M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, ces projets de loi visant à refonder Mayotte ont l’ambition de porter des mesures structurelles de long terme, à même de garantir le développement du territoire. De telles mesures se font attendre depuis trop longtemps dans un département qui souffre du sous-investissement de l’État dans tous les domaines.

À Mayotte, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, une proportion cinq fois plus élevée qu’en Hexagone.

Pourtant, ce texte traduit aussi très explicitement la première inquiétude du Gouvernement quand il s’agit de Mayotte, et il ne s’agit ni de la pauvreté ni de l’injustice sociale. Aveuglé par la question migratoire et emporté dans une croisade contre l’immigration, le Gouvernement s’attache, dans les titres Ier et II, à faire de Mayotte une terre où l’on piétine les droits de l’homme, une terre d’oppression pour les enfants selon leur origine ou leur parenté. Améliorer la vie des Mahorais demeure un objectif secondaire.

En réalité, il est illusoire de penser que retirer des droits aux uns augmenterait mécaniquement ceux des autres. Ces premiers articles sont particulièrement dangereux. J’ai notamment à l’esprit la création d’unités familiales qui permettront d’enfermer les enfants, ainsi que le retrait des titres de séjour des parents lorsque leur enfant constituerait une menace pour l’ordre public.

Nous déplorons que vous mettiez toujours plus l’accent sur le répressif, au détriment de l’éducatif, alors que le département de Mayotte souffre de carences systémiques dans les dispositifs de protection de l’enfance.

Aucune de vos mesures restreignant le droit du sol n’a endigué les flux migratoires ni amélioré la situation de l’île. Leur seul résultat est de maintenir les étrangers à Mayotte dans une situation d’insécurité juridique et de précarité administrative permanente, freinant leur intégration, pesant sur le développement de l’île et nourrissant la haine de l’autre.

Ce maintien artificiel dans l’irrégularité, couplé à la complexité administrative, freine considérablement l’accès aux soins, dans un département où le taux d’affiliation est très faible. Les ruptures de prise en charge sont fréquentes dans l’attente du renouvellement d’un titre de séjour, y compris pour des personnes parfaitement intégrées.

Cette situation contraint trop souvent les associations à pallier les manques de l’État et à prendre son relais pour aider les personnes exclues du système de santé. La forte prévalence des maladies infectieuses à Mayotte nécessite pourtant un accès aux soins universel pour éviter la propagation des épidémies, pour la santé publique et celle de toute la population.

Nous saluons néanmoins la création d’une région de Mayotte, revendication que le groupe CRCE-K défend de longue date, ainsi que le zonage de l’intégralité du département en quartier prioritaire de la politique de la ville et les objectifs de convergence sociale. Cette démarche était plus qu’attendue dans un département où le Smic horaire brut est abaissé à 8,90 euros, contre 11,88 euros au niveau national, et où le revenu de solidarité active (RSA) demeure inférieur de 50 % à celui qui est en vigueur dans le reste de la France.

La convergence est bien un chemin vers l’égalité ; nous la souhaitons la plus rapide possible. L’objectif d’une égalité réelle en 2031, et pas un jour plus tard, est fixé, nous entendons que vous ne reculiez pas.

Je regrette cependant le manque d’ambition de ce texte pour nos jeunes. Il faut investir immédiatement et massivement dans l’éducation, dans un département où un habitant sur deux a moins de 20 ans. Nous partageons l’ambition de mettre fin à la rotation scolaire, mais le délai avancé de 2031 n’est pas en phase avec l’urgence de la situation.

L’insertion professionnelle des jeunes doit également constituer une priorité. L’insuffisance de la formation ne permet pas de répondre à toutes les ambitions sur ce territoire.

Enfin, la territorialisation des titres de séjour bloque les jeunes à Mayotte, où ils se trouvent piégés, sans solution pour étudier ou pour se former. Monsieur le ministre, si ce projet de loi a été élaboré en concertation avec les élus locaux, comme vous le dites, pourquoi ne pas répondre à leur demande largement partagée de mettre fin à ce dispositif ?

En définitive, la situation de Mayotte appelait une écoute encore plus attentive des acteurs de terrain et des mesures encore plus ambitieuses. Le rattrapage ne saurait se faire à moitié ; les moyens devront être au rendez-vous.

Nous sommes donc mitigés face à ce projet de loi dangereux pour les plus vulnérables et encore trop timide sur les progrès sociaux. Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky s’abstiendra donc. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin.

Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, après une première loi d’urgence adoptée en février dernier pour faire face aux conséquences du cyclone Chido, nous examinons aujourd’hui deux projets de loi, l’un comportant des mesures structurelles pour la refondation de Mayotte, l’autre relatif au département-région de Mayotte.

Nous ne pouvons que saluer votre objectif louable, monsieur le ministre d’État : corriger durablement les difficultés du territoire. En effet, cela fait bien longtemps que le département de Mayotte connaît une accumulation de crises, et le cyclone n’a fait qu’exacerber les manques et les difficultés.

Certes, le territoire est confronté à une très forte pression migratoire, mais c’est un système entier qu’il est urgent de revoir. L’appareil éducatif est dépassé, l’accès à l’eau potable n’est pas assuré, les logements manquent et sont particulièrement précaires, le taux de chômage est très élevé en raison d’un manque criant d’emplois.

Nous avons tous été choqués par les propos du Président de la République lors de son déplacement après le cyclone en décembre dernier : « Si ce n’était pas la France, vous seriez dix mille fois plus dans la merde. » Il a ainsi insulté les Mahorais, alors qu’on leur distribuait des boîtes de sardines pour leur permettre de survivre.

Oui, Mayotte c’est la France, mais, avant tout, ce sont des hommes, des femmes et des enfants qui font pleinement partie de notre République. Or, depuis de nombreuses années, celle-ci n’est pas à la hauteur à Mayotte.

Monsieur le ministre d’État, nous savons bien que vous ne pourrez pas régler des problèmes aussi profonds en un coup de baguette magique et en quelques mois, mais nous vous demandons de ne pas faire de la lutte contre l’immigration l’alpha et l’oméga d’une reconstruction qui mérite bien plus de hauteur et bien moins de caricatures.

À Mayotte, Comoriens et Mahorais se côtoient et vivent ensemble depuis toujours. Il est inutile et dangereux de chercher à les dresser les uns contre les autres.

Nous considérons que ce n’est pas agir pour la refondation de Mayotte que de durcir les conditions d’accès au séjour pour les parents d’enfants nés à Mayotte en les maintenant ainsi dans une situation d’irrégularité manifeste, donc de précarité, qui toucherait la famille tout entière.

Nous considérons également que ce n’est pas agir pour la refondation de Mayotte que d’autoriser l’enfermement des enfants dans des unités familiales qui ne sont en réalité que des centres de rétention administrative déguisés, des lieux de privation de liberté. Alors que nous avons voté en 2023 la fin de la rétention des mineurs étrangers, vous entendez en réalité les prolonger. Nous condamnons fermement ce reniement du Gouvernement.

Nous ne voyons pas bien non plus en quoi expulser les habitants de leur logement, même informel, sans aucune obligation de relogement, aidera à la refondation de l’île.

À Mayotte, la moitié de la population a moins de 20 ans, et ce n’est pas en précarisant et en maltraitant la jeunesse de l’île que nous aiderons à la reconstruction.

Toutes les mesures qui visent à accompagner la jeunesse pour la mobilité et les activités périscolaires, à assurer une convergence des droits sociaux avec l’Hexagone ou encore à moderniser le fonctionnement institutionnel de Mayotte vont dans le bon sens, et le groupe socialiste les soutiendra.

En revanche, et nous le disons depuis de nombreuses années maintenant, une demande unanime émanant du territoire mahorais n’est pas prise en compte par ce texte, bien qu’elle soit nécessaire : la fin des visas territorialisés.

Ces titres de séjour d’exception accentuent la pression sur l’île de Mayotte, laquelle n’est plus capable de gérer à elle seule un tel défi migratoire. Cette situation entraîne la prolifération des bidonvilles, la saturation des services publics, de la santé, de l’éducation nationale, des réseaux d’adduction d’eau et d’assainissement ou encore la dégradation accélérée de l’environnement et du lagon.

Il est totalement irrationnel de ne pas revenir sur ces visas. Les titres de séjour délivrés à Mayotte doivent permettre l’accès à l’ensemble du territoire national. Aussi, nous proposerons une nouvelle fois une telle évolution.

Le groupe SER sera à la hauteur du débat pour reconstruire durablement l’île de Mayotte, mais pas à n’importe quel prix, et surtout pas en cédant à des obsessions migratoires et en votant contre l’intérêt de sa jeunesse. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. Manuel Valls, ministre dÉtat. La sénatrice de la Polynésie française nous a invités tout à l’heure à débattre avec courage des territoires ultramarins. Nous le faisons ici avec plaisir…

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Et avec gravité !

M. Manuel Valls, ministre dÉtat. … et surtout avec gravité, en effet, parce que Mayotte est confrontée à des problèmes majeurs.

Nous aurons l’occasion de revenir sur l’ensemble des sujets abordés quand nous examinerons les amendements, mais je souhaite d’ores et déjà apporter quelques réponses aux questions qui m’ont été posées.

Madame la sénatrice Agnès Canayer, il faut en effet articuler ce texte de loi avec la stratégie de reconstruction. Le général Facon me présentera une première version de cette stratégie demain matin, qui pourra donc nourrir une partie de mes réponses. Celle-ci comprendra quatre axes principaux : sécurité, développement, gouvernance et coopération régionale. Elle devra évidemment être partagée avec les élus. Je rencontre d’ailleurs demain soir le président du conseil départemental et je rappellerai ce point au général Facon.

Cette stratégie, dont la structure sera calquée sur le rapport annexé, doit être validée lors du prochain comité interministériel aux outre-mer, qui aura lieu le 10 juillet prochain. À ce titre, les dispositions des amendements visant à prévoir des modalités de suivi et d’évaluation vont évidemment dans le bon sens.

Monsieur le sénateur Olivier Bitz, l’article 2 prévoit un durcissement des conditions de délivrance des titres liés à l’immigration familiale. La portée de cet article ne doit pas être minimisée : la délivrance ou le renouvellement des titres liés à l’immigration familiale représentait 85 % de l’ensemble en 2023, son évaluation, introduite de même par un amendement en commission tout à fait bienvenu, sera utile pour en mesurer l’impact.

En matière de lutte contre l’immigration clandestine (LIC), nous avons besoin de développer une culture de l’évaluation au service d’une culture du résultat, parce que nous visons l’efficacité.

Madame la présidente Micheline Jacques, vous pointez à juste titre la défaillance de la gouvernance en matière de pêche professionnelle. Nous l’avions déjà évoqué, et j’ai pu m’en rendre compte sur place dès le mois de janvier. La zone économique exclusive représente pourtant une source majeure de ressources halieutiques et la pêche professionnelle constitue un vivier d’emploi important qui doit contribuer à la souveraineté alimentaire de Mayotte, ainsi que je le rappelais notamment au commissaire européen.

En effet, Mayotte doit disposer d’un comité des pêches de plein exercice, et l’État devra accompagner les pêcheurs, afin que ceux-ci démontrent leur capacité à se fédérer et à se structurer ; il appartient à la profession d’aller dans ce sens, avec les élus, et l’État viendra en soutien.

Vous avez également rappelé les éléments concernant la politique de la ville. Juliette Méadel a déjà obtenu un million d’euros pour commencer le rattrapage dans la loi de finances pour 2025 ; nous sommes déterminés à approfondir ce rattrapage au cours de l’ensemble de la période de refondation.

Monsieur le sénateur Stéphane Fouassin, vous avez avancé une observation concernant le chiffrage du tableau, lequel serait incomplet. Le Gouvernement portera un amendement pour préciser les investissements. Repartir des plans et des contrats existants témoigne, me semble-t-il, de notre responsabilité, et l’amendement adopté en commission aura pour objet d’affiner la programmation.

Vous avez formulé une seconde observation concernant la zone franche globale. Vous rappelez à juste titre le signal fort ainsi envoyé aux entreprises, en particulier les PME. Ce dispositif intégrera les activités libérales, l’hôtellerie, la restauration ou encore les secteurs de la santé et de l’action sociale. La zone franche représente un effort de 18 millions d’euros au service de l’emploi et de la croissance.

Madame la sénatrice Mélanie Vogel, il est inexact de soutenir que la refondation de Mayotte éluderait sa dimension sociale. Nous voulons non pas seulement reconstruire Mayotte, mais bien refonder ce territoire.

Cet effort est nécessaire tout d’abord sur les plans économique et social, mais nous avons toujours indiqué que, si nous n’abordions pas les questions de fond qui minent le pacte social mahorais, c’est-à-dire l’immigration illégale et l’habitat illégal, nous ne pourrions pas rebâtir sur des bases sérieuses le territoire.

Cette convergence sociale fait partie de la promesse républicaine. M. le sénateur de Mayotte Saïd Omar Oili m’a rappelé que nous avions signé ensemble le plan Mayotte 2025, qu’avait annoncé le président François Hollande en 2014. Les hasards de la vie font que, en 2025, je me trouve à présenter deux textes de loi, certes après un cyclone, concernant ce territoire.

Nous sommes encore loin de cette promesse républicaine, soulignée par la catastrophe naturelle, mais nous fixons des objectifs d’égalité républicaine pour les prestations sociales, qui doivent être alignées sur celles de l’Hexagone. Affirmer que nous pourrions le faire dès 2026 relèverait de la démagogie, mais nous pourrons alors entamer le processus de convergence.

Nous pourrions également évoquer le nouveau site hospitalier à Combani, le deuxième institut de formation en soins infirmiers et la fin de la rotation scolaire, certes difficile à mettre en œuvre, tant la question de l’école est incontestablement au cœur de ce pacte républicain que nous devons à nos compatriotes mahorais.

Mon ambition, notamment sociale, est articulée avec l’engagement économique, et je veux associer compétitivité des entreprises, efficacité, prospérité économique et développement social du territoire. Nous devons assumer cette méthode. C’est tout le sens de la priorité donnée au travail et à la convergence du Smic que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer.

Madame la sénatrice, la lutte contre l’émigration clandestine doit être une priorité. Il s’agit d’une réalité de ce territoire, et vous ne trouverez aucun Mahorais pour la contester. Nous sommes d’ailleurs parfois en désaccord avec certains élus mahorais sur les outils, par exemple sur le titre territorialisé.

Pour autant, il est faux de dire que rien n’est fait ou ne se fera pour l’école. La construction des écoles est prioritaire dans le fléchage des crédits d’amorçage de 100 millions d’euros et 700 millions d’euros sont inscrits dans le rapport annexé pour poursuivre la construction des nouveaux établissements scolaires.

En ce qui concerne l’eau, qui est un enjeu majeur, je rappelais à la tribune qu’il nous faut être vigilants. Lors de mon déplacement en avril dernier, j’ai rencontré l’ensemble des acteurs concernés.

Nous avançons, notamment en matière de grandes infrastructures : l’arrêté d’autorisation des travaux de l’usine de dessalement est signé et l’acquisition du foncier nécessaire à la construction de la troisième retenue collinaire suit son cours.

Par ailleurs, les campagnes de forage se poursuivent et se déroulent plutôt bien et quelque 2 millions de litres d’eau arriveront prochainement à Mayotte par voie maritime.

Le travail continue, car beaucoup reste à faire, notamment avec le syndicat mixte Les eaux de Mayotte (Lema) pour lutter contre les fuites après compteur. Plus de 700 millions d’euros sont engagés pour financer ces différents dispositifs.

Monsieur le sénateur Omar Oili, la phase 2 de la mission inter-inspections pour reconstruire Mayotte que vous évoquez n’est pas terminée. Dès lors que ses travaux seront achevés, je vous transmettrai, ainsi qu’à l’ensemble des sénateurs, son second rapport. Les hauts fonctionnaires chargés de ce dossier ont bien travaillé et je n’ai absolument rien à cacher.

Le tableau de programmation figurant dans le rapport annexé comprend 3,2 milliards d’euros d’investissements. Par l’amendement n° 155 rectifié bis, je vous proposerai de porter ce montant à près de 4 milliards d’euros. Le montant de 6 milliards que vous avancez, monsieur le sénateur, correspond à la somme de 3,2 milliards d’euros que je viens d’évoquer et au coût évalué des dégâts, qui s’établit à 3,5 milliards d’euros et qui comprend notamment le coût des bidonvilles. Il nous faudra toutefois affiner ces montants chaque année en fonction de l’évolution des projets.

Si je comprends vos doutes, monsieur Oili, je tiens à préciser que c’est la première fois qu’une telle somme est engagée. Ce sera le travail du Parlement – je sais que les sénateurs le mèneront avec exigence – que de contrôler l’emploi de ces crédits et d’en affiner les montants dans le cadre de la programmation qui vous est proposée.

Vous avez également évoqué les prêts à taux zéro. Lors de la visite du Président de la République, nous avons constaté que les banques faisaient incontestablement blocage. Ceux-ci ont été levés, de sorte que les dossiers des Mahorais sont désormais acceptés. Le préfet François-Xavier Bieuville réunira les banques demain pour faire le point. On peut toujours espérer que les choses aillent plus vite, mais sachez que nous suivons la situation de près et que nous maintenons la pression sur les banques.

Vous avez en outre abordé la situation de la pêche et la redevance thonière : oui, 1,6 million d’euros sont bien disponibles pour cette filière. Si les choses n’avancent pas, cela s’explique sans doute par l’affaiblissement de l’administration maritime, conjugué à la dispersion d’une filière qui a du mal à parler d’une seule voix.

Sur ce sujet comme sur d’autres, je compte sur la mobilisation des élus locaux comme des parlementaires pour avancer.

Les sénateurs Laménie et Le Rudulier, ainsi que la sénatrice Lana Tetuanui ont apporté à ce texte leur soutien exigeant – c’est du moins ainsi que je l’entends. Je les en remercie.

Vous soulignez avec raison qu’en matière d’immigration, les mesures législatives ne suffiront pas, monsieur Le Rudulier. La stratégie du « mur de fer », qui est présentée dans le rapport annexé, ne relève pas de la loi, mais elle nous dote de leviers efficaces : hausse des moyens et des effectifs, nouveaux rapports avec les Comores, etc.

Madame la sénatrice Ramia, vous appelez de vos vœux un échéancier en matière de convergence sociale. Je partage votre analyse ; tel est du reste précisément l’objet des ordonnances qui seront prises sur le fondement de l’article 15. En amont, dans les jours qui viennent, le préfet Bieuville et le général Facon remettront le rapport prévu à l’article 36 de la loi du 24 février 2025 d’urgence pour Mayotte. Ce document devrait fixer les grandes étapes de cette convergence et la méthode de concertation qui doit y présider.

Sur le fond, comme vous l’avez parfaitement indiqué, l’enjeu consiste à articuler la convergence sociale et le développement économique. La priorité est à mes yeux d’accompagner la hausse du Smic afin de préserver la compétitivité des entreprises. Je propose, dans ce cadre, de privilégier le déploiement du droit commun à Mayotte, notamment en matière d’allégements de cotisations, plutôt que de renforcer la spécificité mahoraise en matière de CICE. Dans le cadre d’une ambition globale de convergence, il me paraît en effet contre-intuitif – je dis très modestement – de renforcer un dispositif qui est déjà dérogatoire.

Si je partage pleinement votre objectif, je vous propose d’actionner d’autres leviers pérennes. Je ne doute pas que vous défendrez vos propositions avec conviction et j’écouterai vos arguments lors de l’examen des amendements, madame la sénatrice.

En ce qui concerne l’article 19, nous avons, hélas ! un désaccord. Nous avons beaucoup écouté les élus des territoires afin de trouver des pistes de convergence tout en essayant de répondre aux inquiétudes.

Les dispositions de cet article visent à accélérer la construction des infrastructures essentielles à Mayotte. Elles tiennent compte des difficultés rencontrées sur le territoire dans l’identification de certains propriétaires afin de ne pas bloquer les travaux, tout en garantissant – je le répète – les droits attachés à la propriété privée.

Cet article – nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen des amendements – est donc strictement encadré sur le plan juridique.

Mesdames les sénatrices Sophie Briante Guillemont et Corinne Narassiguin, vous reprochez à ce texte l’importance donnée aux questions d’immigration. Si les volets relatifs à l’immigration et à la sécurité ont en effet une place importante au sein de ce texte, je vous répondrai que, tout en comprenant vos positions, vous donnez à ces sujets une place encore plus grande dans le débat. Si nous n’avions pas pris en charge ces deux volets, nous aurions du reste essuyé de nombreux reproches légitimes. Pour autant, de grâce, ne réduisez pas à ces deux volets ce texte ambitieux, qui présente une stratégie globale et engage des moyens financiers importants.

L’article 7 autorise le placement, pour une durée maximale de soixante-douze heures, d’un étranger accompagné d’un mineur dans une unité familiale. Cette disposition permet de pallier l’interdiction, instaurée par la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, de placer en rétention des familles avec mineurs.

De nombreux mineurs tentant la traversée en kwassa-kwassa, il serait irresponsable de ne pas organiser leur prise en charge dès lors que leur embarcation de fortune est interceptée. Prenons garde à ne pas sous-évaluer cette situation dramatique. L’unité familiale permet d’éviter de séparer un enfant de ses parents afin de le mettre en sécurité le temps d’organiser l’éloignement.

La pauvreté et la justice sociale ne sont pas des enjeux oubliés par le Gouvernement, bien au contraire, madame la sénatrice Corbière Naminzo. Lutter contre l’habitat insalubre, c’est refuser d’institutionnaliser des bidonvilles, expression urbanistique de la pauvreté s’il en est une. Renforcer le dispositif de détection et d’interception des kwassa-kwassa, c’est limiter les entrées illégales qui déstabilisent le système de soins, la cohésion sociale et le marché du travail.

Un texte prévoyant d’agir en douze mois pour accélérer la convergence sociale dès 2026 peut-il, du reste, être critiqué au motif qu’il négligerait la justice sociale ? Non, et je crois au contraire que ce texte est équilibré.

Chacun connaît enfin les termes du débat politique relatif au titre de séjour territorialisé que vous avez évoqué, madame la sénatrice. La lutte contre l’immigration clandestine doit être appréhendée dans sa globalité.

Les conditions d’accès à la nationalité française ont été durcies après l’adoption de la proposition de loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte, la validation de ce texte par le Conseil constitutionnel et sa promulgation le 12 mai 2025. Si, comme vous le savez, je suis contre la remise en cause du droit du sol, je reconnais que ce dispositif de restriction permettra de lutter contre l’immigration clandestine. Il ne réglera bien évidemment pas tous les problèmes, mais il constitue un outil supplémentaire.

Nous proposons par ailleurs de renforcer les moyens technologiques et humains du dispositif de détection et d’interception. Comme le Président de la République s’y est engagé à Mayotte, et comme cela est précisé dans le rapport annexé, nous allouons 52 millions d’euros supplémentaires à ce dispositif.

Le Président de la République, que vous avez mis en cause, madame la sénatrice Narassiguin, ne peut pas se défendre dans cet hémicycle. Permettez-moi donc de rappeler qu’il s’est rendu à Mayotte dans les quelques jours qui ont suivi le cyclone, puis de nouveau il y a quelques semaines avec plusieurs membres du Gouvernement de François Bayrou. Les textes que je vous présente aujourd’hui ont naturellement été présentés en conseil des ministres.

Soyez donc assurée que le chef de l’État est engagé et que l’ensemble de l’exécutif partage la même volonté d’aider, de protéger et de répondre aux exigences des Mahorais. Ces derniers veulent à juste titre être considérés et respectés par la Nation comme des citoyens à part entière.

En tout état de cause, notre réponse, forte et globale, vise à la plus grande efficacité. Le travail mené par les commissions du Sénat a déjà contribué à renforcer les dispositifs et les moyens proposés par le Gouvernement, et je ne doute pas que le texte sera encore amélioré lors de nos débats.

Si le sujet est grave, c’est avec plaisir que je m’engage avec vous dans ce travail commun sur les deux présents textes, mesdames, messieurs les sénateurs. Dans ce moment de doute, je crois qu’il constitue la meilleure réponse politique aux attentes de nos compatriotes mahorais. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La discussion générale est close.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte
Discussion générale (suite)