menons actuellement.
En somme, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE) sera divisé sur ce texte et chacun de ses membres votera selon ses propres convictions.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pour aller directement au cœur du sujet, cette proposition de loi est le prototype parfait d'une mauvaise réponse à une question qu'il est légitime de poser.
Tout d'abord, concernant sa temporalité, il n'est nullement surprenant que ce débat surgisse au moment même où la croissance économique devient plus faible et où, malheureusement, le chômage risque d'augmenter.
Naturellement, les questions que nous abordons se posent avec acuité en période de basses eaux économiques ; or c'est paradoxalement quand la croissance ralentit que les entreprises ont besoin de la plus grande souplesse, ainsi que l'a souligné Mme la ministre.
Je reconnais que la réalité économique est rude par nature, mais lorsque l'on connaît l'entreprise, on sait que, parfois, les mesures de gestion et donc, en dernier recours, les licenciements économiques sont indispensables, sous peine de sacrifier l'avenir.
Une entreprise, si elle veut durer et pérenniser ses emplois, se doit d'être compétitive, je dirais même profitable. La profitabilité lui apporte la garantie de préserver sa capacité d'investissement, mais aussi son employabilité et sa capacité d'embaucher ; la profitabilité, ce n'est pas le diable, mes chers collègues.
Abordons la question de fond du principe du licenciement économique, puisque c'est de cela qu'il s'agit, au moins pour les entreprises de plus de 249 employés.
Bien sûr, il existe des exceptions, de vilains petits canards, mais, pour une énorme majorité d'entrepreneurs, le licenciement économique est la mesure de gestion ultime pour plusieurs raisons : des raisons morales, car les chefs d'entreprise savent que cela concerne des personnes et des familles ; mais aussi pour des motifs d'efficacité, car ils savent tous que la richesse d'une entreprise repose sur ses salariés, que son capital social est son savoir-faire. Les dirigeants inspirés ont donc naturellement une forte volonté de le préserver.
Pour autant, renoncer, ou retarder, des mesures de gestion, et donc des licenciements économiques, revient à fragiliser l'entreprise et à rendre son futur incertain.
À certaines périodes de notre histoire récente, des gouvernements proches de vos convictions se sont risqués à adopter des dispositions de ce type. Sans me livrer à de l'archéologie politique, je note qu'ils ont souvent dû revenir en arrière et que, en définitive, le fait de repousser les mesures de gestion a, au mieux, retardé les échéances et, au pire, entraîné la disparition de certaines entreprises. De plus, ces mesures ont même parfois coûté très cher à l'État, aux pouvoirs publics et donc aux contribuables.
Encore une fois, il ne s'agit pas ici de défendre un libéralisme brutal et inhumain, mais plutôt de nous inspirer du modèle rhénan – je le cite souvent. En Allemagne, le paritarisme et la discussion entre partenaires sociaux accompagnent les décisions des entrepreneurs, qui sont partagées, qu'il s'agisse des licenciements, quand la conjoncture est défavorable, ou des investissements et des embauches, quand la croissance est là et que l'entreprise se développe.
Comprenez bien qu'il ne s'agit pas pour le groupe Union Centriste (UC) de considérer que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes économiques possible. Pour autant, la solution n'est pas d'interdire les licenciements économiques ou de les retarder, fût-ce pour les entreprises de plus de 249 salariés.
En revanche, la nécessité d'humaniser autant que faire se peut les mesures de gestion indispensables apparaît comme un objectif légitime. À nos yeux, cela ne passe ni par les normes ni par une législation plus contraignante, mais par un paritarisme refondé et par un dialogue social confiant et approfondi.
J'ajoute une dernière remarque pour faire le lien avec l'actualité : il ne s'agit pas non plus pour nous de considérer que les pouvoirs publics n'ont rien à faire en matière d'économie ou d'industrie.
Pour être précis, nous avons même la conviction que l'État doit concentrer ses forces et ses moyens sur les filières stratégiques et veiller à préserver les savoir-faire sur le territoire national.
Comme élu des Hauts-de-France, je souhaite donc saisir l'opportunité de ce débat pour aborder la question de l'industrie sidérurgique. Tout doit être mis en œuvre pour préserver la filière acier, au moment où le renforcement de notre défense nationale constitue un objectif et une responsabilité. C'est pourquoi l'État a un devoir de vigilance non seulement sociale, mais aussi environnementale et stratégique.
Le sidérurgiste ArcelorMittal a réaffirmé ce jeudi son intention d'investir dans la décarbonation à hauteur de 1,2 milliard d'euros via l'installation d'un premier four électrique, une formidable innovation. Dont acte, c'est une bonne nouvelle ! Pour autant, cette entreprise doit savoir que la préservation de la filière acier est un objectif national absolu.
Mes chers collègues, madame la ministre, les enjeux économiques à venir sont considérables et la France doit retrouver sa compétitivité et, surtout, sa capacité à créer de la richesse. C'est pourquoi le groupe UC considère qu'il n'est pas souhaitable d'alourdir la réglementation. Il votera donc contre cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Thierry Cozic, visant à limiter le recours aux licenciements économiques dans les entreprises de moins de 250 salariés qui distribuent des dividendes, opèrent des rachats d'actions, distribuent des stock-options ou des actions gratuites, voire réalisent des bénéfices, est une excellente chose.
Forvia, Auchan, Michelin, Nokia, Vencorex, Verallia, Valeo, comment pouvons-nous continuer à accepter que des groupes qui réalisent des bénéfices licencient des travailleurs en invoquant un motif économique ? Cette absurdité est le résultat de la politique de libéralisation du code du travail menée par les gouvernements successifs, en particulier depuis 2015.
Alors que les plans de suppression d'emplois se multiplient dans tous les secteurs, de l'automobile à la grande distribution, en passant par la chimie, la banque, l'agroalimentaire et la construction, le Gouvernement doit agir pour préserver l'emploi et nos industries.
Il s'agit non pas d'administrer l'économie comme j'ai pu l'entendre lors des travaux de la commission des affaires sociales, mais de moraliser le capitalisme et de protéger notre souveraineté.
Quand l'entreprise ArcelorMittal annonce la suppression de 600 emplois en France, alors que le groupe a versé 600 millions d'euros de dividendes l'an dernier et reçu pas moins de 364 millions d'euros d'aides publiques depuis 2013, nous sommes face à ce que notre ancien collègue député Alain Bocquet qualifie de « licenciements boursiers ».
Comme le rappelle fort justement le rapport de la commission, notre groupe avait proposé en 2011 d'interdire ces licenciements boursiers.
Les plans de licenciement décidés par des entreprises qui distribuent des dividendes aux actionnaires ne sont pas acceptables. Je pense aux travailleurs des usines de Dunkerque, de Fos-sur-Mer ou de Florange, qui se réveillent en apprenant leur licenciement. C'est un coup de massue terrible qui s'abat sur les salariés et leur famille. C'est un coup terrible pour nos territoires.
Ces femmes et ces hommes qui se trouvent confrontés à l'incertitude de retrouver un emploi et, du fait de la réduction de la durée de l'indemnisation du chômage par les gouvernements de M. Macron, dans la précarité financière ont un sentiment d'injustice. Ils sont en colère.
À chaque fois, c'est la même chose : les entreprises qui, dans nos territoires, sont gavées d'argent public – 2 200 dispositifs d'aides publiques existent – sans aucune transparence et sans que nous n'ayons jamais aucun chiffre nous demandent sans cesse des aménagements supplémentaires pour améliorer l'attractivité et les gains de productivité.
Lorsque les actionnaires estiment que le taux de rentabilité n'est plus suffisamment intéressant, les entreprises ferment tout du jour au lendemain, sans réparer les dégâts commis et, évidemment, sans rembourser les aides publiques qui leur ont été versées.
Dans le cadre des travaux de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, mon collègue Fabien Gay et son binôme Olivier Rietmann mesurent combien il est difficile d'extraire les entreprises de leur dépendance aux aides publiques. Nos collègues qui défendent l'économie devraient être favorables à l'arrêt des aides publiques aux entreprises, lesquelles nuisent à la libre concurrence et participent d'une forme d'administration de l'économie.
Pour notre part, nous sommes totalement favorables à l'article 2, qui prévoit le remboursement de l'ensemble des aides publiques versées lors des trois dernières années en cas de licenciement économique abusif. Les entreprises qui fraudent y réfléchiront peut-être à deux fois avant de lancer un plan de sauvegarde de l'emploi, si elles doivent rembourser le CICE et les allégements dégressifs de cotisations sociales qui leur ont été consentis.
En conclusion, le groupe CRCE-Kanaky votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis de trop nombreuses années, les gouvernements tolèrent que des usines et de grandes entreprises, pourtant rentables, ferment ou accumulent les plans de licenciement, nommés, en langage orwellien, « plans de sauvegarde de l'emploi », alors même que ces établissements ont perçu de nombreuses aides publiques.
En novembre dernier, le ministre de l'industrie s'attendait à une multiplication des plans sociaux. De janvier à mars dernier, 18 000 procédures collectives ont été ouvertes, en hausse par rapport à la même période de l'an passé. À la fin du mois de février, le nombre de défaillances, en cumulé sur douze mois, dépassait 66 000. En ce qui concerne l'industrie, on comptabilisait l'année dernière 89 fermetures ou restructurations de sites industriels.
Toutes ces défaillances, tous ces plans sociaux sont dévastateurs pour l'emploi et les territoires concernés, ce qui conduit l'OFCE à prévoir que le taux de chômage pourrait atteindre 8,5 % à la fin de l'année 2026.
Cette hausse est de plus aggravée par la politique austéritaire du Gouvernement, puisque, selon le même organisme, les coupes budgétaires subies par la mission « Travail et emploi » entraîneront la destruction nette de 77 000 emplois sur un an en 2025, puis de 50 000 emplois en 2026.
Cette austérité budgétaire ne s'applique toutefois pas aux aides publiques aux entreprises qui, selon les études les plus officielles, sont passées de 10 milliards d'euros en 1979 à près de 160 milliards d'euros aujourd'hui, soit, après prise en compte de l'inflation cumulée, une multiplication par plus de quatre. Le tout sans contrepartie, sociale ou écologique, sans évaluation et avec guère de contrôles, au bénéfice d'entreprises qui se permettent parfois de ne pas respecter le peu d'engagements qui ont justifié l'octroi de ces aides.
ArcelorMittal a reçu 850 millions d'euros d'aides publiques pour la décarbonation de son site de Dunkerque – un projet qui n'a pas été mis en œuvre à ce jour –, auxquels s'ajoutent les 300 millions d'euros d'aides publiques perçues en 2023. Or, après avoir versé 433 millions d'euros de dividendes en 2024, l'entreprise annonce aujourd'hui la suppression de plus de 600 emplois.
La fermeture des sites Michelin de Cholet et Vannes concernera 1 200 salariés. L'entreprise a pourtant perçu 42 millions de CIR en 2023 et elle a versé un montant historique de 1,5 milliard d'euros en dividende et en rachat d'actions en 2024.
Le plan social déployé par Auchan en novembre dernier porte sur près de 2 400 emplois, alors que le groupe a bénéficié de 630 millions d'euros d'aides fiscales et de 1,3 milliard d'exonération de cotisations sociales en dix ans.
Le Gouvernement, qui répète inlassablement que l'État doit absolument couper dans les dépenses, refuse pourtant d'interroger l'usage et l'utilité de ces aides. Tandis que la Cour des comptes déplore que certaines aides fassent l'objet de peu de contrôles, de nombreuses études mettent en doute l'efficacité des dispositifs d'aide, du CICE au CIR, en passant par les exonérations de cotisations sociales qui, selon le Conseil d'analyse économique (CAE), n'ont aucun effet sur l'emploi ni sur la compétitivité dès lors qu'elles concernent des salaires supérieurs à 1,6 Smic.
Lorsqu'une personne ou un foyer reçoit des prestations versées à tort par la caisse d'allocations familiales (CAF), elle doit les rembourser.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
Mme Raymonde Poncet Monge. Lorsqu'un allocataire du revenu de solidarité active (RSA) ne respecte pas les nouveaux engagements de la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi, dite loi Plein Emploi, son allocation peut être suspendue, voire supprimée.
Qu'en est-il des aides aux grandes entreprises ? Quelles contreparties, quelles sanctions, quelles évaluations ? Ne sont-elles que des instruments au service de l'exigence de rentabilité de leurs actionnaires ?
Ce « deux poids, deux mesures » devant la dépense publique doit cesser. Le groupe GEST remercie l'auteur de cette proposition de loi et le groupe socialiste qui la soutient. Il votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Simon Uzenat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi de notre collègue Thierry Cozic, soutenue par le groupe socialiste, vise à écrire un nouveau chapitre de la responsabilisation sociale de l'économie, en limitant la possibilité, pour les entreprises de plus de 249 salariés qui se livrent à des stratégies financières prédatrices au bénéfice de leurs actionnaires, de recourir aux licenciements économiques.
Madame la ministre, il s'agit non pas de traiter les conséquences de ces licenciements, ce qui serait une preuve d'impuissance, mais bien d'éviter ces drames sociaux et humains.
Pour ce qui nous concerne, nous n'avons de problème ni avec l'économie ni avec la rentabilité. Nous l'avons du reste montré à de très nombreuses reprises. Mais les Françaises et les Français, les organisations syndicales et les patrons des TPE et des PME de notre pays nous attendent.
Les PSE sont parfois utilisés pour augmenter les dividendes au bénéfice des actionnaires. La situation des dirigeants de PME est bien différente, puisque, lorsque leur entreprise rencontre des difficultés, ils sont les premiers à faire des efforts pour protéger leurs salariés.
Ces PSE sont l'archétype d'une socialisation des pertes conjuguée à une privatisation des profits. En sus des aides publiques octroyées aux entreprises qui licencient, aides qui sont consenties au prix d'un endettement public supporté en particulier par les plus modestes de nos concitoyens, l'État et les collectivités locales, elles aussi mobilisées, assument l'accompagnement social des salariés qui sont victimes de ces plans. Tout cela, c'est de l'argent public.
Une fois n'est pas coutume, je citerai Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies, qui, devant la commission d'enquête sur les aides publiques, a déclaré que les aides publiques étaient « l'argent de l'État, l'argent des Français ». Nous sommes parfaitement d'accord avec lui, et c'est l'une des raisons d'être de cette proposition de loi.
Je ne reviendrai pas sur la litanie des plans sociaux et des décisions de restructuration, plus choquants les uns que les autres – Sanofi, Auchan, ArcelorMittal, etc. Je m'arrêterai sur le cas de Michelin, parce que dans le département dont je suis élu, le Morbihan, nous avons vécu un drame avec le site de Vannes, qui, comme celui de Cholet, était un site rentable.
À Vannes, la diversification annoncée a été engagée bien trop tardivement, preuve que les dirigeants de Michelin ne souhaitaient pas donner un avenir à ce site. Quelque 1,4 milliard d'euros de dividendes et de rachats d'actions ont pourtant été versés aux actionnaires en 2024, année au cours de laquelle 1 254 emplois étaient supprimés d'un trait de plume.
Entre 2019 et 2024, le dividende par action de Michelin a augmenté de 46 %, et à nouveau de 2,2 % en 2025. Or ces hausses sont notamment la conséquence de décisions que nous ne pouvons en aucun cas cautionner, car, pour les salariés, cette course sans fin au profit se solde par la fin de la course. En tant que législateurs, nous ne pouvons pas laisser faire.
Les inégalités explosent, l'emploi industriel trinque et notre souveraineté en paie le prix. Vous avez rappelé les chiffres, madame la ministre : le nombre de plans de sauvegarde de l'emploi a augmenté de 30 % entre 2023 et 2024, pour concerner 77 000 salariés en 2025, soit une hausse de 40 % par rapport à 2023.
Or, quand vous ne parlez que de contrats, madame la ministre, nous parlons pour notre part d'êtres humains, qui ne sont pas interchangeables. Ces licenciements sont autant de drames, que, contrairement à ce que vous semblez penser, les créations d'emplois ne résolvent en rien, car les « plus » n'annulent pas les « moins ». Cela ne fonctionne pas ainsi.
La réalité, madame la ministre, c'est que l'industrie manufacturière est de très loin le secteur le plus touché. Or ce secteur – je me tourne vers nos collègues de la droite sénatoriale, qui se font les chantres de l'opposition à l'assistanat – profite de mesures d'assistanat emblématiques, mais celles-ci sont en faveur des actionnaires. J'espère que les arguments qu'avec mon collègue Thierry Cozic nous avons développés ce soir vous conduiront à prendre la bonne décision.
Nous proposons en effet de limiter cet assistanat, pour le coup tout à fait scandaleux, en limitant les licenciements économiques pour les entreprises de plus de 249 salariés. Dans le système actuel – les Français l'ont bien compris –, pile, les actionnaires gagnent, et face, les salariés perdent. Les actionnaires sont toujours gagnants, que ce soit au grattage ou au tirage, et la cohésion de notre pays en pâtit.
Au-delà de son objet, cette proposition de loi est un levier très concret pour rétablir la confiance entre nos concitoyens et leurs élus, entre nos concitoyens et les dirigeants des entreprises. Oui, comme nous, les Françaises et les Français comprennent les difficultés économiques que peuvent traverser nos entreprises et les décisions douloureuses, tragiques, que ces difficultés peuvent emporter. S'ils les comprennent, ils n'acceptent pas pour autant les dérives de la financiarisation de l'économie, et ils ont en cela parfaitement raison, parce que ces dérives consument des vies, des compétences, des territoires. Nous ne pouvons pas l'accepter, en particulier ici, au Sénat.
Oscar Wilde disait que « la fatalité veut que l'on prenne toujours les bonnes résolutions trop tard ». Madame la ministre, mes chers collègues, je vous invite, car c'est l'honneur de l'action politique, à réagir à temps. Telle est la raison pour laquelle nous soutenons avec conviction et détermination la proposition de loi de notre collègue Thierry Cozic, que je remercie une nouvelle fois de son initiative, laquelle, je l'espère, trouvera une issue favorable ce soir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Michel Masset applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Brault.
M. Jean-Luc Brault. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c'est un vaste sujet que celui dont nous débattons. Dirigeant d'une PME dans le Loir-et-Cher, Climatelec, qui pèse aujourd'hui 80 millions d'euros, j'ai préféré, au grand dam de mes enfants, vendre ma boutique pour ne pas prendre le risque d'avoir à licencier.
Le licenciement est en effet un véritable problème. De manière générale, diriger une entreprise est un combat de tous les jours. Il faut trouver des clients, il faut produire, il faut vendre et il faut se faire payer. Mais, avant même tout cela, que l'entreprise compte dix, cent ou mille salariés, le chef d'entreprise doit rémunérer ses salariés, investir pour projeter son entreprise dans le futur et, parfois, rémunérer ses actionnaires pour s'assurer de la pérennité de leur investissement. Rémunération, production et investissement sont donc les challenges de tous les jours du chef d'entreprise.
Je tiens à dire que les entreprises de notre pays nous rendent fiers et que leurs dirigeants sont des acteurs essentiels de notre économie.
N'en déplaise aux dirigistes de tous bords, qui rêvent de voir les entreprises gérées par l'État, sans ces chefs d'entreprise, il n'y aurait pas de richesse dans nos communes, nos départements et nos régions. Telle est la réalité, car l'État est incapable de gérer une entreprise. Qu'il apprenne déjà à gérer nos finances !
Je conviens que certaines aides publiques qui n'auraient pas dû être versées devraient sans doute être remboursées. Mais interdire de licencier aux entreprises qui auraient reçu des aides, des allégements de cotisations sociales ou des crédits d'impôt recherche n'est pas une solution. On ne peut pas considérer que ces aides emportent nécessairement l'interdiction de licencier.
Ces dispositifs existent pour des raisons précises. Le taux de charges sociales est beaucoup trop élevé dans notre pays par rapport à nos voisins, ce qui justifie l'existence des allégements de cotisations et du crédit d'impôt pour la compétitivité de l'emploi. De même, les impôts qui pèsent sur nos entreprises étant trop élevés, les dispositifs comme le crédit d'impôt recherche visent à leur permettre d'investir dans l'innovation.
Sans doute les grandes entreprises nationales qui bénéficient de ces aides devraient-elles restituer, peut-être pas en totalité, mais en grande partie, les aides qu'elles ont perçues dès lors qu'elles licencient. Il reste que ces dispositifs sont utiles pour les entreprises, à plus forte raison pour celles qui connaissent des difficultés économiques.
J'ajoute que les licenciements économiques sont particulièrement encadrés par le code du travail. Gare aux oreilles du patron qui ne respecterait pas ce code ! Le caractère réel et sérieux du motif économique est vérifié par l'administration, et il peut être contesté devant les tribunaux. Le licenciement économique peut même être annulé par la justice, si le chef d'entreprise ne respecte pas le cadre fixé par le code du travail.
Chers amis socialistes, je souhaite enfin évoquer la finalité de votre proposition de loi. Si elle était adoptée, l'interdiction que vous proposez ne sauverait pas nécessairement les emplois concernés.
M. Thierry Cozic. Il ne s'agit pas d'interdire !
M. Jean-Luc Brault. Dès lors qu'une entreprise va mal, elle doit faire des économies de fonctionnement. Dès lors que les conditions de mauvaise santé économique sont réunies pour mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi, il serait contre-productif d'imposer à l'entreprise de garder les salariés concernés, alors qu'elle doit au contraire se restructurer afin de réduire ses charges. Pire, cette interdiction pourrait rapidement entraîner davantage de licenciements, voire la disparition de l'entreprise.
Un chef d'entreprise ne licencie jamais avec plaisir, mais les licenciements sont parfois nécessaires – hélas ! – pour réduire la masse salariale de l'entreprise et sauver les emplois qui restent.
Nous pensons que ce débat n'est pas inutile, mais nous nous opposons à l'administration de l'économie que vous proposez. Chers collègues socialistes, pour aboutir à votre objectif, il y a plus efficace que d'interdire les licenciements en cas de difficultés économiques : il suffit tout simplement d'interdire les difficultés économiques des entreprises. (Sourires.) Simplifions les choses et, ensemble, remettons notre pays en marche ! (Nouveaux sourires.)
Vous l'aurez compris, le groupe Les Indépendants s'opposera à l'adoption de cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous penchons aujourd'hui sur une proposition de loi de nos collègues socialistes visant à limiter le recours aux licenciements économiques dans les entreprises d'au moins 250 salariés. Ce sujet important mérite débat.
Nous partageons votre constat sur la désindustrialisation de la France. Entre 1980 et aujourd'hui, 50 000 emplois ont été détruits chaque année dans nos usines. Dans tous nos territoires, nous déplorons des fermetures de sites, des délocalisations, des pertes d'emplois, des familles frappées par le chômage. Quelle que soit notre sensibilité politique, nous nous battons, à chaque fois, pour aider à sauver le maximum d'emplois.
Si nous partageons le constat, nous divergeons profondément sur les solutions à mettre en place pour réindustrialiser la France. En proposant dans votre texte de nouvelles mesures très coercitives pour les entreprises, vous nous offrez une nouvelle illustration de votre vision erronée du monde dans lequel nous vivons.
Vous souhaitez tout d'abord interdire aux entreprises de recourir aux licenciements économiques, lorsqu'elles réalisent des profits ou distribuent des dividendes.
Les licenciements et les restructurations font partie – hélas ! – de la vie économique d'une entreprise, d'un territoire, d'un pays. En France, nos entreprises ne licencient pas par plaisir, facilité ou complaisance. Elles licencient lorsqu'elles y sont contraintes, soit parce qu'elles sont en situation de crise, soit parce qu'elles anticipent des évolutions et cherchent à préserver leur compétitivité.
Telle est la réalité de l'économie mondiale. Elle impose une adaptation continue de l'offre à la demande. Elle commande un progrès permanent en matière de productivité. Elle sanctionne toujours l'inadaptation des savoir-faire. Si la décision de licencier est toujours douloureuse, elle est parfois le dernier recours pour préserver l'entreprise et assurer le maintien des emplois.
Une entreprise peut certes vivre plusieurs siècles, mais aucune n'est éternelle. Dans un monde de plus en plus concurrentiel, si une entreprise ne s'adapte pas, elle est condamnée à disparaître. Nous touchons là au cœur de ce qui nous sépare des derniers partisans de l'économie dirigée qui, par leurs idées fausses et dangereuses, dénaturent le débat sur les règles de licenciement en France.
Non, on ne protégera pas l'emploi en France en accumulant les obstacles et les procédures pour tenter de dissuader les entreprises de licencier. On ne protégera pas l'emploi en France en agitant l'épouvantail des licenciements boursiers pour stigmatiser l'ensemble des entreprises et leurs responsables qui se battent pour en assurer la pérennité et la compétitivité.
Vous voulez interdire aux entreprises de licencier dès lors qu'au cours du dernier exercice comptable de l'année écoulée, elles ont distribué des dividendes.
Permettez-moi de faire un peu de pédagogie, mes chers collègues. Les dividendes servent à rémunérer une prise de risque, lequel peut être pris par de petits actionnaires ou par des retraités qui veulent mettre de l'argent de côté et diversifier leur épargne. En quoi est-ce blâmable ? Ces actionnaires pourraient choisir d'autres placements, sans emploi à la clé.
Je suis certaine que vous-même, mes chers collègues, vous placez ou avez déjà placé une partie de vos économies, par exemple à la Caisse d'épargne, sur un livret A ou sur un autre compte épargne et que vous attendez un revenu de ce placement. Eh bien, on peut assimiler ce revenu à un dividende ! Quant aux grands investisseurs, réjouissons-nous qu'ils veuillent encore investir en France.
Votre proposition de loi est un nouveau repoussoir à la création d'activité et à l'implantation d'entreprises dans notre pays.
Vous proposez d'ailleurs d'interdire les licenciements aux entreprises qui ont bénéficié dans l'année du crédit d'impôt recherche. Vous allez même jusqu'à sanctionner l'employeur qui aurait procédé à un licenciement économique en le privant pendant trois ans de certaines aides publiques, dont ce crédit d'impôt recherche.
C'est d'abord oublier un peu vite que la finalité du crédit d'impôt recherche n'est pas de maintenir l'emploi, mais de soutenir l'effort de recherche et développement. C'est oublier ensuite que les allégements de charges sociales sont indispensables dans notre pays, et ce, afin d'atténuer la fiscalité sur le travail, qui demeure trop élevée.
Je ne résiste pas à l'envie de vous rappeler qu'en 2012 l'arrivée de François Hollande au pouvoir s'était aussitôt traduite par un matraquage fiscal sans précédent, à hauteur de 50 milliards d'euros de prélèvements supplémentaires sur l'activité économique. Le CICE avait alors été mis en place dans la foulée pour adoucir cette bombe fiscale.
Il s'agit d'un énième exemple typique de notre mal français : on crée des impôts et des taxes à un niveau extrêmement élevé, puis on décide d'en atténuer les effets par des dispositifs qui emportent de la complexité et que la gauche utilise pour jeter l'opprobre sur les entreprises. Vous vous plaignez d'un mal dont vous chérissez les causes.
Aujourd'hui, comme hier, vous vous trompez de combat. Vous défendez une vision punitive de l'entreprise, au détriment d'une politique ambitieuse en faveur de l'emploi et de la réindustrialisation. Alors que nos voisins encouragent l'investissement, vous préférez la sanction. Au lieu de créer un cadre stable et incitatif pour accompagner les entreprises dans leur évolution, vous les dissuadez d'investir en France. Au lieu de traiter les causes profondes de la désindustrialisation, vous risquez d'en accélérer le processus.
De l'analyse des critères que vous proposez, notamment le critère relatif aux allégements de cotisations, qui concerne en réalité toutes les entreprises de plus de 249 salariés, je déduis qu'aucune entreprise de cette taille ne pourrait plus licencier. Il faut au contraire raisonner au cas par cas, chaque situation d'entreprise étant différente.
Rien ne nous interdit, en revanche, de réfléchir à une amélioration des contrôles. Quand une entreprise ne respecte pas ses engagements, il est normal qu'elle rembourse les aides publiques. Le code du travail encadre déjà strictement le licenciement économique et, si ce dernier n'est pas justifié, le juge peut l'annuler.
Depuis quelques semaines, une commission d'enquête sénatoriale présidée par Olivier Rietmann travaille justement sur ces aides versées aux grandes entreprises. Attendons les conclusions de notre collègue rapporteur Fabien Gay avant d'envisager les évolutions qui, le cas échéant, nous paraîtront utiles.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, nous croyons à la liberté, nous croyons à un État qui encourage et accompagne, nous ne croyons pas à un État qui contraint.
Assumer la réalité de l'économie de marché est un impératif pour lutter efficacement contre ses conséquences les plus inacceptables. Fort de cette lucidité, on peut anticiper les conséquences sociales des restructurations, s'efforcer de prévenir les risques d'exclusion des catégories de salariés les plus vulnérables, lutter contre les effets des restructurations sur les bassins d'emplois les plus touchés et engager une véritable politique de réindustrialisation de notre pays.
Comme vous le savez, les élus se mobilisent partout pour sauver des emplois. Je rappelle toutefois régulièrement aux représentants du personnel que je rencontre qu'il ne sert souvent à rien de venir vers nous lorsque leur entreprise n'investit plus depuis deux ou trois ans. L'arrêt des investissements est souvent le premier signe de difficultés.
Pour améliorer la situation, les solutions sont bien connues – elles sont portées avec constance par notre groupe parlementaire – : baisser le coût du travail, qui, dans notre pays, reste parmi les plus élevés d'Europe ; stopper les surtranspositions de normes européennes qui pénalisent nos entreprises ; accélérer le programme sur le nucléaire pour baisser le coût de l'énergie ; faire de la préférence européenne le principe directeur de nos achats publics ; encourager davantage la recherche et l'innovation pour anticiper les ruptures technologiques de demain.
Telle est la seule boussole qui devrait nous guider pour que la France redevienne un grand pays industriel et retrouve le plein emploi.
Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Fouassin.
M. Stéphane Fouassin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise vise à limiter le recours aux licenciements économiques dans les entreprises de plus de 249 salariés.
L'intention est affichée : lutter contre les licenciements jugés abusifs, en conditionnant le recours à cette procédure au comportement financier des grandes entreprises et en restreignant l'accès de ces dernières aux aides publiques.
Si cette intention peut paraître légitime à première vue, notamment dans un contexte de tension sociale et de vigilance sur l'usage des deniers publics, la proposition de loi qui nous est présentée soulève de nombreuses réserves.
Premièrement, ce texte repose sur une conception excessivement rigide du fonctionnement économique des entreprises. Il établit un lien de causalité direct et systématique entre performance financière et interdiction de licencier. Concrètement, une entreprise qui distribuerait des dividendes, procéderait à un rachat d'actions ou dégagerait un résultat positif se verrait interdire le licenciement économique.
Or une entreprise peut être contrainte à une restructuration dans un de ses secteurs d'activité, tout en conservant une performance globale réelle. Elle peut chercher à préserver sa compétitivité, anticiper un retournement de marché ou se réorganiser pour continuer à produire et à investir. De telles décisions ne sont pas abusives : elles relèvent d'une gestion stratégique responsable dans un environnement incertain.
La logique de cette proposition de loi revient donc à faire primer l'apparence comptable sur l'analyse réelle des enjeux économiques. Ce faisant, ce texte contraint dangereusement la capacité d'adaptation des entreprises au risque de provoquer in fine des destructions d'emplois plus nombreuses encore.
Deuxièmement, les dispositifs proposés remettent en cause des principes fondamentaux du droit du travail et du droit fiscal, en instaurant des sanctions automatiques, sans appréciation au cas par cas. L'article 2, en particulier, prévoit la suppression des aides publiques – crédit d'impôt recherche, exonérations de cotisations – pour les entreprises dont un licenciement économique serait jugé abusif. Il ouvre aussi la voie au remboursement rétroactif de ces aides.
Nous comprenons la volonté de conditionner les aides publiques à des contreparties sociales. C'est un sujet légitime, sur lequel le Parlement travaille et continuera de travailler. Mais une telle mesure, formulée de manière aussi automatique et sans évaluation fine, serait juridiquement instable et économiquement dissuasive.
Enfin, nous devons mesurer la portée symbolique et pratique de ce texte sur notre attractivité économique. Les grandes entreprises, qui sont visées par cette proposition, sont aussi celles qui portent une part importante de l'investissement, de l'innovation et de la formation professionnelle dans notre pays. Elles doivent certes être tenues à l'exemplarité, mais elles doivent aussi pouvoir s'adapter, évoluer et anticiper les mutations industrielles et écologiques majeures que nous appelons de nos vœux.
Une économie moderne, ouverte et résiliente ne se construit pas dans l'injonction punitive ! Elle se construit dans le dialogue, la responsabilité partagée et la confiance entre l'État, les entreprises et les salariés.
Nous ne croyons pas que ce texte apporte des solutions concrètes aux questions de reconversion, de transition professionnelle et d'accompagnement des bassins d'emploi fragilisés. Nous pensons qu'il enferme le débat dans une logique de confrontation, alors que les défis de notre temps appellent une mobilisation commune.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera contre cette proposition de loi.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à limiter le recours au licenciement économique dans les entreprises d'au moins 250 salariés
Avant l'article 1er
Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Brulin et Silvani, M. Gay et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 1233-3 du code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 1233-3. – Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives à une cessation d'activité ou à des difficultés économiques qui n'ont pu être surmontées par la réduction des coûts autres que salariaux ou, à des mutations technologiques indispensables à la pérennité de l'entreprise, et dès lors que l'entreprise n'a pas recours au travail intérimaire ou à la sous-traitance pour exécuter des travaux qui pourraient l'être par le ou les salariés dont le poste est supprimé.
« L'entreprise devra avoir cherché par tous moyens adaptés à sa situation d'éviter un licenciement pour motif économique, de sorte que le licenciement pour motif économique constitue le dernier recours pour assurer sa pérennité.
« L'appréciation des difficultés économiques ou des mutations technologiques s'effectue au niveau de l'entreprise si cette dernière n'appartient pas à un groupe.
« Lorsque l'entreprise appartient à un groupe, l'appréciation des difficultés économiques ou des mutations technologiques s'apprécie au niveau du secteur d'activité du groupe.
« Les situations visées au premier alinéa qui seraient artificiellement créées ainsi que celles résultant d'une attitude frauduleuse de la part de l'employeur, ne peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. »
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Cet amendement vise à revenir sur la définition des licenciements économiques. La loi Macron de 2015, la loi El Khomri de 2016 et les ordonnances Pénicaud de 2018 ont assoupli les motifs de licenciements économiques, de sorte qu'il n'a jamais été aussi facile de procéder à des licenciements massifs dans notre pays.
Au fil des réformes du droit du travail, le motif économique a perdu en précision, tandis que ses conditions de mise en œuvre ont gagné en souplesse. La dérégulation de l'économie a provoqué celle du marché du travail : les entreprises ont été incitées à recourir à des licenciements massifs pour limiter le risque de perte de parts de marché par rapport à leurs concurrents. Ils ont ainsi été amenés à considérer leurs salariés comme de simples coûts à réduire, à externaliser ou à délocaliser.
Le fait qu'une entreprise puisse, en l'absence de difficultés économiques, lancer un projet de licenciement s'il est justifié par une réorganisation nécessaire à sa sauvegarde et à sa compétitivité revient à considérer que la suppression des emplois d'aujourd'hui est légitime dès lors qu'elle assure la sauvegarde des emplois de demain.
Selon nous, il convient de revenir sur cette définition afin de limiter vraiment les licenciements économiques.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Monique Lubin, rapporteure. Cet amendement vise à redéfinir les raisons économiques du licenciement au sein du code du travail, en supprimant notamment les critères définis par la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi Travail. Ces critères, notamment celui de la sauvegarde de la compétitivité, ont en effet assoupli les conditions pour recourir au licenciement économique.
En outre, cet amendement tend à supprimer le périmètre national pour apprécier les difficultés économiques ou les mutations technologiques auxquelles est confrontée une entreprise appartenant à un groupe. Un licenciement devrait ainsi être justifié au regard de la situation globale du secteur d'activité d'un groupe international.
En cohérence avec sa position sur le texte, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Toutefois, à titre personnel, j'estime que cet amendement est tout à fait bienvenu, car il s'inscrit dans l'esprit de cette proposition de loi, qui a vocation à rééquilibrer le droit du licenciement économique en faveur de la protection des emplois.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Madame la sénatrice, vous proposez de supprimer les précisions apportées par la loi Travail de 2016 sur la définition du motif économique.
Or ces précisions contribuent à lever les freins à l'embauche, lorsque le chef d'une PME hésite à recruter. En effet, elles évitent que les embauches à durée déterminée se multiplient, parce qu'elles sont perçues comme la voie la plus sûre pour se prémunir contre les difficultés à rompre le contrat de travail en cas de coup dur.
Aussi ne me semble-t-il pas opportun de modifier la rédaction actuelle de cet article du code du travail, sous peine de porter atteinte à l'équilibre du droit du licenciement économique.
Je précise que, selon l'Insee, 25 % des entreprises industrielles considèrent que les difficultés de recrutement limitent leur production, alors qu'elles n'étaient que 7 % à le penser en 2006. De plus, France Stratégie a évalué les besoins prévisionnels de recrutement dans les métiers industriels à 90 000 par an sur la période 2019-2030.
Ce n'est pas en prenant ce genre de mesures que nous faciliterons les recrutements en France, en particulier dans le secteur de l'industrie.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 286 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 115 |
Contre | 226 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 1er
La sous-section 1 de la section 2 du chapitre III du titre III du livre II de la première partie du code du travail est complétée par un article L. 1233-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1233-2-1. – Une entreprise d'au moins deux cent cinquante salariés, telle que définie au 3° de l'article D. 230-1 du code de commerce, ne peut invoquer un motif économique de licenciement au sens de l'article L. 1233-3 du présent code si, au cours du dernier exercice comptable de l'année écoulée, elle a :
« 1° Procédé à la distribution de dividendes ;
« 2° Distribué des stock-options ou actions gratuites, ou procédé à une opération de rachat d'actions ;
« 3° Réalisé un résultat net ou un résultat d'exploitation positif ;
« 4° Bénéficié des dispositifs prévus aux articles 244 quater B et 244 quater C du code général des impôts ainsi qu'à l'article L. 241-13 du code de la sécurité sociale.
« L'inspection du travail procède aux vérifications nécessaires pour l'application du 4° du présent article. »
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic, sur l'article.
M. Thierry Cozic. Je voudrais revenir sur les propos qui ont été tenus pendant la discussion générale au sujet du licenciement économique.
En présentant cette proposition de loi au nom du groupe socialiste, je ne prétends pas modifier les éléments constitutifs des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE). L'objectif est simplement de rappeler avec force qu'une entreprise ne peut pas à la fois engager un PSE et verser des dividendes.
Il est en effet contradictoire de voir des entreprises faire le choix de fermer des sites et de licencier des salariés tout en touchant des aides publiques, alors que, dans le même temps, elles sont rentables et versent des dividendes à leurs actionnaires ! Voilà pourquoi nous tenons à préciser ce critère de rentabilité.
Madame la ministre, vous avez mis en avant la situation de l'emploi. Permettez-moi de vous rappeler qu'Emmanuel Macron est au pouvoir depuis huit ans ! C'est le moment de faire le bilan de la politique de l'offre, qui était supposée ruisseler sur l'économie…
Depuis que vous êtes aux responsabilités, notre dette a augmenté de plus de 1 100 milliards d'euros pour atteindre le niveau record de 3 300 milliards. Nous avons constaté 66 000 défaillances d'entreprises l'année dernière et 400 000 emplois ont été détruits entre 2024 et 2025. Dans le même temps, 300 milliards d'euros d'aides publiques ont été versés et les dividendes explosent. Pour preuve, plus de 100 milliards d'euros ont été versés en 2024 sous forme de dividende ou de rachat d'actions.
La situation n'est pas tenable et nos concitoyens ne peuvent pas entendre que l'on s'en satisfasse ! Cette proposition de loi est de bon sens.
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !
M. Thierry Cozic. Elle permet au politique de reprendre la main sur l'économie.
J'en appelle donc à la responsabilité de l'ensemble de l'hémicycle.
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat, sur l'article.
M. Simon Uzenat. Mes chers collègues, comme je vous sais suffisamment intelligents pour lire et comprendre les textes, j'ai le sentiment, à l'issue de la discussion générale, que vous ne voulez pas comprendre cette proposition de loi. Vous nous accusez, mon groupe et moi, de défendre l'économie administrée et de vouloir interdire les licenciements. Pourtant, il n'en est nullement question dans ce texte !
Je suis frappé par la façon dont vous balayez d'un revers de main le vécu des Français qui sont confrontés à ces situations. Nous avions bien compris que le Président de la République était adepte d'une forme d'arrogance, nous craignons qu'elle ait contaminé de nombreux élus nationaux… En ce qui nous concerne, nous avons à cœur d'entendre ce que nous disent les Françaises et les Français.
Madame la ministre, nous n'avons rien contre les actionnaires ! Ils prennent des risques et ils méritent d'être rémunérés pour cela ; nous sommes tout à fait d'accord sur ce point. En ce qui concerne les petits actionnaires, évoqués par Mme Gruny, j'affirme que leur responsabilité doit être questionnée. Est-il normal que ceux qui se font bien souvent les défenseurs des entreprises françaises fassent passer leur rémunération personnelle devant la sauvegarde des emplois ?
Je rappelle que les dividendes sont globalement en hausse, voire en forte hausse. Ils ne diminuent pas. Le cas de Michelin est éclairant sur ce point.
Enfin, madame la ministre, vous pointez régulièrement, tout comme nos collègues de la droite sénatoriale, les diverses aides dont peuvent bénéficier nos concitoyens. Mais, manifestement, la question ne semble pas se poser, selon vous, pour les entreprises. Vous dites ne pas vouloir d'un État qui contraint ; en réalité, vous voulez bien d'un État qui contraint les uns, mais pas les autres !
Pour notre part, nous sommes attachés à l'égalité républicaine, qui n'est pas à géométrie variable. Ce texte y contribue. Il envoie un signal de la volonté politique qui doit être la nôtre.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 287 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 115 |
Contre | 225 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 2
La sous-section 2 de la section 2 du chapitre III du titre III du livre II de la première partie du code du travail est complétée par un article L. 1233-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1233-3-1. – L'employeur ayant procédé à un licenciement économique jugé abusif au titre de l'article L. 1233-2 perd, pour une durée ne pouvant excéder trois ans, le bénéfice des dispositifs prévus aux articles 244 quater B et 244 quater C du code général des impôts ainsi qu'à l'article L. 241-13 du code de la sécurité sociale.
« Dans le cas où l'employeur est déjà bénéficiaire des dispositifs mentionnés au premier alinéa du présent article, il a l'obligation de rembourser l'intégralité du montant des aides perçues au cours du dernier exercice comptable précédant le licenciement économique jugé abusif au titre de l'article L. 1233-2 du présent code. »
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vais mettre aux voix l'article 2.
Je vous rappelle que, si cet article n'était pas adopté, il n'y aurait pas lieu de voter sur l'ensemble de la proposition de loi dans la mesure où les deux articles qui la composent auraient été supprimés. Il n'y aurait donc pas d'explication de vote sur l'ensemble.
Dans ces conditions, quelqu'un demande-t-il la parole pour expliquer son vote sur l'article 2 ?
La parole est à M. Thierry Cozic, pour explication de vote sur l'article.
M. Thierry Cozic. Je profite donc de cette intervention à la fois pour présenter l'article 2 et pour m'exprimer de manière plus globale sur ce texte.
Cet article donne au juge, lorsqu'il a établi qu'un licenciement était abusif, le pouvoir de contraindre l'entreprise concernée à rembourser les aides publiques qu'elle aurait perçues lors du dernier exercice ou à l'empêcher d'en percevoir dans les années à venir. Cette disposition me semble importante.
Comme nous parvenons à la fin de l'examen de ce texte, je voudrais remercier le groupe socialiste d'avoir retenu cette proposition de loi pour son espace réservé. Il se trouve qu'elle percute l'actualité, mais elle découle d'un travail que j'ai engagé il y a plusieurs années et qui a vocation à se poursuivre après le vote du Sénat.
La commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants que conduisent en ce moment Olivier Rietmann et Fabien Gay et que j'ai évoquée dans mon propos liminaire produira prochainement des propositions. Le texte que je défends aujourd'hui ne constitue donc que la première pierre d'un vaste édifice.
Mes chers collègues, quelles que soient nos opinions respectives, je pense qu'il nous faudra nous départir de toute lecture dogmatique. (Mme Pascale Gruny s'exclame.) Je le redis, cette proposition de loi visait simplement à interdire aux groupes – seuls eux étaient concernés – de licencier, quand ils touchent des aides publiques dans le même temps. Nos concitoyens ne comprennent pas cet état de fait, qui n'est plus supportable à l'heure où l'on demande des efforts à tout le monde.
Chacun doit faire preuve de responsabilité : le politique, le citoyen, mais aussi l'entreprise ! Ce n'est qu'ensemble que nous pourrons faire société et il est important que nous avancions collectivement sur ces questions.
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat, pour explication de vote sur l'article.
M. Simon Uzenat. Je ne veux pas disqualifier certaines propositions de loi, mais toutes n'ont pas la même ampleur. Ce soir, nous avons devant nous l'exemple même d'un texte emblématique, qui répond à une attente et témoigne d'une volonté politique. Pour être élus, nous avons tous pris des engagements devant nos électeurs, en l'occurrence les élus locaux de nos territoires et, à travers eux, nos concitoyens.
Notre mission est d'agir pour changer le cours des choses. Cela ne signifie pas raconter ou faire n'importe quoi. Du reste, on ne saurait nous soupçonner, dans cette partie de l'hémicycle, de promettre la lune. Nous agissons toujours en responsabilité, comme nous le faisons dans les collectivités dont nous avons la charge.
Madame la ministre, mes chers collègues de la droite sénatoriale, nous avons parfaitement conscience de la concurrence internationale. Chacun convient, jusqu'au plus haut niveau de l'État, qu'il est nécessaire de réagir, non seulement à l'élection de Donald Trump, mais surtout au fait que le monde évolue. Nous devons nous doter des bons outils, à l'échelle de notre pays comme de l'Union européenne.
Il est de plus en plus question de protectionnisme européen, ou tout du moins de préférence européenne. Je préside une commission d'enquête, dont le rapporteur est Dany Wattebled, sur les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d'entraînement sur l'économie française et nous constatons que cette idée fait son chemin. Sur ce sujet aussi, on pourrait nous rétorquer que la concurrence internationale nous empêche d'adopter certains outils. Pourtant, nous espérons bien le faire à court et moyen terme !
Aujourd'hui, nous défendons une mesure de régulation qui doit permettre aux uns et aux autres de faire des choix en responsabilité. Nous ne sommes pas opposés à la rémunération du capital, à condition qu'elle garde des proportions raisonnables, qui permettent de préserver les outils productifs, les compétences et les emplois dans nos territoires, dont nous avons besoin.
Nous ne pouvons pas, d'un côté, appeler à la souveraineté et à l'autonomie industrielle et, de l'autre, nous livrer à cette mondialisation financière effrénée. Voilà le message que nous envoyons et nous espérons, mes chers collègues, que vous saurez l'entendre.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Messieurs les sénateurs, vous nous appelez à ne pas être dans le dogmatisme. Pour ma part, je suis plutôt connue pour avoir une parole assez libre, y compris lorsqu'il est question de dresser des bilans.
Vous avez vivement critiqué le bilan du Gouvernement en matière d'emploi. Je tiens donc à rappeler certains chiffres, qui sont – j'ai pour habitude de citer mes sources – ceux de l'Insee : 35 000 emplois industriels nets ont été créés en 2023 et 25 000 en 2024 ; entre 2019 et 2023, 1,3 million d'emplois salariés nets ont été créés.
En outre, les baromètres sur le sujet montrent que la France est la première terre d'accueil d'investissements étrangers sur le continent européen.
Il convient aussi de rappeler tout cela !
Notre politique industrielle a commencé à fonctionner non pas depuis 2017, mais depuis la loi Travail qui a été votée en 2016. Une partie du crédit vous revient donc, messieurs les sénateurs, et je vous invite à l'assumer.
Là où je ne vous rejoins pas, et j'ai déjà cité le chiffre, c'est que les contributions patronales représentent actuellement 10 % du PIB de la France – et ce taux tient compte des aides – contre 7 % en Allemagne et en moyenne dans l'Union européenne.
Nous devons faire face à plusieurs questions. Le coût du travail en est une, elle a été évoquée par certains d'entre vous : nos compatriotes comprennent de moins en moins l'écart entre le salaire super brut et le salaire net. De même, il existe un sujet autour des compétences. Nous constatons en effet que de nombreuses entreprises, notamment industrielles, peinent à recruter, y compris dans des territoires où il y a des licenciements.
Nous devons répondre à d'autres questions, souvent au niveau européen : l'énergie, les surcapacités chinoises ou encore la mise en place d'une préférence européenne dans la commande publique, etc.
Nous pouvons donc nous rejoindre sur plusieurs sujets, mais j'estime que la réponse que vous apportez aujourd'hui est une fausse bonne idée, car le problème exige une réponse de longue durée fondée sur les mesures qui ont commencé à être mises en place.
Je vous le répète, les 10 % de PIB atteints par les contributions patronales – un niveau supérieur à celui de l'Allemagne ou des pays du nord de l'Europe, des pays qui ont une tradition de cohésion sociale – doivent nous faire réfléchir.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 288 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 115 |
Contre | 226 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mes chers collègues, les deux articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés par le Sénat, je constate qu'un vote sur l'ensemble n'est pas nécessaire.
En conséquence, la proposition de loi visant à limiter le recours au licenciement économique dans les entreprises d'au moins 250 salariés n'est pas adoptée.
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Monique Lubin, rapporteure. Je tiens à remercier le secrétariat de la commission des affaires sociales pour la qualité de son travail. Il s'est montré compréhensif et disponible malgré les conditions que je lui ai infligées. (Sourires.)
Je remercie également l'ensemble de mes collègues pour la qualité de ce débat.
6
Mise au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Brault.
M. Jean-Luc Brault. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 283 sur les amendements identiques nos 4 rectifié et 6 rectifié bis tendant à supprimer l'article 2 de la proposition de loi tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population, l'ensemble des sénateurs du groupe Les Indépendants – République et Territoires souhaitaient voter pour.
Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point. Elle figurera dans l'analyse politique du scrutin.
7
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 19 mai 2025 :
À seize heures :
Projet de loi relatif au transfert à l'État des personnels enseignants de l'enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna (procédure accélérée ; texte de la commission n° 618, 2024-2025) ;
Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à aménager le code de la justice pénale des mineurs et certains dispositifs relatifs à la responsabilité parentale (texte de la commission n° 573, 2024-2025) ;
Projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte (procédure accélérée ; texte de la commission n° 613 rectifié, 2024-2025) et projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte (procédure accélérée ; texte de la commission n° 614, 2024-2025) : discussion générale commune.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER